Augustin, Annot. sur Job - Prolog.

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Jb 39,1-35

CHAPITRE XXXIX. - Interrogations du Seigneur à Job sur la nature et les propiétés de certains animaux.

1 «Sais-tu quand enfantent sur les rochers les chèvres sauvages, Tragelaphi?» Ce mot vient de tragos, bouc, et de elaphos, cerf. Le tragélaphe est donc un animal qui tient du bouc et du cerf: il figure l'âme qui obéit à la loi de Dieu dans son coeur, mais qui sous l'impression des passions dont le bouc est l'image, sent encore dans ses membres une autre loi qui s'élève contre la loi de son esprit et qui la tient captive sous la loi du péché (1). Il enfante sur les rochers au temps marqué, s'il appuie ses actes de vertu sur les saintes Ecritures. C'est ainsi que vivent tranquilles au sein de l'espérance ceux dont la chair lutte contre l'esprit, et l'esprit contre la chair, jusqu'à ce qu'enfin, avec la rapidité du cerf, ils échappent aux ruses du serpent, vivent de l'esprit et obéissent à ses lois (2). Désormais le péché, dont le bouc est la figure, ne règne plus dans leur corps mortel, parce qu'ils n'en suivent plus les désirs déréglés (3). «As-tu observé l'enfantement des biches?» Ce sont les sociétés des hommes vraiment spirituels, qui nous proposent avec un soin tout maternel l'imitation de leurs vertus. Ils n'ont point à craindre les captieuses doctrines du serpent, parce qu'ils s'appuient pour s'en défendre, sur Dieu et non sur eux-mêmes.

2. «As-tu compté les mois qu'elles portent leur fruit?» Si les Eglises enfantent à la grâce, c'est par l'Evangile, que prêcha le Seigneur, pendant les mois destinés à sa mission de docteur, depuis son baptême jusqu'à sa Passion et son Ascension. «As-tu fait cesser leurs douleurs?» C'était dans la douleur qu'on s'écriait «Mes bien-aimés, que j'enfante de nouveau jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous (4).» Ces douleurs sont apaisées après l'enfantement, c'est-à-dire quand ceux qui font ainsi gémir ont reçu la vérité en suivant l'impulsion donnée à leur conscience par la parole de Dieu.

3. «As-tu nourri leurs jeunes faons sans leur inspirer de crainte?» nourri du lait des sacrements, les disciples exempts de l'esprit de frayeur? Car ils n'ont point reçu l'esprit de servitude pour secondaire par la crainte (5). «As- tu séparé d'elles leurs petits?» pour les abandonner en liberté dans les gras pâturages de la vie spirituelle.

1 Rm 7,22-23. - 2 Ga 5,17-18. - 3 Rm 6,12. - 4 Ga 4,19.- 5 Rm 8,15.

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4. «Leurs petits se sont échappés.» Ils ont bris, les liens de la concupiscence. «Ils grandiront en se nourrissant de froment;» en recevant les leçons d'une sagesse plus parfaite, après le lait des premiers enseignements. «Ils s'en «iront et ne reviendront plus vers elles.» Ils sortiront des limites étroites de l'enseignement donné par les hommes à ceux qui débutent. Ils ne reviendront plus vers leurs mères, parce qu'ils n'auront plus besoin du lait de la doctrine des enseignements de leurs maîtres. Evidemment ces trois phrases ne doivent pas être sous forme d'interrogation.

5. «Quel est celui qui adonné à l'âne sauvage sa liberté?» Je m'étonnerais que l'âne sauvage ne figurât point ici le petit nombre de ceux qui s'affranchissent du soin de toute affaire pour servir Dieu. «Qui a brisé ses entraves?» les liens des affections charnelles et vulgaires.

6. «Je lui ai donné pour demeure le désert, et pour retraite les plaines arides.» C'est pour quoi il s'écrie: «Mon âme a soif de vous (1).»

7. «Il dédaigne le tumulte de la ville,» que l'Ecriture appelle Babylone, et qui marche par la voie large de la perdition (2). «Et n'entend point les cris de l'exacteur.» Il ne doit rien à personne.

8. «Il contemple les montagnes où sont ses pâturages:» les beautés de la Révélation. «Et recherche les collines verdoyantes:» tout ce qui dure éternellement.

9. «Est-ce-toi que la licorne veut servir?» celui qui s'enorgueillit ici-bas de son rang élevé? Le Christ a su soumettre de tels hommes à sa puissance, il les a établis ministres de son Eglise. Le mot grec employé, monokeros, signifie bien «Qui n'a qu'une corne;» il désigne les orgueilleux. «Viendra-t-il reposer dans son étable?» Comme on se repose sur l'humilité de Celui qui fut en naissant déposé dans une étable (3). On y est heureux du pardon de ses péchés, on y oublie les inquiétudes d'une conscience en désordre.

10. «Attachera-t-il son joug par des courroies?» Le joug doux à porter est attaché par des courroies, c'est-à-dire, il est annoncé par ceux qui domptent et mortifient la chair. C'est pourquoi Jean portait une ceinture de cuir (4), et non le fouet sanglant dont se frappent les pécheurs. «Et tracera-t-il les sillons dans ton champ?» Il ouvrira le coeur du peuple docile

1 Ps 62,2. - 2 Mt 7,18. - 3 Lc 1,7. - 4 Mt 3,4.

pour le mettre en possession du royaume de Dieu.

11. «Est-ce toi qui as mis ta confiance en lui, parce que sa force a été changée?» Parce qu'il ne recherche pas dans l'Eglise ce qu'il avait recherché dans le monde, les vains honneurs et les louanges des hommes. «Lui confieras-tu tes travaux?» Comme les lui confie celui dont l'Apôtre se dit l'ambassadeur, quand il exhorte au nom du Christ à se réconcilier avec Dieu (1).

12. «Crois-tu qu'il te rendra tes semailles?» Il ne réclame rien au profit de sa puissance. Le mot semailles signifie ici l'action d'ensemencer. «Et qu'il les apportera dans ton aire?» Il sera au nombre de ceux que le Seigneur chargea de prier le maître des récoltes pour envoyer des ouvriers à sa moisson (2). Il ne voudra point construire d'aire pour lui comme le chef des hérésies et des schismes, et tous ceux qui ne recherchent point la gloire de Dieu, mais leur propre gloire. Il serait bien difficile de conduire ainsi le rhinocéros; mais cette merveille s'accomplit dans le coeur des hommes par l'auteur de toutes les merveilles (3), par celui qui détruit tout raisonnement humain, toute hauteur élevée contre la science de Dieu, par celui qui réduit tous les esprits sous le joug de son obéissance (4).

13. «Le plumage de l'autruche se mêle aux ailes du héron et de l'épervier.» L'autruche, qui ne peut voler, est la figure des esprits lents. Ceux-ci néanmoins ont reçu assez de grâces de Celui qui a choisi les insensés de ce monde (5), afin qu'ils puissent marcher avec une vitesse égale à celle des plus belles intelligences, figurées par les deux autres espèces d'oiseaux. Tel est le sens de, ce passage.

14. «Elle abandonne ses veufs sur la terre.» Il commence par l'autruche, ou plutôt il parle de celui dont cet oiseau est la figure. Il ne pourrait avec ses lourdes ailes imiter le vol rapide des plus agiles, s'il ne laissait sur terre les premières espérances figurées par les oeufs. «Ils s'échauffent dans la poussière.» Quoiqu'il méprise désormais ce qu'autrefois il recherchait dans le monde, ce qu'il dédaigne prospère souvent à la faveur des amis du monde, comparés ici à la poussière.

15. «Elle oublie que le passant les dispersera; que l'animal les foulera aux pieds.» Si l'envie de ses rivaux, ou la malice du siècle vient troubler et confondre ses espérances qui sont pour

1 2Co 5,60. - 2 Lc 10,2. - 3 Ps 71,18. - 4 2Co 10,4-6. - 5 1Co 1,27.

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lui comme les oeufs laissés à terre, il n'en a aucun souci, et reste insensible à la perte de ce qu'il a oublié.

16. «Elle se montre dure envers ses petits, comme s'ils n'étaient pas les siens.» Si, au lieu de ces espérances, désignées par les oeufs, il possède la réalité figurée par les petits éclos; c'est-à-dire si la prospérité temporelle lui arrive, il méprise courageusement et repousse cette prétendue félicité, ne voulant pour lui que la véritable. «Et rend son travail inutile, sans aucune inquiétude.» Ceci a lieu avant sa conversion: alors il travaille avec l'espérance du siècle, sans rien recueillir, et ce qui est plus insensé encore, sans rien craindre, en se promettant l'incertain.

17. «Parce que Dieu lui a refusé la sagesse «et ne lui a pas donné l'intelligence.» Quoi de plus insensé que de mettre sa confiance dans la vanité et de travailler a acquérir des biens périssables, sans craindre de les perdre? Tel est cependant le vice de beaucoup d'hommes habitués aux faveurs de la fortune, surtout si cette prospérité remonte à plusieurs générations: il leur paraît impossible d'arriver subitement à la misère. Ils occupent un rang distingué dans le monde; mais comme ils ne peuvent aller sur les ailes de leurs vertus converser dans le ciel, on ne saurait même les comparer qu'à l'autruche; mais notez ce qui suit

18. «Au temps marqué, elle s'élèvera dans les airs, et se rira du cheval et de son cavalier.» Quand viendra la plénitude des temps (1), où il sera ordonné aux riches de n'être point orgueilleux, de ne point mettre leur confiance en des richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant (2), ils élèveront leur coeur au Seigneur, dédaigneront les tyrans superbes que Dieu aura précipités dans la mer. Alors les plumes de l'autruche se mêleront, en s'élevant vers le ciel, à celles des oiseaux plus agiles, et tout ce qui est dit de cet animal aura son accomplissement.

19. «As-tu donné la force au cheval?» On dirait ici le portrait du martyr, intrépide et ardent témoin de la foi qui nous sauve: sa force pourtant ne vient point de lui, c'est le Seigneur qui l'en a revêtu. «Lui as-tu appris à pousser ses hennissements?» Revêtez-vous de toutes les armes de Dieu, afin de vous défendre au jour mauvais (3).

1 Ga 6,4. - 2 1Tm 15,17. - 3 Ep 6,11.

20. «L'audace est la gloire de son poitrail,» L'audace qui faisait parler et agir Isaïe (1). Notre gloire, c'est notre, conscience (2), quand elle trouve bonnes nos actions, afin que chacun ait de quoi se glorifier en lui-même et non dans un autre (3).

21. «Il s'avance avec orgueil dans la plaine.» Il marche au flambeau de la liberté; tressaillant de joie, parce que tes voies larges de la charité lui ont rendu le bien facile à accomplir. «Il marche plein de courage au combat.» Contre les épreuves de l'adversité,

22. «Il affronte les traits de l'ennemi.» Parmi ses armes est le bouclier de la foi, où viennent s'éteindre tous les traits enflammés de l'ennemi (4). «Et n'évite point le glaive.» Ou la mort visible elle-même, ou bien ces hommes opiniâtres à repousser la vérité, ardents à la persécuter. Il ne s'en détourne point, parce qu il lui est ordonne de les aimer.

23. «Sur lui l'arc et l'épée sont dans la joie.» Sa profession de foi annonce les châtiments encore invisibles dont Dieu menace de loin le pécheur; elle rend témoignage à la parole qui de près renverse toutes les erreurs. Il y a donc ici deux idées bien distinctes: la menace qui découvre dans l'avenir les châtiments du pécheur, c'est le trait que l'arc lance au loin; la parole qui dompte les passions du moment, c'est le glaive avec lequel on repousse de la main. «Effrayés à l'aspect de la lance et du javelot.» Comment se fait-il qu'effrayés par la lance et le javelot, l'arc et le glaive soient dans la joie? N'est-ce point parce que, s'il ne tremble, s'il ne redoute la mort éternelle dont frappe la justice divine, le martyr ne pourra affronter celle dont il est menacé par le tyran, ni confesser hardiment sa foi, ni prêcher avec confiance les vérités auxquelles ne pourront résister les ennemis? C'est ainsi que la parole de Dieu en lui se réjouit; il la publie en toute liberté, et pour annoncer aux impies la triste fin dont ils sont menacés, et pour condamner leurs iniquités présentes. Si les joies de l'espérance ne s'unissaient point en nous aux craintes de la damnation, elles dégénéreraient bientôt en une coupable sécurité, en une présomption téméraire, et il ne nous serait point dit par le Psalmiste: «Réjouissez-vous en lui avec tremblement (5).» Il s'indigne contre lui-même; il veut détruire les ardeurs de la concupiscence, et

1 Is 65,1 Rm 10,20. - 2 2Co 1,12. - 3 Ga 6,4. - 4 Ep 6,16. - 5 Ps 2,11.

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les craintes de la chair, qui nous font repousser les souffrances et les combats. C'est probablement en ce sens qu'il est dit: «Entrez en colère et ne péchez point (1).» C'est avec une salutaire indignation, qu'il doit se condamner lui-même et se dire: «Pourquoi es-tu triste, ô mon âme, et pourquoi me troubles-tu? Espère en Dieu, car je veux le louer encore;» puis qu'il faut confesser de bouche pour obtenir le salut (2) . Puis le Psalmiste ajoute: «C'est mon Sauveur, c'est mon Dieu (3). - Il reste immobile en entendant le signal de la trompette.» Avant quel la tentation n'arrive, même lorsqu'il s'est affermi contre les défaillances de la nature,. il attend, car il ne faut pas s'engager facilement, à moins que le jour de l'épreuve ne l'ait dit.

25. «Mais lorsque la trompette a sonné la charge, il dit: Allons.» Lorsque le temps de la tentation arrivera, il sera content de lui-même, s'il se glorifie au sein de la tribulation, parce que la tribulation produit la patience, la patience, la pureté et d'espérance (4). Désormais il ne dira plus à son âme, en repoussant le mal: «Pourquoi me troubles-tu?» Mais heureux de sa victoire. il s'écriera: «O mon âme, loue le Seigneur (5). - De loin il flaire le combat.» Il n'a pas en vue,les persécuteurs; qu'il a sous les yeux; mais il flaire de loin ceux que son oe il ne pourrait découvrir; car il le sait, «Nous n'avons point à lutter contre la chair et le sang, mais contre les principautés et les puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits de malice répandus dans l'air (6).» Voilà le sens donné à ces mots

«De loin.» Il est dit: «Il flaire,» expression bien choisie, à cause du prince de la puissance répandue dans l'air. L'odorat perçoit toutes les odeurs bonnes ou mauvaises. Il flaire donc le combat, celui qui s'aperçoit que le prince des puissances de l'air agit sur les fils de la défiance 7. S'ils le poursuivent de leur haine ou veulent le faire tomber dans leurs pièges, il attend ces esprits méchants, les combat avec les armes spirituelles, et non avec les armes qui protègent le corps, car il ne lutte pas contre la chair et le sang, c'est-à-dire contre les hommes méchants et corrompus que son oeil peut apercevoir. «Le tonnerre et les clameurs des chefs.» Il faut sous-entendre: «il flaire.» Le tonnerre, je pense, est ici nommé, à cause de l'air où sont répandus

1 Ps 4,5. - 2 Rm 10,10. - 3 Ps 41,6-7. - 4 Rm 5,3-4. - Ps 155,2. - 6 Ep 6,12. - 7 Ep 2,2.

les esprits méchants. Ces esprits ne sont point appeles les maîtres du monde, comme s'ils gouvernaient le ciel et la terre; mais dans le sens indiqué par l'Apôtre. Afin qu'on n'entende point ainsi sa pensée, il explique aussitôt en quoi ils sont les maîtres du monde . «De ce monde de «ténèbres,» c'est-à-dire des impies. A ceux d'entre eux qui s'étaient convertis au Seigneur il écrivait: «Vous étiez autrefois ténèbres, vous êtes «maintenant lumière dans le Seigneur (1).» Il dépend donc de chacun de nous d'être ou ténèbres ou lumière: toutefois l'homme est ténèbres par lui-même, par les péchés qu'il commet; tandis. qu'ils est lumière, non en lui-même mais dans le Seigneur, qui a répandu en lui une si vive lumière, que ses ténèbres. dit Isaïe, sont comme l'éclat du midi (2). Le Psalmiste dit aussi: «Vous éclairerez mes ténèbres, (3).» Ceux donc que l'Apôtre appelle les maîtres du monde, rectores, sont en ce passage appelés les chefs, duces. C'est sous leur conduite que les ténèbres, c'est-à-dire les impies, persécutent les justes, ceux qui souffrent persécution pour la justice, non ceux qui recueillent dans la souffrance les fruits de leur impiété ou de leur malice. Le martyr flaire les cris de ces chefs, non pas comme s'ils retentissaient à ses oreilles; c'est la foi qui les fait vibrer au fond de son coeur, et lui révèle toutes les manoeuvres secrètes du démon et de ses anges contre les serviteurs de Dieu. D'où cette parole de l'Apôtre: «Nous n'ignorons pas sa malice (4).» Mais à ces cris des chefs sont toujours fermées les oreilles des infidèles.

26. «Est-ce ta sagesse qui a donné à l'épervier son plumage?» comme la sagesse de Dieu, qui est le Christ, forme peu à peu en nous l'homme nouveau qui doit avoir sa conversation dans les cieux? «Il reste immobile, les ailes étendues, et les yeux fixés vers le midi.» La charité dégagée de tout bien charnel, s'attache à son double objet: il demeure inébranlable dans la foi, et loin de se confier en lui-même, il met en Dieu toutes ses espérances, rapportant tout à Celui dont l'amour embrase son coeur; afin de conserver en lui tout son courage (5), il s'écrie: «Ne seras-tu pas soumise au Seigneur, ô mon âme? Il est mon refuge, oui, le Seigneur est mon refuge et m'on appui: je ne serai point ébranlé (6).»

21. «Est-ce à ton commandement que l'aigle

1 Ep 5,8. - 2 Is 58,10. - 3 Ps 17,29. - 4 2Co 2,11. - 5 Ps 58,10. - 6. Ps 61,2-3.

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s'élèvera dans les nuées?» Comme le lui a commandé Celui qui a dit: «Et quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tout à moi (1).» Il allait mourir pour nous, et après sa résurrection monter au ciel: «Partout où sera le corps, dit-il, là se rassembleront les aigles (2).» Car il a rassasié de biens surnaturels celui dont la jeunesse se renouvellera comme celle de l'aigle (3). L'élévation de l'aigle peut se rapporter aussi à ce passage de saint Paul: «Si nous sommes «emportés comme hors de nous-même, c'est pour «Dieu;» comme le passage suivant relatif au vautour se rapporte à cet autre du même l'Apôtre «Si nous sommes plus retenus, c'est pour vous (4).» Le voici: «Et que le vautour attendra près de son nid perché sur les rochers?» Il n'exprime plus l'état d'une âme qui s'élève dans les contemplations d'un saint ravissement, mais le dévouement de celle qui, en des voies moins élevées, s'occupe avec patience du salut des hommes et qui veut que les impies morts à la grâce soient justifiés parla parole, comme dévorés par elle, pour entrer dans le corps de l'Eglise. On sait que le vautour se nourrit de cadavres. C'est pourquoi il est près de son nid où il dépose ses veufs, figure des oeuvres qu'il faut accomplir en cette vie. Il est «sur le rocher;» car après avoir dit: «Si nous sommes plus retenus, «c'est pour vous,» l'Apôtre ajoute immédiatement: «Car la charité du Christ nous presse (5).» «Or, la pierre était le Christ (6). - Il attendra immobile.» C'est bien la même pensée que dans ce passage: «Je me sens pressé des deux côtés je voudrais mourir et être avec Jésus-Christ, ce qui est sans contredit le meilleur,» et se rapporte à l'élévation de l'aigle. D'un autre côté, comme le vautour attendant près de son nid «Je veux vivre encore, ce qui est nécessaire pour vous (7).» Or, comme la pierre désigne encore l'Eglise tout entière, la pointe du rocher, c'est le chef de l'Eglise. Voilà pourquoi Simon fut appelé Pierre par Notre-Seigneur (8). Les expressions qui suivent expriment cette pensée

28. «Dans les cavités, sur la pointe des rochers.» La pointe désigne notre chef, le creux du rocher signifie la vie cachée en Dieu avec Jésus-Christ (9). «Et là il cherche sa proie,» selon ce qui fut dit à Pierre: «Tue et mange (10);» afin d'incorporer à l'Eglise ceux d'entre les Gentils qui devaient croire.

1 Jn 12,32. - 2 Mt 24,28. - 3 Ps 102,5. - 4 2Co 5,13. - 5 2Co 5,13-14. - 6 1Co 10,14. - 7 Ph 1,23-24. - 8 Mc 3,16. - 9 Col 3,3. - 10 Ac 11,7,

29. «Son regard plonge dans le lointain;

30. «Et ses petits roulent dans le sang,» L'espérance d'une vie immortelle dans le séjour de l'éternité dirige au loirs son intention, quoique ses actes extérieurs semblent se traîner dans les défaillances de la nature: le doute vient quelquefois l'agiter; l'ignorance, inhérente à l'esprit humain, l'empêche de voir le mérite réel que. Dieu attache à son dévouement et à son zèle; mais comme son regard découvre dans le lointain le salut éternel, il sait toujours agir avec une charité entièrement désintéressée. Et s'il a donné ses soins, distribué ses trésors à des hommes qui, en renonçant au démon, sont complètement morts au monde, il s'empresse autour d'eux par le ministère de la parole et multipliant ses discours, il unit au corps de l'Eglise ces hommes si bien disposés. Aussi est-il dit encore: «Ils apparaissent soudain, là où gisent les cadavres.»

31. «Alors le Seigneur répondit, et dit.» Si le Seigneur semble se répéter en parlant, c'est que Job, saisi dé crainte à ces discours, est reste muet, et n'a osé rien répondre. Dans les deux versets qui suivent, Dieu l'engage à parler.

32. «Celui qui discute avec le Très-Haut sera-t-il en repos?» C'est-à-dire: Pourquoi gardes-tu le silence en discutant avec le Tout-Puissant? «Celui qui osait reprendre Dieu lui répondra-t-il ainsi?» C'est bien une interrogation, et voici le sens: Reprend-il Dieu, celui qui en discutant sait lui répondre? On peut discuter avec le Tout-Puissant, en lui adressant ses questions, sans l'attaquer ni le réfuter. Ce n'est point parce qu'il est Tout-Puissant qu'il faut éviter toute discussion avec lui. On ne l'accuse pas non plus, si dans cette discussion on l'interroge comme la vérité même. Quant à ces paroles «Celui qui discute avec le Seigneur sera-t-il en repos?» en voici donc le sens: puisque celui qui discute avec le Seigneur n'est pas en repos, il ne faut pas entrer en discussion avec lui pour se mettre en repos ensuite. Ordinairement celui qui discute propose quelques objections: or, celui qui en fait à Dieu ne peut être en repos, il ne peut trouver aucun repos, qu'en conformant ses pensées à la volonté de Dieu, sans rien contredire. Car «celui qui reprend Dieu lui répondra ainsi:» c'est-à-dire, s'il répond en discutant avec lui, c'est pour le reprendre, et il ne peut être en repos. D'où cette parole: «O (641) homme, qui es-tu, pour contester avec Dieu (1)?» Toutefois Job avait-il agi ainsi? Dieu ne l'avait point considéré comme un contradicteur, ainsi que l'avaient fait ses amis sans le comprendre, et il lui rend ce témoignage au commencement et à la fin du livre. Si donc il lui a adressé ces paroles, n'est ce point à cause du rôle tout spécial qu'il joue ici? Il est la figure du corps de Jésus-Christ, de son Eglise, dont un grand nombre de membres sont faibles, et quoiqu'ils ne désespèrent point, ils sont sans cesse exposés à tomber. A peine osent-ils avancer: leurs pas sont peu multipliés, et la tranquillité du pécheur excite leur envie. Ils disent: «Dieu les voit-il? «le Très-Haut en a-t-il connaissance? Voilà que «ces impies, ces heureux du siècle accroissent «leurs richesses. C'est donc en vain que j'ai purifié mon coeur, et lavé mes mains dans l'innocence: j'ai été flagellé durant tout le,jour et «condamné dès le matin (2).» De là cette réponse de Job dans les deux versets suivants.

33. «Job alors répondit:

34. «Pourquoi donc être jugé, après avoir entendu ces avertissements et ces reproches du Seigneur, puisque je ne suis rien?» C'est-à-dire, pourquoi demanderais-je à être jugé, puisque le Seigneur m'arrête et me condamne, si, je veux le contredire? «Après avoir entendu ces reproches.» C'est-à-dire, j'ai compris

1 Rm 9,20. - 2 Ps 72,2-14

combien il a été envers moi juste et miséricordieux, puisque par moi-même je ne suis que néant. «Que lui répondrai je?» Que pourrai-je opposer à la vérité? «Je porterai ma main à ma bouche;» je saurai me contenir et m'empêcher de parler.

. 35. «Je n'ai parlé qu'une seule fois; je n'ajouterai plus rien.» S'il n'y a pas un. sens caché dans cette phrase, comment Job peut-il dire qu'il n'a parlé qu'une seule fois, puisque tant de fois il a pris la parole? Comment dit-il qu'il ne la reprendra plus, puisqu'il va encore parler? La parole doit ici s'entendre de la disposition de l'âme qui, recherchant les objets extérieurs, abandonne son Dieu et ose lui résister. Et quand elle s'y précipite avec plus d'ardeur, l'Ecriture appelle son action un cri. Ainsi le Seigneur dit que le cri de Sodome est monté vers lui (1). A cette parole, à ce cri est opposé le saint et pieux silence dont il est dit: Il sera dans le silence, exempt de toute crainte, loin de tout péché. Job a donc raison de dire qu'il n'a parlé qu'une seule fois, toujours le même langage dans toute sa vie de vieil homme, alors qu'il n'était qu'un souffle qui va et ne revient plus (2). Maintenant qu'il met la main à la bouche pour ne plus parler, il promet de ne rien ajouter à ce langage d'autrefois, pour ne plus se séparer de Dieu. Ainsi-soit-il.

1Gn 18,20. - 2 Ps 77,39.


Cette traduction est due à M. l'abbé JOYEUX.


FIN DU TOME QUATRIÈME.




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