Chrysostome sur Gn 4900

QUARANTE-NEUVIÈME HOMÉLIE. « Voici qu’elle fut la postérité d’Isaac, fils d’Abraham.» (@+Gn 25,19@).

4900
ANALYSE.

1. L'exemple d'Isaac prouve qu'il faut prier avec persévérance, et ne pas scruter trop curieusement les desseins de Dieu. — 2. Pour des causes mystérieuses, Dieu refuse quelquefois la fécondité aux femmes justes; la fécondité miraculeuse des femmes naturellement stériles aide les esprits à croire à l'enfantement d'une vierge. — 3. La prière d'Isaac dure vingt ans.


4901 1. Je veux encore vous conduire à la table que vous connaissez, et vous servir le festin que nous présentent les paroles de Moïse, disons mieux, les paroles de l'Esprit-Saint. Car; ce n'est pas de lui-même que Moïse nous a parlé, mais parce que l'Esprit-Saint l'inspirait. Voyons donc ce qu'il veut encore nous apprendre aujourd'hui. Ce n'est pas sans motif, sans un but déterminé, qu'il nous propose les vies des hommes justes ; il veut que nous imitions leurs vertus, que nous reproduisions leurs bonnes oeuvres. Après nous avoir raconté, avec tant d'exactitude, ce qui concerne le patriarche Abraham ; après nous avoir fait connaître le dernier combat qu'il soutint pour immoler son fils, son fils unique ; après nous avoir fait comprendre comment ce sacrifice à Dieu, s'il ne fut pas accompli d'une manière réelle, s'est pourtant achevé dans la volonté, il met un terme à ces récits, et nous expose maintenant ce qui concerne Isaac, immolé sans être immolé. En effet, ce qui s'est passé ressemble à une énigme; écoutez ce que dit Paul : C'est par la foi qu'Abraham offrit Isaac, lorsque Dieu voulut le tenter, car c'était son fils unique qu'il offrait, lui qui avait reçu les promesses (He 11,17). Et ensuite, pour nous apprendre qu'Abraham accomplissait tout cela par la foi; que des ordres qui paraissaient en contradiction avec la promesse, ne troublaient pas pourtant sa raison, il ajoute : Ainsi il le recouvra comme d'entre les morts (He 11,19). Que signifie cette parole, et il le recouvra comme d'entre les morts? c'est qu'après l'avoir offert en sacrifice, après avoir manifesté la perfection de sa sagesse, il reçut la couronne, il revint avec l'enfant; le sacrifice s'acheva en réalité, en immolant une brebis, et le Créateur de tous les êtres montra, en toutes ces choses, l'excellence de sa bonté. Il fit voir que, par cet ordre, il avait voulu, non faire périr Isaac, mais mettre à l'épreuve l'obéissance de l'homme juste. Autre récit maintenant. Nous avons vu le patriarche faire briller en toutes choses sa vertu, eh bien ! exposons aujourd'hui les paroles qui se rapportent à Isaac. Voyons comment, lui aussi, a montré en toutes choses, la piété de son âme; il est bon d'écouter les paroles mêmes de l'Ecriture. Voici, dit le texte, quelle fut la postérité d'Isaac, fils d'Abraham. Abraham engendra Isaac, lequel ayant quarante ans épousa Rébecca, fille de Bathuel, syrien de Mésopotamie, et soeur du syrien Laban (Gn 25,20). Considérez, je vous en prie, mon bien-aimé, l'exactitude de la divine Ecriture, qui n'emploie aucune parole superflue. En effet, pourquoi nous montre-t-elle l'âge d'Isaac? pourquoi ces paroles, lequel ayant quarante ans, épousa Rébecca ? Ce n'est pas sans dessein, ce n'est pas au hasard ; mais, (332) comme elle veut ensuite nous raconter la stérilité de Rébecca, nous faire savoir qu'elle dut sa fécondité aux prières du juste, elle tient à nous apprendre la grandeur de la patience d'Isaac, à nous montrer clairement tout le temps qu'il passa sans avoir d'enfant. Et c'est afin que nous, de notre côté, rivalisant avec ce juste, nous soyons assidus à prier le Seigneur, si nous avons quelque demande à lui adresser. En effet, s'il est vrai que ce juste, doué d'une vertu si grande, jouissant auprès de Dieu de tant de faveur, ait montré tant de constance et tant de zèle, priant Dieu sans cesse de mettre un terme à la stérilité de Rébecca, que pourrons-nous dire, nous qui, accablés du fardeau si lourd de tant de péchés, n'ayant pas à montrer la moindre des vertus de ce juste, après quelques moments de zèle et d'application à la prière, retombons bien vite dans notre engourdissement, dans notre torpeur, si nous ne sommes pas tout de suite exaucés? c'est pourquoi, je vous en prie, instruits par ce qui est arrivé à ce juste, prions Dieu sans relâche de nous pardonner nos péchés; montrons-lui un zèle qui nous brûle, qui nous dévore; ne nous indignons pas, ne nous décourageons pas, si nous ne sommes pas tout de suite exaucés. Car peut-être, oui peut-être, le Seigneur, dans sa sagesse, ne nous force de montrer l'activité de notre zèle; ne nous exerce, ne nous fait attendre, que parce qu'il nous ménage le salaire de notre patience, et parce qu'il sait l'époque où il nous est utile d'obtenir ce que nous souhaitons avec tant d'ardeur. En effet, nous ne connaissons pas nos intérêts, aussi bien que lui-même, qui sait jusqu'aux secrètes pensées de chacun. Donc, il convient de ne pas rechercher avec trop de curiosité, de ne pas discuter sans fin les choses que Dieu opère, mais il faut montrer notre sagesse et admirer les vertus des justes. Après que la divine Ecriture nous a dit l'âge d'Isaac, elle nous apprend de Rébecca, sa femme, qu'elle était stérile. Considérez, je vous en prie, la piété de l'homme juste; quand il reconnut l'infirmité de la nature, il se réfugia auprès de l'Ouvrier qui l'a faite, et il s'empressa de délier par la prière les liens qui tenaient la nature enchaînée. En effet, dit le texte, Isaac pria le Seigneur pour sa femme Rébecca, parce qu'elle était stérile (Gn 25,21). Avant tout, ce qui mérite d'être recherché, c'est pourquoi, lorsque cette femme avait une conduite admirable, lorsque son mari lui ressemblait, lorsqu'ils étaient tous deux si fortement attachés à la vertu, elle était stérile. Nous ne pouvons pas critiquer leur vie et dire que la stérilité était ici une punition des péchés. Et apprenez une chose étonnante, non seulement cette épouse du patriarche était stérile, mais la mère de cet homme juste, Sara l'était aussi ; et non seulement sa mère, mais sa belle-fille, la femme de Jacob, je parle de Rachel. Que signifie donc cette compagnie de femmes stériles? Tous ces personnages sont des justes; tous, doués de vertu; tous approuvés de Dieu; car c'est d'eux qu'il disait : Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob (Ex 3,6). Et le bienheureux Paul dit : Dieu ne rougit point d'être appelé leur Dieu (He 11,16). Leur éloge se rencontre souvent dans le Nouveau Testament, souvent dans l'Ancien ; ils étaient à tous égards,  fameux, illustres, et tous eurent des femmes stériles, et pendant longtemps ils n'ont pas eu d'enfant.

4902 2. Donc, lorsque vous voyez un homme, une femme, deux êtres vivant dans la vertu, et à qui des enfants sont refusés; quand vous voyez des personnes pieuses, attachées à la religion et n'ayant pas d'enfant, gardez-vous de croire que ce soit l'effet du péché. C'est qu'il y a, dans le gouvernement de Dieu, bien des raisons qui nous échappent, et, quoi qu'il arrive, il faut le bénir. Et nous ne devons considérer comme malheureux, que ceux qui vivent dans la corruption et non pas ceux qui n'ont point d'enfant. Bien souvent Dieu dispose les événements dans notre intérêt ; mais nous ne saisissons pas ces causes cachées. Voilà pourquoi nous devons toujours admirer sa sagesse, glorifier son ineffable bonté. Nous vous adressons ces paroles pour que vous en fassiez votre profit, pour que vous développiez en vous la sagesse, pour que vous n'alliez pas scruter curieusement les desseins de Dieu. Cependant, il faut vous dire pourquoi ces femmes étaient stériles. Quelle en est donc la cause ? Il fallait qu'en voyant une vierge enfanter notre commun Seigneur, vous ne fussiez pas incrédules. Exercez, semble dire la sainte Ecriture, la subtilité de votre esprit, faites vos réflexions sur la stérilité, afin que, quand vous aurez appris que la nature retenue par des liens, que des flancs qui étaient morts, se sont prêtés par la grâce de Dieu, à l'enfantement de la vie édifiés par des preuves sans nombre, vous ne vous (333) étonniez pas qu'une vierge ait enfanté. Je me trompe, étonnez-vous : Soyez frappés d'admiration, mais ne refusez pas votre croyance au miracle. Donc, si un juif vous dit: Comment a-t-elle pu enfanter, celle qui était vierge? répondez-lui : Comment a-t-elle pu enfanter, celle qui était stérile et avancée en âge? Il y avait deux empêchements alors, et l'âge qui ne s'y prêtait pas, et le défaut de la nature. La vierge au contraire ne nous montre qu'un empêchement, à savoir qu'elle ne connaissait pas l'oeuvre du mariage. Donc, la femme stérile prépare la voie à la vierge. Et ce qui vous prouve que l'antique stérilité avait pour but d'assurer la foi à l'enfantement virginal, écoutez les paroles de Gabriel à la Vierge. En effet, il se présente et lui dit : Vous concevrez dans votre sein et vous enfanterez un fils à qui vous donnerez le nom de Jésus (Lc 1,31). Elle s'étonne, elle admire, elle lui répond : Comment cela se fera-t-il, car je ne connais point d’homme? (Lc 1,34). Que lui dit l'ange alors? Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre (Lc 1,35). Ne vous préoccupez pas, lui dit-il, des règles ordinaires de la nature, puisque ce qui arrive est supérieur à la nature. Ne pensez pas aux enfantements ordinaires, puisque la naissance qui s'apprête est supérieure à la génération par la voie du mariage. Et comment cela se fera-t-il, dit-elle, car je ne connais point d'homme? Cela se fera précisément parce que vous ne connaissez point d'homme; car, si vous connaissiez un homme, vous n'auriez pas été jugée digne de servir à ce ministère. C'est pourquoi la raison qui vous fait douter, est précisément la raison de croire. Ce n'est pas que le mariage soit un mal, mais c'est que la virginité vaut mieux. Notre-Seigneur devait choisir, pour son avènement dans le monde, une entrée plus auguste que la nôtre ; il y fait une royale entrée. Il fallait que sa naissance ressemblât à la nôtre, et différât de la. nôtre; et ce double caractère s'est rencontré. Comment cela ? écoutez. Sortir des flancs maternels, voilà en quoi sa naissance ressemble à la nôtre ; et maintenant, naître sans que la naissance soit un effet du mariage, voilà ce qui est supérieur à la naissance humaine. La grossesse, voilà un fait naturel; la grossesse sans l'oeuvre du mariage, voilà ce qui est supérieur à la nature humaine. Et ces deux circonstances ont pour but de vous apprendre, et ce que cette naissance présente de distinction sublime, et ce qu'elle nous montre qui ressemble à notre nature. Et maintenant, considérez encore toute la sagesse qui a opéré ces merveilles ; ni l'excellence n'a empêché la ressemblance, la parenté avec nous; ni cette parenté avec nous, cette ressemblance, n'a contrarié en rien l'excellence et l'infinie supériorité. Les oeuvres qui se sont accomplies, ont réuni ces deux caractères : d'une part, ressemblance parfaite avec nous ; d'autre part, complète différence. Mais maintenant, que disais-je ? S'il y a eu des femmes stériles, c'était pour assurer la foi à l'enfantement virginal ; c'était pour que la vierge elle-même fût amenée à croire à la promesse. Écoutez, en effet, ce que lui dit l'ange de Dieu : Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. Voilà comment, dit-il, vous pourrez enfanter. Tout s’accomplira par le Saint-Esprit. Ne tenez donc pas vos regards abaissés sur la terre; c'est du ciel que vient la vertu qui opère ; c'est la grâce de l'Esprit qui produit ce qui arrive. Ne vous préoccupez donc pas de la nature ordinaire ; ne considérez plus les simples lois du mariage. Mais, comme ces paroles dépassent sa portée, il y ajoute encore une autre démonstration.

4903 3. Quant à vous maintenant, mon bien-aimé, voyez comment la femme stérile conduit, pour ainsi dire, comme parla main, la Vierge à la foi en son enfantement. Comme la première démonstration était trop forte pour l'esprit de la Vierge, voyez l'ange accommodant son discours à la portée de son intelligence, la conduisant, comme par la main, à l'aide de choses sensibles. Et sachez, dit-il, qu'Élisabeth, votre cousine, a conçu aussi, elle-même, un fils dans sa vieillesse, et que c'est maintenant le sixième mois, pour celle qui est appelée stérile (Lc 1,36). Voyez-vous qu'il n'est ici question de la femme stérile qu'à cause de la Vierge? Car autrement, pourquoi lui aurait-il parlé de l'enfantement de sa cousine ? Pourquoi, de même, lui aurait-il dit ces mots, qui est appelée stérile? Il est évident que toutes ces paroles avaient pour but de l'amener à croire à l'annonciation. Voilà pourquoi il lui dit le temps qu'a déjà duré la grossesse, pourquoi il lui parle de la stérilité; pourquoi il a attendu jusqu'à ce moment pour lui annoncer la conception. Car, il ne la lui a pas révélée tout de suite, dès le principe ; il a attendu six mois, afin que (334) le gonflement du ventre montrât la conception. Et, voyez toute l'adresse de Gabriel. En effet, il ne lui rappelle ni Sara, ni Rébecca, ni Rachel. Par quelle raison et dans quelle intention? Ces femmes aussi furent stériles jusque dans leur vieillesse, et un grand miracle s'est accompli en elles. Mais tous ces récits étaient de vieilles histoires, et l'ange lui parle d'un événement récent, pour mieux assurer sa foi.

Mais il nous faut revenir au sujet de notre discours, et montrer la vertu de l'homme juste, et vous apprendre comment ses prières ont fait cesser la stérilité de Rébecca, ont brisé les liens de la nature. Isaac, dit le texte, pria le Seigneur pour sa femme Rébecca, parce qu'elle était stérile, et le Seigneur l'exauça. N'allez pas croire, parce que le texte met tout de suite, l'effet après la cause, qu'il ait tout de suite obtenu ce qu'il désirait, avec tarit d'ardeur. Vingt ans de prière persévérante, vingt ans, et ce ne fut qu'alors qu'il obtint ce qu'il demandait. Et comment le savons-nous ? Qui nous. le prouvera ? Le soin que nous prendrons de parcourir la suite de la divine Ecriture. En effet, le temps ne nous a pas été caché; l'Ecriture nous l'a indiqué, à mois couverts sans doute, mais de manière pourtant à provoquer notre désir, à nous pousser, à nous exciter à faire cette recherche, comme il convient. Car, de même qu'elle nous a appris l'âge d'Isaac, quand il épousa Rébecca, de même, aussi, nous montre-t-elle ce que nous voulons savoir. Isaac avait quarante ans, quand il épousa Rébecca, fille de Bathuel le syrien. Vous savez exactement le temps. Ensuite l'Ecriture dit: Isaac pria le Seigneur pour sa femme, parce qu'elle était stérile. Et, après ces mots, pour nous faire savoir le nombre des années que nous cherchons, elle nous marque l'âge d'Isaac, quand Rébecca lui donna ses fils. En effet, dit le texte : Isaac avait soixante ans, lorsque Rébecca le mit au monde (Lc 26). Si donc, il avait quarante ans, quand il l'épousa, et soixante, quand elle lui donna ses enfants, il est manifeste qu'il persévéra pendant vingt ans à prier Dieu et qu'il rendit ainsi propre à l'enfantement celle qui était frappée de stérilité. Avez-vous bien compris la force de la prière; comme elle triomphe de la nature? Imitons-le tous; et nous aussi, soyons assidus dans nos prières. Soyons sages, et soyons humbles. Ecoutons l'avertissement de Paul, qui nous dit :  Levons des mains pures, sans colère et sans contention (1Tm 2,8). Appliquons-nous toujours à nous affranchir des passions qui nous troublent, afin que notre âme soit dans la tranquillité, surtout pendant le temps de la prière, lorsque nous avons tant besoin de la. bonté de Dieu. Car, s'il nous voit prier conformément aux lois qu'il nous impose, il se hâtera de nous accorder toutes les largesses de ses dons. Puissions-nous les obtenir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l'honneur, l'empire, maintenant et toujours; et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.





CINQUANTIÈME HOMÉLIE. « Rébecca conçut et les deux enfants s'entrechoquaient dans son sein. »

5000  (Gn 25,21-22).


ANALYSE.

1. Commentaires des versets 21-33 du chap. XXV. — 2. Du mépris des richesses.


5001 1. Voulez-vous, encore aujourd'hui, mes bien-aimés, que nous vous servions les restes de la lecture d'hier ; car nous n'avons pas pu épuiser notre sujet. Nous vous avons montré les prières assidues d'Isaac, donnant à Rébecca la fécondité, réparant pour ainsi dire l'infirmité de la nature. Nous avons hier assez insisté sur l'enseignement qui ressort du texte ; nous vous avons montré pendant combien d'années ce bienheureux a continué de prier, de supplier le Seigneur. Nous avons fait une digression, à propos des femmes stériles, et, après vous avoir expliqué pourquoi les femmes de ces hommes justes furent frappées de stérilité, nous ne nous sommes pas engagé plus avant. Ce qu'il faut aujourd'hui, c'est apprendre quelle fut la piété de Rébecca, de telle sorte que nous ne fassions pas notre profit seulement de la vertu de l'homme juste, mais que l'histoire de Rébecca aussi, nous donne les moyens de provoquer un généreux zèle dans les âmes de ceux qui nous écoutent. En effet, quand le Seigneur eût exaucé la prière de l'homme juste, et quand Rébecca eût conçu, les deux enfants, dit le texte, s'entrechoquaient dans son sein, ce qui lui causait une grande douleur. En effet, selon le texte, elle dit : Si cela devait m'arriver, qu'était-il besoin que je conçusse ? Ce n'était pas un enfant seulement qui allait naître; elle en portait deux à la fois dans son sein, et ces enfants ainsi resserrés lui causaient une grande douleur. Mais ici, considérez, je vous en prie, la piété de cette femme, elle ne fait pas comme tant de femmes dont la vie est relâchée; elle ne cherche pas un secours auprès des hommes; elle ne va pas interroger ceux qui font des conjectures, des raisonnements, et qui ont la prétention de juger ces choses par leurs lumières propres; elle ne s'expose pas à être la dupe des charlatans, et de tous ceux qui osent promettre ce qui dépasse la nature humaine. Mais, Elle alla, dit le texte, consulter le Seigneur. Voyez la sagesse de cette femme. Comme elle vit que celui qui avait guéri sa stérilité, qui l'avait soudain rendue féconde, était le Maître et Seigneur de la nature; comme elle vit que le poids qui chargeait ses entrailles, renfermait une grande et mystérieuse promesse, Elle s'en alla, dit le texte, consulter le Seigneur. Qu'est-ce à dire, Elle s'en alla consulter le Seigneur? Elle courut où est la vraie science ; elle s'empressa d'aller trouver le prêtre, ministre de Dieu; elle était avide d'apprendre secrètement de lui la science dont elle avait besoin. Et, en lui racontant tout ce qui lui était arrivé, elle connut parfaitement tout ce qu'il lui fallait savoir; la miséricorde de Dieu, par la bouche du prêtre, lui révéla tout, et ranima son courage. Et, pour que vous sachiez bien quelle était alors la dignité des prêtres, le texte ne dit nulle part que le prêtre lui ait répondu; mais, après ces paroles : Elle alla consulter le Seigneur, l'Ecriture ajoute : Et le Seigneur lui dit (Gn 25,23), (336) évidemment par la bouche du prêtre : Deux nations sont dans vos entrailles. Il faut que vous sachiez que, dans un autre passage, la divine Écriture appelle le prêtre, un ange, montrant par là que le prêtre dit ce que lui inspire la grâce de l'Esprit-Saint.

Donc le Seigneur lui dit, par la bouche du prêtre : Deux nations sont dans vos entrailles, et deux peuples, sortant de vôtre sein, se diviseront l'un contre l'autre; l'un de ces peuples surmontera l'autre peuple, et l'aîné sera assujetti au plus jeune (Gn 25,23). Voyez la prophétie qui lui prédit manifestement tout l'avenir. En effet, les enfants qui sautaient, qui s'agitaient dans son sein, de mouvements désordonnés, lui révélaient, dès ce moment, tout, d'une manière parfaitement claire; et, dès ce moment, la mère apprit non seulement qu'elle mettrait au monde deux enfants, mais que de ces enfants sortiraient des peuples, que le plus jeune assujettirait l'aîné. Et lorsque ensuite vint l'enfantement, celui qui sortit le premier, dit le texte, était roux et tout velu comme une peau d'animal, et il fut nommé Esaü. Et ensuite sortit son frère, et il tenait, de sa main, le talon d'Esaü. C'est pourquoi il fut nommé Jacob (Gn 25,25). Dès le commencement Dieu fait presque voir que le plus jeune, conformément à la parole, dominera l'aîné. En effet, le texte dit qu'il tenait par la main le talon d'Esaü, ce qui était la marque de la supériorité promise sur celui qui paraissait le plus fort. Et considérez comme la divine Écriture se hâte d'annoncer l'avenir, comme, dès le commencement,, elle nous montre les goûts de chacun des deux frères : l'un adonné à la chasse; l'autre, cultivant les champs, homme simple, se renfermant dans sa demeure. Aussi, Rébecca chérissait Jacob; Isaac, de son côté, chérissait Esaü, Parce qu'il mangeait de ce qu'Esaü prenait à la chasse (Gn 25,28). Voyez la distinction établie entre les enfants : la mère montrait plus d'amour pour Jacob, parce qu'elle le voyait simple, retiré à l'a maison; le père, de son côté, chérissait Esaü, et parce que c'était le premier-né, et parce qu'il mangeait de sa chasse. Telles étaient les dispositions des parents, suivant l'impulsion de la nature. Cependant peu à peu s'accomplissait la prophétie, celle qui disait : L'aîné sera assujetti au plus jeune. Voyez en effet tout de suite. Jacob, dit le texte, ayant fait cuire de quoi manger, Esaü revint des champs bien fatigué, et il dit à Jacob : Donne-moi de ce mets roux, parce que je suis fatigué. C'est pour cette raison qu'il fut depuis nommé Edom, c'est-à-dire roux. Et Jacob lui dit: Cédez-moi votre droit d'aînesse (Gn 25,29-31). Or, celui-ci répondit : Que me servira ce droit d'aînesse quand je me sens mourir, si je ne prends pas de nourriture (Gn 25,32). Mais Jacob exigeait un serment pour qu'il n'y eût pas à revenir sur la cession. Et, dit le texte, Esaü lui fit le serment (Gn 25,33).

5002 2. Voici donc maintenant l'ordre naturel interverti, la dignité de l'aîné passe à celui qui l'emportait par la vertu. Et, dit le texte, Esaü vendit son droit d'aînesse, c'est-à-dire que, pour de la nourriture, il vendit le privilège que la nature lui avait donné. Aussi le texte ajoute : Et Esaü se mit peu en peine de son droit d'aînesse (Gn 25,34). Comme si l'Écriture disait : l'insensé ne méritait pas le rang qu'il devait à la nature. Or, tout cela n'arriva que pour montrer la démence de cet aîné des deux frères, et pour accomplir l'oracle de Dieu.

Instruits par cet exemple, sachons apprécier toujours les dons du Seigneur; n'abandonnons pas, pour des objets sans valeur et méprisables, ce qui est grand et précieux. Pourquoi, voyons, répondez-moi, quand on nous propose le royaume du ciel et tant de biens ineffables, pourquoi ce désir insensé des richesses, pour, quoi préférer de fugitives jouissances,qui souvent ne durent pas jusqu'au soir, au bonheur durable, impérissable, éternel? Quoi de plus détestable que ce délire, qui nous prive des biens d'en haut, à cause de notre trop d'amour pour ceux d'ici-bas, et qui ne nous laisse jamais la pure jouissance même de ces biens de la terre ? Quelle est enfin, je vous en prie, l'utilité des grandes richesses? Ignorez-vous que l'accroissement de, la fortune n'est qu'au accroissement de soucis, d'inquiétude, qui chasse le sommeil? Ne voyez-vous pas que ces riches sont surtout, à vrai dire, des esclaves; d'autant plus esclaves que la fortune leur vient avec plus d'abondance? Et, chaque jour, il leur suffit de leur ambre pour les faire trembler; car c'est de là que naissent les trames perfides, l'envie, les haines, et tant d'autres malheurs sans nombre. Et souvent vous voyez celui qui possède dix mille talents d'or, enfouie et cachés, envier le bonheur de l'ouvrier qui doit sa nourriture au travail de ses mains. Quel est donc le plaisir, quel est donc le profit des richesses, puisque nous n'en jouissons pas, et (337) que le désir insatiable de les posséder nous prive de biens plus précieux? Et à quoi bon parler de biens plus précieux, s'il faut ajouter aux malheurs présents, à la perte des biens à venir, l'éternelle torture? Et je ne parle pas encore des péchés sans nombre, que la richesse attire et rassemble, fourberies, calomnies, rapines, fraudes. Supposons un homme, affranchi de tous ces dangers, ce qui est très rare et très difficile au sein de l'opulence; supposons qu'il jouisse de ses trésors, tout seul, sans rien communiquer aux indigents, le feu éternel attend ce riche, vérité que met en toute évidence la parabole de l'Evangile, plaçant les uns à droite, les autres à gauche, disant aux premiers que le royaume des cieux leur est préparé parce qu'ils ont eu soin de l'indigence. En effet, dit le texte : Venez, vous les bénis de mon Père, possédez en héritage le royaume qui vous a été préparé dès l'origine du monde. Pourquoi? Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger (Mt 25,34-35) ; aux autres maintenant, c'est- le feu éternel que la parole annonce : Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges (Mt 25,41). Lourde et terrible parole : le Seigneur, le Créateur du monde dit : J'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger (Mt 25,42). A ces paroles quelle âme résisterait, fut-elle de pierre? ton Seigneur a faim, il cherche sa nourriture, et tues dans les délices; et ce n'est pas tout; toi, qui es dans les délices, tu le méprises, quoiqu-il ne te demande rien de précieux, rien qu'un morceau de pain, pour soulager la faim qui le tourmente. Il a froid, il marche pour se réchauffer, et toi, revêtu de tissus soyeux, tu ne le regardes même pas; tu ne lui montres aucune compassion; sans pitié, sans miséricorde tu poursuis ton chemin. Quelle pourrait être l'excuse de cette conduite ? Cessons donc de n'avoir que le désir unique de tout amasser, par tous les moyens; proposons-nous plutôt de faire, de ce que nous possédons, un bon usage; consolons l'indigence; ne perdons pas les biens éternels, au-dessus de tout changement. Car, si le Seigneur nous a laissé ignorer notre dernier jour, c'est pour nous forcer à pratiquer sans cesse la vertu, à veiller toujours, à faire chaque jour plus d'efforts pour devenir meilleurs. En effet, dit l'Ecriture : Veillez, parce que vous ne connaissez ni le jour ni l'heure (Mt 25,13). Or, nous faisons tout le contraire, et nous dormons d'un plus lourd sommeil que le sommeil de la nature. Car, le sommeil naturel n'opère ni bonnes ni mauvaises couvres; mais nous dormons, nous, de l'autre sommeil; endormis pour la vertu, éveillés pour les oeuvres coupables, actifs pour le mal, paresseux pour le bien. Et nous menons cette conduite, quand nous voyons, chaque jour, un si grand nombre de vivants quitter la terre, quand nous voyons ceux qui restent exposés dans la vie présente, à tant de vicissitudes; et cette si grande instabilité des choses humaines ne nous persuade pas la vertu, ne nous inspire pas le mépris du présent, l'amour de la vie à venir; à ce qui n'est qu'un songe, qu'une ombre, nous ne préférons pas la vérité. En quoi les choses présentes diffèrent-elles des ombres et des songes? Eh bien ! désormais, cessons de nous tromper nous-mêmes; ne nous attachons plus à suivre des ombres. Il est bien tard, mais qu'importe? appliquons-nous enfin à notre salut; vidons nos trésors dans les mains des indigents, afin de mériter, par ce que nous aurons fait pour eux, la miséricorde du Seigneur. Puissions-nous tous en jouir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



CINQUANTE-UNIÈME HOMÉLIE. « Cependant il arriva une famine en ce pays-là, comme il en était arrivé au temps d'Abraham. »

5100 (Gn 26,1)


ANALYSE.

1. Commentaire des versets 1-3. Du 26e chapitre de l'imposition des noms propres. — 2. Commentaire des versets 4-11. Dieu, dans ses communications avec nous, a plus égard à notre infirmité qu'à sa dignité. — 3. Exhortation.


5101 1. Nos dernières paroles serviront encore de point de départ à notre enseignement d'aujourd'hui. Mais pour que vous sachiez bien où s'est terminé notre dernier entretien, où doit commencer l'entretien de ce jour, il importe, mes bien-aimés, de vous rappeler ce qui a été dit précédemment. Peut-être avez-vous, dans le grand nombre de pensées qui viennent vous distraire, oublié ce que vous avez entendu. Mais mon devoir est de secourir votre mémoire, afin que le discours d'aujourd'hui soit plus clair pour tout le monde. Vous savez que dernièrement nous vous avons raconté la pieuse histoire de Rébecca; de là nous sommes arrivés à Esaü et à Jacob, et vous avez vu le droit d'aînesse, vendu à Jacob par Esaü, qui avait faim. A son désir de manger, il a sacrifié sa prérogative. Or, ces faits ne se sont pas accomplis au hasard, mais pour réaliser la prophétie qui disait : J'ai chéri Jacob, j'ai détesté Esaü (Ml  1, 2-3). Dieu à qui appartient la prescience, a prédit la vertu de l'un; la perversité de l'autre. Mais maintenant, que signifie ce droit d'aînesse? Le temps ne nous a pas permis dernièrement, mes bien-aimés, de tout vous dire à ce sujet, il est nécessaire de vous donner aujourd'hui une explication. Chez les anciens, c'était un très grand honneur que le droit d'aînesse ; or, de cet honneur, voici la cause et l'origine. Quand Dieu voulut délivrer les Israélites de la domination des Egyptiens, et, selon la promesse faite au patriarche, les arracher à la tyrannie de Pharaon, le roi d'Egypte lutta contre Dieu, et voulut les retenir; le Seigneur, après différentes plaies, infligea la dernière que vous connaissez; il força presque les Egyptiens à chasser, de leurs propres mains, les Israélites (Ex 12). Il ordonna de mettre à mort, à la fois, tous les premiers-nés des Egyptiens. C'était alors, dans foules les maisons, des cris de douleur et des larmes. Et tes Egyptiens ne croyaient pas que le fléau s'arrêterait là, ils pensaient que la mort, après un tel début, continuant sa course, les frapperait tous. Or, tous les premiers-nés en Egypte ayant subi en même temps la mort, les Israélites, au contraire, par la grâce divine, étant restés sans atteinte, le Dieu de toutes les créatures voulut encore faire mieux paraître sa bienveillance envers son peuple, et il commanda que, désormais, à cause de l'extermination des premiers-nés de l'Egypte, les premiers-nés parmi les enfants du peuple juif lui fussent offerts. De là la distinction qui a destiné la tribu de Lévi au sacerdoce, et de là, l'usage d'offrir à Dieu les premiers-nés, non. seulement parmi les hommes, mais encore parmi les animaux, et les prémices de toutes choses en général. Il était en outre ordonné de payer une somme d'argent, pour les hommes (339) et pour les animaux immondes. Sans doute, cette législation, concernant les premiers-nés, est postérieure; cependant, même dans les temps anciens, on voit un privilège attaché à ceux qui sortaient les premiers des flancs maternels. C'est donc cette prérogative naturelle qu'Esaü possédait, qu'il a, dans son intempérance, transportée à son frère. Et, tandis que l'un a perdu ce qu'il tenait de la nature, l'autre a gagné ce que la nature lui avait refusé. et comme ces événements avaient été d'avance prédits par un oracle, Rébecca donna à son fils chéri le nom de Jacob, ce que vous pouvez expliquer par action de supplanter. C'est ainsi qu'Esaü se lamentant, après la bénédiction soustraite à son père, disait : C'est avec raison qu'il a été appelé Jacob, car voici la seconde fois qu'il m'a supplanté ; il m'a enlevé mon droit d'aînesse, et maintenant il m'enlève la bénédiction qui m'était due (Gn 27,36).

Voyez combien grande était la sagesse des anciens hommes, ou plutôt combien grande a été la sagesse de Dieu, qui a fait que les mères n'ont pas donné au hasard les premiers noms venus à leurs enfants, mais des noms qui prophétisaient l'avenir. Vous ne trouverez que rarement des fils portant le même nom que leur père; peut-être n'en trouverez-vous nulle part, dans l'Écriture ; mais soit qu'une mère, soit qu'un père donnât un nom à son fils, c'était une appellation singulière, étrange, qui, par avance, signifiait quelques événements à venir. C'est ainsi que Lamech appela son fils Noé, en disant : Celui-ci nous fera reposer (Gn 5,29). Et de même, si vous examinez les noms un à un, vous trouverez absolument dans tous un sens particulier. Ce n'est pas ce que nous voyons aujourd'hui, que les parents donnent sans réflexion, et par hasard, les noms qui se présentent. Autrefois, on se proposait d'attacher un souvenir durable aux noms de ses enfants. Mais laissons cela, et voyons maintenant, après cette mutation du droit d'aînesse,ce que le bienheureux Moïse nous raconte du père de cette famille. Nous avons déjà vu dans l'histoire du patriarche Abraham, et nous lisons de même, à propos d'Isaac, qu'une, grande famine étant survenue, il fut entouré de toute la sollicitude du Seigneur, qui le récompensait de sa propre vertu, et remplissait la promesse faite à son père. Cependant il arriva une famine en ce pays-là, comme il en était arrivé une au temps d'Abraham. C'est pour que vous ne confondiez pas la nouvelle famine avec l'ancienne, que le texte ajoute: Comme il en était arrivé une au temps d'Abraham; manière de dire, une autre famine, semblable à l'ancienne, arriva, une seconde fois, en ce pays-là, au temps d'Isaac, comme il en était arrivé une au temps de son père. Le manque des aliments nécessaires les jetait tous dans une grande angoisse, et les forçait de quitter leur pays pour chercher à l'étranger les aliments dont ils avaient besoin. D'où il suit que, voyant cette famine, ce juste s'en alla, dit le texte, auprès d'Abimélech à Gérara ; c'était            là qu'Abraham était allé, après son retour d'Égypte. Il est vraisemblable qu'Isaac s'y rendit parce qu'il voulait, de là, passer en Egypte. Et ce qui le prouve, c'est l'Écriture: Car le Seigneur lui avait apparu, dit le texte, et Dieu lui avait dit : N'allez point en Egypte (Gn 26,2). Je ne veux pas, dit le texte, que vous fassiez ce long voyage; mais je veux que vous restiez ici, je ne veux pas que vous soyez dans les angoisses, mais j'accomplirai les promesses faites, à votre père; elles recevront en vous leur accomplissement. Les promesses qui lui ont été faites, c'est vous qui les réaliserez. Ne descendez pas en Egypte; mais demeurez dans le pays que je vous montrerai ; passez-y quelque temps comme étranger.

5102 2. Ensuite, de peur que le juste ne s'imagine que Dieu rie lui donne cet ordre que pour lui faire subir les angoisses de la famine et lui interdire le passage en Egypte, il lui dit: Ne soyez pas inquiet; n'ayez aucun souci, restez où vous êtes: Car moi, je serai avec vous. Donc, puisque vous avez pour vous celui qui fournit tous les biens quelconques, n'ayez plus souci de rien ; car moi, le Seigneur de toutes les créatures, je serai avec vous. Et ce n'est pas tout, mais, Et je vous bénirai, c'est-à-dire, je vous glorifierai, je vous donnerai la bénédiction qui vient de moi. Quelle condition plus heureuse que celle de ce juste, qui reçut de Dieu une telle promesse: Je serai avec vous et je vous bénirai. Voilà qui montrera que vous êtes le plus heureux, le plus riche de tous les hommes; voilà qui fera régner autour de vous l'abondance; voilà pour vous la plus éclatante gloire; voilà l'ineffable splendeur; voilà la sécurité parfaite; voilà le principe de tous les biens : Je suis avec vous et je vous bénis. Mais comment vous bénirai-je? A vous et à votre race, je donnerai cette terre. On vous prend (340) pour un étranger, pour un vagabond dans ces pays; eh bien ! sachez qu'à vous et à votre race toute cette terre appartiendra. Et voici pour vous donner de la confiance, apprenez que : Le serment que j'ai fait à Abraham, votre père, je l'accomplirai avec vous. Voyez la condescendance de Dieu. Il ne dit pas simplement: Le pacte que j'ai fait avec votre père, ni les promesses que je lui ai faites; mais que dit-il : Le serment que j'ai juré. J'ai confirmé ma parole, dit-il, par serment, et je suis tenu à réaliser, à accomplir le serment que j'ai fait.

Voyez la bonté de Dieu : il ne s'arrête pas, quand il nous parle, à sa propre dignité; il accommode son langage à la faiblesse de notre nature. En effet, trop souvent les hommes se font un point de conscience de tenir non pas leurs simples promesses, mais les promesses qu'ils ont faites sous la garantie du serment. De même ici, Dieu, pour inspirer à l'homme juste une pleine confiance, lui annonce que ses paroles auront leur rigoureux accomplissement. Sachez bien, dit-il, que ce que j'ai juré se réalisera. Quoi donc, dira-t-on, Dieu a juré ! Et par qui a-t-il juré? Vous voyez que son langage s'accommode à notre faiblesse; ce qu'il appelle un serment, ce n'est que la confirmation de la promesse. J'accomplirai, dit-il, le serment que j'ai juré à Abraham, votre père. Il lui montre ensuite quelles ont été ces promesses, faites sous la garantie du serment : Je multiplierai vos enfants comme les étoiles du ciel (
Gn 26,4). C'est ce qu'il disait au patriarche dans le commencement: Vos enfants égaleront en nombre les étoiles et les grains de sable. Et je donnerai à votre postérité tous ces pays que vous voyez, et toutes les nations de la terre seront bénies dans celui qui sortira de vous.Et maintenant, voici pourquoi les promesses qui lui ont été faites se réaliseront en vous : C'est parce qu'Abraham, votre père, a entendu ma voix, qu'il a observé les commandements et les cérémonies et les lois que je lui ai donnés (Gn 26,5). Voyez la sagesse de Dieu, comme il réveille la pensée du juste, anime son ardeur et le dispose à suivre l'exemple de son père, car si ce père, dit-il, parce qu'il a obéi à ma voix, a été jugé digne d'une si grande promesse; si, en considération de sa vertu, je dois accomplir cette promesse en vous qui êtes sorti de lui, supposez qu'à votre tour, vous suiviez son exemple, que vous marchiez dans la même route que lui, considérez alors quelle sera ma bienveillance pour vous, de quels soins, de quelle sollicitude je vous entourerai. En effet, si la vertu d'autrui est une source de bonheur, l'homme personnellement vertueux est, bien plus encore l'objet de la Providence divine. Mais que signifient ces paroles, parce qu'il a obéi à ma voix et qu'il a observé mes commandements et mes cérémonies ? Je lui disais : Sortez de votre pays et de votre parenté, et venez en la terre que je vous montrerai (Gn 12,1). Et il a quitté ce qu'il tenait entre les mains; et il a poursuivi ce qui était invisible, sans fluctuation d'esprit, sans hésitation; plein d'un zèle ardent, il accomplissait mes ordres, et il obéissait à ma voix. Je lui ai, en outre, promis un don supérieur à la nature, et lorsque l'âge ne lui laissait plus d'espoir; lorsque ni lui ni votre mère ne pouvaient plus attendre de postérité, quand ma parole lui annonça que sa race se multiplierait, au point de remplir toute la terre, il ne s'est pas troublé, il a eu foi, et sa foi lui a été imputée à justice. Par sa foi en ma puissance, par son espérance en mes promesses, il s'est montré supérieure la faiblesse humaine. Et depuis votre naissance, quand votre mère voyait avec chagrin Ismaël, le fils de la servante; quand elle voulut le chasser avec Agar, pour qu'il n'eût rien de commun avec vous, ce patriarche, malgré sa naturelle affection, malgré l'amour paternel qu'il ressentait, n'écouta que l'ordre que je lui donnai; de faire ce que voulait Sara; il oublia sa tendresse naturelle; il chassa Ismaël, avec la servante, et toujours il a obéi à ma voix, et il a gardé mes commandements. Enfin, quand je lui ai commandé de m'offrir en sacrifice cet enfant accordé à sa vieillesse, ce fils tant chéri, il n'a cherché aucun prétexte, il n'a montré aucune curiosité indiscrète; sa pensée n'a pas été confondue; il n'a révélé, ni à votre mère, ni à ses serviteurs, ni à vous-même l'action qu'il allait faire; d'une âme forte, d'une volonté allègre, ardente, il s'est hâté d'accomplir mon commandement. Et moi, en conséquence, j'ai couronné sa volonté, sans permettre à l’oeuvre de s'accomplir. Et voilà pourquoi, parce qu'en toutes choses il m'a montré la perfection de son obéissance, son zèle à garder mes commandements, vous qui êtes né de lui, vous êtes, je le veux, l'héritier de toutes les promesses qui lui ont été faites.

5103 3. Imitez donc l'obéissance de ce juste; ayez foi en mes paroles, pour mériter des (341) récompenses beaucoup plus belles encore, qui vous seront décernées en considération de la vertu de votre père, et pour votre propre obéissance. Et ne descendez pas en Egypte, mais demeurez ici. Avez-vous bien compris la miséricorde de Dieu; cette manière de rappeler la vertu du père, pour fortifier l'âme du fils? Isaac demeura donc à Gérara (Gn 26,6). Voyez, il lui arrive de courir à peu près les mêmes dangers que son père; car, comme il habitait à Gérara : Les habitants de ce pays-là lui demandant qui était Rébecca son épouse, il leur répondit: C'est ma soeur (Gn 26,7), parce qu'il avait peur que les gens de ce pays ne le missent à mort, à cause de la beauté de son épouse. De crainte, dit le texte, que les hommes de ce pays ne le fissent mourir à cause de Rébecca, parce qu'elle était belle. Il se passa ensuite beaucoup de temps, et, comme il demeurait toujours dans le même lieu, il arriva qu'Abimélech vit Isaac qui se jouait avec Rébecca sa femme, et il l'appela et lui dit : Est-ce que c'est votre femme? Pourquoi donc avez-vous dit que c'est votre soeur? (Gn 26,8-9). Convaincu par des preuves, le juste ne dissimule plus la vérité; il la confesse, et il explique pourquoi il l'appelait sa soeur. En effet, dit le texte, j'ai eu peur qu'on ne me fit mourir à cause d'elle. C'est la crainte de la mort qui m'a fait tenir cette conduite. Peut-être aussi avait-il appris que son père avait, pour sauver ses jours, recouru au même moyen; et il fit ce qu'avait fait son père. Mais le roi, se souvenant encore de ce que lui avait valu, au temps du patriarche, l'enlèvement de Sara, s'amende aussitôt et lui dit : Pourquoi avez-vous fait cela? peu s'en est fallu que quelqu'un de nous n'ait été reposer auprès de votre épouse, et vous nous auriez fait tomber dans l'ignorance (Gn 26,10). Cette ruse, dit-il, nous l'avons jadis expérimentée de la part de votre père; et aujourd'hui si nous ne nous étions arrêtés à temps, vous nous auriez fait tomber dans l’ignorance; c'est-à-dire, autrefois nous avons été sur le point de pécher par ignorance, et aujourd'hui encore, vous avez presque été cause que nous allions commettre un péché d'ignorance. Or Abimélech fit cette défense à son peuple: Tout homme qui touchera cet homme-là, ou sa femme, sera puni de mort (Gn 26,11). Voyez la providence de Dieu ; voyez le soin ineffable. Car celui qui avait dit : Ne descendez pas en Egypte, habitez dans cette terre, et je serai avec vous, c'était lui qui disposait tous ces événements; qui assurait au juste, une si grande sécurité. Considérez, en effet, le soin que prend le roi, pour qu'il n'ait rien à craindre, pour qu'il soit affranchi de toute inquiétude. C'est de la mort qu'il menace, dit le texte, quiconque le touchera, lui ou son épouse. En effet, c'était cette crainte, la crainte de la mort, entendez bien, qui avait ébranlé son âme; pour cette raison, le Seigneur miséricordieux l'en délivre, pour qu'il vive ensuite dans une parfaite sécurité. Et voyez quel sujet d'étonnement et d'admiration ! comment cette sagesse industrieuse tourne toutes choses à sa volonté, découvre en dehors de tout chemin frayé, la voie qui lui convient, et, dans les obstacles mêmes, dans les difficultés qui la contrarient, les circonstances de nature à procurer le salut de ses serviteurs. De là vient que ce roi montre tant d'intérêt pour l'homme juste. Il lui sert comme de héraut, devant tous ceux qui habitent le pays; il annonce sa gloire, tous les honneurs, tout le culte dont il faut l'entourer. C'est ainsi que Nabuchodonosor, après avoir jeté les trois jeunes gens dans la fournaise, après avoir éprouvé par la réalité des faits la vertu de ses prisonniers, se met à célébrer leurs louanges, et sa langue devient partout l'instrument de leur gloire. C'est par là que se manifeste, au plus haut degré, la puissance de Dieu; il fait que ses ennemis mêmes célèbrent ses serviteurs. Ce furieux qui avait ordonné d'embraser cette fournaise, voyant que la vertu des trois jeunes gens, grâce au secours d'en haut, triomphait des flammes, le voilà soudain converti, il crie d'une voix bruyante : Serviteurs du Dieu Très-Haut (Da 3,26). Voyez, il exalte non seulement leur élévation, mais aussi le Seigneur Dieu de l'univers : Serviteurs, dit le texte, du Dieu Très-Haut, sortez. Que s'est-il donc passé? N'est-ce pas vous qui les avez livrés à la torture; n'est-ce pas vous qui avez allumé cette fournaise si ardente? Sans doute, dit-il; mais ce que je vois maintenant est étrange, prodigieux. Voici que l'élément s'oublie; des liens mystérieux l'enchaînent, et le feu obéissant, n'ose pas même toucher leurs cheveux. Ce qui montre qu'il y a ici quelque chose qui surpasse la nature humaine, l'oeuvre ineffable d'une puissance divine qui s'intéresse au plus haut point à ces jeunes gens. Avez-vous bien compris cette miséricorde de Dieu, qui n'abandonne jamais ses serviteurs, tout en permettant qu'on les jette dans la fournaise, (342) parce qu'elle veut ajouter à leur gloire, faire éclater sa puissance? Et voilà pourquoi elle adoucit l'âme d'un barbare ; pourquoi elle montre tant de patience. Et en effet, où serait la merveille, si tout d'abord Dieu avait défendu qu'on les jetât dans la fournaise? Ce qui est plus merveilleux, plus étrange, c'est qu'au sein même des flammes, ils n'ont rien souffert; car Dieu n'a qu'à vouloir, même au milieu des périls et des tortures, il double les forces de ceux qui souffrent, et les persécutés sont plus forts que les persécuteurs. C'est ce qui est arrivé pour les apôtres. Ceux qui les tenaient en leurs mains, qui les traînaient captifs au milieu des peuples, qui grinçaient des dents, pour ainsi dire, en les menaçant, se disaient entre eux : Que ferons-nous de ces hommes ? (Ac 4,16). Ils les tenaient entre leurs mains et ils ne savaient qu'en faire. Voilà la puissance, voilà la force de la vertu, voilà la faiblesse de la malignité, la vertu souffre et triomphe; la malignité réussit, et n'aboutit qu'à trahir sa naturelle impuissance.

Dans ces pensées, mes bien-aimés, attachons-nous à la vertu, et fuyons la perversité. C'est ainsi que nous acquerrons la grâce d'en haut, et que nous obtiendrons les biens à venir; et puissions-nous tous les conquérir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours; et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




Chrysostome sur Gn 4900