Discours 1970 20


AU CONSEIL EXÉCUTIF DU «MOUVEMENT MONDIAL DES TRAVAILLEURS CHRÉTIENS»

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Mercredi 8 avril 1970




Chers Fils,

Nous sommes très heureux que la réunion de votre Conseil exécutif Nous donne l’occasion de vous recevoir, vous «dont le souci majeur se porte vers ceux qui sont les plus loin du Christ, les plus menacés dans leur foi, ou les plus dénués dans leurs espérances humaines» (Statut du M. M. T. C., art. 2).
Vous représentez à nos yeux tout le monde du travail, et au sein de ces masses innombrables d’hommes à travers le monde, les hommes et les femmes au coeur généreux qui s’emploient, par toute leur vie, à être au milieu de leurs frères, les vivants témoins de l’amour du Christ ressuscité.
Certes, le monde a bien changé depuis deux millénaires, mais, nous en sommes sûr, et votre présence nous en est le gage, demain comme hier, ce seront des travailleurs qui seront les apôtres des travailleurs, tout comme les premiers apôtres, travailleurs authentiques eux aussi, choisis par le Christ pour porter le message libérateur de l’Evangile à travers le monde.

Ce monde est dur pour beaucoup de travailleurs. Pour tous ceux d’abord, et ils sont légion, qui ne réussissent pas à s’employer utilement, à trouver de l’embauche dans une profession qui réponde à leurs aspirations et utilise leurs capacités. Pour tous ceux aussi qui sont les victimes des mutations qui ébranlent aujourd’hui la civilisation industrielle, et voient disparaître leur emploi sans réussir à retrouver une réinsertion dans leur communauté de vie. Pour tous ceux enfin qui doivent se déplacer et émigrer dans des conditions difficiles pour eux et leur famille, sans que leur soient garantis un minimum de stabilité et une juste application de la législation du travail. Nous nous sommes fait, vous le savez, devant l’Organisation internationale du Travail, à Genève, le 10 juin dernier, le porte-parole de «ce cri de douleur qui continue à monter de l’humanité souffrante» (Discours à l’OIT, 16: A.A.S. 61 (1969), p. 499).
Mais qui dira aussi la détresse morale et spirituelle de ces millions d’hommes qui ont le sentiment d’être embarqués dans un système qui les dépasse, dont la finalité leur échappe, et qui n’entre voient, par-delà des espoirs humains trop souvent déçus, aucune espérance libératrice ? En un monde devenu le champ clos des idéologies, dans une confusion croissante des valeurs, les désillusions se font plus vives, et un certain indifférentisme gagne les uns et les autres, dans une civilisation portée à propager un syncrétisme dissolvant.

Qui ne voit dès lors, chers fils, l’ampleur de la tâche qui est la vôtre, avec tous les travailleurs chrétiens? Apporter une réponse aux interrogations fondamentales de l’homme, surmonter l’hostilité et la méfiance qui l’écartent souvent encore de l’Eglise, donner, avec humilité et audace tout à la fois, le témoignage d’un amour désintéressé uni à la ferveur d’une foi inébranlable au Christ Sauveur: tel est le message libérateur de l’espérance chrétienne qu’il vous appartient de donner aujourd’hui à vos frères.
Oui, vous l’avez compris: toute vie chrétienne est, par nature, apostolique. Vous avez certes assez d’expérience pour avoir éprouvé combien les difficultés sont nombreuses pour qui veut porter ce témoignage, mais combien la force de l’Esprit est grande aussi, qui permet de les surmonter. Le grand apôtre Paul nous en a tout le premier donné le convaincant exemple, lui qui associe si souvent dans ses exhortations aux chrétiens l’espérance à la constance, à la patience et à la persévérance, et n’a cessé de les pousser à aller de l’avant, «pourvu cependant que vous demeuriez, leur dit-il, solidement établis dans la foi, fermes, inébranlables dans l’espérance apportée par l’Evangile» (
Col 1,23).

Telle est l’assurance de notre foi: le travail terrestre coopère avec Dieu pour parachever la création, et collaborer à la rédemption, et, avec son cortège de larmes et de joies, il est assumé par le Christ en son Eucharistie, et acquiert par là sa pleine dimension spirituelle que l’homme aspire plus ou moins confusément à lui donner.
Il vous appartient, chers fils, d’aider les travailleurs à découvrir cette dimension qui donne à leurs efforts tout son sens, de leur faire découvrir que la croix elle-même est lumière et vie, et que la joie de Pâques est celle de tout le peuple des fils de Dieu rassemblés autour du Christ ressuscité, dans l’espérance du grand rassemblement que réalisera le Seigneur à la fin des temps. Vous êtes, avec tous ceux que vous représentez, les messagers authentiques de cette espérance au coeur même du monde du travail: que le Seigneur bénisse cet apostolat et suscite autour de vous de nouveaux apôtres, Nous le lui demandons de tout coeur avec vous dans Notre prière.




11 avril



SIXIEME ASSEMBLEE PLENIERE DE LA CONFERENCE EPISCOPALE ITALIENNE





22 Nous souhaitons la bienvenue à la sixième assemblée générale de la Conférence épiscopale italienne. Nous le faisons comme évêque de Rome et donc comme membre de droit de cette Conférence, ce qui veut dire avec un sentiment de fraternité, de solidarité, de communion. Nous le faisons comme successeur de Pierre, sensible au rapport de collégialité et de fonction pastorale qui, « principe visible et fondement de l'unité, lie entre eux soit les évêques, soit la multitude des fidèles », comme dit le Concile (Lumen gentium, LG 23), principe qui Nous unit à vous tous et à chacun de vous, et voudrait exprimer dans une sollicitude sans limite (cf. 2Co 11,28 Rm 12,3) l'amour infini que nous devons au Christ en considération du sien pour nous (Lc 22,32).

Nous serions tenté de consacrer à ce juste et affectueux intérêt pastoral un moment, un long moment d'analyse, de réflexion, de contemplation : votre présence Nous offre un cadre très vaste et global de la vie de l'Eglise en Italie, un cadre historique et plus traditionnel que tout autre et, en même temps, frais et nouveau, marqué par ces structures modernes qui n'avaient jamais existé auparavant et qui, dès maintenant, promettent une vitalité organique rajeunie ; Combien d'aspects ne faudrait-il pas admirer, examiner, commenter ! Que de critères inspirateurs de la nouvelle organisation ecclésiale seraient à déterminer et à encourager : l'union, l'organisation, la collaboration, la rénovation, le style évangélique et social et ainsi de suite ! et combien de noms parmi ceux qui ont bien mérité dans ce processus évolutif Nous devrions déjà mentionner pour notre souvenir et notre reconnaissance! Nous n'en retiendrons qu'un, celui du regretté Cardinal Jean Urbani, patriarche de Venise et président de la Conférence épiscopale, qui, il y a peu de mois, nous a précédés d'une manière inattendue « dans le signe de la foi... et dans le sommeil de la paix ». Et puis, que de questions, de problèmes, d'événements, de commentaires et de suggestions Nous aurions dans le coeur pour vous, à la vue de cette assemblée.

Mais Nous ne céderons pas au désir d'un discours adéquat aux thèmes que vous Nous offrez. Par devoir de discrétion, et aussi parce que vous avez déjà traité et discuté largement et sagement ces questions. Nous en prenons note et Nous Nous réservons de reprendre ce propos, le cas échéant. Qu'il Nous suffise pour le moment d'adresser un éloge sincère aux rapporteurs de cette assemblée et de leur dire un vif remerciement pour le sérieux de leurs travaux. Nous voulons recommander à l'attention de tous l'ample et profond discours d'inauguration du Card. Poma. Ce discours constitue, à Notre avis, un texte important par la synthèse qu'il nous offre des questions étudiées et par l'orientation qu'il indique pour la solution de nos problèmes.

Qu'une seule parole de Notre part marque cette rencontre, la parole que Nous tirons de l'exhortation de Jésus à Pierre : « Confirme tes frères » (Lc 22,32) : et c'est la confiance.

Présages d'un heureux renouvellement





Oui, la confiance. La confiance qui n'ignore pas les difficultés du temps présent, ni les déceptions qui peuvent abattre notre optimisme. Nous n'oublions pas l'avertissement du même apôtre : « In timore incolatus vestri tempore conversamini », conduisez-vous avec crainte pendant le temps de votre exil (1P 1,17), et parfois Nous faisons référence pour nos affaires à la note autobiographique désolée de saint Paul : « forts pugnae, intus timores », au dehors des luttes, au dedans des craintes (2Co 7,5). Mais ce serait ignorer ou mal interpréter tous ces « signes des temps », en oubliant la confiance que nous devons à la Providence qui conduit les destinées du monde et, certainement avec une particulière miséricorde, celles de l'Eglise d'Italie. Ce serait négliger tant de ferments généreux et nobles de la génération présente que de ne pas reconnaître dans le tumulte des inquiétudes et des agitations actuelles certaines aspirations, certaines promesses qui nous semblent des présages et des facteurs d'un heureux renouvellement. Et nous ne serions pas de fidèles disciples du Maître si nous ne savions pas élever notre confiance jusqu'à « l'espérance contre toute espérance » (Rm 4,18), dans toutes les situations, pour ne pas mériter Son reproche d'être des gens de peu de foi (Mt 8,26).

Confiance donc ! Le discours passe ainsi des choses aux personnes. Il renonce intentionnellement à se prononcer en termes précis sur les questions de cette assemblée et il passe très rapidement et simplement à la sphère « pneumatique », c'est-à-dire spirituelle qui s'élève au-dessus d'elle.

Caractère ecclésial et autonomie séculière du laïcat





La première catégorie des personnes présentes auxquelles Nous adressons Notre invitation à la confiance est celle des Laïcs. Nos confrères évêques Nous permettent de leur donner cette priorité. Nous les voyons cette fois aussi représentants officiels dans l'assemblée générale de cette Conférence épiscopale. C'est une nouveauté dont Nous voulons tirer pour Nous-même des motifs de confiance. Si vraiment le laïcat catholique, comme l'attend depuis plus de cent ans l'Eglise hiérarchique et comme le Concile l'enseigne et y exhorte, veut répondre à la vocation propre de tout le peuple de Dieu, vocation qui lui reconnaît la dignité et la fonction du sacerdoce baptismal commun, le destine à la perfection chrétienne, l'unit organiquement au corps ecclésial, l'appelle avec autorité à la diffusion du royaume du Christ et à l'exercice actif de l'apostolat, l'engage à l'obéissance et à la collaboration avec les pasteurs responsables de la conduite des fidèles, alors l'Eglise verra des temps nouveaux : elle se verra elle-même modelée sur la tradition chrétienne primitive et sur les exigences théologiques de sa constitution ; elle verra l'authenticité de la prière et des moeurs chrétiennes se faire évidente et exemplaire ; elle verra se fortifier son organisation d'ensemble dans la concorde fraternelle et dans la charité agissante; elle verra son rayonnement dans le monde devenir plus large et plus bénéfique.

Nous avons confiance dans le laïcat catholique. L'humble témoignage personnel de Notre vie sacerdotale le dit, l'exercice de Notre magistère pastoral le confirme. Et Nous désirons que vous, laïcs catholiques, ayez confiance en l'Eglise. Vous lui devez ce double don généreux et cordial : confiance et fidélité. La confiance et la fidélité n'imposent pas une adhésion passive, elles ne sont pas une paresse docile, comme certains le croient peut-être. Soutenue par la confiance, la fidélité est cohésion, est cohérence, est défense, est collaboration. Et elle est aussi participation relative et coresponsabilité ; elle est en outre stimulant de l'initiative, tant directe que disciplinée, entraînant la liberté personnelle du chrétien adulte et mûr qui a éduqué sa conscience à la lumière de la doctrine authentique de l'Eglise, spécialement lorsqu'elle agit dans le domaine de l'activité temporelle. A ce sujet on peut dire que le Concile a, d'un côté, mis en honneur le caractère « ecclésial » du laïc catholique et, de l'autre, lui a reconnu une autonomie « séculière » qui distingue sa responsabilité de celle de l'Eglise dans la sphère qui lui est propre. C'est ce qui devrait inspirer au laïc lui-même la confiance dont Nous parlons.

Certainement il ne faut pas croire que le pouvoir de l'Eglise, tant dans la doctrine que dans l'action, dérive des pasteurs de la communauté ecclésiale agissant démocratiquement : ce serait céder à une fausse opinion. Mais, en rappelant que dans l'Eglise les pasteurs, par la volonté du Christ et par l'investiture sacramentelle, sont constitués docteurs et dispensateurs des mystères divins au service de toute la communauté et aussi pour le bien de ceux qui y sont étrangers, et en rappelant en outre que cela comporte une organisation ecclésiale originale, non copiée sur les schémas conventionnels de la société temporelle, il sera facile et beau d'établir entre la hiérarchie et le laïcat catholique de nouveaux rapports organiques qui donnent au laïcat la dignité, et le caractère fonctionnel qui lui a été reconnu par le Concile. Ayez donc confiance !

23 D'une manière analogue, Nous vous dirons à vous, prêtres, à tous ceux qui sont ici, à tous vos confrères, que vous représentez moralement : ayez confiance !

Confiance en qui ? en quoi ? et pourquoi ? Ici la réponse est plus complexe.

Mais disons tout de suite : confiance dans le Christ. Oui, en Lui, confiance immense, personnelle, totale. Nous devons avoir une grande confiance dans le Christ. Il le veut (cf. Jn
Jn 14,1 Jn 16,33 Mc 6,50). Il vous a appelés (Mc 3,13), vous a assimilés à Lui, vous a aimés de façon absolue, divinement. Votre spiritualité doit se baser sur cette confiance, sur cette théologie, d'où émerge la causalité divine prédominante dans votre qualification comme ses disciples, ses élus, ses amis, ses témoins, ses ministres, ses apôtres. Vous connaissez cette histoire ineffable qui descend dans la profondeur de votre psychologie et s'exprime dans les événements extérieurs de votre vie, dans l'humilité de votre service, souvent épuisant et héroïque. Relisez la page autobiographique de saint Paul et faites vôtre son extrême confiance : « Scio cui credidi », je sais en qui j'ai cru (2Tm 1,7-12).

Une crise aggravée d'une manière artificielle





Et donc, confiance en vous-mêmes, Nous voulons dire dans la définition canonique de votre identité ecclésiale et sociale. Nous connaissons bien Nous aussi les multiples et graves motifs de l'inquiétude ecclésiale présente, Nous en pesons la validité devant le Seigneur, écartant de nos yeux le voile de la coutume commode, et Nous nous arrêtons avec une affectueuse intensité d'esprit à considérer la soi-disant « crise » qui, aujourd'hui, tourmente tant de couches du sacerdoce catholique et intéresse tant l'opinion publique qui souvent dramatise les épisodes et construit des fantasmes en exagérant et en déformant les cadres de la réalité. Nous souffrons nous aussi en observant cette situation dans les rangs du clergé, et d'autant plus qu'elle Nous semble aggravée parfois d'une manière artificielle. Mais Nous Nous demandons si on ne crée pas de lourds problèmes qui pourraient être évités par un plus grand respect de la tradition dont nous avons hérité et dont nous recevons ce trésor intangible du fameux « depositum » qui n'est pas un boulet à traîner mais une réserve de certitudes et d'énergies pour l'Eglise vivante dans l'histoire.

Ce qui Nous afflige sur ce point, c'est la supposition qui a plus ou moins pénétré dans certaines mentalités qu'on puisse choisir dans l'Eglise telle qu'elle est, dans sa doctrine, dans sa constitution, dans son déroulement historique, évangélique et hagiographique et qu'on puisse en inventer et en créer une nouvelle, suivant des données schématiques idéologiques et sociologiques, changeantes elles aussi et non appuyées sur des exigences ecclésiales intrinsèques. C'est ainsi que nous voyons actuellement que ce ne sont pas tellement ses ennemis de l'extérieur qui attaquent et affaiblissent l'Eglise à ce sujet, mais quelques-uns de ses fils, quelques-uns qui prétendent être ses libres partisans de l'intérieur. Et que dirons-nous de ces cas, très rares heureusement, mais sensationnels, de prêtres et de religieux qui affichent une rupture ouverte et sacrilège des engagements solennels pris envers le Christ et l'Eglise ? « Il est fatal qu'il arrive des scandales, mais malheur à l’homme par qui le scandale arrive » (Mt 18,7). De quel courage, de quel amour nouveau n'avons-nous pas besoin pour dominer avec force et dans la charité des coups si douloureux !

Nous ne voudrions pas qu'une accentuation problématique de ce genre ait envahi vos esprits. Nous vous disons à vous, prêtres, à vous, religieux : « Soyez sobres et veillez... » (1P 5,8). Ayez confiance : la définition essentielle de votre figure de ministres de l'Eglise catholique ne doit pas être mise en discussion. Soyez forts et soyez heureux d'être ce que vous êtes, comme le Christ donnés à l'Eglise et, par cela même, élevés à cette exceptionnelle fusion du double amour du Christ et de l'Eglise qui confère à votre personnalité une incomparable plénitude intérieure de charité et de bonheur, et qui fait de votre existence sacrifiée, au milieu de la communauté des frères et au milieu du monde profane, un signe de feu du royaume de Dieu que seul le célibat, librement choisi avec le sacerdoce, peut réaliser.

Ayez confiance en votre vocation. La vie du prêtre demande, en plus de celui-là, beaucoup d'autres sacrifices. Vous les connaissez ; son genre de vie est un genre à part. Tout cela concerne aussi la position du prêtre dans la société contemporaine : par elle-même elle vous distingue et en elle-même elle vous rattache, comme le sel de la terre. Elle ne vous interdit aucune connaissance de la culture et de la vie ; elle vous soustrait à beaucoup d'expériences inutiles, ou nuisibles à votre ministère. Elle vous dispense de tant de soins qui, devenus des droits-devoirs, auraient pour effet de vous détourner de l'unique nécessaire, c'est-à-dire du service pastoral de la « meilleure part » de votre coeur et de votre temps.

Cependant, Nous le répétons, ayez confiance dans l'Eglise.

Elle traverse une heure de tension et de recherche, mais elle a le Concile pour la conduire : ce grand événement ne sera pas enseveli dans le passé, mais donnera ses fruits pour l'avenir, et vous, prêtres, vous en expérimenterez les nouvelles exigences et les nouveaux avantages. Les perspectives sont pour la reconnaissance de votre personnalité, pour l'assistance à chacun de vos besoins légitimes, pour votre plus étroite collaboration et votre coresponsabilité appropriée au soin pastoral de l'évêque, pour le renouvellement des structures qui ont été dépassées et des méthodes surannées et trop empiriques, en vue d'une plus grande efficacité de votre ministère.

« Soyez forts et soyez heureux d'être ce que vous êtes »





24 Et maintenant à vous, vénérés Confrères, Notre souhait de confiance.

Nous remarquons tous les jours, dans l'exercice de Notre charge apostolique, combien le ministère de l'évêque est devenu grave et difficile. Vraiment la fonction épiscopale n'est plus un titre d'honneur temporel mais un devoir de service pastoral. Et quel service ! Tout le poids des sollicitudes ecclésiales retombe sur l'évêque ; il peut dire avec saint Paul : Qui est faible, que je ne sois faible ? Qui vient à tomber, qu'un feu ne me brûle ? (
2Co 11,29). Cet aspect essentiel du sacerdoce ministériel, remis aujourd'hui en pleine lumière par le Concile (cf Lumen gentium, LG 24,32), et réclamé par la conjoncture historique de l'Eglise, purifie la dignité épiscopale de toute naissance possible de vanité extérieure et de pouvoir terrestre, caractérise spirituellement et pratiquement la figure du pasteur tel que le veut, conformément à son exemple, le divin Maître, lui assigne son indispensable, grande et vraie fonction dans, la communauté ecclésiale, multiplie ses forces jusqu'au don de soi complet. Nous sommes en effet les serviteurs de l'Eglise, nous dirons-nous à nous-mêmes avec saint Augustin (De opere monachorum, XXIX ; PL 40, 577 ; et nous serons reconnaissants au Gard. Pellegrino du florilège augustinien qu'il nous offre dans le bel opuscule intitulé : Verus sacerdos, Fossano, 1965). Nous ne sommes donc pas surpris de noter souvent, dans l'exercice de Notre charge apostolique, comment des évêques en fonction, pas toujours infirmes ou âgés, et des candidats appelés à l'épiscopat, cherchent à écarter cet office qui, aujourd'hui, semble être devenu insupportable non seulement par ses exigences intrinsèques, mais aussi pour tant de difficultés extrinsèques.

Cela Nous dit combien vous aussi, Confrères in passione socii, vous avez besoin de réconfort et d'exhortation à la confiance.

Vocation et sacrifices





Nous pourrions tirer argument de la constitution et de l'efficacité croissante de cette Conférence épiscopale qui impose beaucoup de nouveaux devoirs aux évêques, mais qui leur offre beaucoup de nouveaux secours avec un admirable progrès. Nous accordons volontiers à qui en a le mérite Nos applaudissements et Notre encouragement. Mais plutôt une allusion Nous semble due aux deux grandes difficultés que rencontre aujourd'hui le ministère épiscopal.

Efficacité croissante de la C.E.I.





La première difficulté est celle de l'exercice du magistère. Ne perdons pas le temps à d'inutiles paroles pour éclairer ce dont nous faisons tous l'expérience avec appréhension et douleur. La fermeté et la pureté de la foi sont menacées aujourd'hui, non seulement par l'implacable opposition de la pensée et des moeurs du monde, mais aussi par une certaine « fatigue de la vérité catholique » et par un certain pluralisme excessif et souvent imprudent qui se répandent même à l'intérieur de l'Eglise. Nous ferons bien d'observer, avec respect et prudence, ces phénomènes qui diminuent dans son contenu substantiel l'orthodoxie de la doctrine de la foi, mais en y apportant la sagesse responsable et courageuse propre à notre office de témoins, de gardiens, de maîtres. Le magistère ecclésiastique est aujourd'hui parfois attaqué précisément par ceux qui devraient le défendre, ne serait-ce que pour authentifier ce qui lui est propre. Mais nous ne devons pas avoir peur : les premiers à jouir des charismes du Saint-Esprit sont ceux auxquels ils ont été promis principalement. Et les premiers à qui appartient le droit-devoir d'enseigner les vérités de la révélation chrétienne sont les Apôtres, et par conséquent aussi leurs successeurs : « Allez, enseignez » (Mt 28,19 Lc 10,16 Mt 10,27 etc. ).

Etudes ecclésiastiques et renouvellement de la catéchèse





Nous pouvons tirer aussi un motif de réconfort pour l'exercice de notre magistère de quelques faits concrets et récents tels que l'institution de la Commission théologique pontificale, fait qui par lui seul démontre comment l'Eglise enseignante apprécie et favorise les études théologiques, comment elle accepte d'atteindre par leurs recherches éprouvées l'accroissement de son intelligence de la vérité révélée, et, encore plus, de celle de la spéculation humaine, et comment elle entend profiter de leur science pour donner à son propre langage une expression plus adaptée à la compréhension et à la' diffusion de son enseignement. Nous souhaitons une nouvelle et florissante période aux études ecclésiastiques et Nous avons confiance que le rayonnement de la foi en recevra une nouvelle splendeur.

Un autre fait pour lequel la Conférence épiscopale mérite un éloge est la publication de votre document pastoral sur le renouvellement de la catéchèse. C'est un document qui marque un moment historique et décisif pour la foi catholique du peuple italien. C'est un document dans lequel se reflète l'actualité de l'enseignement doctrinal tel qu'il ressort de l'élaboration doctrinale du récent Concile. C'est un document qui s'inspire de la charité du dialogue pédagogique, qui montre le désir et l'art de parler, d'une manière appropriée, influente et simple, à la mentalité de l'homme moderne. Nous ferons bien de lui donner une grande importance et d'en faire le point de départ d'un grand renouvellement, concordant et infatigable, pour la catéchèse de la génération présente. Cela exige le caractère fonctionnel du magistère de l'Eglise : nous lui devons honneur et confiance.

La seconde difficulté est l'exercice de l'autorité.

25 Pour quantité de raisons, l'obéissance qui lui est due est moins reconnue à l'autorité ; au contraire, des contestations irrévérencieuses et épuisantes lui sont adressées. Personne n'osera dire qu'il soit facile aujourd'hui d'être évêque. Mais sur ce point capital aussi, Nous répétons : confiance ! Confiance dans l'incontestable pouvoir de notre mandat (Nous parlons à des maîtres et Nous n'en disons pas davantage). Confiance dans la bonté de la très grande majorité du Peuple chrétien envers la hiérarchie. Confiance dans l'exigence de l'autorité inhérente aux nécessités de la communauté des croyants. Confiance enfin dans le renouvellement sage et patient que nous-mêmes, pasteurs du Peuple de Dieu, imprimerons à notre art d'exercer l'autorité qui nous appartient à nous, évêques, dans la sainte Eglise.

C'est sur ce point que nous entendons la contestation répétée et monotone : ce n'est pas l'autorité, dit-on, qui est refusée (bien qu'il y en ait qui l'attaquent radicalement), c'est la manière de l'exercer qui doit être changée. L'observation peut être considérée, au moins tant qu'elle ne cache pas cette conclusion sophistique : la manière, c'est celle qui fait du frère supérieur le docile exécuteur de ce que les frères subordonnés désirent et décident.

Style ecclésial dans le dialogue





Mais non. Acceptons humblement de revoir nos manières d'exercer l'autorité. Pour simplifier, Nous dirons qu'il y a deux manières dans l'exercice de l'autorité : la première est celle de peser sur les autres et de freiner, habituellement par la crainte, la liberté et l'activité des autres; la seconde, c'est celle qui aide les autres à donner d'eux-mêmes une expression bonne, libre et responsable (cf.
2Co 1,24). De potestate nostra, quam dedit nobis Dominus in aedificationem, et non in destructionem vestram, non erubescam : De ce pouvoir que le Seigneur nous a donné pour votre édification et non pour votre ruine, je ne rougirai pas (cf. 2Co 10,8). Choisissons la seconde manière (cf. 1P 5,1-3). Elle est plus conforme à la nature et au but de l'autorité dans l'Eglise. Les deux systèmes ont leurs inconvénients : le second les manifeste davantage et les supporte ; mais le premier, s'il les cache, les augmente.

Nous sommes au « dialogue » dont on parle trop et dont on abuse parfois. Mais par lui-même, s'il est utilisé quand et comme il se doit, il nous semble offrir la bonne expression de l'autorité pastorale. Tous, vous en connaissez les difficultés et les ressources, et tous vous savez y trouver ce style ecclésial, cet esprit évangélique qu'actuellement l'Eglise et le monde attendent des hommes d'Eglise.

Voici le Conseil presbytéral, qui devient la salle d'exercice amical de ce nouveau style du pouvoir épiscopal. Voici le nouveau statut de l'Action Catholique, qui vient sagement adapter la nécessité de la coordination des laïcs militants avec la direction personnelle de l'Evêque, et la maturité des laïcs eux-mêmes qui aspirent à agir avec une autonomie pratique et à offrir librement la contribution de leur collaboration.

Nous pourrions continuer. Mais que ces simples allusions suffisent à fortifier en vous ce que Nous sommes en train de vous souhaiter : la confiance sereine, apostolique.

Nous aurions beaucoup, beaucoup de choses à vous dire : « Adhuc multa habeo vobis dicere ! » (cf. Jn Jn 16,12). Il y aurait tous les sujets qui ont fait l'objet de vos discussions : les nouvelles circonscriptions diocésaines, la famille, le mouvement des travailleurs, les oeuvres missionnaires, les vocations, la réforme liturgique, etc. Il Nous suffit que vous ayez présents tous ces sujets ; qu'il vous suffise que Nous aussi Nous les ayons présents et vous sommes uni dans la prière, dans la patience, dans la charité.





AUX MEMBRES DU COMITÉ D’ORGANISATION DE LA RENCONTRE PANAFRICAINE DES LAÏCS

Lundi 13 avril 1970




Chers Fils d’Afrique,

La session qui vous rassemble à Rome pour préparer les étapes et le programme d’une future Rencontre panafricaine des laïcs Nous donne l’heureuse occasion d’accueillir en vous des représentants qualifiés du laïcat africain. A l’initiative de notre Conseil des Laïcs, vous avez en effet entrepris, sous la responsabilité de vos évêques, de susciter pour la première fois à l’échelle de votre vaste continent une réflexion concertée de délégués des diverses associations catholiques d’Afrique, de Madagascar et d’autres îles subtropicales sur le thème «L’engagement du laïc dans la croissance de l’Eglise et dans le développement intégral de l’Afrique».
26 Sujet immense en vérité qu’une assemblée de quelques jours ne saurait aborder qu’en surface, s’il n’était inscrit dans le cadre d’une approche apostolique et préparé dans chaque pays par une étude tenant compte de sa situation religieuse, des diverses catégories sociales selon l’âge, la mentalité, l’état de vie qui caractérisent sa population, tenant compte enfin des degrés de formation humaine et apostolique de ses chrétiens.

Aussi bien vos projets, pour une telle rencontre, doivent viser à l’essentiel, à ce qui spécifie l’action des membres laïcs de l’Eglise dans l’oeuvre du développement. Plus qu’aux problèmes socio-économiques et aux programmes que leur solution suggère, c’est à l’esprit, à la motivation, à la finalité de l’engagement chrétien que votre Rencontre pourrait utilement s’attacher. Ce qu’il importe de susciter avant tout parmi vos frères dans la foi c’est le témoignage collectif d’un engagement fondé sur la foi en Jésus-Christ, Seigneur de la Création et Sauveur des hommes. En assumant leur part dans l’effort du développement, les chrétiens ne peuvent oublier les perspectives spirituelles du salut des âmes. Le mieux être de l’homme auquel ils entendent contribuer ne se limite pas pour eux à la satisfaction de ses besoins matériels, mais respectant la dimension de son être naturellement religieux, il doit être conçu et réalisé de manière que cette vocation spirituelle ne soit pas étouffée par la promotion matérielle.

Cette hiérarchie de valeurs, applicable à tout être humain quelle que soit sa religion, revêt pour le catholique une signification bien précise. Le développement intégral pour lui c’est non seulement l’épanouissement des valeurs humaines, mais par dessus tout la réalisation des promesses de l’Evangile dans sa vie, la connaissance et l’amour de plus en plus profonds du Christ Sauveur et leur couronnement dans la béatitude éternelle de l’au-delà. C’est dans cette inspiration religieuse, propagée de groupes en groupes, de familles en familles, de communautés en communautés paroissiales ou diocésaines, que le laïcat catholique d’Afrique pourra rendre compte de la mission à laquelle l’Eglise l’appelle. Le Concile vous trace le chemin, quand il précise aux fidèles «qu’ils doivent, à travers les travaux du siècle, s’aider mutuellement en vue d’une vie plus sainte, afin que le monde s’imprègne de l’esprit du Christ et atteigne plus efficacement sa fin dans la justice, la charité et la paix . . . Qu’ils s’appliquent, poursuit le texte, de toutes leurs forces à obtenir que les biens créés soient cultivés dans l’intérêt d’absolument tous les hommes, selon les fins du Créateur et l’illumination de son Verbe» (Lumen gentium
LG 36).

Considérez donc, chers Fils, comme votre tâche particulière cette promotion apostolique des laïcs en Afrique. Nous l’avons souligné lors de Notre inoubliable pèlerinage aux Martyrs de l’Ouganda et Nous vous le répétons volontiers aujourd’hui: «A l’impulsion que donnait à la foi l’action missionnaire de Pays étrangers doit s’unir et succéder l’impulsion venant de l’intérieur de l’Afrique». En de nombreuses régions la responsabilité de la construction de l’Eglise repose déjà sur des évêques, des prêtres, des religieux et religieuses issus de leur communauté de race. Mais, vous le savez, l’Eglise ne saurait être implantée sans la participation active de tous ses fils à sa mission, parce que son Message de salut ne saurait profondément s’insérer dans la société des hommes si les laïcs chrétiens qui y sont présents par leur condition normale de vie n’en apportent la révélation à leurs semblables. C’est l’une des convictions affirmées par les Evêques au Concile: « Les pasteurs savent qu’ils n’ont pas été eux-mêmes institués par le Christ pour assumer à eux seuls tout l’ensemble de la mission salutaire de l’Eglise à l’égard du monde, leur tâche magnifique consistant à comprendre leur mission de pasteurs à l’égard des fidèles et à reconnaître les ministères et les grâces propres à ceux-ci» (Lumen gentium LG 30).

Que ces affirmations inspirées par la grâce de l’Esprit Saint vous encouragent, chers Fils, à développer sur votre continent la constitution d’un laïcat catholique vivant, actif, soucieux d’apporter la lumière de l’Evangile dans les divers milieux de vie. Avec le concours indispensable de vos évêques et de vos prêtres, consacrez-vous à votre formation et celle de vos semblables dans une connaissance toujours plus profonde de la Personne du Christ qui se révèle dans la méditation de Sa Parole ou dans l’amour et l’attention que nous devons porter en Son Nom à nos frères.
C’est le fruit que Nous attendons de la Rencontre panafricaine que vous préparez et sur laquelle Nous appelons, comme sur chacune de vos personnes, de vos familles et de vos diocèses, la Bénédiction du Seigneur.




Discours 1970 20