1992 Pastores Dabo Vobis 27

L'existence sacerdotale et le radicalisme évangélique

27
"L'Esprit du Seigneur est sur moi" (
Lc 4,18). L'Esprit Saint donné par le sacrement de l'Ordre est source de sainteté et appel à la sanctification. Car, d'abord, il configure le prêtre au Christ Tête et Pasteur de l'Eglise, et il lui confie la mission prophétique, sacerdotale et royale à accomplir au nom et en la personne du Christ. Ensuite, il anime le prêtre et vivifie son existence quotidienne, l'enrichissant de dons et d'exigences, de vertus et d'élans, qui se concrétisent dans la charité pastorale. Cette charité est une synthèse des valeurs et des vertus évangéliques et elle est la force qui soutient leur développement jusqu'à la perfection chrétienne.(72)

72- LG 42


Pour tous les chrétiens sans exception, le radicalisme évangélique est une exigence fondamentale et irremplaçable, qui découle de l'appel du Christ à le suivre et à l'imiter, en vertu de l'étroite communion de vie avec lui, opérée par le Saint Esprit (cf. Mt 8,18-20 Mt 10,37-39 Mc 8,34-38 Mc 10,17-21 Lc 9,57-62). Cette même exigence s'impose également aux prêtres, non seulement parce qu'ils sont "dans" l'Eglise, mais aussi parce qu'ils sont "devant" l'Eglise, en tant qu'ils sont configurés au Christ Tête et Pasteur, consacrés et engagés dans le ministère ordonné, animés par la charité pastorale. Or, dans le radicalisme évangélique et pour le manifester, il y a toute une floraison de nombreuses vertus et exigences morales qui sont décisives pour la vie pastorale et spirituelle du prêtre. Citons par exemple la foi, l'humilité en face du mystère de Dieu, la miséricorde, la prudence. Les différents "conseils évangéliques" que Jésus propose dans le Discours sur la Montagne sont l'expression privilégiée du radicalisme évangélique (cf. Mt 5-7). Parmi ces conseils, intimement coordonnés entre eux, se trouvent l'obéissance, la chasteté et la pauvreté(73). Le prêtre est appelé à les vivre selon les modalités et, plus encore, selon les finalités et le sens original qui découlent de l'identité du prêtre et l'expriment.

73- Cf. Proposition 9.


28 "Parmi les qualités les plus indispensables pour le ministère des prêtres, il faut mentionner la disponibilité intérieure qui leur fait rechercher non pas leur propre volonté, mais la volonté de celui qui les a envoyés (cf. Jn 4,34 Jn 5,30 Jn 6,38) "(74). C'est l'obéissance qui, dans le cas de la vie spirituelle du prêtre, présente certaines caractéristiques particulières.

74- PO 15


Celle-ci est avant tout une obéissance "apostolique", en ce sens qu'elle reconnaît, aime et sert l'Eglise dans sa structure hiérarchique. En effet, il n'y a pas de ministère sacerdotal en dehors de la communion avec le Souverain Pontife et le collège épiscopal, en particulier avec l'évêque du diocèse, à qui "le respect filial et l'obéissance" promis à l'ordination doivent être rendus. Cette "soumission" à ceux qui sont revêtus de l'autorité ecclésiale n'a rien d'humiliant, mais elle résulte de la liberté responsable du prêtre qui accueille les exigences de la vie ecclésiale structurée et organisée. Il accueille aussi la grâce du discernement et du sens de la responsabilité dans les décisions ecclésiales. Cette grâce, Jésus en a doté les Apôtres et leurs successeurs pour que le mystère de l'Eglise soit gardé fidèlement et pour que la cohésion de la communauté chrétienne soit maintenu sur le chemin unique qui la conduit au salut.

L'obéissance chrétienne authentique, correctement motivée et vécue sans servilité, aide le prêtre à exercer, avec une transparence évangélique, l'autorité qu'il a pour mission d'exercer auprès du peuple de Dieu: sans autoritarisme et sans procédés démagogiques. Seul celui qui sait obéir dans le Christ sait comment demander l'obéissance à autrui dans l'esprit de l'Evangile.

L'obéissance du prêtre présente en outre une exigence "communautaire": ce n'est pas l'obéissance d'un individu isolé en rapport avec l'autorité, mais au contraire cette obéissance est profondément intégrée dans l'unité du presbyterium qui, comme tel, est appelé à vivre en collaboration cordiale avec l'évêque et, par lui, avec le successeur de Pierre.(75)

75- PO 15


Cet aspect de l'obéissance sacerdotale demande une ascèse considérable: d'une part, le prêtre s'habitue à ne pas trop s'attacher à ses propres préférences ou à ses propres points de vue; d'autre part, il laisse aux confrères l'espace suffisant pour qu'ils mettent en valeur leurs talents et leurs capacités, à l'exclusion de toute jalousie, envie et rivalité. L'obéissance sacerdotale est une obéissance solidaire, qui repose sur l'appartenance du prêtre à l'unique presbyterium et qui, toujours à l'intérieur de celui-ci, et avec lui, exprime des orientations et des choix coresponsables.

Enfin, l'obéissance sacerdotale a un caractère particulier, le caractère "pastoral". Cela veut dire que le prêtre vit dans un climat de constante disponibilité pour se laisser saisir, ou pour se laisser "manger" a-t-on pu dire, par les nécessités et les exigences du troupeau qui doivent être raisonnables; elles devront parfois faire l'objet d'un discernement et être soumises à vérification, mais il est indéniable que la vie du prêtre est totalement remplie par la faim d'Evangile, de foi, d'espérance et d'amour de Dieu et de son mystère, laquelle, plus ou moins consciemment, est présente dans le peuple de Dieu qui lui est confié.

29 Parmi les conseils évangéliques - écrit le Concile -, "il y a en première place ce don précieux de grâce fait par le Père à certains (cf. Mt 19,11 1Co 7,7) de se consacrer plus facilement et avec un coeur sans partage à Dieu seul (cf. 1Co 7,32-34) dans la virginité ou le célibat. Cette continence parfaite à cause du Règne de Dieu a toujours été l'objet, de la part de l'Eglise, d'un honneur spécial, comme signe et stimulant de la charité, et comme une source particulière de fécondité spirituelle dans le monde"(76). Dans la virginité et le célibat, la chasteté maintient sa signification fondamentale, c'est-à-dire celle d'une sexualité humaine vécue comme authentique manifestation et précieux service de l'amour de communion et de donation interpersonnelle. Cette signification subsiste pleinement dans la virginité qui, même dans le renoncement au mariage, réalise la "signification sponsale" du corps, moyennant une communion et une donation personnelle à Jésus Christ et à son Eglise; cette communion et cette donation préfigurent et anticipent la communion et la donation parfaites et définitives de l'au-delà: "Dans la virginité, l'homme est en attente, même dans son corps, des noces eschatologiques du Christ avec l'Eglise, et il se donne entièrement à l'Eglise dans l'espérance que le Christ se donnera à elle dans la pleine vérité de la vie éternelle".(77)

76- LG 42
77- FC 16


A cette lumière, on peut facilement comprendre et apprécier les motifs du choix pluriséculaire que l'Eglise d'Occident a fait et qu'elle a maintenu, malgré toutes les difficultés et les objections soulevées au long des siècles, de ne conférer l'ordination presbytérale qu'à des hommes qui attestent être appelés par Dieu au don de la chasteté dans le célibat absolu et perpétuel.

Les Pères synodaux ont exprimé avec clarté et avec force leur pensée dans une importante proposition qui mérite d'être rapportée intégralement et littéralement: "Restant sauve la discipline des Eglises orientales, le Synode, convaincu que la chasteté parfaite dans le célibat sacerdotal est un charisme, rappelle aux prêtres qu'elle constitue un don inestimable de Dieu à l'Eglise et représente une valeur prophétique pour le monde actuel. Ce Synode affirme, de nouveau et avec force, ce que l'Eglise latine et certains rites orientaux demandent, à savoir que le sacerdoce soit conféré seulement aux hommes qui ont reçu de Dieu le don de la vocation à la chasteté dans le célibat (sans préjudice pour la tradition de certaines Eglises orientales et de cas particuliers de clercs mariés provenant de conversions au catholicisme, pour lesquels il est fait exception dans l'encyclique de Paul VI sur le célibat sacerdotal -n. 42). Le Synode ne veut laisser aucun doute dans l'esprit de tous sur la ferme volonté de l'Eglise de maintenir la loi qui exige le célibat librement choisi et perpétuel pour les candidats à l'ordination sacerdotale, dans le rite latin. Le Synode demande que le célibat soit présenté et expliqué dans toute sa richesse biblique, théologique et spirituelle comme don précieux fait par Dieu à son Eglise et comme signe du Royaume qui n'est pas de ce monde, signe aussi de l'amour de Dieu envers ce monde, ainsi que de l'amour sans partage du prêtre envers Dieu et le peuple de Dieu, de sorte que le célibat soit regardé comme un enrichissement positif du sacerdoce".(78)

78- Proposition 11.


Il est particulièrement important que le prêtre comprenne la motivation théologique de la loi ecclésiastique sur le célibat. En tant que loi, elle exprime la volonté de l'Eglise, même avant que le sujet exprime sa volonté d'y être disponible. Mais la volonté de l'Eglise trouve sa dernière motivation dans le lien du célibat avec l'Ordination sacrée, qui configure le prêtre à Jésus Christ Tête et Epoux de l'Eglise. L'Eglise, comme Epouse de Jésus Christ veut être aimée par le prêtre de la manière totale et exclusive avec laquelle Jésus Christ Tête et Epoux l'a aimée. Le célibat sacerdotal alors, est don de soi dans et avec le Christ à son Eglise, et il exprime le service rendu par le prêtre à l'Eglise dans et avec le Seigneur.

Pour une vie spirituelle authentique, le prêtre doit considérer et vivre le célibat non comme un élément isolé ou purement négatif, mais comme un des aspects d'une orientation positive, spécifique et caractéristique de sa personne. Laissant son père et sa mère, il suit Jésus le Bon Pasteur dans une communion apostolique, au service du peuple de Dieu. Le célibat doit donc être accueilli dans une décision libre et pleine d'amour, à renouveler continuellement, comme un don inestimable de Dieu, comme un "stimulant de la charité pastorale"(79), comme une participation particulière à la paternité de Dieu et à la fécondité de l'Eglise, comme un témoignage du Royaume eschatologique donné au monde. Pour vivre toutes les exigences morales, pastorales et spirituelles du célibat sacerdotal, la prière humble et confiante est absolument nécessaire, comme nous en prévient le Concile: "Certes, il y a, dans le monde actuel, bien des hommes qui déclarent impossible la continence parfaite: c'est une raison de plus pour que les prêtres demandent avec humilité et persévérance, en union avec l'Eglise, la grâce de la fidélité, qui n'est jamais refusée à ceux qui la demandent. Qu'ils emploient aussi les moyens naturels et surnaturels qui sont à la disposition de tous"(80). Ce sera encore la prière unie aux sacrements de l'Eglise et à l'effort ascétique qui donnera l'espérance dans les difficultés, le pardon dans les fautes, la confiance et le courage dans la reprise de la marche en avant.

79- PO 16
80- Ibid.


30 De la pauvreté évangélique, les Pères synodaux ont donné une description plus concise et plus profonde que jamais, la présentant comme "soumission de tous les biens au Bien suprême de Dieu et de son Royaume"(81). En réalité, seul celui qui contemple et vit le mystère de Dieu comme Bien unique et suprême, comme vraie et définitive richesse, peut comprendre et réaliser la pauvreté. Elle n'est certainement pas mépris et refus des biens matériels, mais elle est usage libre de ces biens, et en même temps joyeux renoncement à ceux-ci dans une grande disponibilité intérieure, pour Dieu et pour ses desseins.

81- Proposition 8.


La pauvreté du prêtre, en raison de sa configuration sacramentelle au Christ Tête et Pasteur, revêt des connotations pastorales précises. C'est à elles que les Pères synodaux se sont arrêtés, reprenant et développant l'enseignement conciliaire(82). Ils écrivent entre autres: "Les prêtres, à l'exemple du Christ, qui, de riche qu'il était, s'est fait pauvre par amour pour nous (cf.
2Co 8,9) , doivent considérer les pauvres et les plus faibles comme leur étant confiés d'une manière spéciale, et doivent être capables de donner un témoignage de pauvreté par une vie simple et austère, étant déjà habitués à renoncer généreusement aux choses superflues ( OT 9 CIC 282) ".(83)

82- PO 17
83- Proposition 10.


Il est vrai que "l'ouvrier mérite son salaire" (Lc 10,7), et que "le Seigneur a prescrit à ceux qui annoncent l'Evangile de vivre de l'Evangile"(1Co 9,14) ; mais il est vrai aussi que ce droit de l'apôtre ne peut être confondu avec une quelconque prétention de subordonner le service de l'Evangile et de l'Eglise aux avantages et aux intérêts qui peuvent en dériver. Seule la pauvreté assure au prêtre la disponibilité nécessaire pour être envoyé là ou son action est plus utile et urgente, même au prix d'un sacrifice personnel. C'est la condition préalable de la docilité de l'apôtre à l'Esprit, qui le rend prêt à "aller" sans bagage et sans lien, suivant seulement la volonté du Maître (cf. Lc 9,57-62 Mc 10,17-22).

Personnellement intégré dans la vie de la communauté dont il est responsable, le prêtre doit présenter le témoignage d'une totale "transparence" dans l'administration des biens de la communauté. Il ne les traitera jamais comme s'ils étaient un patrimoine personnel, mais comme ce dont il doit rendre compte à Dieu et à ses frères, surtout aux pauvres. Et la conscience d'appartenir à un presbyterium unique engagera le prêtre à favoriser soit une plus équitable répartition des biens entre confrères, soit un certain usage commun de ces biens (cf. Ac 2,42-45).

La liberté intérieure, nourrie et conservée grâce à la pauvreté évangélique, rend le prêtre capable de se tenir du côté des plus faibles, de se faire solidaire de leurs efforts pour l'instauration d'une société plus juste, d'être plus sensible et plus capable de compréhension et de discernement des phénomènes touchant l'aspect économique et social de la vie, ainsi que de promouvoir le choix préférentiel des pauvres. Sans exclure personne de l'annonce et du don du salut, le prêtre sait être attentif aux petits, aux pécheurs, à tous les marginaux, selon le modèle donné par Jésus dans le déroulement de son ministère prophétique et sacerdotal (cf. Lc 4,18).

On n'oubliera pas la signification prophétique de la pauvreté sacerdotale, spécialement urgente dans les sociétés d'opulence et de consommation: "Le prêtre vraiment pauvre est certainement un signe concret de la séparation, du renoncement et non de la soumission à la tyrannie du monde contemporain qui met toute sa confiance dans l'argent et dans la sécurité matérielle".(84)

84- Proposition 10.


Sur la Croix, Jésus Christ porte à sa perfection sa charité pastorale, dans un dépouillement extrême, extérieur et intérieur; il est le modèle et la source des vertus d'obéissance, de chasteté et de pauvreté que le prêtre est appelé à vivre comme expression de son amour pastoral pour ses frères. Selon ce que Paul écrit aux chrétiens de Philippes, le prêtre doit avoir les "mêmes sentiments" que Jésus, se dépouillant de son propre "moi" pour trouver dans la charité obéissante, chaste et pauvre, la voie royale de l'union avec Dieu et de l'unité avec ses frères (cf. Ph 2,5).

L'appartenance et le dévouement à l'Eglise particulière

31
Comme toute vie spirituelle authentiquement chrétienne, celle du prêtre possède aussi une dimension ecclésiale essentielle et irremplaçable: elle est participation à la sainteté de l'Eglise elle-même, Eglise dont nous professons dans le Credo qu'elle est "Communion des Saints". La sainteté du chrétien découle de celle de l'Eglise, l'exprime et en même temps l'enrichit. Cette dimension ecclésiale revêt des modalités, des finalités et des significations particulières dans la vie spirituelle du prêtre, à cause du rapport spécifique de celui-ci avec l'Eglise, toujours à partir de sa configuration au Christ Tête et Pasteur, de son ministère ordonné et de sa charité pastorale.

Dans cette perspective, il faut considérer comme valeur spirituelle du prêtre, son appartenance et son dévouement à l'Eglise particulière. Ces réalités ne sont pas seulement motivées par des raisons d'organisation et de discipline. Au contraire le rapport avec l'évêque dans l'unité du presbyterium, le partage de sa sollicitude pour l'Eglise, le dévouement pastoral au service du peuple de Dieu dans les conditions historiques et sociales concrètes de l'Eglise particulière sont des éléments qu'on ne peut pas négliger quand on veut tracer le portrait du prêtre et de sa vie spirituelle. En ce sens, "l'incardination" ne se réduit pas à un lien juridique, mais elle suppose aussi une série d'attitudes et de choix spirituels pastoraux contribuant à donner sa physionomie propre à la vocation du prêtre.

Il est nécessaire que le prêtre ait conscience que le fait d'être dans une Eglise particulière constitue, de soi, un élément déterminant pour vivre une spiritualité chrétienne. En ce sens, le prêtre trouve précisément dans son appartenance et dans son dévouement à l'Eglise particulière une source de sens, de critères de discernement et d'action, qui modèlent sa mission pastorale et sa vie spirituelle.

A la marche vers la perfection peuvent aider aussi des inspirations ou des références à d'autres traditions de vie spirituelle, capables d'enrichir la vie sacerdotale des personnes et d'animer le presbyterium par de précieux dons spirituels. C'est le cas de beaucoup d'associations ecclésiales anciennes et nouvelles qui accueillent aussi des prêtres dans leurs rangs, depuis les sociétés de vie apostolique jusqu'aux instituts séculiers de prêtres, depuis les formes variées de communion et de partage spirituel jusqu'aux mouvements ecclésiaux. Les prêtres appartenant aux ordres religieux et aux congrégations religieuses sont une richesse spirituelle pour tout le presbyterium diocésain auquel ils apportent la contribution de leurs charismes spécifiques et de leurs ministères qualifiés; par leur présence, ils stimulent l'Eglise particulière à vivre plus intensément son ouverture universelle.(85)

85- Mutuoe relationes, n.18 : AAS 70, 1978, pp. 484-485.


L'appartenance du prêtre à l'Eglise particulière et son dévouement à celle-ci jusqu'au don de sa vie, pour l'édification de l'Eglise "en la personne" du Christ Tête et Pasteur, au service de toute la communauté chrétienne, en cordiale et filiale référence à l'évêque, doivent être renforcés par tout charisme qui inspire directement ou indirectement la vie d'un prêtre.(86)

86- Cf. Propositions 25 38.


Pour que les dons abondants de l'Esprit soient accueillis dans la joie et qu'on les fasse fructifier pour la gloire de Dieu et pour le bien de toute l'Eglise, il faut d'abord que tous connaissent et discernent leurs charismes personnels et ceux d'autrui. Ensuite, l'exercice de ces charismes doit toujours être accompagné d'humilité chrétienne, du courage de l'autocritique, de l'intention, prévalant sur toute autre préoccupation, d'aider à l'édification de toute la communauté, au service de laquelle est placé tout charisme particulier. En outre, à tous est demandé un effort sincère d'estime réciproque, de respect mutuel et de valorisation coordonnée de toutes les diversités positives et légitimes, présentes dans le presbyterium. Tout cela aussi fait partie de la vie spirituelle et de l'ascèse continue du prêtre.

32 L'appartenance et le dévouement à l'Eglise particulière ne limitent pas à cette dernière toute l'activité et la vie du prêtre. Elles ne peuvent pas y être réduites en raison de la nature même de l'Eglise particulière(87) et de celle du ministère sacerdotal. Le Concile écrit à ce sujet: "Le don spirituel que les prêtres ont reçu à l'ordination les prépare, non pas à une mission limitée et restreinte, mais à une mission de salut d'ampleur universelle, "jusqu'aux extrémités de la terre" ( Ac 1,8) ; n'importe quel ministère sacerdotal participe, en effet, aux dimensions universelles de la mission confiée par le Christ aux Apôtres".(88)

87- LG 23
88- PO 10 ; Proposition 12.


Il en résulte que la vie spirituelle des prêtres doit être profondément marquée par l'élan et le dynamisme missionnaires. Il leur revient, dans l'exercice de leur ministère et dans le témoignage de leur vie, de faire de la communauté qui leur est confiée une communauté authentiquement missionnaire. Comme je l'ai écrit dans l'encyclique Redemptoris missio, "tous les prêtres doivent avoir un coeur et une mentalité missionnaires, être ouverts aux besoins de l'Eglise et du monde, attentifs aux plus éloignés, et surtout aux groupes non chrétiens de leur milieu. Dans la prière et en particulier dans le sacrifice eucharistique, ils porteront la sollicitude de toute l'Eglise pour l'ensemble de l'humanité".(89)

89- RMi 67


Si cet esprit missionnaire anime généreusement la vie des prêtres, il sera plus facile de répondre à une situation toujours plus grave aujourd'hui dans l'Eglise, celle qui provient de l'inégale distribution du clergé. Sur ce point, le Concile a été on ne peut plus clair et fort: "Les prêtres se souviendront donc qu'ils doivent avoir au coeur le souci de toutes les Eglises. Ainsi les prêtres des diocèses plus riches en vocation se tiendront prêts à partir volontiers, avec la permission de leur Ordinaire ou à son appel, pour exercer leur ministère dans des pays, des missions ou des activités qui souffrent du manque de prêtres".(90)

90- PO 10


"Renouvelle en eux l'effusion de ton Esprit de sainteté"

33
"L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a consacré par l'onction. Il m'a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres" (
Lc 4,18). Jésus fait retentir encore aujourd'hui dans notre coeur de prêtres les paroles qu'il a prononcées dans la synagogue de Nazareth. Notre foi, en effet, nous révèle la présence active de l'Esprit du Christ dans notre être, notre agir et notre vie, de la même façon que le sacrement de l'Ordre les a formés, habilités et modelés.

Oui, l'Esprit du Seigneur est le grand protagoniste de notre vie spirituelle. Il crée le "coeur nouveau", l'anime, le guide avec la "loi nouvelle" de la charité, de la charité pastorale. La conscience que la grâce de l'Esprit Saint ne manque jamais au prêtre comme don totalement gratuit et comme engagement à la responsabilité, est décisive pour le développement de sa vie spirituelle. La conscience de ce don pénètre et soutient l'inébranlable confiance du prêtre au milieu des difficultés, des tentations, des faiblesses qui jalonnent l'itinéraire spirituel.
Je propose de nouveau à tous les prêtres ce que j'ai dit à beaucoup d'entre eux en une autre occasion: "La vocation sacerdotale est essentiellement un appel à la sainteté dans la forme qui découle du sacrement de l'Ordre. La sainteté est intimité avec Dieu, elle est imitation du Christ pauvre, chaste et humble; elle est amour sans réserve envers les âmes, et don de soi-même pour leur véritable bien; elle est amour pour l'Eglise qui est sainte et nous veut saints, car telle est la mission que le Christ lui a confiée. Chacun de vous doit aussi être saint afin d'aider ses frères à réaliser leur vocation à la sainteté.
"Comment ne pas réfléchir (.) sur le rôle essentiel que l'Esprit Saint joue dans l'appel spécifique à la sainteté propre au ministère sacerdotal ? Rappelons les paroles du rite de l'Ordination sacerdotale, que l'on estime centrales dans la formule sacramentelle: "Nous t'en prions, Père tout-puissant, donne à tes serviteurs que voici d'entrer dans l'ordre des prêtres. Répands une nouvelle fois au plus profond d'eux-mêmes l'Esprit de sainteté. Qu'ils reçoivent de toi, Seigneur, la charge de seconder l'ordre épiscopal. Qu'ils incitent à la pureté des moeurs par l'exemple de leur conduite".

"Par l'Ordination, chers amis, vous avez reçu l'Esprit même du Christ, qui vous rend semblables à lui afin que vous puissiez agir en son nom et vivre en vous-mêmes ses propres sentiments. Tandis que cette intime communion avec l'Esprit du Christ assure l'efficacité de l'action sacramentelle que vous accomplissez "in persona Christi", elle requiert également de s'exprimer dans la ferveur de la prière, dans la cohérence de la vie, dans la charité pastorale d'un ministère inlassablement orienté vers le salut des frères. En un mot elle requiert votre sanctification personnelle".(91)

91- Homélie à 5000 prêtres provenant du monde entier, 9 octobre 1984, n.2 : Insegnamenti VII/2, 1984, p.839.



CHAPITRE IV

VENEZ ET VOYEZ


La vocation sacerdotale dans la pastorale de l'Eglise


Chercher, suivre, demeurer

34
"Venez et voyez" (
Jn 1,39). C'est ainsi que Jésus répond aux deux disciples de Jean Baptiste qui lui demandaient ou il habitait. Dans ces paroles, nous trouvons la signification de la vocation.

Voici comment l'Evangéliste raconte l'appel d'André et de Pierre: "Le lendemain, Jean se tenait là, de nouveau, avec deux de ses disciples. Fixant les yeux sur Jésus qui passait, il dit: "Voici l'agneau de Dieu". Les deux disciples, l'entendant ainsi parler, suivirent Jésus. Jésus se retourna et vit qu'ils le suivaient. Il leur dit: "Que voulez-vous?" Ils lui répondirent: "Rabbi (ce mot signifie Maître), ou demeures-tu?" Il leur dit: "Venez et voyez". Ils allèrent donc et virent ou il demeurait, et ils restèrent auprès de lui ce jour-là. C'était environ la dixième heure.
"André, le frère de Simon-Pierre, était l'un des deux qui avaient entendu les paroles de Jean et suivi Jésus. Il rencontre d'abord son frère Simon et lui dit: "Nous avons trouvé le Messie" - ce qui veut dire Christ. Il l'amena à Jésus. Jésus le regarda et dit: "Tu es Simon, le fils de Jean; tu t'appelleras Céphas" - ce qui veut dire Pierre" (Jn 1,35-42).

Cette page de l'Evangile est l'une des nombreuses pages ou la Sainte Ecriture décrit le "mystère" de la vocation; dans le cas présent, il s'agit du mystère de la vocation des Apôtres de Jésus. La page de Jean, qui a aussi une signification pour la vocation chrétienne comme telle, est d'une valeur exemplaire pour la vocation sacerdotale. L'Eglise, en tant que communauté des disciples de Jésus, est appelée à fixer son regard sur cette scène, qui, en quelque manière, se renouvelle continuellement dans l'histoire. Elle est invitée à approfondir le sens original et personnel de l'appel à suivre le Christ, dans le ministère sacerdotal, et l'inséparable lien entre la grâce divine et la responsabilité humaine, lien contenu et révélé par deux mots que nous trouvons plusieurs fois dans l'Evangile: viens et suis-moi (cf. Mt 19,21). Elle est appelée à expliquer et à décrire le dynamisme propre de la vocation, son développement graduel et concret selon les étapes suivantes: chercher Jésus, le suivre, et demeurer avec lui.

L'Eglise trouve dans cet "Evangile de la vocation" l'exemple, la force et l'élan nécessaires à sa pastorale des vocations, c'est-à-dire la mission qui vise à s'occuper de la naissance, du discernement et de l'accompagnement des vocations, en particulier des vocations au sacerdoce. Parce que "le manque de prêtres est certainement la tristesse de toute Eglise"(92), la pastorale des vocations doit, aujourd'hui surtout, être entreprise avec une ardeur nouvelle, vigoureuse et plus déterminée, par tous les membres de l'Eglise. On doit être convaincu qu'elle n'est pas un élément secondaire ou accessoire, ni un moment isolé ou limité, telle une simple "partie", si importante soit-elle, de la pastorale d'ensemble de l'Eglise; c'est plutôt, comme l'ont répété les Pères synodaux, une activité intimement insérée dans la pastorale générale de toute Eglise(93), une charge qui doit être incorporée et pleinement identifiée à ce qu'on appelle habituellement "charge d'âmes"(94), une dimension connaturelle et essentielle à la pastorale de l'Eglise, comme à sa vie et à sa mission(95).

92- Discours de clôture du Synode, 27 octobre 1990, n.5 : l.c.
93- Cf. Proposition 6.
94- Cf. Proposition 13.
95- Cf. Proposition 4.


Oui, le thème de la vocation est connaturel et essentiel à la pastorale de l'Eglise. La raison en est que la vocation constitue, en un sens, l'être profond de l'Eglise, avant même son action. Le nom de l'Eglise, Ecclesia, indique que sa nature est liée en profondeur à la vocation, parce que l'Eglise est vraiment "convocation", assemblée des appelés: "L'assemblée de ceux qui regardent dans la foi vers Jésus, auteur du salut, principe d'unité et de paix, Dieu l'a convoquée et il en a fait l'Eglise, pour qu'elle soit aux yeux de tous et de chacun le sacrement visible de cette unité salutaire"(96).

96- LG 9


Une lecture proprement théologique de la vocation sacerdotale et de la pastorale qui la concerne ne peut se faire qu'à partir du mystère de l'Eglise, comme mysterium vocationis.

L'Eglise et le don de la vocation

35
Toute vocation chrétienne trouve son fondement dans l'élection gratuite et prévenante de la part du Père "qui nous a bénis par toutes sortes de bénédictions spirituelles, aux cieux, dans le Christ. C'est ainsi qu'Il nous a élus en Lui, dès avant la création du monde, pour être saints et immaculés sous son regard, dans l'amour, déterminant d'avance que nous serions pour Lui des fils adoptifs par Jésus Christ. Tel fut le bon plaisir de sa volonté" (
Ep 1,3-5).

Toute vocation chrétienne vient de Dieu, est don de Dieu; mais elle n'est jamais donnée en dehors ou indépendamment de l'Eglise. Elle passe toujours dans l'Eglise et par l'Eglise, parce que, comme le rappelle le Concile Vatican II, "il a plu à Dieu que les hommes ne reçoivent pas la sanctification et le salut séparément hors de tout lien mutuel; il a voulu au contraire en faire un peuple qui le reconnaîtrait selon la vérité et le servirait dans la sainteté"(97).

97- LG 9


Non seulement l'Eglise accueille en elle toutes les vocations que Dieu lui donne sur son chemin de salut, mais elle prend elle-même les traits d'un mystère de vocation, lumineux et vivant reflet du mystère de la sainte Trinité. En réalité, l'Eglise, "peuple réuni par l'unité du Père, du Fils et de l'Esprit Saint"(98), porte en elle le mystère du Père qui, sans être appelé ou envoyé par personne (cf. Rm 11,33-35) , appelle tout le monde à sanctifier son nom et à accomplir sa volonté; l'Eglise garde en elle-même le mystère du Fils, qui est appelé et envoyé par le Père pour annoncer à tous le Royaume de Dieu, en les appelant tous à le suivre. L'Eglise enfin est dépositaire du mystère de l'Esprit Saint qui consacre pour la mission ceux et celles que le Père appelle par son Fils Jésus Christ.

98- S. Cyprien, De dominica Oratione, 23 : CCL 3/A,105.


L'Eglise qui, par nature, est "vocation", est génératrice et éducatrice de vocations. Elle l'est dans son être de "sacrement" en tant que "signe" et "instrument", dans lequel retentit et s'accomplit la vocation de tout chrétien; elle l'est dans son action, c'est-à-dire dans l'exercice de son ministère d'annonce de la Parole, de célébration des sacrements, de service et de témoignage de la charité.

On peut dès lors saisir à quel point la vocation chrétienne a, par avance, une dimension ecclésiale. Non seulement la vocation dérive "de" l'Eglise et de sa médiation; non seulement elle se fait reconnaître et s'accomplit "dans" l'Eglise; mais - dans le service fondamental qu'elle rend à Dieu - elle se présente aussi et nécessairement comme rendant service "à" l'Eglise. La vocation chrétienne, dans toutes ses formes, est un don destiné à l'édification de l'Eglise, à la croissance du Règne de Dieu dans le monde(99).

99- AA 3


Ce que nous disons de toute vocation chrétienne trouve une réalisation particulière dans la vocation sacerdotale. Cette vocation est un appel, par le sacrement de l'Ordre reçu dans l'Eglise, à se mettre au service du peuple de Dieu avec une appartenance spéciale et une configuration à Jésus Christ, comportant l'autorité d'agir "au nom et dans la personne " de celui qui est la Tête et le Pasteur de l'Eglise.

Dans cette perspective, on comprend ce qu'écrivent les Pères synodaux: "La vocation de chaque prêtre existe dans l'Eglise et pour l'Eglise: c'est par elle que s'accomplit cette vocation. Il s'ensuit que tout prêtre reçoit la vocation du Seigneur, par l'intermédiaire de l'Eglise, comme un don gracieux, une grâce gratis data (charisme). Il appartient à l'évêque ou au supérieur compétent non seulement de soumettre à examen l'aptitude et la vocation du candidat, mais aussi de la reconnaître. Une telle intervention de l'Eglise fait partie de la vocation au ministère presbytéral comme tel. Le candidat au presbytérat doit recevoir la vocation sans imposer ses propres conditions personnelles, mais en acceptant aussi les normes et les conditions posées par l'Eglise elle-même, selon sa propre responsabilité"(100).

100- Proposition 5.



1992 Pastores Dabo Vobis 27