Chrysostome sur Jean 67
- SI QUELQU'UN ME SERT, QU'IL ME SUIVE. (VERS. 25, 26, JUSQU'AU VERS. 34)
Jn 12,25-34
ANALYSE.
1. Qui est celui qui, aimant sa vie, la perdra? - Pourquoi Jésus-Christ se troubla.
2. Passer par la croix pour parvenir à la gloire. - Le diable chassé du monde par la mort de Jésus-Christ.
3. Jésus prédit sa résurrection et sa victoire. - Glorifier Dieu: lui rendre gloire, et par la foi et par la bonne vie. - Dieu n'est point tant déshonoré par les païens que par les mauvais chrétiens. - Les péchés qui tendent à la ruine publique, sont ceux-là mêmes qui font le plus blasphémer contre Dieu; des avares, et de ceux qui ravissent le bien d'autrui.
6701 1. La vie présente est agréable et douce, elle est remplie de plaisirs et de voluptés; non pour tous, mais seulement pour ceux-là qui s'y attachent et y fixent leur pensée. Que si, au contraire, on regarde le ciel et les biens qui y sont préparés, bientôt on la méprisera et l'on n'en fera aucun cas. On admire un beau corps, jusqu'à ce qu'il s'en présente un plus beau et plus admirable: alors, ce qui nous avait d'abord saisis et jetés dans l'admiration, nous le méprisons. Si donc nous voulons contempler la beauté divine et la figure du céleste royaume, nous romprons aussitôt les liens qui nous tiennent attachés aux choses de ce monde. Car c'est une chaîne que l'amour des choses terrestres. Jésus-Christ, voulant nous le faire entendre, nous dit: «Celui qui aime sa vie la perdra; mais celui qui hait sa vie en ce monde, la conserve pour la vie a éternelle. Si quelqu'un me sert, qu'il me suive: Et où je serai, là sera aussi mon serviteur». On dirait que ce sont là, des énigmes, mais il n'en est rien; au contraire, ces paroles sont pleines de lumière et de sagesse.
Mais qui est-ce qui, aimant sa vie, la perdra? C'est celui qui cherche à satisfaire ses coupables désirs, celui qui donne à la vie plus qu'il n'est permis. Voilà pourquoi l'Ecriture nous donne cet avis. «Ne vous laissez point aller à vos mauvais désirs» (Qo 18,30); c'est par là que vous perdrez la vie: une pareille conduite écarte du chemin qui mène à la vertu. Mais, au contraire, celui qui hait sa vie en ce monde, la conserve. Qui est-ce qui hait sa vie? Celui qui résiste aux mauvais conseils qu'elle lui donne. Et Jésus-Christ n'a point dit: Celui qui ne cède pas, mais celui qui hait. Comme, en effet, nous ne pouvons ni écouter volontiers, ni voir tranquillement les personnes qui nous sont odieuses; de même aussi il faut avoir un extrême [438] éloignement pour la vie, lorsqu'elle nous suggère des choses contraires à la volonté de Dieu. Jésus-Christ parlait alors de la mort à ses disciples, c'est-à-dire de sa mort; et il prévoyait bien que cette nouvelle les jetterait dans la tristesse; c'est pourquoi il parle avec cette force Pourquoi parler, dit-il, de là résignation que vous devez montrer au sujet de ma mort? Si vous-mêmes vous ne mourez pas, vous n'avez aucun avantage à espérer. Remarquez, mes chers frères, de quelle manière le Sauveur mêle les paroles de consolation avec celles qui pouvaient paraître un peu dures. Il aurait été effectivement dur et fâcheux pour l'homme, qui aime si fort la vie, de s'entendre dire qu'il fallait mourir. Et pourquoi en irais-je chercher des exemples dans les siècles passés; puisqu'aujourd'hui même nous trouvons tant de gens qui souffrent volontiers toutes choses pour jouir de cette vie; encore qu'ils croient à un avenir, à une autre vie plus heureuse? Voient-ils quelque édifice, quelque machine ingénieuse, ils disent, avec des larmes aux yeux: combien l'homme invente-t-il de choses pour mourir bientôt et être réduit en cendres! Tant cette vie excite de passion.
Jésus-Christ donc, pour briser tous ces liens, dit: «Celui qui hait sa vie en ce monde, la conserve pour l'autre». Et ce qui suit fait visiblement connaître qu'il ne l'a dit que pour instruire ses disciples et dissiper leur crainte; écoutez-le: «Que celui qui me sert me suive». Parlant de sa mort il montre qu'il exige de ses disciples qu'ils le suivent par leurs oeuvres, en mourant aussi eux-mêmes; car un serviteur doit suivre partout le maître qu'il sert. Considérez en quel temps le Sauveur dit ces choses: il les dit, non quand ils étaient dans la persécution, mais lorsqu'ils étaient tranquilles et en paix, lorsqu'ils se croyaient en sûreté. «Et qu'il se charge de sa croix, et me suive» (Mt 16,24); c'est-à-dire, soyez toujours prêts aux périls, à la mort et à quitter la vie. Ensuite leur ayant fait envisager des choses dures et fâcheuses, il les relève par la promesse de la récompense. Quelle est cette récompense? C'est qu'on le suit, c'est qu'on est avec lui; par où il leur fait connaître que la mort sera suivie de la résurrection, car, dit-il: «Où je serai, là sera aussi mon serviteur». Où est Jésus-Christ? Dans le ciel. Elevons-y donc nos coeurs et nos esprits avant même la résurrection.
«Si quelqu'un me sert, mon Père l'aimera». Pourquoi n'a-t-il pas dit: Je l'aimerai? Parce que les disciples n'avaient pas encore de lui la juste opinion qu'ils en devaient avoir, et qu'ils en avaient une plus grande du Père. Ils ne savaient pas encore que, leur Maître ressusciterait, comment auraient-ils eu de lui une grande opinion? C'est pourquoi il dit aux enfants de Zébédée: «Ce n'est point à moi à donner (1), mais ce sera ceux à qui il a été préparé par mon Père» (Mc 10,40); mais cependant c'est lui qui juge. Jésus-Christ déclare ici qu'il est le Fils légitime du Père: car le Père les recevra comme les serviteurs de son vrai et légitime Fils.
1. «Ce n'est point à moi à donner», le mot «à vous», n'est ni dans saint Chrysostome, ni dans le grec.
«Maintenant mon âme est troublée, et que dirai-je? Mon Père, délivrez-moi de cette heure (27)». Mais ce n'est point là le langage de celui qui veut persuader qu'il faut aller volontiers à la mort? Tel est, au contraire, le sens de ces paroles. Le Sauveur, afin qu'on ne dît pas qu'étant exempt des douleurs humaines, il lui était facile de philosopher sur la mort, et qu'il y exhortait, les autres, n'ayant rien à souffrir lui-même, fait voir ici que quoiqu'il la craignît, il ne la refusait pourtant point, parce qu'elle nous devait être très-utile et très-avantageuse. En un mot, ces paroles appartiennent à lai chair qu'il a prise, et non à sa divinité. Voilà pourquoi il dit: «Maintenant mon âme est troublée». S'il n'en était pas ainsi, quelle suite y aurait-il entre ces paroles et les suivantes. «Mon Père, délivrez-moi de cette heure?» Le divin Sauveur est si troublé, qu'il demande à son Père de le délivrer de la mort, s'il peut l'éviter.
2. Ces paroles marquent la faiblesse de la nature humaine. Mais je ne puis rien alléguer, veut-il dire, pour demander à être délivré de la mort: «Car c'est pour cela que je suis venu en cette heure»; c'est comme s'il disait: quels que puissent être notre trouble et notre abattement, ne fuyons pas la mort encore que je sois ainsi troublé, je dis qu'il ne faut point fuir la mort. Il faut souffrir ce qui nous arrive; mais, mon «Père, glorifiez votre nom (28)». Quoique le trouble où je suis m'ait fait prononcer ces paroles, je dis le contraire: «Glorifiez votre nom»; c'est-à-dire, menez-moi à la croix: ce qui montre une 439 faiblesse humaine, et l'infirmité de la nature qui ne veut point mourir, et fait voir que Jésus n'était pas exempt des sentiments humains. Comme on n'impute pas à crime d'avoir faim, ou d'avoir envie de dormir, de même aussi ce n'en est pas un de désirer la vie présente. Or, Jésus-Christ était exempt de tout péché, mais non des instincts naturels; autrement son corps n'aurait pas été un vrai corps. Par ces paroles, le divin Sauveur nous a encore appris une autre chose. Et quoi? Que s'il nous arrive d'être dans l'affliction et dans la crainte, nous ne devons pas pour cela nous laisser abattre, et changer de résolution.
Mon «Père, glorifiez votre nom». Jésus-Christ fait voir qu'il meurt pour la vérité, ce qu'il appelle la gloire de Dieu, et cela est arrivé après sa mort. Car après sa mort tout le monde devait se convertir, connaître le nom de Dieu, l'adorer et le servir, et non-seulement le nom du Père, mais encore le nom du Fils. Mais le Sauveur ne le dit pas ouvertement: «Au même temps on entendit une voix du ciel» qui dit: «Je l'ai glorifié, et je le glorifierai encore». Quand l'a-t-il glorifié? Auparavant (1): Et je le glorifierai encore après qu'il aura été crucifié. «Ce n'est pas pour moi que cette voix est venue, mais pour vous (30)». Mais «le peuple qui était là cru que c'était un coup de tonnerre, ou que c'était un ange qui lui avait parlé (29)». Et sur quoi le crurent-ils? La voix n'était-elle pas claire et intelligible? Elle l'était, mais elle s'effaça aussitôt de leur mémoire, parce qu'ils étaient grossiers, charnels, lâches et engourdis. Les uns n'en retinrent que le son, les autres savaient bien que les paroles que la voix fit entendre, étaient articulées, mais ils ne savaient pas de même ce qu'elle avait dit. Que dit donc Jésus-Christ? «Ce n'est pas pour moi que la voix est venue, mais pour vous». Pourquoi le dit-il? Parce qu'ils disaient souvent qu'il n'était pas envoyé de Dieu. Il ne se peut point que celui que Dieu glorifie ne soit pas envoyé de Dieu, dont il fait glorifier le nom. Voilà pourquoi Jésus-Christ dit: Cette voix s'est fait entendre: «Ce n'est pas pour «moi qu'elle est venue, mais pour vous». Ce n'est pas pour m'apprendre quelque chose que j'ignorasse auparavant, car je connais parfaitement mon Père: mais c'est pour vous qu'elle est venue. Comme ils disaient que c'était un ange qui liai avait parlé, ou que c'était un coup de tonnerre qui s'était fait entendre, et qu'ils n'y faisaient pas plus d'attention, Jésus-Christ leur dit: C'est pour vous que cette voix est venue du ciel, afin de vous exciter à demander ce qu'elle a dit. Mais ils sont si stupides et si étourdis, que, quoiqu'on leur apprenne que ce qu'a dit la voix les regarde, ils ne demandent point encore ce que c'est. Cette voix pouvait ne point paraître bien distincte à des gens qui ignoraient pour qui elle se faisait, entendre, et ce qu'elle annonçait. Voilà donc pourquoi Jésus-Christ leur dit: C'est pour vous que cette voix est venues ale remarquez-vous pas, mes frères, que c'est pour eux, que c'est à cause de leur faiblesse, que, se font ces choses basses et grossières, et non pour le Fils, qui n'avait nullement besoin de ce secours?
1. Auparavant: Dans son baptême, le Père fit entendre cette voix du ciel: C'est mon Fils bien-aimé, dans lequel j'ai mis toute mon affection.
«C'est maintenant que le monde va être jugé: c'est maintenant que le prince de ce monde va être chassé dans l'enfer (31)»: Ces paroles, comment s'accordent-elles avec celles-ci: «Je l'ai glorifié, et je le glorifierai?» Parfaitement; et elles sont tout à fait d'accord. Comme le Père a dit: «Je le glorifierai», le Fils fait connaître de quelle sorte de gloire le Père le glorifiera. Et quelle est cette gloire? Le prince de ce monde va être chassé dehors. Que veut dire ceci: c'est maintenant que le monde va être jugé? C'est comme s'il disait: Le jugement et la vengeance vont arriver comment? Le diable, qui est le prince du monde, a fait mourir le premier homme, qu'il a trouvé coupable de péché; car c'est par le péché que la mort est entrée dans le monde (Rm 5,12). En moi il n'a trouvé aucun péché. Pourquoi s'est-il donc jeté sur moi, et m'a-t-il livré à la mort? pourquoi est-il entré dans l'âme de Judas pour me faire mourir? Ne venez pas maintenant me dire que Dieu a dispensé ces choses de cette manière: car une telle dispensation ne saurait provenir que de sa sagesse, et non du diable. Mais cependant examinons la conduite de cet esprit malin. Comment le monde sera-t-il jugé en moi? On fera comparaître en jugement ce malin esprit comme devant un tribunal, et on lui dira: Que tu aies fait mourir tous les hommes, on te le passe; c'est parce que tu les as trouvés [440] coupables de péché; mais Jésus-Christ, pourquoi l'as-tu fait mourir? N'est-ce pas tout à fait injustement? Tout le monde sera donc vengé en Jésus-Christ.
Pour vous rendre ceci plus clair et plus sensible, je me servirai d'un exemple. Supposons un cruel tyran qui accable de mille maux et fasse mourir tous ceux qui tombent entre ses mains: si, attaquant un roi ou le fils d'un roi, il l'a fait mourir injustement, son supplice pourra venger aussi tous les autres qu'il a fait mourir. Supposons encore un créancier, qui exige impitoyablement de ses débiteurs ce qu'ils lui doivent, qui les frappe et les jette en prison, et qu'ensuite avec la même insolence il fasse emprisonner un homme qui ne lui doit rien. Alors il sera puni des mauvais traitements qu'il a fait subir aux autres; car celui-là le fera mourir.
3. Il en arrive de même à l'égard de Dieu. Le diable sera puni de ce qu'il a fait contre vous, par ce qu'il a osé faire contre Jésus-Christ. Faites bien attention aux paroles du Sauveur, et vous comprendrez que c'est là ce qu'il veut dire par ces paroles: «C'est maintenant que le prince de ce monde sera chassé dans l'enfer (1)», par ma mort.
«Et pour moi, quand j'aurai été élevé, j'attirerai tous les hommes (2) à moi (32)», c'est-à-dire, les gentils aussi. Et de peur que quelqu'un ne dît: Si le prince de ce monde a la victoire sur vous, comment sera-t-il chassé dans l'enfer? Jésus prévient cette objection, et dit: Il ne me vaincra point; car comment vaincrait-il celui qui attire les autres? Et il ne parle point là de la résurrection, mais de ce qui est plus grand que la résurrection: «J'attirerai tous les hommes à moi». Si le Sauveur eût dit: Je ressusciterai, il n'aurait pas fait connaître que tous croiront en lui. Mais en disant: Tous croiront, il déclare l'un et l'autre, et il assure qu'il ressuscitera. S'il était demeuré dans la mort, et s'il n'eût été qu'un homme, personne n'aurait cru en lui.
1. «Dans l'enfer». C'est ce que porte mon texte.
2. «Tous les hommes». Le texte grec et mon auteur lisent de même. La Vulgate dit. «Tout».
«J'attirerai tous les hommes à moi». Pourquoi Jésus-Christ dit-il donc que le Père attire? Parce que le Fils attirant, le Père attire aussi. Je les attirerai, dit-il, parce qu'ils sont tellement arrêtés par le tyran, qu'ils ne peuvent venir d'eux-mêmes, ni s'échapper des mains de celui qui les retient. En un autre endroit le Seigneur appelle cela un pillage: «Personne», dit-il, «ne peut piller les armes du fort, si auparavant il ne lie le fort, pour pouvoir ensuite piller ce qu'il possède». (Mt 11,29) Et par ces expressions il marque sa violence. Ce qu'il appelle donc là «piller», ici il l'appelle «attirer».
Instruits de ces vérités, réveillons-nous, sortons de notre engourdissement, glorifions Dieu, non-seulement par la foi, mais encore par la bonne vie. Autrement ce ne serait point lui rendre gloire, mais blasphémer contre lui. Le saint nom de Dieu n'est point tant blasphémé par la perversité d'un gentil que par la corruption d'un chrétien. C'est pourquoi je vous en conjure, mes chers frères, faisons tout notre possible pour que Dieu soit infiniment glorifié. Car il dit: Malheur à ce serviteur par qui le nom de Dieu est blasphémé! Or, quand Dieu dit: Malheur, il déclare que celui contre qui il prononce cette parole, sera condamné aux tourments et aux supplices les plus rigoureux. Mais aux contraire: Bienheureux est celui par qui son nom est honoré! Ne vivons donc pas comme si nous étions encore dans les ténèbres, mais fuyons toutes sortes de péchés, et surtout ceux qui tendent à la perte commune: car c'est par ceux-là principalement que Dieu est blasphémé.
En effet, quel pardon obtiendrons-nous, si le Seigneur nous ayant fait un précepte de donner de notre propre bien aux autres, nous ravissons le bien d'autrui? Quelle espérance de salut aurons-nous? Vous serez puni, si vous ne donnez point à manger à celui qui a faim; si vous allez jusqu'à dépouiller celui qui est vêtu, quel pardon obtiendrez-vous? Nous ne cesserons point de vous répéter souvent ces vérités; peut-être que ceux qui ne les écoutent pas aujourd'hui, les écouteront demain; ceux qui n'y sont point attentifs aujourd'hui, demain pourront y faire attention. Que s'il se trouve parmi vous quelqu'un d'incorrigible, du moins, il n'y aura pas de notre faute, et nous ne serons point responsable, puisque nous aurons rempli notre ministère. Fasse le ciel, et que nous ne soyions pas remplis de confusion au sujet de nos paroles, et que vous ne soyiez pas couverts de honte, mais que nous puissions tous paraître avec confiance devant le tribunal de Jésus-Christ, de telle sorte que nous puissions nous-mêmes nous glorifier de [441] vous, et recevoir une consolation de nos peines; je veux dire, vous voir glorifiés et couronnés par Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui appartient la gloire, et au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles! Ainsi soit-il.
68 COMMENT DONC DITES-VOUS QU'IL FAUT QUE LE FILS DE L'HOMME SOIT ÉLEVÉ EN HAUT? QUI EST CE FILS DE L'HOMME? (VERS. 34, JUSQU'AU VERS. 42)
Jn 12,34-42
ANALYSE.
1. La mort n'empêche point Jésus-Christ de demeurer éternellement.
2. Les prophéties ne nécessitent point qu'il ne faut pas prendre à la lettre diverses manières de parler de la sainte Ecriture.
3. Faire tous ses efforts pour ne se point séparer de Dieu: s'appliquer pour cela à toutes sortes de bonnes oeuvres. - Douceur, charité envers le prochain. - Tâcher d'adoucir les plaies qu'on ne peut guérir.
6801 1. Le mensonge est faible et facile à démasquer, quand bien même il se couvre au dehors de mille couleurs. Comme ceux qui crépissent des murs ruineux, ne les rendent pas pour cela plus solides; de même les menteurs sont aisément confondus. Voilà précisément ce qui arrive ici aux Juifs. Jésus-Christ leur disant: «Quand j'aurai été élevé de la terre, j'attirerai a tous les hommes à moi»; ils répondent «Nous avons appris de la loi que le Christ demeure éternellement. Comment donc dites-vous qu'il faut que le Fils de l'homme soit élevé en haut? Qui est ce Fils de l'homme?» Donc ils savaient que le Christ était immortel, et que sa vie n'aurait point de fin; donc ils comprenaient ce que disait Jésus-Christ. En effet, on trouve en mille endroits des Ecritures et la passion et la résurrection. Isaïe les met ensemble: «Il a été mené à la mort», dit-il, «comme une brebis qu'on va égorger» (Lc 7), et tout le reste. David les joint dans le second psaume, et souvent aussi dans les autres. Le patriarche de même, lorsqu'il dit: «En se couchant, il s'est reposé comme un lion», et il a ajouté: «Il est comme un jeune lion; qui osera le réveiller?» (Gn 49,9) Par où il marque en même temps la passion et la résurrection. Mais ils n'avouent et ne confessent que le Christ doit demeurer éternellement, que dans la fausse confiance qu'ils ont, de lui imposer silence, et de faire manifestement voir qu'il n'est pas le Christ.
Et remarquez, mes frères, avec quelle malignité ils font cet aveu. Ils n'ont pas dit: Nous avons appris que le Christ ne doit point souffrir, ne doit point être crucifié, mais qu'il doit demeurer éternellement. Mais cette prédiction même n'était point contraire au Christ; la passion, en effet, n'a point été un obstacle à l'immortalité. Par là, on peut voir que les Juifs comprenaient bien des choses en apparence douteuses, et qu'ils les ont volontairement altérées et corrompues. Comme le Sauveur avait auparavant parlé de sa mort, lui entendant dire ici qu'il devait être élevé, ils jetèrent adroitement ces paroles de défiance. Ensuite ils ajoutent: «Qui est ce Fils de [442] l'homme?» Et cela malicieusement. Ne croyez pas, disent-ils, que ce soit de vous que nous voulions parler, et ne dites pas que nous vous contredisons par animosité: nous ne savons pas de qui vous parlez, mais nous nous croyons bien fondés à vous représenter ce que la loi nous a appris. Que leur répond donc Jésus-Christ? Il les réfute, et leur fait voir que sa passion, que sa mort n'empêche pas qu'il ne demeure éternellement.
«La lumière», dit-il, «est encore avec vous pour un peu de temps (35)», montrant par ces paroles que sa mort n'est: qu'une translation; car la lumière du soleil ne s'éteint point, et si elle se retire pour un peu de temps, elle reparaît de nouveau. «Marchez pendant que vous avez la lumière» Quel temps cela marque-t-il? Est-ce toute la vie présente? est-ce le temps qui devait s'écouler jusqu'à sa mort? Je crois que c'est l'un et l'autre. Car, par sa bonté ineffable, plusieurs, même après sa mort, ont cru en lui. Au reste, le divin Sauveur leur dit ces choses pour lest exciter à croire, comme il l'a déjà fait auparavant, en disant: «Je suis encore avec vous un peu de temps». (Jn 7,3)
«Celui qui marche dans les ténèbres ne sait où il va». Combien de peines se donnent maintenant les Juifs sans savoir ce qu'ils font! de même que s'ils marchaient dans les ténèbres, ils croient suivre le droit chemin, pendant qu'ils vont à l'opposé: ils gardent le sabbat et la loi, et les observances des viandes, et ils ne savent où ils vont. Voilà pourquoi Jésus leur disait: «Marchez dans la lumière, afin que vous soyez des enfants de lumière (36)»; c'est-à-dire, mes enfants. Saint Jean dit, au commencement de son évangile: les enfants «ne sont point nés du sang ni de la volonté de la chair, mais de Dieu même» (Jn 1,3); c'est-à-dire, de mon Père. Mais ici il est marqué que c'est le Fils qui les engendre, pour vous apprendre que l'oeuvre du Père et celle du Fils sont la même; oeuvre et une seule opération.
«Jésus parla de la sorte, et, se retirant, il se cacha d'eux». Pour quelle raison se cacha-t-il alors? Ils ne jetèrent point de pierres sur lui, ils ne blasphémèrent point, comme ils l'avaient fait auparavant. Pourquoi donc se cacha-t-il? Voyant ce qu'il y avait de plus secret dans leurs coeurs, il savait qu'ils s'irritaient contre lui, quoiqu'ils ne dissent mot: il savait qu'ils étaient en fureur et qu'ils ne respiraient que le meurtre: et il n'attendit point qu'ils éclatassent au dehors, mais il se cacha pour apaiser leur envie par son absence. Faites attention au grand soin qu'a l'évangéliste de l'insinuer, en ajoutant aussitôt: «Mais quoi qu'il eût fait tant de miracles devant eux, ils ne croyaient point en lui (37)». Quel est ce grand nombre de miracles? Ceux dont l'évangéliste n'a point parlé, comme on le voit par ce qui suit. Car s'étant d'abord retiré, il revient auprès d'eux, et leur parle avec douceur en ces termes: «Celui qui croit en moi, ne a croit pas en moi, mais en celui qui m'a envoyé». (Jn 12,44) Observez ce que fait le, Sauveur: il commence à s'insinuer dans leur esprit par des expressions grossières, s'appuyant dû Père: après il relève encore son discours, et lorsqu'il les voit s'animer et s'irriter, il se retire; puis il reparaît de nouveau, et recommençant dans un langage encore approprié à leur faiblesse.
Et où Jésus-Christ fait-il cela? Disons plutôt: où ne le fait-il pas? Ecoutez ce qu'il dit au commencement: «Je juge selon ce que j'entends». (Jn 5,30) Après quoi, parlant, d'une manière plus élevée, il dit: «Car, comme le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il lui plaît». (Jn 5,21) Ensuite, se rabaissant encore, il dit: «Pour moi, je ne vous juge point, un autre me fera justice». (Jn 8,15 Jn 8,50) Et il se retire derechef, et après, se faisant voir à eux en Galilée: «Travaillez», pour avoir, leur dit-il, «non la nourriture qui périt». (Jn 6,27) Et après avoir parlé de soi d'une manière grande et élevée, avoir dit qu'il est descendu du ciel (Jn 6,41), qu'il donne la vie éternelle (Jn 10,28), il se retire encore. A la fête, dite des Tabernacles, il fait la même chose. (Jn 7,2)
2. Faites-y attention, mes frères: vous verrez que le Sauveur varie continuellement ses discours et ses instructions par des expressions tantôt humaines, tantôt sublimes; et que tantôt il se retire et se cache, tantôt il reparaît et se fait voir publiquement: il en usa de même en cette occasion. «Mais quoiqu'il eût fait tant de miracles devant eux, ils ne croyaient point en lui», dit l'évangéliste. «Afin que cette parole du prophète Isaïe fût accomplie: Seigneur, dit-il, qui a cru à la parole qu'il a entendue de nous, et à qui le bras du [443] Seigneur a-t-il été révélé (38)?» Et encore «Ils ne purent croire», dit l'évangéliste, «parce qu'Isaïe a dit: Vous écouterez de vos oreilles, et vous n'entendrez point. Isaïe a dit ces choses lorsqu'il a vu sa gloire, et qu'il a parlé de lui (41)». Remarquez encore ici, comme nous vous l'avons fait observer ailleurs, que ces mots: «Parce que», et: «Il a dit», ne sont pas des particules causales, mais qu'ils marquent seulement l'événement, ou ce qui est arrivé. Car ce n'est pas parce qu'Isaïe l'a prédit, que les Juifs n'ont point cru, mais comme il devait arriver qu'ils ne croiraient point, Isaïe l'a prédit. Pourquoi donc l'évangéliste, ne s'explique-t-il pas de cette manière et laisse-t-il entendre que l'incrédulité des Juifs vient de la prédiction qui en a été faite, et non pas de la prédiction de l'incrédulité? pourquoi s'exprime-t-il même dans la suite en des termes plus expressifs, et dit-il: «C'est pour cela qu'il ne pouvaient croire, parce qu'Isaïe a dit?» C'est parce qu'il veut, par plusieurs exemples, faire parfaitement connaître la vérité de l'Ecriture et montrer que les choses qu'elle a prédites ne sont point arrivées d'une autre manière qu'il ne les a rapportées. Afin qu'on ne dît pas: Pourquoi Jésus-Christ est-il venu? Est-ce qu'il ne savait pas que les Juifs ne croiraient point? il apporte le témoignage des prophètes, qui ont prédit leur incrédulité. Mais si Jésus-Christ est venu, c'est afin que les Juifs n'eussent aucune excuse de leur péché.
Le prophète n'a prédit ces choses que parce quelles devaient infailliblement s'accomplir, et il ne les aurait point prédites, si l'accomplissement n'en eût été sûr et infaillible. Or, ces choses devaient sûrement arriver, parce que les Juifs étaient incorrigibles. Ce mot: «Ils n'ont pas pu», signifie: ils n'ont pas voulu. Et n'en soyez pas surpris, car Jésus-Christ dit encore dans un autre endroit: «Qui peut comprendre ceci, le comprenne». (Mt 19,12) Il a coutume de mettre ainsi souvent le pouvoir pour la volonté. Et encore: «Le monde ne peut vous haïr; mais pour moi, il me hait». (Jn 7,7)
Et même parmi nous, cette coutume où l'on est de dire: je ne puis aimer un tel; cet homme ne peut devenir bon, ne marque que la force et l'empire qu'a sur nous la volonté. Et encore: que dit le prophète? «Si un Ethiopien peut changer sa peau, et un léopard la variété de ses couleurs, ce peuple aussi pourra faire le bien, lui qui n'a appris qu'à faire le mal». (Jr 13,23) Ce n'est pas qu'ils ne pussent point embrasser la vertu et faire le bien, mais c'est parce qu'ils ne le voulaient point, que le prophète dit qu'ils ne le pouvaient pas. Au reste, l'évangéliste, veut dire ici que le prophète ne pouvait point mentir; ce n'est pas à dire qu'il leur fût impossible de croire. Il pouvait arriver que, quoiqu'ils crussent, le prophète fût véritable: car s'ils eussent dû croire, alors il n'aurait pas prédit qu'ils ne croiraient point. Pourquoi donc, direz-vous, ne s'est-il pas expliqué en ces termes? Parce que l'Ecriture a certaines façons de parler qui lui sont propres, et c'est à quoi il faut avoir égard. Enfin Isaïe a dit ces choses, lorsqu'il a vu sa gloire. La gloire de qui? Du Père.
Pourquoi saint Jean parle-t-il du Fils, et saint- Paul du Saint-Esprit? Ce n'est pas pour confondre les personnes, mais c'est pour montrer que leur dignité est égale et la même. Ce qui est au Père, est au Fils, et ce qui est au Fils, est au Père. (Jn 17,10) Cependant Dieu a dit bien des choses par ses anges, et néanmoins personne ne dit: Comme- a dit l'ange; mais bien: Dieu a dit; parce que ce que Dieu a dit par ses anges, appartient à Dieu, et que ce qui est à Dieu n'appartient pas de même aux anges. Mais l'apôtre dit que les paroles qu'il prononce sont du Saint-Esprit.
«Isaïe a parlé de lui». Qu'a-t-il dit? «Je suis le Seigneur assis sur un trône sublime», etc. (Is 6,1) Il appelle donc ici cette vision une gloire: il a dit qu'il a vu de la fumée, qu'il a entendu de profonds mystères, qu'il a vu des séraphins sortir du trône, des éclairs que ces puissances mêmes ne pouvaient fixement regarder. «Et il a parlé de lui». Qu'a-t-il dit? Qu'il a entendu une voix qui disait: «Qui enverrai-je, et qui ira? «Me voici, dis-je alors, envoyez-moi. Le Seigneur me dit: Vous écouterez de vos oreilles, et vous n'entendrez point, et voyant, vous verrez, et vous ne discernerez point. Car le Seigneur a aveuglé ses yeux et endurci son coeur, de peur que ses yeux ne voient, et que son coeur ne comprenne». (Is 8,9-10) Il se présente ici une difficulté apparente, qui pourtant, si l'on y fait bien attention, n'en est point une. Car, ainsi que le soleil, s'il fait fermer les yeux à ceux qui les ont [444] faibles, ne les leur fait pas fermer par sa propre nature, mais parce qu'ils les ont faibles; de même Dieu ne rend pas sourds ceux qui n'écoutent point sa parole. C'est ainsi, c'est en ce sens qu'il est dit que le Seigneur a endurci le coeur de Pharaon, et cela arrive également à ces esprits indociles et rebelles qui résistent à la parole de Dieu. Au reste, c'est là une façon de parler de l'Ecriture, comme celles-ci: «Dieu les a livrés à un sens dépravé (Rm 1,28)»; et ces paroles: «Le Seigneur votre Dieu a distribué aux nations» (Dt 4,19): c'est-à-dire, a permis, a laissé. L'Ecriture, en cet endroit, ne fait point agir Dieu, mais elle marque que c'est par leur méchanceté que les nations ont fait le mal. Car, lorsque nous sommes abandonnés de Dieu, nous sommes livrés au diable; étant livrés au diable, nous sommes accablés de toutes sortes de maux. C'est donc pour remplir l'auditeur d'effroi, que l'Ecriture dit: «Le Seigneur a endurci», et: «il a livré».
En effet, que non-seulement Dieu ne livre point, mais encore qu'il n'abandonne point, si nous ne voulons nous-mêmes être abandonnés, en voici la preuve; écoutez ce qu'il dit: «Ne sont-ce pas vos péchés qui font une séparation entre vous et moi?» (Is 59,2) Et encore: «Ceux qui s'éloignent de vous périront». (Ps 73,27) Osée dit: «Vous avez oublié la loi de votre Dieu, et je vous oublierai aussi». (Os 4,6) Et Jésus-Christ dit lui-même dans son Evangile: «Combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, et tu ne l'as pas voulu!» (Lc 13,34) Isaïe dit encore: «Je suis venu, et je n'ai trouvé personne; j'ai appelé, et personne ne m'a a entendu». (Is 50,2) L'Ecriture dit ces choses, pour nous montrer que c'est nous-mêmes qui sommes les premiers auteurs et de notre abandon et de notre perte. Dieu non-seulement ne veut point nous abandonner, mais encore il ne veut pas nous punir; et quand il punit, il ne faut point s'en prendre à sa volonté: «Je ne veux point la mort du pécheur, dit le Seigneur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive». (Ez 18,32) Jésus-Christ a versé des larmes sur la ruine de Jérusalem, de même que nous pleurons nos amis.
3. Ces vérités nous sont parfaitement connues, mes frères: faisons donc tous nos efforts pour ne nous point séparer de Dieu. Appliquons-nous à prendre soin de nos âmes, à exercer la charité fraternelle, et ne déchirons point nos membres: car déchirer ses membres, c'est l'action d'un furieux et d'un fou. Au contraire, ayons-en d'autant plus de soin que nous les voyons dans un état plus triste et plus fâcheux. Souvent, en effet, nous voyons des personnes attaquées de maladies douloureuses et incurables; mais alors nous ne cessons point d'appliquer des remèdes à leurs maux. Et qu'y a-t-il de pire que d'avoir la goutte aux mains et aux pieds? Coupons-nous pour cela ces membres? Non certes: mais il n'est rien que nous ne fassions pour soulager du moins la douleur, si nous ne pouvons guérir le mal. Conduisons-nous de même à l'égard de nos frères dans les maladies spirituelles: sont-ils possédés d'une passion dangereuse, donnons-leur tous nos soins, et ne nous lassons pas: portons les fardeaux les uns des autres; c'est ainsi que nous accomplirons la loi de Jésus-Christ (Ga 6,2), et que les biens qui nous sont promis, nous les obtiendrons, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui la gloire appartient, et au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit il.
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Chrysostome sur Jean 67