Notes Récréations Pieuses 300
« - JEANNE D'ARC ACCOMPLISSANT SA MISSION - »
- DOCUMENT: autographe.
- DATE: pour le 21 janvier 1895, fête priorale de Mère Agnès de Jésus.
- COMPOSITION: dialogues en prose et en vers (301), sur quatorze mélodies.
- PUBLICATION: HA 98, fragment de 171 vers, dont 39 corrigés; AL, mai 1929, nombreuses suppressions et retouches;
Récréations 1985, texte intégral.
Jamais Thérèse n'a dû autant investir, dans la préparation d'une Récréation, que pour la seconde partie de sa Jeanne d'Arc; Cette pièce, la plus longue de son répertoire, exigeait une information historique précise, des costumes et des décors importants, des répétitions multiples. Une telle réalisation ne s'improvise pas en un jour, surtout dans un cadre de vie aussi réglé que celui d'un Carmel. Mais dès le départ, l'auteur a conçu sa Jeanne d'Arc comme un diptyque donnant matière à deux représentations. Thérèse eut donc toute l'année 1894 pour mûrir son projet et étudier ses sources (essentiellement l'ouvrage d'Henri Wallon, celui-là même que consultait Péguy, contemporain de la carmélite; sur les sources des RP 1 et 3, cf. Récréations, pp. 289 s. et 319s.).
Sous son apparente banalité, le titre: « Jeanne d'Arc accomplissant sa mission » suggère l'unité dynamique, à travers le temps et l'espace, d'une mission toujours actuelle. Hier, Chinon, Orléans, Reims, Rouen. Aujourd'hui, la France tout simplement. C'est une épopée unique qui se déroule à grands traits sous nos yeux. Et dans l'optique de la foi qui est celle de Thérèse, c'est au Ciel, aujourd'hui comme hier, que se joue le destin de la patrie. Pour elle en effet, l'apothéose de la III partie - qui paraît bien faible à première lecture - vient relancer l'action et non la conclure. Mais à la manière d'un fondu enchaîné, Jeanne télescope les siècles et nous ramène à l'actualité du 21 janvier 1895. Les victoires terrestres de la Libératrice de la France, aussi réelles qu'hier, malgré leur aspect caché, ne sont que l'ombre portée de ses triomphes célestes.
« Divine » en son origine - c'est un argument central de RP 3 - la mission de Jeanne l'est en son achèvement. Du commencement à la fin, il s'agit du grand combat de la foi. Dans la logique de la Rédemption chrétienne, le salut de la patrie comme celui du monde ne se réalise qu'au prix d'une « passion ». C'est là surtout que le génie religieux de Thérèse lui fait rejoindre la plus grande Histoire bien au-delà de l'exactitude documentaire, qu'elle sait cependant respecter.
Pour Thérèse, le sommet de l'épopée de Jeanne ne se trouve ni à Orléans ni à Reims, mais à Rouen, sur le bûcher. A la science historique, elle a emprunté les faits. A la Parole de Dieu elle demande le sens de cette destinée humainement incompréhensible. C'est alors le dialogue de l'archange Gabriel avec la prisonnière. Celui que la tradition considère comme l'ange de Gethsémani vient hausser l'héroïne au niveau de son martyre, en lui dévoilant sa configuration au Christ dans sa Passion. Vient alors la longue méditation du livre de la Sagesse, qui éclaire la jeune fille sur le mystèree de sa mort prématurée.
Importante dans son élaboration, cette composition l'est plus encore par son retentissement dans l'existence de Thérèse.
Dans l'immédiat, c'est sa mise en vedette aux yeux de la communauté. celle-ci est dans l'admiration: « c'était un enthousiasme général » Le soir de ce 21 janvier 1895, pendant le grand silence, la jeune carmélite se sent, « comme à l'apogée de sa gloire » Elle reçoit alors « une lumière ineffable sur la vanité de tout ici-bas », qu'elle confie le lendemain à soeur Marie de la Trinité (cf. BT, p. 99) et, à la fin de l'année, à son cahier de souvenirs (MSA 81,2v).
L'accident évité de justesse - le bûcher a failli s'embraser réellement pendant la représentation - a marqué Thérése. Les flammes l'orientent à son insu vers un « holocauste » qu'elle accomplira en s'offrant à l'Amour Miséricordieux le 9 juin suivant. Et le thème du feu va prendre une importance accrue dans ses écrits. Mais c'est surtout pendant la période des Derniers Entretiens (mai juillet 1897) que la valeur prophétique de cette seconde Jeanne d'Arc, pour la destinée de son auteur, reçoit tout son relief. La malade en prend conscience: « J'ai relu la pièce de Jeanne d'Arc que j'ai composée. Vous verrez là mes sentiments sur la mort; ils sont tous exprimés » (CJ 5.6.2). On trouvera d'autres références à Jeanne d'Arc en CJ 20.7.6; CJ 17.7 et 27.7.6; CJ 10.8.4.
Dans l'ensemble, cette Récréation est mieux écrite, plus ferme, moins « naïve » que les deux premières. La langue en est simple et concise, les enchainements assez harmonieux, du moins au début. La conception théâtrale s'est faite plus ambitieuse, révélant un authentique sens de la mise en scène chez Thérèse. Enfin, il ne faut pas oublier qu'au lendemain de la canonisation de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, Pie XI la présentait aux pèlerins français comme « une nouvelle Jeanne d'Arc » (18 mai 1925) et qu'aux jours sombres de la Seconde Guerre mondiale, Pie XII la déclarait « patronne secondaire de toute la France » à l'égal de sainte Jeanne d'Arc (3 mai 1944).
Note 1. Le titre: « Jeanne accomplissant sa Mission », explicité par un sous-titre: « Les Victoires - La Captivité - Le Martyre et les Triomphes au Ciel » donne à entendre qu'une action unique se déroule en trois ou quatre actes. Sur le manuscrit, Thérèse n'indique que deux parties:
- « Première Partie - Les Victoires », qu'elle subdivise en 4 scènes;
- « Deuxième Partie - La Captivité. Le Martyre » où Thérèse ne distingue plus aucune scène.
Elle ne mentionne même pas la troisième partie.
En conformité avec les conventions adoptées pour l'ensemble des Récréations, nous redistribuons le texte comme suit:
- la Première Partie est répartie en 6 scènes, indiquées par des chiffres arabes, entre crochets;
- la Deuxième Partie compte 11 seènes;
- la Troisième Partie: « Les Triomphes au Ciel », en compte deux.
Note 2. Thérèse énonce les quinze personnages au début de son livret, sans égard pour l'ordre des entrées en scène. On remarquera la place privilégiée de « Saint Gabriel », nommé aussitôt après Jeanne. Vu le nombre limité d'actrices disponibles, certaines soeurs ont cumulé deux rôles. Jeanne (Thérèse) tient la scène d'un bout à l'autre de la représentation.
Note 3. Les « victoires » de Jeanne (18 mentions en RP 3) ne sont pas seulement d'ordre militaire comme à Orléans (sc. 3) ou à Reims (sc. 4). La première victoire est remportée à Chinon (sc. 1), non par la diplomatie mais par la foi de Jeanne, qui triomphe des hésitations de Charles VII et des préjugés des courtisans.
Note 4. C'est bien « le fond du problème », comme le dit Henri Wallon: pour Thérése il s'agit de mettre en lumière, non seulement le fait, mais la source même de l'inspiration qui fait agir Jeanne.
Note 5. C'est aussi ce qu'une « maîtresse anglaise » (laïque) osa « dire tout haut dans la classe », en présence de Céline Martin qui bondit, quitta la classe pour aller déclarer à la directriee du pensionnat: « Madame, si vous ne me promettez pas de faire une observation à la maîtresse et de réparer la faute qui vient d'être commise, je vous avertis que je raconte tout à Papa »! (Souvenirs autobiographiques).
Note 6. Comme dans l'histoire, ce duc est le partenaire privilégié de Jeanne, dans la première partie de RP 3. Il a dû plaire à Thérèse, née à Alençon, de mettre en vedette ce jeune seigneur de vingt ans (né en 1409).
Note 7. « En mon Dieu » pour « en nom Dieu », c'est-à-dire: « au nom de Dieu ». On retrouve l'expression ainsi déformée quatre fois dans cette scène, erreur fréquente dans certains manuels scolaires de l'époque.
Note 8. Les 35 alexandrins de cette « Poésie d'Alexandre Soumets sont copiés par Thérèse d'après l'ouvrage d'Henri Wallon.
Note 9. C'est la troisième et dernière fois qu'on voit Jeanne en « extase » (cf. RP 1, 6r\8 et 14v\8 ). Et ce sont les seules « extases » du theâtre de Thérèse, qui refusait cette faveur pour elle-même (LT 106), préférant suivre les traces de Marie à Nazareth (PN 54,17), et enseignant aux novices, après saint Jean de la Croix, qu'il y a faute à « demander les extases » (RP 7,1 v).
Note 10. Charles VII « doute » de l'origine surnaturelle de la mission de Jeanne et de sa propre origine royale.
Note 11. Thérèse invente les circonstances de cette prière (« ce matin après la communion »), mais non pas son contenu.
Note 12. Epée trouvée en terre, selon les indications de Jeanne, dans la chapelle de Sainte-Catherine de Fierbois. Les juges voudront y voir une preuve de sorcellerie.
Note 13. A partir de cette scène jusqu'à celle du bûcher, Thérèse porte une jupe de laine bleu foncé ornée de fleurs de lys et, par-dessus, une « armure » en papier d'argent.
Note 14. A l'infirmerie, Thérèse reprendra ces paroles à son compte (CJ 27.7.6 ), les appliquant à sa propre mission posthume, mission assurée dans une large mesure par la publication de ses manuscrits.
Note 15. Le 30 avril 1896, jour de la profession de soeur Marie de la Trinité, Thérèse confiera: « Je me fais l'effet de Jeanne d'Arc assistant au Sacre de Charles VII » (CG, p. 852).
Note 16. Dès février 1890, les soeurs Martin faisaient le rapprochement entre leur père et celui de Jeanne (CG, p. 1145).
Note 17. Tout ce passage est à relire dans le contexte de la maladie de Mr Martin (par ex. LT 115) et de la dernière entrevue muette au parloir du Carmel, le 12 mai 1892 (CG, p. 662). Après sa mort (29/7/1894), Thérèse « sent » son père qui la « regarde » (LT 170).
Note 18. La promesse de cette délivrance, dont les voix ne dévoilent pas alors la vraie nature, entretient un quiproquo pathétique dans l'esprit de Jeanne jusqu'à l'annonce du supplice.
Note 19. L'annonce de la captivité inaugure pour Jeanne son combat de la foi: foi en ses voix plus qu'en elle-même. Elle fait front immédiatement: « ma mission est Divine » (7-8). C'est l'ultime « victoire » de cette première partie.
Note 20. Pour la reconstitution de cette scène 1, voir la photo VTL, n 13.
Note 21. Comparer ce rève de Jeanne avec ceux de Thérèse carmélite (MSA 79,1r) ou l'aspiration exprimée au MSC 6,2v: « Tu rêves... une patrie embaumée des plus suaves parfums. » Voir le « Rêve de Jeanne d'Arc » écrit par Thérèse écolière, Ecrits divers.
Note 22. Tentative d'évasion du château de Beaurevoir où Jeanne était détenue (août-novembre 1430).
Note 23. Thérèse accorde un rôle assez étendu à Jean Massieu, « prêtre au service de l'évêque de Beauvais », sans mentionner son titre d'huissier. Il se fait ici l'écho (bienveillant) des principaux griefs du Tribunal: l'apparente insoumission de Jeanne à « l'Eglise », certains « prodiges » de sa carrière militaire, le port des « habits d'homme », l'origine et « la réalité de sa mission ».
Note 24. Un témoin, Jean de La Fontaine, fait mention de cette appellation à l'interrogatoire du 12/3/1431. On comprend que Thérèse tienne beaucoup à ce titre: c'est une des dernières paroles de Thérèse d'Avila mourante. Cf. MSC 33,2v.
Note 25. C'est finalement le coeur même du Procès de Rouen. « L'Eglise » tient une grande place dans RP 3. Etre condamnée par « les prêtres... un évêque » sera « la plus grande douleur » de Jeanne.
Note 26. On sait l'importance démesurée de cette question dans le Procès de Jeanne.
Note 27. C'est « l'abjuration » du cimetière Saint-Ouen.
Note 28. Nous sommes donc au 30 mai 1431.
Note 29. Jeanne a en effet présenté maintes fois cette requête à ses juges.
Note 30. L'archange Gabriel figurait sur l'étendard de Jeanne. On sait aussi qu'il est venu la réconforter « à la fête de la Sainte Croix », soit le 3 mai 1431, avec ces éléments, Thérèse crée une scène « d'agonie » qui est l'un des sommets du drame. L'ange qui « console » et rend « l'espérance » met en relief, trait par trait, le parallélisme entre la Passion de Jésus et celle de la martyre de Rouen; l'Evangile ne donne pas de nom à l'ange consolateur de Gethsémani, mais une longue tradition l'appelle Gabriel.
Note 31. Thérèse inscrit ce verset de psaume en 1896 sous sa propre photo de Jeanne en prison
Note 32. On sait que soeur Geneviève (Céline) tient le rôle de sainte Catherine. La scène a été reconstituée après coup pour la photo VTL, n 14; cf. Récréations, p. 334, MSC 8RP 7).
Note 33. Les citations de la Sagesse qu'on va lire (chap. 3-5) suivent la traduction de Lemaistre de Saci, avec coupures et variantes bien étudiées par Thérèse.
Note 34. Expression jusqu'alors absente des Ecrits, qui va passer dans l'Acte d'Offrande en juin 1895.
Note 35. Thème de l'exhortation faite à Jeanne au cimetière Saint-Ouen le 24 mai 1431.
Note 36. La poésie n'est pas d'Avrigny mais de Soumet.
Note 37. Soeur Marie des Anges a rapporté l'accident qui survint alors, ou peu après: « Il arriva qu'un jour de Fête de Mère Prieure, où la Servante de Dieu représentait Jeanne d'Arc sur le bûcher, elle faillit être effectivement brûlée vive, à la suite d'une imprudence, qui alluma un commencement d'incendie, mais, sur un ordre de notre Mère de ne pas bouger de sa plaee pendant qu'on s'efforçait d'éteindre le feu autour d'elle, elle resta calme et immobile au milieu du danger, faisant à Dieu le sacrifice de sa vie, comme elle l'a dit ensuite » (PA, p. 299). La « robe blanche » portée par Thérèse ne porte aucune trace de feu. Et la représentation s'acheva normalement. Cf. encore CSG 157.
Note 38. Peu de jours après avoir relu sa pièce, en juin 1897, Thérèse écrira, pour l'abbé Bellière, la phrase désormais célèbre: « J'entre dans la vie » (LT 244).
Note 39. Ce nom fut effectivement la dernière parole audible de Jeanne, celle que Thérèse souhaite « murmurer » comme sa « soeur chérie » en mourant (MSB 3,1r).
Note 40. Selon le renvoi indiqué ici par Thérèse, une addition interrompt son texte. Le feuillet ajouté a été composé sans doute pour des nécessités théâtrales: changement de décor (on passe du bûcher au trône), changement de costume pour Jeanne.
Note 41. Citation de la Prière de l'âme embrasée de saint Jean de la Croix (cf. LT 137).
Note 42. Le spectateur se retrouve donc au 21 janvier 1895. Or, à cette époque, l'anticléricalisme est virulent (LT 192; PO, p. 401). Faute de se remémorer le contexte historique, il est impossible de comprendre l'importance de la scène finale pour Thérèse et sa communauté: le retour de la Libératrice de la France. Ce qui, à notre goût moderne, semble plutôt factice, est pour les carmélites de 1895 d'une actualité brûlante.
Note 43. Soeur Marie du Sacré-Coeur, qui jouait le rôle de la France, a laissé ce souvenir: « En disant: "Je viens à toi les bras chargés de chaines", je m'avançai vers elle [Thérèse] afin qu'elle les enlève. Elle me faisait l'effet d'une véritable Jeanne d'Arc. Quel air noble et guerrier! Ah! C'en était bien une Jeanne d'Arc » (Souvenirs autobiographiques, à Mère Agnès de Jésus, 29/6/1909).
Note 44. Thérèse évoque sans doute les apparitions de la Rue du Bac (1830), de la Salette (1846) et de Lourdes (1858); à moins qu'elle ne pense à la Salette, Lourdes et Pontmain (1871)?
Note 45. Le Sacré-Coeur de Montmartre. Quand Thérèse l'a visité, le 6 novembre 1887, la crypte seule était terminée.
Note 46. On ne reproduit pas ici le Cantique pour obtenir la Canonisation de Jeanne d'Arc (PN 4) transcrit ultérieurement par Thérèse à la fin de RP 3 (mais composé pour le 8 mai 1894).
« - JESUS A BETHANIE - »
- DOCUMENT: copie de soeur Marie de la Trinité.
- DATE: pour le 29 juillet 1895, fête des soeurs converses (Sainte-Marthe).
- COMPOSITION: 41 strophes (204 vers) sur deux mélodies,
- PUBLICATION: HA 98, 5 strophes omises, 3 ajoutées, 58 vers retouchés; Récréations. 1985, texte intégral.
Le 29 juillet, Fête de sainte Marthe - l'hôtesse de Jésus à Béthanie, est traditionnellement, au temps de Thérèse, la Fête des soeurs converses. Ce jour-là, elles doivent se laisser servir par les soeurs choristes et en particulier ne pas aller à la cuisine, confiée au noviciat pour la circonstance. On offre aussi aux « soeurs du Voile blanc » quelques cadeaux, une chanson et une petite pièce de théâtre, comique ou édifiante selon l'inspiration.
En 1895, la mission de fêter les « Marthe » est confiée à soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus. Elle compose le texte qu'elle jouera avec deux novices, soeur Marie de la Trinité et soeur Geneviève (Céline). A cette époque-là les soeurs converses sont cinq au Carmel de Lisieux.
Le sujet est tout indiqué: l'évangile de la fête (Lc 10,38-42), «Jésus à Béthanie» , accueilli par Marthe et Marie. Le jeu théatral est réduit au minimum le « Maître » dialogue successivement avec les deux soeurs; dialogue entièrement chanté, à la manière d'un « cantique » de 41 strophes.
Selon une exégèse ancienne, commune à son époque, Thérèse confond les Marie des évangiles: Marie de Magdala (Lc 8,2), généralement identifiée à la pécheresse de Lc 7,36-50), et Marie de Béthanie, soeur de Marthe et de Lazare (Jn 11,1-44), celle aussi de l'onction « chez Simon le lépreux » (Mc 14,3-9). Pareille assimilation donne à cet unique personnage une dimension spirituelle très contrastée. Thérèse s'en autorise pour déplacer l'accent de la scène de Béthanie. Sans négliger la problématique traditionnelle: contemplation/action, elle la met en sourdine, au profit d'un thème qui lui tient à coeur: l'émulation d'amour entre « l'âme pure » et « l'âme repentante » (cf. MSA 39,1r). Et c'est à dessein que le prénom de « Marie » est éclipsé par celui de « Madeleine ».
Jésus s'entretient donc avec les deux soeurs. A Madeleine, qui reste craintive en raison de sa vie passée, il affirme que son pardon l'a entièrement renouvelée. A Marthe qui se plaint de l'oisiveté de sa soeur, il rappelle le prix du pur amour au milieu même de l'action; mais surtout, lorsqu'elle se prévaut de sa pureté, il lui révèle le prix de l'humilité au coeur même de l'innocence. Aux deux soeurs, il dit son amour et l'importance de leur mission apostolique.
Il est remarquable que le Jésus de Thérèse passe sous silence « la meilleure part » choisie par Marie (Lc 10,42) sans doute pour ne pas blesser les « Marthe » qui, au Carmel, n'en sont d'ailleurs pas exclues. Une fois encore, Thérèse dit sur scène ce qu'elle vit elle-même en ce moment, submergée par la miséricorde prévenante de son « Sauveur ». Il faut lire ici le passage du Ms A (38v\8/39r\8) qui explicite cette expérience spirituelle, véritable source de RP 4.
Peu importe les « catégories » de carmélites et leurs occupations, « c'est l'amour seul qui compte ». Elle le rappelle sans cesse aux novices, aussi bien à soeur Geneviève, choriste (PN 13,15; CSG 77) qu'à soeur Marthe, converse: « Occupez-vous davantage de Jésus, même au milieu de vos travaux » (PA, p. 413).
Le sujet est d'autant plus délicat que, le 2 juin précédent, la prieure Mère Agnès de Jésus a subitement proposé à soeur Geneviève de rester converse. Docile, Céline a accepté. On en a parlé, même en récréation. Mais Mère Marie de Gonzague s'opposa fermement à ce projet.
Instrument de paix au sein de la communauté, Thérèse a donc soin d'aborder le texte évangélique en évitant toute polémique. Jouant elle-même Jésus, entourée de Marie de la Trinité (Madeleine) et de soeur Geneviève (Marthe), elle tient sa place « d'enseignante » avec beaucoup de tact et de douceur. Cette attitude apaisante, cette pédagogie pleine de tendresse prennent leur source dans la vie spirituelle de Thérèse qui connait en juillet 1895 une plénitude jamais atteinte jusqu'ici, après son Offrande à l'Amour Miséricordieux.
Note 1. C'est la position des carmélites à l'oraison (assises sur leurs talons); attitude chère à Thérèse (cf. LT 139). Elle décrit encore ainsi Madeleine au MSC 36,1r.
Note 2. Remarquer la très forte personnalisation de la Rédemption (cf. MSA 3,1r).
Note 3. Y aurait-il allusion à la « blessure d'amour » reçue par Thérèse peu de jours après son Offrande du 9 juin? (Cf. CJ 7.7.2)
Note 4. Un terme audacieux; cf. LT 158, qui renvoie à l'office liturgique de sainte Agnès, et (PN 17,3).
Note 5. Symbole ici de l'amour repentant, comme en (et sa note 7 ).
Note 6. « Le blanc manteau » fait partie de l'habit carmélitain; cf. CJ 26.5 .
Note 7. Comme Jean à la Cène, Jésus veut donc donner à Madeleine autant qu'à « l'Apôtre-Vierge » (PN 24,20). Ce « repos », signe et cause de la plus grande « intimité » (str. 13,8), est un symbole de la vie contemplative.
Note 8. Allusion à la retraite de Madeleine à la Sainte-Baume, légende qu'illustrent l'iconographie et l'hagiographie connues de Thérèse. Cf. aussi le Cantique spirituel de saint Jean de la Croix, str. XXIX. Au Carmel de Lisieux, une petite pièce contiguë à la salle de recréation porte ce nom de « Sainte Baume ».
Note 9. L'intervention « empressée » de Marthe (cf. Lc 10,40) empêche la réponse de Jésus: au plan musical, la mélodie de « L'Ange et l'Aveugle » reste en suspens sur une strophe impaire.
Note 10. On peut discerner ici une certaine spiritualité du « donnant donnant » - à première vue louable - que Thérèse récuse dans son Acte d'Offrande: « Je paraîtrai devant vous les mains vides. » Jésus ne méprise pas la « générosité » de Marthe, mais va lui rappeler le prix du pur amour, valorisé par saint Jean de la Croix et par Thérèse à sa suite (cf. LT 221).
Note 11. N'est-ce pas ce que Thérèse vient « d 'offrir » les 9-11 juin; et ce que le Petit Mendiant ne cesse de réclamer en RP 5, en particulier str. 15 ?
Note 12. Thérèse vient d'écrire au début de 1895: « le propre de l'amour étant de s'abaisser » (MSA 2,2v).
Note 13. La réduction des trois femmes de l'Evangile en une seule permet l'allusion au passé « orageux ».
Note 14. « Une jouissance » où souffle « le vent fatal de l'amour propre » (cf. LT 81)! Du même coup, le « trésor » devient l'une de ces « richesses qui rendent « injustes lorsqu'on s'y repose avec complaisance » (LT 197). C'est, aux yeux de Thérèse, la grande « infidélité » (CJ 7.8.4 ). RP 7 rappellera vigoureusement que virginité sans humilité est source de péril.
Note 15. Cette « attraction » (cf. aussi 14,6) est l'apostolat spécifique de la carmélite, comme Thérèse le redira au MSC 35,1v/36r (où elle évoque justement Madeleine et Marthe).
Note 16. Thérèse a beaucoup aimé le texte de Gn 15,1, surtout en souvenir de son père qui le répétait souvent; cf. BT, pp. 52ss.
« - LE DIVIN PETIT MENDIANT DE NOEL - »
- DOCUMENT: autographe.
- DATE: pour la récréation de communauté du soir de Noël 1895.
- COMPOSITION: 364 vers et quelques indications en prose sur cinq mélodies.
- PUBLICATION: HA 98, 45 vers retouchés;
Récréations, 1985, texte intégral.
Cette cinquième « récréation » se met d'elle-même à part dans les compositions théâtrales de soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus. Elle s'apparente au genre « poésie » avec ses 26 strophes indépendantes, qu'encadrent un préambule et une conclusion.
Aujourd'hui, on parlerait d'une sorte de « paraliturgie » dont Thérèse a prévu le cérémonial en détail. Après le repas du soir de Noêl, la communauté se rassemble devant « une crèche préparée d'avance ». Chaque soeur se présente « par rang de religion » en commençant par la prieure. Agenouillée devant l'Enfant-Jésus, elle tire au hasard un billet dans une corbeille et le donne à un « ange » qui chante le couplet. Chaque carmélite reçoit ainsi, en présence de toutes, une parole personnelle qui pourra la marquer spirituellement, influer sur son comportement, nourrir sa prière. Thérèse, pour sa part, n'oubliera plus qu'elle a reçu en partage « la grappe de raisin » (str 9).
Il ne s'agit donc pas d'un jeu mais d'une célébration intime et recueillie qui remplace, ce 25 décembre 1895, la petite pièce des années précédentes et la coutume de tirer « les offices à la crèche ». Il est possible que Thérèse n'ait pas eu le temps de composer une pièce, d'autant plus que, le 28 décembre, les novices vont donner une « grande représentation » sur saint François d'Assise et le loup de Gubbio (pièce composée par une Visitandine). Préparant en outre, pour la fête de Mère Agnès de Jésus, La Fuite en Egypte (RP 6 ), une poésie, « Les Répons de Sainte Agnès » (PN 26) et la remise de son premier manuscrit, on comprend que Thérèse ait été quelque peu bousculée et s'en soit tenue à une modeste composition. Elle ne lui en imprimera pas moins sa marque personnelle.
Dans cette paraliturgie au parfum de pastorale provençale, ce ne sont donc pas les visiteurs de la crèche qui apportent des présents de leur choix, c'est le « Roi des Cieux » qui se fait mendiant, « demandant l'aumône aux Carmélites » (titre):
« Oh! mystére touchant
Celui qui vous mendie
C'est le Verbe Eternel! » (Préambule.)
Et ce que veut Jésus des carmélites, ce ne sont ni des « oeuvres » ni des mérites, mais leur coeur, leur amour, elles-mêmes. Au lieu du Dieu justicier menaçant l'homme de ses foudres, Thérèse retrouve l'abaissement « du Verbe se dépouillant totalement pour descendre dans la nuit de nos âmes, comme il a revêtu la forme d'esclave pour descendre dans les ténèbres de l'Histoire » (Marcel Moré). Tel est bien, pour soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte-Face, le sens véritable de Noël.
On regrettera qu'au long des vingt-six couplets (autant que de carmélites) l'inspiration ne se soit pas maintenue à la hauteur d'une telle théologie de l'Incarnation (str. 10 et 16). A vouloir atteindre le nombre requis, Thérèse s'est essoufllée.
Mais on comprend que sous l'apparence d'une pauvre poésie qui risque de rebuter le lecteur non averti, les carmélites aient pu recevoir avec une attention fervente le message qui leur était personnellement adressé.
Note 1. La récréation a lieu à 18 h 45, et normalement au chauffoir. On a pu, ce 25 décembre 1895, se réunir à la salle du chapitre.
Note 2. L'ange est joué très certainement par soeur Marie de l'Eucharistie (Marie Guérin), postulante, entrée le 15 août précédent. Sa belle voix de soprano la désigne pour tout rôle chanté important.
Note 3. Dès son entrée au Carmel, Thérèse avait été frappée par ce Dieu mendiant (cf. LT 57 LT 96 LT 145 et aussi LT 172 LT 191). Quelques mois après RP 5, cf. PN 36,5.
Note 4. « Essence »: un mot rare chez Thérèse; cf. RP 2,7r\8 et LT 147. Il s'agit ici de la nature divine de Jésus; Thérèse voit toujours dans l'Enfant Jésus sa Divinité.
Note 5. En 1896, pour sa dernière composition de Noël, Thérèse écrira « La Volière de l'Enfant Jésus » (PN 43).
Note 6. Un des souhaits les plus constants de Thérèse, à comparer avec MSB 4,1r: « voilà comment se consumera ma vie », programme qui fait large place au chant.
Note 7. Comme en RP 4, str. 8 , la rose rouge (« riche couleur ») est ici symbole de « pénitence », c'est-à-dire de repentir et d'amour. Les six vers consacrés au « symbole d'Innocence » sont là pour faire ressortir le prix de ces « roses » Cf. LT 127, à propos de l'ex-carme Hyacinthe Loyson, qui avait quitté l'Eglise et s'était marié.
Note 8. Ce lieu privilégié de la topographie thérésienne favorise toujours les belles images poétiques; cf. PN 18,22 et PN 32,1. La vallée est le symbole nuptial de l'abandon.
Note 9. Cf. la réflexion de Thérèse à Marie du Sacré-Coeur, à l'infirmerie (DE/MSC, 25.7).
Note 10. Deux mois auparavant (17 octobre 1895), Thérèse a reçu son « premier petit frère », l'abbé Bellière, aspirant missionnaire (MSC 32,2v): sa ferveur pour la mission lointaine s'en est trouvée stimulée.
Note 11. Cette strophe prend un relief particulier puisqu'elle échut en partage à Thérèse, ce soir de Noel 1895. Le fait la touche assez pour qu'en janvier 1896 elle se représente elle-même, dans ses armoiries, comme une « petite grappe de raisin » (MSA 85,2v). A l'infirmerie, en juillet 1897, elle reprend l'image: « Je suis une petite grappe de raisin et (on) dit que je suis si mûre! » (CJ 25.7.12; 27.7.10).
Note 12. Thérèse vivait héroïquement la charité fraternelle qu'est le sourire (MSC 14,1r, MSB 28,1r, MSB 29,2v). Aux Procès de canonisation, les soeurs témoigneront combien elles en avaient été frappées.
Note 13. Dernière évocation d'un symbole de l'abandon qui fut cher à Thérèse en son adolescence (cf. LT 34 et CG, pp. 287 s.) et sur lequel elle s'est expliquée deux fois en 1895 (LT 176 et MSA 64,1r).
Note 14. Mot exclusivement réservé à Jésus enfant (MSA 64,1r et MSA 85,2v). En PRI 14, il est mis en relation avec l'abandon: « Je m'abandonne à tes Divins Caprices. »
Note 15. Cf. LT 144 où l'oreiller de Jésus est « le coeur de Céline ».
Note 16. Unique mention du mot dans les RP (on le retrouve seulement en LT 145 LT 180 LT 196 et au MSC 19,2v). Le vocabulaire de la soif est beaucoup plus développé chez Thérèse, cf. CG, p. 135.
Note 17. Réminiscence possible du Château intérieur de Thérèse d'Avila: « J'ai considéré notre âme comme un château, fait d'un seul diamant ou d'un cristal très pur » (Premières Demeures, chap. I, Bouix, t. III, p. 364).
Note 18. Depuis sa seconde Jeanne d'Arc surtout (RP 3), et plus encore depuis son Offrande de juin 1895, Thérèse utilise souvent le symbole du feu » (cf. MSA 84,1r).
Note 19. Cf.le Cant. Spirituel de saint Jean de la Croix, str. XXVIII CSB 28
Note 20. Faut-il voir ici une allusion au sommeil de Thérèse pendant l'oraison ou l'action de grâces (MSA 75,1r)? Cf. aussi « Autres paroles », DE/G, juillet.
« - LA FUITE EN EGYPTE - »
- DOCUMENT: autographe.
- DATE: pour la fête priorale de Mère Agnès de Jésus, le 21 janvier 1896.
- COMPOSITION: dialogues en prose et en vers (133) sur six mélodies.
- PUBLICATION: HA 98, fragments poétiques: 100 vers dont 26 retouchés;
Récréations, 1985, texte intégral.
Pour la troisième fois au cours de ce triennat de Mère Agnès de Jésus, Thérèse se voit chargée de monter une récréation pour sa fête. Cette année encore elle n'a pas ménagé sa peine. Pour la longueur, cette composition vient au second rang derrière « Jeanne d'Arc accomplissant sa mission ». Hélas, elle n'eut pas l'heur de plaire à Mère Agnès comme nous allons le constater. Heureusement qu'au fond Thérèse n'a jamais travaillé que pour Jésus seul: elle n'a pas besoin de récompense humaine. Elle vient d'achever « une année de paix, d'amour, de lumière », sans doute la plus belle depuis 1887: « Non, rien ne peut troubler mon ineffable paix » (PN 26,9, offerte ce même jour à Mère Agnès).
Le choix du sujet pour cette sixième récréation a de quoi surprendre. Sans doute l'épisode évangélique de la fuite en Egypte est familier à Thérèse (cf RP 2,2r\8 ; PN 24 (21/10/1895); PN 54 st.12 et 13) mais que peut-il signifier aujourd'hui pour la communauté? En fait, le contexte politique de 1896 risque d'en renouveler l'actualité. Comme la Sainte Famille a fui la colère d'Hérode, les carmélites vont-elles devoir prendre aussi la route de l'exil, après d'autres congrégations déjà touchées par les décrets anticléricaux de la République? Le chant final de RP 6 évoque cette menace. Alors même qu'elle deviendrait réalité, que les carmélites ne s'effraient pas: rien ne pourra les empêcher d'aimer Jésus et de le faire aimer, puisque la force de l'Amour miséricordieux peut changer l'exil en mission, la persécution en Rédemption. Tel est le message central (non le seul) de « La Fuite en Egypte », au-delà d'un scénario étrange dont il faut rappeler la source.
Une fois n'est pas coutume: soeur Thérèse s'est inspirée directement d'un épisode des évangiles apocryphes repris par le Père Faber (« Le pied de la Croix ou les douleurs de Marie », Paris, 1877). Résumons le canevas: la Sainte Famille en route vers l'Egypte s'arrête dans une caveme de voleurs. Ceux-ci sont absents, mais la femme du chef accueille les voyageurs. Marie demande de l'eau pour laver Jésus. La femme a un enfant lépreux, Dimas. Elle le baigne dans l'eau qui a lavé Jésus. Son enfant en sort guéri. La légende ajoute qu'il deviendra un jour le bon larron...
Thérèse a ajouté de son cru une scène truculente sur le retour des voleurs dans la caverne. Le contraste entre cette scène humoristique et le sérieux des conversations de Susanna (la femme) avee Marie et Joseph permet les coups de théâtre.
Après le « triomphe » des deux pièces sur Jeanne d'Arc, « La Fuite en Egypte » fut un fiasco. Mère Agnès de Jésus interrompit la représentation. Elle s'en expliquera plus tard avec contrition: « Je lui fis de la peine un soir de fête où elle venait de se donner beaucoup de mal pour nous réjouir, en lui disant carrément que ses compositions de « Récréations pieuses » étaient trop longues et qu'elles fatiguaient la communauté » (NPPA/Force).
Pour une fois, Thérèse avait fait une large part à la gaieté et à l'humour. Mère Agnès n'apprécia pas la bataille des brigands à coups de bouteilles, leur langage familier, si peu ordinaire à sa soeur, et leur chanson « moderne » (« Estudiantina... »), qui les rendaient sympathiques et vivants. Elle biffa d'ailleurs des passages sur le manuscrit (cf. Récréations, pp. 364, 370s.).
On ne sait pas exactement à quel endroit la pièce fut interrompue. Selon soeur Geneviève, il s'agissait seulement de l'amputation du chant final de l'Ange (CSG 19). Même dans ce cas, l'interruption fut malencontreuse, puisque ces huit strophes actualisaient la pièce et lui donnaient son sens.
« L'auteur » fut touché. « Je la surpris dans la coulisse, continue soeur Geneviève, essuyant furtivement quelques larmes; puis s'étant ressaisie, elle resta paisible et douce sous l'humiliation. » Désormais elle ne composera plus que deux courtes récréations.
La pièce aborde quelques thèmes qui n'apparaissent dans nulle autre récréation. Amorce d'une réflexion sur l'inégalité entre riches et pauvres, question des païens de bonne foi qui n'ont « pour se conduire que la loi naturelle » (MSA 3,1r), dialogues de deux mères qui se comprennent, tandis que les hommes apparaissent rudes et brutaux.
Pièce mariale: Joseph le juste cite souvent les Ecritures, mais s'efface devant son épouse. Marie est au premier plan. C'est elle qui mène les infidèles à Jésus. Mais tellement différente de celle de « Pourquoi je t'aime, ô Marie » et des « Derniers Entretiens ». La mariologie de Thérèse aurait-elle évolué en si peu de temps? Cette Marie qui sait à l'avance ressemble bien peu à celle qui marche « par la voie commune » (PN 54,17) et « cherche son Fils dans la nuit de la foi » (PN 54,15). L'épreuve de la foi dans laquelle est entrée Thérèse à Paques 1896, a pu modifier sa mariologie, mais nous pensons surtout qu'elle a simplement adopté les conventions du jeu théâtral, adaptant le scénario des apocryphes relayé par le Père Faber.
Pièce de miséricorde: persécuté, le Dieu caché sauve les petits, les pauvres mais aussi les voleurs repentis. « Jésus ne désire pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive éternellement » ( 10r). Marie sait bien qu'Abramin et son fils Dimas offenseront encore « le Dieu qui les a comblés de bienfaits » ( 10r). Mais Marie, Mère de Miséricorde connaît le coeur des hommes. Elle peut dire à Susanna: « Cependant ayez confiance en la miséricorde infinie du Bon Dieu; elle est assez grande pour effacer les plus grands crimes lorsqu'elle trouve un coeur de mère qui met en elle toute sa confiance »(10r18-21)
Enfin, La Fuite en Egypte est une pièce biblique qui compte environ soixante-dix citations ou réminiscences d'Ecriture. Evidemment le sujet s'y prêtait. Mais nous saisissons encore ici l'aisance de Thérèse pour « tresser » des paroles empruntées aux auteurs bibliques les plus divers.
Pour toutes ces raisons, cette récréation est beaucoup plus riche qu'une première lecture ne le laisserait supposer.
Notes Récréations Pieuses 300