Pastores gregis FR 16

Se nourrir de l'Eucharistie

16 De même que le mystère pascal est au centre de la vie et de la mission du Bon Pasteur, de même aussi l'Eucharistie est au centre de la vie et de la mission de l'Évêque, comme de tout prêtre.

Par la célébration quotidienne de la sainte Messe, il s'offre lui-même avec le Christ. Quand cette célébration se tient dans la cathédrale ou dans les autres églises, spécialement paroissiales, avec le concours et la participation active des fidèles, l'Évêque apparaît aux yeux de tous comme ce qu'il est, c'est-à-dire comme le Sacerdos et Pontifex, car il agit dans la personne du Christ et dans la puissance de son Esprit, et comme le hiereus, le prêtre saint, destiné à célébrer les saints mystères de l'autel, celui qui annonce et qui explique par la prédication.74

L'amour de l'Évêque pour la sainte Eucharistie s'exprime aussi quand, au cours de la journée, il consacre une part assez importante de son temps à l'adoration du Saint-Sacrement. Là, l'Évêque ouvre son âme au Seigneur pour que, par la charité répandue sur la Croix, elle soit toute remplie par le grand Pasteur des brebis et conformée à lui, qui a livré son sang et donné sa vie pour elles. Vers Lui aussi il fait monter sa prière, continuant à intercéder pour les brebis qui lui ont été confiées.

74 Cf. Pseudo Denys l'Aréopagite, De Ecclesiastica Hierarchia, III: PG 3, 512; S. Thomas d'Aquin, S. Th.
II-II 184,5.


La prière et la Liturgie des Heures

17 Un deuxième moyen indiqué par les Pères synodaux est la prière, spécialement celle qui monte vers le Seigneur par la célébration de la Liturgie des Heures, qui est spécifiquement et toujours prière de la communauté chrétienne au nom du Christ et sous l'action de l'Esprit.

La prière est en elle-même un devoir spécial pour un Évêque et pour ceux qui ont « reçu le don de la vocation à une vie de consécration spéciale [...]: par nature, cette vocation les rend plus disponibles à l'expérience contemplative ».75 L'Évêque lui-même ne saurait oublier qu'il est successeur de ces Apôtres qui ont été institués par le Christ avant tout « pour être avec lui » (
Mc 3,14) et qui, au début de leur mission, firent cette déclaration solennelle, qui est un programme de vie: « Pour notre part, nous resterons fidèles à la prière et au service de la Parole » (Ac 6,4). L'Évêque ne réussira donc à être un maître de prière pour les fidèles que s'il peut compter sur son expérience personnelle de dialogue avec Dieu. Il doit pouvoir s'adresser à Dieu à tout moment en reprenant la parole du psalmiste: « J'espère en ta parole » (Ps 119 [118], 114). C'est vraiment dans la prière qu'il pourra puiser l'espérance qu'il doit communiquer aux fidèles. La prière est en effet le lieu privilégié où s'exprime et où se nourrit l'espérance, car elle est, selon une expression de saint Thomas d'Aquin, « l'interprète de l'espérance ».76

La prière personnelle de l'Évêque sera tout particulièrement une prière typiquement « apostolique », à savoir présentée au Père comme intercession pour tous les besoins du peuple qui lui a été confié. Tel est, dans le Pontifical romain, l'ultime engagement de celui qui a été élu à l'épiscopat, avant que l'on procède à l'imposition des mains: « Voulez-vous intercéder sans relâche auprès de Dieu pour le peuple saint et remplir de façon irréprochable la fonction de grand prêtre et de pasteur? ».77 De manière toute particulière, l'Évêque prie pour la sainteté de ses prêtres, pour les vocations au ministère ordonné et à la vie consacrée, afin que dans l'Église soit toujours plus fort l'engagement missionnaire et apostolique.

En ce qui concerne la Liturgie des Heures, destinée à consacrer et à orienter le cours entier de la journée par la louange à Dieu, comment ne pas se rappeler les magnifiques expressions du Concile? « Lorsque cet admirable cantique de louange est accompli selon les règles par les prêtres ou par d'autres, délégués à cela par institution de l'Église, ou par les fidèles priant avec le prêtre selon la forme approuvée, alors c'est vraiment la voix de l'Épouse qui s'adresse à l'Époux, ou mieux, c'est la prière que le Christ, uni à son Corps, adresse au Père. Ainsi donc, tous ceux qui assurent ce service accomplissent l'office de l'Église et, en même temps, participent de l'honneur suprême de l'Épouse du Christ, parce qu'en s'acquittant des louanges à rendre à Dieu, ils se tiennent devant le trône de Dieu au nom de la Mère Église ».78 Écrivant sur la prière de l'Office divin, mon Prédécesseur le Pape Paul VI affirmait qu'elle est « prière de l'Église locale », dans laquelle s'exprime « la vraie nature de l'Église priante ».79 Dans la consecratio temporis que laLiturgie des Heures réalise, se rend présente la laus perennis qui est anticipation et préfiguration de la Liturgie céleste, lien d'union avec les anges et les saints qui, éternellement, glorifient le nom de Dieu. Aussi, plus un Évêque s'insère dans le dynamisme eschatologique de la prière du psautier, plus il se montre et se réalise comme un homme d'espérance. Dans les psaumes résonne la Vox sponsae qui invoque l'Époux.

Tout Évêque prie donc avec son peuple et prie pour son peuple. Mais il est aussi édifié et aidé par la prière de ses fidèles, prêtres, diacres, personnes de vie consacrée et laïcs de tous âges. Au milieu d'eux, l'Évêque est éducateur et promoteur de la prière. Non seulement il transmet ce qu'il a contemplé, mais il ouvre les chrétiens au chemin même de la contemplation. La fameuse devisecontemplata aliis tradere devient en ce sens une contemplationem aliis tradere.

75 Jean-Paul II, Lettre apost. Novo millennio ineunte (6 janvier 2001), n. NM 34: AAS 93 (2001), p. 290; La Documentation catholique 98 (2001), p. 80.
76 S. Th. II-II 17,2.
77 Rite de l'ordination d'un Évêque: Paris 1996, n. 40 (engagement du prêtre choisi pour l'épiscopat).
78 Const. sur la sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium, nn. SC 84-85.
79 Const. apost. Laudis canticum (1er novembre 1970): AAS 63 (1971), p. 532; La Documentation catholique 68 (1971), p. 663.


La voie des conseils évangéliques et des Béatitudes

18 Pour tous ses disciples, spécialement pour ceux qui déjà durant leur vie terrestre veulent le suivre de plus près à la manière des Apôtres, le Seigneur propose la voie des conseils évangéliques. En plus d'être un don de la Trinité à l'Église, les conseils sont, chez le croyant, un reflet de la vie trinitaire.80 Ils le sont d'une manière spéciale chez l'Évêque, qui, comme successeur des Apôtres, est appelé à suivre le Christ sur le chemin de la perfection de la charité. C'est pourquoi il est consacré, comme Jésus est consacré. Sa vie est dépendance radicale de Lui et totale transparence de Lui devant l'Église et le monde. Dans la vie de l'Évêque doit resplendir la vie de Jésus et donc son obéissance au Père jusqu'à la mort, et la mort sur la croix (cf. Ph 2,8), son amour chaste et virginal, sa pauvreté qui est liberté absolue par rapport aux biens terrestres.

De cette manière, les Évêques peuvent par leur exemple guider non seulement ceux qui, dans l'Église, ont été appelés à suivre le Christ dans la vie consacrée, mais aussi les prêtres, auxquels est également proposée la radicalité de la sainteté selon l'esprit des conseils évangéliques. Du reste, une telle radicalité engage tous les fidèles, même les laïcs, puisqu'elle « est une exigence fondamentale et irremplaçable, qui découle de l'appel du Christ à le suivre et à l'imiter, en vertu de l'étroite communion de vie avec Lui, opérée par le Saint Esprit ».81

Sur le visage de l'Évêque, en définitive, les fidèles doivent pouvoir contempler les qualités qui sont un don de la grâce et qui, dans les Béatitudes, constituent comme l'autoportrait du Christ: le visage de la pauvreté, de la douceur et de la passion pour la justice; le visage miséricordieux du Père et de l'homme pacifique et pacificateur; le visage de la pureté de celui qui regarde constamment et uniquement vers Dieu. Les fidèles doivent pouvoir voir aussi en leur Évêque le visage de celui qui revit la compassion de Jésus envers les affligés et parfois, comme cela est advenu dans l'histoire et advient encore aujourd'hui, le visage plein de force et de joie intérieure de celui qui est persécuté à cause de la vérité de l'Évangile.

80 Jean-Paul II, Exhort. apost. post-synodale Vita consecrata (25 mars 1996), nn. VC 20-21: AAS 88 (1996), pp. 393-395; La Documentation catholique 93 (1996), p. 358.
81 Jean-Paul II, Exhort. apost. post-synodale Pastores dabo vobis (25 mars 1992), n. PDV 27: AAS 84 (1992), p. 701; La Documentation catholique 89 (1992), p. 466.


La vertu d'obéissance

19 Portant en soi ces aspects très humains de Jésus, l'Évêque devient aussi le modèle et le promoteur d'une spiritualité de communion, qui tend, avec une attention vigilante, à construire l'Église, de manière que tout, paroles et actions, soit accompli sous le signe de la soumission filiale, dans le Christ et dans l'Esprit, au dessein plein d'amour du Père. En tant que maître de sainteté et ministre de la sanctification de son peuple, l'Évêque est en effet appelé à accomplir fidèlement la volonté du Père. L'obéissance de l'Évêque doit être vécue en prenant pour modèle – il ne saurait en être autrement – l'obéissance même du Christ, qui a affirmé maintes fois qu'il n'était pas descendu du ciel pour faire sa volonté mais pour faire la volonté de celui qui l'avait envoyé (cf. Jn 6,38 Jn 8,29 Ph 2,7-8).

Marchant sur les traces du Christ, l'Évêque est obéissant à l'Évangile et à la Tradition de l'Église, il sait lire les signes des temps et reconnaître la voix de l'Esprit Saint dans le ministère pétrinien et dans la collégialité épiscopale. Dans l'exhortation apostolique Pastores dabo vobis, j'ai mis en lumière le caractère apostolique, communautaire et pastoral de l'obéissance presbytérale.82 Évidemment, ces caractéristiques se retrouvent, d'une manière plus marquée encore, dans l'obéissance de l'Évêque.

La plénitude du sacrement de l'Ordre qu'il a reçu le place en effet dans une relation spéciale avec le Successeur de Pierre, avec les membres du Collège épiscopal et avec son Église particulière. Il doit se sentir engagé à vivre intensément ces rapports avec le Pape et avec ses frères Évêques dans un lien étroit d'unité et de collaboration, répondant ainsi au dessein divin qui a voulu unir inséparablement les Apôtres autour de Pierre. En vertu de l'Ordre reçu, cette communion hiérarchique de l'Évêque avec le Souverain Pontife renforce sa capacité de rendre présent Jésus Christ, Chef invisible de toute l'Église.

À l'aspect apostolique de l'obéissance on ne peut pas ne pas ajouter aussi l'aspect communautaire, en ce sens que l'épiscopat est par nature « un et indivis ».83 En vertu de ce caractère communautaire, l'Évêque est appelé à vivre son obéissance en dominant toute tentation d'individualisme et en prenant à coeur, dans l'ensemble de la mission du Collège épiscopal, la sollicitude pour le bien de toute l'Église.

En tant que modèle d'écoute, l'Évêque sera par ailleurs attentif à reconnaître, dans la prière et dans le discernement, la volonté de Dieu à travers ce que l'Esprit dit à l'Église. En exerçant son autorité d'une manière évangélique, il saura entretenir le dialogue avec ses collaborateurs et ses fidèles afin de faire croître efficacement l'entente réciproque.84 Cela lui permettra de mettre en valeur sur le plan pastoral la dignité et la responsabilité de chaque membre du peuple de Dieu, favorisant de manière équilibrée et sereine l'esprit d'initiative de chacun. Il faut en effet aider les fidèles à progresser vers une obéissance responsable qui les rende actifs sur le plan pastoral.85 Sur ce point, l'exhortation que saint Ignace d'Antioche adressait à Polycarpe garde toute son actualité: « Que rien ne se fasse sans ton avis et toi non plus, ne fais rien sans Dieu ».86

82 Cf. n. PDV 28: AAS, l.c., pp. 701-703; La Documentation catholique, l.c., p. 467.
83 Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. LG 18.
84 Cf. ibid., nn. LG 27 LG 37.
85 Cf. Proposition 10.
86 Lettre à Polycarpe, IV, 1: PG 5, 721; SCh 10 (1969), p.149.


L'esprit et la pratique de la pauvreté chez l'Évêque

20 En signe de syntonie collégiale, les Pères synodaux ont repris l'appel que j'avais lancé au cours de la Liturgie d'ouverture du Synode, afin que la Béatitude évangélique de la pauvreté soit jugée comme l'une des conditions nécessaires pour réaliser, dans la situation actuelle, un fécond ministère épiscopal. Dans cette circonstance aussi, au sein de l'assemblée des Évêques, s'est comme dessinée la figure du Christ Seigneur, qui a « accompli l'oeuvre de rédemption dans la pauvreté et la persécution », et qui invite aussi l'Église, en tout premier lieu ses pasteurs, « à s'engager dans cette même voie pour communiquer aux hommes les fruits du salut ».87

C'est pourquoi l'Évêque, qui veut être authentique témoin et ministre de l'Évangile de l'espérance, doit être vir pauper. Cela est requis pour le témoignage qu'il est tenu de rendre au Christ pauvre; cela est aussi requis pour la sollicitude de l'Église envers les pauvres, à l'égard desquels il faut faire un choix préférentiel. La décision de l'Évêque de vivre son ministère dans la pauvreté contribue de manière décisive à faire de l'Église la « maison des pauvres ».

De plus, une telle décision met l'Évêque dans une situation de liberté intérieure en ce qui concerne l'exercice du ministère, lui permettant de communiquer efficacement les fruits du salut. L'autorité épiscopale doit être exercée avec une générosité inlassable et avec une gratuité sans faille. Cela requiert de la part de l'Évêque une totale confiance dans la providence du Père céleste, une généreuse communion des biens, un train de vie sobre, un souci de conversion personnelle permanente. C'est la seule manière pour lui d'être capable de participer aux angoisses et aux souffrances du peuple de Dieu, qu'il doit non seulement guider et nourrir, mais dont il doit être solidaire, partageant ses problèmes et contribuant à entretenir son espérance.

Il accomplira ce service avec efficacité si sa vie est simple, sobre et en même temps active et généreuse, et s'il met ceux qui sont reconnus comme les derniers dans notre société non pas en marge mais au centre de la communauté chrétienne.88 Sans presque s'en rendre compte, il favorisera l'« imagination de la charité », qui mettra en lumière, plus que l'efficacité des secours apportés, la capacité de vivre le partage fraternel. En effet, dans l'Église apostolique, comme en témoignent amplement les Actes des Apôtres, la pauvreté de certains suscitait la solidarité des autres, avec le résultat surprenant qu'« aucun d'entre eux n'était dans la misère » (4,34). L'Église est débitrice de cette prophétie au monde assailli par les problèmes de la faim et des inégalités entre les peuples. Dans cette perspective de partage et de simplicité, l'Évêque administre les biens de l'Église en « bon père de famille » et il veille à ce qu'ils soient employés selon les fins propres de l'Église: le culte de Dieu, la subsistance des ministres, les oeuvres d'apostolat, les initiatives de charité envers les pauvres.

Être procurator pauperum a toujours été un titre des pasteurs de l'Église et doit l'être concrètement aujourd'hui encore, pour rendre présent et parlant le message de l'Évangile de Jésus Christ comme fondement de l'espérance de tous, mais spécialement de ceux qui peuvent attendre de Dieu seul une vie plus digne et un avenir meilleur. Stimulées par l'exemple des Pasteurs, l'Église et les Églises doivent mettre en oeuvre l'« option préférentielle pour les pauvres », que j'ai donnée comme programme pour le troisième millénaire.89

87 Conc. oecum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n.
LG 8.
88 Cf. Proposition 9.
89 Cf. Lettre apost. Novo millennio ineunte (6 janvier 2001), n. NM 49: AAS 93 (2001), p. 302; La Documentation catholique 98 (2001), p. 86.


Avec la chasteté au service d'une Église qui reflète la pureté du Christ

21 « Recevez cet anneau, signe de fidélité: gardez dans la pureté de la foi l'Épouse de Dieu, la sainte Église ». Par ces paroles, proclamées dans le Pontifical romain,90 l'Évêque est invité à prendre conscience de l'engagement qu'il prend de refléter en lui-même l'amour virginal du Christ pour tous ses fidèles. Il est appelé avant tout à susciter parmi les fidèles des rapports mutuels inspirés du respect et de l'estime qui conviennent à une famille où fleurit l'amour, selon l'exhortation de l'Apôtre Pierre: « D'un coeur pur, aimez-vous intensément les uns les autres, car Dieu vous a fait renaître, non pas d'une semence périssable, mais d'une semence impérissable: sa parole vivante qui demeure » (1P 1,22-23).

Tandis que, par son exemple et par sa parole, il exhorte les chrétiens à offrir leurs personnes en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu (cf. Rm 12,1), il rappelle à tous que « ce monde tel que nous le voyons est en train de passer » (1Co 7,31), et qu'il est donc de leur devoir de vivre en « attendant la bienheureuse espérance » du retour glorieux du Christ (cf. Tt 2,13). En particulier, dans sa sollicitude pastorale il manifeste une paternelle affection à tous ceux qui ont embrassé la vie religieuse par la profession des conseils évangéliques et qui offrent leur précieux service à l'Église. Il soutient également et il encourage les prêtres, qui, appelés par la grâce divine, ont librement assumé l'engagement du célibat pour le Royaume des cieux, se rappelant à lui-même et leur rappelant les motifs évangéliques et spirituels de ce choix, plus important que jamais pour le service du peuple de Dieu. Pour l'Église et pour le monde d'aujourd'hui, le témoignage de l'amour chaste constitue, d'un côté, une sorte de thérapie spirituelle pour l'humanité et, de l'autre, une contestation de l'idolâtrie de l'instinct sexuel.

Dans le contexte social actuel, l'Évêque doit être particulièrement proche de son troupeau et tout d'abord de ses prêtres, attentif comme un père à leurs difficultés ascétiques et spirituelles, leur apportant le soutien qui convient pour affermir leur fidélité à leur vocation et aux exigences d'une sainteté de vie exemplaire dans l'exercice du ministère. En cas de graves manquements et, plus encore, de délits qui portent atteinte au témoignage même de l'Évangile, spécialement du fait des ministres de l'Église, l'Évêque doit se montrer fort et décidé, juste et serein. Il est tenu d'intervenir rapidement, selon les normes canoniques établies, tant pour la correction et le bien spirituel du ministre sacré que pour la réparation du scandale et le rétablissement de la justice, comme aussi pour ce qui concerne la protection des victimes et l'aide à leur apporter.

Par sa parole, par son action vigilante et paternelle, l'Évêque accomplit le devoir d'offrir au monde la vérité d'une Église sainte et chaste, dans ses ministres et dans ses fidèles. En agissant de la sorte, le Pasteur se tient en avant de son peuple comme l'a fait le Christ, l'Époux, qui a donné sa vie pour nous et qui a laissé à tous l'exemple d'un amour limpide et virginal, et donc aussi fécond et universel.

90 Rite de l'ordination d'un Évêque: n. 51, remise de l'anneau.


Animateur d'une spiritualité de communion et de mission

22 Dans la lettre apostolique Novo millennio ineunte, j'ai mis en évidence la nécessité de « faire de l'Église la maison et l'école de la communion ».91 Cette réflexion a eu un large écho et elle a été reprise dans l'Assemblée synodale. Naturellement, c'est en tout premier lieu l'Évêque qui, dans son cheminement spirituel, a le devoir de se faire le promoteur et l'animateur d'une spiritualité de communion, s'attachant inlassablement à en faire un des principes éducatifs de fond dans tous les lieux où sont formés l'homme et le chrétien: dans les paroisses, dans les associations catholiques, dans les mouvements ecclésiaux, dans les écoles catholiques, dans les groupes de jeunes. D'une manière particulière, il reviendra à l'Évêque de faire en sorte que la spiritualité de la communion apparaisse et s'affermisse là où sont éduqués les futurs prêtres, c'est-à-dire dans les séminaires, comme aussi dans les noviciats religieux, dans les maisons religieuses, dans les Instituts et dans les Facultés de théologie.

J'ai indiqué de manière synthétique dans cette même lettre apostolique les points marquants de cette promotion de la spiritualité de communion. Il suffira d'ajouter ici qu'un Évêque doit particulièrement l'encourager à l'intérieur de son presbytérium, ainsi que parmi les diacres, les religieux et les religieuses. Il le fera dans le dialogue, dans les rencontres personnelles, et aussi dans les rencontres communautaires, pour lesquelles il ne manquera pas de favoriser dans son Église particulière des moments spéciaux où l'on se disposera à mieux écouter « ce que l'Esprit dit aux Églises » (
Ap 2,72, etc.). Tels sont par exemple les retraites, les exercices spirituels et les journées de récollection, comme aussi l'utilisation prudente des nouveaux instruments de communication sociale, si cela est jugé opportun pour une plus grande efficacité.

Cultiver une spiritualité de communion, cela veut aussi dire, pour un Évêque, nourrir la communion avec le Pontife romain et avec ses autres frères Évêques, spécialement au sein de la même Conférence épiscopale et de la même Province ecclésiastique. Même dans ce cas, notamment pour dépasser le risque de la solitude et du découragement devant l'ampleur et la disproportion des problèmes, un Évêque aura volontiers recours, en plus de la prière, à l'amitié et à la communion fraternelle avec ses Frères dans l'épiscopat.

Dans sa source et dans son modèle trinitaire, la communion s'exprime toujours dans la mission. La mission est le fruit et la conséquence logique de la communion. On favorise le dynamisme de la communion quand on s'ouvre aux horizons et aux urgences de la mission, en garantissant toujours le témoignage de l'unité afin que le monde croie, et en élargissant les espaces de l'amour afin que tous parviennent à la communion trinitaire, de laquelle ils procèdent et à laquelle ils sont destinés. Plus la communion est intense, plus sera favorisée la mission, spécialement quand elle est vécue dans la pauvreté de l'amour, qui est la capacité de s'approcher de toute personne, groupe et culture, avec la seule force de la Croix, spes unica et témoignage suprême de l'amour de Dieu, et qui se manifeste aussi comme amour de fraternité universelle.

91 N. NM 43: AAS 93 (2001), p. 296; La Documentation catholique 98 (2001), p. 83.


Un chemin qui se poursuit dans le quotidien

23 Le réalisme spirituel incite à reconnaître que l'Évêque est appelé à vivre sa vocation à la sainteté dans le contexte de difficultés extérieures et intérieures, de faiblesses personnelles et de celles d'autrui, d'imprévus quotidiens, de problèmes personnels et institutionnels. C'est là dans la vie des pasteurs une situation constante, dont témoigne saint Grégoire le Grand lorsqu'il constate avec douleur: « Mais depuis que j'ai chargé mon épaule, par amour, du fardeau pastoral, mon âme ne sait plus garder un recueillement constant, partagée comme elle l'est entre tant de soucis. Car je suis contraint d'examiner tantôt les litiges des Églises, tantôt ceux des monastères; et souvent de porter un jugement sur la vie et les actes de particuliers. [...] Comment mon âme divisée et déchirée pourrait-elle bien revenir à elle pour rassembler toutes ses forces en vue de la prédication, et ne pas délaisser ce ministère de la parole? [...] Ainsi le guetteur doit vivre à la fois sur les hauteurs et sur ses gardes ».92

Pour contrebalancer les forces centrifuges qui tentent de briser son unité intérieure, l'Évêque a besoin de cultiver un style de vie serein, qui favorise l'équilibre mental, psychologique et affectif, et qui le rende capable de s'ouvrir à l'accueil des personnes et de leurs interrogations, dans un contexte d'authentique participation aux diverses situations, joyeuses ou tristes. Le soin de sa propre santé dans ses différentes dimensions constitue aussi, pour un Évêque, un acte d'amour envers les fidèles et la garantie d'une plus grande ouverture et d'une plus grande disponibilité aux inspirations de l'Esprit. On connaît à ce sujet les recommandations faites par saint Charles Borromée, figure lumineuse de pasteur, dans son discours à son dernier Synode: « Tu as charge d'âmes? Ce n'est pas une raison pour négliger la charge de toi-même et pour te donner si généreusement aux autres qu'il ne reste plus rien de toi-même pour toi. Car tu dois te souvenir des âmes dont tu es le supérieur, mais sans t'oublier toi-même ».93

L'Évêque prendra donc soin de réaliser de manière équilibrée ses multiples engagements, les harmonisant entre eux: la célébration des mystères divins et la prière privée, l'étude personnelle et les programmes pastoraux, le recueillement et le juste repos. Soutenu dans sa vie spirituelle par ces éléments, il trouvera la paix du coeur en faisant l'expérience de la profondeur de la communion avec la Trinité, qui l'a choisi et consacré. Dans la grâce que Dieu lui assure, il pourra remplir chaque jour son ministère, attentif aux besoins de l'Église et du monde, comme témoin de l'espérance.

92 Homélie sur Ézéchiel, I, 11: PL 76, 908; SCh 327 (1986), pp. 455-457.
93 Acta Ecclesiae Mediolanensis, Milan 1599, p. 1178 (cf. Liturgie des Heures, 4 novembre, mémoire de saint Charles Borromée, évêque, Office des Lectures, seconde lecture).


La formation permanente de l'Évêque

24 En relation étroite avec l'engagement de l'Évêque à marcher inlassablement sur la voie de la sainteté en vivant une spiritualité christocentrique et ecclésiale, l'Assemblée synodale a aussi rappelé l'exigence de sa formation permanente. Nécessaire pour tous les fidèles, comme cela a été souligné dans les Synodes précédents et rappelé dans les exhortations apostoliques Christifideles Laici, Pastores dabo vobis et Vita consecrata, la formation permanente doit être considérée comme particulièrement nécessaire pour l'Évêque, qui porte sur lui, dans l'Église, la responsabilité du progrès de tous et de la marche dans la concorde.

Comme pour les prêtres et pour les personnes de vie consacrée, la formation permanente est également pour un Évêque une exigence intrinsèque de sa vocation et de sa mission. Grâce à elle, en effet, il est possible de discerner les nouveaux appels par lesquels Dieu précise et rend actuel l'appel initial. L'Apôtre Pierre lui-même, après le « suis-moi » de la première rencontre avec le Christ (cf.
Mt 4,19), s'entend redire la même invitation par le Ressuscité qui, avant de laisser cette terre, lui annonce les difficultés et les tribulations de son ministère futur, ajoutant: « Toi, suis-moi » (Jn 21,22). « Il y a donc un “suismoi” qui accompagne la vie et la mission de l'apôtre. C'est un “suis-moi” qui confirme l'appel et l'exigence de fidélité jusqu'à la mort (cf. ibid.), un “suis-moi” pouvant signifier une suite du Christ par le don total de soi dans le martyre ».94 Il ne s'agit pas, bien évidemment, d'effectuer seulement une mise à jour appropriée, requise par une connaissance réaliste de la situation de l'Église et du monde permettant au Pasteur d'être inséré dans le temps présent avec un esprit ouvert et un coeur miséricordieux. À cette bonne raison en faveur d'une formation permanente, il y a des motivations anthropologiques qui découlent du fait que la vie elle-même est une marche incessante vers la maturité, et des motivations théologiques profondément liées à la racine sacramentelle: en effet, l'Évêque doit « préserver avec un amour vigilant le “mystère” qu'il porte en lui pour le bien de l'Église et de l'humanité ».95

Quant à l'aggiornamento périodique, notamment sur certains thèmes de grande importance, cela requiert de vrais temps prolongés d'écoute, de communion et de dialogue avec des personnes expertes – Évêques, prêtres, religieux et religieuses, laïcs –, dans un échange d'expériences pastorales, de connaissances doctrinales, de ressources spirituelles, qui ne manqueront pas de fournir un véritable enrichissement personnel. À cette fin, les Pères synodaux ont souligné l'utilité de cours spéciaux de formation pour les Évêques, telles les réunions annuelles promues par la Congrégation pour les Évêques ou par la Congrégation pour l'Évangélisation des Peuples à l'intention des Évêques récemment ordonnés. Il a été souhaité également que de brefs cours de formation ou des journées d'études et d'aggiornamento, comme aussi des exercices spirituels pour Évêques, soient organisés et préparés par les Synodes patriarcaux, par les Conférences épiscopales nationales ou régionales, et aussi par les Assemblées continentales d'Évêques.

Il conviendra que la Présidence même de la Conférence épiscopale assume la tâche de pourvoir à la préparation et à la réalisation de tels programmes de formation permanente, en encourageant les Évêques à participer à ces cours, de manière à obtenir ainsi une plus grande communion entre les Pasteurs, en vue d'une meilleure efficacité pastorale dans les divers diocèses.96

Dans tous les cas, il est évident que, de même que la vie de l'Église est en évolution, de même aussi les modes d'action de l'Évêque, ses initiatives pastorales, les formes de son ministère. De ce point de vue également, une mise à jour est rendue nécessaire, en conformité avec les dispositions du Code de Droit canonique et en relation avec les nouveaux défis et les nouveaux engagements de l'Église dans la société. Dans ce contexte, l'Assemblée synodale a proposé de revoir le Directoire Ecclesiae imago, publié par la Congrégation pour les Évêques le 22 février 1973 et de l'adapter aux exigences des temps qui se sont modifiées et aux changements intervenus dans l'Église et dans la vie pastorale.97

94 Jean-Paul II, Exhort. apost. post-synodale Pastores dabo vobis (25 mars 1992), n. PDV 70: AAS 84 (1992), p. 781; La Documentation catholique 89 (1992), p. 493.
95 Ibid., n. PDV 72: AAS, l.c., p. 787; La Documentation catholique, l.c., p. 495.
96 Cf. Proposition 12.
97 Cf. Proposition 13.


L'exemple des saints Évêques

25 Dans leur vie et dans leur ministère, dans leur chemin spirituel et dans leur effort pour adapter leur action apostolique, les Évêques sont toujours confortés par l'exemple des saints Pasteurs. J'ai moi-même proposé, dans l'homélie de la célébration eucharistique lors de la conclusion du Synode, l'exemple des saints Pasteurs canonisés au cours du siècle passé comme témoignage d'une grâce de l'Esprit qui ne fait jamais défaut à l'Église et qui ne lui fera jamais défaut.98

L'histoire de l'Église, à partir des Apôtres, connaît un nombre véritablement important de Pasteurs dont la doctrine et la sainteté sont aussi en mesure d'éclairer et d'orienter le chemin spirituel des Évêques du troisième millénaire. Les glorieux témoignages des grands Pasteurs des premiers siècles de l'Église, des fondateurs des Églises particulières, des confesseurs de la foi et des martyrs qui, dans les temps de persécution, ont donné leur vie pour le Christ, restent comme de lumineux points de référence vers lesquels les Évêques de notre époque peuvent se tourner afin d'en tirer des indications et des stimulants pour leur service de l'Évangile.

En particulier, beaucoup d'entre eux ont été exemplaires dans l'exercice de la vertu d'espérance, lorsque, dans des temps difficiles, ils ont soutenu leur peuple, ils ont reconstruit les églises après les périodes de persécution et de calamité, ils ont édifié des maisons pour accueillir les pèlerins et les pauvres, ils ont ouvert des hôpitaux pour soigner les malades et les personnes âgées. Beaucoup d'autres Évêques ont été des guides éclairés, qui ont ouvert de nouveaux sentiers pour leur peuple. En des temps difficiles, gardant le regard fixé sur le Christ crucifié et ressuscité, notre espérance, ils ont donné des réponses positives et inventives aux défis du moment. Au début du troisième millénaire, il existe encore de tels Pasteurs qui ont une histoire à raconter, faite d'une foi solidement enracinée dans la Croix. Ce sont des Pasteurs qui savent accueillir les aspirations humaines, les assumer, les purifier et les interpréter à la lumière de l'Évangile, et c'est pourquoi ils ont aussi une histoire à construire, avec tout le peuple qui leur est confié.

Chaque Église particulière aura donc soin de célébrer ses saints Évêques, se souvenant aussi des Pasteurs qui, par leur vie sainte et leurs enseignements éclairants, ont laissé dans le peuple un héritage particulier d'admiration et d'affection. Ils sont les sentinelles spirituelles qui, du ciel, guident la marche de l'Église en pèlerinage dans le temps. Pour cette raison aussi, afin que soit conservée toujours vivante la mémoire de la fidélité des Évêques éminents dans l'exercice de leur ministère, l'Assemblée synodale a recommandé que les Églises particulières ou, selon le cas, les Conférences épiscopales, s'emploient à faire connaître aux fidèles leur figure par le moyen de biographies mises à jour et, le cas échéant, d'examiner l'opportunité d'introduire leur cause de canonisation.99

Le témoignage d'une vie spirituelle et apostolique pleinement accomplie demeure encore aujourd'hui la grande preuve de la force que possède l'Évangile pour transformer les personnes et les communautés, en faisant pénétrer dans le monde et dans l'histoire la sainteté même de Dieu. Cela aussi est un motif d'espérance, en particulier pour les nouvelles générations, qui attendent de l'Église des propositions stimulantes desquelles s'inspirer pour s'engager à renouveler dans le Christ la société de notre temps.

98 Cf. n. 6: AAS 94 (2002), p. 116; La Documentation catholique 98 (2001), p. 993.
99 Cf. Proposition 11.




Pastores gregis FR 16