Bernard sermons 6033
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1. «C'est une chose précieuse aux yeux du Seigneur que la mort de ses saints (Ps 115,5).» Que le pécheur l'entende et grince des dents, ou qu'il en frémisse et qu'il en dessèche. Il s'est pris à sa propre malice, il est tombé dans la fosse qu'il a creusée, il s'est embarrassé dans les filets qu'il a tendus. En effet, c'est par l'envie du diable que la mort est entrée dans le monde, mais voici que la mort des saints est précieuse. Ecoute donc, ô ennemi de la vie, auteur de la mort, prête l'oreille. A quoi bon maintenant toute ta fourberie, et quel mal peut faire ta malice? Bien plus, pour augmenter ton supplice, voilà même que tout contribue au bien de ceux qui ont été appelés de Dieu pour être saints (Rm 8,28). Ce n'est point, en effet, autrement que par sa mort qui après tout, est ton ouvrage, que le bienheureux martyr dont nous faisons aujourd'hui la fête, a triomphé de toi. En effet, il a fait, Je nécessité vertu, il a changé la peine du péché en une source de gloire, il s'est montré fidèle en petites choses, pour être jugé digne d'être établi sur de grandes, car on ne peut regarder que comme peu, très peu de chose même, en comparaison de la gloire que cette âme bienheureuse; s'est acquise parle martyre, tout ce qu'elle avait reçu auparavant. En effet, tous les bonheurs de ce monde, toute la gloire, tout ce qu'on peut désirer ici-bas est infiniment peu de chose en comparaison du bonheur, de la gloire et de la béatitude du ciel, je ne sais même s'il ne faudrait pas dire plutôt que c'est, non point peu de chose, mais un néant, une vapeur qui se dissipe en un moment. Saint Clément avait reçu en partage une illustre origine, de grands biens, lui héritage considérable; il ajoutait à cela un savoir très-étenduqui le faisait regarder comme le meilleur philosophe de son temps. Tout cela, il le tenait de Dieu, car tous ces biens sont aussi des dons du ciel. Il montra sa fidélité à celui qui les lui avait donnés en les méprisant tous par amour pour lui, en les regardant comme une peste, comme au vil fumier, afin de gagner Jésus-Christ (Ph 3,8).
2. Mais peut-être l'ennemi murmure-t-il entre ses dents comme autrefois: «L'homme donnera toujours volontiers la peau d'autrui pour sauver la sienne, et il abandonnera volontiers tout, ce qu'il possède pour conserver sa vie (Jb 2,4).» Eh quoi, penses-tu donc qu'il se montrera infidèle, du moins pour sauver la vie qu'il à reçue aussi du Seigneur et qu'il la lui préférera? Eh bien, tout pouvoir t'est donné, fonds sur lui par tes satellites, et mets-le dans la nécessité, ou de quitter le Seigneur, ou de renoncer à son corps. Recherche des genres variés et cruels de supplices, mais sache que tu ne fais que tresser des couronnés à notre martyr, car, s'il a méprisé ce qui fait le bonheur et l'ornement de l'existence, il sait mépriser l'existence elle-même. Il t'abandonne son corps pour le faire mourir, il te maudit en face, et il verse le blasphème de sa bouche sacrée sur toutes tes idoles, il prêche librement au sein des tourments le Seigneur son Dieu, et le confesse avec courage. Il sera donc couronné, parce qu'il a combattu le légitime combat, parce qu'il a vaincu avec fidélité, parce qu'il ne s'est laissé séparer de la charité de Jésus-Christ, ni par les jouissances de la vie, ni par les horreurs de la mort. Dites-nous, je vous en prie, âme, sainte, qui exposez ainsi votre corps aux supplices, l'aimiez-vous ce corps, ou ne l'aimiez-vous pas? Je l'aimais beaucoup, me répond-il, car jamais personne n'a haï sa propre chair (Ep 5,29), je l'aimais, mais je l'aimais peu, je ne l'aimais que comme mon esclave, j'aimais le Seigneur mon Dieu bien davantage, et, pour prouver par les faits la vérité de mon amour, je suis allé de bon coeur au devant de la mort même de mon corps pour sa gloire.
3. Qu'avons-nous à répondre à cela, mes frères? nous applaudissons au martyr, mais sa gloire n'est pas sans nous couvrir d'une certaine confusion. En effet, saint Clément était un homme semblable à nous, passible comme nous, revêtu de la même infirmité que nous, et tenant à sa chair par les mêmes liens du coeur qui nous attachent nous-mêmes à la nôtre. Si donc il a glorifié, comme il l'a fait, le Christ dans son corps, et s'il a accepté le calice du salut, que rendons-nous à Dieu nous autres pour toutes les choses qu'il nous a données? Il est certain qu'il nous a marqués de la même image, rachetés dû même sang, et appelés au même héritage, incorruptible, incontaminé, éternel et conservé dans les cieux. Pourquoi donc ne pourrions-nous boire aussi le calice du Christ, comme l'a bu saint Clément? Peut-être me répondra-t-on Nous le pourrions certainement, si l'occasion se présentait de le faire, mais nous ne sommes plus au temps de la persécution. A vrai dire, je n'en crois pas un mot. En effet, il n'est pas de jour où vous ne cédiez à la simple piqûre d'une épingle, et vous prétendez que vous pourriez résister à la pointe d'une épée? Montrez donc au moins dans les moindres assauts que vous sauriez résister courageusement à de plus rudes attaques. On ne vous dit plus, en effet, sacrifiez aux idoles, et vous aurez la vie sauve, ils vous font mourir dans les supplices de toute sorte. Le Seigneur connaît notre limon et il ne nous expose pas à de pareils combats; mais il a voulu que saint Clément eût une lutte vigoureuse à soutenir pour qu'il en sortit vainqueur et qu'il apprît que là sagesse, est plus forte que tout.
4. Mais vous, mes frères, quel est votre combat? Tous les jours, le démon, parlant à vos coeurs vous répète ces mots: Déchirez votre ordre, murmurez, plaignez-vous, n'ayez point tant de zèle, faites le malade, et contentez vos désirs. Il n'ajoute pas, si vous le faites, vous mourrez, mais le plus ordinairement, il dit, vous aurez bien de la peine, et bien ales difficultés à résister à votre; penchant. Qui pourrait supporter de pareilles choses? Voilà ce que nous entendons au dedans de nous le plus ordinairement, et voilà aussi ce que nous répondons aux exhortations des hommes ou aux inspirations secrètes du Saint-Esprit. Si donc nous courons quelque danger an milieu de semblables lattes, si nous ne résistons qu'à peine, si même parfois nous succombons, qu'aurions-nous fait au milieu des assauts si graves du martyre? Si nous sommes faibles au point de reculer devant de fragiles roseaux, comment aurions-nous résisté aux javelots? Voyez-vous comme nous sommes tombés à rien? Semblables à de petits enfants ou à de faibles femmes, nous louons les combats des autres, incapables de combattre nous-mêmes. Mais que faisons-nous, mes frères? Ne sommes-nous pas, tous conviés aux noces de l'Agneau? Or, il ne nous est pas permis de nous présenter devant lui les mains vides. Remarquons donc avec soin ce qui nous est offert, car nous devrons rendre un semblable festin. Saint Clément a remarqué le vin que le Seigneur, lui servait, et comme il était riche, il servit à son tour, aux noces de l'Agneau, le vin de son propre sang. Mais nous qui sommes pauvres, nous n'avons pas de vin, Seigneur. «Emplissez les urnes d'eau (Jn 2,7),» nous répondit-il. Et quoi, est-ce qu'on recevra même de l'eau, si nous en apportons? Certainement, elle sera reçue, d'ailleurs, si, selon la recommandation de la Sagesse (Pr 33,1), nous remarquons avec soin ce qui nous est servi, nous verrons bien que celui qui est venu, non-seulement avec Peau, mais avec l'eau, et le sang (1Jn 5,6), nous a servi de l'eau avec le vin. C'est le témoignage que nous rend celui qui a vu Peau et le sang sortir du côté entr'ouvert de Jésus, endormi sur la croix (Jn 19,35).
5. Pour nous donc, mes frères, si nous voulons nous montrer fidèles à notre Dieu, à défaut du martyre de sang, or, martyre signifie témoignage, recherchons le témoignage de l'eau, et Dieu ne le repoussera point. Il y a trois choses qui rendent témoignage sur la terre l'esprit, l'eau et le sang. Heureux qui peut rendre ce triple témoignage, car nu triple lien se rompt, difficilement (Qo 4,12). Si nous n'avons point le témoignage du sang, nous avons du moins celui de l'eau et de l'esprit, mais, sans le témoignage de l'esprit, ni celui du sang ni celui de l'eau ne sauraient suffire, bien plus, si l'esprit est seul, sans l'eau et le sang, son témoignage suffit encore, car le témoignage de l'esprit est celui de la vérité; ce n'est ni le sang ni l'eau qui servent à quelque chose par eux-mêmes, ils ne servent que par l'esprit qui rend témoignage en eux. Mais je ne pense pas qu'on trouve, ou du moins ce ne peut être que bien rarement, l'esprit lui-même sans l'eau et le sang. Voilà pourquoi, mes bien-aimés, nous devons rechercher l'eau, puisque nous n'avons point le sang. Mais, comme je vous ai parlé des urnes tout-à-l’heure, voyons ce que signifient ces deux ou trois mesures que chacune d'elles pouvait contenir. Jésus-Christ sert trois sortes d'eau, et quiconque parmi nous fera, comme lui, c'est-à-dire pourra avoir trois mesures, sera parfait. S'il est dit, avec un disjonctive, deux ou trois mesures, c'est pour que nous sachions bien qu'il y en a deux au moins d'absolument indispensables, et que la troisième n'est pas absolument exigée de tous.
6. Or, voici ces trois sortes d'eau que le Sauveur vous sert: il pleure sur Lazare et sur la ville de Jérusalem, c'est la première sorte d'eau; il sue à l'approche de la passion, c'est la seconde sorte d'eau; elle coule non-seulement des yeux, mais de tous les membres à la fois, de plus, elle est teinte de rouge et elle a la couleur du sang, selon ces mots de l'Ecriture: «Il eut une sueur comme des gouttes de sang qui découlaient jusqu'à terre (Lc 22,44).» sa troisième eau est celle dont j'ai parlé plus haut, et qui sortit de son côté mêlée à son sang. Or, vous avez la première de ces eaux, si vous arrosez de vos larmes la couche de votre conscience et si vous effacez les taches de vos péchés passés par la douleur de la componction, Vous avez aussi la seconde sorte d'eau, si vous ne mangez votre pain qu'à la sueur de votre visage, si vous châtiez votre corps sous le travail de la pénitence, et si vous éteignez les flammes de la concupiscence. Cette eau aura aussi la couleur du sang, soit à cause de la fatigue, soit même à cause des reflets du feu de la concupiscence qu'elle éteint. Si vous pouvez aller jusqu'à la grâce de la dévotion, vous vous désaltérerez aux eaux salutaires de la sagesse, et l'esprit de Jésus-Christ, qui est plus doux que le miel, deviendra en vous une source d'eau jaillissante pour la vie éternelle. Or, rappelez-vous bien que c'est là l'eau qui s'écoule du côté de Jésus endormi et qui jaillit sans fatigue aucune. Il faut être mort au monde pour goûter les délices de cette grâce. Ainsi, pour me résumer en peu de mots, la première eau lave la conscience de ses fautes passées; la seconde, la prémunit pour l'avenir, en éteignant la concupiscence, et la troisième, si vous avez le bonheur d'arriver à avoir cette eau-là, rafraîchit l'âme altérée.
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1. L'autorité des pères a réglé que les principales fêtes des saints seraient précédées de jeunes et de prières; ils l'ont fait également dans un but utile, et non point sans raison, comme chacun de nous pourra s'en convaincre pour peu qu'il y réfléchisse. En effet, nous commettons tous les jours une foule de fautes, et nous péchons en mille choses; or, il n'est pas sûr pour nous de célébrer les tâtes saintes, surtout les plus grandes, sans avoir commencé par nous purifier, afin de nous montrer plus dignes et de nous mettre mieux en état de goûter les joies spirituelles. Voilà, en effet, comment le juste n'ouvre point la bouche sans commencer par s'accuser lui-même et ne loue les antres qu'après être blâmé. Si le juste même est saisi de crainte à la pensée de se présenter devant celui qui juge les justices même, que faisons-nous, nous autres, dont les péchés ne sont point encore ni jugés ni convertis? N'est-il pas fort à craindre que nos fautes passées ne se montrent au grand jour pour le jugement? Si le juste lui-même n'ose se hasarder à louer les saints, sans éprouver un sentiment de crainte et de réserve, à combien plus forte raison le pécheur, dont les lèvres ne sauraient faire entendre une belle louange, devra-t-il appréhender de s'entendre dire: «Pourquoi racontez-vous mes justices (Ps 50,16)?» Ou bien encore: «Mon ami, comment êtes-vous entré ici sans avoir la robe nuptiale (Mt 22,12)?» Heureux, par conséquent, ceux qui ont conservé, avec une sollicitude de tous les instants, leur robe, je veux dire la gloire de leur conscience, pure de toute souillure, et la montrent toujours dans tant son éclat. Mais, comme il y en a peu qui gardent ainsi leur coeur avec un soin de tous les moments, et qu'il y en a beaucoup moins encore, si tant est qu'il y en ait, qui le conservent dans toute sa pureté, il. faut souvent laver, dans les eaux de l'abstinence, les souillures qui finissent par y entrer, surtout quand une plus grande fête se présente à célébrer
2. Mais il ne faut pas voir seulement une préparation à la fête qui approche dans le jeûne qui la précède, il faut y voir aussi une sorte d'avertissement, et même une leçon pleine d'importance. Un effet, il nous apprend quelle est la véritable voie qui conduit aux fêtes éternelles. Pourquoi faisons-nous précéder les fêtes solennelles d'un jeûne, sinon parce que nous ne pouvons entrer dans le royaume des cieux qu'en passant par mille tribulations? C'est se montrer indigne de la joie de la fête que de ne point observer l'abstinence prescrite la veille. Oui, je le répète, c'est se montrer indigne de jouir du repos et de la joie de la fête que de ne vouloir point affliger son âme la veille de cette fête. Toute la vie présente, avec la pénitence, est comme la vigile de la grande fête, de l'éternel Sabbat que nous espérons; et vous ne vous plaindrez point de sa longueur, si vous réfléchissez que le jour de cette fête sera éternel. Si les solennités d'un jour sont ordinairement précédées d'une préparation d'un jour aussi, celle de l'éternité n'en demande point une éternelle. Mais, où m'emporte en ce moment le doux souvenir de l'éternelle félicité, car c'est le nom ordinaire et peut-être le plus juste de cette fête? Revenons au sujet que nous avons à traiter.
3. La cause du jeûne de ce jour et le motif de la joyeuse solennité à laquelle nous nous préparons, c'est la bienheureuse passion de l'apôtre André. Il est juste, en effet, que si nous ne pouvons partager sa croix, du moins nous partagions son jeûne; car on ne peut douter qu'il ait jeûné pendant les deux jours qu'il demeura attaché à la croix. Participons donc en quelque chose à sa passion, et, s'il ne nous est pas donné de monter avec lui sur son gibet, prenons du moins part à son jeûne, afin que, par la miséricorde de Dieu, nous ayons part aussi à sa couronne, et que, dès à présent, nous soyons associés à ses joies spirituelles. Comment, en effet, ne tressaillirions-nous point d'allégresse au souvenir du triomphe d'un saint qui a tressailli de bonheur avec tant de force, à la vue des instruments de son supplice. Pourrait-ce ne pas être pour nous un jour de joie, qu'une fête où la croix elle-même se présente comme un sujet d'allégresse? On donne ordinairement le nom de fête à ce qui est gai, de même que le mot croix vient d'un genre de tourment particulier, ou tout au moins le nom de ce tourment vient du mot croix lui-même. Avec quelle allégresse la terre entière doit-elle célébrer une merveille si grande et si nouvelle, une oeuvre si magnifique de la vertu divine? André était un homme semblable à nous, passible comme nous, mais il était dévoré d'une soif si ardente de la croix, il tressaillait d'une allégresse si inconnue jusqu'à ce jour, quand il l'aperçut de loin élevée pour lui, qu'il s'écria (a): «O croix, que j'appelle de tous mes voeux depuis si longtemps, et que je vois enfin sur le point de combler tous mes désirs, c'est le coeur plein de calme et de joie que je viens à toi, reçois-moi dans tes bras, avec une allégresse semblable à la mienne.» Vous voyez, il ne se possède même plus dans l'excès de son bonheur; reçois-moi aussi dans tes bras avec allégresse, dit-il. Est-ce donc un si grand bonheur que la croix elle-même doive tressaillir de joie, non pas d'une joie quelconque, mais d'une joie telle qu'elle en soit agitée tout entière? Dira-t-on qu'il est moins extraordinaire, moins au dessus de la raison et de la nature à la croix qu'an crucifié de tressaillir d'aise? La nature a refusé à l'une; tout sentiment de joie, quant à l'autre, tout ce qui excède ses forces détruit tout ce qui est bonheur, pour ne laisser subsister en lui que la douleur: «J'ai toujours été ton amant, continue-t-il, et mon plus grand désir n'a cessé d'être dans tes bras.» Mes frères, c'est un feu dévorant, non une langue d'homme qui parle ainsi, ou si c'en est une, c'est une langue de feu, un de ces tisons ardents du feu que le Seigneur avait envoyé du haut des cieux dans ses os. Plût à Dieu que ce fussent des charbons dévastateurs qui consument et brûlent toute affection charnelle en nous. Quelles étincelles, en effet, et de quel brasier intérieur elles s'élancent!
4. On peut bien dire, ô saint André, que votre foi est le grain de sénevé, tant est inespérée la chaleur que produit ce grain dès qu'il a commencé à être broyé. Que serait-ce donc s'il était soumis à une pression plus forte encore? Quelle âme pourrait en supporter l'ardeur, quelles oreilles seraient capables d'entendre de semblables paroles. Tant que Égée ne le menaçait pas, le grain de sénevé semblait peu digne d'attention, il était intact et on ne pouvait savoir quelle vertu il renfermait. «Le Seigneur m'a envoyé, dit-il, il m'a envoyé vers cette province, où je lui ai réuni un peuple assez nombreux.» Que l'aiguillon des menaces paraisse maintenant, son goût n'en semblera que plus brûlant, et sa parole n'en sera que plus constante. Égée pense qu'il va l'effrayer s'il lui offre, en perspective, le supplice de la croix; mais il n'i:n cil, point ainsi, le menace, l'excite au contraire, et il s'écrie d'une vois fibre: «Pour moi, si je redoutais le gibet de la croix, je ne prêcherais point la gloire de la croix.» Aussi, à peine aperçut-il le bois de la croix qui lui était préparée, qu'enflammé à cette vue, il l'applaudit avec enthousiasme, et lui parle comme à une bien-aimée; il la salue avec tout plein de respect, l'embrasse avec des transports d'amour, la prend dans ses bras avec bonheur, lui adresse des paroles de félicitation et de gloire, et lui crie du coeur plus encore que de la voix: «Salut, croix précieuse, toi qu'a consacrée le corps du Christ, toi que ses membres ont ornée comme autant de pierres précieuses!» C'est donc à bien juste titre que les serviteurs de la croix vénèrent cet amant de la croix; mais il réclame, avec raison, une dévotion plus grande de ceux qui ont tout particulièrement formé le dessein de porter leur croix. C'est à vous que je m'adresse, mes frères, et c'est pour vous que je parle ainsi, pour vous, dis-je, qui n'avez point fermé l'oreille à ces paroles de l'Évangile: «Quiconque ne porte point sa croix, et ne me suit pas, ne peut-être mon disciple (Lc 14,27).» Montrez-vous prêts à apporter tout le soin de votre âme à cette solennité, et à la célébrer de tout votre coeur; car si nous savons creuser et chercher, nous trouverons un riche trésor de consolation et d'encouragement caché dans son sein.
a Ces paroles sont extraites des actes de saint André, dont la rédaction est attribuée à quelques prêtres d'Achaïe. Beat, abbé espagnol, est le premier, que nous sachions, qui ait cité ces actes, il y a neuf siècles environ, vers la fin de son livre I contre Elipand. (Note de Mabillon).
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1. Nous célébrons aujourd'hui le triomphe de saint André, et nous avons tressailli de joie et de bonheur, dans les paroles de grâce qui sont sorties de sa bouche. Il ne pouvait, en effet, y avoir lieu à la tristesse, en un jour où on le voit lui-même enivré de tant de joie. Personne parmi nous n'a compati à ses souffrances, personne non plus n'a osé pleurer sa joie. Autrement il pourrait, avec raison, nous dire, comme autrefois le Christ portant sa croix, dit à ceux qui le suivaient et qui pleuraient sur ses pas: «Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, mais sur vous (Lc 23,28).» D'ailleurs quand saint André était conduit vers la croix, le peuple, qui voyait avec peine ce saint et ce juste injustement condamné à mort, voulut s'opposer à son supplice; mais lui, avec les plus instantes prières, les détourna de la pensée d'empêcher qu'il fut couronné, que dis-je, d'empêcher qu'il souffrit le martyre. Il brûlait, en effet, du désir d'être dégagé des liens dit corps, et d'être avec Jésus-Christ (Ph 1,25), mais sur la croix qu'il avait toujours aimée. Il souhaitait d'entrer dans le royaume, mais par le gibet. En effet, que dit-il à sa bien-aimée?» Que celui qui m'a sauvé par toi, par toi aussi me reçoive.» Si donc nous l'aimons, nous devons nous réjouir avec lui, non-seulement parce qu'il est couronné maintenant, mais aussi parce qu'il a été crucifié; par ce que le Seigneur a exaucé les désirs de son coeur, et a placé sur sa tète une couronne de pierres précieuses. Toutefois, en le félicitant de ce qu'il a eu le bonheur d'embrasser enfin la croix, après laquelle il avait si longtemps soupiré, je serais bien surpris si nous n'avions aussi un sentiment d'admiration pour la joie de celui que nous félicitons.
2. En effet, cette nuit même, pendant les vigiles, quand nous répétions dans nos chants des paroles d'allégresse, pensez-vous qu'il ne s'en est pas trouvé quelques-uns parmi nous pour penser et se dire: pourquoi tout cela, et d'où viennent tous ces transports de joie? Est-ce que la croix est précieuse, est-ce qu'on petit l'aimer, est-ce qu'elle porte la joie? Oui, oui, mes frères, s'il se trouve une main pour en cueillir les fruits, toujours le bois de la croix produit la vie, fructifie le bonheur, distille l'huile de la joie, sue le baume des dons spirituels. Ce n'est point us arbre de la forêt, c'est un arbre de vie pour ceux qui savent la prendre. C'est un arbre fructifère, un arbre salutifère, autrement comment occuperait-il la terre du Seigneur, ce sol précieux auquel il est fixé par ses clous, comme par autant de racines? S'il n'était pas plus, fertile que tous les autres arbres, jamais il n'eût été planté dans ce jardin, jamais le Seigneur ne l'eût laissé occuper une place dans sa vigne. Après tout, pourquoi nous étonnerions-nous que celui qui a donné la douceur même au feu, en eût donné aussi à la croix? Ou bien, comment pourrions-nous croire que la croix est dépourvue de toute saveur, quand nous voyons que la flamme elle-même semble douce au goût? En effet, quel goût n'avait pas le feu pour saint Laurent, quand il se moquait de ses bourreaux et raillait son juge? Que répondrons-nous à cela, mes frères? Pourquoi ne trouverions-nous point aussi du goût dans les épreuves endurées pour Jésus-Christ, pourquoi n'y aurait-il pas pour nous quelques délices dans cette manne cachée? Ce serait vaincre tout à fait le démon, et il n'aurait plus rien à apporter contre nous. Cette victoire seule suffirait contre la double malice de notre ennemi.
3. Car ce détestable adversaire a ses pièges de ses traits, il est un bien rusé chasseur d'hommes, et n'est altéré que du sang de nos âmes. Il s'attache aux uns par les traits de ses suggestions perfides, et, par ce moyen, il en blesse beaucoup dont la patience est faible. Il s'efforce d'enlacer les autres dans les lacs de la volupté, c'est dans ces réseaux qu'il prend la plupart de ceux qui rampent à terre, ou ne s'élèvent que bien peu au-dessus d'elle. Que votre joie soit donc dans la tribulation, et le malin n'a plus de moyen de vous attirer, plus de moyen de vous renverser; du même coup nous nous trouvons dégagés du piège des chasseurs et de la parole âpre de notre ennemi (Ps 110,1). Il ne peut rien gagner dans celui que charme la croix du Christ, en lui suggérant des pensées charnelles; et le fils de l'iniquité ne pourra lui nuire (Ps 82,22), s'il essaie d'exaspérer son coeur par les amertumes, qu'importent les délices à celui qui se repaît de jeûnes; à plus forte raison ne lui arrache-t-il point un murmure pour ce qui précisément fait ses délices. Évidemment, il a mis son refuge très-haut, là où il ne saurait appréhender ni les ni les flèches de l'ennemi, que dis-je, il est un poisson pur avec des écailles et des nageoires. Or, de même qu'on jette en vain le filet sous les yeux des oiseaux qui ont des ailes, ainsi on décoche inutilement un trait contre les poissons qui sont recouverts d'écailles comme d'une cuirasse. La Loi déclarait purs les poissons qui ont des nageoires pour se mouvoir, et des écailles pour se protéger (Lv 11,10 Dt 14,9), soit qu'ils vivent dans la mer ou dans les rivières, soit qu'ils habitent dans un étang. Or, notre mer si vaste et si spacieuse renferme des poissons purs et dignes de figurer sur la table du Seigneur; car parmi les poissons qui sont encore, par leur genre de vie et toutes leurs habitudes, dans l'Océan immense du siècle, il s'en est réservé plusieurs milliers que les filets des apôtres vont chercher au fond des eaux et attirent sur le rivage pour y être séparés des mauvais. C'est sur ce rivage qu'ira certainement s'asseoir notre pêcheur d'hommes, qui tire derrière lui, dans ses filets, l'Achaïe tout entière. Les rivières ont aussi leurs poissons purs, ce sont tous les dispensateurs fidèles. En effet, les rivières représentent l'ordre des prédicateurs qui ne demeurent jamais dans un même endroit, mais qui se répandent et courent, sur la terre, pour l'arroser de leurs eaux. Quant. aux étangs, on peut dire avec raison qu'ils figurent les monastères, car les poissons s'y trouvent comme enfermés et conservés sous la main, afin de pouvoir être pris à tout instant pour la table spirituelle du Maître; là, chacun d'eux se dit; Quand viendra donc le jour où je serai pris? car dans la lutte où je me trouve maintenant, j'attends tous les jours que mon changement arrive (Jb 14,14).
4. Mais, pour en revenir à la Loi dont je vous parlais il n'y a qu'un instant, tout poisson quia des nageoires et des écailles est pur, qu'il se trouve dans la mer, dans les rivières ou dans un étang. Leurs écailles sont multiples; mais leur réunion ne fait qu'une seule et même cuirasse, si je puis parler ainsi; de même la vertu de patience en est une, bien que nous semblions en avoir une nouvelle dans les tribulations qui se succèdent. Mais si on peut, selon moi, comparer les écailles du poisson à la patience, il me semble qu'on peut également voir la gaîté dans ses nageoires. En effet, la gaîté lève et soulève, et semble faire faire des bonds et des sauts à ceux qu'elle anime. Mais pour avoir nos deux nageoires, il faudrait trouver deux sortes de gaîtés. Peut-être est-ce pour cela que l'Apôtre qui avait bien ses deux nageoires quand il fut reçu dans les cieux, et s'éleva jusques au paradis, «se glorifiait non-seulement dans son espérance, mais encore dans ses tribulations (Rm 5,3).» Il est évident, en effet, que celui qui trouve du charme, non-seulement dans l'attente des biens futurs, mais encore dans le spectacle des maux présents, au point d'aller jusqu'à s'en glorifier, a pris son vol bien haut. Or, tel fut notre Apôtre, tel il s'offre à notre admiration, et tel nous vous le présentons dans nos prédications.
5. Ceci m'amène à vous faire remarquer qu'il y a trois degrés selon que l'on est au commencement, au milieu, ou au faite. Or le commencement de la sagesse, c'est la crainte du Seigneur (Si 1,16); le milieu c'est l'espérance, le faite est la charité, selon ces paroles de l'Apôtre, «la plénitude de la loi est la charité (Rm 13,10).» Ceux qui n'en sont encore qu'au commencement par la crainte, sont ceux qui ne portent la croix du Seigneur qu'avec patience; ceux qui avancent déjà dans l'espérance, sont ceux qui la portent volontiers; mais ceux qui l'embrassent avec amour, sont arrivés au faite, car il faut être du nombre de ces derniers pour pouvoir s'écrier: «J'ai toujours été ton amant, toujours j'ai soupiré après le bonheur de te sentir dans mes bras.» Quels sentiments différents de ceux qu'éprouve celui qui porte sa croix, j'en conviens, mais qui voudrait bien, s'il était possible, que cette heure ne fût point venue pour lui! combien même, si j'ose le dire sans trop de témérité, sont-ils différents de ceux qu'exprimait celui qui s'écriait: «mon Père, s'il est possible, faites que ce calice passe loin de moi (Mt 26,39)!» Qu'est-ce en effet? Ne semble-t-il pas être monté sur un âne pour échapper aux mains des ennemis. Je rencontre dans le général en chef, les craintes des soldats sans vaillance; dans le médecin, la voix du malade; c'est pour moi la faible poule avec ses poussins. Ce que je vois là c'est sa charité, ce qui me surprend c'est, sa compassion, ce qui me confond, c'est sa condescendance. Si le Dieu des miséricordes n'a point pris les robustes sentiments de Saint André, c'est parce que ce ne sont pas ceux qui se portent bien, mais les malades qui ont besoin du médecin (Mt 9,12). Si cette condescendance scandalise quelqu'un d'entrevous, il mérite d'entendre ces paroles: «Votre oeil est-il mauvais parce que je suis bon (Mt 20,15)?» Pour lui, en effet, l'odeur de vie est mortelle.
6. Qu'y aurait-il eu d'étonnant, Seigneur Jésus, que l'heure puni, laquelle vous étiez venu, une fui arrivée, elle vous trouvât debout et intrépide comme quelqu'un qui a le pouvoir de déposer la vie, sans que personne puisse la lui ravir? N'y avait-il pas plus de gloire au contraire, puisque tout ce qu'il faisait, c'est pour nous qu'il le faisait, que, non-seulement son corps souffrit la passion pour nous, mais que son coeur même fût aussi atteint pour nous; et que de même que votre mort, ô mon Dieu, me rendait la vie, ainsi vos craintes rue donnassent du courage, vos tristesses de la joie, voir l'abattement de l'entrain, votre trouble du calme, votre désolation de la consolation. Je vois dans le récit de la résurrection de Lazare que le Seigneur «frémit en son esprit et se troubla lui-même (Jn 11,33);» mais s'il se troubla ce n'est pas par un effet de la nécessité, mais de sa pleine et entière volonté. Mais voici quelque chose de plus fort encore. L'amour qui est, fort comme la mort, produisit un tel effet en lui, qu'un ange descendit du ciel pour le fortifier. Qui vint, et qui fortifia-t-il? Ecoutez la réponse de l'Évangéliste. «Alors il lui apparut un ange du ciel pour le fortifier (Lc 22,43).» De qui parle-t-il ainsi? De celui pour qui, à sa naissance, s'ouvrit le sein fermé d'une Vierge; de celui qui, d'un signe, changea l'eau en vin, dont le toucher mit la lèpre en fuite, dont les pieds ont foulé les flots de la mer devenue solide pour ceux dont la voix rappela les morts à la vie, de celui enfin qui soutient tout par la puissance de sa parole, par qui tout a été fait, tout, les anges eux-mêmes, subsiste. Que dirai-je enfin, comment le désignerai-je? Je ne serais pas si longtemps à vous le nommer s'il n'était indicible. Ainsi il était soutenu par un ange qui ne pouvait même comprendre toute la majesté de celui qu'il soutenait.
7. Dis-moi, ô ange, qui consoles-tu? Ne savais-tu point qui était celui que tu venais consoler? Mais c'est le consolateur même, c'est un paraclet, autrement comment aurait-il dit à ses apôtres qu'il leur en verrait un antre paraclet, s'il n'avait été lui-même un vrai paraclet, (Jn 14,16)? Oui, je reconnais en lui un très-grand paraclet, un paraclet bienveillant, car il est proche de tous ceux dont le coeur est affligé (Ps 34,19). Je ne désespère plus, Seigneur, quoique les afflictions que je souffre, soient excessives, que je sois bien faible et que je souhaite ardemment que ce calice passe loin de moi, non dis-je, je ne désespère plus, pourvu toutefois que je sache ajouter aussi: «Toutefois qu'il en soit, non comme je le veux, mais comme vous le voulez.» J'ai appris de lui à ne point recourir à des consolations charnelles et caduques, mais à des consolations angéliques, spirituelles et célestes. Oui, il en sera ainsi si je sais ne point murmurer, car le murmure élèverait à l'instant un mur de séparation entre vous et moi, si je ne me hâtais de jeter les yeux vers vous; je ne refuse pas les épreuves quand même j'aurais besoin d'être consolé. Et quoi, ne reconnais-je point ma voix dans celle de mon Sauveur? Pourquoi donc désespérerais-je de mon salut? Je posséderai mon âme dans mon entière patience.
8. Mais je veux aller plus loin encore, et ne pas me tenir sitôt pour satisfait d'avoir trouvé le salut. «Celui qui craint le Seigneur, dit le Sage, fera le bien (Qo 15,1).» Ce n'est pas même encore assez, car il est écrit: «détournez-vous du mal et faites le bien (Ps 37,27), recherchez la paix et poursuivez-la avec persévérance (Ps 34,15).» Non, ne vous contentez point du salut, recherchez la paix si vous ne voulez que votre salut même ne soit en péril. Aussi, entendez l'ange, à la naissance de celui qui s'est fait notre paix, tressaillir d'allégresse et chanter: «Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (Lc 2,14).» Or, que faut-il entendre par cette bonne volonté, sinon une volonté bien ordonnée? Qu'est-ce que cette volonté-là, me demandez-vous? C'est celle qui est d'accord avec la raison quand elle dit: «Les souffrances de la vie présente, n'ont point de proportion avec cette gloire qui sera un jour découverte en nous (Rm 8,18).» Quand vous aurez une fois bien senti cela, je ne doute pas que vous ne portiez volontiers la croix du Seigneur, et que vous ne disiez: «Je suis tout prêt, Seigneur, et je ne suis point troublé, je suis tout prêt là garder vos commandements (Ps 119,98).»
9. Mais après cela, si vous voulez être parfait, il vous reste encore une chose absolument nécessaire. Qu'est-ce, me dites-vous? La joie dans le Saint-Esprit. Car si une âme retenue par la crainte est patiente, conduite par l'espérance elle est facile, et peut aisément tomber si elle n'a la ferveur de l'esprit. Or la charité que le Saint-Esprit répand en nous est patiente; et bénigne, et ce qui est bien plus encore, elle ne défaille jamais (1Co 13,8). Si vous faites attention au premier précepte qui fui, donné à nos premiers parents, vous remarquerez la patience chez Eve, et la bienveillance chez Adam; mais, par leur chute, l'un et l'autre ont fait voir clairement qu'ils n'étaient pas solidement établis dans le degré où ils se trouvaient. «La femme vit le fruit de l'arbre, dit l'Écriture, elle le trouva beau à voir et doux à manger (Gn 3,6).» Ne vous semble-t-il point qu'elle a bien de la peine à retenir sa main? Il en est, en effet, ainsi, et lorsque le serpent la questionne, remarquez comme tous les mots (le sa réponse indiquent le commandement de Dieu lui-même. «Nous mangeons, dit-elle, du fruit de tous les arbres du paradis; mais pour ce qui est du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal, le Seigneur nous a dit de n'en point manger (Gn 3,6).» Elle ne dit: pas telle est la volonté du Créateur; quant au pourquoi sa volonté est telle, lui seul le sait; pour nous, il nous suffit d'obéir, car notre vie est dans sa volonté. Aussi, la femme fut-elle aisément séduite, elle crut sans peine aux promesses du démon, et se laissa, persuader à sa voix. Adam n'a pas été séduit par le serpent (1Tm 2,14), mais par sa femme qu'il aimait; il n'aurait pas demandé mieux que d'observer un commandement dont il connaissait tous les avantages pour lui, si sa femme ne lui avait pas donné des conseils contraires, il ne semble même point avoir eu d'autre difficulté à se soumettre à la volonté de Dieu, mais sa volonté, pour être bonne, n'avait pourtant point de force, parce qu'elle n'avait aucune ferveur.
10. Ce n'est ni la patience ni l'espérance, mais l'amour seul qui est fort comme la mort (Ct 8,6), ce n'est ni la crainte ni la raison, mais l'esprit de force. La patience dit: il faut qu'il en soit ainsi, mais elle est pressée; par la crainte. La bonne volonté reprend: il faut et il est expédient qu'il en soit de la sorte, mais elle est attirée par un motif d'espérance. Quant à la charité, qui est enflammée par l'esprit, elle ne dit, ni il faut, ni il est expédient qu'il en soit ainsi; mais, voilà ce que je veux, voilà mes souhaits, voilà mes plus ardents désirs. Voyez-vous quelle élévation, quelle sécurité? quelle suavité dans la charité? Heureuse l'âme qui en vient à ce degré de charité. Il n'y a pas lieu pour nous à désespérer, puisque si nous célébrons la mémoire de celui qui est arrivé à ce point, c'est précisément pour invoquer son secours et nous exciter à son exemple. Je vais plus loin, il me semble même qu'il y en a plusieurs parmi nous qui ont atteint ce degré. Si vous m'objectez que saint André est un apôtre, et que vous, qui n'êtes qu'un néant, vous ne sauriez marcher sur ses traces, ayez du moins le courage d'imiter ceux qui sont avec vous, personne n'arrive du premier coup au haut, c'est en montant, non en volant, qu'on atteint au faîte de l'échelle. Montons donc avec ce que j'appellerai nos deux pieds, je veux dire avec la méditation et l'oraison. La méditation nous apprend ce qui nous manque, et l'oraison obtient que ce qui nous manque nous soit donné. L'une noirs montre la vie, et l'autre nous y ai fait entrer; la méditation nous fait connaître les dangers qui nous menacent, l'oraison irons les fait éviter avec la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ qui vit et règne, dans les siècles des siècles, avec le Père et le Saint-Esprit. Ainsi soit-il.
Bernard sermons 6033