2002 Magistère Mariage 1442

Par le sacrement de mariage l'homme et la femme participent

à l'amour créateur

15 décembre 1982

1443Index Table

1. L'auteur de l'épître aux Ephésiens parle, comme nous l'avons vu, d'un grand mystère uni au sacrement primordial grâce à la continuité du plan salvifique de Dieu. Lui aussi, il se réfère à l'origine comme le Christ l'avait fait durant son entretien avec les pharisiens Mt 9,8, citant les mêmes paroles: C'est pourquoi l'homme laissera son père et sa mère, s'attachera à sa femme et ils deviendront une seule chair" Gn 2,24. Ce grand mystère est surtout le mystère de l'union du Christ avec l'Eglise que l'apôtre présente comme semblable à l'unité des époux: "Je veux dire qu'il s'applique au Christ et à l'Eglise" Ep 5,32. Nous nous trouvons dans le cadre de la grande analogie dans laquelle le mariage en tant que sacrement est d'une part, présupposé et, d'autre part, redécouvert. Il est présupposé comme sacrement de l'origine humaine, uni au mystère de la Création. Et il est, en revanche, redécouvert comme fruit de l'amour nuptial du Christ et de l'Eglise, lié au mystère de la Rédemption.

1444Index Table

2. L'auteur de l'épître aux Ephésiens, s'adressant directement aux époux, les exhorte à régler leurs rapports mutuels sur le modèle de l'union nuptiale du Christ et l'Eglise. On peut dire que - présupposant le caractère sacramentel du mariage dans sa signification primordiale - il leur ordonne d'apprendre à nouveau ce sacrement d'après l'union nuptiale du Christ et de l'Eglise: "Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Eglise; il s'est livré pour elle pour la sanctifier ..." Ep 5,25-26. Cette invitation que l'Apôtre adresse aux époux chrétiens se justifie pleinement en ce sens que, grâce au mariage-sacrement, ils participent à l'amour salvifique du Christ qui s'exprime également par son amour nuptial pour l'Eglise. A la lumière de l'épître aux Ephésiens - précisément grâce à la participation à cet amour salvifique du Christ - le mariage se trouve confirmé et en même temps renouvelé comme sacrement de l'"origine" humaine, c'est-à-dire comme sacrement dans lequel l'homme et la femme, appelés à devenir une seule chair, prennent part à l'amour créateur de Dieu lui-même. Et ils y prennent part soit du fait que, créés à l'image de Dieu, ils ont été appelés en vertu de cette ressemblance à une union particulière (communio personarum), soit parce que cette union même a été dès le début bénie de la bénédiction de la fécondité Gn 1,28.

1445Index Table

3. Toute cette structure stable, originaire, du mariage comme sacrement du mystère de la Création - selon le texte classique de Ep 5,21-33 - se renouvelle dans le mystère de la Rédemption, lorsque ce mystère devient l'image du don conjugal de l'Eglise par le Christ. Cette forme stable originaire du mariage se renouvelle quand les époux le reçoivent comme sacrement de l'Eglise, puisant dans la nouvelle profondeur de la gratification de l'homme par Dieu qui s'est révélée et ouverte avec le mystère de la Rédemption, quand "le Christ a aimé l'Eglise et s'est donné lui-même pour elle, pour la sanctifier ..." Ep 5,25-26. Et cette image originaire et stable du mariage comme sacrement se renouvelle quand - profondément conscients de l'authentique profondeur de la Rédemption du corps - les époux chrétiens s'unissent "dans la crainte du Seigneur" Ep 5,21


1446Index Table

4. L'image paulinienne du mariage, inscrite dans le grand mystère du Christ et de l'Eglise, rend la dimension rédemptrice de l'amour plus proche de la dimension nuptiale. En un certain sens, elle unit ces deux dimensions en une seule. Le Christ est devenu l'époux de l'Eglise, il a épousé l'Eglise, il en a fait son épouse car "il s'est livré pour elle" Ep 5,25. Par le mariage comme sacrement (comme un des sacrements de l'Eglise) ces deux dimensions de l'amour, la dimension nuptiale et la dimension rédemptrice, pénètrent avec la grâce du sacrement dans la vie des époux. La signification conjugale du corps dans sa masculinité et féminité qui s'est manifestée dans le mystère de la Création, avec comme fond l'innocence originaire de l'homme, est liée, dans l'image de l'épître aux Ephésiens à la signification rédemptrice; de cette manière elle est confirmée et, en un certain sens, nouvellement créée.

1447Index Table

5. Cela est important pour ce qui regarde le mariage, la vocation chrétienne des maris et des femmes. Le texte de Ep 5,21-33 s'adresse directement à eux et c'est surtout à eux qu'il parle. Toutefois, cette relation de la signification nuptiale du corps avec sa signification rédemptrice est également essentielle et vaut aussi pour l'herméneutique de l'homme en général: pour le problème fondamental de la compréhension de cet homme et de l'auto-compréhension de son être dans le monde. Il est évident que nous ne pouvons exclure de ce problème l'interrogation sur le sens d'être corps, sur le sens d'être, en tant que corps, homme et femme. Ces questions ont été posées pour la première fois en rapport avec l'analyse de l'origine humaine, dans le contexte du livre de la Genèse. C'est ce contexte lui-même qui, en un certain sens, exigeait qu'elles soient posées. Le demande tout autant le texte classique de l'épître aux Ephésiens. Et si le grand mystère de l'union du Christ avec l'Eglise nous oblige à rattacher la signification conjugale du corps à sa signification rédemptrice, les époux trouvent dans cette mise en liaison, la réponse à l'interrogation sur le sens d'être corps, et non seulement eux, bien que ce soit principalement à eux que s'adresse ce texte de l'épître de l'Apôtre.

1448Index Table

6. L'image paulinienne du grand mystère du Christ et de l'Eglise parle aussi, indirectement, de la continence pour le Royaume des Cieux dans laquelle les deux dimensions de l'amour, la dimension conjugale et la dimension rédemptrice s'unissent réciproquement de manière différente de l'amour nuptial et dans des proportions diverses. Cet amour nuptial avec lequel le Christ a aimé l'Eglise, son Epouse, et s'est livré pour elle, n'est-il pas également la plus pleine incarnation de l'idéal de la continence pour le Royaume des Cieux Mt 19,12? Ne trouvent-ils pas leur soutien précisément en cela tous ceux qui, hommes et femmes, choisissant le même idéal, désirent lier la dimension nuptiale de l'amour à la dimension rédemptrice, suivant le modèle même de Jésus? Ils désirent confirmer par leur vie que la signification nuptiale du corps - de sa masculinité ou féminité - profondément imprimée dans la structure essentielle de la personne humaine, a été ouverte de manière nouvelle, par le Christ et avec l'exemple de sa vie, à l'espérance liée à la Rédemption du corps. Ainsi donc, la grâce du mystère de la Rédemption fructifie également - et même fructifie de manière toute particulière - avec la vocation à la continence pour le Royaume des Cieux.

1449Index Table

7. Le texte de Ep 5,22-33 n'en parle pas de manière explicite. Il est adressé aux époux et construit suivant l'image du mariage qui, par analogie, explique l'union du Christ avec l'Eglise: union dans l'amour rédempteur et tout ensemble nuptial. N'est-ce pas précisément cet amour qui, en tant que vive et vivifiante expression du mystère de la Rédemption, va au-delà du cercle des destinataires de l'épître circonscrits par l'analogie du mariage? N'embrasse- t-il pas tout homme et, en un certain sens toute la création, comme l'indique le texte paulinien sur la Rédemption du corps dans Rm 8,23? En ce sens, le sacramentum magnum est directement un nouveau sacrement de l'homme dans le Christ et dans l'Eglise: sacrement de l'homme et du monde; de même que la création de l'être humain, homme et femme, à l'image de Dieu, fut l'originaire sacrement de l'homme et du monde. Dans ce nouveau sacrement de la Rédemption, le mariage est organiquement inscrit, de même qu'il a été inscrit dans l'originaire sacrement de la création.

1450Index Table

8. L'être humain, qui depuis l'origine est homme et femme, doit chercher le sens de son existence et le sens de son humanité en allant jusqu'au mystère de la Création à travers le mystère de la Rédemption. Ici se trouve également la réponse essentielle à l'interrogation sur la signification du corps humain, sur la signification de la masculinité et de la féminité de la personne humaine. L'union du Christ avec l'Eglise nous permet de comprendre de quelle manière la signification nuptiale du corps se complète avec sa signification rédemptrice, et cela dans les diverses voies de la vie et dans les différentes situations: non seulement dans le mariage ou dans la continence (c'est-à-dire la virginité ou le célibat), mais aussi, par exemple, dans la souffrance humaine aux mille formes, et mieux encore: dans la naissance et la mort mêmes de l'homme. A travers le grand mystère dont parle l'épître aux Ephésiens, à travers la Nouvelle Alliance du Christ avec l'Eglise, le mariage est de nouveau inscrit dans ce sacrement de l'homme qui embrasse l'univers, dans le sacrement de l'homme et du monde qui, grâce aux forces de la Rédemption du corps, se modèle suivant l'amour nuptial du Christ et de l'Eglise jusqu'à la mesure de l'accomplissement définitif dans le Royaume du Père.
Comme sacrement, le mariage reste une partie vivante et vivifiante de ce processus salvifique.



Le sacrement de mariage

5 janvier 1983

1451Index Table

1. "Moi..., je te prends, toi... pour mon épouse; moi, je te prends, toi... pour mon époux" - ces paroles sont au centre de la liturgie du mariage en tant que sacrement de l'Eglise. Les fiancés prononcent ces paroles dans le contexte de la formule du consentement: "... je promets de t'être toujours fidèle dans la joie et dans la douleur, dans la santé et dans la maladie, de t'aimer et de t'honorer tous les jours de ma vie". Par ces paroles les fiancés contractent le mariage et le reçoivent en même temps comme sacrement, tous deux étant ministres de celui-ci. Tous deux, l'homme et la femme administrent le sacrement. Ils le font devant les témoins. Le prêtre est un témoin qualifié qui, à la fois, bénit le mariage et préside à toute la liturgie du sacrement. En outre, tous les participants à la cérémonie nuptiale sont en un certain sens des témoins; quelques-uns d'entre eux (deux généralement) le sont officiellement, y étant invités à dessein. Ils doivent témoigner que le mariage est contracté devant Dieu et confirmé par l'Eglise. Dans l'ordre normal des choses, le mariage sacramentel est un acte public en vertu duquel deux personnes, un homme et une femme, deviennent, face à la société de l'Eglise, mari et femme, c'est-à-dire sujets actuels de la vocation et de la vie matrimoniales.

1452Index Table

2. En tant que sacrement le mariage est contracté moyennant la parole qui est un signe sacramentel en raison de son contenu: "Je te prends pour mon épouse - pour mon époux - et promets de t'être toujours fidèle, dans la joie et dans la douleur, dans la santé et dans la maladie, et de t'aimer et t'honorer tous les jours de ma vie". Toutefois, cette parole sacramentelle n'est en soi que le signe de la réalisation du mariage. Et la réalisation du mariage se distingue de sa consommation au point que, en l'absence de cette consommation, le mariage n'est pas encore constitué dans sa pleine réalité. La constatation qu'un mariage a été juridiquement contracté mais non consommé (ratum - non consummatum) équivaut à la constatation qu'il n'a pas été constitué pleinement comme mariage. En effet, les paroles mêmes: "Je te prends pour mon épouse - pour mon époux" se réfèrent non seulement à une réalité déterminée, mais elles ne peuvent s'accomplir que dans l'acte conjugal. Cette réalité (l'acte conjugal) est, du reste, définie dès l'origine par institution du Créateur: "L'homme abandonnera son père et sa mère et s'unira à sa femme, et tous deux seront une seule chair" Gn 2,24.

1453Index Table

3. Et ainsi, des paroles par lesquelles l'homme et la femme expriment leur disponibilité à devenir une seule chair, conformément à la vérité éternelle établie dans le mystère de la Création, de ces paroles, donc, nous passons à la réalité qui y correspond. L'un et l'autre élément ont leur importance respectivement à la structure du signe sacramentel auquel il convient de consacrer la suite des présentes considérations. Etant donné que le sacrement est le signe par lequel s'exprime et en même temps s'actualise la réalité salvifique de la grâce et de l'alliance, il importe de le considérer maintenant sous l'aspect du signe, alors que les précédentes réflexions étaient dédiées à la réalité de la grâce et de l'alliance.
En tant que sacrement de l'Eglise, le mariage se contracte grâce aux paroles de ses ministres, c'est-à-dire des nouveaux époux. Paroles qui signifient et indiquent, dans l'ordre intentionnel, tout ce que les deux ont décidé d'être dorénavant l'un pour l'autre. Les paroles des nouveaux époux font partie de la structure intégrale du signe sacramentel, non seulement pour ce qu'elles signifient mais, en un certain sens, également avec ce qu'elles signifient et déterminent. Le signe sacramentel se constitue dans l'ordre intentionnel quand il est constitué simultanément dans l'ordre réel.

1454Index Table

4. Par conséquent, le signe du sacrement du mariage est constitué par les paroles des nouveaux époux du fait que c'est à elles que correspond la réalité qu'eux-mêmes constituent. Tous deux, comme homme et femme, étant ministres du sacrement au moment de contracter mariage, constituent en même temps le plein et réel signe visible du sacrement lui- même. Les paroles qu'ils prononcent ne constitueraient pas en soi le signe sacramentel du mariage si n'y correspondaient la subjectivité humaine du fiancé et de la fiancée et en même temps la conscience du corps liée à la masculinité et à la féminité de l'époux et de l'épouse. Ici il est nécessaire de rappeler toute la série d'analyses faites précédemment à propos de Gn 1-2. La structure du signe sacramentel est en effet, dans son essence, restée la même qu'à l'origine. En un certain sens, elle est déterminée par le langage du corps, du fait que l'homme et la femme qui doivent devenir par le mariage une seule chair, expriment dans ce signe le don réciproque de leur masculinité et féminité comme fondement de l'union conjugale des personnes.

1455Index Table

5. Le signe du sacrement du mariage est constitué du fait que les paroles que prononcent les nouveaux époux reprennent le même langage du corps qu'à l'origine et, en tout cas, lui donnent une expression concrète, impossible à répéter. Ils lui donnent une expression intentionnelle sur le plan de l'intelligence et de la volonté, de la conscience et du coeur. Les paroles: "Je te prends pour mon épouse - pour mon époux" comportent en effet cet éternel langage du corps chaque fois unique et impossible à répéter, et en même temps, elles l'insèrent dans le contexte de la communion des personnes: "Je promets de t'être toujours fidèle, dans la joie et dans la douleur, dans la santé et dans la maladie, et de t'aimer et t'honorer tous les jours de ma vie". De cette manière, le langage du corps éternel et toujours nouveau est non seulement le substrat mais aussi en un certain sens, le contenu constitutif de la communion des personnes. Les personnes - homme et femme - deviennent en elles-mêmes, don l'une pour l'autre. Elles deviennent ce don dans leur masculinité et féminité, en découvrant la signification nuptiale du corps et en la référant réciproquement à eux- mêmes, de manière irréversible:
la dimension de la vie tout entière.

1456Index Table

6. Ainsi, comme signe, le sacrement du mariage permet de comprendre les paroles des nouveaux époux, paroles qui confèrent un nouvel aspect à leur vie dans la dimension strictement personnelle (et inter-personnelle: communio personarum), basée sur le langage du corps. L'administration du sacrement consiste en ceci: avec les paroles appropriées et dans la relecture de l'éternel langage du corps, l'homme et la femme forment, au moment de contracter le mariage, un signe, un signe impossible à répéter, qui a également un sens prospectif: "Tous les jours de ma vie", c'est-à-dire jusqu'à la mort. Ceci est un signe visible et efficace de l'alliance avec Dieu dans le Christ, c'est-à-dire de la grâce qui, dans ce signe, doit leur être donnée en partage, comme "don particulier", selon l'expression de 1Co 7,7.

1457Index Table

7. Si l'on formule la question en catégories socio- juridiques, on peut dire que les époux contractent un pacte conjugal au contenu bien déterminé. On peut dire en outre qu'à la suite de ce pacte ils sont devenus des époux reconnus socialement et que de cette manière la famille se trouve également constituée en germe comme cellule sociale fondamentale. Cette manière de comprendre est évidemment en parfaite concordance avec la réalité humaine du mariage; de plus, elle est également fondamentale au sens religieux et au sens religieux-moral. Toutefois, au point de vue de la théologie du sacrement, la clé d'intelligence du mariage ne cesse d'être la réalité du signe par lequel le mariage se trouve constitué sur la base de l'alliance de l'homme avec Dieu dans le Christ et dans l'Eglise, constitué dans l'ordre surnaturel du lien sacré exigeant la grâce. Dans cet ordre, le mariage est un signe visible et efficace. Né du mystère de la Création, il tire sa nouvelle origine du mystère de la Rédemption, servant à l'union "des fils de Dieu dans la vérité et dans l'amour" GS 24. La liturgie du sacrement du mariage donne une forme à ce signe: directement, durant le rite sacramentel, en se basant sur l'ensemble de ses éloquentes expressions; indirectement dans l'espace de toute la vie. En tant qu'époux, l'homme et la femme portent ce signe dans toute leur vie, et ils restent ce signe jusqu'à la mort.



L'alliance est basée sur le lien conjugal

12 janvier 1983

1458Index Table

1. Nous allons analyser maintenant le caractère sacramentel du mariage sous l'aspect du signe.
Quand nous affirmons que, dans la structure du mariage en tant que signe sacramentel, entre essentiellement aussi le langage du corps, nous nous référons à la longue tradition biblique. Celle-ci a son origine dans le livre de la Genèse (surtout Gn 2,23-25) et trouve son couronnement définitif dans Ep 5,21-33. Les prophètes de l'Ancien Testament ont eu un rôle essentiel dans la formation de cette tradition. En analysant les textes d'Osée, d'Ezéchiel, du Deutéro-Isaïe et d'autres prophètes, nous nous sommes trouvés sur la voie de cette grande analogie dont l'ultime expression est la proclamation de la Nouvelle Alliance sous forme d'union nuptiale du Christ et de l'Eglise (cf. ibid.). En se basant sur cette longue tradition, il est possible de parler d'un prophétisme spécifique du corps, tant parce que cette analogie se rencontre surtout chez les prophètes, qu'en raison de son contenu même. Ici, le prophétisme du corps signifie précisément le langage du corps.

1459Index Table

2. L'analogie semble avoir deux niveaux. Au premier niveau, fondamental, les prophètes considèrent la comparaison de l'Alliance établie entre Dieu et Israël comme un mariage (ce qui nous permettra encore de comprendre le mariage lui- même comme une alliance entre mari et femme (*). Dans ce cas, l'Alliance découle de l'initiative de Dieu, Seigneur d'Israël. Le fait que, comme Créateur et Seigneur, il fait alliance d'abord avec Abraham, puis avec Moïse, atteste déjà une élection particulière. Voilà pourquoi, supposant d'avance tout le contenu juridico-moral de l'Alliance, les prophètes vont plus à fond et en révèlent une dimension incomparablement plus profonde que celle du seul pacte. En choisissant Israël, Dieu s'est uni à son peuple par l'amour et la grâce. Il s'est lié par un lien particulier, profondément personnel, et c'est pour cette raison qu'Israël, bien qu'étant un peuple, est présenté dans cette vision prophétique de l'Alliance, comme épouse et, donc, en un certain sens comme personne: "... Celui qui t'a fait est ton époux / son nom est Seigneur des armées / et celui qui te rachète, c'est le Saint d'Israël / qui s'appelle le Dieu de toute la terre. / ... / Parole de Dieu ... / Mais ma bienveillance ne s'écartera pas de toi / et mon alliance de paix ne vacillera pas" Is 54,5-10.
Note (*) - Pr 2,17 Ml 2,14.

1460Index Table

3. Jahvé est le Seigneur d'Israël, mais il devient également son Epoux. Les livres de l'Ancien Testament attestent la totale originalité de la souveraineté de Jahvé sur son peuple. Aux autres aspects de la souveraineté de Jahvé, Seigneur de l'Alliance et Père d'Israël, vient s'en ajouter un nouveau, révélé par les prophètes: la merveilleuse dimension de cette souveraineté qu'est la dimension nuptiale. De cette manière l'absolu de l'amour est révélé. Par rapport à cet absolu, la rupture de l'Alliance signifie non seulement la violation du pacte en liaison avec l'autorité du Législateur suprême, mais aussi l'infidélité et la trahison: c'est un coup qui transperce directement son coeur de Père, d'Epoux et de Seigneur.

1461Index Table

4. Si dans l'analogie dont usent les prophètes on peut parler de niveaux, celui-là est, en un certain sens, le premier et fondamental niveau. Etant donné que l'Alliance de Jahvé avec Israël a un caractère de lien conjugal, à la ressemblance du pacte conjugal, ce premier niveau de l'analogie révèle le second qui est précisément le langage du corps. Ici, nous pensons en premier lieu au langage au sens objectif; les prophètes qui comparent l'Alliance au mariage, se reportent à ce sacrement primordial dont parle Gn 2,24, dans lequel l'homme et la femme deviennent, en vertu d'un libre choix, "une seule chair". Toutefois la manière de s'exprimer des prophètes se caractérise par le fait que, supposant le langage du corps au sens objectif, ils passent en même temps à son sens subjectif, c'est-à-dire qu'en un certain sens ils permettent au corps lui-même de parler. Dans les textes prophétiques de l'Alliance, sur la base de l'analogie avec l'union conjugale des époux, c'est le corps lui-même qui parle; il parle avec sa masculinité ou féminité; il parle avec le mystérieux langage du don personnel; il parle enfin - et ceci advient le plus souvent - soit avec le langage de la fidélité, c'est-à-dire de l'amour, soit avec celui de l'infidélité conjugale, c'est-à-dire de l'adultère.

1462Index Table

5. On sait que ce sont les divers péchés du peuple élu - et surtout les fréquentes infidélités dans le culte du seul et unique Dieu, c'est-à-dire les différentes formes d'idolâtrie - qui ont offert aux prophètes l'occasion des énoncés précités. Prophète de l'"adultère" d'Israël, l'est spécialement devenu Osée non seulement parce qu'il le stigmatise en paroles, mais aussi, en un certain sens, par des gestes ayant une signification symbolique: "Va, prends pour toi une femme de prostitution et des enfants de prostitution, car vraiment le pays se prostitue en se détournant du Seigneur" Os 1,2. Osée met en relief toute la splendeur de l'Alliance - de ce mariage dans lequel Jahvé se révèle époux - conjoint sensible, affectueux, disposé à pardonner et en même temps exigeant et sévère. L'adultère et la prostitution d'Israël constituent une évidente contradiction avec le lien conjugal sur lequel se base l'Alliance comme, de manière analogue, le mariage de l'homme avec la femme.

1463Index Table

6. De la même manière, Ezéchiel stigmatise l'idolâtrie, faisant appel au symbole de l'adultère de Jérusalem Ez 6 et, dans un autre passage, il parle de Jérusalem et de Samarie Ez 23: "Je passai près de toi et je vis que ton âge était celui des amours; ... je te prêtai serment, je fis alliance avec toi, oracle du Seigneur, et tu fus à moi" Ez 16,8 "Mais tu t'es fiée à ta beauté et, forte de ta renommée, tu t'es prostituée et tu as prodigué tes faveurs à tout passant" Ez 16,15.

1464Index Table

7. Dans les textes prophétiques, le corps humain parle un langage dont il n'est pas lui-même l'auteur. Son auteur est l'être humain en tant qu'homme ou femme, en tant qu'époux ou épouse - l'être humain avec son éternelle vocation à la communion des personnes. Toutefois, en un certain sens, l'homme n'est pas capable d'exprimer sans le corps ce langage singulier de son existence personnelle et de sa vocation. Déjà à l'origine, il a été constitué de manière que les plus profondes paroles de l'esprit: paroles d'amour, de donation, de fidélité - exigent un langage du corps approprié. Sans celui-ci, elles ne sauraient être pleinement exprimées. Par l'Evangile, nous savons que cela se réfère tant au mariage qu'à la continence pour le Royaume des Cieux.

1465Index Table

8. Comme porte-parole inspirés de l'Alliance de Jahvé avec Israël, les prophètes cherchent précisément à exprimer par ce langage du corps exprime soit la profondeur nuptiale de cette Alliance, soit tout ce qui la contredit. Ils louent la fidélité, et stigmatisent au contraire l'infidélité comme adultère - ils parlent donc selon des catégories éthiques, opposant l'un à l'autre le bien et le mal moral. L'opposition du bien et du mal est essentiel pour l'éthos. Les textes prophétiques ont dans ce domaine une signification essentielle, comme nous l'avons déjà relevé dans nos précédentes réflexions. Il semble toutefois, selon les prophètes, que le langage du corps n'est pas uniquement un langage de l'éthos, un éloge de la fidélité et de la pureté, ainsi qu'une condamnation de l'adultère et de la prostitution. En effet, pour tout langage en tant qu'expression de la connaissance, les catégories de la vérité et de la non-vérité (c'est-à-dire du faux) sont essentielles. Dans les textes des prophètes qui voient une analogie entre l'Alliance de Jahvé avec Israël et le mariage, le corps dit la vérité par la fidélité et l'amour conjugal; et il dit le mensonge et commet une fausseté quand il se laisse aller à l'adultère.

1466Index Table

9. Il ne s'agit pas ici de remplacer les différenciations éthiques par les différenciations logiques. Si les textes prophétiques indiquent la fidélité conjugale et la chasteté comme vérité, et au contraire l'adultère, ou la prostitution comme non-vérité, comme fausseté, du langage du corps, ceci advient parce que dans le premier cas, le sujet (= Israël comme épouse) concorde avec la signification conjugale qui correspond au corps humain (en vertu de sa masculinité ou féminité) dans la structure intégrale de la personne; dans le second cas, au contraire, ce même sujet est en contradiction et entre en opposition avec cette signification.
Nous pouvons donc dire que pour le mariage comme sacrement, l'essentiel est le langage du corps, relu dans sa vérité. C'est précisément grâce à celui-là que se constitue en effet le signe sacramentel.



En se donnant le sacrement de mariage les époux posent un

acte de caractère pro

19 janvier 1983

1467Index Table

1. Les textes des prophètes ont une grande importance pour comprendre le mariage comme alliance de personnes (à l'image de l'Alliance de Jahvé avec Israël) et, en particulier, pour comprendre l'alliance sacramentelle de l'homme et de la femme à la dimension du signe. Le langage du corps entre - comme on l'a déjà été considéré précédemment - dans la structure intégrale du signe sacramentel dont l'être humain, homme et femme, est le sujet principal. Ce signe est constitué par les paroles du consentement conjugal, parce qu'y est exprimée la signification nuptiale du corps dans sa masculinité et féminité. Ce sont surtout les paroles: "Moi ... je te prends, toi ... pour mon époux ... pour mon épouse" qui expriment cette signification. De plus, ces paroles confirment la "vérité" essentielle du langage du corps et excluent également (au moins de manière indirecte, implicite), l'essentielle "non-vérité", la fausseté du langage du corps. Le corps, en effet, dit la vérité à travers l'amour conjugal, la fidélité et l'honnêteté conjugales, de même qu'il exprime la non-vérité, c'est-à-dire la fausseté, à travers tout ce qui est négation de l'amour conjugal, de la fidélité et de l'honnêteté conjugales. On peut donc dire qu'au moment de proférer les paroles du consentement conjugal les nouveaux époux se placent sur la ligne du "prophétisme du corps" lui-même, dont les anciens prophètes furent les porte- parole. Le langage du corps exprimé de vive voix comme sacrement de l'Eglise par les ministres du mariage institue le même signe visible de l'alliance et de la grâce qui - remontant par son origine au mystère de la Création - se nourrit constamment de la force de la Rédemption du corps que le Christ offre à l'Eglise.

1468Index Table

2. Selon les textes des prophètes, le corps humain parle un langage dont il n'est pas l'auteur. Son auteur est l'être humain qui, comme homme et femme, comme époux et épouse, médite correctement la signification de ce langage. Il médite donc cette signification du corps comme intégralement inscrite dans la structure de la masculinité ou féminité du sujet personnel. Une méditation correcte dans la vérité est condition indispensable pour proclamer cette vérité, c'est-à- dire pour instituer le signe visible du mariage comme sacrement. Les époux proclament précisément ce langage du corps, médité dans la vérité, comme contenu et principe de leur vie nouvelle dans le Christ et dans l'Eglise. Sur la base du prophétisme du corps, les ministres du sacrement du mariage accomplissent un acte de caractère prophétique. Ils confirment de cette manière leur participation à la mission prophétique que le Christ a confiée à l'Eglise. Le prophète est quelqu'un qui exprime avec des mots humains la vérité qui provient de Dieu, qui profère cette vérité à la place de Dieu, en son nom et, en un certain sens, sous son autorité.

1469Index Table

3. Tout ceci se réfère aux nouveaux époux qui, comme ministres du sacrement du mariage, instituent, grâce aux paroles du consentement conjugal, le signe visible, proclamant le langage du corps, médité dans la vérité, comme contenu et principe de leur nouvelle vie dans le Christ et dans l'Eglise. Cette proclamation prophétique a un caractère complexe. Le consentement conjugal est à la fois annonce et cause du fait que désormais ils seront, eux deux, mari et femme devant l'Eglise et la société. (Nous comprenons cette annonce comme indication au sens ordinaire du terme.) Le consentement conjugal a toutefois le caractère d'une profession réciproque des nouveaux époux, faite devant Dieu. Il suffit de se pencher attentivement sur le texte pour être convaincus que cette proclamation prophétique du langage du corps, examinée dans la vérité, est immédiatement et directement adressée par le moi au toi; par l'homme à la femme, et par la femme à l'homme. Ont précisément la place centrale dans le consentement conjugal les paroles qui indiquent le sujet personnel, les pronoms personnels moi et toi. Le langage du corps, médité dans la vérité de sa signification conjugale, constitue l'union-communion des personnes moyennant les paroles des nouveaux époux. Si le consentement conjugal a un caractère prophétique, s'il est la proclamation de la vérité provenant de Dieu, et en un certain sens l'énoncé de cette vérité au nom de Dieu, cela se réalise surtout selon la dimension de la communion interpersonnelle et seulement de manière indirecte devant les autres et pour les autres.

1470Index Table

4. Sur le fond des paroles que prononcent les ministres du sacrement du mariage, il y a l'éternel langage du corps auquel Dieu a donné origine en créant l'être humain homme et femme: langage qui a été renouvelé par le Christ. Cet éternel langage du corps contient toute la richesse et la profondeur du mystère: d'abord de la Création, puis de la Rédemption. Les époux, actualisant le signe visible du sacrement par les paroles de leur consentement conjugal, y expriment le langage du corps, avec toute la profondeur du mystère de la Création et de la Rédemption (la liturgie du sacrement du mariage en offre un riche exemple). Réexaminant de cette manière le langage du corps, non seulement les époux enferment dans les paroles du consentement conjugal la plénitude subjective de la promesse, indispensable pour réaliser le propre signe de ce sacrement, mais, en un certain sens, ils remontent également aux sources mêmes où le signe puise chaque fois son éloquence prophétique et sa force sacramentelle. Il n'est pas permis d'oublier qu'avant de franchir les lèvres des époux, ministres du sacrement en tant que sacrement de l'Eglise, le langage du corps a été articulé par la parole du Dieu vivant: il a commencé dans le livre de la Genèse pour rejoindre, à travers les prophètes de l'Ancienne Alliance, l'auteur de l'épître aux Ephésiens.

1471Index Table

5. Nous utilisons ici à maintes reprises l'expression langage du corps, nous reportant aux textes prophétiques. Comme nous l'avons déjà dit, le corps humain parle, dans ces textes, un langage dont il n'est pas l'auteur au sens propre du terme. L'auteur en est l'être humain - homme et femme - qui analyse le vrai sens de ce langage, ramenant au jour la signification conjugale du corps comme inscrite dans la structure même de la masculinité et de la féminité du sujet personnel. Cette analyse "dans la vérité" du langage du corps confère déjà d'elle-même un caractère prophétique aux paroles du consentement conjugal par lesquelles l'homme et la femme actualisent le signe visible du mariage en tant que sacrement de l'Eglise. Ces paroles contiennent toutefois quelque chose de plus qu'une simple relecture dans la vérité de ce langage qu'expriment la masculinité et la féminité des nouveaux époux dans leurs relations mutuelles: "Je te prends pour mon épouse - pour mon époux". Les paroles du consentement conjugal contiennent l'intention, la décision, le choix. Les deux époux décident d'agir conformément au langage du corps, relu dans la vérité. Si l'être humain, homme et femme, est l'auteur de ce langage, il l'est surtout en ce sens qu'il veut conférer - et confère effectivement - à son comportement et à ses actions, la signification conforme au langage de la masculinité et de la féminité dans leur relation conjugale réciproque.

1472Index Table

6. Dans ce cadre, l'homme est l'artisan des actions qui ont d'elles-mêmes des significations définitives. Il est donc artisan des actions et en même temps auteur de leur signification. La somme de ces significations constitue en un certain sens l'ensemble du langage du corps par lequel les époux décident de parler entre eux comme ministres du sacrement du mariage. Le signe qu'ils actualisent par les paroles du consentement conjugal n'est pas simplement un signe immédiat et passager, mais un signe prospectif qui produit un effet durable, c'est-à-dire le lien conjugal, unique et indissoluble ("tous les jours de ma vie", c'est-à- dire jusqu'à la mort). C'est dans cette perspective qu'ils doivent combler ce signe du multiple contenu, offert par la communion conjugale et familiale des personnes, et aussi du contenu qui, produit par le langage du corps, est continuellement relu dans la vérité. De cette manière, la vertu essentielle du signe restera liée organiquement à l'éthos de la conduite conjugale. Dans cette vérité du signe, et par la suite, dans l'éthos de la vie conjugale, s'insère de manière prospective la signification procréatrice du corps, c'est-à-dire la paternité et la maternité dont nous avons traité précédemment. A la question: "Etes-vous disposés à accueillir de manière responsable, avec amour, les enfants que Dieu voudra vous donner et à les éduquer selon la loi du Christ et de son Eglise?", l'homme et la femme répondent: "Oui".
Maintenant, nous renvoyons à d'autres rencontres l'étude approfondie de ce thème.




2002 Magistère Mariage 1442