2002 Magistère Mariage 1797
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Mais il y a surtout l'erreur de perspective qui consiste à transférer sans les précautions nécessaires un concept propre à l'éthique de la vertu, telle l'epikeia, dans un contexte normatif centré sur le rapport dialectique loi-conscience, dans lequel le bien est fondé sur la loi (rappelons-nous ce que KANT appelle le "paradoxe de la méthode d'une critique de la raison pratique"), et non celle-ci sur celui-là. Le contexte éthique qui a vu naître le concept epikeia est très différent. Dans celui-ci les vertus sont des fins générales d'une validité absolue et universelle qui, en tant que durablement désirées par l'homme vertueux, permettent à la raison pratique (prudence) de repérer - quasi par connaturalité - l'action concrète qui hic et nunc peut les réaliser. C'est dans ce contexte de concrétisation prudente de la fin désirée, grâce à l'habitude vertueuse, que se situe l'epikeia. Quand une exigence éthique, qui est originellement une exigence de vertu, est exprimée à travers une formulation linguistique normative humaine qui ne prévoit pas les circonstances exceptionnelles dans lesquelles l'agent vient à se trouver, l'epikeia permet une parfaite adéquation du comportement concret à la ratio virtutis. Le dépôt est restitué en tant que le restituer est un acte de la vertu de justice. Dans les cas exceptionnels où restituer le dépôt n'est plus un acte de la justice, voire serait un acte contraire à la justice, la vertu d'epikeia permet d'arriver au jugement prudentiel de ne pas restituer le dépôt, hic et nunc. L'homme juste (qui possède la vertu de justice) ne peut pas ne pas s'en rendre compte. Si pour exprimer cette réalité nous disons que les normes morales concernant la justice admettent des exceptions, ou qu'elles n'ont pas valeur universelle, nous sommes en train de créer la confusion, car les vertus - autrement dit les principes pratiques de la raison telles les exigences éthiques originelles - n'admettent pas d'exceptions. L'epikeia est nécessaire précisément parce que - la lettre de la loi dit ce qu'elle dit - la justice et les autres vertus éthiques n'admettent pas d'exceptions. Au sens strict, l'epikeia n'est pas conçue selon la logique de l'exception, de la tolérance ou de la dispense. L'epikeia est le principe d'un choix excellent, elle ne signifie pas et n'a jamais signifié que, par exception, il soit moralement possible d'admettre un peu d'injustice, un peu de luxure, etc., jusqu'à arriver au compromis désiré avec les tendances culturelles du jour.
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Venons-en donc au problème spécifique de la réception des sacrements par les fidèles divorcés remariés. Face à la solution apportée par FC 84, réitérée par la lettre de la Congrégation pour la doctrine de la foi du 14 septembre 1994, certains ont objecté que ces documents ne tiennent pas compte de l'epikeia. Ils ont souvent fait appel à l'epikeia - probablement confondue avec un principe de tolérance pas mieux précisé - d'une façon générale, sans fournir d'indications sur la loi ecclésiastique qui, à leur avis, serait en défaut à cause de son universalité, et sans indiquer les cas éventuels en cause. Tant que ne sont pas apportés les éclairages nécessaires, l'objection est théologiquement et canoniquement ingérable, et on ne voit pas comment elle pourrait être prise en considération. D'autres, en revanche, ont adressé spécifiquement leur objection au CIC 1085 Par. 2, selon lequel, "Même si un premier mariage est invalide ou dissous pour n importe quelle cause, il n'est pas permis d'en contracter un autre avant que la nullité ou la dissolution du premier mariage ne soit établie légitimement et avec certitude". L'objection serait donc limitée au prétendu cas de "bonne foi": si un fidèle est convaincu que son premier mariage a été nul, même s'il n'a pas réussi à obtenir la déclaration de nullité, il pourrait, sur la base de l'epikeia, contracter une seconde union canonique et, toujours sur la même base, l'Eglise devrait l'autoriser.
Le CIC 1085 Par. 2 n'est pas une loi irritante. En réalité seule la validité du premier mariage selon la veritas rei peut déterminer l'empêchement de lien. Nous sommes toutefois devant une loi très importante, car, étant donné qu'on doit présumer que le premier mariage a été valide CIC 1060 il faut aussi présumer que les personnes (ou l'une d'elles) qui l'ont contracté sont inaptes à contracter une seconde union canonique, justement interdite par l'Eglise jusqu'à ce que l'on ait la certitude selon le droit qu'il n'existe pas d'empêchement de droit divin, dont l'Eglise ne peut dispenser, tel celui du lien CIC 1085 Par. 1. En tout cas, le CIC 1085 Par. 2 n'étant pas une loi divine positive ni une loi irritante, il est légitime de poser la question: cette loi peut-elle en certains cas être corrigée par l'epikeia?
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La condition sine qua non pour pouvoir se référer légitimement a l'epikeia est qu'il s'agisse d'une situation dans laquelle le CIC 1085 Par. 2 deficiat propter universale aliquo modo contrarie. Autrement dit, il doit s'agir d'un cas concret, non prévu et non prévisible par le Législateur, et qui ne peut donc entrer dans le cadre du CIC 1085 Par. 2, et que le Législateur lui-même n'aurait pas inséré s'il avait pu en tenir compte. Selon la thèse la plus large, celle de Suarez, une hypothèse de ce genre se vérifierait si, dans ce cas concret, l'observance du Code de droit canonique CIC 1085 Par. 2
- a, était contraire au bien commun des fidèles;
- b, imposait un fardeau intolérable sans que cela soit requis par le bien commun;
- c, il était manifeste que le Législateur, tout en pouvant obliger même dans ce cas, n'avait pas entendu le faire. Examinons séparément les trois hypothèses, en commençant par les deux plus simples.
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En ce qui concerne la première hypothèse
- (a), on ne voit aucun cas où l'observance du CIC 1085 Par. 2 puisse nuire contrarie au bien commun des fidèles. Ce canon entend assurer que, dans une matière d'une extrême importance, par droit naturel et par droit divin, on atteigne la veritas rei, de façon à éviter des unions adultérines. En outre, ce canon garantit le sacrement et souvent aussi le droit de l'autre partie et des enfants contre l'arbitraire subjectif; assure la certitude du droit en une matière d'une grande portée sociale, et, enfin, à travers lui l'Eglise remplit son devoir de sauvegarder la réalité ecclésiale et publique du mariage chrétien. Il faut ajouter que dans les circonstances actuelles, quand l'indissolubilité du mariage se perd, même dans des pays de longue tradition chrétienne, à cause de la culture et des lois sur le divorce, le bien commun des fidèles exige de la part de l'Eglise une attention toujours plus ferme à ces valeurs, sans céder à la forte pression d'une instance culturelle non chrétienne qui, dans la mesure où elle implique aussi les fidèles, est la vraie cause des douloureuses situations dont nous nous plaignons tous.
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- (c) En ce qui concerne la troisième hypothèse, le CIC 1085 Par. 2 étant considéré dans son expression littérale et dans son insertion dans la disposition canonique, il ne semble pas que l'esprit du Législateur ecclésiastique ait entendu ou entende laisser en aucun cas au jugement privé l'estimation de la validité du premier mariage. Dans son Discours à la Rote romaine du 10 février 1995, le pontife romain, à qui revient le pouvoir suprême, législatif et judiciaire, dans l'Eglise, a exprimé sans équivoque sa conviction, en rappelant les raisons indépassables qui soutiennent la validité et l'opportunité du CIC 1085 Par. 2. Et le pontife romain alla jusqu'à affirmer à cette occasion que "celui qui prétendrait enfreindre les dispositions législatives concernant la déclaration de nullité du mariage, se situerait donc en dehors, et même dans une position antithétique, du Magistère ecclésiastique et de l'organisation canonique, élément unificateur, et d'une certaine manière irremplaçable, de l'unité de l'Eglise". On aura donc soin "d'éviter des réponses et des solutions presque de "for interne" dans des situations peut-être difficiles, mais qui ne peuvent être traitées et résolues que dans le respect des normes canoniques en vigueur". Le Saint- Père rappelait enfin "le principe selon lequel, même si la faculté est accordée à l'évêque diocésain de dispenser des lois disciplinaires dans des conditions déterminées, il ne lui est cependant pas permis de dispenser in legibus processualibus (lois de procédure) CIC 87 Par. 1" Nous devons donc conclure que l'esprit du Législateur est absolument clair à cet égard, et la clarté même des mots utilisés met en lumière qu'il s'agit d'une question d'extrême importance pour le bien commun des fidèles. D'autre part, comme cela se passe également dans les dispositions civiles, l'infraction aux lois de procédure est presque toujours synonyme d'injustice ou, au moins, équivaut à la privation des garanties que le droit établit en faveur des individus et de toute la communauté.
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- (b) Considérons enfin la deuxième hypothèse, selon laquelle on pourrait considérer qu'un cas concret n'entre pas dans la loi si l'observance de celle-ci impliquait un dommage très grave, face auquel on estime communément qu'une loi humaine n'oblige pas, ou un dommage personnel sérieux non requis par le bien commun. Il faut ici donner quelques éclaircissements. Pour qu'il soit moralement possible de recourir à l'epikeia, le défaut de la loi doit procéder de son universalité, et seulement de celle-ci, autrement dit, du fait que le caractère général des termes de la loi est tel que certains cas réellement existants ne peuvent y rentrer. Cela signifie qu'il n'est pas possible d'alléguer que dans tel cas concret l'unité et l'indissolubilité du mariage ont des exigences difficiles. Il ne suffit pas non plus que la non-déclaration de nullité de la part d'un tribunal ecclésiastique ne réponde pas aux attentes de l'acteur ou de la défense: il en va toujours ainsi, car autrement l'acteur n'aurait pas engagé la cause, et l'avocat n'aurait pas non plus accepté le rôle de défenseur. Il ne serait possible d'en appeler à l'epikeia que si, à cause de circonstances exceptionnelles, était nié à une personne apte l'exercice du ius connubii, de manière non prévue et non prévisible par le Législateur et sans que cela soit exigé par le bien commun des fidèles, bien commun qui - aujourd'hui plus que jamais sans doute - exige une sauvegarde efficace de l'indissolubilité du mariage.
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Des situations de ce type pourraient se créer dans des pays où, à cause de circonstances politiques exceptionnelles, les catholiques étaient isolés, sans pouvoir communiquer avec les autorités ecclésiastiques. Il me semble que c'est à ce type de situations que répondait le Saint-Office le 27 janvier 1949 en établissant la validité des mariages des fidèles chinois qui, d'une part, ne pouvaient sans difficulté grave observer certains empêchements ecclésiastiques et, de l'autre, ne pouvaient s'abstenir ou différer la célébration du mariage. La réponse précisait qu'il devait s'agir d'empêchements dont l'Eglise peut normalement dispenser. Des procédures administratives spéciales sont actuellement en vigueur pour des cas où la nullité est très manifeste, mais dont il n'est pas possible, pour diverses raisons, d'instruire la cause: voir la Declaratio de competentia Dicasteriorum Curiae romanae in causis nullitatis matrimonii post Cost. "Regimini Ecelesiae Universae", publiée par la Signature apostolique le 22 octobre 1970.
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En tenant compte des normes établies dans le CIC 1536 Par. 2 et CIC 1679 et dans le CIO 1217 Par. 2 et CIO 1365 à propos de la force probante des déclarations des parties dans les procès en nullité, il est difficile d'imaginer d'autres situations qui, par leurs circonstances exceptionnelles, puissent ne pas rentrer dans les normes canoniques actuelles. Comme on l'a dit, la conviction subjective des parties n'autorise pas à penser que la loi ecclésiastique deficit propter universale en ce cas. Affirmer le contraire serait accorder un primat absolu à la conviction subjective concernant sa propre cause, comme si elle était une voie d'accès à la veritas rei beaucoup plus sûre que le procès judiciaire ou, quand c'est le cas, le procès documentaire CIC 1686-1688. Il est vrai qu'on présuppose la bonne foi des parties, mais il est vrai aussi que, d'un côté, si leur conviction subjective sur la nullité du premier mariage est bien fondée on ne voit pas pourquoi les parties et la défense ne réussissent pas à la transmettre aux juges et, de l'autre, c'est une chose de connaître un fait interne (l'éventuel vice de consensus, par exemple), et une autre d'être en mesure de la qualifier juridiquement. Reste toujours vrai l'avertissement de Pie XII: "Quant aux déclarations de nullité des mariages (...) qui ne sait que les coeurs humains sont, en bien des cas, par trop enclins (...) à chercher à se libérer du lien conjugal déjà contracté ?"
Que la concession aux parties intéressées d'une sorte de faculté d'autodéclaration de nullité soit une proposition juridiquement et moralement inacceptable, est en quelque sorte manifesté par le fait que les récentes propositions en faveur du cas "de bonne foi" exigent l'intervention - selon certains - d'un prêtre expert et - selon d'autres - d'un organisme diocésain spécial de caractère pastoral. On ne comprend pas alors pourquoi un prêtre ou un organisme diocésain pourrait atteindre une veritas rei qui, en revanche, ne pourrait pas l'être par un tribunal également diocésain ou par un tribunal du Saint-Siège. Tout laisse penser qu'il s'agit simplement d'une tentative, bien intentionnée, pour résoudre un problème difficile en tournant le droit en vigueur dans l'Eglise. Il faut ajouter que des personnes d'une grande compétence et d'une vaste expérience estiment que, avec les normes canoniques actuelles, il n'y a pratiquement pas de cas où un mariage nul ne puisse faire dans le domaine judiciaire la démonstration de sa nullité.
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Sur la base de ces considérations, il est possible d'affirmer que reste encore à démontrer l'existence de cas concrets, réellement existants, qui ne peuvent rentrer en toute justice dans le cadre des actuelles dispositions canoniques. Nul n'est certainement en mesure d'exclure absolument pour l'avenir que des circonstances exceptionnelles imprévues puissent créer des situations de ce genre. Mais même dans cette hypothèse, étant donné le caractère sacramentel et public du mariage chrétien, s'il est possible d'attendre, on doit recourir à l'autorité compétente, qui peut en tout cas y pourvoir, au moyen de décrets ou de dispenses comme elle l'a déjà fait dans le passé pour le cas de la Chine évoqué plus haut.
Notons enfin que, probablement, certains de ceux qui en ont appelé de façon générale à l'epikeia pensaient moins à la validité de la seconde union qu'à la possibilité d'accéder à l'eucharistie pour des fidèles divorcés remariés dont la première union était certainement valide. Même si l'on parle parfois exclusivement de la réception de l'eucharistie par ces fidèles, le vrai problème est toutefois de savoir si ces fidèles peuvent recevoir le sacrement de pénitence, autrement dit s'ils sont en mesure de recevoir validement l'absolution sacramentelle. Cette dernière question doit être posée, même en référence à d'éventuelles fautes passées de ces fidèles, car sur la nécessité de l'état de grâce pour recevoir l'eucharistie il n'est pas possible d'en appeler à l'epikeia, puisque cette nécessité répond au droit divin et est dans la nature même des choses. Le droit et la morale catholique prévoient explicitement les cas où il est possible de renoncer à la confession sacramentelle préalable, en précisant que dans ces cas-là il est nécessaire de poser un acte de contrition parfaite, qui inclut le propos de se confesser dès que possible CIC 916 et celui d'éviter à l'avenir le péché.
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A la fin de ces considérations, on peut observer que l'epikeia est la vertu morale qui repère le comportement à tenir face à des situations individuelles lesquelles, par leur caractère exceptionnel, n'entrent pas dans les prévisions ordinaires de l'organisation canonique. Les propositions récentes concernant les fidèles divorcés remariés l'invoquent, au contraire, comme le fondement éventuel d'une solution alternative à un problème général, ce qui montre bien que leur appel à l'epikeia est très impropre, et tout à fait étranger à la grande tradition de la théologie morale catholique. Le projet de ces propositions est un nouveau critère général de tolérance, dont la compatibilité avec l'indissolubilité et la sacramentalité du mariage reste à démontrer, et qui semble plutôt lié à un concept de conscience que l'Eglise ne peut accepter VS 54-64
ANGEL RODRIGUEZ LUNO.
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Dans la législation du Code piobénédictin (Code de droit canonique de 1917), à propos des fidèles qui se trouvent en situation objective de péché grave habituel, on disposait au CIS 855 l'éloignement de la communion eucharistique des coupables frappés par la censure de l'excommunication et de l'interdit, ou de la peine vindicative de l'infamie manifeste, sauf s'ils se repentaient et réparaient le scandale; ailleurs était indiquée la norme qui permettait d'admettre à la communion ceux qui la demandaient publiquement et ne pouvaient être abandonnés, sans causer de scandale parmi les autres fidèles qui la recevaient. La pointe du canon visait donc pratiquement avant tout la ratio scandali, le motif du scandale; d'ailleurs le cas des divorcés remariés était rare à cette époque.
Dans la révision de ce Code, on a procédé à des rédactions successives, en simplifiant le texte précédent et en limitant son domaine "Ne sont pas admis à la communion ceux qui ont commis un délit grave et public et persévèrent manifestement dans la mauvaise volonté". A la critique d'un adoucissement de la norme par rapport à celle du Code piobénédictin, puisqu'on ne considérait plus le motif du scandale, il fut répondu que, nonobstant sa brièveté, le texte était suffisant du moment qu'il prenait en considération la gravité de l'acte, sa publicité, et la mauvaise volonté du fidèle; on ajoutait que cette norme concernait incontestablement les divorcés remariés: donc, même si le texte n'était pas explicite, l'intention des réviseurs était claire.
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Cette lacune présumée du canon projeté fut comblée par le pape Jean Paul II dans son exhortation Familiaris consortio FC 84 du 22 novembre 1981, avec application explicite aux divorcés remariés: "L'Eglise, cependant, réaffirme sa discipline, fondée sur l'Ecriture sainte, selon laquelle elle ne peut admettre à la communion eucharistique les divorcés remariés." Il en présentait ainsi les raisons: "Ils se sont rendus eux-mêmes incapables d'y être admis car leur état et leur condition de vie sont en contradiction objective avec la communion d'amour entre le Christ et l'Eglise, telle qu'elle s'exprime et est rendue présente dans l'eucharistie. Il y a par ailleurs un autre motif pastoral particulier si l'on admettait ces personnes à l'eucharistie, les fidèles seraient induits en erreur et comprendraient mal la doctrine de l'Eglise concernant l'indissolubilité du mariage." Les raisons invoquées dans l'exhortation apostolique mettent en évidence en premier lieu la gravité de la disposition de la non-admission des divorcés remariés à l'eucharistie. La première raison se fonde en effet sur la négation des propriétés essentielles du mariage naturel: l'unité et l'indissolubilité; dans le mariage chrétien, ces propriétés reçoivent du sacrement une fermeté particulière. C'est pourquoi le pape rappelle l'analogie du mariage chrétien avec l'union indissoluble entre le Christ et l'Eglise. Il s'agit donc d'une loi naturelle propre à l'institution primordiale du mariage, conduite à sa perfection par le Christ Jésus Mt 5,17 La deuxième raison consiste en la ratio scandali, qui pourrait induire les fidèles à la confusion et au doute: ce motif a toujours été considéré par l'Eglise d'une exceptionnelle gravité, au point de promulguer dans le Code de droit canonique une loi générale, qui punit la grave violation d'une loi divine ou canonique afin de prévenir ou de réparer le scandale CIC 1399. Notons que pour infliger une peine ecclésiastique à un coupable, il faut "que la violation de la loi lui soit gravement imputable du fait de son dol ou de sa faute" CIC 1321 Par. 1.
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Au principe général de l'exhortation apostolique citée ci- dessus fait suite ce que l'on pourrait appeler un principe exceptionnel: "La réconciliation par le sacrement de pénitence - qui ouvrirait la voie au sacrement de l'eucharistie - ne peut être accordée qu'à ceux qui se sont repentis d'avoir violé le signe de l'Alliance et de la fidélité au Christ, et sont sincèrement disposés à une forme de vie qui ne soit plus en contradiction avec l'indissolubilité du mariage. Cela implique concrètement que, lorsque l'homme et la femme ne peuvent pas, pour de graves motifs - par exemple l'éducation des enfants -, remplir l'obligation de la séparation, "ils prennent l'engagement de vivre en complète continence, c'est-à-dire en s'abstenant des actes réservés aux époux"" FC 84. Ce principe exceptionnel, s'il dépasse d'une certaine façon la première et fondamentale raison du principe général, ne semble cependant pas pouvoir éliminer la ratio scandali, puisque la vie en commun continuerait, nonobstant l'interruption des rapports sexuels. Il y a déjà ici une application évidente de "l'équité canonique".
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La législation en vigueur depuis 1983, rapportée au CIC 915 exprime clairement la prohibition "Les excommuniés et les interdits, après l'infliction ou la déclaration de la peine et ceux qui persistent avec obstination dans un péché grave et manifeste, ne seront pas admis à la sainte communion." Que le péché grave et manifeste soit le fait des divorcés remariés, cela est affirmé par le pape Jean Paul II dans l'exhortation apostolique postsynodale RP 34 du 2 décembre 1984, quand il dit: "L'Eglise ne peut qu'inviter ses fils qui se trouvent dans ces situations douloureuses à s'approcher de la miséricorde divine par d'autres chemins, sans que ce soit cependant celui des sacrements de la pénitence et de l'eucharistie, tant qu'ils ne remplissent pas les conditions requises. En ce domaine qui, il est certain, afflige aussi, et profondément, nos coeurs de pasteurs, il m'a semblé qu'il était de mon strict devoir de dire des paroles claires dans l'exhortation apostolique Familiaris consortio, en ce qui concerne le cas des divorcés remariés, ou des chrétiens qui cohabitent d'une manière irrégulière."
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Le Catéchisme de l'Eglise catholique reprend, au CEC 1650 l'enseignement de l'exhortation apostolique Familiaris consortio "Si les divorcés sont remariés civilement, ils se trouvent dans une situation qui contrevient objectivement à la loi de Dieu. Dès lors ils ne peuvent pas accéder à la communion eucharistique, aussi longtemps que persiste cette situation. Pour la même raison ils ne peuvent pas exercer certaines responsabilités ecclésiales. La réconciliation par le sacrement de pénitence ne peut être accordée qu'à ceux qui se sont repentis d avoir violé le signe de l'alliance et de la fidélité au Christ, et se sont engagés à vivre dans une continence complète".
Sur la base des documents cités on peut légitimement déduire que l'expression obstinate perseverantes, "qui persistent avec obstination", du CIC 915 comprend d'abord la mauvaise volonté des fidèles divorcés, qui se sont remariés contre la loi de Dieu et de l'Eglise; mais aussi la simple volonté de ces fidèles divorcés qui, tout en s'étant repentis du grave péché commis en contractant un mariage civil, continuent de vivre ensemble more uxorio, même si la situation ne se présente plus comme "obstinée", mais seulement "nécessaire".
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De ce que nous avons exposé jusqu'ici, on peut conclure que la lettre de la Congrégation pour la doctrine de la foi Annus internationalis familiae Lettre n. 6 , du 14.9.1994, ne fait que répéter l'enseignement constant de l'Eglise: " Le fidèle qui cohabite habituellement more uxorio avec une personne qui n'est pas l'épouse légitime ou le mari légitime, ne peut accéder à la communion eucharistique. "
Certains demandent alors s'il est possible d'appliquer les principes d'équité et d'epikeia au cas de l'admission des divorcés remariés à la communion eucharistique. Ils disent que selon la doctrine traditionnelle de l'Eglise la norme générale doit toujours être référée à la personne concrète et à sa situation individuelle, sans que la norme en soit annulée pour autant. C'est pour cela que la tradition doctrinale de l'Eglise a développé l'epikeia, et la discipline ecclésiale de son côté le principe de l'aequitas canonica. Il ne s'agirait donc pas de l'annulation du droit en vigueur et de la norme, qui reste valide, mais seulement de son application selon "la justice et l'équité " dans des situations difficiles et complexes, afin de rendre justice à la singularité des personnes.
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L'aequitas canonica n'est pas l'une des sources supplétives des lacunes de la loi, dont il est question au CIC 19; mais elle indique la façon dont doivent être appliqués les principes généraux du droit pour suppléer aux lacunes de la loi. L'adjectif "canonique" ajoute à l'équité une caractéristique particulière, qui la rend propre à la loi de l'Eglise, jusqu'à en faire effectivement une qualité intrinsèque de cette loi ecclésiastique; c'est pourquoi au substantif aequitas est uni l'adjectif "canonique". Sur la base de ces considérations, les auteurs approfondissent l'équité canonique, non seulement dans le commentaire du CIC 19 en référence à l'analogia juris comme moyen de suppléance des lacunes de la loi; mais ils en traitent dans l'introduction générale elle-même de la loi canonique comme telle. Son Excellence Mgr Mario F. Pompedda, actuel doyen de la Rote romaine, affirme "l'équité, celle qui est spécifiquement canonique fait un tout, un seul corps avec la loi de l'Eglise, autrement dit non seulement elle lui convient, mais elle y opère de l'intérieur comme un facteur essentiellement intégrant et actif"; et il ajoute " Dans la loi de l'Eglise, de fait l'équité est qualifiée d'aequitas canonica, et l'adjectif fixe une constante: à savoir l'originalité de l'institution par rapport à celle présente en d'autres corpus législatifs (M. F. POMPEDDA, " L'suità nell'ordinamento canonico ", dans: S. GHERRO (éd.), Studi sul Primo Libro del "Codex Iuris Canonici", Padoue, 1993, p. 7). "En un sens différent, l'équité est entendue comme l'application bénigne de la loi par l'autorité publique, autrement dit "la rigueur du droit tempérée par la douceur de la miséricorde". Cette dernière définition trouve sa source dans celle donnée par le cardinal Hostiensis, Enrico di Susa (1271): "aequitas est iustitia dulcore misericordiae temperata (Henrici Cardinalis Hostiensis Summa Aurea, I. V, De dispensationibus, n. 1, Lyon, 1606, p. 430 vb)."
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Sur l'équité, considérée sous son double aspect de caractéristique de la loi canonique et de qualité propre à l'application de la loi, deux discours significatifs du pape Paul VI aux prélats auditeurs de la Rote romaine sont fondamentaux. Dans le premier, du 29 janvier 1970, il illustre la nécessité d'un approfondissement particulier de l'équité, surtout dans le ministère du juge ecclésiastique ; dans le second, du 8 février 1973, cité dans les sources du canon 19, il définit l'équité "un sublime idéal et une précieuse règle de conduite". Dans ce discours il poursuit en citant un passage du troisième principe de révision du Code de droit canonique: "Dans sa révision le Code doit respecter non seulement la justice mais aussi une sage équité, qui est le fruit de la douceur et de la charité, vertus pour l'exercice desquelles le Code doit s'efforcer de susciter la capacité de discernement et la science des Pasteurs et des juges (Communicationes 1(1969), p. 79). Ayant présenté la nature pastorale du droit dans l'Eglise, Paul VI reprend la définition de l'équité du cardinal Hostiensis, et en loue la valeur, disant: " L'équité représente l'une des plus hautes aspirations de l'homme. Si la vie sociale impose les déterminations de la loi humaine, ses normes, toutefois, inévitablement générales et abstraites, ne peuvent prévoir les circonstances concrètes dans lesquelles les lois seront appliquées. Face à ce problème, le droit a cherché à amender, à rectifier et même à corriger la rigor juris, et cela est le fait de l'équité, qui incarne ainsi les aspirations humaines à une meilleure justice." Paul VI précise enfin le domaine de l'équité: Dans le droit canonique l'aequitas, que la tradition chrétienne reçoit de la jurisprudence romaine, constitue la qualité de ses lois, la norme de leur application, une attitude d'esprit et d'âme qui tempère la rigueur du droit .
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Jean Paul II, parlant le 18.1.1990 aux mêmes prélats auditeurs de la Rote romaine sur le caractère pastoral du droit ecclésial en rapport avec l'équité, relève: "une équivoque, peut-être compréhensible, mais pas moins dommageable pour autant... Cette distorsion consiste à n'attribuer une portée et des intentions pastorales qu'aux seuls aspects de modération et d'humanité immédiatement associables à l'aequitas canonica; autrement dit seuls les exceptions aux lois, l'éventuel non-recours aux procès et aux sanctions canoniques, l'assouplissement des formalités juridiques, auraient une véritable signification pastorale. On oublie ainsi que même la justice et le droit strict... sont exigés dans l'Eglise pour le bien des âmes et sont donc des réalités intrinsèquement pastorales"; et il ajoute: " La vraie justice dans l'Eglise, animée par la charité et tempérée par l'équité, mérite toujours l'attribut qualificatif de pastorale. Il ne peut y avoir d'exercice de l'authentique charité pastorale qui ne tienne compte avant tout de la justice pastorale .
Pour résoudre le problème posé plus haut, on se demande alors s'il est possible d'appliquer l'aequitas à la norme générale de la non-admission des divorcés remariés à la communion eucharistique en vertu du CIC 915 et en conformité avec tous les autres documents ecclésiaux rapportés, y compris la lettre de la Congrégation pour la doctrine de la foi du 14.9.1994.
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La réponse est négative, dès lors qu'il est impossible de corriger la rigor juris d'une loi qui ne dépend pas constitutivement de l'autorité de l'Eglise, mais qui est de droit naturel. Le fondement de la prohibition n'est en effet pas établi sur une loi simplement humaine, fût-ce le droit de l'Eglise, mais sur une loi divine, celle de l'unité et de l'indissolubilité du lien matrimonial, soit naturel, soit, et plus fermement encore, en tant que sacrement de l'Eglise, comme l'expose le CIC 1056: "Les propriétés essentielles du mariage sont l'unité et l'indissolubilité, qui acquièrent dans le mariage chrétien une stabilité particulière en raison du sacrement". Que les divorcés remariés méritent la miséricorde est une chose absolument conforme à la bonté divine et à la préoccupation pastorale de l'Eglise; mais il est vrai aussi qu'ils continuent d'être "in manifesto gravi peccato obstinate perseverantes": "ils persistent avec obstination dans un péché grave et manifeste". Le seul correctif qui les admettrait à la communion eucharistique est la situation décrite par l'exhortation apostolique Familiaris consortio, rapportée ci-dessus.
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La Conférence épiscopale italienne, dans son Directoire de pastorale familiale pour l'Eglise d'Italie (n. 220), affirme avec simplicité: "C'est seulement quand les divorcés remariés cessent de l'être qu'ils peuvent être réadmis aux sacrements. Il est donc nécessaire que, s'étant repentis d'avoir violé le signe de l'alliance et de la fidélité au Christ, ils soient sincèrement disposés à une forme de vie qui ne soit plus en contradiction avec l'indissolubilité du mariage, ou par la séparation physique et, si possible, le retour à la coexistence matrimoniale originelle, ou par l'engagement à un type de cohabitation qui prévoie l'abstention des actes propres aux époux... Dans ce cas ils peuvent recevoir l'absolution sacramentelle et s'approcher de la communion eucharistique, dans une église où ils ne sont pas connus, afin d'éviter le scandale". Cette façon de faire répond ainsi à la ratio scandali, une des raisons de la non- admission.
Il faut noter alors, sur la base de ce texte, qu'il s'agit moins d'appliquer l'équité canonique à la disposition du CIC 915 que de l'impossibilité de l'appliquer au CIC 1056, dont le CIC 915 est une conséquence. Le CIC 1056 expose une loi de droit naturel, confirmée par le droit divin positif; cette loi n'a donc, par sa nature même, aucune possibilité de s'écarter de la prétendue rigueur de la loi, ce qui serait le cas avec l'application de l'équité.
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2002 Magistère Mariage 1797