Thérèse EJ Carnet Jaune 818
1 Je souffre beaucoup, mais est-ce que je souffre bien? Voilà!
2
« Bébé » est épuisé!...
Pendant le silence de midi, je m'étais cachée un peu en arrière du lit pour écrire.
Tournez-vous de côté, pour que je vous voie.
3
Maman, il faut me lire la lettre que vous avez reçue pour moi 47 Je me suis privée de vous la demander pendant l'oraison, pour me préparer à ma communion de demain et parce que ce n'est pas permis.
( C'était pendant la récréation. )
Voyant que je prenais le crayon pour écrire cela:
Mon mérite va être perdu peut-être, puisque je vous l'ai dit et que vous l'écrivez?
Vous voulez donc acquérir des mérites?
Oui, mais pas pour moi; pour les pauvres pécheurs, pour les besoins de toute l'Eglise, enfin pour jeter des fleurs à tout le monde, justes et pécheurs.
4
Je lui disais qu'elle était bien patiente:
Je n'ai pas encore eu une minute de patience. Ce n'est pas ma patience à moi!... On se trompe toujours!
5
Puisqu'on dit que toutes les âmes sont tentées par le démon au moment de la mort, il faudra que j'y passe. Mais pourtant non, je suis trop petite. Avec les tout petits, il ne peut pas... 48
6
Je lui disais: Comme ça vous semblerait étrange de revenir à la santé?
Si c'était la volonté du bon Dieu, je serais bien heureuse de lui faire ce sacrifice-là. Mais je vous assure que ce ne serait pas peu de chose, car aller si loin, et en revenir! écoutez!...
7
Dans l'état de faiblesse où je me trouve, je me demande ce que je deviendrais si je voyais une grosse araignée sur notre lit. Enfin, je veux bien encore accepter cette peur-là pour le bon Dieu. ... Mais si vous demandiez A la Sainte Vierge que cela n'arrive pas?
1
Elle faillit se trouver mal avant la communion, en entendant psalmodier, même à voix basse, le Miserere. Elle me dit ensuite en versant de grosses larmes:
Je vais peut-être perdre mes idées. Oh! si l'on savait ce que c'est que la faiblesse que j'éprouve. 49 Cette nuit, je n'en pouvais plus; j'ai demandé à la Sainte Vierge de me prendre la tête dans ses mains pour que je puisse la sup
porter.
2
Restez avec moi, ma petite Mère, ça me fait comme un appui de vous avoir.
3
Sr Geneviève lui donna le crucifix. Elle l'embrassa sur le visage avec tendresse. Elle était belle à ce moment comme un ange. Ce crucifix avait la tête penchée, elle dit en le contemplant:
Il est mort, Lui! J'aime mieux qu'on le représente mort, parce que je pense qu'il ne souffre plus.
4
Elle demandait certains soins qui lui coûtent beaucoup, mais que le docteur et Notre Mère avaient recommandés. Sr Geneviève lui dit comme à un petit enfant: « Qui est-ce qui a demandé cela à « bobonne » 50 .
C'est « bébé » , par fidélité.
5
Elle caressait Théophane Vénard sur les deux joues. ( L'image était attachée au rideau, un peu loin d'elle. )
Pourquoi le caressez-vous ainsi?
Parce que je peux pas l'embrasser.
6
A Sr Marie de l'Eucharistie:
Il ne faut pas s'asseoir ainsi de travers sur les chaises; c'est écrit.
7
A Sr Geneviève qui arrangeait ses oreillers sans prendre garde aux images du rideau:
Attention au petit Théophane!
8
On parlait trop quand on se trouvait réunies toutes les trois près d'elle; cela la fatiguait, parce qu'on lui faisait trop de questions à la fois.
« Qu'est-ce que vous voulez que nous disions aujourd'hui? »
... Faudrait pour bien faire qu'on ne dise rien du tout, parce qu'à dire vrai, « y a » rien à dire.
« Tout est dit. N'est-ce pas? » avec un joli petit signe de tête:
Oui!
9
N'importe ce que vous me dites, les choses les plus insignifiantes: vous me faites l'effet d'un gracieux troubadour qui chante ses légendes toujours sur de nouveaux airs.
Et elle faisait de petits suppements pour me faire voir qu'elle buvait mes paroles.
10
... Je ne souffre qu'un instant. C'est parce qu'on pense au passé et à l'avenir qu'on se décourage et qu'on désespère.
1
A Sr Geneviève, d'un ton d'enfant:
Vous savez bien que vous soignez un « bébé » à la mort... Et puis
( montrant son verre )
il faudrait mettre quelque chose de bon dans le grand verre , parce que « bébé » a beaucoup goût de pourri dans la bouche.
2
Elle avait demandé qu'on l'embrasse peu, parce que l'haleine la fatiguait, étant si faible.
Peut on vous faire seulement une petite caresse?
Oui, parce que les mains ça ne respire pas.
3
On lui parlait des ennuis que donnait aux infirmières la pauvre Mère Coeur de Jésus 51
Oh! que j'aurais bien voulu être infirmière, pas par nature mais par un attrait de grâce ». Et qu'il me semble que j'aurais rendu la Mère C. de Jésus heureuse! Oui, j'aurais eu du goût pour tout cela... Et j'y aurais mis tant d'amour, en pensant à la parole du bon Dieu: « J'étais malade et vous m'avez soulagé. » Mt 25,36 C'est encore rare de trouver cette belle occasion là au Carmel.
4
D'un petit air gai et malin:
Je serai bientôt dans les horreurs du tombeau! Et vous y serez un jour aussi, ma petite Mère!... Et, en vous voyant arriver auprès de moi, « mes os humiliés tressailliront d'allégresse. » Ps 5,10
5
... Aussitôt que « j'vé du bère » (à boire ) ça me fait ça. (Elle tousse et dit à son verre d'eau de Bottot: C'est pas pour « bère »!
A part:
- Il ne comprend pas! -
plus haut:
C'est pas pour «bère j'te dis »!
6
Elle ne pouvait plus voir le lait que d'ailleurs elle n'avait jamais pris avec plaisir et qui, alors, lui causait une extrème répugnance. Je lui dis: « Boiriez-vous bien cette tasse pour me sauver la vie?
Oh! oui!... Eh bien, regardez, et je ne la prendrais pas pour l'amour du bon Dieu?
Et elle but la tasse d'un trait.
7
Nous faisions nos réflexions à propos de la marque du manteau d'infirmerie. + F.
Non, ça ne signifie pas ce que vous dites. Ça veut dire qu'il faut qu'on porte la croix ( + ), pour aller après plus haut que le firmament ( F )
8
Quand je souffre beaucoup, je suis contente que ce soit moi; je suis contente que ce ne soit pas une de vous.
9
« C'est avec toi que je me plais le mieux, ma bonne Clarisse. »
(Parole adressée à Mère Geneviève par son petit frère.) 52
10
A propos de la Communion qu'elle sentait bien ne pouvoir plus faire désormais, et par suite de bien des réflexions qu'elle entendit à ce sujet, cette journée fut une journée d'angoisses et de tentations que je devinais terribles.
NOTE CONJOINTE:
Les - CAHIERS VERTS - explicitent:
Elle eut de pénibles angoisses ce jour-là. Voici pourquoi:
La communion qu'elle désirait tant autrefois lui devint un sujet de tourment pendant sa maladie. A cause des vomissements, de l'oppression, de la faiblesse, elle craignait des accidents et aurait voulu que nous lui disions de ne point la faire. D'elle-même elle ne voulait pas prendre cette responsabilité mais comme elle ne disait rien, nous croyions lui être agréables en insistant pour qu'elle fît la Communion. Elle continuait à se taire, mais ce jour-là n'y tenant plus, elle fondit en larmes.
Nous ne savions à quoi attribuer ce chagrin et nous la conjurions de nous le dire. Mais l'oppression produite par ses sanglots était si violente que, non seulement elle ne put nous répondre mais qu'elle nous fit signe de ne plus lui dire une seule parole, ni même de la regarder.
Au bout de plusieurs heures, étant restée seule près d'elle, j'osai m'approcher et je lui dis que j'avais très bien deviné le sujet de ses larmes. Je la consolai de mon mieux, elle semblait prête à mourir de douleur. Jamais je ne l'avais vue dans de semblables angoisses.
Elle ne fit plus la Sainte Communion jusqu'à sa mort. Le 19 août, jour de sa dernière Communion et fête de St Hyacinthe, elle l'avait offerte pour la conversion du malheureux Père Hyacinthe. Cette conversion l'avait occupée toute sa vie.
Elle me demanda dans l'après midi de garder le silence pendant quelque temps et même de ne pas la regarder. Elle me dit tout bas:
Je pleurerais trop si je vous racontais tout de suite mes peines , et je suis si oppressée que j'étoufferais certainement.
Après un silence d'au moins une heure, elle me parla, mais en mettant devant ses yeux l'écran qu'on lui avait donné pour les mouches, car elle était encore trop émue.
11
Elle me parla de la lettre d'un prêtre qui disait que la Sainte Vierge ne connaissait pas par expérience les souffrances physiques.
En regardant la Sainte Vierge ce soir, j'ai compris que ce n'était pas vrai; j'ai compris qu'elle avait souffert non seulement de l'âme, mais aussi du corps. Elle a souffert beaucoup dans les voyages, du froid, de la chaleur, de la fatigue. Elle a jeûné bien des fois. ... Oui, elle sait ce que c'est que de souffrir. ... Mais c'est peut-être mal de vouloir que la Sainte Vierge ait souffert? Moi qui l'aime tant!
12
Elle était très oppressé.
Depuis quelque temps, elle trouvait dans ces oppressions si pénibles une sorte de soulagement en jetant comme un petit cri régulier 53 soit: « Oh! là là! » ou « Agne! Agne! »
C'est quand l'oppression vient d'en bas que je dis: « Agne! Agne! » mais ce n'est pas gentil, cela me déplaît; maintenant je dirai: Anne! Anne!.
On mettra cela dans votre circulaire.
Ça ferait l'effet d'une recette de cuisine!
13
C'est vous qui m'avez donné la consolation d'avoir le portrait de Théophane Vénard; elle est extrêmement grande: Mais c'est qu'il aurait très bien pu ne pas me plaire!... Mais il est « très plaisant », il est « très aimable ».(1)
NOTE CONJOINTE
(1) Expression qu'elle avait entendue et qui l'amusait.
14
Que ce sera gentil de connaître au Ciel tout ce qui s'est passé dans la Sainte Famille! Quand le petit Jésus commença à grandir, peut-être qu'en voyant jeûner la Sainte Vierge, il lui disait: « Moi je voudrais bien jeûner aussi. » Et la Sainte Vierge répondait: « Non, mon petit Jésus, tu es trop petit encore, tu n'as pas la force. » Ou bien peut-être n'osait-elle pas l'en empêcher. Et le bon St Joseph! Oh! que je l'aime! Lui ne pouvait pas jeûner à cause de ses travaux. Je le vois raboter, puis s'essuyer le front de temps en temps. Oh! qu'il me fait pitié! Comme il me semble que leur vie était simple! Les femmes du pays venaient parler à la Sainte Vierge familièrement. Quelquefois elles lui demandaient de leur confier son petit Jésus pour aller jouer avec leurs enfants. Et le petit Jésus regardait la Sainte Vierge pour savoir s'il devait y aller. Quelquefois même les bonnes femmes allaient tout droit à l'Enfant Jésus et lui disaient sans cérémonie: « Viens jouer avec mon petit garçon » etc. ... Ce qui me fait du bien quand je pense à la Sainte Famille, c'est de m'imaginer une vie toute ordinaire. Pas tout ce qu'on nous raconte, tout ce qu'on suppose. Par exemple que l'Enfant Jésus après avoir pétri des oiseaux de terre soufflait dessus et leur donnait la vie. Ah! mais non, le petit Jésus ne faisait pas de miracles inutiles comme ça, même pour faire plaisir à sa Mère. Ou bien alors pourquoi n'ont-ils pas été transportés en Egypte par un miracle qui eût été autrement nécessaire et si facile au bon Dieu. En un clin d'oeil, ils auraient été rendus là. Mais non, tout dans leur vie s'est fait comme dans la nôtre. Et combien de peines, de déceptions! Combien de fois a-t-on fait des reproches au bon St Joseph! Combien de fois a-t-on refusé de payer son travail! Oh! comme on serait étonné si on savait tout ce qu'ils ont souffert! etc. etc.
Elle m'a parlé très longuement sur ce sujet et je n'ai pu tout écrire. 54
15
... Je voudrais être sûre qu'elle m'aime, la Sainte Vierge.
16
... Quand on pense que j'ai eu tant de mal toute ma vie à dire mon chapelet! 55
Quand j'ai reçu l'absolution, au lieu de me perdre en prières pour remercier le bon Dieu, je pense tout simplement avec reconnaissance qu'il m'a mis une petite robe bien blanche et m'a changée de sarreau. Ni l'une ni l'autre n'était bien sale, mais c'est égal, mes petits habits sont plus brillants et je suis mieux vue de tout le Ciel.
18
On ne se doute pas que Sr Marie du Sacré Coeur étant provisoire m'a fait faire bien des mortifications. Elle m'aime tant que j'avais l'air bien gâtée; mais la mortification est plus grande dans ce cas là. ...Elle me soignait selon ses goûts absolument opposés aux miens.
1
Elle souffrait beaucoup et je la regardais à genoux le coeur bien triste.
Petits yeux tristes, pourquoi?
- Parce que vous souffrez tant!
Oui, mais paix aussi, paix!
2
... Il n'y a plus rien que dodo pour « bébé »... tout, tout fait souffrir!
Presque aussitôt elle se remit à tousser et ne put s'endormir.
Même plus de dodo pour bébé! C'est fini! J'étoufferai une nuit, je le sens bien!
3
Que j'aurais donc bien voulu être prêtre pour prêcher sur la Sainte Vierge! Une seule fois m'aurait suffi pour dire tout ce que je pense à ce sujet. J'aurais d'abord fait comprendre à quel point on connaît peu sa vie. Il ne faudrait pas dire des choses invraisemblables ou qu'on ne sait pas; par exemple que, toute petite, à trois ans, la Sainte Vierge est allée au Temple s'offrir à Dieu avec des sentiments brûlants d'amour et tout à fait extraordinaires; tandis qu'elle y est peut-être allée tout simplement pour obéir à ses parents. Pourquoi dire encore, à propos des paroles prophétiques du vieillard Siméon, que la Sainte Vierge, à partir de ce moment là a eu constamment devant les yeux la passion de Jésus? « Un glaive de douleur transpercera votre âme » avait dit le vieillard. Ce n'était donc pas pour le présent, vous voyez bien, ma petite Mère; c'était une prédiction générale pour l'avenir. Pour qu'un sermon sur la Ste Vierge me plaise et me fasse du bien, il faut que je voie sa vie réelle, pas sa vie supposée; et je suis sûre que sa vie réelle devait être toute simple. On la montre inabordable, il faudrait la montrer imitable, faire ressortir ses vertus, dire qu'elle vivait de foi comme nous, en donner des preuves par l'Evangile où nous lisons: « lls ne comprirent pas ce qu'il leur disait. » Et cette autre, non moins mystérieuse: « Ses parents étaient dans l'admiration de ce qu'on disait de lui. » Cette admiration suppose un certain étonnement, ne trouvez-vous pas, ma petite Mère? On sait bien que la Sainte Vierge est la Reine du Ciel et de la terre, mais elle est plus Mère que reine, et il ne faut pas dire à cause de ses prérogatives qu'elle éclipse la gloire de tous les saints, comme le soleil à son lever fait disparaître les étoiles. Mon Dieu! que cela est étrange! Une Mère qui fait disparaître la gloire de ses enfants! Moi je pense tout le contraire, je crois qu'elle augmentera de beaucoup la splendeur des élus C'est bien de parler de ses prérogatives, mais il ne faut pas dire que cela, et si, dans un sermon, on est obligé du Commencement à la fin de s'exclamer et de faire Ah! ah! on en a assez! Qui sait si quelque âme n'irait pas même jusqu'à sentir alors un certain éloignement pour une créature tellement supérieure et ne se dirait pas: « Si c'est cela, autant aller briller comme on pourra dans un petit coin! » Ce que la Sainte Vierge a de plus que nous, c'est qu'elle ne pouvait pas pécher, qu'elle était exempte de la tache originelle, mais d'autre part, elle a eu bien moins de chance que nous, puisqu'elle n'a pas eu de Sainte Vierge à aimer; et c'est une telle douceur de plus pour nous, et une telle douceur de moins pour elle! Enfin j'ai dit dans mon Cantique: « Pourquoi je t'aime, ô Marie. Lc 2,19 57 tout ce que je prêcherais sur elle.
1 C'est la fête de bon papa aujourd'hui
( St Joachim )
2
O ma petite Mère, qu'est-ce que je deviendrais si le bon Dieu ne me donnait pas la force? Il n'y a plus que les mains 58 ... On ne sait pas ce que c'est que de souffrir comme cela. Non, il faut le sentir.
3
...On vous a trouvée imparfaite en telle occasion... avec satisfaction:
Oh! bien, tant mieux!
4
Du côté des intestins et... d'ailleurs, elle souffrait violemment, on craignit la gangrène. ( a )
NOTE CONJOINTE:
( a ) Les CAHIERS VERTS précisent (CV, I, pp. 8-9):
(...) elle est prise de terribles douleurs dans les intestins, elle a le ventre dur comme une pierre, les fonctions ne se font plus qu'avec d'affreuses souffrances. Si on l'assied pour éviter une oppression plus grande lorsqu'elle tousse longtemps, elle se croît assise « sur des fers pointus ». Elle conjure que l'on prie pour elle, parce que, dit-elle « c'est à en perdre la raison ».
Elle demande qu'on ne laisse pas à sa portée les médicaments poison pour l'usage externe et conseille qu'on n'en laisse jamais près des malades qui souffriraient les mêmes tortures, toujours pour ce motif que « c'est à en perdre la raison » et que ne sachant plus ce que l'on fait, on pourrait très bien se donner la mort.
Que d'ailleurs, si elle n'avait pas eu la foi, elle n'aurait pas hésité un instant à se donner la mort.
... Eh bien, ça vaut mieux, tant qu'à faire de souffrir beaucoup et de partout, d'avoir plusieurs maladies ensemble. C'est comme en voyage, où l'on supporte toutes sortes d'incommodités, sachant bien que ça va finir promptement et qu'une fois le but atteint on n'en jouira que davantage.
5
Sur une réflexion qu'on lui faisait ( je ne me rappelle plus pourquoi )
Croyez-vous que la Sainte Vierge a fait des contorsions comme Ste Madeleine! 59 Ah mais non, ça n'aurait pas été gentil. C'est bon pour moi « d'hoqueter »!
6
Elle avait renversé du tilleul sur le lit; on lui disait pour la consoler que cela ne faisait rien. D'un air de dire qu'il fallait qu'elle souffre de toute manières:
ah! çà ne fait rien, non!
7
Elle m'a regardée pendant l'oraison, puis son image de Théophane Vénard de son regard si doux et si profond.
Quelque temps après elle voulut parler pour me faire plaisir car elle pouvait à peine respirer. Je lui dis de garder le silence.
Non il ne faut pas que je parle?... Mais... je croyais... Je vous aime tant!... Je vais être mignonne... O ma petite Mère!
8
On voulait l'empêcher de faire des frais pour nous consoler:
Faut me laisser faire mes petites « singeries ».
9
J'ai éprouvé du plaisir à penser qu'on priait pour moi, alors j'ai dit au bon Dieu que je voulais que ce soit appliqué aux pécheurs.
- Vous ne voulez donc pas que ce soit pour votre soulagement?
Non!
10
Elle souffrait beaucoup et gémissait.
Ma petite Mère!... Oui!... je veux bien!... ... Il ne faut plus que je me plaigne, ça ne sert à rien. Priez pour moi, mes petites soeurs, mais pas à genoux, assises.
( Nous étions à genoux. )
1 Je n'avais pas encore passé une aussi mauvaise nuit. Oh! qu'il faut que le bon Dieu soit bon pour que je puisse supporter tout ce que je souffre! Jamais je n'aurais cru pouvoir souffrir autant. Et pourtant je crois que je ne suis pas au bout de mes peine
s; mais Il ne m'abandonnera pas.
2
Vous avez chanté à la Ste Vierge:
« Tout ce qu'il m'a donné, Jésus peut le reprendre,
Dis lui de ne jamais se gêner avec moi. » 60
Elle l'a dit et il vous prend au mot.
J'en suis contente et je ne me repens pas.
3
... Non, le bon Dieu ne me fait pas pressentir une mort prochaine, mais des souffrances beaucoup plus grandes... Mais je ne me tourmente pas, je ne veux penser qu'au moment présent.
4
Je lui disais qu'on m'avait donné une grande couverture pour l'hiver, qu'elle était vraiment trop grande.
Oh! mais non, on n'a jamais trop chaud l'hiver. ... Vous aurez froid, quand moi « j'aurai » pas froid! Ça me fait pitié.
5
Baisez-moi sur le front.
A Sr Geneviève:
Priez bien la Sainte Vierge pour moi, vous qui êtes ma petite infirmière, car si vous étiez malade, je prierais tant pour vous! Mais quand c'est pour soi, on n'ose pas.
6
Elle avait offert ses souffrances pour M. l'Abbé de Cornière, alors séminariste, 61 et très tenté. Il l'avait appris et écrivit une lettre des plus humbles et des plus touchantes.
Oh! que cette lettre m'a apporté de consolation! J'ai vu que mes petites souffrances portaient du fruit. Avez-vous remarqué les sentiments d'humilité qu'elle exprime? C'est justement cela que je désirais. ... Et que cela me fait de bien de voir comme en si peu de temps on peut avoir tant d'amour et de reconnaissance pour une âme qui vous a fait du bien et que vous ne connaissiez pas jusque là. Qu'est-ce que ce sera donc au Ciel quand les âmes connaîtront celles qui les auront sauvées?!
7
Au milieu de ses souffrances si grandes:
Ma petite Mère!... Ma petite Mère!... Oh!... Oh!... Oui!... Maman! maman! maman!...
8
... Quand on a prié la Sainte Vierge et qu'elle ne nous exauce pas, c'est signe qu'elle ne veut pas. Alors il faut la laisser faire à son idée et ne pas se tourmenter.
9
Elle me disait que tout ce qu'elle avait entendu prêcher sur la Sainte Vierge ne l'avait pas touchée.
Que les prêtres nous montrent donc des vertus pratiquables! C'est bien de parler de ses prérogatives, mais il faut surtout qu'on puisse l'imiter. Elle aime mieux l'imitation que l'admiration, et sa vie a été si simple! Quelque beau que soit un sermon sur la Sainte Vierge, si l'on est obligé tout le temps de faire: Ah!... Ah!... on en a assez. Que j'aime à lui chanter:
L'étroit chemin du Ciel tu l'as rendu visible
( Elle disait: facile )
En pratiquant toujours les plus humbles vertus. 62
10
...Maman!... Ah! je me plains toujours!... Voyons, mais!... Je veux bien pourtant être malade... mais c'est quand je tousse tout le temps et que je ne peux pas...
( On a cessé aujourd'hui le régime du lait )
J'ai caressé son front après matines:
Oh! que c'est doux!
1
Etes-vous découragée?
Non!... pourtant tout est pour le pire! A chaque respiration je souffre violemment. Enfin ce n'est pas encore à crier.
( Ce matin là, elle avait un air particulièrement doux et paisible ).
2
... Je voudrais si bien vous parler!... Quelle mortification!... Allez! ça me coûte.
3
... Ma petite Mère, voulez-vous que je vous parle tout de même?
( Je la gardais depuis longtemps en silence. )
Une demi-heure après, pendant la récréation:
Ma petite Mère!... ah! moi qui vous aime tant!
En se réveillant pendant Matines:
... Hélas! depuis le temps que je vous parle! Et je vois que vous n'en savez pas le premier mot!
( Elle m'avait expliqué son mal dans un cauchemar )
... Et maintenant, je sens la toux menaçante! Enfin!...
- Tout est pour le pire, n'est-ce pas?
Non, pour le mieux.
4
Je l'avais plainte, et sur la réflexion de Sr Geneviève que ça n'avançait pas à grand'chose:
Mais si! c'est justement ce qui soulage les malades.
1
Je lui disais mon désir de connaître la date de sa mort.
Ah! moi je ne le désire pas! Dans quelle paix je suis! Ca ne m'inquiète guère.
La porte de l'infirmerie était ouverte pendant le silence et Sr St Jean de la Croix entrait tous les soirs, et se mettant au pied du lit, la regardait en riant pendant assez longtemps. 63
Que cette visite est indiscrète et comme elle doit vous fatiguer!
Mais oui, c'est très pénible d'être regardée en riant quand on souffre. Mais je pense que Notre Seigneur sur la croix a bien été regardé ainsi au milieu de ses souffrances. C'était encore bien pire, car on se moquait vraiment de lui; n'est-il pas dit dans l'Evangile qu'on le regardait en branlant la tête? Cette pensée m'aide à lui offrir de bon coeur ce sacrifice. Mc 15,29
2
Comme vous souffrez! Oh! que c'est dur! Etes-vous triste?
Oh! non, je ne suis pas du tout malheureuse. Le bon Dieu ne donne juste ce que je peux porter. 64
3
On lui avait apporté de la part de ma tante de jolies branches de myosotis artificiels. On les mit à orner ses images.
Pendant le silence, d'un petit air enfantin et si gracieux:
J'avais envie qu'on me donne « quéque » chose, je ne m'analysais pas trop quoi ni pourquoi; mais j'avais envie; puis, on m'a donné ça.
4
Hélas, ma pauvre petite fille, vous pouvez bien dire: « Que mon exil est long! »
Mais, je ne le trouve pas long, moi; c'est pas parce que je souffre qu'il est plus long. Ps 120,5
5
Elle gémissait doucement.
... Oh! comme je me plains! pourtant je ne voudrais pas moins souffrir. 65
6
Elle nous conjurait de prier et de faire prier pour elle:
... Oh! comme il faut prier pour les agonisants! Si l'on savait Je crois que le démon a demandé au bon Dieu la permission de me tenter par une extrême souffrance , pour me faire manquer de patience et de foi.
C'est à Sr M. du Sacré Coeur qu'elle a parlé de l'hymne de Complies à propos des tentations de l'esprit de ténèbres et des fantômes de la nuit. 66
7
C'était la fête de St Louis, elle avait fait une prière fervente à papa, et sans être exaucée.
... Malgré ce que j'ai ressenti au premier moment, j'ai répété au bon Dieu que je l'aimais davantage et tous les saints aussi.
8
Je lui faisais part de ma tristesse en pensant à ce qu'elle aurait à souffrir encore:
Je suis prête à tout... Vous voyez pourtant que, jusqu'ici, je n'en ai pas eu au dessus de mes forces. ... Il faut s'abandonner. Je voudrais que vous vous réjouissez.
9
... Oh! oui, je veux bien! oui! mais c'est bien cela!...
Quoi donc?
J'étoufferai!
1
On lui avait laissé toute la nuit le cierge bénit allumé.
C'est à cause du cierge bénit que je n'ai pas passé une trop mauvaise nuit.
2
A Notre Mère, pendant l'oraison:
Je suis bien contente de n'avoir rien demandé au bon Dieu comme cela, il est forcé de me donner du courage. 67
3
Je lui disais qu'elle était faite pour beaucoup souffrir, que son âme était d'une trempe à cela:
Ah! souffrir de l'âme, oui, je puis beaucoup... mais pour la souffrance du corps, je suis comme un petit enfant, tout petit. Je suis sans pensée, je souffre de minute en minute. 68
4
Elle devait se confesser:
Ma petite Mère, j'aurais bien à vous parler, si je pouvais. Je ne sais pas s'il faut dire à Mr Youf que j'ai eu des pensées de gourmandise, parce que j'ai pensé à des choses que j'aime, mais je les offre au bon Dieu.
5
Elle étouffait.
... Ah! j'étoufferai!... Oui!...
(d'une voix douce et plaintive, le « oui » était comme un petit cri. )
6
Pendant Matines je lui disais de remuer à son aise pour trouver un petit peu de soulagement.
... Que c'est difficile avec ce que j'ai de trouver du soulagement!
7
Un point s'était défait dans le linge qui garnissait sa tunique.
J'essayais de le refaire mais c'était très difficile et je m'y prenais mal, je la fatiguais beaucoup, elle n'en pouvait plus et me dit ensuite:
O ma petite mère, comme il ne faut pas s'étonner qu'une pauvre infirmière se fâche quelquefois avec ses malades. Vous voyez comme je suis difficile! Que je vous aime!... Vous êtes bien douce. Je vous suis bien bien reconnaissante, j'en pleurerais bien!
8
Qu'elle est longue votre maladie, ma pauvre petite!
Oh! non, je ne la trouve pas longue. Quand ce sera fini, vous verrez que ça ne vous paraîtra pas long.
9
O ma petite Mère, comme il faut que le bon Dieu aide quand on souffre tant!
1
Oh! qu'on est malheureux quand on est malade!
Mais non, on n'est pas malheureux quand c'est pour mourir. Hélas! comme c'est drôle d'avoir peur de mourir! ... Enfin, quand on est marié, qu'on a un mari et des enfants, ça se comprend; mais moi qui n'ai rien !...
2
... Que je voudrais bien que Monseigneur ne vienne pas me voir... Enfin, c'est une grâce que la bénédiction d'un Evêque
En riant:
Si c'était seulement St Nicolas qui a ressuscité trois petits enfants!
( Mr Hugonin était à Lisieux. )
3
Est-ce que vous n'êtes pas étonnée, ma petite Mère, de la manière dont je souffre? ... Enfin, j'ai une grande paix au fond.
4
Vous n'avez rien pris depuis ce matin.
Rien pris! mais j'ai pris deux tasses de lait, je suis bourrée. Je suis une bourrée ", 69 « y a » pas besoin d'en acheter.
5
Je fais passer des nuits blanches à cette pauvre petite Sr Geneviève!
6
- Pendant la récréation de midi:
Vous m'avez dit ce matin que vous n'aviez rien, et vous avez des petites soeurs, une petite Mère.
- Non, je n'ai rien, parce que je ne les quitte pas, elles!
D'un petit air malin:
Tiens! si je pensais que je les quitte!
7
Hélas! si vous alliez être malade jusqu'au printemps prochain!
J'en ai peur, et que diriez-vous?
Eh bien je dirais tant mieux!
8
Elle eut un moment de grand soulagement dans l'après midi et nous dit toutes sortes de gentillesses.
9
Elle souffrait continuellement de la soif. Sr Marie du Sacré Coeur lui dit: Voulez-vous de l'eau glacée?
Oh! j'en ai bien envie!
- Notre Mère vous a obligée de demander tout ce qui vous est nécessaire.
Je demande en effet tout ce dont j'ai besoin.
NOTE CONJOINTE:
a) Les CAHIERS VERTS précisent (CV, I, p. 7):
Elle souffre encore extrêmement de la soif. « Je ne suis jamais désaltérée disait-elle. Si je bois, la soif augmente. C'est comme si je versais du feu à l'intérieur. » Tous les matins, sa langue est si desséchée qu'elle ressemble à une rape, à un morceau de bois.
- Vous ne demandez que le nécessaire? Jamais ce qui peut vous soulager?
- Non, le nécessaire seulement. Ainsi quand je n'ai pas de raisin je n'en demande pas.
Quelque temps après avoir bu elle regardait son verre d'eau glacée:
- Buvez encore un peu, lui dit-on.
Non? je n'ai pas la langue assez desséchée.
1
On a tourné le lit vers la fenêtre.
Oh! que je suis contente! Mettez-vous en face, ma petite Mère, pour que je vous voie bien.
2
Notre Mère et d'autres soeurs disaient qu'elle était jolie, on lui rapportait cela.
Ah! qu'est-ce que ça me fait! Ça me fait moins que rien ça m'ennuie. Quand on est si près de la mort, on ne peut pas avoir de joie de cela.
3
Pendant le silence de midi:
Tenez, voyez-vous là bas le trou noir ( sous les marronniers près du cimetière ) où l'on ne distingue plus rien; c'est dans un trou comme cela que je suis pour l'âme et pour le corps. Ah! oui, quelles ténèbres! Mais j'y suis dans la paix.
4
Elle n'en pouvait plus et gémissait.
Je crois que le bon Dieu serait plus content si je ne disais rien.
5
Ma petite Mère, prenez-moi cette jolie petite affaire blanche.
Qu'est-ce que c'est?
C'est parti! C'est une jolie petite chose qui vole pendant l'été.
( une graine )
6
Regardant par une petite fente du rideau la statue de la Sainte Vierge en face d'elle. 70
Tiens! elle me guette!
7
J'aime beaucoup les fleurs, les roses, les fleurs rouges et les belles marguerites roses.
8
Quand elle toussait et faisait le moindre mouvement dans son lit, les branches de myosotis remuaient autour de ses images.
Les petites fleurs tremblent avec moi, ça me plaît.
9
... Ma bonne Sainte Vierge, voilà ce qui me donne envie de m'en aller: Je fatigue trop mes petites soeurs, et puis je leur fais de la peine en étant si malade... Oui, je voudrais m'en aller!
10
Après Matines.
O ma bonne Sainte Vierge, ayez pitié de moi... « de cette fois »!
Thérèse EJ Carnet Jaune 818