Chrysostome sur 1Co 4000
4000
POURQUOI SONT-ILS BAPTISÉS POUR LES MORTS? (1Co 15,29-34)
579 ANALYSE.
1-3. La résurrection des morts est prouvée par le baptême; non-seulement par les discours, mais par les actions des apôtres, par leur courage en présence de fous les dangers.
4 et 5. Les mauvais discours corrompent les bonnes moeurs. — Encore contre l'avarice, contre les fortunes qui ne. se font qu'au détriment des autres. — Contre les plaisirs et la corruption qui en est la conséquence funeste. — Contre le luxe de ceux qui ne se montrent qu'entourés de troupeaux d'esclaves.
4001 1. Voici maintenant l'apôtre attaquant un autre sujet : tantôt c'est par la conduite de Dieu, tantôt c'est par les actions mêmes des hommes auxquels il s'adresse, qu'il prouve la vérité de ses paroles. Ce n'est pas une faible preuve à l'appui de la vérité qu'on soutient, que de pouvoir produire le témoignage même des contradicteurs. Voyons donc ce que dit l'apôtre? Ou bien préférez-vous que je vous rapporte d'abord les erreurs débitées par ces malades qui parlent comme Marcion ? Je sais bien que je vagis provoquer un éclat ale rire, c'est précisément ce qui me décide à parler; je veux que vous voyiez mieux les raisons de vous préserver de cette maladie. Un catéchumène chez eux vient de mourir; que font-ils ? Sous le lit du mort, ils cachent un. vivant; cela fait, ils demandent au mort s'il veut recevoir le baptême. Le mort ne répond pas ; alors celui qui est caché en bas sons le lit, répond pour lui qu'il veut recevoir le baptême; ils arrivent ainsi à baptiser le vivant pour celui qui est mont : c'est une comédie ; tel est, sur les âmes lâches, le pouvoir du démon. Si on les prend à partie ; ils vous répondent que l'apôtre a dit : « Ceux qui sont baptisés pour les morts ». Est-ce assez ridicule ? Est-ce la peine de discuter ? En vérité, je ne le pense pas, à moins qu'il ne faille disserter avec des fous sur les paroles qu'ils font entendre dans leur délire. Il ne faut pas toutefois qu'aucun de ceux dont l'esprit est un peu simple se laisse prendre à ces extravagances, et voilà pourquoi nous allons discuter.
Si Paul avait la pensée qu'on lui prête, pourquoi Dieu a-t-il fait des menaces à celui qui ne reçoit pas le baptême ? Il n'est plus possible de manquer le baptême, grâce à cette découverte. D'ailleurs ce n'est plus la faute des morts, mais la faute des vivants. Mais maintenant, à qui le Seigneur a-t-il adressé ces paroles: « Si vous ne mangez ma chair, et si vous ne buvez mon sang, vous n'avez point la vie en vous? » (Jn 6,54) Aux vivants ou aux Morts? répondez-moi. Et encore : « Si un homme ne renaît de l'eau et du Saint-Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu». (Jn 3,5) Si de telles pratiques sont permises, on n'a plus que faire de ta volonté de celui qui reçoit le baptême; ni du consentement du vivant ; qui empêche de transformer les païens et les Juifs en autant de fidèles; vu que les vivants, quand les autres seront défunts; s'entremettront dans l'intérêt de ces défunts? Mais c'est trop nous arrêter à enlever ces. toiles d'araignée; voyons, expliquons ce que veut dire cette expression de Paul. Qu'entend-il par là? Je veux d'abord vous rappeler, à vous qui êtes initiés aux (580) mystères, les paroles que l'on vous fait prononcer le soir de votre initiation, je vous dirai ensuite la pensée de Paul ; par ce moyen, cette pensée même sera, pour vous, plus claire. Car c'est après toutes les autres paroles que nous ajoutons ce que dit Paul en ce moment. Je voudrais être parfaitement clair, et cependant je n'ose pas tout exposer au grand jour, à cause de ceux qui ne sont pas initiés; ce sont eux qui rendent nos expositions difficiles, en nous forçant, soit de parler à mots couverts, soit de lever énoncer ce qui doit être mystères pour eux. Toutefois je parlerai, m'appliquant, autant que possible, à laisser les mystères dans l'ombre.
Après avoir prononcé ces paroles pleines de redoutables mystères, les règles des dogmes qu'il faut respecter avec crainte, les lois envoyées du ciel, nous finissons par ajouter, au moment du baptême, ces paroles que nous ordonnons de prononcer : Je crois à la résurrection des morts; et c'est dans cette foi-là que nous sommes baptisés. Ce n'est qu'après cette profession ajoutée aux autres, que nous sommes plongés dans la source de ces eaux sacrées. Voilà ce que Paul rappelait aux fidèles, quand il disait : « S'il n'y a pas de résurrection, pourquoi êtes-vous baptisés pour les morts? » ce qui veut dire, pour les corps. Car si vous êtes baptisé, c'est que vous croyez à la résurrection du corps mort, vous croyez qu'il ne reste pas mort. Quant à vous, c'est par des paroles que vous exprimez là, résurrection des morts ; mais, pour le prêtre, il a comme une image à lui, et ce que vous avez cru, ce que vous avez confessé par des paroles, cette image vous en montre la réalité. Vous croyez sans avoir de signe, et le prêtre vous donne un signe ; vous commencez par faire ce qui dépend de vous, et alors Dieu vous donne une certitude. Comment cela ? par quel moyen? Au moyen de l'eau: Le baptême, l'immersion suivie du mouvement contraire par lequel on remonte, on sort, c'est le symbole et de la descente aux enfers, et du retour. Voilà pourquoi Paul appelle encore le baptême une sépulture : « Car nous avons été ensevelis avec lui par le baptême pour la mort ». (Rm 6,4) L'apôtre y trouve une preuve de la condition à venir; j'entends par là, la résurrection des corps. Le pouvoir de ressusciter le corps n'approche pas de celui qui détruit les péchés. Jésus-Christ, à ce propos, disait : « Car lequel est le plus aisé, ou de dire: Vos péchés vous sont remis; ou de dire : Emportez votre lit, et marchez? » (Mt 9,5-6) C'est le premier qui est le plus difficile; mais comme vous ne croyez pas à ce qui n'est pas évident pour vous, comme le plus facile peut vous servir, à défaut du plus difficile, à vous montrer ma puissance, je ne veux pas vous refuser même cette moindre marque. « Alors Jésus dit au paralytique : Levez-vous, emportez votre lit, et rentrez dans votre maison ».
4002 2. Et quelle difficulté trouvez-vous là, dira-t-on, puisque les rois et les princes peuvent en faire autant? Ils remettent les fautes des adultères et des meurtriers. Vous plaisantez, ô homme; à Dieu seul appartient le pouvoir de remettre les péchés; pour les rois et les princes qui renvoient, qui acquittent des adultères et des meurtriers, ils leur font grâce du supplice présent, mais ils ne les purifient pas; ils auraient beau les élever aux honneurs après les avoir absous, les revêtir de la pourpre, leur mettre au front le diadème, ils pourront en faire des rois, mais non les affranchir de leur péché. A Dieu seul ce pouvoir. C'est l'oeuvre que Dieu opère dans le baptême de la régénération; il pénètre l'âme de sa grâce, et en extirpe jusqu'à la racine du péché. Voilà pourquoi tel que le prince a gracié, montre une âme couverte de souillure; mais il n'en est pas de même de celui qui a été baptisé : il est plus pur que les rayons du soleil, il est comme au jour qui l'a vu naître, ou plutôt son âme est bien plus éclatante encore de pureté. Car elle jouit pleinement de tous les. feux du Saint-Esprit qui l'embrase et qui augmente sa sainteté. Fondez l'or et l'argent, vous en faites un nouveau et pur métal: ainsi fait l'Esprit-Saint dans le baptême, il fond l'âme comme dans une fournaise, il en consume les péchés, il la rend plus éclatante que l'or le plus pur. Et c'est une nouvelle preuve qui vous assure encore de la résurrection des corps. Car puisque c'est le péché quia introduit la mort dans le monde, une fois que la racine est desséchée, n'en doutons plus, ne contestons plus, le fruit du péché est mort.
Voilà pourquoi vous avez commencé par confesser la rémission des péchés, ce n'est qu'ensuite que, faisant un pas de plus, vous confessez. la résurrection des corps ; c'est la première de ces vérités qui vous conduit à la (581) seconde. Ensuite comme il ne suffit pas de dire simplement résurrection, comme il faut la comprendre dans ce qu'elle a d'absolu (en effet beaucoup sont ressuscités, qui sont retombés dans la mort, comme tous les ressuscités de l'Ancien Testament, comme Lazare, au temps de la croix), on vous dit d'ajouter, et pour la vie éternelle, afin qu'on ne s'imagine pas qu'il y ait une mort après cette résurrection. Telles sont donc les paroles que Paul rappelle quand il dit : « Que feront ceux qui sont baptisés pour les morts ? » Car, s'il n'y a pas, dit-il, de résurrection, ces paroles ne sont qu'une comédie. S'il n'y a pas de résurrection, comment pouvons-nous leur persuader de croire à ce que nous ne donnons pas? Supposez un homme qui exige d'une personne un billet déclarant qu'elle a reçu ceci, cela, qui ne donne rien à cette personne de ce qui est écrit, et qui finisse par lui réclamer, son billet à la main, tout ce que le billet comporte. Que pourra faire le signataire du billet, qui s'est ainsi exposé, qui n'a rien reçu de ce qu'il a reconnu ? Tel est le sens de ce que dit Paul au sujet des baptisés. Que feront-ils, ces baptisés, dit l'apôtre, qui ont souscrit à la résurrection des corps morts, qui ne la reçoivent pas, qui sont trompés? A quoi servait cette confession, cette reconnaissance, si la réalité ne devait pas en être la conséquence?
« Et pourquoi nous-mêmes, nous exposons-nous, à toute heure, à tant de périls ? Il n'y a point de jour que je ne meure, oui, par la gloire que je reçois de vous, en Jésus-Christ (30, 31) ». Voyez encore où il cherche une preuve à l'appui du dogme; il la trouve dans son propre suffrage ; parlons mieux, ce n'est pas seulement dans son propre suffrage, mais aussi dans celui des autres apôtres. Il y a de la force dans le raisonnement qui montre les docteurs si profondément convaincus, et prouvant leurs convictions non-seulement par leurs discours, mais par leurs actions mêmes. Aussi Paul ne se contente pas de dire : Nous aussi, nous sommes persuadés, car ces paroles n'auraient pas suffi pour opérer la persuasion, mais il fait la démonstration par les actions mêmes; c'est comme s'il disait : La confession par des paroles ne,vous paraît peut-être pas bien étonnante ; mais si nous vous faisions entendre la grande voix qui sort des oeuvres, qu'auriez-vous à y objecter? Ecoutez donc ce que vous disent les périls par lesquels nous confessons chaque jour ces vérités. Et il ne dit pas : Pourquoi moi-même; il dit : « Et pourquoi nous-mêmes » ; il montre auprès de lui tous les apôtres à la fois, unissant ainsi à la modestie tout ce qui peut donner de l'autorité à ses- paroles. Que pourriez-vous nous répondre ? Que c'est pour vous tromper que nous publions cette doctrine, et qu'une vaine glaire seule a fait de nous des docteurs? Mais nos périls vous empêchent de porter ce jugement. Car qui voudrait s'exposer inutilement à des périls sans fin? Voilà pourquoi il dit «.Pourquoi nous-mêmes, nous exposons-nous à toute heure? » Supposez, en effet, un homme poussé d'un vain désir de gloire, il s'exposera une fois, deux fois, mais non pendant tout le cours de sa vie, ce que nous faisons; car c'est à de tels périls que nous avons voué notre vie tout entière. « Il n'y a point de jour que je ne meure, oui, par la gloire que je reçois de vous en Jésus-Christ ». Cette gloire dont il parle ici, ce sont les progrès des fidèles.
Comme il vient de rappeler ces innombrables périls, l'apôtre ne veut pas avoir l'air d'en gémir; non-seulement, dit-il, je ne m'en afflige pas,-mais je m'en glorifie, parce que je les affronte pour vous. Il a, dit-il, deux raisons de se glorifier, et parce que c'est pour eux qu'il affronte les périls, et parce qu'ils lui donnent sa récompense. Ensuite, selon son habitude, après de fières paroles, l'apôtre rapporte au Christ l'une et l'autre de ces deux raisons de se glorifier. Mais que signifie, qu'il n'y a pas de jour qu'il ne meure? Il meurt par le désir, et parce qu'il se prépare sans cesse à la mort. Et pourquoi le dit-il?. Encore une preuve à l'appui de ce qu'il soutient sur la résurrection. Car, dit-il, quel homme voudrait subir mille fois la mort, s'il n'y avait ni résurrection, ni de vie après tant de souffrances ? Si les fidèles qui croient à la résurrection, ont tant de peine à s'exposer à de pareils dangers, s'il faut pour cela une âme tout à fait généreuse, à bien plus forte raison celui qui n'a pas la foi ne voudra pas supporter tant de morts, et de morts si terribles: Vous voyez comme ses expressions deviennent peu à peu de plus en plus énergiques. « Nous nous exposons », dit-il; ensuite il ajoute : « A toute heure » ; ensuite : « Il n'est pas de jour ». Il finit par ne plus dire seulement : Je m'expose; il dit plus (582) : Je meurs. Et ensuite il montre combien de morts il subit, écoutez : « Si pour parler selon l'homme, j'ai combattu à Ephèse contre les bêtes farouches, à quoi cela me sert-il (32) ? »
4003 3. Que signifie : « Si, pour parler à la manière des hommes? » Autant qu'il a dépendu des hommes, j'ai combattu contre les bêtes. Car que dois-je dire, si c'est Dieu qui m'a arraché aux dangers? Aussi, c'est moi surtout qui dois m'inquiéter de ces choses, moi qui soutiens tant de périls sans avoir encore reçu de récompense. Car si le moment de la rémunération ne doit pas venir, si tous nos intérêts sont renfermés dans les limites du temps présent, c'est nous qui souffrons le plus. grand tort. Vous en effet, votre foi ne vous expose à aucun péril; nous, au contraire, il n'est pas de jour que nous ne soyons. égorgés. Toutes ces paroles n'avaient pas pour objet de faire entendre qu'il n'y avait, pour lui, aucune utilité à retirer de, ses souffrances, mais il se préoccupait de la faiblesse de la multitude, et il voulait les rendre solides sur le sujet de la résurrection; ce n'était pas qu'il courût après la récompense; c'était, pour lui, une rémunération suffisante de faire ce qui était agréable à Dieu. Aussi ces paroles mêmes, « si nous n'avions d'espérance en Jésus-Christ que pour cette vie, nous serions les plus misérables de tous les hommes », c'est pour la multitude qu'elles sont dites, c'est pour que la crainte d'un état si misérable bannisse de leur coeur l'incrédulité au sujet de la résurrection, c'est pour s'accommoder à leur faiblesse qu'il parle ainsi. Car c'est une grande récompense que de plaire, en toute circonstance, à Jésus-Christ, et, indépendamment de toute rémunération, le plus précieux des salaires, c'est de braver pour lui les périls. « Si les morts ne ressuscitent point, mangeons et buvons, car nous mourrons demain ». Dans ces dernières paroles, c'est l'ironie qui éclate. Aussi n'est-ce pas de lui-même qu'il énonce cette pensée; mais il fait entendre le plus sublime des prophètes, Isaïe, qui disait au sujet des malheureux devenus insensibles à la douleur et désespérés : « Qui égorgent des veaux et tuent des moutons, pour manger de la chair et boire du vin; qui disent : Mangeons et buvons, car demain nous mourrons. C'est pourquoi le Seigneur le Dieu des armées, m'a fait entendre cette révélation, cette iniquité ne vous sera pas remis, jusqu'à ce que vous mouriez ». (Is 2,13-14) S'il n'y avait pas de pardon alors pour ceux qui disaient ces paroles, à bien plus forte raison les mêmes coupables seront-ils punis sans la grâce. Maintenant pour ne pas rendre son discours trop amer, l'apôtre cesse d'insister. sur les absurdités, il reprend le ton de l'exhortation, il dit : « Ne vous laissez pas séduire; les mauvais entretiens gâtent les bonnes moeurs (33) ». Ces paroles avaient pour but de leur reprocher leur manque de sens, et, en même temps, il s'y mêle un compliment, car ce sont les bonnes âmes qui sont faciles à tromper, et du même coup, autant qu'il lui est possible, il les décharge, il les montre excusables dans ce qui précède, il repousse loin d'eux les accusations, il les transporte à d'autres coupables, et par ce moyen-là il entraîne ses auditeurs au repentir. C'est ce qu'il fait dans l'épître aux Galates « Celui qui vous trouble en portera la peine, quel qu'il soit ». (Ga 5,10) « Tenez-vous dans la vigilance, justement, et ne péchez pas (34) », comme s'il s'adressait à des gens ivres et saisis d'accès de folie furieuse. Rejeter à la fois, rejeter tout à coup ce qu'on tient dans les mains, c'était vouloir ressembler à ces gens ivres, à ces furieux qui ne voient plus, ce qu'ils ont vu, qui ne croient plus ce qu'ils ont confessé. Que signifie « justement? » pour ce qui est avantageux et utile. Car il y a une vigilance, en vue de l'injustice, quand on n'a l'esprit éveillé que pour faire du tort à son âme. Et c'est avec raison que l'apôtre a ajouté, « ne péchez pas », pour montrer que c'est du péché que sortent les germes de l'incrédulité. En beaucoup d'endroits, il fait entendre que c'est la corruption des moeurs qui produit les mauvaises doctrines, comme quand il dit « Car l'amour des richesses est la racine de tous les maux ; et quelques-uns en étant possédés, se sont égarés hors de la foi ». (1Tm 6,10) Il en est un grand nombre que leur conscience tourmente, qui craignent le châtiment, et qui par suite au grand préjudice de leur âme, perdent la foi en la résurrection; de même que ceux qui pratiquent de grandes Vertus, ne soupirent à chaque instant qu'après ce grand jour : « Car il y en a quelques-uns qui ne connaissent point Dieu; je vous le dis, pour vous faire honte ». Voyez comme il fait encore retomber les accusations sur d'autres coupables. Il ne dit pas: Vous ne connaissez point, mais : « Il y en a quelques-uns (583) qui ne connaissent point ». Ne pas ajouter foi à la résurrection, c'est ignorer absolument la puissance invincible de Dieu qui suffit à tout.. S'il a fait toutes choses du néant, à bien plus forte raison pourra-t-il ressusciter ce qui est dissous. Après les reproches violents, après les sarcasmes lancés contre la gourmandise, l'ignorance, l'engourdissement d'esprit, il s'adoucit, il console, il dit : « Je vous le dis, pour vous faire honte », c'est-à-dire, pour vous corriger, pour vous ramener, pour qu'a près avoir rougi vous deveniez meilleurs. L'apôtre a peur de trop couper dans le vif, de telle sorte qu'ils regimberaient.
4004 4. Sachons comprendre que l'apôtre, ici, ne s'adresse pas seulement à quelques hommes, à tous ceux qui souffrent de la même mais maladie, dont la vie est corrompue. Ce ne sont pas seulement ceux dont les doctrines sont mauvaises, mais ceux dont les péchés sont graves qu'il faut regarder comme des gens ivres, comme des insensés. Aussi peut-on leur appliquer cette parole : « Tenez-vous dans la vigilance » ; appliquons-la surtout à ceux qui succombent sous le faix de leur cupidité, à ces ravisseurs qui n'entendent pas le rapt. Car il y a un rapt glorieux, qui ravit le ciel, et ce rapt ne fait de mal à personne. Sur cette terre nul ne s'enrichit qu'à la condition qu'un autre s'appauvrit tout d'abord mais les richesses spirituelles ne sont pas à ce prix, c'est le contraire du tout au tout, nul ne s'enrichit sans communiquer à un autre l'abondance. Car si vous n'êtes utile à personne, impossible à vous de trouver la richesse. En ce qui concerne nos corps, tout ce qui s'épanche au dehors produit l'amoindrissement; pour les dans de l'esprit, au contraire, l'épanchement procure l'abondance; c'est le refus de partager qui engendre la pauvreté, l'indigence, qui attire le plus cruel supplice. Témoin cet homme, qui enfouit son talent. Celui qui possède les discours de la sagesse et les communique à un autre, augmente sa richesse, parce qu'il rend sages des hommes en. grand nombre; celui qui tient caché ce trésor, se dépouille lui-même de son luxe, parce qu'il ne s'est pas fait une richesse des services rendus à un grand nombre d'hommes. Celui qui, possède encore, d'autres dons, s'il les fait servir à la guérison d'un grand nombre, accroît la richesse qu'il a reçue; il ne vide pas son trésor en le partageant, et, par lui, une foule d'autres se. remplissent des dons spirituels. Pour tous les dons de l'Esprit, c'est la règle invariable. De même, pour la royauté ; celui qui associe le grand nombre à sa royauté, s'assure les moyens de la voir s'agrandir ; au contraire, celui qui ne veut de partage avec personne, se verra déchu lui-même de tant de biens si précieux. Si la sagesse humaine ne se dépense pas, entre tant de milliers de ravisseurs qui la pillent, si cet artisan, qui communique son savoir à tant d'autres, ne perd pas son savoir dans son art, à bien plus forte raison le ravisseur d'une telle royauté ne l'amoindrit pas, nous verrons nos trésors grossis quand, nous appellerons les foules au pillage. Ravissons donc les biens qui ne se dépensent pas, qui augmentent par, cela même qu'on vient les ravir, ravissons ce qui se peut ravir, sans craindre ni la calomnie ni l'envie. Voyez donc s'il y avait quelque part une source d'or, éternellement jaillissante, d'autant plus abondance qu'on y puiserait davantage; s'il y avait, d'autre part, un trésor, enfoui, où. courriez-vous pour vous. enrichir? N'est-ce pas à la source? Oui en. peut douter? Mais ne nous contentons pas de paroles, de fictions, voyez la réalité de la parole qui frappe vos oreilles, voyez l'air, voyez le soleil ; tous les mettent au pillage, et l'air et le soleil remplissent tous les êtres, et cependant, qu'on en jouisse ou qu'on n'en jouisse pas, ils subsistent toujours semblables, jamais amoindris. Mais ce dont je parle est bien supérieur. Car la sagesse spirituelle ne subsiste pas toujours semblable à elle-même, soit qu'elle se communique, soit qu'elle ne se communique pas, elle s'accroît, elle grandit, quand elle se communique. S'il en est qui résistent encore à nos paroles, s'il est un homme que préoccupe encore exclusivement la crainte de manquer ces choses nécessaires à la vie, un homme porté à ravir les biens qui diminuent, que celui-là rappelle la manne en sa mémoire, et redoute une correction qui doit lui servir de leçon. La peine infligée alors à l'accapareur fragile encore aujourd'hui les riches que rien n'arrête. Qu'arrivait-il alors ? les vers fourmillaient, sortant du superflu.
C'est ce qui se voit aujourd'hui encore chez ceux dont je parle. La mesure de la nourriture nécessaire est la même pour tous, quels qu'ils soient; c'est le même ventre que nous remplissons; mais, chez vous qui vous rassasiez de vos délices, il y a plus de fumier. Et, (584) de même que ceux qui faisaient, dans le désert, une provision plus considérable qu'il n'était permis, ne ramassaient pas de la manne, mais une plus grande quantité de vers et de pourriture, de même, dans cette vie de délices et de faim cupide, ce n'est pas une plus grande quantité d'aliments, mais de corruption, que rainassent les gens adonnés à leur ventre, les gens qui s:enivrent. Il y a toutefois cette différence que ceux d'aujourd'hui sont plus coupables que les hommes d'autrefois ; il suffit aux anciens hommes d'une seule correction, pour revenir à la sagesse; au contraire, ces hommes d'aujourd'hui introduisent chaque jour dans leur intérieur un ver bien plus funeste que celui du désert, et ils ne le sentent pas, et ils ne sont pas rassasiés. Voyez encore ce qui prouve la ressemblance entre les hommes de nos jours et ceux d'autrefois, quant à la vanité du travail qu'ils se donnent. (car en ce qui concerne le châtiment, il est aujourd'hui beaucoup plus terrible). En quoi le riche est-il différent du pauvre? N'est-ce pas, des deux côtés, même corps à revêtir? même ventre à nourrir? En quoi donc est le plus? L'avantage des inquiétudes, l'avantage des dépenses, l'avantage de désobéir à Dieu, l'avantage de corrompre sa chair, l'avantage de perdre son âme, voilà les avantages du riche, ce qu'il a de plus que le pauvre. S'il avait plus de ventres à remplir, il aurait peut-être quelque excuse fondée sur ses besoins plus considérables, sur la nécessité de faire plus de dépenses. Mais maintenant aussi, objectera-t-on, les riches peuvent alléguer qu'ils ont plus de ventres à remplir, à savoir ceux de leurs Serviteurs et de leurs servantes. Mais ce n'est ni par nécessité, ni par bonté, ni par humanité qu'ils se conduisent, ils n'écoutent que le faste et l'orgueil, on ne veut pas de leur excuse.
Car à quoi bon tant de serviteurs? De même que, pour les vêtements, c'est l'utilité seule qu'il faut considérer, ainsi que pour la table, de même pour ce qui touche les serviteurs. Quelle en est donc l'utilité? Utilité nulle : un seul domestique devrait suffire à un maître, ou plutôt deux et trois maîtres devraient se contenter d'un seul. Si cette manière de vivre vous semble pénible, considérez ceux qui n'en ont pas même un, et chez qui le service est plus expéditif; car Dieu a fait des serviteurs qui se suffisent à eux-mêmes pour se servir, et, qui plus est, servir le prochain. Si vous refusez de m'en croire, écoutez Paul : « Ces mains que vous voyez ont suffi à mes besoins et aux besoins de ceux qui étaient avec moi ». (Ac 20,34) Ainsi le docteur du monde entier, digne de résider au ciel, n'a pas rougi de se faire le serviteur d'une foule de milliers d'hommes; et vous, si vous ne promenez pas des troupeaux d'esclaves, vous avez honte, et vous ne comprenez pas que ce sont précisément ces esclaves innombrables qui doivent vous rendre honteux? Si Dieu nous a donné des mains et des pieds, c'est pour que nous n'ayons pas besoin de serviteurs. Ce n'est pas la nécessité qui a introduit dans le monde la classe des serviteurs; s'ils eussent été nécessaires, en même temps qu'Adam, un serviteur eût été créé : c'est la peine du péché et le châtiment de la désobéissance. L'avènement. du Christ a réparé aussi cette inégalité de condition : « Car en Jésus-Christ, il n'y a plus ni esclave ni homme libre ». (Ga 3,28) Voilà ce qui prouve qu'il n'est pas nécessaire d'avoir des esclaves ; que si c'est nécessaire, un serviteur suffit, ou deux, au plus: Que signifient ces essaims de domestiques? Comme des marchands de moutons, comme des trafiquants d'esclaves, on les voit aux bains, on les voit sur la place publique s'étaler, ces riches, avec leurs troupeaux. Eh bien, je ne veux pas traiter l'affaire en rigueur, ayez jusqu'à deux serviteurs; mais quand vous en rassemblez des bandes, ce n'est pas par. amour pour les hommes, c'est pour satisfaire votre mollesse; prouvez votre sollicitude en n'assujettissant jamais un homme à 'votre service personnel. Achetez des esclaves, instruisez-les, mettez-les en état de se suffire à eux-mêmes, affranchissez-les. Quand vous les meurtrissez de vos verges, quand vous les chargez de fers, vous ne faites pas assurément un acte d'humanité. Je sais bien que je suis à charge à ceux qui m'écoutent, mais qu'y faire? Je suis ici pour cela, et je ne cesserai pas de répéter ces choses, avec ou sans profit.
Que signifie cet orgueil qui écarte les passants au forum ? Vous croyez-vous au milieu de bêtes sauvages, pour,repousser ainsi les gens sur votre chemin ? Rassurez-vous, on ne veut pas vous mordre, on passe auprès de vous, voilà tout. Mais c'est pour vous une (585) insulte que tout le monde passe auprès de vous? Quel est ce délire, quelle est cette monstruosité? Un cheval ne se croit pas injurié par un autre cheval qui vient derrière lui ; et un homme, si les autres hommes ne sont pas refoulés à plusieurs stades, se croira insulté ? Et qui signifient ces serviteurs faisant office de licteurs, ces hommes libres servant comme des esclaves, ou plutôt que prétendez-vous avec ces moeurs plus viles, plus misérables que le plus vil esclave? car il n'est pas d'esclave aussi méprisable que l'homme qui étale un tel faste. Aussi ne verront-ils pas la vraie liberté ceux qui ont asservi leur âme à cette détestable passion. Il vous faut quelque chose à repousser, à écarter loin de vous, n'écartez pas les passants, mais l'orgueil ; n'employez pas un serviteur pour cet office, remplissez-le vous-même, et pas m'est besoin d'autre fouet, que d'un fouet spirituel. Aujourd'hui c'est votre serviteur qui chasse les hommes sur votre chemin, mais votre orgueil vous chasse, vous précipite du haut du ciel d'une manière plus honteuse que votre serviteur ne fait du prochain. Descendez. de votre cheval, chassez l’orgueil par l'humilité, et vous siégerez sur un trône plus élevé, et vous vous établirez vous-même plus haut en dignité, sans avoir besoin pour cela d'un serviteur. Quand, devenu modeste, vous ferez plus près de la terre votre chemin, vous serez assis sur le char de l'humilité qui vous élèvera jusqu'au ciel, avec ses chevaux munis d'ailes rapides; si, au contraire, tombé de la voûte céleste, vous montez sur. le char de l'orgueil, votre condition n'aura rien de supérieur à celle de ces serpents qui traînent leur ventre sur la terre, vous serez -même bien plus infortuné, bien plus digne d'être plaint. C'est l'infirmité naturelle de leur corps qui les force à se traîner ainsi, mais vous, ce qui vous aura dégradé, c'est l'orgueil, c'est ce funeste mal. Car « tout ce qui s'élève sera abaissé », dit l'Evangile. (Mt 23,12) Préservons-nous donc de cet abaissement, et pour être élevés, sachons reconnaître la vraie élévation. C'est ainsi que nous trouverons le repos de nos âmes, selon l'oracle divin, et que-nous- obtiendrons l'honneur qui est le seul vrai et le plus élevé; puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel, gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
4100
— INSENSÉ QUE VOUS ÊTES, NE VOYEZ-VOUS PAS QUE CE QUE VOUS SEMEZ NE REPREND POINT VIE, S'IL NE MEURT AUPARAVANT? (1Co 15,35-46)
586 ANALYSE.
1. Sur la manière dont les morts doivent ressusciter. — Comparaisons prises du grain de froment qui se décompose pour produire la tige et l'épi. — Le corps qui ressuscite est à la fois le même et plus beau.
2 et 3. Des différents degrés, soit parmi les justes dans la gloire, soit parmi les réprouvés dans le châtiment. Sur le corps animal et le corps spirituel.
4 et 5. Il ne faut pas pleurer les morts avec une tristesse exagérée. — Il faut leur venir en aide par la prière et par les bonnes oeuvres. — De la sécurité des morts dans le sein de Dieu.
4101 1. Malgré la douceur, l'humilité que montre partout l'apôtre, ici, ses paroles ont une aspérité que justifie l’absurdité de ses contradicteurs. Il ne se contente pas toutefois de les rudoyer, il emploie des raisonnements, des comparaisons capables de réduire les disputeurs les plus acharnés. Il dit plus haut: «Ainsi parce que la mort est venu par un homme, c'est aussi par un homme que doit venir la résurrection ». Ici, il résout l'objection des païens. Voyez encore comme il adoucit la dureté de la réprimande. Il ne dit pas, mais vous direz peut-être, il s'adresse à un contradicteur qu'il ne définit pas, de manière que la liberté de son discours ne puisse pas blesser les auditeurs. Maintenant il énonce les deux motifs de doute, le doute relatif au mode de la résurrection, le doute relatif à la qualité des corps. C'étaient là, en effet, les deux points qui troublaient les esprits : comment ressuscite ce qui a été décomposé ? et, « quel sera le corps dans lequel reviendront » (1Co 15,35) les morts? Que signifie, quel sera le corps? Sera-ce le corps qui se sera corrompu, qui aura péri, ou un autre corps quelconque? Ensuite l'apôtre, pour leur montrer que leurs doutes s'attaquent à des vérités incontestables, reconnues de tous, les refoule d'un ton véhément : « Insensé que vous êtes, ne voyez-vous pas que ce que vous semez ne reprend point vie, s'il ne meurt auparavant? » (1Co 15,36) C'est la méthode que l'on suit avec ceux qui contredisent des vérités reconnues. Pourquoi n'invoque-t-il pas tout de suite la puissance de Dieu? C'est qu'il s'adresse à des infidèles. En effet, lorsque c'est aux fidèles qu'il parle, il fait bon marché des raisonnements. Voilà pourquoi il dit ailleurs: « Il transfigurera votre corps, tout vil qu'il est, afin de le rendre conforme à son corps glorieux » (Ph 3,21), il montre quelque chose de plus que la résurrection, il n'apporte aucun exemple; pour toute démonstration, le pouvoir de Dieu lui suffit, et il le rappelle en disant : « Par cette vertu efficace, par laquelle il peut s'assujettir toutes choses». Mais ici, il produit des raisonnements. Car après avoir confirmé la vérité par les textes de l'Ecriture, il ajoute, de l'abondance de son coeur, contre ceux qui ne sont pas encore persuadés par l'Ecriture : « Insensé que vous êtes, ne voyez-vous pas que ce que vous semez ». C'est-à-dire: vous avez sous vos yeux la démonstration de cette vérité, vous la trouvez dans ce que vous faites chaque jour et vous doutez encore? Si je vous appelle insensé, c'est parce que vous ne voyez pas ce que vous faites vous-même chaque jour, c'est parce que vous êtes vous-même un artisan de résurrection et que vous doutez de la résurrection opérée par Dieu. Voilà pourquoi l'apôtre dit (587) avec éloquence : « Ne voyez-vous pas que ce que vous semez » (1Co 15,36), vous qui êtes mortel et périssable. Et remarquez l'appropriation de ses expressions au sujet qu'il traite. « Ne reprend point vie », dit-il, « s'il ne meurt auparavant ». L'apôtre abandonne les expressions qui ont trait aux semences, germe, pousse, se gâte, se décompose, il emploie des termes en rapport avec notre chair, ainsi ; « reprend vie », ainsi « meurt »; manières de parler qui ne s'appliquent pas proprement aux semences, mais aux corps. Et il ne dit pas, meurt et vit ensuite, mais, ce qui est plus expressif, ne vit qu'à la condition de mourir. Vous voyez si j'ai raison de vous répéter qu'il prend toujours l'inverse du raisonnement de ses contradicteurs. Ce qu'ils regardaient comme une réfutation de la résurrection, il le prend pour démonstration de cette même résurrection ; ils disaient en effet que le corps ne pouvait pas ressusciter, puisqu'il était mort. Que leur oppose-t-il donc? C’est que précisément s'il ne mourait pas, il ne ressusciterait pas; ce qui fait qu'il ressuscite, c'est qu'il est mort. De même que le Christ, pour démontrer cette vérité, prononce ces paroles : « Si le grain de froment ne meurt après qu'on l'a jeté en terre, il demeure seul; mais, quand il est mort, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12,24), de même Paul emprunte son exemple aux semences, et il ne dit pas ; Ne vit pas, mais « ne reprend vie, » ; cette expression prouve encore le pouvoir de Dieu, elle montre que ce n'est pas la force propre de la terre, que c'est Dieu seul qui fait tout. Et pourquoi ne montre-t-il pas ce qui tenait plus étroitement au sujet, je veux dire la semence humaine? En effet notre génération commence par la corruption, comme celle du froment. C'est que les deux semences n'ont pas pour le raisonnement, une force égale, celle du froment est bien plus éloquente. Ce que veut l'apôtre, c'est quelque chose qui soit entièrement détruit, il n'y a dans la génération humaine de corruption qu'en partie. Voilà pourquoi c'est la semence du froment qui sert d'exemple. D'ailleurs l'autre, sortie d'un vivant, tombe dans un ventre vivant; mais ici ce n'est pas dans de la chair, mais dans de la terre que la semence tombe, et elle s'y décompose comme le corps, comme le cadavre. Voilà ce qui fait que l'image prise du grain de froment convenait mieux au sujet. « Et quand vous semez, vous ne semez pas le corps qui doit naître (1Co 15,37) ». Tout ce qui précède, concerne le mode de la résurrection ; cette dernière observation répond au doute sur les corps dans lesquels les morts doivent revenir. Or que signifie : « vous ne semez pas le corps qui doit naître? » L'épi entier, le froment nouveau. Ici en effet, le discours ne se rapporte plus à la résurrection même, mais au mode de la résurrection, à la nature du corps qui ressuscitera, à savoir: s'il ressemblera au corps précédent, ou s'il sera meilleur et plus beau ; et le même exemple sert à deux fins, l'exemple prouve que le corps ressuscité sera de beaucoup supérieur.
Mais ici les hérétiques, ne comprenant rien à ces choses, font un assaut et disent: C'est un corps qui tombe, c'en est un autre qui ressuscite. Que devient alors la résurrection? Car la résurrection ne peut être que la résurrection de ce qui est tombé. Que devient la merveilleuse, l'étonnante victoire remportée sur la mort, si le corps qui tombe n'est pas le même qui ressuscite ? Dans ce cas, on ne pourra certes pas dire que la mort a rendu son prisonnier. Et, maintenant, comment l'exemple donné serait-il approprié à là vérité? Car l'essence que l'on sème n'est pas autre que celle qui reparaît, c'est la même essence devenue meilleure. Autre conséquence : le Christ n'aura pas repris le même corps, lui, les prémices de ceux qui ressuscitent ; à vous entendre, il a rejeté son corps, quoiqu'il fût exempt de tout péché, et c'est un autre corps qu'il a pris. Et d'où l'a-t-il tiré, ce second corps? Le premier, il l'a pris d'une vierge, mais le second, d'où le tenait-il? Voyez-vous à quelles absurdités est arrivée la démonstration ? Car enfin, pourquoi le Christ montre-t-il les traces et les empreintes des clous, sinon pour faire voir que c'est le même corps qui a été attaché à la croix, et qui est ressuscité? Que signifie la figure de Jonas? Que le Jonas qui a été englouti est le même qui a été rejeté sur la terre. Et pourquoi le Christ disait-il encore : « Détruisez ce temple, et je le rétablirai en trois jours? » (Jn 2,19) C'est que le corps détruit est le corps qu'il a ressuscité. Aussi l'évangéliste ajoute-t-il : « Mais il parlait du temple de son corps ». Que signifie donc : « Vous ne semez pas le corps qui doit naître ? » C'est-à-dire, vous ne semez pas l'épi; en effet, c'est le même et ce n'est pas le même ; c'est le (588) même parce que c'est la même essence, et ce n'est pas le même parce que l'épi qui viendra est meilleur; la même essence persiste, mais il y a développement, il y a supériorité de beauté, fraîcheur de nouveauté; c'est la condition indispensable pour qu'il y ait résurrection, il faut que ce qui ressuscitera soit meilleur. Pourquoi détruire la maison, si l'on ne doit pas la relever plus brillante et plus belle? Voilà ce que dit l'apôtre à ceux qui regardent la résurrection comme une dissolution. Ensuite, pour prévenir la pensée qu'il suit de là qu'on entend parler d'un corps différent, il éclaircit cette énigme, il explique lui-même le sens de ses paroles, il ne souffre pas que l'auditeur flotte dans des conclusions qui l'égareraient. Qu'avons-nous besoin de mêler nos paroles aux siennes? Ecoutez-le lui-même, entendez-le s'expliquer : « Vous ne semez pas le corps qui doit naître » ; car aussitôt il ajoute : « mais la graine seulement, comme du blé, ou de quelque autre chose » (1Co 15,37). Ce qui veut dire : Ce n'est pas le corps qui viendra, car il aura un autre vêtement, une tige, des épis ; « mais la graine seulement, comme du blé, ou de quelque autre chose. Et Dieu lui donne un corps tel qu'il lui plaît (1Co 15,38) ». Sans doute, objecte-t-on, mais c'est ici l'oeuvre de la nature. De quelle nature, répondez-moi? Je vous dis qu'ici encore c'est Dieu seul qui fait tout, et non la nature, ni la terre, ni la pluie. Aussi l'apôtre, exprimant cette vérité, laisse-t-il de côté et la terre, et l'air, et la pluie, et la main-d'oeuvre des agriculteurs : « Et Dieu », dit-il aussitôt, « lui donne un corps tel qu'il lui plaît ». Cessez donc de prendre un soin superflu et de vous enquérir curieusement du comment et de la manière dont les choses se passent, lorsqu'on vous a signifié la puissance de Dieu et sa volonté. « Et il donne à chaque semence le corps propre à chaque plante» (1Co 15,38). Que devient l'idée d'un corps étranger? Il lui donne le corps propre. Aussi lorsque l'apôtre dit : « Vous ne semez pas le corps qui doit naître », il n'entend pas que ce sera une autre essence qui paraîtra, mais que la même essence ressuscitera, meilleure et plus brillante. « Car il donne à chaque semence le corps propre à chaque plante ». Et par là, il indique déjà la différence que présentera la résurrection à venir. En effet, n'allez pas conclure de cette semence dont tous les germes se relèvent, qu'il y aura dans la résurrection égalité d'honneur. Gardez-vous surtout de le croire quand vous voyez que les semences des champs ne présentent pas dans leurs productions cette égalité, mais que telles plantes grandissent et se développent avec éclat, tandis que telles autres paraissent chétives. Voilà pourquoi l'apôtre ajoute : « le corps propre à chaque plante ».. Toutefois cette différence ne lui suffit pas, il en cherche encore une autre plus considérable et plus manifeste. Car pour prévenir cette erreur que j'ai mentionné, qui conclurait, de ce que tous ressuscitent, que tous doivent jouir des mêmes biens, l'apôtre s'est empressé de jeter dans ses premières paroles les semences de la pensée qui est la seule vraie, il a dit tout d'abord : Tous vivront en Jésus-Christ, « et chacun en son rang ». C'est la pensée qu'il reprend ici, qu'il explique : « Toute chair n'est pas la même chair (1Co 15,39) ». A quoi bon, dit-il, insister sur les semences? Nous n'avons qu'à considérer nos corps mêmes, puisque c'est des corps que nous nous occupons maintenant. Voilà pourquoi il ajoute: « Mais autre est la chair des hommes, autre la chair des bêtes, autre celle des oiseaux, autre celle des poissons. Il y a aussi des corps célestes et des corps terrestres, mais les corps célestes ont un autre éclat que les corps terrestres. Le soleil a son éclat, qui diffère de l'éclat de la lune, comme l'éclat de la lune diffère de l'éclat des étoiles, et comme, entre les étoiles, l'une est plus éclatante que l'autre (1Co 15,40-41) ».
Et que signifient ces paroles? Pourquoi cette digression qui va, qui tombe de la résurrection, sur les astres et sur le soleil ? Il ne tombe pas, il n'y a pas de digression, gardons-nous de le croire, il ne rompt pas avec son sujet; au contraire, il s'y tient. Après avoir prouvé ce qui a été dit de la résurrection, il montre la grande différence que fera paraître la gloire future, quoique la résurrection soit unique et commune; en attendant, il fait deux parts de l'univers, les choses du ciel, les choses de la terre. La résurrection des corps, il l'a montrée par l'exemple du froment; quant à l'inégalité dans la gloire, il la démontre par ses dernières paroles. Car, de même que l'incrédulité, au sujet de la résurrection, produit l'indolence, de même on tombe dans la langueur et le relâchement d'esprit lorsqu'on s'imagine que tous obtiennent le même partage. Aussi l'apôtre corrige-t-il ces deux erreurs; il a (589) commencé par dissiper la première; il s'occupe maintenant d'en finir avec la seconde : après avoir établi deux classes, celle des justes et celle des pécheurs, il les subdivise encore, et il montre que ni les justes d'un côté, ni les pécheurs d'un autre, ne recevrait le même traitement, qu'il n'y aura ni égalité pour tous les justes, ni égalité pour tous les pécheurs. Voilà donc la première séparation qu'il établit, celle des justes et celle des pécheurs, en disant: « Des corps célestes et des corps terrestres », car les corps terrestres sont comme l'image des pécheurs, et les corps célestes, celle des justes. Ensuite il fait entendre la différence de pécheurs à pécheurs : « Toute chair n'est pas la même chair; mais autre est la chair des poissons, autre, la chair des oiseaux et des animaux différents » (1Co 15,39). Il n'y a là que des corps, mais, les uns plus, les autres moins méprisables. Il en est de même de la vie, même différence dans la même constitution; après ces paroles, il reprend de nouveau son essor au ciel : « Le soleil a son éclat, qui diffère de l'éclat de la lune. (1Co 15,41)» Comme il y a différence entre les corps terrestres ; de même, entre les corps célestes, il y a aussi différence, et ce n'est pas une différence accidentelle, mais il y a diversité de degrés poussée à l'extrême. Car il n'y a pas seulement la différence du soleil et de la lune, ni de la lune et des étoiles, mais, d'étoiles à étoiles, il y a encore différence. Si tous ces astres sont dans le ciel, ils n'y sont pas tous également glorieux, mais, les uns plus, les autres, moins. Que nous apprennent donc ces images? Que si tous sont admis au royaume des cieux, tous n'y jouiront pas des mêmes biens ; que si tous les pécheurs sont dans la géhenne, tous n'y subiront pas le même traitement. Voilà pourquoi l'apôtre ajoute : « Il en arrivera de même dans la résurrection des morts (1Co 15,42)». De « même », comment cela? parce qu'il y aura une grande différence. Ensuite, laissant ce point, comme prouvé, il reprend encore la démonstration relative au mode de la résurrection, il dit : « Le corps est ensemencé dans la corruption, et il renaît incorruptible » (1Co 15,42). Voyez la sagesse du docteur; quand il parlait des semences, il prenait des expressions appropriées aux corps : « Ne reprend point vie », disait-il, « s'il ne meurt auparavant » ; voici qu'en parlant des corps, il prend les termes appropriés aux semences, il dit : « Le corps est ensemencé dans la corruption, et il renaît incorruptible » (1Co 15,42).
4102 Il ne dit pas, le corps pousse, parce qu'il ne veut pas qu'on y voie le travail de la terre, mais « il renaît ». Quant à la semence, l'apôtre n'entend pas ici notre génération dans la matrice, mais l'enterrement des morts, la décomposition, la cendre des tombeaux. Aussi, après avoir dit : « Le corps est ensemencé dans la corruption, et il renaît incorruptible », l'apôtre ajoute : « Il est ensemencé dans la honte (1Co 15,43) ». Car quoi de plus hideux qu'un cadavre en décomposition? « Il renaît dans la gloire. Il est ensemencé dans la faiblesse ». Car il ne faut pas trente jours, pour qu'il n'en reste plus rien ; la chair ne peut pas se conserver, elle ne peut pas seulement durer un jour. « Il renaît dans la force ». Car alors il ne lui restera plus rien de corruptible. L'apôtre avait besoin de ces exemples pour que les auditeurs n'allassent pas s'imaginer que tous renaissant dans l'incorruptibilité, dans la gloire, dans la force, il n'y avait aucune différence entre les ressuscités. Car si tous ressuscitent, et dans la force, et dans l'incorruptibilité, et dans cette gloire de l'incorruptibilité, tous pourtant ne possèdent pas le même honneur, la même inébranlable félicité. « Il est ensemencé comme un corps animal, il renaît corps spirituel. Comme il y a un corps animal, il y a aussi un corps spirituel (1Co 15,44) ». Que dites-vous? le corps que nous avons présentement, n'est-il pas un corps spirituel? Spirituel, sans doute, mais l'autre le sera beaucoup plus. Car maintenant, trop souvent, l'abondance des grâces du Saint-Esprit se perd par de graves péchés; quoique le souffle de l'âme persiste encore, la voie de la chair n'y est plus; une fois la grâce éteinte, le corps n'est plus rien ; mais alors il n'en sera plus de même; sans s'éteindre jamais, elle subsiste dans la chair des justes, et sa puissance restera unie au souffle de l'âme. Ou c’est là ce que l'apôtre a voulu faire entendre en disant « spirituel », ou il a voulu dire que le corps sera plus léger, plus subtil, capable d'être porté par l'air, ou plutôt il a prétendu indiquer le tout à la fois. Si vous n'en croyez rien, voyez les corps célestes si brillants, si persistants, qui ne vieillissent pas, et croyez donc que Dieu a bien aussi le pouvoir de faire, de nos corps soumis à la corruption, des corps incorruptibles, de beaucoup supérieurs à ceux que nous voyons, « Selon qu'il est écrit: le premier homme, Adam, a été créé avec une âme vivante, et le second (590) Adam a été rempli d'un esprit vivifiant (1Co 15,45) ». Le commencement de cette citation se trouve bien dans l'Ecriture (Gn 2,7), mais la suite n'y est pas; comment donc l'apôtre a-t-il pu dire, « selon qu'il est écrit ? » Il se fonde sur ce qui est arrivé; c'est son habitude. C'est le style ordinaire des prophètes. Ainsi un prophète a dit que Jérusalem sera appelée la ville de la justice, et elle n'a pas été appelée de ce nom. (Za 8,3) Eh quoi? le prophète a donc parlé à faux ? nullement : il a voulu dire que les événements lui mériteraient ce nom. Un autre a dit encore que le Christ serait appelé Emmanuel (Is 7,14), et le Christ n'a pas eu ce nom, mais les événements accomplis le lui donnent assez. De même, pour ces paroles, « et le second Adam a été rempli d'un esprit vivifiant ».
Ces paroles sont pour vous faire comprendre que vous avez déjà reçu les symboles et les gages de la vie présente et de la vie à venir; de la vie présente, par Adam ; de la vie à venir, par le Christ. Comme les biens les plus précieux ne peuvent être proposés que comme des espérances, l'apôtre tient à montrer que le commencement est déjà réalisé, il fait voir la racine et la source. Que si la racine et la source sont visibles pour tous, il n'est pas permis de révoquer les fruits en doute. De là ces paroles : « Et le second Adam a été rempli d'un esprit vivifiant». Ailleurs encore il dit : « Vivifiera vos corps mortels par son esprit qui habite en vous ». (Rm 8,11) C'est donc l'esprit qui vivifie. Maintenant on aurait pu dire, pourquoi dès les premiers jours a-t-on réalisé ce qui est le moins précieux, pourquoi ce qui concerne l'âme vivante a-t-il reçu un accomplissement plein et entier qui ne s'est pas arrêté aux prémices, pourquoi, en ce qui concerne l'esprit vivifiant, n'a-t-on reçu que les prémices ; l'apôtre montre que des deux côtés, les principes sont établis. « Mais ce n'est pas le corps spirituel qui a été formé le premier, c'est le corps animal, et ensuite le spirituel (1Co 15,46) ». L'apôtre ne dit pas pourquoi ; il se contente de l'ordre établi par Dieu ; le suffrage des événements lui garantit l'excellence de l'administration des choses par Dieu ; il montre que tout ce qui nous concerne s'avance toujours vers un état meilleur, et il assure par là l'autorité de ses paroles. Si le moindre est arrivé, à bien plus forte raison faut-il attendre ce qui est supérieur.
Donc, puisque nous devons jouir de ces biens si précieux, prenons notre place dans ce bel ordre, et ne versons pas de pleurs sur ceux qui s'en vont, pleurons ceux qui finissent mal. L'agriculteur ne pousse pas de gémissements à la vue du grain qui se corrompt, c'est quand il le voit conserver dans la terre sa solidité, qu'il a peur et qu'il tremble; mais, du moment que les semences se décomposent, l'agriculteur se réjouit. Car c'est le commencement de la semence à venir, cette décomposition. Faisons de même, sachons nous réjouir quand tombe la maison ainsi décomposée, quand un homme est ensemencé. Ne vous étonnez pas qu'il donne le nom d'ensemencement à la sépulture; car la sépulture vaut mieux encore que l'ensemencement. Après les semences des champs, viennent les morts, les labeurs pénibles, les dangers, les soucis; après la sépulture, si nous avons bien vécu, les couronnes et les prix glorieux; après les semences de la terre, la corruption et la mort; après la sépulture, l'incorruptibilité, l'immortalité, et des biens en foule; dans un de ces ensemencements, ce qui se rencontre, ce sont les embrassements, les plaisirs, le sommeil; dans le dernier de tous, les ensemencements, rien, plus rien qu'une voix descendant des hauteurs du ciel, et soudain toutes choses ont leur accomplissement. Celui qui ressuscite, n'est plus ramené aux fatigues d'une vie d'épreuves, il entre dans cette vie qui ne connaît ni la douleur, ni le deuil, ni les gémissements. Si, dans l'homme que vous pleurez, ce qui provoque vos regrets, c'est l'appui, c'est le guide, le protecteur perdu, cherchez votre refuge dans le protecteur, dans le sauveur commun, dans le bienfaiteur de tous les hommes, en Dieu, cet invincible compagnon d'armes, cet auxiliaire toujours prêt, toujours présent, qui nous entoure, qui nous défend de toutes parts. Mais les longues liaisons forment des noeuds si aimables et méritent tant nos regrets ! Je le sais bien ; mais si vous soumettez à la raison les mouvements de votre âme, si votre raison se représente, ô femmes, celui qui vous a repris un époux, si vous faites tous à Dieu, dans vos afflictions, un généreux sacrifice de vos pensées, voilà qui apaisera les orages de vos coeurs, et vous ne laisserez pas à faire au temps l’oeuvre de la sagesse; mais si vous vous laissez amollir, le temps adoucira vos douleurs, mais vous ne remporterez aucune récompense.
591
Outre ces réflexions, rassemblez les exemples que vous donne la vie présente, les exemples des divines Ecritures ; méditez Abraham égorgeant son fils, et cela sans verser de larmes, sans faire entendre d'amères paroles. Mais, dira-t-on, c'était Abraham. (Gn 22). Mais vous, vous êtes appelé à des vertus plus hautes. Quand à Job, il ressentit de la douleur, mais dans la mesure qui convenait à un bon père, plein de tendresse pour ceux qui n'étaient plus là. Pour nous, la conduite que nous tenons, convient à des ennemis privés, à des ennemis publics. Si, à la nouvelle qu'un homme est élevé à la royauté, couronné, vous alliez vous frapper la poitrine et gémir, je ne dirais pas de vous que vous êtes l'ami de celui qui a reçu la couronne ; je dirais que vous n'avez que haine pour lui, que vous êtes son ennemi déclaré. Mais ce n'est pas sur lui que je pleure, répond l'affligé, c'est sur moi-même. Mais ce n'est pas une preuve d'affection que de vouloir que celui qui vous est cher, soit encore, à cause de vous, exposé aux périls du combat, et dans l'incertitude de l'avenir, quand il va recevoir la couronne et toucher le port; de vouloir le voir encore à la merci des flots, quand il peut, échappé à la mer, se trouver pour toujours à l'abri. Mais je ne sais pas, dira-t-on, où il s'en est allé. Pourquoi ne le savez-vous pas? Répondez-moi. Car, soit qu'il ait bien vécu, soit dans le cas contraire, on sait parfaitement où il doit se rendre. C'est justement ce qui me fait gémir, réplique-t-on : il est mort en état de péché. Vain prétexte et mauvaise raison. Si c'est là ce qui vous fait gémir sur celui qui n'est plus, il fallait, pendant sa vie, le réformer, le corriger. En tout cas, vous ne voyez jamais que ce qui vous intéresse, vous, et non pas ce qui le regarde, lui. S'il est parti en état de péché, pour cette raison même, vous devez vous réjouir; ses péchés sont interrompus ; il n'a pas pu ajouter depuis à la somme de ses agitions mauvaises; soyez-lui en aide, autant que possible; au lieu de pleurer sur lui, répandez les prières, les supplications, les aumônes, les offrandes. Ce ne sont par là de chimériques inventions; ce n'est pas inutilement que nous faisons, dans les divins mystères, mention de ceux qui sont partis; que nous nous approchons du sanctuaire, à leur intention; que nous prions l'Agneau qui a enlevé le péché du monde, mais nous espérons qu'il leur en reviendra quelque adoucissement; ce n'est pas en vain que l'assistant à l'autel, pendant que les redoutables mystères s'accomplissent, s'écrie : Pour tous ceux qui se sont endormis dans le Christ, et pour ceux qui célèbrent leur commémoration. On ne prononcerait pas ces paroles, si l'on ne faisait pas la commémoration de ceux qui ne sont plus. Nos cérémonies ne sont pas des jeux de théâtre; loin de nous ces pensées; nos cérémonies c'est l'Esprit-Saint qui les a ordonnées.
4103 Sachons donc leur porter secours, et célébrons leur commémoration. Si les fils de Job ont été purifiés par le sacrifice de leur père, pouvez-vous douter que nos offrandes pour ceux qui ne sont plus, leur apportent quelque consolation ? C'est la coutume de Dieu de faire fructifier pour les autres les grâces que d'autres ont méritées. Et c'est ce que Paul faisait voir par ces paroles : « Afin que beaucoup de personnes, manifestant en elles la grâce que nous avons reçue, donnent à beaucoup de personnes l'occasion de bénir Dieu pour vous ». (2Co 2,11) Empressons-nous de porter notre secours à ceux qui ne sont plus, et d'offrir pour eux des prières : car le but commun de la terre entière c'est l'expiation. Prions donc avec confiance pour la terre entière, et avec les martyrs nous appelons tous les membres de l'Eglise, avec les confesseurs, avec les ministres sacrés. Car nous ne sommes qu'un seul et même corps tous tant que nous sommes, quoiqu'il y ait des membres plus glorieux que d'autres membres, et il n'y a rien d'impossible à ce qu'en nous adressant à toutes les âmes nous assurions à ceux qui ne sont plus leur pardon, par les prières, par les dons qui sont offerts pour eux, par l'assistance même de ceux que l'on invoque avec eux. D'où viennent donc vos gémissements, vos plaintes, quand il est possible de rassembler de si grandes forces pour obtenir le pardon de celui qui n'est plus? Mais vous pleurez, ô femme, parce que vous êtes abandonnée, vous avez perdu votre protecteur? Non, jamais, ne prononcez jamais ces paroles; vous n'avez pas perdu Dieu: Tant que vous l'avez, voilà qui vous vaut mieux qu'un mari, et père, et fils, et beau-père; quand ces êtres chéris étaient vivants, Dieu n'en était pas moins celui qui faisait toutes choses. Méditez donc ces pensées, et dites avec David : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut, qui craindrai-je? » (592) (Ps 26,1) Dites : vous êtes le père des orphelins, et le juge des veuves, et attirez sur vous son secours, et vous verrez qu'il prendra encore plus de soin de vous qu'auparavant, un soin d'autant plus vigilant que vous serez dans une plus grande détresse. Mais vous avez perdu un fils? Vous ne l'avez pas perdu, ne prononcez pas ces paroles : ce que vous voyez, c'est un sommeil, non une mort; c'est un voyage, non une destruction; c'est un passage d'un état inférieur, à une meilleure condition. N'irritez pas Dieu, mais rendez-le propice. Si vous supportez le coup avec une force généreuse, il en résultera, pour celui qui n'est plus, et pour vous, une douce consolation; si vous faites le contraire, vous irritez la colère de Dieu. Car si à la vue d'un esclave battu de verges par son maître vous montrez votre mécontentement, vous ne faites qu'exciter contre vous le mécontentement du maître. N'agissez pas ainsi, mais rendez grâces à Dieu, afin que cette conduite dissipe le nuage de votre affliction: dites comme ce bienheureux : « Le Seigneur m'a donné, le Seigneur m'a enlevé »; considérez combien de personnes plus que vous agréables à Dieu, n'ont jamais eu de fils, combien d'hommes n'ont jamais porté le nom de pères. Ni moi non plus, répondra-t-on, je ne voudrais pas avoir eu de fils; il aurait bien mieux valu pour moi ne pas faire cette expérience, que de goûter un pareil plaisir, et de le perdre après. Non, je vous en prie, ne prononcez pas de telles paroles, ne provoquez pas ainsi la colère du Seigneur; faites mieux, rendez grâces à Dieu des biens que vous avez reçus; pour ceux que vous ne gardez pas toujours, glorifiez le Seigneur. Job ne dit pas : il eût mieux valu pour moi n'avoir rien reçu; ce que dit votre ingratitude, mais Job même pour les biens enlevés rendait grâces au Seigneur; il disait: « Le Seigneur m'a donné », pour les biens perdus, il le bénissait en disant « Le Seigneur m'a enlevé : que le nom du Seigneur soit béni dans tous les siècles ». Il fermait la bouche à sa femme, par des raisonnements d'une sagesse merveilleuse, et il faisait entendre ces paroles admirables: « Si nous avons reçu des biens du Seigneur, n'en supporterons-nous pas aussi des maux? » Or l'épreuve qu'il eut à subir ensuite fut encore plus terrible; elle ne le brisa pas, il tint bon, il supporta tout avec courage, il se mit à glorifier Dieu. Faites de même, réfléchissez vous aussi en vous-même: ce n'est pas un homme qui vous a pris celui que vous pleurez; c'est Dieu qui a tout fait, Dieu qui a de vous plus de souci que personne, Dieu qui comprend le mieux l'intérêt de tous. Ce n'est pas un ennemi, un méchant qui vous a frappé. Voyez combien d'enfants n'ont vécu que pour rendre la vie impossible à leurs parents. Mais vous ne voulez pas voir, me dira-t-on, les enfants d'un noble coeur. Je les vois, eux aussi, mais je dis qu'ils sont moins en sûreté que votre fils. Quelque bonne estime qu'on en fasse, leur fin n'en est pas moins incertaine ; pour votre enfant, au contraire, vous n'avez plus à trembler, nous n'avez plus rien à craindre, à redouter pour lui quelque changement que ce soit. Appliquez ces pensées à une épouse qui avait la beauté en partage, qui était une bonne gardienne de votre maison, et pour toutes choses bénissez Dieu ; vous avez perdu votre épouse, bénissez le Seigneur. Peut-être Dieu veut-il vous amener à la continence, à des oeuvres plus hautes, rompre vos liens. Si nous nous livrons à ces pensées de la sagesse, nous conquerrons, pour la vie présente, la tranquillité de l'âme, et, pour la vie à venir, les couronnes, etc.
Traduit par M. PORTELETTE
Chrysostome sur 1Co 4000