Mediator Dei FR 204

204 Ces vérités sont de foi certaine ; les fidèles cependant offrent, eux aussi la divine Victime, mais d'une manière différente.

a) Ceci est affirmé par l'Eglise.

Ceci a déjà été très clairement affirmé par certains de Nos prédécesseurs et par les docteurs de l'Eglise. « Non seulement — ainsi parle Innocent III, d'immortelle mémoire — les prêtres offrent, mais aussi tous les fidèles, car ce qui s'accomplit d'une manière spéciale par le ministère des prêtres se fait d'une manière universelle par le voeu des fidèles » 42. Et Nous aimons à citer en cette matière au moins une affirmation de saint Robert Bellarmin, prise entre beaucoup d'autres : « Le sacrifice, dit-il, est offert principalement dans la personne du Christ. C'est pourquoi l'offrande qui suit la consécration atteste en quelque sorte que toute l'Eglise consent à l'oblation faite par le Christ et offre avec lui » 43.

42 De Sacro Altaris Mysterio, 3, 6. « De Missa, 1, cap. 27.

b) Ceci est exprimé par les rites eux-mêmes.

Les rites et les prières du sacrifice eucharistique n'expriment et ne manifestent pas moins clairement que l'oblation de la victime est faite par les prêtres en même temps que par le peuple. Non seulement, en effet, après l'offrande du pain et du vin, le ministre du sacrifice, tourné vers le peuple, dit expressément : « Priez, mes frères, pour que mon sacrifice qui est aussi le vôtre, trouve accès près de Dieu, le Père tout-puissant » 4i, mais en outre, les prières par lesquelles la divine hostie est offerte à Dieu sont formulées, la plupart du temps, au pluriel, et il y est plus d'une fois indiqué que le peuple, lui aussi, prend part à cet auguste sacrifice en tant qu'il l'offre. On y trouve ceci, par exemple : « Pour lesquels nous t'offrons, ou qui t'offrent... Nous vous prions donc, Seigneur, d'accueillir d'un coeur apaisé cette offrande de vos serviteurs et de toute votre famille... Nous, vos serviteurs, ainsi que votre peuple saint, nous offrons à votre glorieuse Majesté ce que vous-même nous avez donné et nous donnez, l'hostie pure, l'hostie sainte, l'hostie immaculée » is.

Et il n'est pas étonnant que les chrétiens soient élevés à cette dignité. Par le bain du baptême, en effet, les chrétiens deviennent à titre commun membres dans le corps du Christ-prêtre, et par le « caractère » qui est en quelque sorte gravé en leur âme, ils sont délégués au culte divin : ils ont donc part, selon leur condition, au sacerdoce du Christ lui-même.

c) Offrande du pain et du vin faite par les fidèles.

De tout temps, dans l'Eglise catholique, la raison humaine, éclairée par la foi, s'efforce d'atteindre à une connaissance aussi grande que possible des choses divines. C'est pourquoi il convient que le peuple chrétien cherche avec amour en quel sens il est dit dans le canon du sacrifice eucharistique qu'il offre lui aussi. Afin donc de satisfaire à ce pieux désir, nous aimons à traiter ici le sujet brièvement.

Il y a d'abord des raisons plus éloignées : souvent, par exemple, les chrétiens assistant aux cérémonies répondent aux prières du prêtre ; de même, parfois — ce qui arrivait jadis plus souvent — ils offrent aux ministres de l'autel le pain et le vin pour qu'ils deviennent le corps et le sang du Christ ; l'aumône, enfin, qu'ils donnent au prêtre a pour but de faire offrir la divine victime pour eux-mêmes.

Mais il y a aussi une raison profonde pour laquelle on dit que tous les chrétiens, surtout ceux qui y assistent, offrent le sacrifice.

d) Sacrifice offert par les fidèles.

Pour ne pas faire naître en cette matière très importante d'erreurs pernicieuses, il faut préciser avec exactitude le sens du mot « offrir ».

Missale Rom., Ordo Missae. *5 Ibid., Canon Missae.

L'immolation non sanglante par le moyen de laquelle, après les paroles de la consécration, le Christ est rendu présent sur l'autel en état de victime, est accomplie par le seul prêtre en tant qu'il représente la personne du Christ, non en tant qu'il représente la personne des fidèles. Mais par le fait que le prêtre pose la divine victime sur l'autel, il la présente à Dieu le Père en tant qu'offrande, pour la gloire de la très sainte Trinité et le bien de toute l'Eglise. Or, cette oblation au sens restreint, les chrétiens y prennent part à leur manière et d'une double façon, non seulement parce qu'ils offrent le sacrifice par les mains du prêtre, mais aussi parce qu'ils l'offrent avec lui en quelque sorte, et cette participation fait que l'offrande du peuple se rattache au culte liturgique lui-même.

Que les fidèles, par les mains du prêtre, offrent le sacrifice cela ressort avec évidence du fait que le ministre de l'autel représente le Christ en tant que chef offrant au nom de tous ses membres ; c'est pourquoi l'Eglise universelle est dite, à bon droit, présenter par le Christ l'offrande de la victime. Si le peuple offre en même temps que le prêtre, ce n'est pas que les membres de l'Eglise accomplissent le rite liturgique visible de la même manière que le prêtre lui-même, ce qui revient au seul ministre délégué par Dieu pour cela, mais parce qu'il unit ses voeux de louange, d'impétration, d'expiation et d'action de grâces aux voeux ou intentions mentales du prêtre, et même du Souverain Prêtre, afin de les présenter à Dieu le Père dans le rite extérieur même du prêtre offrant la victime. Le rite extérieur du sacrifice, en effet, doit nécessairement, par sa nature, manifester le culte intérieur ; or, le sacrifice de la loi nouvelle signifie l'hommage suprême par lequel le principal offrant, qui est le Christ, et avec lui et par lui tous ses membres mystiques, rendent à Dieu l'honneur et le respect qui lui sont dus.

Nous avons appris avec grande joie que, surtout en ces derniers temps, par suite de l'étude plus poussée que beaucoup ont faite des questions liturgiques, cette doctrine a été mise en pleine lumière. Nous ne pouvons cependant ne pas déplorer vivement les exagérations et les excès qui ne concordent pas avec les véritables enseignements de l'Eglise.

Certains, en effet, réprouvent complètement les messes qui sont offertes en privé et sans assistance, comme éloignées de l'antique manière de célébrer ; quelques-uns même affirment que les prêtres ne peuvent en même temps offrir la divine hostie sur plusieurs autels parce que par cette manière de faire ils divisent la communauté et mettent son unité en péril ; on va parfois jusqu'à estimer que le peuple doit confirmer et agréer le sacrifice pour que celui-ci obtienne sa valeur et son efficacité.

On en appelle à tort, en la matière, à la nature sociale du sacrifice eucharistique. Toutes les fois, en effet, que le prêtre renouvelle ce que le divin Rédempteur accomplit à la dernière Cène, le sacrifice est vraiment consommé, et ce sacrifice, partout et toujours, d'une façon nécessaire et par sa nature, a un rôle public et social, puisque celui qui l'immole agit au nom du Christ et des chrétiens dont le divin Rédempteur est le chef, l'offrant à Dieu pour la sainte Eglise catholique, pour les vivants et les défunts 45. Et ceci se réalise sans aucun doute, soit que les fidèles y assistent — et Nous désirons et recommandons qu'ils y soient présents très nombreux et très fervents — soit qu'ils n'y assistent pas, n'étant en aucune manière requis que le peuple ratifie ce que fait le ministre sacré.

De l'exposé précédent il résulte clairement que la messe est offerte au nom du Christ et de l'Eglise, et que le sacrifice eucharistique ne serait pas privé de ses fruits, même sociaux, si le prêtre célébrait sans la présence d'aucun acolyte ; néanmoins, à cause de la dignité d'un si grand mystère, Nous voulons et exigeons que — conformément aux ordonnances constantes de notre Mère l'Eglise — aucun prêtre ne monte à l'autel s'il n'a un ministre pour le servir et lui répondre, selon la prescription du canon 813.

45 Missale Rom., Canon Missae.

2. — Participation en tant qu'ils doivent s'offrir eux-mêmes comme victimes.

205 Pour que l'oblation, par laquelle dans ce sacrifice ils offrent au Père céleste la divine victime, obtienne son plein effet, il faut encore que les chrétiens ajoutent quelque chose : ils doivent s'immoler eux-mêmes en victimes. Cette immolation ne se réduit pas seulement au sacrifice liturgique. Parce que nous sommes édifiés sur le Christ comme des pierres vivantes, le prince des apôtres veut, en effet, que nous puissions, comme « un sacerdoce saint, offrir des victimes spirituelles agréables à Dieu par Jésus-Christ » (1P 2,5) ; et l'apôtre Paul, parlant pour tous les temps, exhorte les fidèles en ces termes : « Je vous conjure donc, mes frères... d'offrir vos corps en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu : c'est là le culte spirituel que vous lui devez » (Rm 12,1). Mais lorsque les fidèles participent à l'action liturgique avec tant de piété et d'attention qu'on peut dire d'eux : « Dont la foi et la dévotion te sont connues » 4G, alors il est impossible que leur foi à chacun n'agisse avec plus d'ardeur par la charité, que leur piété ne se fortifie et ne s'enflamme, qu'ils ne se consacrent, tous et chacun, à procurer la gloire de Dieu et, dans leur ardent désir de se rendre étroitement semblables à Jésus-Christ qui a souffert de très cruelles douleurs, il est impossible qu'ils ne s'offrent avec et par le souverain Prêtre, comme une hostie spirituelle.

a) En purifiant leur âme.

Ceci est également enseigné dans les exhortations que Pévêque, au nom de l'Eglise, adresse aux ministres sacrés le jour où il les consacre : « Rendez-vous compte de ce que vous accomplissez, imitez ce que vous faites et en célébrant le mystère de la mort du Seigneur, faites mourir complètement en vos membres les vices et les concupiscences »47. C'est presque dans les mêmes termes que, dans les livres liturgiques, les chrétiens qui s'approchent de l'autel sont invités à participer aux cérémonies : « Que sur cet autel soit honorée l'innocence, immolé l'orgueil, étouffée la colère ; que la luxure et tout dérèglement soient frappés à mort ; qu'en guise de tourterelles soit offert le sacrifice de la chasteté, et au lieu des petits de colombe, le sacrifice de l'innocence »4S. Lorsque nous sommes à l'autel, nous devons donc transformer notre âme, tout ce qui est péché en elle doit être complètement étouffé, tout ce qui, par le Christ, engendre la vie surnaturelle doit être vigoureusement restauré et fortifié, si bien que nous devenions avec l'Hostie immaculée, une seule victime agréable au Père éternel.

La sainte Eglise s'efforce, par les préceptes de la sainte liturgie d'obtenir la réalisation de cette très sainte intention de la manière la plus adaptée. A cela, en effet, visent non seulement les lectures, les homélies et les autres discours des ministres sacrés, et tout le cycle des mystères qui sont proposés à notre mémoire tout au long de l'année, mais encore les vêtements et les rites sacrés et toutes leurs cérémonies extérieures qui ont pour but de « faire valoir la majesté d'un si grand sacrifice, et par ces signes visibles de religion et de piété, d'exciter les esprits des fidèles à la contemplation des réalités les plus profondes cachées dans ce sacrifice » 49.

46 Missale Rom., Canon Missae.
47 Poncif. Rom., De Ordinatione presbyteri.
48 Ibidem, De altaris consecrat., Praefatio. « Cf. Conc. Trid., Sess. XXII, can. 5.

b) En reproduisant l'image de Jésus-Christ.

Tous les éléments de la liturgie incitent donc notre âme à reproduire en elle par le mystère de la croix l'image de notre divin Rédempteur, selon ce mot de l'Apôtre : « Je suis attaché à la croix avec le Christ ; je vis, mais ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi » (Ga 2,19-20). Par là nous devenons hostie avec le Christ pour la plus grande gloire du Père.

C'est donc vers cet idéal que les chrétiens doivent orienter et élever leur âme quand ils offrent la divine victime dans le sacrifice eucharistique. Si, en effet, comme l'écrit saint Augustin, sur la table du Seigneur lui-même repose notre mystère 50 c'est-à-dire le Christ Seigneur lui-même, en tant qu'il est Chef et symbole de cette union par laquelle nous sommes le Corps du Christ (cf. 1Co 12,27) et les membres de son Corps (cf. Ep 5,30) ; si saint Robert Bellarmin enseigne, selon l'esprit du docteur d'Hippone, que dans le sacrifice de l'autel est exprimé le sacrifice général par lequel tout le Corps mystique du Christ, c'est-à-dire toute la cité rachetée, s'offre à Dieu par le Christ, Grand Prêtre31, on ne peut rien imaginer de plus convenable et de plus juste que de nous immoler tous au Père éternel avec notre Chef qui a souffert pour nous. Dans le sacrement de l'autel, en effet, selon le même Augustin, il est démontré à l'Eglise que dans le sacrifice qu'elle offre, elle est offerte, elle aussi 32.

Que les fidèles considèrent donc à quelle dignité le bain sacré du baptême les a élevés, et qu'ils ne se contentent pas de participer au sacrifice eucharistique avec l'intention générale qui convient aux membres du Christ et aux fils de l'Eglise, mais que, selon l'esprit de la sainte liturgie, librement et intimement unis au souverain Prêtre et à son ministre sur la terre, ils s'unissent à lui d'une manière particulière au moment de la consécration de la divine Hostie, et qu'ils l'offrent avec lui quand sont prononcées les solennelles paroles : « Par lui, avec lui, en lui, est à toi, Dieu Père tout-puissant, dans l'unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire dans les siècles des siècles » 5S, paroles auxquelles le peuple répond : Amen. Et que les chrétiens n'oublient pas, avec le divin Chef crucifié, de s'offrir eux-mêmes et leurs préoccupations, leurs douleurs, leurs angoisses, leurs misères et leurs besoins.

50 Cf. Serm. CCLXXII.
52 Cf. De Civ. Dei, lib. X, cap. 6.
53 Missale Rom., Canon Missae.

3. — Moyens pour promouvoir cette participation

206 Ceux-là par conséquent, sont dignes de louanges qui, en vue de rendre plus facile et plus fructueuse pour le peuple chrétien la participation au sacrifice eucharistique, s'efforcent opportunément de mettre entre les mains du peuple le Missel romain, de manière que les fidèles, unis au prêtre, prient avec lui à l'aide des mêmes paroles et avec les sentiments mêmes de l'Eglise ; ceux-là méritent des louanges qui s'efforcent de faire de la liturgie une action sainte même extérieurement, à laquelle prennent réellement part tous les assistants, ce qui peut se réaliser de diverses manières : quand, par exemple, tout le peuple, selon les règles rituelles ou bien répond d'une façon bien réglée aux paroles du prêtre, ou se livre à des chants en rapport avec les différentes parties du sacrifice, ou bien fait l'un et l'autre, ou enfin lorsque dans les messes solennelles il répond aux prières des ministres de Jésus-Christ et s'associe au chant liturgique.

Moyens subordonnés aux préceptes de l'Eglise

Ces manières de participer au sacrifice sont à louer et à recommander quand elles obéissent soigneusement aux préceptes de l'Eglise et aux règles des rites sacrés. Elles ont pour but principal d'alimenter et de favoriser la piété des chrétiens et leur union intime avec le Christ et avec son ministre visible, et de stimuler les sentiments et les dispositions intérieures selon lesquels notre âme doit se conformer au souverain Prêtre du Nouveau Testament. Elles démontrent d'une manière extérieure que, de sa nature, le sacrifice, étant accompli par le Médiateur de Dieu et des hommes (cf.
1Tm 2,5), doit être considéré comme l'oeuvre de tout le Corps mystique du Christ ; elles ne sont néanmoins nullement nécessaires pour en constituer le caractère public et commun. En outre, la messe dialoguée ne peut prendre la place de la messe solennelle, qui, même si elle est célébrée en la présence des seuls ministres, jouit d'une dignité particulière à cause de la majesté des rites et de l'éclat des cérémonies ; celles-ci, toutefois, prennent beaucoup plus de grandeur et de solennité si, comme l'Eglise le désire, un peuple nombreux et pieux y assiste.

Ne pas exagérer la valeur de ces moyens

Il faut remarquer qu'attacher à ces conditions extérieures une importance telle qu'on ose déclarer leur omission capable d'empêcher l'action sainte d'atteindre son but, c'est s'écarter de la vérité et de la droite raison, et se laisser guider par des idées fausses.

Un bon nombre de chrétiens, en effet, ne peuvent se servir du Missel romain, même s'il est écrit en langue vulgaire ; et tous ne sont pas aptes à comprendre correctement, comme il convient, les rites et les formules liturgiques. Le tempérament, le caractère et l'esprit des hommes sont si variés et si différents que tous ne peuvent pas être dirigés et conduits de la même manière par des prières, des cantiques et des actes communs. En outre, les besoins des âmes et leurs goûts ne sont pas les mêmes chez tous, et ne demeurent pas toujours les mêmes en chacun. Qui osera donc dire sur la foi d'un tel préjugé, que tant de chrétiens ne peuvent participer au sacrifice eucharistique et jouir de ses bienfaits ? Mais ces gens-là peuvent assurément grâce à une méthode, qui se trouve être pour certains plus facile, comme par exemple, de méditer pieusement les mystères de Jésus-Christ, d'accomplir d'autres exercices de piété et de faire d'autres prières qui, bien qu'elles diffèrent des rites sacrés par la forme, s'accordent cependant avec eux par leur nature.

Que soient instituées des commissions diocésaines pour promouvoir la liturgie

C'est pourquoi Nous vous exhortons, Vénérables Frères, à vouloir bien ordonner et régler, chacun dans votre diocèse ou votre territoire ecclésiastique, la manière et la méthode selon lesquelles le peuple participera à l'action liturgique en conformité avec les règles établies par le Missel et avec les préceptes qu'ont édictés la Sacrée Congrégation des Rites et le Code de Droit canon ; de manière que tout se fasse avec l'ordre et la dignité nécessaires, et qu'il ne soit pas permis à n'importe qui, fût-il prêtre, de se servir des édifices sacrés pour y faire en quelque sorte des expériences. Dans ce but, Nous désirons aussi que dans chaque diocèse, de même qu'il y a une commission pour l'art et la musique sacrés, une commission pour promouvoir l'apostolat liturgique soit également constituée afin que par votre soin vigilant tout s'accomplisse diligemment selon les prescriptions du Siège apostolique.

Que dans les communautés de religieux tout ce que leurs propres Constitutions ont établi en cette matière soit observé soigneusement, et qu'on n'introduise pas de nouveautés que les supérieurs de ces communautés n'aient préalablement approuvées.

Si variées que puissent être les formes et les particularités de la participation du peuple au sacrifice eucharistique et aux autres actions liturgiques, on doit toujours faire les plus grands efforts pour que les âmes des assistants s'unissent au divin Rédempteur par des liens les plus étroits possibles, pour que leur vie s'enrichisse d'une sainteté toujours plus grande et que croisse chaque jour davantage la gloire du Père céleste.

207

III. — LA COMMUNION EUCHARISTIQUE

L'auguste sacrifice de l'autel se conclut par la communion au repas divin. Cependant, comme tous le savent, pour assurer l'intégrité de ce sacrifice il suffit que le prêtre communie ; il n'est pas nécessaire — bien que ce soit souverainement souhaitable — que le peuple lui aussi s'approche de la sainte table.

Pour l'intégrité du sacrifice, celle du prêtre suffit.

Nous aimons, à ce sujet, répéter les considérations de Notre prédécesseur, Benoît XIV, sur les définitions du concile de Trente : « En premier lieu... nous devons dire qu'il ne peut venir à l'esprit d'aucun fidèle que les messes privées dans lesquelles seul le prêtre communie perdent de ce fait le caractère du sacrifice non sanglant, parfait et complet, institué par le Christ Notre-Seigneur, et qu'elles doivent, par conséquent, être considérées comme illicites. Les fidèles, en effet, n'ignorent pas ou du moins il est facile de leur enseigner que le saint concile de Trente, s'appuyant sur la doctrine conservée par la tradition perpétuelle de l'Eglise, a condamné comme nouvelle et fausse l'opinion de Luther qui s'y opposait » B3. Si quelqu'un dit que les messes dans lesquelles seul le prêtre communie sacramentellement sont illicites et doivent par conséquent être supprimées, qu'il soit anathème » 54.

Ils s'écartent donc du chemin de la vérité ceux qui ne veulent accomplir le saint sacrifice que si le peuple chrétien s'approche de la table sainte ; et ils s'en écartent encore davantage ceux qui, prétendant qu'il est absolument nécessaire que les fidèles communient avec le prêtre, affirment dangereusement qu'il ne s'agit pas seulement d'un sacrifice, mais d'un sacrifice et d'un repas de communauté fraternelle, et font de la communion accomplie en commun comme le point culminant de toute la cérémonie.

Il faut encore une fois remarquer que le sacrifice eucharistique consiste essentiellement dans l'immolation non sanglante de la victime divine, immolation qui est mystiquement indiquée par la séparation des saintes espèces et par leur oblation faite au Père éternel. La sainte communion en assure l'intégrité, et a pour but d'y faire participer sacramentellement, mais tandis qu'elle est absolument nécessaire de la part du ministre sacrificateur, elle est seulement à recommander vivement aux fidèles.

Exhortation à la communion spirituelle et sacramentelle

De même que l'Eglise, comme maîtresse de vérité, fait tous ses efforts pour protéger l'intégrité de la foi, de même, comme mère pleine de sollicitude pour ses fils, elle les exhorte très fortement à participer avec empressement, et fréquemment, à ce très grand bienfait de notre religion.

Elle désire avant tout que les chrétiens, spécialement quand ils ne peuvent recevoir effectivement la nourriture eucharistique, la reçoivent au moins de désir, de manière à s'unir au Rédempteur avec une foi vive, un esprit respectueusement humble et confiant dans sa volonté, avec l'amour le plus ardent.

Mais ceci ne lui suffit pas. Puisque, en effet, comme Nous l'avons dit ci-dessus, nous pouvons participer sacramentellement au sacrifice en recevant le pain des anges, afin que d'une manière plus efficace nous « sentions continuellement en nous l'effet de notre Rédemption » 55, l'Eglise notre Mère renouvelle à tous et à chacun de ses fils l'invitation du Christ Notre-Seigneur : « Prenez et mangez... Faites ceci en mémoire de moi » (1Co 11,24). Dans ce but, le concile de Trente, répondant en quelque sorte aux désirs de Jésus-Christ et de son Epouse immaculée, recommanda fortement que « à chaque messe, les assistants communient, non seulement en esprit, mais aussi par la réception sacramentelle de l'Eucharistie, afin que le fruit de ce sacrifice très saint leur parvienne plus abondamment »56. Bien plus, Notre prédécesseur, d'immortelle mémoire, Benoît XIV, afin de faire mieux connaître, et plus clairement, que par la réception de la divine Eucharistie les fidèles participent au sacrifice lui-même, loue la piété de ceux qui, non seulement désirent se nourrir du pain céleste quand ils assistent au sacrifice, mais encore souhaitent recevoir des hosties consacrées à ce sacrifice même ; mais, comme lui-même le déclare, on prend vraiment et réellement part au sacrifice, même s'il s'agit de pain eucharistique dont la consécration a été dûment accomplie auparavant. Voici en effet ce qu'il a écrit : « Outre ceux à qui le célébrant donne une part de la victime offerte par lui dans la messe même, ceux-là aussi participent au même sacrifice, à qui le prêtre donne la sainte réserve ; cependant, jamais l'Eglise n'a interdit et elle n'interdit pas actuellement au prêtre, de satisfaire à la piété et à la juste demande des assistants qui demandent à participer au sacrifice même, qu'ils offrent eux aussi à leur manière ; bien plus elle approuve et désire que cela ne soit pas omis, et elle blâmerait les prêtres par la faute ou la négligence desquels cette participation serait refusée aux fidèles » B7.

Pour toutes les catégories de personnes

Dieu fasse que tous répondent spontanément et volontiers à ces invitations pressantes de l'Eglise ; Dieu fasse que les chrétiens prennent part au divin sacrifice, non seulement d'une manière spirituelle, mais aussi en recevant dans la communion sacramentelle, même tous les jours s'ils le peuvent, le Corps de Jésus offert pour tous au Père éternel. Excitez, Vénérables Frères, dans les âmes de tous ceux qui sont confiés à vos soins, une faim ardente et comme inextinguible de Jésus-Christ ; que votre enseignement attire en foule autour des autels enfants et jeunes gens, qui offrent au divin Rédempteur leur innocence et leur enthousiasme ; que les époux s'en approchent fréquemment afin que, nourris à la sainte table, ils puissent faire passer dans les enfants qui leur sont confiés les sentiments et l'amour de Jésus-Christ ; que les ouvriers y soient appelés, afin qu'ils puissent recevoir la nourriture solide capable de refaire leurs forces sans leur manquer jamais, et qui leur prépare au ciel la récompense éternelle de leurs travaux ; appelez enfin et forcez à entrer (cf. Lc 14,23) tous les hommes de toutes les classes, car c'est le pain de vie dont tous ont besoin. L'Eglise de Jésus-Christ n'a que ce seul pain pour satisfaire les aspirations et les désirs de nos âmes, pour les unir très étroitement au Christ Jésus, pour en faire finalement « un seul corps » (1Co 10,17) et les unir entre eux, comme des frères qui s'assoient à la même table pour prendre le remède de l'immortalité 58 en partageant un même pain.

Communion reçue autant que possible durant la messe...

Il est tout à fait convenable, ce que d'ailleurs la liturgie a établi, que le peuple s'approche de la sainte table après la communion du prêtre, et comme Nous l'avons écrit plus haut, il faut louer ceux qui assistant à la messe reçoivent les hosties qui y ont été consacrées, afin que se réalise la prière : « Que nous tous qui, participant à ce sacrifice, aurons reçu le corps sacré et le sang de votre Fils, nous soyons remplis de toute bénédiction céleste et de toute grâce » 59.

Cependant, il n'est pas rare qu'il se présente des motifs de distribuer la sainte communion, soit avant, soit après le sacrifice lui-même, ou encore — bien que l'hostie soit distribuée aussitôt après la communion du prêtre — de faire cette distribution avec des hosties consacrées auparavant. Même dans ces conditions — comme d'ailleurs Nous l'avons déjà fait remarquer plus haut — le peuple participe normalement au sacrifice eucharistique, et il n'est pas rare qu'il puisse ainsi plus facilement s'approcher de la table sainte. Si donc, dans sa maternelle indulgence, l'Eglise s'efforce d'aller au-devant des besoins spirituels de ses fils, ceux-ci, néanmoins, chacun pour sa part, doivent ne pas mépriser facilement ce que la sainte liturgie conseille, et toutes les fois qu'un motif raisonnable ne s'y oppose pas, réaliser tout ce qui manifeste plus clairement à l'autel l'unité vivante du Corps mystique.

58 Cf. S. Ignat. Martyr., Ad Epbes., 20.
59 Missale Rom., Canon Missae.


Suivie d'une action de grâces convenable...

208 Lorsque l'action sainte, qui est réglée par ces lois liturgiques particulières, est achevée, celui qui a reçu le pain du ciel n'est pas dispensé de rendre grâces ; bien plus, il est tout à fait convenable qu'une fois reçue la sainte Eucharistie et achevées les cérémonies publiques, il se recueille et, intimement uni au divin Maître, il ait avec lui un entretien très doux et bienfaisant, autant que les circonstances le lui permettent. Ceux-là s'écartent donc du droit sentier de la vérité qui, s'attachant aux mots plus qu'à la pensée, affirment et enseignent qu'une fois le sacrifice achevé, il n'y a pas à le prolonger par une action de grâces de ce genre, non seulement parce que le sacrifice de l'autel est par lui-même une action de grâces, mais aussi parce que ceci est affaire de dévotion personnelle et particulière, qui regarde chacun et non le bien de la communauté.

Mais, au contraire, la nature même du sacrement demande que le chrétien qui le reçoit en retire d'abondants fruits de sainteté. Assurément, la réunion publique de la communauté est congédiée, mais il faut que chacun, uni au Christ, n'interrompe pas dans sa propre âme le cantique de louanges « rendant grâces toujours et pour toutes choses à Dieu, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ » (
Ep 5,20). La liturgie du sacrifice eucharistique nous y exhorte quand elle nous fait prier en ces termes : « Accordez-nous de demeurer toujours en action de grâces...00 et de ne cesser jamais de vous louer » G1. C'est pourquoi, s'il n'y a aucun moment auquel il ne faille rendre grâces à Dieu, et s'il ne faut jamais cesser de le louer, qui oserait accuser ou blâmer l'Eglise de conseiller à ses prêtres 62 et aux fidèles de s'entretenir au moins quelque temps avec le divin Rédempteur après la sainte communion, et d'avoir introduit dans les livres liturgiques des prières de circonstance, enrichies d'indulgences, par lesquelles les ministres sacrés, soit avant d'exercer les fonctions liturgiques et de se nourrir de l'Eucharistie, se préparent convenablement soit, après avoir achevé la sainte messe, expriment à Dieu leur reconnaissance ? La sainte liturgie, loin d'étouffer les sentiments intimes de chaque chrétien, les ranime et les stimule plutôt, pour qu'ils prennent la ressemblance du Christ et soient par lui orientés vers le Père céleste ; c'est pourquoi elle enseigne et invite à rendre à Dieu les actions de grâces que lui doit quiconque a reçu sa nourriture à la sainte table. Le divin Rédempteur, en effet, aime à entendre nos prières, à nous parler à coeur ouvert et à nous offrir un refuge dans son coeur brûlant.

Missali: Rom., Postcommunio Dominicae infra Oct. Ascens. Ibidem, Postcommunio Dominicae I post Pentec. C. /. C, can. CIS 810.

Nécessaire pour recueillir des fruits plus abondants

Bien plus, de tels actes, particuliers à chacun, sont absolument nécessaires pour que tous nous jouissions plus abondamment des trésors d'en-haut, dont l'Eucharistie déborde, et pour que, selon nos forces, nous les fassions se répandre sur les autres, afin que Notre-Seigneur atteigne en toutes les âmes la plénitude de sa vertu.

Pourquoi donc, Vénérables Frères, ne louerions-Nous pas ceux qui, après avoir reçu la nourriture eucharistique, même après que l'assemblée des fidèles a été officiellement congédiée, s'attardent dans une familiarité intime avec le divin Rédempteur, non seulement pour s'entretenir avec lui de la manière la plus suave, mais encore pour le remercier et lui rendre les louanges qui lui sont dues, et surtout pour lui demander son aide, pour écarter chacun de son âme tout ce qui diminue l'efficacité du sacrement, et pour réaliser toute leur part de ce qui peut favoriser l'action toute-puissante de Jésus-Christ ? Nous les exhortons à le faire d'une manière particulière en mettant à exécution les résolutions qu'ils auront prises, en exerçant les vertus chrétiennes, en adaptant à leurs propres besoins les dons reçus de sa libéralité royale. Certes, l'auteur du livre d'or de L'Imitation du Christ parle en inspiré et selon les préceptes de la liturgie quand il donne ce conseil : « Demeure dans le secret et jouis de ton Dieu, car tu possèdes Celui que le monde entier ne peut t'enlever » 63.

Nous tous, étroitement unis au Christ, efforçons-nous donc de nous plonger en quelque sorte dans son très saint amour, et attachons-nous à lui afin de prendre part aux actes par lesquels lui-même adore l'auguste Trinité dans un hommage qui lui est extrêmement agréable, par lesquels il rend au Père éternel des actions de grâces et des louanges souveraines qui retentissent d'un commun accord au ciel et sur la terre, selon la parole : « Toutes les oeuvres du Seigneur, bénissez le Seigneur » (Dan., III. 57) ; par lesquels enfin, unis ensemble, nous implorons le secours de Dieu au moment le plus opportun qui soit donné pour demander et obtenir de l'aide au nom du Christ (Cf. Jean, Jn 16,23) et par lesquels surtout nous nous offrons et nous immolons en hostie, en disant : « Faites que nous devenions pour vous un don éternel » °64.

Le divin Rédempteur répète incessamment son invitation pressante : « Demeurez en moi » (Jn 15,4). Or, par le sacrement de l'Eucharistie, le Christ demeure en nous et nous en lui ; et de même que le Christ demeurant en nous vit et agit, de même il faut que nous, demeurant dans le Christ, nous vivions et agissions par lui.

63 Lib. IV, cap. 12.
64 Missale Rom., Secreta Missae SS. Triait.


Mediator Dei FR 204