Lumen gentium 2




SESSION V 21 novembre 1964



Constitution dogmatique sur l’Église



Chapitre I. Le mystère de l’Église

1 Puisque le Christ est la lumière des nations, ce saint Concile, assemblé dans l’Esprit Saint, souhaite vivement, par l’annonce de l’Évangile à toute créature (cf. Mc 16,15), faire briller sur tous les hommes la clarté du Christ qui resplendit sur le visage de l’Église. Et comme l’Église est, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain, elle se propose de faire comprendre, de façon plus précise, à ses fidèles et au monde entier, sa nature et sa mission universelle, en suivant de près l’enseignement des précédents conciles. Les conditions du temps présent confèrent à ce devoir de l’Église une importance et une urgence plus grandes, car il faut obtenir que tous les hommes, unis aujourd’hui de façon plus étroite par divers liens sociaux, techniques et culturels, parviennent également à leur pleine unité dans le Christ.


2 Le Père éternel, selon un dessein tout à fait libre et caché de sa sagesse et de sa bonté, a créé l’univers entier, a décidé d’élever les hommes à la participation à la vie divine et, après qu’ils furent tombés en Adam, il ne les a pas abandonnés, mais leur a apporté sans cesse des secours pour leur salut, en considération du Christ, le Rédempteur, « qui est l’image du Dieu invisible, le premier-né de toute créature » (Col 1,15). Tous les élus, le Père, avant les siècles, « les a connus d’avance et les a prédestinés à devenir conformes à l’image de son Fils, pour que celui-ci fût le premier-né d’une multitude de frères » (Rm 8,29). Et tous ceux qui croient au Christ, il a décidé de les appeler à se rassembler dans la sainte Église, qui, préfigurée dès l’origine du monde, merveilleusement préparée dans l’histoire du peuple d’Israël et dans l’ancienne alliance 1, a été constituée dans les derniers temps, a été manifestée par l’effusion du Saint-Esprit et sera consommée dans la gloire à la fin des temps. Alors, en effet, comme on le lit chez les saints Pères, tous les justes depuis Adam, « depuis Abel le Juste jusqu’au dernier élu 2 » se trouveront rassemblés auprès du Père dans l'Église universelle.

1 Cf. Cyprien, Epist. 64,4 : PL 3, 1017 ; CSEL (Hartel), III B, p. 720. Hilaire, In Mt. 23, 6 : PL 9, 1047 ; SC 258. Augustin, passim. Cyrille Alex., Glaph. in Gen. 2, 10 : PG 69, 110 A.
2 Cf, Grégoire, Hom. in Evang 19, 1 : PL 76, 1154 B. Augustin, Serm. 341, 9, 11 : PL 39, 1499 s. Jean de Damas, Adv. iconocl. 11 : PG 96, 1337.


3 Le Fils est donc venu, envoyé par le Père qui nous a élus en lui avant la création du monde et nous a prédestinés à l’adoption filiale, car il lui a plu de tout récapituler en lui (cf. Ep 1,4-5 et 10). C’est pourquoi le Christ, pour accomplir la volonté du Père, a inauguré sur terre le Royaume des cieux et nous a révélé son mystère, et, par son obéissance, a effectué la rédemption. L’Église, qui est le Règne du Christ déjà présent en mystère, croît dans le monde de façon visible sous l’effet de la puissance de Dieu. Cette origine et cette croissance sont signifiées par le sang et l’eau qui sortent du côté ouvert de Jésus crucifié (cf. Jn 19,34), et sont annoncées d’avance par les paroles du Seigneur au sujet de sa mort sur la croix : « Et moi, quand je serai élevé de terre, je les attirerai tous à moi » (Jn 12,32 gr). Chaque fois que se célèbre sur l’autel le sacrifice de la Croix, par lequel «le Christ, notre Pâque, a été immolé» (1Co 5,7), s’opère l’oeuvre de notre rédemption. En même temps, par le sacrement du pain eucharistique, est représentée et rendue effective l’unité des fidèles qui forment un seul corps dans le Christ (cf. 1Co 10,17). Tous les hommes sont appelés à cette union avec le Christ, qui est la lumière du monde, de qui nous venons, par qui nous vivons, vers qui nous tendons.


4 Une fois que fut achevée l’oeuvre que le Père avait chargé son Fils d’accomplir sur terre (cf. Jn 17,4), l’Esprit Saint fut envoyé, le jour de la Pentecôte, pour qu’il sanctifiât sans cesse l’Église, et que de cette façon les croyants eussent accès au Père, par le Christ, dans l’unique Esprit (Ep 2,18). C’est lui l’Esprit de vie, la source d’eau jaillissant pour la vie éternelle (cf. Jn 4,14 Jn 7,38-39), par qui le Père donne la vie aux hommes, morts du fait du péché, en attendant qu’il ressuscite dans le Christ leurs corps mortels (cf. Rm 8,10-11). L’Esprit habite dans l'Église et dans les coeurs des fidèles comme dans un temple (cf. 1Co 3,16 1Co 6,19), en eux, il prie et rend témoignage de leur adoption comme fils (cf. Ga 4,6 Rm 8,15-16 et Rm 8,26). L’Église, qu’il introduit dans la vérité tout entière (cf. Jn 16,13) et qu’il unifie dans la communion et le service, il la pourvoit de dons divers, hiérarchiques et charismatiques, la dirige grâce à ces dons et l’orne de ses fruits (cf. Ep 4,11-12 1Co 12,4 Ga 5,22). Par la vertu de l’Évangile, il fait que l’Église se rajeunisse et il la renouvelle sans cesse, et il la conduit à l’union parfaite avec son Époux 3. L’Esprit et l’Épouse disent, en effet, au Seigneur Jésus : « Viens ! » (cf. Ap 22,17). Ainsi l’Église, dans son ensemble, apparaît comme « le peuple uni de l’unité du Père et du Fils et de l’Esprit Saint4 ».

3 Cf. Irénée, Adv. Haer. III, 24, 1 : PG 7, 966 B ; Harvey 2, 131 ; éd. Sagnard, SC, p. 398.
4 Cyprien, De Orat. Dont. 23 : PL 4, 553 ; Hartel III A, p. 285. Augustin, Serm. 71, 20, 33 : PL 38, 463 s. Jean de Damas, Adv. Iconocl. 12 : PG 96, 1358 D.


5 Le mystère de la sainte Église se manifeste en sa fondation. En effet, le Seigneur Jésus a posé le commencement de son Église en proclamant l’heureuse nouvelle, à savoir, l’avènement du Royaume de Dieu promis depuis des siècles dans les Écritures : « Le temps est accompli, et le Royaume de Dieu est tout proche » (Mc 1,15 cf. Mt 4,17). Ce Royaume brille pour les hommes dans la parole, les oeuvres et la présence du Christ. La Parole du Seigneur en effet est comparée à une semence qu’on sème dans un champ (Mc 4,14) : ceux qui l’écoutent avec foi et sont agrégés au petit troupeau du Christ (Lc 12,32) ont accueilli le Royaume lui-même ; ensuite la semence, par sa vertu propre, germe et grandit jusqu’au temps de la moisson (cf. Mc 4,26-29). Les miracles de Jésus, de leur côté, confirment que le Royaume est déjà arrivé sur terre : « Si c’est par le doigt de Dieu que je chasse les démons, c’est assurément que le Royaume de Dieu est arrivé parmi vous » (Lc 11,20 cf. Mt 12,28). Mais le Royaume se manifeste avant tout en la personne même du Christ, Fils de Dieu et Fils de l’homme, qui est venu « pour servir et pour donner sa vie en rançon pour une multitude » (Mc 10,45).

Mais quand, après avoir souffert pour les hommes la mort sur la croix, Jésus fut ressuscité, il apparut constitué comme Seigneur et Christ et prêtre pour l’éternité (cf. Ac 2,36 He 5,6 He 7,17-21) et il répandit sur ses disciples l’Esprit promis par le Père (cf. Ac 2,33). Par conséquent, l’Église, dotée des dons de son fondateur et gardant fidèlement ses préceptes de charité, d’humilité et d’abnégation, reçoit la mission d’annoncer le Royaume du Christ et de Dieu et de l’instaurer parmi toutes les nations, et elle constitue sur terre le germe et le commencement de ce Royaume. Elle-même, tandis qu’elle s’accroît peu à peu, aspire au Royaume achevé, et, de toutes ses forces, elle espère et désire être unie à son Roi dans la gloire.


6 De même que dans l’Ancien Testament, la révélation du Royaume est souvent proposée sous forme de figures, de même, maintenant encore, la nature intime de l’Église se fait connaître à nous sous des images variées, qui sont tirées soit de la vie pastorale ou du travail des champs, soit du domaine de la construction ou encore de celui de la famille et du mariage et qui se trouvent déjà à l’état d’ébauches dans les livres des prophètes. L’Église est, en effet, le bercail, dont la porte unique et nécessaire est le Christ (Jn 10,1-10). Elle est aussi le troupeau, dont Dieu lui-même a proclamé à l’avance qu’il serait le pasteur (cf. Is 40,11 Ez 34,11 s.) et dont les brebis, même si elles sont conduites par des pasteurs humains, sont cependant menées et nourries sans cesse par le Christ lui-même, le Bon Pasteur et le Prince des Pasteurs (cf. Jn 10,11 1P 5,4), qui a donné sa vie pour ses brebis (cf. Jn 10,11-15).

L’Église est le terrain cultivé ou le champ de Dieu (1Co 3,9). Dans ce champ croît l’antique olivier, dont les Patriarches furent la sainte racine et dans lequel s’est faite et se fera la réconciliation des juifs et des païens (Rm 11,13-26). Elle a été plantée par le céleste agriculteur comme une vigne choisie (Mt 21,33-43 par ; cf. Is 5,1 s.). La vraie vigne, c’est le Christ, qui donne la vie et la fécondité aux sarments, c’est-à-dire à nous qui par l’Église demeurons en lui, et sans qui nous ne pouvons rien faire (Jn 15,1-5).

Assez souvent aussi l’Église est dite construction de Dieu (1Co 3,9). Le Seigneur lui-même s’est comparé à la pierre, qui a été rejetée par les constructeurs, mais qui est devenue la pierre d’angle (Mt 21,42 par. ; cf. Ac 4,11 1P 2,7 Ps 117,22). C’est sur ce fondement que l’Église a été construite par les apôtres (cf. 1Co 3,11) et c’est de lui qu’elle reçoit solidité et cohésion. Cette construction s’honore d’appellations diverses : maison de Dieu (cf. 1Tm 3,15), dans laquelle habite sa famille, demeure de Dieu dans l’Esprit (Ep 2,19-22), tabernacle de Dieu parmi les hommes (Ap 21,3) et surtout temple saint, qui, représenté par les sanctuaires de pierre, est loué par les saints Pères, et que la liturgie, non sans raison, compare à la Cité sainte, la Jérusalem nouvelle5. En effet, déjà sur cette terre, nous sommes insérés dans l’édifice qu’elle est comme pierres vivantes (cf. 1P 2,5). Cette cité sainte, Jean la contemple, descendant du ciel d’auprès de Dieu lors du renouvellement du monde, prête comme une fiancée parée pour son époux (Ap 21,1 s.).

L’Église est appelée aussi «Jérusalem d’en haut » et « notre mère » (Ga 4,26 cf. Ap 12,17) ; elle est décrite comme l’épouse sans tache de l’Agneau sans tache (Ap 19,7 Ap 21,2 et Ap 9 Ap 22,17), que le Christ « a aimée et pour qui il s’est livré pour la sanctifier » (Ep 5,26), qu’il s’est associée par un pacte indissoluble et que sans cesse « il nourrit et entoure de ses soins » (Ep 5,29), dont il a voulu qu’après avoir été purifiée par lui, elle lui soit unie et lui soit soumise dans l’amour et la fidélité (cf. Ep 5,24), qu’il a comblée enfin de biens célestes pour l’éternité, pour que nous puissions comprendre l’amour que nous portent Dieu et le Christ et qui surpasse toute connaissance (cf. Ep 3,19). Et aussi longtemps que sur cette terre l’Église dans son pèlerinage est loin du Seigneur (cf. 2Co 5,6), elle se considère comme en exil, en sorte qu’elle cherche et aime les choses d’en haut, là où le Christ est assis à la droite de Dieu, là où la vie de l’Église est cachée avec le Christ en Dieu, en attendant qu’elle apparaisse avec son Époux dans la gloire (cf. Col 3,1-4).


7 Dans la nature humaine qu’il s’est unie, le Fils de Dieu, en triomphant de la mort par sa mort et sa résurrection, a racheté l’homme et l’a transformé en une nouvelle créature (cf. Ga 6,15 2Co 5,17). En effet, communiquant son Esprit à ses frères qu’il a appelés de toutes les nations pour les rassembler, il a fait d’eux, mystiquement, son corps.

Dans ce corps, la vie du Christ se répand dans les croyants qui, par les sacrements, sont unis d’une manière mystérieuse mais réelle au Christ souffrant et glorifié 6. Par le baptême, en effet, nous sommes conformés au Christ : « En effet, nous avons été tous baptisés en un seul Esprit pour former un seul corps » (1Co 12,13). Par ce rite sacré est signifiée et réalisée l’union à la mort et à la résurrection du Christ : « En effet, par le baptême, nous avons été ensevelis avec lui dans la mort », et si « nous avons été insérés dans une mort semblable à la sienne, nous le serons aussi dans une résurrection semblable à la sienne » (Rm 6,4-5). Participant réellement au corps du Seigneur dans la fraction du pain eucharistique, nous sommes élevés à la communion avec lui et entre nous. « Puisqu’il n’y a qu’un seul pain, nous ne sommes tous qu’un seul corps, nous qui participons à cet unique pain » (1Co 10,17). Ainsi nous devenons tous membres de ce Corps (cf. 1Co 12,27), « et nous sommes, chacun pour sa part, membres les uns des autres » (Rm 12,5).

De même que tous les membres du corps humain, tout en étant nombreux, ne forment cependant qu’un seul corps, de même en est-il des fidèles dans le Christ (cf. 1Co 12,12). Dans l’édification du Corps du Christ règne également la diversité des membres et des fonctions. Unique est l’Esprit qui, à la mesure de ses richesses et selon les nécessités des services, distribue ses dons variés au bénéfice de l’Église (cf. 1Co 12,1-11). Parmi ces dons, le premier rang revient à la grâce des apôtres, à l’autorité desquels l’Esprit lui-même soumet même les bénéficiaires de charismes (cf. 1Co 14). Le même Esprit, unifiant le corps par lui-même, par sa propre puissance et par la connexion interne des membres entre eux, produit et stimule la charité des fidèles entre eux. Ainsi, si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui ; ou bien si un membre est honoré, tous les membres se réjouissent avec lui (cf. 1Co 12,26).

De ce corps, le Christ est la Tête. Il est l’image du Dieu invisible, et en lui toutes choses ont été créées. Il est avant tous et toutes choses subsistent en lui. Il est la Tête du Corps qu’est l’Église. Il est le Principe, le Premier-né d’entre les morts, afin de détenir en tout la primauté (cf. Col 1,15-18). Par la grandeur de sa puissance, il exerce sa domination sur les choses célestes et terrestres et, par sa perfection et son opération suréminentes, il remplit tout le corps des richesses de sa gloire (cf. Ep 1,18-23)7.

Tous les membres doivent être conformés à lui jusqu’à ce que le Christ soit formé en eux (cf. Ga 4,19). C’est pourquoi nous sommes assumés dans les mystères de sa vie, configurés à lui, morts avec lui et ressuscités avec lui, en attendant que nous régnions avec lui (cf. Ph 3,21 2Tm 2,11 Ep 2,6 Col 2,12, etc.). Encore en pèlerinage sur cette terre, marchant sur ses traces dans la tribulation et la persécution, nous sommes associés à ses souffrances comme le Corps à la Tête, souffrant avec lui, afin d’être glorifiés avec lui (cf. Rm 8,17).

C’est de lui que « le corps tout entier, grâce aux articulations et jointures qui le desservent et le renforcent, tire son accroissement en Dieu » (Col 2,19). C’est lui qui distribue sans cesse dans son Corps, c’est-à-dire dans l’Église, les dons des ministères par lesquels, grâce à sa vertu, nous nous rendons mutuellement des services en vue du salut, de façon à ce que, faisant la vérité dans la charité, nous puissions grandir en toutes choses vers Celui qui est notre Tête (cf. Ep 4,11-16 gr).

Mais pour que nous soyons renouvelés sans cesse en lui (cf. Ep 4,23), il nous a donné d’avoir part à son Esprit, qui étant un et le même dans la Tête et dans les membres, vivifie le corps tout entier, l’unifie et le meut, si bien que les saints Pères ont pu comparer son rôle à la fonction que remplit dans le corps humain le principe de la vie, c’est-à-dire l’âme 8.

Le Christ aime l’Église comme son épouse, se faisant le modèle de l’homme qui aime son épouse comme son propre corps (cf. Ep 5,25-28) ; l’Église de son côté, est soumise à celui qui est sa Tête (ibid23-24). « Puisqu’en lui habite corporellement toute la plénitude de la divinité » (Col 2,9), il remplit de ses dons divins l’Église qui est son corps et sa plénitude (cf. Ep 1,22-23), pour qu’elle tende et parvienne à toute la plénitude de Dieu (cf. Ep 3,19).

5 Cf. Origène, In Mt 16,21 PC» 13, 1443 C ; Tertullien, Adv. Marc. 3, 7 : PL 2, 357 C ; CSEL 47, 3, p. 386. Pour les documents liturgiques, d. Sacramentarium Gregorianum : PL 78,160 B ; ou C. Mohlberg, Liber Sacramentorum romanae ecclesiae, Rome. 1960, p. 111, XC : « Deus qui ex omni coaptacione sanctorum aeternum tibi condis habitaculum [...] (Dieu qui par tout ce rassemblement des saints construis pour toi une demeure éternelle [...]). » Hymne Urbs Ierusalem beata au Bréviaire monastique et Coelestis urbs Ierusalem au Bréviaire romain.
6 Cf. Thomas, Summa Theol. III, q. 62, a. 5, ad. 1.
7 Cf. Pie XII, Encycl. Mystici Corporis, 29 juin 1943 : AAS 35 (1943), p. 208.
8 Cf. Léon XIII, Encycl. Divinum illud, 9 mai 1897 : ASS 29 (1896-1897), p. 650. Pie XII, Encycl. Mystici Corporis, i c., p. 219-220 ; D. 2288 (3808). Augustin, Serm. 268, 2 : PL 38, 1232, et ailleurs. Jean Chrysostome, In Eph. Hom. 9, 3 : PG 62, 72. Didyme Alex., Trin. 2, 1 : PG 39, 449 s. Thomas, In Col. 1, 18, lect. 5 ; éd. Marietti, II, n. 46 : « Comme à partir de l’unité de l’âme se constitue un corps un, de même en va-t-il pour l’Église à partir de l’unité de l’Esprit [...]. »


8 L’unique Médiateur, le Christ, a établi sur cette terre son Église sainte, communauté de foi, d’espérance et de charité, comme un organisme visible, et il soutient sans cesse9 celle par qui il répand, au bénéfice de tous, la vérité et la grâce. Mais la société, structurée par des organes hiérarchiques, d’une part, et le Corps mystique du Christ, d’autre part, l’assemblée perceptible par la vue et la communauté spirituelle, l’Église de la terre et l’Église si richement pourvue de biens célestes, ne doivent pas être considérées comme deux entités, mais elles forment une seule réalité complexe, constituée d’un élément humain et d’un élément divin étroitement liés 10. C’est pourquoi, en vertu d’une analogie non sans valeur, elle entretient un rapport de similitude avec le mystère du Verbe incarné. Tout comme, en effet, la nature assumée est au service du Verbe divin comme un organe vivant de salut qui lui est indissolublement uni, d’une façon analogue l’organisme social de l’Église est au service de l’Esprit du Christ, qui le vivifie, en vue de la croissance du corps (cf. Ep 4,16) 11.

C’est là l’unique Église du Christ, que nous confessons dans le symbole, une, sainte, catholique et apostolique 12, que notre Sauveur, après sa résurrection, a remise à Pierre pour qu’il la paisse (Jn 21,17), qu’il a confiée à Pierre et aux autres apôtres pour qu’ils l’étendent et la dirigent (cf. Mt 28,18 s.) et qu’il a érigée pour toujours comme « la colonne et le fondement de la vérité » (1Tm 3,15). Cette Église, en tant qu’elle est, dans ce monde, constituée et organisée en société, « est présente » dans l’Église catholique, gouvernée par le successeur de Pierre et par les évêques en communion avec lui 13, bien que en dehors de l’ensemble organique qu’elle forme, on trouve de nombreux éléments de sanctification et de vérité, qui, en tant que dons propres à l’Église du Christ, portent à l’unité catholique.

Mais de même que le Christ a accompli l’oeuvre de rédemption dans la pauvreté et la persécution, l’Église elle aussi est appelée à s’engager dans cette même voie pour communiquer aux hommes les fruits du salut. Le Christ Jésus, « alors qu’il était de condition divine, s’est anéanti lui-même, prenant la condition d’esclave » (Ph 2,6-7) et pour nous « s’est fait pauvre, alors qu’il était riche » (2Co 8,9) ; de même l’Église, tout en ayant besoin de ressources humaines pour remplir sa mission, n’est pas instituée pour chercher la gloire terrestre, mais pour répandre l’humilité et l’abnégation, en en donnant aussi l’exemple. Le Christ a été envoyé par le Père « pour porter la bonne nouvelle aux pauvres, guérir ceux qui ont le coeur meurtri » (Lc 4,18), « chercher et sauver ce qui était perdu » (Lc 19,10) : de façon semblable, l’Église entoure de son amour tous ceux qu’afflige la faiblesse humaine ; bien plus, elle reconnaît dans les pauvres et les souffrants l’image de son Fondateur, pauvre et souffrant, s’applique à soulager leur détresse et veut servir en eux le Christ. Mais alors que le Christ, « saint, innocent et sans tache » (He 7,26) n’a pas connu le péché (2Co 5,21), mais est venu seulement expier les péchés du peuple (cf. He 2,17), l’Église qui comprend en son sein des pécheurs, et qui est à la fois sainte et toujours appelée à se purifier, poursuit sans cesse son effort de pénitence et de rénovation.

« L’Église avance dans son pèlerinage entre les persécutions du monde et les consolations de Dieu 14 » et proclame la croix et la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne (cf. 1Co 11,26). Mais la puissance du Seigneur ressuscité lui donne les forces qui lui permettent de surmonter, par la patience et la charité, les afflictions et les difficultés, tant intérieures qu’extérieures, et de révéler fidèlement au monde le mystère du Seigneur, même s’il est encore enveloppé d’ombre, jusqu’au jour où, à la fin, il se manifestera dans sa pleine clarté.

9 Léon XIII, Encycl. Sapientur christianae, 10 janvier 1890 : ASS 22 (1889-1890), p. 392. Id., Encycl. Satis cognitum, 29 juin 1896 : ASS 28 (1893 1896), p. 710 et 724 s. Pie XII, Encycl. Mystici Corporis, l. c., p. 199-200.
10 Cf. Pie XII, Encycl. Mystici Corporis, l c., p. 221 s. Id., Encycl. Humani generis, 12 août 1950 : AAS 42 (1950), p. 571.
11 Léon XIII, Encycl. Satis cognitum, l c., p. 713.
12 Cf. Symbolum Apostolicum . D. 6-9 (10-13) ; Symb. Nic.-Const. : D. 86 (150) ; comp. Prof, fidei Trid. : D. 994 et 999 (1862 et 1868).
13 On dit « Sancta (catholica apostolica) Romana Ecclesia » : dans la Prof, fidei Trid., I. c. et Conc. Vat. I, Sess. 3, Const. dogm. de fide cath. Dei Filius : D. 1782 (3001).
14 Augustin, Civ. Dei, XVIII, 51,2: PL 41, 614 ; BA 36.


Chapitre II. Le Peuple de Dieu

9 En tout temps, à la vérité, et en toute nation Dieu tient pour agréable quiconque le craint et pratique la justice (cf. Ac 10,35). Cependant, il a plu à Dieu de sanctifier et de sauver les hommes non pas individuellement, hors de tout lien mutuel, mais de les constituer en un peuple qui le connaîtrait dans la vérité et le servirait dans la sainteté. Il a donc choisi le peuple d’Israël pour en faire son peuple, avec qui il a établi une alliance et qu’il a éduqué progressivement, en se manifestant lui-même et en manifestant son dessein dans l’histoire de ce peuple et en sanctifiant celui-ci pour qu’il soit à Lui. Tout cela néanmoins est arrivé à titre de préparation et de figure de l’alliance nouvelle et parfaite, qui devait être conclue dans le Christ, et de la révélation plus plénière qui devait être faite par le Verbe de Dieu lui-même fait chair. « Voici que des jours viennent, dit le Seigneur, où je conclurai avec la maison d’Israël et la maison de Juda une alliance nouvelle [...] Je mettrai ma loi au plus profond d’eux-mêmes et je l’inscrirai dans leur coeur et je serai leur Dieu et ils seront mon peuple [...] Tous me connaîtront, du plus grand au plus petit, dit le Seigneur » (Jr 31,31-34). C’est cette alliance nouvelle, la Nouvelle Alliance en son sang (cf. 1Co 11,25), que le Christ a conclue, convoquant du milieu des juifs et des païens un peuple qui devrait former un tout et grandir dans l’unité non pas selon la chair, mais dans l’Esprit, et constituer le nouveau Peuple de Dieu. Ceux, en effet, qui croient au Christ, étant renés d’un germe non pas corruptible, mais incorruptible, par la parole du Dieu vivant (cf. 1P 1,23), non de la chair, mais de l’eau et de l’Esprit Saint (cf. Jn 3,5-6), constituent finalement « une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple que Dieu s’est acquis [...] qui jadis n’était pas un peuple, mais qui est maintenant le Peuple de Dieu » (1P 2,9-10).

Ce peuple messianique a pour Tête le Christ « qui a été livré pour nos péchés et est ressuscité pour notre justification » (Rm 4,25), et qui maintenant, après avoir obtenu le nom qui est au-dessus de tout nom, règne glorieusement dans les cieux. Ce peuple a pour condition la dignité et la liberté des fils de Dieu, dans le coeur desquels l’Esprit Saint habite comme dans un temple. Il a pour loi le commandement nouveau d’aimer comme le Christ lui-même nous a aimés (cf. Jn 13,34). Et finalement, il a pour fin le Royaume de Dieu qui, inauguré sur terre par Dieu lui-même, doit se dilater par la suite, jusqu’à ce qu’il reçoive de Dieu aussi son achèvement à la fin des temps, quand apparaîtra le Christ, notre vie (cf. Col 3,4) et que « la création elle-même sera libérée de la servitude de la corruption, pour accéder à la liberté glorieuse des fils de Dieu » (Rm 8,21). C’est pourquoi ce peuple messianique, bien que de fait il ne comprenne pas tous les hommes et que, assez souvent, il apparaisse comme un petit troupeau, est néanmoins pour tout le genre humain le germe le plus vigoureux d’unité, d’espérance et de salut. Établi par le Christ pour communier à la vie, à la charité et à la vérité, il est aussi assumé par lui comme instrument de la rédemption de tous les hommes, et il est envoyé au monde entier comme lumière du monde et sel de la terre (cf. Mt 5,13-16).

Et de même que l’Israël selon la chair qui cheminait dans le désert est déjà appelé Eglise de Dieu (cf. 2 Esd 13, 1 ; Nb 20,4 Dt 23,1 s. ), de même le nouvel Israël, qui s’avançant dans le siècle présent est à la recherche de la cité future, celle-là permanente (cf. He 13,14), est aussi appelé Église du Christ (cf. Mt 16,18), puisque c’est lui qui l’a acquise par son sang (cf. Ac 20,28), l’a remplie de son Esprit et l’a dotée des moyens appropriés pour son union visible et sociale. Dieu a convoqué l’assemblée de ceux qui dans leur foi regardent vers Jésus, auteur du salut et principe d’unité et de paix, et l’a constituée en Église, afin qu’elle soit pour tous et pour chacun le sacrement visible de cette unité salutaire 1. Destinée à s’étendre à tous les pays, elle s’engage dans l’histoire des hommes, tout en dépassant à la fois les temps et les frontières des peuples. Avançant au milieu des tentations et des tribulations, l’Église est confortée par la puissance de la grâce de Dieu qui lui a été promise par le Seigneur, pour que dans la faiblesse de la chair elle ne fasse pas défection à la parfaite fidélité, mais reste la digne épouse de son Seigneur, et ne cesse de se renouveler sous l’action de l’Esprit Saint, jusqu’à ce que, par la croix, elle parvienne à la lumière qui ne connaît pas de déclin.

1 Cf. Cyprien, Epist. 69, 6 : PL 3, 1142 B (Hartel 3 B, p. 754 : « inseparabile unitatis sacramentum (l’indissoluble sacrement de l’unité) ».



10 Le Christ Seigneur, Pontife pris parmi les hommes (cf. He 5,1-5), a fait du peuple nouveau « un royaume et des prêtres pour Dieu, son Père » (cf. Ap 1,6 Ap 5,9-10). Par la régénération et l’onction de l’Esprit Saint, les baptisés sont en effet consacrés pour être une demeure spirituelle et un sacerdoce saint, en vue d’offrir, par toutes les activités de l’homme chrétien, des sacrifices spirituels et d’annoncer les actes de puissance de celui qui les a appelés des ténèbres à son admirable lumière (cf. 1P 2,4-10). C’est pourquoi, tous les disciples du Christ, persévérant dans la prière et louant ensemble Dieu (cf. Ac 2,42-47), doivent s’offrir en hostie vivante, sainte et agréable à Dieu (cf. Rm 12,1), porter témoignage du Christ sur toute l’étendue de la terre, et rendre compte, à ceux qui le demandent, de l’espérance qui est en eux de la vie éternelle (cf. 1P 3,15).

Le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel ou hiérarchique, tout en différant entre eux selon leur essence et non pas seulement selon leur degré, sont cependant ordonnés l’un à l’autre ; l’un et l’autre, en effet, participent, chacun selon son mode propre, de l’unique sacerdoce du Christ2. Celui qui a reçu le sacerdoce ministériel forme et dirige, en vertu du pouvoir sacré dont il jouit, le peuple sacerdotal, célèbre le sacrifice eucharistique en la personne du Christ et l’offre à Dieu au nom de tout le peuple ; les fidèles, pour leur part, en vertu de leur sacerdoce royal, concourent à l’offrande de l’Eucharistie 3 et exercent ce sacerdoce par la réception des sacrements, par la prière et faction de grâces, par le témoignage d’une vie sainte et par l’abnégation et une charité active.

2 Cf. Pie XII, Alloc. Magnificate Dominum, 2 nov. 1954 : AAS 46 (1954), p. 669. Encycl. Mediator Dei, 20 nov. 1947 : AAS 39 (1947), p. 555.
3 Cf. Pie XI, Encycl. Miserentissimus Redemptor, 8 mai 1928 : AAS 20 (1928), p. 171 s. Pie XII, Alloc. Vous nous avez, 22 sept. 1956 : AAS 48 (1956). p. 714.


11   Le caractère sacré et organiquement structuré de la communauté sacerdotale se traduit en acte et par les sacrements et par les vertus. Les fidèles, incorporés à l’Église par le baptême, sont députés au culte religieux chrétien par le caractère dont ils sont marqués et devenus fils de Dieu par régénération, ils sont tenus de professer devant les hommes la foi qu’ils ont reçue de Dieu par l’Église 4. Par le sacrement de confirmation, ils sont plus parfaitement liés à l’Église, sont dotés d’une force spéciale de l’Esprit Saint, et sont ainsi plus strictement tenus, en tant que vrais témoins du Christ, de répandre et de défendre la foi par la parole et par l’action5. Participant au sacrifice eucharistique, source et sommet de toute la vie chrétienne, ils offrent à Dieu la victime divine, et s’offrent eux-mêmes avec elle6. Ainsi, tant par l’oblation que par la sainte communion, tous, non pas indistinctement, mais chacun à sa manière, assument leur rôle propre dans l’action liturgique. De plus, restaurés par le corps du Christ dans la sainte assemblée eucharistique, ils manifestent de façon concrète l’unité du peuple de Dieu, qui est adéquatement signifiée et merveilleusement réalisée par cet auguste sacrement.

Ceux qui s’approchent du sacrement de la pénitence obtiennent de la miséricorde de Dieu le pardon de l’offense qu’ils lui ont faite et sont en même temps réconciliés avec l’Église, qu’ils ont blessée en commettant le péché et qui, par la charité, l’exemple, les prières, travaille à leur conversion. Par l’onction sacrée des malades et par la prière des prêtres *, l’Église tout entière recommande les malades au Seigneur qui a souffert et qui a été glorifié, pour qu’il les soulage et les sauve (cf.
Jc 5,14-16) ; bien plus, elle les exhorte à contribuer au bien du Peuple de Dieu, en s’associant librement à la passion et à la mort- du Christ (cf. Rm 8,17 Col 1,24 2Tm 2,11-12 1P 4,13). En outre, ceux qui, parmi les fidèles, sont revêtus de la dignité de l’ordre sacré, sont institués pour paître l’Église, au nom du Christ, par la parole et par la grâce de Dieu. Enfin, par la vertu du sacrement du mariage, par lequel ils signifient en y participant le mystère de l’unité et de l’amour fécond entre le Christ et l’Église (cf. Ep 5,32), les époux chrétiens, dans leur vie conjugale, dans l’accueil et l’éducation des enfants, s’aident réciproquement à parvenir à la sainteté, et par là, dans leur état de vie et leur ordre, ils ont dans le Peuple de Dieu leur don propre (cf. 1Co 7,7 1Co 7). De ce mariage procède la famille dans laquelle naissent de nouveaux citoyens de la société humaine qui, par la grâce de l’Esprit Saint, sont constitués fils de Dieu en vertu du baptême, pour perpétuer tout au long des siècles le Peuple de Dieu. Dans cette sorte d’Église domestique, il faut que les parents soient pour leurs enfants, par la parole et l’exemple, les premiers messagers de la foi, et qu’ils favorisent la vocation propre de chacun, avec un soin tout spécial la vocation sacrée.

Pourvus de moyens de salut aussi nombreux et aussi grands, tous les fidèles du Christ, de quelque condition et de quelque état qu’ils soient, sont appelés par le Seigneur, chacun dans sa voie, à être parfaits dans la sainteté comme l’est le Père lui-même.

4 Cf. Thomas, Summa Theol. III, q. 6), a. 2.
5 Cf. Cyrille de Jérus., Catech 17, de Spiritu Sancto, II, 35-37 : PG 33, 1009-1012. Nicolas Cabasilas, De vita in Christo, lib. III, de utilitate chrismatis : PG 150, 569-580 ; SC 355. Thomas, Summa Theol. III, q. 65, a. 3 et q. 72, a. 1 et 5.
6 Cf. Pie XII, Encycl. Mediator Dei, 20 nov. 1947 : AAS 39 (1947), surtout p. 552 s.
7 1 Co 7, 7 : « Chacun reçoit de Dieu son don particulier (idion charisma), l’un celui-ci, l’autre celui-là. » Cf. Augustin, De Dono Persev. 14, 37 : PL 45, 1015 s. ; BA 24 : « Ce n’est pas la seule continence qui est un don de Dieu, mais aussi la chasteté des époux. »


Lumen gentium 2