2002 Magistère Mariage 1255
"Royaume des Cieux"
14 avril 1982
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1. Poursuivons maintenant la réflexion des semaines précédentes sur les paroles touchant la continence pour le Royaume des Cieux que, selon Mt 19,10-12, le Christ a adressées à ses disciples.
Disons une nouvelle fois que ces paroles sont, dans toute leur concision, admirablement riches et précises: riches d'un ensemble d'implications aussi bien de nature doctrinale que de nature pastorale, en même temps qu'elles indiquent une juste limite en la matière. Ainsi donc, n'importe quelle interprétation manichéenne demeure rigoureusement au-delà de cette limite comme y reste également, selon ce qu'a dit le Christ dans son Sermon sur la Montagne, le désir concupiscent "dans le coeur" Mt 5,27-28.
Dans les paroles du Christ sur la continence pour le Royaume des Cieux, il n'y a aucune allusion à l'infériorité du mariage en ce qui concerne le corps, ou en ce qui concerne l'essence du mariage consistant dans le fait que l'homme et la femme s'unissent si intimement qu'ils deviennent une seule chair Gn 2,24: "Les deux seront une seule chair". Les paroles du Christ rapportées par Mt 19,11-12 (de même que celles de Paul dans 1Co 7) n'offrent aucune base permettant de soutenir soit l'infériorité du mariage, soit la supériorité de la virginité ou du célibat, en ce sens que ces derniers consistent, par leur nature, à s'abstenir de l'union conjugale par le corps. Sur ce point les paroles du Christ sont absolument claires. Il propose à ses disciples l'idéal de la continence et les y invite non pas pour un motif d'infériorité de "l'union conjugale dans le corps" ou par préjugé contre elle, mais seulement pour le Royaume des Cieux.
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2. A cette lumière, il se révèle particulièrement utile d'expliquer plus à fond, l'expression même pour le Royaume des Cieux. C'est ce que nous nous efforcerons de faire par la suite, au moins de manière sommaire. Mais en ce qui concerne l'exacte compréhension du rapport existant entre le mariage et la continence selon le Christ, et la compréhension de ce rapport comme l'a entendu toute la tradition, il vaut la peine d'ajouter que cette supériorité et cette infériorité sont contenues dans les limites de la complémentarité même du mariage et de la continence pour le Royaume de Dieu. Le mariage et la continence ne sont pas opposés l'un à l'autre et ne divisent pas de par eux-mêmes la communauté humaine (et chrétienne) en deux camps (disons: celui des parfaits à cause de la continence et des imparfaits ou moins parfaits à cause de la réalité de leur vie conjugale). Mais ces deux situations fondamentales, ou bien, comme on le dit habituellement, ces deux états s'expliquent et se complètent l'un l'autre, en un certain sens, quant à l'existence et à la vie (chrétienne) de cette communauté qui, dans son ensemble et dans tous ses membres, se réalise dans la dimension du Royaume de Dieu et a une orientation eschatologique, propre à ce règne. Or, en ce qui concerne cette dimension et cette orientation - auxquelles doit participer dans la foi la communauté tout entière, c'est-à-dire tous ceux qui en font partie - la continence pour le Royaume des Cieux a une particulière importance et une particulière éloquence pour ceux qui vivent la vie conjugale. On sait d'ailleurs que ces derniers constituent la majorité.
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3. Il semble donc qu'une complémentarité ainsi comprise trouve sa base dans les paroles du Christ selon Mt 19,11-12 (et également dans 1Co 7). Il n'y a, par contre, aucune base pour une opposition supposée selon laquelle les célibataires constitueraient, pour le seul motif de leur continence, la classe des parfaits et, au contraire, les personnes mariées constitueraient la classe des non-parfaits (ou des moins parfaits). Si, d'après une certaine tradition théologique, on parle de l'état de perfection (status perfectionis), on ne le fait pas en raison de la continence elle-même, mais à cause de l'ensemble de la vie fondée sur les conseils évangéliques (pauvreté, chasteté et obéissance), car cette vie correspond à l'appel du Christ à la perfection ("Si vous voulez être parfaits ... " Mt 19,21. La perfection de la vie chrétienne se mesure, par contre, à la charité. Il en résulte qu'une personne qui ne vit pas dans l'état de perfection (c'est-à-dire dans une institution qui base le plan de sa vie sur les voeux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance), c'est-à-dire qui ne vit pas dans un institut religieux mais dans le monde, peut atteindre de facto un degré supérieur de perfection - dont la charité est la mesure - par rapport à la personne qui vit l'état de perfection mais à un moindre degré de charité. Toutefois, les conseils évangéliques aident incontestablement à parvenir à une vie plus pleine charité. Aussi quiconque y parvient, même sans vivre dans un état de perfection institutionnalisé, atteint cette perfection qui jaillit de la charité, moyennant la fidélité à l'esprit de ces conseils. Cette perfection est accessible et possible à tout homme, dans un institut religieux comme dans le monde.
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4. Aux paroles du Christ rapportées par Mt 19,11-12 semble donc répondre de manière adéquate la complémentarité du mariage et de la continence pour le Royaume des Cieux, dans leur signification comme dans leur portée multiple. Dans la vie d'une communauté authentiquement chrétienne, les attitudes et les valeurs propres de l'un et de l'autre état - c'est-à-dire de l'un ou de l'autre choix essentiel et conscient comme vocation pour toute la vie terrestre et dans la perspective de l'Eglise céleste - se complètent et en un certain sens se pénètrent réciproquement. Le parfait amour conjugal doit être caractérisé par cette fidélité et par cette donation à l'unique Epoux (et également par la fidélité et par la donation de l'Epoux à l'unique Epouse, sur lesquels sont fondés la profession religieuse et le célibat sacerdotal). En définitive, la nature de l'un et de l'autre amour est conjugal, c'est-à-dire qu'il s'exprime par le don total de soi. L'un et l'autre amour tend à exprimer cette signification conjugale du corps qui est inscrite depuis l'origine dans la structure personnelle même de l'homme et de la femme.
Nous reviendrons par la suite sur ce sujet.
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5. D'autre part, l'amour conjugal qui trouve son expression dans la continence pour le Royaume des Cieux doit mener, par son développement régulier, à la paternité ou maternité au sens spirituel (et donc à cette fécondité de l'Esprit-Saint dont nous avons déjà parlé) de la même manière que l'amour conjugal mûrit dans la paternité et maternité physiques et, en celles-ci, se confirme authentiquement comme amour conjugal. La génération physique, de son côté, ne répond pleinement à sa signification que si elle est complétée par la paternité et maternité dans l'Esprit qui ont pour expression et pour fruit toute l'oeuvre de l'éducation donnée par les parents aux enfants nés de leur union conjugale corporelle.
Comme on le voit, nombreux sont les aspects et les sphères de la complémentarité entre la vocation, au sens évangélique, de ceux qui "prennent femme et prennent mari" Lc 20,34 et de ceux qui choisissent volontairement la continence "pour le Royaume des Cieux" Mt 19,12.
Dans sa première épître aux Corinthiens (que nous analyserons par la suite au cours de nos considérations), saint Paul écrit à propos de ce thème: "Chacun reçoit de Dieu son don particulier, l'un celui-ci, l'autre celui-là" 1Co 7,7.
21 avril 1982
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1. Nous poursuivons les réflexions sur les paroles du Christ au sujet de la continence pour le Royaume des Cieux.
Il n'est pas possible de comprendre pleinement la signification et le caractère de la continence si la dernière expression de l'énoncé du Christ "pour le Royaume des Cieux" Mt 19,12 n'est pas remplie de son contenu adéquat, concret et objectif. Précédemment nous avons dit que cette expression signifie la raison, c'est-à-dire met pour ainsi dire en relief la finalité subjective, de l'appel du Christ à la continence. L'expression a toutefois en soi un sens objectif; elle indique en fait une réalité objective pour laquelle les différentes personnes, hommes ou femmes, peuvent, comme l'a dit le Christ, se faire eunuques. Dans l'énoncé du Christ selon Mt 19,11-12, la réalité du "Royaume" est définie de façon précise et en même temps"générale", c'est-à-dire de telle sorte qu'elle peut comprendre toutes les déterminations et significations particulières qui lui sont propres.
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2. Le Royaume des Cieux signifie le Royaume de Dieu que le Christ a prêché dans son accomplissement final, c'est-à-dire "eschatologique". Le Christ prêchait ce Royaume dans sa réalisation ou instauration temporelle et, en même temps, il l'annonçait dans son accomplissement eschatologique. L'instauration temporelle du Royaume de Dieu est en même temps son inauguration et sa préparation à l'accomplissement définitif. Le Christ appelle à ce Royaume, et en un certain sens il nous y invite tous (cf. la parabole du banquet de noces: Mt 22,1-14. S'il appelle certains à la continence pour le Royaume des Cieux, il résulte du contenu de cette expression qu'il les y appelle pour prendre part de manière toute spéciale à l'instauration du Royaume de Dieu sur la terre grâce auquel commence et se prépare la phase définitive du Royaume des Cieux.
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3. C'est en ce sens que nous avons dit que cet appel comporte le signe particulier du propre dynamisme du mystère de la Rédemption du corps. Ainsi donc, comme nous l'avons déjà mentionné, dans la continence pour le Royaume de Dieu se trouve mis en évidence le "se renier soi-même, se charger de sa croix chaque jour, et suivre le Christ" Lc 9,23, ce qui peut même aller jusqu'à renoncer au mariage et à une famille. Tout ceci découle de la conviction qu'il est possible ainsi de mieux contribuer à la réalisation du Royaume de Dieu dans sa dimension terrestre, avec la perspective de son accomplissement eschatologique. Dans son énoncé selon Mt 19,11-12 le Christ dit, d'une manière générale, que le renoncement volontaire a cette finalité, mais il ne spécifie pas cette affirmation. Dans son premier énoncé au sujet de ce thème, il ne précise pas encore pour quelles tâches concrètes cette continence volontaire est nécessaire ou indispensable dans la réalisation du Royaume de Dieu sur la terre et dans la préparation de son accomplissement futur. Saint Paul de Tarse nous dira quelque chose de plus à ce propos (1 Co) et le reste sera complété par la vie de l'Eglise dans son cours historique dans le courant de l'authentique tradition.
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4. Dans l'énoncé du Christ sur la continence pour le Royaume des Cieux, nous ne trouvons aucune indication plus détaillée sur la façon de comprendre ce Royaume lui-même - tant en ce qui concerne sa réalisation terrestre que son accomplissement définitif - dans sa relation spécifique et exceptionnelle avec ceux qui, volontairement, se font eunuques pour ledit Royaume.
Et, de même, rien n'indique par quel aspect particulier de la réalité constituant le Royaume lui sont associés ceux qui librement se sont faits eunuques. On sait en effet que le Royaume des Cieux est pour tous: sont également en relation avec lui sur la terre (et au ciel) ceux qui prennent femme et prennent mari. Il est pour tous la vigne du Seigneur où, sur la terre, ils doivent travailler et il est ensuite, la maison du Père, où ils doivent se trouver dans l'éternité. Qu'est donc ce Royaume pour ceux qui choisissent la continence volontaire pour lui?
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5. Dans l'énoncé du Christ rapporté par Mt 19,11-12, nous ne trouvons aucune réponse à ces interrogations. Le Christ répond à ses disciples de manière à ne pas rester dans la ligne de leurs pensées et de leurs estimations qui cachent, au moins indirectement, une attitude utilitariste à l'égard du mariage: "Si telle est la condition ... il ne convient pas de se marier" Mt 19,10. Le Maître se détache ouvertement de cette manière de concevoir le problème et, pour ce motif, il parle de la continence pour le Royaume des Cieux sans spécifier pourquoi il vaut la peine de renoncer de cette manière au mariage afin qu'aux oreilles de ses disciples ce 'convient' ne fasse résonner quelque note utilitariste. Il dit seulement que cette continence est parfois requise, sinon indispensable, pour le Royaume de Dieu. Et par cela il indique que dans le Royaume que le Christ prêche et auquel il appelle, elle constitue en elle- même une valeur particulière. Ceux qui la choisissent volontairement doivent la choisir par égard pour cette valeur qu'elle possède et non à la suite de quelque autre calcul.
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6. Ce ton essentiel de la réponse du Christ qui se réfère directement à la continence pour le Royaume des Cieux elle- même, peut aussi se référer, de manière indirecte, aux précédents problèmes du mariage Mt 19,3-9. Si l'on prend en considération l'ensemble de l'énoncé Mt 19,3-11, la réponse devrait, selon l'intention fondamentale du Christ, être la suivante: si quelqu'un choisit le mariage, il doit le choisir tel que le Créateur l'a institué à l'origine; et il doit chercher en lui les valeurs qui correspondent au plan de Dieu; par contre, si quelqu'un décide de pratiquer la continence pour le Royaume des Cieux, il doit y chercher les valeurs propres de cette vocation. En d'autres termes: chacun doit agir conformément à la vocation choisie.
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7. Le Royaume des Cieux est certainement l'accomplissement définitif des aspirations de tous les hommes: il est la plénitude du bien que dans son coeur l'homme désire au-delà des limites de tout ce qui peut être son apanage dans la vie terrestre; il est pour l'homme la plénitude absolue du don de Dieu. Dans son entretien avec les sadducéens Mt 22,24-30 Mc 12,18-27 Lc 20,27-40 que nous avons analysé précédemment, nous trouvons d'autres détails sur ce Royaume, à savoir sur l'autre monde. Et il y a encore plus de détails dans tout le Nouveau Testament. Il semble toutefois que, pour éclairer ce que représente le Royaume des Cieux pour ceux qui en font le motif de leur continence volontaire, la révélation du rapport conjugal du Christ avec l'Eglise a une signification particulière: parmi les autres textes, c'est donc celui de Ep 5,25 et sq. qui est décisif; et il convient que nous nous basions sur celui-ci quand nous prendrons en considération le problème du caractère sacramentel du mariage.
Ce texte est également valable soit pour la théologie du mariage, soit pour la théologie de la continence pour le Royaume, c'est-à-dire la théologie de la virginité et du célibat. Il semble que, précisément dans ce texte, nous trouvons concrétisé ce que le Christ a dit à ses disciples en les invitant à la continence volontaire pour le Royaume des Cieux.
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8. Dans cette analyse, il a été déjà suffisamment souligné que les paroles du Christ - extrêmement concises - sont fondamentale, denses de contenu essentiel et, de plus, caractérisées par une certaine sévérité. Il est incontestable que le Christ fait cet appel à la continence en perspective de l'autre monde, mais il y met l'accent sur tout ce qui exprime le réalisme temporel de la décision à cette continence, décision liée à la volonté de participer à l'oeuvre rédemptrice du Christ.
Ainsi donc, à la lumière des paroles du Christ à ce sujet rapportées par Mt 19,11-12, émergent surtout la profondeur et le sérieux de la décision de vivre dans la continence pour le Royaume; et se trouve exprimée l'importance du renoncement que cette décision implique.
Indubitablement, à travers tout cela, à travers le sérieux et la profondeur de la décision, à travers la sévérité et la responsabilité que celle-ci comporte, transparaît lumineusement l'amour: l'amour comme disponibilité du don exclusif de soi pour le "Royaume de Dieu". Toutefois, dans les paroles du Christ, il semble que cet amour soit voilé par ce qui est, au contraire, mis au premier plan.
Le Christ ne cache pas à ses disciples le fait que le choix de la continence pour le Royaume des Cieux est - vu dans les catégories du temporel - un renoncement. Cette manière de parler aux disciples, qui formule clairement la vérité de son enseignement et des exigences qu'il contient, est significative pour tout l'Evangile; et c'est elle notamment qui lui confère précisément un cachet et une vigueur si convaincants.
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9. C'est le propre du coeur humain d'accepter des exigences même difficiles, au nom de l'amour pour un idéal et surtout .au nom de l'amour pour la personne (l'amour est en effet, par essence, orienté vers la personne). C'est pourquoi dans cette invitation à la continence pour le Royaume des Cieux, ce sont d'abord les disciples eux-mêmes, puis toute la tradition vivante de l'Eglise qui, bien vite, ont découvert l'amour qui se réfère au Christ lui-même comme Epoux de l'Eglise, Epoux des âmes auxquelles il s'est donné lui-même jusqu'à la fin, dans le mystère de sa Pâque et de l'Eucharistie. De cette façon la continence pour le Royaume des Cieux, le choix de la virginité ou du célibat pour toute la vie, sont devenus dans l'expérience des disciples et des fidèles du Christ, l'acte d'une réponse particulière à l'amour de l'Epoux divin et, de ce fait, ont acquis la signification d'un acte d'amour conjugal: c'est-à-dire d'un don conjugal de soi, dans le but de répondre de manière particulière à l'amour conjugal du Rédempteur: une donation de soi entendue comme renoncement, mais surtout faite par amour.
conjugale du corps
28 avril 1982
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1. "Il y a des eunuques qui se sont rendus tels en vue du Royaume des Cieux": c'est ainsi que le Christ s'exprime selon Mt 19,12.
C'est le propre du coeur humain d'accepter des exigences, même très difficiles, au nom de l'amour pour un idéal et surtout au nom de l'amour envers une personne (l'amour est en effet, par son essence même, orienté vers la personne). C'est pourquoi, d'abord les disciples eux-mêmes, puis toute la tradition vivante ne tardèrent pas à découvrir dans l'invitation à la continence pour le Royaume des Cieux cet amour qui se réfère au Christ lui-même en tant qu'Epoux de l'Eglise et Epoux des âmes, auxquelles il s'est donné lui- même jusqu'à la fin, dans le mystère de sa Pâque et dans l'Eucharistie. De cette façon, la continence pour le Royaume des Cieux, le choix de la virginité ou du célibat pour toute la vie sont devenus, dans l'expérience des disciples et de ceux qui suivent le Christ, une réponse particulière à l'amour de l'Epoux divin; ils ont donc acquis la signification d'un acte d'amour conjugal, c'est-à-dire d'une donation personnelle de soi-même, afin ou de vivre de manière spéciale l'amour conjugal du Rédempteur; c'est une donation de soi-même, entendue comme renoncement, mais réalisée surtout par amour.
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2. Nous avons déjà tiré de l'énoncé du Christ sur la continence pour le Royaume des Cieux toute la richesse qu'il contient, si concis soit-il mais en même temps d'une si grande profondeur. Mais il convient maintenant de prêter attention à la signification que ces paroles ont pour la théologie du corps de la même manière que nous avons déjà cherché à en présenter et à en reconstruire les fondements bibliques dès l'origine. C'est précisément l'analyse de ce "dès l'origine" biblique auquel le Christ s'est référé dans son entretien avec les pharisiens sur le thème du mariage, de son unité et de son indissolubilité Mt 19,3-9 - peu avant d'adresser à ses disciples ses paroles sur la continence pour le Royaume des Cieux Mt 19,10-12 - qui permet de se rappeler la profonde vérité sur la signification conjugale du corps humain dans sa masculinité et sa féminité, telle que nous l'avons déduite en son temps de l'analyse des premiers chapitres de la Genèse et en particulier de Gn 2,23-25. C'est précisément ainsi qu'il importait de formuler et de préciser ce que nous trouvons dans ces textes anciens.
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3. Conformément à la manière de penser et à la mentalité actuelles, on a pris l'habitude de parler surtout d'instinct sexuel, transférant sur le terrain de la réalité humaine ce qui est le propre du monde des animaux. Or une profonde méditation du texte concis des deux premiers chapitres de la Genèse nous permet d'établir avec certitude et conviction que dès l'origine il a été déterminé dans la Bible une limite très claire et indiscutable entre le monde des animaux (animalia) et l'homme créé à l'image et ressemblance de Dieu. Bien que relativement très bref, il y a cependant assez d'espace dans ce texte pour démontrer que l'homme a une claire conscience de ce qui le distingue, d'une manière essentielle, de tous les êtres vivants (animalia).
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4. Donc, l'application à l'homme de cette catégorie, substantiellement naturaliste, qui est contenue dans le concept et dans l'expression "instinct sexuel" n'est nullement appropriée et adéquate. Il est évident que cette application peut advenir en se basant sur une certaine analogie; en effet, la particularité de l'homme en comparaison du monde des êtres vivants (animalia) n'est pas telle que l'homme, entendu du point de vue de l'espèce, ne puisse être fondamentalement qualifié lui aussi comme animal, mais alors comme animal raisonnable. C'est pourquoi, malgré cette analogie, l'application du concept d'instinct sexuel à l'homme - considérant le dualisme dans lequel il existe comme homme et comme femme - limite toutefois fortement et en un certains sens diminue ce qu'est la masculinité-féminité même dans la dimension personnelle de la subjectivité humaine. On limite et atténue également ce pourquoi l'un et l'autre, l'homme et la femme, s'unissent si intimement qu'ils ne font qu'"une seule chair" Gn 2,24. Pour exprimer cela de façon appropriée et adéquate il faut faire appel également à une analyse différente de l'analyse naturaliste. Et c'est précisément l'étude de l'origine biblique qui nous oblige à le faire de manière convaincante. La vérité sur la signification conjugale du corps humain dans sa masculinité et féminité, déduite des premiers chapitres de la Genèse (et en particulier de Gn 2,23-25, c'est-à-dire la découverte de la signification conjugale du corps dans la structure personnelle de la subjectivité de l'homme et de la femme, semble être dans ce domaine un concept clé et en même temps le seul approprié et adéquat.
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5. Or, c'est précisément, en relation avec ce concept, avec cette vérité sur la signification conjugale du corps humain, qu'il importe de relire, de comprendre les paroles du Christ au sujet de la continence pour le Royaume des Cieux, prononcées dans le contexte immédiat de cette référence à l'origine sur laquelle Il a fondé sa doctrine concernant l'unité et l'indissolubilité du mariage. A la base de l'invitation du Christ à la continence, il y a non seulement l'instinct sexuel, comme catégorie d'une nécessité, dirais- je, naturaliste, mais aussi la conscience de la liberté du don qui est organiquement connexe à la profonde et mûre conscience de la signification conjugale du corps, dans la structure totale de la subjectivité personnelle de l'homme et de la femme. C'est seulement en relation avec cette signification de la masculinité et féminité de la personne humaine que l'appel à la continence volontaire pour le Royaume des Cieux trouve sa pleine garantie et motivation. C'est seulement et exclusivement dans cette perspective que le Christ dit: "Comprenne qui pourra!" Mt 19,12; par cela, il indique que cette continence - bien que de toute façon elle soit surtout un don - peut être également comprise, c'est-à-dire tirée et déduite, de l'idée que l'homme a de son propre ego psychosomatique dans sa totalité et, en particulier, de la masculinité et féminité de cet ego dans le rapport réciproque qui est inscrit, comme par nature, dans toute subjectivité humaine.
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6. Comme nous l'avons tiré des analyses précédentes faites sur la base du livre de Gn 2,23-25, ce rapport réciproque de la masculinité et de la féminité, ce 'pour' réciproque de l'homme et de la femme ne peuvent se comprendre de manière appropriée et adéquate que dans l'ensemble dynamique du sujet personnel. Les paroles du Christ dans Mt 19,11-12 indiquent ensuite que ce 'pour' présent dès l'origine à la base du mariage peut également se trouver à la base de la continence "pour" le Royaume des Cieux! En s'appuyant sur la même disposition du sujet personnel grâce à quoi l'homme se retrouve pleinement à travers un don sincère de soi GS 24, l'homme masculin-féminin est capable de choisir la donation personnelle de lui-même faite à une autre personne dans le pacte conjugal où tous deux deviennent une seule chair, et il est également capable de renoncer librement à cette donation de lui-même à une autre personne afin que choisissant la continence pour le Royaume des Cieux, il puisse se donner totalement au Christ. C'est sur la base de cette disposition du sujet personnel et sur la base de la signification conjugale même de l'être en tant que corps, masculin ou féminin, que peut se former à la dimension de la vie tout entière, l'amour qui engage l'homme au mariage Mt 19,3-10 mais peut également se former l'amour qui engage l'homme pour toute la vie à la continence pour le Royaume des Cieux. C'est précisément de cela que le Christ parle dans l'ensemble de son énoncé, quand il s'adresse d'abord aux pharisiens Mt 19,3-10 puis à ses disciples Mt 19,10-12.
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7. Il est évident que le choix du mariage tel qu'il a été institué par le Créateur dès l'origine suppose la prise de conscience et l'acception intérieure de la signification conjugale du corps, liée à la masculinité et féminité de la personne humaine. Ce fait est précisément exprimé de manière lapidaire dans les versets du livre de la Genèse. Quand nous écoutons les paroles que le Christ adressa à ses disciples sur la continence "pour le Royaume des Cieux" Mt 19,11-12, nous ne saurions penser que ce second genre de choix puisse être fait de manière consciente et libre sans se référer à sa propre masculinité ou féminité et à cette signification conjugale qui est le propre de l'homme, précisément dans la masculinité ou féminité de son être sujet personnel. Mieux, à la lumière des paroles du Christ, nous devons admettre que ce second genre de choix, c'est-à-dire la continence pour le Royaume de Dieu, se réalise surtout par rapport à la masculinité ou féminité propre de la personne qui fait ce choix; il se réalise sur la base de la pleine conscience de cette signification conjugale que la masculinité et la féminité renferment en-soi. Si ce choix se réalisait à travers une quelconque négligence artificieuse de cette authentique richesse de chaque sujet humain, il ne répondrait pas de manière appropriée et adéquate au contenu des paroles du Christ rapportées par Mt 19,11-12.
Ici le Christ demande explicitement une pleine compréhension quand il dit "Comprenne qui pourra" Mt 19,12.
à quoi il renonce
5 mai 1982
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1. Répondant à la question que les pharisiens lui posaient à propos du mariage et de son indissolubilité, le Christ s'est référé à l'origine, c'est-à-dire au mariage institué originairement par le Créateur. Etant donné que ses interlocuteurs s'étaient réclamés de la loi de Moïse qui prévoyait la possibilité d'établir une lettre de répudiation, il répondit: "C'est en raison de votre caractère intraitable que Moïse vous a permis de répudier vos femmes, mais à l'origine il n'en fut pas ainsi" Mt 19,8.
Après l'entretien avec les pharisiens, les disciples du Christ se sont adressés à Lui en ces termes: "Si telle est la condition de l'homme envers la femme, il n'est pas expédient de se marier". Jésus leur répondit: "Tous ne comprennent pas ce langage, mais ceux-là seulement à qui c'est donné. Il y a en effet des eunuques qui sont nés ainsi du sein de leur mère; il y a des eunuques qui le sont devenus par l'action des hommes; et il y a des eunuques qui se sont eux-mêmes rendus tels en vue du Royaume des Cieux. Comprenne qui pourra!"" Mt 19,10-12.
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2. Il est incontestable que les paroles du Christ font allusion à un renoncement volontaire et conscient au mariage. Pour être pleinement conscient de ce qu'il choisit (la continence pour le Royaume des Cieux) l'homme doit être tout autant conscient de ce à quoi il renonce (il s'agit exactement ici de la conscience de la valeur, au sens d'idéal; néanmoins cette conscience est absolument réaliste). Le Christ exige à coup sûr de cette manière, un choix bien mûri. La façon dont s'exprime l'appel à la continence du Royaume des Cieux le démontre clairement.
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3. Mais un renoncement pleinement conscient à cette valeur ne suffit pas. A la lumière des paroles du Christ, et, de même, à la lumière de toute la tradition chrétienne authentique, on peut conclure que ce renoncement est en même temps une forme particulière d'affirmation de cette valeur dont la personne non mariée s'abstient de manière cohérente, suivant le conseil évangélique. Cela peut sembler un paradoxe. Mais on sait que le paradoxe accompagne de nombreux énoncés de l'Evangile et, souvent même, les plus éloquents et les plus profonds. En acceptant cette signification-là de l'appel à la continence pour le Royaume des Cieux, nous concluons correctement en soutenant que la réalisation de cet appel sert également - et tout particulièrement - à confirmer la signification nuptiale du corps humain dans sa masculinité et dans sa féminité. Le renoncement au mariage pour le Royaume de Dieu met en évidence ipso facto cette signification dans toute sa vérité intérieure et toute sa beauté personnelle. On peut dire que ce renoncement consenti individuellement par des hommes et des femmes, est, en un certain sens, indispensable pour que la signification nuptiale même du corps soit plus facilement reconnue dans tout l'éthos de la vie humaine et surtout dans l'éthos de la vie conjugale et familiale.
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4. Ainsi donc, même si la continence pour le Royaume des Cieux (la virginité, le célibat) oriente la vie de ceux qui la choisissent librement, hors de la voie commune de la vie conjugale et familiale, cette continence ne reste toutefois pas sans signification pour cette vie: pour son style, sa valeur et son authenticité évangéliques. N'oublions pas que la clé unique pour comprendre le caractère sacramentel du mariage est l'amour conjugal du Christ envers l'Eglise Ep 5,22-23; du Christ fils de la Vierge et Vierge lui-même, c'est-à-dire eunuque pour le Royaume des Cieux au sens le plus parfait du terme. Il conviendra de reprendre plus tard ce sujet.
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5. Au terme de ces réflexions il reste encore un problème concret: de quelle manière l'homme qui a reçu l'appel à la continence pour le Règne répond-il à un appel sur la base de la conscience de la signification conjugale du corps dans sa masculinité et féminité et, en plus, comme fruit de cette conscience? De quelle manière se forme-t-il ou plutôt se transforme-t-il? Cette question est également importante, tant au point de vue de la théologie du corps qu'au point de vue du développement de la personne humaine, qui est de caractère personnel et charismatique en même temps. Si nous voulions répondre de manière exhaustive à cette question - à la mesure des aspects et des problèmes concrets qu'elle offre - il faudrait mener une étude appropriée sur le rapport entre le mariage et la virginité et entre le mariage et le célibat. Mais cela dépasserait les limites des présentes considérations.
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6. Restant dans le cadre des paroles du Christ rapportées par Mt 19,11-12, nous devons conclure nos réflexions en affirmant ce qui suit. - Primo: si la continence pour le Royaume des Cieux signifie incontestablement un renoncement, ce renoncement est en même temps une affirmation: celle qui découle de la découverte du don: c'est-à-dire de la découverte en même temps d'une nouvelle perspective de réalisation personnelle de soi-même "au moyen d'un don sincère de soi" GS 24; cette découverte se trouve alors en état de profonde harmonie intérieure avec le sens de la signification nuptiale du corps, liée dès l'origine à la masculinité ou féminité de l'être humain en tant que sujet personnel. -- Secundo: bien que la continence pour le Royaume des Cieux s'identifie avec le renoncement au mariage - qui donne naissance à une famille dans la vie d'un homme et d'une femme - on ne saurait nullement voir en elle une négation de la valeur essentielle du mariage; au contraire, la continence sert indirectement à mettre en relief ce qui est éternel et plus profondément personnel dans la vocation conjugale, ce qui, dans les dimensions du temporel (et en même temps en perspective de l'autre monde) correspond à la dignité du don personnel, liée à la signification nuptiale du corps dans sa masculinité ou féminité.
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7. De cette manière l'appel du Christ à la continence pour le Royaume des Cieux, justement associé au rappel de la future résurrection Mt 21,24-30 Mc 12,18-27 Lc 20,27-40 a une signification capitale non seulement pour l'éthos et la spiritualité chrétienne, mais aussi pour l'anthropologie et pour toute la théologie du corps que nous découvrons à ses bases. Rappelons-nous que le Christ, en se référant à la résurrection du corps dans l'autre monde, dit, selon la version des trois Evangiles synoptiques: "Car, lorsqu'on ressuscite d'entre les morts, on ne prend ni femme ni mari ..." Mc 12,25. Ces paroles, que nous avons déjà analysées précédemment, font partie de l'ensemble de nos considérations sur la théologie du corps et contribuent à sa construction.
2002 Magistère Mariage 1255