A la Rote 1939-2009 601

0601
procédure de nullité, Eucharistie et Vérité

Comme vous le savez, l'attention consacrée aux procès de nullité matrimoniale dépasse toujours davantage le domaine des spécialistes. En effet, les sentences ecclésiastiques en cette matière influent sur la possibilité ou non de recevoir la Communion eucharistique de la part de nombreux fidèles. C'est précisément cet aspect, si décisif du point de vue de la vie chrétienne, qui explique pourquoi le thème de la nullité matrimoniale est apparu de manière répétée également au cours du récent Synode sur l'Eucharistie. A première vue, il pourrait sembler que la préoccupation pastorale qui se reflète dans les travaux du Synode et l'esprit des normes juridiques rassemblées dans Dignitas connubii divergent profondément entre eux, allant presque jusqu'à s'opposer. D'une part, il semblerait que les Pères synodaux aient invité les tribunaux ecclésiastiques à se prodiguer afin que les fidèles qui ne sont pas mariés canoniquement puissent au plus tôt régulariser leur situation matrimoniale et participer à nouveau au banquet eucharistique. D'autre part, la législation canonique et la récente Instruction sembleraient, en revanche, poser des limites à ce courant pastoral, comme si la principale préoccupation était celle de s'acquitter des formalités juridiques prévues, en risquant d'oublier la finalité pastorale du procès. Derrière cette façon de poser le problème, se cache une prétendue opposition entre le droit et la pastorale en général. Je n'entends pas, à présent, reprendre de manière approfondie la question déjà traitée par Jean-Paul II à plusieurs reprises, en particulier dans l'allocution à la
Rote romaine de 1990 . Au cours de cette première rencontre avec vous, je préfère plutôt me concentrer sur ce qui constitue le point de jonction fondamental entre le droit et la pastorale: l'amour pour la vérité. Par ailleurs, avec cette affirmation, je me rattache en esprit à ce que mon vénéré Prédécesseur lui-même vous a dit, précisément dans son allocution de l'année dernière .

0602
procédures d’Eglise et recherche de vérité

Le processus canonique de nullité du mariage constitue essentiellement un instrument pour trouver la vérité sur le lien conjugal. Son but constitutif n'est donc pas de compliquer inutilement la vie aux fidèles et encore moins d'en exacerber l'esprit de litige, mais seulement de rendre un service à la vérité. Du reste, l'institution du procès en général n'est pas en soi un moyen pour satisfaire un intérêt quelconque, mais bien un instrument qualifié pour répondre au devoir de justice de donner à chacun ce qui lui est dû. Le procès, précisément dans sa structure essentielle, est l'institution de la justice et de la paix. En effet, le but du procès est la déclaration de la vérité de la part d'un tiers impartial, après qu'aient été offertes aux parties des opportunités semblables de présenter des arguments et des preuves dans un cadre de discussion approprié. Cet échange d'avis est normalement nécessaire, afin que le juge puisse connaître la vérité et, en conséquence, décider de la cause selon la justice. Tout le système du procès doit donc tendre à assurer l'objectivité, l'opportunité et l'efficacité des décisions des juges.

0603
procédure, raison et foi

Dans cette matière également, le rapport entre raison et foi est d'une importance fondamentale. Si le procès répond à la juste raison, on ne peut pas s'étonner du fait que l'Eglise ait adopté l'institution du procès pour résoudre des questions intraecclésiales à caractère juridique. C'est ainsi que s'est désormais consolidée une tradition pluriséculaire, conservée jusqu'à aujourd'hui dans les tribunaux ecclésiastiques du monde entier. Il faut en outre garder à l'esprit que le droit canonique a contribué de manière très importante, à l'époque du droit classique médiéval, à perfectionner les bases de ce même droit des procès. Son application dans l'Eglise concerne tout d'abord les cas où, la matière du contentieux étant disponible, les parties pourraient atteindre un accord qui résoudrait le litige, mais cela ne se produit pas pour divers motifs. Le recours au procès, en cherchant à déterminer ce qui est juste, vise non seulement à ne pas aggraver les conflits, mais il veut les rendre plus humains, en trouvant des solutions objectivement adaptées aux exigences de la justice. Naturellement, cette solution ne suffit pas à elle seule, car les personnes ont besoin d'amour, mais lorsqu'elle apparaît inévitable, elle représente un pas significatif accompli dans la juste direction. Les procès peuvent ensuite également porter sur des matières qui dépassent la capacité de disposer des parties, dans la mesure où ils concernent les droits de toute la communauté ecclésiale. C'est précisément dans ce cadre que s'inscrit le procès déclarant la nullité d'un mariage: en effet, le mariage, dans sa double dimension naturelle et sacramentelle, n'est pas un bien dont les conjoints peuvent disposer et, en raison de son caractère social et public, il n'est pas non plus possible de formuler l'hypothèse d'une forme quelconque d'autodéclaration.

0604
Défenseur du lien, véritable opposant à la nullité

A ce point, la deuxième observation va de soi. Aucun procès n'est strictement contre l'autre partie, comme s'il s'agissait de lui infliger un dommage injuste. L'objectif n'est pas d'ôter un bien à quelqu'un, mais d'établir et de sauvegarder l'appartenance des biens aux personnes et aux institutions. A cette considération, valable pour chaque procès, s'en ajoute une autre plus spécifique dans l'hypothèse de nullité matrimoniale. Il n'y a là aucun bien disputé entre les parties qui doive être attribué à l'un ou à l'autre. L'objet du procès est, en revanche, de déclarer la vérité à propos de la validité ou de l'invalidité d'un mariage concret, c'est-à-dire à propos d'une réalité qui fonde l'institution de la famille et qui concerne au plus haut point l'Eglise et la société civile. En conséquence, on peut affirmer que, dans ce genre de procès, le destinataire de la demande de déclaration est l'Eglise elle-même. En raison de la présomption naturelle de validité du mariage formellement contracté, mon prédécesseur, Benoît XIV, éminent canoniste, imagina et rendit obligatoire la participation du défenseur du lien à ces procès (cf. Cons. apost. Dei miseratione, 3 novembre 1741). De cette façon, on garantit davantage la dialectique du procès visant à découvrir la vérité.

Le critère de la recherche de la vérité, de même qu'il nous guide à comprendre la dialectique du procès, peut également nous servir pour saisir l'autre aspect de la question: sa valeur pastorale, qui ne peut pas être séparée de l'amour pour la vérité. Il peut en effet se produire que la charité pastorale soit parfois contaminée par des attitudes complaisantes envers les personnes. Ces attitudes peuvent sembler pastorales, mais en réalité, elles ne répondent pas au bien des personnes et de la communauté ecclésiale elle-même; en évitant la confrontation avec la vérité qui sauve, elles peuvent même avoir un effet contraire en ce qui concerne la rencontre salvifique de chacun avec le Christ. Le principe de l'indissolubilité du mariage, réaffirmé avec force par Jean-Paul II en ce lieu
discours du 21 janvier 2000 , et du 28 janvier 2002 , appartient à l'intégrité du mystère chrétien. Aujourd'hui, il nous est malheureusement donné de constater que cette vérité est parfois voilée dans la conscience des chrétiens et des personnes de bonne volonté. C'est précisément pour cette raison que le service que l'on peut offrir aux fidèles et aux conjoints non chrétiens en difficulté, en renforçant en eux, ne serait-ce qu'implicitement, la tendance à oublier l'indissolubilité de leur propre union, est trompeur. De cette façon, l'intervention éventuelle de l'institution ecclésiastique dans les causes de nullité risque d'apparaître comme la simple constatation d'un échec.

0605
procédure, recherche de vérité

Toutefois, la vérité recherchée dans les procès de nullité matrimoniale n'est pas une vérité abstraite, étrangère au bien des personnes. C'est une vérité qui s'inscrit dans l'itinéraire humain et chrétien de chaque fidèle. Il est donc important que sa déclaration arrive dans des délais raisonnables. La Providence divine sait bien sûr tirer le bien du mal, même s'il arrivait aux institutions ecclésiastiques de négliger leur devoir ou de commettre des erreurs. Mais c'est une grave obligation que de rendre l'oeuvre institutionnelle de l'Eglise dans les tribunaux toujours plus proche des fidèles. En outre, la sensibilité pastorale doit conduire à chercher à prévenir les nullités matrimoniales lors de l'admission au mariage et à tout mettre en oeuvre afin que les conjoints résolvent leurs éventuels problèmes et trouvent la voie de la réconciliation. La même sensibilité pastorale face aux situations réelles des personnes doit cependant conduire à sauvegarder la vérité et à appliquer les normes prévues pour la protéger au cours du procès.

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Instruction Dignitas Connubii


Je souhaite que ces réflexions servent à mieux faire comprendre comment l'amour pour la vérité rattache l'institution du procès canonique de nullité matrimoniale à l'authentique sens pastoral qui doit animer ces procès. Selon cette clef de lecture, l'Instruction Dignitas connubii et les préoccupations qui sont apparues pendant le dernier Synode se révèlent tout à fait convergentes. Très chers amis, réaliser cette harmonie est la tâche difficile et fascinante pour l'accomplissement discret de laquelle la communauté ecclésiale vous est si reconnaissante. Avec le voeu cordial que votre activité judiciaire contribue au bien de tous ceux qui s'adressent à vous et favorise leur rencontre personnelle avec la Vérité qui est le Christ, je vous bénis avec reconnaissance et affection.



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2007 Mariage, Amour, Droit et Raison.


DANS LA CRISE DU SENS DU MARIAGE: AMOUR, DROIT, FOI ET RAISON

Samedi 27 janvier 2007


Très chers Prélats-auditeurs, Officiaux et collaborateurs du Tribunal de la Rote romaine!
Je suis particulièrement heureux de vous rencontrer à nouveau, à l'occasion de l'inauguration de l'Année judiciaire. Je salue cordialement le Collège des Prélats-auditeurs, à commencer par le Doyen, Mgr Antoni STANKIEWICZ, que je remercie des paroles avec lesquelles il a introduit notre rencontre. Je salue ensuite les Officiaux, les avocats et les autres collaborateurs de ce Tribunal, ainsi que les membres du "Studio rotale" et toutes les personnes présentes. Je saisis volontiers l'occasion pour renouveler l'expression de mon estime et pour réaffirmer, dans le même temps, l'importance de votre ministère ecclésial dans un secteur aussi vital que l'activité judiciaire. J'ai bien à l'esprit le travail précieux que vous êtes appelés à accomplir avec diligence et zèle, au nom de ce Siège apostolique et sur son mandat. Votre tâche délicate de service à la vérité dans la justice est soutenue par les éminentes traditions de ce Tribunal, que chacun d'entre vous doit se sentir personnellement engagé à faire respecter.
L'année dernière, lors de ma première rencontre avec vous, j'ai cherché à explorer les voies pour surmonter l'opposition apparente entre l'institution du procès en nullité de mariage et l'authentique sens pastoral. Dans cette perspective, l'amour pour la vérité apparaissait comme le point de convergence entre la recherche juridique et le service pastoral aux personnes. Nous ne devons cependant pas oublier que, dans les causes de nullité de mariage, la vérité juridique présuppose la "vérité du mariage" lui-même. L'expression "vérité du mariage" perd cependant de son importance existentielle dans un contexte culturel marqué par le relativisme et le positivisme juridique, qui considèrent le mariage comme une pure reconnaissance sociale des liens affectifs. En conséquence, celui-ci devient non seulement contingent, comme peuvent l'être les sentiments humains, mais il se présente comme une superstructure juridique que la volonté humaine peut manipuler à sa convenance, la privant même de sa nature hétérosexuelle.

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Cette crise de sens du mariage se fait également ressentir dans la façon de penser de nombreux fidèles. Les effets pratiques de ce que j'ai appelé l'"herméneutique de la discontinuité et de la rupture" à propos de l'enseignement du Concile Vatican II (cf. Discours à la Curie romaine, 22 décembre 2005) se ressentent de manière particulièrement intense dans le domaine du mariage et de la famille. En effet, il semble à certaines personnes que la doctrine conciliaire sur le mariage, et concrètement la description de cette institution comme "intima communitas vitae et amoris"
GS 48, doive conduire à nier l'existence d'un lien conjugal indissoluble, car il s'agirait d'un "idéal" auquel ne peuvent pas être "obligés" les "chrétiens normaux". De fait, s'est également diffusée dans certains milieux ecclésiaux la conviction selon laquelle le bien pastoral des personnes en situation matrimoniale irrégulière exigerait une sorte de régularisation canonique, indépendamment de la validité ou de la nullité de leur mariage, c'est-à-dire indépendamment de la "vérité" à propos de leur condition personnelle. La voie de la déclaration de nullité matrimoniale est de fait considérée comme un instrument juridique pour atteindre cet objectif, selon une logique dans laquelle le droit devient la reconnaissance des prétentions subjectives. A ce propos, il faut tout d'abord souligner que le Concile décrit bien évidemment le mariage comme intima communitas vitae et amoris, mais cette communauté doit être déterminée, suivant la tradition de l'Eglise, par un ensemble de principes de droit divin, qui fixent son véritable sens anthropologique permanent (cf. GS 48).

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Par la suite, le magistère de Paul VI et de Jean Paul II s'est développé en fidèle continuité herméneutique avec le Concile, ainsi que l'oeuvre législative des Codes, tant latin qu'oriental. En effet, c'est par ces Instances qu'a été conduit, également en ce qui concerne la doctrine et la discipline matrimoniale, l'effort de la "réforme" ou du "renouveau dans la continuité" (cf. Discours à la Curie romaine, cit.). Cet effort s'est développé à partir du présupposé indiscutable que le mariage contient une vérité, à la découverte et à l'approfondissement de laquelle concourent de manière harmonieuse la raison et la foi, c'est-à-dire la connaissance humaine, éclairée par la Parole de Dieu, sur la réalité sexuellement différenciée de l'homme et de la femme, avec leurs profondes exigences de complémentarité, de don définitif et d'exclusivité.

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La vérité anthropologique et salvifique du mariage - également dans sa dimension juridique - est déjà présentée dans l'Ecriture Sainte. La réponse de Jésus aux Pharisiens, qui lui demandaient son avis à propos de la licéité de la répudiation, est célèbre: "N'avez-vous pas lu l'Ecriture? Au commencement, le Créateur les fit homme et femme, et il leur dit: "Voilà pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, il s'attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu'un". A cause de cela, ils ne sont plus deux, mais un seul. Donc, ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas"
Mt 19,4-6. Les citations de la Genèse Gn 1,27 Gn 2,24 reproposent la vérité matrimoniale du "principe", cette vérité dont la plénitude se trouve en relation avec l'union du Christ avec l'Eglise Ep 5,30-31, et qui a fait l'objet de réflexions vastes et profondes de la part du Pape Jean-Paul II dans ses cycles de catéchèse sur l'amour humain dans le dessein divin. A partir de cette unité duelle du couple humain, on peut élaborer une authentique anthropologie juridique du mariage. Dans ce sens, les paroles de conclusion de Jésus sont particulièrement éclairantes: "Donc, ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas!". Chaque mariage est bien sûr le fruit du libre consentement de l'homme et de la femme, mais leur liberté traduit en acte la capacité naturelle inhérente à leur masculinité et féminité. L'union a lieu en vertu du dessein de Dieu lui-même, qui les a créés homme et femme et qui leur donne le pouvoir d'unir pour toujours ces dimensions naturelles et complémentaires de leurs personnes. L'indissolubilité du mariage ne dérive pas de l'engagement définitif des contractants, mais elle est intrinsèque à la nature du "puissant lien établi par le Créateur" (Jean-Paul II, catéchèse du 21 novembre 1979, n. 2 ). Les contractants doivent s'engager de façon définitive parce que le mariage est précisément tel dans le dessein de la création et de la rédemption. Et le caractère juridique essentiel du mariage réside précisément dans ce lien, qui pour l'homme et la femme représente une exigence de justice et d'amour auquel, pour leur bien et pour celui de tous, ils ne peuvent pas se soustraire sans contredire ce que Dieu lui-même a accompli en eux.

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Il faut approfondir cet aspect, non seulement en considération de votre rôle de canonistes, mais également parce que la compréhension globale de l'institution du mariage ne peut pas manquer d'inclure la clarté à propos de sa dimension juridique. Toutefois, les conceptions à propos de la nature de ce rapport peuvent diverger de manière radicale. Pour le positivisme, le caractère juridique du rapport conjugal serait uniquement le résultat de l'application d'une norme humaine formellement valable et efficace. De cette façon, la réalité humaine de la vie et de l'amour conjugal reste extrinsèque à l'institution "juridique" du mariage. Il se crée un hiatus entre droit et existence humaine, qui nie radicalement la possibilité d'un fondement anthropologique du droit.
La voie traditionnelle de l'Eglise dans la compréhension de la dimension juridique de l'union conjugale, dans le sillage des enseignements de Jésus, des Apôtres et des saints Pères, est totalement différente. Saint Augustin, par exemple, en citant saint Paul affirme avec force "Cui fidei [coniugali] tantum iuris tribuit Apostolus, ut eam potestatem appellaret, dicens:  Mulier non habet potestatem corporis sui, sed vir; similiter autem et vir non habet potestatem corporis sui, sed mulier
1Co 7,4" (De bono coniugali, 4, 4). Saint Paul, qui expose de manière aussi profonde dans la Lettre aux Ephésiens le "mystérion mega" de l'amour conjugal en relation à l'union du Christ avec l'Eglise Ep 5,22-31, n'hésite pas à appliquer au mariage les termes les plus forts du droit pour désigner le lien juridique avec lesquels les conjoints sont unis entre eux, dans leur dimension sexuelle. De même, pour saint Augustin, le caractère juridique est essentiel dans chacun des trois biens (proles, fides, sacramentum), qui constituent les pivots de l'exposition de sa doctrine sur le mariage.

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Face à la relativisation subjectiviste et libertaire de l'expérience sexuelle, la tradition de l'Eglise affirme avec clarté le caractère naturellement juridique du mariage, c'est-à-dire son appartenance par nature au domaine de la justice dans les relations interpersonnelles. Dans cette optique, le droit est véritablement mêlé à la vie et à l'amour, comme il doit intrinsèquement l'être. C'est pourquoi, comme je l'ai écrit dans ma première Encyclique, "selon une orientation qui a son origine dans la création, l'eros renvoie l'homme au mariage, à un lien caractérisé par l'unicité et le définitif; ainsi, et seulement ainsi, se réalise sa destinée profonde" (Deus caritas est, n. 11). Amour et droit peuvent ainsi s'unir, au point d'avoir pour effet que le mari et la femme se doivent réciproquement l'amour qu'ils éprouvent spontanément: l'amour est en eux le fruit de leur libre désir du bien de l'autre et des enfants; ce qui, du reste, est également l'exigence de l'amour envers le propre bien véritable.

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Toute l'oeuvre de l'Eglise et des fidèles dans le domaine familial doit se fonder sur cette vérité à propos du mariage et de sa dimension juridique intrinsèque. Malgré cela, comme je l'ai déjà rappelé, la mentalité relativiste, sous des formes plus ou moins ouvertes ou insidieuses, peut également s'insinuer dans la communauté ecclésiale. Vous êtes bien conscients de l'actualité de ce risque, qui se manifeste parfois à travers une interprétation erronée des normes canoniques en vigueur. Il faut réagir contre cette tendance avec courage et confiance, en appliquant constamment l'herméneutique du renouveau dans la continuité et en ne se laissant pas séduire par des possibilités d'interprétation qui impliquent une rupture avec la tradition de l'Eglise. Ces voies s'éloignent de la véritable essence du mariage, ainsi que de sa dimension juridique intrinsèque et, sous divers noms plus ou moins attrayants, tentent de dissimuler une contrefaçon de la réalité conjugale. On en vient ainsi à soutenir que rien ne serait juste ou injuste dans les relations de couple, mais répondrait uniquement, ou non, à la réalisation des aspirations subjectives de chacune des parties. Dans cette optique, l'idée du "mariage in facto esse" oscille entre une relation purement factuelle et une façade juridique et positiviste, négligeant son essence de lien intrinsèque entre les personnes de l'homme et de la femme.

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La contribution des tribunaux ecclésiastiques pour surmonter la crise sur le sens du mariage dans l'Eglise et dans la société civile, pourrait sembler plutôt secondaire et d'arrière-garde à certains. Toutefois, précisément parce que le mariage possède une dimension intrinsèquement juridique, être des serviteurs sages et convaincus de la justice dans ce domaine délicat et très important possède une valeur de témoignage profondément significative et d'un grand soutien pour tous. Chers Prélats-auditeurs, vous êtes engagés sur un front dans lequel la responsabilité pour la vérité est ressentie de manière particulière à notre époque. En restant fidèles à votre tâche, faites en sorte que votre action s'insère harmonieusement dans une redécouverte totale de la beauté de cette "vérité sur le mariage" - la vérité du "principe" - que Jésus nous a pleinement enseignée et que l'Esprit Saint nous rappelle sans cesse dans l'aujourd'hui de l'Eglise.

Chers Prélats-auditeurs, Officiaux et collaborateurs, telles sont les considérations que je tenais à soumettre à votre attention, avec la certitude de trouver en vous des juges et des magistrats prêts à partager et à faire leur une doctrine d'une aussi grande importance et gravité. J'exprime à tous, et à chacun en particulier, ma satisfaction, avec la certitude que le Tribunal apostolique de la Rote romaine, manifestation efficace et faisant autorité de la sagesse juridique de l'Eglise, continuera à exercer avec cohérence son difficile munus au service du dessein divin, poursuivi par le Créateur et par le Rédempteur à travers l'institution du mariage. En invoquant l'assistance divine sur votre travail, je donne de tout c?ur à tous une Bénédiction apostolique spéciale.



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2008 Centenaire de la Rote et Jurisprudence.

CENTENAIRE DE LA ROTE: VALEUR ET IMPORTANCE DE LA JURISPRUDENCE


Samedi 26 janvier 2008

Très chers Prélats auditeurs, Chers collaborateurs du Tribunal de la Rote romaine!
L'anniversaire du premier centenaire du rétablissement du Tribunal apostolique de la Rote romaine, décidé par saint Pie X en 1908 à travers la Constitution apostolique Sapienti consilio, vient d'être rappelé par les paroles cordiales de votre Doyen, Mgr Antoni STANKIEWICZ. Cette circonstance rend encore plus vifs les sentiments d'appréciation et de gratitude avec lesquels je vous rencontre déjà pour la troisième fois. J'adresse mon salut cordial à tous et à chacun de vous. En vous, chers Prélats auditeurs, et également chez tous ceux qui participent de différentes manières à l'activité de ce Tribunal, je vois la personnification d'une institution du Siège apostolique dont l'enracinement dans la tradition canonique se révèle une source de vitalité constante. C'est à vous que revient la tâche de conserver cette tradition vivante, avec la conviction de rendre ainsi un service toujours actuel à l'administration de la justice dans l'Eglise.
Ce centenaire est une occasion propice pour réfléchir sur un aspect fondamental de l'activité de la Rote, c'est-à-dire sur la valeur de la jurisprudence de la Rote dans l'ensemble de l'administration de la justice dans l'Eglise. C'est un aspect qui est mis en évidence par la description que la Constitution apostolique Pastor bonus fait de la Rote: "Ce Tribunal fonctionne ordinairement comme instance supérieure d'appel auprès du Siège apostolique pour protéger les droits dans l'Eglise; il veille à l'unité de la jurisprudence et par ses sentences, il aide les tribunaux de grade inférieur" . Dans leurs discours annuels, mes bien-aimés prédécesseurs parlèrent souvent avec satisfaction et confiance de la jurisprudence de la Rote romaine, aussi bien de manière générale qu'en référence à des thèmes concrets, en particulier matrimoniaux.

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Caractère juridique des Jurisprudences ...

S'il est juste de devoir rappeler le ministère de justice accompli par la Rote au cours de son existence pluriséculaire, et en particulier au cours des cent dernières années, il apparaît également opportun, en cet anniversaire, de chercher à approfondir le sens de ce service, dont les volumes annuels rassemblant les décisions sont une manifestation et sont, dans le même temps, un instrument pratique. Nous pouvons en particulier nous demander pourquoi les sentences de la Rote possèdent une importance juridique qui dépasse le cadre direct des causes au sujet desquelles elles sont prononcées. En dehors de la valeur formelle que chaque organisation juridique peut attribuer aux précédents judiciaires, il ne fait aucun doute que les décisions particulières concernent d'une certaine manière la société tout entière. En effet, celles-ci déterminent ce que tous peuvent attendre des tribunaux, ce qui influence certainement le cours de la vie sociale. N'importe quel système judiciaire doit chercher à offrir des solutions dans lesquelles, en même temps que l'évaluation prudente des cas dans leur singularité concrète, soient appliquées les mêmes principes et les mêmes normes générales de justice. Ce n'est que de cette façon que se crée un climat de confiance dans l'action des tribunaux et que l'on évite le caractère arbitraire des critères subjectifs. En outre, au sein de toute organisation judiciaire il existe une hiérarchie entre les divers tribunaux, de façon à ce que la possibilité même de recourir aux tribunaux supérieurs constitue en soi un instrument d'unification du droit.

0802
... et de la jurisprudence de la Rote

Les considérations qui viennent d'être présentées sont également parfaitement applicables aux tribunaux ecclésiastiques. Etant donné que les procès canoniques concernent les aspects juridiques des biens salvifiques ou d'autres biens temporels qui servent à la mission de l'Eglise, le besoin d'unité dans les critères essentiels de justice et la nécessité de pouvoir prévoir raisonnablement le sens des décisions judiciaires, deviennent même un bien ecclésial public d'une importance particulière pour la vie interne du Peuple de Dieu et pour son témoignage institutionnel dans le monde. Outre la valeur intrinsèquement raisonnable inhérente à l'œuvre d'un Tribunal qui prend généralement des décisions en dernière instance dans les procès, il est clair que la valeur de la jurisprudence de la Rote romaine dépend de sa nature d'instance supérieure dans le degré d'appel auprès du Siège apostolique. Les dispositions juridiques qui reconnaissent cette valeur
CIC 19 ne créent pas, mais déclarent cette valeur. Elle provient en définitive de la nécessité d'administrer la justice selon des paramètres égaux dans tout ce qui est, précisément, en soi essentiellement égal.

0803
Valeur et importance de la Jurisprudence

En conséquence, la valeur de la jurisprudence de la Rote n'est pas une question de fait d'ordre sociologique, mais elle est de caractère proprement juridique, dans la mesure où elle se place au service de l'essence de la justice. C'est pourquoi il serait inopportun de constater une opposition entre la jurisprudence de la Rote et les décisions des tribunaux locaux, qui sont appelés à accomplir une fonction indispensable, en rendant immédiatement accessible l'administration de la justice, et en pouvant enquêter et résoudre les cas dans leur singularité parfois liée à la culture et à la mentalité des peuples. Toutefois, toutes les sentences doivent toujours être fondées sur les principes et sur les normes communes de la justice. Ce besoin, commun à toute organisation juridique, revêt dans l'Eglise une importance particulière, dans la mesure où sont en jeu les exigences de la communion, qui implique la protection de ce qui est commun à l'Eglise universelle, confiée de manière particulière à l'Autorité suprême et aux organes qui ad normam iuris participent à sa sainte autorité.

0804
Jurisprudence amène une évolution du Droit

Dans le domaine matrimonial, la jurisprudence de la Rote a accompli un travail très important au cours de ces cent dernières années. Elle a en particulier apporté des contributions très significatives qui ont débouché sur la codification en vigueur. Après cela, on ne peut pas penser que l'importance de l'interprétation du droit faisant jurisprudence de la part de la Rote ait diminué. En effet, l'application de la loi canonique actuelle exige précisément que l'on en saisisse le véritable sens de justice, avant tout lié à l'essence même du mariage. La Rote romaine est sans cesse appelée à une tâche ardue, qui influence beaucoup le travail de tous les tribunaux: celle de saisir l'existence ou non de la réalité matrimoniale, qui est intrinsèquement anthropologique, théologique et juridique. Pour mieux comprendre le rôle de la jurisprudence, je voudrais insister sur ce que je vous ai dit l'année dernière à propos de la dimension intrinsèquement juridique du mariage
27 janvier 2007 . Le droit ne peut pas être réduit à un simple ensemble de règles positives que les tribunaux sont appelés à appliquer. L'unique façon de fonder solidement l'œuvre de la jurisprudence consiste à la concevoir comme un véritable exercice de la prudentia iuris, d'une prudence qui est tout le contraire de l'arbitraire et du relativisme, car elle permet de lire dans les événements la présence ou l'absence du rapport spécifique de justice qu'est le mariage, dans toute sa réalité humaine et salvifique. Ce n'est que de cette manière que les maximes de la jurisprudence acquièrent leur véritable valeur, et ne deviennent pas un recueil de règles abstraites et répétitives, exposées au risque d'interprétations subjectives et arbitraires.

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Jurisprudence et sagesse judiciaire

C'est pourquoi l'évaluation objective des faits, à la lumière du Magistère et du droit de l'Eglise, constitue un aspect très important de l'activité de la Rote romaine, et influence beaucoup l'œuvre des ministres de justice des tribunaux des Eglises locales. La jurisprudence de la Rote doit être vue comme une œuvre exemplaire de sagesse juridique, menée sous l'autorité du Tribunal constitué de manière stable par le Successeur de Pierre pour le bien de toute l'Eglise. Grâce à cette œuvre, la réalité concrète dans les causes de nullité matrimoniale est objectivement jugée à la lumière des critères qui réaffirment constamment la réalité du mariage indissoluble, ouverte à chaque homme et à chaque femme selon le dessein de Dieu Créateur et Sauveur. Cela demande un effort constant pour atteindre cette unité de critères de justice qui caractérise de manière essentielle la notion même de jurisprudence et qui est le présupposé fondamental de son action pratique. Dans l'Eglise, précisément en raison de son universalité et de la diversité des cultures juridiques dans lesquelles elle est appelée à œuvrer, existe toujours le risque que se forment, sensim sine sensu, "des jurisprudences locales" toujours plus distantes de l'interprétation commune des lois positives et même de la doctrine de l'Eglise sur le mariage. Je souhaite que soient étudiés les moyens opportuns pour rendre la jurisprudence de la Rote toujours plus réellement unitaire et effectivement accessible à tous les agents de la justice, de manière à trouver une application uniforme dans tous les tribunaux de l'Eglise.

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Jurisprudence et allocutions à la Rote contribuent à orienter les tribunaux Voir les fichiers
Allocutions à la Rote: OAR 1 et Sentences Rotales

C'est dans cette optique réaliste que doit aussi être comprise la valeur des interventions du Magistère ecclésiastique sur les questions juridiques matrimoniales, y compris les discours du Pontife Romain à la Rote romaine. Ils constituent une orientation directe pour l'œuvre de tous les tribunaux de l'Eglise, dans la mesure où ils enseignent de manière faisant autorité ce qui est essentiel à propos de la réalité du mariage. Mon vénéré prédécesseur Jean-Paul II, dans son dernier discours à la Rote, mit en garde contre la mentalité positiviste dans la compréhension du droit, qui tend à séparer les lois et les orientations de la jurisprudence de la doctrine de l'Eglise. Il affirma: "En réalité, l'interprétation authentique de la Parole de Dieu, accomplie par le magistère de l'Eglise possède une valeur juridique dans la mesure où elle concerne le domaine du droit, sans avoir besoin d'aucun autre passage formel supplémentaire pour devenir juridiquement et moralement contraignante. Pour une saine herméneutique juridique, il est ensuite indispensable de saisir l'ensemble des enseignements de l'Eglise, en plaçant de façon organique chaque affirmation dans le cadre de la tradition. De cette façon, on pourra échapper aussi bien à des interprétations sélectives et déviantes qu'à des critiques stériles de certains passages" Allocution de 2005 .

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Prière, Droit et Actes judiciaires


Le présent centenaire est destiné à aller au-delà d'une commémoration formelle. Il devient l'occasion d'une réflexion qui doit fortifier votre engagement en le vivifiant par un sens ecclésial de la justice toujours plus profond, qui est un véritable service à la communion salvifique. Je vous encourage à prier quotidiennement pour la Rote romaine et pour tous ceux qui œuvrent dans le domaine de l'administration de la justice dans l'Eglise, en ayant recours à l'intercession maternelle de la Très Sainte Vierge Marie, Speculum iustitiae. Cette invitation pourrait sembler purement pieuse et étrangère à votre ministère: en revanche, nous ne devons pas oublier que dans l'Eglise tout s'accomplit à travers la force de la prière, qui transforme toute notre existence et nous remplit de l'espérance que Jésus nous apporte. Cette prière, inséparable de l'engagement quotidien, sérieux et compétent, apportera lumière et force, fidélité et renouveau authentique dans la vie de cette vénérable Institution, à travers laquelle, ad normam iuris, l'Evêque de Rome exerce sa sollicitude primatiale pour l'administration de la justice au sein du Peuple de Dieu tout entier. C'est pourquoi ma Bénédiction d'aujourd'hui, pleine d'affection et de gratitude, veut embrasser aussi bien vous tous qui êtes ici présents, que ceux qui servent l'Eglise et les fidèles dans ce domaine dans le monde entier.



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A la Rote 1939-2009 601