Pie XII 1940 - DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX (31 juillet 1940)
Dans ce discours le Saint-Père rappelle l'influence certaine de la lecture et, partant, combien sont efficaces et nécessaires les bonnes lectures.
L'été est d'habitude la saison des vacances. Les vacances ! Ce nom chante à bien des oreilles comme le son d'une cloche joyeuse, parce qu'il annonce après de longs mois de travail une période de repos. Vous goûtez ce repos, chers jeunes époux, dans ce voyage de noces, peut-être bien court, qui vous a conduits dans la Ville éternelle. Les vacances offrent à quelques familles l'occasion d'un séjour dans une contrée hospitalière du voisinage, dans les montagnes ou sur les plages d'Italie. Pour d'autres familles, qui, moins aisées, ne peuvent quitter leur demeure, les vacances sont au moins le temps où parents et enfants se retrouvent plus longuement unis dans la paix du sanctuaire domestique.
La paix ! Que de familles aujourd'hui soupirent après elle ! Que d'épouses, de mères, de fiancées — fermement résolues pourtant et prêtes aux derniers sacrifices dans l'accomplissement de leurs devoirs patriotiques — ont le cceur déchiré par le départ d'un être cher pour une destination lointaine, peut-être inconnue et souvent périlleuse ! Il y en a d'autres qui ont le coeur plus tourmenté encore : leur pensée s'agite et se perd dans la nuit d'une angoissante incertitude ; elles interrogent terre et ciel, en quête d'un renseignement digne de foi sur le sort, tragique peut-être, de l'être bien-aimé dont elles n'ont plus de nouvelles. La paix ! Blanche colombe qui, ne trouvant où poser le pied sur une terre couverte de cadavres et submergée par un déluge de violence, semble avoir regagné l'arche de la Nouvelle Alliance, le Coeur de Jésus (Cor, arca legem continens, etc.. : « Coeur, arche qui contenez la Loi » 2), pour n'en sortir que le jour où elle pourra enfin cueillir, sur l'arbre de l'Evangile, le vert rameau de la charité fraternelle entre les hommes et entre les peuples.
Malgré les tristesses de l'heure présente, il y en a plus d'un parmi vous, Nous le souhaitons du fond du coeur, qui ne laissera pas de goûter quelque repos. Mais l'homme ne saurait se contenter d'étendre mollement ses membres fatigués et de s'abandonner à un sommeil réparateur ; le repos de l'homme comprend aussi de saines distractions et, pour l'ordinaire, des lectures. Et comme il n'existe plus de notre temps, pour ainsi dire, une seule famille où n'entrent point le livre, la brochure et le journal, et que les loisirs des vacances multiplient les occasions de lecture, Nous voudrions vous adresser quelques paroles à ce sujet.
'influence des lectures.
Le premier homme qui, désireux de communiquer à d'autres sa pensée sous une forme plus durable que le son fugitif des paroles, grava, peut-être avec un grossier silex sur la paroi d'une caverne, des signes conventionnels dont il fixa et expliqua l'interprétation, cet homme inventa par le fait même l'écriture et l'art de la lecture. Lire, c'est entrer à travers des signes graphiques plus ou moins compliqués dans la pensée d'autrui. Or, puisque « les pensées des justes sont l'équité, et les conseils des méchants la fraude », il s'ensuit que certains livres comme certaines paroles, sont des sources de lumière, de force, de liberté intellectuelle et morale, tandis que d'autres ne font qu'apporter périls et occasions de péché. Tel est l'enseignement de l'Ecriture sainte : Cogitationes justorum judicia, et consilia impiorum fraudulenta. Verba impiorum insidiantur sanguini ; os justorum liberabit eos. « Les pensées des justes sont l'équité, et les conseils des méchants, la fraude. Les paroles des méchants sont des pièges de mort, mais la bouche des hommes droits les sauve » (Pr 12,5-6). Il y a donc de bonnes et de mauvaises lectures comme il y a de bonnes et de mauvaises paroles.
Off. Ssmi C. ]., ad Laudes.
La parole n'est souvent qu'un éclair. Dans la nuit et la tempête l'éclair peut suffire à remettre le voyageur sur le bon sentier ; et, même sur le chemin le plus sûr, un éclair, un seul, suffit à foudroyer l'imprudent. Tels sont les effets de la bonne ou de la mauvaise parole. Quant au livre, son action est moins rapide, mais elle se prolonge dans le temps. C'est une flamme qui peut couver sous la cendre ou une faible lueur dans la nuit, une lueur qui tout à coup se rallume, bienfaisante ou dévastatrice. Le livre sera la lampe du sanctuaire, toujours prête à signaler au fidèle qui s'avance le saint tabernacle et son hôte divin, ou ce sera le volcan dont les terribles éruptions jettent des cités entières dans la désolation et la mort. Vous désirez les agréables conversations, les paroles sages et réconfortantes ; vous haïssez non sans raison le blasphème et les propos corrupteurs ; cherchez donc de même les bons livres et détestez les mauvais.
Nous n'entendons pas vous décrire en cette allocution les dommages causés par la mauvaise presse ; Nous aimons mieux vous montrer, pour vous exhorter à les aimer et à les répandre, l'heureuse influence des bonnes lectures, comme Nous en trouvons un éclatant exemple dans la vie du saint que l'Eglise fête aujourd'hui, Ignace de Loyola.
L'exemple de saint Ignace.
Capitaine assoiffé de renom et de gloire, défenseur intrépide de Pampelune contre les soldats du roi de France, Ignace avait été frappé par le projectile d'une bombarde et il en avait eu la jambe gauche cassée et la droite grièvement atteinte. Estimant à sa juste valeur l'héroïque courage qu'il avait montré, les Français, lors de la prise de la citadelle, le traitèrent d'une manière chevaleresque et le firent transporter sur un brancard au château de Loyola. Entré en convalescence après des opérations extrêmement douloureuses, il se serait volontiers jeté, pour chasser l'ennui, sur des livres de chevalerie, des romans d'amour et de prouesses alors en vogue, comme Amadis de Gaule ; mais il ne s'en trouva aucun dans cet austère château. On lui offrit par contre la Vie du Christ par Ludolphe de Saxe et les Légendes des Saints par Jacques de Voragine. Faute d'autres livres, Ignace se résigne à lire ceux-là. Mais, bien vite, insensiblement, dans son âme loyale, d'abord surprise, puis subjuguée, se glisse une lumière plus pure, plus douce et plus brillante que le vain éclat des cours d'amour, des tournois de chevaliers et des actes de bravoure sur les champs de bataille.
Devant ses yeux encore brûlants de fièvre, la vision jusqu'alors tant admirée des grands gentilshommes aux armures damasquinées pâlissait ; d'autres héros se levaient à leur place, jusqu'alors à peine entrevus d ins quelques instants de prière. Et peu à peu, dans les longues nuits sans sommeil, sous le pinceau de Jacques de Voragine, les ombres des martyrs couverts de sang, des moines à la cagoule grise, des vierges aux vêtements de lys, prenaient corps. Leurs froides figures s'animaient ; leurs gestes acquéraient expression et relief. Et au-dessus d'elles l'image d'un Roi généreux surgissait des pages de Ludolphe, l'image d'un Roi qui appelait à sa suite, pour conquérir la terre des infidèles, des légions de soldats obéissants et une petite troupe de chevaliers enthousiastes, désireux de se signaler à son service. Mais ce Roi souverain et Seigneur éternel ne parlait plus d'héroïques épopées ni de sanglantes mêlées où l'on frappait d'estoc et de taille. Il disait : « Qui veut me suivre, il faut qu'il souffre avec moi, afin que, m'ayant suivi dans mes labeurs, il me suive également dans la gloire. » L'âme d'Ignace, éclairée par cette lumière nouvelle, se détachait ainsi de plus en plus de ses fallacieux songes terrestres et commençait son oblation totale au Seigneur de toutes choses 3.
3 Cf. Exercices spirituels ; Le règne du Christ.
Conseils du Saint-Père.
Bien-aimés fils et filles, rentrez en vous-mêmes, recueillez-vous un instant et recherchez avec sincérité d'où vient ce qu'il y a de meilleur en vous. Pourquoi croyez-vous en Dieu, en son Fils incarné pour la Rédemption du monde, en sa Mère dont il a fait votre Mère ? Pourquoi obéissez-vous à ses commandements ? Pourquoi aimez-vous vos parents, votre patrie, votre prochain ? Pourquoi êtes-vous résolus à fonder un foyer qui ait Jésus pour Roi et où vous puissiez transmettre à vos enfants le trésor familial des vertus chrétiennes ? Il est certain que c'est parce que la foi vous a été donnée dans le baptême ; parce que vos parents, votre curé, vos maîtres et maîtresses d'école vous ont enseigné par la parole et par l'exemple à faire le bien et à éviter le mal. Mais examinez vos souvenirs mieux encore ; parmi les meilleurs et les plus décisifs, vous trouverez probablement celui d'un livre bienfaisant : le catéchisme, l'histoire sainte, l'Evangile, le missel, le bulletin paroissial, l'Imitation de Jésus-Christ, la vie d'un saint ou d'une sainte. Vous reverrez des yeux de l'esprit un de ces livres, qui n'est peut-être ni le plus beau, ni le plus riche, ni le plus savant, mais sur les pages duquel votre lecture, un soir, s'est tout à coup arrêtée, votre coeur a battu plus fort, vos yeux se sont mouillés de larmes. Et alors, sous l'irrésistible action du Saint-Esprit, s'est creusé dans votre âme un sillon profond qui, malgré les ans, malgré les écarts plus ou moins longs, peut encore vous servir de guide dans le chemin qui vous mène à Dieu.
Si, du moins les plus jeunes, vous n'avez pas encore tous fait cette expérience, vous en sentirez probablement un jour la pénétrante douceur quand vous retrouverez sur une étagère encombrée ou dans une vieille armoire un petit livre de vos premières années, et que vous découvrirez avec émotion dans les pages jaunies, comme une fleur desséchée dans le jardin de votre enfance, l'histoire édifiante, la maxime, la pieuse prière que vous aviez laissée ensevelie sous la poussière des occupations et préoccupations de la vie quotidienne, mais qui tout de suite reprendra le même parfum, la même saveur, la même vigueur de coloris qu'au temps où elle avait enchanté et réconforté votre âme.
C'est là un des grands avantages du bon livre. Si vous dédaignez les sages avertissements et le juste blâme d'un ami, il vous abandonne ; mais le livre que vous abandonnez vous restera fidèle; négligé ou repoussé à plus d'une reprise, il est toujours prêt à vous redonner l'aide de ses enseignements, la salutaire amertume de ses reproches, la claire lumière de ses conseils. Ecoutez donc ses avis aussi discrets que directs. Il vous adresse un blâme trop souvent mérité peut-être, il vous rappelle un devoir trop souvent oublié, comme il l'a fait à bien d'autres avant vous ; mais il ne vous découvrira pas leur nom, et il ne dévoilera pas le vôtre. Tandis que, sous la lampe silencieuse, le livre par vos yeux entre en vous et qu'il vous réprimande ou vous réconforte, personne n'entendra sa voix, hormis votre propre coeur.
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1 D'après le texte français des A. A. S., 32, 1940, p. 549.
Répondant à la lettre qu'il en avait reçue, au nom de l'épiscopat de Belgique lors de l'occupation de ce pays par les troupes allemandes, le Saint-Père a adressé la lettre suivante à S. Em. le cardinal Van Roey, archevêque de Malines :
Dans la tristesse dont Notre coeur est rempli par le fait des douloureux événements qui affligent le monde et ont semé la ruine dans vos paisibles régions, il Nous est donné enfin de recevoir par votre intermédiaire, un écho des angoisses de l'épiscopat, du clergé et de la Belgique tout entière, pleurant dans une douleur commune et élevant à Dieu la prière gémissante mais toute confiante des enfants du Père céleste. Ce que Nous savions déjà ou redoutions concernant l'état lamentable dans lequel les horreurs de la guerre ont jeté ce noble pays, votre plume vient de Nous le confirmer avec des détails qui Nous causent le plus grand chagrin et jettent une sombre lumière sur la situation matérielle et religieuse où ce cher peuple catholique est soudainement tombé.
Mais, au milieu de tant de désastres, il est bien réconfortant pour Nous d'apprendre, par votre lettre, que le sentiment du devoir n'a pas fléchi dans les pasteurs des âmes et que tous les évêques restent vaillamment à leur poste, faisant honneur à leur mission et partageant, avec leurs ouailles, les tristesses de la situation présente. Leur conduite les signale particulièrement à Notre reconnaissance, et Nous voudrions qu'ils sachent avec quelle tendre affection Nous leur - 263 - sommes uni dans la douleur, dans la prière et dans la ferme confiance en Dieu.
Pour le reste, il doit vous être bien doux de vous remettre à la divine Providence, tout en accomplissant vos rudes devoirs et en faisant de votre mieux pour soutenir la foi et le courage de vos fidèles. Fixez en Dieu vos espérances et veillez à ce que l'âme religieuse de la chère Belgique ne souffre pas de l'orage qui s'est déchaîné, mais puisse plutôt en retirer un heureux accroissement de vie et de piété chrétiennes. C'est dans ces sentiments que Nous ne cessons d'élever à Dieu Nos voeux et Nos supplications, le priant de proportionner ses grâces aux souffrances de tous ces chers fils et de préparer à la Belgique un nouvel avenir de paix et de prospérité dans la justice.
Heureux de savoir que vous êtes tous avec Nous dans la prière pour Nous obtenir de Dieu les lumières et la force dont Nous avons besoin à l'heure actuelle, Nous vous demandons de continuer à faire violence au ciel, n'oubliant pas, cependant, que notre gloire à tous est dans les tribulations — gloriamur in tribulationibus (Rm 5,3) — et que c'est par la foi au milieu des épreuves que le chrétien triomphe du monde. Dans la consolante vision de cette victoire spirituelle, Nous formons pour votre personnne et pour votre diocèse, pour l'épiscopat de la Belgique tout entier, pour votre clergé et pour tous vos fidèles, les voeux les plus ardents, et Nous envoyons à tous, comme gage de Notre dilection paternelle, la Bénédiction apostolique.
(7 août 1940) 1
Reprenant le thème de son précédent discours aux jeunes époux, le Saint-Père expose ici quel poison sournois et d'autant plus virulent représente l'habitude des mauvaises lectures.
Lorsque sous le radieux soleil du mois d'août, l'enfant quitte sa famille pour la colonie de vacances, son père jugerait superflu de lui dire : « Mon cher enfant, n'emporte point de serpent dans ta petite valise ; et si jamais tu en rencontres un dans tes promenades, garde-toi de le prendre dans tes mains pour l'examiner. »
Toutefois l'amour paternel Nous inspire à votre adresse un conseil semblable. Nous avons à l'audience de mercredi dernier exposé brièvement l'utilité des bonnes lectures. Aujourd'hui Nous voudrions vous rappeler le péril des mauvaises ; péril contre lequel l'Eglise n'a jamais cessé d'élever la voix, mais dont néanmoins nombre de chrétiens méconnaissent ou contestent la gravité.
Les mauvaises lectures
Vous devez donc vous persuader qu'il y a de mauvais livres, des livres mauvais pour tous, comme il y a des poisons contre lesquels personne ne saurait se dire assuré. En tout homme la chair est sujette aux faiblesses et l'esprit prompt aux rébellions ; ainsi de pareilles lectures constituent un danger pour n'importe qui. Durant la prédication de saint Paul à Ephèse, racontent les Actes des Apôtres, nombre d'auditeurs qui s'étaient adonnés aux pratiques superstitieuses, apportèrent leurs livres et les brûlèrent devant tout le peuple ; en estimant la valeur de ces livres de magie ainsi réduits en cendres, on trouva cinquante mille pièces d'argent (Ac 19,19).
Plus tard, durant le cours des siècles, les papes prirent soin de faire publier un catalogue, ou Index, des livres dont la lecture est interdite aux fidèles, et ils ajoutent en même temps que beaucoup d'autres livres, dont Vindex ne contient aucune mention expresse, tombent sous la même condamnation et prohibition, parce que nuisibles à la foi et aux moeurs. Qui donc s'étonnerait de voir les gardiens de la santé spirituelle des fidèles recourir à une pareille défense ? La société civile ne travaille-t-elle point, elle aussi, par de sages mesures législatives et prophylactiques, à empêcher dans l'économie domestique et industrielle l'action délétère des substances toxiques ? N'entoure-t-elle pas de mesures de précautions la vente et l'usage des poisons, et tout spécialement des plus nocifs ?
Si Nous vous rappelons ce grave devoir, c'est que Nous y sommes poussé par l'extension du mal, extension que favorisent actuellement l'incessant développement de la librairie et la liberté que beaucoup s'attribuent de lire n'importe quoi. Or, il ne saurait exister une liberté de lire tout, pas plus que n'existe la liberté de manger et de boire tout ce qui vous tombe sous la main, fût-ce de la cocaïne ou de l'acide prussique.
... en dépit des raisons alléguées
Chers époux, cette mise en garde s'adresse spécialement à vous, qui vous trouvez pour la plupart dans l'âge et l'état d'esprit où l'on se complaît aux récits romanesques, où la foule des désirs trouve une pâture en des bonheurs parfois imaginaires et où la douceur des rêves atténue la rudesse de la réalité. Certes, il ne vous est pas interdit de goûter le charme des récits de pure et saine tendresse humaine ; l'Ecriture Sainte elle-même offre des scènes de ce genre, qui ont conservé à travers les siècles leur fraîcheur idyllique : telles la rencontre de Jacob et de Rachel (Gn 29,9-12), les fiançailles du jeune Tobie (Tob., vu), l'histoire de Ruth (Ruth, m). Et il y a eu même des auteurs de grand talent qui ont écrit de bons et honnêtes romans ; qu'il suffise de citer notre Manzoni. Mais à côté de ces fleurs pures, quelle végétation de plantes vénéneuses dans le vaste domaine des oeuvres d'imagination ! Or, trop souvent les hommes cueillent ces plantes vénéneuses, plus accessibles et plus voyantes ; trop souvent ils préfèrent aux fleurs pures le parfum pénétrant et enivrant de ces plantes vénéneuses.
« Je ne suis plus une enfant — dit cette jeune femme — et je connais la vie. Il me faut donc la connaître encore mieux, et j'en ai le droit. » Pauvre jeune femme ! Elle ne remarque point qu'elle tient le langage d'Eve en face du fruit défendu ! Croit-elle peut-être que, pour mieux connaître et aimer la vie, et pour en tirer profit, il soit nécessaire d'en scruter tous les abus et déformations ?
« Je ne suis plus un enfant — dira également ce jeune homme — et à mon âge les descriptions sensuelles et les scènes voluptueuses ne font plus rien. » En est-il bien sûr, tout d'abord ? Et puis, s'il en était ainsi, ce serait l'indice d'une inconsciente perversion, fruit de mauvaises lectures antérieures. Ainsi, racontent certains historiens, Mithridate, roi du Pont, cultivait des herbes vénéneuses ; il préparait et expérimentait sur lui-même des poisons auxquels il voulait s'habituer ; d'où le nom de mithridatisme.
... sont plus dangereuses que les mauvaises compagnies.
Mais n'allez pas croire, jeunes hommes et jeunes femmes, que si vous vous laissez parfois entraîner à lire, en cachette peut-être, des livres suspects, n'allez pas croire que le poison de ces ouvrages ne produise plus d'effet sur vous ; craignez plutôt que pour n'être pas immédiat, cet effet n'en soit que plus malfaisant. Il existe dans les pays tropicaux de l'Afrique des insectes diptères connus sous le nom de mouches tsé-tsé ; leur piqûre ne cause point la mort aussitôt mais une simple et passagère irritation locale. Cependant elle inocule dans le sang des trypanosomes délétères, et, lorsque les symptômes du mal apparaissent clairement, il est parfois trop tard pour y porter remède par les médicaments de la science. Pareillement les images impures et les pensées dangereuses que produit en vous un mauvais livre semblent parfois entrer dans votre esprit sans causer de blessure. Vous serez sujets alors à récidiver, et vous ne vous rendrez pas compte qu'ainsi, par la fenêtre de vos yeux, la mort pénètre dans la maison de votre âme (cf. Jér. Jr 9,21) ; à moins d'une réaction immédiate et vigoureuse, votre âme, tel un organisme engourdi par la « maladie du sommeil » glissera, languissante, dans le péché mortel et dans l'inimitié de Dieu.
Sous certains aspects, le danger des mauvaises lectures est plus funeste que celui des mauvaises compagnies : à la façon d'un traître, le mauvais livre sait se rendre familier. Que de jeunes filles et de jeunes femmes, seules dans leur chambre avec le livre en vogue, se laissent dire crûment par lui des choses qu'elles ne permettraient à personne de murmurer en leur présence, ou se laissent décrire des scènes dont pour rien au monde elles ne voudraient être les actrices ou les victimes ! Hélas ! Elles se préparent à le devenir demain ! D'autres, chrétiens ou chrétiennes qui dès leur enfance ont marché dans la bonne voie, gémissent parfois de voir se multiplier soudain les tentations qui les oppriment et devant lesquelles ils se sentent toujours faibles. S'ils interrogeaient avec sincérité leur conscience, ils devraient peut-être reconnaître qu'ils ont lu un roman sensuel, parcouru une revue immorale, attaché le regard sur des illustrations indécentes. Les pauvres âmes ! Peuvent-elles, en toute loyauté et logique, se plaindre qu'un flot de fange menace de les submerger, quand elles ont ouvert les digues d'un océan de poison ?
Au surplus, chers jeunes époux, vous préparez maintenant votre avenir et implorez de Dieu entre autres la bénédiction de la fécondité sur votre union ; songez que l'âme de vos enfants sera le reflet de la vôtre. Vous êtes certes résolus à leur donner une éducation chrétienne et à ne leur inspirer que de bons principes. Excellente résolution. Mais suffira-t-elle toujours ? Hélas non ! Il arrive parfois que des parents ont donné à un fils ou à une fille une éducation soignée, les ont tenus à l'écart des plaisirs dangereux et des mauvaises compagnies, et qu'ils les voient, à l'âge de 18 ou 20 ans, victimes de chutes misérables ou même scandaleuses ; l'ivraie a étouffé le bon grain semé par les parents. Quel est l'initnicus homo, l'ennemi qui a fait pareil mal ? Le rusé tentateur s'est furtivement introduit au foyer domestique lui-même, dans ce petits paradis terrestre, et il a trouvé déjà cueilli, pour l'offrir à ces mains innocentes, le fruit corrupteur : un livre laissé par négligence sur le bureau du père a miné dans le fils la foi baptismale ; un roman oublié par la mère sur le sofa ou le fourneau a terni dans la fille la pureté de la première communion. Et le mal se découvre, avec épouvante, d'autant plus difficile à guérir que la tache faite à la candeur d'une âme vierge est plus tenace.
Les écrits mensongers.
Mais à côté des écrits qui propagent l'impiété et l'inconduite, Nous ne pouvons omettre de mentionner ceux qui répandent le mensonge et provoquent la haine. Le mensonge, abominable aux yeux de Dieu et détesté de tout homme droit (Pr 6,17 et Pr 13,5), l'est encore davantage lorsqu'il propage la calomnie et sème la discorde parmi les frères (Pr 6,19). Comme les maniaques des lettres anonymes ruinent par leur plume trempée de fiel et de fange la félicité des familles et l'union des foyers, une certaine presse semble avoir pris à tâche de détruire, dans la grande famille des peuples, les relations fraternelles entre les fils du même Père céleste. OEuvre de haine qui s'accomplit par le livre, et plus souvent encore, par le journal.
Que dans la hâte fiévreuse du travail quotidien il échappe une erreur à un écrivain, qu'il accepte une information peu sûre, qu'il émette une appréciation injuste, tout cela bien souvent peut paraître et peut être légèreté plutôt que faute. Qu'il pense pourtant que de pareilles légèretés et inadvertances peuvent suffire, surtout en des époques de tensions aiguës, à produire de graves répercussions. Plaise à Dieu que l'histoire n'enregistre aucune guerre provoquée par un mensonge habilement propagé !
Un publiciste conscient de sa mission et de sa responsabilité se sent le devoir, s'il a répandu l'erreur, de rétablir la vérité. Il s'adresse à des milliers de lecteurs sur qui ses écrits peuvent produire un effet, et il est tenu de ne point ruiner en eux et autour d'eux le patrimoine sacré de vérité libératrice et de pacifiante charité que dix-neuf siècles de christianisme, dix-neuf siècles de labeur, ont apporté au genre humain. On a dit que la langue a tué plus d'hommes que Pépée (cf. Si 28,22). Pareillement la littérature mensongère peut devenir plus homicide que les chars blindés et les bombardiers.
L'Evangile de la Transfiguration du Seigneur que nous avons lu hier à la sainte messe, raconte comment, pour révéler sa gloire à ses trois apôtres préférés, le divin Maître commença par les conduire seuls, à l'écart, sur une haute montagne (Mc 9,1). Si vous voulez assurer à vos foyers la bénédiction de Dieu, la protection spéciale de son Coeur, les grâces de paix et d'union promises à qui l'honore, séparez-vous de la foule en repoussant les publications mauvaises et corruptrices. Cherchez le bien en ce domaine comme dans les autres, prenez l'habitude de vivre sous le regard de Dieu et dans la fidélité à sa loi : vous ferez alors de votre foyer un Thabor intime et inaccessible aux miasmes de la plaine et où vous pourrez dire avec saint Pierre : « Maître, il nous est bon d'être ici ! (Mc 9,4) ».
(10 août 1940)1
Recevant les lettres de créance des mains de S. Exc. M. Carlo Quin-tanilla, nouvel ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de Bolivie, le Souverain Pontife répondit à l'adresse d'hommage par ces paroles :
Après avoir conquis tant de lauriers mérités dans votre noble carrière au service de la patrie, voici qu'aujourd'hui S. Exc. le président de la République de Bolivie met le comble à ces honneurs en vous confiant auprès de Nous une mission d'autant plus importante que sont plus profonds et enracinés les sentiments catholiques de votre peuple.
Les cérémonies qui, selon votre désir, ont marqué la présentation de vos lettres de créance, Nous persuadent volontiers que, malgré les va-et-vient de la politique, malgré les inévitables changements de personnes et de circonstances, les chefs de votre gouvernement entendent conserver fermement, en plein accord avec votre peuple, les traditionnelles relations de confiance et d'amitié qui ont toujours existé entre le Saint-Siège et la nation bolivienne.
Il Nous a plu particulièrement de vous entendre dire, Monsieur l'ambassadeur, que vous considériez cette mission comme le plus grand honneur qui pût échoir à un catholique et à un citoyen d'une république vraiment chrétienne ; une telle affirmation Nous donne l'assurance que cette noble tâche de promouvoir les plus hauts intérêts spirituels et moraux de votre patrie, vous l'accomplirez dans cet esprit persévérant et généreux que Dieu aime à bénir et à récompenser.
Vous avez quitté, Monsieur l'ambassadeur, les cimes hautes et sereines des Andes, vous avez franchi le vaste océan pour venir représenter auprès de Nous une nation catholique, dont la capitale porte dès sa fondation le doux nom de « Notre-Dame de la paix ». Vous arrivez à un moment où une guerre atroce déchire l'Europe, et vous Nous souhaitez la consolation de voir bientôt le succès de Nos ardents désirs et de Nos efforts continuels en faveur de la paix.
En qualité de fils et de représentant d'un peuple qui reste fier de sa culture catholique et européenne, vous savez fort bien que pour les hommes rachetés par le Christ, il ne peut y avoir de paix véritable en dehors des principes et des normes de charité et de justice, promulgués dans l'Evangile. Ces suprêmes critères de la vraie fraternité, la Chaire de Pierre a toujours cherché à les présenter aux hommes pour la juste et noble solution des problèmes qui les divisent. Et Nous, à cette heure, particulièrement conscient de la gravité de Notre charge, déclarons que Nous ne cesserons de rappeler avec une paternelle insistance cet enseignement à tous, plus spécialement à ceux qui portent sur leurs épaules la redoutable responsabilité de l'avenir des peuples. Nous pensons avec saint Augustin que « c'est Dieu qui dirige le commencement, le développement et la fin des guerres elles-mêmes » 2. Aussi ne doutons-Nous pas que la divine Providence saura faire porter des fruits spirituels et moraux à cela même qui afflige les peuples. Mais Nous n'allons pas pour autant cesser Nos exhortations à suivre la voix de l'Eglise qui, dans son amour maternel, adresse ses prières à Dieu et ses avertissements aux hommes pour que disparaisse bientôt le poison de la guerre.
Ceci Nous est d'un grand réconfort : le peuple bolivien a toujours réservé un accueil filial à Nos appels en faveur de la paix ; avec clairvoyance, il a compris parfaitement l'impartialité et le désintéressement des nobles raisons qui Nous poussaient à parler, conformément aux devoirs sacrés de Notre ministère apostolique. Pour obtenir de Dieu la paix, Nous comptons encore sur son aide et sur ses prières auprès de la Reine de la Paix, dans le sanctuaire de « Notre-Dame de la Candelaria ».
Nous implorons la bienveillante protection du Très-Haut sur le peuple bolivien, et Nous vous prions, Monsieur l'ambassadeur, de transmettre à S. Exc. le président et aux membres de son gou-
2 De civitate Dei, 1. VII, c. 30.
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vernement, Nos voeux les plus sincères de bonheur personnel à la tête de la nation.
Quant à vous, pour vous assurer de Notre appui bienveillant dans votre haute charge et pour satisfaire le désir que vous venez de Nous manifester, Nous vous donnons de grand coeur Notre Bénédiction apostolique, que Nous étendons à Nos chers fils de la lointaine Bolivie.
t A l'occasion de la cinquième semaine d'études des Lauréats catholiques d'Italie, à Camaldoli, le Saint-Père a adressé ses voeux et encouragements en une lettre de S. Em. le cardinal Maglione, secrétaire d'Etat, à S. Em. Mgr Bernareggi, évêque de Bergame et assistant ecclésiastique de ce groupement. Voici cette lettre :
Le thème choisi pour la prochaine réunion des Lauréats catholiques à Camaldoli, « La grâce », confirme Sa Sainteté dans l'heureuse impression qu'elle a déjà éprouvée au sujet de ce jeune et pourtant vigoureux groupe d'étudiants et professionnels qui se montre si justement préoccupé de la culture de l'âme et des moyens de la promouvoir en chacun de ses membres et encore plus dans leur entourage. En cela, il donne la preuve de la parfaite connaissance des buts proposés à son activité spécifique : buts qui se résument dans la recherche éclairée de cette culture sérieuse et de cette piété sincère qui doivent faire de chacun de ses adhérents une personnalité chrétienne élevée et une force très active au sein de la famille et de la société.
En appliquant leur étude au principe vital même de la religion de Jésus-Christ, à la transcendante et ineffable réalité par laquelle l'Eglise vit et chacun de ses fils avec elle, chacun des participants à ce congrès qui touche de près à ce qui pour le croyant compte parmi les plus profonds mystères, ne pourra pas ne pas en sentir la grandeur et la beauté émouvantes pour en tirer toujours plus de
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force en vue de l'action et une confiance inébranlable en son bon combat. De la méditation de la grâce, leurs âmes sortiront, sans nul doute, comme d'un repas fortifiant, plus que jamais disposées à l'humilité de l'esprit, à une ferme espérance dans le bien, à la ferveur dans l'apostolat et par-dessus tout à une profonde gratitude envers Dieu qui, par ce don de lui-même par excellence, s'unit intimement à la créature et la revêt d'une dignité qui dépasse toute conception humaine.
Se félicitant d'ores et déjà d'un résultat que la grâce elle-même, inspiratrice du congrès, fait prévoir très fructueux, soit par rapport à l'activité sociale des lauréats, Sa Sainteté accompagne leur initiative de tous ses voeux. Et, parce que, dans la tristesse de l'heure présente, vient à son coeur de la solitude de Camaldoli le réconfort de cette sereine assemblée d'esprits qui soupirent après les valeurs éternelles pour en nourrir leur vie et la vie d'autrui, le Vicaire de Jésus-Christ s'en félicite paternellement avec eux. Et, en même temps qu'avec eux il remercie le Seigneur de faire des épreuves et des souffrances même l'instrument de détachement du monde et de préparation à un heureux renouveau spirituel pour les individus et la société, elle envoie de tout coeur à chacun des participants et d'une façon particulière à Votre Excellence révérendissime et à ses actifs collaborateurs la Bénédiction apostolique.
(25 août 1940) 1
A l'occasion de la Semaine biblique qui s'est tenue à Saragosse, du 15 au 22 septembre, le Saint-Père a fait parvenir ses voeux paternels en une lettre de S. Em. le cardinal Maglione, secrétaire d'Etat, à l'adresse de S. Exc. l'archevêque de Saragosse. En voici le texte :
Souhaitant vivement que dans la chère Espagne tout ce qui intéresse la doctrine de la religion s'accroisse toujours et devienne vivant, le Souverain Pontife a appris avec joie qu'au mois de septembre prochain se tiendra à Saragosse une Semaine biblique.
Ce projet vise à instruire les prêtres des questions bibliques par des hommes savants et experts et à les encourager à étudier la Sainte Ecriture ; il vise aussi à ce que soient écrits en collaboration des ouvrages pour défendre, expliquer, exposer la parole de Dieu.
Ces intentions méritent d'être grandement approuvées et louées. Si les livres divins dont les paroles sont esprit et vie sont ouverts et lus, les mains et l'esprit purs, la foi resplendit dans le sanctuaire intime du coeur et l'âme s'enflamme pour la pratique des vertus et des bonnes oeuvres.
Que si les ministres sacrés extraient le suc des saints livres pour les sermons qu'ils adressent au peuple chrétien, leurs paroles ne seront pas un vain souffle, mais ils rassasieront les coeurs et les animeront d'une suave douceur en les nourrissant de la vérité profonde des Ecritures. C'est donc par la prière et la lecture sacrée que les disciples du Christ seront fortifiés, selon la parole de saint
Jérôme : « Quand tu pries, c'est toi qui parles à l'Epoux ; quand tu lis, c'est lui qui te parle. Lis davantage, tu apprendras davantage. Que le sommeil te saisisse un livre en mains ; et que la page sainte reçoive ta tête qui tombe. » 2
Afin qu'il en soit ainsi, il ne faut pas s'attarder dans l'étude de la parole divine uniquement ou démesurément à son sens littéral, comme l'on dit, mais, après l'avoir recherché avec soin, il faut passer au sens mystique, sous la conduite des saints Pères de l'Eglise qui l'ont pénétré complètement. « Tout ce que nous lisons dans les livres saints brille et resplendit déjà dans l'écorce, mais est bien plus doux dans la moelle. Celui qui veut manger le noyau, qu'il brise la noix. » 3
Sa Sainteté adresse ce vceu à tous ceux qui participeront à cette Semaine, exprimant le désir ardent que tous les prêtres d'Espagne, fidèles à leur antique réputation, se montrent excellents dans l'amour et l'étude des Livres saints, sources de notre foi. En exprimant ce souhait, Sa Sainteté vous accorde de tout coeur à vous et aux autres évêques et aux membres du clergé séculier et du clergé régulier qui participeront à cette réunion sa Bénédiction.
Pie XII 1940 - DISCOURS AUX JEUNES ÉPOUX (31 juillet 1940)