Augustin, de la Foi, Espérance et Charité - CHAPITRE XXXIX. L'ORIGINE NE SUPPOSE PAS NÉCESSAIREMENT LA FILIATION.
On aurait donc tort d'admettre en principe que tout être produit par un autre doit s'appeler son. fils. Je ne m'arrêterai pas ici à faire observer que l'homme se reproduit dans un fils d'une autre manière qu'il voit les cheveux croître sur sa tête, les vers mêmes pulluler dans son corps: ce serait rabaisser par une indigne comparaison la majesté de mon sujet; mais s'avisera-t-on d'appeler fils de l'eau les fidèles qui naissent de Peau et de l'Esprit-Saint? Non; on leur donne Dieu pour père et l'Eglise pour mère. Voilà comment Jésus-Christ, quoique né du Saint-Esprit, n'est pas son Fils, mais celui de Dieu. Produire et donner naissance à un fils sont choses fort différentes; j'ai voulu faire sentir cette distinction en prenant les cheveux pour terme de comparaison. J'ajouce qu'on peut porter le nom de fils sans y avoir droit par sa naissance: tel est un fils adoptif; et quand on appelle les méchants fils de l'enfer, on ne dit pas qu'ils sont sortis de l'enfer, mais qu'ils sont destinés à y tomber, de même qu'on nomme fils du royaume céleste les fidèles auxquels il est réservé.
Si donc il n'est pas nécessaire qu'un être soit le fils de celui dont il est né, et qu'on peut même porter le nom de fils sans y avoir droit par sa naissance, Jésus-Christ, en tant qu'il est né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie, sans avoir l'un pour père comme il a l'autre pour mère, est une preuve éclatante de la grâce divine: c'est par elle en effet que l'humanité de Jésus-Christ, sans aucun mérite antérieur, a formé, dès le premier instant de son existence, une union personnelle avec le Verbe si indissoluble, que le Fils de Dieu est devenu inséparable du fils de l'homme, et le fils de l'homme du Fils de Dieu: ainsi l'incarnation a rendu comme naturelle à l'Homme-Dieu la grâce qui éloignait de lui tout péché. Or, cette (17) grâce devait être marquée par le Saint-Esprit qui, tout en étant Dieu par essence, est néanmoins appelé le «don de Dieu (1)». Pour développer suffisamment ce sujet, (mais en sommes-nous capables?) il faudrait beaucoup de temps.
13. Jésus-Christ ayant été conçu et formé en dehors des voluptés toutes sensuelles de la concupiscence, n'avait pu contracter la tache du péché originel; intimement lié par un mystère ineffable de la grâce, au Verbe, Fils unique du Père par essence, et non par grâce, et ne faisant avec lui qu'une personne indivisible, il ne pouvait contracter de péché: cependant sa ressemblance avec la chair de péché dont il était enveloppé, lui a fait donner le nom du péché qu'il devait expier par son sacrifice (2). En effet, dans l'ancienne loi les sacrifices offerts pour les péchés s'appelaient eux-mêmes «péchés» (3), et Jésus-Christ est réellement ce sacrifice dont les anciens n'étaient que le symbole. Voilà pourquoi l'Apôtre après avoir dit: «Nous vous supplions au nom de Jésus-Christ de vous réconcilier avec Dieu», ajoute aussitôt: «Car Dieu a rendu péché pour nous Celui qui n'en avait commis aucun, afin que nous devinssions en lui justice de Dieu (4)». Suivant une variante de certains exemplaires incorrects, l'Apôtre aurait dit: «Celui qui n'avait commis aucun péché a fait le péché pour nous», comme si Jésus-Christ fût devenu pécheur pour nous sauver! Non, l'Apôtre dit que Dieu avec qui nous devons nous réconcilier «a rendu péché pour nous Celui qui n'avait pas commis le péché», en d'autres termes, a fait de Jésus-Christ la victime de nos péchés- pour, nous réconcilier avec lui par les mérites de ce sacrifice. Jésus-Christ est donc devenu péché, afin que nous devenions justice, non la nôtre, mais celle de Dieu, non en nous-mêmes, mais en lui; le péché est notre ouvrage et non le sien; ce n'est pas en lui, mais en nous qu'il résidait, il n'en avait que les dehors sous cette chair de péché dans laquelle il a été crucifié. Ainsi, innocent de tout péché, il mourait pour ainsi dire au péché en mourant dans la chair qui en offrait toutes les apparences; pur dans sa
1. Ac 8,20 - 2. Rm 8,3 - 3. Os 4,8 - 4. 1Co 2,5 1Co 2,20-21
vie de la tache primitive du péché, il nous a arrachés à la mort où le péché nous avait plongés, et rendus à la vie nouvelle qu'il a marquée du sceau de sa résurrection.
Le sacrement du baptême opère en nous les effets puissants de ce mystère: tous ceux qui reçoivent cette grâce meurent au péché, comme on dit de Jésus-Christ qu'il est mort à la forme du péché en mourant à la chair; et ils sortent du bain sacré avec une vie nouvelle, comme il sortit lui-même du tombeau par sa résurrection, et cela, quel que soit l'âge qu'ils aient déjà atteint.
Depuis l'enfant nouveau-né jusqu'à l'homme cassé de vieillesse, tous doivent être admis au baptême, parce que tous y meurent au péché; l'enfant meurt au péché originel, et les personnes plus âgées meurent de plus à tous les péchés qu'elles ont ajoutés à celui de leur naissance par les fautes de leur vie.
En disant ici que ces personnes elles-mêmes meurent au péché dans le baptême, on ne parle pas d'un. seul péché: car il est hors de doute que le baptême efface tous ceux qu'elles ont commis par pensées, paroles ou actions; on prend le singulier pour le pluriel par une figure de mots bien connue. «Ils remplissent les flancs du monstre d'un soldat armé», dit Virgile (1), ce qui ne peut s'entendre ici que d'une troupe de soldats. On lit également dans les saintes Lettres: «Prie donc le Seigneur d'éloigner de nous le serpent (2)», expression qui désigne la multitude des serpents dont le peuple était tourmenté. Les exemples analogues sont innombrables. Réciproquement, on désigne le péché originel par un nombre pluriel, en disant qu'on baptise les nouveau-nés pour la rémission de leurs péchés: ici on emploie le pluriel pour le singulier. C'est ainsi
1. En. 2,20. - 2. Nb 21,7
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que l'Evangile dit, en faisant allusion à la mort d'Hérode: «Ceux qui cherchaient la vie de l'enfant sont morts (1)». On trouve également dans l'Exode: «Ils se sont fait des dieux d'or (2)», quoiqu'ils n'eussent élevé qu'un seul veau d'or. Les Israélites eux-mêmes en s'écriant «Voilà tes dieux, Israël, ce sont eux qui t'ont tiré de l'Egypte (3)», prenaient le pluriel pour le singulier.
Toutefois ce péché «qu'un seul homme a introduit dans le monde et qui a ensuite passé dans tous les hommes (4)», et qui rend le baptême nécessaire, même aux nouveau-nés, ce péché, dis-je, est très complexe; on y découvre, en l'analysant, une foule de péchés: l'orgueil, parce que l'homme a préféré l'indépendance à la soumission aux lois divines; le sacrilège, parce qu'il n'a pas cru à la parole de Dieu; l'homicide, parce qu'il s'est précipité lui-même dans la mort; l'adultère spirituel, parce que .la pureté de l'esprit humain a été corrompue par l'éloquence insidieuse du serpent; le larcin, parce qu'il a mis la main sur un aliment qui lui avait été interdit; la cupidité, parce que ses désirs ont été au-delà de ses besoins; bref, ce péché en renferme peut-être une foule d'autres encore que ferait aisément ressortir une analyse Plus approfondie.
C'est une opinion assez plausible que les enfants sont impliqués par leur naissance dans la faute de nos premiers parents et tout ensemble dans les iniquités de la famille dont ils sortent, car ils sont soumis à cet arrêt divin: «Je poursuivrai sur les fils l'impiété des pères (5)», aussi longtemps qu'ils n'ont pas été admis à la régénération du Nouveau Testament. C'est ce bienfait que révélait le prophète Ezéchiel, lorsqu'il annonçait que les fils n'hériteraient plus des crimes de leurs pères, et qu'Israël verrait un jour se démentir le proverbe. «Les pères ont mangé du raisin vert et les dents de leurs fils en ont été
1. Mt 2,20 - 2. Ex 32,31 - 3. Ex 32,31 - 4. Rm 5,12 - 5. Dt 5,9
agacées (1)». Ainsi on renaît pour être purifié de toutes les fautes qu'on apporte en naissant; car les péchés que l'on commet après le baptême ont la pénitence pour remède. La régénération n'a donc été établie que pour réparer les défauts de la naissance; et cela est si vrai que le prophète, quoique issu d'un mariage légitime, a pu dire: «J'ai été conçu dans les iniquités et c'est au milieu des «péchés que ma mère m'a nourri dans ses entrailles (2)». Il ne dit:pas dans l'iniquité ou le péché, si justes que soient ces expressions: le pluriel lui semble préférable: Pourquoi? C'est que le péché qui s'est communiqué à tous les hommes, et qui, par son énormité, a si complètement altéré la nature humaine qu'elle a été condamnée à mourir, renferme en lui-même, comme je viens de te dire, une multitude de péchés; c'est que les fautes personnelles des pères, sans vicier la nature aussi profondément, ne laissent pas de peser sur leur race, à moins que la miséricorde de Dieu ne l'affranchisse par une faveur toute gratuite.
Les fautes des ancêtres, dont la suite remonte jusqu'à Adam, soulèvent une question qu'il n'est pas inutile d'examiner; la voici . l'enfant à sa naissance est-il enveloppé dans le réseau des fautes et dés crimes de ceux qui l'ont précédé, de telle sorte que son origine sait d'autant plus corrompue qu'il compte une plus longue suite d'aïeux; ou bien la vengeance que Dieu menace d'exercer sur la postérité d'un père coupable s'arrête-t-elle à la troisième ou à la quatrième génération? Dans ce cas, Dieu ne voudrait pas étendre plus loin les effets de sa justice et la tempérerait par sa miséricorde, pour ne pas aggraver le châtiment éternel que subirait cette race infortunée si elle ne recevait pas le bienfait de la régénération: la responsabilité serait trop lourde, si les enfants contractaient dans leur naissance les fautes de tous leurs aïeux depuis l'origine du monde, et étaient condamnés à en porter la peine. Sur une question si grave, l'Ecriture interrogée avec attention donnerait peut-être une autre réponse; mais je ne pourrais ni l'affirmer ni le nier. Ce serait de ma part une témérité.
1. Ez 18,1-20 - 2. Ps 50,7
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14. Quant au péché qui fut commis dans le séjour et au sein de la plus haute félicité, et qui, par son excès même, entraîna la condamnation du genre humain dans son auteur et pour ainsi dire dans sa racine, il ne peut être expié et effacé que par Jésus-Christ, médiateur entre Dieu et l'homme (1): car Jésus-Christ seul a pu naître sans avoir besoin d'être régénéré.
En effet, le baptême de Jean, que reçut Jésus lui-même, n'avait pas la vertu de régénérer; seulement le ministère du précurseur qui avait dit: «Préparez la voie du Seigneur (2) avait pour but de préparer la venue de Celui qui seul pouvait donner aux hommes une vie -nouvelle. Car Jésus-Christ ne baptise pas seulement dans l'eau, comme Jean, mais encore dans le Saint-Esprit (3); afin que tous ceux qui croient en lui soient régénérés par le Saint-Esprit qui, ayant engendré Jésus-Christ, l'a soustrait à la nécessité de renaître. Aussi le Père fit-il entendre cette parole: «Voilà celui que j'ai engendré aujourd'hui (4)», et par là il ne faut pas entendre le jour où Jésus-Christ lut baptisé, mais le jour sans fin de l'immobile -éternité; Dieu révélait ainsi que l'humanité dont il parlait était unie à la personne de son Fils unique; car le jour qui n'a ni veille ni lendemain ne peut s'exprimer que par aujourd'hui. En recevant le baptême des mains de Jean, Jésus ne se purifiait dans l'eau d'aucune iniquité: il voulait donner un grand exemple d'humilité. Le baptême ne trouvait aucune tache à effacer en lui, de même que la mort ne trouvait en lui aucun crime à punir: de la sorte, le démon vaincu et accablé par l'innocence éclatante plutôt que par le pouvoir de Jésus-Christ, fut légitimement condamné à perdre, par l'injuste mort qu'il fit souffrir à la victime sans péché et sans tache; les âmes que le péché soumettait à son empire. Si donc
1. 1Tm 2,5 - 2. Lc 3,4 - 3. Mc 1,8 - 4. Ps 2,7 He 5,5
Jésus-Christ s'est soumis au baptême comme à la mort, c'est pour remplir le ministère que lui traçait sa compassion pour les hommes, sans qu'il y fût contraint par une nécessité qui le rendait lui-même digne de pitié: un seul homme avait introduit le péché dans le monde, c'est-à-dire dans la nature humaine, un seul homme devait l'effacer.
Toutefois il y a une différence: l'un n'avait introduit qu'un péché dans le monde, l'autre détruit avec ce péché tous ceux qui s'y ajoutent. C'est ce qui fait dire à l'Apôtre: «Il n'en est pas du don comme du péché venu par un seul; car le jugement de condamnation vient d'un seul, tandis que la grâce de la justification délivre d'un grand nombre de péchés». En effet, le péché originel suffit pour faire encourir la damnation: la grâce au contraire justifie non seulement du péché commun à tout le genre humain; mais encore des péchés particuliers à chaque homme.
L'Apôtre ajoute: «De même que par le péché d'un seul tous les hommes ont été condamnés à mort, ainsi, par la justice d'un seul tous ont été justifiés pour mener une vie immortelle (1)». Et par là il révèle clairement que tous les fils d'Adam sont soumis a sa condamnation et qu'ils n'y échappent que par leur régénération en Jésus-Christ.
Après avoir exposé, dans les limites et selon le plan de son épître, comment la grâce d'un seul a justifié ceux que le péché d'un seul avait fait condamner, l'apôtre célèbre dans la croix de Jésus-Christ le mystère auguste du saint baptême en nous faisant comprendre que le baptême en Jésus-Christ n'est que la figure de sa mort, et que sa mort sur la croix n'est que l'image de la rémission du péché; à sa mort
1. Rm 5,16-18
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réelle correspond aussi la rémission effective de nos péchés, et à sa résurrection véritable, la vraie justification de nos âmes. Ecoutons ses paroles: «Que dirons-nous donc? Devons-nous demeurer dans le péché pour faire abonder la grâce?» Il avait dit en effet plus haut: «Où le péché a abondé, a surabondé la grâce (1)». On voit bien qu'il se demande, s'il faut persévérer dans le péché, parce que la grâce s'est multipliée avec les fautes. Il répond: «A Dieu ne plaise», et continue ainsi: «Puisque nous sommes morts au péché, comment pourrions nous encore y vivre?» Puis, pour montrer que nous sommes morts au péché: «Ignorez-vous donc, s'écrie-t-il, que nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous avons été baptisés dans sa mort?» Si donc le baptême en Jésus-Christ n'est que la figure de la mort au péché, les enfants que l'on baptise en Jésus-Christ meurent au péché: car ils sont baptisés dans l'image de sa mort. C'est à tous sans exception que s'applique ce passage: «Nous tous qui avons été baptisés, nous avons été baptisés dans sa mort». Nous mourons donc au péché dans le baptême; c'est tout ce que l'apôtre veut prouver. Or, à quel péché l'enfant peut-il mourir en se régénérant, sinon au péché qu'il tient de sa naissance? Il faut donc aussi appliquer aux nouveau-nés les paroles suivantes: «Nous avons été ensevelis avec lui par le baptême pour mourir avec lui, afin que, de même que Jésus-Christ est ressuscité par la puissance de son Père, nous marchions aussi après notre résurrection dans les voies d'une vie toute-nouvelle. Car, si nous avons été entés en lui par la ressemblance de sa mort, nous le serons aussi par la ressemblance de sa résurrection. Ainsi mettons-nous bien dans l'esprit que notre vieil homme a été crucifié avec Jésus-Christ, afin que le corps du péché soit détruit, et que nous ne soyons plus les esclaves du péché. En effet, celui qui est mort est délivré du péché. Si donc nous sommes morts avec Jésus-Christ, nous devons croire que nous vivrons toujours avec lui, puisque nous a savons que Jésus-Christ ressuscité ne meurt plus et que la mort n'aura plus sur lui aucun empire. Car, pour ce qui concerne la mort, il n'est mort qu'une fois, afin d'expier nos péchés; maintenant qu'il vit, il vit pour Dieu. Aussi vous devez vous considérer comme morts au péché et ne vivant plus que pour
1. Rm 6,1 Rm 5,20
Dieu en notre Seigneur Jésus-Christ (1)» . L'apôtre avait entrepris de prouver que nous ne devons pas persévérer dans le péché, afin de voir la grâce se multiplier avec nos fautes
«Puisque nous sommes morts au péché, avait-il dit, comment pourrons-nous encore y vivre?» Puis, pour montrer que nous étions morts au péché, il avait ajouté: «Ignorez-vous donc que nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous avons été baptisés en sa mort?» Ainsi la fin de son discours répond au commencement: il nous a présenté en effet le trépas de Jésus-Christ comme n'étant qu'une mort au péché et par conséquent à la chair dont il avait pris l'enveloppe et qui avait été appelée péché parce qu'elle en offrait tous les dehors. C'est donc à tous ceux qui sont baptisés en Jésus-Christ-, quel que soit leur âge, que s'adressent ces paroles: «Considérez-vous comme morts au péché», à l'exemple de Jésus-Christ, «et ne vivant plus que pour Dieu en Jésus-Christ Notre-Seigneur».
A ce titre, le crucifiement de Jésus-Christ, sa sépulture,sa résurrection le troisième jour, son ascension au ciel, où il est assis à la droite du Père, tous ces événements réels, et qu'on ne doit pas regarder comme de simples allégories, sont des symboles mystiques de la vie chrétienne ici-bas. Qu'est-il dit de son crucifiement? «Ceux qui sont à Jésus-Christ ont crucifié leur chair avec ses passions et ses convoitises (2)»; de sa sépulture? «Nous avons été ensevelis avec lui par le baptême pour mourir avec lui»; de sa résurrection?» De même «que Jésus-Christ est ressuscité par la puissance de son Père, de même nous devons marcher après notre résurrection dans les voies d'une vie toute nouvelle»; de son ascension au ciel où il est assis à la droite du Père? «Si donc vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, recherchez les choses du ciel, où Jésus-Christ est assis à la droite du Père: n'ayez de goût que pour les choses du ciel, et non pour celles de la terre: car vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ (3)».
1. Rm 6,1-11 - 2. Ga 5,24 - 3 Col 3,1-3
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Quant à l'article du Symbole qui nous oblige à croire que Jésus-Christ descendra du ciel pour juger les vivants et les morts, il n'offre plus la même analogie avec les actes de notre vie: il a pour objet non le passé, mais l'avenir tel qu'il doit se réaliser à la consommation des siècles. C'est dans ce sens que parle l'Apôtre quand il ajoute: «Lorsque Jésus-Christ paraîtra, lui qui est votre vie, vous paraîtrez aussi avec lui dans la gloire (1)».
On peut entendre de deux manières l'expression de vivants et de morts. Les vivants peuvent en effet désigner ceux qui, à l'instant du jugement, seront encore dans les liens de la chair; et les morts, ceux qui se sont déjà séparés du corps ou doivent s'en séparer, avant l'arrivée du souverain Juge: ou bien les vivants représentent les justes; et les morts, les méchants, puisque les justes seront également jugés. Tantôt ce mot jugement a un sens terrible, comme dans ce passage: «Ceux qui auront fait le mal, ressusciteront pour être jugés (2)». Tantôt il se prend en bonne part, comme en cet autre endroit: «O Dieu, sauvez-moi en votre nom et jugez-moi dans votre puissance (3)». Le jugement de Dieu en effet aura pour but de séparer les bons d'avec les méchants, afin que, délivrés du mal et arrachés à la peine qui attend les coupables, les justes soient rassemblés à la droite (4). Aussi le prophète David s'écriait-il: «Jugez-moi, ô mon Dieu», ajoutant, comme pour expliquer sa pensée: et «séparez ma cause de celle d'un peuple impie (5)».
1. Col 3,4 - 2. Jn 5,29 - 3. Ps 53,1 - 4. Mt 25,32-33 - 5. Ps 42,1
15. Après avoir formulé en peu de mots, comme l'exige un symbole, notre foi en Jésus-Christ Notre-Seigneur, Fils unique de Dieu, nous ajoutons que nous croyons au Saint-Esprit, afin de réunir les trois personnes de la Trinité, qui est Dieu même: ensuite nous nommons la sainte Eglise. Rien de plus logique: la créature raisonnable et faisant partie de la Jérusalem libre (1), devait être nommée après le Créateur, je veux dire la Trinité souveraine; car tout ce qui vient d'être rapporté sur l'humanité de Jésus-Christ devait l'être ici, puisqu'il n'y a qu'une personne dans le Fils unique de Dieu. L'ordre naturel exigeait donc qu'on associât dans le Symbole l'Eglise à la Trinité; c'était unir la maison à celui qui l'occupe, le temple à la divinité, la ville au fondateur. Or, il est ici question, non-seulement de l'Eglise qui voyage sur cette terre, qui loue le nom du Seigneur du couchant à l'aurore (2), et chante un cantique nouveau après sa délivrance de la captivité d'autrefois, mais encore de l'Eglise céleste, qui est restée fidèle au Dieu son créateur et qui n'a jamais éprouvé les suites funestes de la déchéance. Cette Eglise bienheureuse se compose des saints anges et assiste, comme elle le doit, sa soeur en voyage: elles doivent se réunir un jour dans l'éternité, et déjà elles ne font qu'un, grâce à la charité qui les unit; c'est une seule Eglise établie pour adorer un seul Dieu. Aussi ne veut-elle ni dans son universalité ni dans l'une de ses parties, recevoir les honneurs divins . elle refuse de voir un Dieu dans tout ce qui fait partie du temple que le Dieu incréé a formé des êtres divins créés par lui.
Si donc le Saint-Esprit était créature au lieu d'être créateur, il serait sans contredit une créature raisonnable, car celle-ci est la première des créatures; dès lors, il ne viendrait pas avant l'Eglise, dans le Symbole de la foi, puisqu'il ferait lui-même partie de l'Eglise qui est dans les cieux; et, loin d'avoir un temple, il concourrait lui-même à former le temple divin. Or, il a son temple que désigne l'Apôtre quand il dit: «Ne savez-vous pas que votre corps est le temple de l'Esprit-Saint, qui réside en vous, que vous avez reçu de Dieu?» Il avait dit plus haut: «Ignorez-vous que nos corps sont les membres de Jésus-Christ (3)?» Puisque le Saint-Esprit a un temple, comment ne serait-il pas Dieu? Peut-il être inférieur à Jésus-Christ, dont il a les membres pour temples? D'ailleurs entre le temple de Dieu et celui du Saint-Esprit il n'y a pas de différence,
1. Ga 4,26 - 2. Ps 112,3 - 3. 1Co 6,15-19
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puisque l'Apôtre, après avoir dit: «Ignorez-vous que votre corps est le temple de Dieu», ajoute pour le prouver: «Et que l'Esprit de Dieu habite en vous (1)?» Il y a donc un temple où habite Dieu, c'est-à-dire où résident avec le Saint-Esprit le Père et le Fils, puisque ce dernier en parlant de son corps qui l'a rendu chef de l'Eglise ici-bas, «afin qu'en toutes choses il ait le premier rang (2)», a dit: «Abattez ce temple et je le rebâtirai en trois jours (3)». Ce temple où réside Dieu, en d'autres termes, la Trinité tout entière, est la sainte Eglise, embrassant tout le ciel et la terre dans son universalité.
Que pourrions-nous dire de l'Eglise céleste, sinon: qu'elle ne renferme pas de méchants et que personne n'y fut ou n'y sera jamais dégradé, depuis le jour où «Dieu, sans épargner les anges qui avaient péché, les a précipités dans l'abîme ténébreux où ils sont enchaînés pour être tourmentés et tenus comme en réserve jusqu'au jour du jugement (4)».
Et comment décrire cette heureuse société d'en haut? Quels sont les traits qui distinguent les anges et établissent entre eux une hiérarchie? Le nom d'ange est commun à tous les esprits célestes, et l'apôtre Paul nous le révèle clairement dans ce passage: «A qui des anges Dieu- a-t-il jamais dit: Asseyez-vous à ma droite (5)?» Cependant il y a parmi eux des archanges; ces archanges se confondent-ils avec les vertus? Quand le psalmiste a dit: «Louez le Seigneur, vous tous qui êtes ses anges; louez-le, vous tous qui, êtes ses vertus .(6)»., ne faut-il-voir dans ces vertus que les archanges eux-mêmes? Quelle différence y a-t-il entre les trônes, les dominations, les principautés, les puissances, ce qui semble constituer pour l'Apôtre toute la hiérarchie céleste (7)? Réponde qui pourra à ces questions, surtout en n'avançant rien sans le prouver pour moi j'aime mieux reconnaître ici mon ignorance. Je ne sais même pas si le soleil, la lune et les autres astres font partie de la société des anges;, pour un grand nombre de personnes ce ne sont que des corps lumineux privés de sentiment et d'intelligence.
1. 1Co 3,16 - 2. Col 1,18 - 3. Jn 2,19 - 4. 1P 2,4 - 5. He 1,13 - 6. Ps 148,2 - 7 Col 1,16
Comment expliquer. encore quelle est la forme dont les anges se revêtent pour se manifester aux hommes? Tantôt ils ont un corps visible et même palpable; tantôt, au contraire, ils se découvrent par un effet tout spirituel, non aux yeux du corps, mais à ceux de l'âme, se placent au dedans et s'y font entendre sans que l'oreille soit frappée au dehors,, témoin le prophète: «L'ange qui parlait au-dedans de moi, me dit (1)». Remarquez l'expression «au dedans de moi»; il ne dit pas que l'ange lui adressait la parole. Quelquefois même ils apparaissent pendant le sommeil et parlent en faisant la même impression qu'un songe; on lit en effet dans l'Evangile: «Voici que l'ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit (2)». Dans ces sortes de visions, les anges n'apparaissent pas évidemment sous une enveloppe matérielle; de là., une question fort difficile: c'est de savoir comment les patriarches ont pu leur laver les pieds (3), ou comment Jacob a soutenu avec l'un d'eux une lutte si terrible (4). Quand on soulève ces difficultés et qu'on cherche à les expliquer par des hypothèses, dans la mesure de ses forces, on peut y trouver un utile exercice d'esprit; mais il faut mettre une sage réserve dans cet examen, et se garder de tout préjugé systématique. Est-il donc si nécessaire d'affirmer, de nier, de définir et de distinguer dans des questions que l'on pourrait ignorer sans péril?
16. Un point plus essentiel, c'est de savoir. reconnaître les artifices qu'emploie Satan pour se transformer en ange de lumière (5): ses séductions pourraient nous entraîner dans quelque abîme. Produit-il sur les sens une illusion sans ébranler l'esprit ni l'écarter des principes dont la lumière guide la conduite de toute
1. Za 1,9 - 2. Mt 1,20 - 3. Gn 18,4 Gn 19,2 - 4. Gn 33 - 5. 2Co 11,14
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âme fidèle? La piété n'est exposée à aucun danger. Contrefait-il dans ses actes ou dans ses paroles la sainteté des anges? Son hypocrisie, quand même-nous en serions dupes, ne ferait courir à la foi chrétienne aucun péril. Mais, lorsqu'il, cherche à nous conduire à ses fins sous le masque de la vertu, il faut alors déployer l'attention la plus vigilante pour reconnaître ses piéges et pour ne point se laisser entraîner sur ses pas. Et qui pourrait échapper à ses ruses infernales sans l'inspiration et le secours d'en haut? Cette lutte périlleuse a donc un avantage: c'est d'avertir l'homme de ne pas se fier à ses propres forces ou à celles d'autrui et de n'avoir recours qu'à Dieu, soutien universel de ses enfants. Rien n'est plus salutaire que cette défiance aux yeux de tout homme véritablement religieux.
Pour en revenir à l'Eglise formée par les saints anges et les vertus de Dieu, ses grandeurs nous seront révélées quand nous lui serons enfin incorporés, et que nous participerons à sa félicité inaltérable. Si nous connaissons mieux celle qui voyagé ici-bas, c'est que nous en sommes membres et qu'elle se compose d'hommes semblables à nous. C'est pour elle que le Médiateur, innocent de tout péché, a payé la rançon du péché; c'est elle qui peut dire: «Si Dieu est pour nous, qui est contre nous? Il n'a pas épargné son propre Fils, mais il l'a livré pour nous (1)»: car Jésus-Christ n'est point mort pour les anges. Cependant ils prennent part aux bienfaits de cette mort; les hommes qu'elle a rachetés et délivrés du mal, se réconcilient en quelque sorte avec eux et font cesser la division que le péché avait mise entre le ciel et la terre; de plus, la rédemption remplit les vides que la révolte avait produits dans les rangs des anges.
Eclairés par la divinité, dont l'éternelle contemplation fait leur bonheur, les saints anges savent le nombre des élus que doit fournir le
1. Rm 7,31-32
genre humain pour rétablir la cité céleste, dans son intégrité primitive. Voilà pourquoi l'Apôtre dit: «Qu'en Jésus-Christ et par Jésus-Christ tout est réparé au ciel et sur la terre (1)»; au ciel, puisque ceux qui doivent y remplacer les anges déchus sont prélevés sur le genre humain; sur la terre, puisque les hommes prédestinés à la vie éternelle sont affranchis de la corruption originelle et régénérés. C'est ainsi que par un seul sacrifice, représenté dans l'ancienne loi sous une multitude de victimes symboliques, le Médiateur réconcilie le ciel avec la terre, la terre avec le ciel, «parce qu'il a plu à Dieu, dit l'Apôtre, de renfermer en lui la plénitude de toutes choses, de réconcilier toutes choses en lui et par lui, pacifiant par le sang qu'il a répandu sur la croix ce qui est sur la terre et ce qui est dans le ciel (2)»
«Cette paix de Dieu, comme il est écrit, dépasse toute intelligence (3)»; nous n'en concevrons l'idée que dans le ciel. Qu'est-ce en effet que la paix dans le ciel, sinon l'accord rétabli entre le ciel et la terre? Dans le ciel, il règne une paix inaltérable: rien n'y trouble l'accord des esprits créés, soit entre eux soit avec le Créateur. «Cette paix, qui dépasse toute intelligence», n'est insaisissable que pour nous: elle n'est pas au dessus de l'intelligence des anges qui contemplent éternellement la face du Père. Quant à nous, si hautes que soient nos conceptions, nous n'apercevons qu'imparfaitement les choses, et nous ne voyons «Dieu que comme dans un miroir et à travers des énigmes»; mais quand «nous serons devenus les égaux des anges (4)», nous le verrons, comme ces bienheureux esprits, face à face: nous serons unis avec eux dans les mêmes sentiments de paix, parce que nous les aimerons autant qu'ils nous aiment. En ce jour nous connaîtrons la paix qui règne parmi les anges, parce que celle dont nous jouirons sera aussi pure, aussi profonde, et ne dépassera plus nos conceptions. Je ne parle pas ici des sentiments de paix qui animent Dieu pour les anges: ni leur coeur ni le nôtre ne saurait en mesurer l'étendue. Car si le bonheur de
1. Ep 1,10 - 2. Col 1,19-20 - 3. Ph 4,7 - 4. Lc 20,36
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toute créature intelligente, appelée à la vie heureuse, dépend de Dieu, Dieu trouve en lui-même sa félicité. Il vaut donc mieux ne faire exception que pour Dieu dans ce passage: «La paix de Dieu dépasse toute intelligence» . Au-dessus de la portée des saints anges, ce mystère ne peut dépasser celui qui en est le principe et l'auteur.
Augustin, de la Foi, Espérance et Charité - CHAPITRE XXXIX. L'ORIGINE NE SUPPOSE PAS NÉCESSAIREMENT LA FILIATION.