2002 Magistère Mariage 1105
28 janvier 1980
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1. Dans la Première Lettre aux Thessaloniciens saint Paul écrit: "La volonté de Dieu, c'est que vous viviez dans la sainteté, que vous vous absteniez de la débauche, que chacun de vous sache user du corps qui lui appartient avec sainteté et avec respect, sans se laisser emporter par la passion comme font les païens qui ne connaissent pas Dieu." 1Th 4,3-5 Et après un verset, il continue: "Car Dieu ne nous a pas appelés à l'impureté, mais à la sanctification. Dès lors, qui rejette cela, ce n'est pas un homme qu'il rejette, c'est Dieu, lui qui vous fait le don de son Esprit-Saint". 1Th 4,7-8 Nous nous sommes référés à ces phrases durant notre rencontre du 14 janvier dernier. Nous les reprenons cependant aujourd'hui, car elles sont particulièrement importantes pour le thème de nos méditations.
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2. La pureté dont parle Paul dans la 1Th 4,3-5 1Th 4,7-8 se manifeste dans le fait que l'homme "sache user du corps qui lui appartient avec sainteté et avec respect, sans se laisser emporter par la passion". Dans cette formulation, chaque mot a une signification particulière et mérite donc un commentaire adéquat.
En premier lieu, la pureté est une "capacité" ou, dans le langage traditionnel de l'anthropologie et de l'éthique, une "aptitude". En ce sens, c'est une vertu. Si cette habileté, c'est-à-dire la vertu, conduit à s'abstenir de l'"impureté", c'est parce que l'homme qui la possède sait "user du corps qui lui appartient avec sainteté et avec respect, sans se laisser emporter par la passion". Il s'agit ici d'une capacité pratique qui rend l'homme capable d'agir d'une manière déterminée et, en même temps, de ne pas agir de manière contraire. Pour être une telle capacité ou une telle aptitude, la pureté doit évidemment être enracinée dans la volonté, dans le fondement même du vouloir et de l'agir conscient de l'homme. Dans sa doctrine sur la vertu, Thomas d'Aquin voit encore de manière plus directe l'objet de la pureté dans la faculté du désir sensible qu'il appelle appetitus concupiscibilis. C'est précisément cette faculté qui doit être particulièrement "dominée", ordonnée et rendue capable d'agir de manière conforme à la vertu pour que la "pureté" puisse être attribuée à l'homme. Selon cette conception, la pureté consiste avant tout dans le fait de contenir les impulsions du désir sensible qui a pour objet ce qui est corporel et sexuel dans l'homme. La pureté est une variante de la vertu de tempérance.
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3. Le texte de 1Th 4,3-5 montre que la vertu de pureté, dans la conception de Paul, consiste également dans la domination et dans le dépassement des "passions libidineuses"; cela veut dire que la capacité de contenir les impulsions du désir sensible, c'est-à-dire la vertu de tempérance, appartient nécessairement à sa nature. Mais, en même temps, le même texte paulinien attire notre attention sur une autre fonction de la vertu de pureté, sur une autre dimension - pourrait-on dire -, plus positive que négative.
Le devoir de pureté, que l'auteur de la Lettre semble mettre surtout en relief, est non seulement (et non pas tant) l'abstention de l'"impureté" et de ce qui y conduit, donc l'abstention des "passions libidineuses" mais, en même temps, le maintien de son propre corps et, aussi indirectement, de celui d'autrui, dans "la sainteté et dans le respect".
Ces deux fonctions, l'"abstention" et le "maintien", sont étroitement liées et dépendantes l'une de l'autre. En effet, puisqu'on ne peut "user de son corps avec sainteté et respect", si cette abstention "de l'impureté" et de ce qui y conduit font défaut, en conséquence on peut admettre que le fait d'user du corps (du sien et, indirectement, de celui d'autrui) "avec sainteté et respect" confère une signification et une valeur adéquates à cette abstention. Par elle-même, elle demande le dépassement de quelque chose qui est dans l'homme et qui naît spontanément en lui comme inclinaison, comme attirance et aussi comme valeur qui agit surtout dans le domaine des sens, mais beaucoup plus souvent non sans répercussions sur les autres dimensions de la subjectivité humaine et, particulièrement, sur la dimension affective et émotive.
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4. En considérant tout cela, il semble que l'image paulinienne de la pureté - image qui ressort de la comparaison très éloquente de la fonction de l'"abstention" (c'est-à-dire de la tempérance) avec celle d'"user du corps avec sainteté et respect" - soit profondément juste, complète et adéquate. Peut-être ne devons-nous ce caractère exhaustif qu'au fait que Paul considère la pureté non seulement comme capacité (c'est-à-dire disposition) des facultés subjectives de l'homme mais, en même temps, comme une manifestation concrète de la vie "selon l'Esprit" où la capacité humaine se trouve intérieurement fécondée et enrichie par ce que Paul, dans Ga 5,22, appelle "fruit de l'Esprit". Le respect qui naît dans l'homme au sujet de tout ce qui est corporel et sexuel, soit en lui, soit dans tout autre être humain, homme et femme, se révèle être la force la plus essentielle pour user du corps avec "sainteté". Pour comprendre la doctrine paulinienne de la pureté, il faut entrer à fond dans la signification du terme "respect", compris ici, évidemment, comme force d'ordre spirituel. C'est précisément cette force qui confère sa pleine dimension à la pureté comme vertu, c'est-à-dire comme capacité d'agir dans tout ce domaine dans lequel il découvre, à l'intérieur de lui-même, les multiples impulsions des "passions libidineuses" et auxquelles il cède parfois pour différentes raisons.
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5. Pour mieux comprendre la pensée de l'auteur de la Première Lettre aux Thessaloniciens, il serait bon d'avoir présent à l'esprit encore un autre texte que nous trouvons dans la Première Lettre aux Corinthiens. Paul y expose sa grande doctrine ecclésiologique, selon laquelle l'Eglise est Corps du Christ; il saisit l'occasion pour formuler l'argumentation suivante au sujet du corps humain: " ... Dieu a disposé dans le corps chacun des membres, selon sa volonté" 1Co 12,18; et plus loin: "Bien plus, les membres du corps qui paraissent les plus faibles sont nécessaires et ceux que nous tenons pour les moins honorables, c'est à eux que nous faisons le plus d'honneur. Moins ils sont décents, plus décemment nous les traitons: ceux qui sont décents n'ont pas besoin de ces égards. Mais Dieu a composé le corps en donnant plus d'honneur à ce qui en manque, afin qu'il n'y ait pas de division dans le corps, mais que les membres aient un commun souci les uns des autres". 1Co 12,22-25.
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6. Bien que le sujet propre du texte en question soit la théologie de l'Eglise comme Corps du Christ, on peut cependant dire, en marge de ce passage, que Paul, à travers sa grande analogie ecclésiastique (qui revient dans d'autres lettres et que nous reprendrons en son temps) contribue, en même temps, à approfondir la théologie du corps. Alors que dans la Première Lettre aux Thessaloniciens, il écrit sur le fait d'user du corps "avec sainteté et respect", dans le passage qui vient d'être cité de la Première Lettre aux Corinthiens, il veut montrer ce corps humain comme étant précisément digne de respect. On pourrait également dire qu'il veut enseigner aux destinataires de sa lettre la juste conception du corps humain.
C'est pourquoi cette description paulinienne du corps humain dans la Première Lettre aux Corinthiens semble être étroitement liée aux recommandations de la Première Lettre aux Thessaloniciens: "Que chacun sache user du corps qui lui appartient avec sainteté et respect". 1Th 4,4 C'est là une ligne importante, peut-être essentielle, de la doctrine paulinienne sur la pureté.
4 février 1981
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1. Dans nos considérations de mercredi dernier sur la pureté selon l'enseignement de saint Paul, nous avons attiré l'attention sur le texte de la Première lettre aux Corinthiens. L'apôtre y présente l'Eglise comme corps du Christ et il nous offre l'occasion de faire le raisonnement suivant au sujet du corps humain: "Dieu a placé les membres, et chacun d'eux dans le corps, selon qu'il l'a voulu ... Même les membres que nous tenons pour les plus faibles sont nécessaires; et ceux que nous tenons pour les moins honorables sont ceux-là même que nous entourons de plus d'honneur. Ainsi nos membres indécents sont traités avec le plus de décence; nos membres décents n'en ont pas besoin. Mais Dieu a disposé le corps de manière à donner davantage d'honneur à ce qui en manque, afin qu'il n'y ait point de division dans le corps, mais qu'au contraire les membres se témoignent une mutuelle sollicitude". 1Co 12,18 1Co 12,22-25
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2. La "description" paulinienne du corps humain correspond à la réalité qui le constitue: elle est donc une description "réaliste". Dans le réalisme de cette description se trouve mêlée en même temps une ligne d'évaluation très mince qui lui confère une valeur profondément évangélique, chrétienne. Certes, il est possible de "décrire" le corps humain, d'exprimer sa vérité avec l'objectivité propre des sciences naturelles. Mais une telle description - avec toute sa précision - ne peut être adéquate (c'est-à-dire comparable à son objet), étant donné qu'il ne s'agit pas seulement du corps (entendu comme organisme, au sens "somatique"), mais de l'homme qui s'exprime lui-même par le moyen de ce corps et qui, dans ce sens, dirais-je, est ce corps. Ainsi donc, cette ligne d'évaluation, étant donné qu'il s'agit de l'homme comme personne, est indispensable dans la description du corps humain. En outre, il faut dire que cette évaluation est juste. C'est une des tâches et un des thèmes éternels de toute la culture: de la littérature, de la sculpture, de la peinture et aussi de la danse, des oeuvres théâtrales et enfin de la culture de la vie quotidienne, privée ou sociale. C'est un sujet qu'il vaudrait la peine qu'il soit traité séparément.
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3. La description paulinienne de 1Co 12,18-25 n'a certainement pas une signification "scientifique": elle ne présente pas une étude biologique de l'organisme humain ou de la "somatique" humaine. De ce point de vue, elle est une simple description "préscientifique", du reste concise, faite de quelques phrases à peine. Elle a toutes les caractéristiques du réalisme commun et elle est, sans doute, suffisamment "réaliste". Cependant, ce qui détermine son caractère spécifique, ce qui justifie de manière particulière sa présence dans la Sainte Ecriture, c'est précisément cette évaluation qui est liée à cette description et qui est exprimée dans sa trame "narratrice et réaliste". On peut dire avec certitude que cette description ne serait pas possible sans toute la vérité de la création et même sans toute la vérité de la "Rédemption du corps" que Paul professe et proclame. On peut également affirmer que la description paulinienne du corps correspond vraiment à l'attitude spirituelle de "respect" envers le corps humain, respect qui lui est dû en raison de la "sainteté" 1Th 4,3-5 1Th 4,7-8 qui naît des mystères de la création et de la Rédemption. La description paulinienne est également éloignée aussi bien du mépris manichéen du corps que des différentes manifestations d'un "culte naturaliste du corps".
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4. L'auteur de 1Co 12,18-25 a devant les yeux le corps humain dans toute sa vérité et donc le corps imprégné (si l'on peut s'exprimer ainsi) de toute la réalité de la personne et de sa dignité. Il est, en même temps, le corps de l'être humain "historique", homme et femme, c'est-à-dire de cet être humain qui, après le péché, a été conçu, pour ainsi dire, à l'intérieur et par la réalité de l'être humain qui avait fait l'expérience de l'innocence originelle. Dans les expressions de Paul au sujet des "membres indécents" du corps humain, comme aussi au sujet de ceux qui "semblent les plus faibles" ou de "ceux que nous tenons pour les moins honorables", il semble que nous retrouvions le témoignage de la même honte que les premiers êtres humains, homme et femme, avaient expérimenté après le péché originel. Cette honte s'est gravée en eux et dans toutes les générations de l'être humain "historique" comme fruit de la triple concupiscence (avec une référence particulière à la concupiscence de la chair). En même temps que cette honte - comme on l'a déjà mis en relief dans les précédentes analyses - un certain "écho" de la même innocence originaire de l'homme s'y est gravé: presque un "négatif" de l'image dont le "positif" était précisément l'innocence originelle.
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5. La "description" paulinienne du corps humain semble confirmer parfaitement nos analyses antérieures. Dans le corps humain, il y a des "membres indécents", non en raison de leur nature "corporelle" (puisqu'une description scientifique et physiologique traite tous les membres et les organes de manière "neutre", avec la même objectivité), mais seulement et exclusivement parce qu'existe dans l'homme lui- même cette honte qui perçoit quelques membres du corps comme "indécents" et qui conduit à les considérer comme tels. En même temps, la même honte semble être à la base de ce qu'écrit l'apôtre dans la Première lettre aux Corinthiens: "Ceux que nous tenons pour les moins honorables du corps sont ceux-là même que nous entourons de plus d'honneur. Ainsi nos membres indécents sont traités avec le plus de décence". 1Co 12,23 Ainsi donc, on peut dire que de la honte naît précisément le "respect" pour son propre corps: respect dont Paul sollicite l'usage dans 1Th 4,4. C'est précisément ce fait d'user "avec sainteté et avec respect" qui se trouve retenu pour la vertu de pureté.
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6. En revenant encore à la "description" paulinienne du corps dans 1Co 12,18-25, nous voulons attirer l'attention sur le fait que, selon l'auteur de la lettre, cet effort particulier, qui tend à respecter le corps humain et spécialement les membres les plus "faibles" et les plus "indécents", correspond au dessein originel du Créateur ou à cette vision dont parle le Livre de la Genèse: "Dieu vit tout ce qu'il avait fait et voilà, c'était très bon". Gn 1,31 Paul écrit: "Dieu a disposé le corps de manière à donner davantage d'honneur à ce qui en manque, afin qu'il n'y ait point de division dans le corps, mais qu'au contraire les membres se témoignent une mutuelle sollicitude". 1Co 12,24-25 La "division dans le corps", dont le résultat est que quelques membres sont considérés comme "plus faibles", "moins honorables", donc "indécents", est une expression postérieure à la vision de l'état intérieur de l'homme après le péché originel, c'est-à-dire de l'"homme historique". L'être humain de l'innocence originelle, homme et femme, dont nous lisons dans Gn 2,25, qu'"ils étaient nus ... mais qu'ils n'en éprouvaient pas de honte", ne ressentait pas non plus cette "division dans le corps". A cette harmonie objective dont le Créateur a doté le corps et que Paul précise comme étant une mutuelle sollicitude que se témoignent les différents membres 1Co 12,25, correspondait une harmonie analogue dans l'intimité de l'homme: l'harmonie du "coeur" . Cette harmonie ou, précisément, la "pureté du coeur" permettait à l'homme et à la femme, dans l'état d'innocence originelle, d'expérimenter simplement (et d'une manière qui les rendait originellement heureux tous les deux) la force d'union de leurs corps qui était, pour ainsi dire, l'"insoupçonnable" substrat de leur union personnelle ou de la communion de leurs personnes (communio personarum).
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7. Comme on le voit dans la Première lettre aux Corinthiens, l'apôtre lie sa description du corps humain à l'état de l'homme "historique". Au seuil de l'histoire de cet homme se trouve l'expérience de la honte liée à la "division du corps", au sens de pudeur à l'égard de ce corps (et en particulier à l'égard de ses membres qui déterminent du point corporel la masculinité et la féminité). Cependant, dans la même "description", Paul indique la voie qui (précisément sur la base du sens de la honte) conduit à la transformation de cet état jusqu'à la victoire progressive sur cette "division dans le corps", victoire qui peut et qui doit se réaliser dans le coeur de l'homme. Cette voie est précisément celle de la pureté ou du "fait d'user de son corps avec sainteté et respect". Dans 1Co 12,18-25, Paul se réfère au "respect" dont parle 1Th 4,3-5 en utilisant quelques locutions équivalentes lorsqu'il parle du "respect" ou de l'estime pour les membres "les moins honorables", "les plus faibles" du corps et lorsqu'il recommande une plus grande "décence" à l'égard de ce qui est considéré comme "indécent" dans l'homme. Ces locutions caractérisent de plus près ce "respect", surtout dans le domaine des rapports et des comportements humains à l'égard du corps. Voilà ce qui est important, tant à l'égard de son "propre" corps que, évidemment, dans les rapports réciproques (spécialement entre l'homme et la femme, bien qu'ils ne se limitent pas à eux).
Nous n'avons aucun doute que la "description" du corps humain, dans la Première lettre aux Corinthiens, ait une signification fondamentale pour l'ensemble de la doctrine paulinienne de la pureté.
18 mars 1981
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1. Au cours de notre rencontre, il y a quelques semaines, nous avons attiré l'attention sur le passage de la Première Lettre aux Corinthiens où saint Paul appelle le corps humain le "temple de l'Esprit-Saint". Il écrit: "Ou bien ne savez- vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en vous et que vous tenez de Dieu et que vous ne vous appartenez pas? En effet, vous avez été rachetés à un prix élevé". 1Co 6,19-20. "Ne savez-vous pas que vos corps sont des membres du Christ?" 1Co 6,15. L'apôtre montre le mystère de la "Rédemption du corps", accomplie par le Christ, comme la source d'un devoir moral particulier qui engage les chrétiens à la pureté, à celle que Paul définit ailleurs comme l'exigence d'"user de son corps avec sainteté et respect" 1Th 4,4.
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2. Cependant, nous ne découvririons pas toute la richesse de la pensée contenue dans les thèmes pauliniens si nous ne remarquions pas que le mystère de la Rédemption fructifie également dans l'homme de manière charismatique. L'Esprit- Saint qui, selon les paroles de l'apôtre, entre dans le corps humain comme dans son propre "temple", y habite et y oeuvre par ses dons spirituels. Parmi ces dons, connus dans l'histoire de la spiritualité comme les sept dons du Saint- Esprit (cf. Is 11,2, selon la Septante et la Vulgate), celui qui s'adapte le mieux à la vertu de pureté semble être le don de la "piété" (eusebeia, donum pietatis).
note (L'eusebeia ou pieta se référait généralement à l'époque gréco-romaine à la vénération des dieux (comme dévotion) mais conservait encore le sens primitif plus vaste de respect envers les structures vitales. -- L'eusebeia définissait le comportement réciproque des consanguins, les relations entre époux, et aussi l'attitude dûe à César par les légions et à leurs maîtres par les esclaves. -- Dans le Nouveau Testament, seuls les documents les plus récents appliquent l'eusebeia aux chrétiens; dans les écrits les plus anciens ce terme caractérise les "bons païens" Ac 10,2-7 Ac 17,23 -- Et ainsi l'eusebeia grecque tout comme le donum pietatis, tout en se référant indubitablement à la vénération divine, ont aussi une vaste base dans la connotation des rapports inter-humains (cf. W. Foerster, article eusebeia, dans Theological Dictionary of the New- Testament ed. G. Kittel - G. Bromiley, vol. III, Grand Rapids 1971, Eerdmans, pp. 177-182).
Si la pureté amène l'homme à "user de son corps avec sainteté et respect", comme nous le lisons dans 1Th 4,3-5, la piété, qui est un don de l'Esprit-Saint, semble servir la pureté de manière particulière en sensibilisant le sujet humain à cette dignité qui est propre au corps humain en vertu du mystère de la création et de la Rédemption. Grâce au don de la piété, les paroles de Paul: "Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en vous (...) et que vous ne vous appartenez pas? 1Co 6,19 acquièrent l'éloquence d'une expérience et deviennent une vérité vivante et vécue dans l'action. Elles ouvrent même l'accès plus pleinement à l'expérience de la signification sponsale du corps et de la liberté du don qui lui est liée et dans laquelle se dévoilent la physionomie profonde de la pureté et son lien organique avec l'amour.
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3. Bien que le fait d'user de son corps "avec sainteté et respect" consiste à s'abstenir de "l'impucidité" - et cette voie est indispensable - cette attitude fructifie toujours dans l'expérience la plus profonde de cet amour qui a été inscrit depuis "l'origine", d'après l'image et la ressemblance de Dieu lui-même, dans l'être humain tout entier et donc aussi dans son corps. C'est pourquoi, au chapitre 6 de la Première lettre aux Corinthiens, saint Paul termine son argumentation par une exhortation significative "Glorifiez donc Dieu dans votre corps" 1Co 6,20. La pureté, comme vertu ou capacité d'"user de son corps avec sainteté et respect", alliée au don de la piété comme fruit de l'habitation de l'Esprit-Saint dans le "temple" du corps, réalise dans ce dernier une telle plénitude de dignité dans les rapports entre personnes que Dieu lui-même y est glorifié. La pureté est gloire du corps humain devant Dieu. C'est la gloire de Dieu dans le corps humain à travers lequel se manifestent la masculinité et la féminité. De la pureté jaillit cette singulière beauté qui imprègne tout le domaine de la convivence réciproque des hommes et permet d'y exprimer la simplicité et la profondeur, la cordialité et l'authenticité incomparable de la confiance personnelle. Peut-être aurons-nous plus tard une autre occasion pour traiter plus amplement ce thème. Le lien entre la pureté et l 'amour est également le lien de la même pureté dans l'amour, et ce don de l'Esprit-Saint qu'est la piété constitue une trame peu connue de la théologie du corps qui mérite cependant un approfondissement particulier. Cela pourra être réalisé au cours des analyses concernant le caractère sacramentel du mariage.
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4. Et maintenant, référons-nous brièvement à l'Ancien Testament. La doctrine paulinienne de la pureté, entendue comme "vie selon l'Esprit", semble indiquer une certaine continuité par rapport aux Livres "sapientiaux" de l'Ancien Testament. Nous y trouvons, par exemple, la prière suivante pour obtenir la pureté dans les pensées, les paroles et les actions: "Seigneur, Père et Dieu de ma vie. (...) Que la sensualité et la luxure ne s'emparent pas de moi. Ne me livre pas au désir impudent". Si 23,4-6. La pureté est en effet la condition pour trouver la sagesse et pour la suivre, comme nous le lisons dans le même livre: "Vers elle (c'est-à-dire vers la sagesse) j'ai dirigé mon âme et dans la pureté je l'ai trouvée". Si 51,20. On pourrait aussi, d'une certaine manière, prendre en considération le texte de Sg 8,21 que la liturgie connaît dans la version de la Vulgate: "Je savais que nul ne pouvait avoir la continence si Dieu ne la donnait. Et c'était déjà de la sagesse de savoir de qui elle était le don (Cette version de la Vulgate conservée par la Neo- Vulgate et par la liturgie, citée de nombreuses fois par saint Augustin (de S. Virg, par. 43; Confess.VI II; X 29; Serm. CLX 7), change toutefois le sens de l'original grec qui se traduit ainsi: "Sachant que je ne l'aurais pas obtenue autrement (la sagesse) si Dieu ne me l'avait donnée..").
Selon ce concept, ce n'est pas tellement la pureté qui est la condition de la sagesse, mais la sagesse condition de la pureté, comme un don de Dieu. Il semble que dans les textes sapientiaux cités ci-dessus s'esquisse déjà la double signification de la pureté: comme vertu et comme don. La vertu est au service de la sagesse et la sagesse prédispose à accueillir le don qui provient de Dieu. Ce don fortifie la vertu et permet de jouir dans la sagesse des fruits d'une conduite et d'une vie qui soient pures.
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5. Comme le Christ dans la béatitude du Discours sur la Montagne, qui se réfère "aux coeurs purs", met en relief la "vision de Dieu", fruit de la pureté, dans une perspective eschatologique, ainsi Paul, à son tour, met en lumière son rayonnement dans les dimensions de la temporalité lorsqu'il écrit: "Tout est pur pour les purs. Mais pour ceux qui sont souillés et qui n'ont pas la foi, rien n'est pur. Leur esprit même et leur conscience sont souillés. Ils font profession de connaître Dieu mais, par leur conduite, ils le renient". Tt 1,15-16 Ces paroles peuvent également se référer à la pureté au sens, général et spécifique, comme à la note caractéristique de tout bien moral. Pour la conception paulinienne de la pureté, au sens dont parlent 1Th 4,3-5 1Co 6,13-20 c'est-à-dire au sens de la "vie selon l'Esprit", l'anthropologie de la renaissance dans l'Esprit- Saint semble être fondamentale - comme il ressort de l'ensemble de nos considérations Jn 3,5 ss. Elle grandit à partir des racines mises dans la réalité de la Rédemption du corps opérée par le Christ Rédemption dont l'expression ultime est la résurrection. Il y a de profondes raisons pour lier toute la thématique de la pureté aux paroles de l'Evangile dans lesquelles le Christ se réfère à la résurrection (et cela constituera le thème de la future étape de nos considérations). Ici, nous l'avons surtout mise en relation avec l'ethos de la Rédemption du corps.
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6. La manière de comprendre et de présenter la pureté - héritée de la tradition de l'Ancien Testament et caractéristique des Livres "sapientiaux" - était certainement une préparation indirecte mais néanmoins réelle à la doctrine paulinienne sur la pureté comprise comme "vie selon l'Esprit". Sans doute, cette manière aidait aussi beaucoup d'auditeurs du Discours sur la Montagne à comprendre les paroles du Christ lorsque, expliquant le commandement "Tu ne commettras pas d'adultère", il se référait au "coeur" humain. L'ensemble de nos réflexions a pu montrer de cette manière, du moins dans une certaine mesure, avec quelle richesse et quelle profondeur la doctrine de la pureté se distingue dans ses sources bibliques et évangéliques.
1er avril 1981
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1. Avant de conclure le cycle de considérations concernant les paroles que le Christ a prononcées dans son Discours sur la Montagne, il faut encore une fois rappeler ces paroles et reprendre sommairement le fil des idées sur lesquelles elles sont basées. Voici la teneur des paroles de Jésus: " Vous avez appris qu'il a été dit: Tu ne commettras pas l'adultère! Eh bien! moi je vous dis: Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis, dans son coeur, l'adultère avec elle". Mt 5,27-28. Ce sont des paroles synthétiques qui exigent une profonde réflexion, exactement comme les paroles du Christ quand il se réfère à "l'origine". Aux Pharisiens qui, en se référant à la loi de Moïse qui admettait l'"acte de répudiation", lui avaient demandé: "Est-il permis de répudier sa femme pour n'importe quel motif?", il avait répondu: "N'avez-vous pas lu que le Créateur, dès l'origine, les fit homme et femme, et qu'il a dit Ainsi donc l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme et les deux ne formeront qu'une seule chair? ... Eh bien! Ce que Dieu a uni, l'homme ne doit point le séparer". Mt 19,3-6 Ces paroles ont, elles aussi, exigé une profonde réflexion pour découvrir toute la richesse qu'elles contiennent. Les réflexions de ce genre nous ont permis de déterminer l'authentique théologie du corps.
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2. En suivant la référence que le Christ a faite à "l'origine", nous avons consacré une série de réflexions aux textes de la Genèse qui traitent précisément de cette "origine". Nos analyses ont fait ressortir non seulement un tableau de la situation de l'être humain - homme et femme - dans son état d'innocence originelle, mais aussi la base théologique de la vérité sur l'homme et sur sa vocation particulière qui découle du mystère éternel de la personne: image de Dieu, incarnée dans le fait corporel et visible de la masculinité ou de la féminité de la personne humaine. C'est sur cette vérité qu'est basée la réponse que le Christ a donnée à propos du mariage et, en particulier, de son indissolubilité. C'est la vérité sur l'homme, une vérité qui a ses racines dans l'état d'innocence originelle, une vérité qu'il faut donc comprendre dans le contexte de la situation existant avant le péché, comme nous avons cherché à le faire au cours du précèdent cycle de nos réflexions.
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3. Toutefois il faut, en même temps, considérer, comprendre et interpréter cette vérité fondamentale sur la personne humaine, sur sa nature d'être masculin et féminin, à la lumière d'une autre situation: de celle, donc, qui s'est formée à la suite de la rupture de la première alliance avec le Créateur, c'est-à-dire à cause du péché originel. Il convient de voir cette vérité sur l'être humain - homme et femme - dans le contexte de sa nature pécheresse héréditaire. Et c'est précisément ici que nous rencontrons les déclarations du Christ dans son Discours sur la Montagne. Il y a évidemment dans les Saintes Ecritures de l'Ancien et du Nouveau Testament de nombreux récits, phrases et paroles qui confirment cette vérité, c'est-à-dire que l'homme "historique" porte en lui l'héritage du péché originel; néanmoins, les paroles que Jésus a prononcées dans son Discours sur la Montagne semblent - malgré leur présentation concise - avoir une éloquence particulièrement dense. Les analyses que nous avons faites précédemment et qui ont graduellement révélé ce que ces paroles contiennent en substance, le démontrent. Pour éclairer les affirmations concernant la concupiscence, il faut saisir la signification biblique de la concupiscence elle-même - de la triple concupiscence - et principalement de la concupiscence de la chair. Et alors, on arrive à comprendre peu à peu pourquoi Jésus définit cette concupiscence (précisément le "regarder pour désirer") comme "adultère commis dans le coeur". En accomplissant les analyses sur ce sujet, nous avons en même temps cherché à comprendre quelle signification les paroles de Jésus avaient pour ses auditeurs immédiats éduqués dans la tradition de l'Ancien Testament, c'est-à-dire dans la tradition des textes législatifs et, également, dans celle des textes prophétiques et "sapientiaux"; en outre, la signification que les paroles du Christ peuvent avoir pour l'homme de toute autre époque et principalement pour l'homme d'aujourd'hui, lorsqu'on considère des influences culturelles. En effet, nous sommes persuadés que, dans leur contenu essentiel, ces paroles se réfèrent à l'homme de tous les temps et de tous les lieux. C'est en cela que consiste leur valeur synthétique: elles annoncent à chacun une vérité qui est valable et substantielle pour lui personnellement.
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4. Quelle est cette vérité? Incontestablement, c'est une vérité de caractère éthique et donc, en définitive, une vérité de caractère normatif, tout comme est normative la vérité contenue dans le commandement: "Tu ne commettras point l'adultère". L'interprétation que le Christ fait de ce commandement nous indique le mal à éviter et à vaincre - celui précisément de la convoitise de la chair - et elle nous montre en même temps le bien, dont la voie s'ouvre à nous quand nous surmontons nos désirs. Ce bien est la "pureté du coeur" dont Jésus parle dans le même contexte du Discours sur la Montagne. Du point de vue biblique, la pureté du coeur veut dire libération de toute espèce de péché ou de faute - et pas seulement des péchés provenant de la "convoitise de la chair". Toutefois, dans ce cas-ci, nous nous occupons particulièrement d'un des aspects de cette "pureté" , celui qui est le contraire de l'adultère "commis dans le coeur". Cette "pureté du coeur" dont nous traitons, si nous la comprenons, selon la pensée de saint Paul, comme "vie selon l'Esprit", alors le contexte paulinien nous offre une image complète de la substance contenue dans les paroles que le Christ a prononcées dans son Discours sur la Montagne. Ces paroles contiennent une vérité éthique; elles mettent en garde contre le mal et indiquent le bien moral de la vie humaine; même, elles incitent les auditeurs à éviter le mal de la concupiscence et à acquérir la pureté du coeur. La signification de ces paroles est donc tout ensemble normative et indicative. Tout en entraînant vers le bien qu'est la "pureté du coeur", elles indiquent en même temps les valeurs auxquelles le coeur humain peut et doit aspirer.
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5. D'où la question: quelle vérité, valable pour tout homme, se trouve contenue dans les paroles du Christ? Nous devons répondre qu'elles contiennent non seulement une vérité éthique, mais également la vérité essentielle sur l'homme, la vérité anthropologique. C'est précisément pour cela que nous remontons à ces paroles pour formuler ici la théologie du corps en étroite relation et, pour ainsi dire, dans la perspective les paroles précédentes par lesquelles le Christ s'était référé à "l'origine". On peut affirmer que ces paroles, avec leur expressive éloquence évangélique, évoquent dans la conscience de l'homme de la concupiscence le souvenir de l'homme de l'innocence originelle. Mais les paroles du Christ sont réalistes. Elles ne cherchent pas à faire revenir le coeur humain à l'état d'innocence originelle que l'homme a désormais laissé derrière lui au moment où il a commis le péché originel: elles lui indiquent, au contraire, le chemin d'une pureté du coeur, possible et accessible même dans sa situation de pêcheur héréditaire. Cette pureté est celle de "l'homme de la concupiscence", inspirée toutefois par les paroles de l'Evangile et ouverte à "la vie selon l'Esprit" (conformément aux paroles de saint Paul), c'est-à-dire la pureté de l'homme de la concupiscence qui est cernée entièrement par la "Rédemption du corps" accomplie par le Christ. C'est précisément pour cela que nous trouvons dans les paroles du Discours sur la Montagne l'appel au "coeur", c'est-à-dire à l'homme intérieur. L'homme intérieur doit s'ouvrir à la vie selon l'Esprit, afin d'obtenir de l'Esprit la pureté de coeur évangélique; afin de retrouver et de réaliser la valeur du corps, libéré par la Rédemption des chaînes de la concupiscence.
La signification normative des paroles du Christ est profondément enracinée dans leur signification anthropologique, dans la dimension de l'intériorité humaine.
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6. Selon la doctrine évangélique, si merveilleusement développée dans les Epîtres de saint Paul, la pureté n'est pas une simple abstention de l'impudicité 1Th 4,3, ou tempérance: elle ouvre en même temps la voie qui conduit à une découverte toujours plus parfaite de la dignité du corps humain, lui qui est lié organiquement à la liberté du don dans l'authenticité intégrale de sa subjectivité personnelle, masculine ou féminine. De cette manière, la pureté comprise comme tempérance mûrit dans le coeur de l'homme qui la cultive et tend à la découverte et à l'affirmation de la signification sponsale du corps, dans sa vérité intégrale. C'est précisément cette vérité qui doit être connue intérieurement: elle doit, en un certain sens, être "ressentie par le coeur", afin que les rapports réciproques de l'homme et de la femme - et jusqu'au simple regard - retrouvent ce contenu authentiquement sponsal de leurs significations. Et c'est précisément ce contenu que l'Evangile indique comme "pureté du coeur".
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7. Si dans l'expérience intérieure de l'homme (c'est-à- dire de l'homme de la concupiscence) la "tempérance" prend figure de fonction négative, l'analyse des paroles que le Christ a prononcées dans son Discours sur la Montagne et leur mise en liaison avec les textes de saint Paul nous permettent de transposer cette signification vers la fonction positive de la pureté du coeur. Dans la pureté bien mûrie, l'homme jouit des fruits de la victoire remportée sur la concupiscence, victoire dont a parlé saint Paul en exhortant chacun à "user de son corps avec sainteté et respect" 1Th 4,4 Mieux, c'est précisément dans une pureté bien mûrie que se manifeste partiellement l'efficacité du don du Saint- Esprit dont le corps humain "est le temple" 1Co 6,19. Ce don est surtout celui de la piété (donum pietatis) qui restitue à l'expérience du corps - spécialement quand il s'agit des relations réciproques de l'homme et de la femme - toute sa simplicité, toute sa limpidité et aussi toute sa joie intérieure. Comme on le voit, ceci constitue un climat spirituel très différent de la passion et de la libido dont parle saint Paul (et que nous connaissons aussi grâce à d'autres analyses: il suffit de se rappeler Si 26,13 Si 26,15-18 L'apaisement de la passion est en effet une chose; la joie que l'homme éprouve à se posséder plus pleinement lui-même et à pouvoir devenir ainsi encore plus pleinement un véritable don pour une autre personne en est une autre.
Les paroles que le Christ a prononcées dans le Discours sur la Montagne conduisent précisément le coeur humain à cette joie. C'est à elles qu'il convient de confier sa propre personne, ses pensées et ses actions, afin de trouver la joie et de la donner aux autres.
2002 Magistère Mariage 1105