L’oraison
P. Claude SARRASIN
– M’unir à Dieu. N’est-ce pas un beau rêve ?
Avant tout, voyons à quelle amitié Dieu nous invite : L’oraison de recueillement nous fait chercher Dieu au centre de notre âme. Où pourrions-nous le trouver plus intimement pour établir nos relations surnaturelles avec Lui, qu’en ces profondeurs de nous-mêmes où il communique sa vie divine, faisant de chacun de nous personnellement son enfant ? Ce Dieu présent et agissant en moi est véritablement mon Père, car il m’engendre sans cesse par la diffusion de sa vie ; je puis l’étreindre moi-même d’une étreinte filiale en ces régions où il se donne (p. 192). La Sainte Trinité nous élève gratuitement dans son intimité : nous disposons d’un organisme surnaturel pour répondre à son amour. C’est la grâce avec ses " membres " actifs, les vertus théologales et ses " membres " réceptifs, les dons du Saint-Esprit (cf. p. 33 ; 304 ; 462). L’oraison ne sera qu’un échange entre deux amours : celui que Dieu nous porte, celui que nous avons pour lui (p. 57). Notre collaboration, notre part ? Essentiellement, mettre en œuvre nos vertus théologales, faire l’acte de foi, d’espérance et de charité. Mais la part la plus importante revient à Dieu : sa joie est de se donner.
– Qu’est-ce que la foi ?
" Nous cheminons dans la foi et non pas dans la claire vision " (2 Co 5, 7). La foi est une connaissance, mais c’est une connaissance qui n’est pas évidente, qui fait intervenir un témoignage. C’est pourtant une connaissance absolument certaine, ne laissant place à aucun doute. De plus, l’acte de foi ne s’arrête pas, comme on pourrait le croire, aux énoncés qui expriment la foi. Il atteint la réalité même. Notre acte de foi nous donne prise vraiment sur Dieu lui-même : Nous ne connaîtrons Dieu en Lui-même que si Lui-même se révèle et s’il nous donne en même temps une puissance surnaturelle capable de recevoir sa lumière. De fait, Dieu s’est révélé et nous a donné la vertu de foi qui est une aptitude à le saisir (p. 459). De même que le greffon fixé sur l’arbre produit un fruit spécial, de même la vertu de foi, greffée sur notre faculté de connaître – l’intelligence –, produit son fruit spécial : le contact surnaturel avec Dieu (cf. p. 463). L’amour de Dieu pour nous est certain. La prise de contact avec Lui par la foi est une vérité certaine, mais – voilà ce qui peut nous étonner – la pénétration surnaturelle en Dieu peut se produire sans nous laisser une lumière, un sentiment, une expérience quelconque de la richesse que nous y avons puisée (p. 62). Car la foi est certaine, mais elle est aussi obscure. Pour me faire dépasser cette obscurité douloureuse, Dieu interviendra dans ma vie de prière par les dons du Saint-Esprit : il maintiendra alors la foi à la hauteur de son objet divin et assurera ainsi son exercice parfait (p. 467).
– Quels conseils le P. Marie-Eugène donne-t-il pour faire oraison ?
Il n’est pas question ici de reprendre la " technique " de l’oraison. On la trouve développée en deux endroits surtout : cf. p. 476-481 ; 566-572. Retenons tout de même quelques conseils :
• Quand je veux rencontrer Dieu, je lis, j’écoute sa Parole. C’est sur la Parole de Dieu qu’il me faut toujours m’appuyer : j’ai besoin de la vérité révélée pour faire oraison (cf. p. 201-212). L’Église met à notre disposition le Catéchisme : Seule la vérité, dont l’Église est la gardienne et la dispensatrice, peut donner à l’âme la nourriture substantielle et l’appui ferme dont elle a besoin pour aller à Dieu (p. 208).
• Autre base ferme : Il n’est point de contemplatif qui n’ait expérimenté parfois dans les sécheresses de l’oraison ou dans les angoisses, combien les facultés trouvent de force et d’apaisement à égrener lentement des " Ave Maria " ou à réciter lentement des versets du " Miserere " (p. 172).
• Le P. Marie-Eugène insistera sur le silence intérieur et extérieur (p. 362-388), et la solitude d’autant plus protégée qu’elle est intermittente et qu’on a, malheureusement, peu de temps à consacrer vraiment à la prière (p. 389-402).
• Enfin : trouver le compagnon, l’Ami, Jésus. Quand elle va faire oraison, Thérèse d’Avila ne cherche ni pensée à pénétrer, ni sentiment, ni impression spirituelle à savourer ; elle ne consent à considérer sur sa route que ce qui peut la conduire au but. Avoir trouvé Jésus, Lui parler ou simplement Le regarder lui suffit ; c’est son oraison. L’amour qui avait hâte de trouver est satisfait par ce simple contact (p. 192).
• Et de toute façon : De même qu’on ne peut plonger sa main dans l’eau sans se mouiller, (...) de même on ne peut prendre contact avec Dieu par la foi sans puiser en sa richesse infinie. (...) Indépendamment des grâces particulières qu’il a pu demander et obtenir, il puise en Dieu une augmentation de vie surnaturelle, un enrichissement de charité (p. 62).
– Quelles sont les pages essentielles sur l’oraison dans le livre du P. Marie-Eugène ?
Sur l’oraison.
Lire les chapitres : L’oraison (p. 53-65).
Les premières oraisons (p. 168-181).
L’oraison de recueillement (p. 182-195).
L’oraison par rapport à la foi.
Lire le chapitre : La foi et la contemplation surnaturelle (p. 455-481), en particulier les Conclusions pratiques sur l’oraison, p. 476-481.
L’oraison par rapport à l’espérance
.Lire les chapitres : L’humilité (p. 336-361).
La conduite de l’âme (p. 821-859).
La contemplation et l’oraison
.Lire les chapitres : Nuit active du sens pendant l’oraison (p. 554-578).
Distractions et sécheresses (p. 213-226).
La sécheresse contemplative (p. 579-598).
Les effets de la nuit de l’esprit (p. 921-937).
– Il me semble que je ne prie pas bien : je suis trop distrait.
Ce qui fait la perfection de l’oraison, c’est le regard d’amour obstinément fixé sur celui qu’on aime : " Espérer ce que nous ne voyons pas, c’est l’attendre avec constance ", dit saint Paul (Rm 8, 25). Espérer, c’est attendre ce que Dieu peut accomplir pour nous conduire jusqu’à lui. Espérer Dieu, c’est apprendre à ne désirer plus que Lui. Par la visière percée dans son casque, le soldat n’aperçoit que le ciel... Il faut que la pauvreté veille avec un soin particulier sur la confiance qui la prolonge vers Dieu et qu’elle la garde pure et dénudée jusqu’à ce qu’elle ait atteint son objet divin. Aussi, quelle grâce lorsque Dieu lui-même vient creuser cette pauvreté (p. 841). Telle est la véritable espérance que l’on doit mettre en jeu dans l’oraison : Etre petit, c’est attendre tout du bon Dieu, dit la Petite Thérèse (p. 841). " L’espérance ne déçoit pas " (Rm 5, 5). Avec sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, haussons-nous jusqu’aux mœurs divines de l’Amour pour nous plier à ses lois. Il faut être pauvre, misérable, découvrir cette pauvreté à la puissance d’expansion de l’Amour divin pour l’attirer et le satisfaire (p. 838).
L’oraison vise Dieu, comme le paysan d’Ars " avisait " le Christ au tabernacle.
Bien sûr, il faut préparer l’oraison (p. 566), mais tout en évitant les longues lectures, la multiplicité des pensées. Notre lecture doit rester simple, chercher un verset de l’Écriture, un regard sur une attitude du Christ, le mot lumineux qui suffit à fixer l’attention, le regard de foi (cf. p. 567). L’oraison, considérée dans la part d’activité qu’y apporte l’âme, ne sera pas autre chose que la foi aimante qui cherche Dieu et peut être considérée comme une succession d’actes de foi (p. 477).
Assez fréquemment, il suffira que l’âme commence cette préparation pour qu’aussitôt elle se sente recueillie en Dieu (p. 567). Pensons à Thérèse : soudain, sans s’en apercevoir, dans la nuit de son cœur surtout, très doucement, elle en vient à fixer la Face de Jésus, les yeux baissés de la sainte Face. Et elle reste là quelques instants, peut-être longtemps, elle n’en sait rien, à fixer son Ami (cf. Ms B, 4v°), sans faire de belles phrases, sans se faire d’idées, sans broncher, sans détailler je ne sais quelle précision inutile : C’est Lui qui, d’une manière secrète et paisible, répand peu à peu dans l’âme une sagesse et une connaissance pleines d’amour, sans recourir à des actes particuliers. (...) L’âme doit se contenter d’élever avec amour son attention vers Dieu sans former d’autres actes particuliers, (...) garder pour Dieu une attention pleine d’amour, simple, candide, comme fait quelqu’un qui ouvre les yeux pour regarder avec amour (p. 586, qui cite Jean de la Croix ; cf. p. 405 s.). Voilà comment Dieu intervient dans l’oraison : il pousse la foi à sa perfection, au-delà de ce que nous pouvons par nos propres forces (cf. p. 467). Elle devient un simplex intuitus, un regard pénétrant, fasciné par son Divin Soleil, comme le dit joliment Thérèse de Lisieux (p. 845). C’est la contemplation surnaturelle.
– Le " sommet " du Carmel, à quoi ressemble-t-il ?
Un jour le P. Marie-Eugène fit cette confidence : Le Verbe, pour moi, c’est toujours Spirans Amorem ; et je " spire " l’Amour aussi (voir l’ouvrage de Raymonde Règue, le P. Marie-Eugène, maître spirituel..., p. 110). Dans Je veux voir Dieu, on trouve déjà une phrase un peu semblable : C’est par son union au Verbe que l’âme entre dans le cycle de la vie trinitaire et participe à ses opérations. Elle aspire (spire) l’Esprit Saint par la grâce comme le Verbe le fait par nature (p. 986). Une image peut être plus ou moins ressemblante à son modèle. Au sommet..., l’âme humaine faite à l’image de Dieu prend part aux opérations de connaissance et d’amour de Dieu lui-même. Elle n’est plus simplement à son image, elle lui ressemble. Et c’est pour cette splendeur qu’Il l’a créée et rachetée.
Il faut bien donner une réponse à Dieu !, s’exclamait le P. Marie-Eugène dans un entretien familier en 1957. L’oraison est l’expression de cette réponse et le chemin qui la rend chaque jour plus parfaite. Il disait : Il faut mettre cette contemplation de Dieu à la base de toute vie chrétienne ! (ibid.), et c’est pourquoi il a écrit Je veux voir Dieu.