Pie XII 1942 - 1° COMMUNAUTÉ DANS L'ORDRE
Le second élément fondamental de la paix, où tend comme instinctivement toute société humaine, c'est la tranquillité. O bienheureuse tranquillité ! tu n'as rien de commun avec l'attachement dur et obstiné, tenace et puérilement entêté dans ce qui est ; ni avec le refus, enfant de la paresse et de l'égoïsme, qui rechigne à appliquer l'esprit aux problèmes et aux questions que l'évolution des temps et le cours des générations avec leurs besoins et leur progrès font mûrir et tirent avec soi comme d'inéluctables nécessités du présent. Mais pour un chrétien, conscient de sa responsabilité même envers le plus petit de ses frères, il n'y a pas de tranquillité paresseuse ni de fuite, mais la lutte, l'action contre toute inaction, contre toute désertion dans la grande bataille spirituelle dont l'enjeu est l'édification, ou mieux, l'âme même de la société future.
Harmonie entre la tranquillité et l'activité.
Tranquillité, au sens où l'entend saint Thomas, et ardeur au travail, loin de s'opposer, se joignent plutôt harmonieusement aux yeux de quiconque est convaincu de la beauté et de la nécessité d'une base spirituelle de la société et de la noblesse de son idéal. Or, c'est à vous, jeunes gens, à vous qui, volontiers, tournez le dos au passé et fixez vers l'avenir vos yeux brillants d'aspirations et d'espérances, c'est à vous, jeunes gens, que, poussé par Notre grand amour et Notre sollicitude paternelle, Nous disons : l'exubérance et l'audace, à elles seules, ne suffisent pas si elles ne sont mises, comme il faut, au service du bien et d'un drapeau sans tache.
Vaines sont l'agitation, la fatigue, l'inquiétude, qui ne se reposent pas en Dieu et dans sa loi éternelle. Il faut que vous soyez animés par la volonté de combattre pour la vérité et de lui consacrer vos sympathies et vos énergies, vos aspirations et vos sacrifices ; de combattre pour les droits éternels de Dieu, pour la dignité de la personne humaine et pour la réalisation de ses fins. Là où des hommes mûrs et des jeunes gens, toujours ancrés dans l'océan de la tranquillité éternellement vivante de Dieu, coordonnent les diversités de leurs tempéraments et de leurs activités dans un véritable esprit chrétien, là où s'accouplent l'élément moteur et l'élément modé-
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rateur la différence naturelle entre les générations ne deviendra jamais un danger, mais elle conduira, au contraire, vigoureusement à la réalisation des lois éternelles de Dieu dans le cours changeant des temps et des conditions de vie.
Le monde ouvrier.
Dans un domaine particulier de la vie sociale où, durant un siècle, ont surgi des mouvements et d'âpres conflits, règne aujourd'hui le calme, du moins en apparence : dans le monde vaste et toujours grandissant du travail, dans l'immense armée des ouvriers, des salariés, des serviteurs. Si l'on considère le présent avec ses nécessités de guerre comme une donnée de fait, on pourra regarder ce calme comme une exigence nécessaire et fondée. Mais si l'on regarde la situation actuelle du point de vue de la justice d'un mouvement ouvrier légitime et ordonné, alors la tranquillité ne sera jamais qu'apparente tant que le but ne sera pas atteint.
Toujours guidée par des motifs religieux, l'Eglise a condamné les divers systèmes du socialisme marxiste et elle les condamne encore aujourd'hui, conformément à son devoir et à son droit permanent de mettre les hommes à l'abri de courants et d'influences qui mettent en péril leur salut éternel. Mais l'Eglise ne peut pas ignorer ou ne pas voir que l'ouvrier, dans son effort pour améliorer sa situation, se heurte à tout un système qui, loin d'être conforme à la nature, est en opposition avec l'ordre de Dieu et avec la fin qu'il a assignée aux biens terrestres. Si fausses, si condamnables, si dangereuses qu'aient été et que soient les voies qu'on a suivies ; qui, et surtout quel prêtre, quel chrétien pourrait demeurer sourd au cri qui monte d'en bas et réclame, dans le monde d'un Dieu juste, justice et esprit de fraternité ? Le silence serait coupable et inexcusable devant Dieu, contraire à la doctrine éclairée de l'apôtre qui, tout en prêchant la fermeté contre l'erreur, sait en même temps qu'il faut montrer beaucoup de délicatesse envers les égarés, aller à eux le coeur ouvert pour comprendre leurs aspirations, leurs espérances, leurs raisons.
Dieu, en bénissant nos premiers parents, leur dit : « Croissez, multipliez-vous et remplissez la terre et soumettez-la » (Gn 1,28). Et au premier chef de famille il a dit ensuite : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front » (Gn 3,19). La dignité de la personne humaine suppose donc normalement, comme fondement naturel pour vivre, le droit à l'usage des biens de la terre ; à ce droit correspond l'obligation fondamentale d'accorder une propriété privée autant que possible à tous. Les règles juridiques positives qui règlent la propriété privée peuvent changer et en restreindre plus ou moins l'usage ; mais si elles veulent contribuer à la pacification de la communauté, elles devront empêcher que l'ouvrier, père ou futur père de famille, soit condamné à une dépendance et à une servitude économique, inconciliable avec ses droits de personne humaine.
Que cette servitude dérive de l'omnipotence du capital privé ou du pouvoir de l'Etat, l'effet est le même. Bien plus, sous la pression d'un Etat qui domine tout et qui règle toute la sphère de la vie publique et privée, qui pénètre jusque dans le domaine des idées, des convictions et de la conscience, ce défaut de liberté peut avoir des conséquences plus graves encore, comme l'expérience le montre et en témoigne.
Quiconque examine à la lumière de la raison et de la foi les fondements et les fins de la vie sociale, tels que Nous les avons brièvement exposés, et les contemple dans leur pureté, dans leur élévation morale comme dans les fruits bienfaisants qu'ils portent dans tous les domaines ne peut pas manquer d'être convaincu de la puissance de ces principes d'ordre et de pacification que des énergies tendues vers de grands idéals et résolues à affronter les obstacles pourraient offrir, disons mieux, pourraient restituer à un monde entièrement désaxé, une fois abattues les barricades intellectuelles et juridiques dressées par les préjugés, les erreurs, l'indifférence, par un long travail de laïcisation de la pensée, du sentiment et de l'action, qui a ravi et soustrait la cité terrestre à la lumière et à la force de la cité de Dieu.
Aujourd'hui plus que jamais sonne l'heure de la réparation, l'heure de secouer la conscience du monde de la lourde torpeur dans laquelle le virus des idées fausses largement répandues l'a plongée ; d'autant plus qu'à cette heure de faillite matérielle et morale, la connaissance de la fragilité et de l'inconsistance de tout ordre purement humain en est venue à dessiller les yeux de ceux-là mêmes qui, aux jours apparemment heureux, ne sentaient pas en eux, ni dans la société, le manque de contact avec l'Eternel et ne le regardaient pas comme un vice essentiel de leurs constructions.
Ce qui apparaissait clairement au chrétien qui, profondément croyant, souffrait de l'ignorance des autres, le fracas de l'épouvantable catastrophe du bouleversement actuel, qui revêt la terrible solennité d'un jugement universel et qui frappe jusqu'aux oreilles des plus tièdes, des plus indifférents, des plus étourdis, nous le met sous les yeux avec un éclat éblouissant. Vérité à coup sûr antique, qui se manifeste tragiquement sous des formes toujours nouvelles et retentit de siècle en siècle, de peuple en peuple, par la voix du prophète : Omnes qui te derelinquunt, confundentur : recedentes a te in terra scribentur : quoniam dereliquerunt venam aquarum viventium, Dominum, « tous ceux qui t'abandonnent seront confondus ! Ceux qui se détournent de toi seront inscrits sur la terre, car ils ont abandonné la source des eaux vives, le Seigneur » (Jr 17,13).
Le devoir de l'heure présente n'est pas de gémir, mais d'agir. Pas de gémissements sur ce qui est ou ce qui fut ; mais reconstruction de ce qui se dressera et doit se dresser pour le bien de la société. Aux membres les meilleurs de l'élite de la chrétienté, vibrants d'un enthousiasme de Croisés, il appartient de se grouper dans l'esprit de vérité, de justice et d'amour, au cri de : Dieu le veut ! Prêts à servir et à se sacrifier comme les anciens Croisés. Il s'agissait alors de délivrer la terre sanctifiée par la vie du Verbe de Dieu incarné, il s'agit aujourd'hui, si Nous pouvons Nous exprimer ainsi, d'une nouvelle traversée, bravant la mer des erreurs du jour et du temps pour délivrer la terre sainte des âmes qui est destinée à être le soutien et le fondement des normes et des lois immuables pour des constructions sociales d'une solide consistance interne.
En vue d'une fin si haute, de la crèche du Prince de la paix, avec la confiance que sa grâce se répande dans tous les coeurs, Nous Nous adressons à vous, chers fils, qui reconnaissez et adorez dans le Christ votre Sauveur, Nous Nous adressons à tous ceux qui Nous sont unis au moins par le lien spirituel de la foi en Dieu, à tous ceux enfin qui aspirent à se libérer des doutes et des erreurs et qui désirent ardemment une lumière et un guide. Nous vous exhortons avec toute l'insistance suppliante d'un coeur paternel, non seulement à comprendre intimement l'angoissante gravité de l'heure présente, mais aussi à en méditer les possibles aurores bienfaisantes et surnaturelles, à vous unir pour travailler tous ensemble au renouvellement de la société en esprit et en vérité.
Le but essentiel de cette croisade nécessaire et sainte est que l'étoile de la paix, l'étoile de Bethléem, se lève de nouveau sur toute l'humanité dans son brillant éclat, dans son pacifiant réconfort, promesse et présage d'un avenir meilleur, plus fécond et plus heureux.
Il est vrai que le chemin qui va de la nuit â un matin radieux sera long ; mais les premiers pas sont décisifs sur le sentier dont les cinq premières bornes milliaires portent, gravées par un stylet de bronze, les maximes suivantes :
1° Dignité et droits de la personne humaine.
Qui veut que l'étoile de la paix se lève et se repose sur la société concourt pour sa part à rendre à la personne humaine la dignité qui lui a été conférée par Dieu dès l'origine ;
qu'il s'oppose à l'excessif rassemblement des hommes à la façon d'une masse sans âme, à leur instabilité économique, sociale, politique, intellectuelle et morale, à leur manque de principes fermes et de fortes convictions, à la surabondance d'excitations instinctives et sensibles et à leur versatilité ;
qu'il favorise par tous les moyens licites et dans tous les domaines de la vie, les formes sociales qui rendent possible et qui garantissent une pleine responsabilité personnelle, aussi bien dans l'ordre terrestre que dans l'ordre éternel ;
qu'il promeuve le respect et l'exercice pratique des droits fondamentaux de la personne, à savoir : le droit à maintenir et à développer la vie corporelle, intellectuelle et morale, en particulier le •droit à une formation et à une éducation religieuses ; le droit au culte de Dieu, privé et public, y compris l'action charitable religieuse ; le droit, en principe, au mariage et à l'obtention de sa fin ; le droit à la société conjugale et domestique ; le droit au travail comme moyen indispensable à l'entretien de la vie familiale ; le droit au libre choix d'un état de vie, et donc aussi de l'état sacerdotal et religieux ; le droit à l'usage des biens matériels dans la conscience des devoirs propres et des limitations aussi sociales.
2° Défense de l'unité sociale et en particulier de la famille.
Qui veut que l'étoile de la paix se lève et se repose sur la société rejette toute forme de matérialisme qui ne voit dans le peuple qu'un troupeau d'individus séparés et sans cohésion interne, considérés comme matière à posséder et à gouverner ;
qu'il cherche à comprendre la société comme une unité interne, grandie et mûrie sous la conduite de la Providence, unité qui, dans les limites à elle asssignées et suivant ses caractères particuliers, tend, grâce à la collaboration des diverses classes et professions, aux éternels et toujours nouveaux objectifs de la culture et de la religion ;
qu'il défende l'indissolubilité du mariage, qu'il procure à la famille, cellule irremplaçable du peuple, espace, lumière, repos, afin qu'elle puisse remplir sa mission de transmettre une nouvelle vie et d'élever les enfants dans un esprit conforme à ses convictions religieuses personnelles et vraies, qu'il conserve, renforce ou reconstitue, dans la mesure de ses forces, sa propre unité économique, spirituelle, morale et juridique ; qu'il prenne soin de faire participer aussi les domestiques aux avantages matériels et spirituels de la famille, qu'il pense à procurer à chaque famille un foyer où la vie familiale, matériellement et spirituellement saine, réussisse à se manifester dans sa vigueur et dans sa valeur, qu'il veille à ce que les lieux du travail et les habitations ne soient pas tellement distants que le chef de famille, éducateur des enfants, en vienne à se trouver presque étranger à sa propre maison, qu'il veille par-dessus tout à faire renaître entre l'école publique et la famille ce lien de confiance et d'aide mutuelle qui a porté, en d'autres temps, de si heureux fruits et qui se trouve aujourd'hui remplacé par la défiance là où l'école, sous l'influence ou sous la pression de l'esprit matérialiste, empoisonne et détruit ce que les parents avaient mis au coeur des enfants.
3' Dignité et prérogatives du travail.
Qui veut que l'étoile de la paix se lève et se repose sur la société donne au travail la place que Dieu lui a marquée dès l'origine. Comme moyen indispensable de possession du monde, que Dieu a voulu pour sa gloire, tout travail possède une dignité inaliénable et, en même temps, un lien étroit avec le perfectionnement personnel ; noble dignité et prérogative du travail, que ne déprime ni la peine ni le fardeau qu'il faut accepter comme conséquence du péché originel, en esprit d'obéissance et de soumission à la volonté de Dieu.
Qui connaît les grandes encycliques de Nos prédécesseurs et Nos précédents messages sait que l'Eglise n'hésite pas à tirer les conclusions pratiques qui dérivent de la noblesse morale du travail et à les appuyer de tout le poids de son autorité. Ces exigences comprennent, outre un juste salaire suffisant aux nécessités de l'ouvrier et de sa famille, la conservation et le perfectionnement d'un ordre social qui rende possible et assurée, si modeste qu'elle soit, une propriété privée à toutes les classes de la société, qui favorise une formation supérieure pour les enfants des classes ouvrières spécialement doués d'intelligence et de bonne volonté, qui encourage le zèle et l'exercice pratique de l'esprit social dans le voisinage, dans le village, dans la province, dans le peuple et dans la nation, qui, atténuant les heurts d'intérêts et de classes, ôte aux ouvriers l'impression d'être tenus à l'écart et leur procure l'expérience réconfortante d'une solidarité véritablement humaine et chrétiennement fraternelle.
Le progrès et le degré des réformes sociales de première urgence dépendent de la puissance économique de chaque nation. Seul un intelligent et généreux échange des forces entre puissants et faibles permettra d'accomplir une pacification universelle qui ne laisse pas couver les foyers d'incendie et d'infection, d'où puissent surgir de nouvelles calamités.
Des signes évidents donnent à penser que dans cette fermentation de tous les préjugés et ces sentiments de haine, inévitable mais douloureux fruit de cette psychose aiguë de guerre, la conscience n'est pas éteinte au sein des peuples de leur intime et réciproque dépendance pour le bien comme pour le mal, et même qu'elle est devenue plus vive et plus active. N'est-il pas vrai que des penseurs profonds voient de plus en plus clairement, dans le renoncement à l'égoïsme et à l'isolement national, le chemin du salut commun, et se montrent disposés à demander à leurs peuples une lourde part des sacrifices nécessaires à la pacification sociale dans d'autres peuples ? Puisse Notre message de Noël, qui s'adresse à toutes les bonnes volontés, à tous les coeurs généreux, encourager et grossir les troupes de la croisade sociale parmi toutes les nations ! Veuille Dieu donner à leurs pacifiques drapeaux la victoire que mérite leur noble entreprise.
4' Reconstitution de l'ordre juridique.
Qui veut que l'étoile de la paix se lève et se repose sur la vie sociale collabore à une reconstitution profonde de l'ordre juridique.
Le sens juridique d'aujourd'hui est souvent altéré et vicié par la proclamation et par la pratique d'un positivisme et d'un utilitarisme partisans et inféodés au service de certains groupes, classes et mouvements, dont les programmes tracent et prescrivent la voie à la législation et à la jurisprudence.
L'assainissement de cette situation peut être obtenu dès que se réveille la conscience d'un ordre juridique reposant sur le souverain 'domaine de Dieu et défendue contre tout arbitraire humain, conscience d'un ordre dont le bras protecteur et justicier s'étend aussi sur les droits imprescriptibles de l'homme et les protège contre les attaques de tout pouvoir humain.
De l'ordre juridique voulu par Dieu découle l'inaliénable droit de l'homme à la sécurité juridique et, par le fait même, à une sphère concrète de droit, défendue contre toute attaque arbitraire.
Les rapports de l'homme avec l'homme, de l'individu avec la société et l'autorité, ses devoirs civiques, les rapports de la société et de l'autorité avec les particuliers doivent être appuyés sur un fondement juridique clair et protégés au besoin par l'autorité judiciaire.
Ce qui suppose :
a) un tribunal et un juge qui prennent leurs directives dans un droit clairement formulé et délimité ;
b) des normes juridiques claires qui ne puissent être éludées par des appels abusifs à un prétendu sentiment populaire ou par de pures raisons d'utilité ;
c) la reconnaissance de ce principe que l'Etat lui-même, les fonctionnaires et les organisations qui relèvent de lui, sont tenus à la réparation et au retrait des mesures préjudiciables à la liberté, à la propriété, à l'honneur, au progrès et à la santé des particuliers.
5° Conception chrétienne de l'Etat.
Qui veut que l'étoile de la paix se lève et se repose sur la société humaine collabore à l'éveil d'une conception et d'une pratique de l'Etat fondées sur une discipline rationnelle, sur un sens humain élevé, sur la conscience chrétienne de la responsabilité ;
qu'il aide à ramener l'Etat et sa puissance au service de la société, au respect absolu de la personne humaine et de son activité pour l'obtention de ses fins éternelles ;
qu'il s'efforce et s'emploie à dissiper les erreurs qui tendent à détourner l'Etat et son pouvoir du sentier de la morale et à le dégager du lien éminemment moral qui les relie à la vie individuelle et sociale et à leur faire renier ou pratiquement ignorer sa relation essentielle de dépendance à l'égard du Créateur ;
qu'il promeuve la reconnaissance et la propagation de la vérité, qui enseigne que, même dans l'ordre temporel, le sens profond, l'ultime règle morale et la légitimité universelle du regnare consiste à servir.
Chers fils ! Dieu veuille qu'en cet instant où Notre voix parvient à votre oreille, votre coeur soit profondément touché et ému de la gravité profonde, de l'ardente sollicitude, de l'insistance suppliante avec lesquelles Nous vous inculquons ces pensées qui veulent être un appel à la conscience universelle, un cri de ralliement pour tous ceux qui entendent peser et mesurer la grandeur de leur mission et de leur responsabilité à l'ampleur de l'universelle désolation.
Une grande partie de l'humanité, et, Nous ne craignons pas de le déclarer, un grand nombre même de ceux qui se disent chrétiens, partagent en quelque façon leur part de la responsabilité collective du développement des erreurs, des maux et du manque d'élévation morale de la société actuelle.
Cette guerre mondiale, avec tout ce qui s'y rattache, qu'il s'agisse de ses causes lointaines ou proches, ou de son déroulement et de ses effets matériels, juridiques et moraux, que signifie-t-elle d'autre que la faillite inattendue peut-être des esprits superficiels, mais prévue et redoutée par tous ceux dont le regard pénétrait à fond un ordre social qui, derrière un décor trompeur ou sous un masque de formules conventionnelles, cachait sa faiblesse fatale et son instinct effréné de lucre et de puissance ?
Tout ce qui en temps de paix demeurait comprimé a éclaté dès le déchaînement de la guerre en une lamentable série d'actes en opposition avec l'esprit humain et l'esprit chrétien. Les conventions internationales, dont l'objet était de rendre la guerre moins inhumaine en la limitant aux combattants, de déterminer les lois de l'occupation et de la captivité des vaincus, sont, en maints endroits, restées lettre morte ; et qui peut prévoir la fin de cette progressive aggravation ?
Les peuples veulent-ils donc demeurer témoins inactifs d'un si désastreux progrès ? Ou ne faut-il pas plutôt que, sur les ruines d'un ordre public qui a donné les preuves si tragiques de son incapacité à procurer le bien du peuple, s'unissent tous les coeurs droits et magnanimes dans le voeu solennel de ne s'accorder aucun repos jusqu'à ce que, dans tous les peuples et toutes les nations de la terre, devienne légion la troupe de ceux qui, décidés à ramener la société à l'inébranlable centre de gravitation de la loi divine aspirent à se dévouer au service de la personne humaine et de la communauté ennoblie par Dieu ?
Ce voeu, l'humanité le doit aux innombrables morts tombés sur les champs de bataille ; le sacrifice de leur vie dans l'accomplissement de leur devoir est l'holocauste offert pour un nouvel ordre social meilleur.
Ce voeu, l'humanité le doit à la multitude infinie et douloureuse de mères, de veuves, d'orphelins, qui se sont vu arracher la lumière, la force et le soutien de leur vie.
Ce voeu, l'humanité le doit aux innombrables exilés que l'ouragan de la guerre a transplantés hors de leur patrie et dispersés en terre étrangère et qui pourraient faire leur la plainte du prophète : Hereditas nostra versa est ad alienos, domus nostrae ad extraneos, « notre héritage a passé à des étrangers, nos maisons à des inconnus » (Lm 5,2).
Ce voeu, l'humanité le doit aux centaines de milliers de personnes, qui, sans aucune faute de leur part, et parfois pour le seul fait de leur nationalité ou de leur race, ont été vouées à la mort ou à une extermination progressive6.
Ce voeu, l'humanité le doit aux milliers et milliers de non-combattants, femmes, enfants, infirmes, vieillards, auxquels la guerre aérienne — dont Nous avons déjà depuis le début dénoncé maintes fois les horreurs — a, sans discernement ou sans y regarder d'assez près, enlevé la vie, les biens, la santé, les maisons, les asiles de la charité et de la prière.
Ce voeu, l'humanité le doit au fleuve de larmes et d'amertumes, à l'accumulation de douleurs et de tourments causés par la ruine meurtrière de l'horrible conflit qui crient vers le ciel, implorant le Saint-Esprit de venir délivrer le monde du débordement de la violence et de la terreur.
Où pourriez-vous donc déposer ce voeu pour la restauration de la société avec plus de tranquille et de confiante assurance et avec une foi plus efficace, qu'aux pieds du « Désiré de toutes les nations » couché devant nous en sa crèche, avec tout le charme de sa douce humanité de petit enfant et, en même temps, avec tout l'émouvant attrait de sa mission rédemptrice qui commence ? En quel lieu cette noble et sainte croisade pour la purification et le renouvellement de la société pourrait-elle trouver sa plus expressive consécration et son stimulant le plus efficace, sinon à Bethléem où, dans l'adorable mystère de l'Incarnation, se révéla le nouvel Adam, aux sources de vérité et de grâce de qui de toutes manières l'humanité doit venir chercher l'eau salutaire si elle ne veut pas périr dans le désert de cette vie ? De plenitudine eius nos omnes accepimus, « nous avons tous reçu du débordement de sa plénitude» (Jn 1,16). Sa plénitude de vérité et de grâce, aujourd'hui comme depuis vingt siècles, déborde sur le monde avec une force qui n'est pas diminuée ; sa lumière est plus puissante que les ténèbres, le rayon de son amour plus fort que le glacial égoïsme qui empêche tant d'hommes de grandir et de faire dominer ce qu'il y a de meilleur en eux. Vous, Croisés volontaires d'une nouvelle et noble société, levez le nouveau labarum de la régénération morale et chrétienne, déclarez la guerre aux ténèbres d'un monde séparé de Dieu, à la froideur de la discorde entre frères, déclarez la guerre au nom d'une humanité gravement malade et qu'il faut guérir au nom d'une conscience chrétienne rehaussée.
Que Notre bénédiction, Nos souhaits paternels et Nos encouragements accompagnent votre généreuse entreprise et demeurent sur tous ceux qui ne reculent pas devant de durs sacrifices qui sont armes plus puissantes que le fer contre le mal dont souffre la société ! Que sur votre croisade pour un idéal social, humain et chrétien, resplendisse, consolatrice et entraînante, l'étoile qui brille sur la grotte de Bethléem, astre augurai et immortel de l'ère chrétienne ! A sa vue, tous les coeurs fidèles ont puisé, puisent et puiseront la force : Si consistant adversum me castra, in hoc ego sperabo, « quand toutes les armées se dresseraient contre moi, j'espérerai en lui » (Ps 26,3). Là où resplendit l'étoile, là est le Christ : Ipso ducente, non errabimus ; per ipsum ad ipsum eamus, ut cum nato hodie puero in perpetuum gaudeamus, « sous sa conduite, nous ne nous égarerons pas ; par lui, allons à lui pour nous réjouir éternellement avec l'Enfant né aujourd'hui » 7.
S. Augustin, Sermo CLXXXIX, c. 4 ; Migne, P. L., t. XXXVIII, col. 1007.
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Lors de l'audience traditionnelle réservée à la Garde Noble pontificale, le capitaine-commandant, le prince Chigi délia Rovere, a exprimé au pape les voeux de tous les membres de la Garde et offert ensuite le produit d'une collecte pour la construction de l'église Saint-Eugène à Rome. Le Saint-Père a répondu par ce discours :
En ces solennités de la naissance de l'Enfant divin, Rédempteur des hommes, apparu au milieu de nous par sa venue en ce monde, l'Eglise se réjouit, le peuple chrétien exulte et échange les vceux et souhaits entre parents et enfants, entre parents, entre amis. Réjouissez-vous aussi, chers fils, votre illustre capitaine-commandant, dans un langage vibrant et empreint de la plus grande vénération religieuse et des plus nobles sentiments, Nous a, en votre nom, exprimé vos vceux, qui sont particulièrement agréables à Notre coeur à cause du lien spécial qui vous attache à Nous. Personne ne pourra se montrer jaloux si Nous vous aimons tout particulièrement. De fait, à qui est confié la garde immédiate de Notre personne, si ce n'est à vous ? N'êtes-vous pas la première de nos gardes ?
Garde ! Ce nom résonne aussi d'une autre façon : l'air en frémit, la pensée s'enflamme. Dans ce nom vibrent et s'expriment un ardent amour pour le souverain, un attachement indéfectible à sa personne et à sa cause ; sous ce nom vibre une générosité à toute épreuve, une constance et un courage invincible dans l'adversité, pour son service et pour sa défense. Par ce nom s'expriment des vertus qui, d'une part, forment le combattant, de l'autre, suscitent chez le souverain estime, affection pour sa garde et confiance en elle.
Vous qui êtes la garde de Notre personne, vous êtes par là Notre bouclier, beau de cette noblesse qui est le privilège du sang et qui, déjà avant votre admission dans le corps de la garde pontificale, resplendissait en vous comme gage de votre attachement et de votre dévouement, parce que, selon l'adage ancien : « Bon sang ne peut mentir ». Vie est le sang qui a passé, de degré en degré, de génération en génération, dans vos familles illustres et a transmis avec lui l'ardeur de cet attachement plein d'amour pour l'Eglise et pour le Pontife romain, que les vicissitudes des événements heureux ou tristes n'ont pas diminué ni refroidi. Aux heures les plus sombres de l'histoire des papes, la fidélité de vos aïeux brille avec plus d'éclat et de netteté, plus généreuse et plus ardente qu'elle ne l'est dans les heures éclatantes de magnificence et de prospérité matérielle. Chaque fois que la papauté se trouve exposée aux assauts de l'ambition ou de la convoitise, chaque fois qu'elle a été opprimée ou spoliée, vos aïeux, pleins de hardiesse, forts de leur foi et de leur loyauté, serrèrent leurs rangs, imperturbables en face des fluctuations des tempêtes. Nulle considération humaine, nulle sollicitation, nulle flatterie, nulle menace ne purent les ébranler dans leur dessein, leur faire abandonner leur poste, les faire dévier du chemin de leur fidélité. Une tradition si distinguée de vertu familiale continuera, Nous n'en doutons pas, à se transmettre de génération en génération, tel un héritage de grandeur d'âme et de gloire très noble pour le nom de famille.
Mais chaque époque, avec ses bienfaits et ses peines, apporte avec elle ses besoins. Quand les choses humaines et divines semblent comme se confondre emportées par l'impétuosité du progrès matériel, comme si Dieu était absent des rivalités des peuples et des conseils des gouvernements ; quand les intelligences et les volontés viennent à se heurter sur le terrain glissant des desseins et des désirs, l'heure présente exige un attachement fidèle enraciné au plus intime de l'âme et réglé par elle ; attachement exempt de réserve, fuyant les sous-entendus, franc de volonté, de cceur, d'esprit, et tenace dans l'adhésion aux principes et aux maximes de Jésus-Christ, aux ordres et aux directives de son Vicaire. Les hommes à courte vue dédaignent ces principes et ces maximes, ces ordres et ces directives, comme des choses vieillottes et désormais démodées. A leur place, ils donnent toute valeur à ce qui est transitoire, éphémère, variable et frivole. Mais non. La vérité est éternelle, elle ne change pas de visage
avec le temps, comme l'erreur. Elle est une fleur éclatante de blancheur qui naît et s'épanouit sur les collines éternelles. Si la nuit la couvre d'ombre, au matin vous la voyez relever la tête encore plus éclatante et contribuer à tresser la couronne qui glorifie les héros et exalte les champions du bien.
Cette fidélité et cet attachement exigent et impliquent du courage et de la bravoure. Si sur les champs de bataille, dans les entreprises guerrières, dans les défenses héroïques où un seul homme doit tenir tête à cent, la bravoure est nécessaire au guerrier ; que faut-il dire alors quand, en temps de paix, on doit tenir ferme contre les tendances désordonnées d'une foule qui est sans retenue et sans frein ? Comment résister au courant qui entraîne le monde ? Comment réagir contre tout ce qui s'oppose à l'esprit ainsi qu'au règne du Christ et de son épouse ? Comment affronter au besoin, sans respect humain, avec une âme loyale et joyeuse, les sourires malins, les préjugés, peut-être aussi les sarcasmes et le mépris ? Comment triompher des attraits et des intérêts, quand la pauvre nature humaine déchue se fait avec ses excitations complice aveugle, même chez les meilleurs, d'un monde aveugle et grossier ? C'est alors qu'est nécessaire cette vaillance incomparablement plus élevée qui vient de la foi et de la vertu et qui se conjugue avec le courage du chrétien qui ne rougit pas de l'Evangile. Quand le monde s'éloigne du Christ, de sa doctrine et de l'Eglise ; quand il critique ou raille les enseignements du Christ, ou les admire, d'une admiration froide et stérile, avec laquelle on loue ce qui ne touche ni n'émeut l'esprit et le coeur ; c'est en ces moments-là, ou pour mieux dire, en de telles épreuves, que se présente et luit l'heure de la garde ; garde du corps pour défendre vaillamment la pensée du Chef de l'Eglise ; garde d'honneur pour se tenir fièrement à ses côtés, à chaque heure plus près de lui.
Notre coeur de Père, Notre confiance de chef Nous feraient placer en vous Notre soutien si jamais — ce que Nous ne voulons pas croire — devaient surgir dans le cours des événements des jours de lutte et d'abandon, sachant comme Nous le savons, avec quel enthousiasme, à l'égal de vos aïeux, vous seriez prêts et prompts à défendre le droit et l'honneur de ce Siège apostolique. Mais Nous, qui voyons et savons que l'Eglise, à travers les tempêtes des siècles, demeure inébranlable, Nous pensons par-dessus tout aux batailles de l'esprit, sachant bien que les victoires de l'esprit chrétien sur celui du monde ne représentent pas la mort, mais la vie. Et quand même le monde décevrait les belles espérances qui pointent nettement à l'horizon, en se laissant engloutir dans les tourbillons des flots torrentiels d'orgueil, de sensualité et d'égoïsme qui menacent de rompre les digues du droit et de l'amour fraternel, Nous sommes certain que vous resteriez debout et inébranlables pour la défense de l'ordre spirituel, moral et religieux.
Aussi, c'est pour Nous une joie cordiale d'implorer la bénédiction de l'Enfant Jésus, Prince de la paix et Roi glorieux, sur vous, et tout d'abord sur votre capitaine-commandant, qui Nous est, comme à vous, très cher, sur les armes spirituelles dont la foi vous munit, comme aussi sur vos familles et sur toutes les personnes et les choses qui vous sont chères. Nous implorons aussi les plus abondantes faveurs du ciel, dont le gage est la Bénédiction apostolique, que Nous vous donnons dans des sentiments de paternelle reconnaissance.
Pie XII 1942 - 1° COMMUNAUTÉ DANS L'ORDRE