F. de Sales, Lettres 2102

2102
(Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales. )

Il fait savoir au souverain pontife les succès de la religion catholique dans le Chablais, et en même temps il lui expose les inconvénients qu'il y avait de comprendre les hérétiques genevois dans la paix qui venait d'être conclue entre le roi très-chrétien et le duc de Savoie : il conjure sa sainteté d'agir puissamment auprès de ces deux princes pour l'empêcher.


Au commencement de l'année 1600, ou Thonon, vers le 20 octobre 1598

Beatissime Pater,

Quàm lsetos atquc uberes animarum fructus ex hac Gebennensis dioecesis vineâ hisce diebus pet-ceperimus, iliustrissimi domini cardinalis Medicoei, legati à latere, uti spero, narratione, tua sanctitas cognoscet.

Cum enim in Tunonensi oppido quadraginta horarum oratio celebraretur, ejusdem cardinalis ex itinere et serenissimi ducis praesentia, Deo procul dubioità disponente, incidit, faustis ad modum auspiciis, quando per idem tempus innu-mera hominum multitudo haeresim abjurare fidemque catholicam amplecti statuerat, quorum pars id in ipsius iliustrissimi legati, pars in meis ma-nibus sanctè proestitit, serenissimo duce quàm impensissimè rem totam promovente. Quae omnia hic, quem ad beatitudinis tuae pedes supplicem destinamHs, fusius et facillimè exponet, quod omnibus rerum harum successibus interfuerit.

At vero dum ita feliciter coram Domino laetamur, sicut qui Icelantur in messe, sicut exultant vicions, capta proeda, quando dividunt spolia, hoc unum accidit intempestive et molestissimu : nimirum rex christianissimus per litteras duceni serio adinonet, velle se ejus quam tain opportune tua sanctitas tantâ totius orbis catholici voluptate perfecit pacis vinculo comprehendi hoeresis cal-vinianae matricem et fontem, Genevensem videlicet civitatem ; quamvis pacis articulis nulla, ut par erat, illius mentio habeatur.

Quse res incredibilem haereticis omnibus auda-ciam addit : fidei catholicae aditum proecludit; novissimè conversos animos, si non abjicit omnino, at sane perturbat quam maxime ; mihi et canonicis meis bonorum ecclesiasticorum recuperandorum, quoe persummam iniquitatem à Genevensibus detinentur spemomnem funditus eyellit.

Quaproptor istum ccclesia; meae proepositum, quotquot sumus hic ovdinis ecclesiastici viri, quoad ejus fieri potuit celerrimè misimus, qui, uostro omnium nomine ad beatitudinis tua; pedcs provolutus, quantam rcshrec, si sucecdit, jacturam sit allatura reipublicas christianae, quàmque atram tanto ac tam felici pacis exitui sit impressura no tain', nostro omnium nomine humillimè explicabit, ut, pro sua ergà c'atholicum orbem, maxime verô ergà hanc tôt exagitatam malis provinciam, paternà clementiâ, tua sanctitas seriô, tum apud christianissimum regem, cum apud ducerh serenissimum agat, ne tanta paxsit impiis, nec ejus laitentur privilegio, qui ecclesiasticam pacem tôt scissuris nituntur avellere. Cui debent honorent, potius honbrem, cui vectigal, vectigal compellantur redrtere ; ac tum demum veniat pax super illos in virtute Domini et apostolicoe auctoritate sedis, cui tuam beatitudinem clcmcntissimè et sanctissimè insidentemDeus optimus maximus quàm diutissimè servet incolumem !



Très-saint Père,

Votre sainteté aura été sans doute informée par le rapport du très-illustre cardinal de Médicis (1), son légat à latere, des fruits abondants des âmes, que nous ne faisons que de recueillir il y a peu de jours dans la vigne de ce diocèse de Genève.

En effet, par un grand bonheur, la providence divine a disposé tellement les choses, que ce grand cardinal, qui retournait de France à Rome par la Savoie, et le sérénissime duc, se trouvèrent en même temps à Thonon lorsque l'on y célébrait les prières de quarante heures, et qu'une très-grande multitude de peuple avait résolu d'abjurer l'hérésie et d'embrasser la foi catholique, une partie entre les mains de l'illustrissime légat, et une autre entre les miennes ; et le zèle et les soins du sérénissime duc n'ont pas peu contribué à l'avancement et à la réussite de cette affaire. Celui que nous envoyons aux pieds de votre sainteté, ayant été témoin oculaire de tout ce qui s'est passé, lui en rendra un fidèle compte, et s'exprimera beaucoup plus facilement que je ne puis faire.

Mais pendant que nous nous réjouissons ainsi heureusement devant le Seigneur, comme ceux qui se réjouissent dans le temps de la moisson t nu comme les victorieux lorsqu'ils partagent le butin qu'ils on fait sur l'ennemi (
Is 9,3-10), voici une chose qui nous arrive fort mal à propos : c'est que le roi très-chrétien avertit sérieusement le duc qu'il veut que la république de Genève, qui est la source et la mère de l'hérésie calvinienne, soit comprise dans le traité de paix que votre sainteté a fait conclure avec une si grande satisfaction de tout le monde catholique, quoique dans les articles du traité il ne soit point fait mention d'elle, comme de raison.

Cette chose donne une incroyable audace à tous les hérétiques, ferme l'entrée à la foi catholique; si elle n'abat point tout-à-fait le courage de nos nouveaux convertis, du moins elle les trouble grandement, et ôte, tant à moi qu'à mes chanoines, toute espérance de recouvrer les biens ecclésiastiques que les Genevois nous retiennent par la plus grande de toutes les injustices.

C'est pourquoi, tous tant que nous sommes ici d'ecclésiastiques, nous vous avons député le plus promptement qu'ila été possible le prévôt de mon Église, qui, au nom de nous tous, se prosternera aux pieds de votre sainteté, pour lui représenter qu'une telle paix, si elle subsiste, causera un dommage réel à la chrétienté, et une tache honteuse à son heureux succès ; afin que, selon la clémence paternelle qu'elle a montrée à cette province agitée par tant de maux, elle daigne agir sérieusement, tant auprès du roi très-chrétien qu'auprès du sérénissime duc ; en sorte que les impies ne jouissent pas d'une si grande paix (Is 48,22 Is 57,21), et que ceux qui tachent de troubler celle de l'Église par tant de divisions, n'aient point la joie d'en goûter les privilèges ; mais que plutôt ils soient contraints de rendre honneur à ceux à qui ils doivent l'honneur, et les impôts à qui ils doivent les impôts (Rm 13,6-7) ; et que par ce moyen la paix vienne sur eux en la vertu du Seigneur (Ps 122,7), et par l'autorité du siège apostolique, où votre béatitude préside avec tant de clémence et de sainteté, et dans lequel nous supplions le Dieu souverainement bon et grand de vous conserver, longues années pour le bien de son Église.


(1) Le cardinal de Florence, Alexandre de Médicis. »



LETTRE XXVIII. M. DE GRANIER, ÉVÊQUE DE GENEVE, A SA SAINTETÉ LE PAPE CLÉMENT VIII.

2103
( Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.) Vers la fin de 1598

Il s'excuse de n'avoir pas satisfait plus tôt à la visite du seuil des apôtres selon l'usage ordinaire, et il mande à sa sainteté qu'il s'acquitte de ce devoir par l'entremise de S. François de Sales.


Bcatissime Pater, jamdudum apostolorum limina meo nomine visitasset reverendus Francisons de Sales, Ecclesiae meae proepositus, nisi periculosissimo morbo quo diu decubuit, et propter pestem in plurimas hujus provinciae partes hactenus saevientem, aditus omnes nobis ad Italiam interclusi fuissent.

Perrexit nihilominus tandem àliquandô, ac, superatis itinerum difficultatibus, uti spero, ad sanctitatis tuaepedes accessit. Ac quidem, quandô res propter quam abiit nullam sine sumino periculo moram patiebatur, nec omnia tune hàberem pra omnibus qu» visitationi sanctorum liminum necessaria sunt, ea nunc duxi mittenda, quo res meas hâc in re apud sanctitatem tuam agat meo nomine : ratus démenti» tuée id acceptum iri, tum ut difficillimo tempore quae fieripossunt per pauciora, per plura nequaquam fiant ; tum ut hic meus procurator, qui non inutilem hoc in agro operam navare consuevit, variis peregrinatio-nibus ab opère abstrahatur. Deus optimus maxi-mus sanctitatem tuam Ecclesioe suae quàm diutis-simè servet incolumem !




Très-saint Père,

Il y a longtemps que le révérend François de Sales aurait visité en mon nom les seuils des apôtres, s'il n'eût été empêché par une très-dangereuse maladie dont il a été alité pendant plusieurs mois, et si tous les chemins de l'Italie ne nous eussent été fermés pour la peste qui a affligé presque toutes ces provinces.

Mais enfin il s'est mis en route ; et, ayant surmonté, comme j'espère, les difficultés des chemins, il a dû déjà se jeter aux pieds de voire sainteté. Or, parce que l'affaire pour laquelle il est allé à Rome ne pouvait point souffrir de délai sans un très-grand danger, et que je n'avais pas, lors de son départ, tout ce qui est nécessaire pour cette visite du seuil des apôtres, j'ai crû devoir envoyer maintenant toutes ces choses, afin qu'il, rende ce devoir pour moi ; espérant que votre bonté l'aura pour agréable, tant pour faire en sorte, dans un temps aussi difficile que celui où nous sommes, que ce qui peut être fait par un très-petit nombre de dépêches (1) ne le fût pas par un plus grand, que pour donner lieu à ce digne ecclésiastique, mon procureur en la cour de Rome, de se délasser par divers pèlerinages des fatigues qu'il a eues dans le champ de ce diocèse, et de se distraire de sa glorieuse entreprise. Je conjure le Dieu souverainement bon et grand de conserver longtemps votre sainteté à l'Église.


(1) Ces dépêches sont plusieurs requêtes. Les, dix premières furent dressées par S. François de Sales, comme fondé de procuration par son évêque, et selon les instructions qu'il lui envoya. La dernière, qui le regardait, et par laquelle on le demande pour être coadjuteur de Genève et successeur en l'évêché, fut sans doute dressée par le sieur de Chissé, neveu de M. de Granier, évêque de Genève, et au nom dudit sieur évêque. III.






LETTRE XXIX.

LE CARDINAL ALDOBRANDIN, AU NONCE APOSTOLIQUE, ARCHEVÊQUE DE BARY.

(Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.)

Il lui mande que le remède pour les usures proposé par S. François était agréé du pape, et qu'il lui était permis d'en faire usage.



28 avril 1600.

Propositum à praposito Ecclesia Gebennensis ad mundandas Tunonensium conscientias, usuris illaqueatas, remedium sanctissimo domino nostro minime displicuit. Ait prapositus rectè futurum, si die uno vel pluribus solemnibus, quibus promulgarentur plenariae indulgentiae, cohortatione etiam compellerentur fidèles omnes, ut sibi in-vicem usuras quascumque absoluto dono dimitterent, et hujusmodi dimissio posteà à confessariis procuraretur. Non displicet, inquam; suae sancti-tati remedium : quamobrem dat tibi et concedit autoritatem et facultatem omnimodam, uti tu illud applices. Credo autem his meis, et aliis (l), ejusdem proepositi satisfactum iri desiderio; et ardenti juvandarum animarum studio. Eum sanè sua bentitudo valdè laudavit. Vale et diu vive.

(1) Supple, litteris.





Le remède proposé par le prévôt de l'Église de Genève, pour nettoyer les consciences des peuples de Thonon de leurs usures, n'a point déplu à notre Saint-Père. Le sieur prévôt dit que ce serait une très-bonne chose, si, à quelque jour solennel, ou même plusieurs, où l'on publierait les indulgences plénières, on exhortait les fidèles de se remettre toutes les usures qu'ils ont contractées les uns envers les autres par un pur don, et si cette remise était ensuite procurée avec soin par les confesseurs. Cela, dis-je, agrée à sa sainteté ; c'est pourquoi elle vous donne tout pouvoir et autorité de le mettre en usage. Je crois que ledit sieur prévôt verra son désir et son zèle très-ardent pour le salut des âmes satisfait par ces présentes et par les autres. C'est la vérité que sa sainteté en a fait un très-grand éloge. Adieu, vivez longtemps.






LETTRE XXX.

LE CARDINAL ALDOBRANDIN, AU NONCE APOSTOLIQUE ARCHEVÊQUE DE BARY.

(Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.)

Il lui mande que le pape accorde dispense aux Tho-nonais pour les mariages contractés dans les degrés prohibés.

28 avril 1600.

Vidit dominus noster, ex litteris prapositi Gc-bennensis, necessitatem quam esse ait ille, ut complura apud Tunonenses in quarto çonsangui-nitatis vel affinitatis gradu absque dispensatione contracta matrimonia valida fiant. Sua sanctitas, in animarum illarura salutem pietatis sine sinum aperiens, quidquid petebatur concessit, harum-que mearum (1) vigore tibi omnimodam impertitur facultatem necessarias omnes in eam rem expeditiones faciendi. Vive et vale.

(1) Supple, litterarum.



Notre très-saint père le pape a vu, par les lettres du prévôt de l'Église de Genève, la nécessité qu'il dit y avoir de valider chez les peuples de Thonon plusieurs mariages contractés au quatrième degré de consanguinité ou d'affinité, sans dispense. Sa sainteté, ouvrant le sein de sa piété et de sa miséricorde pour le salut de ces âmes, a octroyé tout ce qui était demandé, et, par ces présentes, qu'elle m'a commandé de vous écrire, vous donne tout pouvoir et toute autorité de faire pour cela toutes les expéditions nécessaires. Vivez et portez-vous bien.








LETTRE XXXI..

LE NONCE DU PAPE, A SAINT FRANÇOIS DE SALES:

(Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.)

Il le délègue pour accorder aux Thononais les dispenses de mariages, et pour apporter les remèdes à leurs usures.



Epistolam illam quam ad me scripsisti de usuris et matrimoniis, ad sanctissimum pontificem misi. Ille concessit omnia, d'atque mihi omnimodam in cas res facultatem, ut ex allegatis cardinalis Al-dobrandini litterarum apographis videbis. Eam-çlem autem ego facultatem tibi subdelegatam facio, sperans te nibil quod rationi consonum sit praetermissurûm. Vale. Monte - Regio, xvn ca-lendas junii l600.





J'ai envoyé à notre Saint-Père la lettre que vous m'avez écrite pour ce qui concerne les usures et les mariages. Il me donne tout pouvoir et toute autorité en cette affaire, ainsi que vous le verrez par les copies des lettres du cardinal Aldobrandin ci-jointes. Je vous donne le même pouvoir et la même autorité subdéléguée, espérant que vous n'omettrez rien de ce qui sera raisonnable. Adieu. Du Mont-Devis, le 15 mai 1600.






LETTRE XXXII. A MADAME LA DUCHESSE DE MERCOEUR.

158
Il défère à la prière qu'elle lui avait faite de faire imprimer l'Oraison funèbre du duc de Mcrcoeur, qu'il avait prononcée le 27 avril précédent, et la prie de permettre que cette pièce paraisse sous les auspices de la princesse sa fille.



Paris, Mai 1602.

Madame,

Vos premiers désirs ayant tenu lieu de commandements sur ma volonté, lorsque vous jetâtes les yeux sur ma petitesse pour le discours funèbre de feu M. le duc de Mercoeur, je dois recevoir avec le même respect les témoignages des seconds, souffrant, madame, que la pièce soit mise au jour et donnée au publie, puisque vous l'agréez.

Vous n'y verrez rien de moi, que les simples témoignages de ma bonne volonté et les seules marques de mon obéissance, en un sujet, au reste, où je n'ai pas eu moins de propension que de devoir. Ce qu'il y a de plus considérable, c'est le sommaire très-fidèle des rares et éminentes vertus dont Dieu avait orné la belle âme et assorti le riche naturel du prince décédé. De moi, je confesse n'y avoir contribué que de ma faible énonciation et ma voix, pour servir d'écho, dans l'étendue d'une petite heure, à la réputation de ce grand prince, qui parlait assez d'elle-même, et qui éclatera à jamais par les beaux exploits dont non-seulement la France et l'Allemagne, mais toute l'Europe, voire toute la chrétienté, ont été témoins.

Et si bien l'écrit que j'en donne semble avoir plus de subsistance et de durée, que ma voix n'en a eue en les prononçant, ce sera plus par la considération des vertus de ce prince que par le tissu et l'ordre que j'ai tâché d'y apporter en l'écrivant. Au reste, si mon affection et bonne volonté n'était garante de ma sincérité et obéissance, la plus belle partie, qui en a été omise, aurait raison de se plaindre : mais ayant entrepris seulement de faire un simple éloge et sommaire de ce qui était convenable au temps, au lieu et à l'assemblée, j'ai dû laisser à l'histoire, qui réserve des volumes entiers pour une si belle vie, de suppléer à mon défaut ; me contentant du nom et du devoir de panégyriste, dont j'ai tâché de m'acquitter.

Que si après cela on veut considérer ce qu'il y a du mien, rien sans doute que la sincérité de mes affections et respects, qui ne mourront jamais, pour la mémoire de ce prince, qui ne doit jamais mourir en celle de tous les bons, mais principalement en la vôtre, madame, qui trouvez avantageusement dans les vertus de ce grand prince et cher époux, défunt, comme aussi dans les vôtres qui lui étaient communes, de quoi vous consoler dans cette sensible privation ; quoique la plus solide, la véritable et la plus chrétienne consolation est celle que vous avez puisée dans la source, qui est la volonté de Dieu, qui seul en cette occasion a donné ce grand calme et cette absolue résignation qui parolt en votre esprit.

Ce n'est pas qu'après cela, s'il est permis (comme il est sans doute) de chercher quelque adoucissement au dehors, vous n'en ayez un très-grand dans le précieux gage que ce grand prince vous a laissé de votre mariage ; laquelle étant une image vivante du père, elle est aussi la légitime héritière de ses vertus, dont il a laissé le soin à votre conduite, madame, pour les cultiver par la noble et chrétienne éducation que vous lui réservez.

Si elle avait besoin hors de soi de quelque mémorial de celles du grand prince que le ciel lui avait donné pour père, je la prierais, sous votre aveu et bon plaisir, madame, d'agréer le sommaire que j'en ai dressé en cette pièce ; vous conjurant, puisque aussi bien vous désirez qu'elle voie le jour, que ce soit sous les auspices et à la faveur du nom de cette princesse, votre unique et très-chère fille. C'est la très-humble supplication que vous fait, madame, etc.



LETTRE XXXIII, AU CARDINAL DE JOYEUSE (1).

2107
(Par Mgr Granier)

(1 ) François, cardinal de Joyeuse, fils du maréchal de ce nom, moine en 1562, fut successivement archevêque de Narbonne, de Toulouse et de Rouen. Chargé des affaires les plus importantes et les plus épineuses, par les rois Henri III, Henri IV, et Louis XIII, il s'acquit tous les suffrages, par sa sagesse et sa capacité dans les affaires. Il mourut à Avignon, doyen des cardinaux, en 1613, à 55 ans, après s'être illustré par plusieurs fondations, d'un séminaire à Rouen, d'une maison pour les jésuites à Pontoise, et d'une autre à Dieppe, pour les pères de l'Oratoire.


Il engage le cardinal à s'employer auprès du roi Henri IV, pour empêcher que les Bernais ne se saisissent de nouveau des bailliages de Thonon, de Ternier, de Gaillard, et de Gex, comme ils avaient fait soixante-cinq ans auparavant, et que ces hérétiques n'y détruisent encore la religion.

Avant le 17 octobre 1602. Annecy: septembre-octobre 1600



Monseigneur,

Me sentant charge du soin du plus important évêché de tout ce voisinage, ce m'a été une incroyable consolation d'avoir su que vous étiez auprès de sa majesté : car je ne doute pas qu'en une saison si pleine de difficultés, il ne m'arrivât beaucoup d'occasions èsquelles cette pauvre et tant affligée Église que Dieu m'a confiée aurait une extrême nécessité d'aide et d'appui ; et n'en pouvais d'ailleurs souhaiter un meilleur, ni une assurance plus ferme et solide, que d'une telle colonne du très-saint siège apostolique que vous êtes. Je loue donc Dieu, qui nous a établi et préparé par-deçà une telle pierre de refuge (
Ps 104,18); et pour employer cette faveur, je vous supplie, monseigneur, d'avoir agréable que je lui présente les nécessités de cette Église. Dné de mes plus importantes, c'est que les Bernais tâchent par toutes voies d'avoir congé de sa majesté de se saisir des bailliages de Thonon et Ternier (1), qui sont de mon diocèse. Je me sens obligé en ma conscience de vous représenter la dommageable conséquence qui s'ensuivrait d'une telle saisie.

Il y a environ soixante cinq ans (2) que les Bernais se saisirent de ces mêmes bailliages et de celui de Gex, et ne les eurent pas plus tôt qu'à vive force ils y plantèrent l'hérésie de laquelle ces pauvres gens demeurèrent empestés jusqu'à ce qu'après, par la grâce de Dieu, y avoir prêché la foi catholique trois années, les peuples pour la plupart (qui reviennent à quatorze ou quinze mille âmes) ont été ramenés au giron de l'Église, sous l'expresse et formelle autorité du Saint-Siège apostolique ; de laquelle réduction monseigneur le cardinal de Médicis, pour lors légat à latere, a été non-seulement témoin, mais fut encore lui-même instrument, ayant conféré l'absolution à à un très-grand nombre de convertis ; de quoi ayant fait récit à sa sainteté, elle m'envoya un bref apostolique (1), afin que je reprisse, les revenus ecclésiastiques de ces bailliages, et, partout ou il me semblerait, je rétablisse les Églises, y constituant absolument des curés, pasteurs et prédicateurs, ce que j'étais sur le point de faire ; et cependant avais déjà, dés le passage de mon-dit seigneur légat, établi partout des pasteurs par provision. Depuis, sa sainteté y avait envoyé et entretenu, à ses propres dépens, une mission de religieux jésuites, pour, avancer toujours tant plus ce saint oeuvre, qu'elle jugeait si digne d'être favorisé, qu'elle avait même dressé une congrégation à Rome pour cet effet, de laquelle monseigneur le cardinal Aldobrandino, son neveu, était le chef, et avait fait protecteur particulier de l'oeuvre monseigneur le cardinal Baronio, avec dessein de dresser une université ; si, qu'il semblait que Dieu voulait particulièrement éclairer de son oeil de miséricorde cette province, après tant de ténèbres, lesquelles l'avaient obscurcie si longtemps. Or, monseigneur, puisque la providence de Dieu (sans laquelle rien ne se fait ici bas) ouvre aux armes du roi (2) le passage -et le chemin de ces bailliages, il me semble que je vous dois supplier très-justement et par les entrailles de Jésus-Christ, comme je fais, de prendre en singulière protection, auprès de sa majesté, la conservation de ces nouvelles plantes, lesquelles sont d'autant plus chères à l'Église -leur mère, à ceux qui les ont plantées, et à sa sainteté qui les à arrosées de tant de bienfaits, qu'elles sont encore tendres et exposées à beaucoup de vents. Entre les plus âpres et dangereux pour elles et pour tous les bons qui leur peuvent arriver, serait celui dont il court déjà certain bruit, venant à l'aventure de ceux qui sont ennemis de leur conscience, ennemis de foute l'Église très-sainte, pour le service de laquelle je supplie le grand père de famille de vous conserver longuement, et faire vivre saintement en toute prospérité, selon la volonté de celui qui m'en donne une d'être éternellement votre, etc.



(1) En 1600, vers le mois d'octobre, Henri IV s'empara de la Savoie, et les Genevois et Bernais lui offrirent des troupes pour prendre le Chablais et le Ternier.
(2) Cela arriva l'an 1556, à l'occasion d'une rupture entre Charles III, dit le Bon, et François 1", roi de France, lequel appuya les Genevois dans leur révolte, et secourut les Suisses et les Vallaisans, qui se jetèrent dans les états du duc.
(1) Ce bref était daté du 24 mars 1599.
(2) En 1600, le roi Henri IV devait arriver à Annecy le 5 octobre. L'évêque de Genève envoya son coadjuteur François au duc de Nemours et de Genevois, pour avoir des lettres de recommandation pour sa majesté, afin qu'elle ne permit point que les ministres hérétiques prêchassent en Chablais, ni y réussissent. François s'acquitta de sa commission avec succès. Le roi reçut ses articles, et lui dit : « Pour l'amour de Dieu et de notre saint père le pape, et à votre considération, qui avez si bien fait votre charge et devoir, rien ne sera innové en la province de Chablais contre ce qui a été fait pour la foi ; et je vous le promets au péril de mon sang. »




LETTRE XXXIV.

LE ROI HENRI IV, A S. FRANÇOIS DE SALES (l).

Il l'avertit d'envoyer au bailliage de Gex des ecclésiastiques irréprochables, et lui dit qu'il a donné ses ordres pour le rétablissement de la religion catholique.



De Fontainebleau, le 17 octobre 1602.

Très-cher et bien-aimé, ayant permis à nos sujets du bailliage de Gex le rétablissement de la religion catholique en l'étendue de celui-ci, aux lieux où il y aura nombre de catholiques, et ayant sur ce mandé notre volonté au sieur de Lux (2) pour la faire observer, nous avons voulu par même moyen vous faire entendre la résolution qu'avons prise sur ce ; afin qu'en ce qui dépend de votre charge, vous envoyiez audit bailliage le nombre de pasteurs et gens d'église que vous mandera ledit sieur de Lux, lesquels vous lui adresserez, après les avoir admonestés de leur devoir, tant pour leur vie, laquelle doit être exemplaire pour servir d'instruction, que pour se comporter dans toutes leurs actions sans aucun scandale, faire profession de paix et de charité, sans entrer en dispute et en querelle avec aucun : nous assurant que ne faudrez de leur donner cette instruction et leur commander de la suivre, comme nous voulons croire qu'ils feront, quand vous les aurez choisis capables de servir èsdites charges, ainsi que nous nous assurons que vous ferez avec la même religion,, intégrité et conscience qu'avez accoutumé de faire paraitre en toutes autres actions dépendantes de votre charge, dont nous vous prions d'affection, et notre-Seigneur, très-cher et bien aimé, vous avoir en sa garde.

Signe, Henri. Et plus bas, Poitier.



(1) Notre saint était alors évêque de Genève, parce que M. de Granier, son évêque, était mort depuis peu.

(2) Edmond de Malain, baron de Lux, était lieutenant de sa majesté en Bourgogne, et toute cette affaire devait lui être communiquée.,




LETTRE XXXV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A M. LE BARON DE LUX.

(Tirée du monast. de la Visitât, de la ville du Mans.) Il lui mande qu'il est disposé à commencer incessamment le grand ouvrage de la conversion du bailliage de Gex.



Après le 17 octobre 1602.

Puisqu'il vous a plu me dispenser d'aller en personne auprès de vous, pour vous donner l'avis que vous désirez avoir de moi avant que de vous acheminer à Gex, je vous dirai simplement, sur ce papier, que M. l'évêque se tient tout prêt avec la petite troupe pour arborer la croix et en publier les mystères partout où vous lui en marquerez les lieux et occasions : il attendra seulement l'assignation du jour que vous lui donnerez, pour vous rencontrer sur le chemin. Je prendrai le plus d'instructions que je pourrai des particularités requises pour ce tant signalé commencement d'une oeuvre de laquelle la gloire, étant toute en Dieu comme à sa source, doit néanmoins verser beaucoup d'honneur sur vous, qui êtes le- principal instrument duquel il s'est voulu servir. Je le prierai toute ma vie pour votre félicité, et confesserai que je dois être, comme je vous supplie de croire que je serai toujours, etc.





LETTRE XXXVI, AU ROI HENRI IV (Par Mgr Garnier).

2122
Il lui rend compte de ce qu'il a fait, en conséquence de ses ordres, dans le bailliage de Gex ; il lui témoigne quelque peine sur ce qu'on ne lui a accordé que trois endroits pour l'exercice de la religion; il le supplie de rendre sa bonne oeuvre complète.


Après le 17 octobre 1602. (décembre 1601)

Sire,

Sur le bon plaisir de votre majesté, qu'elle me déclara par sa lettre, j'ai été en son bailliage de Gex, et y ai établi des ecclésiastiques pour l'exercice de la sainte religion catholique, es lieux que M. le baron de Lux m'a assignés, qui ne sont que trois en nombre ; beaucoup moins à la vérité que je n'avais conçu en mon espérance, laquelle, portée de la grandeur de la piété qui reluit en la couronne de votre majesté, n'aspirait à rien moins qu'au tout. J'espère néanmoins encore ; et par la bonté du commencement que je vois, je suis toujours tant plus invité d'en désirer les progrès et complément, lequel aussi notre Saint-Père commande d'attendre de la justice, bonté, équité et zèle de votre majesté, comme je fais, plein d'assurance que cette main royale, qui ne sait laisser aucun de ses ouvrages imparfaits, ayant donné commencement au rétablissement de la sainte religion en ce petit coin de mon diocèse, qui a l'honneur d'être une pièce de votre royaume, ne lardera point d'y apporter la perfection que le Saint-Siège en attend, que son édit promet (1), et que je lui demande très-humblement avec la faveur de la grâce; suppliant notre Sauveur, pour la gloire duquel je représente cette requête, qu'il comble de bénédictions le sceptre très-chrétien qu'il a mis en la main de votre majesté, et qu'après le lui avoir maintenu longuement, il le fasse heureusement passer en celle de monseigneur le dauphin, pour l'appui de l'Église et religion catholique, qui est tout le bien qu'après l'éternelle félicité peut souhaiter pour votre majesté, sire, etc.

(I) Dans cet édit, qui est du 21 février 1599, et qui fut publié à Paris, le roi ordonne que la religion catholique sera rétablie dans tous les lieux du bailliage de Gex où elle fleurissait autrefois, avec tous ses droits et immunités d'ancienneté et de coutume en faveur des prêtres.




LETTRE XXXVII.

S. FRANÇOIS DE SALES, AU ROI HENRI IV.

Il le remercie d'avoir rétabli la foi catholique en, quelques lieux.

Après le 17 octobre 1602.

Sire,

Après avoir donné gloire à Dieu pour le nouveau rétablissement de l'exercice catholique en deux paroisses du bailliage de Gex, que M. le baron de Lux vient de faire, j'en rends grâces à la providence royale de votre majesté, de la piété de laquelle ces pauvres peuples ont reçu ce bien infini. Je dis infini, sire, parce qu'en effet il regarde le salut; non-seulement des âmes qui ont été maintenant favorisées de cet incomparable bonheur, mais de plusieurs autres, qui, excitées par l'exemple de celles-ci et par l'odeur de la sainte affection de votre majesté, minutent de très-humbles requêtes pour en obtenir, une pareille grâce. Quanta moi, sire, je contemple, en ces réparations de la sainte Église, des rares qualités qui font connaitre et reconnaître en votre majesté le sang et le coeur du grand S. Louis et de Charlemagne, l'un et l'autre des plus grands restaurateurs du service de Dieu, que les chrétiens aient jamais vus ; et puis (je dois ce témoignage à la vérité ), je vous dirai, sire, que celui que jusqu'à présent votre majesté a employé comme son instrument pour l'exécution de ses volontés en cet endroit, a un zèle qui ne peut rien oublier, et une prudence qui ne saurait jamais rien gâter, qui est tout ce qui se peut désirer en une si digne et si importante affaire. Je supplie incessamment Dieu qu'il vous fasse la grâce, sire, d'exalter de plus en plus sa dite majesté, afin que réciproquement il bénisse et prospère de plus en plus la vôtre royale, à laquelle, -faisant très-humblement la révérence, je demeure, sire, etc.





LETTRE XXXVIII, A SA SAINTETÉ LE PAPE CLÉMENT VIII.
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Avant le 22 novembre 1602 (éd Annecy: fin octobre 1602).

Dolet, ex loto agro Gaiano, tribus tantiim locis red-dita nostne fldei mysteria ; episcopi antecessoris sui laudes canit ; gratias habet quôd in ejus locum sit sutlectus.



Beatissime Pater.

Ineunte hoc ipso anno, ex episcopi, capituli et cleri hujus Gebennensis voluntate, discesseram apud christianissimum Francorum regem, tracta-turus de catholicàreligione restituendàin oppido et universo agro Gaiano : negotium quidem pium, quo nullum aîquius proponi poterat, et cui promovendo nullâ ex parte defuit apostolica sollici-tudo beatitudinis vestroe, cujus scilicet nuntius episcopus Camerinus, inagno zelo, magna prudentiâ vir, in hanc rem, tum cum rege ipso, tum etiam cum intimis ejus consiliariis, seriô, ssepè et sedulô egit, ut nihil ad spem optati finis desideraretur.

At vero (quoe est horum temporum injuria !) vix quidquam tandem, post multam tam sancti negotii jactationcm, consecuti sumus, proeterquàm quod tribus in locis nobis religionis catholicoe mysteria peragere liberum est, addito in id pro saeer-dotibus nostris annuo commeatu.

Quod autem ad caetera spectat, rcx ipsemetdu-ram temporum conditionem objecit ; tum se plus omnibus catholicae religionis in integram restitu-tionem expetere, sed non id omne sibi licere quod liberet, et id genus multa : ità ut, exactis plané mensibus novem, re propemodum infecta, redire coactus sim.

Mihi autem redeunti illud quàm molestissimè accidit, ut cpiscopnm nostrum Gebennensem unà cum jubilaeo Tunonensi diem suum extremum clausisse reperirem ; quà nulla major jactura huic provinciae, nulla major tristitioe causa iis populis accidere potuit. De hoc pontifice tibi, pontificûm maxime, pro tuà vigilantià satis cognito, hoc unum dicam.

Huic Ecclesia; viginti quin'que annis prafuit, et assiduâ proesentià etiam adfuit ; ac partim suà operà, partim aliéna, oves errantes ad viginti quirique millia in ovile Dominicum reduxit : vir antiquil religione, antiquis moribus, antiquà pie-tate, antiqiut eonstantià, digims plané immortalitate, et illà memoria quoe in omnium sit benedie-tione.

Jam verô, pater beatissime, hic tantus vir non ità pridem me, nullo carnis aut satiguinis viuculo sibi carum, in adjntorem et successorcm postu-laverat, ac etiam, per summam beatitudinis ves-troe humanitatem et beneficentiam, suo ingenti gaudio obtinuerat. Quarc litteras apostolicas ac-cepi, quibus me episcOpum in defuneti locum suf-feetum esse sancta sedes apostolica sancivit, quorum omnium seriem attentius considero..

Id omnium mihi reliquum est, ut providentia: divinae me et rein universam expansis velis com-niittam ; et tibi, pater beatissime et clementis-sime, quantas possum maximas gratias agam, ob illa immensa bénéficia quibus me apostolica tua munificentia cumulavit ; cum non tantiim episeo-patum concessisti, sed ea omnia qua; de more ad aerarium sive censum apostolicum ex eâ conces-sione manare debuerant, summâ et tanto culmine dignà liberalitate remisisti.

Cujus beneficii loco nihil quod rependam inve-nio, proeter gratam et propensissimam voluntatem meam, quam universam et integram beatitudinis vestrae imperio et nutui addieo, Deum omnium remuneratore'm obsecrans, ut eaindem beatitudi-nein vestram multâ et felicissimâ valetudine Ecclesioe sua quàm diutissimè servet incolumem. Ad sacros autem pedes humillimè provolutus, apostolicam benedictionem expecto, quô munus consecrationis, quod statim sum suscepturus, mihi et gregi sit uberius et laetius.



Il témoigne au saint-père sa douleur de ce que dans tout le bailliage de Gex il n'y a que trois endroits où l'on puisse exercer la religion catholique. Il fait l'éloge de l'évéque son prédécesseur, et rend grâces à sa sainteté de ce qu'elle l'a mis en sa place.



Très-saint Père,

Je m'étais rendu au commencement de cette année à la cour du roi très-chrétien (Henri IV), pour traiter, au nom de l'évêque, du chapitre et du clergé de Genève, du rétablissement de la foi catholique dans le bailliage de Gex. Il ne se pouvait rien proposer de plus juste ni de plus important : aussi votre sainteté n'a rien épargné de ses soins et de sa sollicitude pastorale pour faire réussir cette négociation ; et le révérendissime évêque Camcrin, son nonce apostolique en la cour de France, personnage d'une rare prudence et plein de zèle, s'y est employé de tout son coeur. Ce prélat a eu sur cette affaire de fréquentes et de sérieuses conférences tant avec le roi même qu'avec les ministres de sa majesté ; et sa diligence a été telle qu'il ne restait rien à désirer pour l'heureux succès de l'entreprise.

Mais, ô misère de notre temps ! après bien des travaux et des difficultés, à peine avons-nous pu gagner qu'il nous fût libre d'exercer le saint ministère de notre religion en trois endroits, et qu'il fût assigné à cet effet à-nos prêtres un revenu annuel. Au reste, sa majesté, nous ayant représenté la dureté des temps, assura qu'elle était aussi jalouse qu'on le pouvait être du progrès de l'Évangile, et qu'elle voudrait de tout son coeur que la religion catholique fût solidement établie et pleinement exercée par toute la terre, mais que tout ce qu'elle voulait ne lui était pas possible; à quoi le roi ajouta plusieurs semblables choses. Eu sorte que-neuf mois entiers s'étant écoulés, j'ai été contraint de m'en retourner sans avoir presque rien avancé. M'étant mis en chemin, j'appris, à mon grand regret, que notre révérendissime évêque avait terminé sa sainte vie dans le temps même du jubilé de Thonon. Cette province ne pouvait faire une perte plus considérable, ni recevoir un plus grand et un plus juste sujet de tristesse. Je ne puis m'empêcher de faire en deux mots l'éloge de cet illustre défunt, quoique rien de ce qui concerne les prélats, et en particulier celui-ci, ne puisse échapper à la reconnaissance d'un souverain pontife aussi vigilant que vous l'êtes.

Il est de notoriété publique que dans l'espace de vingt-cinq ans que ce saint homme a gouverné cette Église, qu'il l'a consolée par sa présence-et édifiée par son assiduité, il a ramené au bercail du Seigneur vingt-cinq mille brebis errantes, soit par son propre zèle et un travail infatigable, soit, par le zèle de ses ouvriers évangéliques. Sa religion fut toujours pure, ses moeurs simples et irrépréhensibles, sa piété mâle et sincère, et sa constance inébranlable ; enfin, il retraçait en toute sa conduite l'image de ces vénérables évoques de la primitive Église : en sorte que, sans parler de, l'immortalité glorieuse, il mérite encore de vivre, et d'être en bénédiction de tous les siècles postérieurs (cf
Si 45,1).

Ce grand homme, peu de temps avant sa mort, m'avait demandé pour son coadjuteur et successeur dans l'épiscopat, quoique je ne lui touchasse aucunement par les liens du sang et de la parenté; et il m'avait obtenu, à sa très-grande satisfaction, de la bonté de votre sainteté. J'ai donc reçu les bulles du Saint-Siège, et depuis ce temps-là je ne cesse de considérer attentivement devant Dieu l'enchaînement et la suite de ces événements.

Il ne me reste plus rien à faire que d'aller me jeter avec une pleine confiance entre les bras de la divine providence, et de lui abandonner le soin de cette affaire, et de tout ce nui me regarde.

Après cela il ne faut pas que j'oublie de rendre mes très-humbles actions de grâce à votre sainteté, qui, non contente de me pourvoir de l'évêché de Genève, a voulu aussi, par une libéralité magnifique et digne de l'éminente dignité qu'elle occupe, me remettre les droits d'annates.

Si ma bonne volonté, jointe à une parfaite reconnaissance, peut entrer en compensation d'un si grand bienfait, je la soumets tout entière et sans restriction à votre sainteté, toujours prêt à obéir au moindre signe de la sienne ; mais, comme je ne trouve pas que cela suffise encore, je supplie de tout mon coeur l'infinie bonté de Dieu, le grand rémunérateur, de vous conserver long-temps heureux et dans une sainteté inaltérable, pour le bonheur de son Église. Enfin, prosterné humblement aux pieds sacrés de votre sainteté, j'attends votre bénédiction apostolique, afin que la consécration que je dois recevoir bientôt soit plus profitable pour moi, et plus consolante pour mon troupeau. J'ai l'honneur d'être avec le plus profond respect,

Très-saint père,

De votre sainteté,

Le très-humble, etc.



F. de Sales, Lettres 2102