Chrysostome sur Jean 28
Jn 3,17-21
ANALYSE.
1. Plus la miséricorde du Seigneur est grande, plus seront grands ses châtiments. - Dieu a ouvert les portes de la pénitence à tous les hommes. - Deux avènements de Jésus-Christ.
2. et 3. Celui nui ne croit pas en moi est déjà condamné. - Qui sont ceux gui s'éloignent de Jésus-Christ? - Les grands pécheurs: Les homme obstinés dans leur incrédulité, attachés à leurs dérèglements et à leurs vices. - Pour être chrétien, il faut joindre la bonne vie à la pureté de la doctrine. -- Raison pourquoi les gentils ne peuvent se résoudre d'embrasser la foi. - Les philosophes païens exerçaient la vertu par vaine gloire. - Ceux qui se sont éloignés de Jésus-Christ n'ont nul moyen d'excuse - Pour se bien convertir, il faut se prescrire auparavant une règle pour bien vivre. - Nul gentil n'est exempt de tous vices. - L'amour de la vaine gloire a perdu et perd bien des hommes. - La vaine gloire est le plus dangereux de tous les vices: la fuir; elle détruit tout ce que la vertu peut opérer de bon. - Celui qui l'a en vue, perd tout le fruit de ses bonnes uvres. - Pour acquérir la gloire des hommes et celle qui vient de Dieu, il ne faut désirer et ne rechercher que celle-ci uniquement.
281 1. Beaucoup d'hommes sans vertu, abusant de la clémence de Dieu pour multiplier leurs péchés et croître en paresse, osent tenir ce langage: Il n'y a point d'enfer, il n'y a point de supplice, Dieu remet tous les péchés. Mais un sage leur ferme la bouche par ces paroles «Ne dites pas: La miséricorde du Seigneur est grande, il aura pitié du grand nombre de mes péchés. Car la miséricorde et la colère sont en sa présence, et son indignation s'allumera sur les pécheurs». (Si 5,6-7) Et ailleurs: «Plus sa miséricorde est grande, et plus seront grands ses châtiments». (Si 16,13) Mais que devient, direz-vous, la miséricorde, si nous devons tous recevoir le châtiment en proportion de nos péchés? Le prophète et saint Paul déclarent que nous devons tous recevoir selon nos mérites, écoutez-les; le prophète le dit en ces termes: «Seigneur, vous rendrez à chacun selon ses oeuvres» (Ps 62,13); l'apôtre en ceux-ci: «Dieu rendra à chacun selon ses oeuvres». (Rm 2,6)
Mais néanmoins, que la clémence de Dieu soit grande, le partage qu'il a fait de notre vie en deux, l'une pour les combats, l'autre pour les couronnes, le démontre et ne permet pas d'en douter; car en cela même il fait éclater sa grande miséricorde. Comment? Parce que, ayant commis un nombre infini de péchés, et que n'ayant point cessé depuis l'enfance jusqu'à l'extrême vieillesse de souiller notre âme de crimes, nous ne sommes point punis de tant de fautes, et qu'il nous accorde le pardon par le baptême de la régénération, en nous donnant la justice, la pureté et la sainteté. Mais, direz-vous, si celui qui a reçu la grâce du baptême dès son enfance, tombe ensuite dans mille péchés? S'il y tombe, il est certainement plus coupable, et aussi mérite-t-il un plus grand châtiment: si, après le baptême, nous nous laissons aller à toutes sortes d'excès et de crimes, les péchés que nous commettons alors seront beaucoup plus sévèrement punis que ceux que nous avons commis auparavant, quoique les uns et les autres soient de la même espèce et de la même qualité. Saint Paul le déclare et en donne la raison par ces paroles: «Celui», dit-il, «qui a violé la loi de Moïse, est condamné à mort sans miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins. Combien donc, croyez-vous, que méritera de plus grands supplices celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, qui [230] aura tenu pour une chose vile et profane le sang de l'alliance, par lequel il avait été sanctifié, et qui aura fait outrage à l'esprit de la grâce». (He 10,28-29) Cet homme sera donc digne d'un plus grand supplice mais cependant Dieu lui a ouvert les portes de la pénitence, et lui a fourni plusieurs moyens de laver ses péchés, s'il veut s'en servir et en profiter.
Considérez, je vous prie, mes frères, combien le Seigneur nous a donné de témoignages et de preuves de sa clémence. Premièrement, par la grâce du baptême, il nous a remis tous nos péchés; et en second lieu, après même une si grande grâce, il ne punit pas encore le pécheur qui s'est rendu digne du supplice, mais il lui laisse le temps de se corriger et de faire pénitence. C'est pourquoi Jésus-Christ dit à Nicodème: «Dieu n'a pas envoyé son Fils «dans le monde pour juger le monde, mais pour sauver le monde». (Jn 3,17) Car il y a deux avènements de Jésus-Christ: l'un est déjà arrivé, l'autre doit arriver; mais ils ne sont pas tous les deux pour la même cause et la même fin: Jésus-Christ est venu d'abord, non pour juger nos péchés, mais pour les remettre; la seconde fois, il viendra, non pour les remettre, mais pour les juger. Voilà pourquoi le divin Sauveur dit du premier avènement: «Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde». Mais du second, il dit: «Quand le Fils viendra dans la gloire de son Père, il mettra les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche; et alors celles-là iront dans la vie éternelle, et ceux-ci dans le supplice éternel». (Mt 25,3)
Mais toutefois le premier avènement était aussi pour juger, quant à ce que demande la justice. Pourquoi? Parce que, avant son avènement, il y avait une loi naturelle, des prophètes, et de plus la loi écrite, la doctrine, des instructions, des promesses, des miracles, des supplices, et plusieurs autres choses qui pouvaient corriger les hommes et les retenir dans leur devoir. Demander compte de toutes ces choses, eût été dans l'ordre. Mais comme Jésus-Christ est clément, il n'a point, jugé, il n'a pas fait rendre compte, et il a tout pardonné. S'il eût fait rendre compte, s'il eût jugé, tous les hommes auraient péri. «Car tous ont péché», dit l'Écriture, «et ont besoin de la gloire de Dieu». (Rm 3,23) Ne voyez-vous pas son immense miséricorde?
«Celui qui croit dans le Fils n'est pas condamné; mais celui qui ne croit pas est déjà condamné (Jn 3,18)». Mais si Jésus-Christ n'est pas venu alors pour juger le monde, comment celui qui ne croit pas est-il déjà condamné, puisque le temps du jugement n'est point encore arrivé? Jésus-Christ dit cela, ou parce que l'incrédulité qui n'est pas suivie de la pénitence est elle-même un supplice; car être hors de la lumière, c'est en soi un grand supplice: ou pour prédire ce qui arrivera. En effet, comme un homicide est déjà condamné par la nature de son crime, quoiqu'il ne le soit pas encore par la sentence du juge, il en est de même pour l'incrédulité, puisqu'Adam est mort le jour qu'il a mangé du fruit de l'arbre défendu, son arrêt de mort lui ayant été ainsi prononcé: «Au même temps que vous aurez mangé du fruit de cet arbre, vous mourrez». (Gn 2,17) Néanmoins il vivait: comment donc était-il mort? Il était mort par la sentence même, et par la nature de son action: celui qui s'est rendu coupable d'un crime qui mérite le supplice est dès lors sous le coup du supplice, sinon réellement, du moins par la sentence qu'a prononcée la loi.
Mais, de peur qu'en entendant ces paroles: «Je ne suis pas venu pour juger le monde», quelqu'un ne s'imaginât pouvoir impunément pécher, et ne devînt plus négligent et plus paresseux, Jésus-Christ ôte ce vain prétexte à la négligence, en disant: «Il est déjà condamné». Comme le temps du jugement futur n'était point encore arrivé, Jésus-Christ fait intervenir l'image et la crainte du supplice. Certes, voilà un témoignage d'une grande bonté. Non-seulement Dieu donne son Fils, mais encore il diffère le temps du supplice, afin que les pécheurs et les incrédules puissent laver leurs péchés.
«Celui qui croit en Jésus-Christ n'est pas condamné». Celui qui croit, non celui qui examine curieusement, celui qui croit, non celui qui raisonne. Mais si sa vie est impure et se oeuvres mauvaises? D'abord, des hommes de cette espèce, saint Paul dit qu'ils ne sont pas véritablement fidèles: «Qu'ils font profession de connaître Dieu; mais qu'ils le renoncent par leurs oeuvres». (Tt 1,16) Au reste, ce divin Sauveur déclare ici que ce n'est pas sur ce point qu'ils seront jugés; qu'ils seront condamnés et plus sévèrement punis pour leurs [231] oeuvres; mais, qu'ayant cru, ils ne seront pas punis comme infidèles.
282 2. Ne voyez-vous pas, mes frères, que Jésus-Christ, qui a commencé son discours par des choses étonnantes et terribles, y revient encore ici. Au commencement il avait dit: «Si un homme ne naît de l'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu»; il dit maintenant: «Celui qui ne croit pas en moi est déjà condamné»; c'est-à-dire, ne croyez pas que le retardement du supplice soit favorable au pécheur, s'il ne change de vie: car il n'y aura point de différence entre celui qui n'aura pas cru, et ceux qui sont déjà condamnés et punis.
«Et le sujet de cette condamnation est que la lumière est venue dans le monde, et que les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière (Jn 3,19)»; c'est-à-dire, ils sont punis, parce qu'ils n'ont pas voulu sortir des ténèbres et accourir à la lumière: par ces paroles il leur ôte toute excuse. Si j'étais venu, dit-il, pour leur faire rendre compte et les punir, ils pourraient dire: c'est pour cela même que nous nous sommes éloignés de vous. Mais je suis venu pour les tirer des ténèbres et les amener vers la lumière. Qui donc aura pitié d'un homme qui refuse de passer des ténèbres à la lumière? En effet, dit-il, ils n'ont aucun reproche à nous faire, ils ont reçu de nous mille bienfaits, et ils nous fuient, et ils s'éloignent de nous. Jésus-Christ, les accusant encore de cette même conduite, disait: «Ils m'ont haï sans aucun sujet» (Ps 35,19); et ailleurs: «Si je n'étais pas venu, et que je ne leur eusse point parlé, ils n'auraient point le péché» (Jn 15,22) qu'ils ont: car celui qui, en l'absence de la lumière, reste dans les ténèbres, est en quelque sorte digne d'excuse et de pardon; mais celui qui, après que la lumière est venue, se tient dans les ténèbres, montre visiblement sa mauvaise volonté et son obstination. Et comme il devait paraître incroyable à plusieurs qu'il y eût des hommes capables de préférer les ténèbres à la lumière contre le sentiment général, l'évangéliste nous découvre la raison de cette méchante disposition. Quelle est-elle? C'est, dit-il, «parce que leurs oeuvres étaient mauvaises. Car quiconque fait le mal hait la lumière et ne s'approche point de la lumière, de peur que ses oeuvres ne soient condamnées (Jn 3,20)». Et cependant Jésus-Christ n'est pas venu pour juger ni pour demander compte, mais pour remettre et pardonner les péchés, et pour sauver par la foi.
Pourquoi se sont-ils donc éloignés? Si Jésus-Christ s'était assis dans son tribunal pour les juger, ils auraient eu une espèce d'excuse: celui qui se sent coupable de crimes, fuit ordinairement son juge; mais si le juge accorde le pardon, tous les criminels s'approchent de lui. Puis donc que Jésus-Christ est venu pardonner les péchés, ceux qui se sentaient le plus coupables étaient aussi ceux qui devaient accourir à lui avec le plus d'empressement; plusieurs même l'ont fait: car les publicains et les pécheurs venant trouver Jésus, mangeaient avec lui. De qui veut donc parler Jésus-Christ? De ceux qui avaient tout à fait résolu de persévérer dans leur méchanceté. En effet, il est venu pour remettre les péchés passés et pour affermir et fortifier ceux qui prenaient la résolution de ne plus pécher à l'avenir; mais comme il y a des hommes assez mous et assez lâches, quand il s'agit de la vertu et des peines qu'elle exige, pour persister obstinément dans leurs péchés jusqu'au dernier souffle de vie, ce sont ceux-là qu'il veut censurer ici.
Le christianisme demande à ses disciples qu'ils joignent la bonne vie à la pureté de la doctrine. Ces gens craignent de nous approcher, dit Jésus, parce qu'ils ne veulent pas vivre dans la pureté et dans la sainteté. Personne ne reprend ceux qui vivent dans l'erreur des gentils, à cause de leurs excès: ceux qui adorent les dieux du paganisme, et célèbrent des fêtes aussi infâmes, aussi ridicules que le sont leurs dieux mêmes, ont une conduite digne de la doctrine qu'ils professent; mais ceux qui adorent Dieu, s'ils sont des lâches, s'ils vivent mal, il n'est personne qui ne leur adresse des réprimandes et des reproches: tant la vérité est en admiration, même parmi ses ennemis.
Considérez donc, mes frères, avec quelle exactitude et quelle précision Jésus-Christ parle: il ne dit pas: celui qui fait le mal ne s'approche point de la lumière, mais celui qui persévère dans le mal; en d'autres termes, celui qui se plaît à se vautrer toujours dans la boue du péché, ne veut point se soumettre à mes lois: il se tient à l'écart, pour se livrer librement à la volupté et faire toutes les autre choses que je défends; S'il s'approchait de [232] moi, il serait comme un voleur que la lumière découvre aussitôt. Voilà pourquoi il fuit mon empire. Et véritablement nous entendons dire à bien des gentils, que la raison pour laquelle ils ne peuvent se résoudre à embrasser notre religion, c'est qu'ils ne sauraient s'abstenir de l'ivrognerie, de la fornication et d'autres vices semblables.
Quoi donc! direz-vous, est-ce qu'il n'y a pas des chrétiens dont la vie n'est pas meilleure que celle des païens? est-ce qu'il n'y a pas des païens qui vivent philosophiquement? Qu'il y ait des chrétiens qui font le mal, je le sais aussi bien que vous; mais qu'il y ait des gentils qui fassent le bien, c'est ce qui n'est pas également venu à ma connaissance. Et ne me parlez pas de ceux qui sont naturellement modérés, modestes et ornés de belles qualités; car ce n'est point là en quoi consiste la vertu mais parlez-moi de ceux qui, étant violemment agités par les passions, vivent néanmoins philosophiquement. Certes, vous ne m'en trouverez point. En effet, si la promesse d'un royaume, si la menace d'un enfer et bien d'autres semblables vérités, peuvent à peine retenir les hommes dans l'exercice de la vertu; combien plus difficilement la pratiqueront-ils, ceux qui ne croient rien de tout cela? Que si quelques-uns contrefont la vertu, c'est par un esprit de vanité: or, ceux qui se contrefont ainsi, et qui exercent la vertu par vaine gloire, ne s'abstiendront pas, s'ils espèrent échapper aux regards, de satisfaire leurs mauvaises inclinations. Mais, toutefois, afin qu'on ne pense pas de nous que nous aimons à contester, nous vous accordons que parmi les gentils il s'en rencontre quelques-uns qui vivent bien; car cela ne détruit nullement ce que nous avons avancé, puisque nous n'avons entendu parler que de ce qui arrive communément, et non pas de ce qui peut se rencontrer quelquefois.
283 3. Considérez encore que Jésus-Christ leur ôte d'ailleurs tout prétexte et toute excuse, en disant que la lumière est venue dans le monde: l'ont-ils cherchée, dit-il, cette lumière? Se sont-ils donné quelque peine, quelque mouvement pour la trouver? La lumière s'est elle-même présentée à eux, et ils n'ont pas même fait un pas vers elle. Mais comme ils peuvent alléguer la mauvaise vie de quelques chrétiens et s'en faire une excuse, nous leur répondrons qu'il n'est pas ici question de ceux qui sont nés chrétiens et qui ont reçu de leurs pères la véritable religion, quoique le plus souvent leur mauvaise vie finisse par les écarter de la vraie foi. Néanmoins je ne crois pas que ce soit d'eux que parle maintenant Jésus-Christ, je pense au contraire qu'il a en vue ces gentils ou ces Juifs qui auraient dû se convertir et embrasser la vraie foi. Car il fait voir qu'aucun de ceux qui vivent dans l'infidélité, ne peut approcher de la foi, qu'il ne se soit auparavant prescrit une règle de bonne vie, et que personne ne demeurera dans l'incrédulité, si auparavant il n'a résolu de persévérer dans le mal. Ne me dites pas: cet homme est chaste, il ne vole pas le bien d'autrui, parce que ce n'est point en ces choses seulement que consiste la vertu. En effet, de quoi lui servira-t-il d'être chaste, de ne point voler, si d'ailleurs il est passionné pour la vaine gloire, ou si, par complaisance pour ses amis, il demeure dans l'infidélité? ce n'est pas là bien vivre. L'esclave de la gloire ne pèche pas moins que le fornicateur, ou plutôt il commet beaucoup plus de péchés et de beaucoup plus grands.
Mais faites-moi connaître quelqu'un qui soit exempt de tous vices et de tous péchés et qui néanmoins reste païen: je vous en défie: jamais vous ne m'en pourrez trouver un seul. Ceux d'entr'eux qui ont le plus brillé et qu'on dit avoir méprisé les richesses et la bonne chère, ont été, plus que les autres, esclaves de la gloire, qui est la source de toutes sortes de maux. Voilà par où les Juifs ont persévéré dans leur malice et dans leur méchanceté, et c'est aussi la raison pour laquelle Jésus-Christ leur fait ce reproche: «Comment pouvez-vous croire, vous qui recherchez la gloire qui vient des hommes?» (Jn 5,44) Mais pourquoi n'a-t-il point parlé de cela à Nathanaël, à qui il enseignait la vérité, et ne lui a-t-il pas tenu de longs discours? c'est parce que l'âme de celui-ci n'était point infectée de cette passion, et qu'il était venu le trouver avec un coeur simple, disposé à faire ce qu'il lui ordonnerait: et qu'il employait, à écouter sa doctrine et ses instructions, le temps que les autres donnent au repos et au sommeil. A la vérité il était venu trouver Jésus à la sollicitation de Philippe; cependant le divin Sauveur ne le rebuta pas; en effet, c'est à lui qu'il dit: «Vous verrez un jour les cieux ouverts, et les anges de Dieu monter et descendre», [233] (Jn 1,51) Mais à Nicodème il ne dit rien de cela, il l'entretient de l'incarnation et de la vie éternelle, parlant diversement à chacun selon les dispositions de son coeur: Nathanaël, qui entendait les prophètes, et qui n'était pas si craintif, dut se tenir pour content de ce qu'il lui dit; quant à Nicodème qui était encore timide et craintif, il ne lui révèle pas tout sur-le-champ, mais il ébranle son âme pour chasser la crainte par la crainte; il lui fait entendre que celui qui ne croit pas est déjà condamné; que ne pas croire, c'est l'effet d'une mauvaise volonté. Et comme il tenait grand compte de la gloire humaine et même plus que des supplices, car, dit l'Ecriture, «Plusieurs des sénateurs crurent en lui, mais à cause des Juifs ils n'osaient le reconnaître publiquement» (Jn 2,42), il en tire un argument propre à le toucher, et, par ses paroles, lui fait connaître qu'on ne peut avoir d'autre raison de ne pas croire en lui que de mener une vie déréglée et impie. Il est à remarquer que dans la suite Jésus-Christ dit «Je suis la lumière du monde» (Jn 8,12), et qu'ici il dit seulement: «La lumière est venue dans le monde». (Jn 3,19) La raison en est qu'au commencement il parlait d'une manière obscure, dans la suite il s'exprime plus clairement. Mais de plus la crainte de l'opinion publique retenait cet homme et l'intimidait. Voilà pourquoi Jésus-Christ ne lui parle qu'avec réserve.
Fuyons donc la vaine gloire: elle est le plus fort et le plus dangereux de tous les vices, c'est d'elle que naissent l'avarice et l'amour des richesses; c'est elle qui enfante les haines, les guerres, les différends. Car celui qui désire d'avoir plus qu'il n'a ne peut jamais se fixer ni demeurer en repos; et l'on n'ambitionne toutes les autres choses que parce qu'on aime la vaine gloire. Pourquoi, je vous prie, cette troupe d'eunuques, cette foule d'esclaves et de serviteurs; pourquoi tout cet étalage, une si grande pompe, un si grand faste? Est-ce pour autre chose que pour s'attirer plus de spectateurs et de témoins de sa folle magnificence? Si donc nous extirpons la vanité en arrachant la racine du mal, nous en emporterons aussi les branches, et rien n'empêchera que nous ne vivions sur la terre comme si déjà nous étions dans le ciel. L'amour de l'ostentation n'entraîne pas seulement au mal ceux qu'il possède; il s'insinue et se glisse encore adroitement jusque dans la vertu, et s'il n'est pas assez fort pour nous en éloigner, il nous persécute jusque dans son sein en nous imposant des labeurs que rien ne vient rémunérer. Car celui qui a en vue la vaine gloire, soit qu'il jeûne, soit qu'il prie, soit qu'il fasse l'aumône, en perd toute la récompense. Se macérer en vain, s'exposer aux ris et à la moquerie des hommes, et perdre la gloire céleste, la récompense du ciel, est-il rien de plus misérable, est-il une perte qui soit comparable à celle-là? On ne peut acquérir ensemble et la gloire humaine et la gloire du ciel, quand on les recherche toutes deux. Car autrement nous pouvons obtenir l'une et l'autre. Ne les désirons pas toutes les deux, mais ne recherchons que la gloire du ciel; si nous les aimons l'une et l'autre, nous ne les obtiendrons pas à la fois, cela est impossible; c'est pourquoi, si nous voulons acquérir la gloire, fuyons la gloire du monde, désirons, recherchons celle qui vient de Dieu seul; de cette sorte nous obtiendrons et la gloire présente et la gloire future. Fasse le ciel que nous jouissions de celle-ci, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui la gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles! Ainsi soit-il.
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29Jn 3,22-30
ANALYSE.
1. Rien n'est plus grand que la vérité, rien n'est plus bas que le mensonge. - Pourquoi Jésus-Christ ne baptisait pas, mais seulement ses disciples.
2. Les disciples de Jean portaient envie à ceux de Jésus-Christ.
3. Comment l'Eglise devient l'épouse de Jésus-Christ. - Maux et pertes que cause la vaine gloire: elle renverse les villes et les déserts. - Comment on peut se délivrer de ce vice et le vaincre. - La gloire de ce monde est vaine et fausse: la gloire du ciel est seule réelle et véritable: y élever ses yeux, vrai moyen de mépriser tout ce qui est ici-bas, et toute la gloire des hommes.
1. Rien n'est plus illustre, rien n'est plus fort et plus puissant que la vérité, comme aussi rien n'est plus bas, rien n'est plus faible que le mensonge: il a beau se déguiser, facilement on le démasque, facilement on le dissipe. La vérité, au contraire, se montre à nu à tous ceux qui veulent contempler sa beauté; elle ne cherche pas à se cacher, elle ne craint point le péril ni les piéges, elle n'ambitionne pas les hommages de la multitude. Rien d'humain n'a d'empire sur elle; mais, supérieure à tous les piéges qu'on lui tend, elle les voit sans s'ébranler; ceux qui se réfugient dans son sein y trouvent un asile assuré, ils y sont gardés comme dans une forteresse imprenable; telle est la grandeur de sa puissance; les coups cachés qu'on lui porte, elle les détourne; mais ses oeuvres, elle les expose aux yeux de tout le monde; c'est ce que Jésus-Christ déclare à Pilate en lui répondant: «J'ai parlé publiquement à tout le monde, et je n'ai rien dit en secret». (Jn 18,20)
Ce que le divin Sauveur dit alors, maintenant il le fait: «Après cela», dit l'évangéliste, «Jésus étant venu en Judée, suivi de ses disciples, il y demeurait avec eux et y baptisait». Aux jours de fêtes solennelles, Jésus allait à Jérusalem pour enseigner publiquement sa doctrine à ceux qui s'y assemblaient, et afin que tous profitassent de ses miracles. Mais quand la fête était passée, il s'en allait souvent auprès du Jourdain, parce qu'une multitude de peuple y accourait; car il se rendait toujours aux lieux les plus fréquentés, non par vanité ou par ambition, mais pour faire du bien à plus de monde. D'ailleurs, l'évangéliste dit dans la suite que ce n'était pas Jésus qui baptisait, mais ses disciples (Jn 4,2); il est donc évident qu'il faut entendre la même chose ici, à savoir que les disciples baptisaient seuls.
Mais pourquoi, direz-vous, Jésus-Christ ne baptisait-il pas? Longtemps auparavant Jean-Baptiste avait dit: «C'est lui qui vous baptisera dans le Saint-Esprit et dans le feu», (Mt 3,11) Or il n'avait pas encore donné le Saint-Esprit; c'est donc pour une bonne raison qu'il ne baptisait pas, mais seulement ses disciples baptisaient parce qu'ils voulaient engager beaucoup de monde à venir écouter la prédication et la doctrine du salut. Et pourquoi les disciples de Jésus baptisant, Jean-Baptiste ne cessa-t-il point de baptiser jusqu'à ce qu'il fût mis en prison? Car quand l'évangéliste dit: «Jean baptisait à Ennon», il y ajoute: «Alors Jean n'avait pas encore été mis en prison» (Jn 3,23-24); il montre donc que Jean-Baptiste n'avait pas encore censé de baptiser. Et encore pourquoi a-t-il baptisé jusqu'à ce temps? Cependant, il aurait fait connaître que [235] les disciples de Jésus étaient. plus dignes de baptiser que lui, si, lorsqu'ils commencèrent, il eût lui-même cessé. Pour quelle raison donc baptisait-il? Ce fut pour ne leur pas attirer plus d'envie et de plis grandes disputes. En effet, si, publiant souvent ce qu'était Jésus-Christ, lui cédant la première place et se déclarant inférieur à lui, il ne persuada pas pour cela les Juifs que c'était à lui qu'ils devaient aller; s'il eût, dis-je, cessé de baptiser, il les aurait encore plus émus et les aurait rendus plus opiniâtres. Voilà pourquoi Jésus-Christ commença principalement à prêcher après la mort de Jean-Baptiste. Au reste, je crois qu'il ne vécut pas longtemps, afin que les esprits de cette multitude se réunissent et se tournassent tous vers Jésus-Christ, et qu'ils ne fussent plus partagés entre l'un et l'autre. De plus, Jean-Baptiste, pendant qu'il baptisait, ne cessait point de les exhorter à aller trouver Jésus-Christ et de leur rendre de grands témoignages de lui. D'ailleurs il baptisait au nom de celui qui devait venir après lui, afin qu'ils crussent en lui. Si donc celui qui prêchait ainsi Jésus-Christ eût discontinué de baptiser, comment aurait-il fait connaître l'excellence et la supériorité des disciples de Jésus? N'aurait-on pas cru, au contraire, que c'était par jalousie ou par dépit qu'il ne baptisait plus? Mais en continuant il confirme et fortifie ce qu'il a dit. Car il ne cherchait pas à s'acquérir de la gloire, mais il envoyait ses auditeurs à Jésus-Christ. Et il ne le servait pas moins que les disciples, ou plutôt encore plus, attendu que son témoignage était moins suspect et que sa réputation l'emportait dans l'esprit de tout le monde sur celle des disciples. L'évangéliste voulant nous le faire entendre, disait: «Toute la Judée et tout le pays des environs du Jourdain allaient le trouver, et ils étaient baptisés par lui». (Mt 3,5) Quoique les disciples de Jésus baptisassent, le peuple ne cessait pas d'accourir en foule à Jean-Baptiste.
Que si quelqu'un demande en quoi le baptême des disciples était supérieur à celui de Jean, nous répondrons en rien, car l'un et l'autre était dénué de la grâce du Saint-Esprit, et les uns et les autres n'avaient tous qu'un seul et même motif: c'était d'envoyer à Jésus-Christ ceux qu'ils baptisaient. En effet, afin de n'être pas obligés de courir de toutes parts, pour chercher et assembler ceux qui devaient croire en Jésus-Christ, comme André qui avait amené Simon, et Philippe Nathanaël, ils résolurent et convinrent de baptiser, afin que par le baptême ils pussent sans peine et sans travail les attirer à Jésus-Christ, et préparer le chemin à la foi qu'il devait prêcher; mais que ces baptêmes n'eussent aucun avantage l'un sur l'autre, les paroles qui suivent le font voir.
Quelles sont ces paroles? «Il s'excita une dispute entre les disciples de Jean, et un Juif (1), touchant la purification (2) (Jn 3,25)». Et cela n'est pas surprenant, puisque les disciples de Jean portaient continuellement envie aux disciples de Jésus-Christ, ou plutôt à Jésus-Christ même: lorsqu'ils les virent baptiser, ils commencèrent dès lors à parler à ceux qu'ils baptisaient pour leur insinuer que leur baptême, à eux, avait une supériorité sur celui des disciples de Jésus-Christ, et s'étant approchés de quelqu'un de ceux qui venaient d'être baptisés, ils tâchèrent de le lui persuader et ne le purent pas: mais l'évangéliste fait clairement entendre que ce sont les disciples de Jean, et non pas ce Juif, qui ont excité cette dispute: car il ne dit pas qu'un certain Juif leur avait demandé leur avis; mais il dit que la question touchant la purification d'où vint la dispute, fut agitée par les disciples de Jean avec un Juif.
1. «Un Juif», saint Chrysostome dit: meta ioudaiou, et plusieurs exemplaires lisent de même. Notre Vulgate dit: «Les Juifs». Au reste, il est facile de concilier cette petite différence; parce qu'il est assez vraisemblable que la contestation ayant d'abord été commencée par un Juif qui avait reçu le baptême de Jésus-Christ, passa aux autres et devint générale.
2. «La Purification», autrement «le Baptême», qui est appelé «Purification», parce que les Juifs le mettent au nombre des purifications légales, On peut aussi appeler le baptême «purification»parce que le propre effet du baptême est de purifier.
2. Faites attention, je vous prie, mes frères, à la douceur et à la retenue de l'évangéliste. Il ne prend point de parti, il ne s'emporte ni contre les uns, ni contre les autres; mais autant qu'il le peut, il diminue la faute, disant seulement qu'il s'éleva une dispute. Toutefois, la suite fait bien voir que c'est par jalousie que ces disciples avaient excité la dispute; mais il le rapporte encore avec bien de la modération, car il dit: «Ils vinrent trouver Jean, et lui dirent: Maître, celui-là qui était avec «vous au delà du Jourdain, auquel vous avez «rendu témoignage, baptise maintenant et tous vont à lui (Jn 3,26)». C'est-à-dire celui que vous avez baptisé; car c'est ce que signifie ce mot: a Celui auquel vous avez rendu 236 témoignage»; en d'autres termes: celui que vous avez illustré, et que vous avez rendu célèbre, ose imiter ce que vous faites: ils n'eurent garde de dire: celui que vous avez baptisé ils auraient été forcés de faire mention de cette voix qui s'était fait entendre d'en-haut et aussi de la descente du Saint-Esprit: mais que disent-ils? «Celui qui était avec vous au «delà du Jourdain, auquel vous avez rendu «témoignage». C'est-à-dire: celui qui était au nombre de vos disciples, qui n'avait rien de plus que nous, s'est séparé de nous et baptise. Mais ce n'est pas seulement par là qu'ils croyaient pouvoir l'animer contre Jésus, c'est encore en lui insinuant que son baptême serait à l'avenir moins illustre et moins célèbre car, ajoutent-ils, «tous vont à lui». D'où il paraît visiblement qu'ils ne purent même pas amener à leur sentiment le Juif avec qui ils avaient disputé. Ils parlaient ainsi, parce qu'ils étaient incomplètement instruits et encore sensibles à l'ambition.
Que fit donc Jean-Baptiste? il ne les reprit pas durement, de crainte qu'en le quittant ils ne se portassent à quelque mauvaise action. Mais que leur dit-il? «L'homme ne peut rien recevoir, s'il ne lui a été donné du ciel (27)». Que s'il parle de Jésus-Christ dans des termes trop bas, ne vous en étonnez pas; il ne pouvait pas tout d'un coup instruire des hommes si prévenus, et qui étaient dans de si mauvaises dispositions. Mais cependant il tâche de les effrayer, et de leur faire connaître que, de combattre contre. Jésus, c'était combattre ainsi contre Dieu même. Gamaliel fit la même réponse: «Vous ne pourrez détruire cette oeuvre, et vous seriez en danger de combattre contre Dieu même». (Ac 5,39) L'évangéliste établit la même vérité d'une manière un peu enveloppée. Il fait répondre à ces disciples: «L'homme ne peut rien recevoir, s'il ne lui a été donné, du ciel.» C'est-à-dire, vous tentez l'impossible, et en agissant de la sorte, vous vous mettez en danger de combattre contre Dieu même. Quoi donc? Théodas (Ac 5,36) n'agissait-il pas par lui-même? J'en conviens: il agissait véritablement par lui-même; mais à peine parut-il, qu'il fut anéanti et toute son oeuvre avec lui. Mais il n'en est pas ainsi de l'oeuvre de Jésus-Christ. Par là, Jean apaise insensiblement ses disciples, en leur faisant voir que ce Jésus, à qui ils osaient s'opposer, n'est pas un homme, mais un Dieu qui les surpasse en dignité, et en gloire. Qu'ainsi, si ses oeuvres brillaient et éclataient, si tous allaient à lui, il ne fallait pas s'en étonner, car telles sont les oeuvres de Dieu: que celui qui faisait de si grandes choses était un Dieu, autrement ses oeuvres n'auraient pas eu tant de force ni tant de vertu. Qu'au reste, les oeuvres des hommes se découvrent et se détruisent facilement; or, il n'en est pas de mémé pour celles-ci: elles ne sont donc pas des oeuvres humaines. Et remarquez comment il tourne contre eux-mêmes ces paroles: «Celui à qui vous avez rendu témoignage», par où ils croyaient l'exciter à perdre Jésus-Christ. Car après leur avoir montré que ce n'était pas par son témoignage que Jésus-Christ était devenu illustre, il leur ferme la bouche en disant: «L'homme ne «peut rien recevoir de soi-même, s'il ne lui a été donné du ciel».
Que veut dire cela? Si vous admettez mon témoignage, et si vous le croyez véritable, apprenez de même, que ce n'est pas moi que vous devez mettre au-dessus de lui, mais lui que vous devez regarder comme au-dessus de moi. Quel est en effet le témoignage que j'ai porté? Je vous en prends à témoin: Voilà pourquoi il ajoute: «Vous me rendez vous-mêmes témoignage que j'ai dit: Je ne suis point le Christ, mais: J'ai été envoyé devant lui (28)». Si donc c'est à cause du témoignage que je lui ai rendu, que vous venez me dire: «Celui à qui vous avez rendu témoignage»; qu'il vous en souvienne donc de mon témoignage, et vous reconnaîtrez que non-seulement il ne l'a point abaissé, mais encore qu'il l'a beaucoup relevé. Mais d'ailleurs ce témoignage ne venait point de moi, il vient de Dieu même, qui le lui a rendu par ma bouche. C'est pourquoi si je vous parais digne de foi, rappelez-vous qu'entre plusieurs autres choses que j'ai dites, j'ai dit aussi que «j'ai été envoyé devant lui».
Ne voyez-vous pas que Jean-Baptiste fait insensiblement connaître que cette parole est divine? Car voici ce qu'il veut dire: Je suis un ministre, et je dis ce que n,'â ordonné de dire celui qui m'a envoyé; je ne cherche pas à plaire aux hommes, mais je remplis le ministère que m'a confié son Père en m'envoyant; ce n'est ni par faveur, ni par complaisance que j'ai rendu ce témoignage; j'ai dit ce que j'avais mission de dire. Ne croyez donc pas que je [237] sois pour cela quelque chose de grand; ma mission, mes paroles, tout ne tend qu'à faire connaître sa grandeur et son excellence. Car il est le Seigneur et le maître de toutes choses; ce qu'il déclare encore par les paroles qu'il ajoute: «L'époux est celui à qui est l'épouse; mais l'ami de l'époux qui se tient debout, et qui l'écoute, est ravi de joie d'entendre la voix de l'époux (Jn 3,29)». C'est pourquoi celui qui a dit: «Je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers», se dit maintenant son ami, non pour s'élever et se donner des louanges, mais pour montrer combien il a à coeur les intérêts de Jésus-Christ; que ce qui se passe ne se fait point malgré lui, ni contre sa volonté, mais à son grand contentement; et qu'il n'a rien dit, qu'il n'a rien fait qui ne tendît à cette unique fin; voilà ce qu'il fait très-prudemment connaître par le nom d'ami. En effet, dans les mariages les serviteurs de l'époux n'ont ni tant de joie, ni tant de plaisir que ses amis. Jean-Baptiste ne se dit donc pas égal en dignité à l'époux, à Dieu ne plaise 1 mais il se dit son ami, pour marquer l'excès de sa joie et pour se mettre à la portée de ses disciples. Il a déjà fait entendre qu'il n'est qu'un envoyé, qu'un ministre, en se disant envoyé devant lui. C'est pourquoi il se dit l'ami de l'époux, et aussi parce qu'il voyait ses disciples souffrir de ce qu'on allait à Jésus-Christ; par là il leur fait voir que non-seulement cela ne lui fait aucune peine, mais encore qu'il s'en réjouit extrêmement.
Puis donc que je suis venu, dit-il, pour travailler et contribuer à ce grand ouvrage, bien loin de m'attrister que tous aillent à Jésus-Christ, j'aurais au contraire une douleur extrême, s'il en était autrement. Si l'épouse n'allait pas trouver son époux, c'est alors que je m'affligerais; mais non maintenant que je vois réussir nus efforts. Son oeuvre s'accomplit, c'est un sujet de gloire; pour nous ce que nous désirions avec tant d'ardeur se réalise; l'épouse connaît son époux. Et vous-mêmes, vous m'en rendez témoignage, quand vous me dites: «Tous vont à lui». Voilà ce que je voulais, et c'est pour cela que j'ai tout fait: aussi, témoin de cet heureux succès, je m'en réjouis, je tressaille, je bondis d'allégresse.
3. Mais que signifient ces paroles: «L'ami de l'époux qui se tient debout, et l'écoute, est ravi de joie» d'entendre «la voix de l'époux?» Jean-Baptiste se sert ici d'une parabole pour arriver à son sujet. Car en parlant d'époux et d'épouse, il montre comment se font les fiançailles, à savoir: par la parole et par la doctrine; c'est ainsi que l'Église est fiancée à Dieu. C'est pourquoi saint Paul disait: «La foi vient de ce qu'on a ouï, et on a ouï parce que la parole de Jésus-Christ» (Rm 10,17) a été prêchée. Cette parole me ravit de joie. Mais à l'égard de ce mot: «Qui se tient debout», ce n'est pas sans intention qu'il s'exprime ainsi, mais pour montrer que son ministère est fini, qu'il faut maintenant qu'il se tienne debout et qu'il écoute après avoir remis l'épouse à son époux: qu'il est le ministre et le serviteur de l'époux, que ses bonnes espérances, que ses voeux sont comblés; voilà pourquoi il continue ainsi: «Je me vois donc dans l'accomplissement de cette joie»; c'est-à-dire, j'ai accompli mon oeuvre, nous n'avons plus rien à faire. Ensuite, il retient, il renferme dans son coeur la vive douleur qui le presse, en considérant, non-seulement les maux présents, mais ceux aussi qui doivent arriver encore. Il en prédit quelque chose et le confirme et par ses paroles, et par ses oeuvres, en disant: «Il faut qu'il croisse et que je diminue»; c'est-à-dire, mon ministère est fini, je dois me retirer et disparaître; mais pour lui, son temps est arrivé, il doit s'avancer et s'élever; c'est pourquoi, ce que vous craignez, non-seulement va arriver présentement, mais encore s'accroîtra de plus en plus. Et voilà même ce qui illustre le plus notre ministère, et ce qui en fait toute la gloire; c'est pour cela que j'ai été son précurseur, et je suis ravi de joie de voir que l'oeuvre de Jésus-Christ ait un si grand et si heureux succès, et que le but vers lequel ont tendu tous nos efforts, soit désormais atteint.
Ne voyez-vous pas, mes chers frères, avec quelle patience et quelle sagesse Jean-Baptiste apaise la douleur de ses disciples, étouffe leur jalousie et leur fait connaître que s'opposer à l'accroissement de Jésus-Christ, c'est tenter l'impossible? remède propre, entre tous, à guérir leurs mauvaises intentions. Car si la divine Providence a permis que toutes ces choses arrivassent du vivant de ce saint précurseur, et lorsqu'il baptisait encore, c'est afin qu'il rendît témoignage de la supériorité du Sauveur, et que ses disciples fussent sans excuse, s'ils s'obstinaient à ne pas croire en Jésus-Christ. En effet, ce ne fut pas de [238] lui-même qu'il se porta à rendre ces témoignages, ni pour satisfaire la curiosité d'autres personnes; ce fut pour répondre aux demandes de ses disciples, qui seuls l'interrogeaient et entendaient ses réponses. Car, s'il eût parlé de son propre mouvement, ils n'auraient pas cru si facilement, qu'en apprenant ce qu'il pensait, et par la réfutation de leurs objections, et par la réponse à leurs demandes. Ainsi les Juifs, qui lui avaient envoyé des gens, pour l'interroger et savoir son sentiment, ne s'y étant pas rendus, lorsqu'ils le connurent, se sont pour cela même rendus indignes de tout pardon.
Qu'est-ce donc que tout cela nous apprend? Que la vaine gloire est la source et la cause de tous les maux: c'est elle qui a jeté les Juifs dans une furieuse jalousie; c'est elle qui les a ranimés après une courte trêve, et portés à aller trouver Jésus-Christ pour lui dire: «pourquoi vos disciples ne jeûnent-ils point?» (Mt 9,14) Fuyons donc ce vice, mes bien-aimés. Si nous le fuyons, nous nous préserverons de l'enfer: car c'est principalement ce vice qui en attise le feu, tant sa domination s'étend sur tout, tant il exerce son tyrannique empire sur tout âge et sur tout rang; c'est lui qui met le trouble dans l'Eglise, qui ruine les républiques, qui ruine les maisons, les villes, les peuples, les provinces. Pourquoi vous en étonner, quand il a bien pu pénétrer jusque dans le désert, où il a fait sentir toute la forte de son pouvoir? Ceux qui s'étaient dépouillés de leurs biens et de leurs richesses, qui avaient renoncé au luxe du monde, à toutes ses pompes et à ses maximes, qui avaient surmonté les désirs de la chair et les violentes passions de la cupidité, ont souvent tout perdu pour s'être laissé vaincre par la vaine gloire. C'est par ce vice que celui qui avait beaucoup travaillé a été vaincu par celui qui, bien loin d'avoir travaillé, avait au contraire commis beaucoup de péchés. Je parle du pharisien et du publicain. Mais prêcher contre ce vice, vous montrer les maux qu'il cause, ce serait peine perdue, car tout le monde est du même avis sur ce point; et ce dont il s'agit, c'est de réprimer en soi cette funeste passion.
Comment donc en viendrons-nous à bout? En opposant la gloire à la gloire. Comme, en effet, nous dédaignons les richesses de la terre, lorsque nous en envisageons d'autres; comme nous méprisons cette vie, lorsque nous pensons à une autre qui est bien préférable, nous pourrons de même rejeter la gloire de ce monde, lorsque nous songerons à une gloire plus belle, à ce qui est proprement la vraie gloire. Celle dont nous parlons n'est qu'une vaine et fausse gloire, un nom sans réalité; mais celle du ciel est une gloire véritable, qui a pour panégyristes, non les hommes, mais les anges, les archanges et le Seigneur des archanges, ou plutôt aussi les hommes mêmes. Si vous jetez les yeux sur ce théâtre, si vous cherchez à connaître le prix de ces couronnes, si vous vous transportez au lieu où retentissent ces applaudissements, les biens de la terre ne seront pas capables de vous toucher et de vous arrêter; vous ne vous prévaudrez plus de leur possession, vous ne chercherez pas à les acquérir si elles vous manquent. Dans cette cour, on ne voit aucun des satellites du roi, au lieu de rechercher les bonnes grâces de celui qui siège sur le trône et porte le diadème, s'occuper de ces cris d'oiseaux, de ces bourdonnements de moucherons qui s'appellent les éloges des hommes.
Connaissant donc la bassesse des choses humaines, envoyons, plaçons tous nos biens et' toutes nos richesses dans ces inviolables trésors, et cherchons la gloire qui est stable et éternelle. Je prie Dieu de nous l'accorder à tous, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui la gloire soit au Père et au Saint-Esprit, etc. - 239 -
Chrysostome sur Jean 28