Augustin, les Psaumes 90
90 Ps 90
Moïse n'est pas l'auteur du psaume, comme le titre semble le dire; son nom est emprunté pour montrer que sa législation renfermait des figures de ce qu'annonce ici le Psalmiste. Dieu est avant les montagnes ou les anges, avant la terre ou l'homme; en lui il n'y a que le présent, il est; et c'est son éternité qui est notre refuge contre la mobilité du temps. Qu'il nous soutienne donc. Pour Dieu mille années ne sont qu'un serai jour, de là cette assertion ridicule que la durée du monde sera de six mille ans à cause des six jours, mais en Dieu il n'y a pas de jours; Dieu donc demeure, et les biens du temps ne sont rien devant lui. Notre vie d'ailleurs est bornée à soixante-dix années, pour la plupart, à quatre-vingts pour les plus robustes; or, soixante-dix et quatre-vingt nous donnent cent cinquante, et nous y trouvons quinze nombres sacrés, d'où les quinze cantiques des degrés. Le nombre soixante-dix marquerait alors les promesses de l'Ancien Testament, et quatre-vingt les promesses du Nouveau. Le surplus est fatigue, c'est-à-dire qu'il est dangereux d'aller au-delà des promesses de la foi; elle Seigneur dans sa mansuétude nous corrige pour nous sauver. Nous épargner, et nous laisser dans une vaine félicité, c'est souvent un effet de sa colère. Qu'il nous fasse connaître son Christ, en nous montrant que les biens terrestres ne sont rien, que les biens éternels seuls sont désirables; qu'il frappe de la gauche pour nous amener à la droite, que nos pieds soient retenus par la sagesse, et que nous rendions témoignage contre la vanité des biens d'ici-bas. Que Dieu donc se laisse fléchir, qu'il nous éclaire un jour de la lumière de sa foi comme il éclairait le peuple ancien par la prophétie; qu'il dirige nos oeuvres, afin qu'elles soient dignes de lui.
1. «Prière de Moïse, l'homme de Dieu 1» tel est, nies frères, le titre du psaume; c'est par cet homme de sa droite, que Dieu donna la toi à son peuple, par ce même homme qu'il l'a délivré de la maison de servitude, pour le conduire pendant quarante ans à travers le désert. Moïse fut donc tout à la fois le ministre de l'Ancien Testament et le Prophète du Nouveau Testament. «Car tout leur arrivait en figure», comme l'a dit l'Apôtre: «et tout cela est écrit pour nous instruire, nous qui nous trouvons à la fin des temps 2». Il faut donc envisager ce psaume dans le sens de cette législation de Moïse, qui lui a donné son titre.
2. «Seigneur», dit-il, «vous êtes pour «nous un refuge de génération en génération 3»: soit dans toute génération, soit dans deux générations, l'antique et la nouvelle; comme nous l'avons dit en effet, Moïse fut le ministre de l'Ancien Testament, qui appartenait à l'ancienne génération, et le Prophète du Nouveau Testament qui concernait la génération nouvelle. Aussi Jésus-Christ, qui a garanti l'Ancien Testament, qui a contracté l'alliance nouvelle avec la nouvelle génération, et qui en est devenu l'époux, disait-il: « Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez ci aussi, car c'est de moi qu'il a écrit 4».
1. Ps 89,1. - 2. 1Co 10,11. - 3. Ps 89,2.- 4. Jn 5,16
Sans doute, il ne faut point croire que ce psaume ait été écrit par Moïse, puisqu'il n'est écrit dans aucun des livres qui renferment ses cantiques; mais on a emprunté le nom d'un aussi grand serviteur de Dieu, pour élever jusqu'à Dieu l'attention du lecteur ou de l'auditeur. «Pour nous donc, ô mon Dieu, vous êtes un refuge de génération en génération».
3. Le Prophète nous montre au verset suivant quel refuge a été pour nous le Seigneur, qui auparavant n'était point pour nous un refuge, bien qu'il existât. «Vous êtes», lui dit le Prophète, «bien avant que soient les montagnes, avant la création de la terre et du monde; vous êtes de l'éternité à l'éternité 1» Vous donc qui êtes et avant que nous soyons et avant que le monde soit, vont êtes devenu notre refuge, depuis que nous nous sommes tournés vers vous. Toutefois, je ne crois point que l'on doive entendre d'une manière telle quelle, ce que dit le Prophète: «Avant que se dressent les montagnes, et avant que la terre soit créée», ou blet comme on lit en d'autres exemplaires: «Avant que la terre ait une figure». Car les montagnes sont les parties les plus élevées de la terre. Et assurément, si Dieu existe avant que la terre soit créée, lui qui est le Créateur, pourquoi parler spécialement des montagnes,
1. Ps 89,2
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ou des autres parties de la terre, puisque Dieu existe non-seulement avant la terre, mais avant le ciel et la terre, et avant toute créature matérielle ou spirituelle? Mais peut-être a-t-on voulu par cette distinction mettre une différence entre les créatures raisonnables, et appeler montagnes les anges, et terre les hommes qui sont moins élevés. Aussi, bien que tout soit créé, et que les expressions formé ou fait se puissent employer indistinctement: s'il y a pourtant quelque différence entre ces deux mots, les anges auraient été faits, puisqu'ils sont classés dans les oeuvres du ciel, et que le dénombrement se termine ainsi: «Il dit, et tout fût fait: il commanda et tout fut créé 1». Mais une forme fut donnée à la terre afin qu'en fût tiré le corps de l'homme. Telle est en effet l'expression dont se sert l'Ecriture: «Dieu figura ou forma l'homme du limon de la terre 2». Ainsi donc, ô mon Dieu, vous êtes, et avant que tout ce qu'il y a de grand et de relevé fût fait: qu'y a-t-il en effet de plus grand qu'une créature céleste et raisonnable? et avant que la terre fût formée, de manière qu'il y eût sur la terre quelqu'un qui pût vous connaître et vous louer; c'est peu encore, car tout a commencé, soit dans le temps, soit avec le temps, mais «vous êtes depuis le siècle jusqu'au siècle», ou mieux, de l'éternité à l'éternité. Car Dieu n'est pas depuis le siècle, lui qui est avant tous les siècles; ni jusqu'au siècle qui est borné, tandis que Dieu n'a pas de bornes. Mais à cause de l'ambiguïté de l'expression grecque, il arrive souvent que dans les Ecritures la traduction latine mette le siècle pour l'éternité, et l'éternité pour le siècle. Elle a raison de ne point dire: Vous avez été depuis le siècle, et vous serez jusqu'au siècle: mais elle a employé le temps présent, pour nous exprimer en Dieu une substance immuable, et dans lui il n'y a ni fut ni sera, mais seulement: est. Aussi est-il dit: « Je suis Celui qui suis»; et: «Celui qui est, m'a envoyé vers vous 3»; et encore: «Vous les changerez, et ils seront changés, mais vous êtes le même, et vos années ne passeront point 4». Telle est l'éternité qui est devenue pour nous an refuge, afin que nous ayons recours à elle dans cette mobilité du temps et que nous y demeurions à jamais.
1. Ps 148,5.- 2. Gn 2,7. - 3. Ex 3,14.- 4. Ps 101,27-28
4. Mais parce que durant notre séjour ici-bas nous sommes environnés de tentations nombreuses et dangereuses, et que nous avons à redouter qu'elles ne nous éloignent de ce refuge, voyons ce que l'homme de Dieu lui demande ensuite dans sa prière. «Ne jetez pas l'homme dans la bassesse 1». C'est-à-dire, qu'il ne se détourne pas de vos biens sublimes et éternels que sous lui promettez, pour désirer les biens temporels et céder à des goûts terrestres. Dès lors il demande à Dieu ce que Dieu veut qu'on lui demande. Car c'est ainsi que notas disons dans notre prière: «Ne nous induisez point dans la tentation 2» Enfin il ajoute: «Et vous avez dit: Convertissez-vous, enfants des hommes». Comme s'il disait: Je vous demande ce que vous avez ordonné: il rend gloire à sa grâce, «afin que tout homme qui se glorifie se glorifie en Dieu 3», sans le secours duquel nous ne pouvons par le seul arbitre de notre volonté surmonter les tentations de cette vie. « Ne poussez pas l'homme dans la bassesse», dit le Prophète, et pourtant vous avez dit, Seigneur: «Convertissez-vous, enfants des hommes». Mais donnez-nous ce que vous avez commandé, en écoutant ma prière, et en soutenant la toi de celui qui veut agir.
5. «Mille ans devant vos yeux, en effet, sont comme le jour d'hier qui s'est écoulé 4». Il faut dorme nous détourner de tout ce qui passe et qui s'écoule, pour nous tourner vers votre asile, où vous êtes saros aucun changement; quelque longue en effet que l'on souhaite une vie: «Mille ans devant vos yeux sont comme le jour d'hier, qui s'est écoulé»; pas même commue le jour de demain qui est à venir tant il est vrai que l'on doit regarder comme écoulé ce qui finit avec le temps! De là vient pour tout cela le mépris de saint Paul qui oubliait tout ce qui est en arrière, c'est-à-dire les choses temporelles, pour s'élancer vers l'avertir 5,ou vers les choses de l'éternité. Et de peur qu'on ne vienne à s'imaginer que mille années sont en Dieu comptées pour un jour, comme si Dieu avait des jours si longs, tandis qu'il n'y a dans cette expression qu'un mépris du temps, quelque prolongé qu'il soit, le Psalmiste ajoute: « Et comme une veille pendant la nuit». Or, une veille ne se prolonge pas au-delà de trois heures. Et toutefois les
1. Ps 89,3. - 2. Mt 6,13. - 3. 1Co 1,31. - 4. Ps 89,4. - 5. Ph 3,13
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hommes ont osé se promettre la science des temps, et le Seigneur répondait à un tel désir de ses disciples: «Ce n'est point à vous de connaître les temps que le Père a mis en sa puissance 1»; ils ont même osé décider que le monde pourrait finir dans l'espace de six mille ans, qui seraient comme six jours. Ils n'ont pas remarqué ce mot du Prophète: «Comme un jour qui est écoulé». Quand il parlait ainsi, en effet, il ne s'était pas écoulé un millier d'années seulement: et cette autre parole qu'il ajoutait, «comme une veille pendant la nuit», aurait dû les avertir de ne point se laisser égarer dans cette incertitude au sujet du temps. S'ils peuvent en effet donner une certaine vraisemblance à leurs six jours, à cause des six jours que Dieu mit à faire tous ses ouvrages 2,ils ne peuvent pas adapter à leur système six veilles, c'est-à-dire, dix-huit heures.
6. Ensuite, cet homme de Dieu, ou plutôt l'esprit prophétique, semble en quelque sorte réciter une loi de Dieu écrite dans les secrets de sa sagesse, laquelle a prescrit à la vie pécheresse des hommes la manière dont elle s'écoulerait et la peine de la mort, quand il s'écrie: «Leurs années ressembleront à ce que l'on compte pour rien. Au matin leur vie passera comme l'herbe; elle fleurira et passera; au soir elle tombera, s'endurcira, se desséchera 3». Cette félicité donc qu'attendaient comme un grand bien du Dieu qu'ils servaient les héritiers de l'Ancien Testament, a mérité cette loi écrite dans les secrets de sa Providence, et que semble ici réciter Moïse: «Ils auront pour années ce que l'on compte pour rien». Car on doit compter pour rien ce qui n'est rien, avant qu'il arrive, et qui à peine arrivé ne sera plus; qui même arrive, non pas tant pour être que pour n'être plus. «Au matin», c'est-à-dire tout d'abord, « elle passera comme l'herbe, au matin elle fleurira et passera: au soir», c'est-à-dire ensuite, «elle tombera, s'endurcira, et se desséchera». «Elle tombera», en mourant, «s'endurcira», en devenant un cadavre, «se desséchera» dans la poussière. Qui, sinon notre chair, où siège cette convoitise charnelle, que Dieu a condamnée? Car toute chair est une herbe, et toute la gloire d'un homme n'est que la fleur de l'herbe. L'herbe s'est desséchée, la fleur est tombée: mais
1. Ac 1,7.- 2. Gn 1,31. - 3. Ps 89,5-6
la parole de Dieu demeure éternellement 1.
7. Sans dissimuler que c'est du péché que nous vient cette peine, le Prophète ajoute aussitôt: «Car votre colère nous a consumés, et votre indignation nous a troublés 2». «Consumés» par la langueur, « troublés» parla crainte de la mort. Nous sommes faibles en effet, et nous redoutons de sortir de notre faiblesse. «Un autre te ceindra», dit le Sauveur, « et te conduira où tu ne voudras point 3»; quoique le martyre doive être pour toi, non point un châtiment, mais un triomphe. Et l'âme du Sauveur, à -son tour, afin de nous personnifier en elle, était triste jusqu'à la mort 4: car le Seigneur lui-même n'est sorti de ce monde que par la mort.
8. «Vous avez mis nos iniquités sous vos yeux»; c'est-à-dire, vous ne les avez point dissimulées. « Et notre vie à la splendeur de votre visage 5». Sous-entendez: «Vous avez placé». Ici «la splendeur de votre visage», est une répétition de «sous vos yeux», et «notre vie», une répétition de «nos iniquités».
9. « Car tous nos jours se sont écoulés, et nous avons défailli dans votre colère 6». Ce verset nous montre assez que notre mortalité est une peine. Le Prophète dit que ses jours se sont écoulés, soit que les hommes se consument à aimer ce qui passe, ou qu'ils soient réduits à peu de jours, ce qu'il paraît exprimer dans les versets suivants: «Nos années s'épuisent comme l'araignée, nos jours sont bornés à soixante et dix ans, à quatre-vingts ans dans les plus forts, et au delà ce n'est que misère et douleur 7». Ces paroles semblent exprimer la brièveté et la misère de cette vie, où l'on appelle avancés en âge ceux qui ont vécu septante années. D'autres paraissent conserver leurs forces jusqu'à quatre-vingts ans; mais vivre au delà, c'est vivre dans la douleur et un surcroît de travail. La plupart, à soixante et dix ans, n'ont plus qu'une vieillesse cassée et pleine de misères, et souvent toutefois on a vu des vieillards conserver leur vigueur au-delà de quatre-vingts ans. Il est donc mieux de donner à ces nombres un sens spirituel. Car ce n'est point un effet de la colère de Dieu sur les enfants d'Adam, ce seul homme par qui la mort est entrée dans le monde, et avec la mort le péché, qui a
1 Is 11,6-8.- 2. Ps 89,7.- 3. Jn 21,18.- 4. Mt 26,38. - 5. Ps 67,21. - 6. Ps 89,8. - 7. Ps 89,9
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ainsi passé dans tous les hommes 1; non ce n'est point parce qu'il est plus irrité, qu'ils vivent moins longtemps que leurs ancêtres puisque le Prophète vient de rire de cette longue vie en la comparant au jour d'hier qui est passé, et à l'espace de trois heures. Au surplus leur vie était longue, quand ils irritèrent le Seigneur jusqu'à être engloutis par le déluge.
10. Or, septante et quatre-vingts ans font cent cinquante ans: et ce livre des psaumes nous montre que c'est un nombre sacré. Car il a la même signification que le nombre quinze, qui est formé de sept et de huit réunis; or, le premier, à cause du sabbat au septième jour, figure l'Ancien Testament tandis que le second figure le Nouveau Testament, à cause de la résurrection du Seigneur. De là ces quinze degrés du temple, et de là encore dans les psaumes ces quinze cantiques des degrés, de là ces quinze coudées dont l'eau du déluge surpassa les plus hautes montagnes 2,et en plusieurs autres endroits on peut voir que ce nombre est sacré. «Nos années donc s'épuisaient comme l'araignée». Nous n'étions occupés que de travaux futiles, nous ne tissions que des ouvrages périssables, qui ne pouvaient nous couvrir, dit le prophète Isaïe 3. « Le cours de nos années en elles-mêmes est de septante ans, et pour les plus robustes, de quatre-vingts». Or, «en elles-mêmes», est différent de «chez les robustes». « En elles-mêmes», signifie dans ces jours ou dans ces années, ce qui nous offre un sens spirituel: aussi le nombre septante marque les choses temporelles promises dans l'Ancien Testament. S'il s'agit, non plus des années, mais des hommes robustes, c'est-à-dire non plus des choses temporelles, mais des choses éternelles, nous avons quatre-vingt, parce que le Nouveau Testament nous donne l'espérance d'un renouvellement et d'une résurrection pour l'éternité: « et le surplus est fatigue et douleur»; c'est-à-dire, quiconque veut aller au-delà de cette foi, et cherche quelque chose de plus, ne trouvera que fatigue et misères. On peut encore comprendre ainsi: bien que nous soyons établis dans la nouvelle alliance, désignée par le nombre quatre-vingt, notre vie a de plus le labeur et la misère, puisque nous gémissons en nous-mêmes, attendant notre adoption et la rédemption de notre
1. Rm 5,12. - 2. Gn 7,20.- 3. Mt 59,6
corps. Nous sommes en effet sauvés par l'espérance, et ce que nous ne voyons pas encore, nous t'attendons avec patience 1. Et c'est là un effet de la divine miséricorde; de là vient que le Prophète nous dit ensuite: « Mais enfin survient la mansuétude, et nous serons châtiés». Or, le Seigneur châtie celui qu'il reçoit au nombre de ses enfants, il corrige celui qu'il aime 2; il donne quelquefois aux plus parfaits l'aiguillon de la chair, qui les soufflète, afin qu'ils ne s'élèvent point à cause de la grandeur de leurs révélations, et que leur vertu se perfectionne dans la faiblesse 3. Dans quelques exemplaires on lit, non point, « nous serons corrigés»; mais, «nous serons instruits»: ce qui se rapporte néanmoins à la mansuétude. Car nul ne peut s'instruire que par le labeur et la fatigue, parce que la vertu se perfectionne dans la faiblesse,
11. « Qui connaît la puissance de votre colère, et quelle terreur pourra mesurer votre courroux 4?» Peu d'hommes, dit le Prophète, peuvent connaître votre colère pour le plus grand nombre, en effet, les épargner est un effet de votre colère; c'est à votre bonté plutôt qu'à votre colère qu'il faut attribuer cette peine, ce labeur, au moyen desquels vous châtiez ceux que vous aimez, afin de leur épargner les flammes éternelles. C'est ainsi qu'on lit dans un autre psaume, que ci le pécheur a irrité le Seigneur, qui, dans «l'excès de sa colère, ne prendra plus soin de lui 5. Qui donc connaît votre colère, c'est-à-dire, combien en est-il, et dans sa terreur, mesurer votre indignation?» Ici on sous-entend, qui saura. Combien il est difficile de trouver un homme qui, dans sa frayeur, sache mesurer votre indignation, de manière à comprendre que c'est l'homme contre lequel vous êtes le plus irrité, que vous semblez épargner, afin que le pécheur soit heureux dans ses voies, et soit plus châtié au dernier jour? Qu'un homme, dans sa fureur, ait tué le corps, il ne saurait aller plus loin; mais Dieu a le pouvoir de nous châtier ici-bas et, après la mort du corps, de nous jeter dans les flammes 6. Or, peu d'hommes sont assez instruits pour comprendre que l'effet de sa plus grande colère est cette vaine et séduisante félicité des méchants. Il ne le serait point celui dont les pieds faillirent être ébranlés, parce
1. Rm 8,23-25.- 2. He 12,6.- 3. 2Co 12,7-9.- 4. Ps 89,11-12.- 5. Ps 10,4.- 6. Mt 10,28
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qu'il avait porté envie aux pécheurs, en voyant la paix dont ils jouissent; mais il l'apprit, lorsqu'il entra dans te sanctuaire de Dieu, pour considérer quelle serait leur fin 1. Il en est peu pour aller jusque-là, afin de mesurer dans leur effroi la colère de Dieu, et de mettre au nombre des châtiments cette prospérité des méchants sur la terre.
12. « Faites ainsi connaître votre droite». Voilà ce que portent surtout les exemplaires grecs; non plus comme dans plusieurs exemplaires latins : « Faites-moi connaître votre droite». Qu'est-ce à dire: « Faites ainsi connaître votre droite»; si ce n'est votre Christ dont il est dit : « A qui le bras du Seigneur a-t-il été montré 2?» Faites-le connaître de telle sorte que ses fidèles apprennent en lui à vous demander et à espérer de vous ces récompenses de la foi, qui n'apparaissent point dans l'Ancien Testament, mais qui sont révélées dans le Nouveau; de telle sorte qu'ils ne s'imaginent point qu'il y a quelque chose de grand, d'estimable ou de désirable dans cette félicité que Procurent les biens terrestres, et que leurs pieds ne soient point ébranlés, quand ils verront que ceux qui ne vous adorent point en jouissent; de telle sorte que leurs pieds ne soient point chancelants, puisqu'ils ne peuvent mesurer votre colère. Enfin, selon la prière de son serviteur, Dieu a fait connaître son Christ de manière à montrer par sa passion que les biens qu'il nous faut désirer, ne sont point ceux qui paraissent avec éclat dans l'Ancien Testament, où sont les ombres de l'avenir, mais bien les richesses éternelles. On peut encore entendre la droite de Dieu dans le sens de la séparation des justes et des impies, car elle se fait heureusement connaître alors que Dieu châtie tout homme qu'il reçoit parmi ses enfants 3,et qu'il ne permet point par un effet de sa colère, qu'il demeure plus longtemps dans le péché, mais que dans sa bonté il le frappe de la gauche pour l'amener à sa droite en le corrigeant 4. Et cette phrase qu'on lit dans plusieurs exemplaires : «Faites-moi connaître votre droite», peut s'entendre dans les deux sens, ou du Christ, ou de l'éternelle félicité. Car en Dieu il n'y a point de droite, comme s'il y avait une forme corporelle, non plus qu'une colère agitée de troubles.
1. Ps 72,2-3 Ps 72,17.- 2. Is 53,1.- 3. He 12,6.- 4. Mt 25,32-33
13. Ici le Prophète ajoute: «Et des hommes dont le coeur est lié parla sagesse»; nous lisons dans d'autres versions, non plus « liés», mais « instruits». Car le mot grec peut être pris dans les deux significations, à cause de la légère différence d'une seule syllabe. Mais puisque ceux qui sont instruits par la Sagesse, « jettent leurs pieds dans ses chaînes», ainsi qu'il est écrit 1, non le pied du corps, mais bien le pied du coeur, et que retentis dans ses liens d'or, ils ne se détournent point de la voie de Dieu, et ne le fuient point: on peut prendre l'un ou l'autre sens, et demeurer dans la vérité. Dieu a rendu célèbres dans le Nouveau Testament ceux dont le coeur est garrotté ou instruit par la Sagesse. Aussi sait-on qu'ils ont tout abandonné pour embrasser une foi que Juifs et Gentils repoussaient avec une égale impiété, et qu'ils ont enduré la privation de tous ces biens promis dans l'Ancien Testament, et qui paraissent considérables à ceux qui jugent selon la chair.
14. Or, comme ils se faisaient connaître par leur mépris pour ces biens, et par le témoignage que rendaient leurs souffrances aux biens éternels, seuls désirables, témoignage qui leur a valu le nom de témoins, en grec martyrs, ils ont dû endurer dans le temps de nombreuses et d'atroces persécutions voilà ce que voyait l'homme de Dieu, ou mieux l'esprit prophétique figuré par le nom de Moïse, et qui dit: « Revenez-nous, Seigneur; jusques à quand? et laissez-vous fléchir par vos serviteurs 2». Telle est la prière que font ou que l'on fait pour ceux qui ont beaucoup à souffrir des grandes persécutions du monde, qui montrent que leur coeur est enchaîné par la sagesse, de sorte que tant de maux ne les détournent point de Dieu, pour courir après les biens de ce monde. Or, selon ce qui est écrit ailleurs ci Jusques à quand votre visage se détournera-t-il de moi 3?» il est dit ici: « Revenez-nous, Seigneur; jusques à quand?» Et afin que les hommes trop charnels, qui donnent à Dieu la forme d'un corps humain, sachent bien que ce n'est point par des mouvements semblables aux nôtres que Dieu détourne ou retourne sa faces qu'ils voient dans le même psaume les versets qui précèdent: « Vous avez mis nos iniquités devant vos yeux, et notre vie à la lumière de votre face».
1. Si 6,25. - 2. Ps 89,13.- 3. Ps 12,1
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Comment dit-il ici: « Tournez-vous vers nous», pour le rendre favorable, comme si sa colère l'en avait détourné, puisqu'il nous le montre dans une irritation telle, qu'il ne détourne point son visage des iniquités et de la vie de ceux contre lesquels il est irrité, mais qu'il les met plutôt en sa présence et à la lumière de sa face? Mais cette parole, «jusques à quand», est la prière d'un juste, et non d'un impatient qui s'irrite. Quant à cette expression: Deprecabilis esto, laissez-vous fléchir, quelques-uns l'ont traduite mot pour mot, deprecare; mais avec deprecabilis esto, on évite l'ambiguïté, car deprecari est un verbe à double sens, puisque deprecatur désigne celui qui prie, et celui que l'on invoque: on dit deprecor te, je te supplie, et deprecor a te je suis supplié par toi.
15. Quant aux biens à venir, le Prophète les prévenant par l'espérance, et les regardant comme présents: «Nous sommes comblés au matin de votre miséricorde 1», s'écrie-t-il. C'est donc au milieu des travaux et des misères de cette nuit, que le flambeau de la prophétie est allumé pour nous, comme une lampe dans un lieu obscur, jusqu'à ce que le jour paraisse, et que l'étoile du matin se lève pour nous 2. Bienheureux en effet les coeurs purs, car ils verront Dieu 3. Alors les justes seront comblés de ce bien dont ils ont faim et soif, quand, marchant par la foi, ils sont éloignés du Seigneur 4. De là cette autre parole: « Votre face me comblera de joie 5». Au matin donc, ils verront et ils contempleront 6. Et comme l'ont dit d'autres traducteurs: «Nous sommes rassasiés au matin de votre miséricorde», c'est alors qu'ils seront rassasiés. Ainsi est-il dit ailleurs: «Je serai rassasié à quand se manifestera votre gloire». De là ce mot de l'Evangile: « Montrez-nous le Père, et cela nous suffit». Et le Seigneur a dit lui-même: «Je me manifesterai à lui 8». Jusqu'à ce que ce bien se réalise, aucun bien ne nous suffit, et ne doit nous suffire, de peur qu'il ne s'arrête en chemin, ce désir que nous devons toujours pousser en avant tant qu'il n'est pas au but. «Nous sommes remplis de notre miséricorde: nous avons tressailli, mous avons été pleins de joie tous les jours de notre vie». Ce jour est un jour sans fin,
1. Ps 89,14.- 2. 2P 1,19.- 3. Mt 5,6-8.- 4. 2Co 1,6. - 5. Ps 15,11. - 6. Ps 5,5. - 7. Ps 16,15. - 8. Jn 14,8-21
et tous ces jours font un même jour: de là vient qu'ils rassasient. Ils ne cèlent point la place à leurs successeurs, car il n'y a rien là qui doive y venir, comme s'il n'y était pas, ou qui n'y soit plus parce qu'il est passé. Tous ces jours sont ensemble, parce qu'ils ne font qu'un seul jour qui demeure et ne passe point: c'est l‘éternité. Tels sont les jours dont il est dit: « Quel est l'homme qui veut la vie, et qui désire de voir les jours de bonheur 1?» Ces jours sont appelés des années, quand le Psalmiste dit à Dieu: « Pour vous, Seigneur, vous êtes le même, et vos années ne déclinent point 2». Car ce ne sont point des années que l'on compte pour rien, ou des jours qui déclinent comme l'ombre 3. Ce sont des jours qui subsistent, et dont voulait connaître le nombre, celui qui disait: « Seigneur, faites-moi connaître ma fin», où j'arriverai pour y demeurer, où je n'aurai plus rien à désirer, « et le nombre de mes jours qui subsiste 4», qui est réellement, et non celui qui n'est pas. Ces jours, en effet, dont le Prophète a dit: « Voici que vous avez fait vieillir mes jours 5», ne sont proprement pas, puisqu'ils ne subsistent point, ne demeurent point et s'écoulent avec tant de rapidité: on ne trouve pas en eux une seule heure dans laquelle nous puissions demeurer, dont une partie ne soit écoulée déjà, dont l'autre ne soit à venir, et dont nulle ne subsiste réellement. Or, ces années et ces jours ne passeront point, nous n'y passerons point nous-mêmes, nous y serons rassasiés sans aucune défaillance. Que le désir de ces jours enflamme donc notre âme, qu'elle en ait une soif ardente, inextinguible, afin que là haut nous soyons comblés, nous soyons rassasiés, nous disions en réalité ce que nous disons ici par avance: « Au matin nous sommes rassasiés de votre miséricorde, nous avons tressailli, nous nous sommes réjouis dans tous nos jours, la joie nous a fait oublier les jours d'humiliation, les années de nos douleurs 6»
16. Maintenant que nous sommes encore dans les jours mauvais, disons ce qui suit ci Jetez les yeux sur vos serviteurs et sur vos «oeuvres 7». Car vos serviteurs sont votre ouvrage, non-seulement parce qu'ils sont des hommes, mais aussi parce qu'ils sont vos
1. Ps 33,13.- 2. Ps 101,28.- 3. Ps 101,12.- 4. Ps 38,5. - 5. Ps 38,6.- 6. Ps 89,15.- 7. Ps 89,16
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serviteurs, et qu'ils obéissent à vos préceptes. Car nous sommes non seulement l'oeuvre de Dieu en Adam, mais aussi créés en Jésus-Christ dans les bonnes oeuvres que Dieu a préparées, afin que nous y marchions 1. Car c'est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire, ainsi qu'il lui plaît 2. « Et redressez leurs enfants»: afin qu'ils aient ce coeur droit que le Seigneur comble de biens. Le Dieu d'Israël est bon pour ceux qui ont le coeur droit, et non pour ceux dont les pieds chancellent, parce que Dieu commençait à leur déplaire, lorsqu'ils voyaient la paix des pécheurs, comme si Dieu eût ignoré ces choses, comme s'il n'en eût aucun soin, comme s'il eût négligé de gouverner le genre humain 3.
17. « Et que la splendeur du Seigneur notre Dieu éclate sur nous 4». De là vient qu'il est dit: « Seigneur, en nous est marquée la lumière de votre face 5. Et redressez en nous les ouvrages de vos mains», afin que nous n'agissions point en vue d'une récompense terrestre: car alors nos oeuvres seraient tortueuses, et non pas droites. Le psaume finit ici dans plusieurs exemplaires; mais dans plusieurs autres on lit ce dernier verset: « Et redressez l'oeuvre de nos mains». Les savants dans leur exactitude marquent ce verset d'une étoile appelée astérisque, et dont on se sert pour marquer ce qui est dans l'hébreu et dans les traductions grecques, mais non dans la version des Septante. Si néanmoins nous voulons exposer ce verset, il nous marque, ce semble, que toutes nos bonnes oeuvres se réduisent à l'oeuvre unique de la charité. Car la charité est le parfait accomplissement de la loi 6. Après avoir dit, en effet, au verset précédent: « Redressez en nous les ouvrages de
1. Ep 2,10. - 2. Ph 2,13. - 3. Ps 72,1-14. - 4. Ps 89,17. - 5. Ps 4,7. - 6. Rm 13,19
nos mains», le Prophète nous dit dans celui-ci « l'oeuvre», et non les oeuvres, « redressez l'oeuvre de nos mains», comme s'il voulait dans ce dernier verset nous montrer que nos oeuvres n'en forment qu'une seule, c'est-à-dire les ramener à une seule oeuvre. Car nos oeuvres sont droites lorsqu'elles sont dirigées vers une fin unique. La fin d'un précepte est la charité qui naît d'un coeur pur, d'une conscience droite et d'une foi sincère 1. Il n'y a dès lors qu'une seule oeuvre qui renferme toutes les autres, c'est la foi qui agit par la charité 2. De là cette parole du Seigneur dans l'Evangile: « L'oeuvre de Dieu est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé 3». Ce psaume a donc exposé clairement et distinctement, et la vie du vieil homme, et la vie de l'homme nouveau; la vie qui périt, et la vie qui subsiste; les aminées comptées pour rien, et les jours pleins de miséricorde et d'une joie véritable, c'est-à-dire le châtiment du premier homme et le règne du second; et je crois que si l'on a mis en titre le nomma de Moïse l'homme de Dieu, c'était pour insinuer à ceux qui sondent les Ecritures avec piété et bonne foi, que même la loi de Dieu donnée par le ministère de Moïse, et dans laquelle Dieu semble ne promettre à nos bonnes oeuvres d'autre récompense que celle des biens temporels, renferme indubitablement sous ses voiles quelque chose de semblable à ce que nous montre le Prophète. Mais quand chacun de nous sera retourné au Christ, le voile sera ôté 4, et nos yeux seront ouverts, afin que nous considérions ce qu'il y a de merveilleux dans la loi de Dieu, par la lumière de celui à qui nous disons: « Ouvrez mes yeux, et je considérerai les merveilles de votre loi 5».
1. 1Tm 1,5 - 2. Ga 5,6 - 3. Jn 6,9 - 4. 2Co 3,16 - 5. Ps 118,18
91 Ps 91,1-9
Le Christ fut tenté afin de nous laisser l'exemple. Imitons-le, non point dans ses miracles, mais dans sa passion, afin d'entrer par la porte ou par lui-même. Qu'il soit notre refuge dans les persécutions des hommes et dans les attaques invisibles de l'ennemi, dont le pouvoir ne vient que de Dieu. Habiter dans le secours du Seigneur, c'est imiter le Christ de manière à n'être ni séduit ni intimidé par le monde, c'est compter sur lui et non sur nous, sur lui qui nous délivrera des piéges si nous marchons en lui, et de la parole amère ou des insultes des méchants, qui intimident le chrétien prêt à entrer dans la voie plus parfaite. Mais alors, envisageons le Sauveur insulté à la croix; il nous abritera de ses ailes comme la poule protége ses poussins, faveur que refusa Jérusalem. Ne présumons donc point de nos forces, et il sera pour nous un bouclier, car il discerne le pécheur qui s'humilie du pécheur orgueilleux. Parmi les tentations, les unes sont légères, comme la frayeur de la nuit, la flèche qui vole pendant le jour; c'est la mort décrétée contre ceux qui se déclarent chrétiens; les autres sont graves, comme le mal qui se glisse dans l'ombre, ou le démon du midi, c'est la torture jusqu'à l'abjuration. Alors il en tomba mille à côté du Sauveur, ou des plus parfaits qui devaient siéger parmi les juges, et dix mille à sa droite, c'est-à-dire de ceux qui devaient être à sa droite avec les justes. Ne comptons que sur le Christ, et nous n'aurons rien à craindre.
1. C'est de ce psaume que le diable osa bien abuser pour tenter Jésus-Christ Notre-Seigneur. Ecoutons-le donc afin de pouvoir résister au tentateur, sans compter sur nous-mêmes, mais sur celui qui fut tenté le premier, afin que nous ne fussions point vaincus dans la tentation. Pour lui, la tentation n'était point nécessaire, et la tentation du Christ est une leçon pour nous. Considérer ce qu'il répondit au diable, afin de faire les mêmes réponses aux mêmes assauts: c'est entrer par la porte comme vous l'avez entendu dans l'Evangile. Qu'est-ce à dire, en effet, entrer par la porte? C'est entrer par le Christ, car lui-même a dit : « C'est moi qui suis la porte 1». Qu'est-ce que entrer par le Christ? Marcher sur ses traces. En quoi devons-nous marcher sur les traces du Christ? Est-ce avec cette magnificence d'un Dieu revêtu le notre chair? Nous veut-il exhorter à faire des miracles semblables à ses miracles, et l'exige-t-il de nous? Et Notre-Seigneur Jésus-Christ, ne gouverne-t-il pas maintenant le Inonde, et ne l'a-t-il pas toujours gouverné avec son Père? Et quand il appelle l'homme à lui, pour en faire son imitateur, est-ce afin de gouverner par lui le ciel et la terre et tout ce qu'ils renferment? Ou bien est-ce pour en faire un créateur, afin que tout soit fait par lui, comme tout a été fait par le Christ? Non, ce Dieu Sauveur et Seigneur Jésus-Christ ne
1. Jn 10,7
l'invite point à faire ce qu'il a fait dès le commencement, et dont il est dit: «Tout a été fait par lui 1»; ni ces oeuvres qu'il a opérées sur la terre. Il ne te dit point : Tu ne seras mon disciple qu'à la condition de marcher sur la mer 2,ou de ressusciter un mort de quatre jours 3,ou d'ouvrir les yeux d'un aveugle-né 4. Ce n'est point cela non plus. Qu'est-ce donc que entrer par la porte? « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur 5». Il te faut donc considérer en lui, et imiter ce qu'il est devenu pour toi. Quant aux miracles, il en a fait même avant de naître du sein de Marie. Qui en a jamais fait, sinon celui dont il est dit que «seul vous faites des merveilles 6?» Ce n'est que par sa toute-puissance qu'ont agi ceux qui ont fait des merveilles avant lui: Elie n'a ressuscité un mort que par la vertu du Christ 7. A moins peut-être que Pierre n'ait été plus grand que le Christ, puisque le Christ parlait au moins au malade pour le ressusciter 8,tandis que l'on exposait les malades par où Pierre allait passer, afin que son ombre les touchât 9. Pierre avait-il donc plus de puissance que le Christ? Quel homme assez en démence osera le dire? D'où venait donc à Pierre son grand pouvoir? C'est que le Christ était en Pierre. Aussi a-t-il dit: «Tous ceux
1. Jn 1,3.- 2. Mt 14,25.- 3. Jn 11,38-44.- 4. Jn 9,1-7. - 5. Mt 11,29.- 6. Ps 81,18.- 7. 1R 16,22. - 8. Jn 5,5-9. - 9. Ac 5,15
354
qui sont venus avant moi, sont des voleurs et des larrons 1»; c'est-à-dire, ceux qui sont venus d'eux-mêmes, que je n'avais point envoyés, qui sont venus sans moi, ceux en qui je n'étais pas, et que je n'ai pas introduits dans la bergerie. Tous les miracles dès lors qui ont été faits par ceux qui ont précédé, comme par ceux qui ont suivi, ont été faits par le Christ qui en a fait quand il était présent d'une manière visible. Il ne nous exhorte donc point à faire des miracles, lui qui en faisait avant d'être homme: mais à quoi donc t'engage-t-il? A imiter ce qu'il ne pourrait faire, s'il n'était homme; car s'il n'était homme, il ne pourrait souffrir. Donc, lorsque tu endures ces maux de la vie, que suscite le diable soit ouvertement par le moyen des hommes, soit d'une manière cachée comme en Job demeure fort et courageux; habitant dans le secours du Très-Haut, comme le dit notre psaume. Mais si tu dédaignes ce secours, impuissant à te secourir toi-même, tu tomberas.
2. Beaucoup sont courageux quand ils souffrent persécution de la part des hommes, et quand on leur fait une guerre ouverte; qu'ils soient ouvertement persécutés riar les hommes, ils croient que c'est alors qu'ils imitent les souffrances du Christ; mais quand ils sont en butte aux attaques invisibles du démon, ils ne croient plus que le Christ couronne leur fidélité. Ne crains donc rien tant que tu suis les traces du Christ. Quand le diable en effet tenta le Seigneur, nul homme n'était au désert, la tentation fut secrète, mais il fut vaincu, et quand plus tard il l'attaqua ouvertement, il fut vaincu de même 2. Agis de la sorte, situ veux entrer par la porte, devant les attaques invisibles de l'ennemi, quand il demande à Dieu qu'un homme lui soit abandonné, afin de l'accabler de maux temporels, de fièvres, de maladies, ou d'autres infirmités du corps, comme il arriva pour lob qui ne voyait point le diable, mais qui comprenait la puissance divine. Il savait que le diable n'aurait aucun pouvoir sur lui, s'il ne l'avait reçu de celui qui a la souveraine puissance: il rendait à Dieu la gloire qui lui était due, sans attribuer au diable aucune puissance. Quand il vit en effet ses biens détruits par le diable, il s'écria : «Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté 3»; mais non: Le Seigneur a
1. Jn 10,8. - 2. . - 3. Jb 1,21.
donné, le diable a ôté. Car le diable n'aurait pu rien ôter, sans la permission du Seigneur. Le Seigneur donc le permit, afin que l'homme fût à l'épreuve et le diable vaincu. S'il fut frappé d'une plaie, Dieu le permit encore; et quand Job de la tête aux pieds, voyait tomber les vers et la pourriture, il n'attribua aucune puissance au diable. Et même quand son épouse, que le diable lui avait laissée, non pour le consoler, mais pour s'en faire un instrument, «lui eut fait ces suggestions: Blasphème ton Dieu, et meurs; «Tu as parlé», lui répond Job «comme une femme insensée; si nous avons reçu des biens de la main de Dieu, pourquoi n'en pas recevoir les maux 1?»
3. Donc imiter le Christ de manière à endurer les misères de cette vie, à mettre son espoir en Dieu, afin de n'être point séduit par les attraits du monde, ni intimidé par ses menaces, c'est «habiter dans le secours du Tout-Puissant, demeurer sous la protection du Dieu du ciel 2» : comme vous l'avez entendu et chanté dans le psaume, car c'est ainsi qu'il commence. Quant aux paroles dont se servit le diable pour tenter le Christ, vous les connaîtrez, quand nous y arriverons, car elles sont connues. Celui qui en est là «dira donc au Seigneur: Vous êtes mon protecteur, mon refuge et mon Dieu 3». Qui donc parle ainsi au Seigneur? «Celui qui habite dans le secours du Seigneur». Mais qui donc « habite dans le secours du Seigneur?» Celui qui n'habite point dans son propre secours. Qui «habite dans le secours du Seigneur?» Celui qui n'est point orgueilleux, comme ceux qui mangèrent le fruit défendu, afin d'être comme des dieux, et qui perdirent le bénéfice de l'immortalité. lis voulurent habiter dans leur propre secours, et non dans le secours du Très-Haut: de là vint qu'ils écoutèrent la suggestion du serpent, et méprisèrent le précepte de Dieu; et alors ils sentirent que les menaces de Dieu s'accomplissaient en eux, et non les promesses du diable 4.
4. Toi donc, dis à ton tour: «J'espérerai en lui, parce qu'il me délivrera», non pas moi. Vois si le psaume nous enseigne autre chose, que de n'espérer nullement en nous-mêmes, nullement en un homme. D'où te délivrera-t-il? «Du filet des chasseurs, et de «la parole amère 5». Dans ce «filet des chasseurs»
1. Jb 2,9-10.- 2. Ps 90,1.- 3. Ps 90,2.- 4. Gn 3.- 5. Ps 90,3
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il y a un grand mystère, mais dans cette parole aigre» qu'y a-t-il de grand? Cette parole aigre en a fait tomber beaucoup dans le filet des chasseurs. Que dis-je? le diable et ses anges sont comme des chasseurs qui tendent des pièges: mais pour les hommes, c'est marcher loin de ces pièges que marcher dans le Christ. Car il n'ose tendre des piéges au Christ, puisqu'il ne les tend point dans la voie, mais le long de la voie, Or, que ta voie soit le Christ, et tu ne tomberas point dans les pièges du diable. Mais sortir de la voie, c'est tom ber dans les filets. De part et d'autre ses embûches sont dressées, ses filets sont tendus, tu ne marches que dans les pièges. Mais veux-tu marcher en toute sécurité? Ne uni à droite ni à gauche, prends pour chemin celui qui veut être ton chemin 1, afin de te conduire à lui et par lui, et tu n'auras point à redouter les piéges des chasseurs. Mais qu'est ce à dire, « de la parole acerbe?» Au moyen de cette parole acerbe, le diable en a poussé beaucoup dans ses filets; ainsi les chrétiens, qui veulent vivre parmi les païens, ont à endurer les insultes des païens; ils rougissent de ces insultes, et devant cette parole amère, ils se détournent de la voie pour tomber dans le filet des chasseurs. Que pourra te faire cette parole amère? Rien sans doute. Mais le piége où veut te jeter l'ennemi par cette parole amère, ne te fera-t-il rien? Comme l'on tend les pièges ordinairement le long d'une haie, en jetant dans cette haie des pierres, mais qui ne font rien aux oiseaux; quand est-ce en effet que ta pierre frappe un oiseau, en jetant les pierres dans les haies? Mais l'oiseau qui veut fuir ce vain bruit, tombe dans le piège. Ainsi les hommes craignent les vaines et futiles insultes des railleurs, et la honte que leur causent ces vains discours, les fait tomber dans les piéges des chasseurs, et dans l'esclavage du démon. Mais pourquoi ne point dire ce que je ne dois point cacher, ce que Dieu m'ordonne de dire? De quelque manière que vous le receviez, Dieu m'ordonne de vous le dire; et si je ne le disais point, je tomberais à mon tour dans le piége des chasseurs, moi qui vous avertis de ne point redouter les paroles des hommes, Qu'est-ce donc que je dois dire? De même qu'un chrétien peut demeurer parmi les païens, et entendre de leur part ces paroles, qui le font tomber dans le piège des
1. Jn 14,6
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chasseurs; de même, parmi les chrétiens, ceux qui veulent apporter dans leur vie plus d'assiduité et plus de piété, s'entendront insulter par les chrétiens eux-mêmes. De quoi te servira, ô mon frère, d'habiter une ville, où l'on ne rencontre aucun païen? Dès lors qu'il n'y a aucun païen, nul ne reprochera au chrétien sa foi chrétienne: mais il y a beaucoup de chrétiens dissolus; et si quelqu'un au milieu d'eux veut mener une vie pieuse, être sobre parmi les intempérants, être chaste parmi les fornicateurs, adorer Dieu sincèrement au milieu des astrologues et des superstitieux, ne rien chercher de ce qu'ils cherchent au milieu de ceux qui se passionnent pour les folies du théâtre, ne mettre son bonheur qu'à venir à l'église, celui-là trouvera des insulteurs parmi les chrétiens, il entendra des paroles amères: Tu es un grand personnage, lui dit-on, tu es un saint, tu es Elie, un nouveau Pierre, tu nous viens du ciel, et d'autres insultes: quelque part qu'il aille, il n'entend que paroles amères. S'il redoute ces railleries, et se détourne de la voie du Christ, il tombe dans les pièges des chasseurs. Que faut-il faire pour ne point s'écarter de la voie, quand on entend ces paroles? Qu'est-ce à dire, ne point se détourner de la voie? Quand nous entendrons ces discours si aigres, qui nous consolera, de manière à maous faire mépriser ces railleries, â ne point nous écarter de la voie, mais à entrer par la porte? Qu'on se dise alors: Qu'est-ce que ces paroles pour un pécheur, un esclave comme moi? Mon Sauveur a entendu: « Vous êtes possédé du démon 1». Vous venez d'entendre quel amer langage on tint au Seigneur; or, le Seigneur n'avait pas besoin de l'entendre, mais il a voulu t'apprendre à mie point tomber dans le filet des chasseurs, à cause d'une parole amère.
5. «Il vous fera une ombre de ses épaules, et vous espérerez sous ses ailes 2». Ces paroles te montrent que ta protection n'est pas ton oeuvre, et que tu ne dois pas croire que tu pourras te protéger : c'est Dieu qui sera ta protection et ton salut; il te sauvera du filet des chasseurs et de la parole amère. « Il te fera une ombre entre ses épaules», peut s'entendre derrière lui et devant lui; car les épaules sont au-dessous de la tête. Mais quand le Prophète ajoute: «Tu espéreras sous ses ailes», il est évident que cet abri
1. Jn 8,48. - 2. Ps 91,4 .
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des ailes étendues, te place entre les épaules de Dieu, en sorte que ces ailes de part et d'autre te placent au milieu; et dès lors tu n'auras point à redouter que l'on te nuise: garde-toi seulement de te retirer d'un lieu que nul ennemi n'ose aborder. Si la poule protège ses poussins sous ses ailes; combien plus sous les ailes de Dieu seras-tu en sûreté contre le diable et ses anges, puissances aériennes qui voltigent autour de toi comme des vautours, pour enlever le faible oisillon? Ce n'est pas en effet sans raison qu'à la poule a été comparée la divine sagesse; puisque le Christ notre Seigneur et Sauveur s'est ainsi nommé lui-même: «Jérusalem, Jérusalem, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins, et tu ne l'as point voulu 1?»Acceptons ce que Jérusalem a refusé. Elle est devenue la proie des puissances de l'air, parce qu'elle a fui les ailes de la poule, et présumé de ses forces, malgré sa faiblesse. Pour nous, confessons notre infirmité, et cherchons un refuge sous les ailes de Dieu. Alors il sera pour nous comme la poule qui protège ses poussins. Ce nom n'est point injurieux pour lui. Voyez, mes frères, les autres oiseaux beaucoup d'oiseaux font éclore leurs petits, et les réchauffent sous nos yeux; nul autre oiseau ne devient comme la poule infirme avec eux. Que votre charité redouble d'attention : nous voyons hors de leurs nids des hirondelles, des passereaux, des cigognes, et nous ne pouvons savoir s'ils ont des petits; mais nous le reconnaissons chez la poule, et à sa voix affaiblie et à ses plumes redressées: elle est totalement changée par l'amour de ses petits, elle s'affaiblit à proportion de leur faiblesse. C'est ainsi que la sagesse de Dieu a voulu être faible, parce que nous étions faibles, puisque le Verbe s'est fait chair, et a demeuré parmi nous 2,afin que nous pussions espérer sous ses ailes.
6. «Sa vérité me couvrira d'uni bouclier 3». Tout à l'heure des ailes, maintenant un bouclier; mais en Dieu il n'y a ni ailes ni bouclier, et si cette protection était réellement l'une ou l'autre, une aile pourrait-elle être un bouclier, ou un bouclier une aile? Mais comme cela se dit en figure, cette protection est comparée tantôt à des ailes, tantôt à un boucher. Si le Christ était réellement un rocher,
1. Mt 13,37. - 2. Jn 1,14. - 3. Ps 91,5
il ne serait pas un lion; et s'il était un lion, il ne serait pas un agneau: mais il est tout ensemble et lion 1, et agneau 2,et pierre 3,et même un taureau; et toute autre dénomination semblable, parce qu'il n'est à proprement parler, ni pierre, ni lion, ni agneau, ni taureau, mais Jésus-Christ Sauveur de tous les hommes. Ces noms sont des métaphores, et non point des dénominations réelles. «Sa vérité», dit le Psalmiste, « m'environnera». Sa vérité est comme un bouclier, elle ne confond point ceux qui espèrent en eux-mêmes avec ceux qui espèrent en Dieu. Il y a pécheur et pécheur: Donne-moi un pécheur confiant en lui-même, dédaigneux, n'accusant point ses fautes, et il dira: Si mes péchés déplaisaient à Dieu, il ne me laisserait point la vie. Un autre n'osait lever les yeux, mais frappait sa poitrine en disant: «Seigneur, soyez-moi propice, à moi pécheur 4». L'un était pécheur comme l'autre était pécheur; mais l'un raillait, l'autre pleurait. L'un dé. daignait, l'autre avouait ses fautes. Or, la vérité de Dieu, qui ne fait acception de personne, discerne le pénitent de l'homme qui avoue sa faute, l'homme humble de l'homme superbe, l'homme qui compte sur lui-même de l'homme qui compte sur Dieu. Donc «sa tu vérité te couvrira d'un bouclier».
7. «Tu ne redouteras ni les frayeurs de la nuit, ni la flèche qui vole pendant le jour, ni la contagion qui se glisse dans les tu ténèbres, ni la ruine et le démon de midi». Les deux dernières expressions ne sont que la répétition des deux premières. «Tu ne redouteras ni les frayeurs de la nuit, ni la flèche qui vole pendant le jour 5», dit le Prophète; or, la frayeur de la nuit est répétée dans cette parole: tu ne craindras point «la contagion qui se glisse dans les ténèbre», de même que la flèche qui vole pendant le jour, dans la « ruine et le démon de midi». Qu'avons-nous donc à redouter la nuit, qu'avons-nous à redouter le jour? Pécher par ignorance, c'est pécher pendant la nuit: de même que pécher sciemment, c'est pécher pendant le jour. Les premiers péchés qu'il exprime sont les plus légers, ceux qu'il énonce dans sa répétition sont plus graves. Redoublez d'attention, afin que je puisse vous exposer ceci autant que Dieu me le permettra: c'est un passage obscur, mais il
1. Ap 5,5.- 2. Jn 1,29.- 3. Ac 4,10-11.- 4. Lc 18,13. - 5. Ps 90,6
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vous sera utile quand je vous l'aurai expliqué. Cette tentation qui est légère pour ceux qui sont ignorants, le Prophète l'appelle une frayeur de nuit, et celle qui est légère pour aux qui connaissent le mal, une flèche qui vole pendant le jour. Quelles sont les tentations légères? Celles qui ne sont ni durables ni entraînantes, de manière à nous contraindre, mais qui passent aussitôt qu'on les a évitées. Ces tentations toutefois deviennent graves, quand la persécution est violente, quand elle effraie les ignorants, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas encore affermis dans la toi, qui ne savent point encore qu'ils ne sont chrétiens que pour espérer la vie éternelle, et quand les maux du temps commencent à leur peser, ils se croient abandonnés par le Christ, et s'imaginent qu'ils n'ont rien à gagner dans le Christianisme; ils ne savent point, dis-je, qu'ils ne sont chrétiens que pour surmonter le présent et mettre leur espoir dans l'avenir: ils sont donc surpris par l'air contagieux qui circule dans les ténèbres, et en deviennent la proie. Il en est d'autres qui savent qu'ils sont appelés à l'espérance des biens à venir, parce que les promesses de Dieu ne regardent ni cette terre ni cette vie, et qu'il faut surmonter toutes les épreuves de cette vie, afin de recevoir et d'acquérir ce que Dieu nous a promis pour l'éternité. Ils savent tout cela, mais quand la persécution devient violente, avec ses menaces, ses peines, ses tourments, ils succombent; et comme ils le font sciemment, ils tombent dans le jour.
8. Mais pourquoi au milieu du jour? Parce que c'est au plus fort de la persécution, comme on appelle midi les plus grandes chaleurs. Que votre charité écoute la preuve qu'en donnent les saintes Ecritures. Dans la parabole du semeur, le Seigneur nous dit qu'il alla semer son grain, qu'une partie tomba sur le grand chemin, une autre dans des endroits pierreux, une autre parmi les épines; puis il veut bien nous exposer cette parabole, et en parlant des endroits pierreux, il dit: «Ceux-là écoutent la parole, s'en réjouissent sur-le-champ, puis se scandalisent aussitôt quand la parole éprouve une première persécution». Qu'avait-il dit de la semence qui tombait sur le terrain pierreux? « Le soleil se lève», dit le Sauveur, «et ils se dessèchent parce qu'ils n'ont pas une profonde racine. Ceux-là donc se réjouissent
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de la parole pendant une heure, et «quand la persécution s'élève contre la parole, ils se dessèchent 1». Pourquoi se dessécher? tu Parce qu'ils n'ont pas une racine «bien affermie». Quelle racine? la charité. Car l'Apôtre veut «nous enraciner, nous affermir dans la charité 2». De même en effet que la convoitise est ha source de tous les maux 3,la charité est la source de tous les biens. Vous le savez, on vous l'a dit souvent. Mais pourquoi vous le rappeler encore? Afin de vous faire comprendre que dans notre psaume, le démon de midi signifie la violence de la persécution. C'est ainsi que le Seigneur a dit: « Le soleil s'est levé, l'herbe a séché, parce qu'elle n'était point enracinée». Puis, expliquant ce que signifie l'herbe que dessèche le soleil, il ajoute qu'ils ne peuvent tenir sous les feux de la persécution, « puisqu'ils n'ont point une racine profonde». Nous avons donc raison d'entendre par le démon de midi, une persécution violente. Trouvez bon, mes frères, que je vous rappelle ce que fut jadis cette persécution dont le Seigneur a délivré son Eglise. D'abord les empereurs et les rois du monde crurent qu'au moyen de la persécution, ils effaceraient le nom du Christ, et le nom des chrétiens, et ils ordonnèrent que l'on frappât de mort quiconque oserait se dire chrétien. Alors tout homme qui craignait la mort nia qu'il fût chrétien; mais comme il connaissait son crime, il était percé par la flèche qui vole pendant le jour. Quant à celui qui, peu soucieux de cette vie présente, et plein d'espérance pour la vie éternelle, évitait la flèche qui vole pendant le jour, celui-là confessait la foi de Jésus-Christ, et le coup qui frappait son corps délivrait son âme. Il passait dans le repos, au sein de Dieu, attendant que la résurrection des morts vînt délivrer son corps: il échappait ainsi à la tentation, ou à la flèche qui vole pendant le jour. C'était donc une flèche qui volait pendant le jour, que cette parole: Que tout homme qui se déclarera chrétien, soit frappé de mort. Ce n'était pas néanmoins encore le démon de midi, sévissant dans une persécution violente, et attisant un brasier que ne pouvaient supporter les plus forts. Ecoutez ce qui suivit. Nos ennemis, voyant qu'un grand nombre couraient au martyre, et que plus on faisait de victimes, plus augmentait
1. Mt 13,3-23 - 2. Ep 3,17. - 3. 1Tm 6,10
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le nombre des chrétiens, se dirent en eux-mêmes: Il nous faudra tuer le genre humain, tant sont nombreux ceux qui ont cette croyance, et si nous les égorgeons tous, nul ne demeurera sur la terre. Le soleil alors versa tous ses feux, la fournaise fut embrasée. Ecoutez les nouvelles ordonnances: auparavant ils avaient dit: Mort à celui qui se déclarera chrétien; ils dirent ensuite: Quiconque se déclarera chrétien sera mis sur le chevalet et torturé, jusqu'à ce qu'il renoncera au Christ 1. Comparez et la flèche qui vole pendant le jour, et le démon du midi. Qu'était-ce que cette flèche volant pendant le jour? Mort à celui qui se déclarera chrétien. Quel fidèle ne l'eût pas évitée par une mort prompte? Quant à celle-ci: S'il se déclare chrétien, qu'il ne soit point mis à mort, mais mis à la torture, jusqu'à ce qu'il abjure le christianisme, s'il abjure qu'il soit renvoyé; c'est le démon du midi. Plusieurs de ceux qui n'avaient point abjuré manquaient de force dans les tourments; on les torturait jusqu'à l'abjuration, Que pouvait faire un coup d'épée à ceux qui persévéraient à n'abjurer point le Christ? Un même coup jetait le corps à terre, et l'âme devant Dieu. Voilà ce que faisaient encore de longs tourments. Mais où trouver un courage qui pût braver des supplices aussi atroces et aussi longs? Beaucoup succombèrent; et ceux-là succombèrent, je crois, qui comptaient sur eux-mêmes, qui n'habitaient point dans le secours du Seigneur, dans la protection du Dieu du ciel; qui ne dirent point au Seigneur: « Vous êtes mon appui»; qui n'espérèrent point à l'ombre de ses ailes, et se confièrent trop en leurs propres forces. Ils furent rejetés de Dieu, qui voulut leur montrer que c'est lui qui protège, lui qui proportionne l'épreuve, lui qui permet qu'elle nous arrive, seulement à proportion de nos forces.
9. Beaucoup donc furent vaincus par le démon du midi. Voulez-vous en connaître le nombre? Le Prophète nous le dit ensuite «Il en tombera mille à votre côté, et dix mille à votre droite; mais il n'approchera tu point de vous 2». A qui s'adressent ces paroles? A qui, mes frères, sinon à Notre-Seigneur Jésus-Christ? Car Notre-Seigneur Jésus n'est pas seulement en lui-même, il est encore en nous. Rappelez-vous ces mots :
1. Tertull. Apolog. c. 2. - 2. Ps 91,7
«Saul, Saul, pourquoi me persécuter 1?»Lorsque nul ne le touchait, et que pourtant il disait: tu Pourquoi me persécuter e, n'est-ce point parce qu'il se regardait en nous? Quand il disait encore: «Ce que l'on fait au tu moindre des miens, on le fait à moi-même 2»; ne se regardait-il point en nous? Car il n'y a pas de division entre les membres, entre la tête et le corps. Qu'est-ce à dire la tête et le corps? Le Sauveur et son Eglise. Comment donc est-il dit: «Mille tomberont tu à votre côté, et dix mille à votre droite?» Ils tomberont sous le démon du midi. Il est terrible, mes frères, de tomber à côté du Christ, de tomber à la droite du Christ. Comment tomber à côté de lui? Pourquoi les uns à côté, les autres à droite? Pourquoi dix mille à droite, et mille à côté? Qu'est-ce que mille à côté? Car ces mille sont moins nombreux que les dix mille qui tomberont à droite. Quels sont-ils? Dans un instant tout sera clair: au nom du Christ, nous l'allons développer. Le Christ a promis à quelques-uns qu'ils jugeront avec lui; c'est-à-dire aux Apôtres qui ont tout quitté pour le suivre. Car Pierre lui disait: « Voilà que nous avons tout quitté, et vous avons suivi»; et le Sauveur leur fit cette promesse: « Vous serez assis sur douze trônes, jugeant les douze tribus d'Israël 3». Ne croyez point que cette promesse du Seigneur soit pour eux seuls. S'il n'y a là que douze trônes, où donc siégera Paul qui a travaillé plus qu'eux tous 4?Cari est le treizième Apôtre. Judas est tombé du nombre des douze, et à sa place on a mis Matthias, comme nous le voyons dans les Actes 5. Ainsi furent complétés les douze trônes. Or, n'y verra-t-on point s'asseoir celui qui a travaillé plus que les autres? Ces trônes au nombre de douze ne désigneraient-ils point un tribunal parfait? Car des milliers seront assis sur dix siéges. Mais comment, me dira-t-on, prouver que Paul siégera parmi les juges? Ecoutez sa parole: « Ne savez-vous point que tu nous jugerons les anges 6?» « Nous jugerons», dit-il. Il n'hésite point dans cette confiance qui lui persuade qu'il doit se compter parmi ceux qui jugeront avec le Christ. Mais ceux qui jugeront avec le Christ, sont les princes de l'Eglise, les parfaits. C'est à eux qu'il est dit: «Si tu veux être parfait,
1. Ac 9,4. - 2. Mt 25,40. - 3. Mt 19,27-28.- 4. 1Co 15,10 - 5. Ac 1,15-26. - 6. 1Co 6,3
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va vendre tout ce que tu possèdes, et donne-le aux pauvres 1». Qu'est-ce à dire: « Veux-tu être parfait?» Veux-tu juger et n'être point jugé? Celui qui entendit cette parole s'en alla triste; mais beaucoup ont suivi ce conseil, et le suivent encore aujourd'hui: donc ils jugeront avec le Christ. Beaucoup cependant se promettent de juger avec le Christ, par cela même qu'ils ont tout quitté pour le suivre; mais ils ont confiance en eux-mêmes, ils ont une enflure et un orgueil que Dieu seul peut connaître, et ils ne peuvent se dérober au démon de midi, c'est-à-dire éviter la chute dans une violente persécution. Il y en avait beaucoup alors qui avaient donné aux pauvres tous leurs biens, qui s'étaient promis de siéger avec le Christ, de juger les nations, et qui, sous le feu de la persécution, ou sous le démon de midi faiblirent dans les tourments, et abjurèrent le Christ. Ils sont tombés à ses côtés, tombés alors qu'ils allaient s'asseoir avec le Christ pour juger le monde.
10. Disons maintenant ceux qui tombent à sa droite. Vous le savez, mes frères, quand apparaîtra le tribunal où jugeront avec le Christ ceux qui auront voulu être et qui auront été réellement parfaits, enracinés et affermis dans la charité, sans se dessécher au soleil et au démon du midi, voici ce que fera le Seigneur: «Toutes les nations seront rassemblées devant lui, et il les partagera comme un berger sépare les brebis des boucs, et il mettra les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche 2», et ils seront jugés. Les juges seront nombreux, mais bien moins nombreux que ceux qui se tiendront devant le tribunal; car les uns sont désignés par le nombre de mille, et les autres par celui de dix mille. Que dira le Christ à ceux de droite? « J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger; j'ai été étranger, et vous m'avez recueilli». Il est clair qu'il tiendra ce langage à ceux qui ont eu des biens en ce monde afin d'accomplir ces oeuvres de charité. Car ceux-ci régneront avec ceux-là; les uns sont comme les soldats, les autres comme les fournisseurs des vivres; mais soldats et fournisseurs forment un même royaume, sous un seul chef. Au soldat le courage, au fournisseur le dévouement: le soldat courageux combat le démon par ses prières, et le fournisseur dévoué prépare les vivres au soldat.
1. Mt 19,21-22 - 2. Mt 25,22-33
Que votre charité veuille bien le comprendre. Au dernier jour enfin ceux qui seront placés à droite, entendront ces paroles: « Venez, tu bénis de mon Père, recevez le royaume qui tu vous est préparé dès l'origine du monde». Il en était beaucoup en ce moment, quand s'alluma le feu de la persécution, quand se fit sentir le démon de midi, il en était beaucoup qui se promettaient de juger avec le Christ; mais impuissants à supporter la violence de la persécution, ils sont tombés à son côté; d'autres ne se promettaient point d'être assis parmi les juges, mais se promettaient pour prix de leurs aumônes d'être à la droite, et pensaient que le Christ leur dirait: «Venez, tu bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l'origine du monde». Mais comme ils sont en grand nombre ceux qui seront frustrés de leur espérance d'être assis parmi les juges, et bien plus nombreux encore ceux qui n'obtiendront point d'être à la droite comme ils l'espéraient, le Prophète s'écrie en s'adressant au Christ: tu « en tombera mille à votre côté, et dix mille à votre droite». Mais comme beaucoup d'autres qui n'ont eu pour les choses temporelles aucun souci, seront alors avec le Christ, qui sera en eux comme dans ses membres, te Prophète ajoute: « Mais le mal n'approchera point de vous». N'est-ce qu'à la tête qu'il dit : «N'approchera point?» Non assurément: mais il n'approchera ni de Pierre, ni de Paul, ni de tous les Apôtres, ni de tous les martyrs, qui n'ont point cédé aux tourments. Comment donc tu n'en approchera-t-il point? e Pourquoi dès lors ces tortures? Le mal ne s'est approché que de leur chair, et non du siége de leur foi. Cette foi donc était à l'abri de la crainte et des tourments. Qu'on les torture, l'effroi n'a aucun accès auprès d'eux; qu'on les torture, et ils se riront des tourments, dans leur confiance en celui qui a vaincu le premier afin que les autres pussent vaincre. Or, quels sont les vainqueurs, sinon ceux qui n'ont point compté sur eux-mêmes? Et remarquez bien ceci, mes bien-aimés; c'est ce qui a fait dire au Prophète tout ce qui précède: « Il dira au Seigneur: Vous êtes mon appui et tu mon refuge»; et: «J'espérerai en lui. Car c'est lui qui me délivrera du filet des chasseurs». « Il me délivrera», et non pas moi. « Il me fera un ombrage entre ses épaules». Mais quand? Quand tu « espéreras sous ses ailes, (360 ) sa vérité te couvrira d'un bouclier». Parce que tu as compté sur lui et que tu as mis en lui tout ton espoir, voici, dit le Prophète: quoi donc? « Tu n'auras point à craindre des frayeurs de la nuit, ni de la flèche qui vole tu pendant le jour, ni le mal qui se glisse dans tu les ténèbres, ni la ruine et le démon de midi 1». Quel est celui qui ne craindra point? Celui qui ne compte point sur lui, mais sur le Christ. Quant à ceux qui présument d'eux-mêmes, bien qu'ils aient espéré s'asseoir à côté du Christ, pour juger, bien qu'ils se soient promis d'être à sa droite, et d'entendre ces paroles: « Venez, bénis de mon Père, et recevez le royaume qui vous est tu préparé dès l'origine du monde 2»; voilà qu'est venu le démon de midi, c'est-à-dire que le feu de la persécution s'est allumé dans sa violence, et sous le coup de l'effroi, ils sont déçus dans leur espérance de juger; c'est d'eux qu'il est dit: « Mille tomberont à côté de vous». D'autres seront déçus dans l'espoir d'une récompense de leurs bons offices, et c'est d'eux qu'il est dit: « Dix mille tomberont à votre droite» . «Quant à vous», qui êtes la tête et le corps, la ruine et le démon de midi « n'approchera point de vous», parce que le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent 3.
11. « Toutefois, vous jetterez les yeux autour de vous, et vous verrez ce qu'on rendra aux pécheurs 4». Qu'est-ce à dire? Pourquoi cette expression « toutefois?» Parce que les impies ont pu accabler vos serviteurs de leur orgueil, parce qu'ils ont pu persécuter vos serviteurs. Après avoir persécuté vos serviteurs, doivent-ils donc demeurer impunis? Non,assurément. Quoique vous l'ayez permis, Seigneur, et que vos saints aient mérité par là leurs couronnes: «Toutefois, vous jetterez les yeux autour de vous, et vous verrez le sort des impies». Ils recueilleront alors le mal qu'ils ont voulu, et non le bien que, sans
1. Ps 91,2-6. - 2. Mt 25,31.- 3. 2Tm 2,19.- 4. Ps 90,8
le savoir, ils ont procuré. Il nous faut maintenant les yeux de la foi, pour voir qu'ils s'élèvent dans le temps pour pleurer dans l'éternité, et que si Dieu leur laisse pour un temps le pouvoir contre ses serviteurs, il leur dira un jour: « Allez au feu éternel, qui est préparé au diable et à ses anges 1». Mais pour peu que l'on ait ces yeux de la foi dont il est dit: «Vous verrez de vos yeux o; il n'est pas sans importance de voir l'impie florissant sur la terre, de tenir les yeux sur lui, afin de considérer par la foi ce qu'il souffrira enfin, s'il ne se corrige point: car ceux qui veulent tonner maintenant sont ensuite foudroyés. « Toutefois vous jetterez les yeux, et vous verrez le sort des impies».
12. « Car c'est vous, Seigneur, qui êtes mon espérance». Voilà qu'il en vient à ce qui l'a préservé de sa ruine et du démon de midi: « C'est que vous êtes, Seigneur, mon espérance, vous avez placé très-haut votre demeure 2». Qu'est-ce à dire que votre séjour est dans les hauteurs? Il en est beaucoup qui cherchent en Dieu un abri contre les troubles du temps. Or, il est fort élevé, il est dans le secret, cet asile de Dieu, qui nous abritera contre la colère à venir. Il est intérieur tu cet asile que vous avez établi très-haut. « De vous n'approcheront point les maux, et le fléau n'abordera point votre tabernacle, «Car Dieu a donné à ses anges ordre de tu vous garder dans toutes vos voies, Ils vous porteront dans leurs mains, de peur que vous ne vous heurtiez contre la pierre». Telles sont les paroles dont se servit le diable pour tenter Notre-Seigneur Jésus-Christ. Mais parce qu'il faut les considérer avec plus d'attention, remettons-les à demain, puisque demain je dois vous parler encore. Nous reprendrons cet endroit du psaume, afin de vous éviter l'ennui: en trop abrégeant, dans ces difficultés, nous ne pourrions nous faire comprendre.
1. Mt 25,41. - 2. Ps 90,9
Augustin, les Psaumes 90