2002 Magistère Mariage 879
Le 6 février 1980
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1. Nous poursuivons l'examen de cette "origine" dont Jésus s'est réclamé dans son entretien avec les pharisiens au sujet du mariage. Cette réflexion nous impose de dépasser le seuil de l'histoire de l'homme et de remonter jusqu'à l'état d'innocence originelle. Pour saisir la signification de cette innocence nous nous basons, d'une certaine manière, sur l'expérience de l'homme "historique", sur le témoignage de son coeur, de sa conscience.
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2. Suivant la ligne de l'"a posteriori historique" nous tentons de reconstruire les caractéristiques de l'innocence originelle contenues dans l'expérience réciproque du corps et de sa signification conjugale, selon ce qu'attesté Gn 2,23-25 La situation qui s'y trouve décrite révèle l'expérience béatifique de la signification du corps que, dans le climat du mystère de la création, l'être humain puise pour ainsi dire dans la complémentarité de ce qui en lui est homme et femme. Toutefois, il faut qu'à la racine de cette expérience il y ait la liberté intérieure du don, surtout unie à l'innocence. La volonté humaine est originellement innocente et, de cette manière, elle facilite la réciprocité et l'échange du don du corps, selon sa masculinité et sa féminité en tant que don de la personne. Par conséquent, l'innocence attestée par Gn 2,25 peut être définie innocence de la réciproque expérience du corps. La phrase "Tous deux étaient nus, l'homme et sa femme, et ils n'en avaient point honte" exprime précisément cette innocence dans la réciproque "expérience du corps", innocence inspirant l'échange intérieur du don que la signification conjugale de la masculinité et de la féminité réalise concrètement dans le rapport réciproque. Ainsi donc, pour comprendre l'innocence de la mutuelle expérience du corps, nous devons tâcher de comprendre en quoi consiste l'innocence intérieure dans l'échange du don de la personne. Cet échange constitue en effet la vraie source de l'expérience de l'innocence.
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3. Nous pouvons dire que l'innocence (c'est-à-dire la droiture d'intention) dans l'échange du don consiste en une telle "acceptation" réciproque de l'autre qu'elle correspond à l'essence même du don. De cette façon la donation mutuelle crée la communion des personnes. Il s'agit, pour autant, d'"accueillir" l'autre être humain et de "l'accepter", précisément parce que, dans cette relation mutuelle dont parle Gn 2,23-25, l'homme et la femme deviennent un don l'un pour l'autre, par toute la vérité et l'évidence de leur propre corps dans sa masculinité et féminité. Il s'agit, donc, d'une "acceptation" ou d'un "accueil" tels qu'ils expriment et soutiennent dans la nudité vis-à-vis l'un de l'autre la signification du don et approfondissent la dignité réciproque de ce dernier. Cette dignité correspond profondément au fait que le Créateur a voulu (et veut continuellement) l'être humain, homme et femme, "pour lui- même". L'innocence du "coeur" et, par conséquent, l'innocence de l'expérience signifie une participation morale à l'éternel et permanent acte de volonté de Dieu.
Le contraire de cet "accueil" ou "acceptation" de l'autre être humain comme don serait une privation du don lui-même et, pour autant une transformation et même une réduction de l'autre au rang d'objet pour moi-même (objet de concupiscence, d'"appropriation indue", etc.).
En ce moment, nous ne traiterons pas de façon détaillée cette multiple et présumable antithèse du don. Il importe toutefois de constater, déjà ici, dans le contexte de Gn 2,23-25 qu'une telle façon d'extorquer son don à l'autre être humain (l'homme à la femme et vice versa) et de le réduire intérieurement à un pur "objet pour moi" devrait précisément marquer le début de la honte. Celle-ci correspond, en effet, à une menace infligée au don dans son intimité personnelle et démontre l'écroulement intérieur de l'innocence dans l'expérience réciproque.
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4. Suivant Gn 2,25, "homme et femme, ils n'avaient pas honte". Ceci nous permet de conclure que l'échange du don, auquel participe toute leur humanité, âme et corps, féminité et masculinité, se réalise en conservant la caractéristique intérieure (c'est-à-dire précisément l'innocence) du don de soi et de l'acceptation de l'autre comme don. Ces deux fonctions du mutuel échange sont en étroite connexion durant tout le processus du "don de soi": donner et accepter le don se compénètrent de sorte que le fait de donner lui-même devient acceptation et celui d'accepter revient à donner.
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5. Gn 2,23-25 nous permet de déduire que la femme, qui dans le mystère de la création est "donnée" à l'homme par le Créateur, est, grâce à l'innocence originelle "accueillie" par lui, c'est-à-dire acceptée comme don. Le texte biblique est à ce propos tout à fait clair et limpide. En même temps l'acceptation de la femme par l'homme et sa manière même de l'accueillir deviennent quasi une première donation, si bien que la femme en se donnant (dès le premier moment où dans le mystère de la création elle a été "donnée" à l'homme par le Créateur) "se découvre elle-même ", grâce au fait qu'elle a été acceptée et accueillie et grâce, en même temps, à la manière dont elle a été reçue par l'homme. Elle se retrouve donc elle-même dans le propre fait de se donner ("en un don sincère de soi", GS 24, quand elle est accueillie telle que l'a voulue le Créateur, c'est-à-dire "pour elle-même", dans son humanité et féminité. Quand dans cette acceptation se trouve assurée toute la dignité du don, moyennant l'offrande de ce qu'elle est dans toute la vérité de son humanité et dans toute la réalité de son corps et sexe, de sa féminité, elle atteint la profondeur intime de sa personne et parvient à la pleine possession de soi-même. Ajoutons que ce fait de se retrouver soi-même dans son propre don devient source d'un nouveau don de soi qui croît en vertu de la disposition intérieure à l'échange du don et dans la mesure où il rencontre une acceptation et un accueil identiques et même plus profonds, comme fruit d'une conscience toujours plus intense du don lui-même.
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6. Il semble que le second récit de la création a assigné à l'homme "dès l'origine" la fonction de celui qui surtout reçoit le don (cf. particulièrement Gn 2,23. La femme est "dès l'origine" confiée à ses yeux, à sa conscience, à sa sensibilité, à son "coeur"; lui, par contre, il doit, en un certain sens, assurer le processus même de l'échange du don, la réciproque compénétration du "donner et recevoir en don" qui, précisément par sa réciprocité, crée une authentique communion de personnes.
Si, dans le mystère de la création, la femme est celle qui a été donnée à l'homme, celui-ci, de son côté, la recevant en don dans la pleine vérité de sa personne et féminité, l'enrichit du fait même et, en même temps, lui, il se trouve enrichi dans cette relation réciproque. L'homme s'enrichit non seulement grâce à elle qui lui donne sa propre personne et féminité mais aussi grâce à la donation de lui-même. La donation par l'homme, en réponse à celle de la femme, est un enrichissement pour lui-même. En effet, il s'y manifeste, pour ainsi dire, l'essence spécifique de sa masculinité qui, par la réalité du corps et sexe, atteint la profondeur intime de la "maîtrise de soi" grâce à laquelle il est capable tant de se donner lui-même que de recevoir le don de l'autre. L'homme, donc, non seulement reçoit le don mais, simultanément, par la révélation de l'essence spirituelle intérieure de sa masculinité, il est accueilli par la femme comme un don, avec toute la vérité de son corps et sexe. Ainsi reçu, lui, par cette acceptation et cet accueil du don de sa propre masculinité, il s'enrichit. Par la suite, cette acceptation où l'homme se retrouve lui-même grâce au "don sincère de soi" devient en lui source d'un nouveau et plus profond enrichissement de la femme avec lui. L'échange est réciproque, et en lui se révèlent et croissent les effets mutuels du "don sincère" et de la "découverte de soi".
De cette manière, en suivant les traces de l'"a posteriori historique" - et surtout en suivant les traces du coeur humain - nous pouvons reproduire et pour ainsi dire reconstruire cet échange réciproque du don de la personne qui a été décrit dans l'antique texte, si riche et profond, de la Genèse.
13 février 1980
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1. La méditation d'aujourd'hui présuppose tout ce qui a déjà été acquis dans les diverses analyses accomplies jusqu'à présent. Celles-ci ont jailli de la réponse que Jésus donna à ses interlocuteurs Mt 19,3-9 Mc 10,1-12 qui lui avaient posé une question sur le mariage, sur son indissolubilité et son unité. Le Maître leur avait recommandé de considérer attentivement ce qui était "dès l'origine". C'est pourquoi nous avons jusqu'à présent cherché, dans le cycle de nos méditations précédentes, à reproduire de quelque manière la réalité de l'union ou, mieux, de la communion des personnes vécue "dès l'origine" par l'homme et la femme. Par la suite, nous avons cherché à pénétrer le contenu du très concis verset Gn 2,25: "Or tous deux étaient nus, l'homme et sa femme, et ils n'en avaient point honte."
Ces paroles se réfèrent au don de l'innocence originelle et elles en révèlent le caractère de manière pour ainsi dire synthétique. La théologie a construit sur cette base l'image globale de l'innocence et de la justice originelles de l'homme avant le péché originel, appliquant la méthode de l'objectivation, spécifique de la métaphysique et de l'anthropologie métaphysique. Dans la présente analyse nous cherchons plutôt à considérer l'aspect de la subjectivité humaine; celle-ci semble, du reste, être plus proche des textes originaux, spécialement du second récit de la création, c'est-à-dire du texte yahviste.
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2. Indépendamment d'une certaine diversité d'interprétation, il semble assez évident que l'"expérience du corps" que nous pouvons déduire de l'archaïque texte de Gn 2,23 et plus encore de Gn 2,25, indique un degré de "spiritualisation" de l'homme différent de celui dont parle le même texte après le péché originel Gn 3 et que nous connaissons d'après l'expérience de l'homme historique. C'est une mesure de "spiritualisation" différente qui comporte une autre composition des forces intérieures de l'homme même, quasi un autre rapport corps-âme, d'autres proportions internes de la sensitivité, de la spiritualité, de l'affectivité, c'est-à-dire un autre degré de sensibilité intérieure aux dons de l'Esprit Saint. Tout ceci conditionne l'état d'innocence originelle de l'homme et, en même temps, le détermine, nous permettant également de comprendre le récit de la Genèse. La théologie et de même le magistère de l'Eglise ont donné une forme propre à cette vérité fondamentale.
- Note "Si quelqu'un ne confesse pas que le premier homme Adam après avoir transgressé le commandement de Dieu en paradis a aussitôt perdu la sainteté et la justice dans lesquelles il avait été constitué ... qu'il soit anathème" DS 1511-1512. " Nos premiers parents ont été constitués dans un état de sainteté et de justice (...). Cet état de justice originelle qui a été conféré à nos premiers parents était gratuit et vraiment surnaturel (...). Nos premiers parents ont été constitués dans un état de nature intégrale, c'est-à-dire qu'ils étaient exempts de la concupiscence, de l'ignorance, de la douleur et de la mort (...) ils jouissaient d'un bonheur singulier (...). Les dons de l'intégrité conférés à nos premiers parents étaient gratuits et préternaturels" (A. TANQUEREY, Synopsis Theologiae Dogmaticae, Paris 1943 24, p. 534-549).
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3. Entreprenant l'analyse de l'"origine" selon la dimension de la théologie du corps, nous le faisons en nous basant sur les paroles par lesquelles le Christ lui-même s'est référé à cette "origine". Quand il dit: "N'avez-vous pas lu que le Créateur, dès l'origine, les fit homme et femme?" Mt 19,4 il nous a ordonné et il continue toujours à nous ordonner de retourner à la profondeur du mystère de la création. Et nous le faisons, pleinement conscients du don de l'innocence originelle propre de l'homme avant le péché originel. Bien qu'une barrière infranchissable nous sépare de ce que l'être humain était alors comme homme et femme en vertu du don de la grâce unie au mystère de la création et de ce qu'ils ont été l'un pour l'autre comme don réciproque, nous cherchons toutefois à comprendre cet état d'innocence originelle dans son lien avec l'état "historique" de l'homme après le péché originel: status naturae lapsae simul et redemptae.
Faisant appel à la catégorie de l'"a posteriori historique", nous tâchons de parvenir au sens originel du corps et de saisir le lien existant entre lui et la nature de l'innocence originelle dans l'"expérience du corps" telle qu'elle est mise de manière si significative en évidence dans le Livre de la Genèse. Nous arrivons à la conclusion qu'il est extrêmement important de préciser ce lien, non seulement à l'égard de la "préhistoire théologique" de l'homme durant laquelle la coexistence de l'homme et de la femme était à peu près complètement imprégnée de la grâce de l'innocence originelle, mais aussi par rapport à ses possibilités de nous révéler les racines permanentes de l'aspect humain et surtout théologique de l'ethos du corps.
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4. L'être humain entre dans le monde, et quasi dans la trame la plus intime de son avenir et de son histoire, avec la conscience de la signification conjugale de son propre corps, de sa propre masculinité et féminité. L'innocence originelle indique que cette signification est conditionnée "éthiquement" et, en outre, qu'elle constitue pour sa part l'avenir de l'ethos humain. Ceci est extrêmement important pour la théologie du corps: c'est la raison pour laquelle nous devons édifier cette théologie en partant de "l'origine", suivant avec soin l'indication des paroles du Christ.
Dans le mystère de la création le Seigneur a donné de manière particulière l'homme et la femme l'un à l'autre et ceci non seulement selon la dimension de ce premier couple humain et de cette première communion de personnes, mais dans la perspective tout entière de l'existence du genre humain et de la famille humaine. Le fait fondamental de cette existence de l'homme dans chaque étape de son histoire est que Dieu "les créa homme et femme"; en fait, il les a toujours créés ainsi, et ils sont toujours ainsi. La compréhension des significations fondamentales contenues dans le mystère même de la création, comme la signification conjugale du corps (et des conditionnements fondamentaux de cette signification) est importante; elle est indispensable pour savoir ce qu'est l'homme et ce qu'il doit être et donc comment il devrait façonner sa propre activité. C'est chose essentielle et importante pour l'avenir de l'éthos humain.
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5. Gn 2,24 constate que les deux, homme et femme, ont été créés pour le mariage: "C'est pourquoi l'homme laissera son père et sa mère, s'attachera à sa femme et ils deviendront une seule chair". De cette manière s'ouvre une grande perspective créatrice: qui est précisément la perspective de l'existence de l'homme qui se renouvelle continuellement par la "procréation" (on pourrait dire par "l'auto-reproduction "). Cette perspective est profondément enracinée dans la conscience de l'humanité Gn 2,23 et, également, dans la conscience particulière de la signification conjugale du corps Gn 2,25. Avant de devenir mari et femme (il en sera parlé concrètement par la suite, dans Gn 4,1) l'homme et la femme émergent du mystère de la création d'abord et avant tout comme frère et soeur dans la même humanité. La compréhension de la signification conjugale du corps dans sa masculinité et féminité révèle le fond de leur liberté qui est liberté du don.
De là part cette communion de personnes dans laquelle tous deux se rencontrent et se donnent l'un à l'autre dans la plénitude de leur subjectivité. Et ainsi tous deux croissent comme personne-sujet et croissent réciproquement l'un pour l'autre également de par le corps et par cette nudité dépourvue de honte. Dans cette communion de personnes est parfaitement assurée, dans toute sa profondeur, la solitude originelle de l'homme (du premier et de tous) et, en même temps, cette solitude s'élargit, imprégnée merveilleusement du don de "l'autre". Si l'homme et la femme cessent d'être l'un pour l'autre un don désintéressé comme ils l'étaient l'un pour l'autre dans le mystère de la création, ils se rendent compte alors "qu'ils sont nus" cf. . Et dans leur coeur naîtra la honte de cette nudité, une honte qu'ils avaient ignorée dans leur état d'innocence originelle.
L'innocence originelle manifeste et, en même temps, constitue l'éthos parfait du don.
Nous reviendrons encore sur ce sujet.
Le 20 février 1980
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1. Le livre de la Genèse relève que l'homme et la femme sont créés pour le mariage: " ...L'homme laissera son père et sa mère, s'attachera à sa femme et ils deviendront une seule chair" Gn 2,24.
C'est ainsi que s'ouvre la grande perspective créatrice de l'existence humaine qui se renouvelle toujours par la "procréation" qui est "auto-reproduction". Cette perspective est enracinée dans la conscience de l'humanité et également dans la compréhension particulière de la signification conjugale du corps avec sa masculinité et féminité. Homme et femme sont, dans le mystère de la création, un don réciproque. L'innocence originelle manifeste et, en même temps détermine l'éthos parfait du don.
Nous en avons parlé durant notre précédente rencontre. L'éthos du don permet de cerner en partie le problème de la "subjectivité" de l'homme, un sujet fait à l'image et à la ressemblance de Dieu. Dans le récit de la création (particulièrement dans Gn 2,23-25) il apparaît certain que "la femme", n'est pas simplement "un objet" pour l'homme bien qu'ils restent tous deux face à face dans la plénitude de leur objectivité de créature, comme "chair de ma chair, os de mes os", comme homme et femme, tous deux nus. Seule la nudité qui fait de la femme l'"objet" pour l'homme, et vice-versa, est source de honte. Le fait qu'"ils n'éprouvaient pas de honte", veut dire que la femme n'était pas pour l'homme un "objet" pas plus que lui ne l'était pour elle. D'une certaine manière, l'innocence intérieure comme "pureté de coeur" rendait impossible que l'un soit réduit par l'autre au niveau de simple objet. S'ils "n'éprouvaient pas de honte", cela veut dire qu'ils étaient unis par la conscience du don, qu'ils avaient réciproquement conscience de la signification conjugale de leurs corps qui exprime la liberté du don et manifeste toute la richesse intérieure de la personne en tant que sujet. Cette pénétration réciproque de l'"ego" des personnes humaines, de l'homme et de la femme, semble exclure subjectivement n'importe quelle "réduction au rang d'objet". En ceci se révèle le profil subjectif de cet amour dont on peut dire du reste qu'il est totalement et foncièrement "objectif" du fait qu'il se nourrit de la réciproque "objectivité" même du don.
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2. Après le péché originel, l'homme et la femme perdront la grâce de l'innocence originelle. La découverte de la signification conjugale du corps cessera d'être pour eux une simple réalité de la révélation et de la grâce. Cette signification restera toutefois comme un engagement qui lui vient de l'éthos du don, inscrit au plus profond du coeur humain comme un écho lointain de l'innocence originelle. A partir de cette signification conjugale l'amour humain se formera dans sa vérité intérieure et dans son authenticité subjective. Et l'homme s'y découvrira continuellement lui- même - même sous le voile de la honte - comme gardien du mystère du sujet, c'est-à-dire de la liberté du don, au point de la défendre contre n'importe quelle réduction au niveau de pur objet.
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3. A ce moment, toutefois, nous nous trouvons au seuil de l'histoire terrestre de l'homme. L'homme et la femme ne l'ont pas encore franchi vers la connaissance du bien et du mal. Ils sont plongés dans le mystère même de la création; et la profondeur de ce mystère caché dans leur coeur est l'innocence, la grâce, l'amour et la justice: "Et Dieu vit tout ce qu'il avait fait et voici que c'était très bien" Gn 1,31 L'être humain apparaît dans le monde visible comme l'expression la plus haute du don divin parce qu'il tient en soi la dimension intérieure du don. Et, avec elle, il apporte dans le monde sa ressemblance particulière avec Dieu et grâce à celle-ci il transcende et domine également sa "visibilité" dans le monde, sa corporéité, sa masculinité ou féminité, sa nudité. Ce qui reflète également cette ressemblance, c'est la conscience primordiale de la signification conjugale du corps, conscience imprégnée du mystère de l'innocence originelle.
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4. Et ainsi, dans cette dimension se constitue un sacrement primordial entendu comme signe qui transmet efficacement dans le monde visible le mystère invisible caché en Dieu de toute éternité. Et ceci est le mystère de la Vérité et de l'Amour, le mystère de la vie divine à laquelle l'homme participe réellement. Dans l'histoire de l'homme, c'est l'innocence originelle qui ouvre cette participation et elle est également la source de la félicité originelle. Comme signe visible, le sacrement se constitue avec l'être humain en tant que corps et par le fait de sa visible masculinité et féminité. Le corps en effet - et seulement lui - est capable de rendre visible ce qui est invisible: le spirituel et le divin. Il a été créé pour transférer dans la réalité visible du monde le mystère caché de toute éternité en Dieu et en être le signe visible.
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5. Donc, dans l'homme créé à l'image de Dieu, en un certain sens a été révélé le caractère sacramentel même de la création, le caractère sacramentel du monde. En effet, par sa corporéité, sa masculinité et féminité, l'être humain devient signe visible de l'économie de la vérité et de l'amour qui a sa source en Dieu lui-même et qui fut déjà révélée dans le mystère de la création. Ce vaste fond nous permet de comprendre pleinement les paroles constituant le sacrement du mariage que nous trouvons dans Gn 2,24 ("L'homme laissera son père et sa mère, s'attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair").
Ce vaste fond nous permet en outre de comprendre que les paroles de Gn 2,25 "tous deux étaient nus, l'homme et sa femme, et ils n'en avaient point honte" expriment, par toute la profondeur de leur signification anthropologique, le fait qu'avec l'homme, la sainteté est entrée dans le monde visible créé pour lui. Le sacrement du monde et le sacrement de l'homme dans le monde proviennent de la source divine de la sainteté et sont en même temps institués pour la sainteté. L'innocence originelle, liée à l'expérience de la signification conjugale du corps, est la sainteté même qui permet à l'homme de s'exprimer profondément par son propre corps et ceci, précisément, grâce au "don sincère de soi". Dans ce cas, la conscience du don conditionne "le sacrement du corps": l'être humain se sent, dans son corps d'homme ou de femme, sujet de sainteté.
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6. Ainsi conscient de la signification de son propre corps, l'être humain, en tant qu'homme et femme, entre dans le monde comme sujet de vérité et d'amour. On peut dire que Gn 2,23-25 raconte en quelque sorte la première fête de l'humanité dans toute la plénitude originelle de l'expérience de la signification conjugale du corps, et c'est une fête de l'humanité qui tire son origine des sources divines de la Vérité et de l'Amour dès le moment même de la création. Et même si, bien vite, sur cette fête originelle s'étendra l'horizon du péché et de la mort Gn 3, nous puisons une première espérance déjà dans le mystère de la création: c'est-à-dire que le fruit de l'économie divine de la vérité et de l'amour qui nous est révélée "à l'origine" est non pas la mort mais la vie, et non la destruction du corps de l'homme créé "à l'image de Dieu" mais plutôt "son appel à la gloire" Rm 8,30.
coexistence matrimoniale
Le 5 mars 1980
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1. A l'ensemble des analyses que nous avons consacrées à l"origine" biblique, nous allons encore ajouter un bref passage de Gn 4. A cette fin, toutefois, il faut toujours se référer d'abord aux paroles que le Christ a prononcées lors de son entretien avec les pharisiens Mt 19,7-9 Mc 10,4-6 (*), car c'est dans leur climat que se développent nos réflexions; elles concernent en effet le contexte de l'existence humaine en vertu duquel la mort et la destruction du corps qui en résulte (répondant à ce "tu retourneras en poussière" de Gn 3,19) sont devenues le sort commun de l'homme. Le Christ se réfère à l'"origine", à la dimension originelle du mystère de la création alors que cette dimension avait déjà été anéantie par le mysterium iniquitatis, c'est-à-dire par le péché et, avec lui, par la mort: mysterium mortis. Le péché et la mort sont entrés dans l'histoire de l'homme, d'une certaine façon, à travers le coeur même de cette unité, qui depuis "l'origine" était formée de l'homme et de la femme, créés et appelés à être "une seule chair" Gn 2,24. Nous avons déjà constaté au début de nos méditations qu'en se référant à l'"origine", le Christ nous entraîne, en un certain sens, au-delà de la limite de l'état de péché héréditaire de l'homme, jusqu'à son innocence originelle; et il nous permet ainsi de trouver la continuité et le lien, existant entre ces deux situations, qui ont provoqué le drame des origines et également la révélation à l'homme historique du mystère de l'homme.
(*) Note Il faut tenir compte du fait que dans son entretien avec les pharisiens Mt 19,7-9 Mc 10,4-6 le Christ prend position au sujet de la praxis de la loi mosaïque concernant "l'acte de répudiation". La phrase "à cause de la dureté de vos coeurs" prononcée par Jésus reflète non seulement "l'histoire des coeurs" mais aussi toute la complexité de la loi positive de l'Ancien Testament qui cherchait toujours le "compromis humain" dans ce domaine si délicat.
Ceci nous permet, pour ainsi dire, de passer des analyses au sujet de l'état d'innocence originelle à la dernière de celles-ci, c'est-à-dire à l'analyse "de la connaissance et de la génération ". Sur le plan thématique elles sont étroitement liées à la bénédiction de la fécondité, insérée dans le premier récit de la création de l'être humain comme homme et femme Gn 1,27-28. Sur le plan historique, par contre, elles sont déjà insérées dans cet horizon de péché et de mort qui, comme l'expose (Gn 3), a pesé sur la conscience de la signification du corps humain, en même temps que la violation de la première alliance avec le Créateur.
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2. Dans Gn 4, et donc encore dans le cadre du texte yahviste, nous lisons: "L'homme (Adam) connut Eve, sa femme; elle conçut Caïn et elle dit: "J'ai acquis un homme de par Yahvé!" Elle donna aussi le jour à Abel, frère de Caïn" Gn 4,1-2 Si nous rattachons à la "connaissance" ce premier fait de la naissance d'un homme, nous le faisons en nous basant sur la traduction littérale du texte, selon lequel "l'union" conjugale est précisément définie comme "connaissance". En effet la traduction citée ci-dessus se présente souvent ainsi: "Adam s'unit à Eve, sa femme" alors que la traduction littérale est: "il connut sa femme", ce qui semble correspondre de manière plus appropriée au terme sémitique yâda (*). En ceci on peut constater la pauvreté de la langue archaïque qui manque d'un choix d'expressions pour définir des faits différents. Il reste toutefois significatif que la situation du mari et de sa femme qui s'unissent de manière si étroite qu'"ils ne sont plus qu'une seule chair" a été définie comme "connaissance". En effet, de la pauvreté même du langage semble émerger une profondeur spécifique de signification découlant précisément de toutes les significations jusqu'à présent analysées.
(*) Note "Connaître" (Yâda') dans le langage biblique ne signifie pas seulement une connaissance purement intellectuelle, mais aussi une expérience concrète, comme par exemple l'expérience de la souffrance Is 53,3, du péché 1S 3,13 de la guerre et de la paix Jg 3,1 Is 59,8. De cette expérience découle également le jugement "connaissance du bien et du mal" Gn 2,9-17. La "connaissance" pénètre dans le domaine des rapports entre personnes quand elle regarde la solidarité de la famille Dt 33,9 et spécialement les relations conjugales, C'est précisément en se référant à l'acte conjugal que le terme souligne la paternité d'illustres personnages et l'origine de leur descendance Gn 4,1 Gn 4,17-25 1S 1,19 comme données valables pour la généalogie à laquelle la tradition des prêtres (héréditaires en Israël) attribuait une grande importance. Le terme "connaissance" pouvait indiquer également toutes les autres relations sexuelles, même illicites Nb 31,17 Gn 19,5 Jg 19,22 Dans sa forme négative le verbe indique l'absence des relations sexuelles, spécialement s'il s'agit de vierges 1R 2,4 Jg 11,39 En cette matière, le Nouveau Testament se sert de deux hébraïsmes en parlant de Joseph Mt 1,25 et de Marie Lc 1,34. L'aspect de la relation existentielle de la "connaissance" acquiert un aspect particulier quand son sujet ou objet est Dieu lui-même Ps 140 Jr 31,34 Os 2,22 Jn 14,7-9 Jn 17,3
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3. Evidemment ceci est aussi important quant à l'"archétype" de notre façon de penser l'homme corporel, sa masculinité et sa féminité, et donc son sexe. Ainsi, en effet, par l'emploi du terme "connaissance" dans Gn 4,1-2 et souvent dans la Bible, la relation conjugale de l'homme et de la femme - c'est-à-dire le fait que, par la dualité des sexes, "ils sont une seule chair" - est introduite de manière élevée dans la dimension spécifique de la personne. Gn 4,1-2 parle seulement de la connaissance de la femme de la part de l'homme, comme pour souligner surtout l'activité de ce dernier. Mais on peut parler aussi du caractère réciproque de cette "connaissance" à laquelle l'homme et la femme participent au moyen de leur corps, de leur sexe. Ajoutons que toute une série de textes bibliques successifs comme du reste le même chapitre Gn 4,17 Gn 4,25 parlent le même langage. Et ceci jusqu'aux paroles prononcées par Marie de Nazareth lors de l'Annonciation: "Comment est-ce possible? Je ne connais point d'homme" Lc 1,34.
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4. Ainsi, avec ce "il connut" biblique qui apparaît pour la première fois dans Gn 4,1-2, nous nous trouvons, d'une part, devant l'expression directe de l'intention humaine (parce qu'elle est le propre de la connaissance) et, d'autre part, devant toute la réalité de la coexistence et de l'union conjugale dans laquelle l'homme et la femme deviennent "une seule chair".
Parlant ici de "connaissance" - fût-ce même à cause de la pauvreté de la langue - la Bible indique l'essence la plus profonde de la réalité de la coexistence matrimoniale. Cette essence apparaît comme élément et en même temps comme résultat de ces significations dont nous cherchons à suivre la trace depuis le début de notre étude; elle fait partie en effet de la conscience de la signification du propre corps. Dans Gn 4,1, l'homme et la femme, devenant une seule chair, font de manière particulière l'expérience de leur propre corps. Ainsi, ils deviennent ensemble comme l'unique objet de cet acte et de cette expérience tout en restant, dans cette unité, deux sujets réellement différents. Ce qui, en un certain sens, nous permet d'affirmer que "le mari connaît sa femme" ou que tous deux "se connaissent mutuellement". Alors ils se révèlent l'un à l'autre avec cette profondeur spécifique de leur propre "ego" humain qui se révèle aussi au moyen du sexe, de leur masculinité et féminité. Et alors, de manière unique, la femme "est donnée" de façon cognitive à l'homme, et lui à elle.
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5. Si nous voulons maintenir la continuité avec les analyses faites jusqu'à présent (particulièrement avec les plus récentes qui interprètent l'homme dans sa dimension de don) nous devons observer que, suivant le Livre de la Genèse, datum et donum s'équivalent.
Toutefois Gn 4,1-2, accentue surtout le datum. Dans la "connaissance" conjugale, la femme "est donnée" à l'homme et lui à elle, parce que le corps et le sexe entrent directement dans la structure et dans le contenu même de cette "connaissance". Ainsi donc, la réalité de l'union conjugale par laquelle l'homme et la femme deviennent "une seule chair" porte en soi une découverte nouvelle et, en un certain sens, définitive de la signification du corps humain dans sa masculinité et féminité. Mais, à propos de cette découverte, est-il juste de parler seulement de "coexistence sexuelle"? Il faut tenir compte du fait que chacun d'eux, l'homme et la femme, n'est pas seulement un objet passif, défini par son propre corps et sexe et, de cette manière, déterminé "par sa nature". Au contraire, précisément du fait d'être homme et femme, ils sont chacun d'eux donné à l'autre comme sujet unique, non susceptible d'être répété comme "ego", comme personne. Le sexe ne décide pas seulement de l'individualité somatique de l'homme: il définit en même temps son identité personnelle, sa réalité concrète. C'est précisément par cette identité personnelle, cette réalité concrète, comme "ego" féminin-masculin non répétable que l'homme vient à être "connu" quand se réalisent les paroles de Gn 2,24: "L'homme s'unira à sa femme... et ils seront une seule chair". La "connaissance" dont parlent Gn 4,1-2, et tous les autres textes bibliques suivants pénètre les racines les plus intimes de cette identité, de cette réalité concrète que l'homme et la femme doivent à leur sexe. Cette réalité concrète signifie tant le caractère unique que non répétable de la personne.
Cela valait donc la peine de fixer la réflexion sur l'éloquence du texte biblique précité et des termes " il connut"; malgré le manque apparent de précision terminologique, nous pouvons nous pencher sur la profondeur et la dimension d'un concept, alors que notre langage contemporain, tout précis qu'il soit, souvent nous en prive.
2002 Magistère Mariage 879