Paul VI - Allocution du 17 février 1972
Dans la matinée du jeudi 17 février, le Saint-Père a reçu dans la Chapelle Sixtine les Curés, les Prédicateurs de Carême et les Prêtres chargés du soin des âmes à l'occasion de ce début de carême.
Après le chant du " Veni Creator " Monsieur le Card. Vicaire a adressé au Souverain Pontife une filiale allocution d'hommage au nom de toutes les personnes présentes et de tous les fidèles du Diocèse de Rome.
Le Saint-Père a ensuite répondu par le discours suivant :
LA DEFINITION DE L’IDENTITÉ DU SACERDOCE RÉSIDE EN JÉSUS-CHRIST
Chers confrères,
Notre rencontre annuelle au début du carême, "in capite ieiunii", comme le dit la tradition liturgique et ascétique de l’Église, nous met dans un état de confiance que j’espère réciproque, même si, dans cette conversation spirituelle et familière, il me revient, à moi votre Évêque, d’être le seul interlocuteur, auquel chacun de vous est invité à répondre dans l’intimité de son coeur ; et je le suis, cet interlocuteur, avec toute la simplicité et l’affection d’un coeur sacerdotal.
UNE SENSATION DE VERTIGE
Le coeur sacerdotal je pense que le vôtre aussi est parfois inquiet et troublé par le tumulte de questions et de problèmes qui s’est élevé, en cette période postconciliaire, même sur le lac habituellement tranquille de notre psychologie personnelle. Qu’est-il donc arrivé ?
La recherche des causes et l’examen du phénomène qui marque cet état d’âme inhabituel pour un prêtre, en vertu même de ce qu’il est et de ce qu’il fait, ont suscité, vous le savez, nombre d’études, d’écrits, de discussions, et certainement aussi de nombreuses réflexions en vous-mêmes.
La période difficile que nous traversons a poussé jusque dans notre maison ses flots impétueux, providentiels à certains égards, mais dangereux et négatifs sous d’autres aspects.
Cela nous a obligés à repenser notre sacerdoce dans ses divers éléments biblique théologique, canonique, ascétique, opérationnel ; et parce que cette réflexion s’est affrontée au tourbillon des mutations de la vie moderne, dans le domaine des idées, et surtout dans le domaine concret de l’action et de la vie sociale, nous en sommes venus, nous aussi, à nous demander si la vie sacerdotale traditionnelle ne devait pas être étudiée dans un nouveau contexte historique et spirituel tandis que le monde change ne restons-nous pas immobiles, comme momifiés canoniquement dans notre mentalité cristallisée et dans nos habitudes traditionnelles, alors que, ni le monde qui nous entoure, ni parfois nous-mêmes ne comprenons plus la signification et la valeur de certaines de ces traditions ?
Pour nous donner confiance dans le renouveau, il y a eu, outre ces puissantes sollicitations extérieures, le Concile, qualifié et sage il nous a parlé d’" aggiornamento ", ce que certains ont interprété comme la justification et même l’apologie d’un critère extrêmement délicat, le critère du relativisme historique, de l’adaptation aux temps — aux fameux " signes des temps " dont l’interprétation relèverait de l’intuition et serait l’affaire de chacun — autrement dit, le critère du conformisme au monde, à ce monde dans lequel nous nous trouvons et dans lequel le Concile a exhorté l’Église à se plonger pour y accomplir sa mission, au lieu de s’en séparer par principe.
L’assaut de cette poussée vers la nouveauté a donné souvent, même à nous autres clercs, une sensation de vertige (cf. Is. 19, 14), un certain sentiment de méfiance pour la tradition, une certaine mésestime de nous-mêmes, une manie de changement, un besoin capricieux de "spontanéité créatrice", etc.
Des intentions, subjectivement droites et généreuses, sans doute, se sont greffées sur cette vaste et complexe tentative de transformation de la vie ecclésiastique.
Nous vous en signalons deux, pour vous montrer que nous suivons ces phénomènes avec une affectueuse attention.
INUTILITÉ ?
La première, très répandue, est l’intention de sortir de l’état, comme on dit maintenant, de frustration, c’est-à-dire du sentiment d’inutilité qu’éprouvent certains de leur insertion paralysante dans la discipline de l’organisation ecclésiastique. À quoi sert-il, se demandent-ils, d’être prêtre ? Et la question devient amère et angoissante là où la communauté à laquelle ces prêtres se dévouaient a profondément changé quant au nombre et quant à la façon de vivre, semblant rendre superflu ou inefficace le ministère du prêtre resté attaché à son propre lieu et à ses habitudes. L’objection de l’inutilité de sa propre vie est vraiment une source de tourments, particulièrement aujourd’hui, alors que nous sommes assaillis du désir d’efficacité utilitaire, et elle mérite de notre part au moins une compréhension affectueuse, si nous ne trouvons pas de remède approprié.
CONFORMISME
L’autre intention, elle aussi certainement inspirée par le désir de bien faire, consiste à vouloir supprimer en soi toute distinction cléricale ou religieuse d’ordre sociologique — et cela concerne les questions d’habit, de profession, d’état — pour s’assimiler à tout le monde, se conformer aux façons de vivre des autres ; il s’agirait, en somme, de se laïciser pour pouvoir ainsi plus facilement pénétrer, comme on dit, dans la société. Cette intention a un caractère missionnaire, si l’on veut, mais combien elle est dangereuse et nocive si elle aboutit à faire perdre cette force spécifique de réaction contre le milieu, qui est un de nos caractères propres de "sel du monde", et si elle fait tomber le prêtre dans une inutilité bien pire que celle qui a été signalée plus haut. Le Seigneur l’a dit : à quoi sert le sel s’il perd sa saveur ?(cf. Mt. 5, 13).
Lisez, chers confrères, l’introduction du document sur le sacerdoce ministériel qui a été discuté au récent Synode des Évêques ; en une synthèse brève, mais dense et vigoureuse, on y décrit les problèmes posés par la condition du prêtre de nos jours, et vous verrez avec quel regard, avec quel coeur 1’Église considère la situation présente du clergé : cette étude sérieuse, mais en même temps attentive et optimiste, est pleine de réalisme et d’amour.
QU’EST-CE QUE LE PRÊTRE ?
Mais maintenant soyons attentifs à une chose importante. Dans toute cette situation complexe, intérieure et extérieure, au sujet de notre sacerdoce, il est une question qui tranche sur les autres et qui les résume toutes en un certain sens ; elle est du reste devenue monnaie courante dans la discussion complexe qui nous concerne. Il s’agit du problème de ce qu’on appelle d’identité du prêtre : qu’est-ce que le prêtre ?
Y a-t-il vraiment un prêtre dans la religion chrétienne ? Et s’il existe un ministre de l’Évangile, quelle figure doit-il avoir ?
Toutes les tentations des contestations et protestations qui ont caractérisé le XVIe siècle ont resurgi et se sont faites insinuantes ; et peut-être aussi — c’est là un mystère, mais nullement chimérique — des tentations plus profondes, d’origine préternaturelles, celles du doute, considéré non pas comme un chemin vers la recherche, mais comme une réponse insatisfaite de l’absence de vérité, de l’incertitude — poussée jusqu’à l’aveuglement —ressentie comme l’attitude dramatique et aristocratique d’un esprit désormais privé de lumière intérieure.
Toutes ces tentations se sont insinuées jusqu’au plus profond de la conscience du prêtre pour étouffer en lui la bienheureuse certitude interne de son état ecclésial : "Tu es prêtre pour l’éternité", et pour y substituer une demande lancinante : moi, qu’est-ce que je suis ?
Ne suffisait-elle pas, la réponse que l’Église a donnée depuis toujours, qui nous a été communiquée dès nos années de séminaire, qui a été allumée comme une lampe inextinguible au plus profond de notre âme, qui a été acquise et parfaitement assimilée par notre mentalité personnelle ?
Cette interrogation, à première vue, est aussi superflue que dangereuse. Mais le fait est qu’elle a été lancée, comme une flèche, dans le coeur de nombreux prêtres, particulièrement des jeunes qui sont au seuil de leur ordination, mais aussi de quelques autres confrères arrivés à la plénitude de la maturité.
La tendance des confrères qui ont rencontré cet écueil les poussant à douter de soi, de l’autorité de l’Église — tendance qui est en soi, hypothétiquement, légitime, mais qui s’est vite transformée en tentation et en déviation par suite de l’impossibilité de trouver une réponse satisfaisante — a été d’aller chercher la définition de l’identité du prêtre dans les registres d’état-civil ou en dehors de notre propre maison, dans les manuels de sociologie ou de psychologie, ou en utilisant des comparaisons avec une terminologie chrétienne mais coupée de ses racines catholiques, ou enfin dans les notions d’un humanisme qui nous apparaît comme axiomatique : le prêtre est avant tout un homme, un homme complet, comme tous les autres.
Ne nous attardons pas à cette analyse, sinon pour poursuivre spirituellement les prêtres qui nous ont abandonnés, avec un douloureux regret — comment ne pas les aimer encore ? —et sinon pour vous rappeler aussi à vous, frères bien-aimés, la parole du Seigneur Jésus que Nous redisons : "Demeurez avec moi dans mes épreuves" (Lc. 22, 28).
CE QUE NOUS SOMMES
L’Église a consacré, ces derniers temps, tant d’enseignements uniquement à ses prêtres ; ces enseignements ont été appuyés et vulgarisés par toute une littérature, au plan biblique, théologique, historique, spirituel aussi bien que pastoral.
La lecture de quelque bon livre sur le sacerdoce catholique sera un sage appoint non seulement pour votre culture, mais aussi pour la paix et la ferveur de votre esprit. Nous n’en citerons qu’un, à titre d’exemple, de Mgr J. Coppens et divers collaborateurs : "Sacerdoce et célibat", Louvain, 1971.
Nous nous limiterons ici à une affirmation fondamentale : la définition de l’identité du prêtre, nous devons la chercher dans la pensée du Christ. Seule, la foi peut nous dire ce que nous sommes et ce que nous devons être. Le reste, ce qu’on peut appeler l’histoire, l’expérience, le contexte social, les nécessités des temps etc., nous le verrons ensuite, avec l’aide responsable et sage de l’Église, comme dérivation logique pour la confrontation, l’illustration, l’application de la foi. Laissons donc le Seigneur nous parler.
Tel est le thème de cet entretien, que chacun de vous pourra ensuite développer dans la rencontre intime avec Dieu.
CHOISIS PAR DIEU
Ainsi demandons humblement à notre Maître, Jésus : nous, que sommes-nous ? Ne devons-nous pas essayer de comprendre comment il nous pense et comment il veut que nous soyons ? Quelle est, à ses yeux, notre identité ?
Une première réponse nous est aussitôt donnée. Nous sommes des appelés.
Notre évangile commence par notre vocation. (Il nous semble licite de reconnaître dans l’histoire des apôtres la nôtre, à nous, prêtres). Ainsi, en ce qui concerne les premiers que Jésus choisit comme siens, l’histoire évangélique est très claire et magnifique. L’intention du Seigneur est manifeste, et, vue dans le cadre messianique et ensuite dans celui de l’économie chrétienne, elle est très importante.
C’est Jésus qui prend l’initiative ; Lui-même nous le dit : "Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais moi qui vous ai choisis" (Jn. 15,16 ; 15,19 ; cf. Jn. 6,70) ; et les scènes simples et délicieuses, qui nous présentent l’appel de chaque disciple révèlent la réalisation précise de choix déterminés (cf. Luc 6, 13), sur lesquels il nous plaira de méditer.
Qui appelle-t-il ? Il ne semble pas qu’il ait pris garde à la classe sociale de ses élus (cf. I Cor. 1, 27), et il ne semble pas non plus qu’il ait voulu profiter de celui qui s’offre avec un enthousiasme superficiel (cf. Matt. 8, 19-22).
Ce projet évangélique nous concerne personnellement. Je le répète : nous sommes des appelés. La question fameuse de la vocation atteint la personnalité et le destin de chacun de nous.
Quelles qu’aient été les vicissitudes qui ont marqué le développement de notre vocation, elle constitue ce qu’il y a de plus intéressant dans l’histoire personnelle de notre vie. Il serait insensé de vouloir la réduire à un ensemble de circonstances banales et extérieures (cf. Leo Trese, Il sacerdote oggi, c. 1). Il faut plutôt noter le soin toujours plus étudié et plus minutieux avec lequel l’Église cultive, sélectionne et aide les vocations sacerdotales. Ceci est un facteur de certitude pour confirmer notre identité, trop facilement disséquée aujourd’hui de façon sophistique en vue de la déclarer inauthentique.
Il est, du reste, bien difficile de nos jours qu’une vocation soit fondée sur des motifs intérieurs et extérieurs que l’on puisse honnêtement attaquer (elle ne vaudrait pas pour nous la sentence de Pascal : "La chose la plus importante dans la vie est le choix d’une profession : le hasard en décide" (cf. Pensées, n. 97). Pour nous, ce n’est pas le hasard qui en a décidé.
Nous devons plutôt penser à quelques aspects de cette vocation, qui est venue frapper à notre porte. Elle a marqué le moment le plus caractéristique dans l’usage de notre liberté, qui a pensé, réfléchi, voulu, décidé.
Elle a provoqué le grand choix de notre vie ; analogue au "oui" de celui qui contracte un mariage, notre réponse, s’inscrivant à l’encontre de l’inconstance de l’homme qui vit sans idéal supérieur à lui-même, a engagé notre existence : la forme, la mesure, la durée de notre offrande ; c’est donc la page historique de notre vie humaine la plus belle, la plus idéale : malheur à qui la dévaluerait !
LE "OUI" QUI ENGAGE NOTRE VIE
Et cette réponse a subitement qualifié notre vie, avec son incomparable "oui", comme celle de quelqu’un qui est mis à part de la voie commune selon laquelle les autres mènent leur vie. Saint Paul le dit de lui-même : "Segregatus in evangelium Dei".
C’est un "oui" qui, en un seul moment, nous a détachés de tout ce qui était nôtre "relictis omnibus secuti sunt eum" (Luc 5, 11) ; un "oui qui nous a rangés parmi ceux qui, apparemment, sont des idéalistes, des rêveurs, des fous, des ridicules ; mais aussi, Dieu merci ! parmi les forts, ceux qui savent pourquoi ils vivent, pour qui ils vivent, "scio cui credidi" (2 Tim. 1, 12) ; et parmi ceux qui ont formé le projet de servir et de donner leur vie, toute leur vie, pour les autres : jusqu’où ne sommes-nous pas appelés !
Mis à part du monde, oui, mais non pas séparés de ce monde pour lequel nous devons être, avec le Christ et comme le Christ, ministres du salut (cf. Ench. Cler., 104, 860, 1387, etc.).
Il y aurait encore une autre observation à faire au regard de la vocation : nous sommes appelés, disions-nous. Appelés par le Christ, appelés par Dieu ; ce qui veut dire aimés du Christ, aimés de Dieu. Y pensons-nous ? "Je connais, dit le Seigneur, ceux que j’ai choisis" (Jean, 13, 18).
Un dessein divin préétabli s’est arrêté sur chacun d’entre nous ; aussi peut-on dire de nous ce que le prophète Jérémie dit au sujet d’Israël de la part de Dieu : "Je t’ai aimé d’un amour éternel et c’est pourquoi je t’ai étendu ma faveur" (31, 3). C’est une identité enregistrée dans le Livre de Vie du ciel, "in libro vitae" (cf. Apoc. 3, 5).
NOUS SOMMES DISCIPLES
Nous sommes donc appelés ! mais dans quel but ? Notre identité s’enrichit d’une autre caractéristique essentielle : nous sommes disciples. Je dirais même par antonomase que nous sommes les disciples.
Le mot "disciple" en suppose un autre, qui ne peut manquer : celui de maître. Qui est notre Maître ? C’est bien le cas de le rappeler ici : "Vous n’avez qu’un Maître, et tous vous êtes des frères... Vous n’avez qu’un Docteur : le Christ" (Mt. 23, 8-10). Jésus a tenu à ce que lui soit reconnu ce titre de Maître (cf. Jn. 13, 13).
Après avoir parlé aux foules, à l’intention de tous, Jésus a fait école pour le groupe de ses partisans qualifiés pour ses disciples, en leur reconnaissant une prérogative de suprême importance : "À vous il est donné de connaître les mystères du Royaume des Cieux, tandis qu’à ces gens-là cela n’est pas donné" (Mt. 13, 11) : du fait même que les appelés sont des disciples, ils seront élevés à la fonction de maîtres, non pas maîtres de leur propre doctrine, c’est évident, mais de la doctrine qui leur a été révélée par le Christ ; et malgré l’infinie distance qui les sépare du Christ, on peut leur appliquer, par analogie, ce qu’il disait de lui-même : "Ma doctrine n’est pas de moi, mais de celui qui m’a envoyé" (Jn. 7, 16).
Et c’est pourquoi, dans la mesure où nous sommes disciples, nous pouvons dire aussi que notre identité sacerdotale comporte un caractère d’enseignement : nous sommes à la fois des disciples et des maîtres ; auditeurs de la Parole du Christ et en même temps annonciateurs de cette même Parole.
Il faudrait une longue et patiente étude pour voir comment l’Évangile décrit cet aspect de notre personnalité. Il sera intéressant pour tous, et c’est un devoir, de se livrer à cette étude, aussi bien pour connaître la pensée du Seigneur sur nous-mêmes que pour prendre pleinement conscience de ce que nous sommes : des élèves qui doivent devenir des maîtres.
DEVOIRS DU DISCIPLE .
Cette qualité de disciple, sur laquelle nous portons notre attention actuellement, nous engage énormément. Elle comporte, vous le savez, chers confrères, un double devoir pour la vie du prêtre en quête d’authenticité : le premier est celui du culte de l’enseignement du Christ, un culte qui se ramifie en plusieurs directions, visant toutes des buts essentiels pour la définition de votre sacerdoce.
En bref nous disons : écouter ; écouter la voix de 1’Esprit du Christ, c’est-à-dire les inspirations qui portent la marque d’une origine vraiment surnaturelle (cf. Apoc. 2, 6 et ss. Mt. 10, 19 ; Jn. 14, 26) ; écouter par conséquent la voix de l’Église quand elle parle dans l’exercice de son magistère, soit ordinaire, soit extraordinaire (cf. Luc 10, 16) ; écouter l’écho de la voix du Seigneur en celui qui nous parle au nom du Seigneur comme fait l’Évêque, et aussi le directeur spirituel, ou quelque ami bon et bien éclairé ; écouter aussi la voix du Peuple de Dieu, quand il nous rappelle nos devoirs, ou quand il réclame parfois de nous certains services conformes à notre ministère (mais ceci avec la prudence qui se doit et qui est nécessaire en de tels cas contingents, car on rencontre facilement en ce domaine l’exaltation, l’intention publicitaire, ou la pression d’intérêts ou de méthodes profanes).
Écouter en se livrant à l’étude des sciences sacrées (souvent les professionnels laïcs, dans le domaine qui leur est propre, montrent une plus grande information dans les matières de leur compétence que nous dans les sciences religieuses : cf. Lc. 16, 8). Écouter enfin par la pratique de l’oraison mentale, de la méditation : nous savons bien quel aliment elle constitue pour notre vie spirituelle et personnelle (cf. Jn. 8, 31).
Vraiment, nous pouvons répéter avec Jésus : "Beati qui audiunt verbum Dei et custodiunt illud" (Lc. 8, 21 ; cf. 11, 28).
Et puis, pour être vraiment disciples : imiter.
Qu’il y aurait de choses à dire sur cette autre conséquence du fait que nous sommes à l’école du Christ, spécialement en ce temps où nous sommes assaillis par la sécularisation, par la tentation de faire perdre au clergé ce qui le marque extérieurement, et aussi, malheureusement, ce qui le marque intérieurement. Ce qu’on appelle le "respect humain", qui a fait tomber Pierre lui-même, pourrait nous induire nous aussi en tentation de cacher ce que nous sommes, et nous faire oublier l’exhortation de saint Paul : "Nolite conformari huic saeculo" (Rom. 12, 2), alors que "l’imitation du Christ" doit être l’inspiration qui guide pratiquement notre conduite.
Nous n’en disons pas plus pour l’instant sur un thème aussi connu et aussi lié aux exigences intrinsèques de l’identité sacerdotale.
NOUS SOMMES DES APÔTRES
Il y a encore une note essentielle, dans la pensée du Christ, concernant notre identité. Il a fait de nous des apôtres. Écoutez, comme la synthèse de ce que nous sommes en train de dire, l’évangéliste saint Luc : le Christ "appela ses disciples et il en choisit douze qu’il appela ses apôtres" (6, 13). L’application, servatis servandis, de ce noble titre d’apôtre aux prêtres ne nous paraît pas abusive ; ni non plus la recherche, dans ce titre lui-même, de la puissance et des fonctions propres du prêtre du Christ.
Chacun de nous peut dire : je suis apôtre.
Apôtre, qu’est-ce que cela veut dire ? Cela signifie envoyé, mandaté. Mandaté par qui ? et à qui ? La réponse à l’une et à l’autre de ces questions, Jésus lui-même nous la donne, le soir de sa résurrection : "Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie" (Jn. 20, 21).
Pensez-y. N’y a-t-il pas de quoi, vraiment, en rester stupéfait : d’où vient mon sacerdoce et où tend-il ? Qu’est-il d’autre qu’un chemin de vie divine, qui sert, pour l’extension de la mission salvifique, divine et humaine du Christ, à communiquer les mystères divins à l’humanité ? Il faut nous considérer, dira saint Paul, comme "les dispensateurs des mystères de Dieu" (1 Cor. 4, 1). Nous sommes les ministres de Dieu (2 Cor. 6, 4).
AMIS DE DIEU
Nous sommes les amis du Christ ; notre mission instaure pour nous un rapport personnel avec le Christ, rapport unique, différent de celui qu’il entretient avec tout autre : "Je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître. Ce n’est pas vous qui m savez choisi ; mais c’est moi qui vous ai choisis" (Jn. 15, 15-16). C’est une amitié qui plonge ses racines dans l’amour incréé de la Trinité elle-même : "Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour" (Jn. 15, 9).
Nous sommes les serviteurs de nos frères ; nous n’aurons jamais donné sa pleine signification à ce terme, relatif à notre personne et encore plus à notre mission, comme le Christ a voulu définir la sienne (cf. Matt. 20, 28), et comme il a voulu que soit la nôtre, dans une profonde humilité, dans une parfaite charité "... Et vous, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres" (Jn. 13, 14).
Mais en même temps, quelle dignité, quel pouvoir comporte un tel service : celui d’un ambassadeur ! "Pour le Christ…, nous sommes envoyés en ambassade ; c’est comme si Dieu exhortait par nous" (2 Cor. 5, 20). Et cela avec les pouvoirs sacramentels qui feront de nous les instruments de l’action même de Dieu dans les âmes. Ce n’est plus seulement notre activité humaine qui nous caractérise, mais c’est l’investiture de la puissance divine qui opère dans notre ministère.
MINISTRES DE DIEU
Une fois compris le sens et la valeur sacramentelle de notre ministère, c’est-à-dire de notre apostolat, c’est toute une série d’autres définitions qui pourront donner au prêtre catholique son visage spirituel, ecclésial et même social, de manière, que tous puissent le reconnaître comme étant un être à part, à l’extérieur comme à l’intérieur de la société ecclésiale.
Il est non seulement le prêtre qui assure la présidence pendant le temps de l’assemblée religieuse de la communauté, mais il est vraiment le ministre indispensable et exclusif du culte officiel, accompli in persona Christi et, en même temps, in nomme populi, l’homme de la prière, le seul qui accomplisse le sacrifice eucharistique, celui qui rend la vie aux âmes mortes, le dispensateur de la grâce, l’homme des bénédictions,
Lui, le prêtre-apôtre, il est le témoin de la foi, le missionnaire de l’Évangile, le prophète de l’espérance, il est celui qui anime et en qui se récapitule la communauté, il est le constructeur de l’Église du Christ fondée sur Pierre. Et voilà enfin son titre propre, à la fois humble et sublime : il est le Pasteur du Peuple de Dieu, l’artisan de la charité, le tuteur des orphelins et des petits, l’avocat des pauvres, le consolateur de ceux qui souffrent, le père des âmes, le confident, le conseiller, le guide, l’ami de tous, l’homme qui est "pour les autres" et, s’il le faut, le héros qui donne sa vie volontairement et silencieusement.
UN AUTRE CHRIST
À bien considérer la figure anonyme de cet homme solitaire, sans foyer à lui, on découvre un homme qui ne sait plus aimer simplement comme un homme parce qu’il a donné tout son coeur, sans rien retenir pour soi, à ce Christ qui s’est donné lui-même jusqu’à la croix pour lui (cf. Gal. 2, 20), et à ce prochain qu’il s’est proposé d’aimer à la mesure du Christ (cf. Jn. 13, 15).
N’est-ce pas le sens de l’offrande, faite intensément et dans la joie, de son célibat ; en un mot, il est un autre Christ. Telle est, finalement l’identité du prêtre : nous l’avons entendu répéter tant de fois : il est un autre Christ. Alors, pourquoi douter, pourquoi craindre ?