Lumen gentium 2 43

Chapitre VI. Les religieux

43 Les conseils évangéliques de chasteté vouée à Dieu, de pauvreté et d’obéissance, du fait qu’ils sont fondés sur les paroles et les exemples du Seigneur et recommandés par les apôtres, les Pères et par les docteurs et pasteurs de l’Église, sont un don divin, que l’Église a reçu de son Seigneur et que, par sa grâce, elle conserve toujours. L’autorité de l’Église, sous la conduite de l’Esprit Saint, a pris soin elle-même de les interpréter, d’en régler la pratique et même d’instituer, à partir d’eux, des formes de vie stables. Il en est résulté que, comme en quelque sorte pour un arbre qui, à partir d’un germe donné par Dieu, a poussé des rameaux de façon admirable et multiple dans le champ du Seigneur, se sont développées des formes diverses de vie solitaire ou commune et des familles diverses qui apportent une riche contribution pour le progrès de leurs membres et le bien de tout le Corps du Christ 1. En effet, ces familles apportent à leurs membres les secours d’une stabilité plus ferme dans leur mode de vie, d’une doctrine éprouvée pour la recherche de la perfection, de la communion fraternelle dans le service du Christ, d’une liberté fortifiée par l’obéissance, de façon qu’ils puissent remplir sûrement leur profession religieuse et la garder fidèlement et avancer sur la voie de la charité dans la joie spirituelle 2.

Un état de vie de ce genre, compte tenu de la constitution divine et hiérarchique de l’Église, ne se situe pas entre la condition des clercs et celle des laïcs, mais des fidèles du Christ de l’une et l’autre condition sont appelés par Dieu à jouir dans la vie de l’Église d’un don particulier, et à contribuer, chacun à sa manière, à la mission de salut de celle-ci 3.

1 Cf. Rosweydus, Vitae Patrum, Anvers, 1628. Apophtegmata Patrum : PG 65. Pallade, Historia Lausiaca : PG 34, 995 s. ; éd. C. Buder, Cambridge 1898 (1904). Pie XI, Const. Apost. Umbratilem, 8 juillet 1924 : AAS 16 (1924), p. 386-387. Pie XII, Alloc. Nous sommes heureux, 11 avril 1958 : AAS 50 (1958), p. 283.
2 Paul VI, Alloc. Magno gaudio, 23 mai 1964 : AAS 56 (1964), p. 566.
3 Cf. Cod. lur. Can., c. 487 ci 488, 4°. Pie XII, Alloc. Annus sacer, 8 déc. 1950 : AAS 43 (1951), p. 27 s. - Pie X3I, Const. Apost. Provida Mater, 2 févr. 1947 : AAS 39 (1947), p. 120 s.



44 Par les voeux, ou par d’autres liens sacrés assimilés aux voeux selon leur mode propre, par lesquels le fidèle du Christ s’oblige aux trois conseils évangéliques susdits, il se donne totalement à Dieu aimé par-dessus tout, si bien que lui-même est ordonné au service de Dieu et à son honneur à un titre nouveau et particulier. Certes, par le baptême il est mort au péché et consacré à Dieu ; mais, pour qu’il puisse recueillir en plus grande abondance le fruit de la grâce baptismale, il vise, par la profession des conseils évangéliques dans l’Église, à se libérer des entraves qui pourraient le détourner de la ferveur de la charité et la perfection du culte divin, et il se consacre plus intimement au service divin 4. Cette consécration sera d’autant plus parfaite que par des liens plus solides et plus stables elle figure davantage le Christ uni par un lien indissoluble à l’Église son épouse.

Mais puisque les conseils évangéliques, par la charité à laquelle ils conduisent5, unissent ceux qui les observent de manière spéciale à l’Église et à son mystère, la vie spirituelle de ceux-ci doit aussi être vouée au bien de toute l’Église. Il en naît pour eux le devoir d’oeuvrer, en proportion de leurs forces et selon la forme de leur vocation propre, soit par la prière soit aussi par des engagements actifs, en vue d’enraciner et de fortifier dans les âmes le Royaume du Christ et de l’étendre à toutes les régions. C’est pourquoi l’Église protège et favorise le caractère propre des divers instituts religieux.

La profession des conseils évangéliques apparaît par conséquent comme un signe, qui peut et doit attirer efficacement tous les membres de l’Église à remplir avec diligence les devoirs de la vocation chrétienne. En effet, comme le Peuple de Dieu n’a pas ici-bas de cité permanente, mais recherche la cité future, l’état religieux qui libère davantage ses membres des soucis terrestres, manifeste aussi plus clairement aux yeux de tous les croyants les biens célestes déjà présents en ce temps, atteste la vie nouvelle et éternelle acquise par la rédemption du Christ, annonce la résurrection future et la gloire du Royaume céleste. Le même état (religieux) imite de plus près et représente continuellement dans l’Église la forme de vie que le Fils de Dieu a prise en entrant dans le monde pour faire la volonté du Père, et qu’il a proposée aux disciples qui le suivaient. Enfin il fait voir d’une manière particulière l’élévation du Royaume de Dieu au-dessus de toutes les choses terrestres et ses exigences les plus hautes ; il montre aussi à tous les hommes la grandeur suréminente de la puissance du Christ, qui exerce la royauté, et la puissance infinie de l’Esprit Saint qui agit dans l’Eglise de façon admirable.

Ainsi donc l’état constitué par la profession des conseils évangéliques, bien qu’il ne concerne pas les structures de l’Église hiérarchique, appartient néanmoins de façon indéniable à sa vie et à sa sainteté.

4 Paul VI, l. c., p. 567.
5 Cf. Thomas, Summa Theol II II, q. 184, a. 3 et q. 188, a. 2. Bonaventure, Opusc. Xl, Apologia Pauperum, c. 3, 3 : Opera, éd. Quaracchi, t. 8, 1898, p. 245 a.



45 Comme c’est la fonction de la hiérarchie ecclésiastique de paître le Peuple de Dieu et de le conduire vers de riches pâturages (cf. Ez 34,14), c’est à elle qu’il appartient de régler sagement, par ses lois, la pratique des conseils évangéliques qui favorisent singulièrement la perfection de la charité envers Dieu et envers le prochain 6. C’est elle aussi qui, donnant docilement suite aux impulsions du Saint-Esprit, reçoit les règles proposées par des hommes et des femmes éminents, et, après leur mise au point, les approuve en les authentifiant ; de plus, elle assiste de son autorité vigilante et tutélaire, les instituts érigés un peu partout pour l’édification du Corps du Christ, pour qu’ils croissent et soient florissants selon l’esprit des fondateurs.

Pour qu’il soit mieux pourvu aux nécessités de tout le troupeau du Seigneur, n’importe quel institut de perfection et chacun de ses membres peuvent être, en considération de l’intérêt commun, exemptés par le Souverain Pontife, en raison de sa primauté sur l’Église universelle, de la juridiction des Ordinaires des lieux, et être soumis à lui seul  7. De même, ils peuvent être laissés ou confiés à l’autorité propre des patriarches. Quant aux membres eux-mêmes, en accomplissant leur devoir envers l’Église selon leur forme de vie particulière, ils doivent, selon les lois canoniques, respect et obéissance aux évêques, en raison de l’autorité pastorale de ceux-ci sur les Églises particulières et en raison de l’unité et de la concorde nécessaires dans le travail apostolique 8.

Non seulement l’Église, par la sanction qu’elle lui donne, élève la profession religieuse à la dignité d’un état canonique, mais, par son action liturgique, elle la présente aussi comme un état consacré à Dieu. En effet, c’est l’Église qui, en vertu de l’autorité qui lui a été conférée par Dieu, reçoit les voeux des profès, demande à Dieu, par sa prière publique, secours et grâce pour eux, les recommande à Dieu et leur accorde une bénédiction spirituelle, en associant leur oblation au sacrifice eucharistique.

6 Cf. Conc. Vat. I, Schéma De Ecclesia Christi, chap. xv, et Annot. 48 : Mansi 51, 549 s. et 619 s. - Léon XIII, Lettre Au milieu des consolations, 23 déc. 1900 : ASS 33 (1900-1901), p. 361. Pie XII, Const. Apost. Provida Mater, l. c., p. 114 s.
7 Cf. Léon XIII, Const. Romanos Pontifices, 8 mai 1881 : ASS 13 (1880-1881), p. 483. Pie XII, Alloc. Annus sacer, 8 déc. 1950 . AAS 43 (1951), p. 28 s
8 Cf. Pie XII, Alloc. Annus sacer, l. c., p. 28. Pie XII, Const. Apost. Sedes Sapientiae, 31 mai 1956 : AAS 48 (1956), p. 355. - Paul VI, Alloc. Magno gaudio, 23 mai 1964 : AAS 56 (1964), p. 570-571.



46 Que les religieux s’appliquent soigneusement à ce que par eux l’Église manifeste réellement, chaque jour davantage, aux fidèles et aux infidèles, le Christ, qui s’adonne à la contemplation sur la montagne ou annonce aux foules le Royaume de Dieu, qui guérit les malades et les blessés, et amène les pécheurs à se tourner vers le bien, qui bénit les enfants et fait du bien à tous, et qui obéit toujours à la volonté du Père qui l’a envoyé9.

Que tous enfin prennent en considération que la profession des conseils évangéliques, tout en comportant la renonciation à des biens qui sans conteste méritent une grande estime, ne fait cependant pas obstacle au vrai progrès de la personne humaine et qu’au contraire, par sa nature même, elle le favorise au plus haut point. En effet, les conseils, volontairement embrassés selon la vocation personnelle de chacun, ne contribuent pas peu à la purification du coeur et à la liberté spirituelle, stimulent continuellement la ferveur de la charité et surtout sont capables, ainsi que le prouve l’exemple de tant de saints fondateurs, de conformer davantage l’homme chrétien au genre de vie virginale et pauvre, que le Christ Seigneur a choisi pour lui et que la Vierge sa Mère a embrassé. Que personne n’estime que les religieux, par leur consécration, deviennent étrangers aux hommes ou inutiles dans la cité terrestre. Car même si parfois ils ne sont pas directement présents aux côtés de leurs contemporains pour les aider, ils leur sont cependant présents d’une manière plus profonde dans le coeur du Christ, et ils coopèrent spirituellement avec eux pour que la construction de la cité terrestre soit toujours fondée sur le Seigneur et soit orientée vers lui, afin que ne travaillent pas en vain ceux qui la construisent10.

C’est pourquoi le saint Concile approuve et loue les hommes et les femmes, les frères et les soeurs, qui, dans les monastères, dans les écoles et les hôpitaux, dans les missions, sont une brillante parure pour l’Épouse du Christ par la constante et humble fidélité à la consécration susdite et qui rendent à tous les hommes les services généreux les plus divers.

9 Cf. Pie XII, Encycl. Mystici Corporis, 29 juin 1943 : AAS 35 (1943), p. 214 s.




47 Que chacun de ceux qui ont été appelés à la profession des conseils veille avec soin à persévérer dans cette vocation à laquelle il a été appelé par Dieu et qu’il s’y distingue toujours davantage pour une sainteté plus pleine de l’Église, pour la plus grande gloire de la Trinité une et indivise, qui dans le Christ et par le Christ est la source et l’origine de toute sainteté.

10 Cf. Pie XII, Alloc. Annus sacer, l. c„ p. 30. Alloc. Sous la maternelle protection, 9 déc. 1957 : AAS 50 (1958), p. 39 s.


Chapitre VII. Le caractère eschatologique de l’Église pérégrinante et son union avec l’Église céleste

48 L’Église, à laquelle nous sommes tous appelés dans le Christ Jésus et dans laquelle par la grâce de Dieu nous acquérons la sainteté, ne sera consommée que dans la gloire céleste, quand arrivera le temps de la restauration de toutes choses (Ac 3,21) et quand, avec le genre humain, le monde entier, qui est intimement uni à l’homme et parvient par lui à sa fin, sera lui aussi renouvelé complètement dans le Christ (cf. Ep 1,10 Col 1,20 2P 3,10-13).

Le Christ, élevé de terre, a attiré à lui tous les hommes (cf. Jn 12,32 gr) ; ressuscité des morts (cf. Rm 6,9), il a répandu sur ses disciples son Esprit vivifiant, et par lui il a constitué son Corps, qui est l’Église, comme sacrement universel du salut : assis à la droite du Père, il est sans cesse à l’oeuvre dans le monde pour conduire les hommes à l’Église et se les unir plus étroitement par elle et les faire participer à sa vie glorieuse, en les nourrissant de son propre Corps et de son propre Sang. La restauration promise que nous attendons a donc déjà commencé dans le Christ, elle se poursuit dans la mission de l’Esprit Saint et par lui se continue dans l’Église dans laquelle, par la foi, nous sommes aussi instruits sur le sens de notre vie temporelle, lorsque, avec l’espoir des biens futurs, nous menons à sa fin l’oeuvre que le Père nous a confiée dans le monde et que nous travaillons ainsi à notre salut (cf. Ph 2,12).

Déjà la fin des temps est arrivée pour nous (cf. 1Co 10,11) et le renouvellement du monde est irrévocablement fixé et est d’une certaine façon réellement anticipé dès maintenant. En effet déjà sur la terre l’Église est auréolée d’une sainteté véritable, même si celle-ci est imparfaite. Cependant jusqu’à ce qu’il y ait des cieux nouveaux et une terre nouvelle, où habite la justice (cf. 2P 3,13), l’Église pérégrinante, dans ses sacrements et ses institutions qui appartiennent à ce monde, porte la figure de ce siècle qui passe et elle-même vit parmi les créatures qui gémissent et sont jusqu’à maintenant en mal d’enfantement et attendent la révélation des fils de Dieu (cf. Rm 8,19-22). Ainsi donc, unis au Christ dans l’Église et marqués du signe de l’Esprit Saint « qui est le gage de notre héritage » (Ep 1,14), nous sommes appelés fils de Dieu à juste titre et nous le sommes (cf. 1Jn 3,1), mais nous ne sommes pas encore apparus avec le Christ dans la gloire (cf. Col 3,4), dans laquelle nous serons semblables à Dieu, parce que nous le verrons tel qu’il est (cf. 1Jn 3,2). C’est pourquoi, « tant que nous sommes dans le corps, nous sommes en exil loin du Seigneur » (2Co 5,6) et ayant en nous les prémices de l’Esprit, nous gémissons intérieurement (cf. Rm 8,23) et nous désirons être avec le Christ (cf. Ph 1,23). La même charité nous presse de vivre davantage pour lui, qui est mort et ressuscité pour nous (cf. 2Co 5,15). Nous nous appliquons donc à plaire au Seigneur en toutes choses (cf. 2Co 5,9), et nous revêtons l’armure de Dieu, afin de pouvoir tenir contre les embûches du diable et lui résister au jour mauvais (cf. Ep 6,11-13). Mais comme nous ne savons ni le jour ni l’heure, il faut, selon l’avertissement du Seigneur, veiller constamment pour que, ayant achevé l’unique cours de notre vie terrestre (cf. He 9,27), nous méritions d’entrer avec lui aux noces et d’être comptés au nombre des bénis (cf. Mt 25,31-46), et non pas de recevoir l’ordre, comme des serviteurs mauvais et paresseux (cf. Mt 25,26), d’aller dans le feu éternel (cf. Mt 25,41), dans les ténèbres extérieures où « il y aura des pleurs et des grincements de dents » (Mt 22,13 et 25, 30). En effet, avant de régner avec le Christ glorieux, nous serons tous mis à découvert « devant le tribunal du Christ, pour que chacun recueille le prix de ce qu’il aura fait pendant sa vie corporelle, soit en bien soit en mal » (2Co 5,10), et à la fin du monde « ceux qui auront fait le bien sortiront du tombeau pour la résurrection qui mène à la vie, ceux qui auront fait le mal pour la résurrection qui mène au jugement » (Jn 5,29 cf. Mt 25,46). Estimant donc que « les souffrances de ce temps sont sans proportion avec la gloire future qui sera manifestée en nous » (Rm 8,18 cf. 2Tm 2,11-12), nous attendons, forts dans la foi, « la bienheureuse espérance et l’avènement glorieux de notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ » (Tt 2,13), «qui transfigurera notre corps d’humilité en le conformant à son corps de gloire » (Ph 3,21), et qui viendra « pour être glorifié dans ses saints, et être admiré en tous ceux qui auront cru » (2Th 1,10).


49 Donc jusqu’à ce que le Seigneur vienne dans sa majesté et tous ses anges avec lui (cf. Mt 25,31) et que, la mort une fois détruite, toutes choses lui soient soumises (cf. 1Co 15,26-27), les uns parmi ses disciples sont en pèlerinage sur terre, d’autres qui ont achevé leur vie sont en voie de purification, d’autres enfin sont glorifiés et contemplent « dans la pleine clarté Dieu lui-même, tel qu’il est, un et trine 1 » ; tous cependant, à des degrés et selon des modes divers, nous communions dans la même charité envers Dieu et envers le prochain, et nous chantons à notre Dieu le même hymne de gloire. En effet, tous ceux qui sont au Christ et possèdent son Esprit s’unissent organiquement dans une même Eglise et sont étroitement liés par une cohésion mutuelle en Lui (cf. Ep 4,16). L’union de ceux qui sont encore en chemin avec leurs frères qui se sont endormis dans la paix du Christ n’est pas du tout interrompue, bien au contraire, selon la foi constante de l’Eglise, elle est renforcée par la communication des biens spirituels2 * *. Parce qu’ils sont plus intimement unis au Christ, ceux qui sont au ciel affermissent plus solidement toute l’Église dans la sainteté, ennoblissent le culte qu’elle offre à Dieu sur cette terre et contribuent de multiples manières à donner plus d’ampleur à son édification (cf. 1Co 12,12-27) \ En effet, accueillis dans la patrie et présents devant le Seigneur (cf. 2Co 5,8), ils ne cessent par Lui, avec Lui et en Lui d’intercéder pour nous auprès du Père \ offrant les mérites qu’ils ont acquis par l’unique médiateur de Dieu et des hommes, le Christ Jésus (cf. 1Tm 2,5), alors qu’ils étaient sur terre, où ils ont servi le Seigneur en toutes choses et achevé dans leur chair ce qui manque aux souffrances du Christ pour son Corps qui est l’Église (cf. Col 1,24) 5. Leur fraternelle sollicitude apporte une aide considérable à notre faiblesse.

1 Conc. de Florence, Decretum pro Graecis : D. 693 (1305).
2 Outre les documents plus anciens contre toute espèce d’évocation des esprits, depuis Alexandre IV (27 sept. 1258), cf. Encycl. du Saint-Office, De magnetismi abusu, 4 août 1856 : ASS (1865), p. 177-178, D. 1653-1654 (2823-2825) ; réponse du Saint-Office, 24 avr. 1917 : AAS 9 (1917), p. 268, D. 2182 (3642).
3 Voir une exposition synthétique de cette doctrine paulinienne, in : Pie XII, Encycl. Mystici Corporis : AAS 35 (1943), p. 200 et passim.
4 Cf. Augustin, Enarr in Ps. 85, 24 : PL 37, 1099. Jérôme, Liber contra Vigilantium, 6 : PL 23, 344. Thomas, In 4" Sent., d. 45, q. I, a. 2. Bonaventure, In 4m Sent., d. 45, a. 3, q. 2 ; etc.
5 Cf. Pie XII, Encycl. Mystici Corporis : AAS 35 (1943), p. 245.


50 Particulièrement consciente de cette communion à l’intérieur de tout le Corps mystique de Jésus-Christ, l’Église en ses membres qui sont en chemin a, depuis les premiers temps de la religion chrétienne, honoré avec beaucoup de piété la mémoire des défunts 6, et « parce que c’est une pensée sainte et salutaire de prier pour les défunts, pour qu’ils soient délivrés de leurs péchés » (2M 12,46), elle a aussi offert ses suffrages pour eux. Quant aux apôtres et aux martyrs du Christ, qui par l’effusion de leur sang ont donné le témoignage suprême de la foi et de la charité, l’Église a toujours cru qu’ils sont plus étroitement unis avec nous dans le Christ, elle les a entourés ensemble avec la Vierge Marie et les saints anges d’une particulière vénération 7 et elle a imploré pieusement le secours de leur intercession. A ceux-là s’en ajoutèrent bientôt d’autres qui avaient imité de plus près la virginité et la pauvreté du Christ8 et enfin tous ceux que la pratique éclatante des vertus chrétiennes 9 et les charismes divins recommandaient à la pieuse dévotion et à l’imitation des fidèles.10

En effet, lorsque nous regardons la vie de ceux qui ont suivi fidèlement le Christ, une nouvelle raison nous incite à rechercher la cité future (cf. He 13,14 He 11,10) et en même temps nous apprenons à connaître la voie très sûre par laquelle, à travers les vicissitudes de ce monde et selon l’état et la condition propres à chacun, nous pourrons parvenir à l’union parfaite avec le Christ, c’est-à-dire à la sainteté 11. Dans la vie de ceux qui, tout en partageant avec nous la condition humaine, sont cependant transformés plus parfaitement à l’image du Christ (cf. 2Co 3,18), Dieu manifeste aux hommes à travers des exemples vivants sa présence et son visage. En eux, c’est lui-même qui nous parle et nous présente un signe de son Royaume 12 vers lequel, entourés d’une telle nuée de témoins (cf. He 12,1) et disposant d’une telle confirmation de la vérité de l’Évangile, nous sommes puissamment attirés. Cependant, ce n’est pas seulement au titre de leur exemple que nous honorons la mémoire de ceux qui sont au ciel, mais encore plus à cette fin que l’union de toute l’Église dans l’Esprit soit fortifiée par l’exercice de la charité fraternelle (cf. Ep 4,1-6). Car de même que la communion chrétienne entre ceux qui sont en chemin nous conduit plus près du Christ, ainsi la communion avec les saints nous unit au Christ, de qui découlent, comme de la Source et de la Tête, toute grâce et la vie du Peuple de Dieu lui-même 13. Il est donc de la plus haute convenance que nous aimions ces amis et cohéritiers de Jésus-Christ, qui sont aussi nos frères et nos bienfaiteurs insignes, que nous rendions à Dieu à leur sujet l’action de grâces qui lui est due 14 que « nous les invoquions en les suppliant, et que, pour obtenir de Dieu ses bienfaits, par son Fils Jésus-Christ, notre Seigneur, qui est notre seul Rédempteur et Sauveur, nous ayons recours à leurs prières, à leur secours et à leur aide 15 ». En effet, tout témoignage authentique d’amour rendu à ceux qui sont au ciel tend, par sa nature même, au Christ et trouve sa fin en Lui qui est « la couronne de tous les saints 16 » et, par lui, tend à Dieu qui est admirable en ses saints et est glorifié en eux 17.

Notre union avec l’Église céleste est actualisée de la façon la plus noble, lorsque, surtout dans la sainte liturgie, dans laquelle la puissance de l’Esprit Saint agit sur nous par les signes sacramentels, nous célébrons ensemble les louanges de la divine Majesté dans une exultation commune 18, et que tous, rachetés dans le sang du Christ, de toute tribu, langue, peuple et nation (cf. Ap 5,9) et rassemblés en une seule Église, nous magnifions le Dieu un et trine par un seul et même chant de louange. En célébrant le sacrifice eucharistique, nous sommes donc au plus haut point unis à l’Église céleste, alors que, unis dans une même communion, nous vénérons d’abord la mémoire de la glorieuse Marie toujours Vierge, et aussi de saint Joseph, et des bienheureux apôtres et martyrs et de tous les saints 19.

6 Cf. de nombreuses inscriptions dans les catacombes romaines.
7 Cf. Gélase Ier, Décrétale De libris recipiendis, 3 : PL 59, 160 D. 165 (353).
8 Cf. Méthode, Symposion. VII, 3 ; GCS (Bonwetsch), p. 74.
9 Cf. Benoît XV, Decretum approbationis virtutum in Causa beatificationis et canonizationis Servi Dei Ioannis Nepomuceni Neumann AAS 14 (1922), p. 23 ; nombreuses allocutions de Pie XI sur des saints : lnviti all'eroismo. Discours..., t. I-III, Rome, 1941-1942, passim ; Pie XII, Discorsi e Radiomessaggi, t. X, 1949, p. 37-43.
10 Cf. Pie XII, Encycl. Mediator Dei AAS 39 (1947), p. 581.
11 Cf. He 13, 7 ; Si 44-50 ; He 11, 3-40. Cf. aussi Pie XII, Encycl. Mediator Dei : AAS 39 (1947), p. 582-583.
12 Cf. Conc. Vatican I, Const. De fide catholica, Dei Filius, chap. 3 : D. 1794 (3013).
13 Cf. Pie XII, Encycl. Mystici Corporis : AAS 35 (1943), p. 216.
14 Sur la reconnaissance envers les saints eux-mêmes, cf. E. Diehl, Inscriptiones latinae christianae veteres, I, Berlin, 1925, n. 2008, 2382 et passim.
15 Conc. de Trente, Sess. 25, De invocatione... Sanctorum : D. 984 (1821).
16 Bréviaire romain, Invitatorium in festo Sanctorum omnium.
17 Cf. p. ex., 2 Th 1, 10.
18 Conc. Vatican II, Const. De Sacra liturgia, chap. 5, n. 104 ; AAS 56 (1964), p. 125-126 (voir plus haut p. 44).
19 Missel romain, canon de la messe.


51 Cette foi vénérable de nos pères au sujet de la communion de vie avec les frères qui sont dans la gloire du ciel ou qui, après leur mort, sont encore en voie de purification, le saint Concile la reçoit avec grande pitié, et il propose à nouveau les décrets des saints conciles du IIe de Nicée20, de ceux de Florence21 et de Trente 22. En même temps, en raison de sa sollicitude pastorale, il exhorte tous ceux que cela concerne à s’appliquer à écarter ou à corriger les abus, les excès ou les défauts qui se seraient introduits ici ou là, et à tout restaurer pour une plus pleine louange du Christ et de Dieu. Qu’ils enseignent aux fidèles que le culte authentique des saints ne consiste pas tant dans la multiplicité des actes extérieurs que dans l’intensité de notre amour actif par lequel, pour notre plus grand bien et celui de l’Église, nous cherchons « dans la vie des saints un modèle, dans la communion avec eux, une participation, dans leur intercession, des secours »23. D’autre part, qu’ils enseignent aux fidèles que notre relation avec les saints, pourvu qu’elle soit comprise dans la pleine lumière de la foi, bien loin de diminuer le culte d’adoration rendu à Dieu le Père par le Christ dans l’Esprit, l’enrichit au contraire en lui donnant plus d’intensité 24.

Nous tous qui sommes fils de Dieu et constituons une seule famille dans le Christ (cf.
He 3,6), quand nous sommes en communion entre nous dans la charité mutuelle et une louange unanime de la très sainte Trinité, nous correspondons à la vocation intime de l’Église et nous participons, en y goûtant par avance, à la liturgie de la gloire consommée 25. En effet, quand le Christ apparaîtra et qu’aura lieu la glorieuse résurrection des morts, l’éclat de la lumière de Dieu illuminera la cité céleste et son flambeau sera l’Agneau (cf. Ap 21,23). Alors toute l’Église des saints, dans la suprême béatitude de la charité, adorera Dieu et « l’Agneau qui a été immolé » (Ap 5,12), proclamant d’une seule voix : « À celui qui est assis sur le trône et à l’Agneau : bénédiction, honneur et gloire et puissance dans les siècles des siècles » (Ap 5,13-14).
20 Conc. Nicée II, Act. VII : D. 302 (600).
21 Conc. de Florence, Decretum pro Graecis : D. 693 (1304).
22 Conc. de Trente, Sess. 25, De invocatione, veneratione et reliquiis Sanctorum et sacris imaginibus : D. 984-988 (1821-1824) ; Scss. 25, Decretum de Purgatorio : D. 983 (1820) ; Sess. 6, Decretum de iustificatione, can. 30 : D. 840 (1580).
23 Préface, en usage dans certains diocèses de France.
24 Cf. S. Pierre Canisius, Catechismus Maior seu Summa Doctrinae Christianae, chap. III (éd. erit. F. Streicher), I, p. 15-16, n. 44 et p. 100-101, n. 49,
25 Cf. Conc. Vatican II, Const. De Sacra Liturgia, chap. 1, n. 8 : AAS 56 (1964), p. 401 (voir plus haut p. 12).


Chapitre VIII. La bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu, dans le mystère du Christ et de l’Église


I. Préambule

52 Dieu, très bon et très sage, voulant accomplir la rédemption du monde, « quand vint la plénitude des temps, envoya son Fils, né d’une femme [...] pour nous conférer l’adoption filiale » (Ga 4,4-5). « Celui-ci, pour nous les hommes et pour notre salut, est descendu du ciel et par l’action du Saint-Esprit a pris chair de la Vierge Marie 1. » Ce mystère divin du salut nous est révélé et se continue dans l’Église, que le Seigneur a établie comme son Corps, et dans laquelle les fidèles, qui adhèrent au Christ leur Tête et qui sont en communion avec tous ses saints, doivent aussi vénérer la mémoire « en premier lieu de la glorieuse Marie toujours vierge, Mère de notre Dieu et Seigneur Jésus-Christ 2 ».

1 Credo de la messe romaine : Symbole de Constantinople : Mansi 3, 566. Cf. Conc. Éphèse, ibid., 4, 1130 (et ibid.,2, 665 et 4, 1071) ; Conc. Chalcédoine, ibid., 7, 111-116; Conc. Constantinople II, ibid., 9, 375-396.
2 Missel romain, canon.


53 La Vierge Marie, en effet, qui, à l’annonce de l’ange, a accueilli dans son coeur et dans son corps le Verbe de Dieu et a apporté au monde la Vie, est reconnue et honorée comme vraie Mère de Dieu et du Rédempteur. Rachetée d’une manière plus sublime en considération des mérites de son Fils et unie à Lui d’un lien étroit et indissoluble, elle se voit gratifiée de l’éminente charge et dignité d’être la Mère du Fils de Dieu, et, par conséquent, la fille de prédilection du Père et le sanctuaire du Saint-Esprit, don d’une grâce exceptionnelle par lequel elle est bien loin au-dessus de toutes les autres créatures, célestes et terrestres. Mais en même temps, elle se trouve unie, dans la descendance d’Adam, avec tous les hommes à sauver, bien plus « elle est vraiment mère des membres (du Christ) [...] puisqu’elle a coopéré par sa charité à ce que naissent dans l’Église des fidèles qui sont les membres de cette Tête » 3. C’est pourquoi elle est aussi saluée comme un membre suréminent et absolument unique de l’Église, et comme son type et son modèle le plus insigne dans la foi et la charité, et l’Église catholique, instruite par l’Esprit Saint, l’entoure d’un sentiment de piété filiale, la considérant comme une mère très aimante.

3 Augustin, De S. Virginitate, 6 : PL 40, 399 ; BA 3.



54 C’est pourquoi, en exposant sa doctrine sur l’Église, dans laquelle le divin Rédempteur opère le salut, le saint Concile se propose de mettre soigneusement en lumière aussi bien le rôle de la bienheureuse Vierge dans le mystère du Verbe incarné et du Corps mystique, que les devoirs des hommes rachetés envers la Mère de Dieu, mère du Christ et mère des hommes, et surtout les devoirs des fidèles, sans avoir toutefois l’intention de présenter un enseignement doctrinal complet sur Marie ni de trancher des questions que le travail des théologiens n’a pas encore fait accéder à la pleine lumière. Par conséquent, gardent leurs droits les opinions qui sont proposées librement dans les écoles catholiques, au sujet de celle qui dans la sainte Église occupe, après le Christ 4, la place la plus élevée et en même temps la plus proche de nous.

4 Cf. Paul VI, Allocution au Concile, le 4 déc. 1963 : AAS 56 (1964), p. 37.


II. Le rôle de la bienheureuse Vierge dans Véconomie du Salut

55 Les saintes Écritures de l’Ancien et du Nouveau Testament et la vénérable Tradition montrent, de manière de plus en plus claire, le rôle de la Mère du Sauveur dans l’économie du salut et le proposent pour ainsi dire à notre contemplation. Les livres de l’Ancien Testament décrivent l’histoire du salut, par laquelle est lentement préparée la venue du Christ dans le monde. Ces documents anciens, tels qu’ils sont lus dans l’Église et compris à la lumière de la pleine révélation ultérieure, font progressivement apparaître dans une plus vive clarté la figure de la femme, Mère du Rédempteur. Ainsi, à cette lumière, elle est déjà esquissée prophétiquement dans la promesse, faite aux premiers parents tombés dans le péché, d’une victoire sur le serpent (cf. Gn 3,15). De même, elle est la Vierge qui concevra et enfantera un fils, auquel on donnera le nom d’Emmanuel (Is 7,14 cf. Mi 5,2-3 Mt 1,22-23). Elle tient la première place parmi les humbles et les pauvres du Seigneur, qui, avec confiance, espèrent et reçoivent de lui le salut. C’est avec elle enfin, l’auguste fille de Sion, qu’après la longue attente de la promesse les temps sont accomplis et que la nouvelle économie est instaurée, quand le Fils de Dieu eut pris d’elle la nature humaine, afin de délivrer l’homme du péché par les mystères de sa chair.


56 Le Père des miséricordes a voulu que l’Incarnation fût précédée d’une acceptation de la part de celle qui était prédestinée à être la Mère, pour qu’ainsi, tout comme une femme avait contribué à la mort, une femme aussi contribuât à la vie. Cela vaut à un titre tout à fait éminent de la Mère de Jésus, qui a donné au monde la Vie même qui renouvelle toutes choses et qui a été dotée par Dieu de dons dignes d’une si grande tâche. Par conséquent, il n’y a rien d’étonnant à ce que chez les saints Pères se soit imposé l’usage d’appeler la Mère de Dieu la Toute Sainte, indemne de toute tache de péché, modelée pour ainsi dire par l’Esprit Saint et formée comme nouvelle créature5. Gratifiée dès le premier instant de sa conception des splendeurs d’une sainteté absolument unique, la Vierge de Nazareth est saluée par l’ange, lors de l’annonciation, sur l’ordre de Dieu, comme « pleine de grâce » (cf. Lc 1,28) et elle-même répond au messager céleste : « Voici la servante du Seigneur, qu’il m’advienne selon ta parole » (Lc 1,38). Ainsi Marie, fille d’Adam, donnant son consentement à la parole divine, est devenue mère de Jésus, et épousant de tout coeur, sans être retenue par aucun péché, la volonté divine du salut, elle se voua entièrement en tant que servante du Seigneur à la personne et à l’oeuvre de son Fils, se mettant, sous lui et avec lui, par la grâce du Dieu tout-puissant, au service du mystère de la rédemption. C’est donc à juste titre que les saints Pères estiment que Marie n’a pas été utilisée par Dieu comme un instrument purement passif, mais qu’elle a coopéré au salut des hommes dans la liberté de sa foi et de son obéissance. En effet, comme le dit saint Irénée, « en se montrant obéissante, elle est devenue, pour elle et pour tout le genre humain, cause de salut6 ». C’est pourquoi un nombre assez grand d’anciens Pères affirment volontiers dans leur prédication que « le noeud noué par la désobéissance d’Eve a été dénoué par l’obéissance de Marie ; ce que la vierge Eve avait lié par son incrédulité, la vierge Marie l’a délié par sa foi7 » ; et établissant une comparaison avec Eve, ils appellent Marie « la mère des vivants 8 » et ils affirment assez souvent : « Par Eve la mort, par Marie la vie9 ».

5 Cf. Germain de Const., Hom. in Annunt. Deiparae : PG 98, 328 A ; In Dorm. 2 : col. 357. - Anastase d’Antioche, Serm. 2 de Annunt., 2 : PG 89, 1377, AB ; Sertn. 3,2: col. 1388 C. — André de Crète, Can. in B. V. Nat. 4 : PG 97, 1321 B. In B. V. Nat., 1 : col. 812 A. Hom. in dorm. 1 : col. 1068 C. - Sophrone, Or. 2 in Annunt., 18 : PG 87 (3), 3237 BD.
6 Irénée, Adv llaer III, 22, 4 : PG 7, 959 A ; Harvey, 2, 123 ; SC 211.
7 Irénée, ibid., I larvcy, 2, 124 ; SC 211.
8 Épiphane, Haer 78, 18 : PG 42, 728 CD-729 AB.
9 Jérôme, Epist. 22, 21 IM , 22, 408. Cf. Augustin, Serm. 51, 2, 3 : PL 38, 335 ; Serm. 232, 2 : col. 1108. - Cyrille de Jérusalem, Catéch. 12, 13 : PG 33, 741 AB. — Jean Chrysostome, In Ps. 44, 7 : PG 55, 193. — Jean de Damas, Hom. 2 in dorm. B. M. V., 3 : PG 96, 728.



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