Chrysostome Homélies 220
Analyse
En traitant des choses divines, c'est la foi et non la raison qui doit nous guider. - Les Anoméens prétendent connaître Dieu comme il se connaît lui-même. - C'est outrager Dieu que de scruter son essence avec trop de curiosité. - Il faut être modéré dans les discussions avec les hérétiques.
Plusieurs jours auparavant, saint Chrysostome avait prêché contre les Anoméens, ensuite contre les Juifs. - Il avait cessé à cause de la présence des évêques et de la solennité des martyrs. - Maintenant il reprend la parole contre les Anoméens sur la nature incompréhensible de Dieu.
2211. Recommençons la lutté contre les hérétiques Anoméens. S'ils s'indignent d'être appelés infidèles, qu'ils repoussent la chose, et je tairai le nom. Qu'ils s'abstiennent de toute pensée hérétique, et je m'abstiendrai de toute appellation injurieuse. Si, par leurs oeuvres, ils déshonorent la foi, s'ils s'avilissent sans pudeur, pourquoi s'irritent-ils contre moi, quand je ne fais que leur reprocher par mes paroles ce qu'ils étalent dans leur conduite? Vous vous en souvenez; naguère, quand nous descendîmes dans cette arène pour livrer ces mêmes combats, il nous fallut soudain les interrompre pour lutter contre les Juifs; il eût été dangereux de négliger nos propres membres malades. Il est toujours temps de parler contre les Anoméens. Mais nos frères malades et entraînés vers le judaïsme, si nous ne nous étions hâtés de les secourir et de les retirer de l'abîme, les avis leur seraient bientôt devenus inutiles; il fallait prévenir le péché qu'ils auraient commis en jeûnant avec les Juifs contrairement aux lois de l'Eglise. Ces combats terminés, de tous côtés accoururent ici nos Pères spirituels, et alors il ne convenait pas de faire entendre notre voix, au milieu d'une assemblée tout ensemble si auguste et si nombreuse. Après leur départ, survinrent les fêtes de plusieurs martyrs, et il ne fallait pas négliger les louanges de ces athlètes du Christ. Je vous dis et raconte tout ceci, pour vous montrer que ce n'est pas par négligence ou paresse que j'ai différé jusqu'ici de vider notre différend avec les Anoméens.
Mais nous voici délivrés de la lutte contre les Juifs; nos Pères se sont retirés dans leurs demeures, nous avons assez célébré les louanges des martyrs; reste à satisfaire par nos paroles votre longue attente. Car, je le sais, vous ne désirez pas moins vivement de m'entendre que moi de vous parler au sujet: des Anoméens. La cause de cette impatience, c'est l'amour que notre ville porte depuis si longtemps à Jésus-Christ. Vous avez reçu cet héritage de vos pères, de ne jamais laisser altérer les dogmes de la religion. Où en est la preuve? Autrefois, du temps de vos ancêtres, des hommes vinrent de la Judée; ils pervertissaient la doctrine enseignée par les apôtres, ils voulaient imposer la circoncision et l'observation de la (204) loi mosaïque. Ceux qui habitaient alors votre ville ne souffrirent pas en silence cette nouveauté. Mais tels que des chiens généreux qui voient le loup s'approcher pour disperser le troupeau, ils attaquèrent ces novateurs, et ils ne cessèrent de les combattre et de les repousser, jusqu'à ce que les apôtres, sur leurs instances, eussent envoyé par toute la terre des décisions pour confondre ces hérétiques et tous ceux qui, dans la suite, troubleraient ainsi les fidèles.
2222. Par où faut-il engager la lutte? Par où, si ce n'est par l'accusation d'hérésie? Ils font tous leurs efforts pour détruire la foi dans l'esprit des auditeurs; peuvent-ils commettre un plus grand crime contre la religion? Lorsque Dieu révèle un dogme, il faut recevoir sa parole avec foi, sans la soumettre à une discussion téméraire. Qu'un de ces hommes m'appelle hérétique, je ne m'en fâche point. Pourquoi? parce que mes oeuvres montrent ce que je suis. Que dis-je, qu'il m'appelle hérétique? qu'il m'appelle même fou dans le Christ; je m'en glorifie comme d'une couronne. Car je partage ce nom avec saint Paul. Cet apôtre dit: Nous sommes fous à cause de Jésus-Christ. (1Co 4,10) Cette folie est plus prudente que toute sagesse. Car ce que la sagesse du siècle n'a pu trouver, la folie selon Jésus-Christ l'a accompli; elle a chassé les ténèbres du monde, et a fait briller la lumière de la vraie science. Qu'est-ce donc que la folie selon Jésus-Christ? Réprimer les excès désordonnés de notre raison, débarrasser et dégager notre intelligence de toute science mondaine, la maintenir libre et pure pour recevoir les enseignements de Jésus-Christ et les paroles divines.
En effet, quand Dieu nous révèle quelque chose, nous devons le croire avec soumission, et repousser toute vaine curiosité. En pareille matière, chercher les causes, demander les raisons, scruter le mode, c'est le propre d'un esprit audacieux et téméraire. Je veux vous le montrer d'après les saintes Ecritures. Zacharie, ce grand homme, cet homme si admirable, élevé à la dignité de grand prêtre, à qui Dieu avait confié le soin de tout son peuple, Zacharie entra dans le saint des saints, dans le sanctuaire même où seul entre tous les hommes il pouvait alors pénétrer. Remarquez qu'il tenait la place de tout le peuple, de sorte qu'il offrait des prières pour tout le peuple, et rendait le Seigneur propice à ses serviteurs (voyez quelle autorité!); il était comme un médiateur entre Dieu et les hommes. Etant donc entré dans le saint des saints, Zacharie vit un ange,à l'intérieur: cette vue le frappa de terreur; mais l'ange lui dit: Ne craignez pas, Zacharie, votre prière a été exaucée, et voici que vous aurez un fils. (Lc 1,13) Quel est le rapport de ces paroles entre elles? Zacharie prie pour le peuple, intercède pour les pécheurs, demande pardon pour ses frères, et l'ange lui dit: Ne craignez pas, votre prière est exaucée; et pour preuve qu'il est exaucé, il lui annonce la naissance d'un fils appelé Jean. Ce rapport, le voici: Zacharie, qui priait pour les péchés du peuple, allait avoir pour fils celui qui devait crier: Voici l'agneau de Dieu qui efface les péchés du monde. (Jn 1,29) C'est donc justement que l'ange dit: Votre prière est exaucée, vous aurez un fils.
Mais que fait Zacharie? N'oublions pas la question qui nous occupe: nous voulons montrer que c'est une faute impardonnable que de scruter témérairement les oracles divins au lieu de les recevoir avec soumission. Il considère son âge, ses cheveux blancs, son corps débile. Il se rappelle que sa femme est stérile, il doute, il veut savoir comment la chose se fera, et il dit: A quoi reconnaîtrai je la vérité de ce que vous m'annoncez? Comment cela peut-il se faire? je suis vieux, mes cheveux ont blanchi; ma femme est stérile et avancée en âge; avec cette double impuissance de la vieillesse et de la nature, comment croire à l'accomplissement de vos promesses? Plusieurs ne trouveront-ils pas bien raisonnable cette défiance ainsi motivée? Dieu n'en jugea pas ainsi, et avec raison. Lorsque Dieu parle, il faut se soumettre en silence, et ne pas objecter l'ordre habituel des choses, la nécessité de la nature, ni aucun motif semblable, parce que la puissance divine est au-dessus de tout cela, et que rien ne peut lui résister. Que fais-tu, ô homme? Dieu révèle, et tu te rejettes sur ton âge, tu objectes la, vieillesse? Est-ce que la vieillesse peut triompher de la promesse divine? La nature est-elle plus puissante que le Créateur de la nature? Ignorez-vous la force de sa parole? La parole de Dieu a fait le ciel; cette parole a produit les créatures; cette parole a créé les anges, et vous doutez de la naissance d'un fils! Aussi l'ange s'irrite, et il n'épargne pas la dignité sacerdotale; et même à cause de cette dignité, il (205) châtie plus sévèrement. Car celui qui était comblé de plus d'honneur, devait avoir une foi plus grande. Et quel est le châtiment? Vous allez devenir muet, et vous ne pourrez plus parler. (Lc 1,20) Votre langue, qui a servi à manifester votre incrédulité, en subira elle-même le châtiment. Vous allez devenir muet, et vous ne parlerez plus, jusqu'au jour où ceci arrivera. Voyez la bonté de Dieu! Vous vous défiez de moi, dit-il, recevez maintenant le châtiment, et lorsque l'événement aura confirmé ma parole, alors j'apaiserai ma colère. Quand vous aurez reconnu la justice de votre punition, alors je la ferai cesser. Ecoutez, Anoméens, comment Dieu s'irrite contre la vaine curiosité. Si Zacharie est puni pour n'avoir pas cru à la naissance d'un homme, dites-moi, comment éviterez-vous le châtiment, vous qui scrutez la génération ineffable de Dieu? Zacharie n'a rien affirmé, il a voulu apprendre, et il ne fut pas épargné. Vous qui prétendez connaître les choses invisibles et incompréhensibles, quelle sera votre excuse? quel châtiment n'attirez-vous pas sur vous?
2233. Mais nous parlerons en temps convenable de la génération divine. En attendant, reprenons le premier raisonnement que nous avons abandonné; efforçons-nous d'arracher cette racine maudite, la cause de tous les maux et d'où sont sorties ces doctrines perverses. Quelle est la cause de tous ces maux? Oui, l'horreur arrête ma langue prête à la nommer. Ma bouche se refuse à raconter les sacrilèges que leur esprit médite. Quelle est donc la source de ces maux? Un homme a osé dire: Je connais Dieu comme Dieu se connaît lui-même. Fautif ici discuter et combattre? Ne suffit-il pas d'énoncer cette proposition pour en montrer toute l'impiété? C'est une folie manifeste, une extravagance impardonnable, un genre inouï d'impiété. Jamais personne n'eut une telle prétention, ne tint un pareil langage. Pense donc, malheureux, qui tu es, et qui tu prétends connaître! Homme, tu veux scruter Dieu! Ces deux noms seuls démontrent la grandeur de cette folie. Homme, c'est-à-dire terre et poussière, sang et chair, herbe et fleur des champs, ombre, fumée et vanité, tout ce qu'il y a de plus chétif et de plus vil l Et ne m'accusez pas de ravaler par ces paroles la nature humaine. Ce n'est pas moi, ce sont les prophètes qui s'expriment ainsi, non pour déprécier notre race, mais pour abattre l'orgueil des insensés; non pour avilir notre nature, mais pour humilier l'arrogance des superbes. Et si, malgré ce langage énergique, nous rencontrons néanmoins des hommes qui l'emportent sur le démon par leur jactance, dites-moi, dans quel abîme de folie ne seraient-ils pas tombés, sans ces oracles divins? Malgré le remède tout préparé, ils sont remplis d'eux-mêmes; à quel excès d'orgueil et d'arrogance n'en seraient-ils pas venus, si les prophètes n'avaient dévoilé aussi clairement la bassesse de notre nature?
Ecoutez donc ce que dit de lui-même le saint patriarche: Je suis terre et cendre. (Gn 18,27) Il s'entretenait avec Dieu, et loin de s'enorgueillir de cette faveur, il n'en devient que plus humble. Ces hérétiques au contraire qui ne valent pas même l'ombre d'Abraham, croient valoir mieux que les anges eux-mêmes; n'est-ce pas la preuve d'une extrême démence? Dites-moi, vous scrutez Dieu, Dieu qui est sans commencement, immuable, incorporel, incorruptible, présent partout, infiniment supérieur à toute créature. Ecoutez ce que disent de lui les prophètes et craignez: Il regarde la terre, et il la fait trembler. (Ps 104,32) Il n'a qu'à regarder et il ébranle ce globe immense. Il touche les montagnes, et elles s'en vont en fumée. (Ps 104,32) Il secoue le monde jusque dans ses fondements, et ses colonnes chancèlent; il menace la mer, et la met à sec. (Jb 9,6) Il dit à l'abîme: tu seras désert. (Ps 45,27) La mer le vit, et s'enfuit; le Jourdain remonta vers sa source; les montagnes bondirent comme des béliers, et les collines comme des agneaux. (Ps 113,3) Toute la création tressaille, s'épouvante et frémit. Ces hommes seuls négligent, méprisent, dédaignent leur propre salut, car je n'oserais dire le Maître du monde.
Naguère, nous leur montrions l'exemple des puissances célestes, des anges, des archanges, des chérubins, des séraphins; nous leur apportons maintenant celui. des créatures insensibles, et ils n'en sont pas touchés. Ne voyez-vous pas ce ciel si beau, si vaste, couronné de ces innombrables choeurs d'étoiles? Depuis quand existe-t-il? Il y a cinq mille ans et plus qu'il dure tel; et cette longue suite de siècles ne l'a pas fait vieillir. Comme un jeune homme robuste jouit de la plénitude et de la force de. l'âge, ainsi le ciel a toujours conservé sa beauté première; et le temps ne l'a point affaibli. Mais ce beau ciel vaste, brillant, splendide, incorruptible et bravant les ravages du temps, c'est (206) ce Dieu que vous scrutez, que vous circonscrivez dans les limites de la raison, c'est ce Dieu qui l'a créé aussi facilement que l'homme qui construit une cabane en se jouant. Isaïe dit à ce sujet: Il a suspendu le ciel comme une voûte, et l'a déployé comme une tente sur la terre. (Is 40,22) Voulez-vous aussi considérer la terre? Il l'a créée de rien. Il dit en parlant de celui-là: Dieu a suspendu le ciel comme une voûte, et il l'a déployé comme une tente sur la terre. Et en parlant de celle-ci: Il embrasse le globe de la terre, et il a créé la terre comme un néant. Voyez-vous comment à ses yeux cette masse effrayante n'est qu'un néant?
2244. Considérez maintenant la masse des montagnes, la diversité des peuples, la hauteur et la multitude des plantes, le nombre des villes, la grandeur des monuments, la quantité de quadrupèdes, de bêtes sauvages, de reptiles de toute sorte, qui sont sur la surface du globe. Et cependant il a créé si facilement cette terre immense, que le prophète, ne trouvant pas d'exemple de cette facilité, dit qu'il l'a créée comme un néant. Comme la grandeur et la beauté du monde visible ne suffisent pas à nous montrer la puissance du Créateur, et sont bien éloignées de la majesté et de la force de celui qui a tout fait, les prophètes ont trouvé une autre manière pour nous donner, autant que possible, une plus grande idée de la puissance divine. Quelle est-elle donc? La voici: Ils font voir, non-seulement la grandeur des créatures, mais aussi le mode de la création. Alors, contemplant d'un côté l'immensité des choses créées, de l'autre, la facilité de la création, nous pouvons, selon nos forces, nous faire une juste idée de la puissance de Dieu. N'examinez donc pas la grandeur seule de l'oeuvre, mais aussi la facilité d'exécution dans l'ouvrier. Non-seulement la terre, mais encore la nature de l'homme nous enseigne cette vérité. Le Prophète dit: Il embrasse le globe de la terre, et ses habitants sont pour lui comme des sauterelles. (Is 40,22) Et ailleurs: Toutes les nations sont devant lui comme une goutte d'eau. (Is 40,16) Ne laissez point passer inaperçue cette parole; méditez-la attentivement. Parcourez toutes les nations, les Syriens, les Ciliciens, les Cappadociens, les Bithyniens, les habitants du Pont-Euxin, la Thrace, la Macédoine, la Grèce entière, les Iles, l'Italie, ceux qui sont au delà de notre continent, les Bretons, les Sauromates, les Indiens, les Perses, les peuplades et les tribus innombrables dont nous ne connaissons pas même les noms toutes ces nations sont comme une goutte d'eau devant lui. Qu'êtes-vous dans cette goutte, dites-moi, pour oser scruter Dieu, devant qui toutes les nations sont comme une goutte d'eau?
Pourquoi parler du ciel, de la terre, de la mer, du genre humain? Montons au ciel par la pensée, abordons les anges. Un seul ange, vous le savez, est égal et même de beaucoup supérieur à toute cette création visible. Or, si ce monde tout entier n'est pas digne de l'homme juste, comme dit saint Paul: Le monde n'en était pas digne (He 11,38), à plus forte raison, n'est-il pas digne d'un ange. Car les anges l'emportent sur l'homme juste. Cependant au ciel habitent des myriades de myriades d'anges et d'archanges, des Thrônes, des Dominations, des Principautés, des Puissances, d'innombrables tribus, des peuples inénarrables de vertus incorporelles; et Dieu a produit toutes ces créatures avec une facilité qu'aucune parole ne peut exprimer. Il lui a suffi de vouloir: pour nous, vouloir n'est pas une fatigue, ainsi fut pour lui la création de ces Vertus si parfaites et si nombreuses. C'est ce que dit le Prophète: Tout ce qu'il a voulu, il l'a fait au ciel et sur la terre. (Ps 135,6) Remarquez-le, sa volonté seule a suffi pour produire non-seulement la terre, mais aussi les puissances d'en-haut. Et à cette vue, vous ne pleurez pas sur vous-même? vous ne vous cachez pas sous terre pour avoir osé dire que vous pouviez scruter et comprendre, comme la plus vile créature, Celui qu'il ne faut que glorifier et adorer? Aussi saint Paul comblé des dons de la sagesse, voyant l'incomparable excellence de Dieu, et la bassesse de la nature humaine, s'indigne contre cette curiosité téméraire, et s'écrie avec véhémence: O homme! qui es-tu, pour répondre à Dieu? (Rm 9,20) Qui es-tu? Connais d'abord ta nature, car aucun mot ne peut exprimer ta bassesse?
2255. Mais, direz-vous, je suis homme, je jouis de ma liberté. - Vous en jouissez non pour résister, mais pour obéir à Celui qui vous l'a donnée. Dieu vous a honoré, pour recevoir de vous la gloire et non des outrages. Or vous l'outragez, en scrutant son essence. Accepter aveuglément ses promesses, c'est le glorifier, et (207) chercher à pénétrer et à comprendre non-seulement ce qu'il a manifesté, mais ce qu'il est lui-même, c'est l'insulter. Qu'on l'honore en acceptant ses promesses sans discuter, écoutez saint Paul nous le dire en parlant de l'obéissance et de la foi d'Abraham: Il considéra son corps déjà comme mort, et la stérilité de Sara. Cependant il n'hésita pas, il n'eut pas la moindre défiance de la promesse divine, mais il se fortifia par la foi. (Rm 4,19) La nature, l'âge, le jettent dans le doute; la foi soutient son espérance. Il se fortifia par la foi, rendant gloire à Dieu, pleinement assuré qu'il peut faire tout ce qu'il a promis. (Rm 4,20) Voyez comment, par son entière soumission à la parole divine, il rend gloire à Dieu. Si donc il glorifie Dieu, celui qui croit en lui, celui qui ne croit pas attire sur soi-même l'outrage qu'il fait à Dieu. Qui es-tu pour répondre à Dieu? Voulant ensuite nous montrer la distance qu'il y a entre Dieu et l'homme, saint Paul ne peut y parvenir. Toutefois l'exemple qu'il apporte est capable de nous en faire concevoir une grande idée. Quelles sont ses paroles? Le vase d'argile dit-il à celui qui l'a fait: Pourquoi m'avez-vous fait ainsi? Le potier n'a-t-il pas le pouvoir de faire de la même masse un vase d'honneur ou un vase d'ignominie? (Rm 9,20) Que répondez-vous? - Je dois donc me soumettre à Dieu, comme l'argile au potier? - Oui, car la distance de l'homme à Dieu est celle de l'argile au potier, et même elle est plus grande et beaucoup plus grande. En effet, l'essence de l'argile et du potier est la même, comme Job le déclare: Je laisse ceux qui habitent des maisons d'argile, nous sommes formés du même limon. (Jb 4,19) Si l'homme paraît plus beau et plus parfait, il le doit non à la diversité de la matière, mais à la sagesse de l'ouvrier, puisque a matière est la même. Si vous ne le croyez pas, interrogez les sépulcres et les urnes funéraires. Allez sur les tombeaux de vos ancêtres, et vous verrez qu'il en est ainsi. Entre l'argile donc et le potier, aucune différence. Mais entre l'essence divine et l'homme, la distance est si grande, qu'aucune parole ne peut l'exprimer, aucune intelligence la mesurer. De même que l'argile docile entre les mains du potier, se laisse manier, porter, travailler par lui à son gré, vous aussi soyez muets comme l'argile devant Dieu, et obéissants comme elle à ses desseins. Ce n'est pas pour détruire nos facultés ou anéantir notre libre arbitre que saint Paul parle ainsi, mais pour réprimer énergiquement notre arrogance.
Si vous le désirez, examinons cette question. Que voulaient connaître ceux que l'Apôtre réprime si énergiquement? l'essence divine? nullement. Personne ne l'eût osé. C'était quelque chose de bien inférieur. Ils cherchaient à connaître les desseins de Dieu: pourquoi l'un est puni, l'autre traité avec miséricorde; pourquoi celui-ci est exempt de châtiments, celui-là accablé de maux; pourquoi le pardon est offert à l'un et non à l'autre. Voilà ce qu'ils discutaient. Cela ressort des paroles précédentes. Après avoir dit: Il fait donc miséricorde à qui il veut, et il endurcit qui il veut. Vous me direz: pourquoi se plaint-il? qui résiste à sa volonté? L'Apôtre ajoute: O homme, qui es-tu pour contester avec Dieu? (Rm 9,18-20) Saint Paul réprime donc l'audace de ceux qui s'ingèrent dans les choses de Dieu. Il ne leur permet pas cette curiosité. Vous qui voulez sonder l'essence infinie qui gouverne tout, ne méritez-vous pas d'être écrasé sous les foudres du ciel? N'est-ce pas une extrême folie? Ecoutez le Prophète, ou plutôt Dieu parlant par sa bouche: Si je suis votre père, où est mon honneur, et si je suis votre Seigneur, où est la crainte que vous me devez? (Ml 1,6) Celui qui craint, ne discute pas, il adore; il ne scrute pas, il loue et glorifie. Voilà ce que vous enseignent les Vertus des cieux et saint Paul. L'Apôtre n'a garde de tomber lui-même dans le défaut qu'il reproche aux autres. Il déclare expressément aux Philippiens qu'il n'a qu'une science partielle et incomplète: Je ne pense point encore avoir compris (Ph 3,13), leur dit-il. Il avait déjà dit aux Corinthiens: Nous ne connaissons qu'en partie. Quoi de plus explicite et de plus clair? D'une voix plus éclatante que la trompette, il crie à toute la terre: Aimez et conservez précieusement la mesure de science qui vous est donnée, mais ne croyez pas avoir reçu la science parfaite. -Eh quoi! grand apôtre, c'est le Christ lui-même qui parle en vous, et vous dites: Je ne pense point encore avoir compris! - Et c'est précisément, répond-il parce que le Christ parle en moi que je tiens ce langage. C'est lui qui me l'inspire. Si donc ces hommes n'étaient complètement privés du secours du Saint-Esprit, s'ils n'avaient repoussé de leur âme toute sa vertu, lorsque saint Paul dit: Je ne pense point encore avoir (208) compris, ces hommes, dis-je, ne s'imagineraient pas avoir tout compris, et posséder la plénitude de la science.
2266. Vous me direz peut-être que dans cet endroit l'Apôtre parle de la foi, de la science et des dogmes de la religion, et non des moeurs et des devoirs de la vie; comme s'il voulait dire Je ne suis pas instruit à fond des devoirs du chrétien. Lui-même va éclaircir la question: J'ai bien combattu, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi; il ne me reste qu'à attendre la couronne de la justice. (2Tm 4,7) Celui qui a achevé sa course et va être couronné, ne dirait pas: Je ne pense point encore avoir compris la justice et la vertu. Car ce qu'il faut faire ou ne pas faire, n'est ignoré de personne; tous les membres de la race humaine, les Barbares, les Perses, les peuples les plus grossiers connaissent la voie du devoir. Afin de faire cesser tout doute, je veux vous réciter la suite de ce passage. Après avoir dit: Gardez-vous des chiens, gardez-vous des ouvriers d'iniquité. (Ph 3,2); après avoir beaucoup parlé contre les judaïsants, il continue: Ce que je considérais alors comme un gain, je le regarde comme une perte à cause de Jésus-Christ. Bien plus, tout me semble une perte afin que je sois trouvé, ayant non la justice qui vient de la Loi, mais la justice qui vient de Dieu par la foi en Jésus-Christ. (Ph 3,7) Il montre ensuite quelle est cette foi: C'est de connaître Jésus-Christ, la vertu de sa résurrection, et la participation de ses souffrances. Qu'est-ce que la vertu de sa résurrection? Jésus-Christ, au sentiment de l'Apôtre, est ressuscité d'une manière toute nouvelle. Beaucoup de morts ont déjà ressuscité avant Jésus-Christ, mais aucun de la même manière que lui. Les uns, après leur résurrection, retournèrent en poussière; arrachés un moment à la tyrannie de la mort, ils retombèrent bientôt sous son empire. Le corps de Notre-Seigneur ressuscité ne retourna pas en poussière, il monta dans les cieux, il brisa pour toujours le joug de l'ennemi, en ressuscitant il renouvela toute la terre, et il est maintenant assis sur le trône royal de l'éternité. Voilà la vertu de la résurrection du Sauveur.
Saint Paul comprenait tout cela, et pour faire voir que la raison ne peut démontrer de si grandes merveilles, mais que la foi seule les dévoile et les enseigne, il dit: C'est par la foi qu'il faut connaître la vertu de sa résurrection. Si la raison ne peut comprendre la résurrection ordinaire (laquelle en effet est au-dessus de la nature humaine et des lois de ce monde), quelle raison pourra comprendre cette résurrection qui surpasse toutes les autres? Aucune. La foi seule est notre guide, elle seule peut nous faire croire qu'un corps mortel est ressuscité, et qu'il a reçu une vie immortelle, sans fin et sans limite. C'est ce que l'Apôtre indique ailleurs par ces paroles: Jésus-Christ ressuscité ne mourra plus, la mort n'aura plus d'empire sur lui. (Rm 6,9) Double merveille: ressusciter et ressusciter ainsi. Voilà pourquoi il dit C'est par la foi qu'il faut connaître la vertu de sa résurrection. Si la raison ne peut concevoir la résurrection, combien moins encore concevra-t-elle la génération divine! Parlant de ces mystères, et aussi de la Croix et de la Passion, saint Paul les soumet tous à la vertu de la foi, et il termine en ajoutant: Mes frères, je ne pense point encore avoir compris. Il ne dit pas: je ne pense pas savoir, mais avoir compris. Ce n'est pas une ignorance complète, ni une science parfaite. Par ces mots: je ne pense pas avoir compris, il indique qu'il est sur la voie, qu'il marche, qu'il avance, mais qu'il n'a pas encore atteint le but. C'est ce dont il avertit les autres en ces termes: Nous tous qui sommes parfaits, demeurons dans ces sentiments; s'il en faut changer, Dieu nous le révélera. (Ph 3,15) Ce n'est pas la raison qui enseignera, mais Dieu qui éclairera. Il est clair qu'il ne s'agit pas ici de morale, mais des dogmes de la foi? Les vérités morales et naturelles n'ont pas besoin de révélation, mais bien les dogmes et la science de la religion. Ailleurs parlant sur le même sujet, il dit: Si quelqu'un croit savoir quelque chose, il ne sait encore rien, comme il faut savoir. (1Co 8,2) Il ne dit pas simplement: il ne sait rien; mais: il ne sait rien comme il faut savoir. Il possède une certaine science, mais non une science exacte et parfaite.
2277. Pour vous montrer la vérité de ces assertions, laissons de côté les Puissances célestes, et descendons, si vous le voulez, à la création visible. Voyez-vous ce ciel? Qu'il ait la forme d'une voûte, nous le savons non par le raisonnement, mais par l'Ecriture sainte. Qu'il environne toute la terre, nous l'apprenons à la même source. Quelle est son essence, nous l'ignorons. Si. quelqu'un prétend le contraire, qu'il nous dise quelle est la substance du ciel (209) Est-ce un cristal solide, une nuée condensée, un air épaissi? Personne ne peut l'affirmer. Avez-vous encore besoin de preuves pour comprendre toute la folie de ceux qui prétendent connaître Dieu? Vous ignorez la nature du ciel que vous voyez tous les jours, et vous vous vantez de comprendre parfaitement l'essence du Dieu invisible! Il faudrait être bien dépourvu de sens pour ne pas condamner l'extravagance de ces novateurs.
Je vous en conjure tous; ayez compassion de ces hommes en proie à une frénésie insensée; efforcez-vous de les guérir par des paroles pleines de bonté et de douceur. C'est leur orgueil qui a engendré cette doctrine, et ce vice enfle leur esprit. On ne peut toucher sans de grandes précautions à des tumeurs enflammées. Aussi les médecins habiles emploient pour les laver une éponge douce. Or les Anoméens ont dans l'âme une plaie enflammée. Avec une molle éponge imbibée d'une eau salutaire, c'est-à-dire par un langage plein de mansuétude, efforçons-nous de réprimer leur orgueil, et de guérir leur enflure; et malgré leur résistance, leurs injures, leurs outrages et tout ce qu'ils pourraient faire, ne leur retirons pas nos soins. Ceux qui traitent des furieux sont exposés à tous ces inconvénients. Il ne faut donc pas se décourager, mais au contraire les plaindre et pleurer leur sort. leur maladie est assez grave pour mériter nos larmes. Je parle ici à ceux qui sont solidement affermis dans la foi, et qui n'ont aucun dommage à craindre de leur fréquentation. Mais si quelqu'un est encore faible, qu'il évite leur présence, qu'il fuie leur conversation, afin que le prétexte de l'amitié ne devienne pas une cause d'impiété. C'est ainsi qu'agit saint Paul; il s'approche des malades. Avec les Juifs j'ai été Juif, dit-il, infidèle avec les infidèles. (1Co 9,20) Mais il n'expose pas ses disciples encore faibles à un tel péril: Les mauvais entretiens corrompent les bonnes moeurs. (1Co 15,33) Sortez du milieu d'eux et séparez-vous, dit le Seigneur. (2Co 6,17) La visite qu'un médecin rend à un malade lui est souvent utile à lui-même en même temps qu'au malade. La visite de l'homme infirme lui sera nuisible à lui, aussi bien qu'à celui qu'il va voir. Car il ne peut rendre aucun service au malade, et il en reçoit un notable préjudice. En regardant un mal d'yeux, l'on contracte, dit-on, cette infirmité. La même chose arrive à ceux qui fréquentent les hérétiques. S'ils sont faibles, ils se laissent corrompre par le venin de l'impiété. Pour ne pas nous attirer ces malheurs, fuyons la société des Anoméens; contentons-nous de prier le Dieu très-clément qui veut sauver tous les hommes et les amener à la connaissance de la vérité; supplions-le pour qu'il daigne les délivrer de l'erreur et des piéges du démon, et les ramener à la lumière de la science, à Dieu Père de Notre-Seigueur Jésus-Christ, à qui soient avec l'Esprit-Saint et vivifiant, gloire, puissance; maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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Analyse
Louer Dieu est plus utile à l'homme qu'à Dieu - Dieu est incompréhensible aux anges. - L'homme ne peut pas même pénétrer la substance de l'ange. - Les vertus d'en-haut ne peuvent pas comprendre Dieu, même quand il s'abaisse. - Reproches aux habitants d'Antioche, parce qu'ils quittaient l'église tout après le sermon. - Efficacité de la prière publique.
2311. Quand des cultivateurs laborieux voient un arbre stérile et sauvage nuire à leurs champs, et, par la dureté de ses racines et l'épaisseur de son ombre détruire les plantes utiles, ils s'empressent de le couper. Quelquefois le vent vient seconder leurs efforts; il saisit l'arbre par sa chevelure touffue, et, le secouant avec violence, il le rompt, le jette par terre et abrége le travail des laboureurs. Nous avons aussi à couper un arbre sauvage et stérile; l'hérésie des Anoméens: prions donc Dieu de nous envoyer la grâce de l'Esprit-Saint, afin que plus puissante que le souffle des vents elle arrache cette hérésie par la racine, et nous rende notre tâche plus légère. Une terre inculte, que les bras du cultivateur n'ont pas remuée, ne produit souvent de son propre fonds que de mauvaises herbes, des épines et des plantes agrestes. Ainsi l'âme des Anoméens, dévastée et privée de la nourriture de l'Ecriture sainte, n'a produit par ses propres forces que cette hérésie grossière et sauvage. Saint Paul n'a point planté cet arbre, Apollo ne l'a pas arrosé, Dieu ne l'a pas fait croître; mais planté par la curiosité coupable de la raison, arrosé par l'orgueil et l'arrogance, il a grandi par l'amour de la vaine gloire. Nous avons besoin des lumières du Saint-Esprit pour arracher, et aussi pour brûler cette racine maudite. Invoquons donc ce Dieu qu'ils blasphèment et que nous honorons; prions-le de diriger notre langue pour arriver plus vite au but, et d'ouvrir notre intelligence pour mieux comprendre ce que nous avons à dire. Car nous travaillons pour lui et pour sa gloire, ou plutôt pour notre propre salut: car Dieu est au-dessus de nos mépris comme de nos louanges; sa gloire immuable ne dépend ni de nos injures ni de nos éloges. Les hommes qui le célèbrent dignement, ou plutôt de toutes leurs forces (car personne ne peut le faire dignement), recueillent le fruit de leurs louanges; mais ceux qui le blasphèment et l'insultent, exposent leur propre salut. Si quelqu'un jette une pierre en haut, elle retombera sur sa tête. (Si 27,28) Cette parole s'applique aux blasphémateurs. Celui qui lance une pierre en l'air ne peut briser la voûte du ciel, ni atteindre à cette hauteur; mais la (212) pierre, en retombant, vient le frapper à la tête. De même celui qui outrage l'essence divine, ne peut lui nuire; elle est trop élevée pour éprouver quelque dommage; mais ingrat envers son bienfaiteur, il aiguise un glaive contre soi-même.
Invoquons donc ce Dieu ineffable, inaccessible, invisible, incompréhensible, ce Dieu qui défie toute langue humaine, qui surpasse toute intelligence créée, que les anges ne peuvent scruter, ni les séraphins contempler, ni les chérubins comprendre; qui ne peut être vu ni par les principautés, ni par les puissances, ni parles vertus, ni par aucune créature; mais qui n'est connu que du Fils et du Saint-Esprit. Je sais que les Anoméens m'accuseront de témérité pour avoir dit que Dieu est incompréhensible même aux Vertus célestes. Et moi, je leur renverrai l'accusation en y joignant celle de folie et d'extravagance. Il n'y a pas de témérité à dire que le Créateur surpasse toute intelligence créée, mais il y en a une énorme à dire, comme font les Anoméens, qu'avec leur faible raison ils peuvent le pénétrer et le comprendre, eux qui rampent sur terre si loin au-dessous des anges. Si je ne prouve mon assertion, je consens à être taxé de témérité. Pour vous, mes adversaires, quand j'aurai démontré qu'il est incompréhensible aux puissances des cieux, si vous prétendez encore le connaître, quels abîmes, quels gouffres ne creusez-vous pas devant vous, en vous vantant de pénétrer des mystères inaccessibles à toutes les vertus d'en-haut.
2322. Venons à la démonstration, mais auparavant ayons recours à la prière. Les paroles mêmes de la prière pourront nous fournir des preuves. Invoquons donc le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, qui seul possède l'immortalité, qui habite une lumière inaccessible, que nul des hommes n'a vu ni ne peut voir, à qui est l'honneur et l'empire dans l'éternité. Amen. (1Tm 6,15) Ce ne sont pas nos paroles, mais celles de saint Paul. Remarquez sa piété et la force de son amour. Plein de la pensée de Dieu, il ne commence à enseigner qu'après lui avoir payé sa dette de reconnaissance, et il ne termine jamais ses instructions sans le louer encore. Si la mémoire du juste est accompagnée de louange (Pr 10,7), si son nom ne se prononce pas sans éloge, de quelles marques de respects, de quelles, bénédictions ne doit pas être accompagné le nom de Dieu? C'est aussi l'exemple que nous donne saint Paul dans ses Epîtres. Souvent après avoir commencé à écrire, frappé de la pensée de Dieu, il suspend ses enseignements jusqu'à ce qu'il ait rendu à Dieu la gloire qui lui est due. Ecoutez-le écrivant aux Galates: Que la grâce et la paix vous soient données par Dieu notre Père et par Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui s'est livré lui-même pour nos péchés, pour nous retirer de la corruption du siècle présent, selon la volonté de Dieu le Père, à qui soit la gloire dans les siècles. Amen. (Ga 1,3) Et ailleurs: Au Roi des siècles, immortel, invisible, au seul Dieu sage, honneur et gloire dans les siècles. Amen. (1Tm 1,17) Ces hommages, les rend-il au Père seul, et non au Fils? Ecoutez donc comment il s'exprime au sujet du Fils unique. Après avoir dit: J'eusse désiré être anathème à l'égard de Jésus-Christ, pour mes frères selon la chair, les Israélites, à qui appartiennent l'adoption, les testaments, la loi, le culte, les promesses; il ajoute: de qui est sorti, selon la chair, Jésus-Christ, Dieu élevé au-dessus de tout, et béni dans tous les siècles. Amen. (Rm 9,3) Puis, ayant rendu gloire au Fils de la même manière qu'au Père, il reprend la suite de son discours. L'Apôtre avait entendu les paroles de Jésus-Christ: Afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. (Jb 5,23)
Pour vous montrer que la prière nous fournit des preuves, ayons-y recours. Le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, qui seul possède l'immortalité; qui habite une lumière inaccessible. (1Tm 6,15 1Tm 6,16) Arrêtons-nous ici, et demandons à l'hérétique ce que signifient ces paroles: Qui habite une lumière inaccessible. Et remarquez l'exactitude de saint Paul. Il ne dit pas: Dieu qui est une lumière inaccessible, mais: qui habite une lumière inaccessible. Apprenez par là que si la demeure est inaccessible, à plus forte raison Dieu qui l'habite. Par ces paroles, l'Apôtre ne veut pas vous faire croire que Dieu est renfermé dans un lieu, mais vous prouver surabondamment son incompréhensibilité. Il ne dit pas: Qui habite une lumière incompréhensible, mais inaccessible; ce qui est beaucoup plus qu'incompréhensible. On appelle incompréhensible ce que malgré ses efforts et ses recherches on ne peut saisir. L'inaccessible, c'est ce dont l'abord même est interdit. Par exemple nous dirons dans un sens analogue que la mer (213) est insondable; les plongeurs, malgré tous leurs efforts, ne peuvent en sonder les abîmes. Mais pour que l'on pût dire qu'elle est inaccessible, il faudrait qu'il fût impossible même d'en atteindre la surface.
2333. Que répondrez-vous à cela? Direz-vous que si Dieu est incompréhensible aux hommes, il ne l'est pas aux anges, ni aux vertus célestes. - Etes-vous,donc un ange, appartenez-vous au choeur des puissances spirituelles? N'êtes-vous pas homme? n'avez-vous pas la même substance que moi, ou bien oubliez-vous votre nature? Supposons qu'il soit inaccessible aux hommes seulement, supposition fausse, puisque saint Paul n'a pas dit: Il habite une lumière inaccessible aux hommes, mais non inaccessible aux anges; mais je vous accorde ce que vous demandez: que pouvez-vous en conclure? N'êtes-vous pas homme? Si Dieu n'est pas inaccessible aux anges, que vous importe, à vous qui prétendez et affirmez que l'essence divine n'est pas incompréhensible à l'intelligence humaine? Mais, sachez-le, il n'est pas seulement inaccessible aux hommes, il l'est aussi aux anges. Ecoutez Isaïe, ou plutôt le Saint-Esprit qui parle par sa bouche, car tout prophète est inspiré par l'Esprit-Saint: L'année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône sublime et élevé; les séraphins se tenaient autour de lui. Ils avaient chacun six ailes: deux voilaient leur face, deux leurs pieds... (Is 6,1)
Pourquoi se voilent-ils la face de leurs ailes? pourquoi, sinon parce qu'ils ne peuvent supporter les éclairs et les foudres qui s'échappent du trône. Cependant ils ne contemplent pas l'essence pure, ni la pleine lumière de la divinité. Dieu condescend à leur faiblesse, c'est-à-dire que Dieu se montre, non tel qu'il est, mais tel que ses créatures peuvent le voir, en se proportionnant à la faiblesse de ceux à qui il se révèle. Or, cette condescendance, Dieu en use même à l'égard des chérubins, nous le voyons par les paroles du Prophète: Je vis, dit-il, le Seigneur assis sur un trône sublime et élevé. Dieu n'est pas assis; cela n'appartient qu'aux corps: Sur un trône; mais Dieu n'est point limité par un trône, puisqu'il est infini. Néanmoins, dans cette vision d'Isaïe, les anges ne pouvaient supporter la splendeur de Dieu ainsi tempérée. Quoique placés près de lui, car les séraphins se tenaient autour de lui, ils ne pouvaient le voir, que dis-je, c'est surtout parce qu'ils étaient près de lui qu'ils ne pouvaient le voir. Il ne s'agit pas d'une proximité de lieu, non, mais le Saint-Esprit veut nous montrer que, quoique plus rapprochés que nous de l'essence divine, ces sublimes créatures ne peuvent néanmoins la contempler. Voilà pourquoi il dit par la bouche du Prophète: Les séraphins se tenaient autour de lui. Il n'indique pas à quelle distance ils sont de Dieu, mais seulement qu'ils en étaient plus rapprochés que nous. Il ne faut pas s'imaginer que nous ayons de l'incompréhensibilité divine la même idée que ces puissances célestes qui, plus pures, ont aussi plus de science et de pénétration que l'homme. Ce n'est pas l'aveugle que le soleil éblouit, c'est celui qui voit clair: nous ne connaissons donc pas l'incompréhensibilité de Dieu aussi bien que les anges. Aussi en entendant le Prophète dire: J'ai vu le Seigneur, ne croyez pas qu'il ait vu l'essence divine elle-même; il l'a vue voilée, et moins parfaitement encore que les vertus d'en-haut. Car il n'a pu en voir autant que les chérubins.
2344. Pourquoi parler de l'essence infinie, lorsque l'homme ne peut pas même sans crainte soutenir l'aspect d'un ange? Cependant il en est ainsi. J'en ai pour garant un homme ami de Dieu, à qui sa sagesse et sa sainteté donnaient un grand crédit auprès du Roi du ciel, un homme orné de toutes les vertus, le juste Daniel. Quand donc je vous le montrerai abattu, craintif et tremblant à la vue d'un ange, n'attribuez pas ces effets à ses péchés et à sa mauvaise conscience; n'en accusez que la faiblesse inhérente à la nature humaine, puisqu'un homme à qui sa sainteté aurait dû donner tant de confiance ne peut s'empêcher de trembler à la vue d'un ange. Daniel a jeûné trois semaines, il n'a mangé aucun mets qui pût flatter le goût; il n'a pas bu de vin; ni chair, ni liqueur enivrante ne sont entrées dans sa bouche; il n'a usé d'aucun parfum. Alors il a une Vision; son âme élevée et spiritualisée par le jeûne était plus apte à la contemplation. Que dit-il? Je levai les yeux et je vis un homme vêtu de baddin, c'est-à-dire d'un vêtement sacré; ses reins étaient ceints d'un or d'Uphaz, son corps était comme la pierre de Tharsis, son visage brillait comme l'éclair, ses yeux comme des flambeaux ardents, ses bras et ses jambes comme un airain étincelant, le son de sa voix était comme le bruit d'une multitude d'hommes. Et moi je vis seul cette (214) vision, et ceux qui étaient avec moi ne la virent point; mais ils furent saisis d'épouvante, ils s'enfuirent pleins d'effroi. Ma force m'abandonna, mon,visage fut tout changé, et ma gloire fut anéantie. (Da 10,5) Que veut dire: Ma gloire fut anéantie? Daniel était beau. La présence de l'ange le remplit de terreur, la vie semble le quitter, il pâlit, la fraîcheur de son visage s'évanouit, il perd toute sa beauté. Voilà pourquoi il s'écrie: Ma gloire fut anéantie. Quand le cocher effrayé laisse échapper les rênes, les chevaux s'emportent et le char se brise. Ainsi en est-il de l'âme, lorsque la crainte et l'angoisse s'en emparent. Epouvantée, elle suspend son action à l'égard de tous les sens, et laisse les membres sans vie. Ceux-ci, privés de &la force qui les anime, tombent en défaillance.
C'est ce qu'éprouva Daniel. Que fait l'ange? Il le relève et lui dit: Daniel, homme de désirs, entendez les paroles que je viens vous dire; levez-vous debout, car je suis maintenant envoyé vers vous. Le Prophète se lève tremblant. Et l'ange continue: Du jour où vous avez résolu d'affliger votre coeur en présence de Dieu, vos paroles ont été exaucées, et vos prières m'ont fait venir ici. (Da 10,11) Daniel retombe prosterné en terre, comme il arrive à ceux qui éprouvent une faiblesse. On les voit en effet se ranimer un instant, revenir à eux, puis s'évanouir de nouveau entre les bras des personnes qui les soutiennent et qui cherchent à les rappeler à la vie. Ainsi en est-il du Prophète. Son âme effrayée ne peut supporter l'aspect ni l'éclat de l'ange, elle est saisie de trouble, elle veut s'échapper en brisant les liens qui l'attachent au corps. Quelle leçon pour, ceux qui scrutent le Maître des anges! Daniel que les lions respectent, Daniel qui dans un corps humain accomplit des choses surhumaines, ne peut supporter la vue d'une simple créature comme lui, et il tombe évanoui. Cette vision, dit-il, a bouleversé tout mon être, et ma respiration s'est arrêtée. (Da 10,16) Les Anoméens, bien moins parfaits que ce juste, s'imaginent connaître parfaitement l'essence divine, cette essence suprême et première qui a créé des millions d'anges, tandis que Daniel ne peut supporter la vue d'un seul de ces anges.
2355. Mais revenons à la proposition que nous avons entrepris d'établir, et montrons que Dieu, même en s'abaissant, ne peut être vu des puissances célestes. Pourquoi les séraphins se voilent-ils de leurs ailes? sinon pour proclamer, par leur conduite, ce que dit l'Apôtre: Il habite une lumière inaccessible. C'est ce que font aussi les chérubins supérieurs aux séraphins. Ceux-ci se tiennent auprès du trône; ceux-là sont le trône même de Dieu, non que Dieu ait besoin de trône, non, ce sont là des manières de parler pour nous montrer la différence qui se trouve entre les natures angéliques. Ecoutez un autre prophète sur le même sujet: Dieu adressa sa parole à Ezéchiel, fils de Buzi, près du fleuve Chobar. (Ez 1,3) Ce prophète était près du fleuve Chobar, comme Daniel près du Tigre. Quand Dieu montre quelque vision extraordinaire à ses serviteurs, il les conduit hors des villes, dans un lieu tranquille, pour que l'âme, à l'abri de toute distraction, puisse en toute sécurité s'appliquer à la contemplation du mystère. Que vit-il donc? Une nuée venait de l'aquilon, un feu l'environnait et une lumière éclatait tout autour; au milieu du feu on voyait un métal brillant, et au milieu de ce même feu, la ressemblance de quatre animaux qui étaient de cette sorte: On y voyait d'abord la ressemblance d'un homme. Chacun d'eux avait quatre faces et quatre ailes. Ils étaient grands et terribles. Leur dos était tout couvert d'yeux. Au-dessus de leur tête, on voyait un firmament qui paraissait comme un cristal étincelant et terrible à voir qui était étendu sur leur tête. Chacun d'eux avait deux ailes dont il se couvrait le corps; et au-dessus de ce firmament on voyait une pierre de saphir; et au-dessus un trône, et un homme paraissait assis sur ce trône. Et je vis comme un métal très-brillant; depuis les reins jusqu'en haut, et des reins jusqu'en bas je vis comme un feu, et son éclat était comme la splendeur de l'arc qui parait dans la nuée en un jour de pluie. (Ez 1,4)
Puis, pour montrer que ni le Prophète, ni les vertus célestes n'ont pénétré l'essence pure de Dieu, il ajoute: Telle fut cette image de la gloire du Seigneur. (Ez 2,1) Voyez-vous comment partout Dieu se proportionne à la faiblesse de ses créatures? Et cependant les vertus des cieux elles-mêmes se voilent de leurs ailes, malgré leur profonde sagesse, leur vive pénétration et leur grande pureté. Les noms de ces habitants du ciel nous révèlent l'excellence de leur nature et la (215) dignité de leurs différents ministères. L'ange s'appelle ainsi parce qu'il porte aux hommes les ordres de Dieu; l'archange, parce qu'il commande aux anges; d'autres prennent le nom de vertus pour signifier leur sagesse et leur pureté; si on leur donne des ailes, c'est pour exprimer la sublimité de leur nature. On peint l'ange Gabriel ailé pour faire entendre que du haut des cieux, il est descendu dans les basses régions de la terre. Il y a de ces esprits bienheureux que l'on appelle Trônes, parce que Dieu semble se reposer sur leurs ministères; le chant continuel qu'on leur attribue, est le symbole de leur vigilance; par leurs yeux on entend leurs connaissances et leurs lumières; d'autres termes marquent d'autres qualités: chérubin signifie science parfaite; séraphin, bouche de feu. Vous le voyez, les noms veulent dire sagesse et pureté. Or, si la science parfaite ne peut soutenir l'éclat même voilé de la majesté divine; si la science imparfaite, comme dit saint Paul, ne connaît qu'en partie, comme dans un miroir et en énigme, quelle folie de prétendre scruter et comprendre ce qui est caché même aux anges!
2366. Dieu est incompréhensible non-seulement aux chérubins et aux séraphins, mais encore aux principautés, aux puissances et à tonte vertu créée; je voudrais vous le prouver, si mon esprit n'était accablé, non par la multitude, mais par la sublimité des choses. L'intelligence tremble épouvantée en demeurant trop longtemps dans ces hautes contemplations. Redescendons des cieux, reposons notre âme fatiguée, en reprenant notre exhortation habituelle, que vous connaissez, pour la guérison de ces infortunés. Oui, prions. Si nous devons prier pour les malades, pour ceux qui gémissent dans les mines ou dans un dur esclavage, pour les énergumènes, combien plus pour ceux-là! L'impiété est pire que l'obsession du malin esprit; les possédés sont dignes de compassion, tandis que rien n'excuse les hérétiques. Puisque j'ai rappelé les prières pour les énergumènes, je veux vous dire quelques mots à ce sujet, et retrancher de l'Eglise un grave désordre. Il serait absurde de déployer tant de zèle pour guérir les maladies des autres, et de négliger ses propres membres. Quel est donc ce désordre?
Cette multitude innombrable, maintenant réunie et écoutant avec la plus grande attention, je l'ai souvent cherchée des yeux au moment le plus solennel, et je ne l'ai point rencontrée. J'en gémis profondément. Un homme parle, on se hâte, on accourt, on se presse, et l'on demeure jusqu'à la fin de son discours. Jésus-Christ va paraître dans les saints mystères, l'église est vide et déserte! Cette conduite est-elle pardonnable? Vous avez du zèle pour entendre la parole de Dieu, c'est bien, mais la conduite que vous tenez ensuite vous ravit tout le mérite de votre assiduité à la prédication. Qui, en vous voyant perdre sitôt le fruit de nos discours, ne nous condamnera nous-même? Si vous écoutez la parole divine avec un zèle sincère, montrez-le par les oeuvres. Se retirer tout après l'homélie, c'est une preuve que l'on n'a pas été véritablement touché. Si votre âme conservait les enseignements de la chaire, vous resteriez pour assister pieusement à nos redoutables mystères. Mais vous m'écoutez comme un joueur de cithare; le discours fini, vous vous retirez sans aucun fruit. Quelle excuse banale apportez-vous? - Je peux prier à la maison; je ne puis y entendre prêcher ni enseigner. - Vous vous trompez, chrétien! On peut, il est vrai, prier à la maison, mais on ne peut y prier aussi efficacement qu'à l'église, où la multitude des Pères spirituels est si nombreuse; où de tous les coeurs montent vers Dieu les supplications. Vous ne serez pas exaucé, en priant seul le souverain Seigneur, comme si vous le faisiez avec vos frères. Vous trouverez ici ce que vous ne trouvez pas dans vos maisons: l'union des coeurs et des voix, le lien de la charité, la prière des prêtres. Les prêtres président, afin que les prières plus faibles du peuple, unies à leurs supplications plus ferventes, montent ensemble vers le ciel. D'ailleurs que sert la prédication sans la prière? La prière d'abord, et la prédication ensuite.
C'est ainsi que s'expriment les apôtres: Nous nous appliquerons à la prière et à la dispensation de la parole. (Ac 6,4) Voilà pourquoi saint Paul commence ses Epîtres par la prière, afin que la prière, comme une lumière, précède et éclaire tout le discours. Si vous vous habituez à prier avec ferveur, vous n'aurez pas besoin de l'enseignement des hommes; Dieu, sans intermédiaire, éclairera votre intelligence. Si la prière d'un seul est si puissante, quelle force, quelle efficacité n'a pas la prière publique? En effet, écoutez saint Paul: C'est lui qui nous a délivré d'un si grand péril, qui nous (216) en délivre et nous en délivrera encore, nous l'espérons, pendant que vous nous aiderez par vos prières, afin que la grâce que nous avons reçue soit reconnue par les actions de grâces que plusieurs en rendront pour nous. (2Co 1,10) C'est ainsi que Pierre sortit de prison. L'Eglise faisait sans cesse des prières à Dieu pour lui. (Ac 12,5) Si la prière de l'Eglise fut utile à Pierre, et ouvrit à ce grand apôtre les portes de la prison, comment osez-vous mépriser cette arme puissante, et quelle excuse avez-vous? Ecoutez Dieu lui-même, montrant qu'il se laisse apaiser par les prières ardentes du peuple. Se justifiant au sujet du lierre, il dit à Jonas: Vous épargnez un lierre, pour lequel vous n'avez point souffert, et que vous n'avez pas fait croître. Et je ne pardonnerais pas à la grande ville de Ninive, où habitent plus de douze cent mille hommes! (Jon 4,10) Ce n'est pas sans motif qu'il mentionne cette multitude, c'est pour vous montrer que la prière en commun a une grande puissance. Je veux vous prouver cette vérité par un exemple récent.
2377. Il y a dix ans, des conspirateurs furent saisis, comme vous le savez: l'un d'eux, personnage éminent, convaincu de son crime, était conduit à la mort une corde à la bouche. Toute la ville se précipite à l'hippodrome, implore la clémence du prince et arrache à la vengeance impériale ce coupable indigne de pardon. Pour fléchir la colère d'un empereur mortel, vous accourez tous ensemble avec vos femmes et vos enfants; et quand il s'agit de vous rendre propice le roi des cieux, de soustraire à sa colère non pas un coupable comme alors, ni deux, ni trois, ni cent, mais tous les pécheurs de la terre, d'arracher les possédés des piéges du démon, vous restez tranquillement assis, vous ne vous empressez pas tous ensemble, afin que Dieu, touché de l'unanimité de vos prières, leur remette leurs peines et vous pardonne vos péchés. Quand vous seriez alors sur la place publique, ou dans vos maisons, ou occupés à des affaires pressantes, ne devriez-vous pas, plus rapides qu'un lion, et rompant tous les liens, accourir aux prières publiques? Quelle espérance de vous sauver pouvez-vous avoir si vous ne le faites pas? Non-seulement les hommes font retentir l'église de leurs supplications, mais les anges se prosternent devant le souverain Maître, mais les archanges lui adressent leurs prières pendant la célébration des divins mystères. C'est pour eux le moment favorable, l'oblation puissante. Les hommes, des branches d'olivier à la main, apaisent le courroux des rois, et les ramènent à la clémence par la vue de ce feuillage, symbole de la clémence. Les anges, au lieu de branches d'olivier, présentent alors le corps de Notre-Seigneur. Ils intercèdent pour les hommes, ils semblent dire à Dieu: Nous vous prions pour ceux que, dans votre bonté, vous avez vous-même aimés le premier, jusqu'à leur donner votre vie; nous répandons nos supplications pour ceux en faveur de qui vous avez répandu votre sang; nous vous conjurons de sauver ceux pour qui vous avez immolé ce corps sacré. Voilà pourquoi dans ce moment le diacre présente les énergumènes, leur fait incliner la tête, pour s'unir à la prière par un extérieur humilié; car il ne leur est pas permis de prier avec l'assemblée des frères. Voilà pourquoi il les amène, afin que, touchés de leur malheur et de leur impossibilité de prier, vous usiez de votre crédit auprès de Dieu pour les secourir.
Pénétrés de ces pensées, accourons tous à ce moment précieux, pour attirer la miséricorde, et trouver grâce et protection. Vous approuvez mes paroles; vous les recevez avec de bruyants applaudissements, mais si vous voulez manifester vos sentiments par vos oeuvres, voici le moment de montrer votre obéissance; après l'homélie, la prière, voilà l'approbation que je voue demande; cette approbation qui se manifeste par les actes. Exhortez-vous mutuellement à rester à vos places; si quelqu'un veut se retirer, empressez-vous de le retenir; et recevant la double récompense de votre propre zèle et de cette charité fraternelle, vous répandrez vos prières avec plus de confiance; vous vous rendrez Dieu propice, vous recevrez les biens présents et futurs par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ à qui soient, avec le Père et le Saint-Esprit, la gloire et l'empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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Chrysostome Homélies 220