Chrysostome sur Gn 5400

CINQUANTE-QUATRIÈME HOMÉLIE. « Rébecca appela son plus jeune fils et lui dit. » (Gn 27,42)

5400 (Gn 27,42-28,22).


ANALYSE.

1. Du secours de la grâce divine: La conscience est un maître suffisant. Les avis des Docteurs sont le complément de la lecture des saints livres. — 2. saint Chrysostome recherche l'utilité de ses auditeurs et non leurs applaudissements. L’homicide prend racine dans l'envie. Versets 42-46 du chapitre XXVIIe . — 3. Explications des versets 1-11 du XXVIIIe chapitre. Fin de Jacob en Mésopotamie. — 4. Explication des versets 12-19. Comment Dieu exerce les justes à l'obéissance. — 5. Versets 20-22. Epilogue moral.


5401 1. Avez-vous bien compris, hier, la parfaite sagesse du publicain, et la miséricorde ineffable du Seigneur, et l'excès de la stupidité des Juifs? Avez-vous bien compris la leçon que nous donne à tous, la prompte obéissance du bienheureux Matthieu, et sa conversion, qui en fait un homme tout nouveau, parce que c'est dans notre volonté, après l'action de la grâce d'en haut, que résident nos vertus et nos vices; parce que l'ardeur de notre zèle peut nous élever au plus haut faîte de la vertu, et parce qu'au contraire notre engourdissement nous laisse tomber dans les précipices. En effet, ce qui nous distingue des êtres sans raison, c'est que nous avons reçu de la bonté de Dieu, la raison comme un glorieux privilège, c'est que nous possédons naturellement la connaissance du bien et du mal. Donc, que personne ne prétexte de son ignorance pour négliger la vertu ; qu'aucun de vous ne prétexte qu'il manque de guide pour lui montrer le chemin; nous avons tous un maître qui suffit, c'est la conscience, et nul n'est privé de ce secours. En même temps que l’homme fut formé, le discernement des actions lui a été donné, afin de le mettre à même de faire voir, dans la vie présente, la sagesse qu'il porte en lui, afin que s'exerçant comme dans une palestre, aux travaux de la vertu, il puisse conquérir les récompenses que la vertu mérite; et après quelques courtes fatigues, mériter les couronnes impérissables ; et, après avoir embrassé la vertu dans la durée qui passe, jouir des biens éternels, dans la durée infinie des siècles. Instruits (355) de ces vérités, mes bien-aimés, ne trahissons pas notre noble nature; prouvons notre reconnaissance à notre magnifique bienfaiteur; ne poursuivons pas les plaisirs d'un jour, pour atteindre des douleurs qui n'auront pas de fin; tenons sans cesse nos regards fixés sur cet oeil qui ne dort jamais, qui voit dans les replis les plus cachés de nos coeurs ; réglons ainsi notre conduite; revêtus des armes de l'esprit, montrons la sagesse qui est en nous, et conquérons le secours d'en haut, afin de triompher, grâce au divin auxiliaire, de notre ennemi de chaque jour, de notre ennemi acharné; afin de rendre inutiles toutes ses machinations, et de nous assurer la conquête des biens que Dieu a promis à ceux qui l'aiment. Que personne donc ne considère les fatigues de la vertu ; au contraire, calculons tous les profits qui récompenseront nos efforts généreux, et apprêtons-nous avec ardeur au combat; car s'il est vrai que, dans les affaires de la vie humaine, animé de la fureur des richesses, on soit prompt à tout tenter; que les périls de la mer, les naufrages, les attaques des pirates, n'ébranlent pas, ne ralentissent pas les courages, qui cependant ne poursuivent qu'un profit incertain ; quelle excuse pourrons-nous alléguer, quand on nous promet pour nos luttes généreuses, des, biens immortels, si nous ne nous y préparons pas avec le zèle ardent d'un désir sincère? Comment pouvons-nous montrer tant d'ingratitude à notre bienfaiteur ? Comment pouvons-nous oublier les présents déjà faits, les promesses reçues? Eh quoi ! perdant toute mémoire, nous vivons au hasard et sans but, comme des troupeaux, sans aucun souci de notre âme, nous, chargeant le ventre jusqu'à le faire éclater; triste victime de ce ventre, notre malheureux .corps souffre et nous renvoie les mille maux que lui attire notre intempérance, les douloureux embarras de notre gourmandise, et nous laissons notre âme se dessécher par la faim ? Et cela, quoique l'âme soit à un si haut degré supérieure au corps, quoique l'âme, une fois partie, il ne reste plus qu'un cadavre. Ce qu'il faudrait, ce serait donner à l'un, donner à l'autre la nourriture qui convient à chacun d'eux; et nous les perdons chacun d'eux, parce que nous ne gardons aucune mesure, engraissant l'un plus qu'il ne faut, forçant l'autre à mourir de faim. De là les paroles menaçantes que le Dieu de l'univers adresse aux Juifs, dans la fureur de son indignation : Je vous donnerai, non la famine du pain ni la soif de l'eau, mais la famine qui veut entendre la parole du Seigneur (Am 8,11), nous montrant par là que cette première famine produit la maigreur du corps, que l'autre au contraire s'attaque à l'âme. Eh bien ! ce que le Seigneur leur déclarait d'une voix menaçante, comme on annonce un supplice, nous sommes maintenant les premiers à l'attirer sur nous; et cela, lorsque Dieu nous a montré qu'il prend de nous un soin si vigilant, lorsqu'il a tout prévu, lorsque avec la lecture de l'Ecriture sainte il nous a encore donné les exhortations des docteurs.

C'est pourquoi, je vous en conjure, mes bien-aimés, secouez tout engourdissement, réveillez-vous enfin, appliquez-vous, de tout votre zèle, au salut de votre âme; c'est par là que vous vous concilierez tout à fait la bienveillance du Seigneur. Et nous, nous nous porterons à vous instruire, avec une ardeur encore plus vive, en voyant que vous mettez nos conseils en pratique. Quand l'agriculteur voit une terre féconde et de nature à donner beaucoup de fruits, il se met avec plus d'ardeur à la cultiver; de même, nous aussi, si nous voyons vos progrès dans les oeuvres que Dieu vous demande, si nous voyons que nos paroles deviennent les règles de votre conduite, nous ferons, pour vous instruire, des efforts plus courageux encore, parce que nous verrons bien que nous ne semons pas sur la pierre, mais dans une terre grasse et profondément fertile.

5402 2. Voilà pourquoi, chaque jour, nous vous adressons nos paroles; c'est pour qu'elles vous profitent, c'est pour que vous grandissiez dans la vertu, c'est pour qu'en voyant votre avancement nous tressaillions de joie. Est-ce que, par hasard, nous prétendrions vous parler pour faire étourdiment retentir un vain bruit, pour recueillir vos éloges, pour vous entendre battra des mains en vous retirant? Non, ce n'est pas là notre désir, loin de nous une ambition pareille; ce que nous voulons, c'est votre utilité. La plus belle gloire pour moi, le plus magnifique des applaudissements, c'est le retour d'un pécheur à la vertu, c'est l'engourdissement secoué par nos paroles changé en ferveur. Voilà, pour moi, la plus belle des consolations, la vraie gloire; voilà, pour vous, le profit incomparable, la richesse, le spirituel trésor. Je ne prétends pas contester votre zèle et je sais bien qu'instruits par Dieu vous pouvez, vous aussi, (356) en instruire d'autres; dans cette pensée je termine ici mon exhortation; je reprends l'enseignement que nous fournissent d'ordinaire les paroles du bienheureux Moïse, disons mieux de l'Esprit-Saint, s'exprimant par sa bouche. Je veux ajouter quelques mots encore et je vous servirai le festin que Moïse vous apprête aujourd'hui. Vous avez vu dernièrement Jacob, qui ne fait rien que d'après le conseil de Rébecca, arracher à son père la bénédiction, larcin louable auquel Dieu coopéra lui-même et qui réussit. Mais Esaü détestait Jacob à cause de cette bénédiction et il se préparait à le faire mourir. Tel est en effet le caractère de cette passion perverse; elle ne s'arrête pas avant d'avoir jeté dans le précipice le malheureux qu'elle possède, il faut que l'homicide coure à son crime; la racine de l'homicide c'est l'envie, ce que fait bien voir dès les premiers jours du monde l'oeuvre de Caïn contre Abel. Il n'avait aucun prétexte, ni petit ni grand, d'accusation contre son frère; mais il vit les offrandes d'Abel agréables à Dieu, les siennes rejetées par sa faute, et aussitôt l'envie s'éveilla dans son coeur. Et cette racine du meurtre ayant pris naissance au fond de son âme, produisit bientôt le fruit funeste, et il commit l'homicide. De même aujourd'hui Esaü voit que son frère a reçu la bénédiction de son père, et la colère et l'envie le poussent à l'homicide, et il médite la mort de son frère.

Cette admirable mère, dans la crainte que lui inspire cette haine, montre encore toute son affection maternelle pour son enfant et elle lui indique le moyen de s'arracher aux mains de son frère. Elle appela, dit le texte, son plus jeune fils et lui dit : Voilà Esaü, votre frère, qui menace de vous tuer; écoutez donc ma voix (
Gn 27,42-43). L'expérience doit vous montrer, lui dit-elle, que mes conseils vous sont utiles; déjà, pour avoir écouté ma voix, vous avez attiré sur vous les trésors de la bénédiction de votre père, faites de même maintenant, écoutez encore ma voix afin d'échapper aux mains de votre frère. Ainsi vous vous mettrez vous-même à l'abri des dangers et vous m'épargnerez une grande douleur. Car il est tout naturel de penser que, s'il osait commettre un tel attentat, il en serait puni, et il n'y aurait plus pour moi, de tous côtés, qu'une douleur sans bornes. Ecoutez donc ma voix : hâtez-vous de vous retirer vers mon frère Laban, dans le pays de Charran : vous demeurerez avec lui quelques jours, jusqu'à ce que l'irritation, la colère de votre frère contre vous soit apaisée, jusqu'à ce qu'il oublie ce que vous lui avez fait; j'enverrai ensuite pour vous faire revenir ici, pour ne pas perdre mes deux enfants en un seul jour.

Allez-vous-en, dit-elle, vers mon frère Laban, vous demeurerez avec lui (Gn 27,43-44). En effet, il est naturel de penser que la séparation, que le temps apaisera le ressentiment, éteindra la colère, apportera l'oubli de ce qui est arrivé, de cette bénédiction surprise. Jusqu'à ce qu'il oublie, dit-elle, ce que vous lui avez fait. Il n'est pas étonnant, dit-elle, qu'il soit en colère; c'est pourquoi il vous convient de vous préserver de sa fureur, de laisser passer le temps qui produira l'oubli, afin que vous puissiez ensuite demeurer ici sans danger. Et, pour rendre moins pénible à son fils l'exil qu'elle est forcée de lui imposer, voyez d'abord comme elle le console : Allez auprès de Laban, mon frère; est-ce que je vous dis d'aller trouver je ne sais quel étranger? Mon frère: et vous demeurerez avec lui quelques jours; un temps bien court, dit-elle, rien que quelques jours, jusqu'à ce que la colère soit passée. Maintenant sa colère est bouillante, dit-elle, et le respect d'un père ne le retiendra pas; il est dominé par la colère; il n'a plus dans le coeur d'amour fraternel; il n'a plus qu'une pensée, celle d'assouvir son ressentiment. J'enverrai ensuite pour vous faire revenir promptement ici, dit-elle; je vous ferai revenir; allez-vous en donc avec confiance, puisque j'enverrai pour vous faire revenir ici. Car, je suis tout à fait inquiète; j'ai peur pour mes deux enfants; je ne veux pas être privée de mes deux enfants. Voyez la sagesse de la mère. Elle suit un mouvement naturel; bien plus, elle aide à accomplir la prédiction de Dieu. En ce moment même, elle donne à son enfant le même conseil que le Christ à ses disciples, quand il leur conseillait de ne pas s'exposer témérairement au danger, mais de se retirer pour laisser aux fureurs insensées le temps de s'éteindre. C'est donc là le conseil qu'elle donne à son fils; elle commence par lui inspirer de la confiance, il ne faut pas que son départ lui soit trop pénible. Et puis, elle imagine un prétexte honnête pour motiver ce départ; il ne faut pas qu'il paraisse d'une manière trop manifeste se retirer devant la haine de son frère, il ne faut pas que le père sache la vraie cause du voyage, à savoir, la (357) colère d'Esaü contre Jacob. Rébecca dit ensuite à Isaac : La vie m'est devenue à charge, à cause des filles de Chet qu'Esaü a épousées; si Jacob épouse une fille de ce pays-ci, que me fait la vie ? (Gn 27,46).

5403 3. Voyez comme elle trouve habilement un prétexte honnête. C'est que, quand la grâce d'en haut travaille avec nous, le difficile devient facile; ce qui était lourd, devient léger. Rébecca avait Dieu pour elle, et c'est lui qui inspirait à cette mère tout ce qui pouvait servir à l'établissement futur, au salut de son fils. La vie, dit-elle, m'est devenue à charge à cause des filles de Chet, qu'Esaü a épousées; si Jacob épouse une fille de ce pays-ci, que me fait la vie? Ces paroles me semblent flétrir les moeurs des épouses d'Esaü, qui étaient pour la famille du patriarche, un grand sujet de chagrin. En effet, la divine Ecriture, parlant d'Esaü, nous a dit plus haut, qu'il avait pris des épouses parmi ceux de Chet et d'Eva; ces femmes querellaient Isaac et Rébecca (Gn 26,31 Gn 26,35). Elle veut donc lui rappeler ces causes d'ennui; c'est comme si elle lui disait: Vous savez combien les épouses d'Esaü m'ont rendu la vie amère; quelle aversion j'éprouve, à cause d'elles, pour toutes les filles du pays de Chet; à cause d'elles, toute cette nation m'est odieuse; donc, s'il arrive que Jacob, à son tour, prenne une épouse dans cette nation, désormais que puis-je espérer? Que me fait alors la vie? Si, à ces épouses insupportables, Jacob vient ajouter encore une épouse, prise parmi les filles de cette nation, tout est perdu pour nous. A ces mots, le patriarche, connaissant la malignité de ces femmes : Isaac ayant donc appelé Jacob, le bénit, dit le texte, et lui fit ce commandement: Ne prenez point, lui dit-il, une femme d'entre les filles de Chanaan, mais allez en Mésopotamie, dans la maison du père de votre mère, et épousez une des filles du frère de votre mère (Gn 28,1-2). Ces paroles ne lui suffisent pas: il veut qu'il entreprenne son voyage avec ardeur, et il verse encore sur lui ses bénédictions: Mon Dieu vous bénira, il accroîtra et multipliera votre race, et vous serez le chef de plusieurs peuples, et il vous donnera, à vous, la bénédiction d'Abraham, mon père, à vous et à votre race après vous, et il vous donnera la terre où vous demeurez comme étranger, qu'il a promise à Abraham (Gn 28,3-4). Voyez ce juste, lui prédisant tout l'avenir; quelles bonnes provisions de voyage il lui donne, et quelles consolations; il lui prédit son retour, la possession de la terre, qui sera son héritage; il lui prédit que, non seulement sa race se multipliera, mais qu'il sera le chef de plusieurs peuples; que des peuples nombreux sortiront de lui. Quand il eut entendu ces paroles, son fils accomplit ses ordres, et partit pour la Mésopotamie, se rendant chez Laban, le frère de sa mère; et lorsque Esaü apprit, à son tour, cette seconde bénédiction donnée à Jacob par son père, et l'ordre qu'il en avait reçu de ne pas épouser une fille des Chananéens, et ce voyage en Mésopotamie, il voulut comme corriger sa faute et apaiser son père. Il alla, dit le texte, vers la maison d'Ismaël, et, outre les femmes qu'il avait déjà, il épousa une fille d'Ismaël, fils d'Abraham.

Avez-vous bien compris, mes bien-aimés, la prudence avec laquelle la plus affectueuse des mères arrache son fils Jacob au danger; l'adresse avec laquelle elle imagine un prétexte, pour son voyage, sans révéler la méchanceté d'Esaü, sans que le père puisse en soupçonner la cause réelle? Et, en même temps, comme elle donne à son fils un bon conseil, de telle sorte que la crainte le détermine à suivre sa pensée; et, en même temps, le père entend alléguer un motif plausible; il s'ensuit que le juste, déterminé par ces paroles, munit Jacob de sa bénédiction comme d'un viatique et le congédie.

Maintenant, s'il vous est agréable, et si vous n'êtes pas fatigués, voyons comment Jacob accomplit son voyage. Ne méprisons pas le fruit que nous pourrons recueillir ici de notre attention. En effet, la vie des hommes justes est tout un enseignement de sagesse. Voyez donc ce jeune homme, qui n'est pas encore sorti de la maison paternelle, qui, jusqu'à ce moment, n'a pas la moindre idée d'un voyage, ne s'est jamais trouvé en pays étranger, n'a jamais supporté d'épreuve; voyez-le, qui se met en route, et comprenez l'excellence de sa sagesse. Jacob étant sorti du Puits du serment, s'en alla à Charran, et, étant venu en un certain lieu, comme il voulait s'y reposer, après le coucher du soleil, il prit une des pierres qui étaient là, et la mit sous sa tête, et s'endormit dans ce même lieu (Gn 28,10-11).

Voyez-vous la sagesse au-dessus de toute expression? Voyez-vous cette manière de (358) voyager, dans les temps qui ne sont plus? Voilà un homme qui n'est pas sorti de chez lui je veux le redire, habitué à voir autour de lui des serviteurs en foule. C'était un homme simple de moeurs, dit le texte, et retiré à la maison (Gn 25,27) ; le voilà, au début d'un voyage, et il n'a besoin ni de bêtes de somme, ni de serviteurs, ni de bagages: c'est un apôtre qui l'ait un voyage, au coucher du soleil, il s'endort où la nuit l'a surpris. Il prit, dit le texte, une pierre et la mit sous sa tête. Voyez la robuste nature du jeune homme; une pierre lui sert d'oreiller, et, sur la terre, il dort. Mais aussi, comme il avait une âme généreuse, un esprit viril, au-dessus de toutes les vanités du siècle, il a mérité de voir cette admirable vision . C'est l'habitude de notre Dieu: quand il trouve une âme bien disposée, peu touchée des choses présentes, il se plait à lui montrer toute l'affection qu'il a pour elle.

5404 4. Voyez donc ce juste, couché par terre, et voyant cette fameuse vision, disons mieux, jugé digne de la vision de Dieu. En effet, dit le texte, il s'endormit, et voici qu'une échelle lui apparut, dont le pied était sur la terre, et le haut touchait au ciel, et les anges de Dieu montaient et descendaient le long de l'échelle; et le Seigneur, appuyé sur l'échelle, lui disait : Je suis le Dieu d'Abraham, et le Dieu d'Isaac, ton père, sois sans crainte (Gn 28,12-13). Considérez, je vous en conjure ici, la clémence de Dieu. Il le voyait docile aux conseils de sa mère, et, parce qu'il redoutait son frère, entreprendre un long voyage; il était pour ainsi dire errant, seul, salis compagnon, sarns consolation aucune;, n'attendant rien que du secours d'en haut ; et tout de suite, et dès le commencement, jaloux de fortifier son courage, Dieu lui apparaît et lui dit : Je suis le Dieu d'Abraham, et le Dieu d'Isaac ton père; c'est moi qui élevai le patriarche et ton père à. une gloire si éclatante; sois donc sans crainte, aie confiance en moi, j'ai rempli les promesses que je leur ai faites, et je te prouverai, à toi aussi, que ma providence veille sur toi; sois donc sans crainte, et prends confiance; bannis toute frayeur, ajoute foi à mes paroles. Cette terre où tu dors, je te la donnerai, â toi et ci ta race, et ta race ressemblera au sable de la mer (Gn 28,14) Ne t'imagine pas, dit-il, parce que tu vas maintenant sur la terre étrangère, que tu seras privé de la terre où tu es né, où tu as été élevé, où tu as grandi, car je la donnerai, cette terre, à toi, et à ta race, et je ferai que ta race s'augmente de manière à égaler le sable de la mer. Et elle se propagera du côté de la mer, du côté du midi, vers le septentrion, vers l’orient, c'est-à-dire, elle se propagera en tous les sens, et toutes les nations de la terre seront bénies en toi et en ta race.

Voyez comme Dieu lui prédit, dès ce moment, tout ce qui arrivera longtemps après; c'est en effet l'habitude du Dieu de l'univers, de faire aux justes; pris chacun en particulier, des promesses dont l'accomplissement ne suit pas aussitôt. l exerce l'obéissance et la patience des justes, et il remplit magnifiquement, les promesses qu'il leur a annoncées: Après cette prédiction de l'avenir, Jacob avait besoin, pour le moment, d'une consolation particulière. Voyez comme la bonté du Seigneur, en lui déclarant l'avenir, ranime en même temps sa confiance; il lui dit en effet: Ne pense pas que je me borne aux seules promesses que je te fais ; ce n'est pas tout, je suis avec toi, je te garde partout où tu vas (Gn 28,15). Ne t’imagine donc pas, dit-il, que tu sois seul sur ton chemin ; tu m'auras pour compagnon de route, tu m'auras comme gardien, quelque chemin que tu fasses, te rendant tous les fardeaux légers, abaissant devant toi tous les obstacles. Il augmente ensuite la consolation ; il lui prédit son retour au milieu des siens : Je te ramènerai, lui dit-il, dans ce pays; ne t'effraye donc point, comme si tu devais vivre dans une terre étrangère; Je te ramènerai dans ce pays, et je ne te quitterai point que je n'aie accompli tout ce que je t'ai dit. Je ne te perdrai pas de vue, je ne te laisserai.;pas dans l'incertitude, dépourvu de ressources ; tout ce que je t'ai promis, je (accomplirai. Qui pourrait assez admirer l'ineffable bonté de Dieu, et l'excès de sa clémence? Voyez quelle magnifique promesse il fait au juste, comme il relève son courage. Considérez aussi la reconnaissance du juste; après tant de promesses, il supporte facilement, auprès de Laban, pendant vingt années, mille épreuves; sans se plaindre, sans réclamer contre la longueur du temps; il supporte tout avec un généreux courage, attendant l'accomplissement des promesses; persuadé que la parole de Dieu a toujours son effet, surtout quand nous montrons avec ardeur les vertus qu'il exige de nous, la foi et la patience, et la confiance (359) aux promesses du Seigneur; confiance aussi solide, que si ses promesses étaient déjà accomplies. Voilà en effet la foi véritable ; elle ne s'arrête pas aux choses visibles, alors même que tout semble contredire les promesses, elle te fie uniquement au pouvoir de celui qui a promis. Mais, voyons maintenant la reconnaissance de ce juste. Jacob s'éveilla, dit le texte, de son sommeil, et dit : Le Seigneur est vraiment en ce lien-ci, et je ne le savais pas, et il fut saisi de frayeur, et il dit : Combien ce lieu est terrible! c'est bien ici la maison de Dieu, et ceci est la porte du ciel (Gn 28,16-17). Le juste est frappé de stupeur, dit le texte, ce qui est un effet de l'extrême miséricorde de Dieu, et il dit : C'est bien ici la maison de Dieu, et ceci est la porte du ciel. Ce lieu-ci s'appelle désormais pour moi, la maison de Dieu. Eh bien ! puisque j'ai été jugé digne d'une telle vision, :puisque j'ai vu pour ainsi dire, la porte du ciel, il est juste que j'offre au Seigneur l'action de grâces qui lui. est. due. Et Jacob se leva, et prit la pierre qu'il avait mise sous sa tête, et l'érigea comme un monument, et répandit de l'huile dessus, et Jacob appela ce lieu la maison de Dieu. Ce lieu avait un autre nom auparavant (Gn 28,18-19). Après avoir été honoré d'une vision si magnifique, il en consacre le souvenir dans le nom donné au lieu; il veut que la postérité regarde cet endroit comme un endroit fameux; il y dresse une pierre,en manière de colonne; sur la pierre il verse de l'huile (vraisemblablement c'était la seule chose que ce voyageur eût emportée avec lui), et il adresse au Dieu plein de bonté, une prière inspirée par la vraie sagesse.

5405 5. Et si vous voulez, écoutons maintenant les paroles mêmes de cette prière : Et il fit ce voeu, dit le texte, en disant : Si le Seigneur, mon Dieu, demeure avec moi, s'il me protège dans le chemin par lequel je marche. Vous vous rappelez que Dieu avait dit : Je suis avec toi, et je te garderai dans le chemin par lequel tu marches. Voilà pourquoi Jacob à son tour dit: S'il m'arrive ce que tu m'as promis de me donner. Il ajoute maintenant sa prière en disant: Si Dieu me donne du pain pour manger, et un vêtement pour me couvrir; il ne demande pas des richesses, l'abondance, le luxe, ruais du pain et un vêtement. Ce vêtement, pour se couvrir le corps; ce pain, comme un aliment nécessaire. Considérez le caractère apostolique que sa prière révèle; tel était l'amour de la sagesse qui remplissait l'âme de l'homme juste. Ce que le Christ disait : Ne possédez ni or ni argent, ni deux tuniques (Mt 10,9), ce patriarche, sans aucun maître, de lui-même, l'avait appris, du maître que nous portons naturellement en nous; et il demandait à Dieu du pain pour manger, et un vêtement pour se couvrir. Si j'ai cela, dit-il, sur la terre étrangère : Et si Dieu me ramène sain et sauf dans la maison de mon père, comme il me l'a promis, le Seigneur sera mon Dieu, et cette pierre que j'ai dressée comme un monument, sera pour moi la maison de Dieu, et je vous offrirai, Seigneur, la dîme de tout ce que vous m'aurez donné (Gn 28,21-22). Voyez la sagesse du juste; il demandait sans doute, mais rien de précieux, rien que du pain et un vêtement, et il promettait, au Seigneur, de lui donner de ses propres biens; c'est qu'il n'ignorait pas que Dieu rivalise avec nous de munificence, que ses rétributions dépassent nos pensées; et il dit : Cette colonne sera pour moi la maison de Dieu, et, de toutes les choses que vous me donnerez, Seigneur, je vous donnerai la dîme. Avez-vous bien compris cette sagesse d'une âme qui aime Dieu? Il n'a encore rien reçu, et il promet de rendre, au Seigneur, la dîme des biens qui lui seront accordés.

Gardons-nous, mes bien-aimés, de passer outre, sang nous arrêter sur ces paroles; rivalisons tous avec ce juste; nous qui vivons sous la loi de grâce, imitons celui qui vécut avant la loi; et ne demandons rien de ce qui est temporel au Seigneur. En effet, il n'attend pas de nous que nous l'avertissions; il prévient même nos demandes, pour nous donner ce dont nous avons besoin. Il fait lever sors soleil sur les méchants et sur les bois; il fait tomber sa pluie sur les justes et sur les injustes (Mt 5,45). Et croyons en ses avertissements et ses paroles : Cherchez premièrement le royaume de Dieu, et toutes ces choses vous seront données par surcroît (Mt 6,33). Comprenez-vous qu'il nous a préparé lui-même, en don, jusqu'à ces autres biens, qu'il nous promet de nous les donner à titre de profit, et par surcroît? N'allez donc pas demander, à titre de nécessaire, ce que vous recevrez par surcroît; procédons avec ordre; cherchons ce qu'il nous a commandé de chercher, afin qu'il nous soit permis de jouir et des biens nécessaires, et des autres. Voilà pourquoi le (360) Seigneur nous a fixé, dans la prière qu'il nous a prescrite, la mesure dans laquelle nous devons demander les biens présents. Voilà les paroles qu'il nous dit de prononcer, paroles qui renferment toute la sagesse : Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien (Mt 6,41) ; l’aliment de la journée, dit-il, et telle est la prière de ce juste, quoiqu'il n'eût rien entendu de cet enseignement : Si le Seigneur me donne du pain pour manger, et un vêtement pour me couvrir. Ne lui demandons rien autre chose pour le présent, c'est une indignité de demander, à tant de générosité, à tant de pouvoir, des choses qui se dissipent avec la vie présente. Voilà ce que sont les choses humaines, les richesses, la puissance, la gloire qui vient de l'homme. Demandons ce qui subsiste toujours, les biens qui suffisent, les biens immuables. Instruits de la bonté de Notre-Seigneur, méprisons les choses présentes, attachons tout notre amour aux biens du ciel; car s'il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, s'il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes, à plus forte raison aura-t-il des regards pour ceux qui s'abstiennent de la malignité, qui fuient l'injustice. Il les entourera de tous les soins de sa providence ; en toute circonstance il leur prouvera sa sollicitude. Instruits de cette vérité, mes bien-aimés, ne refusons pas notre foi aux divines promesses; ne faisons rien de contraire à ses ordres. En vérité, à considérer notre conduite d'aujourd'hui, entre nous et les infidèles quelle différence? Lorsque c'est Dieu lui-même qui nous garantit l'avenir, et que nous refusons de nous fier en ses paroles; quand nous rivons nos pensées au présent, je vous le demande, quelle autre marque faut-il encore de notre incrédulité ? Les faits eux-mêmes ne parlent-ils pas assez haut? Et quand le Christ nous invite à ne rien lui demander de ces biens fragiles, qui n'ont qu'un temps, quand il nous prescrit de lui demander les biens impérissables, nous résistons à ses conseils. Ce qu'il ne veut pas que nous recherchions est l'objet de notre recherche ; et ce qu'il nous dit de demander, c'est justement ce que nous ne demandons pas. Et en suivant cette conduite, par notre lâcheté, par notre indolence, nous irritons le Dieu de douceur et d'amour; et, en même temps, nous oublions les fautes que nous commettons chaque jour; et, s'il s'indigne, nous demandons pourquoi, pourquoi il nous méprise, pourquoi il nous laisse tomber en diverses tentations; et jamais nous ne pensons à la grandeur de nos fautes; et nous sommes les premiers à nous tromper nous-mêmes. Aussi, je vous en conjure, brisons tous ces obstacles, cessons de rien mettre au-dessus de notre salut. En effet, Que sert-il à l'homme de gagner le monde tout entier et de perdre son âme? (Mt 16,26). Ces richesses superflues, vidons-les dans les mains des pauvres; montrons en toutes choses l'ardeur de notre zèle pour la sagesse; méprisons la vaine gloire; foulons aux pieds le faste qui séduit les hommes; montrons, les uns envers les autres, le zèle ardent d'une charité réciproque; rendons-nous dignes et des biens présents et des biens à venir, parla grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.





CINQUANTE-CINQUIÈME HOMÉLIE. Et Laban dit à Jacob : « Parce que vous êtes mon frère, ce n'est pas une raison pour que vous serviez gratuitement. Dites-moi quelle rétribution vous désirez. »

5500 (Gn 29,15).


ANALYSE.

1. Résumé de l'homélie précédente. Jacob met toute sa confiance en Dieu. Quelle était l'hospitalité des anciens. —  2 et 3. Explication des versets 15-18. L'amour de Jacob pour Rachel accuse notre indifférence pour Dieu. Comment saint Paul aimait lieu, il faut l'imiter. —  4 La longueur du temps n'est pas nécessaire pour obtenir la rémission des péchés. Puissance de l'aumône. — 5. Exhortation à la pratique de l'aumône.         .


5501 1. Hier les préludes du voyage de l'homme juste nous ont assez montré la grandeur de sa sagesse, qui lui a mérité d'entendre de si magnifiques promesses de la part de Dieu. Ces prières, les voeux adressés par lui au Maître de l'univers, ont été ensuite, pour nous tous, un enseignement assez éloquent, si son exemple nous excite à imiter sa vertu. C'est en effet une chose admirable que ce juste, connaissant le pouvoir de Celui qui lui faisait les promesses, que ce juste qui entendait des promesses si magnifiques, même dans ces circonstances, n'ait pas songé à rien demander de grand ni de sublime. Qu'a-t-il demandé? ce que vous avez entendu hier; ce qui suffisait à sa nourriture de chaque jour, un vêtement pour secourir le corps, et bien vite, il s'engage, si Dieu lui accorde, comme il lui en a fait la promesse, de retourner au milieu des siens, à donner, de son côté, au Seigneur, la dîme de tous les biens qu'il en recevra. Toutes ses paroles montrent sa confiance dans le pouvoir de Celui qui lui fait la promesse; il nous enseigne à n'avoir de confiance qu'en lui. C'est que cet homme juste connaissait l'ineffable bonté du Seigneur; ce qui l'en assurait, c'était le soin que Dieu avait pris de son père, et il ne doutait pas que Dieu lui accordât à lui-même l'abondance de tous lesbiens. Aussi, ne demande-t-il rien de pareil au Seigneur; il n'y songe pas dans ses prières; mais sa promesse de donner un jour la dîme de tout ce qu'il recevra, montre assez toute sa confiance dans le pouvoir du Dieu qui lui a tant promis. Voilà pourquoi le Seigneur lui disait : Je suis le Dieu d'Abraham et d'Isaac ton père, sois sans crainte (Gn 26,24). Pense, lui disait-il, qu'Abraham venu sur cette terre, comme un voyageur que nul ne connaît, s'est élevé à une gloire si éclatante que toutes les bouches célèbrent son nom; considère, de même, que ton père est venu au jour, lorsque le vieil Abraham touchait aux dernières limites de l'âge, et que ton père a grandi de manière à exciter l'envie des habitants de la contrée. Eh bien donc ! attends, pour toi, les mêmes biens ; bannis toute crainte, toute inquiétude, et marche devant toi dans ces pensées. Le juste ne s'arrêtait pas à regarder son état présent. En effet, il ne portait absolument rien avec lui, qu'aurait-il pu emporter? il était seul et contraint à un long voyage. Mais, dès ce moment, avec les yeux de la foi, il voyait l'abondance qui devait bientôt être son partage; et il montrait sa reconnaissance. Avant d'avoir rien reçu, il fait un voeu, il consacre la dîme ; la promesse de Dieu lui inspire plus de confiance que la réalité même de la possession. Et en effet, nous devons moins nous fier à ce que nous tenons dans nos mains, à ce que nous voyons, qu'aux (362) promesses de Dieu, alors même qu'elles ne s'accomplissent pas aussitôt. Donc, plein de l'assurance que lui donnent les paroles de Dieu, le juste entreprend son voyage, et comment n'aurait-il pas eu pleine assurance? Dieu lui avait dit : Voici que je suis avec toi, ton gardien, partout où tu iras, et je multiplierai ta race, et je te ramènerai dans ce pays, et je ne te quitterai point, jusqu'à ce que j'aie accompli toutes mes promesses (Gn 28,15). Je veux répéter ce que j'ai dit hier; considérez l'industrieuse sagesse de Dieu; considérez la constance, la reconnaissance de ce juste. Il se leva, après avoir entendu ces promesses, et se dirigea vers Chanaan; et le voilà encore voyageur, errant, mais à chaque heure éprouvant les effets de la divine grâce; c'est le Dieu d'amour qui lui prépare, en tous lieux, le chemin, et qui accomplit sa promesse. En effet, celui qui avait dit : Je suis avec toi; ton gardien, partout où tu iras, c'est celui-là qui conduisit le juste vers le puits où les bergers de ce pays allaient chercher l'eau. Il les interrogea, au sujet de Laban, le frère de sa mère; il apprit d'eux tout ce qui le concernait; il vit ensuite et la fille de Laban, et ses troupeaux: il vit les habitants du pays qui ne pouvaient pas ôter la pierre de dessus le puits afin d'abreuver leurs troupeaux; il accourut; et ce que ces hommes n'avaient pas la force de faire, il le fit, grâce au secours d'en haut; il prévint les bienfaits de Laban, ôta la pierre, et abreuva les brebis, que faisait paître Rachel. Ensuite il baisa la jeune fille, lui dit qui il était, d'où il venait, et resta auprès de la fontaine. Mais, comme c'était Dieu qui disposait toutes choses en faveur de l'homme juste, Dieu excita la jeune fille à courir promptement pour porter la nouvelle à son père, qui était l'oncle de Jacob, le frère de sa mère; elle lui raconta le service que le voyageur venait de rendre, et à elle-même et à son troupeau; elle lui apprit que ce voyageur n'était, ni un étranger, ni un inconnu, mais le fils de sa soeur.

Considérez, mes bien-aimés, le soin que prend la divine Ecriture de nous faire connaître tous les détails, un à un, pour nous apprendre les moeurs antiques, l'ardeur des anciens hommes à pratiquer l'hospitalité. L'Ecriture veut nous montrer l'empressement de la jeune fille, et le texte ne se borne pas à dire: Elle alla porter la nouvelle de ce qui était arrivé; mais, elle courut; c'est-à-dire qu'elle était pénétrée d'une grande joie (Gn 29,12). Et ensuite, au sujet de Laban, qui était le père de la jeune fille, le texte dit, que sur ce qu'elle lui raconta, il courut, lui-même aussi, au-devant de Jacob, et le baisa et l'amena dans sa maison (Gn 29,13).

5502 2. Lorsque Laban eut appris de lui tout ce qu'il voulait savoir, Laban lui dit: vous êtes de mes os et de ma chair (Gn 29,14); c'est-à-dire, puisque vous êtes le fils de ma soeur, vous êtes de notre chair, vous êtes notre frère. Et, dit le texte, il resta avec lui un mois; le juste se trouva là, comme dans sa propre maison, au sein de l'abondance, affranchi de toute espèce de soin. Mais comme Dieu disposait toutes choses dans l'intérêt de ce juste, et lui manifestait, en toutes choses, sa faveur et sa grâce, il excita pour lui l'affection de Laban et celui-ci, voyant l'honnêteté du juste, lui dit : Parce que vous êtes mon frère, ce n'est pas une raison pour que vous me serviez gratuitement; Dites-moi quelle rétribution vous est due. Considérez que le juste, de lui-même, ne demandait rien ; c'est Laban, qui sans aucune provocation, de son propre mouvement, fait cette proposition au juste; et considérez encore, lorsqu'un homme s'appuie sur le bras d'en haut, comme tout afflue vers lui, ce n'est pas une raison, dit le texte, pour que vous me serviez gratuitement; Dites-moi quelle rétribution vous est due. Cependant ce bienheureux aimait Laban, et il lui suffisait de trouver auprès de lui la nourriture de chaque jour; et, pour ce seul avantage, il lui témoignait toute sa reconnaissance ; mais Laban, qui a vu toute son honnêteté, le prévient, en lui promettant de souscrire à la rétribution que lui-même fixera. Que fait donc le juste? Considérez encore ici, sa parfaite sagesse, son parfait désintéressement, son mépris de l'argent; ce n'est pas un mercenaire qui conteste avec Laban, qui réclame quoi que ce soit; il ne pense qu'à sa mère, qu'aux ordres qu'il a reçus de son père, et il montre l'excellence de sa sagesse; dans sa réponse à Laban : Je vous servirai sept ans, pour Rachel, votre seconde fille (Gn 29,18). C'est qu'aussitôt qu'il l'avait vue auprès du puits, il l'avait aimée ; et voyez l'intelligence de Jacob ; il fixe l'intervalle de temps ; et, par ce chiffre de sept années, il montre suffisamment la sagesse qui l'inspire. Et pourquoi vous étonner, mes bien-aimés, d'entendre dire qu'il promit de servir sept ans pour la jeune fille qu'il (363) aimait? La divine Ecriture a voulu nous montrer l'excès de son amour en fixant la longueur du travail et du temps qu'il propose : Jacob le servit donc sept ans, pour Rachel, et ces années lui parurent des jours en bien petit nombre, au prix de l’affection que lui avait pour elle (Gn 29,20).

Ce nombre de sept ans, dit le texte, ce n'était que comme quelques jours, à cause de sa vive affection pour la jeune fille. C'est que l'homme blessé par l'amour ne voit rien de pénible; tous les dangers, toutes les épreuves, tout lui semble léger, parce que ses regards ne voient qu'une chose, parce qu'il n'a qu'une pensée, rassasier son amour.

Soyons attentifs, nous tous, que tient la lâcheté et l'abattement d'esprit, et qui ne montrons au Seigneur que notre ingratitude. Si ce juste, parce qu'il aimait cette jeune fille, s'est assujetti à servir pendant sept années, a supporté les fatigues des bergers et n'a ressenti ni ces fatigues, ni la longueur du temps; si tout lui a paru léger et facile, parce qu'il avait pour soutenir son courage, l'attente de la félicité à venir; si ce temps si long lui a paru comme un petit nombre de jours bien vite passés, quelle sera notre excuse, à nous, qui n'avons pas le même amour pour le Dieu qui nous aime, qui nous comble de bienfaits, qui nous entoure de ses soins, qui se donne tout à nous? S'agit-il d'un de ces profits du monde; nous voilà pleins d'ardeur, prêts à tout, acceptant les fatigues, quoique ce bien que nous poursuivons, ne soit que trop souvent un pesant fardeau, une occasion de honte et de châtiment, dans le présent et dans l'avenir. Mais s'il s'agit de notre salut, s'il faut nous concilier la faveur d'en haut, nous sommes sans énergie, sans courage, et notre vigueur s'en va. Quelle pourra être notre excuse, que pourrons-nous dire pour justifier notre nonchalance, nous, sans coeur, qui n'avons pas pour Dieu le même amour que ce bienheureux pour cette jeune fille, et cela malgré tant de bienfaits depuis longtemps reçus, malgré tant de bienfaits, que nous recevons encore chaque jour? Oui, nous sommes des ingrats; le bienheureux Paul n'était pas un ingrat, lui, dont l'amour bouillant, dont la charité ardente trouvait des paroles, des cris, des accents vraiment dignes de sa grande âme : Qui nous séparera de l'amour de Jésus-Christ? (Rm 8,35). Voyez la chaleur de l'expression et la force qu'elle recèle, voyez la ferveur de l'amour violent, voyez la charité embrasée. Qui nous séparera, c'est-à-dire, quoi donc peut nous séparer de l'amour pour Dieu, quoi donc parmi les choses visibles, quoi donc parmi les invisibles?

5503 3. Ensuite, il énumère un à un tous les malheurs particuliers, pour bien montrer à tous, que rien ne peut triompher de l'amour qui le possède, de son amour pour le Seigneur; il ajoute : La tribulation ? l'affliction ? la faim ? la persécution? la nudité ? les périls? le glaive? O délirante folie, mère de la vraie sagesse ! De tout ce qui peut nous arriver, Qu'est-ce donc qui nous séparera de l'amour de Dieu? Les tribulations de chaque jour? non ; les afflictions ? non; les persécutions? non, jamais. Quoi donc alors ? la faim? non, pas même la faim; mais alors les périls? et que dis-je? la faim et la nudité, et les périls? Ah ! le glaive? eh bien, dit-il, la mort même, fondant sur nous, n'aura pas ce pouvoir; impossible, absolument impossible. Nul autre, non, jamais personne n'a mérité de ressentir l'amour pour le Seigneur, autant que cette âme bienheureuse ; c'était comme un esprit affranchi du corps, séjournant dans les espaces sublimes, ne touchant plus la terre, quand il faisait entendre de telles paroles; son amour pour Dieu, la charité qui l'embrasait, transportait sa pensée loin des choses sensibles, vers la vérité pure; loin des choses présentes, vers les biens à venir ; loin des choses visibles, vers celles que l'oeil ne voit pas. Voilà ce que fait la foi, voilà l'amour de Dieu. Et, comprenez la grandeur du sentiment qui le pénètre, voyez quel amour pour le Seigneur; voyez quelle charité brûlante, dans la fuite, dans la persécution, dans les verges, dans les innombrables épreuves qu'il supporta, qu'il énumérait ainsi: J'ai plus souffert de travaux, plus reçu de coups: souvent, j'ai vu mille morts; j'ai reçu des Juifs, à cinq reprises différentes, trente-neuf coups de fouet; j'ai été battu de verges, par trois fois; j'ai été lapidé une fois; j'ai fait naufrage trois fois; j'ai passé, un jour et une nuit, au fond de la mer; j'ai été souvent dans les voyages, dans les périls sur les fleuves, dans les périls des voleurs, dans les périls de la part des faux frères, dans la peine et dans les fatigues (2Co 11,23-27).

Et celui qui subissait tant d'épreuves, se réjouissait et tressaillait d'allégresse ; il savait, il avait au fond du coeur la conviction, que les (364) fatigues présentes lui assuraient les plus glorieuses récompenses; que ses périls lui valaient des couronnes. Si Jacob, dans son amour pour Rachel, regardait comme le court espace de quelques jours une durée de sept années, à bien plus forte raison, ce bienheureux méprisait-il toutes les choses présentes, embrasé qu'il était de son amour pour Dieu, supportant tout, pour son Christ bien-aimé. Appliquons-nous donc, nous aussi, je vous en conjure, à aimer le Christ, car, que demande-t-il de vous, dit l'Evangéliste? rien autre chose, que de l'aimer de tout votre coeur, et d'accomplir ses commandements (Mc 12,30). Il est évident que celui qui aime Dieu, comme il convient, fera tous ses efforts pour accomplir ses préceptes ; l'amour fraternel fait tout avec ardeur, pour s'attirer l'amour du bien-aimé; et nous aussi, si notre coeur chérit sincèrement le Seigneur, nous nous empresserons d'accomplir ses commandements; nous ne ferons rien qui puisse aigrir contre nous le bien-aimé. Voilà la royauté du ciel; voilà, des vrais biens la vraie jouissance ; voilà ce qui renferme les biens infinis, la sincérité, la perfection de l'amour. Et notre amour pour Dieu est sincère, quand l'affection que nous lui portons, nous excite à montrer, à nos compagnons d'esclavage, la tendresse d'un ardent amour. Toute la loi des prophètes, dit l'Evangéliste, sont renfermés dans ces deux commandements (Mt 22,40), à savoir: Que vous aimiez le Seigneur, votre Dieu, de tout votre coeur, de toute votre âme et de toutes vos forces, et votre prochain comme vous-même (Mc 12,30-31). Voilà la somme, voilà le fondement de toutes les vertus. En même temps que l'amour de Dieu fait son entrée dans les âmes, y entre aussi l'amour du prochain; qui aime Dieu, ne méprise pas son frère, ne préfère pas les richesses à celui qui est un de ses membres; au contraire, c'est l'amour, c'est la bonté qui se manifeste au souvenir de cette parole : Autant de fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi-même que vous l'avez fait (Mt 25,40). Cette pensée que ce que l'on fait au prochain, est fait à Dieu même, qui nous l'attribue comme un bienfait, qu'il a reçu de nous, donne au vrai fidèle l'allégresse de la charité. Dès lors, d'une main généreuse, il répand autour de lui l'aumône; il ne s'arrête pas à l'extérieur méprisable du pauvre; il ne considère que la grandeur de Celui qui a promis qu'il regarderait comme fait à lui-même tout ce qui aurait été fait aux pauvres. Gardons-nous donc de dédaigner, je vous en conjure, ce profit de nos âmes, ce remède de nos blessures. Voilà, en effet, voilà, par excellence, le remède salutaire, qui fera disparaître les ulcères de nos âmes, jusqu'aux vestiges de toutes les cicatrices; qui produira une cure, impossible pour le corps. Vous avez beau, d'après les conseils des médecins, mettre cataplasmes sur cataplasmes ; il faut que, sur le corps, la cicatrice demeure, et cela se comprend; c'est le corps en effet qu'il s'agit de guérir ; au contraire, quand il s'agit de guérir l'âme, la bonne volonté produit une amélioration merveilleuse; les plaies disparaissent, comme la poussière que dissipe la violence des vents. Les Ecritures sont pleines d'exemples qui le prouvent. Ainsi Paul est devenu, de persécuteur, apôtre; et celui qui d'abord combattait l'Eglise, est devenu fiancé de la divine grâce.

5504 4. Comprenez-vous le changement? comprenez-vous la transformation? C'est ainsi que le larron, qui avait commis tant de meurtres, a pu, pour quelques paroles que vous connaissez, en moins d'un instant, si bien laver toutes ses fautes, qu'il a entendu, de la bouche du Seigneur : Aujourd'hui, vous serez avec moi dans le paradis (Lc 23,43). C'est ainsi que;le publicain, pour s'être frappé la poitrine, pour avoir confessé ses fautes, est descendu du temple plus justifié que le pharisien (Lc 18,13). C'est que tous ces pécheurs manifestèrent la bonne disposition de leur âme; ils confessèrent leurs péchés, ils en obtinrent la rémission. Eh bien ! maintenant, voyons la force de ce précepte, l'abondance qui accompagne les largesses de l'aumône; apprenons quel profit en résulte pour nous, afin de la pratiquer avec ardeur. Peut-être son pouvoir est-il si grand que, non seulement elle purifie les péchés, mais déconcerte la mort. Comment cela? je vais le dire : Et qui donc, m'objectera-t-on, pour avoir fait l'aumône, a triomphé de la mort? A coup sûr, on voit bien que nous sommes tous asservis à la mort. Cessez de vous troubler, mes bien-aimés; apprenez, par la réalité môme des choses, comment l'aumône triomphe de la tyrannie de la mort. Il y avait une femme, appelée Tabitha, nom qui correspond au grec Dorcas; chaque jour cette femme (365) s'appliquait à amasser les richesses qui viennent de l'aumône. Elle donnait, dit le texte, des vêtements aux veuves, et leur fournissait 3 toutes les autres choses qui leur sont nécessaires. Il arriva qu'elle tomba malade, et mourut. Voyez ici, mon bien-aimé, quelle récompense ; les veuves donnèrent à cette femme bienfaisante, qui prenait soin d'elle, qui leur donnait des vêtements. Elles entourèrent l'apôtre, dit le texte, et lui montrèrent ces vêtements, et toutes les preuves de la bonté de Dorcas, et des vertus qu'elle manifestait, quand elle était encore au milieu d'elles. Ces veuves redemandaient celle qui les nourrissait, et elles versaient des larmes, et elles touchèrent vivement la compassion de l'apôtre. Que fit alors le bienheureux Pierre? Il se mit à genoux, en prières, et, se tournant vers le corps, il dit: Tabitha, levez-vous; elle ouvrit les yeux, vit Pierre, et se mit sur son séant. Il lui donna aussitôt la main et la leva; et, ayant appelé les saints et les veuves, il la leur rendit vivante (Ac 9,40-41). Voyez-vous la vertu de l'apôtre, disons mieux, la vertu du Seigneur, opérant par lui? Voyez-vous la grandeur de la rétribution qui récompense la charité envers les veuves, la grandeur de la rémunération, même dans la vie présente? Eh quoi ! répondez-moi, cette femme a-t-elle fait, pour les veuves, autant que les veuves ont fait pour elle? elle leur donna des vêtements et de la nourriture, mais les veuves, en retour, l'ont rendue à la vie ; elles ont repoussé la mort loin d'elle; disons mieux, ce ne sont pas ces veuves qui ont repoussé la mort, c'est dans sa clémence, Notre-Seigneur, jaloux de récompenser les soins de cette bienfaitrice.

Comprenez-vous la puissance de ce remède, ô mes bien-aimés? Appliquons-le donc, tous tant que nous sommes, à nous-mêmes ; ce n'est pas un remède dispendieux ; quoiqu'il soit d'une si grande efficacité, il coûte peu, on se le procure sans frais; car la grandeur de l'aumône ne consiste pas dans la valeur de l'argent, dans le prix des richesses, mais dans l'allégresse de la charité qui s'épanche. Voilà pourquoi celui qui donne un verre d'eau froide est agréable au Seigneur; et, de même, la pauvre femme qui jette dans le tronc deux petites pièces de monnaie (Mt 10,42 Lc 21,2). Ces exemples nous apprennent que c'est, en toutes choses, la pureté de l'intention que demande le Seigneur Dieu de tous les êtres. Il peut se faire que celui qui n'est pas riche, montre une grande libéralité, s'il a dans son coeur une grande charité ; il peut se faire que le riche paraisse moins généreux que le pauvre, si ce riche a une âme sordide. Versons donc, je vous en prie, ce que nous possédons, dans les mains des indigents; faisons-le, d'une âme charitable et magnifique, avec les dons que nous tenons du Seigneur; ce que nous avons reçu de lui, rendons-le lui encore,afin que, de cette manière encore, ces biens redeviennent nôtres, avec plus de profit. Telle est, en effet, la générosité du Seigneur; quoiqu'il ne reçoive que ce que lui-même nous a donné, il ne croit pas pourtant recevoir de nous ce qui lui appartient en propre; mais, dans sa grande munificence, il nous promet de tout nous rendre, à là seule condition que nous fassions ce qui dépend de nous; que nous sachions bien, quand nous donnons aux pauvres, que nous faisons un dépôt dans les mains du Seigneur; que nous soyons bien assurés que, quels que soient les trésors déposés dans ses mains, non seulement il nous les rendra, mais nous les rendra avec usure, avec un très grand profit, qui attestera la gloire de son incomparable magnificence. Et que dis-je? que Dieu nous rendra nos dons avec profit; non seulement la main divine rend ce qu'on lui donne, mais, à tous ces présents, elle ajoute le don du royaume des cieux, et la gloire partout proclamée, et les couronnes, et des biens qui ne se peuvent compter; et cela, à la simple condition, pour nous, de prélever, sur tant de bienfaits reçus de Dieu, une toute petite part, que lui offre notre bonne volonté. Y a-t-il donc là une exigence lourde et importune? De notre superflu, il veut faire, pour nous, le nécessaire; de ces trésors que nous déposons, sans but sérieux, inutilement dans des coffres d'où ne sort aucun profit, il veut que nous fassions un bon emploi, qui lui permette de nous décerner de splendides couronnes. Car Dieu est impatient, et il nous presse, et il fait tout, et il met tout en oeuvre, pourquoi ? Pour nous rendre dignes de toutes ses promesses.

5505 5. Donc, je vous en prie, ne nous privons pas de biens si précieux; si l'agriculteur diligent, vide ses greniers, confie les semences à la terre, dépense ce qu'il a mis longtemps à recueillir, et fait cette avance avec plaisir, dans l'espérance dé recueillir de plus grands biens, et cela, quoiqu'il n'ignore pas les intempéries (366) des saisons, la stérilité, dont parfois la terre est frappée, un grand nombre d'autres accidents; les sauterelles infestant les campagnes; la nielle, tous les fléaux qui, souvent, trompent son attente; si l'espérance qui le soutient, lui fait braver tout et confier hardiment à la terre ce qu'il a mis en réserve : à bien plus forte raison, nous, qui avons des réserves inutiles, dépensons-les utilement, pour les pauvres, pour nourrir les malheureux ; et cela, puisqu'il n'est pas à craindre que l'espérance nous trompe, ni que la terre, ici, soit stérile. Ne savez-vous pas ce que dit le texte: Il a dispersé, il a donné aux pauvres (Ps 111,9). Ecoutez encore la suite: Sa justice demeure éternellement.O l'admirable semeur ! il a fait, en quelques instants, sa distribution, et c'est dans l'éternité des siècles que sa justice demeure. Qui a jamais vu opération plus heureuse? Aussi, je vous en conjure, acquérons, nous aussi, la justice qui vient de l'aumône, afin que, de nous aussi, on puisse dire: ils ont dispersé, ils ont donné aux pauvres; leur justice demeure,éternellement.  Quand le texte dit: Il a dispersé, il a donné, vous pourriez croire que ce qui a été dispersé, est perdu; voilà pourquoi le texte aussitôt ajoute, Sa justice demeure éternellement, c'est-à-dire, par suite de cette, dispersion, il faut qu'une justice demeure, dont rien ne triomphe; une justice qui s'étende dans toute la durée des siècles, sans jamais rencontrer de fin. Et, avec l'aumône, pratiquons aussi, ardemment, les autres vertus; réprimons les passions de la chair: bannissons de notre âme toute illégitime concupiscence, toute pensée mauvaise: la colère, la haine, l'envie; parons, de tous .les ornements, la beauté de notre âme; par l'éclat de cette beauté, concilions-nous ; l'amour du Dieu du ciel, et puisse-t-il habiter avec nous !  Aussitôt qu'il verra les grâces aimables de notre âme, vite il viendra vers nous ; c'est lui qui fait entendre ces paroles. Sur qui jetterai-je les yeux, sinon sur l'homme, doux et paisible, et humble, qui écouté mes paroles avec tremblement (Is 66,2). Voyez-vous comme le prophète nous apprend les couleurs spirituelles qui peuvent rendre éclatante la beauté de l'âme? Sur l'homme doux, dit-il, et paisible et humble.Ensuite, il ajoute la cause qui produit cet étai: Et qui écoute mes paroles avec tremblement. Que signifie: qui écoute mes paroles avec tremblement? C'est, l'obéissance, qui réalise dans sa conduite les commandements de Dieu, comme le dit l'Ecriture, en un autre endroit: Heureux l'homme qui est toujours dans la crainte, à cause de la piété (Pr 28,14). Nous-mêmes, quand nous voyons un serviteur accomplir nos ordres, avec un soin qu'anime la crainte de nous déplaire, un serviteur tremblant devant nous, nous lui marquons une affection, une sympathie plus grande; c'est ce qui est bien plus vrai, de la bonté du Seigneur, à notre égard. De là, ces paroles: Je jetterai les yeux sur l'homme doux et paisible et qui écoute mes commandements avec tremblement. Tremblons donc, je vous en conjure, nous aussi; et, pénétrés d'une grande crainte, accomplissons ses paroles; car ses paroles ce sont les préceptes qu'ils nous a transmis. Instruits de ce qui lui plaît, de ce qu-il approuve, mettons-nous à l'ouvrage, et appliquons-nous à lui être agréables; montrons un grand amour de la paix, une grande mansuétude, une grande humilité ; accomplissons tous ses préceptes avec respect et avec crainte, afin qu'il approuve les dispositions de notre âme ; afin que, touché de notre obéissance, il daigne encore jeter les yeux sur nous. Si nous avons ce bonheur, nous jouirons de la parfaite sécurité ; car ces paroles : Je jetterai les yeux, veulent dire, j'entourerai de ma providence, je fendrai la main, je porterai secours, en toutes circonstances, j'épancherai l'abondance de ma libéralité. Pratiquons donc, en toutes choses, cette conduite, je vous en conjure, afin que le Seigneur jette les yeux sur nous; afin que nous passions sans tristesse la vie présente, et que nous puissions posséder les biens à venir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur .Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.





Traduit par M. PORTELETTE






Chrysostome sur Gn 5400