MADRID

La vision béatifique

 

Historiquement, la théologie catholique a privilégié l’idée de "vision béatifique" pour exprimer ce en quoi consiste l’essence du "ciel", la vie de l’homme dans la présence révélée, manifeste et éternelle de Dieu.

Des discussions apparues au Moyen Âge induisirent le Magistère à se prononcer solennellement sur l’immédiateté de la rencontre des hommes avec Dieu après la mort : sans nul besoin d’attendre un temps intermédiaire, l’âme purifiée verra Dieu dans une vision intuitive, face à face, sans la médiation d’aucune créature.

Assurément, la tradition chrétienne a toujours eu conscience de la distance existant entre la créature et son Créateur. C’est pourquoi elle affirme que cet événement n’est possible que grâce au don divin décisif de la lumen gloriae, œuvre de l’Esprit Saint, qui nous introduit à la vision de l’essence divine. De même, elle ne manque pas de rappeler que cette vision ne saurait porter à une connaissance exhaustive de Dieu, allant jusqu’au fond de son mystère : celui qui voit Dieu en essence voit en Lui qu’il est infini et infiniment connaissable, et cette modalité infinie ne correspond pas à celui qui le voit.

D’où la nécessité urgente de ne pas employer des concepts humains sans être conscients de leurs inévitables limitations. La vision contient l’idée d’un regard extérieur, distancié, sur un objet ; cette dimension du concept doit être purifiée, et pour cela il ne suffit pas d’associer vision et contemplation.

C’est pourquoi il est important de situer l’affirmation de la "vision béatifique" dans l’horizon historico-salvifique du Concile Vatican II, en tenant compte avant tout qu’il s’agit de la connaissance immédiate du Dieu un et trine, libre et personnel.

Voir Dieu face à face signifie le connaître comme Père, Fils et Esprit Saint, mystère d’unité, dans l’amour et la liberté infinis des rapports personnels. "Vision béatifique" signifie aussi connaissance de l’Amour paternel qui engendre éternellement le Fils dans l’unité de l’Esprit, accueillie par la Parole divine dans l’Amour. "Vision immédiate" parce que nous nous trouverons "face à face" avec le Mystère personnel du Dieu trinitaire qui se révèle et communique avec le Fils et dans l’Esprit, en introduisant l’homme à un rapport pleinement interpersonnel et libre, non identifiable avec celui entre sujet et objet.

Dans cette perspective, on comprend aussi que la glorification de l’homme par l’Esprit et la vision de Dieu ne signifient pas la disparition de l’être humain personnel dans l’immensité divine. Au contraire, nous restons des créatures et en même temps nous voyons Dieu, nous le connaissons en entrant dans un rapport personnel et libre avec Lui, en vrais fils adoptifs. La "vision béatifique" est propre aux hommes comme fils, dans le Fils : nous le connaîtrons en tant que Père, dont procède éternellement le Fils, qui lui répond dans l’Amour éternel d’un même Esprit. Nous le verrons "selon nos mérites" ; pas "selon notre mesure", mais selon la miséricorde salvatrice du Seigneur, qui introduit définitivement l’histoire de chacun dans l’horizon infini de la fécondité divine.

Nous participerons de la vie trinitaire, nous le verrons face à face, pas en tant qu’observateurs extérieurs (ce qui serait impossible), mais en tant que fils, comme le Fils voit et connaît le Père. Nous le connaîtrons comme humanité filiale, assimilés et unis à Jésus-Christ, puisqu’à travers Lui, avec Lui et en Lui l’humanité participe de la filiation divine, reçoit le Don du Père et répond filialement par le Don total de soi.