Augustin, Sermons 1041
1041ANALYSE. - 1. L'Eglise doit se réjouir en ce jour. - 2. Les quarante jours depuis la résurrection jusqu'à l'Ascension forment le pendant des quarante jours de pénitence quadragésimale. - 3. Le fait de l'Ascension prouvé par le témoignage des disciples. - Les anges viennent confirmer ce même fait; parallèle entre la Nativité et l'Ascension. - 5. Jésus-Christ monte au ciel et en redescendra un jour.
1. Le récit des Actes des Apôtres suffirait seul à nous prouver l'Ascension et à nous dépeindre les détails de ce grand événement. Toutefois, mes frères, nous nous reprocherions de garder le silence; car si l'Eglise a jamais le droit et le devoir de se réjouir, n'est-ce pas dans un jour où l'entrée du ciel lui est ouverte par le Sauveur? Si donc il n'y a rien de superflu dans les saintes Ecritures, essayons selon notre pouvoir d'interpréter le texte sacré.
2. Et d'abord l'Ecriture nous apprend que, après sa résurrection, Jésus-Christ est resté pendant quarante jours avec ses Apôtres. Ce détail n'est point sans importance, car je trouve que ces quarante jours correspondent parfaitement aux quarante jours de la pénitence quadragésimale. Ceux donc qui ont supporté pour Dieu les privations de la sainte quarantaine, ont le droit de se réjouir de la présence du Seigneur pendant les quarante jours qui suivent la résurrection; ceux enfin que la crainte avait humiliés, doivent se sentir relevés par les consolations que Dieu leur prodigue. Quelle joie pour ceux qui, après avoir souffert par amour pour Dieu, se sentent en possession d'une récompense ineffable qui n'est autre que Dieu lui-même! D'après les choses présentes jugeons donc des choses futures, puisque tout ce que nous ferons pour l'honneur de Dieu nous assurera de plus en plus le bonheur de posséder Dieu.
3. La présence de ces nombreux témoins qui voient et entendent nous prouve que Jésus-Christ est réellement monté au ciel; ce qu'ils voient, nous le croyons de la foi la plus vive. En effet, ils voient afin que nous croyions; ils contemplent avec les yeux de leur corps, afin que nous discernions avec les yeux de notre âme. Et il ne s'agit point ici de quelques témoins rares et inconnus: ils sont nombreux et offrent toutes les garanties; leur nombre corrobore leur témoignage, et leur sainteté en confirme la vérité. Si, dans certaines causes, on s'en rapporte à deux ou trois témoins, quelle certitude ne doit pas résulter du témoignage d'une multitude entière et d'une multitude fidèle et sainte? N'étaient-ce pas des hommes vertueux et fidèles, ceux qui ont mérité de contempler le Seigneur montant au ciel? Ce qu'ils ont vu, croyons que nous le voyons avec eux. Comment le peuple chrétien hésiterait-il devant le témoignage d'une multitude de saints?
4. Ajoutons à cela l'apparition de deux anges descendus du ciel pour confirmer le miracle de l'Ascension devant ceux qui en étaient les témoins. Admirons la sagesse de l'Ecriture qui nous rappelle l'apparition de ces anges, afin que nous sachions que les esprits bienheureux formaient cortège à Jésus-Christ montant au ciel. Ce détail forme à mes yeux un nouveau trait de ressemblance entre la nativité du Sauveur et son entrée triomphante dans les cieux. L'ange Gabriel est envoyé pour annoncer l'Incarnation; et aujourd'hui les anges environnent Jésus-Christ montant au ciel. Alors une étoile fit connaître la naissance du Sauveur; aujourd'hui une nuée le reçoit pour le porter dans les cieux. Alors les anges chantaient sur la terre; aujourd'hui ils rendent encore témoignage dans le monde. Alors les Mages (332) adoraient et offraient des présents; aujourd'hui les Apôtres poursuivent de leurs regards Jésus-Christ montant au ciel. Très-nombreux furent les témoignages qui vinrent confirmer la naissance du Sauveur; ils furent aussi nombreux à son Ascension, pour confirmer la foi du genre humain. C'est ainsi que, après avoir considéré Jésus-Christ naissant dans la chair, tous les hommes peuvent le contempler montant au ciel.
5. Jésus-Christ est donc retourné au ciel, d'où il était descendu. Il y est retourné, mais en promettant de revenir un jour sur la terre. N'avons-nous pas entendu les anges s'écrier: «Hommes de Galilée, pourquoi demeurez-vous ainsi, etc.?» Si donc, mes frères, nous croyons que Jésus-Christ reviendra, nous devons l'attendre, de peur que nous ne soyons pris au dépourvu par son retour, comme parmi nous des serviteurs en défaut se laissent surprendre par leurs maîtres irrités; les choses présentes ne sont, en effet, que l'image des choses futures.
6. Si donc nous ne voulons pas profiter des châtiments qui pèsent sur nous actuellement, craignons pour l'avenir la sévérité des châtiments célestes. L'Apôtre nous dit: «Le Seigneur viendra comme un voleur pendant la nuit (1)». Vous voyez, mes frères, qu'une sécurité trop grande peut être suivie de supplices inouïs. Ainsi donc tout ce que nous ne voulons pas supporter, craignons de nous voir condamnés à le souffrir. De cette manière, en craignant d'endurer le châtiment, nous nous épargnerons ce châtiment; témoin de notre sincère conversion, notre Dieu rempli de bonté et de miséricorde nous pardonnera nos fautes présentes et nous accordera lesbiens futurs. C'est ainsi que le pardon luimême devient, par le renouvellement de notre vie, le principe même de notre espérance des biens futurs; en nous pardonnant nos péchés, Dieu nous permet et nous oblige d'espérer le bonheur éternel.
1. 1Th 5,2
1042 ANALYSE. - 1. Les béatitudes apportées par Jésus-Christ sur la terre. - 2. Elle sont promises à la vertu et non pas au vice. - 3. persévérance finale. - 4. Elle seule nous obtient la couronne.
1. Notre-Seigneur Jésus-Christ, par la vertu du Père, a «déroulé le ciel comme une tente (1)»; il a établi la terre sur les eaux et créé l'homme de ses propres mains à son image et à sa ressemblance. Trompé par le démon, l'homme se précipita de lui-même dans la mort, et déjà depuis bien des siècles il en subissait le joug, lorsque le Sauveur daigna venir sur la terre, afin de jeter dans l'homme terrestre le germe de l'immortalité bienheureuse. Après avoir détruit l'empire du démon et voulant nous porter à l'accomplissement fidèle des préceptes divins, Jésus-Christ fit briller à nos yeux la promesse des
1. Ps 113,2
biens futurs et confirma les pénitents dans l'espérance des biens éternels. Il appelle bienheureux, non pas les riches, mais ceux qui volontairement se seront rendus pauvres pour obtenir le royaume des cieux. Il promet le paradis à ceux qui sont doux; une heureuse consolation à ceux qui pleurent leurs péchés; le rassasiement éternel à ceux qui ont faim et soif de la justice; la miséricorde à ceux qui sont miséricordieux; la vision béatifique à ceux qui ont le coeur pur. A ceux qui sont pacifiques non pas seulement des lèvres, mais encore du coeur, il promet qu'ils seront les heureux enfants de Dieu; quant à ceux qui souffrent persécution poursa gloire, (333) il leur promet non-seulement la béatitude, mais la possession infinie du royaume des cieux.
2. De ces grandes béatitudes que le Sauveur nous promet, nous pouvons dire: «Celui qui peut les comprendre, qu'il comprenne (1)»; et s'il n'est pas opprimé sous le joug de sa terrestre infidélité, qu'il tourne ses désirs vers le ciel. En effet, «le royaume des cieux souffre violence, et il n'y a que ceux qui se font violence qui puissent le conquérir (2)», c'est-à-dire ceux qui cherchent les biens éternels et non pas les biens temporels. Celui qui se sent porté à l'avarice sur la terre, qu'il tire le bien de son avarice et qu'il devienne avare des biens du ciel. Quelqu'un me dira peut-être: Comment puis-je porter jusque-là mes espérances, «de recevoir le centuple au ciel, puisque celui qui sème peu récoltera peu (3)?» Que celui qui aimait la luxure, aime désormais la chasteté; que celui qui était adonné à l'ivresse, observe les règles de la sobriété; que celui qui s'était rendu l'esclave de l'orgueil et de la méchanceté, devienne l'enfant de l'humilité et de la piété. Telle est la pensée formulée par le Sauveur: «Le royaume de Dieu est au dedans de vous (4); les ennemis de l'homme se trouvent dans sa propre maison (5)». Comment cela? Ecoutez l'Apôtre: «Si vous vivez selon la chair, vous mourrez; mais si par l'esprit vous mortifiez les oeuvres de la chair, vous vivrez (6)»; car «l'arbre bon porte de bons fruits, de telle sorce qu'on connaît l'arbre à son fruit (7)». Si donc nous sommes des arbres bons, c'est-à-dire des hommes justes, pieux, fidèles et miséricordieux, faisons des fruits de justice et de sainteté; car si nous sommes des arbres mauvais, c'est-à-dire des hommes impies, fourbes, cupides et pécheurs, nous serons coupés et arrachés, c'est-à-dire qu'au jour du jugement nous serons frappés du glaive à deux tranchants et jetés dans les flammes éternelles.
1. Mt 19,12- 2. Mt 11,12 - 3. Mt 11,29 2Co 9,6 - 4. Lc 17,21 - 5. Mt 10,36 - 6. Rm 8,13 - 7. Mt 7,19-20
3. Là se fera la séparation du bien et du mal, selon cette parole que nous venons d'entendre: «Quiconque écoute mes paroles et les accomplit sera assimilé à l'homme sage qui a construit sa maison sur la roche; la pluie tombera, les flots se précipiteront, les vents déctlainés souffleront avec violence contre cette maison; mais elle ne s'écroulera pas, parce qu'elle a été fondée sur la pierre (1)». Notre Dieu, voulant assurer notre persévérance jusqu'à la fin et nous procurer le salut, non point par l'oisiveté, mais par le travail, termine l'énumération des béatitudes et de ses innombrables préceptes par cette conclusion: «Celui qui aura persévéré jusqu'à la fin, sera sauvé (2)». Cette demeure qu'il nous présente établie sur la pierre et résistant à toutes les puissances contraires, qu'est-elle autre chose que notre foi solidement fondée en Jésus-Christ, bravant toutes les tentations du démon, combattant avec les armes spirituelles, triomphant de son ennemi et méritant la couronne éternelle? Cette demeure figure donc tout ensemble et notre foi et la sainte Eglise, fondée sur le nom de Jésus-Christ, selon cette parole du Sauveur à saint Pierre: «Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle (3)». Les torrents qui menacent de l'engloutir, ce sont les royaumes des Gentils qui, pour détruire l'Eglise, déchaînent contre elle de violentes persécutions auxquelles viennent prendre part les pluies abondantes figurant tous les peuples idolâtres, et les vents furieux, symboles des esprits infernaux. Mais rien de tout cela ne peut ébranler l'Eglise, parce qu'elle est fondée sur la pierre. La tempête se brise et se détruit par sa propre violence, mais la maison demeure inébranlable.
1. Mt 7,24 - 2. Mt 10,22 - 3. Mt 16,16
Ainsi donc, mea frères, profitons du temps qui nous est donné pour bâtir, fondons notre foi en Jésus-Christ et entassons en nous les mérites des bonnes oeuvres, afin que, à l'arrivée de la tempête ou de l'ennemi, la maison reste debout et brise les efforts de ses adversaires. Et maintenant l'ennemi est avec vous; il se tient caché dans votre coeur, selon cette parole de l'Apôtre: «Le démon, votre ennemi, comme un lion rugissant, tourne autour de vous, cherchant à vous dévorer (1P 5,8)». Tantôt il nous séduit par ses caresses, afin de tromper notre foi; tantôt il nous éprouve par des afflictions, afin d'ébranler notre courage; tantôt il nous obsède de pensées mauvaises, afin de nous détourner du droit chemin. Voilà pourquoi, mes frères, celui d'entre (334) nous qui, dans la prospérité a bâti sagement et solidement, se montrera, dans l'adversité, non-seulement courageux et fort, mais encore admirable et digne d'éloges; car «après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de la vie que Dieu a promise à ceux qui l'aiment (Is 1,12)». Quant à ceux qui bâtissent sur le sable, ce sont ou bien ceux dont la foi est douteuse et hésitante, ou bien les hérétiques, ou bien les faux chrétiens, ou bien ceux qui ne persévèrent pas dans le parti de la continence ou de la chasteté; peu importe d'ailleurs que ces crimes soient connus de Dieu seul ou des hommes. Ceux qui en son là participent à la mobilité du sable; aussi, pour peu que la tempête se lève, ils sont renversés de fond en comble; car ils ne peuvent se tenir debout et «leur âme n'est plus qu'une grande ruine (1)». Veillons donc, mes bien-aimés, agissons et travaillons, afin que nous triomphions de l'adversité et méritions la récompense éternelle, par Jésus-Christ qui vit et règne avec le Père, dans l'unité du Saint-Esprit, pendant les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
1. Mt 7,27
1043ANALYSE. - 1. Les joies de cette fête. - 2. La grâce du Saint-Esprit produit dans les disciples une sainte ivresse. - 3. Les Apôtres comparés aux trois enfants dans la fournaise.
1. Heureux jour, mes frères bien-aimés; jour aimable et ravissant, dans lequel le Seigneur accomplit ses promesses à l'égard de ses disciples. Je vous en conjure, réunissezvous dans une fervente prière, afin de m'obtenir la grâce de parler dignement de ces profonds mystères, et pardonnez-moi si je reste inférieur à la mission que j'entreprends.
2. La solennité de Pâques est arrivée à son terme sans rien perdre de son éclat, et nous a préparés aux splendeurs de ce jour. Pâques a été le commencement de la grâce, la Pentecôte en est le couronnement. Or, les Apôtres étaient réunis dans le cénacle, attendant la venue du Saint-Esprit, et voici que soudain il se fait un grand bruit dans le ciel, et bientôt les disciples se voient calomniés par les Juifs. En effet, comme ces disciples se répandaient en abondantes paroles, on les crut pris de vin, quoique l'heure même où ils parlaient prouvât qu'ils étaient à jeun. Du reste, ce n'est pas sans un secret dessein de la Providence que cette accusation leur fut lancée; car Jésus-Christ s'est dit lui-même la vigne véritable «Je suis la vigne», dit-il, «et mon Père est le vigneron (1)». O vin sobre d'ivresse et produisant l'enivrement de la foi! O vin cueilli sur une vigne auguste et tiré d'une grappe divine! Magnifique comparaison comme la grappe est portée par le cep, Jésus-Christ était porté par la croix. Or, les disciples étaient remplis du Saint-Esprit, car le Saint-Esprit, qui avait couvert de son ombre la Vierge Marie, sans porter atteinte à sa pureté, venait de descendre sur les Apôtres en forme de langues de feu, sans brûler leurs cheveux.
3. Le prodige que le Seigneur avait autrefois accompli en faveur des trois enfants dans la fournaise, Jésus-Christ le renouvelle en favetir de ses douze Apôtres. Ces
1. Jn 15,16
335
trois enfants ont pu être jetés dans une fournaise ardente; pour entrer dans le feu ils étaient enchaînés; mais bientôt ils purent se promener en toute liberté dans les flammes. Ils convertirent à la foi un roi barbare; de même le miracle accompli en faveur des Apôtres détermina trois mille personnes à embrasser la foi de Jésus-Christ. Je ne vous tairai pas, mes frères, les pensées qui assiègent mon esprit dans les joies de cette solennité. Selon la tradition que nous avons reçue de nos ancêtres, la flamme sortant de la fournaise s'élevait à quaranteneuf coudées; or, c'est ce nombre quaranteneuf qui devait être consacré dans le mystère des sept semaines. Car sept multiplié par sept donne le chiffre de quarante-neuf. Mais où est le premier jour? Cherchons-le, afin de compléter le nombre cinquante. Ce jour était dans la fournaise de feu avec les trois enfants; c'est lui qui inspirait leur chant, versait sur eux une rosée rafraîchissante et ôtait aux flammes leur ardeur. A la vue de ce prodige dont ils étaient témoins, les ministres disent au roi: O roi, venez et voyez. La fournaise est tout embrasée de soufre et de bitume; les flammes s'élancent furieuses, et les corps n'en subissent aucune atteinte; quelque chose est donc venu s'ajouter au nombre précédent. A cette nouvelle le roi accourt plein de joie et d'allégresse, et avant qu'il arrivât à la fournaise, une grande lumière brillait dans son coeur. Il dit à ses amis: «N'avons-nous pas jeté dans la fournaise trois hommes chargés de chaînes? Ses amis lui répondirent: «C'est bien la vérité (1)». Et le roi, plein de foi, leur dit Mais voici que je vois ce que vous ne voyez pas. Je ne sais quelle ardeur me saisit et inonde mon âme d'une lumière intérieure. Vous pouvez être mes amis, mais vous ne pouvez entrer dans mon coeur. Oui, je vois ce que vous ne voyez pas; je vois une chose admirable, étonnante. Cette fournaise, destinée à dévorer les hommes dans les flammes, a appris à engendrer des anges. Que votre amitié cesse, parce que la foi est devenue l'amie de mon âme. Je ne veux plus que vous soyez mes amis; je n'ai plus confiance en vos paroles; je vois Dieu de mes yeux; mes yeux sont remplis d'une vision magnifique, parce que le quatrième personnage que j'aperçois est semblable au Fils de Dieu. O mes amis, vous savez comme moi que nous avons jeté trois hommes dans la fournaise; comment donc puis-je en voir quatre se promener dans les flammes? Quel est ce mystère? Un feu divin est entré en moi; je repousse votre amitié et je possède la foi. Mes frères, conservons cette foi dans nos coeurs, afin que nous y conservions le SaintEsprit comme les Apôtres.
1. Da 3,19
1044ANALYSE. - 1. Comparaison entre les Apôtres et les enfants dans la fournaise. - 2. Le don des langues dans les Apôtres; leur gloire. - 3. Rapprochement entre le Sinaï et le Cénacle. - 4. Conclusion.
1. Frères bien-aimés, il n'y a que peu de temps nous avons célébré solennellement le quarantième jour, jour de joie pour l'univers tout entier. Depuis lors les révolutions du globe nous ont donné dix jours, le mystère figuratif s'est accompli, nous nous sommes (336) rapprochés du ciel et du Saint-Esprit, et voici que pour la sanctification de l'Orient, de l'Occident, du Nord et du Midi, le Saint-Esprit descend le cinquantième jour et fait rayonner sa sainteté sous la forme de langues de feu. Mais ce feu purifie plutôt qu'il ne brûle, et il produit encore le rafraîchissement de la sanctification, comme autrefois dans la fournaise il changea les flammes en bienfaisante rosée. Comment le feu ne deviendrait-il docile et doux sous l'action du Saint-Esprit, puisque la fournaise ardente est devenue un séjour de délices? Aimons à contempler les lèvres des Apôtres; aimons à entendre le cantique des enfants; et sur les Apôtres et sur les enfants nous retrouverons les langues de feu. C'est l'Esprit-Saint qui a sanctifié vos Pères; c'est lui qui a donné à de pauvres pêcheurs le pouvoir de nous faire entendre un langage céleste. Quel étonnement ne dut-on pas éprouver quand on entendit ces enfants dans la fournaise, s'écriant au milieu des flammes: «Vous êtes béni, Seigneur, Dieu de nos Pères (1)» Les Chaldéens furent saisis d'effroi et ne purent s'expliquer cet étrange spectacle. Comment contempler sans frémir ces enfants tout éclatants de lumière, se jouant en liberté dans cet océan de feu et célébrant le Seigneur dans leurs cantiques nouveaux? De même, au jour de la Pentecôte, que ne durent pas éprouver les Juifs réunis de tous les pays du monde, en entendant les Apôtres leur parler à tous leur propre langue? C'est ainsi que le SaintEsprit réunissait dans une admirable unité toutes les nations de l'univers. Toutes les langues venaient ainsi se confondre dans le langage des Apôtres devenus miraculeusement les interprètes de tous les peuples.
2. Appelés à prêcher-le royaume des cieux à toutes les nations, les Apôtres devaient consacrer dans leur:personne la langue de tous les peuples. Ils ne parlaient qu'une seule langue, et cette langue était comprise de tous, semblable à la marine qui n'était que d'une seule espèce et avait la propriété de satisfaire à tous les goûts. Ce prodige était opéré par l'Esprit-Saint qui sait se révéler dans l'unité de toutes les nations. En effet, de même que l'Esprit-Saint, Dieu unique avec le Père et le Fils, daigne multiplier ses dons sans les différencier essentiellement; de même les Apôtres
1. Dan.3, 26.
ne parlaient qu'une seule langue, et cependant tous les auditeurs de nations diverses y reconnaissaient leur, propre langage. La vue et l'ouïe y trouvaient une douce satisfaction, car devant une compréhension parfaite la discussion n'est plus possible; aussi ces pauvres pêcheurs de Galilée paraissaient-ils porter sur leur front et sur leurs lèvres un diadème royal. Car il est Roi, celui qui est descendu du ciel; voilà pourquoi il siège sur les lèvres des Apôtres comme sur son trône, après avoir établi en eux son empire et sa domination. C'est là ce qu'a su parfaitement le Saint-Esprit, qui toujours est Dieu dans les pères et dans les enfants, dans les Prophètes et dans les pécheurs; il aime toujours à reposer sur les hauteurs.
3. Il trouva les Apôtres dans la partie supérieure du cénacle et écrivit la loi dans leur esprit, comme il l'avait gravée sur les tables, au sommet du Sinaï. C'était alors sur des tables de pierre, à cause de la dureté de coeur des Juifs; mais aujourd'hui c'est dans l'esprit des Apôtres, parce que nous ne sommes plus sous la loi de crainte, mais sous la loi d'amour. Sur le mont Sinaï, la loi fut donnée au milieu des éclairs et du tonnerre; dans le cénacle, si ce sont des langues de feu, c'est un feu qui rafraîchit. Au pied du Sinaï, la foule effrayée prenait la fuite pour ne pas entendre la voix terrible du Seigneur; à Jérusalem, les nations réunies de toutes les parties de l'univers, loin de prendre la fuite, se massent pour entendre le Saint-Esprit parlant par ses ministres.
4. Vous avez entendu nommer les Parthes, les Mèdes, les Indiens, les Perses, les Crétois, les Arabes et autres peuples désignés dans le livre des Actes des Apôtres. Le monde tout entier y était représenté; le quarantième jour, celui de l'ascension du Seigneur, les avait rassemblés à Jérusalem; parce que le nombre des dix préceptes renferme pour l'univers toute l'autorité des saintes Ecritures. Quatre fois dix font quarante; reste une autre dizaine qui est celle de la vie éternelle, où les pêcheurs recevront la récompense dont le gage leur a été donné par le Saint-Esprit: Toutes les promesses ont reçu leur accomplissement authentique. Le sacrement de la cinquième dizaine s'est pleinement réalisé; la grâce des cinquante jours rayonne dans toute son expansion, la joie possède toute sa (337) perfection. Les fêtes de Pâques sont terminées, l'alleluia est rentré dans le silence; mais pourtant ce n'est plus la tristesse, car nous avons reçu ce précieux gage du Saint-Esprit, et par lui nous possédons chaque jour l'heureux avantage de vivre avec Jésus-Christ et par Jésus-Christ, de nous préparer dans l'innocence à la célébration de nouvelles fêtes pascales.
1045ANALYSE. - 1. Introduction à l'histoire de Joseph. - 2. Joseph est vendu comme esclave pour être conduit en Egypte. - 3. Il est exposé à la séduction. - 4. Il repousse victorieusement la tentation. - 5. Il subit l'épreuve de la calomnie et se prépare ainsi à sa gloire future.
1. Il nous est doux, mes frères, de décrire cet admirable combat, dans lequel Joseph est resté vainqueur d'une infâme passion. Il nous est doux de révéler ces luttes mystérieuses, parce que la vigilance déployée par les martyrs a rendu leur victoire éclatante. Nous ne devons pas cacher comment les ruses de l'ennemi ont pu être déjouées, car de semblables manifestations augmentent le courage des partisans de la chasteté. De telles luttes donnent de la hardiesse aux combattants: voilà pourquoi nous devons en rendre témoins les âmes chastes et pudiques, car en leur montrant Joseph couronné pour sa chasteté et l'Égyptienne vaincue dans ses séductions, nous ne ferons que mieux ressortir la confusion profonde dont le démon reste couvert aux yeux de tous les hommes.
2. Le bienheureux Joseph était d'une noble origine, brillant de jeunesse, d'une beauté magnifique et d'une chasteté plus ravissante encore. Poussés par une coupable jalousie plutôt que par l'amour de richesses dont ils ignoraient le prix, ses frères le vendirent à des Ismaélites, qui devaient le conduire comme un vil esclave en Egypte. A peine arrivé dans ce pays, il est de nouveau mis en vente; une seconde fois il est enlevé, vendu, acheté; mais, en réalité, ce qui l'attend, ce n'est pas la servitude, mais la plus haute destinée. En effet, ce n'est point l'empire de l'homme qu'il subit, mais celui de Dieu qui veut glorifier en lui la chasteté et qui ne permet que son serviteur soit vendu une seconde fois que pour mieux prouver que sa liberté reste entière et complète. Celui qui est vendu comme esclave est constitué maître souverain. Toutefois sa puissance même reste cachée; humble enfant, il croissait, servait fidèlement ses maîtres, brillait par la dignité de ses moeurs, portait la pureté dans son âme, cachait la noblesse de sa naissance et montrait dans sa conduite une sainte indépendance. O vente honteuse et sublime acquisition! Il est esclave et libre; esclave par la jalousie de ses frères et libre pour la justice; esclave pour ne pas détruire la charité, libre pour venger la chasteté! Il sert fidèlement et il combat courageusement. Il est resté fidèle et a mérité de parvenir au comble de la gloire. Il règne en maître, parce qu'en résistant aux ténébreuses séductions d'une femme criminelle, il a conservé sans tache la fidélité à son maître.
3. Ainsi donc, le chaste Joseph est vendu, livré à une famille égyptienne et destiné à servir fidèlement le roi Pharaon. Il est estimé par son maître et aimé par sa maîtresse. (338) L'estime dont son maître l'entoure est sincère, parce qu'elle est fondée sur la fidélité de son esclave; au contraire, c'est la passion qui inspire la maîtresse. Le maître trouvait son bonheur dans les preuves de fidélité que lui donnait son serviteur, tandis que les charmes corporels de ce même serviteur faisaient le tourment de la maîtresse. Or, cette beauté du jeune homme ne faisait que s'accroître avec le temps, et plus elle croissait, plus s'enflammait la passion de l'Egyptienne. Bientôt elle se trouve impuissante à éteindre ces flammes qui la dévorent et qui trouvent dans la beauté du jeune homme un aliment de plus en plus abondant; inspirée d'ailleurs par le démon, elle rêve au moyen de surprendre l'innocence dans l'isolement et le silence. Et d'abord elle se revêt de ses plus beaux atours, croyant bien que par là elle ébranlerait facilement ce jeune homme. Elle jette sur ses vêtements des parfums précieux et se couvre d'aromates perfides, afin que l'objet de sa convoitise, fût-il de fer, se trouvât enivré par l'odeur des parfums avant même d'avoir subi le charme des yeux. Contemplons, mes frères, l'énergie de cet athlète, sa lutte héroïque et sa glorieuse victoire. Il avait d'abord pour ennemi sa propre jeunesse et la concupiscence déposée dans notre chair; au dehors, il était attaqué par une femme qui lui promettait tous lesbiens, afin de trouver accès près de lui et de satisfaire sa honteuse passion. Ainsi munie de tous ces moyens de séduction, et pour mieux s'assurer la victoire, elle se rend elle-même dans la chambre de Joseph, ferme la porte et le surprend ainsi dans la solitude la plus complète. Elle est en proie à la volupté la plus furieuse, un long combat s'engage et jette dans une anxieuse attente les anges du ciel et les démons de l'enfer; ceuxci prenant parti pour le vice, ceux-là pour la vertu, et tous impatients devoir de quel côté restera la victoire. Les anges affermissaient le courage de Joseph, les démons provoquaient l'Egyptienne; les anges protégeaient le jeune homme, les démons irritaient les flammes de l'impudique. Plus les démons alimentaient le feu perfide dans l'âme de l'Egyptienne, plus le Christ fournissait des armes à son généreux athlète. D'ailleurs, toutes les séductions réunies devaient rester impuissantes: la vertu de Joseph était fondée sur la pierre; une telle base la rendait inébranlable. Toutefois, se trouvant face à face avec le jeune homme et dans l'isolement le plus complet, cette femme impudique essaye de l'émouvoir par ses paroles, employant tour à tour les plus terribles menaces et les plus séduisantes caresses. Je suis votre maîtresse, lui disait-elle, et par une grande somme d'argent je vous ai acheté comme esclave; si vous rejetez mes désirs, vous n'avez plus à attendre que les chaînes, la prison et un horrible trépas; mais si vous consentez, vous serez comblé des plus grands honneurs, et tout ce que je possède est à vous. Peut-être craignez-vous les domestiques, ou mon époux; rassurez-vous, ne craignez rien; personne ne nous voit, personne ne saura. Mon mari ne sait pas ce qui se passe dans mon coeur. Il ignorera tout; seulement ne tardez pas à satisfaire mes désirs, et cette satisfaction restera pour jamais et pour tous un secret. Ne résistez plus et rendez-moi heureuse Comblet mes voeux, et désormais tout vous appartient.
4. Joseph répondit: O malheureuse femme, serpent cruel, véritable vipère, pourquoi tenter de me séduire par vos flatteries et d'arracher de mon âme la foi qui la possède? Que dites-vous? Que désirez-vous? A quoi m'exhortez-vous? Pourquoi vous fatiguer à de semblables séductions? Vous portez le nom de reine, et vous pouvez vous complaire à vous unir à un esclave? Si c'est un esclave que vous avez acheté, faites-lui sentir votre domination; si vous le couvrez de votre affection, traitez-le comme s'il était votre fils; honorez-le d'un amour chaste et pudique, et, du vivant de votre époux, ne vous précipitez pas dans le crime. Il est vrai, je n'ai jamais été esclave, car je suis d'une noble famille, le descendant d'Abraham et d'Isaac, qui parlaient avec Dieu dans la plus grande intimité. J'ai pour père Jacob, qui a lutté avec l'ange du Seigneur. Si j'ai été vendu, c'est par la jalousie de mes frères; mes frères m'ont dépouillé de tout, mais il me reste l'invincible liberté de l'âme; extérieurement je ne suis plus qu'un esclave, mais dans mon coeur je suis et resterai libre. Vous m'avez acheté, et j'avoue sans hésiter que je vous appartiens; j'obéis à vos ordres, j'accomplis ce que vous me commandez; mais ce que vous désirez de moi en ce moment, je m'y refuse. Prescrivez-moi les obligations les plus dures, et je les accomplirai. Usez de votre puissance, le (339) secours divin ne me fera pas défaut. Exercez votre pouvoir, soyez même cruelle à mon égard; car vous ne souillerez pas ma chasteté. C'est sans motif que vous combattez avec moi; je ne dors pas avec vous, parce que Dieu veille avec moi; cessez, ô femme, cessez vos séductions; vous m'alléguez que votre époux est absent, qu'il ne connaîtra pas votre crime; oubliez-vous donc que Dieu est partout? La porte est fermée sur nous, mais sachez que tout est connu de Dieu. Partout ses regards atteignent les bons et les méchants. Il voit tout, il discerne tout, il sonde tous les désirs; son empire est universel, et en sa présence vous oseriez commettre l'adultère? Femme, gardez le silence, souvenez-vous de votre époux et craignez votre Dieu. Supposez que tous les yeux sont fixés sur vous, et ne provoquez pas l'innocence au crime. Craignez le jugement de Dieu; sachez que vous êtes en présence des anges du Seigneur. Vous ne pouvez souiller la pureté de mon corps cessez donc vos attaques, rougissez de vos séductions, craignez les hommes absents ou tremblez devant les anges. Supposé que je cède et que je consente à vos désirs; comment seriez-vous encore ma maîtresse; et, devenue adultère, quel empire auriez-vous sur moi? Comment pourriez-vous encore soutenir les regards de votre époux, quand vous lui préparez des embûches; oseriez-vous encore lui donner le baiser ordinaire de l'amitié, quand vous pensez à l'immoler; comment lui parleriez-vous encore, quand vous tentez de souiller sa couche? Imitez, ô femme, imitez la tourterelle, chaste, pudique et modèle de fidélité conjugale. Dès qu'elle est unie, elle ne cherche plus à se séparer; la mort même de son conjoint n'est pas pour elle un motif de courir à d'autres affections. Des oiseaux peuvent rester fidèles et braver l'isolement que leur a fait la mort, et vous, femme malheureuse, vous oseriez souiller le lit nuptial? Prenez modèle sur les oiseaux et restez fidèle à votre époux. Impudique, imitez la chasteté de la tourterelle, rejetez la pensée même du crime; car toutes vos flatteries ne pourront séduire ma jeunesse. Ainsi parlait Joseph, et ce noble langage ne faisait qu'enflammer davantage la passion de l'Egyptienne; ses regards pleins d'un feu impur se fixaient sur le jeune homme et, s'apercevant qu'ils le laissaient froid et impassible, sa passion devint de plus en plus furieuse. Trouvant ses paroles impuissantes, elle porte les mains sur Joseph. Mais l'athlète du Christ, ne sachant plus comment échapper à cette femme impudique, lui abandonne le vêtement dont il était couvert, et ainsi découvert se précipite hors de la chambre et y laisse cette malheureuse désespérée de ses vains efforts.
5. L'Egyptienne coupable se trouva seule tenant dans ses mains le vêtement qui devait lui servir d'instrument. à un faux témoignage; sa honte était à son comble, elle avait tous les remords du crime sans en avoir goûté les douceurs. Joseph s'était enfui abandonnant son vêtement. Les anges sont dans la joie, les archanges tressaillent d'allégresse, toute l'armée céleste est dans l'exultation, tandis que les démons rugissent de leur défaite. Les anges au ciel chantent leur reconnaissance, et sur la terre les démons dévorent leur tristesse. L'Egyptienne, se voyant vaincue de tous côtés, se tourna vers son mari et porta devant lui une honteuse accusation contre le jeune homme qu'elle n'avait pu séduire. Elle accuse Joseph du crime dont elle seule était coupable. Elle lui reproche ce qu'elle-même voulait faire, et le fait condamner sans être entendu, parce qu'elle n'a pu satisfaire la passion qui la dévorait. Le mari, croyant à la fausse déposition de sa femme, se laisse facilement aller à la fureur. Il menace, il éclate en invectives, il s'emporte de colère et ordonne de jeter Joseph dans les fers. Joseph est dans la prison, chargé de chaînes en récompense de sa belle victoire, et en attendant qu'il y reçoive le don d'interpréter les songes. Il entre joyeux, chaste et pur, et parfaitement assuré de l'intégrité de sa vertu. Toutefois sa justification se fait longtemps attendre, et peut-être aurait-il été oublié dans les fers, si le Seigneur n'avait envoyé au roi Pharaon un songe dont l'explication devait rendre à Joseph sa liberté. L'interprétation qu'il donne de ce songe est acceptée sans hésitation. Il révèle l'avenir, il annonce des événements futurs; tout est par lui dévoilé, et à l'époque de la famine, Pharaon établit Joseph l'administrateur suprême de toute l'Egypte. Joseph doit à sa chasteté sa délivrance, son exaltation, sa puissance sans borne; cette vertu devint pour lui le principe de son élévation, de son bonheur, de sa justice sur la terre et de la félicité dont il est couronné dans les cieux.
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Augustin, Sermons 1041