Pie XII 1940
« Le monde actuel menace de périr dans la violence, parce que trop d'hommes n'ont pas de coeur : ce reproche adressé par saint Paul au paganisme antique,... on peut le retourner aux néo-païens, aux idolâtres de l'or, du plaisir et de l'orgueil. » 15 mai 1940 Pie XII.
de Sa Sainteté PIE XII
publiés sous la direction de
MSr SIMON DELACROIX
EDITIONS SAINT-AUGUSTIN SAINT-MAURICE (Suisse)
IMPRIMATUR
Seduni, die 26. Septembris 1961 Jos. BAYARD Vie. gen.
Tous droits réservés
Segreteria di Sua Santita-n. 75878
Du Vatican, le 31 Janvier 1962
Ma soeur,
Pour qui connaît déjà l'ample collection des "Documents Pontificaux de Sa Sainteté Pie XII", il ne peut qu'être agréable d'en préfacer un nouveau tome, dans l'assurance où il se trouve de l'excellente présentation de l'ouvrage, ainsi que de la fidélité de ses traductions. Aussi est-ce bien volontiers que je veux apporter, après plusieurs de mes eminent s collègues du Sacré- collège, ma modeste contribution à cette précieuse publication entreprise par l'Oeuvre Saint Au gustin.
Car elle accomplit ainsi un travail bien utile: conserver dans toute sa force le message de Pie XII. Est-il besoin de rappeler ici que le Pape Jean XXIII, non content de faire l'éloge de Son prédécesseur immédiat, louant particulièrement chez lui le docteur infatigable dont les discours demeurent une vive lumière pour l'âme chrétienne, a voulu contribuer par une aide généreuse, à l'achèvement de l'édition en langue française des textes de l'illustre pontife et maître de vérité? Et le regretté Cardinal Domenico Tar dini, intime collaborateur s'il en fut de Pie XII, de*-vait à son tour brosser peu après, en une magistrale conférence, le portrait d'Eugenio Pacelli. Il y montrait bien le souci constant de ce Pape d'enseigner la doctrine catholique, ses talents d'orateur et sa conscience parfaite d'homme de lieu. A la suite de ces illustres invitations, comment les catholiques ne feraient-ils pas bon accueil & ce nouveau volume rayonnant de la présence de Pie XII?
Tous ceux qui avaient coutume d'attendre les discours et les actes de Pie XII comme une source féconde de direç tives pour la pensée et pour l'action, seront heureux de trouver rassemblés dans cet ouvrage les enseignements qu' il donna au cours de l'année 1940. Ils saisiront en ces pages, outre une grande richesse de doctrine, les premières manifestations d'un nouveau pontificat qui devait s'étendre bien au-delà du deuxième conflit mondial. Comme on sent nettement l'abîme qui sépare un monde assoiffé de puissance et victime de ses propres violences des exigences du droit des personnes et des peuples, dont le Pape s'est fait le héraut courageuxl
Nul doute que les fidèles aimeront à retrouver comme la voix si aimée et le grand coeur du Pontife unanimement, regretté. Que ce volume connaisse donc une large diffusion! les qualités de l'édition et la valeur du contenu en sont d'ailleurs les meilleurs garants. Me sera-t-il permis d'ajouter, en terminant, qu'une plus ample audien ce dès documents pontificaux semble facilitée par l'action intelligente de laïcs conscients de leur rôle de re lai entre la hiérarchie et l'ensemble des hommes. A ceux qui ont bien compris la richesse de la pensée de l'Eglise contenue dans ces textes, il appartient de les monnayer en quelque sorte dans leurs conversations, par le témoignage de leur vie et parfois aussi dans une langue plus adaptée à tel ou tel milieu de vie. Voici un instrument gui les y aidera, pour le plus grand bien de l'Eglise et la meilleure récompense des travaux méritoires de tous les collaborateurs de l'Oeuvre Saint Augustin.
Veuillez agréer, ma soeur, l'assurance de mes sentiments bien dévoués en N.S..
la Révérende
Soeur Elisa lenherr
Oeuvre Saint-Augustin
Saint Maurice
Les appels pathétiques de S. S. Pie XII à la paix et les ultimes tentatives de sa diplomatie pour conjurer la guerre lui ont conquis dès les premiers jours de son pontificat l'estime et la reconnaissance du monde entier.
Le déchaînement du conflit n'a point freiné sa volonté d'être tout à la fois le consolateur et le docteur de l'humanité douloureuse et inquiète. Il a seulement marqué tous ses discours de plaintes, discrètes ou vibrantes, toujours émouvantes, sur les misères, les deuils, les souffrances que multiplie la guerre.
Ses radiomessages ont porté ses encouragements aux Congrès eucharistiques d'Italie (PP 29 et 219), de Nouvelle-Zélande (p. 54), d'Argentine (p. 306), au Congrès national du Pérou (p. 332), au Congrès mariai d'Espagne (p. 292), à la Semaine biblique de Saragosse (p. 274).
Ses lettres officielles ont commémoré quelques centenaires de grands événements de la chrétienté : IIIe centenaire de la mort de sainte Françoise Romaine (p. 79), XIIIe centenaire de l'ouverture des relations entre le peuple croate et le Saint-Siège (p. 176), Ier centenaire de l'établissement de la hiérarchie en Californie (p. 213), IVe centenaire de la fondation de la Compagnie de Jésus qui donne au pape l'occasion de rappeler les mérites qu'elle s'est acquise par la diffusion des Exercices spirituels, la défense de la foi, l'éducation de la jeunesse et la création d'universités (p. 232).
Trois homélies ont marqué la canonisation des saintes Gemma Galgani et Marie-Euphrasie Pelletier (p. 138), la béatification de la vénérable Philippine Duchesne (p. 179), la proclamation de saint François d'Assise et de sainte Catherine de Sienne comme patrons de l'Italie (p. 142).
Les allocutions aux pèlerins et aux visiteurs de toutes classes et de toutes nationalités permettent au Saint-Père de distribuer un enseignement pastoral ouvert à tous les problèmes et adapté à toutes les conditions. Les discours aux jeunes époux, en particulier, constituent l'un des témoignages les plus sympathiques de son extrême bonté et sont l'un des moyens privilégiés de son rayonnement dans le monde entier, en même temps qu'ils construisent une magnifique spiritualité du mariage et de la famille.
Sur le plan diplomatique, l'événement le plus important aura été, le 7 mai, la conclusion du concordat (PP 151-161) et de l'accord missionnaire (PP 162-168) entre le Saint-Siège et le Portugal, et l'encyclique « Saeculo exeunte » du 13 juin à l'épiscopat portugais qui magnifie et encourage l'oeuvre missionnaire accomplie par cette grande nation (PP 200-212).
Mais c'est la guerre, le souci paternel de toutes ses innombrables victimes, l'appel à la prière pour la paix, le diagnostic de ses causes, la prévision de ses lendemains, qui sont désormais le grand souci du pape.
Les messages du 10 mai (p. 174) aux souverains de Belgique, de Hollande et du Luxembourg envahis « contre le droit » et la lettre du 9 juin aux cardinaux, archevêques et êvêques de France (p. 226) leur ont porté le témoignage de la «- toute paternelle affection » du Saint-Père et les voeux religieux qu'il forme pour le rétablissement de la pleine liberté et de l'indépendance de leur pays.
Le 2 juin, son discours au Sacré Collège lance un nouvel appel à la paix ainsi qu'au respect du droit des gens et des populations civiles (p. 188).
L'appel du 15 avril à des prières spéciales en faveur de la paix durant le mois de mai (p. 124) et le « Motu proprio » du 24 novembre qui réclame des prières publiques rappellent une fois de plus que, pour enrayer la marche à la guerre, le Père commun n'a * omis aucun des moyens humains, secours, conseils » qui sont en son pouvoir, «• qu'il s'agisse de documents officiels et de discours, d'entretiens et de démarches » (p. 336).
Si la prière est * une force » nécessaire, la lettre du 21 décembre au cardinal Maglione bénit toutes les «• initiatives de piété et d'humanité » et proclame que «• l'action est un devoir de tous et de chacun » (p. 374). Faute de pouvoir renouveler, comme durant la première guerre mondiale, les * initiatives religieuses et charitables de l'Eglise » et de promouvoir <r une vraie et particulière organisation générale de bienfaisance en faveur des victimes de la guerre... les blessés, les prisonniers, les opprimés, les affamés, les malades, les dispersés, les femmes et les mères... que chacun, demande Pie XII, fasse le bien qu'il peut, où il peut, comme il peut > (PP 380-381).
Mais déjà le Saint-Père songe aux lendemains. Moins de deux mois après l'invasion de la Pologne, le 20 octobre — l'introduction du premier tome l'a souligné — Pie XII, dans sa première grande encyclique «• Summi Pontificatus », puis dans l'encyclique « Sertum laetitiae » adressée le 1er novembre aux évêques des Etats-Unis, avec un courage et une lucidité extraordinaires qui n'ont pas été assez remarqués, il a diagnostiqué les causes profondes et lointaines du conflit. Les antagonismes politiques ne sont que la conséquence du désordre des esprits et de la perversion des idées qui ont sapé les fondements mêmes de la vie individuelle, familiale et sociale et de l'ordre international.
L'encyclique « Summi Pontificatus » a marqué une date. Elle est le premier document qui jette les bases d'un enseignement tout à fait nouveau de la papauté sur les problèmes de l'organisation de la société internationale. Jusqu'alors, les seuls textes pontificaux en ce domaine étaient les affirmations de Benoît XV dans sa lettre au cardinal vicaire du 4 mars 1916 où il affirmait l'existence «• d'un bien commun des nations » et son message du 1er août 1917 aux chefs des pays engagés dans la première guerre mondiale où il préconisait la substitution de «• la force morale du droit... à la force matérielle des armes, la réduction des armements et l'institution de l'arbitrage obligatoire et sanctionné ».
Les discours et messages de l'année 1940 précisent les enseignements de la première année du pontificat, renouvellent le diagnostic du fléau, préconisent les remèdes et indiquent les conditions d'une paix juste et durable.
Les causes de la guerre ? « La loi de l'amour êvangélique méconnue, niée, outragée» (p. 27), l'éloignement "de Dieu et de son Christ» de certains «prophètes» et «• chefs » de peuples en guerre (p. 111), «la croissante déchristianisation de la vie publique et privée..., l'affaiblissement de la foi et l'oubli de l'Evangile » : telles sont en définitive les causes de l'horrible conflit (p. 198).
Le remède ne saurait être que « la renaissance spirituelle dans le Christ » non seulement « pour la vie individuelle, mais aussi pour le salut même de la société humaine », déclare-t-il dans son homélie du jour de Pâques (p. 105).
Les allocutions aux ambassadeurs de France (p. 197), de Bolivie (p. 269), du Portugal (p. 325), de Roumanie (p. 354), nouvellement accrédités auprès du Saint-Siège, lui sont autant d'occasions d'appeler l'attention du monde et des chefs d'Etat sur les principes qui doivent régler les rapports entre les nations et affirmer, avec les délicatesses nécessaires, qu'« il ne peut y avoir de paix véritable en dehors des principes et des normes de charité et de justice promulgués dans l'Evangile » (p. 270).
Dès son premier message de Noël 1939, Pie XII avait déjà, on le sait, avec une netteté singulière, énuméré les cinq « conditions essentielles d'une paix conforme aux principes de la justice, de l'équité, de l'honneur, c'est-à-dire d'une paix vraiment durable » (p. 382) : « le droit à la vie et à l'indépendance de toutes les nations », * le désarmement mutuellement consenti, organisé et progressif », «• l'établissement d'institutions juridiques » destinées à garantir la fidèle et loyale application des traités, « le souci des vrais besoins et des justes requêtes » de tous les peuples, comme aussi «¦ des minorités ethniques », enfin la prise de conscience par les peuples et leurs gouvernements de leur responsabilité « selon les saintes et inébranlables lois du droit divin ».
Dans le message de Noël 1940 qui fait écho aux « polémiques passionnées des parties en lutte sur les buts de guerre et sur le règlement de la paix » et aux « aspirations profondes » des « masses populaires » (p. 382) qui sont les principales victimes de la guerre, le Pape envisage le problème de la construction d'un ordre nouveau en Europe. Pie Xli met en garde les gouvernements et les peuples contre «• le péril de concevoir et de former cet ordre nouveau comme un mécanisme purement extérieur, imposé par la force, un ordre sans sincérité, sans plein consentement, sans joie, sans paix, sans dignité, sans valeur ». Souhaité par tous, cet ordre nouveau doit être « organiquement plus sain, plus libre et plus fort » parce que <• beau, digne, stable, appuyé sur les règles de la morale ». Héraut de la mission de * l'Eglise qui, mère commune de tous les hommes, perçoit et comprend mieux que quiconque le cri qui s'échappe spontanément de l'âme tourmentée de l'humanité », mais qui n'a pas à prendre parti « entre les différents systèmes liés aux temps », Pie XII, convaincu que les règles juridiques ne sauraient suffire, énumère les conditions morales indispensables à l'édification d'un monde rénové.
Comme les principes fondamentaux, elles sont au nombre de cinq : «• la victoire sur la haine qui divise les peuples et, partant, la renonciation à des systèmes pratiques que la haine ne cesse d'entretenir..., la victoire sur la défiance qui pèse comme une masse déprimante sur le droit international et rend irréalisable toute entente..., la victoire sur le funeste principe (que) la force crée le droit..., la victoire sur les différences trop criantes dans le domaine de l'économie mondiale... », enfin «- la victoire sur l'esprit de froid égoïsme ». Et de prôner, sans plus tarder, « la restauration des droits moralement et juridiquement imprescriptibles » par «• une déclaration de principes touchant leur reconnaissance » (PP 383-385).
Dès les débuts de son pontificat, Pie XII, dans un monde tout entier désolé par la guerre, jette les fondements juridiques et moraux de la paix de demain.
S. DELACROIX.
(3 janvier 1940) 1
Ce 3 janvier, le Saint-Père recevait une foule de jeunes époux et plus de mille religieuses qui avaient participé au Congrès national organisé par le Bureau central pour les instituts d'instruction et d'éducation. Voici le discours que Sa Sainteté prononça à cette occasion.
Aux jeunes époux :
Si, au milieu même des tristesses présentes, un groupe d'êtres peut regarder l'avenir avec sérénité, c'est bien vous, semble-t-il, qui venez de vous unir par les liens du mariage chrétien et qui avec l'aide de Dieu êtes résolus à en accomplir loyalement tous les devoirs. Vous avez réalisé, ces jours derniers, un de vos rêves les plus doux. Vous formez encore un vceu pour l'année qui vient de commencer : que votre union, déjà invisiblement bénie par Dieu dans le sacrement, reçoive la bénédiction visible de la fécondité.
Contemplation au pied du berceau du divin roi.
Or en ce temps de Noël l'Eglise propose à votre considération une femme et un homme inclinés avec tendresse sur un nouveau-né. Méditez le mystère de Noël, considérez l'attitude de Marie et de Joseph ; chechez surtout à pénétrer dans leur cceur et à faire vôtres leurs sentiments. Alors, malgré la différence infinie qui sépare la nativité de Jésus, Verbe incarné, Fils de la Vierge très pure, et la naissance humaine du petit être auquel vous donnerez la vie, vous pourrez avec confiance prendre pour modèles ces époux achevés que sont Marie et Joseph.
Regardez la grotte de Bethléem ; est-ce une demeure qui convienne même à de modestes artisans ? Pourquoi ces animaux, ces besaces, cette pauvreté absolue ? Est-ce là ce que Marie et Joseph avaient rêvé dans la douce intimité de Nazareth, pour la naissance de l'Enfant Jésus ? Depuis quelques mois déjà peut-être, Joseph avait fait un berceau avec des pièces de bois qu'il avait sciées et rabotées lui-même ; il l'avait couronné d'une voûte tressée d'osiers. Marie, nous pouvons le croire, initiée, dès son enfance au temple, à tous les travaux féminins, avait comme toute épouse qui va devenir mère, coupé, ourlé et garni de gracieuses broderies la layette du Désiré des nations.
Mais ils ne se trouvent maintenant ni dans leur maisonnette, ni chez des amis, ni même dans une hôtellerie ; ils sont dans une éta-ble. Pour obéir à l'édit d'Auguste, ils avaient fait en plein hiver, et sans ignorer que l'enfant si désiré allait venir au monde, un pénible voyage. Mais ils savaient aussi que cet enfant, fruit virginal de l'opération du Saint-Esprit, appartenait à Dieu plus qu'à eux-mêmes. Jésus devait, douze ans plus tard, le leur rappeler : les intérêts du Père céleste, souverain Seigneur des hommes et des choses, viennent avant les projets d'amour, si ardents et si purs soient-ils de Marie et de Joseph. Voilà pourquoi, cette nuit, ils adorent à genoux, dans une grotte misérable et humide, le divin nouveau-né ; il est couché dans une crèche austère, positum in praesepio, au lieu de reposer dans un gracieux berceau, enveloppé de rudes linges, pannis involutum, au lieu d'être emmailloté dans des langes fins.
Vous aussi, chers jeunes époux, vous avez fait, vous faites et vous ferez de doux rêves pour l'avenir de vos enfants. Bien tristes seraient les parents qui n'en feraient pas ! Mais veillez que vos rêves ne soient pas exclusivement terrestres et humains. Devant le Roi des cieux, qui tremblait sur la paille et qui n'avait encore, pareil à tout homme qui vient en ce monde, de langage que les pleurs : et primam vocem similem omnibus emisi plorans, « c'est avec des pleurs que j'ai fait entendre mes premiers sons » (Sg 7,3), Marie et Joseph virent, dans une lumière intérieure qui éclairait l'aspect même des réalités matérielles, que l'enfant le plus béni de Dieu n'est pas nécessairement celui qui naît dans les richesses et le bien-être ; ils comprirent que les pensées des hommes ne sont pas toujours conformes à celles de Dieu ; ils sentirent profondément que tout ce qui arrive ici-bas, hier, aujourd'hui, demain, n'est pas l'effet du hasard, d'une bonne ou mauvaise fortune, mais le résultat d'une longue et mystérieuse chaîne d'événements, disposés ou permis par la Providence du Père céleste.
Chers jeunes époux, tirez profit de ces divines leçons. Agenouillés, comme autrefois dans la candeur de votre enfance, devant le berceau de l'Enfant Jésus, priez-le de susciter en vous les grandes pensées surnaturelles qui remplissaient le coeur de son Père nourricier et de sa Mère virginale à Bethléem. Dans les chers petits qui, Nous l'espérons, viendront égayer votre jeune foyer, avant de devenir un jour votre fierté et plus tard le soutien de votre vieillesse, ne considérez pas seulement les membres délicats, le gracieux sourire, les yeux où se refléteront les traits de votre visage, et jusqu'aux sentiments de votre coeur : considérez surtout et avant tout l'âme que Dieu a créée et que la divine Bonté vous a confiée en dépôt précieux. Par l'éducation de vos enfants à une vie chrétienne profonde et courageuse, vous leur donnerez, à eux et à vous-mêmes, la meilleure garantie de vivre heureux en ce monde et de vous retrouver ensemble dans le bonheur de l'autre.
de Georges Huber dans les Discours aux jeunes époux, publiés en 2 vol. par les Editions St-Augustin, St-Maurice, t. I., p. 56.
On trouvera la suite des discours de Pie XII aux jeunes époux ci-après, pp. 31, 39, 42. 49. 107, 112, 119, 128, 169, 173, 194, 215, 221, 228, 241, 248, 253, 257, 264, 310, 328, 339.
Et maintenant, Nous avons la joie de vous saluer, chères filles dans le Christ, religieuses enseignantes, qui avez consacré votre vie à l'éducation de l'enfance et de la jeunesse. Les élèves, dont vous prenez soin, vous appellent souvent du délicieux nom de mère ; et pourtant elles ne sont pas vos filles au sens propre. Pour mieux aimer celles des autres, pour vous consacrer à leur instruction et à leur formation, vous avez renoncé aux légitimes joies du foyer domestique. Et leurs véritables mères viennent volontiers confier à vos sollicitudes ce qu'elles ont de plus cher au monde, leurs petites filles. Vous prenez soin de la santé physique, vous ornez l'esprit et formez le coeur de ces jeunes filles et de ces adolescentes. Vous les entourez de prévenances vraiment maternelles, vous leur prodiguez les attentions les plus constantes et les plus anxieuses, que peut-être nombre d'entre elles pourraient difficilement trouver au sein même de leurs familles. Et de toute leur reconnaissante tendresse, vous ne voulez rien reverser sur vous, rien retenir pour vous.
C'est que, avant tout et par-dessus tout, vous travaillez pour Dieu. Plus que la vie matérielle et la vie même de l'intelligence, auxquelles vous consacrez pourtant des efforts si généreux et si assidus, c'est la vie des âmes qui vous occupe et vous préoccupe. Vous savez que Dieu a mis dans la délicate et fragile enveloppe de ces jeunes corps, comme une étincelle divine dans un vase d'argile, une âme purifiée par la grâce et destinée à la béatitude surnaturelle. Filles privilégiées de la Providence divine par vocation et par l'élan intime de votre coeur, vous voulez imiter dans la formation progressive des jeunes âmes la Sagesse éternelle qui « atteint toutes choses avec force du commencement à la fin, et dispose de toutes choses avec suavité » (Sg 8,1) accomplissant votre devoir d'un bout à l'autre avec force, mais en apportant dans l'exécution les tempéraments d'une suave et bienveillante douceur.
Pour rendre cette imitation plus parfaite, pour la conformer toujours mieux aux normes de l'autorité hiérarchique, pour mettre en commun les résultats de vos expériences personnelles dans le but d'obtenir une utile coordination des efforts, vous vous trouvez en ces jours réunies en congrès national. Le programme des leçons qui vous seront données, de vos études et de vos discussions, programme si riche de promesses, portera sans doute dans sa mise en oeuvre des fruits abondants et substantiels, si le Seigneur daigne, comme Nous l'en prions avec vous, féconder vos travaux par une large effusion de ses grâces célestes.
(7 janvier 1940) 1
En réponse à la lettre du président Roosevelt reproduite ci-dessous 2, le Saint-Père lui a envoyé le 7 janvier le message suivant :
Le message mémorable que Votre Excellence Nous a fait parvenir à la veille de Noël a jeté sur les souffrances, sur les préoccupations angoissantes et sur les amertumes des peuples emportés dans le tourbillon de la guerre, un rayon de consolation, d'espoir et de confiance qui vous a valu l'hommage spontané de profonde reconnaissance de la part de toutes les consciences droites.
Profondément ému pour le noble contenu de votre communication, dans laquelle Pesprit de la fête de Noël et le désir d'appliquer cet esprit aux grands intérêts de l'humanité ont trouvé une si persuasive expression, et pleinement convaincu de son importance extraordinaire, Nous ne tardâmes pas à porter cette communication à la connaissance de l'illustre assemblée des cardinaux, réunie le même jour dans la salle du Consistoire, au palais apostolique du Vatican, en témoignant solennellement devant le monde catholique et non catholique combien Nous apprécions ce courageux document de sagesse politique éclairée et de haute humanité 2.
1 D'après le texte italien des A. A. S., 32, 1940, p. 45 ; cf. la traduction française de la Documentation Catholique, t. XLI, col. 109.
2 Voici la traduction de cette lettre de M. Franklin D. Roosevelt :
" Parce que, en ce temps de Noël, le monde est en proie à l'affliction, il est particulièrement opportun que je vous adresse un message de salutation et de foi. Aujourd'hui, le monde est parvenu, pour son bien, à un degré de civilisation capable de donner au genre humain la sécurité et la paix fondées sur la religion comme sur une base solide. Mais, encore qu'elle ait conquis la terre, la mer et aussi l'air, la civilisation traverse à présent une période de guerre douloureuse. C'est mon réconfort de me souvenir que c'était dans des circonstances semblables que le prophète Isaïe annonçait la naissance du Christ, plusieurs siècles avant sa venue, alors que la situation dans laquelle le monde se trouvait était semblable à celle d'aujourd'hui. A cette époque, comme aujourd'hui, une conflagration avait surgi, et les nations marchaient à leurs risques et périls, à la lueur de cet incendie qu'elles avaient elles-mêmes allumé. Mais, à ce moment même, une renaissance spirituelle fut prophétisée, un jour nouveau dans lequel les esclaves seraient délivrés, les conquérants seraient détruits par le feu qu'ils avaient allumé, et ceux qui avaient dégainé l'épée devaient périr par l'épée. Il y avait la promesse d'une ère nouvelle, dans laquelle une foi renouvelée et amplifiée devait rendre plus assurés les progrès ascendants de l'humanité.
» Une autre fois, durant ces siècles dont on parle comme d'un âge de ténèbres, le feu et l'épée des Barbares attaquèrent la civilisation occidentale, maïs, de nouveau, l'étincelle spirituelle, toujours présente dans l'homme, s'étant ravivée, une autre renaissance ramena l'ordre, la culture, la religion. Je crois que la tourmente présente est une forme nouvelle de ces anciens conflits. Aussi, comme de nos jours toutes les choses humaines se déroulent à une cadence très rapide, nous pouvons espérer que la période de ténèbres et de destruction sera beaucoup plus courte que dans les temps antérieurs.
» Dans leur âme, les hommes se refusent à accepter longtemps la loi de la destruction qui leur est imposée par ceux qui emploient la force brutale. Ils cherchent toujours, parfois en silence, à retrouver de nouveau la foi, sans laquelle la prospérité des nations et la paix du monde ne peuvent être rétablies.
» J'ai le rare privilège de lire des lettres et d'entendre des confidences de milliers d'enfants du peuple qui vivent dans des vingtaines de pays bien différents. Leurs noms demeurent inconnus à l'histoire ; mais je sais, par leur travail quotidien et leur courage à mener leur vie dans le monde, que ceux-ci et, comme eux, une foule d'autres hommes dans toutes les nations, cherchent une lumière qui les guide.
» L'étoile de Noël — comme nous en avons bien gardé le souvenir — fut aperçue par les bergers sur les collines, bien avant que les chefs des peuples aient su qu'une grande lumière était venue dans le monde. Je crois que pendant que les hommes de gouvernement sont en train d'étudier un nouvel ordre de choses, ce dernier peut déjà exister parmi nous, comme à la portée de la main. Je suis persuadé que, même à l'heure présente, ce nouvel ordre de choses se constitue, silencieusement mais sûrement, dans les coeurs des masses, dont la voix n'est pas écoutée, mais dont la foi commune écrira l'histoire finale de notre temps. Les hommes savent que, aussi longtemps qu'il n'y a pas une croyance commune dans certains principes directeurs et la confiance dans la divine Providence, les nations sont sans lumière et les peuples périssent. Ils savent pareillement que la civilisation transmise par nos pères a été établie par des hommes et des femmes animés de la conviction profonde que tous les hommes sont frères parce que fils de Dieu, et que les inimitiés peuvent être guéries par sa volonté ; que par sa miséricorde le faible peut rencontrer la délivrance et le fort trouver grâce en venant au secours du faible. Dans l'angoisse et la terreur de l'heure présente, ces voix paisibles, si on les écoute, nous montrent le chemin à suivre pour la reconstruction du monde. Il est bon qu'à l'occasion de Noël, le monde réfléchisse là-dessus.
» Les citoyens de cette nation, persuadés désormais que temps et distance, au sens que ces mots avaient autrefois, n'existent plus, comprennent bien que tout dommage causé à une partie de l'humanité nuit aussi à tout le reste. Le peuple américain sait que seul un accord amical entre ceux qui cherchent la lumière et ceux qui partout cherchent la paix, peut mettre le désordre et la ruine dans les forces du mal.
* A l'heure présente, aucun chef spirituel, aucun chef civil ne peut présenter un plan concret capable de mettre fin à la destruction et de préluder à une reconstruction du monde. Cependant, il est certain qu'une heure viendra pour cette tâche. C'est pourquoi, bien qu'on ne puisse maintenant prévoir ni comment ni quand une telle démarche pourrait intervenir, ma pensée est que nous encouragions une collaboration plus étroite entre ceux qui, dans le monde entier — qu'ils représentent des religions ou des gouvernements, — ont un but commun. En conséquence, je fais savoir à Votre Sainteté que ce serait pour moi une grande satisfaction d'envoyer près de vous mon représentant personnel, afin que nos efforts personnels pour la paix et le soulagement des souffrances puissent se soutenir mutuellement. Quand viendra le temps de rétablir la paix sur des bases plus sûres il sera de la plus haute importance pour l'humanité d'assurer à nos idéaux communs une communauté d'expression.
» Quand ce jour heureux se lèvera, nous nous trouverons tous en face de grands problèmes d'importance pratique. Des millions de personnes de toutes races, de toutes nationalités, de toutes religions, chercheront probablement à se refaire une nouvelle vie, soit en émigrant dans d'autres pays, soit en reconstruisant leurs anciens foyers. Là aussi, les idéaux communs reclament une action parallèle. Pour cela, j'ai confiance que toutes les Eglises du monde qui croient en un même Dieu mettront tout le poids de leur influence au service de cette noble cause.
» A vous, que j'ai le privilège de pouvoir appeler mon bon, mon vieil ami, j'envoie mes respectueux compliments de Noël. Bien cordialement vôtre. »
Franklin D. Roosevelt.
En cette même veille de Noël, le président Roosevelt a adressé deux autres lettres : l'une au chef des Eglises évangéliques des Etats-Unis et l'autre au grand rabbin des Etats-Unis, les adjurant eux aussi d'unir leurs forces spirituelles pour offrir au monde, dans un moment opportun, les assises d'une paix durable.
Un trait caractéristique du message de Votre Excellence a tout particulièrement frappé Notre attention : son étroit contact spirituel avec les pensées, les sentiments, les espoirs et les aspirations des masses, c'est-à-dire de ces couches de la population sur lesquelles pèse le plus, dans une mesure qui n'avait jamais été atteinte, le fardeau des douleurs et des sacrifices de l'heure présente, si inquiétante et orageuse.
Même sous cet aspect, personne peut-être ne peut apprécier mieux que Nous-même la signification, la force démonstrative et l'émouvante chaleur du geste de Votre Excellence. Nous connaissons, en effet, par expérience personnelle, le quotidien et profond désir de paix dont sont animés tous les peuples.
La nostalgie de la paix et la volonté de rechercher et de mettre à exécution les moyens permettant de la réaliser se manifestent d'autant plus puissamment que la guerre et ses répercussions s'étendent plus largement et que la vie économique, sociale et familiale est arrachée à des bases normales pour suivre les voies du sacrifice et des privations de tous genres, dont la triste nécessité ne se manifeste pas encore aux yeux de tous.
Au moment — que Nous souhaitons ne pas être trop éloigné — où le bruit des armes commencera à s'apaiser et où il apparaîtra possible de réaliser une paix sérieuse, saine, conforme aux règles de la justice et de l'équité, ce n'est que ceux qui joignent au pouvoir politique la claire compréhension des besoins de l'humanité et un profond respect pour les règles de l'Evangile qui pourront trouver la voie juste. C'est seulement à des hommes de cette trempe qu'il sera donné de créer une paix capable de compenser les gigantesques sacrifices de cette guerre et d'aplanir la voie pour une entente entre les nations plus équilibrée, plus confiante et plus féconde.
Nous savons combien sont puissants et chaque jour plus ardus les obstacles qui s'opposent encore à la réalisation de cet objectif, et si les amis de la paix ne veulent pas travailler sur le sable, ils doivent avoir la claire vision de ces graves obstacles et, donc, de la mince probabilité d'un rapide succès, tant que l'état actuel des forces en présence ne subira pas d'essentielles modifications.
2 Voir Documents pontificaux 1939, p. 387.
Comme Vicaire sur terre du Dieu de la paix, dès le début de Notre pontificat, Nous avons consacré Nos efforts et Nos initiatives, d'abord au maintien de la paix, puis à son rétablissement. Insouciant des insuccès et des difficultés, Nous poursuivons Notre marche sur la voie tracée par Notre mission apostolique. L'écho qui, en ce chemin souvent aride et épineux, Nous parvient d'innombrables côtés, du sein de l'Eglise et du dehors de l'Eglise, Nous est, avec la certitude du devoir accompli, la plus large et la plus consolante des récompenses.
Le fait qu'en un moment d'angoisse et de trépidation universelle, le premier magistrat de la grande Confédération nord-américaine ait voulu prendre, sous le signe de la sainte fête de Noël, une place aussi distinguée dans l'avant-garde des promoteurs de la paix et de généreux secours aux victimes de la guerre doit être considéré comme une aide providentielle que Nous saluons avec joie et gratitude, et qui augmente Notre confiance.
Ce geste est, d'autre part, un acte exemplaire de fraternelle et chaleureuse solidarité entre le Nouveau et l'Ancien Monde, en défense contre le vent glacé des tendances athées et antichrétiennes, agressives et destructrices, qui menacent de dessécher les sources où la civilisation a pris naissance et s'est développée.
Dans ces conditions, ce sera, pour Nous, un motif de particulière satisfaction, comme Nous l'avons d'ailleurs déjà fait savoir à Votre Excellence, d'accueillir avec tous les égards dus à ses qualités éprouvées et à l'importance de sa haute mission, le représentant qui Nous sera envoyé par Votre Excellence, en qualité de fidèle interprète de ses intentions orientées vers l'établissement de la paix et le soulagement des souffrances qui découlent de la guerre.
Evoquant avec une vive satisfaction le souvenir suave que Nous a laissé Notre inoubliable visite à votre grande nation et revivant par la pensée la joie profonde que nous procura l'occasion de faire personnellement votre connaissance, Nous vous exprimons à Notre tour Nos souhaits les plus fervents, en formulant les voeux les plus cordiaux pour la prospérité de Votre Excellence et celle de tout le peuple des Etats-Unis.
Pie XII 1940