Augustin, Cité de Dieu 1705
1705 L'homme de Dieu qui fut envoyé au grand prêtre Héli et que l'Ecriture ne nomme pas, mais que son ministère doit faire indubitablement reconnaître pour prophète, parle de ceci plus clairement. Voici ce que porte le texte sacré: «Un homme de Dieu vint trouver Héli et lui dit: Voici ce que dit le Seigneur: Je me suis fait connaître à la maison de votre père, lorsqu'elle était captive de Pharaon en Egypte, et je l'ai choisie entre toutes les tribus d'Israël pour nie faire des prêtres qui montassent à mon autel, qui m'offrissent de l'encens et qui portassent l'éphod; et j'ai donné à la maison de votre père, pour se nourrir, tout ce que les enfants d'Israël m'offrent en sacrifice. Pourquoi donc avez-vous foulé aux pieds mon encens et mes sacrifices, et pourquoi avez-vous fait plus de cas de vos enfants que de moi, en souffrant qu'ils emportassent les prémices de tous les sacrifices d'Israël? C'est pourquoi voici ce que dit le Seigneur et le Dieu d'Israël; J'avais résolu que votre maison et la maison de votre père passeraient éternellement en ma présence. Mais je n'ai garde maintenant d'en user de la sorte. Car je glorifierai ceux qui me glorifient; et ceux qui me méprisent deviendront méprisables. Voici venir le temps que j'exterminerai votre race et celle de votre père, de sorte qu'il n'en demeurera pas un seul qui exerce les fonctions de la prêtrise, dans ma maison. Je les bannirai tous de mon autel, afin que ceux qui resteront de votre maison sèchent en voyant ce changement. Ils périront tous par l'épée; et la marque de cela, c'est que vos enfants Ophni et Phinées mourront tous deux en un même jour. Je me choisirai un prêtre fidèle, qui fera tout ce que mon coeur et mon âme désirent, et je lui construirai une maison durable qui passera éternellement en la présence de mon Christ. Quiconque restera de votre maison viendra l'adorer avec une petite pièce d'argent et lui dira: Donnez-moi, je vous prie, quelque part en votre sacerdoce, afin que je mange du pain 1».On ne peut pas dire que cette prophétie, qui prédit si clairement le changement de l'ancien sacerdoce, ait été accomplie en La personne de SamueL Quoiqu'il ne fût pas d'une autre tribu que celle que Dieu avait destinée pour servir à l'autel, il n'était pas pourtant de
1. 1S 2,27 et seq
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la famille d'Aaron, dont la postérité était désignée pour perpétuer le 1; et par conséquent tout ceci était la figure du changement qui devait se faire par Jésus-Christ, et appartenait proprement à l'Ancien Testament, et figurativement au Nouveau; je dis quant à l'événement de la chose, et non quant aux paroles. Il y eut encore depuis des prêtres de la famille d'Aaron, comme Sadoch et Abiathar, sous le règne de David, et plusieurs autres, longtemps avant l'époque où ce changement devait s'accomplir en la personne de Jésus-Christ. Mais à présent quel est celui qui contemple ces choses des yeux de la foi et qui n'avoue qu'elles sont accomplies? Il ne reste en effet aux Juifs ni tabernacle, ni temple, ni autel, ni sacrifice, ni par conséquent aucun de ces prêtres qui, selon la loi de Dieu, devraient être de la famille d'Aaron, comme le rappelle ici le Prophète: «Voici ce que dit le Seigneur et le Dieu d'Israël: J'avais résolu que votre maison et la maison de votre père passeraient éternellement en ma présence; mais je n'ai garde maintenant d'en user de la sorte. Car je glorifierai ceux qui me glorifient; et ceux qui me méprisent deviendront méprisables». Par la maison de votre père, il n'entend pas parler de celui dont Héli avait pris immédiatement naissance, mais d'Aaron, le premier grand prêtre dont tous les autres sont descendus. Ce qui précède le montre clairement: «Je me suis fait connaître, dit-il, à la maison de votre père, lorsqu'elle était captive de Pharaon en Egypte, et je l'ai choisie entre toutes les tribus d'Israël pour les fonctions du sacerdoce». Qui était ce père d'Héli dont la famille, après la captivité d'Egypte, fut choisie pour le sacerdoce, sinon Aaron? C'est donc de cette race que Dieu dit ici qu'il n'y aura plus de prêtre à l'avenir: et c'est ce que nous voyons maintenant accompli. Que notre foi y fasse attention, les choses sont présentes; on les voit, on les touche, et elles sautent aux yeux, malgré qu'on en ait. «Voici, dit le Seigneur, venir le temps que j'exterminerai votre race et celle de votre père, en sorte qu'il n'en demeurera pas un seul qui exerce les fonctions de la prêtrise dans ma maison». Je les bannirai tous de mon autel, afin que ceux qui resteront de votre maison sèchent «en voyant ce changement». Ce temps prédit
1. Voyez sur ce point les Rétractations, livre II ch. 43, n. 2
est venu. Il n'y a plus de prêtre selon l'ordre d'Aaron; et quiconque reste de cette famille, lorsqu'il considère le sacrifice des chrétiens établis par toute la terre et qu'il se voit dépouillé d'un si grand honneur, sèche de regret et d'envie.Ce qui suit appartient proprement à la maison d'Héli: «Tous ceux qui resteront de votre maison périront par l'épée; et la marque de cela, c'est que vos enfants Ophni et Phinées mourront tous deux en un seul jour». Le même signe donc qui marquait le sacerdoce enlevé à sa maison marquait aussi qu'il devait être aboli dans la maison d'Aaron. La mort des enfants d'Héli ne figurait la mort d'aucun homme, mais celle du sacerdoce même dans la famille d'Aaron. Ce qui suit se rapporte au grand prêtre, dont Samuel devint la figure en succédant à Héli, et par conséquent on doit l'entendre de Jésus-Christ, le véritable grand prêtre du Nouveau Testament: «Et je me choisirai un prêtre fidèle, qui fera tout ce que mon coeur et mon âme désirent, et je lui construirai une maison durable». Cette maison est la céleste et éternelle Jérusalem. «Et elle passera, dit-il, éternellement en la présence de mon Christ», c'est-à-dire elle paraîtra devant lui, comme il a dit auparavant de la maison d'Aaron: «J'avais résolu que votre maison et la maison de votre père passeraient éternellement en ma présence». On peut encore entendre qu'elle passera de la mort à la vie pendant tout le temps de notre mortalité, jusqu'à la fin des siècles. Quand Dieu dit: «Qui fera tout ce que mon coeur et mon âme désirent», ne pensons pas que Dieu ait une âme, lui qui est le créateur de l'âme; c'est ici une de ces expressions figurées de l'Ecriture, comme quand elle donne à Dieu des mains, des pieds, et les autres membres du corps. Au surplus, de peur qu'on né s'imagine que c'est selon le corps qu'elle dit que l'homme à été fait à l'image de Dieu, elle donne aussi à Dieu des ailes, organe dont l'homme est privé, et elle dit: «Seigneur, mettez-moi à l'ombre de vos ailes 1», afin que les hommes reconnaissent que tout cela n'est dit que par métaphore de cette nature ineffable.«Et quiconque restera de votre maison viendra l'adorer». Ceci ne doit pas s'entendre proprement de la maison d'Héli, mais
1. Ps 16,10
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de celle d'Aaron, qui a duré jusqu'à l'avénement de Jésus-Christ et dont il en reste encore aujourd'hui quelques débris. A l'égard de la maison d'Héli, Dieu avait déjà dit que tous ceux qui resteraient de cette maison périraient par l'épée. Comment donc ce qu'il dit ici peut-il être vrai: «Quiconque restera de votre maison viendra l'adorer», à moins qu'on ne l'entende de toute la famille sacerdotale d'Aaron? Si donc il existe de ces restes prédestinés dont un autre prophète dit: «Les restes seront sauvés 1»; et l'Apôtre: «Ainsi, en ce temps même, les restes ont été sauvés selon l'élection de la grâce 2»; si, dis-je, il est quelqu'un qui reste de la maison d'Aaron, indubitablement il croira en Jésus-Christ, comme du temps des Apôtres plusieurs de cette nation crurent en lui; et encore aujourd'hui, l'on en voit quelques-uns, quoique en petit nombre, qui embrassent la foi et en qui s'accomplit ce que cet homme de Dieu ajoute «Il viendra l'adorer avec une petite pièce d'argent». Qui viendra-t-il adorer, sinon ce souverain prêtre qui est Dieu aussi? Car dans le sacerdoce établi selon l'ordre d'Aaron, on ne venait pas au temple ni à l'autel pour adorer le grand prêtre. Que veut dire cette petite pièce d'argent, si ce n'est cette parole abrégée de la foi dont l'Apôtre fait mention après le Prophète, quand il dit: «Le Seigneur fera une parole courte et abrégée sur la terre 3?» Or, que l'argent se prenne pour la parole de Dieu, le Psalmiste en témoigne, lorsqu'il dit: «Les paroles du Seigneur sont pures, c'est de l'argent qui a passé par le feu 4».Que dit donc celui qui vient adorer le prêtre de Dieu et le prêtre-Dieu? «Donnez-moi, je vous prie, quelque part en votre sacerdoce, afin que je mange du pain». Ce qui signifie:Je ne prétends rien à la dignité de mes pères, puisqu'elle est abolie; faites-moi seulement part de votre sacerdoce. «Car j'aime mieux être méprisable dans la maison du Seigneur 5»; entendez: pourvu que je devienne un membre de votre sacerdoce, quel qu'il soit. Il appelle ici sacerdoce le peuple même dont est souverain prêtre le médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme. C'est à ce peuple que l'apôtre saint Pierre dit: «Vous êtes le peuple saint et le sacerdoce royal 6».
1 Is 10,22 -2. Rm 11,5 -3. Rm 9,28 Is 10,23 -4. Ps 11,7 -5. Ps 83,11 -6. 1P 2,9
Il est vrai que quelques-uns, au lieu de votre sacerdoce, traduisent votre sacrifice, mais cela signifie toujours le même peuple chrétien. De là vient cette parole de l'Apôtre: «Nous ne sommes tous ensemble qu'un seul pain et qu'un seul corps en Jésus-Christ 1»; et celle-ci encore: «Offrez vos corps à Dieu comme une hostie vivante 2». Ainsi, quand cet homme de Dieu ajoute: «Pour manger du pain», il exprime heureusement le genre même du sacrifice dont le prêtre lui-même dit: «Le pain que je donnerai pour la vie du monde, c'est ma chair 3». C'est là le sacrifice qui n'est pas selon l'ordre d'Aaron, mais selon l'ordre de Melchisédech. Que celui qui lit ceci l'entende. Cette confession est en même temps courte, humble et salutaire «Donnez-moi quelque part en votre sacerdoce, «afin que je mange du pain». C'est là cette petite pièce d'argent, parce que la parole du Seigneur, qui habite dans le coeur de celui qui croit, est courte et abrégée. Comme il avait dit auparavant qu'il avait donné pour nourriture à la maison d'Aaron les victimes de l'Ancien Testament, il parle ici de manger du pain, parce que c'est le sacrifice des chrétiens dans le Nouveau.
1706DE L'ÉTERNITÉ PROMISE AU SACERDOCE ET AU ROYAUME DES JUIFS, AFIN QUE, LES VOYANT DÉTRUITS, ON RECONNUT QUE CETTE PROMESSE CONCERNAIT UN AUTRE ROYAUME ET UN AUTRE SACERDOCE DONT CEUX-LA ÉTAIENT LA FIGURE.
Bien que ces choses paraissent maintenant aussi claires qu'elles étaient obscures lorsqu'elles furent prédites, toutefois il semble qu'on pourrait faire cette objection avec quelque sorte de vraisemblance: Quelle certitude avons-nous que toutes les prédictions des Prophètes s'accomplissent, puisque cet oracle du ciel: «Votre maison et la maison de votre père passeront éternellement en ma présence», n'a pu s'accomplir? Car nous voyons bien que ce sacerdoce a été changé, sans que cette maison puisse jamais espérer d'y rentrer, attendu qu'il a été aboli, et que cette promesse est plutôt pour l'autre sacerdoce qui a succédé à celui-là. - Quiconque parle de la sorte ne comprend pas encore ou ne se souvient pas que le sacerdoce, même
1. 1Co 10,17 –2. Rm 12,1 –3. Jn 6,52
(371)
selon l'ordre d'Aaron, était comme l'ombre du sacerdoce à venir et éternel, et qu'ainsi, quand l'éternité lui a été promise, cette promesse ne lui appartenait pas, mais à celui dont il était l'ombre et la figure. Pour que l'on ne. s'imaginât pas que l'ombre même dût demeurer, le changement en a dû être aussi prédit.De même, le royaume de Saül, qui fut réprouvé et rejeté, était l'ombre du royaume à venir qui doit subsister éternellement; car il faut considérer comme un grand mystère cette huile dont il fût sacré et ce chrême qui lui donna le nom de Christ. Aussi David lui-même le respectait si fort en Saül, qu'il frémit de crainte et se frappa la poitrine 1, au moment où ce prince étant entré dans une caverne obscure pour un besoin, il lui coupa le bord de la robe, afin de lui faire voir qu'il l'avait épargné, quand il pouvait s'en défaire, et de dissiper ainsi ses soupçons et sa furieuse animosité. Il craignait donc de s'être rendu coupable de la profanation d'un grand mystère, seulement pour avoir touché de la sorte au vêtement de Saül. Voici comment l'Ecriture en parle: «Et David se frappa la poitrine, parce qu'il avait coupé le pan de sa robe 2». Ceux qui l'accompagnaient lui conseillaient de tuer Saül, puisque Dieu le livrait entre ses mains. «A Dieu ne plaise, dit-il, que je le fasse et que je mette la main sur lui! car il est le Christ du. Seigneur 3». Ce n'était donc pas proprement la figure qu'il respectait, mais la chose figurée. Ainsi, quand Samuel dit à Saül: «parce que vous n'avez pas fait ce que je vous avais dit, ou plutôt ce que Dieu vous avait dit par moi, le trône d'Israël, que Dieu vous avait préparé pour durer éternellement, ne subsistera point pour vous; mais le Seigneur cherchera un homme selon son coeur, qu'il établira prince sur son peuple, à cause que vous n'avez pas obéi à ses ordres 4»; ces paroles, dis-je, ne doivent pas s'entendre, comme si Dieu, après avoir promis un royaume éternel à Saut, ne voulait plus tenir sa promesse, lorsqu'il eut péché; car Dieu n'ignorait pas qu'il devait pécher, mais il avait préparé son royaume pour être la figure d'un royaume éternel. C'est pourquoi Samuel ajoute: «Votre royaume ne subsistera point pour vous». Celui qu'il figurait a
1. 1S 24,6 –2. 1S 24,6 –3. 1S 7 -4. 1S 13,13 et seq
subsisté et subsistera toujours, mais non pas pour Saül ni pour ses descendants. «Et le Seigneur, dit-il, cherchera un homme»; c'est David, ou plutôt c'est le Médiateur même du Nouveau Testament, qui était aussi figuré par le chrême dont David et sa postérité furent sacrés. Or, Dieu ne cherche pas un homme, comme s'il ignorait où il est; mais il s'accommode au langage des hommes et nous cherche par cela même qu'il nous parle ainsi. Nous étions dès lors si bien connus, non-seulement à Dieu le Père, mais à son Fils unique, qui est venu chercher ce qui était perdu Lc 19,10, qu'il nous avait élus en lui avant la création du monde Ep 1,4. Lors donc que l'Ecriture dit qu'il cherchera, c'est comme si elle disait qu'il fera reconnaître aux autres pour son ami celui qu'il sait déjà lui appartenir.
1707 Saül pécha de nouveau en désobéissant à Dieu, et Samuel lui porta de nouveau cette parole au nom du Seigneur: «Parce que vous avez rejeté le commandement de Dieu, Dieu vous a rejeté, et vous ne serez plus roi d'Israël 1S 15,23». Comme Saül, avouant son crime, priait Samuel de retourner avec lui pour en obtenir de Dieu le pardon: «Je ne retournerai point avec vous, dit-il, parce que vous n'avez point tenu compte du commandement de Dieu. Aussi le Seigneur ne tiendra point compte de vous, et vous ne serez plus roi d'Israël.» Là-dessus, Samuel lui tourna le dos et s'en alla; mais Saül le retint par le bas de sa robe, qu'il déchira. Alors Samuel lui dit: «Le Seigneur a ôté aujourd'hui le royaume à Israël en vous l'ôtant, et il le donnera à un de vos proches, qui est bien au-dessus de vous, et Israël sera divisé en deux, sans que le Seigneur change ni se repente, car il ne ressemble pas à l'homme, qui est sujet au repentir, et qui fait des menaces et ne les exécute pas 1S 15,26-29». Celui à qui il est dit: «Le Seigneur vous rejettera, et vous ne serez plus roi d'Israël»; et encore: «Le Seigneur a ôté aujourd'hui le royaume à Israël en vous l'ôtant»; celui-là, dis-je, régna encore (372) quarante ans depuis, car cela lui fut dit dès le commencement de son règne; mais Dieu entendait par là qu'aucun de sa famille ne devait lui succéder, et il voulait attirer nos regards vers la postérité de David, d'où est sorti, selon la chair, le médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme.
Or, le texte de l'Ecriture ne porte pas, comme beaucoup de traductions latines: «Le Seigneur vous a ôté le royaume d'Israël» mais comme nous l'avons lu dans le grec: «Le Seigneur a ôté aujourd'hui le royaume à Israël en vous l'ôtant»; par où l'Ecriture veut montrer que Saül représentait le peuple d'Israël, qui était destiné à perdre le royaume, Notre-Seigneur Jésus-Christ devant régner spirituellement par le Nouveau Testament.
Ainsi, quand il dit: «Et il le donnera à un de vos proches», cela s'entend d'une parenté selon la chair. En effet, selon la chair, Jésus-Christ a pris naissance d'Israël, aussi bien que Saül. Ce qui suit: «Qui est bon au-dessus de vous», peut s'entendre, «qui est meilleur que vous», et quelques-uns l'ont traduit ainsi; mais je préfère cet autre sens: «Il est bon; qu'il soit donc au-dessus de vous»; ce qui est bien conforme à cette autre parole prophétique: «Jusqu'à ce que j'aie mis tous vos ennemis sous vos pieds Ps 109,2». Au nombre des ennemis est Israël, à qui le Christ enlève la royauté comme à son persécuteur. Et toutefois, là aussi était un autre Israël, en qui ne se trouva aucune malice Jn 1,47, véritable froment caché sous la paille. C'est de là que sont sortis les Apôtres et tant de martyrs dont saint Etienne a été le premier; de là ont pris naissance toutes ces Eglises dont parle l'apôtre saint Paul et qui louent Dieu de sa conversion Ga 1,24.
Je ne doute point que par ces mots: «Et Israël sera divisé deux», il faille distinguer Israël ennemi de Jésus-Christ et Israël fidèle à Jésus-Christ, Israël appartenant à la servante et Israël appartenant à la femme libre. Ces deux Israël étaient d'abord mêlés ensemble, comme Abraham était attaché à la Servante, jusqu'à ce que celle qui était stérile, ayant été rendue féconde par la grâce de Jésus-Christ, s'écriât: «Chassez la servante avec son fils Gn 21,10». Il est vrai qu'Israël fut partagé en deux à cause du péché de Salomon, sous le règne de son fils Roboam 1R 21,10, et qu'il demeura en cet état, chaque faction ayant ses rois à part, jusqu'à ce que toute la nation fût vaincue par les Chaldéens et menée captive à Babylone. Mais qu'est-ce que cela fait à Saül? Si cette menace était nécessaire, ne devait-on l'adresser plutôt à David, dont Salomon était fils? maintenant même, les Juifs ne sont pas divisés entre eux, mais dispersés par toute la terre dans la société d'une même erreur. Or, cette division, dont Dieu menace ici ce peuple et ce royaume dans la personne de Saül qui le représentait, doit être éternelle et immuable, selon ces paroles qui suivent: «Dieu ne changera ni ne se repentira point, car il ne ressemble pas à l'homme, qui est sujet au repentir, et qui fait des menaces et ne les exécute pas». Lorsque L'Ecriture dit que Dieu se repent, cela ne marque du changement que dans les choses, lesquelles sont connues de Dieu par une prescience immuable. Quand donc elle dit qu'il ne se repent point, il faut entendre qu'il ne change point.
Ainsi l'arrêt de cette division d'Israël est un arrêt perpétuel et irrévocable. Tous ceux qui, en tous les temps, passent de la synagogue des Juifs à l'Eglise de Jésus-Christ, ne faisant point partie de cette synagogue dans la prescience de Dieu. Ainsi, tous les Israélites qui, s'attachant à Jésus-Christ, persévèrent dans cette union, ne seront jamais avec ces Israélites qui s'opiniâtrent toute leur vie à être ses ennemis, et la division qui est ici prédite subsistera toujours. L'Ancien Testament donné sur la montagne de Sinaï, et qui n'engendra que des esclaves Ga 4,24, n'a de prix qu'en ce qu'il rend hommage au Nouveau; et tous les Juifs qui maintenant lisent Moïse ont un voile sur le coeur 2Co 3,15 qui leur en dérobe l'intelligence. Mais lorsque quelqu'un d'eux passe à Jésus-Christ, ce voile est déchiré. En effet, ceux qui changent de la sorte changent aussi d'intention et de désirs, et n'aspirent plus à la félicité de la chair, mais à celle de l'esprit. C'est pourquoi, dans cette fameuse journée des Juifs contre les Philistins 1S 8,10-12, où le ciel se déclara si ouvertement en faveur des premiers, à la prière de Samuel, ce prophète, prenant une pierre, la posa entre les deux Massephat 4, la nouvelle et l'ancienne, et l'appela Abennezer, c'est-à-dire pierre de secours, (373) parce que, dit-il, c'est jusqu'ici que Dieu nous a secourus 1S 7,5-12. Or, Massephat signifie intention, et cette pierre de secours, c'est la médiation du Sauveur, par qui il faut passer de la vieille Massephat à la nouvelle, c'est-à-dire de l'intention qui regardait une fausse et charnelle habitude dans un royaume charnel, à celle qui s'en propose une véritable et spirituelle dans le royaume des cieux par le moyen du Nouveau Testament. Comme il n'est rien de meilleur que cette félicité, c'est jusque-là que Dieu nous porte secours.
4. Saint Jérôme (De locis Hebraïcis ) place l'ancienne Massephat dans la tribu de Gad, et la nouvelle dans la tribu de Juda, sur les confins d'Eleuthéropolis
1708 Il faut voir maintenant, autant que cela peut servir à notre dessein, les promesses que Dieu fit à David même, qui prit la place de Saül, changement qui était la figure du changement suprême auquel se rapporte toute l'Ecriture sainte. Toutes choses prospérant à David, il résolut de bâtir une maison à Dieu, ce fameux temple qui fut l'ouvrage de son fils Salomon. Comme il était dans cette pensée, Dieu parla au prophète Nathan, et, après lui avoir déclaré que David ne lui bâtirait pas une maison, et qu'il s'en était bien passé jusqu'alors: «Vous direz, ajouta-t-il, à mon serviteur David: Voici ce que dit le Seigneur tout-puissant: Je vous ai tiré de votre bergerie pour vous établir le conducteur de mon peuple. Je vous ai assisté dans toutes vos entreprises, j'ai dissipé tous vos ennemis, et j'ai égalé votre gloire à celle des plus grands rois. Je veux assigner un lieu à mon peuple et l'y établir, afin qu'il y demeure séparé des autres nations et que rien ne trouble son repos à l'avenir. Les méchants ne l'opprimeront plus comme autrefois, lorsque je lui donnai des Juges pour le conduire. Je ferai que tous vos ennemis vous laisseront en paix, et vous me bâtirez une maison. Car lorsque vos jours seront accomplis et que vous serez endormi avec vos pères, je ferai sortir de votre race un roi dont j'affermirai le trône. C'est lui qui me construira une maison, et je maintiendrai éternellement son empire. Je lui tiendrai lieu de père et l'aimerai comme mon fils. Que s'il vient à m'offenser, je lui ferai sentir les effets de ma colère et le châtierai avec rigueur; mais je ne retirerai point de lui ma miséricorde, comme j'ai fait à l'égard de ceux dont j'ai détourné ma face. Sa maison me sera fidèle et son royaume durera autant que les siècles 2S 7,8 et seq».
Quiconque s'imagine que cette promesse a été accomplie en Salomon, se trompe gravement, et son erreur vient de ce qu'il ne s'arrête qu'à ces paroles: «C'est lui qui me construira une maison». En effet, Salomon a élevé un temple superbe; mais il faut faire attention à ce qui suit: «Sa maison me sera fidèle et son royaume durera autant que les siècles». Regardez maintenant le palais de Salomon, tout rempli de femmes étrangères et idolâtres qui le portent à adorer les faux dieux avec elles; et prenez garde d'être assez téméraires pour penser que les promesses de Dieu ont été vaines, ou qu'il n'a pu prévoir que ce prince et sa maison tomberaient dans de tels égarements. Lors même que nous ne verrions point les paroles divines accomplies en la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est né de David selon la chair, nous ne devrions point douter qu'elles ne se rapportent à lui, à moins que de vouloir attendre vainement un nouveau messie, comme font les Juifs. Il est si vrai que par ce fils, qui est ici promis à David, les Juifs mêmes n'entendent point Salomon, que, par un merveilleux aveuglement, ils attendent encore un autre Christ que celui qui s'est fait reconnaître pour tel par des marques si claires et si évidentes. A la vérité, on voit aussi en Salomon quelque image des choses à venir, en ce qu'il a bâti le temple, qu'il a eu la paix avec tous ses voisins, comme le porte son nom (car Salomon signifie pacifique) et que les commencements de son règne ont été admirables; mais il faut demeurer d'accord qu'il n'était pas Jésus-Christ lui-même et qu'il n'en était que la figure. De là vient que l'Ecriture dit beaucoup de choses de lui, non-seulement dans les livres historiques, mais dans le psaume soixante-onzième qui porte son nom, lesquelles ne sauraient du tout lui convenir, et conviennent fort bien à Jésus-Christ, pour montrer que l'un n'était que la figure, et l'autre la vérité. Pour n'en citer qu'un exemple, on ignore quelles étaient les bornes du royaume de Salomon, et cependant nous lisons dans ce psaume: «Il étendra son empire de l'une à l'autre mer, et depuis le fleuve jusqu'aux extrémités de la terre Ps 71,8 »; paroles que nous voyons accomplies en la personne du Sauveur, qui a commencé son règne au fleuve où il fut baptisé par saint Jean et reconnu par les disciples, qui ne l'appelaient pas seulement Maître, mais Seigneur.
Pourquoi Salomon commença-t-il à régner du vivant de son père David, ce qui n'arriva à aucun autre des rois d'Israël? pour nous apprendre que ce n'est pas de lui que Dieu parle ici, quand il dit à David: «Lorsque vos jours seront accomplis et que vous serez endormi avec vos pères, je ferai sortir de votre race un roi dont j'affermirai le trône». Quelque intervalle de temps qu'il y ait entre Jésus-Christ et David, toujours est-il certain que le premier est venu depuis la mort du second et qu'il a bâti une maison à Dieu, non de bois et de pierre, mais d'hommes. C'est à cette maison, ou en d'autres termes, aux fidèles, que l'apôtre saint Paul dit: «Le temple de Dieu est saint, et c'est vous qui êtes ce temple 1Co 3,17».
1709 C'est pour cela qu'au psaume quatre-vingt-huitième, qui a pour titre: Instruction pour Aethan, israélite, il est fait mention des promesses de Dieu à David, et l'on y voit quelque chose de semblable à ce que nous venons de rapporter du second livre des Rois. «J'ai juré, dit Dieu, j'ai juré à David, mon serviteur, que je ferais fleurir éternellement sa race».
Puis: «Vous avez parlé en vision à vos enfants, et vous avez dit: J'ai remis mon assistance dans un homme puissant, et j'ai élevé sur le trône celui que j'ai choisi parmi mon peuple. J'ai trouvé mon serviteur David, je l'ai oint de mon huile sainte. Car ma main lui donnera secours et mon bras le soutiendra. L'ennemi n'aura point avantage sur lui, et l'enfant d'iniquité ne lui pourra nuire. J'abattrai ses ennemis à ses pieds et mettrai en fuite ceux qui le haïssent. Ma vérité et ma miséricorde seront avec lui, et je délivrerai sa gloire et sa puissance. J'étendrai sa main gauche sur la mer et sa droite sur les fleuves. Il m'invoquera et me dira: Vous êtes mon père, vous êtes mon Dieu et mon asile. Et je le ferai mon fils aîné et l'élèverai au-dessus de tous les rois de la terre. Je lui conserverai toujours ma faveur, et l'alliance que je ferai avec lui sera inviolable. J'établirai sa race pour jamais, et son trône durera autant que les cieux Ps 88,31-34». Tout cela, sous le nom de David, doit s'entendre de Jésus-Christ, à cause de la forme d'esclave qu'il a prise, comme médiateur, dans le sein de la Vierge. Quelques lignes ensuite, il est parlé des péchés de nos enfants presque dans les mêmes termes où, au livre des Rois, il est parlé de ceux de Salomon: «S'il vient, dit Dieu en ce livre, à s'abandonner à l'iniquité, je le châtierai par la verge des hommes; je le livrerai aux atteintes des enfants des hommes; cependant je ne retirerai pas de lui ma miséricorde 2S 7,14-15». Ces atteintes sont les marques du châtiment; et de là cette parole: «Ne touchez pas mes christs Ps 104,15». Qu'est-ce à dire, sinon: Ne blessez pas? Or, dans le psaume où il s'agit de David en apparence, le Seigneur tient à peu près le même langage: «Si ses enfants, dit-il, abandonnent ma loi et ne marchent dans ma crainte, s'ils profanent mes ordonnances et ne gardent pas mes commandements, je les châtierai, la verge à la main, et je leur enverrai mes fléaux; mais je ne retirerai point de lui ma miséricorde Ps 88,31-34». Il ne dit pas: Je ne retirerai pas d'eux, quoiqu'il parle de ses enfants, mais de lui, ce qui pourtant, à le bien prendre, est la même chose. Aussi bien on ne peut trouver en Jésus-Christ même, qui est le chef de l'Eglise, aucun péché qui ait besoin d'indulgence ou de punition, mais bien dans son peuple, qui compose ses membres et son corps mystique. C'est pour cela qu'au livre des Rois il est parlé de son iniquité 2S 7,14, au lieu qu'ici il est parlé de celle de ses enfants, pour nous faire entendre que ce qui est dit de son corps est dit en quelque sorte de lui-même.Par la même raison, lorsque Saul persécutait son corps, c'est-à-dire ses fidèles, il lui cria du ciel: «Saul, Saul, pourquoi me persécutez-vous Ac 9,4». Le psaume ajoute: «Je n'enfreindrai point mon serment, ni ne (375) profanerai mon alliance; je ne démentirai point les paroles qui sortent de ma bouche; j'ai une fois juré par ma sainteté, je ne tromperai point David; sa race durera éternellement; son trône demeurera à jamais devant moi comme le soleil et la lune, et comme l'arc-en-ciel, témoin fidèle de mon alliance Ps 88,34-36».
1710 C'EST DE FAIRE VOIR QUE CES PROMESSES REGARDAIENT UN AUTRE ROYAUME ET UN PLUS GRAND ROI.
Après des assurances si certaines d'une si grande promesse, de peur qu'on ne la crût accomplie en Salomon et qu'on ne l'y cherchât inutilement, le Psalmiste s'écrie: «Pour vous, Seigneur, vous les avez rejetés et anéantis Ps 88,37». Cela est arrivé à l'égard du royaume de Salomon en ses descendants jusqu'à la ruine de la Jérusalem terrestre, qui était le siége de son empire, et à la destruction du temple qu'il avait élevé. Mais, pour qu'on n'aille pas en conclure que Dieu a contrevenu à sa parole, David ajoute aussitôt: «Vous avez différé votre Christ». Ce Christ n'est donc ni David, ni Salomon, puisqu'il est différé. Encore que tous les rois des Juifs fussent appelés christs à cause du chrême dont on les oignait à leur sacre, et que David lui-même donne ce nom à Saül, il n'y avait toutefois qu'un seul Christ véritable, dont tous ceux-là étaient la figure. Et ce Christ était différé pour longtemps, selon l'opinion de ceux qui croyaient que ce devait être David ou Salomon; mais il devait venir en son temps, selon l'ordre de la providence de Dieu. Cependant le psaume nous apprend ensuite ce qui arriva durant ce délai dans la Jérusalem terrestre, où l'on espérait qu'il régnerait: «Vous avez, dit-il, rompu l'alliance que vous aviez faite avec votre serviteur; vous avez profané son temple. Vous avez renversé tous ses boulevards, et ses citadelles n'ont pu le mettre en sûreté. Tous les passants l'ont pillé; il est devenu l'opprobre de ses voisins. Vous avez protégé ceux qui l'opprimaient et donné des sujets de joie à ses ennemis. Vous avez émoussé la pointe de son épée et ne l'avez point aidé dans le combat. Vous avez obscurci l'éclat de sa gloire et brisé son trône. Vous avez abrégé u le temps de son règne, et il est couvert de confusion Ps 88,40-46». Tous ces malheurs sont tombés sur la Jérusalem esclave, où même quelques enfants de la liberté ont régné, quoiqu'ils ne soupirassent qu'après la Jérusalem céleste dont ils étaient sortis et où ils espéraient régner un jour par le moyen du Christ véritable. Mais si l'on veut savoir comment tous ces maux lui sont arrivés, il faut l'apprendre de l'histoire.
Augustin, Cité de Dieu 1705