Pastores dabo vobis_(2ed) FR 73

(La signification profonde de la formation permanente)


73 La diversité et la complémentarité des dimensions de la formation permanente nous en font mieux saisir la signification profonde : aider le prêtre pour que son être et son agir soient dans l’esprit et selon le style de Jésus le Bon Pasteur.

La vérité est à faire ! Saint Jacques nous en avertit : “Mettez la Parole en pratique. Ne soyez pas seulement des auditeurs qui s’abusent eux-mêmes” (
Jc 1,22). Les prêtres sont appelés à “faire la vérité” de leur être, autrement dit à vivre “dans la charité” (Ep 4,15) leur identité et leur ministère dans l’Église et pour l’Église. Ils sont invités à une conscience toujours plus vive du don de Dieu, à en faire mémoire sans cesse. C’est bien l’exhortation de Paul à Timothée : “Garde le bon dépôt avec l’aide de l’Esprit Saint qui habite en nous” (2Tm 1,14).

Dans le contexte ecclésiologique déjà évoqué à plusieurs reprises, il est possible d’apprécier la signification profonde de la formation permanente du prêtre en fonction de sa présence et de son action dans l’Église mystère, communion et mission.

Dans l’Église “mystère ”, le prêtre est appelé, au moyen de la formation permanente, à conserver et à développer dans la foi la conscience de la vérité entière et étonnante de son être : il est serviteur du Christ et intendant des mystères de Dieu (1Co 4,1). Paul demande expressément aux chrétiens de le considérer selon cette identité et lui-même, le premier, vit conscient du don sublime reçu du Seigneur. Il doit en être ainsi pour chaque prêtre s’il veut demeurer dans la vérité de son être. Mais seule la foi, seul un regard avec les yeux du Christ rendent cela possible.

En ce sens, peut-on dire, la formation permanente vise à ce que le prêtre soit un croyant et le devienne toujours davantage, qu’il se voie toujours tel qu’il est en vérité avec les yeux du Christ. Il doit préserver cette vérité avec un amour reconnaissant et joyeux. Il doit renouveler sa foi en exerçant le ministère sacerdotal, se savoir serviteur de Jésus-Christ et sacrement de l’amour de Dieu pour l’homme chaque fois qu’il est intermédiaire et instrument vivant du don de la grâce de Dieu aux hommes. Il doit reconnaître cette même vérité dans ses confrères, car tel est le principe de son estime et de son amour envers les autres prêtres.




74 Dans l’Église “communion ”, la formation permanente aide le prêtre à développer cette conscience que son ministère est ordonné en fin de compte à réunir la famille de Dieu dans une fraternité animée par la charité et à la conduire au Père par le Christ dans l’Esprit Saint 219 .

Le prêtre doit croître dans la conscience de la profonde communion qui le relie au peuple de Dieu ; il n’est pas seulement “devant” l’Église mais d’abord et avant tout “dans” l’Église. Il est frère parmi ses frères. Revêtu par le baptême de la dignité et de la liberté des enfants de Dieu dans le Fils unique, le prêtre est membre du même et unique corps du Christ (Ep 4,16). La conscience de cette communion pousse à susciter et à développer la coresponsabilité dans une même et unique mission de salut en valorisant avec empressement et de bon coeur tous les charismes et les fonctions que l’Esprit répartit aux croyants pour la construction de l’Église. C’est d’abord et avant tout dans l’accomplissement du ministère pastoral, ordonné par sa nature au bien du peuple de Dieu, que le prêtre doit vivre et témoigner de sa profonde communion avec tous. Comme l’écrivait Paul VI, “il faut se faire les frères des hommes du fait même que nous voulons être leurs pasteurs, leurs pères et leurs maîtres. Le climat du dialogue, c’est l’amitié. Bien plus, c’est le service” 220 .

De façon plus spécifique, le prêtre est appelé à développer la conscience d’être membre de l’Église particulière à laquelle il est incardiné, c’est-à-dire intégré par un lien à la fois juridique, spirituel et pastoral. Une telle conscience suppose et développe l’amour particulier pour sa propre Église. En réalité, celle-ci est l’objet vivant et permanent de la charité pastorale qui doit guider la vie du prêtre. La charité pastorale le conduit, en effet, à partager l’histoire et l’expérience de vie de son Église particulière, avec ses richesses et ses fragilités, ses difficultés et ses espérances, et à travailler pour elle en vue de sa croissance. Ayant beaucoup reçu de son Église particulière et participant activement à son édification, chaque prêtre, uni à ses confrères, prolonge l’activité pastorale de ses prédécesseurs. C’est une exigence naturelle de la charité pastorale à l’égard de son Église particulière et de son avenir ministériel qui engage le prêtre à se soucier de se trouver, en quelque sorte, un successeur dans le sacerdoce.

Le prêtre doit grandir aussi dans la conscience de la communion qui subsiste entre les diverses Églises particulières, une communion enracinée dans leur être même d’Églises qui vivent localement l’unique et universelle Église du Christ. Une telle conscience de la communion inter-ecclésiale favorisera “l’échange des dons ”, en commençant par ces dons vivants et personnels que sont les prêtres eux-mêmes. D’où la disponibilité, mieux encore l’engagement généreux pour réaliser une distribution équitable du clergé 221 . Parmi ces Églises particulières, il faut rappeler celles qui, “privées de la liberté, ne peuvent pas avoir leurs propres vocations ”, comme aussi “les Églises récemment sorties de la persécution et ces Églises pauvres qui, depuis longtemps et de la part de plusieurs, ont reçu de l’aide dans un esprit fraternel et en reçoivent encore” 222 .

Au sein de la communion ecclésiale, le prêtre est appelé en particulier à croître, par sa formation permanente, dans et avec son presbyterium uni à l’évêque.

Le presbyterium en toute vérité est un mystère ; il est en effet une réalité surnaturelle, car il s’enracine dans le sacrement de l’Ordre. Voilà sa source et son origine, le “lieu” de sa naissance et de sa croissance. En effet, “ les prêtres par le sacrement de l’Ordre sont rattachés par un lien personnel et indissoluble au Christ unique prêtre. L’ordination leur est conférée comme individus, mais ils sont insérés dans la communion du presbyterium uni à l’évêque (Lumen gentium LG 28 Presbyterorum Ordinis, nn. 7-8)” 223 .

Cette origine sacramentelle se reflète et se prolonge dans l’exercice du ministère presbytéral : du mystère au ministère.“ L’unité des prêtres avec l’évêque et entre eux ne s’ajoute pas comme de l’extérieur à la nature distincte de leur service, mais elle en exprime l’essence, à savoir la mission du Christ prêtre à l’égard du peuple rassemblé dans l’unité de la Sainte Trinité” 224 . Par cette unité presbytérale, vécue dans l’esprit de la charité pastorale, les prêtres sont témoins de Jésus-Christ qui a prié le Père “pour que tous soient un” (Jn 17,21).

La physionomie du presbyterium est donc celle d’une vraie famille et d’une fraternité dont les liens ne sont ni de la chair ni du sang, mais de la grâce de l’Ordre. Cette grâce assume et élève les rapports humains, psychologiques, affectifs, amicaux et spirituels entre prêtres ; elle se manifeste partout et se révèle concrètement dans les formes les plus variées d’entraide spirituelle et aussi matérielle. La fraternité presbytérale n’exclut personne ; elle peut et doit avoir cependant ses préférences dans le sens de l’option évangélique pour qui a le plus besoin d’aide ou d’encouragement. Une telle fraternité “accorde une attention spéciale aux jeunes prêtres, entretient un dialogue cordial et fraternel avec ceux d’âge moyen ou avancé ainsi qu’avec ceux qui pour diverses raisons vivent des difficultés. Quant aux prêtres qui ont quitté le ministère ou qui n’y sont plus fidèles, non seulement elle ne les abandonne pas, mais elle les suit avec une attention encore plus fraternelle” 225 .

Les prêtres religieux résidant et travaillant dans une Église particulière font aussi partie, à un titre différent, de l’unique presbyterium. Leur présence constitue un enrichissement pour tous les prêtres. Leurs divers charismes particuliers, tout en invitant les prêtres à progresser dans la compréhension du sacerdoce, contribuent à stimuler et à accompagner leur formation permanente. Le don de la vie religieuse dans la communauté diocésaine, quand il va de pair avec l’estime sincère et le respect de la particularité de chaque Institut et de chaque tradition spirituelle, élargit l’horizon du témoignage chrétien et contribue de diverses façons à enrichir la spiritualité sacerdotale. Il joue surtout ce rôle en ce qui touche le rapport adéquat et l’influence réciproque entre les valeurs de l’Église particulière et celles de l’ensemble du peuple de Dieu. De leur côté, les religieux seront attentifs à maintenir un esprit de vraie communion ecclésiale, une participation cordiale à la marche du diocèse et aux options pastorales de l’évêque, en offrant volontiers leur propre charisme pour l’édification de tous dans la charité 226 .

Enfin, c’est dans le contexte de l’Église communion et du presbyterium qu’on peut le mieux faire face au problème de la solitude du prêtre qui a retenu l’attention des Pères synodaux. Il existe une solitude qui fait partie de l’expérience de tous et qui est absolument normale. Mais il existe aussi une solitude engendrée par toutes sortes de difficultés et qui, à son tour, provoque d’autres problèmes. En ce sens, “la participation active au presbyterium diocésain, les contacts réguliers avec l’évêque et les autres prêtres, la collaboration mutuelle, la vie commune ou fraternelle entre prêtres, ainsi que l’amitié et les rapports cordiaux avec les laïcs engagés activement dans les paroisses sont des moyens très utiles pour surmonter les effets de la solitude que parfois le prêtre peut expérimenter” 227 . La solitude ne crée pas seulement des difficultés ; elle présente aussi des avantages pour la vie du prêtre. “Acceptée dans un esprit d’oblation et de recherche dans l’intimité avec le Seigneur Jésus-Christ, la solitude peut favoriser l’oraison et l’étude, comme elle peut aussi aider la sanctification et la croissance humaine ” 228 .

Sans oublier qu’une certaine forme de solitude est nécessaire pour la formation permanente. Jésus savait souvent se retirer pour prier dans la solitude (Mt 14,23). La capacité de supporter une solitude bienfaisante est une condition indispensable au maintien de la vie intérieure. Il s’agit d’une solitude habitée par la présence du Seigneur qui, dans la lumière de l’Esprit, nous met en contact avec le Père. En ce sens, il est nécessaire de faire silence et de rechercher des espaces et des temps de “désert” pour la formation permanente intellectuelle, spirituelle et pastorale. En ce sens également, on peut affirmer que celui qui ne sait pas bien vivre sa solitude n’est pas capable de communion vraie et fraternelle.




75 La formation permanente est destinée à développer chez le prêtre la conscience de sa participation à la mission salvifique de l’Église. Dans l’Église “mission ”, la formation permanente du prêtre est non seulement une condition nécessaire, mais aussi un moyen indispensable pour raviver constamment le sens de la mission et en garantir une réalisation fidèle et généreuse. Une telle formation aide le prêtre à percevoir toute la gravité et en même temps la grâce admirable d’une obligation qui ne peut le laisser indifférent. Comme Paul, il doit pouvoir dire : “Prêcher l’Évangile, en effet, n’est pas pour moi un titre de gloire ; c’est une nécessité qui m’incombe. Oui, malheur à moi si je ne prêchais pas l’Évangile !” (1Co 9,16). Cette formation aide à percevoir aussi l’intensité de la quête, explicite ou non, menée par les hommes que Dieu appelle au salut sans jamais se lasser.

Seule une formation permanente adéquate réussit à soutenir le prêtre dans cette fidélité essentielle et décisive pour son ministère. Comme l’écrit l’Apôtre Paul, “tout ce qu’on demande à des intendants [des mystères de Dieu], c’est que chacun soit trouvé fidèle” (1Co 4,2). Quelles que soient les difficultés rencontrées, même dans les conditions les plus dures ou dans un état de fatigue compréhensible, le prêtre doit être fidèle avec toute l’énergie dont il dispose, et cela jusqu’à la fin de sa vie. Le témoignage de Paul doit être un exemple et un stimulant pour tout prêtre. “Nous ne donnons à personne aucun sujet de scandale – écrit-il aux chrétiens de Corinthe – pour que notre ministère ne soit pas décrié. Au contraire, nous nous affirmons en tout comme des ministres de Dieu : par une grande constance dans les tribulations, dans les détresses, dans les angoisses, sous les coups, dans les prisons, dans les émeutes, dans les fatigues, dans les veilles, dans les jeûnes ; par la pureté, par la science, par la longanimité, par la bénignité, par un esprit saint, par une charité sans feinte, par la parole de vérité, par la puissance de Dieu ; par les armes offensives et défensives de la justice ; dans l’honneur et l’humiliation, dans la mauvaise et la bonne réputation ; tenus pour imposteurs et pourtant véridiques ; pour gens obscurs, nous pourtant si connus ; pour gens qui vont mourir, et nous voilà vivants ; pour gens qu’on châtie, mais sans les mettre à mort ; pour affligés, nous qui sommes toujours joyeux ; pour pauvres, nous qui faisons tant de riches ; pour gens qui n’ont rien, nous qui possédons tout” (2Co 6,3-10).

(À tout âge et dans toute condition de vie)


76 La formation permanente, précisément parce qu’elle est “permanente ”, doit toujours être présente dans la vie des prêtres, à tout âge et dans toute condition de vie, quel que soit le niveau de responsabilité ecclésiale. Elle le sera évidemment en tenant compte des possibilités et des caractéristiques correspondant à la variété des âges, des conditions de vie et des fonctions assumées.

La formation permanente est un devoir, avant tout, pour les jeunes prêtres. Selon une fréquence appropriée et un programme systématique de rencontres prolongeant le sérieux et la solidité de la formation reçue au séminaire, elle les conduit peu à peu à comprendre et à vivre la richesse unique de ce “don” de Dieu qu’est le sacerdoce. Elle leur permet aussi d’exprimer leurs aptitudes au ministère, entre autres par une insertion toujours plus convaincue et responsable dans le presbyterium, et par conséquent dans la communion et la coresponsabilité avec tous leurs confrères.

Si un certain sentiment de “satiété” est compréhensible chez le jeune prêtre à peine sorti du séminaire face à de nouveaux temps d’étude et de rencontre, il faut écarter comme absolument fausse et dangereuse l’idée que la formation sacerdotale se termine en quittant le séminaire.

En participant aux rencontres de formation permanente, les jeunes prêtres se donneront un appui réciproque par le partage d’expériences et de réflexions sur la façon de traduire concrètement l’idéal sacerdotal qu’ils ont fait leur durant les années de séminaire. En même temps, leur participation active aux rencontres de formation du presbyterium pourra être un exemple et un stimulant pour les autres prêtres plus avancés en âge. En effet, ils témoigneront ainsi de leur amour envers l’ensemble du presbyterium et de leur enthousiasme pour répondre au besoin de l’Église particulière d’avoir des prêtres bien formés.

Pour accompagner les jeunes prêtres dans cette première étape si délicate de leur vie sacerdotale et de leur ministère, il est plus que jamais opportun, sinon tout à fait nécessaire aujourd’hui, de créer une structure spéciale de soutien avec des conseillers et des maîtres appropriés. Les jeunes prêtres pourront y trouver, sous un mode structuré et suivi, l’appui nécessaire pour bien commencer leur service sacerdotal. Lors de rencontres régulières suffisamment longues et fréquentes, éventuellement dans un cadre de vie communautaire et en résidant ensemble, on leur donnera la possibilité de moments précieux de repos, de prière, de réflexion et d’échange fraternel. Il leur sera ainsi plus facile, dès le début, d’assurer l’équilibre évangélique de leur vie sacerdotale. Si les Églises particulières ne peuvent pas, à elles seules, offrir ce service à leurs jeunes prêtres, il sera opportun que les Églises voisines s’unissent pour dégager ensemble les ressources nécessaires et élaborer des programmes adaptés.




77 La formation permanente constitue également un devoir pour les prêtres d’âge moyen. En réalité, ils peuvent courir des risques multiples en raison même de leur âge, par exemple un activisme exagéré ou une certaine routine dans l’exercice du ministère. Ou encore la tentation de présumer de soi comme si l’expérience personnelle désormais éprouvée ne devait plus se confronter à rien d’autre ni à personne. Il n’est pas rare que le prêtre souffre alors d’une sorte de lassitude intérieure dangereuse, signe d’une désillusion résignée face aux difficultés et aux échecs. La réponse à cette situation est donnée par la formation permanente, par un examen continu de son équilibre personnel et de son action, par la recherche constante de motivations et de moyens pour sa mission. Le prêtre gardera ainsi un esprit vigilant et disponible aux requêtes en vue du salut, constamment renouvelées, que beaucoup adressent au prêtre, “homme de Dieu ”.

La formation permanente doit intéresser aussi les prêtres d’âge avancé, appelés les anciens, qui, dans certaines Églises, forment le groupe le plus nombreux du presbyterium. Celui-ci doit leur témoigner sa reconnaissance pour le service fidèle qu’ils ont rendu au Christ et à l’Église, ainsi qu’une solidarité concrète qui tienne compte de leur condition. Pour ces prêtres, la formation permanente sera moins une question d’étude, de discussion et de mise à jour culturelle qu’une confirmation sereine et apaisante du rôle qu’ils sont encore appelés à jouer dans le presbyterium. Ce rôle sera défini non seulement par la poursuite du ministère pastoral, éventuellement sous des formes différentes, mais aussi par la possibilité que leur donne l’expérience de la vie et de l’apostolat de devenir eux-mêmes d’authentiques maîtres et formateurs des autres prêtres.

Même les prêtres qui, à cause de la fatigue ou de la maladie, se trouvent dans une condition de fragilité physique ou de lassitude morale peuvent être aidés par la formation permanente. Celle-ci les encourage à continuer à servir l’Église d’une façon sereine et courageuse, à ne pas s’isoler de la communauté ni du presbyterium, à réduire leur activité extérieure pour se consacrer aux activités de relation pastorale et de spiritualité personnelle capables d’étayer les raisons d’être et la joie de leur sacerdoce. La formation permanente les aidera en particulier à garder vivante la conviction, qu’eux-mêmes ont inculquée aux fidèles, d’être toujours des membres actifs dans l’édification de l’Église, spécialement par la force de leur union à Jésus-Christ souffrant et à tant d’autres frères et soeurs qui dans l’Église participent à la passion du Seigneur. Avec eux, ils revivent l’expérience de Paul qui disait : “Je trouve ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous, et je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps, qui est l’Église” (
Col 1,24) 229 .

(Les responsables de la formation permanente)


78 Les conditions actuelles du ministère des prêtres, souvent et dans plusieurs endroits, ne facilitent pas un engagement sérieux de formation permanente. La multiplication des tâches et des services à rendre, la complexité de la vie humaine en général et de celle des communautés chrétiennes en particulier, l’activisme et l’essoufflement qui caractérisent divers milieux de notre société, autant de facteurs qui privent souvent les prêtres du temps et de l’énergie indispensables pour “veiller sur eux-mêmes” (1Tm 4,16).

Cela doit faire grandir la responsabilité de tous pour surmonter ces difficultés, et même pour y voir le défi d’élaborer et de réaliser une formation permanente répondant adéquatement à la grandeur du don de Dieu et à la gravité des requêtes et des exigences de notre temps.

Les responsables de la formation permanente des prêtres doivent appartenir à l’Église “communion ”. En ce sens, c’est toute l’Église particulière qui, sous la conduite de l’évêque, est responsable d’animer et d’établir les diverses modalités de la formation permanente des prêtres. Car ceux-ci ne sont pas prêtres pour eux-mêmes, mais pour le peuple de Dieu. Aussi la formation permanente, en assurant la maturité humaine, spirituelle, intellectuelle et pastorale des prêtres, a-t-elle pour résultat un bien dont le destinataire est le peuple de Dieu lui-même. Du reste, l’exercice même du ministère pastoral mène à un échange réciproque, constant et fécond, entre la vie de foi des prêtres et celle des fidèles. Le partage de vie entre le prêtre et la communauté, mené et mis à profit avec sagesse, constitue une contribution fondamentale à la formation permanente. Cette contribution d’ailleurs ne se réduit pas à une période limitée ou à une initiative isolée, mais se déploie à travers tout le ministère et la vie du prêtre.

En effet, l’expérience chrétienne des gens simples et humbles, les élans spirituels des personnes éprises de Dieu, la mise en pratique courageuse de la foi par les chrétiens engagés dans diverses responsabilités sociales et civiles, tout cela est reçu par le prêtre et, en y portant la lumière de son service sacerdotal, il y trouve lui-même un aliment spirituel de grande valeur. Même les doutes, les crises et les hésitations face aux situations personnelles ou sociales de toutes sortes, ou encore les tentations de refus ou de désespoir à l’heure de la souffrance, de la maladie, de la mort, bref toutes les difficultés que rencontrent les hommes sur le chemin de la foi sont vécues par le prêtre. Il les partage comme un frère et en souffre sincèrement dans son coeur. En cherchant des réponses pour les autres, il est sans cesse amené à en trouver d’abord pour lui-même.

Ainsi le peuple de Dieu en entier, dans tous ses membres, peut et doit apporter une aide appréciable à la formation permanente de ses prêtres. En ce sens, il doit leur laisser du temps pour l’étude et la prière, leur demander ce pourquoi ils ont été mandatés par le Christ et rien d’autre, puis collaborer dans les divers secteurs de la mission pastorale avec une attention spéciale pour ce qui se rapporte à la promotion humaine et au service de la charité. Il doit entretenir avec ses prêtres des contacts chaleureux et fraternels et susciter chez eux la conscience qu’ils n’ont pas à “régenter la foi” mais plutôt à “contribuer à la joie” de tous les fidèles (2Co 1,24).

Cette responsabilité de l’Église particulière dans la formation des prêtres s’exerce d’une façon concrète et spécifique selon les différents membres qui la composent, à commencer par le prêtre lui-même.




79 En un certain sens, c’est chaque prêtre qui est le premier responsable de la formation permanente dans l’Église. C’est à chaque prêtre qu’incombe réellement ce devoir, enraciné dans le sacrement de l’Ordre, d’être fidèle au don de Dieu et au dynamisme de conversion quotidienne venant du don lui-même. Les règlements ou les normes de l’autorité ecclésiastique à ce sujet, comme aussi l’exemple des autres prêtres, ne suffisent pas à rendre attrayante la formation permanente, si chacun n’est pas personnellement convaincu de sa nécessité et n’est pas décidé à valoriser les occasions, les temps et les modalités de cette formation. La formation permanente maintient la “jeunesse” de l’esprit, ce que personne ne peut imposer de l’extérieur, mais que chacun doit puiser continuellement en lui-même. Celui-là seul qui garde toujours vivant le désir d’apprendre et de grandir possède cette “jeunesse ”.

La responsabilité de l’évêque et, avec lui, du presbyterium, est fondamentale. Cette responsabilité de l’évêque se fonde sur le fait que les prêtres reçoivent par lui leur sacerdoce et partagent avec lui sa sollicitude pastorale pour tout le peuple de Dieu. Il est responsable de la formation permanente visant à ce que tous ses prêtres soient généreux dans la fidélité au don et au ministère reçu, comme les veut le peuple de Dieu et comme il est en “droit” de les avoir. Cette responsabilité conduit l’évêque, en union avec le presbyterium, à établir et à organiser un programme de formation permanente qui n’en fasse pas quelque chose de ponctuel, mais plutôt un projet bien élaboré qui se déroule par étapes selon des modalités précises. L’évêque exercera sa responsabilité non seulement en assurant des lieux et des temps de formation permanente à ses prêtres, mais aussi en y étant présent lui-même et en y participant de façon convaincue et chaleureuse. Il sera souvent opportun, et même nécessaire, que les évêques de diocèses voisins ou d’une même région apostolique se concertent entre eux et unissent leurs efforts pour pouvoir présenter de meilleures propositions, vraiment profitables à la formation permanente, par exemple des recyclages bibliques, théologiques et pastoraux, des semaines de vie communautaire, des cycles de conférences, des temps de réflexion et d’évaluation de l’orientation pastorale du presbyterium et de la communauté ecclésiale.

L’évêque exercera sa responsabilité en demandant aussi la contribution que peuvent offrir les facultés et les instituts de théologie et de pastorale, les séminaires, les organismes ou les associations de personnes – prêtres, religieux et laïcs – engagées dans la formation sacerdotale.

Dans l’Église particulière, une place importante revient aux familles. Comme “Églises domestiques ”, elles sont en effet une référence concrète pour la vie des communautés ecclésiales animées et guidées par les prêtres. En particulier, il faut souligner le rôle de la famille du prêtre lui-même. En communion d’intention avec lui, elle peut offrir à sa mission une contribution originale et précieuse. Elle fut le berceau de cette vocation qu’elle a protégée et soutenue d’un appui indispensable pour sa croissance et son développement. En se prêtant à l’accomplissement du dessein de la Providence qui a voulu y faire germer une vocation, la famille du prêtre, aide indispensable à sa croissance et à son développement, doit toujours demeurer, dans le plus grand respect de ce fils qui a fait le choix de se donner à Dieu et à ses frères, comme un témoin fidèle qui l’encourage dans sa mission, en la partageant et en restant à ses côtés avec dévouement et avec discrétion.

(Les moments, les formes et les moyens de la formation permanente)


80 Si tout moment peut être un “temps favorable” (2Co 6,2) où l’Esprit Saint conduit le prêtre à croître dans la prière, l’étude et la conscience de ses responsabilités pastorales, il y a cependant des moments “privilégiés ”, même s’ils sont habituels et prévus d’avance.

Il faut rappeler ici avant tout les rencontres de l’évêque avec son presbyterium, qu’elles soient liturgiques (en particulier la concélébration de la Messe chrismale du Jeudi saint) ou pastorales et culturelles pour un échange de vues sur l’activité pastorale ou pour une étude de problèmes théologiques déterminés.

Il y a aussi les rencontres de spiritualité sacerdotale, comme les exercices spirituels, les journées de récollection et de spiritualité, etc. Ce sont des occasions de croissance spirituelle et pastorale, de prière plus calme et prolongée, de retour aux racines de l’être sacerdotal, de fraîcheur nouvelle pour les motivations inspirant la fidélité et l’élan pastoral.

Les rencontres d’étude et de réflexion en commun sont également importantes. Elles préviennent l’appauvrissement culturel et l’endurcissement sur des positions de facilité dans le domaine pastoral, ce qui est le fruit de la paresse intellectuelle. Elles assurent une synthèse plus réfléchie entre les divers éléments de la vie spirituelle, culturelle et apostolique ; elles ouvrent l’esprit et le coeur aux nouveaux défis de l’histoire et aux nouveaux appels que l’Esprit lance à l’Église.




81 Nombreux sont les types de collaboration et les moyens qui peuvent servir afin que la formation permanente devienne une plus belle expérience de vie pour les prêtres. Entre autres, rappelons les différentes formes de vie commune entre prêtres, toujours présentes dans l’histoire de l’Église, dans la diversité de leurs modalités et de leur intensité. “Aujourd’hui, on ne peut pas ne pas les recommander, surtout entre ceux qui vivent ou sont engagés pastoralement dans un même lieu. Cette vie commune du clergé, utile à la vie et à l’action pastorales, offre à tous, prêtres et laïcs, un exemple éclairant de charité et d’unité” 230 .

Une autre forme d’aide peut être donnée par les associations sacerdotales, en particulier les instituts séculiers de prêtres qui ont un caractère spécifiquement diocésain en vertu duquel les prêtres s’unissent plus étroitement à l’évêque. Ils constituent “un état de consécration dans lequel les prêtres, par des voeux ou d’autres liens sacrés, s’engagent à mettre en pratique dans leur vie les conseils évangéliques” 231 . Toutes les formes de “fraternité sacerdotale” approuvées par l’Église sont utiles pour la vie spirituelle et aussi pour la vie apostolique et pastorale.

La pratique de la direction spirituelle contribue aussi pour beaucoup à la formation permanente des prêtres. C’est un moyen classique qui n’a nullement perdu sa valeur, non seulement pour assurer la formation spirituelle, mais aussi pour promouvoir et soutenir une fidélité et une générosité constantes dans l’exercice du ministère sacerdotal. Comme l’écrivait le futur pape Paul VI, “la direction spirituelle a une très belle fonction et l'on peut dire qu’elle est indispensable pour l’éducation morale et spirituelle de la jeunesse qui veut comprendre et suivre en toute loyauté sa vocation, quelle qu’elle soit. Et elle conserve une importance bénéfique à tout âge de la vie quand, aux lumières et à la charité d’un conseiller pieux et prudent, nous demandons la vérification de notre rectitude ainsi que le réconfort dans l’accomplissement généreux de nos devoirs. C’est un moyen pédagogique très délicat mais de très grande valeur. C’est un art pédagogique et psychologique de grande responsabilité pour qui l’exerce ; c’est un exercice spirituel d’humilité et de confiance pour qui la reçoit ”. 232



CONCLUSION





82 “Je vous donnerai des pasteurs selon mon coeur” (Jr 3,15). Aujourd’hui encore, cette promesse de Dieu est vivante et à l'oeuvre dans l’Église, consciente d’être, depuis toujours, l’heureuse destinataire de ces paroles prophétiques. Elle en voit la réalisation tous les jours et en de nombreuses parties de la terre ; mieux encore, en de nombreux coeurs humains, surtout de jeunes. Au seuil du troisième millénaire, l’Église désire qu’en raison de ses besoins graves et urgents, ainsi que de ceux du monde, cette divine promesse s’accomplisse d’une façon renouvelée, plus ample, plus intense et plus efficace, en une extraordinaire effusion de l’Esprit de la Pentecôte.

La promesse du Seigneur suscite dans le coeur de l’Église une prière, une demande humble, ardente et confiante en l’amour du Père ; comme il a envoyé Jésus le Bon Pasteur, les Apôtres, leurs successeurs et une foule innombrable de prêtres, de même il continue à manifester aux hommes d’aujourd’hui sa fidélité et sa bonté.

L’Église est disposée à répondre à cette grâce. Elle sait que le don de Dieu exige une réponse généreuse et unanime : tout le peuple de Dieu doit inlassablement prier et travailler pour les vocations sacerdotales. Les candidats au sacerdoce doivent se préparer consciencieusement à recevoir et à vivre le don de Dieu, persuadés que l’Église et le monde ont un très grand besoin d’eux. Ils doivent se passionner pour le Christ Bon Pasteur, modeler leur coeur sur le sien et, à son image, être prêts à parcourir les routes du monde pour proclamer à tous le Christ Chemin, Vérité et Vie.

J’adresse un appel particulier aux familles : que les parents, spécialement les mères, soient généreux pour donner au Seigneur leurs fils qu’il appelle au sacerdoce ; qu’ils collaborent avec joie au cheminement de leur vocation, sûrs que, de cette manière, ils rendront plus grande et plus profonde leur fécondité chrétienne et ecclésiale et qu’ils pourront connaître, en quelque sorte, le bonheur de la Vierge Marie : “Tu es bénie entre les femmes, et béni le fruit de ton sein” (Lc 1,42).

Aux jeunes d’aujourd’hui, je veux dire ceci : soyez plus dociles à la voix de l’Esprit, laissez retentir dans vos coeurs les grandes attentes de l’Église et de l’humanité, ne craignez pas d’ouvrir votre esprit à l’appel du Christ Seigneur, découvrez le regard d’amour de Jésus fixé sur vous et répondez avec enthousiasme à sa proposition de le suivre jusqu’au bout.

L’Église répond à la grâce par l’engagement que prennent les prêtres de réaliser la formation permanente requise en vertu de la dignité et de la responsabilité que leur a conférées le sacrement de l’Ordre. Tous les prêtres sont appelés à saisir l’urgence particulière de leur formation à l’heure présente : la nouvelle évangélisation a besoin de nouveaux évangélisateurs, de prêtres qui s’engagent à vivre leur sacerdoce comme un chemin de sainteté.

La promesse de Dieu garantit à son Église non pas des pasteurs quelconques mais des pasteurs “selon son coeur ”. Le “coeur” de Dieu s’est révélé pleinement à nous dans le coeur du Christ Bon Pasteur. Il a toujours compassion des foules et leur donne le pain de la vérité, le pain de l’amour et de la vie (Mc 6,30-44). Il demande à battre en d’autres coeurs – ceux des prêtres : “Donnez-leur vous-mêmes à manger” (Mc 6,37). Les gens ont besoin de sortir de l’anonymat et de la peur ; ils ont besoin d’être connus et appelés par leur nom, de marcher avec assurance sur les sentiers de la vie, d’être retrouvés s’ils sont perdus, de recevoir le salut comme don suprême de l’amour de Dieu ; c’est ce que fait Jésus, le Bon Pasteur ; c’est ce que font les prêtres avec lui.

Au terme de cette exhortation, je tourne mon regard vers la multitude de séminaristes et de prêtres qui, dans toutes les parties du monde, même dans les conditions les plus difficiles et parfois dramatiques, mais toujours dans le joyeux effort de la fidélité au Seigneur et de l’inlassable service de son troupeau, offrent quotidiennement leur vie pour la croissance de la foi, de l’espérance et de la charité dans les coeurs et dans la vie des hommes et des femmes de notre temps.

Vous, très chers prêtres, vous le faites parce que c’est le Seigneur qui, avec la force de son Esprit, vous a appelés, dans les vases d’argile de votre humble vie, à rendre présent le trésor inestimable de son amour de bon Pasteur.

En communion avec les Pères synodaux et au nom de tous les évêques du monde et de la communauté ecclésiale entière, je veux exprimer toute la reconnaissance que méritent votre fidélité et votre service 233 .

Je vous souhaite à tous la grâce de renouveler chaque jour le don de Dieu reçu par l’imposition des mains (2Tm 1,6), de connaître le réconfort de la profonde amitié qui vous lie à Jésus et vous unit entre vous, de goûter la joie de la croissance du troupeau de Dieu vers un amour toujours plus grand envers Lui et envers tout homme, d’entretenir la conviction sereine que celui qui a commencé en vous cette oeuvre bonne la portera à son achèvement jusqu’au jour du Christ Jésus (Ph 1,6) ; en union avec tous et avec chacun de vous, j’adresse ma prière à Marie, mère et éducatrice de notre sacerdoce.

Tous les aspects de la formation sacerdotale peuvent être rapportés à Marie, comme à la personne humaine qui, plus que toute autre, a répondu à l’appel de Dieu ; elle s’est faite servante et disciple de la Parole jusqu’à concevoir dans son coeur et en son sein le Verbe fait homme pour le donner à l’humanité ; elle a été appelée à être l’éducatrice du prêtre unique et éternel, qui s’était rendu docile et s’était soumis à son autorité maternelle. Par son exemple et par son intercession, la Vierge très sainte continue à veiller sur l’essor des vocations et de la vie sacerdotale dans l’Église.

C’est pourquoi nous, prêtres, nous sommes appelés à faire croître en nous une tendre et solide dévotion envers la Vierge Marie, à la manifester en imitant ses vertus et en la priant fréquemment.



Marie,

Mère de Jésus-Christ et Mère des prêtres,

reçois ce titre que nous te donnons

pour célébrer ta maternité

et contempler près de toi le Sacerdoce

de ton Fils et de tes fils,

Sainte Mère de Dieu !



Mère du Christ,

tu as donné au Messie Prêtre son corps de chair

par l’onction de l’Esprit Saint

pour le salut des pauvres et des hommes au coeur contrit,

garde les prêtres dans ton coeur et dans l’Église,

Mère du Sauveur !



Mère de la foi,

tu as accompagné au Temple le Fils de l’homme,

accomplissement des promesses faites à nos pères,

confie au Père, pour sa gloire,

les prêtres de ton Fils,

Arche de l’Alliance !



Mère de l’Église,

au Cénacle, parmi les Disciples,

tu priais l’Esprit

pour le Peuple nouveau et ses Pasteurs,

obtiens à l’ordre des prêtres

la plénitude des dons,

Reine des Apôtres !



Mère de Jésus-Christ,

tu étais avec Lui au début de sa vie et de sa mission,

tu l’as cherché, Maître parmi la foule,

tu l’as assisté, élevé de terre,

consommé pour le sacrifice unique éternel,

et tu avais près de toi Jean, ton fils,

accueille les appelés du Seigneur,

lors de leurs premiers pas sur leur chemin,

protège leur croissance, accompagne dans la vie et dans le ministère

ceux qui sont tes fils,

Mère des prêtres !

Amen !



Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 25 mars 1992, solennité de l’Annonciation du Seigneur, en la quatorzième année de mon Pontificat.







Pastores dabo vobis_(2ed) FR 73