Redemptionis donum FR 10

Participer à l'anéantissement du Christ

10 La finalité interne des conseils évangéliques conduit à découvrir d'autres aspects encore, qui mettent en relief leur lien étroit avec l'économie de la Rédemption. On sait que son point culminant se situe dans le mystère pascal de Jésus Christ, où s'unissent l'anéantissement dans la mort et la naissance à une vie nouvelle dans la résurrection. En elle-même, la pratique des conseils évangéliques reflète en profondeur cette dualité pascale(51): l'anéantissement inévitable de ce qui en nous appartient au péché et à ses conséquences, et la possibilité de renaître chaque jour à un bien plus profond, caché dans l'âme humaine. Ce bien se manifeste sous l'action de la grâce, à laquelle la pratique de la chasteté, de la pauvreté et de l'obéissance rend l'âme particulièrement sensible. Toute l'économie de la Rédemption se réalise en fait par cet accueil de l'actionmystérieuse de l'Esprit Saint, véritable auteur de toute sainteté. Ainsi, professer les conseils évangéliques creuse en chacun et en chacune de vous, chers Frères et Soeurs, un ample espace pour la «création nouvelle»(52), qui se manifeste dans votre «moi humain» grâce précisément à l'économie de la Rédemption et également, à travers ce «moi» humain, dans les dimensions interpersonnelles et sociales. Elle se manifeste donc en même temps dans l'humanité en tant que partie du monde créé par Dieu: ce monde que le Père aime d'un amour «nouveau» dans son Fils éternel, Rédempteur du monde.

Saint Paul dit de ce Fils que, «de condition divine... il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux hommes»(53). L'anéantissement impliqué par la pratique des conseils évangéliques a donc un caractère totalement christocentrique. Et c'est aussi en ce sens que le Maître de Nazareth désigne explicitement la croix comme condition pour marcher à sa suite. Celui qui a dit un jour à chacun et à chacune de vous «suis-moi», a dit également: «Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive» (c'est-à-dire qu'il marche sur mes traces)(54). Cela, il le disait à tous ceux qui l'écoutaient, et pas seulement à ses disciples. La loi du renoncement appartient donc à l'essence même de la vocation chrétienne. Toutefois c'est d'une manière particulière qu'elle appartient à l'essence de la vocation liée à la profession des conseils évangéliques. Ceux qui suivent le chemin de cette vocation sauront comprendre le langage des expressions difficiles que nous lisons dans la lettre aux Philippiens: «A cause de lui j'ai accepté de tout perdre, je considère tout comme déchets, afin de gagner le Christ et d'être trouvé en lui...»(55).

Donc renoncement - reflet du mystère du Calvaire - pour «se trouver» plus pleinement dans le Christ crucifié et ressuscité; renoncement pour reconnaître en lui dans toute sa profondeur le mystère de notre propre humanité et le ratifier en prenant le chemin de cet admirable processus dont le même Apôtre écrit ailleurs: «Même si notre homme extérieur s'en va en ruine, notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour»(56). De cette façon-là, l'économie de la Rédemption porte la puissance du mystère pascal sur le terrain de l'humanité, qui met en pratique l'appel du Christ à vivre la chasteté, la pauvreté et l'obéissance, c'est-à-dire à vivre selon les conseils évangéliques.

[51] Cfr. CONC. OEC. VAT. II, Decr. Perfectae Caritatis,
PC 5.
[52] Cfr. 2Co 5,17.
[53] Ph 2,6-7.
[54] Mc 8,34 Mt 16,24.
[55] Ph 3,8-9.
[56] 2Co 4,16.


V - CHASTETÉ — PAUVRETÉ — OBÉISSANCE


Chasteté

11 Le caractère pascal de cet appel se reconnaît à divers points de vue, en ce qui concerne chacun des conseils.

C'est en effet en fonction de l'économie de la Rédemption qu'il faut estimer et pratiquer la chastetéque chacun et chacune de vous a promise par voeu, en même temps que la pauvreté et l'obéissance. Ceci constitue la réponse à la parole du Christ, qui est aussi une invitation: «Et il y a des eunuques qui se sont eux-mêmes rendus tels à cause du Royaume des Cieux.Qui peut comprendre, qu'il comprenne!»(57). Juste avant, le Christ avait souligné que «tous ne comprennent pas ce langage, mais ceux-là à qui c'est donné»(58). Ces derniers mots mettent clairement en évidence le fait que cette invitation est un conseil. A ce propos l'Apôtre Paul a lui aussi développé sa réflexion dans la première lettre aux Corinthiens(59). Ce conseil s'adresse particulièrement à l'amour du coeur humain. Il fait ressortir surtout le caractère nuptial de cet amour, tandis que la pauvreté et plus encore l'obéissance semblent mettre en relief avant tout l'aspect rédempteur de l'amour impliqué dans la consécration religieuse. Il s'agit ici, on le sait, de la chasteté au sens de «se faire eunuque à cause du Royaume des Cieux», c'est-à-dire de la virginité comme expression de l'amour nuptial pour le Rédempteur lui-même. En ce sens, l'Apôtre enseigne que celui qui choisit le mariage «fait bien», et celui qui choisit la virginité «fait mieux»(60). «Celui qui n'est pas marié a souci des affaires du Seigneur, des moyens de plaire au Seigneur»(61), et «la femme sans mari, comme la jeune fille, a souci des affaires du Seigneur; elle cherche à être sainte de corps et d'esprit»(62). Il n'y a là - ni dans les paroles du Christ ni dans celles de Paul - aucune mésestime du mariage. Le conseil évangélique de la chasteté ne fait qu'indiquer la possibilité particulière que constitue pour le coeur humain, de l'homme ou de la femme, l'amour nuptial du Christ lui-même, de Jésus «Seigneur». Le fait de «se faire eunuque à cause du Royaume des Cieux», en effet, n'est pas seulement un libre renoncement au mariage et à la vie de famille, mais c'est un choix charismatique du Christ comme Epoux exclusif. Un tel choix permet déjà par lui-même de «se soucier des affaires du Seigneur», mais de plus - lorsqu'il est fait «à cause du Royaume des Cieux» - il rend ce Règne eschatologique de Dieu plus proche de la vie de tous les hommes dans les conditions de la temporalité; il le rend d'une certaine manière, présent au milieu du monde.

Par là, les personnes consacrées réalisent la finalité interne de toute l'économie de la Rédemption. Cette finalité s'exprime, en effet, par le fait de rapprocher le Règne de Dieu dans sa dimension définitive, eschatologique. Par le voeu de chasteté, les personnes consacrées participent à l'économie de la Rédemption en renonçant librement aux joies temporelles de la vie conjugale et familiale; et d'autre part, précisément en «se faisant eunuques à cause du Royaume des Cieux», elles portent au milieu du monde qui passe l'annonce de la résurrection à venir (63) et de la vie éternelle: de la vie d'union à Dieu même par la vision béatifique et l'amour qui comprend et pénètre entièrement toutes les autres formes d'amour du coeur humain.

[57]
Mt 19,12.
[58] Mt 19,11.
[59] Cfr. 1Co 7,28-40.
[60] 1Co 7,38.
[61] 1Co 7,32.
[62] 1Co 7,34.
[63] Cfr. Lc 20,34-36 Mt 22,30 Mc 12,25.


Pauvreté

12 Comme elles sont expressives, à propos de la pauvreté, les paroles de la seconde lettre aux Corinthiens: elles constituent une synthèse concise de tout ce que dit l'Evangile à ce sujet! «Vous connaissez, en effet, la libéralité de notre Seigneur Jésus Christ, qui pour vous s'est fait pauvre, de riche qu'il était, afin de vous enrichir par sa pauvreté »(64). Selon ces paroles, la pauvreté entre dans la structure intime de la grâce rédemptrice du Christ. Sans la pauvreté, il n'est pas possible de comprendre le mystère du don de la divinité à l'homme, don qui s'est véritablement accompli en Jésus Christ. C'est aussi pourquoi elle se trouve au centre même de l'Evangile, au commencement du message des huit béatitudes: «Heureux ceux qui ont une âme de pauvre»(65), La pauvreté évangélique ouvre au regard de l'âme humaine toute la perspective du mystère, «tenu caché depuis les siècles en Dieu»(66). Seuls ceux qui sont «pauvres» de cette manière sont aussi intérieurement capables de comprendre la pauvreté de Celui qui est infiniment riche. La pauvretédu Christ cache en elle-même cette infinie richesse de Dieu: elle en est même une expression tout à fait fidèle. En effet, une richesse telle que celle de la divinité elle-même n'aurait pu trouver une expression juste en aucun bien créé. Elle ne peut s'exprimer que dans la pauvreté. C'est pourquoi elle ne peut être comprise de manière vraie que par les pauvres, par ceux qui ont une âme de pauvre. Le Christ, Homme-Dieu, est le premier d'entre eux: Celui qui «de riche qu'il était, s'est fait pauvre» est non seulement le maître, mais le porte-parole et le garant de la pauvreté salvifique qui correspond à l'infinie richesse de Dieu et à l'inépuisable puissance de sa grâce.

Et c'est pourquoi il est vrai aussi - comme l'écrit l'Apôtre - qu'il «nous enrichit par sa pauvreté». Il est le maître et le porte-parole de la pauvreté qui enrichit. C'est bien pour cela qu'il dit au jeune homme des Evangiles synoptiques: «Vends ce que tu possèdes..., donne-le... et tu auras un trésor dans les cieux»(67). Il y a dans ces mots un appel à enrichir les autres par sa propre pauvreté; mais au plus profond de cet appel se cache le témoignage de l'infinie richesse de Dieu qui, donnée à l'âme humaine par le mystère de la grâce, crée en l'homme lui-même, précisément par la pauvreté, une source d'enrichissement des autres qui ne peut se comparer à rien de ce qui provient des richesses matérielles, une source par laquelle on peut donner aux autres à la manière de Dieu même. Cette largesse se réalise au sein du mystère du Christ, lui qui «nous enrichit par sa pauvreté». Nous voyons ce processus d'enrichissement se développer au long des pages de l'Evangile, trouvant son point culminant dans l'événement pascal: le Christ, le plus pauvre dans sa mort sur la croix, est en même temps celui qui nous enrichit infiniment par la plénitude de la vie nouvelle, grâce à la résurrection.

Chers Frères et Soeurs, vous qui, de par la profession évangélique, avez une âme de pauvre, accueillez dans toute votre vie ce caractère salvifique de la pauvreté du Christ. Cherchez jour après jour à l'approfondir davantage. Cherchez avant tout «le règne de Dieu et sa justice», et le reste «vous sera donné par surcroît»(68). Qu'en vous et par vous s'accomplisse la béatitude évangélique réservée aux pauvres(69), à ceux qui ont une âme de pauvre!(70)

[64]
2Co 8,9.
[65] Mt 5,3.
[66] Ep 3,9.
[67] Mt 19,21; cfr. Mc 10,21 Lc 18,22.
[68] Mt 6,33.
[69] Cfr. Lc 6,20.


Obéissance

13 Le Christ, «de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux hommes. S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix»(71).

Nous touchons ici, dans ces paroles de la lettre de Paul aux Philippiens, l'essence même de la Rédemption. Au coeur de cette réalité est inscrite de manière prioritaire et constitutive l'obéissance de Jésus Christ. On en trouve une confirmation dans un autre texte de l'Apôtre, tiré cette fois de sa lettre aux Romains: «Comme, en effet, par la désobéissance d'un seul homme la multitude a été constituée pécheresse, ainsi par l 'obéissance d'un seul la multitude sera-t-elle constituée juste »(72).

Le conseil évangélique de l'obéissance est l'appel qui découle de cette obéissance du Christ «jusqu'à la mort». Ceux qui accueillent cet appel, exprimé par le mot «suis-moi», décident - selon l'enseignement du Concile - de marcher à la suite du Christ «qui, par son obéissance jusqu'à la mort de la croix..., a racheté les hommes et les a sanctifiés»(73). En réalisant concrètement le conseil évangélique de l'obéissance, ils rejoignent la nature profonde de toute l'économie: de la Rédemption. En accomplissant ce conseil, ils veulent parvenir à une participation spéciale à l'obéissance de cet «un seul», obéissance grâce à laquelle «la multitude sera constituée juste».

On peut donc dire que ceux qui décident de vivre selon le conseil de l'obéissance se placent de façon singulière entre le mystère de l'impiété(74) et le mystère de la justification et de la grâce salvifique. Ils se trouvent en ce «lieu», avec tout l'arrière-plan pécheur de leur nature humaine, avec tout cet héritage «de l'orgueil de la vie», avec cette tendance égoïste à dominer et non à servir; et précisément par le voeu d'obéissance, ils décident de changer pour devenir semblables au Christ qui, «par son obéissance..., a racheté les hommes et les a sanctifiés». En suivant le conseil de l'obéissance, ils veulent trouver leur rôle particulier dans la Rédemption du Christ et leur chemin de sanctification.

Telle est la voie que le Christ a tracée dans l'Evangile, en parlant maintes fois del'accomplissement de la volonté de Dieu et de la recherche continuelle de cette volonté. «Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé et de mener son oeuvre à bonne fin»(75). «Parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé»(76). «Celui qui m'a envoyé est avec moi; il ne m'a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît»(77). «Car je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé»(78). L'accomplissement constant de la volonté du Père fait aussi penser à cette déclaration messianique du psalmiste de l'Ancienne Alliance: «Au rouleau du livre il m'est prescritde faire tes volontés; mon Dieu, j'ai voulu ta loi au profond de mes entrailles»(79).

Cette obéissance du Fils - remplie de joie - atteint son point culminant face à la Passion et à la Croix: «Père, si tu veux, éloigne de moi cette coupe! Cependant, que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se fasse!»(80). A partir de la prière à Gethsémani, la disponibilité du Christ à accomplir la volonté du Père déborde de souffrance, et elle devient cette obéissance «jusqu'à la mort et à la mort sur une croix» dont parle saint Paul.

Par leur voeu d'obéissance, les personnes consacrées décident d'imiter humblement l'obéissance du Rédempteur, et cela de manière particulière. La soumission à la volonté de Dieu et l'obéissance à sa loi sont pour tous, quel que soit leur état, une condition de la vie chrétienne; cependant, dans «l'état religieux», dans «l'état de perfection», le voeu d'obéissance met au coeur de chacun et de chacune de vous, chers Frères et Soeurs, l'obligation de vous référer spécialement au Christ «obéissant jusqu'à la mort». Et puisque cette obéissance du Christ se trouve au centre même de l'oeuvre de la Rédemption, selon les paroles de l'Apôtre citées ci-dessus, on doit voir aussi dans l'accomplissement du conseil évangélique d'obéissance un moment particulièrement significatifde «l'économie de la Rédemption» qui imprègne toute votre vocation dans l'Eglise.

De là découle cette «disponibilité totale à l'Esprit Saint» qui agit avant tout dans l'Eglise, selon l'expression de mon prédécesseur Paul VI dans l'exhortation apostolique Evangelica testificatio(81), mais qui se manifeste également dans les Constitutions de vos Instituts. De là découle cette soumission religieuse dont, par esprit de foi, les personnes consacrées font preuve à l'égard de leurs Supérieurs légitimes, qui tiennent la place de Dieu(82). Dans la lettre aux Hébreux, nous trouvons à ce sujet une indication très significative: «Obéissez à vos chefs et soyez-leur dociles, car ils veillent sur vos âmes, comme devant en rendre compte». Et l'auteur de la lettre ajoute: «... afin qu'ils le fassent avec joie et non en gémissant, ce qui vous serait dommageable»(83).

Par ailleurs, se souvenant qu'ils doivent exercer en esprit de service le pouvoir qui leur a été confié par l'intermédiaire du ministère de l'Eglise, les Supérieurs se montreront disposés à écouter leurs frères afin de mieux discerner ce que le Seigneur attend de chacun d'eux, sans pour autant porter atteinte à l'autorité qui leur est propre et selon laquelle ils doivent décider et commander ce qu'ils auront jugé opportun.

Parallèlement à la soumission-obéissance ainsi conçue, il y a l'attitude de service qui imprègne toute votre vie, à l'exemple du Fils de l'homme qui «n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude»(84). Et sa Mère, à l'instant décisif de l'Annonciation et de l'Incarnation, pénétrant dès le début toute l'économie salvatrice de la Rédemption, dit: «Je suis la servante du Seigneur qu'il m'advienne selon ta parole!»(85).

Souvenez-vous aussi, chers Frères et Soeurs, que l'obéissance à laquelle vous vous êtes engagés en vous consacrant sans réserve à Dieu par la profession des conseils évangéliques, est uneexpression particulière de la liberté intérieure, de même que l'expression définitive de la liberté du Christ a été son obéissance «jusqu'à la mort»: «Je donne ma vie, pour la reprendre. Personne ne me l'enlève; mais je la donne de moi-même»(86).

[70] Cfr.
Mt 5,3.
[71] Ph 2,6-8.
[72] Rm 5,19.
[73] CON. OEC. VAT. II, Decr. Perfectae Caritatis, PC 1.
[74] « Mysterium iniquitatis »; cfr. 2Th 2,7.
[75] Jn 4,34.
[76] Jn 5,30.
[77] Jn 8,29.
[78] Jn 6,38.
[79] Ps 40,8-9 (39); cfr He 10,7.
[80] Lc 22,42; cfr. Mc 14,36 Mt 26,42.
[81] Cfr. Evangelica Testificatio, 6: AAS 63 (1971), 500.
[82] Cfr. CONC. OEC. VAT. II, Decr. Perfectae Caritatis, PC 14.
[83] He 13,17.
[84] Mc 10,45.
[85] Lc 1,38.
[86] Jn 10,17-18


VI - AMOUR POUR L'EGLISE


Témoignage

14 En l'Année jubilaire de la Rédemption, l'Eglise entière désire renouveler son amour en vers le Christ, Rédempteur de l'homme et du monde, son Seigneur et en même temps son Epoux divin. C'est pourquoi, en cette Année sainte, l'Eglise se tourne avec une attention particulière vers vous, chers Frères et Soeurs qui, en tant que personnes consacrées, occupez une place spéciale dans la communauté universelle du Peuple de Dieu comme dans chaque communauté locale. Si l'Eglise veut que, par la grâce du Jubilé extraordinaire, se renouvelle aussi votre amour pour le Christ, elle a en même temps pleinement conscience que cet amour constitue un bien particulier pour tout le Peuple de Dieu.L'Eglise sait bien que, dans l'amour que le Christ reçoit des personnes consacrées, l'amour du Corps entier s'adresse de façon spéciale et exceptionnelle à l'Epoux, qui est en même temps le Chef de ce Corps. L'Eglise vous exprime, chers Frères et Soeurs, sa gratitude pour la consécration et pour la profession des conseils évangéliques, qui constituent untémoignage particulier d'amour. Et en même temps, elle redit la grande confiance qu'elle met en vous, qui avez choisi un état de vie qui est un don spécial de Dieu à son Eglise. Celle-ci compte sur votre collaboration totale et généreuse afin que, en fidèles administrateurs d'un don si précieux, vous «pensiez avec l'Eglise» et agissiez toujours avec elle, en pleine conformité avec les enseignements et les directives du magistère de Pierre et des Pasteurs en communion avec lui, cultivant au plan personnel et communautaire une conscience ecclésiale renouvelée. Simultanément, l'Eglise prie pour vous, afin que votre témoignage d'amour ne fasse jamais défaut(87), et elle vous demande aussi d'accueillir dans cet esprit le présent message de l'Année jubilaire de la Rédemption.

L'Apôtre priait justement ainsi dans sa lettre aux Philippiens: «Que votre amour abonde encore, et de plus en plus..., en vraie sensibilité pour discerner le meilleur. Ainsi serez-vous purs et irréprochables pour le jour du Christ, comblés du fruit de justice...»(88).

Par la Rédemption opérée par le Christ, «l'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous fut donné»(89). Je demande sans cesse àl'Esprit Saint qu'il accorde à chacun et à chacune d'entre vous, selon «son don particulier»(90), de donner un témoignage particulier de cet amour. Que triomphe en vous, de façon digne de votre vocation, «la loi de l'Esprit qui donne la vie dans le Christ Jésus...», cette loi qui nous a «affranchis de la loi... de la mort»(91). Vivez donc cette existence nouvelle à la mesure de votre consécration et aussi à la mesure des divers dons de Dieu qui correspondent à la vocation des différentes familles religieuses. La profession des conseils évangéliques indique à chacun et à chacune d'entre vous comment vous pouvez, «par l'Esprit, faire mourir»(92) tout ce qui est contraire à la Vie et qui sert le péché et la mort, tout ce qui s'oppose au véritable amour de Dieu et des hommes. Le monde a besoin de l'authentique «contradiction» de la consécration religieuse comme d'un levain permanent de renouveau salvifique. «Ne vous modelez pas sur le monde présent, mais que le renouvellement de votre jugement vous transforme et vous fasse discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plait, ce qui est parfait»(93). Après la période spéciale d'expérimentation et de rénovation prévue par le motu proprio Ecclesiae Sanctae, vos Instituts ont reçu récemment ou s'apprêtent à recevoir l'approbation de l'Eglise pour vos Constitutions renouvelées. Que ce don de l'Eglise vous encourage à les connaître, à les aimer et surtout à les vivre avec générosité et fidélité, en vous souvenant que l'obéissance est une manifestation non équivoque de l'amour.

C'est bien de ce témoignage d'amour qu'ont besoin aujourd'hui le monde et l'humanité. Ils ont besoin du témoignage de la Rédemption tel qu'il est inscrit dans la profession des conseils évangéliques. Ces conseils, chacun selon sa manière propre et tous ensemble dans leur étroite connexion, «rendent témoignage» à la Rédemption qui, par la puissance de la Croix et de la Résurrection du Christ, conduit le monde et l'humanité dans l'Esprit Saint vers l'accomplissement définitif que l'homme et, par l'homme, la création entière trouvent en Dieu, et en Dieu seul. Votre témoignage est donc inestimable. Il faut s'employer avec constance à ce qu'il soit pleinement transparent et pleinement fructueux parmi les hommes. A cela pourra servir aussi la fidèle observance des normes de l'Eglise concernant, entre autres, la manifestation extérieure de votre consécration et de votre engagement à la pauvreté (94).

[87] Cfr.
Lc 22,32.
[88] Ph 1,9-11.
[89] Rm 5,5.
[90] Cfr. 1Co 7,7.
[91] Rm 8,2.
[92] Cfr. Rm 8,13.
[93] Rm 12,2.
[94] Cfr. CIC 669.


Apostolat

15 De ce témoignage d'amour nuptial pour le Christ, à travers lequel toute la vérité salvatrice de l'Evangile devient particulièrement visible parmi les hommes, découle aussi, chers Frères et Soeurs, comme un aspect constitutif de votre vocation, la participation à l'apostolat de l'Eglise, à sa mission universelle, qui se réalise simultanément au milieu de toutes les nations de tant de manières et grâce à la multiplicité des dons accordés par Dieu. Votre mission spécifique est en harmonieavec la mission des Apôtres, que le Seigneur envoya «dans le monde entier» pour «faire, de toutes les nations, des disciples»(95), et elle est également unie à la mission de l'ordre hiérarchique. Dans l'apostolat qu'exercent les personnes consacrées, leur amour nuptial pour le Christ devient de façon presque organique un amour pour l'Eglise en tant que Corps du Christ, pour l'Eglise comme Peuple de Dieu, pour l'Eglise qui est à la fois Epouse et Mère.

Il est difficile de décrire, et même de recenser, les multiples façons différentes qu'ont les personnes consacrées de réaliser par l'apostolat leur amour envers l'Eglise. Cet apostolat découle toujours du don particulier de vos Fondateurs qui, reçu de Dieu et approuvé par l'Eglise, est devenu un charisme pour la communauté entière. Ce don correspond aux besoins divers de l'Eglise et dù monde à chaque époque de l'histoire, et à son tour il se prolonge et se consolide dans la vie des communautés religieuses comme l'un des éléments durables de la vie et de l'apostolat de l'Eglise. En chacun de ces éléments, en tout domaine - celui de la contemplation qui féconde l'apostolat comme celui de l'action directement apostolique-, la bénédiction constante de l'Eglise vous accompagne, et en même temps sa sollicitude pastorale et maternelle pour l'identité spirituelle de votre vie et pour la rectitude de votre action au sein de la grande communauté universelle des vocations et des charismes de tout le Peuple de Dieu. Que ce soit grâce à chacun des Instituts pris séparément ou grâce à leur ensemble organique, c'est dans toute la mission de l'Eglise qu'est mise particulièrement en relief l'économie de la Rédemption dont chacun et chacune de vous, chers Frères et Soeurs, porte en soi le signe profond en vertu de la consécration et de la profession des conseils évangéliques.

C'est pourquoi, même si les multiples oeuvres d'apostolat auxquelles vous vous adonnez sont extrêmement importantes, l'oeuvre d'apostolat vraiment fondamentale reste toujours ce que vous êtes (et en même temps qui vous êtes) dans l'Eglise. De chacun et de chacune de vous on peut redire à un titre spécial ces paroles de l'Apôtre: «Vous êtes morts, et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu»(96). Et en même temps, ce fait d'être «cachés avec le Christ en Dieu» permet de vous appliquer les paroles du Maître lui-même: «Ainsi votre lumière doit-elle briller devant les hommes afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux»(97).

Vous devez «briller devant les hommes» par cette lumière; il importe pour cela que vous donniez entre vous un témoignage de mutuelle charité, lié à l'esprit fraternel de chaque communauté, car le Seigneur a dit: «A ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples: si vous avez de l'amour les uns pour les autres»(98).

La nature fondamentalement communautaire de votre vie religieuse, nourrie de la doctrine évangélique, de la sainte liturgie et surtout de l'Eucharistie, représente une façon privilégiée de réaliser cette dimension interpersonnelle et sociale: remplis de prévenances et d'attentions mutuelles, portant les fardeaux les uns des autres, vous montrez par votre unité que le Christ vit au milieu de vous(99). Pour votre apostolat dans l'Eglise, il est important que vous soyez très sensibles aux besoins et aux souffrances de l'homme qui apparaissent si visiblement et d'une manière si frappante dans le monde d'aujourd'hui. L'Apôtre enseigne en effet: «Portez les fardeaux les uns des autres et accomplissez ainsi la Loi du Christ»(100); et il ajoute que «l'accomplissement parfait de la Loi, c'est l'amour»(101).

Votre mission doit être visible! Le lien qui l'unit à l'Eglise doit être profond, très profond(102). Que par tout ce que vous faites, et surtout par tout ce que vous êtes, soit proclamée et confirmée à nouveau cette vérité: «Le Christ a aimé l'Eglise: il s'est livré pour elle»(103), vérité qui est à la base de toute l'économie de la Rédemption. Et que du Christ, Rédempteur du monde, jaillisse la source inépuisable de votre amour pour l'Eglise!

[95] Cfr.
Mt 28,19.
[96] Col 3,3.
[97] Mt 5,16.
[98] Jn 13,35.
[99] Cfr. CONC. OEC. VAT. II, Decr. Perfectae Caritatis, PC 15.
[100] Ga 6,2.
[101] Rm 13,10.
[102] Id expresse in Codice Iuris Canonici memoratur, ubi de actione apostolica agitur: cfr. can. CIC 675, § 3.


VII - CONCLUSION


Les yeux illuminés du coeur

16 Cette Exhortation que je vous adresse en la solennité de l'Annonciation de l'Année jubilaire de la Rédemption veut être l'expression de l'amour que l'Eglise nourrit pour les religieux et pour les religieuses. Vous êtes en effet, chers Frères et Soeurs, une richesse particulière de l'Eglise. Et l'on comprend mieux cette richesse si l'on médite sur la réalité de la Rédemption, ce pour quoi l'actuelle Année sainte présente une occasion permanente et un heureux encouragement. Reconnaissez donc, à cette lumière, votre identité et votre dignité. Puisse l'Esprit Saint - par l'oeuvre de la Croix et de la Résurrection du Christ - «illuminer les yeux de votre coeur pour vous faire voir quelle espérance vous ouvre son appel, quels trésors de gloire renferme son héritage parmi les saints»!(104)

Ces «yeux illuminés du coeur», l'Eglise les demande continuellement pour chacun et chacune de vous qui êtes déjà entrés dans la voie de la profession des conseils évangéliques. Et ces mêmes «yeux illuminés», l'Eglise, avec vous, les demande pour de nombreux chrétiens, spécialement pour les jeunes gens et les jeunes filles, afin qu'ils puissent découvrir cette voie et qu'ils n'aient pas peur de s'y engager, afin que, même au sein des circonstances défavorables de la vie actuelle, ils puissent entendre le «suis-moi»(105) du Christ. Vous devez vous-mêmes vous y employer par votre prière et aussi par le témoignage de cet amour grâce auquel «Dieu demeure en nous, en nous son amour est accompli»(106). Que ce témoignage devienne partout présent et universellement déchiffrable! Que l'homme de notre temps, spirituellement las, trouve en lui un soutien et une espérance! Servez donc vos frères avec la joie qui jaillit d'un coeur habité par le Christ! «Que le monde de notre temps... puisse recevoir la Bonne Nouvelle, non d'évangélisateurs tristes et découragés..., mais de ministres de l'Evangile dont la vie rayonne de ferveur, qui ont les premiers reçu en eux la joie du Christ»!(107) L'Eglise, dans son amour pour vous, ne cesse «de fléchir les genoux en présence du Père»(108) afin que par lui «se fortifie en vous l'homme intérieur»(109) et qu'il en soit de même pour beaucoup d'autres de nos frères et soeurs baptisés, des jeunes en particulier, pour qu'ils trouvent le chemin de la sainteté qu'au cours de l'histoire tant de générations ont parcouru avec le Christ -Rédempteur du monde et Epoux des âmes-, laissant souvent derrière eux le halo éclatant de la lumière de Dieu sur l'arrière-plan morne et ténébreux de l'existence humaine.

A vous tous, qui avancez sur cette route dans la phase actuelle de l'histoire de l'Eglise et du monde, s'adresse ce voeu fervent de l'Année jubilaire de la Rédemption, afin que «vous soyez enracinés, fondés dans l'amour. Ainsi vous recevrez la force de comprendre, avec tous les saints, ce qu'est la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur, vous connaîtrez l'amour du Christ qui surpasse toute connaissance, et vous entrerez par votre plénitude dans toute la Plénitude de Dieu »(110).

[103]
Ep 5,25.
[104] Ep 1,18.
[105] Lc 5,27.
[106] 1Jn 4,12.
[107] PAULUS PP. VI, Adh. Ap. Evangelii Nuntiandi, EN 80: AAS 68 (1976), 75.
[108] Cfr. Ep 3,14.
[109] Cfr. Ep 3,16.
[110] Ep 3,17-19.


Message de la solennité de l'Annonciation du Seigneur

17 En la fête de l'Annonciation de cette Année sainte, je confie la présente Exhortation au Coeur de la Vierge Immaculée.Parmi toutes les personnes consacrées sans réserve à Dieu, elle est la première. Elle, la Vierge de Nazareth, est aussi la plus totalement consacrée à Dieu, consacrée de la façon la plus parfaite. Son amour nuptial atteint son sommet dans la maternité divine par la puissance de l'Esprit Saint. Mère, elle porte le Christ dans ses bras, et en même temps elle répondde la manière la plus parfaite à son appel: «Suis-moi». Et elle, sa Mère, le suit comme son Maître en chasteté, en pauvreté et en obéissance.

Comme elle fut pauvre dans la nuit de Bethléem, et comme elle fut pauvre sur le Calvaire! Comme elle fut obéissante lors de l'Annonciation, puis -au pied de la Croix- obéissante jusqu'à consentir à la mort de son Fils, qui s'était fait lui-même obéissant «jusqu'à la mort»! Avec quel amour très pur elle se voua durant toute sa vie terrestre, à la cause du Royaume des Cieux!

Si Marie est le premier modèle pour l'Eglise entière, elle l'est à plus forte raison pour vous, personnes et communautés consacrées à l'intérieur de l'Eglise. En ce jour qui nous remet en mémoire l'inauguration du Jubilé de la Rédemption qui a eu lieu l'an dernier, je vous adresse le présent message pour vous inviter à raviver votre consécration religieuse sur le modèle de la consécration de la Mère de Dieu.

Chers Frères et Soeurs! «Il est fidèle, le Dieu par qui vous avez été appelés à la communion de son Fils, Jésus Christ»(111). Persévérez dans la fidélité à Celui qui est fidèle, et efforcez-vous de chercher un soutien tout à fait spécial en Marie! Elle a été appelée par Dieu à la communion la plus parfaite avec son Fils. Qu'elle soit aussi, elle, la Vierge fidèle, la Mère de votre cheminement évangélique: qu'elle vous aide à expérimenter et à montrer au monde la fidélité infinie de Dieu même!

En exprimant ces souhaits, je vous bénis de grand coeur.

Du Vatican, le 25 mars de l'Année jubilaire de la Rédemption 1984, en la sixième année de mon pontificat.

[111]
1Co 1,9.

Copyright © Libreria Editrice Vaticana







Redemptionis donum FR 10