Révélations de Sainte Brigitte de Suède 4071

Chapitre 71 trois louables états

4071   Il est ici traité de quelques questions agréables que Jésus-Christ propose à son épouse. Ses réponses humbles. Comment Notre-Seigneur ajoute pour l’élection de sa fille, trois louables états, savoir est de virginité, mariage et viduité.

  Le Fils de Dieu parle à l’épouse, lui disant : Répondez-moi à quatre choses que je vous demande.

1° Si quelqu’un, dit-il, donnait à son ami une palme fructueuse, laquelle néanmoins il retiendrait auprès de sa maison, d’autant qu’il recevrait du plaisir de la vue et de l’odeur d’icelle, que dirait celui qui donne la palme, si celui qui l’a reçue la demandait pour la transplanter en un autre lieu auprès de sa maison, où elle fructifierait mieux ?

Sainte Brigitte répondit : Si l’ami avait donné la palme par amour, s’il était sage et s’il le désirait avoir pour bon ami, il permettrait en vérité à son ami de faire de la palme tout ce qu’il voudrait, lui disant : O mon ami, bien que de la proximité de la palme je reçoive un grand plaisir, néanmoins, parce qu’elle ne m’est pas beaucoup plantureuse, je me réjouis que vous la transplantiez où vous voudrez, en quelque lieu très fertile.

p 300 2° Notre-Seigneur lui demanda : Si des parents avaient promis à quelque jouvenceau leur fille vierge, la vierge le voulant ainsi, et si ses parents interrogeaient l’enfant pour savoir si la fille lui agréait ou non, et si l’enfant ne répondait rien là-dessus, la fille serait-elle épousée ou non ? Sainte Brigitte répondit : Il me semble que non, puisque l’enfant n’a pas éprouvé sa volonté.

3° Notre-Seigneur lui proposa encore une autre question, lui disant : Un jeune et noble garçon, étant entre trois filles, proposa que celle d’entre elles qui dirait qu’elle l’exciterait plus souvent à l’amour, celle-là obtiendrait l’amour de ce jeune homme. Lors la première répondit : J’aime ce jouvenceau avec tant d’amour que j’aimerais plutôt mourir que de m’unir à un autre. La deuxième dit : Je souffrirais et préférerais pâtir toute sorte de peines que de dire une parole contre sa volonté ou qui l’offensât tant soit peu. La troisième répondit : J’aimerais plutôt pâtir et endurer toute sorte de peines, quoique amères, que de le voir tant soit peu méprisé ou souffrir quelque dommage.

Dites-moi donc, dit Notre-Seigneur, laquelle de ces trois aime plus le jouvenceau, et quelle est celle qu’il faut préférer en l’amour d’icelui.

Sainte Brigitte répondit : Il me semble que toutes l’aime également, car toutes étaient d’un même coeur envers lui, et partant, toutes sont dignes de son amour.

4° Notre-Seigneur dit : Il y avait un ami qui en consultait un autre : J’ai, dit-il, du blé grandement fructueux ; si on le sème en bonne terre, il fructifie à foison ; mais d’autant que j’ai grandement faim, que vous semble-t-il meilleur, ou que je le sème ou que je le mange ? L’ami répondit : Votre faim se peut rassasier par une autre occasion, il vous est donc plus utile que vous le semiez.

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Lors Notre-Seigneur ajouta : Ma fille, n’êtes-vous pas d’un même avis, que la faim soit supportée avec patience, et que le grain qui doit profiter à plusieurs soit semé ?

  Notre-Seigneur dit derechef : Ces quatre choses vous appartiennent, car votre fille (1) est comme une palme que vous m’avez vouée et donnée. Or, maintenant, je sais un lieu plus agréable pour elle: je la veux transplanter où il me plaira, et pour cela, vous ne devez pas vous troubler, car vous avez consenti à la transplanter.

Notre-Seigneur dit encore : Vous m’avez donné votre fille, mais moi, je ne vous ai point montré ce qui m’était plus agréable en elle, la virginité ou le mariage, ou si votre sacrifice me plaisait ou non. Partant, maintenant, ayant connu votre certitude, les choses qui sont faites avec icelle se peuvent changer et corriger. Notre-Seigneur dit encore : la virginité est bonne et grande, car elle rend semblable aux anges, si toutefois elle est observée avec raison et honnêteté. Or, si l’une est sans l’autre, savoir est la virginité de la chair sans celle de l’esprit, la virginité est difforme, car une mariée humble et dévote (2) m’est plus agréable qu’une vierge superbe et impudique. Peuvent être d’un égal mérite, une mariée qui n’est point lascive et qui vit conformément aux commandements de Dieu en sa crainte, et une vierge pudique et humble, car bien que ce soit une chose grande d’être au feu de probation et ne point brûler, néanmoins, il est égal d’être hors du feu de la religion et vouloir être librement dans le feu du monde, et brûler d’un feu d’amour plus fervent envers Dieu hors du feu de le religion, que celui qui y est. Voici que de ces trois je vous propose un exemple.

(1) La fille de sainte Brigitte était sainte Catherine. (2) Il faut entendre que la mariée peut avoir une plus grande ferveur à la chasteté que celle de la vierge, car autrement, la virginité et le célibat sont par-dessus, comme dit saint Paul. (
1Co 7)

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Certainement, il y eut trois notables personnes : Susanne, Judith, et Tècle, vierge. La première fut mariée, la deuxième veuve, la troisième vierge. Celles-ci eurent une vie et une intention inégales, et néanmoins, elles sont conformes au mérite de leur action. Susanne enfin, étant troublée et accusée faussement par les prêtres, aima mieux mourir que se salir contre les défenses de Dieu ; et d’autant qu’elle m’a craint, m’appréhendant partout présent, c’est pourquoi elle a mérité d’être sauvée et d’être glorifiée. Mais Judith, voyant mon déshonneur et la ruine de son peuple, en avait si grande compassion, qu’émue de mon amour, elle aima, non seulement à s’exposer à toute sorte d’opprobres, mais encore était disposée à souffrir pour l’amour de moi toute sorte de peines. Tècle, vierge, aima mieux souffrir les passions très amères que dire une parole contre moi. Ces trois, bien qu’elles n’aient eu une même action, néanmoins, sont égales en mérite. Partant, soit vierge, soit veuve, toutes me peuvent plaire également, pourvu que tout leur désir et bonne vie tendent à moi.

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Notre-Seigneur dit derechef : Votre fille, soit qu’elle soit en virginité ou en mariage, m’est également agréable, pourvu que le tout soit selon mes volontés : car que lui servirait-il d’avoir la virginité au corps et non à l’esprit ? Ou qu’est-il plus glorieux, de vivre à soi-même ou de profiter à autrui ? Mais moi, qui sais toutes choses et qui les prévois, je ne fais rien sans raison. Partant, elle n’arrivera pas au lieu constitué avec le premier fruit, car il provient de la crainte, ni avec le deuxième, car il sort de la tiédeur ; mais elle parviendra au moyen, car elle a la moyenne chaleur de l’amour et fruit de l’honnêteté. Or, celui qui la prendra aura trois choses : des dons, des vêtements et de la viande pour elle.

  DECLARATION.

  Le Fils de Dieu parle à sainte Brigitte : Vous admirez pourquoi cette vierge n’est parvenue au mariage de la manière que vous espériez. Je vous réponds par une similitude. Quelqu’un se disposa à donner sa fille en mariage à quelque pauvre ; et lorsqu’il devait accomplir le mariage, il s’est rendu infracteur des lois de la cité, et à raison de cela, il a été chassé par les citoyens avec déshonneur, et il n’a pas obtenu la fille qu’il désirait. De même en ai-je fait au sieur de cette terre : je lui avais promis de lui faire de grandes choses ; mais lui, il s’est d’autant plus arrêté à mes ennemis, c’est pourquoi il n’est pas parvenu au bout des desseins que je lui avais promis. Mais vous me demanderez : Eh quoi ! ne prévoyez-vous pas les choses futures ? Oui, vraiment, comme on le lit de Moïse et de son peuple ; mais je lui ai montré et lui montre plusieurs choses, afin que les hommes se préparent à bien faire, qu’ils sachent que je leur donnerai des biens et faveurs, et qu’ils les attendent avec patience. Néanmoins, sachez qu’un malheur s’était retiré, mais un autre est arrivé sur les ingrats de ce royaume ; et après, ma bénédiction sera donnée sur les humbles qui demanderont ma miséricorde. Sachez aussi qu’il serait expédient à cette vierge qu’elle s’arrêtât à mon conseil et à celui des sages.

On croit que cette vierge fut dame Catherine, fille de sainte Brigitte, de laquelle on peut voir en sa vie de grandes merveilles.

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Chapitre 72 Jésus-Christ parle à son épouse des soeurs de Lazare ressuscité

4072   Jésus-Christ parle à son épouse des soeurs de Lazare ressuscité. Manière dont l’épouse et sa fille sont désignées par les soeurs, l’âme par le Lazare ressuscité, et les envieux par les Juifs. Comment Dieu a fait avec ceux-ci plus de miséricorde qu’avec les soeurs du Lazare, eux qui savent beaucoup parler et peu faire, et qui s’indignent contre ceux qui opèrent bien.

  Le Fils de Dieu parle à son épouse, disant : Il y avait deux soeurs, Marthe et Marie, qui avaient un frère, le Lazare, que j’ai ressuscité, et qui, ressuscité, m’a plus servi qu’auparavant : de même ses soeurs, qui, bien qu’elles fussent familières et soigneuses à me servir avant la résurrection de leur frère, néanmoins en furent beaucoup plus soigneuses et dévotieuses après : de même en ai-je fait avec vous spirituellement, car j’ai ressuscité votre frère, c’est-à-dire, votre âme, laquelle, par quatre jours, étant morte et puante, s’éloigna de moi par la transgression de mes commandements, par les perverses cupidités, par la douceur du monde et par la délectation du péché. Mais il y eut quatre choses qui m’émurent à ressusciter Lazare ;

1° d’autant qu’il était mon ami quand il vivait ;

2° l’amour que ses soeurs me portaient ;

3° parce que l’humilité de Marie mérita tant en me lavant les pieds, car comme elle s’était humiliée pour l’amour de moi en la présence de plusieurs qui banquetaient ensemble, aussi elle se réjouit et fut honorée en la présence de plusieurs ;

4° afin que la gloire de mon humanité fût manifestée.

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Ces quatre choses n’ont pas été en vous, d’autant que vous aimez plus le monde qu’elles. Partant, ma miséricorde est plus grande en vous que vous ne l’avez mérité par aucun acte, comme ces soeurs; et certainement, cette miséricorde est d’autant plus grande que la mort spirituelle est plus précieuse que la mort corporelle, et que la résurrection de l’âme est plus glorieuse que celle du corps. D’autant donc que la miséricorde procède de vos oeuvres et les prévient, retirez-moi, tous ainsi que ces soeurs-là, en la maison de votre esprit, avec une charité très fervente, n’aimant pourtant rien que moi. Ayez en moi toute votre confiance, vous humiliant avec Marie, pleurant tous les jours vos péchés, n’ayant point eu soin de vivre humblement avec les superbes, d’être continente et modeste avec les continents et les modestes, de montrer aux autres évidemment combien intimement et intérieurement vous m’aimez ? Vous devez aussi être, comme ces chères soeurs, un coeur et une âme, forte et généreuse pour mépriser le monde, et prompte pour louer incessamment Dieu. Et si vous faites de la sorte, moi, qui ai ressuscité votre frère, c’est-à-dire, votre âme, je la défendrai, afin qu’elle ne soit tuée par les juifs cruels et impies ; car qu’aurait profité au Lazare d’être ressuscité de la mort présente, si, en vivant plus honnêtement en la vie mourante, il ne fût ressuscité plus glorieux en la seconde vie éternelle et permanente ?

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Mais qui sont les Juifs qui cherchent pour faire mourir le Lazare, si ce n’est ceux-là qui s’indignent de ce que vous vivez mieux qu’eux, qui ont appris à dire des choses sublimes et à en faire peu, qui, suivant trop fidèlement les faveurs des hommes, méprisent plus lâchement les faits de leur prédécesseurs,d’autant que moins ils daignent contempler et entendre les choses Vraies et suréminentes ?

Tels, hélas ! sont plusieurs en nombre qui savent fort bien disputer des vertus, mais non pas les pratiquer en vivant vertueusement. Partant, leurs âmes sont en grand danger, car elles ont force paroles et peu d’effets. Mais quoi ! mes prédicateurs n’en ont-ils pas fait de même ? Non certes, d’autant qu’en vérité ils étaient tous prêts et disposés à donner leurs âmes pour leurs âmes, lorsqu’ils avertissaient les pécheurs, non avec des paroles sublimes, mais humbles et charitables ; car l’ardeur de celui qui enseignait, formait plus esprit de l’auditeur que les paroles. Or, maintenant, plusieurs parlent et disent de moi et des choses sublimes et éminentes, mais pas un n’en suit le fruit, d’autant que le souffle seul n’allume pas le bois, à moins que les petites scintilles du feu n’y coopèrent.

Je vous garderai donc et vous protégerai de ces Juifs, afin que vous ne vous retiriez de moi, ni par leurs paroles, ni par leurs actions. Je ne vous défendrais pas néanmoins en telle sorte que vous ne pâtissiez rien, mais afin que vous ne succombiez par puissance. Or, employez-y votre volonté, et moi, avec mon amour, j’allumerai vos désirs.

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Chapitre 73 Paroles de la Sainte Vierge à l’épouse, pour l’avertir comment elle ne se doit troubler du chevalier dénoncé ni de sa mort

4073   Paroles de la Sainte Vierge à l’épouse, pour l’avertir comment elle ne se doit troubler du chevalier dénoncé ni de sa mort.

  Un chevalier vivant était dénoncé être mort, lequel aussi était montré à l’épouse sainte Brigitte en une vision spirituelle, comment mort, demandant instamment aide et secours de ce sujet.

La Mère de miséricorde, la Sainte Vierge lui dit : Ma fille, vous saurez en son temps si ce chevalier est mort ou non, car nous voulons travailler, afin que désormais il vive mieux qu’il n’a vécu.


Chapitre 74

4074   Parole de Jésus-Christ à l’épouse sainte Brigitte, et celles de saint Jean-Baptiste à Jésus-Christ, en le louant, et faisant des prières devant lui pour les chrétiens, et très singulièrement pour un chevalier, par les prières duquel, et la Sainte Vierge, et de saint Pierre, et de saint Paul, ce chevalier avait pris par leurs mains les armes spirituelles, c’est-à-dire, était armé et honoré de vertus ; et qu’est-ce qu’en détail signifient toutes les armes corporelles. Des bonnes oraisons.

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Le Fils de Dieu, engendre de toute éternité, parlait à sa chère épouse, lui disant : vous avez composé aujourd’hui cette maxime merveilleuse, qu’il était meilleur de prévenir que d’être prévenu: de même je vous ai prévenue par les douceurs indicibles de ma grâce, de peur que le diable ne dominât tyranniquement en votre âme.

Et soudain, saint Jean-Baptiste, apparaissant, dit : Béni soyez-vous ô mon Dieu, qui êtes avant toutes choses, avant que jamais pas un n’a été Dieu, ni ne sera, d’autant que vous êtes, étiez et serez éternellement Dieu ! Vous êtes la vérité promise par les prophètes, celui dont je me suis réjoui avant qu’il fût né, et que je connaissais entièrement quand je le montrais et disais : Vous êtes notre joie indicible et notre gloire infinie. Vous êtes l’objet de nos désirs et la jouissance de nos contentements, d’autant que vous voir, cela nous remplit d’une indicible suavité, que personne ne connaît, si ce n’est celui qui l’a goûtée. Vous êtes aussi notre seule dilection. Ce n’est pas de merveille si nous vous aimons, car vous, qui êtes la charité même, aimez, non seulement ceux qui vous aiment, mais aussi, étant Créateur de toutes choses, vous chérissez ceux mêmes qui dédaignent de vous connaître. Or, maintenant, ô mon seigneur ! puisque nous sommes enrichis par vos libérales et adorables mains, par vous et en vous, nous vous prions de départir de nos richesses spirituelles à ceux qui n’en ont point, afin que, comme nous nous réjouissons en vous, non en nos mérites, de même plusieurs participent à nos biens.

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Notre-Seigneur répondit : Vous êtes le souverain membre avec la tête et auprès de la tête ; néanmoins, la gorge est plus proche et plus excellente : de même je suis le chef et la tête de tous, et ma très chère Mère est la gorge ; après, les anges le sont ; mais vous et mes apôtres êtes comme les palerons du dos, d’autant que, non seulement vous m’aimez, mais aussi vous m’honorez, en avançant et en poussant ceux qui m’aiment. Partant, ce que j’ai dit et arrêter est constant : Les oeuvres que je fais, vous les ferez, et votre volonté est ma volonté, car comme la tête de chair ne se meut point sans les membres, de même en l’union et conjonction spirituelle que vous avez avec moi, il n’y a point de vouloir sans pouvoir, mais tout est pouvoir ; c’est ce qu’un chacun de vous veut. Partant, que ce que vous demandez soit fait.

Ces choses étant dites, saint Jean apporta un chevalier à demi mort, et lui dit : O mon Seigneur ! Celui qui est ici présent vous avait voué la milice qui s’efforce généreusement de combattre et d’abattre ; mais il ne peut surmonter ni vaincre son ennemi, d’autant qu’il est désarmé, et que d’ailleurs il est infirme. Quant à moi, je suis obligé de lui aider pour deux raisons, tant à considération des mérites de ses parents, qu’en contemplation de l’amour dont il est atteint et touché par mon honneur. Donnez-lui donc, pour l’amour de vous-même, les vêtements de la milice, afin que la confusion honteuse de sa nudité ne paraisse.

Notre-Seigneur lui répondit : Donnez-lui ce qu’il vous plaît, et revêtez-le selon votre contentement.

Lors saint Jean lui dit : Venez, ô mon enfant, et recevez de moi le premier vêtement de votre milice, par lequel vous pourrez plus facilement prendre et supporter les autres vêtements de la milice. Il appartient donc au chevalier qu’il ait plus près de la chair ce qui est plus mol et plus doux, savoir, un vêtement double. Je vous revêtirai donc de celle-là, puisque Dieu le veut de la sorte, car comme cette double robe corporelle est douce et molle, de même l’âme a une double robe spirituelle, quand elle a Dieu très cher en son coeur, et le ressent doux et suave en ses affections.

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En vérité, la douceur qu’on ressent en Dieu provient de deux choses : de la considération éminente des bienfaits de Dieu, et de la souvenance des péchés abominables commis en la vie passée avec contrition. (S. Jean. ) J’ai eu ces deux choses étant enfant, d’autant que j’ai mûrement considéré de quelle grâce et faveur Dieu m’avez prévenu avant de naître ; de combien grandes bénédictions il m’a accueilli après ma naissance. Et considérant tout ceci, j’ai gémi, voyant que je ne pouvais rendre à Dieu quelque chose digne de tant de bénédictions. J’ai considéré aussi l’instabilité et l’inconstante volubilité du monde : c’est pourquoi, les connaissant, je me suis enfui dans les déserts les plus affreux, là où mon Jésus m’était autant doux consolateur que toutes les choses désirables du siècle m’étaient fâcheuses et à dégoût, même à mes pensées et à charge à mes désirs. Venez donc ô chevalier ! et revêtez-vous de cette robe double, d’autant que le reste vous sera donné en son temps. Après, apparut saint Pierre l’apôtre, disant : Saint Jean vous a donné une robe double, mais moi, qui suit tombé grandement et me suis fortement relevé par la grâce, je vous impétrerai une cotte de mailles, c’est-à-dire, la divine charité ; car comme la cotte de mailles est faite de petits anneaux de fer, pour la défense contre les traits acérés des ennemis, et rend l’âme paisible et généreuse pour endurer fortement les torrents de maux qui fondent sur elle, elle la rend plus prompte pour honorer Dieu, plus fervente aux travaux et labeurs divins, la fait invincible dans les pressantes adversités, patiente en l’espérance et persévérante en ses entreprises.

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Cette cotte de maille doit donc reluire comme l’or et être forte comme l’acier et le fer, attendu que tout homme qui est blessé des flèches de l’amour divin doit être maniable comme l’or, par la patience contre l’adversité ; il faut qu’il soit éclatant et brillant par la sagesse et discrétion, de peur qu’il n’embrasse l’hérésie pour la pureté de la foi, et les choses douteuses pour les choses certaines.

Que sa cotte de mailles soit aussi forte, et que comme le fer dompte toutes choses, de même l’homme, se servant de la charité, humilie ceux qui résistent à la foi et aux bonne moeurs ; qu’il ne s’en retire pour les détractions ; qu’il ne fléchisse pour les amitiés ; qu’il ne s’attiédisse pour ses commodités temporelles ; qu’il ne dissimule pour le repos de la chair ; qu’il ne craigne à cause de la mort, car personne ne lui peut ôter la vie, si ce n’est que Dieu le permette. En vérité, bien que la cotte de mailles soit faite de plusieurs anneaux, néanmoins, il y en a deux signalés par lesquels la cotte de mailles de la charité est composée.

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Donc, le premier cercle de la divine charité est la connaissance de Dieu et la fréquente considération des bienfaits et des préceptes divins, afin que l’homme sache ce qu’il faut faire pour Dieu, pour le monde et pour le prochain. Le second cercle du divin amour est retenir et contenir dans les bornes de la raison sa propre volonté pour l’amour de Dieu. En vérité, celui qui aime Dieu entièrement et parfaitement, ne se réserve rien de ses propres volontés, qui sont contraires à celle de dieu. Voici, ô mon fils, que Dieu vous donne cette cotte de mailles, et je vous l’ai méritée, prévenu de l’amour de Divin.

Après, saint Paul apparut, disant : O mon fils, saint Pierre, le souverain pasteur des brebis, vous a donné la cotte de mailles ; mais moi, par la charité divine je vous donnerai le pourpoint, qui est la charité envers le prochain, savoir : vouloir mourir librement et franchement,Dieu nous aidant par ses grâces pour le salut du prochain ; car comme au pourpoint, il y a plusieurs lames proportionnées et plusieurs clous qui l’unissent, de même en la charité du prochain, plusieurs vertus y concourent.

Certainement, celui qui aime son prochain est tenu et obligé d’avoir douleur que tous ceux qui ont été affranchis et réduits par le sang de Jésus, ne rendent pas un mutuel amour à Dieu. En deuxième lieu, il doit être marri que la sainte Eglise, épouse de Dieu, ne soit en sa louable disposition ; en troisième lieu, qu’il y en a peu qui se souviennent de la passion amère de Jésus, avec ressentiment, amertume et douleur. En quatrième lieu, il doit prendre garde que son prochain ne soit corrompu par quelque mauvais exemple. En cinquième lieu, il doit donner à son prochain son bien avec joie, et prier Dieu pour lui, afin qu’il profite et avance en toute sorte de biens, et y soit en tout accompli.

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Or, les clous qui unissent les âmes sont les paroles divines, car l’homme charitable doit consoler son prochain affligé en tout lieu par des paroles charitables, et défendre celui qui est injustement lésé, visiter les infirmes, racheter les captifs, n’avoir point honte des pauvres, aimer toujours la vérité, ne préférer rien à la charité, ne s’écarter ni se fourvoyer de la justice.

J’ai donc été revêtu de ce pourpoint, moi qui ai été infirme avec les infirmes, qui n’ai eu honte de dire la vérité en la présence des rois et des princes, et ai été préparé à mourir pour le salut du prochain.

Après apparut la Mère de Dieu qui dit à ce chevalier : Que vous manque-t-il encore, ô mon fils ?

Je n’ai point de heaume en ma tête, dit-il.

Lors la Mère de miséricorde dit à l’ange gardien de l’âme de ce chevalier : Que sert votre garde à son âme, ou qu’avez-vous pour offrir et présenter à Notre-Seigneur ?

L’ange répondit : j’ai quelques choses, bien que petites, car souvent il fait des aumônes et fait des prières avec charité et amour de Dieu ; souvent il laisse sa propre volonté pour suivre la volonté divine, priant Dieu avec une grande sincérité, afin que le monde lui soit vil et à mépris, et que Dieu lui soit très cher et très aimable sur toutes choses.

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La Mère de Dieu répondit : Il est bon d’apporter quelque chose. Nous voulons donc faire comme fait un bon orfèvre, qui, voulant faire un grand vase d’or, et la matière lui manquant, en demande à ses amis qui en ont, lesquels lui en donnent, afin qu’il achève son vase et son ouvrage. Or, qui donnera de l’or à celui qui fait son ouvrage de boue, puisque la boue est indigne d’être mêlée avec l’or ? Or donc, tous les saints qui sont riches en or vous mériteront avec moi un heaume d’or que vous recevrez bientôt. Or, ce heaume est la volonté de plaire à Dieu seul ; car comme le heaume défend la tête des coups et des flèches, de même une bonne volonté de plaire à Dieu en tout, défend l’âme, afin que les tentations du démon infernal ne la surmontent, et introduit Dieu en l’âme. Saint Georges et saint Maurice ont eu cette bonne et sincère volonté, et encore plusieurs autre, voire même le larron, quand il était pendu au gibet de la croix. Certes, sans cette bonne volonté, pas un ne jette un bon fondement pour sa vie, ni ne parvient à la couronne immortelle.

En ce heaume, il faut qu’il y ait deux trous devant les yeux, par lesquels on prévoie ce qui arrive. Ces deux trous sont la discrétion de ce qu’il faut faire et la prudence de ce qu’il faut omettre, car sans la discrétion et préméditation attentive, on fait beaucoup de choses à la fin qui sont mauvaises, qui semblent néanmoins bonnes au commencement.

Derechef, la Mère de Dieu parla au chevalier, lui disant : Que vous faut-il encore ?

Il répondit : Mes mains sont nues et n’ont point d’armure.

La Mère de Dieu lui dit : je vous aiderai et ferai en sorte que vos mains ne soient pas nues. Comme il y a deux mains de chair, il y a aussi deux mains d’esprit : la main droite, avec laquelle il faut tenir et manier le glaive, signifie les oeuvres de justice ; en cette main doivent être cinq vertus comme cinq doigts.

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La première vertu est qu’un chacun soit juste en soi-même, prenant soigneusement garde qu’il n’apparaisse en sa parole, oeuvre, exemple, quelque chose qui puisse offenser et mal édifier le prochain, de peur que ce qu’il reprend en autrui par droit et par justice, il ne le détruise par ses moeurs déréglées.

La deuxième vertu est qu’il ne rende ou fasse la justice ou les oeuvres de justice pour la faveur des hommes ou pour la cupidité du monde, mais bien pour le seul et pur amour de Dieu.

La troisième est qu’il ne craigne personne pour la justice, afin qu’en son jugement se trouvent la miséricorde et la justice, et afin que celui qui a moins péché et offensé Dieu, soit autrement puni que celui qui l’a gravement offensé, autrement celui qui a péché par ignorance, autrement celui qui a péché à dessein ou par malice.

Or, quiconque aura ces cinq doigts doit prendre soigneusement garde que l’impatience n’aiguise son glaive, que la délectation humaine ne l’émousse, que l’imprudence ne le fasse jeter, et que la légèreté de l’esprit ne le noircisse.

Or, la main gauche est l’oraison divine, qui aura aussi cinq doigts.

Le premier est croire fermement les articles de la foi, de la Déité et humanité de Jésus, la marquant dans les oeuvres ; croire ce que confesse la sainte Eglise, épouse de Dieu.

La deuxième est ne vouloir pécher et offenser Dieu à dessein et sciemment, et désirer que les fautes commises soient amendées par la sainte contrition.

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Le troisième est de prier Dieu afin que l’amour charnel se change en l’amour spirituel.

Le quatrième est ne vouloir vivre au monde pour autre chose que pour honorer Dieu et pour diminuer les péchés.

Le cinquième est ne présumer rien de soi, mais craindre toujours Dieu et attendre la mort à toute heure.

Voilà, ô mon fils, les deux mains que vous devez avoir, la droite pour brandir et manier le glaive de justice contre les transgresseurs et violateurs de la justice, et la gauche d’oraison, par laquelle vous demandez justement à Dieu l’aide et le secours, afin que vous ne vous confiiez jamais de votre justice, ni ne soyez insolent contre votre Dieu.

La Sainte Vierge Marie apparut derechef et dit au chevalier : O mon fils, que vous manque-t-il encore ?

Il répondit : L’armure de mes pieds.

Et elle lui dit : J’ai ouï autrefois, ô chevalier du monde, mais qui êtes maintenant mon chevalier, que Dieu a créé tout ce qui est compris dans le pourpris de l’univers, du ciel et de la terre ; mais entre toutes les choses intérieures, la plus sublime et la plus digne, la plus belle et la plus éclatante, c’est l’âme, qui est semblable en ses images à sa bonne volonté ; car comme d’un arbre procèdent plusieurs rameaux, de même, de l’exercice et de l’oeuvre spirituelle d’une âme sort et dérive votre perfection.

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Afin donc que vous obteniez l’armure spirituelle de vos pieds, la bonne volonté, moyennant la grâce de Dieu, doit être le commencement, en laquelle il doit y avoir deux considérations comme deux pieds sur des vases d’or. Le premier pied de l’âme parfaite doit avoir cette considération et résolution de ne vouloir offenser Dieu, bien que la peine ne suivît le péché ; le second pied est fait de bonnes oeuvres, bien qu’elle sut qu’elle serait damnée pour répondre à la grande patience et à l’amour de Dieu.

  Les genoux de l’âme sont la joie et la force de la bonne volonté, car comme les genoux se courbent et fléchissent pour l’usage des pieds, de même la volonté de l’âme se doit fléchir, retenir et contenir, selon la raison et vouloir divin, car il est écrit que l’esprit et la chair se contrarient eux-mêmes, c’est pourquoi saint Paul : je ne fais pas le bien que je veux ; comme s’il disait : Je veux quelque bien selon l’âme, mais je ne le fait pas à raison de l’infirmité de la chair, et quand je le fais, ce n’est pas avec joie ; quoi donc ! L’Apôtre était-il privé de la récompense, d’autant qu’il a voulu et n’a pas pu, ou parce qu’il faisait le bien, mais non pas avec joie ? Non, mais sa couronne s’augmentait au double :

1° elle s’augmentait à raison de l’homme extérieur, car son oeuvre était pénible, à cause de la chair qui s’oppose au bien ; 2° elle s’augmentait à raison de l’homme intérieur, car il n’avait pas toujours les consolations intérieures et spirituelles ; c’est pourquoi plusieurs séculiers travaillent corporellement, mais ils ne sont pas pour cela couronnés, d’autant qu’ils sont mus à cela par un motif charnel. Certainement, si Dieu commandait ce labeur, ils ne seraient pas si ardents à leur travail.

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Il faut donc armer les pieds de l’âme de ces gens-là, c’est-à-dire, leur résolution de ne vouloir point pécher et de vouloir faire de bonnes oeuvres, bien qu’ils fussent assurés qu’ils seraient armés d’une double armure, savoir, la discrétion en l’usage des choses temporelles, et la discrétion et désir des choses célestes.

Or, l’usage discret et prudent des choses temporelles consiste à avoir des biens pour se substanter et se nourrir avec modération, et non avec superfluité ; et l’usage prudent, sage et discret, et le désir des choses célestes, est de vouloir mérité des choses céleste avec labeur et bonnes oeuvres, car véritablement l’homme s’est éloigné de Dieu par son insupportable ingratitude et son intolérable lâcheté. Partant, il doit retourner à Dieu par l’humilité et par la diligence des bonnes oeuvres. Partant, ô mon fils ! puisque vous n’avez eu tout ceci, prions les martyrs et les confesseurs, qui abondent en telles richesses, de vous aider et de vous secourir.

Lors soudain les saints, apparaissant, dirent : O Dame très bénie, vous avez porté en vous Notre-Seigneur et vous êtes Dame de l’univers : qu’est-ce que vous ne pouvez pas vous- même ?

Vraiment, ce que vous voulez est fait. Votre volonté est toujours la nôtre, disaient les saints. Vous êtes à bon droit Mère de charité, d’autant que vous visiter tout le monde par charité.

Derechef la Mère de Dieu apparut et dit au chevalier : Mon fils, il vous manque encore le bouclier. Deux choses conviennent au bouclier, savoir, la force, et le signe empreint en lui du seigneur sous lequel il milite.

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Donc, le bouclier spirituel signifie la considération de la passion très amère de fertile, qui doit être au bras gauche auprès du coeur, afin que toutes les fois que la volupté de la chair délecte l’esprit, on considère attentivement les plaies de Notre-Seigneur ; que toutes les fois que le mépris de l’esprit et les adversités ordinaires du monde nous piquent et nous contristent, la pauvreté et les opprobres de Jésus-Christ soient médités par celui-là même, et que toutes les fois que l’honneur et le plaisir passager de cette vie mourante nous plaisent, on considère et on contemple la passion et la mort amère de Jésus.

Un tel bouclier doit avoir la force de la persévérance au bien et la longitude de la charité. Or, le signe gravé sur le bouclier doit être de deux couleurs, car on ne voit rien de si loin et de si clair que ce qui est fait de deux couleurs. Or, les deux couleurs du bouclier de la considération de la passion divine, sont, contenir, retenir et régler les affections immodérées, et la pureté, et le frein des mouvements de la chair, car de ces deux choses le ciel est orné et enrichi, et les anges, les voyant, disent en se congratulant : Voici le signe de pureté et de notre société : nous sommes obligés d’aider ce chevalier. Mais les démons infernaux, voyant ce chevalier enrichi et embelli des signes signalés et insignes de ce bouclier, criaient et hurlaient : Que ferons-nous, ô compagnons de l’enfer ?

Ce chevalier est terrible en ses entreprises et excellent en armes ; à son côté sont les armes des vertus ; au derrière, il a les armées des anges ; à gauche, il est très vigilant gardien, savoir, Dieu, de qui les pouvoirs sont adorables ; à l’entour de lui, il est tout plein d’yeux, avec lesquels il voit et regarde notre malice. Nous pouvons bien batailler contre lui, mais à notre confusion, car jamais nous ne le surmonterons.

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Oh ! qu’un tel chevalier est heureux, que les anges honorent, de la crainte duquel les diables tremblent ! Néanmoins, ô mon fils, dit la Mère de Dieu, d’autant que vous n’avez pas obtenu un bouclier juste, prions les saint anges qui reluisent en pureté spirituelle, de vous aider.

Derechef, la Mère de Dieu parle, disant : Mon fils, il vous manque encore un glaive.

Deux choses conviennent au glaive :

1° qu’il soit tranchant des deux côtés ;

2° qu’il soit bien effilé.

Or, le glaive spirituel est la confiance en Dieu pour combattre pour la justice. Or, cette confiance doit avoir deux tranchants, savoir, la rectitude de la justice en la prospérité riante comme à la droite, et l’action de grâce en l’adversité, comme à gauche.

Job, miroir de patience, eut un tel couteau, lui qui, en prospérité, offrit des sacrifices pour ses enfants, qui fut père des pauvres, qui logeait et ouvrait la porte aux pèlerins, qui ne marcha point en vanité, qui ne désira jamais le bien d’autrui, mais qui craignait Dieu, comme celui qui est assis sur les flots impétueux de la mer. Il rendit aussi actions de grâces en l’adversité, quand, ayant perdu ses enfants et ses biens, injurié de sa femme, frappé d’une plaie maligne, il endura patiemment tout cela, disant : Notre-Seigneur l’avait donné, Notre-Seigneur l’a ôté, qu’il soit béni en tous les siècles !

Ce glaive doit aussi être bien aiguisé, afin de tailler et de briser ceux qui en veulent contre la justice, comme firent jadis Moïse, David, Phinées, zélés pour leur loi, afin de parler constamment comme Elie et saint Jean. Oh ! Que maintenant le glaive de plusieurs est émoussé ! Que, s’ils parlent, ils ne voudraient pas mouvoir le doigt contre les ennemis ; ils cherchent la gloire et l’amitié des hommes, et ne se soucient point de l’honneur de Dieu. Donc, d’autant que vous n’avez pas eu un tel glaive, prions les patriarches et les prophètes, qui ont eu une telle confiance, et ce glaive vous sera donné confidemment.

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Derechef la Mère de Dieu apparut et dit au chevalier : Mon fils, il vous manque encore un manteau pour mettre sur vos armes, afin qu’elles soient conservées de la rouillure et qu’elles ne soient tachées par la pluie. Ce manteau est la charité, l’amour et le désir de vouloir mourir pour l’amour de Dieu, et aussi, si faire se pouvait, sans offense, vouloir être séparé de Dieu pour le salut de ses frères. Cette charité couvre la multitude des péchés, conserve les vertus, apaise la fureur de la justice divine, rend toutes choses possibles, déterre et épouvante les démons et est la joie des anges. Or, ce manteau doit être blanc au dedans, et au dehors reluisant comme de l’or, car le zèle du divin amour est la pureté intérieure, et l’extérieure n’est point négligée. Les apôtres étaient signalés et embrasés des feux de cette charité ; partant, il les faut prier, afin qu’ils vous aident.

Derechef la Mère de Dieu apparut, disant : Il vous faut encore, ô mon fils, un cheval sellé. Par le cheval est entendu spirituellement le baptême : car comme le cheval porte et avance l’homme pour faire chemin en peu de temps avec quatre pieds, de même le baptême, qui est entendu par le cheval, porte l’homme devant le conspect et présence de Dieu, ayant quatre principaux effets spirituels :

le premier est que les baptisés sont affranchis et délivrés des griffes de Satan, et s’obligent aux commandements de Dieu et à le servir ;

le deuxième, ils sont purifiés du péché originel ;

le troisième, ils sont faits enfants de Dieu et ses cohéritiers ;

le quatrième, le ciel leur est ouvert.

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Mais hélas ! il y en a plusieurs qui, étant arrivés aux ans de discrétion, mettent un mors à ce cheval et le détourne de la vraie voie, le conduisant par la fausse, car lors la voie du baptême est droite et est tenue à droite fil, quand l’homme est instruit avant l’âge de discrétion, et est conservé en bonnes moeurs ; et quand l’homme est parvenu à l’âge de discrétion et considère sérieusement qu’est-ce qu’il a promis aux fonts du baptême, garde la foi inviolable et la charité divine, lors le cheval est bien conduit ; mais lors il le fourvoie et l’écarte du droit chemin et lui met un mauvais frein, quand il préfère à Dieu le monde et la chair. La selle du cheval, c’est-à-dire, du baptême, c’est l’effet de la passion très amère et de la mort horrible de Jésus-Christ, par laquelle le baptême a obtenu son effet, car qu’est-ce que l’eau, sinon un élément ? Mais après avoir été fait sang de Dieu, il vient à l’élément du Verbe divin et à la vertu du sang épandu de Dieu, et de la sorte, l’eau du baptême, par la parole divin, a été la réconciliation de l’homme et de Dieu, la porte de miséricorde et la chasse des démons infernaux, la voie du ciel et le pardon des péchés.

Que qui voudra donc se glorifier en la vertu du baptême, considère, en premier lieu, l’amertume de l’effet de l’institution baptismale, afin que, quand l’esprit humain s’enflera contre Dieu, il considère mûrement avec combien d’amertume Dieu mourant l’a racheté, et qu’il pèse aussi combien de fois il a enfreint le voeu du baptême, qu’est-ce qu’il mérite pour de si horribles chutes.

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D’ailleurs, afin que l’homme s’affermisse en la selle du baptême il a besoin de deux étoiles, c’est-à-dire, de deux considérations en sa prière. En premier lieu, il doit prier en ces termes : O Seigneur, Dieu tout-puissant, béni soyez-vous, vous qui m’avez tiré du néant et m’avez racheté par votre sang! Et lorsque j’étais digne de damnation, vous m’avez souffert en mes détestables et abominables péchés, et m’avez doucement et puissamment ramené à pénitence. Je reconnais, ô Seigneur de l’univers, devant votre majesté, que j’ai inutilement, misérablement et damnablement dépensé et prodigué tout ce que vous m’avez donné pour mon salut, savoir : j’ai employé le temps de pénitence en vanités misérables, mon corps en superfluités, la grâce du baptême en superbe insupportable, et j’ai aimé plus toute autre chose que vous, mon Créateur et Rédempteur admirable, mon nourricier très soigneux et mon conservateur très prudent ! C’est pourquoi je demande votre miséricorde, car je suis misérable, d’autant que je n’ai pas connu votre bénigne et invincible patience à mon égard. Je ne considérais pas ce que je devais faire pour répondre aux biens innombrables que vous m’avez faits, mais au contraire, de jour en jour, j’ai provoqué votre fureur et votre indignation par mes maux. Partant, je n’ai qu’une parole : Ayez pitié de moi, ô Dieu, selon votre grande miséricorde !

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Derechef, que la seconde oraison soit faite en ces termes : O Seigneur, Dieu tout-puissant ! Je sais que j’ai toutes choses de vous, que je n’ai rien de moi, que je ne puis rien qui serve à la gloire de moi-même, et que je n’ai que péché : partant, je supplie humblement votre clémence, que vous ne me fassiez selon mes péchés, mais selon votre miséricorde. Envoyez-moi votre Saint-Esprit, qui illumine mon coeur et me confirme en la voie de vos commandements, afin que je persévère en eux, lesquels j’ai connu par votre sainte inspiration, et qu’aucune tentation ne me sépare de vous.

Donc, ô mon fils, attendu que tout cela vous manque, prions tous ceux qui ont empreint en leur coeur l’amertume de la passion de Jésus-Christ, de vous départir de leur charité.

Ces choses étant dites, soudain apparut comme un cheval harnaché et enrichi d’ornements dorés. Et la Mère de Dieu dit : Le bel et riche ornement de ce cheval signifie les dons du Saint-Esprit qui sont donnés au baptême, car par le baptême, soit qu’il soit administré par un bon ou par un mauvais ministre, le péché originel est remis, le Saint-Esprit est donné en gage d’amour, les anges en garde et le ciel en héritage. Voilà, ô mon fils, les ornements du chevalier spirituel ; celui qui en sera revêtu et enrichi recevra la récompense incomparable, par laquelle sont achetés la délectation éternelle, l’honneur paisible, l’abondance éternelle et la vie sans fin.

Ce chevalier fut M. Charles, fils de sainte Brigitte.

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Révélations de Sainte Brigitte de Suède 4071