Bernard sermons 7059

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CINQUANTE-NEUVIÈME SERMON: Les trois pains de l'homme spirituel.

Lc 11,5


1. «Mon ami, prêtez-moi trois pains (Lc 11,5).» Mon ami, en arrivant de route, je veux dire notre prochain quel qu'il soit, quand il se convertit, a besoin de trois pains pour se restaurer. Le premier de ces pains est celui de la continence qui resserre le tissu du corps et l'empêche de se répandre dans les voluptés mortelles. Le second est celui de l'humilité qui fortifie l'âme et l'empêche de tirer vanité de sa continence. Le troisième pain est celui de la ferveur, de la charité qui allume le feu dans notre âme et qui conserve pour toujours le corps et l'âme en même temps dans la chasteté et dans l'humilité. Ces trois vertus, je veux dire la chasteté, l'humilité et la charité, sont comme les trois pains qui restaurent les forces de l'homme de Dieu et l'affermissent en sorte que selon le mot de l'Apôtre, il ait le corps, l'âme et le coeur en bon état au jour de l'avènement du Seigneur (1Co 1,7). Or, par Pâme, j'entends la grâce qui, selon le même apôtre, vient en aide à notre faiblesse, et nous empêche de tomber en défaillance, en attendant le moment où nous pourrons moissonner le bien que nous avons semé. (Rm 8,26). Le premier des trois pains est le pain de la chair ou du corps, le second est celui de la raison, et le troisième celui de l'esprit. Toutes les fois qu'on se trouve à court de ces pains, il faut en demander à Dieu. Ce n'est pas sans raison qu'on en demande trois, car il y a trois êtres à restaurer; l'âme qui est comme l'homme, la chair qui est comme la femme, et l'esprit qui est comme le serviteur de l'un et de l'autre. Notez encore qu'il ne dit pas: donnez-moi, mais «prêtez-moi trois pains,»pour indiquer par là qu'il se propose de les lui rendre; et, en effet, le prêtre doit obtenir de Dieu la grâce pour le pécheur qui se convertit, mais il ne saurait se rapporter le fruit de cette grâce, il doit l'attribuer à Dieu.

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SOIXANTIÈME SERMON: Jésus-Christ est descendu et il est remonté, ainsi descendons-nous et remontons-nous aussi.

1. «Personne n'est monté au ciel que celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme qui est dans le ciel (Jn 3,23).» Notre-Seigneur (a) et Sauveur Jésus-Christ voulant nous apprendre à monter au ciel, a fait ce qu'il nous a enseigné et est monté lui-même au ciel. Mais comme il n'aurait pu monter s'il n'avait commencé par descendre, la divinité, étant un être simple, ne lui permettait ni de monter ni de descendre, attendu qu'elle ne peut ni croître ni diminuer ou changer en quelque manière que ce soit, il unit donc à sa personne notre nature, je veux dire la nature humaine, afin de pouvoir et monter et descendre, et nous enseigner la voie par laquelle nous pouvions monter nous-mêmes. C'est ce que nous indiquent les paroles de l'Évangile que je vous ai citées. Ces paroles, en effet, «nul n'est monté au ciel que celui qui est descendu du ciel,» expriment qu'il s'est uni la nature humaine; et celles-ci qui viennent ensuite, «celui qui est dans le ciel,» rappellent l'immuabilité de sa nature divine. Ces paroles nous indiquent également qu'il est aussi la voie par laquelle nous devons

a. Ce passage se trouve reproduit au livre VII des Fleurs de saint Bernard, chapitre I, et les suivants au chapitre II.

monter, et la patrie où nous devons demeurer; la voie pour ceux qui ont encore dans le passage, et la patrie pour ceux qui y sont parvenus. Tout en demeurant ce qu'il était dans sa nature, il est descendu et il est remonté chez nous à cause de nous, en atteignant depuis une extrémité jusqu'à l'autre avec force, et en disposant tout avec douceur (Sg 8,1). Il est en effet descendu si bas qu'il ne convenait pas qu'il descendit davantage, et il est monté si haut qu'il ne saurait monter plus qu'il l'a fait. Pour ce qui est de descendre, il est descendu avec force, parce qu'il était la force même, mais il a disposé son ascension avec douceur, parce qu'il était la Sagesse. «Il est descendu» lisons-nous, «il n'est pas tombé, celui qui tombe ne descend point par degré, au contraire, quand on descend on pose le pied d'un degré sur l'autre.

2. Il y a donc dés degrés pour descendre comme il y en a pour monter. A la descente, le premier degré est celui qui conduit du haut du ciel à la nature humaine.; le second, celui qui aboutit à la croix, et le troisième est celui qui va jusqu'à la mort. Voilà, en effet, jusqu'où il est descendu. Aurait-il pu descendre plus bas encore? Certainement, notre Roi pouvait dire et s'écrier dans le sentiment de son coeur, s'il m'est permis de le dire: «Y a-t-il quelque chose de plus que j'aie dû faire et que je n'ai point fait (Is 5,4)? Personne ne saurait avoir un amour plus grand que celui qui va jusqu'à donner sa vie pour ses amis (Jn 15,13).» Nous venons de voir comment il est descendu, voyons maintenant comment il est monté. Il l'a fait aussi par trois degrés, dont le premier est la gloire de sa résurrection; le second, la puissance du jugement, et lé troisième, la place qu'il occupe à la droite de son Père. Par sa mort, il a mérité de ressusciter; par sa croix, de siéger sur le tribunal du juge; car, s'il fut injustement jugé sur la croix, il devait en obtenir une juste réparation le jour où il s'écrierait après sa résurrection: «Toute puissance m'a été donnée dans le ciel et sur la terre (Mt 28,18).» Quant à sa forme d'esclave, à sa chair, veux-je dire, dans laquelle il a souffert et il est mort, il l'a ressuscitée et élevée au plus haut des cieux, il l'a placée au dessus des choeurs des anges, à la droite de son Père. Quoi de plus doux que cette disposition dans laquelle la mont est absorbée dans sa victoire, et l'ignominie de la croix se change eu gloire? Au point que les saints s'écrient: «Loin de moi la pensée de me glorifier en autre chose que la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ (Ga 6,14).» Quoi de plus doux, dis-je, que cette disposition dans laquelle l'humilité même de la chair passe de ce monde vers le Père? Non, il n'y a rien de plus sublime que cette ascension: on ne saurait ni dire ni concevoir rien de plus glorieux. Voilà comment le Seigneur est descendu et comment il est monté par le mystère de son incarnation, et nous a laissé un exemple pour que nous marchions sur ses pas.

3. Quant à nous, nous devons prendre exemple pour nos moeurs sur son mystère; «car quiconque dit qu'il demeure dans le Christ, doit marcher comme il a marché lui-même (Jn 2,6).» Descendons donc par la voie de l'humilité, et que notre premier degré, je veux dire notre premier pas, soit de ne vouloir point dominer; le second, de vouloir être soumis, et le troisième de souffrir avec patience dans notre soumission, toute espèce de mépris et d'injures. Celui qui, dans les cieux, disait dans son coeur: «Je monterai au ciel, j'établirai mon trône au dessus des astres de Dieu; je m'assoirai sur la montagne de l'alliance, à côté de l'Aquilon; je me placerai au dessus des nuées les plus élevées, et je serai semblable au Très-Haut (Is 14,13),» ne connaissait point le premier degré; aussi, en s'exprimant ainsi, tomba-t-il du ciel d'une chute irréparable, et cela parce que c'est un orgueil intolérable que de vouloir dominer. Quant à nos premiers parents, dans le paradis, ils ont manqué du second degré, quand ils aimèrent mieux abuser de leur volonté que de se soumettre au Créateur; toutefois , ils ne poussèrent point la présomption jusqu'à vouloir dominer sur ceux de leur race. Aussi leur faute et leur châtiment furent-ils bien différents de l'orgueil et de la chute du diable, et méritèrent-ils de la clémence de Dieu d'être rachetés. Quant au troisième degré il fait défaut à ceux qui croient pour un temps, et qui se retirent au moment de la tentation.

4. Je vous dis toutes ces choses pour que nous sachions bien quels sont ceux que nous devons nous donner bien de garde d'imiter. En effet, le diable et l'homme voulurent également s'élever mal à propos l'un et l'autre, celui-ci à la science, et celui-là à lai puissance et tous les deux à l'orgueil. Ne veuillons point nous élever de la sorte, au lieu de cela, écoutons plutôt le Prophète se demandant comment il faut monter. «Qui est-ce qui montera sur la montagne du Seigneur? Ou qui est-ce qui s'arrêtera dans son lieu saint? Ce sera celui dont les mains sont innocentes, et dont le coeur est pur, qui n'a pas reçu son âme en vain, ni fait à son prochain des serments faux et trompeurs (Ps 23,3).» Or, il faut noter ici que le Prophète compte aussi trois degrés pour accomplir notre ascension. Le premier est l'innocence des oeuvres, le second la pureté du coeur, et le troisième le fruit de l'édification. Or nous retrouvons ces trois degrés indiqués d'une façon admirable dans les degrés de l'ascension dont il a été parlé plus haut. En effet, nous avons vu alors que le troisième degré est le support des injures, c'est, en effet, à cela qu'on reconnaît le premier degré de cette ascension, je veux dire l'innocence des oeuvres. Le second degré était la patience de la sujétion qui est le fruit de la pureté du coeur; or, cette pureté est le second degré de l'ascension. C'est, en effet, pour cela que nous avons des docteurs placés à notre tête; c'est pour que nous purifiions notre coeur, selon ce mot du Seigneur: «Vous êtes déjà purs à cause de la parole que je vous ai dite (Jn 15).» Or, le premier degré de l'ascension était le mépris de la domination qui est lui-même le fruit de l'édification. Or, quiconque ne désire point dominer les autres se trouve très utilement chargé de les conduire et de les former.

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SOIXANTE ET UNIÈME SERMON: Il y a quatre montagnes à gravir.

1. Qui est-ce qui montera sur la montagne du Seigneur (Ps 23,3)?» Jésus-Christ s'est élevé une fois avec son corps au plus haut des cieux, et maintenant il monte spirituellement tous les jours dans le coeur de ses élus. Si donc nous voulons monter avec lui, il faut que de la vallée des vices nous nous élevions sur la montagne des vertus. Or, les vices sont de deux sortes (a): les uns ne nuisent qu'à nous, et les autres nuisent au Prochain; les uns sont des fautes, les autres des crimes; mais les uns et les autres sont appelés la vallée des larmes, attendu que la vie des pécheurs doit être pleurée avec un fleuve de larmes. Or, de la vallée des fautes, on monte sur la montagne de la chasteté par la triple continence des membres, des sens et des pensées. La première de ces continences consiste dans la répression des actes, dans la seconde on évite les regards, et la troisième coupe les sentiments dans la racine. On monte de même de la vallée des crimes sur la montagne de l'innocence. Or, voici l'échelle qui y donne accès: «Ne faites point aux autres ce que vous ne voulez pas qu'on vous fasse à vous-même (Mt 7,12):» elle compte trois échelons de crainte; car il y a la crainte de celui qui souffre et qui peut nous rendre la pareille; celle du pouvoir du supérieur qui peut nous punir, et enfin celle du juge intérieur qui rend à chacun selon ses oeuvres. Quand on est parvenu au haut de cette montagne, on est juste, et on vit de la foi, mais il faut alors, suivant l'Apôtre, souffrir persécution (2Tm 3,12).

2. Il faut donc passer du mont de l'innocence au mont de la patience où se dresse aussi une échelle à trois échelons dont le premier est la passion du Seigneur, le second la force des martyrs, et le troisième la grandeur de la récompense. On pourrait les nommer les degrés de la pudeur, de même que nous avons appelé ceux de l'innocence les degrés de la crainte. Notez bien que le mont de la patience est, suivant les degrés, ardu, épineux ou aride. 11 est ardu à cause de la difficulté d'imiter la passion de Notre-Seigneur, épineux à cause des aiguillons de la tentation qui sont nombreux; en effet, ce sont les pertes de biens, les paroles de mépris, les souffrances du corps qui éprouvent la constance des saints martyrs; aride, à cause de la récompense des mérites qui ne s'accorde point en ce monde, mais en l'autre. Après ce mont, il y en a encore un à gravir, mais ce mont est le mont des monts et quand on en a atteint le sommet on trouve que le Seigneur y habite. Aussi est-il écrit: «Il a choisi le séjour de la paix pour sa demeure (Ps 75,2).» Or, sur ce mont se dresse également une échelle, celle de la charité, ce qui fait dire au Seigneur: «Faites aux hommes tout ce que vous voulez qu'ils vous fassent (Mt 7,4 et Tb 4,16).» Or, nous voulons qu'on nous rende le bien que nous faisons, qu'on nous pardonne nos fautes et qu'on nous donne sans pensée de retour.

a Tout ce passage se trouve reproduit dans le livre VII des Fleurs de saint Bernard, chapitre XXXI.

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SOIXANTE-DEUXIÈME SERMON: Véritables et différentes manières de suivre le Christ.

«Que celui qui se met à mon service me suive.» Il y en a qui, au lieu de suivre le Christ le fuient; il y en a d'autres qui ne le suivent point, mais le devancent: plusieurs marchent à sa suite sans pouvoir l'atteindre, et enfin on en voit qui le suivent et l'atteignent. Ceux qui fuient Jésus-Christ au lieu de le suivre sont ceux qui ne cessent point de pécher, c'est d'eux qu'il est écrit: «Quiconque fait le mal hait la lumière (Jn 12,26),» et qu'un Prophète a dit: «Ceux qui s'éloignent de vous, Seigneur, périront (Ps 72,27).» Quant à ceux qui ne le suivent pas, mais le précèdent, ce sont ceux qui préfèrent leurs sentiments à ceux des maîtres. Tel était Pierre, quand il blâmait le Sauveur qui voulait souffrir pour notre salut, et lui disait: «Ah Seigneur, à Dieu ne plaise, cela ne vous arrivera pas (Mt 16,23)» On suit le Seigneur sans l'atteindre quand on agit avec nonchalence et relâchement, ou quand, fatigué de le suivre, on retourne à moitié chemin. A ceux-là l'Apôtre dit: «Relevez donc vos mains languissantes, et fortifiez vos genoux affaiblis, conduisez vos pas dans des voies droites, afin que, s'il y en a parmi vous qui soient chancelants, ils ne s'écartent pas du chemin, mais plutôt qu'ils se redressent (He 12,12)» Enfin, on le suit et on l'atteint quand on s'engage de tout son coeur et avec persévérance dans la voie de (humilité, car c'est alors qu'on marche véritablement à la suite du Seigneur. «Que celui qui se met à mon service, me suive,» c'est-à-dire m'imite. Mais quel fruit en recueillera-t-il? Le Seigneur répond: «Mon serviteur sera aussi là où je suis (Jn 12,26).» Le fruit de l'imitation de Jésus-Christ est donc la félicité éternelle.


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SOIXANTE-TROISIÈME SERMON: Des trois moyens de recouvrer la béatitude prescrits par Jésus-Christ dans ces termes: Que celui qui veut venir après moi, etc.

Que celui qui le veut a vienne après moi, par moi et à moi; après moi parce que je suis la vérité, par moi parce que je suis la voie, à moi parce que je suis la vie. «Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à soi-même, qu'il porte sa croix et me suive (Lc 9,23).» Il y a trois choses que le Christ, la Vertu, la Sagesse de Dieu, l'Ange du grand Conseil, propose à l'âme raisonnable créée à l'image de la Sainte Trinité, ce sont la servitude, l'abaissement et l'aspérité. La servitude est désignée par le renoncement à soi, l'abaissement, par le portement de la croix, et l'aspérité, par l'imitation du Christ; c'est ainsi que l'homme qui, par sa désobéissance, était tombé de l'état de sa triple félicité, se trouvant humilié par l'affliction de sa triple misère, se relèvera par son obéissance. Il était déchu de lui-même de la société des anges et de la vision de Dieu, c'est-à-dire de la liberté, de la dignité et de la félicité. Qu'il écoute donc un conseil, et, en se renonçant lui-même, c'est-à-dire en renonçant à sa volonté propre, il récupèrera sa liberté; en prenant sa croix, c'est-à-dire en crucifiant sa chair avec Ses vices et ses concupiscences, il retrouvera, par le bien de la continence, la société des anges; en suivant le Christ, c'est-à-dire en imitant sa passion, il recouvrera la vision de sa splendeur, attendu que si nous souffrons avec lui nous régnerons aussi avec lui (Rm 8,7).

a Les Fleurs de saint Bernard, reproduisent tout ce passage au livre 8, chapitre XXXI.


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SOIXANTE-QUATRIÈME SERMON: La vie et la mort des saints sont précieuses.

1. «C'est une chose précieuse aux yeux du Seigneur que la mort de ses saints (Ps 115,5).» Ce qui rend la mort des saints précieuse aux yeux de Dieu, c'est tantôt leur vie, tantôt la cause même de cette mort, et tantôt enfin l'une et l'autre en même temps. Chez les confesseurs (a) qui meurent dans le Seigneur, ce qui rend leur mort précieuse, c'est leur vie. Dans les martyrs qui meurent pour le Seigneur, ce qui donne du prix à leur mort, c'est tantôt uniquement la cause de cette mort, et tantôt simultanément cette même cause et leur Vie. La vie des uns rend leur mort précieuse, la cause de la mort des autres la rend plus précieuse, et la réunion de la cause de la mort à ce mérite de leur vie rend la mort des troisièmes infiniment précieuse.

2. Or, il y a trois choses qui rendent sainte la vie d'un homme c'est la sobriété dans le genre de vie, la justice dans les actes, et la piété dans les sentiments. Or, la sobriété dans le genre de vie consiste à vivre avec continence, en bonne intelligence avec nos frères, avec obéissance, avec chasteté, avec charité et avec humilité. Or, par la continence, c'est la chasteté qu'on acquiert; par la bonne intelligence, c'est la charité, et par l'obéissance c'est l'humilité. Or, telle est la vertu qui rend l'âme parfaitement soumise à Dieu, et la fait vivre en sécurité à l'ombre de ses ailes. La justice dans les actes consiste à être droit, discret et fructueux. Droit par la bonté d'intention, discret en se maintenant dans la mesure de la possibilité, et fructueux en procurant le bien du prochain. Les sentiments seront pieux si notre foi tient Dieu pour souverainement puissant, souverainement sage et souverainement bon, si nous croyons que sa puissance soutient notre faiblesse, que sa sagesse corrige notre ignorance, que sa bonté efface notre iniquité. Il y a trois choses qui rendent la mort des saints précieuse: c'est le repos après le travail, la joie produite par la nouveauté et la sécurité naissant de l'éternité.

a Ce passage est reproduit dans les Fleurs de saint Bernard, livre 8, chapitre LXXXIV; on en trouve d'autres tirés du même sermon, n. 2, dans le même livre, chapitre LXXVII.


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SOIXANTE-CINQUIÈME SERMON: Rapport étroit entre ces trois paraboles, que nous lisons en saint Matthieu: «Le royaume du ciel est semblable à un trésor caché dans un champ, etc.

(Mt 13,44)

1. Les trois paraboles qu'on vient de nous lire nous montrent trois degrés. Le champ est notre corps, tant que les désirs passionnés y règnent en maîtres, c'est un champ inculte et frappé de malédictions qui ne produit que des ronces et des épines. En effet, qui est-ce qui le croirait capable, en cet état, de produire de dignes fruits de pénitence? ô âme insensée, pourquoi exposes-tu ainsi ton corps? ne sais-tu pas ce qu'il y a de caché en lui? Qu'est-ce, sinon le royaume des cieux? Tu penses trouver en lui des oeuvres de salut par lesquelles il te sera possible d'acquérir le royaume des cieux. Achète-le donc ce champ et mets toi-même ton corps à l'abri des atteintes de tes concupiscences, et paies-en l'acquisition au prix des aliments et des occasions de ces mêmes concupiscences.

2. Quand tu auras découvert le trésor caché dans ton champ, fais du négoce et cherche des perles précieuses, si tu en trouves une bien précieuse, alors vends ce que tu possèdes, et achète-la. Mais quelle est cette perle unique et si précieuse? Il ne faut point s'étonner si, pour un trésor, le négociant a vendu tout ce qu'il avait, c'est-à-dire s'il a vendu ses péchés pour acquérir des richesses de salut, et s'il a renoncé à tout ce qui fomente le péché. Car dans le principe, il n'avait pas autre chose que cela. Mais à présent qu'il a trouvé ce trésor , comment se fait-il qu'il cherche de bonnes perles et que pour une seule il vende tout ce qu'il possède? A mon sens, je crois que cette perle unique n'est autre chose que l'unité. Or, celui qui cherche de bonnes perles, c'est celui qui, dans les oeuvres de salut, ne se contente pas des biens inférieurs, mais recherche les biens les plus élevés et les plus excellents. Comme il ne trouve rien de plus précieux que l'unité, il n'épargnera point le reste de son avoir pour se la procurer, et il préfèrera, sans balancer, l'unité aux jeûnes, aux veilles et aux prières.

3. Or, je veux qu'on demeure si bien dans l'unité qu'on y soit non pas comme si tous ne faisaient qu'un, mais comme si un seul était avec tous. Qu'on ouvre son sein bien large, qu'on enferme dans ses entrailles toute sorte d'affections, qu'on se fasse tout à tous, également prêt à se réjouir ou à compatir avec tous, à partager la joie de ceux qui sont dans la joie, et les larmes de ceux qui pleurent. Car un jour viendra où, assis sur le rivage, le pécheur rejettera du filet de la charité tous les mauvais poissons, et mettra au rebut tout ce qui est mauvais.


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SOIXANTE-SIXIÈME SERMON: Les huit béatitudes sont opposées à autant de péchés.

1. Le remède du péché a suivi dans le même ordre que le péché a précédé. Le premier péché 1 a été commis dans le ciel par l'orgueil de l'ange prévaricateur qui a dit en son coeur: «Je monterai au ciel, j'établirai mon trône au dessus des astres de Dieu; je m'assoirai sur la montagne de l'alliance, à côté de l'Aquilon, je me placerai au dessus des nuées les plus"élevées, et je serai semblable au Très-Haut (Is 14,3).» Il s'enfla au dedans de lui-même et, chassé du milieu des esprits bienheureux, il perdit le royaume des cieux. C'est contre ce péché qu'il a été dit: «Bienheureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux est à eux (Mt 5,3).» Le second péché a été commis dans le paradis terrestre par la désobéissance de la femme. A la suite de ce péché, la chair se révolta contre l'esprit, en sorte que de même que l'esprit s'était révolté contre le Créateur, la chair refusa de se soumettre à l'esprit. C'est contre ce péché qu'il a été dit: «Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu'ils posséderont la terre (Mt 5,3)» Le Seigneur renferme le remède à ces deux péchés dans ces mots: «Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur (Mt 11,29).» Le troisième péché est celui que fit Ève quand elle entraîna Adam dans sa faute. Elle aurait dù pleurer sa faute au lieu d'en ajouter une seconde à la première, mais elle crut trouver une consolation si elle faisait participer son mari à son péché. C'est en effet un sentiment de la nature de vouloir trouver quelqu'un qui partage nos vices ou nos vertus. C'est contre ce péché qu'a été donné ce remède: «Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés (Mt 5,6).»

2. Adam, par son consentement, commit le quatrième péché, car Adam ne fut pas séduit, tandis que ce fut la séduction qui entraîna Ève dans sa faute. Ève pécha par ignorance et Adam par faiblesse. L'affection trop grande qu'il avait pour sa femme le conduisit au péché, non parce qu'il fit la volonté de sa femme, mais parce qu'il préféra cette volonté à celle de Dieu; c'est pour cela que le. Seigneur a dit: «Puisque tu as mieux aimé obéir à la voix de ta compagne qu'à la mienne, la terre te sera maudite (Gn 3,17).» Il était juste, en effet qu'il obéit préférablement à celui à qui il devait le plus, et qui oserait douter qu'Adam ne dût plus à Dieu qu'à Ève? Si l'amour l'attachait à sa femme, à plus forte raison l'amour et la crainte devaient l'attacher à Dieu. Ces deux liens devaient avoir plus d'empire sur lui pour; lui faire observer le précepte de Dieu, que la seule affection qu'il avait pour sa compagne. Le remède contre ce quatrième péché est dans ces paroles de l'Apôtre: «Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés (Mt 5,6).» Or Adam eut la justice, car Dieu le créa juste; mais son libre arbitre, qui l'empêcha de suivre la justice, l'en détourna facilement. C'est ce que dit le Psalmiste lorsque, en parlant du Christ, il s'écrie: «Vous avez aimé la justice et détesté l'iniquité (Ps 44,8).» Adam commit un cinquième péché, en rejetant sa faute sur Ève, lorsqu'il dit: «La femme que vous m'avez donnée pour compagne m'a présenté du fruit et j'en ai mangé (Gn 3,12).» D'abord il se. montra cruel envers lui-même en excusant son péché, ensuite envers son épouse en l'accusant. Il pensa ainsi se venger en accusant celle dont l'amour l'avait porté au péché. C'est contre ce péché qu'il est dit: «Bienheureux les miséricordieux, par ce qu'il leur sera fait miséricorde (Mt 5,6).»

3. Le sixième péché est celui que commit Ève lorsque Dieu, en lui reprochant sa faute, lui demanda pourquoi elle avait agi ainsi. Elle répondit en effet: «Le serpent m'a trompée, et j'ai mangé du fruit (Gn 3,13).» Elle s'est laissée aller à des paroles de malice et à chercher des excuses à son péché (Ps 140,4), en rejetant sa faute sur le serpent, comme si elle cessait d'être coupable pour avoir été tentée quand les suggestions du serpent ne lui auraient fait aucun mal si elle avait refusé le consentement de sa propre volonté; peut-être bien aussi s'était-il déjà élevé en elle quelque mouvement d'orgueil qui lui valut d'être séduite parle serpent. C'est contre ce péché qu'il a été dit: «Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu (Mt 5,8).» Le septième péché se commit hors du paradis terrestre, lorsque Caïn s'éleva contre son frère Abel et le tua (Gn 4,8). C'est depuis ce moment qu'il est devenu habituel aux méchants de se lever contre les bons, et de les opprimer: Voici le remède de ce péché: «Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés les enfants de Dieu (Mt 5,9).» Si les méchants ne cessent point leurs persécutions, il faut que les bons les souffrent avec patience, en attendant les paroles consolantes qui suivent et qui leur sont adressées: «Bienheureux ceux qui souffrent persécution à cause de la justice, parce que le royaume des cieux est à eux (Mt 5,9).» Voilà à quel point l'avènement du Christ fut nécessaire pour soumettre la chair à l'esprit, remettre l'homme en paix avec lui-même et le réconcilier avec Dieu.

a Les Fleurs de saint Bernard reproduisent une partie de ce Sermon, dans le livre X, chapitre I.

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SOIXANTE-SEPTIEME SERMON: La loi comprend deux sortes de préceptes, les préceptes moraux et les figuratifs.

1. «La loi a été donnée par Moïse, c'est par Jésus-Christ que la grâce et la vérité nous ont été apportées. (Jn 1,17).» Or, je trouve deux sorte de préceptes dans la loi ancienne. Il y en a de moraux, tels que ceux-ci: «Vous ne céderez point à la concupiscence; vous ne commettrez point d'adultère; honorez votre Père (Mt 19,18 Rm 1,9 Ex 20,13),» et autres semblables. Il y en a de figuratifs qui ne sont que des ombres ou des figures, telle est l'immolation des taureaux et le sang des boucs. Quoiqu'il en soit, un peuple charnel ne pouvait ni les accomplir ni trouver en eux son salut. Quand le Sauveur du monde reprochait aux Pharisiens, dans son Évangile, de rendre inutiles les préceptes et les commandements de Dieu par leurs traditions, il parlait évidemment des préceptes qui devaient régler leurs moeurs. Lorsqu'il parle des autres par son Prophète, il dit: «Je leur ai donné des préceptes qui ne sont pas bons (Ez 20,25),» évidemment ces préceptes ne sont autres que ceux qui étaient la figure de choses futures. En effet, quel rapport y a-t-il entre le péché d'un homme et l'immolation d'un bélier en expiation de ce péché; cette victime du péché n'aurait-elle pas pu s'écrier avec le Prophète: «J'ai payé ce que je n'ai point pris (Ps 67,7)?» On ne peut disconvenir que si ces préceptes n'étaient pas bons , c'est parce que le peuple auquel ils étaient donnés n'était pas bon lui-même, s'il faut s'en rapporter à ce mot du Prophète: «Vous serez saint, Seigneur, avec celui qui est saint, et innocent avec l'homme qui est innocent (Ps 17,26).» Il savait, en effet, que le coeur des Juifs était un coeur charnel, voilà pourquoi il leur donna des sacrements charnels incapables de rendre parfait dans sa conscience celui qui le servait dans la justice de la chair. Notre Seigneur Jésus-Christ vint donc plein de grâce et de vérité, afin que désormais les préceptes moraux fussent observés par la vertu de la grâce, et que les préceptes figuratifs et mystiques, une fois la vérité qu'ils recouvraient dévoilée, cessassent d'être suivis à la lettre et fussent compris dans un sens spirituel. Voilà pourquoi quand un homme pèche, ce n'est plus un taureau ou un bélier qu'il doit immoler, mais c'est l'hostie vivante de son propre corps, un vrai sacrifice raisonnable et acceptable qu'il doit offrir dans les jeûnes et les pénitences pour obtenir en même temps la grâce et son pardon.


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SOIXANTE-HUITIÈME SERMON (a).

a Ce sermon, qui est le vingt-neuvième petit sermon, ne différant point du trente-deuxième des sermons divers, que nous avons placé en son lieu, est omis ici à dessein.


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SOIXANTE-NEUVIÈME SERMON: Le triple renouvellement d'une triple vétusté.


1. «Portons l'image de l'homme céleste comme nous avons porté celle de l'homme terrestre (1Co 15,49).» Il y a deux b hommes le vieil et le nouveau. Le vieil homme est Adam, le nouveau, Jésus-Christ. Le premier est le terrestre, le second est le céleste; la vétusté est l'image, du premier, et la nouveauté, celle du second. Or, de même qu'il y a une triple vétusté, ainsi y a-t-il trois nouveautés. Il v a la vétusté du coeur, de la bouche et du corps, car nous avons péché par-là en trois manières différentes, c'est-à-dire par pensée, par parole et par action. Le coeur est le siège des désirs charnels et mondains, je veux dire de l'amour de la chair et de l'amour du siècle. De même il y a une double vétusté dans la bouche: l'ignorance et la détraction. Le corps aussi a ses deux vétustés: le crime et la turpitude. Telle est l'image du vieil homme qu'il faut renouveler en nous. Si le vieil homme n'était point dans le coeur, l'Apôtre ne nous dirait point «Renouvelez-vous au fond de votre coeur, et revêtez-vous de l'homme nouveau qui est créé selon Dieu dans une justice et une sainteté véritables (Ep 4,23).» De même, si le vieil homme n'existait pas dans notre bouche, l'Écriture ne nous dirait pas non plus: «Que ce qui est vieux s'éloigne de votre bouche (1S 2,3).» Et l'Apôtre n'aurait pas ajouté: «Que nul mauvais discours ne sorte de votre bouche; qu'il n'en sorte que de bons et de propres à nourrir la foi et à inspirer la piété à ceux qui les entendent (Ep 4,29).» Quant au vieil homme qui habite dans notre corps, il en parle en ces termes «De même que vous avez fait servir vos membres à l'impureté et à l'injustice,» et, pour ce qui est de la rénovation, il continue ainsi «Faites-les servir maintenant à la justice pour vous sanctifier (Rm 6,19).

2. Que notre coeur se renouvelle donc en se purifiant de tous ses désirs charnels et mondains, et qu'à leur place s'établisse l'amour de Dieu et de la céleste patrie. Que l'arrogance et la détraction s'éloignent de notre bouche et qu'à leur place succèdent la confession de nos péchés et des paroles de bienveillance et d'estime à l'endroit du prochain. A la place des hontes et des turpitudes qui sont la vieillesse du corps, mettons la continence et l'innocence, chassons ainsi les vices par les vertus contraires. Cette rénovation est l'oeuvre du Christ, qui habite en nous par la foi, comme il le dit lui-même: «Voici que je fais tout nouveau (Ap 21,5).» Voilà ce qui fait dire à l'Épouse des Cantiques: «Placez-moi comme un cachet sur votre coeur, comme un sceau sur votre bras (Ct 8,6).» Quand il habite dans notre coeur, c'est la sagesse, quand il habite dans notre bouche, c'est la vérité, et quand il habite dans notre corps c'est la justice.

b Ce sermon et le suivant se trouvent reproduits en partie dans les Fleurs de saint Bernard, livre VII, chapitre LVI et XXXIII.



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