F. de Sales, Lettres 935
Deo optimo maximo, Jesu Christo, sanctissimae Matri Virgini MARLE visitandi.
Carolo Emmanuele Sabaudioe, Henrico Geben-nensii ducibus, anno millesimo sexcenlesimo de-cimo-quarlo, decimâ-oclavâ septembres, Marga-ride infante Sabaudioe, viduâ ducis Màntuce, protectrice, Francisco episcopo, congrégations sororum oblatarum Visilalioni devolioni sacrum.
A Dieu très-bon et très-grand, à Jésus-Christ, et à sa très-sainte Mère, sous le litre de sa Visitation.
Du règne de Charles-Emmanuel, duc de Savoie, Henri de Savoie étant duc de Nemours et de Genevois, l'an mil six cent quatorze, le dix-huitième jour du mois de septembre, sous la protection de Marguerite, infante de Savoie, veuve du duc de Mantoue, et sous l'épiscopat de monseigneur François, présent et officiant à cette cérémonie, a été jetée et bénie celte première pierre, monument consacré à la dévotion de. la congrégation des soeurs oblales de la Visitation.
1006
(Tirée de l'abbaye de Saint-Denis près Paris.)
Il le prie de s'entremettre dans l'échange projeté par notre Saint, d'un terrain qui appartenait aux dominicains d'Annecy, en faveur des religieuses de la Visitation.
Vers le 18 septembre, ou début octobre 1614.
Monsieur, l'extrême nécessité que la Visitation a d'une partie du jardin de Saint-Dominique, sur lequel le bâtiment nouveau regardera, fait que plusieurs gens d'honneur ont pensé de proposer (pue les pères de Saint-Dominique prissent une partie d'un jardin du collège sur lequel ils regardent, et moyennant une récompense que l'on donnerait au collège, que les dames de la Visitation iburniraient, et qu'en cette sorte les pères de Saint-Dominique lâcheraient la partie requise de leur jardin en faveur de la Visitation, dont deux maisons, Saint-Dominique et la Visitation, demeureraient infiniment accommodées, et le collège nullement incommodé.
Or j'en parlai l'autre jour à Monsieur (1), qui trouva bon de le recommander aux administrateurs du collège, par l'entremise de M. du Fresne. Biais maintenant que les pères barnabites sont remis, cela dépendra aussi d'eux : c'est pourquoi, s'il plaisait à Monsieur de leur témoigner qu'il désire ce commun accommodement, il y a de l'apparence que la chose réussirait, pourvu que le témoignage de son désir fût un peu bien exprimé; ce que sa grandeur fera facilement, puisqu'elle peut prier lesdits barnabites de voir avec messieurs de son conseil si cela se pourra bonnement faire, et que s'il se peut sans grande incommodité, il désire fort affectueusement que cela se fasse, et qu'il les en prie
Il reste que je vous supplie d'en parler à Monsieur, et que je serai présentement sans attendre davantage que les pères barbabites montent si haut, pour parler à sa grandeur; et il sera à propos qu'elle fasse ce bon office en cette occasion. Je serois allé moi-même l'en supplier, mais je n'ai pas cru que cela fût bien, puisque je me fusse rendu soupçonné ; et peut-être devrois-je en venir en cette bonne affaire comme médiateur avec messieurs du conseil. Excusez-moi; j'espère cette confiance. Monsieur, c'est en qualité de votre, etc.
(l) Le duc de Nemours et de Genevois.
1011
Il l'exhorte à l'humilité : cette vertu est le véritable esprit de l'ordre de la Visitation. Cet ordre est établi pour la plus grande gloire de Dieu, et doit respecter les autres instituts.
15 octobre 1614.
... 1. Si la Providence divine vous emploie, ma très-chère fille, vous devez vous humilier grandement et vous réjouir, mais en cette bonté souveraine, laquelle, comme vous savez, vous a fait assez connaitre qu'elle vous voulait vile et abjecte à vos propres yeux, par les consolations qu'elle vous a données es essais que vous avez faits de vous avilir et abaisser. Non, certes, ma chère fille, je ne serai point en peine de votre conduite, si vous marchez sur ce chemin-là ; car Dieu sera votre guide, et puis vous ne manquerez pas de personnes qui vous donneront conseil pour cela, selon votre désir. J'écris au père Grangier, que je vous prie encore de saluer fort affectionnément de ma part, et l'assurer de mon humble service pour lui.
Vous faites extrêmement bien de témoigner une très-absolue indifférence ; car aussi est-ce le vrai esprit de notre pauvre Visitation, de se tenir fort abjecte et petite, et de ne rien s'estimer, sinon en tant qu'il plaira à Dieu de voir son abjection : et partant, que toutes les autres formes de vivre en Dieu lui soient en estime et honneur ; et, comme je vous ai dit', qu'elle se tienne entre les congrégations comme la violette entre les fleurs, basse, petite, de couleur moins éclatante ; et lui suffise que Dieu l'a créée pour son service, et afin qu'elle donnât un peu de bonne odeur en l'Église : si que tout ce qui est le plus à la gloire de Dieu doit être suivi, aimé et poursuivi. C'est la règle de tous les vrais serviteurs du ciel.
2. C'est sans doute la grande gloire de Dieu qu'il y ait une congrégation de la Visitation au monde; car elle est utile à quelques particuliers effets qui lui sont propres : c'est pourquoi, ma très-chère fille, nous la devons aimer. Mais s'il se trouve des personnes plus relevées, qui aient aussi des prétentions plus grandes, nous devons les servir et révérer très-cordialement quand l'occasion s'en présentera. J'attendrai donc de vos nouvelles plus particulières sur le service que vous pourrez rendre à cette nouvelle plante, laquelle, si Dieu veut être une plante de la Visitation, et une seconde Visitation, sa bonté en soit à jamais glorifiée.
3. Je suis bien aise que vous logiez aux Ursulines : c'est une des congrégations que mon esprit aime. Resaluez-les de ma part, et les assurez de mon affection à leur service en tout ce que je pourrai, qui ne sera pourtant jamais rien, à cause de ce que je suis
Tenez bon, ma très-chère fille, dans l'enclos de nos sacrées résolutions : elles garderont votre coeur, si votre coeur les garde avec l'humilité, la simplicité, la confiance en Dieu.
1018
(1) Henri de Savoie, duc de Nemours, de Genevois, de Chartres et d'Aumale, marquis de Saint-Sor-lin et de Saint-Rambert, comte de Gisors, etc., chevalier de l'Annonciade. Il descendait de Philippe de Savoie, duc de Nemours, troisième fils de Philippe, duc de Savoie, surnommé Sans-terre, et de Claudine de Brosse, sa seconde femme.
(Tirée du second monastère de la Visitation de la ville de Rouen.)
Il le conjure, par les raisons les plus pressantes, de ne pas s'éloigner longtemps de la Savoie, qui avait besoin de son secours dans une guerre dont elle était affligée.
Annecy, 6 novembre 1614.
1. Monseigneur, les témoignages de la bienveillance en mon endroit qu'il plaît à votre grandeur de me donner à son départ de cette ville (1) ; la piété qu'elle pratiqua, demandant la bénédiction céleste à cet indigne pasteur ; la naturelle inclination fortifiée de plusieurs obligations que mon âme a toujours saintement nourries envers votre bonté, monseigneur, tout cela, et plusieurs autres considérations que ma fidélité me suggérait, me toucha vivement au coeur, et ne sut m'empêcher d'en rendre des signes à ceux que je rencontrai sur-le-champ après avoir perdu de vue votre grandeur.
Cette touche, avec quelque sorte d'espérance que votre grandeur me commanda de conserver de son prochain retour, m'ont fait penser plus d'une fois aux saisons qu'elle avait de revenir, pour agrandir ce reste de consolation qu'elle m'avait laissé, me signifiant que la privation de sa présence ne serait pas de si longue durée, ains beaucoup plus courte que notre déplaisir ne nous faisait imaginer.
Et j'ai trouvé, monseigneur, que c'était le vrai service de votre grandeur qui requérait votre retour, et non-seulement le général désir de tous vos très-humbles sujets, qui prendraient sa présence à soulagement après beaucoup de peines qu'ils ont souffertes.
2. En vérité, monseigneur, vous ne recevrez jamais des affections si fidèles en lieu du monde, comme vous ferez ici, où elles naissent avec les hommes, vivent avec eux, croissent sans bornes ni limites quant et eux envers la maison sérénissime de Savoie, de laquelle les princes se peuvent vanter d'être les plus respectueusement aimés et amoureusement respectés de tout le monde par leurs peuples ; bénédiction en laquelle votre grandeur a la part qu'elle a pu voir et remarquer en toutes occurrences.
Ici votre grandeur a sa maison paternelle, et sans comparaison beaucoup mieux accompagnée des commodités requises à son séjour que pas une des autres, puisqu'elle y peut fournir sans les autres, et pas une des autres sans-celle-ci.
Que si j'osois dire mes pensées sur les autres sujets que votre grandeur aurait de revenir, je lui marquerais le désir ardent que son altesse sérénissime a eu qu'elle demeurât, auquel votre grandeur correspondant par son retour, c'est sans doute qu'elle l'obligerait non-seulement à persévérer en l'amour plus que fraternel qu'elle a toujours protesté envers icelle, mais elle en accroîtrait extrêmement les causes, et par conséquent les effets.
Je lui marquerais encore qu'en cas que la guerre que son altesse sérénissime a sur les bras se rendît plus active, et qu'elle passât jusqu'à quelque ardeur, ce que Dieu ne veuille, votre grandeur, comme je pense, ne pourrait alors retenir son courage, qu'il ne la rapportât à la défense de ce sang, de cette maison, de cette couronne, de cet état dont elle est, et en quoi elle a tant de part et tant d'intérêt, et où manifestement votre réputation, monseigneur, presserait votre courage, si votre courage grand et bien nourri ne prévenait toute autre considération, voire même celle de la réputation.
3. Et donc votre grandeur ne serait-elle pas infiniment marrie de se trouver tant éloignée de son altesse et de ses états ? Elle a voirement commandé que le sieur de La Grange fit passer ses troupes delà les monts, qui est un bon témoignage de la persévérance de votre grandeur au devoir qu'elle a envers sa dite altesse. Mais d'en éloigner sa personne, tandis que la fièvre de la guerre est en ses états, et qu'on ne sait si Dieu permettra que nous y voyons arriver des accès périlleux, je ne sais, monseigneur, ce que l'on en pourra juger au préjudice de l'affection que je sais bien néanmoins être immuable dans votre coeur.
Je dirais encore qu'étant ici pendant que cette guerre durera, quoique votre grandeur ne fût pas dans l'armée, l'ennemi aurait toujours opinion, ou qu'elle irait en temps de nécessité, ou qu'elle préparerait de nouvelles forces pour assister son altesse ; et ces pensées ne pourraient être que fort utiles aux affaires d'icelle. Que si votre grandeur se retire plus loin en un temps d'orages, certes, cela ressentira un abandonnement absolu du pilote et de la barque, à la conservation de laquelle toute raison humaine et divine oblige votre grandeur, et laissera un certain sujet de plainte à tout cet arbre dont vous, monseigneur, êtes une branche à laquelle je ne sais ce que l'on pourra répondre.
Je proteste, monseigneur, que je n'en pensois pas tant dire ; mais, écrivant, la chaleur de ma fidélité envers votre grandeur m'a emporté au-delà des limites que je m'étais proposées. Car enfin je suis pressé de la crainte que le souvenir de cet abandonnement de son altesse en un tel temps ne soit pour durer longuement et pour servir de motif à quelque réciproque séparation, qui ne pourra jamais être avantageuse, et pourra en cent occasions être désavantageuse à votre grandeur : au moins ne manquera-t-il pas d'esprits qui la conseilleront, et peut-être avec tant de couleurs et d'artifices, qu'ils la rendront probable.
Si la fidélité de ce porteur, mais surtout la bonté de votre grandeur, ne me donnait assurance, je n'aurais garde d'envoyer une lettre écrite avec cette liberté ; mais je sais d'un côté qu'elle ne sera point égarée, et d'ailleurs qu'elle ne sera lue que par des yeux doux et bénins envers moi, qui aussi l'écris ainsi, Dieu tout puissant me soit en aide, sans en avoir communiqué le dessein qu'à deux des très-humbles et fidèles serviteurs, sujets et vassaux de votre grandeur : comme aussi, si j'étais si heureux que d'être exaucé, je n'en voudrais recevoir autre fruit que celui du mutuel contentement de son altesse et de votre grandeur, et de la commune joie de ses peuples et de tous ses vrais serviteurs. Je prie Dieu de tout mon coeur qu'il remplisse celui de votre grandeur de ses grâces, et suis sans fin, monseigneur, votre, etc.
Oserai-je, monseigneur, supplier votre grandeur de recevoir cette lettre comme en confession ; et, si elle ne lui est pas agréable, de la punir par son exterminement, en conservant néanmoins son auteur à cause de l'innocence et bonne foi avec laquelle il l'a écrite, en qualité d'invariable, très-obéissant serviteur de votre grandeur.
(1) D'Annecy.
l'on ne doit pas se retenir de parler de Dieu dans les occasions où cela peut être utile : il ne faut point avoir à cet égard de respect humain. Ce n'est pas être hypocrite de ne pas faire aussi bien que l'on parle. Autres conseils à l'usage d'une personne du monde.
Décembre 1611.
Je réponds à votre lettre XIV, ma très-chère fille.
1° Dites à cette chère B. Marie, qui m'aime tant, et que j'aime encore plus, qu'elle parle librement de Dieu partout où elle pensera que cela soit utile, renonçant de bon coeur à tout ce que ceux qui l'écoutent peuvent penser ou dire d'elle. En un mot, je lui ai déjà dit qu'il ne faut rien faire ou rien dire pour en être loué, ni laisser aussi de rien faire ou rien dire crainte d'être loué. Et ce n'est pas être hypocrite, de ne faire pas si bien que l'on parle : car, Seigneur Dieu ! à quoi en serions-nous? il faudrait donc que je me tusse, de peur d'être hypocrite puisque si je parlois de la perfection, il s'en suivrait que je penserais être parfait! Non certes', ma chère fille, je ne pense pas être parfait, parlant de la perfection, non plus que je ne pense pas être Italien, parlant italien : mais je pense savoir le langage de la perfection, l'ayant appris de ceux avec qui j'ai conversé, qui le parlaient.
2° Dites-lui qu'elle poudre ses cheveux, puisque son intention est droite ; car les cogitations qui viennent sur cela ne sont nullement considérables. Il ne faut pas entortiller votre esprit parmi ces toiles d'araignées. Les cheveux de l'esprit de cette fille sont encore plus déliés que ceux de sa tête, et c'est pourquoi elle s'embarrasse. Il ne faut pas être si pointilleuse, ni s'amuser à tant de répliques auxquelles notre Seigneur n'a point d'égard. Dites-lui donc qu'elle marche à la bonne foi, par le milieu des belles vertus de la simplicité et humilité, et non par les extrémités de tant de subtilités de discours et de considérations. Qu'elle poudre hardiment sa tête ; car les faisans gentils poudrent bien leurs pennages, de peur que les poux ne s'y engendrent.
5° Qu'elle ne perde pas le sermon ou quelque bonne oeuvre, faute de dire : Hâtez-vous ; mais qu'elle le dise doucement et tranquillement. Si elle est à table, et que le saint-sacrement passe, qu'elle l'accompagne en esprit, s'il y a d'autres gens à table, avec elle ; s'il n'y a personne, qu'elle l'accompagne, si sans s'empresser elle peut y être assez tôt; et puis qu'elle retourne doucement prendre sa réfection ; car notre Seigneur ne voulait pas même que Marthe le servit avec empressement.
4° Je lui ai dit qu'elle pouvait parler fortement et résolument es occasions où il est requis, pour retenir en devoir la personne qu'elle sait ; mais que la force était plus forte quand elle était tranquille, et qu'on la faisait naître de la raison, sans mélange de passion.
5° La société des douze ne saurait être mauvaise car l'exercice duquel elle se sert est bon ; mais il faut que cette B. M. qui ne veut point de peut-être, souffre celui-ci,-que peut-être cette société est véritable ; car, n'étant nullement témoignée par aucun prélat, ni-aucune personne digne de foi, nous ne saurions être assurés qu'elle ait été instituée; le livret qui le dit n'alléguant ni auteur ni témoin qui en assure. Ce qui ne peut nuire et peut profiter est néanmoins bon.
6° Qu'elle marche en l'oraison, ou par points, comme nous avons dit, ou selon son accoutumée ; il importe peu : ains nous nous souvenons bien que nous lui dîmes que seulement elle préparât les points, et s'essayât au commencement de l'oraison de les savourer ; et si elle savoure, c'est signe que Dieu veut qu'elle suive cette méthode,-au moins alors. Que si néanmoins la douce présence accoutumée l'occupait par après, elle s'y laissât aller, et aux colloques aussi qu'elle fait par Dieu même, qui sont bons en la sorte qu'elle me les représente en votre lettre :'mais pourtant il faut aussi quelquefois parler à ce grand tout, comme voulant que notre rien fasse quelque chose. Or, puisque vous lisez nos livres, je n'ajouterai rien, sinon que vous alliez simplement, rondement, franchement et avec la naïveté des enfants, tantôt entre les bras du Père céleste, tantôt tenue par la main.
7° Quant à madame de N., s'il y a apparence qu'on puisse ériger une maison par-delà, il la faut faire venir ici, car il y aura plus de facilité de la renvoyer; si moins, je suis d'avis qu'elle suive sa première visée. Mais au premier cas je vous laisserai ménager l'affaire pour Lyon, non pas envers ma soeur Favre, qui sera toujours contente de ce que nous ferons, étant si grandement notre fille et soeur, comme elle l'est; mais ailleurs allons comme vous savez.
Or de ceci faites-en la réponse à M. de Boqueron, s'il vous plaît, en cas que je ne puisse pas lui écrire ; car je suis fort pressé, certes, et par conséquent ne saurais écrire à M. de Saint-André pour ce coup. Si vous lui faites voir la copie de ce que j'écrivais à madame de Vissilieu, cela suffirait pour un temps.
Je suis aise que mes livres ont trouvé de l'accès en votre esprit, qui était si brave que de croire qu'il se suffisait à soi-même : mais ce sont les livres du père et du coeur duquel vous êtes la chère fille puisqu'ainsi il a plu à Dieu, auquel soit à jamais honneur et gloire.
1039
(Tirée de la vie de la mère de Blonay, par Ch. Aug. de Sales.)
Il lui donne avis du choix qu'on a fait de la mère de Blonay sa fille, pour servir avec madame de Chantal à la fondation de la seconde maison de l'ordre à Lyon, et il le prie de donner son consentement à l'éloignement de sa fille, pour le bien de la chose.
Annecy, 2 janvier 1615.
Monseigneur mon très-cher frère, Dieu nous visite en sa douceur, et veut que la Visitation soit invitée par notre très-bon monseigneur de Lyon, de l'aller visiter dans son diocèse, pour y établir une maison de Notre-Dame comme la nôtre d'Annecy. Or, d'autant que l'entreprise est grande, et que c'est la première saillie ou production de notre maison (que je désire qu'il ne produise que rien de bon), nous voulons y envoyer la crème de notre congrégation.
Et parce que notre très-chère fille Marie-Aimée est un des plus précieux sujets, je désire de la poser aux fondements de ce nouvel édifice. J'espère que votre piété, mon cher frère, vous fera volontiers acquiescer à l'éloignement de cette chère fille, puisqu'il est requis à la gloire de Dieu; et encore ( pour parler un peu humainement à un père qui aime bien son enfant) cette mission est glorieuse à notre fille, à laquelle je ne me hâte point de demander si elle voudra aller me tenant assuré de son obéissance, comme je suis assuré de votre résignation, et que vous le devez être de l'affection fraternelle de votre, etc.
1043
Il lui souhaite mille bénédictions, et l'encourage à surmonter toutes difficultés qui pourraient se rencontrer dans son entreprise; enûn il lui promet l'assistance de ses prières.
Annecy, 26 janvier 1615.
(...)
1044 Or sus, ma très-chère fille, puisque Dieu est l'unité de notre coeur, qui nous en séparera jamais? Non, ni la mort, ni la vie, ni les choses présentes, ni les futures, ne nous sépareront jamais, ni ne diviseront notre unité. Allons donc, ma très-chère fille, avec un seul coeur, où Dieu nous appelle : car la diversité des chemins ne rend rien de divers en nous, puisque c'est à un seul objet et pour un seul sujet que nous allons. O Dieu de mon coeur! tenez ma très-chère fille de votre main : que son ange soit toujours à sa dextre pour la protéger ; que la sainte Vierge Notre-Dame la récrée toujours de l'aspect de ses yeux débonnaires.
1045 Ma très-chère fille, la providence céleste vous assistera : invoquez-la avec confiance en toutes les difficultés, desquelles vous vous trouverez environnée. A mesure qne vous allez outre, ma très-chère mère, ma fille, vous devez prendre courage, et vous réjouir de quoi vous contentez notre Seigneur, le contentement seul duquel contente tout le paradis. Pour moi, je suis là ou vous êtes vous-même, puisque la divine majesté l'a ainsi voulu éternellement. Allons donc, ma chère fille, allons suavement et joyeusement faire l'oeuvre que notre maître nous a marquée.
1046 Eh! ma très-chère mère, ma fille, il me vient en mémoire que le grand S. Ignace, qui portait Jésus-Christ en son coeur, allait joyeusement servir de pâture aux lions, et souffrir le martyre de leurs dents : et voilà que vous allez, et nous allons, s'il plait à ce grand Sauveur, à Lyon, pour y faire plusieurs services à notre Seigneur, et lui préparer plusieurs âmes, desquelles il se rendra l'époux : pourquoi n'irions-nous joyeusement au nom de notre Sauveur, puisque ce saint alla si allègrement au martyre de notre Sauveur ?
Que bienheureux sont les esprits qui marchent selon la volonté de ce divin esprit et le cherchent de tout leur coeur (Ps 119,1-2), laissant tout, et le père (d) même qu'il leur a donné, pour suivre sa divine majesté.
(1) On sait que madame de Chantal abandonna son père et sa famille pour aller fonder son ordre à Annecy, et que ses compagnes suivirent son exemple. Rien n'empêche encore qu'on n'attribue ce même terme à S. François de Sales, qui était le père spirituel de cette sainte troupe, et qu'on ne dise qu'il parle ainsi pour la consoler de son absence, qui ne laissait pas de lui être sensible, quoiqu'elle ne dût pas être continuelle.
1047 Allez, ma très-chère mère, ma fille ; vos anges de deçà tiennent les yeux sur vous et sur votre petite troupe, et ne vous peuvent abandonner, puisque vous n'abandonnez point le lieu de leur protection, ni les personnes de leur garde, que pour n'abandonner pas la volonté de celui pour la volonté duquel ils s'estiment heureux d'abandonner maintes fois le ciel. Les anges de delà, qui vous attendent, enverront à votre rencontre leurs bénédictions, et i'ous regardent allant vers leurs lieux avec amour, puisque c'est pour coopérer à leur saint ministère.
Tenez votre coeur en courage ; car, puisque votre coeur est à Dieu, Dieu sera votre courage. Allez donc, ma fille, allez avec mille et mille bénédictions que votre père vous donne; et sachez que jamais il ne manquera de répandre, par toutes les inspirations que son âme fera, des combles de souhaits sacrés sur la vôtre. Ce sera son premier exercice au réveil du matin, le dernier au coucher du soir, et le principal à la sainte messe. Vive Jésus et Marie! Amen.
S. FItANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.
Les difficultés sont les marques de la bonté des entreprises, et les contradictions sont inséparables du service de Dieu. Les aversions sont les tentations des personnes spirituelles, et il en arrive ordinairement dans les bonnes oeuvres qui dépendent du concours de plusieurs personnes. Il faut alors se supporter mutuellement, et mettre sa confiance en Dieu. ;
Fin de janvier 1615.
Je n'ai reçu aucune de vos lettres, ma très-chère fille, depuis votre départ: cela, je vous prie, que veut-il dire? Or, je sais bien néanmoins que votre charité est invariable; mais j'apprends par les lettres venues de Lyon, que vous êtes malade, et un peu même étonnée de n'avoir point trouvé les choses en si bons termes comme notre désir me le faisait imaginer. Voilà, ma très-chère fille, des vrais signes de la bonté de l'oeuvre : l'accès y est toujours difficile, le progrès un peu moins, et la fin bienheureuse.
Ne perdez point courage ; car Dieu ne perdra jamais le soin de votre coeur et de votre troupe, tandis que vous vous confierez en lui. La porte des consolations est malaisée, la suite sert de récompense. Ne vous dégoûtez point, ma chère fille, et ne laissez point affaiblir votre esprit entre les contradictions. Quand fut-ce que le service de Dieu en fût exempt, surtout en sa naissance ?
Mais il faut que je vous dise naïvement ce que je crains plus que tout en cette occurrence : c'est la tentation des aversions et répugnances entre vous et notre N. ; car c'est la tentation qui arrive ordinairement es affaires qui dépendent de la correspondance de deux personnes ; c'est la tentation des anges terrestres, puisqu'elle est arrivée entre les plus grands saints, et c'est notre imbécillité de tous tant que nous sommes enfants d'Adam, qui nous ruine, si la charité ne nous en délivre.
Quand je vois deux apôtres (Ac 15,55) se séparer l'un de l'autre, pour n'être pas d'accord au choix d'un troisième compagnon, je trouve bien supportables ces petites répugnances, pourvu qu'elles ne gâtent rien, comme cette séparation-là qui ne troubla point la mission apostolique. Si quelque chose de tel arrivait entre vous deux qui êtes filles, cela ne serait pas étrange, pourvu qu'il ne durât pas. Mais néanmoins, ma très-chère fille, rehaussez votre esprit, et croyez que votre action est de grande conséquence : souffrez, ne dépitez point, adoucissez tout: regardez que c'est la besogne de Dieu à laquelle cette dame s'emploie selon son sentiment, et vous selon le vôtre, et que toutes les deux vous devez vous entre-porter et entre-supporter pour l'amour du Sauveur : deux ou trois années se passent bientôt, et l'éternité demeure.
Votre maladie corporelle sert de surcharge ; mais l'assistance promise aux affligés vous doit grandement fortifier. En somme, gardez-vous bien des découragements. Croyez-moi, il faut semer en travail, en perplexité, en angoisse, pour recueillir en joie, en consolation, en bonheur; et la sainte confiance en Dieu adoucit tout, impètre tout, et établit tout. Je suis tout vôtre, certes, ma très-chère fille, et je ne cesse point de prier Dieu qu'il vous fasse sainte, forte, constante et parfaite en son service.
Je salue très-cordialement nos chères soeurs, et les conjure de prier Dieu pour mon âme, inséparable de la vôtre et des leurs en la dilection qui est selon Jésus notre Sauveur.
Le saint souhaite à toute la communauté de Lyon bien des bénédictions, encourage ses chères filles, augure très-bien de leur fondation, et promet de les aller voir la semaine suivante.
1 février 1615.
Que j'ai d'envie, ma très-chère mère, de savoir votre abord, et quel commencement Dieu aura donné au service pour lequel il vous a appelée ! Tout ira bien, je m'en assure, et la très-sainte "Vierge Notre-Dame tiendra votre cierge allumé, afin que vous éclairiez à ces bonnes âmes, qu'elle a marquées de sa bonté pour être ses servantes. Je l'en supplie continuellement, étant perpétuellement à Lyon, non-seulement avec vous, mais aussi en votre petite maison, où je suis présent, ce me semble, en esprit, et à tout ce petit ménage spirituel que Dieu fait naître.
Il faut croire que la divine providence, qui m'a dédié à notre chère congrégation, me donne quelques particuliers mouvements pour elle. Je me contente bien de toute cette chère troupe ici, que j'irai entretenir en commun l'un des jours de la semaine prochaine. Oh ! que Dieu est admirable, ma très-chère mère. et que nous sommes bienheureux d'avoir un grand désir de le servir! Je vous salue mille et mille fois, la plus aimée mère qui soit au monde, et ne cesse point de répandre des souhaits sacrés sur votre personne et sur votre troupe. Hé !. Seigneur bénissez de votre sainte main le coeur de ma très-aimable mère, afin qu'il soit béni en la plénitude de votre suavité, et qu'il soit comme une source féconde qui vous produise plusieurs coeurs qui soient de votre famille et de votre génération sacrée.
Bénissez ma première chère fille Marie-Jacqueline (Favre), afin qu'elle soit le commencement permanent de la joie du père et de la mère que vous lui avez donnés. La chère fille Perronne-Marie [de Chatel) soit un accroissement continuel de consolation en la congrégation en laquelle vous l'avez plantée, pour y fleurir et fructifier longuement. La chère fille Marie-Aimée (de Blo-nay) soit aimée des anges et des hommes pour provoquer plusieurs âmes à l'amour de votre divine majesté ; et bénissez le coeur de ma chère fille Marie-Elisabeth, afin que ce soit un coeur de bénédiction immortelle.
Ma très-chère mère, que bénédiction sur bénédiction, et jusque au comble de toute bénédiction, soit ajoutée à votre coeur! Que vous puissiez voir votre fille aînée toujours recommençante par de nouvelles ardeurs, la seconde toujours croissante en vertu, la troisième toujours aimante, la dernière toujours bénite, afin que la bénédiction du saint amour croisse et recommence à jamais en votre petite assemblée ! et surtout que le coeur de ma très-chère mère, comme le mien propre, soit à jamais tout détrempé au très-saint amour de Jésus ! qui vive et règne es siècles des siècles ! Amen. Dieu soit béni !
Je salue de tout mon coeur nos soeurs de delà, et leur souhaite un coeur doux, maniable, aimable ; c'est-à-dire, qu'elles aient un coeur d'enfant, afin qu'elles entrent au royaume des cieux. J'ai grande consolation en l'espérance que je sens des bénédictions que Dieu leur donnera.
1056
Dans la vie spirituelle nous devons chaque jour croire que nous ne faisons que commencer, et ne nous point décourager de ce que nous trouvons toujours quelque chose à corriger en nous. Il ne faut jamais parler de soi-même, s'il se peut : sobrement de son directeur, seulement lorsqu'il y va de la gloire de Dieu.
Février 1615 (éd. Annecy: 1er ou 2 mars 1615).
Croyez-moi, ma très chère mère, comme vous-même : Dieu veut je ne sais quoi de grand de nous.
Je vois les pleurs de ma pauvre soeur N., et il me semble que toutes nos enfances ne procèdent d'autre défaut que de celui-ci : c'est que nous oublions la maxime des saints qui nous ont avertis que tous les jours nous devons estimer de commencer notre avancement en perfection ; et si nous pensions bien à cela nous ne nous trouverions point étonnés de rencontrer de la misère en nous, ni de quoi retrancher. Il n'est jamais fait ; il faut toujours recommencer et recommencer de bon coeur. Quand l'homme aura achevé, dit l'Écriture, alors il commencera (Si 18,6). Ce que nous avons fait jusqu'à présent est bon, mais ce que nous allons commencer sera meilleur ; et quand nous l'aurons achevé, nous recommencerons une autre chose qui sera encore meilleure, et puis une autre, jusqu'à ce que nous sortions de ce monde, pour commencer une autre vie qui n'aura point de fin, parce que rien de mieux ne nous pourra arriver. Allez voir donc cette chère mère, s'il faut pleurer quand on trouve de la besogne en son âme, et s'il faut avoir du courage pour toujours aller plus avant, puisqu'il ne faut jamais s'arrêter, et s'il faut avoir de la résolution pour retrancher, puisqu'il faut mettre le rasoir jusqu'à la division de l'âme et de l'esprit, des nerfs et des tendons (He 4,12).
Certes, ma très-chère mère, vous voyez que mon coeur et le vôtre propre est plein de ce sentiment, puisqu'il verse ses paroles, quoiqu'il soit sans loisir et qu'il n'y eût pas pensé. Mais, ma très-chère mère, observez donc bien le précepte des saints, qui tous ont averti ceux qui le veulent devenir, de parler ou peu ou point de soi-même et des choses qui sont nôtres. Ne pensez pas que pour être à Lyon vous soyez dispensée du pacte que nous avons fait que vous seriez sobre à parler de moi, comme de vous-même. Si la gloire du maître ne le requiert, soyez courte, et exacte observatrice de la simplicité. L'amour de nous-mêmes nous éblouit souvent : il faut avoir les yeux bien fermés pour n'être pas déçus à nous voir nous-mêmes. C'est pourquoi le grand apôtre s'écrie : Celui qui se recommande soi-même n'est pas approuvé, mais celui que Dieu recommande (2Co 10,18). Le bon père Granger parla bien, et le Saint-Esprit lui en saura gré. Je suis bien aise qu'en votre ruche, et au milieu de cet essaim nouveau, vous ayez votre roi, votre miel et votre tout. La présence de cette sacrée humanité remplira toute votre maison de suavité, et c'est une grande consolation aux âmes qui sont attentives à la foi, d'avoir ce trésor de vie proche. J'ai prié ce matin avec une ardeur particulière pour notre avancement au saint amour de Dieu, et me sens de plus grands désirs que jamais au bien de votre âme. Ah! ce dis-je, ô Sauveur de notre coeur, puisque nous sommes tous les jours à votre table, pour manger non-seulement votre pain, mais vous-même, qui êtes notre pain vivant et suressentiel, faites que tous les jours nous fassions une bonne et parfaite digestion de cette viande très-parfaite, et que nous vivions perpétuellement de votre sacrée douceur, bonté et amour. Or sus, Dieu ne donne pas tant de désir à notre coeur, qu'il ne nous veuille favoriser de quelque effet correspondant. Espérons donc, ma très-unique mère, que le Saint-Esprit nous comblera un jour de son saint amour ; et, en attendant, espérons perpétuellement, et faisons place à ce sacré feu, vidant notre coeur de nous-mêmes, tant qu'il nous sera possible. Que nous serons heureux, ma très-chère mère, si nous changeons un jour notre nous-mêmes à cet amour, qui, nous rendant plus un, nous videra parfaitement de toute multiplicité, pour n'avoir au coeur que la souveraine unité de sa très-sainte Trinité, qui soit à jamais bénite au siècle des siècles. Amen.
F. de Sales, Lettres 935