F. de Sales, Lettres 34
34
(Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.)
Il lui rend compte des services que lui rend le gouverneur du Chablais dans sa mission 7 et se plaint de l'opiniâtreté des habitants de Thonon.
An 1595 (éd. Annecy: dèbut octobre 1594).
Non antea potui, mi frater, illis tuis litteris respondere, quàm hic idem, qui tuas attuîerat, Camberiacum versus rediret. Fecissem id qui-dem libentissimè : nulla enim cogitalio me dulcius recréât, quam ex quà quotidiè te mihi prae-sentem, quoad expressissimé fieripotest, efficio. Enimverô tum, post densissimas tenebras, mihi lux quaîdam oboriri videtur ; adeô mihi caligino-sus est hic aer, cui procul dubio princeps tenebrarum harum de quibus loqueris proeest.
Post tuum enim discessum non cessavit animos horum hominum in deterius quodque obvolvere. Gubernator cum coeteris his catholicis rusticos neenon cives secretis suasionibus ad conciones nostras convocavit, remehristianam rectèacim-pensissimè promovit. Sed quamprimum vidit doemon ; enimverô tunc, advocato suorum concilio, per summàm perfidiam, fidem yicissim Tunonen-ses, quotquot sunt ex primariis, sibi faciuntaullis se unquàm adfuturos catholicis pradicationibus : nimirum satis non esset privata cujusque peçtinacia, nisi nefariâ ac communi cohortatione insuam perniciem, principis desiderio ac nostris conatibus iilludant, ac omninô cervices opponant;temu-Jentas.
Idactum est nudius tertius in urbis ipsius aedibus publicis, cum jam anteà abiissent in concilium impiorum, hoc est, per speciem matrimonii cujusdam, uti solet, dirimendi, cqnv,enissent in suo quod appellant consistorio, in quoidem jam plerique inter se decreverant. Quid faceres, mi frater? Induratum est cor,eorum. Dixerunt Deo : Non serviemus, recede à nobis, viam mandatorum tuorum nolumiis. Nolunt audire nos, quia nolunt audire Deum. Mihi,autem videre videor quô :hujusmodi perditissimi homines tendant. Nimirum yellent nos, tandem, irerum agendarum spe amissâ, ad discessum quodammodo compellere. AtquLhos contra : quandiu per inducias et principismtriusque,-itum ec-clesiastici, :tum secularis, îlicuerit voluntatem, operi instandum, nullum npn movendum lapi-dem, obsecrandum, increpandum, in omni quà nos Deus donaverit patientià et doctrinà, oin--ninoac firmissimè statutum est. Atque non modo conciones imô vero sacrificia, si quis, me judicë, certare in hâc palestrâ velit, quamprimum fieri poterit, instituenda sunt ; uti non tam animos de-mere nobis quàm addère suis artibus sentiat ini-micus homo. Verum eà in re magnam requin video prudentiam.
Mon frère, je n'ai pu répondre à vos lettres avant que l'homme qui les avait apportées s'en retournât à Chambéri. Certes, je l'aurais bien fait volontiers plus tôt ; car je n'ai point de pensée qui me fasse plus de plaisir que celle par laquelle je tâche tous les jours de vous rendre présent à mon esprit le plus vivement qu'il m'est possible, parce qu'alors il me semble qu'une certaine lumière vient m'éclairer après de très-épaisses ténèbres ; tant cet air est pour moi plein de brouillards, cet air, dis-je, où préside le prince de ces ténèbres (cf. Ep 6,12) dont vous parlez.
Après votre départ il n'a point cessé de pousser toujours les esprits de ces gens-ci à quelque chose de pis. Le (gouverneur avec les autres catholiques, par des persuasions secrètes, ont fait venir les paysans, et même quelques bourgeois à nos prédications-; ce qui a fort avancé l'affaire de la religion. Mais le diable s'en est aperçu aussitôt; car ayant assemblé un conseil, il a fait en sorte que les principaux de Thonon, par une très-grande perfidie, se sont donné leur parole, les uns aux autres, de n'assister jamais à aucunes prédications catholiques; comme si ce n'était pas assez que l'obstination particulière de chacun d'eux, sans se moquer ainsi de leur prince et de nos travaux par une commune et très-méchante convention contre leur bien propre, et sans s'y opposer opiniâtrement comme ils font.
Cela fut arrêté l'autre jour dans la maison de ville, sous prétexte d'invalider, selon leur coutume, certain mariage, et en conséquence d'une assemblée convoquée antécédemment dans le conseil des impies (Ps 1,1 Ps 1,5), qu'ils appellent leur consistoire, où plusieurs avaient déjà résolu la même chose entre eux.
Que feriez-vous à cela, mon frère? Leur coeur est endurci (Ex 7,22 Jr 17,27 Jn 12,40). Ils ont dit à Dieu : Nous ne servirons pas (Jr 11,20). Retirez-vous de nous, nous ne voulons pas suivre la voie de vos commandements (Jb 11,14 Ez 3,7). Ils ne veulent pas nous entendre, parce qu'ils ne veulent pas entendre la voix de Dieu (Ez 2,7). Certes, il me semble voir où tendent les desseins de ces hommes perdus : ils voudraient nous ôter l'espérance de rien faire ici, et par ce moyen nous en chasser; mais les choses ne se traitent pas ainsi chez nous ; car tant que les trêves nous le permettront, et que la volonté du prince tant ecclésias -tique que séculier ne nous sera pas contraire, nous avons absolument et tout-à-fait résolu de travailler à cette oeuvre, d'employer tous les moyens imaginables pour la conduire à sa perfection, de prier, de conjurer, d'exhorter, d'inculquer les vérités, de reprendre, de crier, de prêcher, avec toute la patience et toute la doctrine que Dieu donnera (cf. 2Tm 4,2).
Mais, sans s'arrêter aux prédications, je soutiens à quiconque voudra disputer avec moi sur cette affaire, qu'il faut célébrer le sacrifice de la messe le plus tôt que faire se pourra ; afin que l'ennemi (Mt 13,28) voie qu'il nous inspire d'autant plus de courage qu'il fait plus d'efforts pour nous l'ôter. Mais en ceci je vois bien qu'il faut user d'une grande prudence.
Il lui parle des travaux et des succès de sa mission.
Thonon, 7 avril 1595.
Mon révérend père, je ne vous saurais dire et je ne sais si vous sauriez croire combien j'ai reçu de consolation de votre lettre : car il y a longtemps que je désirais infiniment d'être assuré de votre santé ; mais en avoir l'assurance de vous-même, et de si près, comme je l'ai eue, je ne l'eusse pas osé sitôt espérer. J'en loue Dieu mille fois, et Vous remercie très-humblement de la souvenance que vous daignez avoir de si peu de chose que je suis, et du désir que vous avez de me voir, que je ne pense pas être plus grand que celui que j'ai de jouir de votre présence, quoiqu'on dise que l'amitié descend plus vilement qu'elle ne monte ; et si ce n'était que je suis engagé à un jeu où qui le quitte le perd, je me se-rois déjà rendu par devers vous. Si tâcherai-je dans dix ou douze jours d'avoir ce bonheur, et ce ne sera jamais sitôt que je souhaite; ce qu'attendant, puisqu'il vous plaît, je ne veux pas du tout remettre à ce temps-là de vous dire mes affaires spirituelles.
M. le sénateur Favre, mon frère, vous aura bien dit, à ce que je vois, comme je suis venu en ce pays. Voici déjà le septième mois ; et toutefois ayant prêché en cette ville (Thonon) ordinairement toutes les fêtes, et bien souvent encore parmi les semaines, je n'ai jamais été ouï des Huguenots que de trois ou quatre, qui ne sont venus au sermon que quatre ou cinq fois, sinon à cachette par la porte et fenêtres, où ils viennent presque toujours : ils sont des principaux.
Cependant je ne perds point d'occasion de les accoster : mais une partie ne veulent pas entendre ; l'autre partie s'excusent sur la fortune qu'ils courraient quand la trêve romprait avec Genève, s'ils avaient fait tant soit peu semblant de prendre goût aux raisons catholiques ; ce qui les tient tellement en bride, qu'ils fuient tant qu'ils peuvent ma conversation. Néanmoins il y en a quelques-uns qui sont déjà du tout persuadés de la foi ; mais il n'y a point de moyen de les retirer à la confession d'icelle pendant l'incertitude de l'événement de cette trêve.
C'est grand cas combien de pouvoir a la commodité de cette vie sur les hommes, et ne faut pas penser d'apporter aucun remède à cela ; car de leur apporter en jeu l'enfer et la damnation, ils se couvrent de la bonté de Dieu ; si on les presse, ils vous quittent tout court.
J'en dis trop à vous qui savez bien de quelle étoffe doit être la résolution qui fait abandonner ce souci des biens de ce monde et de la famille pour Dieu : c'est tout ce qu'on peut faire que de faire garder, entretenir et nourrir aux catholiques leur foi à ce prix-là. Au reste, quant à moi, je suis ici; j'ai quelques parents et d'autres qui me portent-respect pour certaines raisons particulières que je ne puis pas résigner à un autre; et c'est ce qui me tient du tout engagé sur l'oeuvre. Je m'y fâcherais déjà beaucoup, si ce n'était l'espérance que j'ai du mieux. Outre que je sais bien que le meunier ne perd pas de temps quand il martèle sa meule, aussi serait-il bien à dommage qu'un autre qui pourrait faire plus de fruit ailleurs employât ici sa peine pour néant, comme moi, qui ne suis encore guère bon pour prêcher autres que les murailles, comme je fais en cette ville.
Voilà ce que pour cette heure je puis écrire, me réservant de vous dire le reste de bouche plus sûrement et bientôt, Dieu aidant, quand vous me favoriserez de vos saints conseils et instructions, qui ne seront jamais recueillis plus humblement et affectionnément que de moi. Je prie notre Seigneur qu'il vous conserve longuement pour son service, et demeure, mon révérend père, votre, etc.
(Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.)
Il le félicite sur les succès de son entreprise ; il l'exhorte à la continuer, et surtout à ne pas se décourager.
An 1595.
Quae de sacrosancti episcopi nostri optimorumque omnium gratulatione scribi possunt, sic lu et reputare -teenm, pro prudentià tuA, debes, mi frater, et ex consobrini tui fidelissimi retatioue jam cognoscere potuisti. Quae verô propria mea sunt, id est, quem ex absentiâ tuà dolorem capio, etsi non ab alio quàm à me ipso te intelligere oequum est, vereortamen ne videar importuuus, si hanc amoris erga te tibi significationem adfe-ram, quae tam insigne pietatis tuée officium, aut quam ex officio percipis voluptatem, incommodé interpellet.
Illud scito, in summâ omnium expectatione esse, quid proeclarus iste conatus enixurus sit : non quod quisquam verendum existimet, ne tu ea omnia prsestare non possis, quai ab eximio et omni ex parte proestantissimo i viro expectari défèrent ; sed quoniam tibi cum eo génère hominum res est, ut verendum sit potius, ne, cum omnia praestiteris, margaritas ante porcos sparsisse videaris.
Itaque sic plerosque omnes affectos video, ut, si féliciter cedit, laudatores habiturus sis etiam improbos et perditos viros, non laudandi tuî studio, vel impetu elatos, quod esset infamiae proxi-mum, sed virtutis veritatisque viribus fractos.
Si (quod abominor) aliter evenerit,boni sanè conatum laudabunt, nec nisi haereticorum insa-niam accusabunt ; pessimi temeritati tribuent quod industriae potius et charitàtichristianaeaccep-tum ferre deberent ; omnesque plané fatebuntur, ncque animum tibi defuisse ad audendam rem maximam, neque ingenium ad agendam, sed sae-culi potius felicitatem ad peragendam. Nec ullos fore puto tam uiîquos bonarum rerum et aliénai solertiae aestimatores, ut non plus tibi laudis ex propriâ industrià, quàm opprobrii ex aliéna in-
I famià accedere debere existiment.
Me hoc unum malè habet, quôd parentem nos-trum optimum de suâ salute adeô anxiè laborare animadverto, utvix persuader! à me possit nullo te urgeri periculo, ac ne quidem, sic eniin exis-timo, ullà periculi suspicione. Conflrmo tamen quantum in me est, et bono animo esse jubeo, id saepissimè asseverans, de quo te non puto dubi-tare, nunquàm me abs te dicessurum fuisse, si quam tibi vel minimam suspicandi periculi cau-sam relictam existimassem.
Te intérim valere et bono animo esse cupio ; nam, si juberem, vereor ne tu mé gallicè potius quàm latine locutum putares, quasi prudentiac et constantïae tuae diffiderem, quae mihi omnium maxime est explorata.
Tout ce qui peut s'écrire des congratulations de monseigneur et de tous les gens de bien, vous pouvez vous l'imaginer, mon très-cher frère, selon votre prudence, et l'apprendre de la bouche de votre fidèle cousin. Mais pour ce qui me regarde, c'est-à-dire ce qui concerne le tourment que je souffre à cause de votre absence, quoiqu'il ne soit pas raisonnable que vous le sachiez par un autre que par moi, je ne laisse pas de craindre de vous être importun, si je vous donne ce témoignage de mon affection, qui est capable de troubler ce grand acte de piété qui vous occupe, ou du moins le grand contentement que vous recevez de l'avoir entrepris.
Tout le monde est impatient de voir à quoi aboutira ce beau projet. Ce n'est pas qu'il y ait personne qui craigne que vous ne puissiez montrer tout ce qu'on peut attendre d'un homme très-accompli; mais c'est que vous avez affaire à une certaine sorte de gens qui donnent lieu de craindre qu'après que vous aurez fait tout votre possible, vous ne sembliez avoir semé les perles devant les pourceaux.
Je vois donc que la plupart sont dans cette opinion, que, si la chose réussit, vous serez loué même des plus méchants et des plus pervers ; non pas qu'ils aient le désir de vous louer, ou qu'ils s'en mettent en peine, ce qui serait presque une infamie pour vous, mais parce qu'ils seront contraints de le faire par l'éclat de la vertu et la force de la vérité.
Mais si (ce qu'à Dieu ne plaise!) votre dessein ne réussit pas, certes tous les gens de bien loueront votre zèle, et n'accuseront que la méchanceté des hérétiques; les plus méchants, qui devraient le rapporter à votre capacité, et à la charité chrétienne qui vous anime, l'attribueront à témérité ; mais tous les autres confesseront sans contredit, que vous n'avez manqué ni de courage pour entreprendre une chose si importante, ni d'esprit pour la conduire, mais plutôt de bonheur pour la porter à sa perfection, par la faute du siècle présent. Au reste, je ne pense pas qu'il y ait des personnes si peu équitables dans le jugement que l'on doit porter sur les bonnes choses et sur l'habileté des autres, pour ne pas avouer que vous ne méritez plus de louanges à cause de votre propre industrie, que de blâme par rapport à l'infamie des autres.
Tout ce qui me fâche, c'est que notre bon père est dans une telle appréhension qu'il ne vous arrive du mal, qu'à peine puis-je lui persuader que vous êtes en assurance, et que, comme je le crois, il n'y a pas le moindre sujet de soupçonner du danger pour vous. Je le rassure tant que je puis, et je lui dis de prendre courage ; lui protestant bien souvent, ce dont je ne pense pas que vous doutiez que je ne vous aurais jamais quitté si j'eusse prévu qu'il vous fût resté le moindre danger à craindre.
Cependant je désire que vous vous portiez-bien, et je vous prie de ne point vous décourager. Je dis que je désire et que je vous prie ; car je craindrais, en me servant, d'un terme de commandement, que vous ne vous imaginiez que j'ai voulu parler plutôt français que latin, comme si je me défiais de votre prudence et de votre constance, dont j'ai une connaissance plus parfaite que qui que ce soit au monde.
LETTRE XI, ou FRAGMENT.
LÉ PRÉSIDENT FAVRE, A S. FRANÇOIS DE SALES. (Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.) Même sujet que la précédente.
Bonneville en Faucigny, 4393.
Nebulones istos Deus. malè perdat, si diutius in tenèbris versabuntur, quarum fugandarum gra-tiâlux mihi mea erepta est! quanquam idipsum est'quod me maxime consolatur, quôd de proe-claris tuis conatibus tam benè spero quàm qui optimè ; nec dubito quin tuam et industriam et diligentiam, sed proecipuè pietàtem, D'eus opti-mus maximus sit fortunaturus.
Malheur à ces misérables s'ils demeurent plus longtemps dans leurs ténèbres, puisque c'est pour les dissiper que ma lumière m'a été ôtée ! Quoi qu'il en soit, ce qui me console davantage, mon très-cher frère, c'est qu'il n'y a personne qui ait une meilleure espérance du succès de votre entreprise que moi ; et je ne doute nullement que notre grand Dieu, qui est la bonté même, ne bénisse votre application et votre diligence, et surtout votre piété.
(Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.)
Il l'informe que le duc de Savoie, instruit de ses travaux, est résolu à l'aider de son appui. Il l'exhorte à continuer sa mission.
Chambéri, 1595.
Tuas de haereticis proeclaras victorias plures majofesque in singulos dies audio, tibique eo nomine ut et toti chfistianse religioni mirificè gratulor, vél ob id nïaximéquôd ex ipsis episcopi nostri litteris intellexi, conatus istos serenissimo principi nostro non tantum prospectus esse, sed etiamprobatos, dignosquevisos quos omni studio ac voluntate prosequi et adjuvare deberet.
Vcnio ad posteriores tuas litteras, in qnibus jucundissimum illud fuit, quôd te video nihil de pristinâ istà aniini alacritate rcmittere, nihilquc nontentare ut, si (quod abominor) minus féliciter res succédât, ea sola tibi culpa objici possit, quôd plus animi et ingenii. habucris ad audendum, quàm ii omnes, quorum hac parte prxcipua auctoritas est, voluntatis ad adjuvandum.
Sed illud sanô molcstissimum est quod conque-reris, nec immérité, tam frigide tantam rem ab istis tractari, qui tam praeclaros conatus tuos et modis et arlibus omnibus favere dcberent. Nihil au te m miscrius, quàm quôd, hoc tempore in quo pax ista precaria, aut, ut Virgilius loquitur, séquestra, totque mensium firmatoe inducioe facere deberent ut benè sperarc liceret, vix quisquam est qui praeter te in liane curam velit incumbere.
Sed tamen, si tibi mihique credis, perge ut coe-pisti, in id usque tempus quo desperatio non minus probatam omnibusque cognitain quàm justam habitura sit excusationem. Habebis tuxfortitu-dinis virtutisque non modo testes, sed etiam ad-miratores, eos ipsos quos fautoreshabere ; ut decebat, non potuisti :Deum verô optimum maximum rctributorem qui laborum tuorum oestimationem, non, ex percéptis fructibus, sed ex iis qui percipi potuerunt et debuerunt pro pietate tuâ, habiturus est ; quanquam vix mihi in animum-cadere potest, ut de tam piis, et quod proecipuum est, piè habi-tis conatibus desperandum putem.
J'apprends tous les jours des nouvelles de vos belles et grandes victoires, qui s'augmentent de plus en plus; c'est pourquoi je m'en réjouis merveilleusement avec vous et avec toute la religion chrétienne : et j'en suis d'autant plus charmé, que j'ai appris par les lettres de monseigneur le révérendissime-norrer êvêque, que ces peines que vous prenez, et ces travaux de votre ministère, ne sont pas seulement venus à la connaissance de son altesse sérénissime, mais encore qu'ils ont son approbation, de sorte qu'elle les a trouvés dignes de toute son affection et de tout son appui.
Je viens à vos dernières lettres, dont j'ai reçu un très-grand contentement, apprenant que vous ne perdez rien de cette gaieté d'esprit que vous possédiez ci-devant, et que vous mettez tout en oeuvre pour faire réussir votre entreprise ; afin que, si la chose avait un succès moins heureux (ce que je prie Dieu de ne point permettre), on ne puisse vous reprocher autre chose, sinon que vous avez eu plus de courage et d'esprit pour entreprendre, que tous ceux qui ont du pouvoir et de l'autorité à cet effet n'ont eu de volonté pour aider.
Mais c'est une chose très-fâcheuse que celle dont vous vous plaignez avec tant de justice, qu'une affaire de si grande importance soit traitée si froidement par ceux qui devraient favoriser en toute manière des desseins aussi louables et aussi grands que les vôtres. Rien n'est aussi misérable que de voir qu'il se trouve à peine quelqu'un avec vous qui veuille travailler à cette bonne oeuvre en ce temps-ci, où cette sorte de paix mendiée que Virgile appelle séquestra, et les trêves de tant de mois, devraient donner bonne espérance à tout le monde.
Cependant, si vous vous consultez vous-même, et si vous m'en croyez, continuez comme vous avez commencé, jusqu'à ce que le peu d'espérance de réussir vous fournisse une excuse, qui ne sera pas moins bien reçue ni moins connue de tous, que juste et raisonnable. Vous aurez non-seulement pour témoins, mais encore pour admirateurs de votre courage et de votre vertu, ceux-là mêmes que vous n'avez pu avoir pour protecteurs et pour promoteurs ; mais de plus vous aurez pour rémunérateur notre bon Dieu, qui n'estimera pas vos travaux par les fruits qui en auront résulté, mais par ceux qu'ils auraient pu et dû produire effectivement, eu égard à votre piété, quoique je ne puisse pas me mettre dans l'esprit qu'on doive désespérer d'une oeuvre si sainte, et, qui plus est, si saintement entreprise.
(Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.)
Il lui fait part des changements des habitants de Thonon et des tentatives qu'ils font pour voir s'il serait possible d'en venir à une espèce d'arrangement.
Vers le «'avril 1596.
Jam, mi frater, latior simul et loetior patet ad christianam hanc messem aditus; heri namque pa-rum abfuit quin Avulliacus, cum urbis syndicis, utivocant, ad concionem palàm venerit, quôd me de augustissimo Eucharistia; sacramento dis-putaturum audivisset. Quo de mysterio senten-tiam rationesque catholicorum ex me audiendi tanto tenebantur desiderio, ut qui palàm non-dum venire,ne legis suoe immemores viderentur, ausi sunt, me ex diventiculo quodam secreto. au-diverint, si tamen per vocis mea; tenuitatem licuit.
Ego hàc iterum egi venatione, ut promitterem me sequenti concione ex Scripturis luce meri-dianà clarius dogma commonstraturum, ac adeô tantis rationum momentis propugnaturum, nul-lus ut futurus sit ex adversariis qui non cognoscat densissimis se tcnebris excoecatum, nisi qui humanitati ac ration! nuntium rcmiserit.
His nimirum rodomontaîis propositionibus se ingeniumque suura ad arenam vocari rectè cog-nosciint, ne videlicet, si non veniant, exis-timentur imbelles omninô, qui catholicam vel homuncionis nescio cujus impressionem reformi-dent.
Res est in tuto : jam enim ad colloquia descendant, mox, ut ex proverbio,ad deditionem ven-turi. Sic enim Crescanus advocatus nos docuit, Tunonenses communi consilio confessionem, utt vocant, suae fidei seriptis prolaturos; utij siquid à nobis différant, eà de re familiari ac privato colloquio, vel privatis seriptis, agamus.
Cumque legationem hanc ministro suo quidam imponere vellent, alii tutius contra fuere ; ne no-biscum palsestram ineat, ne subtilitatibns scho-lasticis vincatur, cum philosophia; sit ignarus. Bene sanè, quandoquidem et per vicarium pug-nàm suscipiunt, et tara exiguis copiis nostris aguntur, et de conditionibus proponendis cogitant. Nos verô, erectis per Dei gratiam animis, concertationem hanc bonà spe gaudentes expec-tamus.
Mon frère, nous commençons à avoir une ouverture fort grande et fort agréable à notre moisson chrétienne car il s'en fallut fort peu hier que M. d'Avully et ceux qu'on appelle les syndics de la ville, ne vinssent ouvertement à mes prédications, parce qu'ils avaient ouï dire que je devais parler du très-auguste sacrement de l'Eucharistie. Ils avaient une si grande envie d'entendre de ma bouche le sentiment et les raisons des catholiques sur ce mystère, que ceux qui n'osèrent pas encore venir publiquement, de peur de paraître fausser la promesse qu'ils s'étaient jurée, m'entendirent d'un certain lieu secret, si tant est que ma voix, qui est faible, ait pu parvenir jusqu'à leurs oreilles.
Or, dans cette chasse, j'ai fait une autre avance, et j'ai promis qu'à la prédication suivante je prouverais, plus clairement qu'il ne fait clair en plein midi, la doctrine des catholiques par les saintes Écritures, et que je la défendrais si bien et par de si puissants arguments, qu'il n'y aurait personne des adversaires qui ne reconnût qu'il est aveuglé des plus épaisses ténèbres, à moins qu'il n'eût renoncé à l'humanité et à la raison.
Ils n'ignorent pas que par ces rodomontades et la hardiesse de ces avances, on les provoque à la dispute, et qu'on en veut à leur jugement et à leur réputation; en sorte que, s'ils ne viennent pas, on ne doutera plus qu'ils se sentent absolument faibles, et qu'ils redoutent très-fort l'impression que leur peut faire le dogme catholique dans la bouche du moindre des hommes.
Il n'y a rien de plus sûr que cela ; car puisqu'ils viennent déjà à parlementer, selon le proverbe, ils ne tarderont point à se rendre. C'est ainsi que nous Ta rapporté M. l'avocat Ducrest, qui nous a dit que MM. de Thonon avaient résolu, d'un commun consentement, de nous présenter par écrit leur confession de foi ; afin que, si elle contient quelque chose qui soit différent de la nôtre', nous puissions en traiter familièrement, ou dans des conversations particulières, ou par lettres.
Et comme quelques-uns voulaient charger le ministre de cette ambassade, d'autres ont été d'un avis contraire, ne voulant pas qu'il comparaisse pour disputer avec nous, parce qu'il est ignorant dans la philosophie, et qu'il est à craindre qu'il ne soit terrassé et vaincu par les subtilités scolastiques. On ne peut disconvenir que cela n'aille fort bien, puisqu'ils ne veulent combattre que par substitut, que nos petites troupes les inquiètent, et qu'ils pensent à nous proposer des conditions. Nous attendons avec joie et avec, confiance cette conférence, et nous avons très-bon courage par la grâce de Dieu.
(Tirée de la vie du Saint, par Ch. Aug.-de Sales.)
Réponse à la lettre précédente. Il se réjouit de ce qu'elle contient, et encourage de nouveau lé Saint à poursuivre avec le même zèle son entreprise.
1 Chambéri, 1596.
De'tuo, mi fratér, ad Ànicienses nostros re-ditu, et si multorum sermonibus audiebam, ne tamen facile possem credere illud faciebat, quôd nullisà te litteris de eo certiorfactus essem : quas cum multisde causis avidissimè expectabam,tum ob hoc maxime ut sciremvenisscsne tantum, au etiam rediisses. Occurrcbat enim quod de Attilio Regulo apud Pomponium nostrum quodam loco legisse memineram, cum à Carthaginiensibus Romani missus esset, non visum eum postliminio rediisse, quia dixerat se reversurum, nec ani-mum hàbuerat Romae remanendL
Etsi namque subverebar ne qua temporis pro-rogatio et desiderio meo et labori tuo accéderez malebamque te ubivis gentium, quàm inter. per-ditos et desperatos istos helluories vivere : tamen non dubitabam quin, si quid aut jam profeceras; aut longiore molestiâ proficere posse spérares, nihil tibi adeô durumautdifficile videretur, quod non facile concoqueres, ne tam proeclari instituti te unquàm poeniteret. ;
Nunc verô mirificam capio voluptatem ex constantià consilii tui, cujus majores quotidiè fructus tibi totique reipublicoe Christian» constare inclina ta-jam ad partes nostras Victoria, paratoque triumpho de Avulliaco, coeterisque non minorum -dun taxât gentium, ut sibi videntur, diis, sed me-liores ètiam nota; adversariis ; quorum alios in-telligo, argumentorum tuoi'um solâ recitatione Tractos, aspectum congressumque tuum fugeie (quid verô, Deus bone! si dicentem te et dissc-rentem audissent?); alios, oblatae disputationi impares, scripto agere decrevisse, hoc ipso impudentes, quôd chàrtam, quantumvis menda-cem et impuçlentem, non putant erubescere posse.
Mon frère, quoique plusieurs personnes m'aient assuré que vous deviez bientôt retourner à Annecy., je n'ai pu cependant me résoudre à le croire, parce que vous ne m'en avez rien écrit. J'attendais avec impatience de vos lettres pour bien des raisons, mais surtout pour savoir si vous étiez venu seulement en passant, ou si vous étiez tout-à-fait de retour. Car je me représentais ce que j'avais lu quelque part, dans notre Pomponius, d'Attilius- Regulus, qu'ayant été envoyé à Rome par les Carthaginais, il ne parut pas qu'il-fit-usage du droit de retour, parce qu'il avait promis aux Carthaginais qu'il reviendrait chez eux, et qu'il n'avait pas eu l'intention de demeurer à Rome.
En effet, quoique je craignisse que l'accomplissement de mon désir ne fût retardé, et que votre travail ne fût prolongé ; quoique je vous aimasse mieux en tout autre lieu que parmi ces hommes perdus et désespérés., je ne doutais pas néanmoins que, si vous faisiez déjà quelque profit, ou que vous vissiez quelque espérance d'en faite en continuant toutes les peines que vous vous donnez journellement, vous ne digérassiez volontiers les choses les plus dures et les plus difficiles, pour n'avoir jamais lieu de vous repentir d'avoir manqué une si belle entreprise
Mais je reçois maintenant une satisfaction non pareille de la constance avec laquelle vous poussez votre pointe, et des grands fruits que je vous vois faire de jour en jour, pour votre bien premièrement, et pour celui de toute la république chrétienne; puisque la victoire penche de notre côté, et que vous n'êtes pas beaucoup éloigné de triompher du seigneur d'AvulIy et de nos autres adversaires, que les hérétiques regardent comme des dieux non-seulement du second ordre, mais même du premier. Ne vois que quelques-uns d'entr'eux évitent votre vue et votre rencontre, parce qu'ils ont été renversés par la seule exposition de vos arguments. Bon Dieu ! que-serait-ce s'ils vous eussent entendu prêcher et discourir? D'autres, ne se sentant pas assez forts pour la dispute que vous leur aviez présentée, ont résolu de traiter par écrit ; se montrant imprudents par cela même qu'ils ne pensent pas que le papier puisse rougir, encore qu'il soit chargé de mensonges et d'impudence.
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(Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.)
Il lui rend compte des succès de sa mission-An 1596 (éd. Annecy: début avril 1595).
Si quid hic actum sit, quid nunc fiat, scire cupis, ut te scire par est, mi domine, ex Epistolarum divi Pauli lectione totum habebis. Indignus sum qui sim ei compar ; sed infirmitatem nostram in suam gloriam Dominus coaptavit. Progrcdimur, sed oegri in-modum, qui, postquam lectum reliquit, pedum suorum tisuin ami-sit, et in infirma sanitate nescit plusne sit sanus quàm oeger. ;
Ità est sanè, praesul dignissime ; paralytica est provincia; et ego, antequam recte ambulet, de discessu in veram patriam cogitare potero. Tua; similis pietas potest in suis sacrificiis quod nunquam merebor obtincre. Peccator sum, praetereà nihil, et gratiarum quas in me Deus spargit omnino indignus. Scis hoc super omnes, mi domine, et aequè ac veritatem istâm, omnia me in dies tuum tuumque facere humillimum obedientissimumque filium et servum.
Monseigneur, si vous désirez savoir, comme il est convenable que vous le sachiez, ce que nous avons fait et ce que nous faisons maintenant, vous le trouverez tout entier dans la lecture des Épitres de S. Paul. Ce n'est pas que je ne sois indigne d'être mis en comparaison avec ce grand apôtre ; mais notre Seigneur sait fort bien airer parti de notre faiblesse pour sa gloire (cf. 2Co 12,9-10). Nous marchons à la vérité, mais c'est à la façon d'un malade, qui, après avoir quitté le lit, trouve qu'il a perdu l'usagé de ses pieds, et qui, dans la faiblesse qu'il éprouve, ne sait pas s'il est plus sain que malade.. C'est la vérité, monseigneur; cette province est toute paralytique; et, avant qu'elle puisse marcher, je pourrai bien penser au voyage de la vraie patrie des chrétiens. Une piété telle que la vôtre peut m'obtenir ce que je ne mériterai jamais. Je suis pécheur (Lc 5,8), et rien de plus ; et je suis tout-à-fait indigne des grâces que Dieu répand sur moi. Vous le savez mieux que personne, monseigneur, et vous n'en êtes pas moins certain que de cette vérité, que toutes sortes de considérations me rendent chaque jour de plus en plus Votre très-humble, etc. "
(Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.)
Bref du pape Clément VIII, à M. d'Avully, converti par les prédications et les soins de S. François de. Sales.
20 septembre 1596.
Dilecte fili, salutem et apostolicam benedictionem. Ex litteris venerabilis fratris archiepis-copi Barerisis, nunciinostri apostolici apud filium nostrum singulariter dilectum Sabaudiaî ducem, accepimus, multo cum spirituali gaudio, quanta feccrit tibi qui potens est et dives in misericordià ; qui te, ab ineunte oetate mortiferà hoeresnm doc-trinâ imbutum, ex profundà ilkl et densissimà errorum caligine dexterà suà potehti eduxit, et transtulit in admirabile lumen suum, ut catholi-cam veritatem agnocerês etreciperes, et ad hanc unam sanctam, catholicam et apostolicam, roma-nam Ecclesiam, extra quam non est salus, confugeres, quae te intrà maternum gremium cupide excepit.
Ex iisdem litteris cognovimus quemadmodum omnes hoereses et veteres errores detestatus sis, et magnam verè poenitentis et contriti cordis si-gnificationem dederis. Benedicimus Deum coeli, qui fecit tecum secundum-magnam misericor-diam suam, neque est passus te diutius jacere in tenebris et umbrA mortis, virum istà generis no-bilitate, bclli pacisquè artibus instructum, et iis aniini ornamentisexcnltum, quae nobis non sunt ignota. Gratulamur Ecclesioe catholicae ; gra-tulamur principi tuo dnci, qui te merito amat et plurimi facit ; gratulamur etiam foemina: priroa-riae conjugi tuae, cujus lacrymoe et orationes ascenderunt in conspectu Dei, et ejus divinà ope te Christo Incrifecit
ïu verô, fili, vade, et narra quanta fecit tibi Deus ; et qui anteà cum Saulo Ecclesiam Dei persécutas es, mine cum Paulo, quantum pro tua vi potes, eamdem défende et sedifica. Intereà has ad te nostras date voluimus, indices et testes nostrae in te benevolentiae tibique nostram pater-iiam et apostolicam benedictionem amanter iua-pertimur.
Datûm Romae, apud Sanctum-Mafcum, sub annulo piscatoris, die vigesimà septembris mil-lesimo quingentesimo nonagesimo sexto, ponti-ficatûs nostri anno quinto.
Syl'vius Antonunus.
Cher fils, salut et bénédiction apostolique. Nous avons appris, à notre grand contentement spirituel, par les lettres de notre vénérable frère l’archevêque de Bary, notre nonce apostolique auprès de notre bien-aimé fils le duc de Savoie, les grandes grâces que vous a faites celui qui est puissant et riche en miséricordes; lequel, par la vertu de sa droite ; vous! a retiré des ténèbres épaisses et de l'abîme très-profond de la doctrine empestée de vos; erreurs, dont vous aviez été imbu dès votre bas âge, et vous a transféré; dans son admirable lumière, afin que vous connussiez et que vous reçussiez les vérités catholiques dans l'unique sainte Église catholique, apostolique et, romaine, hors de laquelle il n'y a point de salut, et qui vous a reçu avec ardeur dans son sein maternel.
Nous avons appris, par les mêmes lettres avec quelle ferveur vous avez détesté-toutes les hérésies et toutes vos anciennes erreurs, et les marques que vous avez données d'un coeur contrit et vraiment pénitent. Nous bénissons le Dieu du ciel, qui en a usé avec vous selon sa grande miséricorde, et qui n'a pas permis que vous demeurassiez plus longtemps enseveli dans les ténèbres et dans l'ombre-de la mort; surtout étant ce que vous êtes, un homme distingué par votre noblesse, par votre habileté dans les affaires et dans le métier de la guerre, et par toutes les belles qualités de l'âme, toutes lesquelles choses sont venues à notre connaissance. Nous nous réjouissons de votre bonheur avec l'Église catholique, avec le duc votre prince, qui vous aime avec justice, et qui fait un grand état de vous ; et avec votre chère épouse, dont les larmes et les prières sont montées jusqu'au trône de Dieu, et qui, avec son divin secours, vous a gagné à Jésus-Christ.
Allez donc, mon fils, et racontez à tout le monde les merveilles que Dieu a opérées en vous; et comme par le passé vous avez persécuté l'Église de Dieu avec Saul, maintenant tâchez de la défendre et de l'édifier de tout votre pouvoir avec Paul; Cependant, nous avons bien voulu vous envoyer cette lettre pour vous marquer notre bienveillance ; et nous vous donnons, avec affection paternelle, notre bénédiction apostolique.
Donné à Rome, au palais Saint-Marc, sous l'anneau du pécheur, le vingtième jour de septembre mil cinq cent quatre-vingt-seize, la cinquième année de notre pontificat.
Sylvius Antonianus.
(Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.)
H lui dédie le XII" livre de ses Conjectures sur le droit:
Après le 20 septembre 1596.
Amavi te, mi Salesi, et, pro eo, sanè ac debui, eolui plurimum, prius etiam quàm vel tu mihi de facie notus esses, vel ego tibi ; invitatus nimi-ruin permotusque solâ percelebris tui noininis famà, et admiratione virtutis, quà nihil est, ut ego quidem existimo, ad sociandas constringeiiT dasque hominum vel disjunctissimorum mentes efficacius. Posteà verô quàm per humanitatem tuam aditus mihi ad amicitise tuoe sacra et fami-liaritatis penetralia liber patuit, tantam sensi voluntatatis ergà te meoe factam accessionem ut mirarer, puderetque non ità me jàm antè affectum fuisse, nullus ut accessioni locus relinqueretur.
Sic enim, quasi ea,quoe oculis cernuntur, mihi visus suni intueri, non solum quàm me amares, sed etiam quàm amari deberes ab iis qûoque quos nullâ tibi neque necessitudinis neque ofliciorum magnitudine detinuisses. JXam quis, obsecro, uisi plané insulsus, xat aj*oWo;, tara multa, tamque praeclara ingenii tui décora et ornamenta nonsuscipiat,amet, veneretur? illud verô. qiïàra mtrabile novumque in istâ aîtate, quoe in inte-grum restitutionis auxilium implorare adhuc pos-set, si quid forte superioribus annis per incon-sultam facilitatem peccasses, eam te sapientioe, eruditionis et eloquentiaj laudem assecutum, et conjunctis thcologia; ac jurisprudentia; gravissi-inis difficillimisque studiis, ut, cum in utràque scientiâ exccllere te omnes videant, in utrà tamen excellas discernere nemo possit.
Sed sunt istae foecundi excultique ingenii potius quàm recti animi dotes, quas, licèt non nisi perpaucis datas, quos equus amavit Jupiter, facilius tamen admirari, fortassis inviderc tibi etiam amici possent, quàm ob eas amare te coeteri, qui aliam amandi rationem non haberent. Amo ego magis tuam illam probitatem, prudentiam, temperantiam, oequanimitatem, cseteraque id genus beati optimeque à naturà et philosophià subornât! animi bona, quoe. in aliis non nisi rarissime singula, in te uno sic elucent universa, ut neque malevolorum invidorunive calumniis obscurari queant, neque non amari et coli ab omnibus ; proeterquàm si <iui essent tara male nati ut virtutem ipsam odisse summoe virtutis opus esse arbitrarentur ; etsi hoc quoque ad feli-citatem tuam accedit, quôd tuis laudibus omnes, ut oequum est, favent.
Hinc illa singularis ergà te propensio serenis-sinii ducis nostri, qui senatoriam dignitatem, quam plerique alii ambirc tam anxiè soient, tibi imper nihil minus cogitanti ultrô jam destinavit, çonfestlm haud dubiè collaturus, si plus apud te prudentissimi principis judicium, totiusque am-plissimi ordinis nostri expectatio, ipsa denique ratio, quàm modestia tua, valuisset. Inde etiam quôd aspernatus es huçusque verecu'ndiore, quàm paresset, cunctatione, ac nescio quo aetatispraî-textu (quasi oetatis vitium aut delictum illud sit, quôd ante oçtatem perfectè sapere didiceris) exi-mia ista virtutis insignia, ideô fortasse, quôd ejus modi pleraque non pauci etiam sine virtute sunt assecuti : hoc unum tibi ad veram gloriam satis esse ducens, quôd tanti principis, optimorum etiam et eruditissimorum omnium qui te nôrunt, conspiranlia studia judiciaque merueris, qua) sanè virtus sola et assequi potuit et promereri.
Ego verô qui semper pluris faciendum credidi, si virtutum ac scientiarum preemia quis mere-retur, quàm si possideret, sic te amo et Qbservo, tanquam iis quoquç plénum honoribus à quibus temperasti ; nec quicquam est quod te maliiri esse quàm Salesium, ut eà te prosequar observanlià, (iioe et sanctissimo episcopo debetur, et gravis-simo senatori. Taceo quàm multas habeam pro-prias planèque mcas eolendi tui causas, quas, in-nuineristuisin me beneflciis publiée privatimque testatas, vellem ego maxime, si per ingenioli mei tpnuitatem liceret, publico etiam aliquo testi-monio ingénue profiteri, et justà constantique gratiarum actione sic complecti, ut non minus gratum me ac. memorem quàm tibi devinctum ppsses agnoscere.
Neque rursum ignoro quantum amori tuo vel ob id maxime deberem quôd dulcissimum fratris nomen inter nos commune aç familiare esse vo-luisti; ut quod unum hpnestissimo utriusque desiderio negabatur, quoniam à naturà iinpetrari nonpoterat, validoribus amicitiae artibus extor-queremus, nec dubitare quisquam posset, quin verè fraternus esset amor, qui et abs te in me profleiscerctur, et à me vicissim redderetur.
En igitur levidense tibi in cam rem munuscu-luin ex promptuario conjeclurarum mearum, in quibus etsi scio nihil esse quod vel tuis meritis, vel cupiditati mea;, vel denique mutuoe necessitudinis nostrx dignitatirespondeat, omnia tamen cousecutum mé^putabo, si efficere potero ut hoc qiianlulocumquc monumento arctissimoe conjunctionis nostra: memoria féliciter ad posteros per-feratur.
Non quôd usque adeô mihi blandiar, ut ista sperem vel eonjiciam aut aiterna fore, aut lon-giores annos ferre posse ; sed quia nihil est quod tàm in optatis habeam, quàm ut, si quod nominis mei post cineres vestigium extabit, ncminem tibi nie amiciorem fuisse, aut amieitiam tuam pluris unquàm fecisse omnes intelligant. Id, pro incredibili tuâ ergà me benevolentiâ, a:què tibi optatissimum et'jucundissimum ut esse cupio, ità fore spero et conlido- Benè vale, frater sua-vissime, et me, ut facis, ama.
Je vous aime, mon très-cher de Sales, et je vous ai honoré, comme je le devais, avant même que nous nous fussions jamais connus et vus ni l'un ni l'autre ; et je fus porté à cela uniquement par votre grande réputation, et par l'admiration de votre vertu, qui, à mon avis, suffit toute seule pour lier et unir étroitement les esprits des hommes les plus divisés. Mais depuis que, par votre bienveillance, j'ai eu un libre accès au sanctuaire de votre amitié et jusqu'au plus intime de votre familiarité, j'ai senti mon inclination pour vous s'accroître à un tel degré, que j'ai été surpris, et que j'ai eu honte de n'avoir pas été auparavant prévenu d'affection pour vous, jusqu'au point qu'il n'y eût plus aucun lieu d'en concevoir davantage.
En effet, il m'a semblé voir, aussi clairement que l'on voit les objets des yeux du corps en plein jour, non-seulement combien vous intimiez, mais encore combien vous deviez être aimé de ceux-là même qui ne sont liés avec vous ni par une étroite amitié ni par la grandeur de vos bienfaits. Car, qui est-ce, je vous prie, qui a assez peu de bon sens et, de connaissance pour ne pas admirer, aimer et honorer tant de belles qualités de votre esprit ? Mais, quelle merveille n'est-ce pas, à l'âge où vous êtes, où vous pourriez fort bien implorer le bénéfice de restitution en entier, si par hasard, vous aviez manqué à. quelque chose par une trop grande facilité, que vous ayez acquis tant de gloire par votre sagesse, votre érudition et votre éloquence ; et, qu'ayant joint des études, aussi importantes, et aussi difficiles que le sont la théologie et la jurisprudence, vous soyez si excellent en l'une, et, en l'autre, que personne ne puisse discerner en laquelle des deux vous excellez !
Au reste, toutes ces choses sont plutôt les qualités d'un esprit fécond et cultivé que celles d'une bonne âme ; et, quoique Dieu ne les ait données qu'à fort peu de gens, elles pourraient attirer plus facilement; l'admiration et peut-être l'envie de vos amis, que l'amour des autres qui n'auraient que cette raison de vous aimer. C'est pourquoi j'aime beaucoup mieux votre probité, votre prudence, votre modération, l'égalité de votre humeur, et toutes ces autres vertus d'une âme bien née, et heureusement formée par la nature et la philosophie, qui, se trouvant très-rarement, même seules, dans les autres sujets, sont toujours réunies en vous, en sorte qu'elles ne peuvent être obscurcies par les calomnies des personnes envieuses et malintentionnées, et qu'il n'y a personne qui puisse s'empêcher de les aimer et de les respecter, sinon peut-être des gens si mal nés qu'ils crussent que c'est le comble de la vertu de haïr la vertu même, quoique vous ayez encore ce bonheur, que tout le monde se porte à vous louer, comme il est juste et raisonnable de le faire.
De là vient cette inclination que le sérénissime duc notre prince a pour vous, et qu'il vous a marquée il n'y a pas longtemps (1), vous destinant, sans que vous y eussiez pensé, la dignité de sénateur, à laquelle les autres aspirent avec tant d'ambition ; et il vous l'eût sans doute conférée tout aussitôt, si le jugement de ce très-prudent prince, et l'attente de toute notre compagnie (2), et la-raison même, eussent eu plus de pouvoir suivons que votre modestie. Mais, si vous avez méprisé jusqu'à présent tous ces sublimes honneurs qui accompagnent la vertu, avec un peu plus de scrupule qu'il n'était convenable, et sous, je ne sais quel prétexte de l'âge, comme si c'était un vice et un défaut- que la sagesse ait en vous prévenu les années; si, dis-je, vous avez méprisé ces honneurs attachés à la vertu, c'est peut-être parce que plusieurs les ont obtenus sans vertu, et que vous croyez qu'il vous suffit, pour vous assurer la vraie gloire, d'avoir mérité l'affection et l'estime d'un si grand prince et de tant de grands personnages qui vous connaissent, parce que ces choses n'ont pu être acquises et méritées que par la vertu seule.
Pour moi, qui ai toujours fait plus de cas d'un homme qui mérite la récompense des vertus et des sciences, que de celui qui les possède, je vous aime et vous honore autant que si vous jouissiez des honneurs que vous avez refusés ; et je n'ai pas besoin que vous soyez autre que M. de Sales, pour que je vous porte le même respect que celui qui est dû à un très-saint évêque et à un très-grand sénateur. Je ne parle pas de- toutes les autres raisons que j'ai de vous honorer, qui me sont propres et toutes particulières, et qui sont devenues notoires à tout le monde par tant de bienfaits que j'ai reçus de vous ; je voudrais aussi vous donner un témoignage publie et authentique de ma reconnaissance, s'il m'était possible, eu égard à la petitesse de mon esprit, et les embrasser tous de telle sorte, par une juste et constante action, de grâces, que vous puissiez connaître que je n'ai pas moins de gratitude et de reconnaissance que je vous ai d'obligation.
Outre cela, je n'ignore pas combien je suis redevable à votre affection, principalement parce que vous avez, voulu que le doux nom de frère fût commun et familier entre nous ; afin que ce qui était refusé à notre très-juste désir, ne pouvant être obtenu de la nature, nous fût procuré par les puissantes industries de l'amitié, et afin que personne ne pût douter que notre affection réciproque ne fût véritablement fraternelle.
Voici donc un petit présent que j'ai tiré du magasin de mes conjectures ; et quoique je sache bien qu'il n'y a rien en cela qui réponde ni à vos mérites ; ni à mon désir, ni à notre amitié, je croirai néanmoins avoir tout gagné, si je puis faire en sorte, par ce petit monument de notre étroite union, que sa mémoire passe heureusement jusqu'à la postérité.
Ce n'est pas que je me flatte jusqu'au point d'espérer ou de conjecturer que ce monument soit éternel, on qu'il subsiste pendant une longue suite d'années ; mais c'est qu'il n'y a rien que j'aie plus à coeur, s'il reste quelque vestige de mon nom après ma mort, que de faire connaître à tout le monde que jamais personne ne vous a plus aimé et n'a fait plus d'état de votre amitié que moi ; et comme c'est le plus grand de mes désirs que cela soit ainsi, j'ai aussi l'espérance et la confiance, eu égard à votre incroyable bienveillance envers moi, que vous le souhaiterez de même, et que vous en ferez le sujet de votre plus grande joie. Adieu, portez-vous bien, mon très-aimable frète, et aimez-moi toujours comme vous faites.
(.1) A la fin de l'année 1592, (2) Le sénat de Chambéri.
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F. de Sales, Lettres 34