Bernard sermons 2050


ÉPIPHANIE

PREMIER SERMON POUR LE JOUR DE L'ÉPIPHANIE DE NOTRE-SEIGNEUR.

Sur ces paroles de l'Apôtre : « La bonté de Dieu notre Sauveur et son humanité ont paru dans le monde: » et sur les trois apparitions de Jésus-Christ.

2051 (Tt 3,4)

1. La bonté de Dieu notre Sauveur et son humanité ont paru dans le monde (Tt 3,14). ».Grâces soient rendues à Dieu par qui nous recevons une si abondante consolation dans notre voyage, au sein de l'exil et au milieu de nos misères. Car nous avons soin de vous rappeler bien souvent, afin que vous ne l'oubliiez pas, que nous sommes des voyageurs sur la terre, des exilés de la patrie, des hommes dépouillés de leur héritage; car quiconque n'a point gémi sur son sort ne sera jamais consolé. Quiconque ne sent point la nécessité d'être consolé ne saurait espérer la grâce de Dieu (a). Aussi, les gens du monde, absorbés tout entiers par une multitude d'affaires et dé désordres, ne s'aperçoivent point de leur misère et ne recherchent point la miséricorde. Mais vous, à qui il n'a pas été dit en vain : « Arrêtez-vous et voyez que je suis le Seigneur de toutes douceurs (Ps 45,11), » vous, à qui le même Prophète disait encore : « Le Seigneur fera connaître à son peuple la puissance de ses oeuvres (Ps 110,6) : » vous, dis-je, que les occupations du siècle ne captivent plus, remarquez combien est grande la consolation spirituelle. Vous, qui n'ignorez point que vous êtes en exil, apprenez que le secours vient du ciel, « car la bonté de Dieu notre Sauveur et son humanité ont paru dans ce monde. » Tant que son humanité ne parut point, sa bonté demeura cachée, attendu que celle-ci existait avant celle-là puisque la miséricorde du Seigneur est éternelle. Mais comment pouvait-elle être connue dans toute sa grandeur ? Elle était promise mais on ne le sentait point encore, et voilà pourquoi tant d'hommes en doutaient. Dieu avait parlé autrefois en diverses occasions et en diverses manières par la bouche des prophètes (He 1,1), il avait dit : « Mes pensées sont des pensées de paix, non d'affliction (Jr 29,11). » Que répondait l'homme qui né ressentait que son affliction et ignorait les douceurs de la paix ? Il disait à Dieu jusques à quand nous direz-vous : « La paix, la paix, lorsqu'il n'y a point de paix (Ez 13,10)? » Aussi les anges de paix versaient-ils des larmes amères en s'écriant : « Seigneur, qui est-ce qui croira nos paroles (Is 33,7) ? » Mais que les hommes en croient du moins leurs propres yeux maintenant, car « les témoignages de Dieu sont très-dignes de créance (Ps 92,5). » Et, afin qu'elle ne pût échapper à ses regards, « Dieu a dressé sa tente en plein soleil (Ps 17,5). »

2052 2. Or, voici maintenant la paix non plus promise simplement, mais envoyée; non plus différée, mais donnée; non plus prophétisée, mais présentée. Voici que Dieu a envoyé sur la terre comme le trésor même de sa miséricorde, ce trésor, dis-je, dont la passion doit briser l'enveloppe, pour en répandre le pria de notre salut qui y est caché;

a Saint Bernard vent dire que ceux qui ne sentent point leur misère ne recevront point la grâce de Dieu, parce qu'il ne la donne qu'à ceux qui la demandent; de plus elle ne se conserve que dans ceux qui craignent de la perdre. (Voir plus loin le premier sermon de saint Bernard pour le jour de l'octave de l'Epiphanie, n. 5, et le deuxième sermon pour le même jour, n. 8.) On peut consulter aussi le premier sermon sur la psaume quatre-vingt-dixième, n. 1, ainsi que le cinquième sermon pour le jour de la race de l'Eglise, n. 8, où notre saint s'exprime ainsi : « Ne point voir sa propre est un obstacle à la miséricorde, et la grâce ne se répand point là où on présume de son mérite. » (Voir encore la livre I de la Vie de saint Bernard, n. 36 et 37.)

pour être, peu volumineux, il n'en est pas moins rempli, car si ce n'est qu'un tout petit enfant qui nous a été donné, en lui habite toute la plénitude de la divinité. Dans la plénitude des temps est donc venue la plénitude, de la divinité. Elle est venue dans la chair afin d'être visible par des yeux de chair, et, afin qu'à la vue de son humanité, on reconnût sa bonté; car si ce dès que l'humanité,de Dieu apparaît, il n'est plus possible de doutes de sa bonté. Comment, en effet, aurait-il pu nous mieux signaler sa bonté, qu'en prenant notre chair, notre chair, dis-je, non point celle qu’Adam eut, avant son péché? Est-il rien qui prouve mieux sa miséricorde que de voir qu'il a pris, notre misère? Enfin où trouver un amour plus plein, que dans le fait du Verbe même de Dieu se faisant pain pour nous ? « Seigneur, qu’ est-ce que l'homme pour faire tant de cas,de lui, et pour que votre coeur, s'attache à lui (
Jb 7,17) ? » Que l’homme apprenne, par là, quel soin Dieu prend de lui, quel bien il lui rend dans sa pensée, et quels sentiments il nourrit à son égard. Ne te demande point, ô homme, ce que tu souffres, mais ce qu'il, a souffert. Reconnais quel cas il fait de toi, par ce qu'il est devenu pour toi afin que tu pusses, en voyant son humanité, te convaincre de sa bonté. En effet, plus il s'est fait petit en se faisant homme, plus il s'est montré grand en amour, et, plus il s'est fait humble pour moi, plus il est digne de mon amour. « La bonté de Dieu notre Sauveur et son humanité nous ont apparu, » disait l'Apôtre. Oui elles ont apparu, mais immenses, mais manifestes ! ce qui a rendu la preuve de sa bonté plus grande encore, c'est le nom de Dieu qu’il a voulu ajouter à son humanité.

2053 3. Car l’ange Gabriel, qui fut envoyé à Marie, lui parle du fils de Dieu, mais ne le nomme point. Dieu. Béni donc soit Dieu qui a trouvé parmi nous, et pour nous, un ange de notre race qui suppléât ce que l'ange du ciel avait omis, Car le nôtre avait aussi l'esprit de Dieu, et c'est dans cet esprit qu'il nous a annoncé :ce qu'il nous importait tant de savoir. Est-il, en effet, quelque chose qui fonde la foi, fortifie l'espérance et enflamme la charité comme l'humanité de pieu? Mais ce que les autres anges n'ont point dit, c'est le notre qui devait le dire. Il ne convenait point que tous les anges annonçassent toutes choses, car, il fallait que nous eussions le plaisir, d'apprendre une chose des uns et une autre des autres, et que nous eussions des actions de grâces à rendre à chacun. Pourtant, il y a un nom que les anges et l'Apôtre s'accordent à lui donner, c'est celui de Sauveur. En s'adressant à Marie qui était plus complètement instruite que lui par le Saint-Esprit, Gabriel se contente de lui indiquer le nom du Sauveur; « vous lui donnerez le nom de Jésus (Lc 1,31). » Mais lorsqu'il s'adresse à Joseph, il lui explique la signification de ce nom : « Vous lui donnerez le nom de Jésus, parce que ce sera lui qui sauvera son peuple (Mt 1,21). » De même aux, bergers, la grande nouvelle qui leur est annoncée, c'est qu'il leur est né un Sauveur, le Seigneur Christ. Saint Paul s'exprime à peu près de la même manière quand il dit : « La bonté et l'humanité du Sauveur notre Dieu ont paru (Tt 3,6). » C'est un nom d'une grande douceur, et nul n'a négligé de le prononcer, attendu qu'il m'était bien nécessaire de l'entendre. Autrement qu'aurai-je fait en apprenant que le Seigneur venait? Ne me serais-je point enfui, comme Adam qui voulait éviter sa présence et ne put y réussir ? Ne tomberais-je point dans le désespoir, en apprenant l'arrivée de celui dont j'ai si souvent violé la loi, de la patience. de qui j'ai tant abusé, dont j'ai si mal reconnu les bienfaits? Quelle plus grande consolation pourrait-il y avoir pour moi que d'entendre un nom plein de douceur et de consolation? Aussi entendez-le lui-même dire que « le Fils n'est pas venu pour juger le monde, mais, pour que le monde fût sauvé par lui (Jn 3,17). » Alors je m’approche avec confiance, je prie, l'espérance dans l’âme. En effet, que craindrais-je quand celui qui vient dans ma demeure est le Sauveur? Je n'ai péché que contre lui, s'il me pardonne tout sera oublié, d'autant plus qu'il peut faire tout ce qu'il lui plait il est Dieu, s’il me justifie, qui est-ce qui me condamnera? Qui est-ce qui osera élever la voix contre les élus de Dieu (Rm 8,33)? Il faut donc nous réjouir de ce qu'il est venu chez nous, car il se montrera facile à pardonner.

4. Après tout il est tout petit enfant, il sera donc bien facile de l'apaiser: Qui ne sait que les enfants pardonnent aisément? Et s'il n'est pas venu à nous pour peu de chose, cependant il faut bien peu de chose pour nous réconcilier avec lui ; mais si peu que ce soit de ne saurait pourtant pas être moins que la pénitence, après tout n'est-ce que notre pénitence, sinon infiniment peu de chose? Nous sommes pauvres, nous ne pouvons donner que peu; mais ce peu, si nous le voulons, suffit pour nous réconcilier. Tout ce que je puis donner, c'est ce misérable corps, mais si je le donne, il suffit; sinon j'ajoute son propre corps au mien, en effet il est du même sang que moi, il est à moi. Car cet « enfant est né pour nous, ce fils a été donné à nous (Is 9,6). » Seigneur, je supplée par vous à ce qui me manque. O réconciliation d'une incomparable douceur ! O satisfaction infiniment agréable ! O réconciliation vraiment facile mais infiniment utile ; satisfaction vraiment petite mais non de peu de prix ! Mais plus elle est facile aujourd'hui, plus elle sera difficile demain, et si maintenant il n'est personne qui ne puisse se réconcilier, bientôt il n'y aura plus personne qui le pourra, car, de même que la bonté du Sauveur s'est montrée au delà de toute espérance, au delà de tout ce que les hommes pouvaient imaginer, ainsi pouvons-nous nous attendre à un jugement dune sévérité pareille à ce que fut sa bonté. Gardez-vous donc bien de mépriser la miséricorde de Dieu si vous ne voulez point ressentir sa justice, ou plutôt sa colère, son indignation, sa violence ou sa fureur. Seigneur, ne me reprenez point dans votre fureur, et ne me châtiez pas dans votre colère (Ps 6,1). Pour que vous n'ignoriez point quelle sera la sévérité du jugement futur, il a commencé par vous en donner une idée dans la grandeur de sa miséricorde qui, le précède; jugez donc de la grandeur de la vengeance par la grandeur de l'indulgence. Dieu est immense, sa justice comme sa miséricorde est infinie, il est riche en pardon, riche en vengeance ; mais la miséricorde a. pris le devant, afin que, si nous le voulons, la sévérité du jugement n'ait plus le motif de sévir. Il a donc donné le pas à sa bonté, afin que réconciliés par elle, nous pussions considérer sans crainte sa sévérité. Voilà pourquoi il voulut non-seulement descendre sur la terre, mais s'y faire connaître; non-seulement y naître, mais y être connu.

5. Après tout, c'est à cause de cette manifestation que ce jour est célèbre pour nous, sous le nom de jour de l'apparition. En effet, c'est aujourd'hui que les Mages sont venus de l'Orient à la recherche du soleil de justice qui venait de se lever, de celui dont il est écrit : « Voilà l'homme qui a pour nom Orient (Za 6,12). » C'est aujourd'hui qu'ils ont adoré l'enfantement nouveau d'une vierge, après avoir suivi la route que leur indiquait un astre nouveau. N'y a-t-il point là encore pour nous une grande consolation, de même que dans le mot de l’Apôtre dont je vous ai entretenus ? Celui-ci la nommé Dieu; et ceux-là lui donnent le même titre sinon de bouche, du moins par leurs actions. Que faites-vous, ô Mages, que fais-vous? Vous adorez un enfant à la mamelle, dans une vile étable, et caché sous de vils langes? Est-ce que vous voyez Dieu en lui ? Si c'était un Dieu ne serait-il point dans son temple; le Seigneur, mais c'est dans les cieux qu'il habite : et vous venez, le chercher, dans une vile étable, sur le sein d'une mère? Que faites-vous, encore une fois, et pourquoi lui offrez-vous de l’or ? Est-il donc roi aussi ? Mais où est sa cour royale, où est son trône, où est la foule de ses courtisans ? Faut-il prendre une étable pour la cour d'un roi, une crèche pour son trône, Joseph et Marie pour tous courtisans? Comment des hommes aussi, sages ont-ils pu perdre le sens au point d'adresser leurs adorations à un tout petit enfant, que son âge et la pauvreté de ses parents contribuent à rendre méprisable? Ils ont perdu le. sens, c'est vrai, mais c'est pour le recouvrer, et le Saint-Esprit leur a appris avant tout autre ce que l'Apôtre n'a annoncé que plus tard, c'est, que : « Si quelqu'un parmi vous veut être sage, qu'il devienne insensé et il deviendra sage (1Co 1,21). » N'y avait-il pas lieu de craindre, mes frères, que ces hommes ne se scandalisassent et ne se crussent mystifiés en voyant tant de choses indignes d'un Dieu et d'un roi? De la capitale d'un royaume où ils présumaient qu'ils devaient chercher le roi, ils sont envoyés à Bethléem, dans une misérable petite bourgade ; ils entrent dans une étable et y trouvent un enfant enveloppé de langes. Cette étable ne les choque point, ces langes ne les offusquent point, et cet enfant à la mamelle ne les scandalise point; ils se prosternent, ils le saluent comme un roi, et l'adorent comme un Dieu; sans douté c'est que celui qui les a conduits là les a instruits en même temps; sans doute celui qui les a avertis extérieurement par une étoile, les a aussi intérieurement éclairés. Le Seigneur en se manifestant ce jour-là l'a donc rendu céleste; et les Mages, parleurs respect leur dévotion, en ont fait un jour de dévotion et de respects.

2054 6. Mais nous ne célébrons point que cette manifestation aujourd'hui il en est encore une autre que nous avons appris de nos pères à célébrer encore. Bien qu'elle soit séparée par un long laps de temps de la première, cependant on croit qu'elle eut lieu le même jour. Jésus ayant accompli sa trentième année dans la chair (car en tant que Dieu il est toujours le même et ses années ne marchent point vers leur déclin), il se présenta au baptême de Jean au milieu d'un grand concours d'hommes de sa nation. Il y vint comme un homme du peuple, lui qui seul était sans péché. Qui l'aurait pris alors pour le Fils de Dieu ? Qui aurait pensé qu'il était le Seigneur de majesté ? O Seigneur, comme vous vous humiliez profondément! Vous vous cachez bien bas, mais vous ne pouvez demeurer inconnu à Jean. N'est-ce pas lui qui du fond du sein maternel, avant même d'avoir vu le jour, vous reconnut, bien que vous ne fussiez pas encore né non plus? N'est-ce pas lui qui vous reconnut à travers la double enveloppe du sein de sa mère et du sein de la vôtre? Comme il ne pouvait alors s'adresser à la foule, il instruisait du moins sa mère de votre présence par un tressaillement de joie. Mais aujourd'hui que se passe-t-il? l' Evangéliste nous le dit : « Jean le vit venir et il dit : voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui ôte les pêches du monde (Jn 2,29). » Oui, c'est bien un agneau , c'est bien lui plein d'humilité, lui plein de douceur. « Voici, dit-il, l'Agneau de Dieu, celui qui ôte les péchés du monde. » C'est-à-dire voici celui qui ;va effacer nos iniquités et purifier notre cloaque. Mais nonobstant ce témoignage il veut être baptisé de la main de Jean. Celui-ci n'ose céder à ses voeux, qui peut s'en étonner? Oui, qu'y a-t-il d'étonnant qu'un homme tremble et n'ose point toucher au chef saint d'un Dieu, à cette tête que les Anges adorent, que les puissances vénèrent, que les principautés ne considèrent qu'avec crainte? Eh quoi, Seigneur Jésus, vous- voulez être baptisé? Pourquoi cela, Seigneur, et quel besoin avez-vous du baptême? Est-ce que l'homme qui est en bonne santé a besoin de médecin, et celui qui est pur a-t-il besoin de se purifier encore ? D'où vous viendrait donc le péché pour avoir besoin du baptême? Est-ce de votre père? Vous en avez un, je le sais, mais ce père est Dieu, vous lui êtes égal, car vous êtes Dieu de Dieu, lumière de lumière. Or, qui ne sait que le péché ne peut se trouver en Dieu ? Est-ce de votre mère, car vous avez aussi une mère, mais cette mère est vierge. Je me demande quel péché vous pouvez tenir d'elle, puisqu'elle vous a conçu sans péché et vous a mis au monde sans perdre sa virginité? Quelle tâche peut se trouver dans l'Agneau immaculé? « C'est moi plutôt, dit Jean, qui dois être baptisé par vous, et vous venez à moi» Des deux côtés l'humilité est grande, mais il n'y a pas de comparaison entre celle de l'un et celle de l'autre. En effet, le moyen pour un homme de ne point s'humilier en présence d'un Dieu qui est humble ? « Laissez-moi faire pour le moment, dit le Seigneur, car c'est ainsi qu'il convient que nous accomplissions toute justice (Mt 3,15). » Jean céda et obéit; il baptisa l’Agneau de Dieu, il purifia l’eau. C'est nous qui avons été lavés, n'est pas lui, car nous savons que c'est pour nous purifier, que les eaux ont été purifiées elles-mêmes.

7. Mais peut être ne vous en rapporterez-vous point entièrement au témoignage de Jean, attendu qu'après tout, il est homme et par conséquent sujet à caution, d’autant plus qu'il est proche parent de celui à qui il rend témoignage. Eh, bien! voilà un témoignage plus imposant, que celui, de Jean, c'est le témoignage de la colombe qui vient se reposer:sur Jésus-Christ. Or ce n'est pas sans raison que pour désigner l'Agneau de Dieu, c'est une colombe qui arrive attendu qu'il n'est point d'être qui convienne mieux à l'agneau que la colombe. Ce qu'est l'agneau parmi les animaux, la colombe l’est parmi les oiseaux. L'un et l'autre sont d'une parfaite innocence , d'une très-grande douceur et d’une extrême simplicité. Est-il rien de plus éloigné de toute malice qu’un agneau et qu'une colombe? Ils ne sauraient nuire à personne, ils ne savent point ce que c'est que de faire du mal. N'allez pas croire que tout cela s’est passé par hasard , le témoignage de Dieu le Père vous détromperait: Le Dieu de toute majesté fit retentir son tonnerre, le Seigneur s'est fait entendre sur les grandes eaux (Ps 28,3). « Au même instant on entendit une voix du ciel qui dit: celui-ci est : mon Fils bien-aimé en qui j'ai. mis toutes mes complaisances (Mt 3,17). » En effet, Jésus est bien celui en qui rien ne déplaît au Père, rien ne choque les regards de sa majesté. Aussi dit-il lui-même : « Je fais toujours ce qui lui plaît. Ecoutez-le (Jn 8,29), » dit-il. A vous maintenant, Seigneur Jésus, à vous de parler. Jusques à quand ferez-,vous comme si vous n'entendiez point? Vous ne vous êtes tu que trop longtemps, oui trop longtemps; mais à présent votre Père vous permet de parler. Combien de temps vertu, sagesse de Dieu, demeurerez-vous cachée dans la foule comme un homme faible et dépourvu de sagesse? Combien de temps encore, noble Roi, Roi du ciel, souffrirez-vous qu'on vous croie et qu'on vous. appelle le ils du charpentier? Car saint Luc nous apprend qu'alors encore il passait pour être le fils de Joseph (Lc 3,23). » O humilité, vertu du Christ, ô sublime humilité ! Comme vous confondez notre orgueil et notre vanité ! J'ai une ombre de savoir à peine, ou plutôt je me figure que je l'ai, et je ne puis plus me taire, je me produis et me fais valoir avec autant d'imprudence que d'impudence, j'ai hâte de parler, je suis aussi avide d'instruire les autres que lent à les écouter. Est-ce que Jésus, quand il gardait si longtemps le silence et se tenait caché, redoutait la vaine gloire? Pourquoi aurait-il appréhendé la vaine gloire lui qui est la vraie gloire du Père? Et pourtant il la craignait, mais non pour lui. Il la craignait pour nous, à qui il savait qu'elle était redoutable. C’est nous qu'il voulait prémunir, nous encore qu'il voulait instruire. Il gardait le silence des lèvres, mais il nous parlait par ses oeuvres, et, ce qu’il nous apprit plus tard par ses leçons, en disant : apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur (Mt 11,29), » il nous l'enseignait dès lors par ses exemples. En effet, nous ne savons que peu de choses de son enfance, et, depuis son enfance jusqu'à l’âge de trente ans, il n'est plus parlé de lui. Mais à présent il ne peut plus demeurer caché, car son Père fa trop clairement montré à tous les yeux. Mais dans sa première manifestation même il voulut se montrer en la société de la Vierge Marie parce que la virginité de sa mère est encore une leçon de réserve.

2055 8. Nous trouvons dans l'Evangile sa troisième manifestation dont nous célébrons également aujourd'hui le souvenir. Il était invité aux noces de Cana; là, le vin étant venu à manquer, il compatit à l'embarras des époux et changea l'eau en vin: «Ce fut, dit l’Evangéliste, le premier de ses miracles (Jn 2,11). » Ainsi dans la première manifestation, il montre le vieil homme en lui, car c'est sous la forme d'un enfant suspendu aux mamelles de sa mère qu'il a apparu : dans la seconde, le témoignage de son Père montre en lui le vrai Fils de Dieu; et dans la troisième, il se montre lui-même vraiment Dieu en changeant la nature à son gré. Ce sont là, autant de preuves qui confirment aujourd'hui notre foi, autant de démonstrations qui fortifient notre espérance, autant de motifs qui enflamment notre amour.



DEUXIÈME SERMON POUR LE JOUR DE L'ÉPIPHANIE DE NOTRE-SEIGNEUR.

Sur les Mages, à l'occasion de ce passage du Cantique des cantiques « Sortez de vos demeures, filles de Sion, et voyez le roi Salomon. »

2056 (Ct 3,10)

1. Nous lisons que le Seigneur s'est manifesté trois fois le même jour, sinon à la même époque. La seconde et la troisième fois il le fit d'une manière admirable, mais sa première manifestation est la plus admirable de toutes. Je trouve admirable le changement de l'eau en vin, admirable encore le témoignage de Jean, de la colombe et du Père; mais ce qui m'inspire plus d'admiration encore, c'est qu'il fut reconnu par les Mages. Or, ils l'ont reconnu, la preuve en est qu'ils l’adorèrent et lui offrirent de l’encens. Non-seulement ils reconnurent en lui un Dieu, mais aussi un roi, comme le prouve for qu'ils lui présentèrent. Toutes ces offrandes cachent pour eux un grand mystère de charité, aussi lui offrent-ils de la myrrhe pour indiquer sa mort. Les Mages adorent donc un enfant à la mamelle et lui offrent des présents. Mais, ô Mages, où donc voyez-vous la pourpre royale autour de cet enfant ? Est-ce dans ces pauvres langes dont il est enveloppé ? Si cet enfant est roi, où donc est son diadème? Pour vous, vous le voyez effectivement avec le diadème dont sa mère l'a couronné, je veux parler de cette- enveloppe mortelle dont il dit lui-même en ressuscitant : « Vous avez déchiré le sac dont j'étais vêtu, et vous m'avez environné de joie (Ps 29,12). » Sortez donc de vos demeures, filles de Jérusalem, et venez voir le roi Salomon qui parait avec le diadème dont sa mère l'a couronné, etc. (Ct 3,10). » Oui sortez, vertus angéliques, habitants de la Jérusalem céleste, voici votre roi, mais paré de notre couronne, du diadème dont sa mère lui a ceint le front. Mais vous avez jusqu'à ce jour ignoré ces délices, jusqu'à ce jour vous n'avez point goûté ce bonheur. Vous connaissez bien sa grandeur, vous avez maintenant son abaissement sous les yeux; sortez donc de vos demeures et venez voir votre roi Salomon qui paraît avec, le diadème .dont sa mère l'a couronné.

2. Mais il n'est pas nécessaire que nous les y invitions , ils ressentent eux-mêmes le désir de le contempler. Car plus sa grandeur leur est connue, plus son abaissement leur semble aimable et précieux; voilà pourquoi, bien que nous ayons encore plus de sujets qu'eux de nous réjouir,puisque c'est pour nous qu'il est né, et à nous qu'il est donné, ce sont eux cependant nous préviennent et nous exhortent à le voir. J'en vois la preuve dans le fait de l'ange qui annonce la bonne et grande nouvelle aux bergers, et dans les chants de l'armée céleste qui était avec lui (Lc 3,16). C'est: donc à vous, âmes mondaines, que je m'adresse quand je dis filles de Sion; 'est,à vous qui êtes des filles délicates et faibles plutôt que des fils, car la force vous manque et vous n'avez rien de viril en vous, que je dis : « Sortez de votre demeure, filles de Sion. » Sortez de vos sentiments charnels pour vous élever vers l'intelligence de l’esprit, de la servitude, de la concupiscence de la chair, pour rester dans la liberté de l'intelligence de l'esprit. Sortez de votre pays, de votre parenté et de la demeure de votre père « et venez voir votre roi Salomon. »D'ailleurs il ne serait pas sûr pour vous de voir en lui l'Ecclésiaste, car qui dit Salomon, dit pacifique. Or il est Salomon dans l'exil (a); mais qui dit Ecclésiaste dit harangueur de la foule, or il le sera au jugement dernier; qui dit Idite, dit ami du Seigneur, il ne le sera que dans son royaume. Dans l'exil il est doux et aimable; au jugement dernier il sera juste et terrible, et dans le royaume, il sera glorieux et admirable. Sortez donc de vos demeures, et venez voir votre roi Salomon,,car partout il porte sa royauté. Son royaume n'est pas de ce, monde, il est vrai, mais il n'en est pas moins roi dans ce monde. En effet, quand on lui dit : «Vous êtes donc roi? Je le suis, répondit-il, et c'est- pour cela que je suis né et que je suis venu dans le monde (Jn 18,37). » Maintenant donc il règle nos moeurs, au jugement dernier il discernera nos mérites, et dans son royaume il les récompensera.

2057 3. Sortez donc de vos demeures, filles de Sion, et venez voir votre roi Salomon qui parait avec le diadème dont sa mère l'a couronné, le diadème de la pauvreté, la couronne de la misère. Car il a reçu de

a. Depuis cet endroit jusqu'à ta fin. du paragraphe, saint Bernard continue dans-les mêmes termes qu'il s'exprimera dans le cinquantième de ses sermons divers.

sa marâtre une couronne d'épines, une couronne de misère. Mais il en recevra une de justice de la main des siens, le jour où les anges iront arracher tous les scandales du milieu de son royaume, alors qu'il viendra pour juger avec les anciens de son peuple, et que l'univers entier se déclarera pour lui contre les insensés. Son Père le gratifie d'une couronne de gloire, selon ce mot du Psalmiste : « Vous lui avez donné une couronne de gloire et d'honneur (
Ps 8,6). » Venez donc le contempler, filles de Sion, sous le diadème dont l'a couronné sa mère. Prenez la couronne de votre roi devenu petit enfant pour vous, et, avec les Mages, adorez son abaissement; car leur foi et leur dévotion vous sont aujourd'hui proposées en exemple. A qui, en effet, comparerons-nous, à qui assimilerons-nous ces hommes aujourd'hui? Si je considère la foi du bon larron et la confession du centurion, il me semble que les Mages l'emportent sur tous les deux, attendu que pour ceux-ci déjà il avait fait bien des miracles, déjà il avait été annoncé par bien des bouches, déjà même il avait reçu les adorations de bien des gens. Remarquons néanmoins quel fut le langage de ces deux hommes. Le bon larron s'écriait du haut de la croix : « Seigneur, souvenez-vous de moi, lorsque vous serez arrivé dans votre royaume (Lc 22,42). » Le supplice de la, croix serait-il la voie qui le conduit à son royaume? Qui donc t'a appris qu'il fallait que le Christ souffrit pour entrer dans sa gloire? Et toi, centurion, où as-tu appris à le connaître? L'Évangéliste nous dit que : « En voyant qu'il avait expiré en jetant ce grand cri, il s'écria : certainement cet homme était le Fils de Dieu (Mc 15,39). » Chose étrange et bien digne d'admiration!

2058 4. Aussi vous dirai-je, voyez et remarquez quels yeux perçants, quels yeux de lynx a la foi. Elle voit le Fils de Dieu dans un enfant à la mamelle, elle le voit dans un homme attaché à la croix, enfin elle le voit dans un mourant En preuve, c'est que le centurion le reconnut sur la croix et les mages dans une étable: l'un le reconnaît malgré ses clous; les autres, malgré ses langes; celui-là reconnaît la Vie dans la mort, ceux-ci la vertu de Dieu dans le faible corps d'un nouveau-né; le premier, l'Esprit suprême dans un dernier soupir; les seconds, le Verbe de Dieu dans un muet enfant; car ce que l'un confesse par ses paroles, les autres le confessent par leurs présents. Le bon larron confesse le roi, et le centurion, le Fils de Dieu et de l'homme en même temps. Mais que signifient les trois présents des Mages? Leur encens ne montre-t-il point qu'ils reconnaissent en Jésus non moins un Dieu que le fils de Dieu? Aussi, mes frères bien-aimés, je demande à Dieu que l'immense charité que le Dieu de toute majesté nous a témoignée, vous profite, ainsi que le profond abaissement auquel il s'est soumis, et l'immense bonté que le Christ nous a montrée par son abaissement. Rendons grâce au Rédempteur, notre médiateur, qui nous a fait connaître l'extrême bonne volonté de Dieu le Père à notre égard; car nous savons si bien quelles sont ses dispositions à notre égard, que nous pouvons dire avec raison : « Nous courrons, mais non pas au hasard (1Co 9,26). » Nous ne pouvons douter, en effet, que le coeur de Dieu le Père ne soit à notre égard dans les dispositions où nous l'a montré celui même qui est sorti de son coeur.


TROISIÈME SERMON POUR LE JOUR DE L'ÉPIPHANIE DE NOTRE SEIGNEUR.

Sur ce passage de l’Évangile : « Où est le roi des Juifs qui est nouvellement né ? »

2059 (Mt 2,2)

1 Mes frères, je crois nécessaire de vous exposer, selon ce que j'ai coutume de faire les autres jours de fête le sens de la solennité d'aujourd'hui. Quelquefois je parle contre les vices, ce genre de sermons est très utiles mais il me paraît mieux convenir aux autres jours qu'à celui-ci. Les jours de fête et surtout dans nos plus grandes solennités, il vaut mieux s’appliquer dans les sermons à instruire et à toucher. Comment, en effet, pourriez-vous célébrer ce que vous ne connaîtriez point, et comment connaîtriez-vous ce dont on ne vous parle point? Que ceux donc qui sont versés dans la connaissance de la loi, nous permettent de nous mettre à la portée de ceux qui le sont peu, comme l'exige la loi de la charité. D'ailleurs je ne bois pas qu'ils soient privés de nourriture , parce qu'ils voudront bien servir des mets un peu moins recherchés aux âmes un peu moins instruites, comme on pourrait le faire pour le simple peuple. Or, c'est ce qu'ils feront si dans , une pensée de charité fraternelle, ils se contentent de ce que réclament les personnes moins instruites, quoique peut-être ce ne soit pas aussi nécessaire pour eux. Ils pourront ensuite ramasser les restes, et repasser dans leur esprit avec attention et ruminer comme font les animaux purs, tout ce qui aura pu échapper, à cause de sa subtilité, aux esprits peu cultivés.

2. La solennité de ce jour tire donc son nom d'un mot qui signifie manifestation, car ce mot épiphanie n'a pas d'autre sens. C'est donc aujourd'hui la manifestation de Notre-Seigneur, non pas d'une seule, mais d'une triple manifestation, selon ce que nos pères nous ont appris En effet, c'est aujourd'hui que notre Roi, encore tout petit enfant, s'est manifesté peu de jours après sa naissance, aux premiers des, gentils, qu'une étoile avait amenés jusqu'à lui. C'est également en ce jour, que Jésus ayant accompli sa trentième année dans la chair, car en tant que Dieu, il est toujours le même et ses années ne marchent point vers leur déclin, il vint au Jourdain, confondu dans la foule des gens de sa nation pour être baptisé, et que le témoignage de Dieu, son Père, le fit connaître aux hommes. C'est également aujourd'hui que, se trouvant, avec ses disciples, invité à des noces où le vin a manqué, il a changé l'eau en vin par un miracle admirable de sa puissance. Mais je préfère considérer plus particulièrement la manifestation qui s'est faite dit Sauveur pendant les premiers jours de son enfance, parce qu'elle est remplie d'une très grande douceur, et que d'ailleurs c'est celle qui est le principal objet de cette fête.

2060 3. C'est donc aujourd'hui, comme nous l'avons vu dans l'Evangile, que les Mages vinrent à Jérusalem du fond de l'Orient. Il est bien juste sans , doute que ceux qui viennent nous apprendre le lever du Soleil de justice, et remplir le monde entier de l'annonce de l'heureuse nouvelle, nous arrivent de l'Orient. Par malheur la Judée infortunée qui haïssait la lumière, se voile la face à l'éclat de cette clarté nouvelle et voit ses yeux malades se fermer au lieu de s'ouvrir aux brillants rayons du Soleil éternel. Mais écoutons le langage des mages arrivés de l'Orient: «Où est le Roi des Juifs nouvellement né (Mt 2,2) ? »Quelle foi assurée, quelle absence d'hésitation et de doute! Ils ne s'inquiètent point s'il est né, mais pleins d'une complète certitude et tout à fait étrangers au doute, ils demandent où est le Roi des Juifs qui vient de naître. A ce mot de roi, Hérode se figure qu'il va avoir un successeur et il est saisi de crainte. Ne nous étonnons point de son trouble, mais étonnons-nous bien plutôt de voir Jérusalem, la cité de Dieu, dont le nom signifie la vision de la paix, partager le trouble d'Hérode. Voyez, mes frères, quel mal peut faire un pouvoir unique, comment un chef ;impie fait partager son impiété à ses sujets. O la malheureuse ville que celle où règne Hérode ; elle ne saurait demeurer étrangère à, la malice d'Hérode, et ne point partager le trouble qu'il éprouva à la nouvelle de la naissance du Sauveur. J'espère bien, avec la grâce de Dieu, qu'il ne régnera jamais sur nous, ce dont Dieu nous préserve. C'est partager la malice d'Hérode et la cruauté de Babylone, que de vouloir étouffer un ordre naissant et briser contre la pierre les jeunes enfants d'Isaac. Il est évident, en effet, que lorsqu'il parait quelque chose qui peut aider au salut, ou t quelque ordre nouveau, quiconque y' fait de l'opposition, et le combat, est du nombre de ces Egyptiens qui voulaient éteindre la race d'Israël, je dis plus, c'est un allié d'Hérode qui persécute le Sauveur naissant. Mais revenons à notre histoire, car je suis convaincu que s'il y a quelqu'un qui se, trouve dans ce cas, il veillera désormais sur lui-même avec le plus grand soin, détestant du fond de l’âme les sentiments d'Hérode, afin de, ne point partager son sort.

4. Comme les Mages s'informaient du Roi des Juifs, et comme Hérode de son côté s'informait auprès des scribes du lieu où devait naître le Seigneur, ceux-ci lui firent connaître le nom de la ville qu'avait indiquée le Prophète. Lorsque les plages se furent éloignés, après avoir quitté les Juifs, « voilà que l'étoile qu'ils avaient vue en Orient, marchait devant eux. » Ces paroles nous donnent assez clairement à entendre qu'ils cessèrent d'avoir Dieu pour guide tant qu'ils s'enquirent auprès des hommes; car le signe céleste leur fit défaut dès l'instant qu'ils se mirent en quêté de renseignements humains. Mais à peine ont-ils quitté Hérode qu'ils sont remplis d'une grande joie, car l’étoile leur apparut marchant devant eux jusqu'à ce qu'étant arrivée au dessus de l’endroit , où était l'enfant, elle s'arrêta: « Entrant alors dans la maison, ils trouvèrent l'Enfant avec Marie sa mère, et, se prosternant, ils l'adorèrent (Mt 2,11). » O étrangers, d'ou vient que vous agissez ainsi ? Nous n'avons point vu de foi pareille dans Israël. Ainsi la triste apparence de cette étable ne vous offusque point, non plus que la vue de ce pauvre berceau fait d'une crèche ? La présence de cette mère pauvre ni cet enfant à la mamelle, ne vous scandalisent donc point?

2061 5. Alors, dit l'Evangéliste « Ils ouvrent leurs trésors et ils lui offrent en présents, de l'or, de l'encens et de la myrrhe () » S'ils ne lui avaient offert que de l'or, peut-être auraient-ils paru avoir eu la pensée de venir en aide à la pauvreté de la mère, et lui donner les moyens d'élever son enfant. Mais comme ils lui offrent en même temps de l'or, de l'encens et de là myrrhe, il est évident que leurs offrandes ont un sens spirituel. En effet, l'or passe pour ce qu'il y a de plus précieux parmi les richesses des hommes; c'est ce que, avec la grâce du Sauveur, nous lui offrons dévotement lorsque, pour son nom, nous renonçons entièrement aux biens de ce monde. Mais à présent il ne nous reste plus, après avoir si complètement foulé aux pieds les choses de la terre, qu'à rechercher avec une plus vive ardeur celles des cieux. Car c'est ainsi que nous pourrons lui offrir la bonne odeur de l'encens qui, selon saint Jean, comme nous le voyons dans son Apocalypse (Ap 5,3), représente les prières des saints. Voilà ce qui faisait dire au Psalmiste : « Que ma prière s'élève vers vous comme la fumée de l'encens (Ps 140,2) : » et à l'Ecclésiastique : «La prière du juste perce les nues: » La prière, dis-je, non de quiconque, mais du juste (Qo 35,21), car la prière de quiconque détourne l'oreille pour ne point écouter, la loi de Dieu, est exécrable (Pr 28,9). »

6. Si donc vous voulez être juste et ne point détourner l'oreille des commandements de Dieu, pour que lui-même ne détourne pas la sienne de vos prières, il faut non-seulement que vous méprisiez le siècle présent, mais encore que vous châtiez votre chair et la réduisiez en servitude. Car celui qui a dit: «Quiconque ne renonce pas à tout ce qu'il possède, ne peut être mon disciple (Lc 16,32), » et encore «Si vous voulez être parfaits, allez, vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres, puis revenez vous mettre à ma suite (Mt 19,21), est le même qui a dit dans un autre endroit : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il porte sa croix et me suive (Lc 9,23).» L'Apôtre voulant expliquer le sens de ces paroles, disait ; «Ceux qui sont à Jésus-Christ, ont crucifié leur chair avec toutes ses passions et ses désirs déréglés (Ga 5,24). » La prière doit donc avoir deux ailes, le mépris du monde et la mortification de la chair, et avec elles il n'est pas douteux qu'elle puisse pénétrer les cieux et s'élever en présence de Dieu comme la fumée de l'encens. Pour que notre sacrifice soit agréable et que notre offrande mérite d'être accueillie, il faut qu'à l'or et à l'encens s'ajoute encore la myrrhe, car bien qu'elle soit amère, elle n'en est pas moins fort utile, elle conserve le corps qui est mort à cause du péché et l'empêche de tomber en pourriture en tombant dans le vice. Qu'il suffise de ce peu de mots pour nous engager à imiter les offrandes des Mages.

2062 7. Mais comme nous avons parlé de manifestation, il est bien que nous recherchions qu'est-ce qui se manifeste à nous dans cette fête. L'Apôtre se charge de nous l'apprendre en nous disant : « Ce qui a paru, c'est la bonté et l'humanité du Sauveur notre Dieu (Tt 3,4). » Et, en effet, nous avons entendu l'Evangéliste nous dire que «étant entrés dans la maison, les Mages y trouvèrent l'Enfant avec Marie sa mère (Mt 2,41). » Or dans ce corps d'enfant qu'une mère réchauffait contre son sein virginal, qu'est-ce qui apparaît sinon le vérité de la chair qu'il a prise? Dans la seconde manifestation, ne vous semble-t-il point qu'il est manifestement proclamé Fils de Dieu de la bouche même de. son Père? En effet, les cieux s'entr'ouvrirent au-dessus de sa tète, le Saint-Esprit en descendit sur lui sous la forme corporelle d'une colombe, et en même temps la voix du Père fit entendre ces paroles : « Celui-ci est mon Fils bien aimé en qui j'ai mis toutes mes complaisances (Mt 3,17). » Certes, il est assez manifeste après cela, il est suez évident et assez indubitable que le Fils de Dieu ne peut être que Dieu lui-même. Personne, en effet, ne révoque en doute que les enfants des hommes soient des hommes aussi, ni que les petits des animaux soient de la même espèce que ceux dont ils sont nés. Toutefois, pour qu'il n'y ait plus place pour une erreur sacrilège, celui qui, dans la première manifestation, fut reconnu pour vrai homme et fils d'homme, et qui dans la seconde, n'en est pas moins déclaré Fils de Dieu, se montre dans la troisième vrai Dieu et véritable auteur de la nature qu'il change à son gré. Pour nous, par conséquent, mes bien-aimés, aimons Jésus-Christ comme étant véritablement homme et notre frère; honorons-le comme Fils de Dieu, et adorons-le comme Dieu. Croyons avec une entière sécurité en lui, et confions-nous à lui avec la même sécurité, mes frères, car le pouvoir de nous sauver ne lui manque point, puisqu'il est vraiment Dieu, et Fils de Dieu; non plus que la bonne volonté, attendu qu'il est comme l'un de nous un homme véritable et fils de l'homme. Comment pourrait-il se montrer inexorable à notre égard, quand il s'est fait, pour nous, semblable à nous et sujet à la douleur?

8. Si vous désirez maintenant que je vous dise sur ces trois manifestations quelques mots qui aient rapport à la pratique, je vous prie de remarquer avant tout que le Christ se montre enfant avec une Vierge pour mère, afin de nous apprendre à rechercher par dessus tout, la simplicité et la modestie. La simplicité est, en effet, le partage de l'enfance, de même que la modestie est l'apanage des vierges. Par conséquent, nous tous, qui que,nous soyons, il est deux vertus surtout que nous devons acquérir dès le principe même de notre conversion, c'est une humble simplicité, et une gravité pleine de modestie. Dans la seconde manifestation, le Sauveur vient aux eaux du baptême, non pour être purifié, mais plutôt pour recevoir le témoignage de son Père. Tout cela représente les larmes de la dévotion dans lesquelles on recherche bien moins à obtenir le pardon de ses fautes, qu'à complaire à Dieu le Père, lorsque l'esprit des enfants d'adoption descend sur nous pour rendre témoignage à notre propre esprit, que nous sommes les enfants de Dieu, en sorte qu'il nous semble entendre du haut du ciel une voix douce comme le miel qui nous assure que Dieu le Père se complaît véritablement en nous. Or, il y a une grande différence entre ces larmes de la dévotion et de l'âge viril, et celles que le premier âge laissait couler su milieu des vagissements de l'enfance et qui n'étaient que les larmes de la pénitence et de la confession. Toutefois, il en est d'autres qui sont bien supérieures aux premières, ce sont celles qui prennent le goût du vin; car on peut dire avec vérité que les larmes de la compassion fraternelle qui s'échappent dans l’ardeur de la charité, sont véritablement changées en vin, attendu que, par la charité, il semble qu'on s'oublie soi-même un instant comme par l'effet d'une ivresse pleine de sobriété.





Bernard sermons 2050