Le prophète Isaïe, éclairé des splendeurs d'une
vision toute divine, dit : « J'ai vu le Seigneur assis sur un trône sublime et
élevé, et la maison était pleine de sa majesté, et le bas de ses vêtements
remplissait le temple. — S. JER. (sur Isa.) Saint Jean l'évangéliste
nous apprend quel est celui qui apparut à Isaïe, lorsqu'après avoir cité une de
ses prophéties, il ajoute : « Isaïe dit ces choses, lorsqu'il vit sa
gloire, et qu'il parla de lui, » et nul doute que dans sa pensée, il ne soit
question du Christ. — LA GLOSE. Voilà donc dans ces paroles le sujet de
l'Evangile, qui porte le nom de saint Jean. — HIST. ECCL. (3, 34.) Saint
Matthieu et saint Luc ayant raconté ce qui avait rapport à la naissance
temporelle du Sauveur, saint Jean n'en dit rien ; il commence son Evangile par
l'exposé de sa naissance éternelle et divine, et nul doute que cette mission ne lui ait
été réservée par l'Esprit saint comme au plus éminent des évangélistes.
ALCUIN. L'Evangile est de beaucoup supérieur à
toutes les autres parties de l'Ecriture, parce que nous y voyons
l'accomplissement de toutes les prédictions de la loi et des prophètes ; mais
saint Jean tient à son tour le premier rang parmi les autres évangélistes, à
cause de la profondeur des mystères qui lui ont été révélés. Après l'ascension
du Sauveur, il se contenta pendant soixante-cinq ans de prêcher de vive voix la
parole de Dieu sans rien écrire, jusqu'aux dernières années de Donatien. Mais
après la mort de cet empereur, Nerva, son successeur, ayant permis au saint
Apôtre de revenir à Ephèse, il écrivit à la prière des évoques d'Asie, sur la
divinité du Christ, coéternel au Père, contre les hérétiques, qui niaient que
Jésus-Christ fût antérieur à Marie. Aussi est-ce avec raison que parmi les
quatre animaux symboliques, il est comparé à l'aigle qui vole plus haut que
tous les autres oiseaux, et fixe d'un regard intrépide les rayons du soleil
sans en être ébloui. — S. AUG. (sur S. Jean, chap. 1.) Il s'élève
au-dessus de tous les espaces de l'air, au-dessus de toutes les hauteurs des astres,
au-dessus de tous les chœurs et de toutes les légions des anges. Et, en effet,
à moins de s'élever au-dessus de toutes les créatures, comment pourrait-il
parvenir jusqu'à celui par qui tout a été créé ?
S. AUG. (de l'acc. des Evang., 1, 5.) Si donc
vous prêtez une sérieuse attention, vous verrez que les trois premiers
évangélistes qui se sont attachés principalement dans leur récit aux faits de
la vie mortelle de Nôtre-Seigneur, et aux paroles qui tendent à la
sanctification de la vie présente, semblent
avoir eu pour objet la vie active ; saint Jean, au contraire, raconte peu de
faits de la vie de Nôtre-Seigneur, mais il reproduit dans toute leur étendue et
avec le plus grand soin ses discours, surtout ceux qui traitent de l'unité des
trois personnes divines et du bonheur de la vie éternelle, et parait avoir eu
pour dessein et pour fin dans son récit, de relever le mérite de la vie
contemplative. Aussi les trois animaux, emblèmes des trois autres évangélistes
(le lion, l'homme, le taureau), marchent sur la terre, parce que ces trois
évangélistes ont eu pour but principal de rapporter les actions de la vie
mortelle du Sauveur, et les préceptes de morale qui doivent diriger les hommes
dans le cours de cette vie périssable et mortelle. Mais pour saint Jean,
semblable à l'aigle, il prend son vol au-dessus des nuages de la faiblesse
humaine, et contemple d'un œil intrépide et assuré la lumière de l'immuable
vérité. Il s'applique surtout à faire ressortir la divinité du Seigneur, qui le
rend égal à son Père, et à en donner aux hommes dans son Evangile, une idée
aussi étendue que l'intelligence humaine le permet.
LA GLOSE. Saint Jean l'évangéliste peut donc dire
comme le prophète Isaïe : « J'ai vu le Seigneur sur un trône élevé et sublime
», lui qui, par la pénétration de son regard, a contemplé le Christ régnant
dans toute la majesté de la divinité, dont la nature est élevée au-dessus de
toutes les créatures. Il peut dire aussi : « Et le temple était rempli de sa
majesté, » lui qui déclare que tout a été fait par lui et qu'il éclaire de sa
lumière tous ceux qui viennent en ce monde. Il peut dire encore « ce qui était
au-dessous de lui remplissait le temple, » lui qui nous révèle en ces termes le
mystère de l'incarnation : « Et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi
nous, et nous avons vu sa gloire, sa gloire comme Fils unique, né du Père,
plein de grâce et de vérité, et nous avons tous reçu de sa plénitude. » Les
paroles du prophète contiennent donc tout le sujet de cet Evangile. Saint Jean
nous représente le Seigneur assis sur un trône élevé, en nous montrant la
divinité de Jésus-Christ ; nous voyons la terre remplie de sa majesté,
lorsqu'il nous montre toutes les créatures tirées du néant par sa puissance et
comme remplies de ses divines perfections. Il nous enseigne encore que ce qui
est au-dessous de lui (les mystères accomplis dans son humanité), remplit le
temple (c'est-à-dire l'Eglise), lorsqu'il nous découvre dans les mystères de
l'incarnation et de la rédemption de Jésus-Christ une source abondante de grâce
et de gloire pour les fidèles.
S. CHRYS. (hom. 1 sur S. Jean.) Comment donc
ce barbare, cet homme sans lettres, a-t-il pu parler un langage si sublime, et
révéler des vérités qu'aucun homme ne connut jamais avant lui ? Cela serait
déjà un prodige extraordinaire ; mais une preuve plus forte encore, que c'est
l'inspiration divine qui lui a dicté tout ce qu'il raconte dans son Evangile,
c'est que les hommes de tous les siècles l'écoutent et se rendent dociles à ses
divines leçons. Qui donc n'admirerait la vertu toute-puissante qui habite en
lui ?
ORIG. (hom. 2 sur div. endr. de l'Evang.) Jean
signifie la grâce de Dieu, ou celui en qui est la grâce, ou celui à qui elle a
été donnée. Mais de tous ceux qui ont traité des choses divines, à qui a-t-il
jamais été donné de pénétrer aussi profondément les mystères cachés du
souverain bien, et de les enseigner aux hommes ?
S. CHRYS. (hom. 3 sur S. Jean.) Tandis
que tous les autres Evangélistes commencent par l'incarnation du Sauveur, saint
Jean, sans s'arrêter à sa conception, à sa naissance, à son éducation, aux
progrès successifs de ses premières années, raconte immédiatement en ces termes
la génération éternelle : « Au commencement était le Verbe. » — S. AUG. (Liv.
des 83 quest.) Le mot grec λόγος signifie
également en latin raison et verbe, mais ici la signification de verbe est
préférable, parce qu'elle exprime mieux les rapports, non-seulement avec le
Père, mais avec les créatures qui ont été faites par la puissance opérative du
Verbe. La raison, au contraire, même quand elle n'agit pas, s'appelle toujours
raison.
S. AUG. (Traité 3 sur S. Jean.) L'usage
journalier de la parole, lui fait perdre de son prix à nos yeux, et nous en
faisons peu de cas, à cause de la nature passagère du son dont elle est
revêtue. Or, il est une parole dans l'homme lui-même qui reste dans l'intérieur
de son âme, car le son est produit par la bouche. La parole véritable, à
laquelle convient particulièrement ce nom, est celle que le son vous fait
entendre, mais ce n'est pas le son lui-même.— S. AUG. (de la Trinité, 15,
10.) Celui qui peut comprendre la parole non-seulement avant que le son de la
voix la rende sensible, mais avant même que l'image des sons se présente à la
pensée, peut voir déjà dans ce miroir et sous cette image obscure quelque
ressemblance du Verbe dont il est dit : « Au commencement était le Verbe. » En
effet, lorsque nous énonçons ce que nous savons, le verbe doit nécessairement
naître de la science que nous possédons, et ce verbe doit être de même nature
que la science dont il est l'expression. La pensée qui naît de ce que nous
savons est un verbe qui nous instruit intérieurement, et ce verbe n'est ni
grec, ni latin, il n'appartient à aucune langue. Mais lorsque nous voulons le
produire au dehors, nous sommes obligés d'employer un signe qui eu soit
l'expression. Le verbe qui se fait entendre an dehors est donc le signe de ce
verbe qui demeure caché à l'intérieur, et auquel convient bien plus justement
le nom de verbe. Car ce qui sort de la bouche, c'est la voix du verbe, et on ne
lui donne le nom de verbe ou de parole, que par son union avec la parole
intérieure, qui est son unique raison d'être.
S. BAS. (hom. sur ces par.) Le Verbe dont
parle ici l'Evangéliste n'est pas un verbe humain ; comment, en effet, supposer
au commencement l'existence du verbe humain, alors que l'homme fut créé le
dernier de tous les êtres ? Ce Verbe qui était au commencement, n'est donc
point le verbe humain, ce n'est point non plus le verbe des anges ; car toute
créature est postérieure à l'origine des siècles, et a reçu du Créateur le
principe de son existence. Elevez-vous donc ici à la hauteur de l'Evangéliste,
c'est le Fils unique qu'il appelle le Verbe.
S. CHRYS. (hom. 2 sur S. Jean.) Mais
pourquoi saint Jean nous parle-t-il immédiatement du Fils, sans rien dire du
Père ? C'est que le Père était connu de tous les hommes, sinon comme Père, du
moins comme Dieu ; le Fils unique, au contraire, n'était pas connu. Voilà
pourquoi l'Evangéliste s'applique dès le commencement à en donner la
connaissance à ceux qui ne l'avaient pas. Disons plus, le Père lui-même est compris
dans tout ce qu'il dit du Fils. C'est pour cette raison qu'il lui donne le nom
de Verbe. Il veut enseigner que le Verbe est le Fils unique de Dieu, il détruit
donc par avance toute idée d'une génération charnelle, en montrant que ce Verbe
a été engendré de Dieu d'une manière incorruptible. Une seconde raison pour
laquelle il lui donne ce nom, c'est que le Fils de Dieu devait nous faire
connaître ce qui concerne le Père. Aussi ne l'appelle-t-il pas simplement
Verbe, mais il le distingue de tous les autres verbes, en ajoutant l'article.
L'Ecriture a coutume d'appeler verbe ou parole les lois et les commandements de
Dieu ; mais le Verbe dont il est ici question est une substance, une personne,
un être qui est né du Père par une naissance exempte de corruption et de
douleur.
S. BAS. (hom. précéd.) Mais pourquoi est-il
le Verbe ? parce que sa naissance est sans douleur, parce qu'il est l'image de
celui qui l'a engendré, qu'il le reproduit tout entier en lui-même, sans aucune
division, et en possédant comme lui toute perfection. — S. AUG. (de la
Trin., 15, 13.) De même qu'il existe une grande différence entre notre
science et celle de Dieu, le verbe qui est le produit de notre science est
aussi bien différent du Verbe de Dieu qui est né de l'essence même du Père ;
comme si je disais qu'il est né de la science du Père, de la sagesse du Père,
ou ce qui est plus expressif encore, du Père, qui est science, du Père, qui est
sagesse. Le Verbe de Dieu, Fils unique du Père, est donc semblable et égal à
son Père en toutes choses ; car il est tout ce qu'est le Père, il n'est
cependant pas le Père, parce que l'un est le Fils, et l'autre le Père. Le Fils
connaît tout ce que connaît le Père, puisqu'il reçoit du Père la connaissance
en même temps que l'être. Connaître et exister sont ici une seule et même chose
; et ainsi le Fils n'est point pour le Père le principe de la connaissance,
parce qu'il n'est pas pour lui le principe de l'existence. C'est donc en
s'énonçant lui-même, que le Père a engendré le Verbe qui lui est égal en toutes
choses ; car il ne se serait pas énoncé dans toute son intégrité et dans toute
sa perfection, si son Verbe lui était inférieur ou supérieur en quelque chose.
N'hésitons pas à considérer quelle distance sépare de ce Verbe divin notre
verbe intérieur, dans lequel nous trouvons cependant quelque analogie avec lui.
Le verbe de notre intelligence ne reçoit pas immédiatement sa forme définitive,
c'est d'abord une idée vague qui s'agite dans l'intérieur de notre âme, et qui
est le produit des différentes pensées qui se présentent successivement à notre
esprit. Le verbe véritable n'existe, que lorsque de ces pensées qui s'agitent
et se succèdent dans notre âme, naît la connaissance qui donne à son tour
naissance au verbe, et ce verbe ressemble en tout à cette connaissance ; car la
pensée doit nécessairement avoir la même nature que la connaissance dont elle
est le produit. Qui ne voit quelle différence extrême dans le Verbe de Dieu,
qui possède la forme et la nature de Dieu sans l'avoir acquise par ces divers
essais de formation, sans qu'il puisse jamais la perdre, et qui est l'image
simple et consubstantielle du Père ? C'est la raison pour laquelle
l'Evangéliste l'appelle le Verbe de Dieu, plutôt que la pensée de Dieu ; il ne
veut pas qu'on puisse supposer en Dieu une chose qui soit soumise au
changement, ou au progrès du temps ; qui commence à prendre une forme qu'elle
n'avait pas auparavant, et qu'elle peut perdre un moment après en retombant
dans les vagues agitations de l'intelligence. — S. AUG. (serm. 38 sur
les par. du Seig.) C'est qu'en effet le Verbe de Dieu est la forme qui n'a
jamais été soumise à la formation, c'est la forme de toutes les formes, la
forme immuable, exempte de vicissitudes, de décroissance, de toute succession,
de toute étendue mesurable, la forme qui surpasse toutes choses, qui existe en
toutes choses, qui est le fondement sur lequel reposent toutes choses, et le
faîte qui les couvre et les domine.
S. BAS. (hom. précéd.) Notre verbe extérieur
a quelque ressemblance avec le Verbe de Dieu. Notre verbe, en effet, reproduit
la conception de notre esprit, car nous exprimons par la parole ce que notre
intelligence a préalablement conçu. Notre cœur est comme une source, et la
parole que nous prononçons est comme le ruisseau qui sort de cette source.
S. CHRYS. (hom. précéd.) Remarquez ici la
prudence spirituelle de l'Evangéliste. Il savait que les hommes avaient de tout
temps rendu des honneurs divins à l'être qu'ils reconnaissaient exister avant
toutes les créatures et qu'ils appelaient Dieu. C'est donc par cet être qu'il
commence en lui donnant le nom de principe, et bientôt celui de Dieu : « Dans
le principe était le Verbe. » — ORIG. Ce nom de principe ou de commencement a
plusieurs significations. Il peut signifier le commencement d'un chemin ou
d'une longueur quelconque, comme dans ces paroles : « Le commencement de la
bonne voie est de faire la justice. » (Pr 16, 5.) Il signifie encore le
principe ou commencement de la génération, comme dans ces paroles du livre de
Job : « Il est le commencement des créatures de Dieu ; et l'on peut, sans rien
dire d'extraordinaire, affirmer que Dieu est le commencement ou le principe de
toutes choses. Pour ceux qui regardent la matière comme éternelle et incréée,
elle est le principe de tous les êtres qui ont été tirés de cette matière
préexistante. Le mot principe a encore une signification plus particulière,
comme lorsque saint Paul dit que le Christ est le principe de ceux qui ont été
faits à l'image de Dieu. (Col 1) Il y a encore le commencement ou le
principe de la discipline et de la morale chrétienne, et c'est dans ce sens que
le même Apôtre dit aux Hébreux : « Lorsqu'on raison du temps, vous devriez être
maîtres, vous avez encore besoin qu'on vous enseigne les premiers commencements
do la parole de Dieu. » (Hé 5, 12.) Le mot principe a lui-même deux sens
différents, il y a le principe considéré dans ses rapports avec nous. Ainsi le
Christ est par nature le principe de la sagesse, on tant qu'il est la sagesse
et le Verbe de Dieu ; et il est pour nous ce môme principe en tant que Verbe
fait chair. Parmi tontes ces significations différentes du mot principe, nous
pouvons choisir ici celle qui exprime le principe agissant ; car le Christ
créateur est comme le principe en tant qu'il est la sagesse, et le Verbe dans
le principe, est la même chose que le Verbe dans la sagesse ; car le Sauveur
est la source d'une infinité de biens. De même donc que la vie était dans le
Verbe, ainsi le Verbe était dans le principe, c'est-à-dire dans la sagesse.
Considèrez, si d'après cette signification, il est possible d'entendre le
principe, dans ce sens que c'est suivant les règles de cette sagesse, et les
idées exemplaires qu'elle renferme, que toutes choses ont été faites. Ou bien encore, comme le Père est le principe du Fils,
le principe des créatures et de tous les êtres, il faut entendre ces paroles :
« Dans le principe était le Verbe, » dans ce sens que le Verbe qui était le
Fils, était dans le principe, c'est-à-dire dans le Père. — S. AUG, (de la
Trin., 6, 2.) Ou bien encore, ces paroles : « Au commencement, » dans le
principe, signifient : « Avant toutes choses. » — S. BAS. (hom.
précéd.) Le Saint-Esprit a prévu que des envieux et les détracteurs de la
gloire du Fils unique chercheraient à détruire par leurs sophismes la foi des
fidèles en disant : S'il a été engendré, on ne peut pas dire qu'il était,
et avant d'être engendré, il n'était pas. C'est pour fermer par avance la
bouche à ces blasphémateurs, que l'Esprit saint dit : « Au commencement était
le Verbe. »
S. HIL. (de la Trin., 2.) Tous les temps sont
dépassés, tous les siècles sont franchis, toutes les années disparaissent ;
imaginez tel principe que vous voudrez, vous ne pouvez circonscrire celui-ci
dans les limites du temps, il existait avant tout les temps.
S. CHRYS. (hom. 2 sur S. Jean.) Lorsqu'un
homme monte sur un navire, tant qu'il est près du rivage, il voit se dérouler
devant lui les ports et les cités, mais dès qu'il est avancé en pleine mer, il
perd de vue ces premiers objets, sans que ses yeux puissent s'arrêter sur aucun
point. Ainsi l'Evangéliste, en nous élevant au-dessus de toutes les créatures,
laisse notre regard comme suspendu et sans objet, et ne lui permet d'entrevoir
ni aucunes bornes dans les hautes régions où il l'a transporté, ni aucunes
limites où il puisse se fixer, car ces paroles : « Au commencement, » expriment
à la fois l'Etre infini et éternel.
S. AUG. (serm. 38 sur les par. du Seign.) On
fait cette objection : S'il est Fils, donc il est né. Nous l'avouons. Ils
ajoutent : S'il est né un Fils au Père, il était Père avant la naissance
de son Fils. La foi rejette cette conclusion. Mais, poursuit-on, expliquez-moi
donc comment le Père a pu avoir un Fils, qui fut coéternel au Père dont il est
né, car le fils naît après son père pour lui succéder après sa mort. Ils vont
chercher leurs comparaisons dans les créatures, il nous faut donc aussi trouver
des comparaisons à l'appui des vérités que nous défendons. Mais comment pouvoir
trouver dans toute la création un être coéternel, alors qu'aucune créature
n'est éternelle ? Si nous pouvions trouver ici-bas deux êtres absolument
contemporains, l'un qui engendre, l'autre qui est engendré, nous pourrions
avoir une idée de l'éternité simultanée du Père et du Fils. La sagesse nous est
représentée dans l'Ecriture comme l'éclat de la lumière éternelle et comme
l'image du Père. Cherchons dans ces deux termes une comparaison qui,
à l'aide de deux choses existant simultanément, puisse nous donner l'idée de
deux êtres coéternels. Personne n'ignore que l'éclat de la lumière vient du feu
; supposons donc que le feu est le père de cet éclat, dès que j'allume une
lampe, le feu et la lumière existent simultanément. Donnez-moi du feu sans
lumière, et je vous concéderai que le Père n'a point eu de Fils. L'image doit
son existence au miroir, cette image se produit dès qu'un homme se regarde dans
un miroir, mais celui qui se regarde dans un miroir existait avant de s'en
approcher. Prenons encore comme objet de comparaison une plante on un arbuste
nés sur le bord des eaux, est-ce que leur image ne naît pas simultanément avec
eux ? Si donc cet arbuste existait toujours, l'image de l'arbuste aurait la
même durée. Or, ce qui vient d'un être est vraiment né de
lui ; l'être qui a engendré peut donc toujours avoir existé avec celui qui est
né de lui. Mais on me dira : Je comprends que le Père soit éternel, et que le
Fils lui soit coéternel, mais de la même manière que je comprends l'éclat du
feu moins brillant que le feu lui-même, ou comme l'image de l'arbuste qui se
produit dans les eaux, moins réelle et moins parfaite que l'arbuste lui-même.
Non, l'égalité est parfaite et absolue. Je ne le crois point, me réplique-t-on,
parce que vos comparaisons ne sont pas justes. Peut-être, cependant,
trouverons-nous dans les créatures des choses qui nous feront comprendre
comment le Fils est coéternel au Père, sans lui être inférieur, mais ce ne sera
pas dans un seul objet de comparaison. Joignons donc ensemble deux comparaisons
différentes, celle qu'ils donnent eux-mêmes et celle que nous apportons. Ils
ont emprunté leur comparaison aux êtres qui sont postérieurs par le temps à
ceux qui leur donnent naissance, par exemple, à l'homme qui naît d'un autre
homme ; mais cependant ces deux hommes ont une même nature. Nous trouvons donc
dans cette naissance l'égalité de nature, mais nous n'y trouvons pas l'égalité
d'existence. Au contraire, dans cette autre comparaison empruntée à l'éclat du
feu et à l'image de l'arbuste, vous ne trouvez pas l'égalité de nature, mais
l'égalité de temps. Vous trouvez donc réunies en Dieu les propriétés qui sont
disséminées dans plusieurs créatures, et vous les trouvez réunies, non pas
comme elles sont dans les créatures, mais avec la perfection qui convient au
Créateur.
actes du concile d'ephèse. L'Ecriture appelle le
Fils, tantôt le Fils
du Père, tantôt le Verbe, tantôt l'éclat de la lumière éternelle, et elle
emploie tour à tour ces divers noms en parlant du Christ, pour les opposer aux
blasphèmes de l'hérésie. Votre fils est de même nature que vous ; l'Ecriture, pour
vous montrer que le Père et le Fils ont une même nature, appelle le Fils, qui
est né du Père, son Fils unique. Mais comme la naissance d'un fils rappelle
l'idée de souffrance et de douleur qui accompagnent inséparablement la
génération humaine, la sainte Ecriture appelle le Fils de Dieu le Verbe, pour
éloigner toute idée de souffrance de la génération divine. Et encore, tout père
est incontestablement plus âgé que son fils, mais il n'en est pas de même pour
la nature divine, et c'est pour cela qu'elle appelle le Fils unique du Père,
l'éclat de la lumière éternelle. En effet, la lumière naît du soleil, mais elle
ne lui est point postérieure. Le nom d'éclat de la lumière éternelle vous
montre donc que le Fils est coéternel au Père, le nom de Verbe vous prouve
l'impassibilité de sa naissance, et le nom de Fils, sa consubstantialité avec
le Père.
S. CHRYS. (hom. 2 sur S. Jean). On
objecte encore : Ces paroles : « Au commencement, » ne signifient pas
simplement et nécessairement l'éternité, car n'est-il pas dit de la création du
ciel et de la terre : « Au commencement, Dieu fit le ciel et la terre ? » Mais
qu'a de commun cette expression : « Il était, » avec cette autre : « Il fit ? »
Lorsqu'on dit d'un homme : « Il est » cette expression marque le temps présent
; lorsqu'on l'applique à Dieu, elle signifie celui qui existe toujours et de
toute éternité. De même l'expression : « Il était, » appliquée à notre nature,
signifie le temps passé, mais lorsqu'il s'agit de Dieu, elle exprime son
éternité. — ORIG. (hom. 2. sur div. sujets.) Le verbe être a une double
signification, tantôt il exprime les différentes successions de temps,
lorsqu'il se conjugue avec d'autres verbes ; tantôt il exprime la nature de la
chose dont on parle sans aucune succession de temps, c'est pour cela qu'il est
appelé verbe substantif. — S. HIL. (De la Trin., 2.) Jetez donc un
regard sur le monde, comprenez ce qui est écrit du monde : « Au commencement
Dieu créa le ciel et la terre. » Ce qui est créé reçoit donc l'existence au
commencement, et ce qui se trouve renfermé dans le principe qui lui donne
l'existence se trouve également renfermé dans les limites du temps. Or, ce
simple pécheur, sans lettres, sans science, s'affranchit des bornes du temps,
remonte avant tous les siècles et s'élève au-dessus de tout commencement. Car
ce qui était, c'est ce qui est, ce qui n'est circonscrit par aucune durée, et
qui était au commencement ce qu'il est, bien plutôt qu'il n'était fait. —
ALCUIN. C'est donc contre ceux qui alléguaient la naissance temporelle du
Christ, pour enseigner qu'il n'avait pas toujours existé, que l'Evangéliste
commence son récit par l'éternité du Verbe : « Au commencement était le Verbe.
»
Et le Verbe était en Dieu.
S. CHRYS. (hom. 2 sur S. Jean.) C'est
surtout le propre de Dieu d'être éternel et sans commencement, c'est ce que
l'Evangéliste a établi tout d'abord, mais de peur qu'on ne vînt à conclure de
ces paroles : « Au commencement était le Verbe, » que le Verbe n'a pas été
engendré, il ajoute aussitôt pour repousser cette idée : « Et le Verbe
était en Dieu. » — S. HIL. (De la Trin., 2.) Il est dans le Père sans
aucun commencement, il n'est point soumis à la succession du temps, mais il a
un principe de son existence. — S. BAS. (hom. précéd.) Il s'exprime
encore de la sorte contre ceux qui osaient blasphémer que le Verbe n'était pas.
Où donc était le Verbe ? Il n'était pas dans un lieu, car ce qui ne peut être
circonscrit, ne peut être soumis aux lois de l'espace. Mais où était-il donc ?
Il était en Dieu. Or, ni le Père, ni le Fils, ne peuvent être contenus dans
aucun espace.
ORIG. Il est utile de faire remarquer que nous
lisons dans l'Ecriture, que le verbe ou la parole a été faite ou adressée à
quelques-uns, par exemple à Osée, à Isaïe, à Jérémie ; mais le Verbe n'est pas
fait en Dieu comme une chose qui n'existe pas en lui. C’est donc d’un être qui
est éternellement en lui, que l'Evangéliste dit : « Et le Verbe était avec
Dieu, » paroles qui prouvent que, même au commencement le Fils n'a jamais été
séparé du Père. — S. CHRYS. (hom. 3 sur S. Jean.) Il ne
dit pas : Il était en Dieu, mais : « Il était avec Dieu, » nous montrant ainsi
son éternité comme personne distincte. — THEOPHYL. L’erreur de Sabellius se
trouve détruite par ces paroles. Cet hérétique enseignait que le Père, le Fils
et le Saint-Esprit ne formaient qu’une seule personne, qui se manifestait
tantôt comme le Père, tantôt comme le Fils, et tantôt comme le Saint-Esprit ;
mais quoi de plus fort pour le confondre que ces paroles : « Et le Verbe était en Dieu ? » car l’Evangéliste
déclare ouvertement que le Fils est différent du Père, qu il désigne ici par le
nom de Dieu.
Et le Verbe était Dieu.
S. HIL. (De la Trin., 2.) Vous me direz : Le
Verbe, c'est le son de la voix l'énoncé des choses, l'expression des pensées.
Le Verbe était dans le principe avec Dieu, parce que la parole, expression de
la pensée, est éternelle, lorsque celui qui pense est éternel lui-même. Mais
comment le Verbe était-il au commencement, lui qui n'est ni avant, ni après le
temps ; je ne sais même s'il peut exister dans le temps ? Lorsque les hommes
parlent, leur parole n'existe pas avant qu'ils ouvrent la bouche, et lorsqu'ils
ont fini de parler, elle n'existe plus ; au moment même où ils arrivent à la
fin de leurs discours, le commencement a cessé d'exister ; Mais si vous avez
admis, tout ignorant que vous êtes, ces premières paroles : « Au commencement
était le Verbe, » pourquoi demander ce que signifient les suivantes : « Et le
Verbe était avec Dieu. » Est-ce que vous pouviez supposer qu'en Dieu le Verbe
était l'expression d'une pensée cachée, ou bien Jean aurait-il ignoré la
différence qui existe entre ces deux termes : Etre et assister ?
Ce qui était au commencement vous est présenté comme étant, non pas dans un
autre, mais avec un autre. Faites donc attention au nom et à la nature qu'il
donne au Verbe : « Et le Verbe était Dieu. » Il n'est plus question du son de
la voix, de l'expression de la pensée ; ce verbe est un être subsistant et non
pas un son, c'est une substance, une nature et non une simple expression, ce
n'est pas une chose vaine, c'est un Dieu. — S. HIL. (De la Trin., 7.)
L'Evangéliste lui donne le nom de Dieu sans aucune addition étrangère qui
puisse être matière à difficulté. Il a bien été dit à Moïse : « Je t'ai établi
le dieu de Pharaon. » (Ex 7, 1.) Mais on voit immédiatement la
raison de cette dénomination dans le mol qui l'accompagne : « de Pharaon, »
c'est-à-dire, que Moïse a été établi le dieu de Pharaon, pour s'en faire
craindre et prier, pour le châtier et pour le guérir ; mais il y a une grande
différence entre ces deux choses : Etre établi le dieu de quelqu'un et être
véritablement Dieu. Je me rappelle encore un autre endroit des Ecritures où
nous lisons : « J'ai dit : Vous êtes des dieux. » (Ps 81) Mais il est
facile de voir que ce nom n'est donné ici que par simple concession ; et ces
paroles : « J'ai dit, » expriment bien plutôt une manière de parler que la
réalité du nom qui est donné. Au contraire, lorsque j'entends ces paroles : «
Et le Verbe était Dieu ; » je comprends que ce n'est point une simple
dénomination, mais une véritable démonstration de sa divinité.
S. BAS. (homél. précéd.) C'est ainsi que
l'Evangéliste réprime les calomnies et les blasphèmes de ceux qui osent
demander : Qu'est-ce que le Verbe ? Il répond : « Et le Verbe était Dieu. » —
THEOPHYL. On peut encore donner une autre liaison de ces paroles avec ce qui
précède. Puisque le Verbe était avec Dieu, il est évident qu'il y avait deux
personnes distinctes, n'ayant toutes deux qu'une seule et même nature ; c'est
ce qu'affirmé l'Evangéliste : « Et le Verbe était Dieu, » c'est-à-dire, que le
Père et le Fils n'ont qu'une même nature, comme ils n'ont qu'une même divinité.
— ORIG. Ajoutons que le Verbe ou la parole que Dieu adressait aux prophètes,
les éclairait, de la lumière de la sagesse ; au contraire, le Verbe qui est
avec Dieu, reçoit de Dieu la nature divine, et voilà pourquoi saint Jean a fait
précéder ces paroles : « Et le Verbe était Dieu ; » de ces autres : « Et le
Verbe était avec Dieu ou en Dieu. » — S. CHRYS. (hom. 4 sur S. Jean.)
Et il n'est pas Dieu dans le sens de Platon, qui l'appelle tantôt une
certaine intelligence, tantôt l'âme du monde, toutes choses complètement
étrangères à sa nature divine. Mais on nous fait cette objection : Le Père est
appelé Dieu avec addition de l'article, et le Fils sans l'article. Que dit en
effet l'apôtre saint Paul ? « Du grand Dieu et notre Sauveur Jésus-Christ. » (Tite,
2, 13.) Et dans un autre endroit : « Qui est Dieu au-dessus de toutes
choses? » (Rm 9, 5.) C'est-à-dire, que le Fils est appelé Dieu sans
article. Nous répondons que la même observation peut
s'appliquer au Père. En effet, saint Paul écrivant aux Philippiens, dit : « Qui
ayant la forme et la nature de Dieu (έν
μορφή Θεού, sans article), n'a
point cru que ce fût pour lui une usurpation d'être égal à Dieu. » (Ph 2,
6.) Et dans son Epître aux Romains : « Grâce et paix soient à vous de la
part de Dieu (άπό Θεού, sans article), notre
Père, et de Jésus-Christ Nôtre-Seigneur. » (Rm 1, 7.) D'ailleurs, il
était parfaitement inutile de mettre ici l'article, alors qu'on l'avait employé
mainte fois dans ce qui précède. Donc le Fils n'est pas Dieu dans un sens plus
restreint, parce que le nom de Dieu qui lui est donné n'est pas précédé de
l'article.
Il était au commencement
avec Dieu.
S. HIL. (De la Trin., 2.) Ces paroles : « Et
le Verbe était Dieu, » m'étonnent, et cette locution inusitée me jette dans le
trouble, lorsque je me rappelle que les prophètes ont annoncé un seul Dieu.
Mais notre pêcheur calme bientôt ce trouble en donnant la raison d'un si grand
mystère ; il rapporte tout à un seul Dieu, et fait ainsi disparaître toute idée
injurieuse à la divinité, toute pensée d'amoindrissement ou de succession de
temps, en ajoutant : « Il était au commencement avec Dieu, » avec Dieu qui n'a
pas été engendré, et dont il est proclamé seul le Fils unique, qui est Dieu. —
THEOPHYL. Ou encore, c'est pour prévenir ce soupçon diabolique qui pouvait en
troubler plusieurs, que le Seigneur étant Dieu, s'était déclaré contre son Père
(comme l'ont imaginé les fables des païens), et séparé de son Père pour se mettre en opposition avec lui, que l'Evangéliste
ajoute : « Il était au commencement avec Dieu, » c'est-à-dire, le Verbe de Dieu
n'a jamais eu d'existence séparée de celle de Dieu.
S. CHRYS. (hom. 4 sur S. Jean.) Ou
bien encore ces paroles : « Au commencement était le Verbe, » tout en
établissant l'éternité du Verbe, pouvaient laisser croire que la vie du Père
avait précédé, ne fût-ce que d'un moment la vie du Fils ; saint Jean va
au-devant de cette pensée, et se hâte de dire : « Il était dans le commencement
avec Dieu, » il n'en a jamais été séparé, mais il était toujours Dieu avec
Dieu. Ou encore, comme ces paroles : « Et le Verbe était Dieu, » pouvaient
donner ù penser que la divinité du Fils était moindre que celle du Père, il
apporte aussitôt un des attributs particuliers de la divinité, c'est-à-dire,
l'éternité, en disant : « Il était au commencement avec Dieu ; et il fait
ensuite connaître quelle a été son œuvre, en ajoutant : « Toutes choses ont été
faites par lui. »
ORIG. Ou bien encore, l'Evangéliste résume les trois
propositions qui précèdent dans cette seule proposition : « Il était au
commencement avec Dieu. » La première de ces propositions nous a appris quand
était le Verbe, il était au commencement ; la seconde, avec qui il était, avec
Dieu ; la troisième, ce qu'il était, il était Dieu. Voulant donc démontrer que
le Verbe dont il vient de parler est vraiment Dieu, et résumer dans une
quatrième proposition les trois qui précèdent : « Au commencement était le
Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu, » il ajoute : « Il
était au commencement avec Dieu. » Demandera-t-on pourquoi l'Evangéliste n'a
pas dit : « au commencement était le Verbe de Dieu, et le Verbe de Dieu était
avec Dieu, et le Verbe de Dieu était Dieu ? » Nous répondons que pour tout
homme qui reconnaît que la vérité est une, il est évident que la manifestation
de la vérité, manifestation qui est la sagesse, doit être également une. Or,
s'il n'y a qu'une seule vérité et qu'une seule sagesse, la parole qui est
l'expression de la vérité, et qui répand la sagesse dans ceux qui sont capables
de la recevoir, doit aussi être une. En donnant cette réponse, nous sommes loin
de dire que le Verbe n'est pas le Verbe de Dieu, mais nous voulons simplement
montrer l'utilité de l'omission du mot Dieu. D'ailleurs, saint Jean lui-même
dit dans l'Apocalypse : « Et son nom est le Verbe de Dieu. » — ALCUIN. Mais
pourquoi s'est-il servi du verbe substantif, « il était ? » Pour vous faire
comprendre que le Verbe de Dieu, coéternel à Dieu le Père, précède tous les
temps.
Toutes choses ont été faites
par lui.
ALCUIN. Après avoir exposé la nature du Fils,
l'Evangéliste fait connaître ses œuvres : « Toutes choses ont été faites
par lui, » c'est-à-dire, tout ce qui existe comme substance ou comme propriété.
— S. HIL. (De la Trin., 2.) On pouvait dire encore : Le Verbe était au
commencement, mais il a pu ne pas exister avant le commencement? Saint Jean répond
: « Toutes choses ont été faites par lui. » Celui par qui a été fait tout
ce qui est fait est un être infini, et comme toutes choses viennent de lui, il
est aussi le principe du temps.
S. CHRYS. (hom. 4 sur S. Jean.) Moïse
commence l'histoire de l'Ancien Testament, par le récit détaillé de la création
des choses extérieures : « Au commencement, dit-il, Dieu fit le ciel et la
terre ; » paroles qu'il fait suivre de la création de la lumière, du firmament,
des étoiles et des différentes espèces d'animaux. L'Evangéliste, an contraire,
abrège et résume tout ce récit en un seul mot, comme étant connu de ses
auditeurs ; il entreprend un sujet plus sublime, et consacre tout son Evangile,
non aux œuvres de la création, mais à la gloire du Créateur. — S. AUG. (de
la Gen., à la lett. 2.) Ces paroles : « Toutes choses ont été faites par
lui, » nous prouvent suffisamment que la lumière elle-même a été faite par lui,
lorsque Dieu dit : « Que la lumière soit, » de même que tous les autres
ouvrages de la création. Mais s'il en est ainsi, puisque le Verbe de Dieu, qui
est Dieu lui-même, est coéternel à Dieu le Père, cette parole que Dieu prononce
: « Que la lumière soit, » est éternelle, bien que la créature n'ait été faite
que dans le temps. Ces expressions que nous employons, quand, alors, désignent
un temps déterminé, mais quand une chose doit être faite par Dieu, elle est
éternelle dans le Verbe de Dieu, et elle est faite au moment où le Verbe a
résolu de la faire, car dans ce Verbe, il n'y a aucune de ces successions de
temps indiquées par ces expressions quand, alors, parce que le Verbe
tout entier est éternel.
S. AUG. (Traité 1 sur S. Jean.) Comment donc pourrait-il se
faire que le Verbe de Dieu ait été fait, alors que c'est par le Verbe que Dieu
a fait toutes choses ? Et si ce Verbe a été fait, par quel autre Verbe a-t-il
été fait ? Si vous dites qu'il est le Verbe du Verbe par lequel il a été fait,
moi je l'appelle le Fils unique de Dieu. Mais si vous ne l'appelez pas le Verbe
du Verbe, reconnaissez qu'il n'a pas été fait, puisque toutes choses ont été
faites par lui. — S. AUG. (De la Trin., 6.) S'il n'a pas été fait, il
n'est pas créature, il a la même nature que son Père, car toute substance qui
n'est pas Dieu est créature, et la substance qui n'a pas été créée est
nécessairement la nature divine.
THEOPHYL. Tel est le langage que tiennent les Ariens
; tout a été fait par le Fils, comme nous disons qu'une porte a été faite avec
une scie qui a servi d'instrument à l'ouvrier, c'est-à-dire, qu'il n'a pas agi
comme créateur, mais comme instrument. Et ils prétendent que le Fils a été fait
pour servir d'instrument à la création des autres êtres. Nous répondons
simplement aux auteurs de ce mensonge : Si, comme vous le dites, le Père avait
créé le Fils, pour s'en servir comme d'un instrument, la nature du Fils serait
beaucoup moins noble que celle des autres créatures qui ont été faites par lui.
De même qu'une scie est d'un rang inférieur à celui des ouvrages qu'elle sert à
faire, puisqu'elle n'existe que pour eux ; c'est par le même dessein,
disent-ils, que Dieu a créé le Fils, comme si Dieu n’eût jamais produit son
Fils, dans l'hypothèse où il n'aurait pas dû créer l'univers. Peut-on tenir un
raisonnement plus insensé ? Mais, ajoutent-ils, pourquoi l'Evangéliste n'a-t-il
pas dit que le Verbe a fait toutes choses, et s'est-il servi de la préposition par
: « Toutes choses ont été faites par lui ? » C'est afin que vous ne croyez
pas que le Fils n'a pas été engendré, qu'il est sans principe, et comme le
créateur de Dieu. — S. CHRYS. (hom. 5 sur S. Jean.) Si du reste
cette expression : « Par lui » vous déconcerte, et que vous vouliez trouver
dans l'Ecriture un témoignage que le Verbe a tout fait lui-même, écoutez David
: « Au commencement, Seigneur, vous avez créé la terre, et les cieux sont les
œuvres de vos mains. » (Ps. 101) C’est du Fils que le Roi-prophète parle
ainsi, comme vous l'apprend l'apôtre saint Paul, qui lui applique ces paroles
dans son Epître aux Hébreux (He 1). Si vous prétendez que c'est du Père
que le Roi-prophète a voulu parler, et que saint Paul applique ces paroles au
Fils, notre raisonnement conserve toute sa force, car saint Paul ne les aurait
jamais appliquées au Fils, s'il n'avait été profondément convaincu que le Père
et le Fils ont la même puissance et la même divinité. Si la préposition par vous
parait indiquer une infériorité quelconque, pourquoi saint Paul remploie-t-il à
l'occasion du Père ? « Dieu, écrit-il aux Corinthiens, par lequel vous
avez été appelés à la société de son Fils Jésus-Christ, Nôtre-Seigneur, est
fidèle ; » (1 Co 1, 9) et encore : « Paul, Apôtre par la volonté de Dieu
? » — ORIG. Valentin est aussi tombé dans l'erreur, en disant que le Verbe
avait été pour le Créateur la cause de la création du monde. Car si les choses
étaient telles qu'il les affirme, l'Evangéliste aurait dû dire : que le Verbe a
tout fait par le Créateur, et non que le Créateur a tout fait par le Verbe.
Et sans lui rien n'a été
fait.
S. CHRYS. (hom. 5 sur S. Jean,) Ces
paroles : « Toutes choses ont été faites par lui, » ne comprennent pas
seulement les êtres dont Moïse nous rapporte la création ; aussi saint Jean
ajoute-t-il expressément : « Et sans lui rien n'a été fait, » soit des
choses visibles, soit des invisibles. Ou encore : c'est afin qu'on ne fût point
tenté de restreindre aux miracles racontés par les autres évangélistes, ces
paroles : « Toutes choses ont été faites par lui, » qu'il ajoute : « Et
sans lui rien n'a été fait. » — S. HIL. (De la Trin., 2.) Ou encore :
Ces paroles : « Toutes choses ont été faites par lui, » ont un sens
indéterminé. Or, il y a un être qui n'a pas été engendré et qui n'a été fait
par personne ; il y a un Fils qui a été engendré par celui qui n'a pas eu de
naissance, et l'Evangéliste fait nécessairement supposer que le Père est l'auteur
de toutes choses, en parlant de celui qui lui est si étroitement associé, et en
disant : « Sans lui rien n'a été fait. » Car puisque rien n'a été fait sans
lui, je conclus nécessairement qu'il n'est pas seul, mais qu'il y eu a un par
qui tout a été fait, et un autre sans lequel rien n'a été fait. — ORIG. (homélie
2 sur divers sujets.) Ou encore : L'Evangéliste veut aller au-devant
de cette pensée qu'il y a des choses qui sont faites par le Verbe, et d'autres
qui existent par elles-mêmes indépendamment du Verbe, et c'est pour cela qu'il
ajoute : « Et sans lui rien n'a été fait, » c'est-à-dire, rien n'a été fait en
dehors de lui, car il embrasse, contient et conserve toutes choses. — S. AUG. (Quest.
sur l'Anc. et le Nouv. Test., 97.) Ou bien encore : Ces paroles :
« Sans lui rien n'a été fait, » éloignent de nous jusqu'à l'idée que le
Verbe soit une simple créature. Comment soutenir, en effet, qu'il est une
créature, lorsque l'Evangéliste affirme que Dieu n'a rien fait sans lui ?
ORIG. (Traité sur S. Jean.) Ou bien encore,
si toutes choses ont été faites par le Verbe, et qu'au nombre de ces choses se
trouve le mal et tout le malheureux courant du péché, le Verbe serait donc
l'auteur du mal et du péché, ce qu'il est impossible d'admettre. Le néant et
le non être sont deux termes qui ont la même signification. L'Apôtre
lui-même semble appeler le mal le non être, lorsqu'il dit : « Dieu appelle les
choses qui sont comme celles qui ne sont pas ; » (Rm 4) ainsi sous le
nom de rien, il faut comprendre le mal qui a été fait sans le Verbe. — S. AUG. (Traité
1 sur S. Jean.) En effet, le péché n'a point été fait par le Verbe,
et il est évident que le péché c'est le rien, ou le non être, et que les hommes
tombent dans le rien, lorsqu'ils commettent le péché. L'idole, non plus, n'a
pas été faite par le Verbe ; elle a bien une forme humaine, et c'est par le
Verbe que l'homme a été fait. Mais la forme humaine n'a pas été donnée à
l'idole par le Verbe, car il est écrit : « Nous savons qu'une idole n'est rien.
» (1 Co 8) Donc aucune de ces choses n'a été faite par le Verbe, mais il est l'auteur
de tout ce qui existe dans la nature, et de tout l'ensemble des créatures
depuis l'ange jusqu'au vermisseau.
ORIG. (Traité 2 sur S. Jean.) Valentin
retranche du nombre des choses qui ont été faites par le Verbe, celles qui ont
été faites dans les siècles, et dont il fait remonter l'existence avant le
Verbe ; opinion contraire à toute évidence ; car les choses qu'il regarde comme
divines ne sont point comprises dans toutes ces choses qui ont été faites par
le Verbe, et celles qui, de son avis, sont sujettes à la destruction, en font
évidemment partie. Quelques-uns prétendent, mais à tort, que le démon n'est pas
une créature de Dieu ; ce n'est qu'en tant qu'il est démon, qu'il n'est pas
créature de Dieu, mais celui qui a eu le malheur de devenir un démon, est
vraiment l'œuvre de Dieu ; ainsi, disons-nous qu'un homicide n'est point
l'œuvre et la créature de Dieu, bien cependant que comme homme il soit
véritablement son œuvre.
S. AUG. (de la nature du bien, 25.) Il ne
faut point s'arrêter à l'opinion absurde de ceux qui prétendent qu'il faut
entendre ici le rien d'un certain ordre d'êtres, parce que ce mot rien
se trouve placé à la fin de la phrase ; ils ne comprennent pas qu'il n'y a
aucune différence entre ces deux manières de s'exprimer : « Sans lui, rien
n'a été fait, » ou : « Sans lui n'a été fait rien. »
ORIG. (Traité 2 sur S. Jean.) Si l'on
prend le verbe dans le sens qu'il se trouve en chacun de nous, et qu'il nous a
été donné par le Verbe qui était au commencement, ou peut dire que nous ne
faisons rien sans ce verbe, en prenant le mot rien dans son sens le plus
simple. L'Apôtre dit : « Que sans la loi, le péché était mort, mais que le
commandement étant survenu, le péché est ressuscité ; » (Rm 7, 8-9) car le péché n'est
pas imputé, lorsque la loi n'est pas encore. Le péché n'existait pas non plus,
avant que le Verbe descendît sur la terre, au témoignage de Nôtre-Seigneur
lui-même : « Si je n'étais pas venu, et que je ne leur eusse point parlé, ils
n'auraient pas de péché. (Jn 15) En effet, il ne reste aucune excuse à
celui qui veut se justifier de ses fautes, alors qu'il a refusé d'obéir au
Verbe qui était présent, et qui lui indiquait ce qu'il devait faire. Nous ne
devons cependant ni inculper ni accuser le Verbe, pas plus qu'on ne peut
accuser un maître dont les leçons ont ôté à son élève tout moyen de rejeter ses
fautes sur son ignorance. Donc toutes choses ont été faites par le Verbe,
non-seulement les choses de la nature, mais tous les êtres privés de raison.
Ce qui a été fait était vie
en lui.
BEDE. L'Evangéliste vient de dire que toute créature
a été faite par le Verbe ; mais afin qu'on ne pût supposer dans le Verbe une
volonté changeante (comme si par exemple il avait voulu faire une créature à
laquelle il n'aurait jamais songé de toute éternité), il prend soin de nous
enseigner que la création a eu lieu, il est vrai, dans le temps, mais que le
moment et l'objet de la création ont toujours existé dans la pensée de l'éternelle
sagesse, vérité qu'expriment ces paroles : « Ce qui a été fait était vie
en lui. »
S. AUG. (Traité 1 sur S. Jean) On peut
ainsi ponctuer ce texte : « Ce qui a été fait en lui, était vie, » et si nous
adoptons cette ponctuation, il faut dire : Tout était vie, car qu'y a-t-il qui
ne soit fait par lui ? Il est la sagesse de Dieu, et nous lisons dans le Psaume
103 : «Vous avez tout fait dans la sagesse. » Toutes choses ont donc été faites
en lui comme elles ont été faites par lui. Mais si tout ce qui a été fait en
lui est vie, donc la terre est vie, donc la pierre est vie aussi. Gardons-nous
de cette interprétation inconvenante qui nous serait commune avec les
manichéens, et nous ferait tenir avec eux ce langage absurde, qu'une pierre,
qu'une muraille ont en elles la vie. Essaie-t-on de les reprendre et de les
réfuter ? ils cherchent à s'appuyer sur les Ecritures et nous disent : Pourquoi
est-il écrit : « Ce qui a été fait en lui, était vie ? » Il faut donc
préférer cette ponctuation : « Ce qui a été fait, était vie en lui. » Quel est
le sens de ces paroles ? La terre a été faite, mais la terre qui a été faite
n'est point la vie ; ce qui est vie, c'est cette raison, cette pensée éternelle
qui existent dans la sagesse de bien, et en vertu de laquelle la terre a été
faite. Ainsi la vie n'est point dans un meuble quelconque, lorsqu'il est
exécuté ; ce meuble, ce bâtiment, si l'on veut, est vie dans son plan, parce
qu'il est vivant dans la pensée, dans le dessein de l'ouvrier ou de
l'architecte ; de même comme la sagesse de Dieu, par laquelle toutes choses ont
été faites, contient dans ses plans éternels tout ce qui se fait d'après ces
plans, bien que ces choses ne soient point en elles-mêmes la vie, elles sont
vivantes dans celui qui les a faites.
ORIG. (hom. sur div. suj.) On peut donc sans
craindre d'erreur séparer ainsi les deux membres de cette phrase : « Ce qui a
été fait en lui, était vie, » et voici quel serait le sens : Toutes les choses
qui ont été faites par lui et en lui sont vivantes et une même chose en lui.
Car elles étaient, c'est-à-dire elles existaient en lui, comme dans leur cause,
avant d'exister effectivement en elles-mêmes. Demandera-t-on comment toutes les
choses qui ont été faites par le Verbe sont vivantes eu lui, et subsistent en
lui d'une manière uniforme comme dans leur cause ? La nature des êtres créés
vous en offre des exemples. Voyez comment toutes les choses que renferme la
sphère de ce monde visible subsistent comme dans leur cause et d'une manière
uniforme dans le soleil, qui est le plus grand des astres ; comment le nombre
infini des végétaux et des fruits est contenu dans chacune des semences ;
comment les règles multipliées viennent se réduire à l'unité dans l'art de
l'ouvrier, et sont comme vivantes dans l'esprit qui les met en ordre ; comment
enfin le nombre infini des lignes subsiste comme une seule unité dans un seul
point. De ces différents exemples puisés dans la nature, vous pourriez vous
élever comme sur les ailes de la contemplation du monde physique jusqu'aux
oracles du Verbe, pour les considérer avec toute la pénétration de l'esprit, et
pour voir autant que cela est donné à des intelligences créées, comment toutes
les choses qui ont été faites par le Verbe sont vivantes et ont été faites en
lui.
S. HIL. (de la Trin., 2.) On peut encore lire
et entendre ces paroles d'une autre manière. En entendant l'Evangéliste dire :
« Sans lui rien n'a été fait, » quelque esprit troublé pourrait dire : II y a
donc quelque chose qui a été fait par un autre, et qui cependant n'a pas été
fait sans lui, et si quelque chose a été fait par un autre, bien que non sans
lui, toutes choses n'ont pas été faites par lui ; car il y a une grande
différence entre faire soi-même, et s'associer à l'opération d'un autre.
L'Evangéliste expose donc que rien n'a été fait sans lui en disant : « Ce qui a
été fait en lui, » donc ce qui a été fait en lui n'a pas été fait sans lui. Car
ce qui a été fait en lui, a été fait aussi par lui, au témoignage de l'Apôtre :
« Toutes choses ont été créées par lui et en lui. (Col 1, 16.)
C'est pour lui aussi que toutes choses ont été créées, parce que le Dieu
créateur s'est soumis à une naissance temporelle ; mais ici rien n'a été fait
sans lui de ce qui a été fait en lui, parce que le Dieu qui voulait naître
parmi nous était la vie ; et celui qui était la vie, n'a pas attendu sa
naissance pour devenir la vie. Rien donc de ce qui se faisait en lui, ne se
faisait sans lui, parce qu'il est la vie qui produisait ces choses, et le Dieu
qui a consenti à naître parmi nous, n'a pas attendu sa naissance pour exister,
mais il existait aussi en naissant.
S. CHRYS. (hom. 4 sur S. Jean.) Ou
encore dans un autre sens, ne plaçons pas après ces paroles : « Sans lui rien
n'a été fait, » le point qui termine la phrase, comme font les hérétiques qui
prétendent que l'Esprit saint a été créé, et qui lui appliquent celles qui
suivent : « Ce qui a été fait en lui, était la vie. » En effet, cette
explication est inadmissible. D'abord ce n'était pas le moment de parler de
l'Esprit saint ; mais supposons qu'il soit question de l'Esprit saint, et
admettons leur manière de lire le texte, leur explication n'en sera ni moins
absurde ni moins inconvenante. Ils prétendent donc que ces paroles : « Ce qui a
été fait en lui était la vie, » s'appliquent à l'Esprit saint qui est la vie.
Mais cette vie est en même temps la lumière, car nous lisons à la suite : « Et
la vie était la lumière des hommes. » Donc d'après ces hérétiques, c'est
l'Esprit saint qui est appelé ici la lumière de tous. Mais ce que l'Evangéliste
appelait plus haut le Verbe, c'est ce qu'il appelle ici Dieu, la vie et la
lumière. Or, comme le Verbe s'est fait chair, ce sera donc l'Esprit saint qui
se sera incarné et non le Fils. Il faut donc renoncer à cette manière de lire
le texte, et adopter une lecture et une explication plus raisonnables. Or,
voici comme on doit lire : « Toutes choses ont été faites par lui, et sans
lui rien n'a été fait de ce qui a été fait, » et arrêter là le sens de la
phrase, puis recommencer ensuite : « En lui était la vie, comme s'il disait : «
Sans lui rien n'a été fait de ce qui a été fait, » c'est-à-dire de tout ce qui
devait être fait. Vous voyez comment en ajoutant deux mots au premier membre de
phrase, on fait disparaître toute difficulté. En effet, en disant : « Sans lui
rien n'a été fait, » et en ajoutant : « De ce qui a été fait, »
l'Evangéliste embrasse toutes les créatures visibles et invisibles, et exclut
évidemment l'Esprit saint, car l'Esprit saint ne peut être compris parmi les
créatures qui pouvaient être faites et appelées à la vie. Ces paroles de saint
Jean ont donc pour objet la création de l'univers ; il en vient ensuite à
l'idée de la Providence dont il parle en ces termes : « En lui était la vie. »
De même que vous ne pouvez épuiser ni diminuer une de ces sources profondes qui
donnent naissance aux grands fleuves et alimentent les mers, ainsi vous ne
pouvez supposer la moindre altération dans le Fils unique, quelles que soient
les œuvres que vous croyiez qu'il ait faites. Ces paroles : « En lui était la
vie, » ne se rapportent pas seulement à la création, mais à la Providence qui
conserve l'existence aux choses qui ont été créées. Gardez-vous toutefois de
supposer rien de composé ou de créé dans le Fils, en entendant l'Evangéliste tous dire : « En lui était la vie, » car a
comme le Père a en soi la vie, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir la vie en
soi. » (Jn 5) Ne supposez donc rien de créé dans le Fils, pas plus que
vous ne le supposez dans le Père.
ORIG. (Traité 3 sur S. Jean.) On peut donner
encore cette autre explication : Il faut se rappeler que dans le Sauveur
certains attributs ne sont point pour lui, mais pour les autres, et certains
autres sont tout à la fois pour lui et pour les autres. Gomment donc doit-on
ici entendre ces paroles : « Ce qui a été fait dans le Verbe, était vie en lui
? » Signifient-elles qu'il était la vie pour lui et pour les autres, ou qu'il
ne l'était que pour les autres ? et s'il ne l'était que pour les autres, quels
sont ces antres ? Le Verbe est à la fois vie et lumière. Or, il est la lumière
des hommes, il est donc aussi la vie de ceux dont il est la lumière, et ainsi
lorsque l'Evangéliste dit qu'il est la vie, ce n'est point pour lui, mais pour
ceux dont il est la lumière. Cette vie est inséparable du Verbe de Dieu, et elle
existe par lui, aussitôt qu'elle a été faite, il faut, en effet, que la raison
ou le Verbe soit comme préexistant dans l'âme pour la purifier, et lui donner
une pureté exempte de tout péché, afin que la vie puisse s'introduire et se
répandre dans celui qui s'est rendu capable de recevoir le Verbe de Dieu. Aussi
l'Evangéliste ne dit pas que le Verbe a été fait au commencement ; car on ne
peut supposer de commencement où le Verbe de Dieu n'existât point, mais la vie
des hommes n'était pas toujours dans le Verbe ; cette vie des hommes a été
faite, parce que cette vie était la lumière des hommes. En effet, avant que
l'homme existât, il n'était pas la lumière des hommes, cette lumière ne pouvant
se comprendre que dans ses rapports avec les hommes. C'est pourquoi saint Jean
dit : « Ce qui a été fait était vie dans le Verbe, » et non pas : Ce qui était
dans le Verbe était vie. D'après une autre variante qui n'est pas dénuée de
fondement, on lit : « Ce qui a été fait en lui, était vie. » Or, si nous
comprenons que la vie des hommes qui est dans le Verbe, est celle dont il a dit
: « Je suis la vie, » (Jn 11, 14) nous en conclurons qu'aucun de
ceux qui refusent de croire à Jésus-Christ n'a la vie en lui, et que tous ceux
qui ne vivent pas en Dieu sont morts.
Et la vie était la lumière
des hommes.
THÉOPHYL. L'Evangéliste vient de dire : « En lui
était la vie, » pour éloigner de vous cette pensée, que le Verbe n'avait
point la vie. Il vous enseigne maintenant qu'il est la vie spirituelle et la
lumière de tous les êtres raisonnables : « Et la vie était la lumière des
hommes ; » comme s'il disait : Cette lumière n'est point sensible, c'est une
lumière toute spirituelle qui éclaire l'âme elle-même. — S. AUG. (Traité 1
sur S. Jean.) C'est cette vie qui éclaire tous les hommes ; les animaux
sont privés de cette lumière, parce qu'ils n'ont point d'âmes raisonnables,
capables de voir la sagesse. L'homme, au contraire, qui a été fait à l'image de
Dieu, est doué d'une âme raisonnable qui lui permet de comprendre la-sagesse.
Ainsi cette vie qui a donné l'existence à toutes choses, est en même temps la
lumière, qui éclaire non pas indistinctement tous les animaux, mais les hommes
raisonnables.
THEOPHYL. Il ne dit pas que cette lumière éclaire
seulement les Juifs, c'est la lumière de tous les hommes. Tous les hommes, en
effet, par là même qu'ils reçoivent l'intelligence et la raison du Verbe qui
les a créés, sont éclairés de cette divine lumière ; car la raison qui nous a
été donnée, et qui fait de nous des êtres raisonnables, est la lumière qui nous éclaire sur ce que
nous devons faire et sur ce que nous devons éviter.
ORIG. N'oublions pas de remarquer que le Verbe est
la vie avant d'être la lumière des hommes ; il eût été peu logique de dire
qu'il éclairait ceux qui n'avaient point la vie, et de faire précéder la vie
par la lumière. Mais si ces paroles : « La vie était la lumière des hommes, »
doivent s'entendre exclusivement des hommes, il en faudra conclure que
Jésus-Christ n'est la lumière et la vie que des hommes seuls, ce qui est
contraire à la foi. Lors donc qu'une chose est affirmée de quelques-uns, ce
n'est pas à l'exclusion des autres. Ainsi, il est écrit de Dieu, qu'il est le
Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ; évidemment, il n'est pas exclusivement le
Dieu de ces patriarches. De ce qu'il est la lumière des hommes, il ne s'ensuit
donc point qu'il ne soit pas également la lumière pour d'autres. Il en est qui
s'appuient sur ces paroles : « Faisons l'homme à notre image et à notre
ressemblance, » pour soutenir qu'il faut ici comprendre sous le nom d'hommes
tous les êtres qui ont été faits à l'image et à la ressemblance de Dieu ; et
ainsi la lumière des hommes, c'est la lumière qui éclaire toute créature
raisonnable.
Et la lumière luit dans les
ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas comprise.
S. AUG. (Traité 1 sur S. Jean.) Cette vie
était donc la lumière des hommes, mais les cœurs des insensés ne peuvent
comprendre cette lumière, appesantis qu'ils sont par leurs péchés qui leur
dérobent la vue de cette divine lumière. Toutefois, qu'ils ne croient pas que
cette lumière
est loin d'eux, parce qu'ils ne peuvent la voir : « Et la lumière luit dans les
ténèbres, dit l'Evangéliste, et les ténèbres ne l'ont pas comprise. » Placez un
aveugle devant le soleil, le soleil lui est présent, mais il est comme absent
pour le soleil. Or, tout insensé est un aveugle ; la sagesse est devant lui,
mais comme elle est devant un aveugle, elle ne peut éclairer ses yeux, non
parce qu'elle est loin de lui, mais parce qu'il est loin d'elle.
ORIG. (Traité 3 sur S. Jean.) Si la
vie est la même chose que la lumière des hommes, aucun de ceux qui sont dans
les ténèbres ne vit véritablement, comme aucun de ceux qui sont vivants n'est
dans les ténèbres, car tout homme qui a la vie est dans la lumière, comme
réciproquement tout homme qui est dans la lumière a la vie en lui. Or, d'après
ce que nous avons dit des contraires, nous pouvons comprendre et apprécier ici
les contraires dont l'Evangéliste ne parle pas. Le contraire de la vie c'est la
mort, et le contraire de la lumière des hommes, ce sont les ténèbres qui
couvrent leur intelligence. Donc celui qui est dans les ténèbres est aussi dans
la mort, et celui qui fait des œuvres de mort ne peut être que dans les
ténèbres ; celui au contraire qui fait des œuvres de lumière, ou celui dont les
œuvres brillent devant les hommes, et qui a toujours présent le souvenir de
Dieu, n'est point dans la mort, d'après cette parole du Psaume sixième : «
Celui qui se souvient de vous n'est point redevable à la mort. » Que les
ténèbres des hommes et de la mort soient telles de leur nature ou pour d'autres
causes, c'est une autre question. Or, nous étions autrefois ténèbres, mais nous
sommes devenus lumière en Notre-Seigneur (Ep 5), si nous sommes tant
soit peu initiés à la sainteté et à la vie spirituelle. Tout
homme qui a été autrefois ténèbres, l'a été comme l'apôtre saint Paul, tout en
demeurant capable de devenir lumière dans le Seigneur. — (Hom. 2 sur
div. suj.) Ou bien encore, dans un autre sens, la lumière des hommes, c'est
Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, qui s'est manifesté lui-même dans la nature
humaine à toute créature raisonnable et intelligente, et a révélé aux cœurs des
fidèles les mystères de sa divinité qui le rend égal au Père ; ce que saint
Paul exprime en ces termes : « Vous étiez autrefois ténèbres, vous êtes
maintenant lumière dans le Seigneur. » Dites donc : « La lumière luit dans les
ténèbres, » parce que le genre humain tout entier était plonge, non par nature,
mais par suite du péché originel dans les ténèbres de l'ignorance qui lui
dérobaient la connaissance de la vérité ; or Jésus-Christ, après être né d'une
Vierge, a brillé comme une vive lumière dans le cœur de tous ceux qui veulent
le connaître. Il en est toutefois qui persistent à demeurer dans les ténèbres
épaisses de l'impiété et de l'incrédulité, voilà pourquoi l'Evangéliste ajoute
: « Et les ténèbres ne l'ont point comprise, » c'est-à-dire, la lumière luit
dans les ténèbres des urnes fidèles, ténèbres qu'elle dissipe en faisant naître
la foi et en conduisant à l'espérance. Mais l'ignorance et la perfidie des
cœurs privés de la véritable sagesse n'ont pu comprendre la lumière du Verbe de
Dieu qui brillait dans une chair mortelle. Telle est l'explication morale de
ces paroles ; en voici le sens littéral : La nature humaine, en la supposant
même exempte de péché, ne pourrait pas luire par ses propres forces, car de sa
nature elle n'est pas lumière, mais capable seulement de participer à la
lumière ; elle peut recevoir la sagesse, mais elle n'est pas la sagesse
elle-même. L'air qui nous environne ne luit point par lui-même et ne mérite que
le nom de
ténèbres. Ainsi notre nature, considérée en elle-même, est une certaine
substance ténébreuse, capable d'être éclairée par la lumière de la sagesse.
Lorsque l'atmosphère est pénétrée par les rayons du soleil, on ne peut pas dire
qu'elle luit par elle-même, mais qu'elle est éclairée par la lumière du soleil
; ainsi, lorsque la partie intelligente de notre nature jouit de la présence du
Verbe, ce n'est point par elle-même qu'elle arrive à la connaissance de son
Dieu et des autres choses intelligibles, mais par la lumière divine, qui
l'éclairé de ses rayons. La lumière luit donc dans les ténèbres, parce que le
Verbe de Dieu, qui est la vie et la lumière des hommes, ne cesse de répandre
cette lumière dans notre nature qui, considérée en elle-même, n'est qu'une
substance ténébreuse et informe, et comme la lumière par elle-même est
incompréhensible à toute créature, c'est avec raison que l'Evangéliste ajoute :
« Et les ténèbres ne l'ont point comprise. »
S. CHRYS. (hom. 4 sur S. Jean.) On
peut encore expliquer ces paroles dans un autre sens : L'Evangéliste a voulu
d'abord nous parler de la création, et il nous apprend ensuite les biens
spirituels dont le Verbe nous a comblés en venant parmi nous, en disant : « Et
la vie était la lumière des hommes. » Il ne dit pas : Il était la lumière des
Juifs, mais il était la lumière de tous les hommes sans exception ; car ce sont
pas seulement les Juifs, mais les Gentils, qui sont parvenus à la connaissance
du Verbe. S'il n'ajoute pas qu'il était la lumière des anges, c'est qu'il parle
seulement ici de la nature humaine à laquelle le Verbe de Dieu est venu
annoncer de si grands biens.
ORIG. (Traité 1 sur S. Jean.) On nous demande
pourquoi ce n'est point le Verbe qui est appelé la lumière des hommes, mais la
vie qui est dans le Verbe ? Nous répondons que la vie dont il est ici question
n'est pas la vie qui est commune aux créatures raisonnables, mais celle qui est
unie au Verbe et qui nous est donnée par la participation à ce Verbe primitif
et essentiel, pour nous faire discerner la vie apparente et sans réalité et
désirer la véritable vie. Nous participons donc premièrement à la vie qui, pour
quelques-uns, n'est point encore la possession actuelle de la lumière, mais la
faculté de la recevoir, parce qu'ils n'ont point un désir assez vif de ce qui
peut leur donner la science. Pour d'autres, au contraire, cette vie est la
participation actuelle à la lumière, ce sont ceux qui, suivant le conseil de
l'Apôtre, recherchent les dons les plus parfaits (1 Co 12), c'est le
Verbe de la sagesse qui est suivi de près par les enseignements de la science.
S. CHRYS. (hom. 4 sur S. Jean.) Ou
bien encore, la vie dont parle ici l'Evangéliste, n'est pas seulement celle que
nous avons reçue par la création, mais la vie éternelle et immortelle qui nous
est préparée par la providence de Dieu. Lorsque nous entrons en possession de
cette vie, l'empire de la mort est à jamais détruit, et dès que cette lumière brille
à nos yeux, les ténèbres disparaissent sans retour ; ni la mort ne peut
triompher de cette vie qui est éternelle, ni les ténèbres obscurcir celte
lumière qui ne s'éteindra jamais. « Et la lumière luit dans les
ténèbres. » Ces ténèbres, c'est la mort et l'erreur, car la lumière
sensible ne luit pas dans les ténèbres, mais elles disparaissent à son
approche, tandis que la prédication de Jésus-Christ a brillé au milieu de
l'erreur qui étendait son règne sur toute la terre et l'a chassée devant elle ;
et Jésus-Christ, par sa mort, a changé la mort en vie et a remporté sur elle un
triomphe si complet, qu'il a délivré ceux qu'elle retenait captifs. C'est donc
parce que cette prédication n'a pu être vaincue ni par la mort, ni par
l'erreur, et qu'elle brille de toute part du plus vif éclat et par sa propre
force, que l'Evangéliste ajoute : « Et les ténèbres ne l'ont point
comprise. »
ORIG. (Traité 4 sur S. Jean.) Il faut
savoir que le mot ténèbres, comme le nom d'hommes, signifie deux choses
spirituelles. Nous disons d'un homme qui est en possession de la lumière, qu'il
fait les œuvres de la lumière, et qu'il puise la connaissance au sein même de
la lumière de la science. Tout au contraire, nous appelons ténèbres les actes
coupables et la fausse science qui n'a que l'apparence de la science. Mais de
même que le Père est lumière et qu'il n'y a point en lui de ténèbres (1 Jn
1, 5),
ainsi en est-il du Sauveur. Toutefois, comme il a revêtu la ressemblance de la
chair du péché (Rm 8), on peut dire sans inconvenance, qu'il y a en lui
quelques ténèbres, puisqu'il a pris sur lui nos ténèbres pour les dissiper.
Cette lumière, qui est devenue la vie des hommes, brille au milieu des ténèbres
de nos âmes, et répand ses clartés là où le prince de ces ténèbres est en
guerre avec le genre humain. (Ep 6) Les ténèbres ont persécuté cette
lumière, comme le prouve ce que le Sauveur et ses disciples ont eu à souffrir
dans ce combat des ténèbres contre les enfants de lumière. Mais grâce à la
protection divine, ces ténèbres restent sans force, et ne peuvent s'emparer de
la lumière, ou parce que la lenteur naturelle de leur marche ne leur permet pas
de suivre la course rapide de la lumière, ou parce qu'elles sont mises en fuite
à son approche si elles attendent son arrivée. Remarquons que les ténèbres ne
sont pas toujours prises en mauvaise part, et qu'elles sont quelquefois le
symbole d'une bonne chose, par exemple, dans ce passage du Psalmiste : « Il a choisi sa
retraite dans les ténèbres, » c'est-à-dire, que tout ce qui a rapport à Dieu,
est comme caché et incompréhensible pour l'intelligence humaine. Les ténèbres,
entendues dans ce sens, conduisent à la lumière et finissent par la saisir, car
ce que l'ignorance couvrait comme d'un nuage devient une lumière éclatante pour
celui qui a cherché à la connaître. — S. AUG. (De la cité de Dieu, 10,
3.) Un platonicien a dit que le commencement de ce saint Evangile devrait être
écrit en lettres d'or et placé dans l'endroit le plus éminent de toutes les
Eglises. — BEDE. En effet, les autres Evangélistes racontent la naissance
temporelle du Christ ; saint Jean nous affirme qu'il était au commencement. Les
autres le font descendre aussitôt du haut du ciel parmi les hommes ; saint Jean
déclare qu'il a toujours été avec Dieu : « Et le Verbe était avec Dieu. » Les
trois premiers évangélistes décrivent sa vie mortelle au milieu des hommes ;
saint Jean nous le présente comme Dieu étant avec Dieu au commencement : « Il
était au commencement avec Dieu. » Les trois autres racontent les grandes
choses qu'il a faites comme homme ; saint Jean nous enseigne que Dieu le Père a
fait toutes choses par lui : « Toutes choses ont été faites par lui, et
rien n'a été fait sans lui. »
S. AUG. (Traité 2 sur S. Jean.) Tout
ce qui précède avait pour objet la divinité de Jésus-Christ, qui, en venant à
nous, s'est revêtu d'une forme humaine. Mais comme dans le Verbe fait chair,
l'humanité cachait un Dieu ; un homme extraordinaire fut envoyé devant lui,
pour découvrir en lui, par son témoignage, un caractère supérieur à l'homme. Et
quel a été cet envoyé ? « Il y eut un homme. » — THEOPHYL. Ce ne fut pas un
ange, pour détruire les idées qu'un grand nombre s'était faites de la nature de
Jean-Baptiste. — S. AUG. Et comment pourra-t-il nous dire la vérité en parlant
de Dieu ? « II fut envoyé de Dieu. » — S. CHRYS. (hom. 6 sur S.
Jean.) Gardez-vous de croire que cet envoyé de Dieu tienne un langage
purement humain, ce n'est point de lui-même qu'il vient parler, toutes ses
paroles lui sont dictées par celui qui l'a envoyé ; c'est pour cela qu'un
prophète lui donne le nom d'ange en parlant de lui : « Voici que j'envoie mon
ange, » car un ange (ou envoyé), ne dit rien de lui-même, et ne fait que
transmettre les ordres de celui qui l'envoie. Ces paroles : « Il fut
envoyé, » ne signifie pas un acte qui tend à donner l'être, mais qui
destine à l'accomplissement d'un ministère. De même qu'Isaïe ne fut pas appelé
d'autre part que du monde où il était, et qu'il fut envoyé au peuple du moment
qu'il eut vu le Seigneur assis sur un trône sublime et élevé ; ainsi Jean fut
envoyé du désert pour baptiser, comme il l'atteste lui-même : « Celui qui m'a
envoyé baptiser, m'a dit : Celui sur lequel vous verrez, » etc.
S. AUG. Comment s'appelait-il ? « Son nom était
Jean. » — ALCUIN. c'est-à-dire, grâce de Dieu ou celui en qui était
la grâce de Dieu, c'est-à-dire, celui qui, le premier, a fait connaître
Jésus-Christ au monde par son témoignage. Ou bien encore, le nom de Jean
signifie il a été donné, parce qu'il lui a été donné par la grâce de
Dieu, non-seulement d'être le précurseur du Roi des rois, mais de le baptiser.
S. AUG. Pourquoi fût-il envoyé ? « Il vint comme
témoin pour rendre témoignage à la lumière. »
ORIG. (Traité 5 sur S. Jean.) Il en
est qui cherchent à jeter le blâme sur les témoignages que les prophètes ont
rendus à Jésus-Christ, et qui prétendent que le Fils de Dieu n'a pas besoin de
témoins, et qu'il présente des motifs suffisants de crédulité, soit dans ses
enseignements salutaires, soit dans ses miracles tout divins. Moïse lui-même,
disent-ils, ne mérita créance que par ses paroles et ses miracles, sans avoir
besoin d'être précédé par des témoins. Nous répondons qu'il est un grand nombre
de motifs qui peuvent déterminer la foi, mais que tel motif, malgré sa force
apparente, ne produira sur quelques-uns aucune impression, tandis que tel autre
sera tout-puissant pour les amener à la foi. Or, Dieu a des moyens à l'infini
pour amener les hommes à croire qu'un Dieu a daigné se faire homme pour sauver
les hommes. Aussi est-ce un fait certain que les oracles des prophètes en ont
forcé un grand nombre à croire à la divinité de Jésus-Christ, étonnés qu'ils
étaient de voir que tant de prophètes l'avaient annoncé avant son avènement, et
prédit d'une manière précise le lieu de sa naissance, et d'autres circonstances
semblables. Il faut encore remarquer que les miracles opérés par Jésus-Christ,
avaient plus de force pour amener à la foi ceux qui en étaient témoins ou ses
contemporains, mais que plusieurs siècles après ils pouvaient n'avoir plus la
même puissance, et passer même aux yeux de quelques-uns pour des fables. Donc,
lorsqu'un long espace de temps nous sépare de ces miracles, le motif le plus
fort de crédibilité, ce sont les prophéties jointes aux miracles. Disons
encore, que par ce témoignage rendu à Dieu, plusieurs se sont couverts de
gloire. C'est donc vouloir enlever au chœur des prophètes la grâce signalée qui
lui a été faite, que de contester l'utilité des témoignages qu'ils ont rendus à
Jésus-christ. Jean est venu se joindre à ces prophètes, en rendant lui-même
témoignage à la lumière. — S. CHRYS. (hom. 5 sur S. Jean.) Ce
n'est pas sans doute que la lumière eût besoin de témoignage, mais
l'Evangéliste nous apprend le vrai motif de la mission de Jean, dans les
paroles suivantes : « Afin que
tous crussent par lui. » Le Fils de Dieu a pris une chair mortelle pour sauver
tous les hommes d'une perte inévitable, et c'est par suite du même dessein
qu'il envoie devant lui un homme pour précurseur, afin que cette voix d'un de
leurs semblables les déterminât plus facilement à venir à lui. — BEDE.
L'Evangéliste ne dit pas : Afin que tous crussent en lui, (car maudit est
l'homme qui met sa confiance dans l'homme), (Jr 7, 5) mais : « Afin
que tous crussent par lui, » c'est-à-dire, que tous par son témoignage crussent
à cette lumière. — THEOPHYL. Que quelques-uns aient refusé de croire, Jean n'en
est pas responsable. Si un homme s'enferme dans une maison obscure, et se prive
ainsi de voir les rayons du soleil, la faute n'en est pas au soleil mais bien à
lui-même ; ainsi Jean a été envoyé, afin que tous crussent par lui ; si ce but
n'a pas été entièrement atteint, le saint précurseur n'en est pas la cause.
S. CHRYS. (hom. 6 sur S. Jean.) D'après
l'opinion commune, celui qui rend témoignage nous paraît ordinairement
supérieur à celui qui est l'objet de son témoignage, et plus digne de foi ;
aussi l'Evangéliste se hâte de détruire ici ce préjugé en ajoutant : « Il
n'était pas la lumière, mais il était venu pour rendre témoignage à la lumière.
» Si telle n'a pas été son intention en répétant ces paroles : « Pour rendre
témoignage à la lumière, » ce membre de phrase est complètement superflu. Ce n'est pas un
développement de la doctrine, c'est une répétition de mots inutiles.
THEOPHYL. Mais la conclusion de ces paroles
n'est-elle pas que ni Jean-Baptiste, ni aucun autre saint n'ont été ou ne sont
la lumière ? Si nous voulons donner à un saint le nom de lumière, il faut
employer le mot lumière sans article ; si l'on vous demande, par exemple : Jean
est-il la lumière ? répondez qu'il est lumière, sans mettre l'article, mais non
pas la lumière avec l'article ; car il n'est pas la lumière par excellence, et
il n'est lumière, que parce qu'il est entré en participation de la vraie
lumière.
S. AUG. (Traité 2 sur S. Jean.) Nous
voyons ici quelle est cette lumière à laquelle Jean-Baptiste rend témoignage :
« Celui-là était la vraie lumière. » — S. CHRYS. (hom. 6 sur S.
Jean.) Ou bien encore, l'Evangéliste venait de dire que Jean-Baptiste avait
été envoyé et était venu pour rendre témoignage à la lumière. Or, ce témoignage
d'un homme envoyé tout récemment pouvait faire croire à l'origine récente aussi
de celui à qui il rendait témoignage ; il élève donc aussitôt nos pensées vers
cette existence antérieure à tout commencement, et qui ne doit jamais avoir de
fin : « Celui-là était la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce
monde.» — S. AUG. (Traité 2 sur S. Jean.) Pourquoi saint Jean
ajoute-t-il le mot vraie ? C'est qu'on donne aussi à l'homme qui est éclairé le
nom de lumière, mais la vraie lumière est celle qui éclaire elle-même. Nos yeux
aussi sont appelés des lumières, et cependant c'est en vain que ces lumières
sont ouvertes, si pour les éclairer, on n'allume une lampe pendant la nuit, où
si dans le jour
le soleil ne répand sur eux ses clartés. Aussi l'Evangéliste ajoute : « Qui
éclaire tout homme. » Si elle éclaire tout homme, elle éclaire donc Jean
lui-même. Elle éclairait donc celui qu'elle avait choisi pour lui rendre
témoignage. Il arrive souvent que le soleil nous fait connaître son lever par
la lumière qu'il fait rayonner sur les corps, et cependant nous ne pouvons le
voir de nos yeux. Ainsi ceux qui ont les yeux trop malades ou trop faibles pour
voir le soleil, peuvent cependant les arrêter sur un mur qui réfléchit sa
lumière, sur une montagne, sur un arbre ou sur tout autre objet semblable. Il
en était de même de ceux au milieu desquels Jésus-Christ était venu, et qui
étaient encore beaucoup moins capables de le voir. Il a donc éclairé Jean de ses
rayons, et Jean, qui confessait hautement la source d'où lui venait cette
lumière, fit connaître ainsi celui qui l'éclairait. Il ajoute : « Venant en ce
monde, » c'est qu'en effet, si l'homme ne venait pas en ce monde, il n'aurait
pas besoin d'être éclairé, mais il faut qu'il soit éclairé, parce qu'il a
quitté l'endroit où il aurait joui toujours de cette divine lumière. —
THEOPHYL. Que le manichéen rougisse d'oser dire que nous sommes l'œuvre d'un
Créateur mauvais et ténébreux ; car jamais nous ne pourrions être éclairés si
nous n'étions les créatures de la vraie lumière.
S. CHRYS. (hom. 8 sur S. Jean.) Où
sont aussi ceux qui prétendent que Jésus-Christ n'est pas le vrai Dieu ? alors
qu'il est appelé ici la vraie lumière. Mais s'il éclaire tout homme venant en
ce monde, comment se fait-il qu'un si grand nombre soient demeurés dans les
ténèbres ? Car tous n'ont pas connu le culte qui est dû à Jésus-Christ. Il
éclaire tout homme, autant qu'il dépend de lui. Mais s'il en est qui ont fermé
volontairement les yeux de leur âme pour ne point recevoir les rayons de cette
divine lumière, les ténèbres dans lesquelles ils demeurent plongés, ne viennent
pas de la nature delà lumière, mais de la malice de ceux qui se privent
volontairement du don de la grâce. Car la grâce a été répandue sur tous les
hommes et ceux qui ont refusé de la recevoir, ne doivent imputer qu'à eux-mêmes
leur aveuglement. — S. AUG. (Enchirid,, 109.) Ces paroles : « Qui
éclaire tout homme, » veulent dire non pas que tous les hommes sans exception sont
éclairés, mais que personne ne peut l'être que par cette lumière. — BEDE. Il
nous éclaire, soit en nous donnant la raison, soit en répandant en nous sa
divine sagesse ; car nous ne pouvons nous donner la sagesse, pas plus que nous
n'avons pu nous donner l'existence.
ORIG. (hom. 2 sur div. suj.) Ou bien
encore, nous ne devons pas entendre ces paroles : « Qui éclaire tout homme
venant en ce monde, » de ceux qui entrent dans le monde avec un corps formé
d'après les principes secrets qui président à la génération, mais de ceux qui
entrent dans le monde invisible par la régénération spirituelle de la grâce
conférée par le baptême. Voilà pourquoi cette lumière éclaire ceux qui entrent
dans le monde des vertus, et non pas ceux qui se précipitent dans le monde des
vices.
THEOPHYL. Ou bien encore, cette lumière qui nous est
donnée de Dieu, c'est l'intelligence dont il nous a doués pour nous diriger
ici-bas, intelligence qui s'appelle aussi la raison naturelle, mais un grand
nombre, par le mauvais usage dé la raison, se sont jetés eux-mêmes dans les
ténèbres.
S. AUG. (Traité 2 sur S. Jean.) La
lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde, est venue sur la terre sous le voile d'une chair
mortelle ; car tant qu'elle n'y était que par la divinité, elle était invisible
pour les insensés, pour les aveugles et pour les méchants dont saint Jean a dit
plus haut : « Les ténèbres ne l'ont point comprise, » c'est pour cela qu'il dit
ici : « Il était dans le monde. » — ORIG. (hom. 2 sur div. suj.) Lorsque
celui qui parle cesse de parler, sa voix cesse de se faire entendre ; de même
si le Père céleste ne faisait plus entendre son Verbe, l'œuvre du Verbe,
c'est-à-dire l'univers qu'il a créé, cesserait d'exister. — S. AUG. (Traité 2
sur S. Jean.) N'allez pas croire qu'il était dans le monde comme sont
dans le monde la terre, les animaux, les hommes, ou comme le ciel, le soleil,
les étoiles ; il y était comme un ouvrier qui dirige l'ouvrage sorti de ses
mains : « Et le monde a été fait par lui. » Toutefois il n'a pas créé le monde
comme un ouvrier fait son ouvrage, car l'ouvrier est en dehors de l'ouvrage
qu'il travaille, Dieu, au contraire, est comme répandu dans le monde qu'il
crée, il est présent partout, et il n'est pas un seul être qui soit en dehors
de son immensité. C'est donc par la présence de sa divinité, qu'il fait tout ce
qu'il crée, et qu'il gouverne tout ce qu'il a créé. Il était donc dans le
monde, comme le Créateur du monde.
S. CHRYS. (hom. 8 sur S. Jean.) Et
encore, comme il était dans le monde, mais sans être contemporain du monde,
l'Evangéliste ajoute : « Et le monde a été fait par lui, et il vous élève ainsi
jusqu'à l'existence éternelle du Fils unique. » En effet, en entendant dire que
tout cet univers est son ouvrage, fût-on d'une intelligence bornée, on sera
forcé de reconnaître qu'il existait avant son ouvrage. — THEOPHYL. Saint Jean
confond en même temps l'erreur insensée de Marcion, qui prétendait que c'était
un mauvais principe qui avait créé toutes choses, et celle des ariens qui
osaient soutenir que le Fils de Dieu était une simple créature.
S. AUG. (comme précéd.) Que signifient ces
paroles : « Le monde a été fait par lui ? » On appelle monde le ciel, la terre,
la mer, et tout ce qu'ils contiennent. Dans un autre sens, on donne encore ce
nom à ceux qui aiment le monde, et c'est de ce monde qu'il est dit : « Le monde
ne l'a point connu. » On ne peut dire, en effet, ni du ciel, ni des anges, ni
des astres, qu'ils n'ont pas connu le Créateur, dont les démons eux-mêmes
confessent la puissance. Toutes les créatures lui ont donc rendu témoignage.
Quels sont ceux qui ne l'ont point connu ? Ceux qui sont appelés le monde,
parce qu'ils aiment le monde, car en aimant le monde, nous habitons de cœur
dans le monde ; ceux, au contraire, qui n'aiment pas le monde, sont de corps
dans le monde, mais ils habitent le ciel par le cœur, suivant ces paroles de
l'Apôtre : « Pour nous, nous vivons déjà dans le ciel. » (Ph 3) C'est
donc parce qu'ils ont aimé le monde, qu'ils ont mérité eux-mêmes le nom du
monde où ils habitent. Lorsque nous disons d'une maison qu'elle est bonne ou
qu'elle est mauvaise, ce n'est point aux murailles que s'adressent notre blâme
ou nos louanges, mais à ceux qui l'habitent ; c'est ainsi que nous appelons
monde ceux qui habitent le monde par leurs affections. — S. CHRYS. (hom. 8
sur S. Jean.) Quant aux amis de Dieu, ils l'ont connu avant même qu'il
eût rendu sa présence sensible, c'est-à-dire avant son avènement en ce monde,
comme le prouvent ces paroles du Sauveur : « Abraham, votre père, a tressailli
du désir de voir mon jour. » (Jn 8, 56.) Lors donc que les Gentils nous
adressent ce reproche. Pourquoi le Sauveur n'est-il venu opérer notre salut que
dans les derniers temps, après tant de siècles écoulés, sans qu'il ait pensé à
nous ? Nous leur répondons, qu'avant même son avènement, il était dans le
monde, sa providence s'étendait à toutes ses œuvres, et il était connu de tous
ceux qui en étaient dignes ; et si le monde ne l'a pas connu, ceux dont le
monde n'était pas digne, ont mérité de le connaître. En disant : « Le monde ne
l'a point connu, » il a indiqué sommairement la cause de cette ignorance ; car
le monde ici sont les hommes qui ne sont attachés qu'au monde, qui n'ont de
goût et d'affection que pour le monde ; or rien ne trouble autant l'âme que
l'amour énervant des choses présentes.
S. CHRYS. (hom. 9 sur S. Jean.) Ces
paroles : « Le monde ne l'a point connu, » doivent s'entendre des temps qui ont
précédé l'incarnation. Celles qui suivent : « Il est venu dans son héritage, »
se rapportent aux temps de la prédication de l'Evangile.— S. AUG. (Traité 2
sur S. Jean.) « Il est venu dans son héritage, » parce que toutes choses
ont été faites par lui. — THEOPHYL. On peut donc entendre ici ou le monde, ou
la Judée, qu'il avait choisie pour héritage. — S. CHRYS. (hom. 9 et 10 sur
S. Jean.) Il est venu dans son héritage, non pas dans un motif d'intérêt
personnel (car Dieu n'a besoin de personne), mais pour combler les siens de
bienfaits. Mais d'où a pu venir celui qui remplit tout de son
immensité, et qui est présent partout ? C'est par un effet de sa grande
condescendance qu'il est venu jusqu'à nous ; il était au milieu du monde, sans
que le monde pensât à sa présence, parce qu'il n'eu était pas connu ; il a donc
daigné se revêtir d'un corps sensible. C'est cette manifestation et cette
condescendance, qu'il appelle sa présence ou son avènement (hom. 11) Or,
Dieu, plein de bonté et de miséricorde, ne néglige rien de ce qui peut nous
élever à une vertu éminente. Aussi ne veut-il s'attacher personne par force ou
par nécessité, et ne veut nous attirer à lui que par la persuasion et par les
bienfaits. De là vient que les uns le reçurent, et que les autres refusèrent de
le recevoir ; car il ne veut pas qu'on soit à son service malgré soi et comme
par contrainte ; celui qui le sert forcément et de mauvaise grâce, est à ses
yeux comme celui qui refuse complètement de le servir : « Et les siens ne l'ont
pas reçu. » (hom. 9.) L'Evangéliste appelle les Juifs les siens, comme
étant son peuple privilégié, ou bien tous les hommes comme étant tous ses
créatures. Dans l’étonnement où le jetait la conduite insensée du genre humain,
il s'est écrié plus haut : « Le monde a été fait par lui, et le monde n'a
point connu son Créateur ; » ici l'ingratitude des Juifs le remplit
d'indignation, et il lance contre eux cette accusation bien plus grave :
« Et les siens ne l'ont pas reçu. »
S. AUG. (Traité 1 sur S, Jean.) Mais si
personne absolument ne l'a reçu, personne donc n'est sauvé ; car la condition
essentielle du salut, c'est de recevoir Jésus-Christ, aussi l'Evangéliste
ajoute : « Tous ceux qui l'ont reçu, » etc. — S. CHRYS. (hom. 10 sur
S. Jean.) Esclaves ou hommes libres, grecs ou barbares, savants ou
illettrés, hommes ou femmes, enfants ou vieillards, tous ont été rendus dignes
du même honneur : « Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu.
»— S. AUG. (comme précéd.) Quelle extrême bonté ! il était né Fils unique, et
il n'a pas voulu demeurer seul ; il n'a pas craint d'avoir des cohéritiers,
parce que son héritage ne peut être amoindri par le partage qu'il en fait. — S.
CHRYS. (hom. 10.) Il ne dit pas qu'il les fit enfants de Dieu, mais
qu'il leur à donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, nous apprenant ainsi
que ce n'est qu'au prix de grands efforts que nous pouvons conserver sans tache
ce caractère de l'adoption qui a été imprimé et gravé dans notre âme par le
baptême. Il nous enseigne encore que personne ne peut nous ôter ce pouvoir, si
nous-mêmes ne consentons à nous en dépouiller. Ceux à qui les hommes délèguent
une partie de leur puissance ou de leur autorité, la possèdent presque à l'égal
de ceux qui la leur ont donnée ; à plus forte raison en sera-t-il ainsi de
nous qui avons reçu cet honneur de Dieu même. Il veut encore nous apprendre que
cette grâce n'est donnée qu'à ceux qui la veulent et qui la recherchent ; car
c'est le concours du libre arbitre et de l'opération de la grâce, qui nous fait
enfants de Dieu. — THEOPHYL. Ou bien encore, il veut parler ici de cette
filiation parfaite, dont la résurrection doit nous mettre en possession,
d'après ces paroles de l'Apôtre : « Attendant l'effet de l'adoption
divine, la rédemption de notre corps. » (Rm 8) Il nous a donc donné
le pouvoir de devenir enfants de Dieu, c'est-à-dire d'obtenir cette grâce dans
la vie future.
S. CHRYS. (hom. 10.) Comme dans la
distribution de ces biens ineffables, il appartient à Dieu de donner la grâce,
de même qu'il appartient à l'homme de faire acte de foi, saint Jean ajoute : «
A ceux qui croient en son nom. » Pourquoi ne nous dites-vous pas, saint Evangéliste, quel sera le
supplice de ceux qui n'ont pas voulu le recevoir ? Mais quel supplice plus
grand pour ceux qui ont reçu le pouvoir de devenir enfants de Dieu, que de
refuser de le devenir, et de se priver volontairement d'un si grand honneur ?
Toutefois ce ne sera pas leur seul supplice, ils seront condamnés à un feu qui
ne s'éteindra jamais, comme l'Evangéliste le déclarera plus ouvertement dans la
suite. (Jn 3)
S. AUG. (même traité.) Ceux qui croient en
son nom deviennent donc enfants de Dieu et frères de Jésus-Christ, et prennent
par là même une nouvelle naissance. Comment, en effet, sans cette seconde
naissance pourraient-ils devenir enfants de Dieu ? Les enfants dès hommes
naissent de la chair et du sang, delà volonté de l'homme et de l'union des
époux. Mais comment naissent les enfants de Dieu ? Ils ne sont pas nés des
sangs, c'est-à-dire, de l'homme et de la femme. Le mot sangs (sanguina ou
sanguines) n'est pas latin, mais comme cette expression est au pluriel
dans le texte grec, le traducteur aima mieux la rendre de la sorte, sauf à
employer un mot peu conforme aux règles de la latinité, pour faire mieux
comprendre la vérité aux esprits moins intelligents. En effet, les enfants
naissent du mélange du sang de l'homme et de la femme. — BEDE. Il est bon aussi
de remarquer que dans la sainte Ecriture, le mot sang au pluriel signifie
ordinairement le péché, comme dans ce passage du Psaume 50 : « Délivrez-moi des
sangs (de sanguinibus). »
S. AUG. (même traité.) Dans les paroles
suivantes : « Ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme ; » la chair est
synonyme de la femme, en souvenir de sa création. Lorsque, en effet, elle eut
été créée d'une côte du premier homme, Adam lui dit : « Voici l'os de mes
os et la chair de ma chair. » Le mot chair signifie donc ici la femme, de même
que souvent l'esprit est le symbole du mari, parce que son rôle est de
commander, et celui de la femme de servir. Quelle maison plus mal ordonnée, en
effet, que celle où la femme commande au mari ? Les enfants de Dieu ne sont
donc nés ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de
Dieu. — BEDE. La génération charnelle de tous les hommes tire son origine de
l'union des époux, tandis que la génération spirituelle a pour principe la
grâce de l'Esprit saint.
S. CHRYS. (hom. 10 sur S. Jean.) L'Evangéliste,
en parlant ainsi, veut nous faire comprendre d'un côté la bassesse de la
première génération qui vient du sang et de la volonté de la chair, et
l'élévation de la seconde qui vient de la grâce et ennoblit notre nature, afin
que nous ayons une haute idée de la grâce qui nous a engendrés, et que nous ne
négligions rien pour la conserver.
S. AUG. (même traité.) Cette idée d'une
naissance qui vient de Dieu était de nature à inspirer un sentiment
d'étonnement mêlé de frayeur, et il pouvait même paraître incroyable que les
hommes soient nés de Dieu. Aussi l'Evangéliste s'empresse de nous rassurer, en
ajoutant : « Et le Verbe a été fait chair. » Qu'y a-t-il d'étonnant que
des hommes naissent de Dieu ? Considérez Dieu lui-même qui a voulu naître des hommes. — S.
CHRYS. (hom. 11 sur S. Jean.) Ou bien encore : après avoir dit que ceux
qui l'ont reçu ont reçu de Dieu une nouvelle naissance, il fait connaître la
cause d'un si grand honneur, c'est que le Verbe s'est fait chair, car le propre
Fils de Dieu est devenu le Fils de l'homme, afin de rendre les hommes enfants
de Dieu. Lorsque vous entendez dire que le Verbe s'est fait chair, ne vous
laissez pas troubler par ces paroles. Il n'a point changé en chair la nature
divine (interprétation qui serait une impiété), mais il a pris la forme
d'esclave en demeurant ce qu'il est. C'est pour confondre les blasphèmes de
ceux qui prétendent que tout ce qui a rapport à l'incarnation était fantastique
et imaginaire que l'Evangéliste s'est servi de cette expression : « A été fait,
» expression qui ne signifie pas un changement de substance, mais l'union du
Fils de Dieu à une chair véritable. S'ils viennent nous dire que Dieu étant tout-puissant,
a bien pu changer en chair sa nature divine, nous répondrons que Dieu peut tout
ce qui n'atteint pas directement son être divin. Or, toute idée de changement
est directement opposée à cette nature immuable.
S. AUG. (De la Trin., 15, 11) De même que
notre Verbe ou notre parole devient en quelque sorte la voix du corps en
s'unissant à elle pour se manifester aux sens des hommes, ainsi le Verbe de
Dieu s'est fait chair, en s'unissant à elle pour se manifester aussi aux hommes
; notre parole devient voix, mais elle n'est pas changée en voix ; ainsi le
Verbe de Dieu s'est fait chair, mais loin de nous la pensée qu'il ait été
changé en chair. Il s'est uni à la chair, mais il ne s'est pas transformé en chair, il s'est fait chair comme notre parole se fait
voix. — CONS. D’EPH. La parole qui sort de nos lèvres et dont nous faisons
usage dans nos rapports avec les autres hommes, est une parole incorporelle qui
n'est sensible ni à la vue, ni au toucher ; mais lorsqu'elle s'est comme
revêtue de lettres et de formes extérieures, elle devient visible et accessible
à la vue comme au toucher. De même le Verbe de Dieu qui, par sa nature, est
invisible, est devenu visible ; il est incorporel aussi par sa nature, et il a
pris un corps accessible au toucher. — ALCUIN. (Liv. 1, chap.
1, sur S. Jean.) Ces paroles : « Le Verbe s'est fait chair, » ne doivent pas
s'entendre dans un autre sens que celui-ci : Dieu s'est fait homme en prenant
un corps et une âme. De même que chacun de nous est un composé d'un corps et
d'une âme qui ne forment qu'un seul homme ; ainsi Jésus-Christ, depuis son
incarnation, ne fait qu'une seule personne formée de la divinité, d'un corps,
et d'une âme. La divinité du Verbe a daigné s'unir à cette nature humaine
qu'elle avait choisie spécialement pour qu'elle devînt une seule personne en
Jésus-Christ. La nature divine n'a subi dans cette union aucune altération,
aucun changement, elle s'est simplement unie à la nature humaine qu'elle
n'avait pas auparavant. (Liv. 3, de la foi en la Trin., chap. 9.) C'est
une vérité incontestable que le Fils de Dieu a pris, non pas la personne, mais
la nature humaine pour l'unir à sa personne divine et éternelle ; l'homme a
comme passé en Dieu, non point par un changement de nature, mais par son union
avec la personne divine. Il n'y a donc point deux Christs, il n'y a qu'un seul
Christ, Dieu et homme tout à la fois. (Liv. 1, cont. Félix d'Urgel.) Cette union du Verbe avec la
chair est tellement ineffable, que pour l'exprimer, nous disons que le Verbe
s'est fait chair, quoique le Verbe n'ait pas été changé en chair, et cette
chair est appelée Dieu, bien qu'elle ne soit pas elle-même changée en la nature
divine. (Liv. 3.) Nous confessons donc qu'il y a dans la seule personne
de Jésus-Christ deux natures unies entre elles par un lien si ineffable, que
chacune d'elles conservant ses propriétés, cette sainte et admirable union nous
présente, non pas un changement ou une altération de la divinité, mais une
élévation sublime pour l'humanité, c'est-à-dire, que Dieu n'a pas été changé en
l'homme, mais l'homme glorifié en Dieu, etc. (Dans la Glose.) Nous
croyons qu'une âme incorporelle peut être unie à un corps, et que l'union de
ces deux substances fait un seul homme ; nous devons croire plus facilement que
la nature divine qui est incorporelle, s'est unie à une âme jointe à un corps
pour former une seule personne, de manière que le Verbe n'a pas été changé en
chair, ni la chair dans le Verbe, pas plus que le corps ne se change en âme, ni
l'âme en corps.
THEOPHYL. Apollinaire de Laodicée a voulu appuyer
son hérésie sur ces paroles ; il prétendait que le Christ n'avait point eu
d'âme raisonnable, mais seulement un corps ayant pour âme la divinité qui
gouvernait et dirigeait le corps. — S. AUG. (cont. Les Ar., ch. 9.) Vous
êtes impressionné de ce qu'il est écrit que le Verbe s'est fait chair, sans
qu'il soit question de l'âme ? Mais rappelez-vous que la chair est souvent mise
pour l'homme tout entier en vertu de cette locution figurée qui emploie la
partie pour le tout, comme dans ces paroles : « Toute chair viendra à vous. » (Ps
64) Et dans ces autres : « Nulle chair ne sera justifiée par les
œuvres de la loi. » Ce que l'Apôtre explique plus clairement dans l'Epître aux
Galates : « L'homme ne sera point justifié par les œuvres de la loi. » (Ga
2) Ces paroles : « Le Verbe s'est fait chair, » ont donc la même
signification que celles-ci : « Le Verbe s'est fait homme. »
THEOPHYL. Si l'Evangéliste nomme de préférence la
chair, c'est pour nous montrer la condescendance inénarrable de Dieu, et nous
faire admirer sa miséricorde qui l'a porté à s'unir pour notre salut, à ce qui
est séparé de sa nature par une distance incommensurable, c'est-à-dire la
chair. L'âme, en effet, a quelques points de rapprochement avec Dieu. Mais si
le Verbe, en s'incarnant, n'avait pas pris une âme humaine, il s'ensuivrait que
nos âmes ne seraient ni guéries ni rachetées, car le Sauveur n'a sanctifié que
ce qu'il s'est uni. C'est l'âme qui, la première s'est rendue coupable, ne
serait-il donc pas ridicule de supposer qu'il se soit uni la chair pour la
sanctifier, tandis qu'il aurait délaissé la partie la plus noble de l'homme,
comme aussi la plus malade ? Ainsi se trouve encore détruite l'hérésie de
Nestorius, qui enseignait que ce n'est pas le Verbe-Dieu qui s'est fait homme
et qui a été conçu du sang d'une Vierge, mais que la Vierge a enfanté un homme,
orné et enrichi de toutes les vertus, et que le Verbe de Dieu s'était uni. Il
concluait de là qu'il y avait en Jésus-Christ deux fils, l'un né de la Vierge,
qui était homme, l'autre né de Dieu, c'était son luis, qui était uni à cet
homme par les liens de la grâce et de la charité. L'Evangéliste lui a répondu
d'avance, en affirmant que c'est le Verbe lui-même qui s'est fait homme, et non
pas que le Verbe a fait choix d'un homme vertueux pour s'unir à lui.
S. CYR. (Lett. 8 à Nestor.; 4 dans
l'édit. lat.) Le Verbe s'est fait homme en s'unissant une chair animée
d'une âme raisonnable, par une union ineffable et incompréhensible, qui ne fait
en lui qu'une seule personne, et il a été appelé Fils de l'homme, non par suite
d'une simple union de volonté ou de bon vouloir, ni parce qu'il avait pris la
simple personnalité de l'homme, mais par suite de l'union véritable de deux
natures différentes qui n'ont formé qu'un seul Christ et qu'un seul Fils, sans
que cette union étroite ait détruit la différence des deux natures.
THEOPHYL. De ces paroles : « Le Verbe s'est fait
chair, » nous concluons que le Verbe s'est fait homme, et que tout en demeurant
Fils de Dieu, il est devenu fils de la femme, à qui nous donnons le nom
distinctif de mère de Dieu, parce qu'elle a véritablement engendré Dieu selon
la chair.
S. HIL. (De la Trin., 10.) Il en est qui
veulent que le Fils unique de Dieu, c'est-à-dire, le Dieu Verbe, qui était en
Dieu au commencement, ne soit pas Dieu substantiellement, mais seulement la
parole d'une voix qui s'est produite, c'est-à-dire, que le Fils serait pour
Dieu le Père, ce que la parole est pour ceux qui la profèrent. Par suite de
cette erreur, ils cherchent à nier, par leurs raisonnements insidieux, que le
Verbe-Dieu soit né comme homme et comme Christ, en demeurant Dieu. Ils donnent
à cette conception et à cette naissance une cause toute naturelle, et refusent
de leur reconnaître un caractère mystérieux et divin, de sorte que dans leur
sentiment, le Dieu Verbe n'a pas reçu son humanité d'un enfantement virginal,
mais il a été simplement dans la personne de Jésus, comme l'esprit de prophétie
était dans les prophètes. Ils nous reprochent d'ailleurs de dire que le Christ,
dans sa naissance, n'a pas pris un corps et une âme semblables au nôtre, alors
que nous professons hautement que le Verbe fait chair a pris en naissant une
nature comme à la nôtre, et qu'il est vrai fils de Dieu, en même temps
qu'il est né vrai Fils de l'homme. Mais de même qu'il avait reçu de la Vierge
un corps qu'il avait lui-même créé, c'est de lui-même aussi que vient l'âme
qu'il s'est unie, et qui d'ailleurs n'est jamais donnée à l'homme par voie de
génération. Or, puisqu'il est certain qu'il est à la fois Fils de l'homme et
Fils de Dieu, n'est-il pas ridicule de supposer en dehors du Fils de Dieu, du
Verbe fait chair, je ne sais quel prophète, animé par le Verbe de Dieu, alors
qu'il est certain que le Seigneur Jésus-Christ est à la fois Fils de Dieu et
Fils de l'homme ? — S. CHRYS. (hom. 10 sur S. Jean.) L'Evangéliste
détruit par avance la fausse idée que ces paroles : « Le Verbe s'est fait
chair, » pourraient faire naître dans certains esprits, d'un changement ou
d'une transformation de cette nature incorruptible, en ajoutant : « Et il a
habité parmi nous. » Car celui qui habite n'est pas une même chose avec le lieu
qu'il habite, il en diffère. Je parle ici de la différence de nature, car en
vertu de l'union étroite qui existe entre les deux natures, le Dieu Verbe fait
chair, ne forme qu'une seule personne sans aucune confusion, comme sans
destruction de ces deux natures. — ALCUIN. Ou bien encore : « Il a habité parmi
nous, » c'est-à-dire, il a vécu et conversé parmi les hommes.
S. CHRYS. (hom. 11 sur S. Jean.) Nous
avons donc été faits enfants de Dieu et en vertu du mystère du Verbe fait
chair; l'Evangéliste nous fait connaître un nouveau bienfait de l'incarnation :
« Et nous avons vu sa gloire ; » car jamais nous n'aurions pu la voir, si lui-même
ne s'était manifesté à nous sous une forme semblable à la nôtre. En effet, si
les Hébreux n'ont pu soutenir l'éclat du visage glorifié de Moïse, qu'il fallut
couvrir d'un voile, comment, nous, dont l'origine et les instincts sont tout
terrestres, pourrions-nous soutenir à découvert la vue de la Divinité,
inaccessible même aux vertus supérieures des cieux.
S. AUG. (Traité 2 sur S. Jean.) Ou
bien encore, ces paroles : « Le Verbe s'est fait chair, et il a habité
parmi nous, » nous apprennent que le Verbe a fait du mystère de sa naissance
comme un collyre pour éclaircir les yeux de notre cœur, et nous permettre de
voir sa Majesté à travers son humanité : « Et nous avons vu sa gloire. »
Personne ne pourrait voir sa gloire, s'il n'était guéri par l'humilité de son
incarnation. L'œil de l'homme était comme obscurci par la poussière soulevée de
la terre, il avait les yeux malades, et Dieu lui met comme de la terre sur les
yeux pour les guérir. La chair vous avait aveuglé, c'est la chair qui vous
guérit. L'âme était devenue charnelle en donnant son consentement aux
affections de la chair, et c'est ainsi que l'œil du cœur avait été aveuglé. Le
médecin vous a fait un collyre en venant revêtu d'une chair mortelle pour
réprimer les vices de la chair, car le Verbe s'est fait chair, afin que vous
puissiez dire : « Nous avons vu sa gloire. »
S. CHRYS. (hom. 12 sur S. Jean.) Saint
Jean ajoute : « Comme la gloire du Fils unique. » C'est, qu'en effet, un
grand nombre de prophètes ont été glorifiés, tels que Moïse, Elie, Elisée, et
beaucoup d'autres qui ont opéré de grands miracles. Il en est de même des anges
qui, en apparaissant aux hommes, ont fait briller à leurs yeux la gloire qui
est propre à leur nature ; c'est ainsi que les chérubins et les séraphins ont
été vus par le prophète, environnés d'une gloire éclatante. L'Evangéliste nous
élève bien au-dessus de cette gloire, au-dessus de toute nature et de toute
gloire créée, et nous conduit jusqu'au faite de tous les biens. Or voici le
sens de ses paroles : La gloire que nous avons vue n'est pas la gloire d'un
prophète, d'un homme ordinaire, ni même d'un ange, d'un archange, ou de
quelqu'une des puissances supérieures, mais c'est comme la gloire du dominateur
lui-même, du roi, du Fils unique par nature. — S. GREG. (Moral., 18, 6.)
En effet, dans les saintes Ecritures, les particules, de même, comme (sicut,
quasi), n'indiquent pas toujours une simple ressemblance, mais quelquefois
une parfaite identité, comme dans ces paroles : « Comme du Fils unique du Père.
» — S. CHRYS. (hom. 12 sur S. Jean.) Ceux qui ont vu un roi dans
toute sa gloire et sa majesté, dans l'impuissance où ils sont de rendre comme
ils le voudraient l'impression produite sur eux par tant d'éclat et de
splendeur, s'expriment ordinairement de la sorte : Pourquoi vous en dirai-je
davantage ? C'était comme un roi. Saint Jean s'exprime de la même manière : «
Nous avons vu sa gloire comme, celle du Fils unique du Père. » Lorsque les
anges apparaissaient, c'était toujours comme des serviteurs qui exécutent les
ordres de leur maître ; mais le Fils de Dieu, quoique sous une forme humaine,
se révèle comme étant le Seigneur. D'ailleurs, les créatures le reconnaissent
comme leur Maître ; l'étoile, en appelant les mages à son berceau ; les anges,
en annonçant sa naissance aux bergers ; l'enfant (Jean-Baptiste), en
tressaillant dans le sein de sa mère. Le Père lui-même lui a rendu témoignage
du haut des cieux, et le Paraclet en descendant sur lui lors de son baptême.
Que dis-je, toute la nature a proclamé bien plus haut
que la multitude qu'il était le roi des cieux. Il mettait les démons en fuite,
il guérissait toutes les maladies, faisait sortir les morts de leurs tombeaux,
retirait les âmes de l'abîme du mal pour les conduire au sommet des plus
éminentes vertus. Qui pourrait dire la sagesse de ses préceptes, la force de
ses lois divines et la belle harmonie de la vie toute angélique qu'il est venu
établir parmi les hommes ?
ORIG. (hom. 2 sur div. suj.) Les
paroles qui suivent : « Plein de grâce et de vérité, » peuvent s'entendre
de deux manières différentes, c'est-à-dire de l'humanité et de la divinité du
Verbe incarné. Ainsi la plénitude de la grâce se rapporterait à l'humanité, par
laquelle le Christ est le chef de l'Eglise et le premier né de toute créature.
En effet, c'est en lui que s'est manifesté le plus grand et le plus merveilleux
effet de la grâce, en vertu de laquelle l'homme est devenu dieu sans aucun
mérite de sa part. La plénitude de la grâce eu Jésus-Christ peut encore
s'entendre de l'Esprit saint, dont les sept dons remplirent l'humanité du
Sauveur. (Is 11) La plénitude de la vérité se rapporte à la divinité. Si
vous aimez mieux appliquer au Nouveau Testament cette plénitude de grâce et de
vérité, vous pourriez dire avec beaucoup de vraisemblance que la plénitude de
la grâce du Nouveau Testament nous a été donnée par Jésus-Christ, et que la
vérité des symboles figuratifs de la loi s'est accomplie en lui. — THEOPHYL. Ou
encore, il est plein de grâce, à cause de la grâce de ses paroles, comme le
prédit David : « La grâce est répandue sur vos lèvres » (Ps 44) ; il est
plein de vérité, en comparaison de Moïse et des prophètes qui parlaient ou
agissaient eu figure, tandis que toutes les paroles comme toutes les actions de
Jésus-Christ étaient vérité.
ALCUIN. Nous avons vu plus haut qu'un homme avait
été envoyé pour rendre témoignage ; l'Evangéliste rapporte ici le
témoignage que le Précurseur rend publiquement à l'élévation de l'humanité en
Jésus-Christ et à l'éternité de son existence divine : « Jean rend témoignage
de lui. » — S. CHRYS. (hom. 13 sur S. Jean.) Ou bien, tel est le
motif qui a déterminé l'Evangéliste à rapporter ce témoignage : Ne croyez pas,
semble-t-il dire, que c'est pour avoir longtemps vécu avec le Sauveur et nous
être assis à la même table, que nous lui rendons ainsi un témoignage de
reconnaissance ; car Jean-Baptiste qui ne l'avait pas vu auparavant, qui
n'avait point vécu avec lui, lui rend le même témoignage. Il revient à
plusieurs reprises sur ce témoignage, et le reproduit avec le plus grand soin
sous différentes formes, parce que les Juifs avaient Jean-Baptiste en
très-grande estime. Les autres évangélistes ont invoqué les oracles des anciens
prophètes. « Ceci s'est fait, disent-ils, afin que fût accomplie la parole du
prophète. » Saint Jean, au contraire, produit un témoin plus élevé, et aussi
plus récent, non qu'il prétende donner du crédit au Maître par le témoignage du
serviteur, mais pour s'accommoder à la faiblesse de ses auditeurs. Si le Fils
de Dieu n'eût pris la forme de serviteur, il n'eût pu être reçu par les hommes
; de même s'il n'eût préparé par la voix de son serviteur l'esprit de ses
semblables, peu de Juifs eussent consenti à recevoir la parole de Jésus-Christ
: « Et il dit à haute voix,» c'est-à-dire qu'il parle
publiquement, avec confiance et en toute liberté, et sans rien dissimuler.
Toutefois, il ne commence point par dire que Jésus est le Fils unique de Dieu
par nature, mais il dit à haute voix : « Voici celui dont je disais : Celui qui
doit venir après moi, a été fait pins grand que moi, parce qu'il était avant
moi. » Les mères des petits oiseaux n'apprennent pas tout de suite à voler à
leurs petits ; ils commencent par les faire sortir de leur nid, puis les
laissent se reposer, puis les exercent de nouveau, et enfin leur font prendre
un essor plus rapide dans les airs. Jean-Baptiste fait de même, il ne porte pas
tout d'abord les Juifs à de hautes considérations, mais il les élève
insensiblement au-dessus de la terre en leur disant que le Christ était
au-dessus de lui, ce qui était un grand point. Et voyez avec quelle prudence il
lui rend témoignage. Il n'attend pas que Jésus soit présent pour le faire
connaître, il l'annonce avant qu'il eût paru au milieu des Juifs. C'est ce
qu'indiquent ces paroles : « Voici celui dont je disais, » etc.
Jean-Baptiste agit de la sorte pour préparer les esprits à recevoir plus
facilement Jésus-Christ, sans être arrêté par ses humiliations volontaires et
l'extrême simplicité de son extérieur. En effet, le Sauveur avait un extérieur
si simple et si ordinaire, que si les Juifs n'avaient entendu parler de lui
qu'après l'avoir vu, ils se seraient moqués du témoignage de Jean.
THEOPHYL. Il dit : « Celui qui vient après moi, »
dans l'ordre de la naissance temporelle ; Jean-Baptiste, en effet, précédait le
Christ de six moissons ce rapport.— S. CHRYS. (hom. 13.) Ou bien
encore,-il ne parle pas ici de la naissance de Jésus du sein de Marie ; car
Jésus était déjà né, quand Jean-Baptiste tenait ce langage, mais du commencement de sa vie
évangélique. Il dit : « il a été fait avant moi, » c'est-à-dire
qu'il est plus illustre et plus digne d'honneur et de gloire. Ne croyez pas,
semble-t-il dire, que je sois plus grand que lui, parce que je le précède dans
la carrière de la prédication. — THEOPHYL. Les ariens interprètent ce passage,
dans ce sens que le Fils de Dieu n'est pas engendré du Père, mais qu'il a été
fait comme toutes les autres créatures. — S. AUG. (Traité 3 sur S.
Jean.) Ces paroles ne veulent donc pas dire : Il a été fait avant que je
fusse fait moi-même, mais il a été placé au-dessus de moi.
S. CHRYS. (hom. précéd.) Si ces paroles : «
Il a été fait avant moi, » devaient s'entendre du commencement de l'existence,
il serait fort inutile d'ajouter : « Parce qu'il était avant moi. » Car qui est
assez ignorant, pour ne pas savoir que celui qui a été fait avant lui était
avant lui ? Si telle avait été son intention, voici comme il aurait dû
s'exprimer : Il était avant moi, parce qu'il a été fait avant moi. Ces paroles
: « Il a été fait avant moi, » doivent donc s'entendre d'une priorité
d'honneur, et Jean-Baptiste présente comme étant déjà accompli ce qui devait se
faire, selon la coutume des prophètes qui parlaient des choses à venir comme si
elles étaient déjà passées.
ORIG. (Traité 5 sur S. Jean.) Ces
paroles sont la continuation du témoignage que Jean-Baptiste rend à
Jésus-Christ, et on se trompe en attribuant les réflexions qui suivent à saint
Jean l'Evangéliste, jusqu'à ces paroles : « Le Fils unique, qui est dans le
sein du Père, nous l'a fait connaître. » C'est faire violence au texte que de
supposer que le discours du Précurseur est interrompu par les réflexions de
l'Evangéliste, et l'enchaînement des paroles est ici visible pour qui est
capable de le saisir. Jean-Baptiste venait de dire : « Il a été fait plus grand
que moi, parce qu'il était avant moi. » Or, poursuit-il, je suis porté à croire
et à conclure qu'il est avant moi, parce que nous avons reçu, moi, et les
prophètes avant moi, une seconde grâce après la première ; car l'esprit de
Dieu, après les symboles figuratifs, les a conduits jusqu'à la contemplation de
la vérité. En recevant ainsi de sa plénitude, nous comprenons que la loi a été
donnée par Moïse, et que la grâce et la vérité ont été données ou plutôt ont
été faites par Jésus-Christ; car Dieu le Père a donné la loi par Moïse, et il a
fait la grâce et la vérité par Jésus-Christ. Mais puisque Jésus a dit :
« Je suis la vérité, » comment la vérité a-t elle pu être faite par lui ?
Nous répondons que la vérité substantielle, la vérité première qui est le
principe et le modèle de toutes les vérités qui existent dans l'esprit de ceux
qui enseignent la vérité, n'a été faite ni par Jésus-Christ ni par aucun autre
; la vérité qui a été faite par Jésus-Christ est donc celle que nous remarquons
dans saint Paul et dans les autres Apôtres. — S. CHRYS. (hom. 13 sur
S. Jean.) On peut dire encore que saint Jean l'Evangéliste joint ici son
témoignage à celui de Jean-Baptiste. Ainsi ces paroles : « Et nous avons
reçu tous de sa plénitude, » etc., ne sont pas les paroles du Précurseur, mais
celles du disciple, et voici quel en est le sens : Et nous autres aussi, les
douze Apôtres, et toute la multitude des fidèles présents et futurs, nous avons
tous reçu de sa plénitude.
S. AUG. (Traité 3 sur S. Jean.) Et
qu'avez-vous donc reçu ? « Grâce pour grâce, » c'est-à-dire que nous avons
reçu de sa plénitude je ne sais quoi d'ineffable, et ensuite grâce pour grâce.
Ainsi nous avons reçu de sa plénitude, d'abord la grâce, et nous avons reçu
ensuite grâce pour grâce. Quelle est la première grâce que nous avons reçue ?
La foi, qui est appelée grâce, parce qu'elle est donnée gratuitement. Le
pécheur a donc reçu cette première grâce qui a été pour lui le principe de la
rémission de ses péchés ; et il a de nouveau reçu grâce pour grâce,
c'est-à-dire que, pour cette grâce qui nous fait vivre de la foi, nous en
recevrons une autre, c'est-à-dire la vie éternelle. Car la vie éternelle est
comme la récompensé de la foi, et comme la foi est une grâce, la vie éternelle
est aussi une grâce donnée pour une autre grâce. Cette grâce n'existait pas
dans l'Ancien Testament, parce que la loi menaçait sans porter secours ; elle
commandait sans guérir, elle montrait le mal sans le faire disparaître, et se
contentait de préparer les hommes à recevoir le médecin qui devait venir avec
la grâce et la vérité. Voilà pourquoi l'Evangéliste ajoute : « La loi a été
donnée par Moïse, mais la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ, »
car la mort de votre Seigneur a détruit la mort temporelle et la mort éternelle
; et c'est là cette grâce que la loi promettait et ne donnait pas.
S. CHRYS. (hom. 14 sur S. Jean.) Ou
bien, nous avons reçu grâce pour grâce, c'est-à-dire une grâce nouvelle pour la
grâce ancienne. De même, en effet, qu'il y a justice et justice , adoption et
adoption, circoncision et circoncision, il y a aussi grâce et grâce, la
première comme
figure, la seconde comme vérité. Jean-Baptiste parle de la sorte pour prouver
aux Juifs qu'eux-mêmes n'étaient sauvés que par grâce, et que nous-mêmes, tous
tant que nous sommes, nous ne pouvons arriver au salut par une autre voie. Ce
fut donc une véritable grâce, et un acte de miséricorde que la loi qui fut
donnée aux Juifs. Aussi l'Evangéliste, voulant faire ressortir la grandeur des
dons qui ont été faits, ajoute : « La loi a été donnée par Moïse, mais la
grâce, » etc. Il avait plus haut établi une comparaison entre Jésus-Christ et
lui, en disant : « Il a été fait plus grand que moi. » Ici saint Jean fait
cette comparaison entre Jésus-Christ et Moïse qui fut pour les Juifs l'objet
d'une bien plus grande admiration que Jean-Baptiste. Et voyez quelle est ici sa
prudence : Il n'établit pas la comparaison entre les personnes, mais entre les
choses, et il oppose la grâce et la vérité à la loi, aussi bien que cette
expression : « A été donnée, » à cette autre : « A été faite. » Il dit de
la loi qu'elle a été donnée, c'était l'œuvre d'un serviteur qui transmet ce
qu'il a reçu selon l'ordre qui lui a été imposé. Ces paroles, au contraire : «
La grâce et la vérité ont été faites, » indiquent un roi qui remet tous les
péchés par sa puissance, c'est ce que faisait Jésus : « Vos péchés vous
sont remis (Mc 2, 9), et encore : « Afin que vous sachiez que le
Fils de l'homme a le pouvoir de remettre les péchés, » etc. (Mc 2, 10 et
11.) Vous voyez comme la grâce a été faite par Jésus-Christ, considérez comment
la vérité nous est aussi venue de la même manière. Le don du baptême, le
bienfait de l'adoption qui nous est donné par le Saint-Esprit, et une multitude
d'autres dons sont les preuves et les fruits de la grâce. Quant à la vérité,
nous comprendrons mieux comment elle est venue par Jésus-Christ, si nous avons
une connaissance parfaite des figures de la loi ; car tout ce qui devait
s'accomplir dans le Nouveau Testament a été annoncé et figuré dans l'Ancien, et
c'est Jésus-Christ qui est venu accomplir toutes ces figures. C'est ainsi que
la figure a été donnée par Moïse, et que la vérité a été faite par
Jésus-Christ.
S. AUG. (de la Trin., 13, 20.) Ou bien
encore, nous pouvons rapporter la grâce à la science, et la vérité à la
sagesse. Parmi les choses qui ont pris naissance dans le cours des temps, la
grâce par excellence qui nous a été donnée, c'est que l'homme ait été uni à
Dieu en unité de personne ; et dans les choses de l'éternité, la vérité suprême
et par excellence doit s'entendre du Verbe de Dieu.
ORIG. (Traité 6 sur S. Jean.) C'est
sans aucune raison qu'Héracléon prétend que ces paroles ne sont point de
Jean-Baptiste, mais de l'Evangéliste. En effet, si les paroles qui précèdent :
« Nous avons tous reçu de sa plénitude, » ont été dites par le
saint Précurseur, comment ne pas admettre comme conséquence, que celui qui
avait reçu de la plénitude de Jésus-Christ et une seconde grâce pour la
première, celui qui avait déclaré que la loi avait été donnée par Moïse, et que
la grâce et la vérité étaient venues par Jésus-Christ, ait compris comment
personne n'a jamais vu Dieu, mais que le Fils unique, qui repose dans le sein
du Père, a donné la connaissance de ces mystères, non-seulement à Jean, mais à
tous ceux qui marchent dans les voies de la perfection ? Et ce n'est pas la
première fois que celui qui est dans le sein du Père les révélait, comme si
avant les Apôtres, personne n'avait été digne de recevoir cette révélation ;
car lui qui existait avant qu'Abraham fût fait, nous apprend qu'Abraham a tressailli du
désir de voir son jour, et qu'il en a été rempli de joie.
S. CHRYS. (hom. 15 sur S. Jean.) Ou
bien, c'est l'Evangéliste lui-même qui, pour faire ressortir la prééminence des
dons que Jésus-Christ nous a faits sur ceux dont Moïse a été le dispensateur,
nous indique le véritable motif de cette supériorité. Moïse, simple serviteur,
a été le dispensateur de grâces moins importantes ; Jésus, au contraire, le
souverain Seigneur et Fils de roi, a répandu sur nous des grâces d'un ordre
bien supérieur, lui dont l'existence est éternelle comme celle du Père, et qui
jouit éternellement de sa présence. Voila l'explication de ces paroles : «
Personne n'a jamais vu Dieu. » — S. AUG. (Lettre 112 à Pauline.) Que
signifient donc ces paroles de Jacob : « J'ai vu le Seigneur face, à face, » (Gn
32) et ce qui est écnt de Moïse, qu'il parlait à Dieu face à face (Ex 33),
et encore ce que le prophète Isaïe dit de lui-même : « J'ai vu le Seigneur
des armées assis sur un trône ? » (chap. 6)— S. GREG. (Moral., 28, 18)
Ces textes nous donnant clairement à comprendre que pendant cette vie mortelle,
on peut bien voir Dieu sous certaines figures, mais jamais dans la claire
manifestation de sa nature, c'est-à-dire que, l'âme comme inspirée par la grâce
de l'Esprit saint, le voit comme à travers ces figures, mais sans pouvoir
jamais parvenir à la vue intime de son essence. C'est ainsi que Jacob, qui
affirme qu'il a vu Dieu, n a vu cependant qu'un ange; c'est ainsi encore que
Moïse, qui parlait à Dieu face à face, lui fait cette prière :
« Manifestez-vous à moi ouvertement, afin que je vous voie et que je vous
connaisse ». D'où nous pouvons conclure qu'il avait soif de voir dans
toute sa splendeur cette nature infinie qu'il avait commencé à voir dans des
figures imparfaites.
S. CHRYS. (hom. précéd.) Si les patriarches
de l'Ancien Testament avaient véritablement vu la nature divine, ils ne
l'auraient point vue sous des formes différentes, car cette divine nature est
simple et sans figure, on ne peut la supposer ni assise, ni debout, ni en
marche, toutes choses qui ne conviennent qu'aux corps. Aussi écoutez comment
Dieu parle par son prophète : « J'ai multiplié pour eux les visions, et ils
m'ont représenté à vous sous des images différentes. » (Os 12)
C'est-à-dire, je me suis accommodé à leur faiblesse ; je ne leur ai pas apparu
tel que j'étais. Comme le Fils de Dieu devait se manifester à nous dans une
chair véritable, il les préparait dès lors à voir Dieu, autant que cela leur
était possible.
S. AUG. (Lettr. à Pauline.) Mais comment
concilier ces paroles : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu'ils
verront Dieu, » (Mt 5) et ces autres : « Lorsqu'il apparaîtra , nous lui
serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est, » avec celles-ci :
« Personne n'a jamais vu Dieu ? » On peut répondre que les témoignages qu'on
vient de citer ont pour objet la vision future de Dieu, et non la vision
actuelle. Le texte dit en effet : « Ils verront Dieu, » et non : Ils ont
vu Dieu ; de même encore : « Nous le verrons tel qu'il est, » et non pas : Nous
l'avons vu. Or, Jean dit ici : « Personne n'a jamais vu Dieu, » ou dans cette
vie tel qu'il est, ou même dans la vie des anges, où Dieu n'est pas vu comme le
sont les objets extérieurs par les yeux du corps.
S. GREG. (Moral., 18, 28.) Que cependant,
même dans cette chair corruptible, des âmes qui ont fait d'immenses progrès
dans la vertu puissent voir la splendeur divine avec les yeux perçants de la
contemplation cela n'est nullement en contradiction avec ces paroles ; car
celui qui a le bonheur de voir la sagesse qui est Dieu, meurt entièrement à la
vie présente, et s'affranchit ainsi de toutes ses affections. S. AUG. (De la
Gen.; explic. littér., 27) Si, en effet on ne meurt à cette vie soit en se
séparant réellement du corps, sent en se détachant si parfaitement des sens
extérieurs, qu'on puisse dire avec l’Apôtre, qu’on ne sait si on est avec son
corps ou en dehors de son corps (2 Co 12), ou ne peut être élevé jusqu'à
la hauteur de cette contemplation.
S. GREG. (Moral., 18, 28.) Il en est qui ont
prétendu que, même dans cette région du bonheur, Dieu pourra être vu dans sa
gloire, mais nullement dans sa nature. Leurs recherches plus subtiles qu
approfondies les ont induits en erreur, car pour cette essence simple et
immuable la gloire n'est pas différente de la nature.
S. AUG. (Lettre à Pauline.) Dira-t-on que ces
paroles : « Personne n'a jamais vu Dieu, » doivent s'entendre des hommes seuls,
comme l'explique plus ouvertement l'Apôtre, quand il dit : « Qu’aucun homme ou
que nul homme n'a vu et ne peut voir. » (1 Tm 6) La difficulté se résout
d'elle-même, et ces paroles : « Personne n’a jamais vu Dieu, » ne sont
nullement en opposition avec ces autres du Sauveur : « Leurs anges voient
toujours la face de mon Père, » (Mt 18) puisqu'il est facile de
comprendre que les anges voient Dieu, qu'aucun homme n'a jamais pu voir. — S.
GREG. (Moral., 18, 28.) D'autres cependant soutiennent qu'il est
impossible, même aux anges de voir Dieu. — S. CHRYS. (hom. précéd.) Certainement,
ni les prophètes, ni les anges, ni les archanges, n'ont jamais vu ce qu'est
Dieu en lui-même. Si vous interrogez les anges, ils ne vous diront rien de la
substance divine, ils se contentent de chanter : « Gloire à Dieu au plus
haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. » (Lc 2)
Désirez-vous apprendre quelque chose de plus des chérubins et des
séraphins ? Vous n'entendrez sortir de leur bouche que cette hymne
mystérieuse de la sainteté de Dieu : « Le ciel et la terre sont pleins de sa
gloire. » (Is 6) — S. AUG. (Lett. à Pauline.) Ces paroles sont
encore vraies en ce sens, que personne n'a jamais pu comprendre, non-seulement
des yeux du corps, mais par les forces de son esprit, la plénitude de l'essence
divine. Il y a, en effet, une grande différence entre la simple vision et la
compréhension parfaite. Nous voyons ce dont nous apercevons la présence de
quelque manière que ce soit, mais nous comprenons une chose quand nous la
voyons si parfaitement, qu'aucune des parties qui la composent n'échappe à nos
investigations. — S. AUG. Il n'y a donc que le Fils et l'Esprit saint qui
puissent voir le Père, car comment une simple créature pourrait-elle voir une
nature incréée ? Personne donc ne connaît le Père, si ce n'est le Fils : « Le
Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l'a fait connaître. » Et de
peur que le nom de Fils vous donne à penser qu'il s'agit ici d'au de ceux qui
sont devenus fils de Dieu par sa grâce, l'article précède le mot Fils (ό
υίος). Et si cela ne suffit pas encore, on vous dit que
c'est le Fils unique.
S. HIL. (De la Trin., 6) Le nom de Fils ne
paraissait pas encore assez explicite pour exprimer la nature divine, si
Jean-Baptiste n'y ajoutait une propriété qui le rend exclusif et
incommunicable. En effet, par l'emploi de ces seuls mots : Fils et unique,
il exclue toute idée d'adoption, puisque la nature divine seule peut
remplir toute la signification de ce nom. — S. CHRYS. (hom. précéd.) Il
ajoute encore une autre preuve de la même vérité : « Qui est dans le sein du
Père, » privilège bien supérieur à celui de voir simplement Dieu. Celui qui ne
fait que le voir, n'a pas une connaissance parfaite de ce qu'il voit. Mais
celui qui demeure dans le sein du Père, ne peut rien ignorer de ce qui est en
Dieu. Lors donc que vous entendez ces paroles : « Personne ne connaît le Père,
si ce n'est le Fils, » ne les prenez pas dans ce sens que le Fils a du Père une
connaissance supérieure à celle de tous les hommes, mais qui cependant
n'embrasse point l'immensité de son être, car l'Evangéliste vous dit qu'il
demeure dans le sein du Père, pour vous faire comprendre son union intime avec
le Père, et son existence coéternelle avec lui. — S. AUG. (Tr. 3 sur
S. Jean. ) « Dans le sein du Père, » c'est-à-dire, dans le secret du Père,
car Dieu n'a pas de sein comme celui que nous formons avec nos vêtements, il ne
s'assoie point comme nous, il ne porte pas de ceinture qui puisse former un
sein. Mais on appelle le secret du Père le sein du Père, parce que le sein chez
nous est comme une partie intime de nous-mêmes. C'est donc celui qui a connu le Père dans le
secret du Père, qui nous a raconté ce qu'il a vu.
S. CHRYS. (hom. précéd.) Comment nous
l'a-t-il raconté ? Eu proclamant qu'il n'y a qu'un seul Dieu ; mais c'est ce
que Moïse et les prophètes avaient fait avant lui. Que nous a donc fait
connaître de plus le Fils, qui demeurait dans le sein du Père ? Il nous a
enseigné d'abord que les prophètes n'ont annoncé l'existence d'un seul Dieu que
par la vertu du Fils unique ; secondement, que nous avons reçu par ce Fils
unique des grâces bien plus grandes et plus abondantes ; troisièmement, que
Dieu est esprit, et que ceux qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et en
vérité (Jn 4), et enfin que Dieu est le Père du Fils unique. — BEDE. Si
on rapporte au passé ce mot (enarravit), il a raconté, nous dirons que
le Fils de l'homme nous a l'ait connaître ce que nous devions penser et croire
de l'unité de la Trinité, comment nous devons nous élever jusqu'à la
contemplation d'un si grand mystère et par quelles œuvres nous pouvons y
parvenir. Si on traduit ce mot au futur, le sens sera que le Fils racontera ce
qu'il a vu dans le sein du Père, lorsqu'il introduira ses élus dans les
célestes clartés de la vision éternelle. — S. AUG. (Traité 3.) Il s'est
trouvé des hommes qui, trompés par la vanité de leur cœur, ont dit : Le Père
est invisible, le Fils, au contraire, est visible. Si dans leur pensée, le Fils
est visible, parce qu'il s'est revêtu d'un corps sensible, nous sommes de leur
avis, et c'est aussi ce qu'enseigne la foi catholique ; mais s'ils prétendent
qu'il était visible avant même son incarnation, ils tombent dans une grave
absurdité. Jésus-Christ est la sagesse et la vertu de Dieu, or la sagesse de
Dieu ne peut pas être vue des yeux du corps. La parole, le verbe de l'homme est invisible pour les yeux de l'homme, comment le
Verbe de Dieu pourrait-il être visible ? — S. CHRYS. (hom. préc.) Ce
n'est donc pas au Père seul que se rapportent ces paroles : « Personne n'a
jamais vu Dieu, mais elles sont également vraies du Fils, dont saint Paul a
dit: « Il est l'image du Dieu invisible, » or, celui qui est l'image d'un être
invisible, est invisible lui-même.
ORIG. (Traité 6 sur S. Jean.) C'est
ici le second témoignage que nous voyons Jean-Baptiste rendre à Jésus-Christ,
puisque le premier commence à ces paroles : « Voici celui dont je disais :
celui qui doit venir après eux, » etc., et se termine par ces autres : « C'est
lui qui l'a raconté. » — THEOPHYL. On peut dire encore que l'Evangéliste, après
avoir rapporté le témoignage rendu par Jean-Baptiste à Jésus-Christ : « Il a
été fait plus grand que moi, » etc., nous fait connaître l'époque à laquelle le
saint précurseur a rendu ce témoignage : « Et tel est le témoignage de Jean,
lorsque les Juifs lui envoyèrent, » etc. — ORIG. (Traité 6.) Les Juifs
qui envoient cette députation étaient parents de Jean-Baptiste, comme étant
eux-mêmes de race sacerdotale, et ils envoient pour demander à Jean qui il
était, des prêtres et des lévites de Jérusalem, c'est-à-dire, des hommes élevés
au-dessus des autres, et par leur vocation, et par la ville qu'ils habitaient.
Ils s'adressent donc à Jean avec les marques du plus grand respect, jamais ils
n'agirent de cette manière à l'égard du Sauveur. Mais la démarche qu'ils font
aujourd'hui auprès de Jean-Baptiste, le saint précurseur la fit lui-même à
l'égard de Jésus-Christ, en envoyant ses propres disciples lui demander : «
Etes-vous celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? »— S.
CHRYS. (hom. 16 sur S. Jean.) Jean-Baptiste était à leurs yeux si
digne de foi, qu'ils étaient disposés à croire au témoignage qu'il rendrait de
lui-même : « Ils envoyèrent pour demander : Qui êtes vous ? » — S. AUG. (Traité
4 sur S. Jean.) Ils ne lui auraient pas envoyé cette députation,
s'ils n'avaient été frappés du caractère de supériorité qui brillait en sa
personne et en vertu duquel il donnait le baptême. — ORIG. (Traité 6 sur
S. Jean.) Jean-Baptiste démêlait dans la question des prêtres et des
lévites le doute où ils étaient, s'il n'était pas le Christ qui baptisait,
doute qu'ils se gardaient bien de produire au dehors, de crainte de paraître
téméraires. Aussi s'empresse-t-il tout d'abord de détruire cette opinion
erronée, et de préparer ainsi les voies à la vérité, en déclarant ouvertement
qu'il n'est pas le Christ. Ajoutons que le temps où le Christ devait venir
était pour le peuple juif un temps d'espérance et de joie dont il jouissait par
avance, parce que les docteurs de la loi recueillaient dans les saintes
Ecritures les témoignages qui attestaient que ce temps était proche ; c'est ce
qui explique comment Théodas réunit autour de lui une assez grande multitude de
peuple, et après lui Judas, le Galiléen, au temps du dénombrement du peuple. (Ac
5) Comme l'avènement du Christ était alors l'objet des plus ardents désirs
et de l'attente universelle, les Juifs envoient demander à Jean : « Qui
êtes-vous ? » pour savoir s'il avouerait qu'il était le Christ. Or, en disant :
« Je ne suis point le Christ ; » il ne nie pas, mais au contraire, confesse
ouvertement la vérité. — S. GREG. (hom. 7 sur les Evang.) Il nie
clairement ce qu'il n'est pas, mais il ne nie pas ce qu'il est. Son langage,
est celui de la vérité, et il mérite ainsi de devenir le membre de celui dont
il ne voulait pas usurper injustement le nom.
S. CHRYS. (hom. 16 sur S. Jean.) On
peut dire encore que les Juifs avaient à l'égard de Jean-Baptiste, des
sentiments beaucoup trop humains. Ils regardaient comme indigne de lui d'être
inférieur au Christ, à cause de l'éclat extraordinaire qui entourait toutes les
circonstances de sa vie, sa naissance illustre (il était fils du prince des
prêtres), son éducation austère, et le mépris qu'il faisait des choses
humaines. Jésus-Christ, au contraire, paraissait venir d'une famille obscure,
comme les Juifs le lui reprochaient : « Est-ce qu'il n'est pas le fils du
charpentier ? » et sa manière de se nourrir et de se vêtir n'avait rien qui le
distinguât des autres hommes. Or, comme Jean envoyait continuellement à
Jésus-Christ, et que les Juifs cependant préféraient l'avoir pour maître, ils
lui envoient une députation, dans l'espérance de l'amener par leurs flatteries,
à déclarer qu'il était le Christ. Ce ne sont donc point des hommes du peuple
qu'ils lui députent (comme lorsqu'ils envoient au Christ des serviteurs et des
hérodiens), mais des prêtres et des lévites, et encore n'étaient-ce pas les
premiers venus, mais des prêtres de Jérusalem, c'est-à-dire, les plus
honorables et les plus distingués d'entre eux. Ils lui envoient donc demander :
« Qui êtes-vous ? » non pas qu'ils ignorent ce qu'il est, mais parce qu'ils
veulent l'amener à donner une réponse conforme à leurs désirs. Aussi
Jean-Baptiste répond à leurs pensées plutôt qu'à leur question : « Il confessa,
et il ne le nia point, il confessa : Je ne suis pas le Christ. » Et voyez la
sagesse de l'Evangéliste, il répète trois fois à peu près la même expression,
pour faire ressortir la vertu de Jean-Baptiste, et la malice insensée des
Juifs ; car c'est le devoir d'un serviteur fidèle, non-seulement de ne pas
ravir la gloire qui appartient à son maître, mais de la rejeter quand elle lui
est offerte, même par un grand nombre. C'était par ignorance que le peuple
conjecturait que Jean-Baptiste pourrait être le Christ, tandis que c'est avec
mauvaise intention que les prêtres et les lévites lui adressent cette question,
espérant l'amener par leurs flatteries au résultat qu'ils désiraient. Si telle
n'avait pas été leur intention, lorsque Jean leur eut répondu : « Je ne suis
pas le Christ, » ils se fussent empressés de dire : Nous n'avons jamais eu
cette pensée, ce n'est pas ce que nous sommes venus vous demander. Mais honteux
de voir leur pensées ainsi dévoilées, ils passent aussitôt à une autre question
: « Qui êtes-vous donc, lui dirent-ils ? Etes-vous Elie ?» — S. AUG. (Traité
4 sur S. Jean.) Ils savaient qu'Elie devait précéder le Christ, car
le nom du Christ n'était ignoré de personne chez les Juifs. Ils ne croyaient
pas que Jean-Baptiste fût le Christ, ils n'avaient pas cependant perdu toute
espérance de l'avènement prochain du Christ, et avec cette espérance, la venue
du Christ fut pour eux comme une véritable pierre de scandale.
« Et il répondit : Je ne le suis pas. » — S. GREG. (hom.
7.) Cette réponse donne lieu à une difficulté assez grande : les disciples
de Jésus l'ayant un jour questionné sur l'avènement d'Elie, il leur répondit :
« Puisque vous voulez le savoir, c'est Jean lui-même qui est Elie. » (Mt 11)
Ici on demanda à Jean-Baptiste lui-même s'il est Elie, et il répond : « Je ne
le suis pas. » Comment peut-il être le prophète de la vérité, si ces
paroles sont en désaccord avec celles de la vérité ? — ORIG. (Traité
précédent.) On dira peut-être que Jean-Baptiste ignorait qu'il fût Elie, et
c'est l'opinion que soutiennent ceux qui professent la doctrine de la
transmigration des âmes dans de nouveaux corps. Les Juifs lui demandent donc
par les prêtres et les lévites s'il était Elie, parce qu'ils admettent comme
véritable le dogme de la transmigration successive des âmes, dogme conforme à
leurs traditions et à leurs doctrines secrètes ; et Jean-Baptiste leur répond :
« Je ne suis pas Elie, » parce qu'il ignore sa première existence dans un autre
corps. Mais comment peut-on supposer raisonnablement que Jean, qui, comme
prophète, a été inondé des lumières de l'Esprit saint, et nous a révélé de si
grandes vérités sur Dieu et sur son Fils unique, ait pu ignorer que son âme
avait autrefois animé le corps d'Elie ? — S. GREG. (hom. 7.) Si l'on
veut examiner à fond cette difficulté, on trouvera le moyen de concilier cette
contradiction apparente. Que dit, en effet, l'ange à Zacharie ? « Il marchera
devant lui dans l'esprit et la vertu d'Elie, » c'est-à-dire, que Jean-Baptiste
devait précéder le premier avènement, comme Elie devra un jour précéder le
second ; de même qu'Elie sera le précurseur du Juge, ainsi Jean-Baptiste devait
être le précurseur du Rédempteur ; Jean-Baptiste était donc Elie en
esprit, mais il ne l'était pas en personne. Ce que le Sauveur affirme de
l'esprit d'Elie, Jean le nie de la personne. Il était juste, en effet, que le
Seigneur parlât de Jean à ses disciples dans un sens spirituel, tandis que Jean
devait répondre au peuple encore grossier, en niant dans le sens littéral,
qu'il fût Elie en personne.
ORIG. Jean répondit donc aux prêtres et aux lévites
; « Je ne le suis pas, » en devinant l'intention qui avait dicté leur demande.
Cette question, en effet, avait pour but de savoir, non pas s'il avait le même
esprit qu'Elie, mais s'il était en réalité cet Elie, qui avait été enlevé dans
les cieux, et qui, sans passer par une nouvelle naissance, apparaissait de
nouveau conformément à l'attente des Juifs. Ceux qui croient à la
transmigration des âmes dans de nouveaux corps, diront qu'il est
invraisemblable que des prêtres et des lévites pussent ignorer la naissance
d'un fils, que Zacharie, prêtre si distingué, eut dans sa vieillesse, surtout
lorsque saint Luc nous atteste qu'à sa naissance, tous les habitants du
voisinage furent remplis de crainte, et que le bruit de ces merveilles se
répandit dans tout le pays des montagnes de Judée. Peut-être, comme ils
savaient qu'Elie viendrait avant Jésus-Christ vers la fin du monde,
demandent-ils à Jean-Baptiste, dans le sens figuré : « Est-ce vous qui annoncez
l'arrivée du Christ, qui doit venir à la fin du monde ? » Et il répond avec
sagesse : « Non, ce n'est pas moi. » Un grand nombre savait que Jésus
était né de Marie, mais quelques-uns ne laissaient pas de tomber dans cette
erreur qu'il pouvait être Jean-Baptiste, ou Elie, ou quelqu'un des prophètes ;
il n'y a donc rien d'étonnant que, tandis que les uns savaient parfaitement que
Jean-Baptiste était fils de Zacharie, d'autres fussent dans le doute s'il n'était
pas le prophète Elie qu'ils attendaient. Mais comme il avait paru plusieurs
prophètes en Israël, l'objet de leur attente était surtout en prophète que
Moïse avait annoncé en ces termes : « Dieu vous suscitera un prophète du milieu
de vos frères, vous lui obéirez comme à moi. » (Dt 5, 5 ; Ex 24,
7-8.) C'est ce qui explique la troisième question qu'ils font à Jean-Baptiste,
non pas s'il était simplement prophète, mais s'il était le prophète avec
l'article, comme porte le texte grec : « Etes-vous le prophète ? » Le peuple
d'Israël savait, qu'aucun des prophètes n'avait été celui que Moïse avait
annoncé, et qui devait, à l'exemple de ce législateur du peuple de Dieu, être
le médiateur entre Dieu et les hommes, et transmettre à ses disciples le
testament ou l'alliance qu'il recevait de Dieu. Or, tandis que les Juifs
refusaient de reconnaître dans Jésus-Christ ce prophète prédit par Moïse, et
voulaient attribuer ce nom à un autre que lui, Jean savait que Jésus était
vraiment ce prophète. Aussi répond-il : « Je ne le suis pas. » — S. AUG. (Traité
précéd.) Peut-être répond-il de la sorte, parce qu'il était plus grand
qu'un prophète, les prophètes ayant prédit le Christ longtemps à l'avance,
tandis que Jean le montrait présent au milieu des hommes.
« Ils lui dirent donc : Qui êtes-vous, afin que
nous donnions une réponse à ceux qui nous ont envoyés ? » — S. CHRYS. (hom. 16
sur S. Jean.) Voyez comme ils insistent et le pressent de nouvelles
questions, et comme Jean-Baptiste leur répond avec douceur en détruisant toutes
leurs fausses idées et leur faisant connaître ce qu'il était en vérité :
« Il répondit : Je suis la voix de celui qui crie dans le désert. » — S.
AUG. (Traité précéd.) Cette prophétie d'Isaïe a reçu son accomplissement
dans la personne de Jean-Baptiste. — S. GREG. (hom. 7.) Vous savez que
le Fils unique de Dieu est appelé le Verbe du Père ; or, notre langage nous
aide à nous rendre compte de ce fait, que la voix doit retentir d'abord, pour
que le verbe ou la parole puisse être entendue. Jean affirme donc qu'il est la
voix, parce qu'il précède le Verbe, et que c'est par son ministère que le Verbe
du Père a été connu des hommes.— ORIG. Héracléon, dans ses réflexions absurdes
sur Jean et les prophètes, reconnaît que le Sauveur est bien le Verbe, et que Jean
est la voix, parce que tout prophète n'est qu'un son. Nous lui répondrons par
ces paroles de l'Apôtre : « Si la trompette ne rend qu'un son confus, qui
est-ce qui se préparera au combat ? » (1 Co 14) Si donc la voix des
prophètes n'est qu'un son, comment le Sauveur nous ordonne-t-il de recourir à
cette voix ? « Scrutez les Ecritures, nous dit-il. » (Jn 5, 1.) Or, Jean
déclare qu'il est non pas la voix qui crie dans le désert, mais « la voix de
celui qui crie dans le désert, » c'est-à-dire, de celui qui se tenait debout et
disait à haute voix : « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive.
» (Jn 7) Il parle à haute voix pour se faire entendre de ceux qui
étaient éloignés, et aussi pour faire comprendre à ceux qui ont l'ouïe dure,
l'importance des vérités qu'il leur enseignait. — THEOPHYL. Ou bien encore,
Jean est la voix, parce qu'il annonce ouvertement la vérité, tandis que sous la
loi le langage des prophètes était couvert d'obscurité. — S. GREG. (hom. 7.)
Ou encore, Jean criait dans le désert, parce qu'il venait annoncer la
consolation du Rédempteur à la Judée, semblable à un lieu désert et abandonné.
— ORIG. (Traité précéd.) La voix qui crie dans le désert est nécessaire à
l'âme abandonnée de Dieu, pour la ramener dans les voies droites qui conduisent
à lui, sans qu'elle s'égare davantage dans les voies tortueuses du serpent
mauvais, pour l'élever par la méditation jusqu'à la contemplation de la vérité
sans mélange d'erreur, et faire succéder à cette méditation sérieuse la
pratique des bonnes œuvres. Voilà le sens de ces paroles : « Rendez droite
la voie du Seigneur, comme a dit le prophète Isaïe. » — S. GREG. (hom. 7.)
La voie du Seigneur va droit au cœur, lorsqu'on écoute avec humilité la parole
de vérité ; elle va droit au cœur lorsqu'elle le prépare à l'accomplissement
des divins préceptes.
ORIG. (Traité 7 sur S.. Jean.) Après que
Jean-Baptiste eut fait cette réponse aux prêtres et aux lévites, les pharisiens
l'interrogèrent de nouveau : « Or, ceux qui avaient été envoyés, étaient des
pharisiens.» Autant qu'il est permis de le conjecturer d'après le contexte, ce
fut là le troisième témoignage. On peut remarquer que les prêtres et les
lévites avaient fait au saint Précurseur une question pleine de convenance et
conforme ù leur caractère : « Qui êtes-vous ? » Cette question n'est
ni insolente ni déplacée, tout y est digne de vrais ministres de Dieu. Mais les pharisiens,
justifiant la signification de leurs noms, qui veut dire divisés, importuns et
fâcheux, font à Jean-Baptiste, par esprit de division, une question
blessante : « Ils l'interrogèrent, et lui dirent : Pourquoi donc
baptisez-vous, si vous n'êtes ni le Christ, ni Elie, ni le Prophète ? » Ce
n'est point qu'ils désirent eu savoir la raison, ils veulent tout simplement
l'empêcher de baptiser. Avec cela, je ne sais quel motif les portait encore à
recevoir le baptême de Jean. Pour expliquer cette conduite, il faut dire que
les pharisiens venaient recevoir ce baptême sans y croire, par hypocrisie, et
par crainte du peuple. — S. CHRYS. (hom. 15 sur S, Jean.) On peut
dire encore que les prêtres et les lévites eux-mêmes étaient du nombre des
pharisiens ; ils n'ont pu triompher de Jean par leurs flatteries, ils cherchent
donc à l'accuser pour le forcer de faire un aveu contraire à la vérité : « Et
ils l'interrogèrent et lui dirent : Pourquoi baptisez-vous, si vous n'êtes ni
le Christ, ni Elie, ni le Prophète ? » Comme si c'était une témérité
impardonnable de baptiser, sans être le Christ, ou son précurseur, ou son
héraut, c'est-à-dire un prophète.
S. GREG. (hom. 7.) Mais l'amour de la bonté
dans les saints est à l'épreuve même des questions malveillantes qui leur sont
adressées. Aussi Jean-Baptiste ne répond à ces paroles dictées par un sentiment
de jalousie, que par les enseignements de la vie : « Il leur répondit : Moi, je
baptise dans l'eau. » — ORIG. (Traité 8 sur S. Jean.) Quelle autre
réponse convenait-il de faire à cette question : « Pourquoi baptisez-vous ? »
que de bien définir la nature de son baptême qui était un baptême purement
corporel.
S. GREG. (hom. 7.) En effet, Jean-Baptiste ne
baptisait pas dans l'esprit, mais dans l'eau, parce que son baptême ne pouvait
effacer les péchés ; ce baptême lavait dans l'eau les corps de ceux qui
venaient le recevoir, mais ne purifiait pas les âmes par le pardon. Pourquoi
donc baptise-t-il, puisque son baptême ne peut remettre les péchés ? C'était
pour remplir encore ici son office de précurseur ; sa propre naissance avait
précédé la naissance du Seigneur, son baptême devait aussi précéder le baptême
du Sauveur. Il avait été le précurseur du Christ en l'annonçant aux Juifs, il
était juste qu'il le fût aussi par un baptême qui était la figure du sacrement
do baptême, et qu'en baptisant de la sorte, il annonçât le mystère de la
rédemption, et déclarât que le Rédempteur se trouvait au milieu d'eux, sans en
être connu : « Mais il y en a un au milieu de vous que vous ne connaissez pas.
» C'est qu'en effet, le Seigneur s'étant manifesté dans un corps sensible, il
était visible dans son corps, et invisible dans sa majesté.
S. CHRYS. (hom. 16.) Jean-Baptiste parlait de
la sorte, parce que le Sauveur était mêlé au peuple, comme un homme ordinaire,
pour nous apprendre qu'il voulait en tout pratiquer l'humilité. Ces paroles : «
Que vous ne connaissez pas, » doivent s'entendre d'une connaissance parfaite,
qui s'étendit par conséquent à la nature du Sauveur et à son origine divine. —
S. AUG. (Traité 4 sur S. Jean.) Son humilité le couvrait comme
d'un voile qui ne permettait pas de le voir, c'est pour cola qu'il fallut
allumer une lampe. — THEOPHYL. Ou bien le Seigneur était au milieu des
pharisiens sans en être connu, parce qu'ils prétendaient savoir les Ecritures ;
comme le Seigneur s'y trouve annoncé, il était au milieu d'eux, c'est-à-dire au
milieu de leurs cœurs, mais ils ne le connaissaient pas, parce qu'ils ne
comprenaient pas les Ecritures. Ou bien encore, Jésus-Christ était au milieu
des pharisiens, en tant que médiateur de Dieu et des hommes pour les unir à
Dieu, mais les pharisiens ne le connaissaient pas.
ORIG. (Traité 7) Ou bien encore, après avoir
répondu à la première partie de leur question : « Pourquoi baptisez-vous ?
» en leur disant : « Moi, je baptise, dans l'eau, » il répond à la seconde
partie : « Si vous n'êtes pas le Christ, » en faisant l'éloge de la nature
supérieure et divine du Christ, dont la puissance est si grande qu'il est
invisible dans sa divinité, bien qu'il soit présent partout, et comme répandu
dans tout ce vaste univers, ce qu'il veut exprimer par ces paroles : « Il y en
a un au milieu de vous que vous ne connaissez pas. » En effet, il est répandu
dans tout cet univers, et en pénètre toutes les parties, tout ce qui est
créé ne l'est que par lui ; car toutes choses ont été faites par lui. Il était
donc évidemment au milieu de ceux qui demandaient à Jean-Baptiste : « Pourquoi
baptisez-vous ? » Ou bien encore, ces paroles : « Il y en a un au milieu de
vous, » doivent s'entendre de nous tous ; car il est au milieu de nous, en tant
que nous sommes des êtres raisonnables, puisque la partie la plus excellente de
notre âme, c'est-à-dire notre cœur, se trouve au milieu de notre corps. Ceux
donc qui portent le Verbe au milieu d'eux, mais qui ne connaissaient ni sa
nature, ni son origine, ni la manière dont il est en eux, ont le Verbe au
milieu d'eux, sans le connaître. Mais pour Jean, il le connaissent, de là ce
reproche qu'il leur fait : « Il y en a un au milieu de vous que vous ne
connaissez pas. » Les pharisiens qui attendaient la venue du Christ,
n'apercevaient en lui rien d'aussi élevé, et le regardaient simplement comme un
homme vertueux, voilà pourquoi Jean-Baptiste leur reproche d'ignorer
l'excellence et la supériorité du Sauveur. Il leur dit : « Il est, il se tient
au milieu de vous, » car de même que le Père reste toujours immuable et
au-dessus de tonte vicissitude, ainsi le Verbe se tient aussi toujours prêt à
nous sauver, c'est dans ce but qu'il s'est incarné, et qu'il se tient au milieu
des hommes comme invisible et sans en être connu. Et pour ne pas laisser à
penser que celui qui est invisible, qui pénètre le cœur de tous les hommes, et
l'univers tout entier, est différent de celui qui s'est incarné et qui s'est
manifesté sur la terre, Jean-Baptiste ajoute : « C'est lui qui doit venir après
moi, » c'est-à-dire qui doit se manifester aux hommes après moi. L'expression après,
n'a pas ici le même sens que dans ces paroles où Jésus nous invite à
marcher après lui. (Mt 16 ; Lc 9) D'un côté, le Sauveur nous
ordonne de le suivre, afin de pouvoir parvenir jusqu'au Père en marchant sur
ses traces ; de l'autre, Jean-Baptiste veut nous faire connaître le but et la
fin de sa prédication : il est venu pour préparer les hommes, par la foi, à
recevoir des enseignements plus parfaits que ceux qu'il leur donnait. — S.
CHRYS. (hom. préced.) Il leur dit donc : « C'est lui qui doit venir
après moi, » c’est-à-dire : Ne croyez pas que mon baptême contienne et donne
toute perfection, s'il en était ainsi, un autre ne viendrait pas après moi pour
donner un baptême différent. Mon baptême en est la préparation, il passera
comme une ombre et une image pour faire place à la réalité ; car il faut que
celui qui doit annoncer la vérité, vienne après moi. Si mon baptême était
parfait, il n'y aurait pas lieu de lui en substituer un second. Aussi a-t-il
soin d'ajouter : « Qui a été fait plus grand que moi, » c'est-à-dire qui est
plus illustre et plus digne d'honneur et de gloire que moi. — S. GREG. Ces
paroles : « Il a été fait avant moi, » veulent dire, il m'a été préféré.
Il vient après moi ; parce que sa naissance a suivi la mienne, mais il a été
fait avant moi, parce qu'il a été placé au-dessus de moi.
S. CHRYS. (hom. 16 sur S. Jean.) Mais
Jean-Baptiste ne veut pas laisser supposer qu'on puisse établir une comparaison
entre le Christ et lui, et pour montrer que sa gloire est incomparable, il
ajoute : « Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de sa chaussure, »
c'est-à-dire il est tellement élevé au-dessus de moi, que je ne suis pas digne
d'être compté au nombre de ses derniers serviteurs, car c'est un des derniers
offices, que de dénouer la courroie des chaussures.—S. AUG. (Traité 4 sur S.
Jean.) Se juger digne seulement de dénouer la courroie de sa chaussure, eût
déjà été dans Jean-Baptiste un grand acte d'humilité. — S. GREG. (hom.
préc.) On peut encore donner cette explication. C'était un usage chez les
anciens Juifs, que lorsqu'un homme refusait de prendre pour femme celle que la
loi lui faisait un devoir d'épouser, celui qui devait l'épouser alors par ordre
de parenté, était la chaussure au premier. Or, sous quel titre Jésus-Christ
s'est-il surtout manifesté parmi les hommes ? comme l'Epoux de la sainte
Eglise. C'est donc avec raison que Jean-Baptiste se déclare indigne de dénouer
la courroie de sa chaussure, comme s'il faisait ouvertement un aveu : Je ne suis
pas digne de déchausser les pieds du Rédempteur, parce que je ne veux pas
usurper injustement le titre d'époux. On peut encore l'entendre dans un autre
sens. Qui ne sait que les chaussures sont faites de la peau des animaux, que
l'on dépouille après leur mort ? Or, le Sauveur par son incarnation, apparut
comme ayant les pieds couverts d'une chaussure, en unissant sa divinité à notre
nature mortelle et corruptible. La courroie de la chaussure est donc comme le
lien de cette union mystérieuse. Jean-Baptiste ne peut dénouer la courroie de
sa chaussure, parce qu'il ne peut approfondir lui-même le mystère de
l'incarnation, et il semble tenir ce langage : Qu'y a-t-il d'étonnant qu'il ait
été placé au-dessus de moi, lui qui est né, il est vrai, après moi, mais dont
la naissance est pour moi un mystère incompréhensible ?— ORIG. Un auteur a
donné de ce passage cette interprétation qui a quelque vraisemblance : Je n'ai
pas assez d'importance pour que le Fils de Dieu descende pour moi des hauteurs
des cieux et se revête d'un corps mortel comme d'une chaussure.
S. CHRYS. (hom. 17 sur S. Jean.) Jean-Baptiste
prêchait publiquement les prérogatives du Christ avec une indépendance pleine
de dignité, et l'Evangéliste désigne le lieu où il faisait entendre sa voix : «
Ceci se passa à Béthanie, au delà du Jourdain, où Jean baptisait. » Ce
n'est ni dans l'intérieur d'une maison, ni dans un lieu retiré qu'il annonçait
Jésus-Christ, c'était au-delà du Jourdain, au milieu d'une nombreuse multitude,
et en présence de ceux qu'il avait baptisés. Quelques exemplaires portent, et
peut-être avec plus de raison : « A Bethabara, » car Béthanie n'est ni au delà
du Jourdain, ni dans le désert, mais près de Jérusalem. — LA GLOSE. Ou bien, il
faut admettre deux endroits du nom de Béthanie, l'un au delà du Jourdain, et
l'autre près de Jérusalem, et où Lazare fut ressuscité. — S. CHRYS. (hom. 17.)
C'est encore pour un autre motif que l'Evangéliste fait connaître le nom du
lieu où Jean baptisait. Il racontait des faits dont la date n'était pas éloignée,
et remontaient à quelque temps seulement auparavant ; il appelle donc en
témoignage de la véracité de son récit ceux qui avaient été les témoins
oculaires de ces faits, qu'il confirme par la désignation des lieux où ils se
sont passés.
ALCUIN. Béthanie signifie maison d'obéissance, ce
qui nous apprend que c'est par l'obéissance de la foi, que tous les hommes
doivent parvenir au baptême. —
ORIG. (Traité 7 sur S. Jean. ) Béthanie signifie encore maison de la
préparation, et cette signification se rapporte parfaitement au baptême de
Jean, qui avait pour fin de préparer au Seigneur un peuple parfait. Le mot
Jourdain veut dire leur descente ; or, quel est ce fleuve, si ce
n'est notre Sauveur qui purifie tous ceux qui entrent dans le monde, en
descendant et en s'humiliant non pour lui-même, mais dans la personne du genre
humain. Ce fleuve sépare les terres et les villes données par Moïse, de celles
qui ont été données par Josué, et les eaux rapides de ce fleuve portent la joie
dans la cité de Dieu. (Ps 45, 5) De même que le serpent se cache dans le
fleuve d'Egypte, ainsi Dieu se cache dans ce fleuve, car le Père est dans le
Fils, et ceux qui viennent pour se purifier dans ses eaux, se dépouillent Je
l'opprobre de l'Egypte, et se rendent dignes d'avoir part à l'héritage, ils
sont purifiés de la lèpre, et ils méritent de recevoir une double grâce et de
voir descendre en eux l'Esprit de Dieu, car la colombe spirituelle ne descend
point sur un autre fleuve. C'est au delà du Jourdain que Jean donne son baptême,
comme précurseur de celui qui venait appeler non les justes, mais les pécheurs.
ORIG. (Traité 6 sur S.Jean.) Après ce
témoignage de Jean-Baptiste, Jésus vient à lui ; le saint Précurseur,
non-seulement persévère dans son témoignage, mais il expose des effets plus
merveilleux encore de la venue du Rédempteur, et qui sont comme figurés par le
second jour dont il est question : « Le jour suivant, Jean vit Jésus venant à
lui. » Autrefois la mère de Jésus, aussitôt qu'elle l'eut conçu, était allé visiter
la mère de Jean qui était encore enceinte, et aussitôt que la voix de Marie,
qui saluait sa parente, eut frappé les oreilles d'Elisabeth, Jean tressaillit
dans le sein de sa mère. Ici Jean-Baptiste voit venir à lui et s'approcher de
lui Jésus lui-même, à qui il a rendu témoignage. Il est dans l'ordre que
l'homme soit d'abord instruit par le témoignage des autres, avant de juger par
ses yeux de la vérité de ce qui lui a été enseigné. La visite de Marie à
Elisabeth, qui était son inférieure, et la démarche du Fils de Dieu, qui vient
trouver Jean-Baptiste, nous apprennent l'humilité et le zèle avec lequel nous
devons nous rendre utiles à ceux qui sont nos inférieurs. Nous ne voyons pas
ici de quel endroit le Sauveur vint trouver Jean-Baptiste, mais nous pouvons le
conclure de ces paroles de saint Matthieu : « Alors Jésus vint de la Galilée
sur les bords du Jourdain , pour être baptisé par lui. » (Mt 2) —
S. CHRYS. (hom. 17.) Ou bien, saint Matthieu raconte l'arrivée de
Jésus-Christ sur les bords du Jourdain pour recevoir le baptême, et saint Jean
une autre démarche du Sauveur pour se rendre près de Jean-Baptiste après son
baptême, c'est ce que semble indiquer la suite de son récit : « J'ai vu
l'Esprit descendre du ciel comme une colombe, » etc. Les Evangélistes se sont
comme partagé, en effet, les diverses époques de la vie de Jésus. Saint
Matthieu passe sous silence tous les faits qui ont précédé la prison de
Jean-Baptiste, et passe immédiatement aux événements qui l'ont suivie ; tandis
que saint Jean s'attache surtout à raconter les faits qui ont eu lieu avant que
le saint Précurseur fût jeté dans les fers. C'est ce qu'il fait en ces termes :
« Le lendemain, Jean vit Jésus, » etc. Pourquoi Jésus vient-il trouver
Jean-Baptiste une seconde fois après son baptême ? parce que le Sauveur avait
été baptisé avec un grand nombre d'autres, et qu'il ne voulait pas qu'on put
soupçonner qu'il était venu trouver Jean-Baptiste pour le même motif,
c'est-à-dire pour confesser ses péchés, ou recevoir dans le Jourdain le baptême
de pénitence. Il revient donc trouver Jean-Baptiste, pour lui donner occasion
de détruire cette fausse opinion, ce que Jean fait en ces termes : « Et il dit
: Voici l'Agneau de Dieu, » etc. Il était de toute évidence , en effet, que
celui dont la sainteté infinie devait effacer les péchés des autres, ne venait
pas pour confesser ses péchés, mais pour donner occasion à Jean-Baptiste de lui
rendre témoignage. Disons encore qu'il vient une seconde fois pour confirmer la
vérité des premiers témoignages dans l'esprit de ceux qui les avait entendus,
et les préparer à en recevoir d'autres. Jean-Baptiste dit : « Voici l'Agneau de
Dieu, » pour signifier que c'est cet Agneau qui était autrefois attendu, pour
rappeler la prophétie d'Isaïe, les
symboles figuratifs de la loi ancienne, et conduire ainsi plus facilement les
hommes à la vérité par les figures.
S.
AUG. (Traité 4 sur S. Jean.) Si un agneau est innocent, et que Jean soit
un agneau, n'est-il pas innocent par là même ? Mais tous les hommes descendent
de cette race coupable dont David disait en gémissant : « Voici que j'ai été
conçu dans l'iniquité. » (Ps 50) Il n'y a donc que cet Agneau qui ne
soit point né de cette race. Il n'a point été conçu dans l'iniquité, et sa mère
ne l'a point nourri dans son sein d'un sang impur. Il a été conçu par une
vierge, enfanté par une vierge, parce qu'elle l'a conçu par la foi, et que
c'est par la foi qu'elle lui a donné le jour.
ORIG.
(Traité 6 sur S. Jean.) On offrait dans le temple comme victimes
cinq espèces d'animaux, trois choisies parmi les animaux terrestres, le veau,
la brebis et la chèvre, deux parmi les oiseaux, la tourterelle et la colombe.
L'espèce ovine en fournissait trois : le bélier, la brebis et l'agneau, et
parmi ces trois derniers, Jean-Baptiste choisit l'agneau comme figure du
Sauveur, parce que l'agneau était la victime des sacrifices qu'on offrait
chaque jour, l'un le matin et l'autre le soir. Or, quel est ce sacrifice que la
nature raisonnable doit offrir à Dieu chaque jour, si ce n'est le Verbe toujours
plein de force, de vie et de beauté, et qui nous est ici représenté sous la
figure d'un agneau ? C'est lui qui sera notre sacrifice du matin, qui applique
notre intelligence à la méditation des vérités divines, car notre âme ne peut
toujours être appliquée à des choses aussi relevées, à cause de son étroite
union avec ce corps mortel qui l'appesantit. De cette vérité que Jésus-Christ
est un agneau, nous pourrions tirer encore plusieurs conséquences très-utiles,
et nous arriverions ainsi jusqu'au sacrifice du soir, qui représente les choses corporelles.
Or, celui qui a offert cet agneau en sacrifice, c'est Dieu qui était comme
caché dans l'homme ; c'est le grand-prêtre qui a dit : « Personne ne m'ôte la
vie, mais je la donne de moi-même, » (Jn 10) et c'est pour cela qu'il
est appelé l'Agneau de Dieu ; car il a pris sur lui toutes nos infirmités (Is
53) ; il a effacé tous les péchés du monde (1 P 2) ; et a reçu la mort comme
un baptême. (Lc 12) Dieu, en effet, ne laisse passer sans les reprendre
et les châtier aucune de nos actions contraires à sa loi, et ce n'est qu'au
prix des plus grands efforts qu'elles peuvent être ramenées à cette règle
divine.
THEOPHYL. Ou bien encore, Jésus-Christ est appelé
l'Agneau de Dieu, en ce sens que sa mort a été acceptée par Dieu le Père pour
notre salut, ou parce qu'il l'a livré lui-même à la mort pour nous sauver.
C'est ainsi que nous avons coutume de dire : « Cette offrande est de tel homme,
» c'est-à-dire que cet homme l'a offerte ; de même Jésus-Christ est appelé
l'Agneau de Dieu, parce que Dieu a offert son Fils à la mort pour notre salut.
L'agneau figuratif n'a effacé le péché d'aucun homme ; l'Agneau véritable a
effacé le péché du monde tout entier qu'il a délivré de la colère de Dieu, aux
châtiments de laquelle il était exposé. C'est pour cela que Jean-Baptiste dit :
« Voici celui qui efface le péché du monde. » Il ne dit pas : Qui effacera,
mais : « Qui efface les péchés du monde, » c'est-à-dire qu'il continue toujours
de le faire. Ce n'est pas seulement dans sa passion et sur la croix qu'il
efface le péché du monde, il n'a cessé de l'effacer depuis sa mort jusqu'à
présent, il n'est pas toujours crucifié, il est vrai, puisqu'il n'a offert qu'un seul
sacrifice pour nos péchés, mais il ne cesse de les effacer par la vertu de ce
sacrifice.
S. GREG. (Moral., 8, 20.) Il ôtera
entièrement le péché du genre humain, lorsque notre corruption sera remplacée
par la glorieuse incorruptibilité ; car nous ne pouvons être affranchis de tout
péché tant que nous sommes retenus captifs dans ce corps de mort. — THEOPHYL.
Mais pourquoi dit-il : « Le péché du monde, » et non pas : Les péchés du monde
? C'est pour renfermer dans cette dénomination générale l'universalité des
péchés, comme lorsque nous disons : l'homme a été chassé du paradis,
c'est-à-dire le genre humain tout entier.
BEDE. Ou bien, le péché du monde signifie le péché
originel, qui est commun au genre humain tout entier. Or, c'est ce péché
originel, et tous ceux que les hommes y ont ajoutés, que Jésus-Christ efface
par sa grâce. — S. AUG. (Traité 4 sur S. Jean.) Celui qui, en prenant
notre nature, n'a point pris notre péché, est celui-là même qui efface notre
péché. Vous savez qu'il est des hommes qui tiennent ce langage : Nous remettons
les péchés aux hommes, parce que nous sommes saints ; car si celui qui baptise
n'a pas la sainteté, comment peut-il effacer le péché d'un autre, lui dont
l'âme est souillée par toute sorte de péchés ? A ces prétentions, nous nous
contentons d'opposer ces paroles : « Voici celui qui efface le péché du monde,
» paroles qui détruisent toute confiance présomptueuse dans les hommes. — ORIG.
(comme préced.) De même qu'au sacrifice de l'agneau figuratif les autres
sacrifices prescrits par la loi se trouvaient joints par un lien étroit, ainsi au sacrifice de
l'Agneau véritable, viennent s'unir par un lien non moins intime, d'autres
sacrifices semblables, le sacrifice des martyrs qui répandent leur sang, et
dont la patience, la foi et le zèle ardent détruisent et anéantissent tous les
obstacles que les impies voudraient apporter au bien.
THEOPHYL. Jean-Baptiste avait dit précédemment à
ceux qu'on lui avait envoyés : « Il y en a un au milieu de vous que vous
ne connaissez pas, » il le fait connaître maintenant à ceux qui l'ignoraient: « C'est celui dont j'ai dit : Un
homme vient après moi, » etc. Il appelle le Seigneur un homme, parce qu'il
avait atteint la plénitude de l'âge, puisqu'il fut baptisé à l'âge de trente
ans ; ou encore, parce qu'il est le mari spirituel de l'âme et l'époux de
l'Eglise, ce qui a fait dire à saint Paul : « Je vous ai fiancés à un seul
homme qui est Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge toute
pure, » (2 Co 2) — S. AUG. (Traité 4 sur S. Jean.) Il
est venu après moi, parce que sa naissance a suivi la mienne, mais « il a été
fait avant moi, » c'est-à-dire qu'il a été placé au-dessus de moi. — S. GREG. (hom.
7 sur les Evang.) La raison de cette prééminence de Jésus, c'est,
ajoute-t-il : « Qu'il était avant moi, » c'est-à-dire, quoique ma naissance
précède lu sienne, il ne laisse pas d'être au-dessus de moi, parce que son
existence n'est point limitée par l'époque de sa naissance, car celui qui a
voulu naître d'une mère dans le temps, a été engendré par son Père on dehors de
toute succession de temps. — THEOPHYL. Ecoutez ces paroles, ô Arius ! Jean ne
dit pas : Il a été créé avant moi, mais : « Il était avant moi. » Que les
sectateurs de Paul de Samosate entendent aussi ces paroles, et qu'ils
apprennent que Jésus ne tire pas sa première origine de Marie, car s'il avait reçu
d'elle le principe de son existence, comment aurait-il pu exister avant son
précurseur, puisqu'il est évident que la naissance de Jean-Baptiste précédait
de six mois la naissance temporelle de Jésus-Christ ?
S. CHRYS. (hom. 17 sur S. Jean.) On
pouvait soupçonner Jean-Baptiste d'obéir à la voix de l'amitié ou aux liens du
sang qui l'unissaient à Jésus-Christ en lui rendant un si glorieux témoignage ;
aussi se hâte-t-il d'ajouter : « Et moi, je ne le connaissais pas, » ce qui
devait paraître vraisemblable, puisque Jean avait toujours vécu dans le désert.
Les prodiges qui avaient entouré le berceau de Jésus enfant, par exemple, lors
de l'adoration des mages, ou dans d'autres circonstances semblables,
remontaient à une époque déjà éloignée, et au temps de la première enfance de
Jean-Baptiste. Depuis, le Sauveur avait passé sa vie dans l'obscurité, et sans
être connu de personne, comme le déclare Jean-Baptiste lui-même : « Mais c'est
afin qu'il fût manifesté en Israël, que je suis venu baptiser dans l'eau. » Donc
tous ces prétendus miracles avec lesquels Jésus se serait joué dès son enfance,
sont autant de fictions dénuées de fondement. Si Jésus avait fait des miracles
dès sa première enfance, Jean l'aurait connu de quelque manière, et le peuple
n'eût pas en besoin qu'on le lui fit connaître. Ce baptême n'était donc
nullement nécessaire au Sauveur, et il n'avait d'autre raison que de préparer
les hommes à croire en Jésus-Christ. Aussi Jean-Baptiste ne dit pas : Je suis
venu pour purifier ceux qui reçoivent mon baptême, ou pour les délivrer de
leurs péchés, mais : « Je suis venu, afin qu'il fût manifesté eu Israël. »
Mais ne pouvait-il donc faire connaître Jésus-Christ, et déterminer le peuple à
croire en lui, sans qu'il fût nécessaire de baptiser ? Oui, sans doute, mais il
atteignait ainsi plus facilement ce but, car la foule ne se fût pas empressée
d'accourir à lui, si la prédication n'eût pas été suivie du baptême.
S. AUG. (Traité
4 sur S.
Jean.) Mais
dès que le Seigneur fut connu, il était inutile de lui préparer les voies,
puisqu'il devenait lui-même la voie pour ceux qui le connaissaient. Aussi le
baptême de Jean ne dura plus longtemps, et seulement jusqu'à ce qu'il eût fait
connaître suffisamment le Sauveur, si humble dans tout son extérieur. (Tr.
5.) C'est donc pour nous donner un exemple d'humilité, et nous engager à
recevoir le baptême qui efface les péchés et nous donne le salut, que le
Seigneur a daigné être baptisé des mains de son serviteur. Mais afin que le
baptême du serviteur ne fût pas mis au-dessus du baptême du Seigneur, d'autres
reçurent aussi le baptême du serviteur. Or ceux qui recevaient le baptême du
serviteur, devaient encore nécessairement recevoir le baptême du Seigneur,
tandis que ceux qui recevaient le baptême du Seigneur, n'avaient nul besoin du
baptême du serviteur.
S. CHRYS. (hom. 17 sur S. Jean.) Le
témoignage que Jean-Baptiste avait rendu à Jésus, qu'il pouvait seul remettre
les péchés du monde entier, avait pour objet un mystère si relevé qu'il pouvait
jeter dans l'étonnement et la stupeur ceux qui l'entendaient, et c'est pour le
rendre plus digne de foi qu'il le fait remonter jusqu'à Dieu et à l'Esprit
saint. En effet, on pouvait dire à Jean : « Comment donc l'avez-vous connu ? »
C'est, répond-il par l'Esprit saint qui est descendu sur lui : « Et Jean rendit
encore ce témoignage : J'ai vu l'Esprit saint descendre sur lui, » etc.
— S. AUG. (de la Trin., 15, 20.) Ce n'est pas cependant que Jésus n'ait
reçu l'onction de l'Esprit saint, que lorsqu'il descendit sur lui, après son
baptême, sous la forme d'une colombe. Le Sauveur daignait alors représenter son
corps mystique, c'est-à-dire son Eglise, dans laquelle surtout ceux qui sont
baptisés reçoivent l'Esprit saint. Il serait, en effet, de la dernière
absurdité de croire que Jésus ne reçut l'Esprit saint qu'à l'âge de trente ans,
puisqu'il avait cet âge lorsqu'il fut baptisé et qu'il vint recevoir le baptême
de Jean sans aucun péché, mais aussi sans avoir reçu l'Esprit saint. Il est
écrit de Jean, son serviteur et son précurseur : « Il sera rempli de l'Esprit
saint dès le sein de sa mère, » et quoiqu'il eût un homme pour père, il
reçut l'Esprit saint dès le sein de sa mère, que devrons-nous donc penser et
croire de Jésus-Christ fait homme, lui dont la conception dans le sein de sa
mère eut pour principe, non point la chair, mais l'Esprit ?
S. AUG. (du comb. chrét., 22) Nous ne disons
pas que Jésus-Christ seul avait un véritable corps, tandis que l'Esprit saint
ne se manifesta aux yeux des hommes que sous une apparence trompeuse. Il est
aussi indigne de l'Esprit saint que du Fils de Dieu, d'induire les hommes en
erreur. Aussi disons-nous que Dieu, qui a créé tout de rien, a pu fort bien
créer un véritable corps de colombe sans l'intermédiaire d'aucun oiseau de
cette espèce, avec la même facilité qu'il forma un véritable corps dans le sein
de la Vierge, sans le concours d'aucun homme.
S. AUG. (Traité 6, sur S. Jean.) L'Esprit
saint s'est manifesté aux hommes sous deux formes visibles différentes,
sous la forme d'une colombe lorsqu'il descendit sur Nôtre-Seigneur après son
baptême, et sous la forme de langues de feu quand il descendit sur les Apôtres
réunis. D'un côté, c'est le symbole de la simplicité, de l'autre, l'emblème de
la ferveur. La forme de la colombe apprend à ceux qui ont été sanctifiés par
l'Esprit saint, à fuir toute duplicité ; et le feu enseigne à la simplicité, à
ne point faire ses actions avec froideur. Ne vous étonnez pas que les langues
soient divisées. Ne craignez pas la division, reconnaissez dans la colombe le
symbole de l'unité. Il fallait que l'Esprit saint descendît sur Nôtre-Seigneur
sous la forme d'une colombe, pour apprendre à tous les chrétiens qu'on
reconnaîtra qu'ils ont reçu l'Esprit saint, s'ils ont la simplicité de la
colombe et s'ils vivent avec leurs frères dans cette paix véritable que
figurent les baisers des colombes. Les corbeaux donnent aussi des baisers, mais
en même temps ils déchirent ; la colombe ne sait point déchirer, les corbeaux
se nourrissent de corps qui ont été mis à mort, ce que ne fait pas la colombe,
qui ne se nourrit que des fruits de la terre. Que si la colombe fait entendre
des gémissements d'amour, ne soyons pas surpris que l'Esprit saint ait voulu
apparaître sous la forme d'une colombe, lui qui prie pour nous par ses gémissements
ineffables. (Rm 9) Ce n'est point en lui même, mais en nous que l'Esprit
saint gémit par les gémissements qu'il nous inspire. Celui qui gémit d'être
accablé sous le poids de ce corps mortel, et de vivre éloigné du Seigneur,
gémit d'une manière agréable à Dieu. Mais il en est beaucoup qui gémissent
d'être privés de la félicité de ce monde, ou d'être brisés par les épreuves,
accablés sous le poids écrasant des infirmités du corps, ce ne sont pas là les
gémissements de la colombe. Sous quelle forme devait se manifester l'Esprit
saint pour représenter l'unité, si ce n'est sous la forme de la colombe, afin
de pouvoir dire à l'Eglise, après lui avoir donné la paix ; « Ma colombe est
unique ? » (Ct 6) Quel symbole plus convenable de l'humilité, que cet
oiseau simple et gémissant ? La sainte et véritable Trinité apparut tonte
entière dans cette circonstance ; le Père, dans cette voix qui dit: « Vous êtes
mon Fils bien-aimé. » Le Fils dans celui qui est baptisé, et l'Esprit
saint dans la colombe. C'est au nom de cette Trinité, que les Apôtres ont été
envoyés pour baptiser au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. (Mt 28)
S. GREG. (Moral., 28, 41.) Jean-Baptiste
ajoute : « Et demeurer sur lui, » car l'Esprit descend, il est vrai,
dans le cœur de tous les fidèles, mais c'est dans le médiateur seul qu'il
demeure d'une manière spéciale, parce qu'il ne s'est jamais séparé de
l'humanité de Jésus, de la divinité duquel il procède. Or le Sauveur parlant à
ses disciples de cet Esprit, leur dit aussi : « Il demeurera en vous. » (Jn
16) A quel titre particulier demeure-t-il donc en Jésus-Christ ? C'est ce
qu'il nous sera facile de reconnaître si nous faisons une distinction entre les
dons de l'Esprit saint. S'agit-il des dons sans lesquels il est impossible de
parvenir à la vie, comme la douceur, l'humilité, la foi, l'espérance et la
charité, l'Esprit saint demeure dans tous les fidèles. Mais quant aux dons qui
out pour objet la manifestation de l'Esprit saint, et qui tendent moins à conserver la
vie spirituelle en nous qu'à l'établir dans les autres, l'Esprit saint ne
demeure pas toujours en ceux qui ont reçu ces dons, et il se dérobe quelquefois
à l'éclat des miracles pour rendre plus humbles les vertus qu'il a inspirées ;
Jésus-Christ, au contraire, a eu toujours et en tontes circonstances l'Esprit
saint en lui.
S. CHRYS. (hom. 17 sur S. Jean.) Que personne
ne pense que Jésus-Christ eut besoin de recevoir l'Esprit saint, comme nous
avons besoin de le recevoir nous-mêmes ; Jean-Baptiste détruit jusqu'à l'ombre
de ce soupçon, en déclarant que l'unique motif de la descente du Saint-Esprit
sur Jésus était de le faire connaître : « Et moi je ne le connaissais pas, mais
celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau, m'a dit : Celui sur qui tu verras
l'Esprit saint descendre et se reposer, c'est lui qui baptise dans l'Esprit
saint. » — S. AUG. (Traité 5 sur S. Jean.) Mais qui donc a envoyé
Jean-Baptiste ? Si nous disons : le Père, nous disons vrai ; si nous disons :
le Fils, nous disons vrai encore, mais beaucoup plus vrai, si nous disons le
Père et le Fils. Mais comment pouvait-il ne pas connaître celui qui l'avait
envoyé ? S'il ne connaissait pas celui des mains duquel il voulait recevoir le
baptême, il parlait donc d'une manière inconsidérée, lorsqu'il lui disait :
« C'est moi qui dois être baptisé par vous. » Il le connaissait donc,
pourquoi donc alors affirme-t-il qu'il ne le connaissait pas ? — S. CHRYS. (hom.
17 sur S. Jean.) Jean-Baptiste, en disant : « Je ne le connaissais
pas, » veut parler d'une époque antérieure et non de celle du baptême, où il
dit à Jésus : « C'est moi qui dois être baptisé par vous. » S. AUG. (Traité
5 sur S. Jean.) Si nous lisons les autres évangélistes qui se sont étendus
davantage sur le baptême du Sauveur, nous y verrons de la manière la plus claire
que la colombe est descendue sur le Seigneur, lorsqu'il sortit de l'eau. Or, si
la colombe n'est descendue qu'après le baptême, et que Jean-Baptiste ait dit à
Jésus avant son baptême : « C'est moi qui dois être baptisé par vous, » il le
connaissait donc avant son baptême ; et comment alors a-t-il pu dire : « Je ne
le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser m'a dit : Celui sur
lequel vous verrez descendre l'Esprit saint ? » etc. Sont-ce ces dernières
paroles qui lui ont fait connaître celui qu'il ne connaissait pas ?
Jean-Baptiste savait que le Sauveur était le Fils de Dieu, il savait également
qu'il baptiserait dans l'Esprit saint. Car avant que Jésus-Christ se rendît sur
les bords du Jourdain, alors que le peuple venait en foule trouver Jean-Baptiste,
il leur dit : « Celui qui vient après moi est plus grand que moi, c'est
lui qui vous baptisera dans l'eau et dans le feu. » Mais que ne savait donc pas
Jean-Baptiste ? Il ne savait pas que le pouvoir du baptême devait appartenir
exclusivement en propre au Seigneur, qui devait le conserver, de manière à ce
que ni Pierre ni Paul ne pussent dire : « Mon baptême, » comme nous voyons que
Paul a dit : « Mon Evangile ; » et que l'administration de ce sacrement devait
être confié également aux bons et aux mauvais. Que vous importe un mauvais
ministre, alors que le Seigneur est bon ? On a rebaptisé après le baptême de
Jean-Baptiste, ou n'a point rebaptisé après le baptême d'un homicide, parce que
Jean n'a donné que son baptême, et que l'homicide a donné le baptême de
Jésus-Christ, et que la sainteté de ce sacrement est si grande, qu'elle ne peut
être souillée par un ministre coupable d'homicide. Le Seigneur aurait pu, s'il
avait voulu, donner à l'un de ses serviteurs le pouvoir d'administrer le
baptême en son propre nom, et attribuer au sacrement de
baptême conféré au nom de son serviteur, une efficacité aussi grande que celle
du baptême donné par le Seigneur lui-même. Il ne l'a pas voulu, afin que ceux
qui reçoivent son baptême missent toute leur espérance en celui au nom duquel
ils reconnaîtraient avoir été baptisés, et il n'a point voulu qu'un serviteur
plaçât son espérance dans un autre serviteur. S'il avait transmis ce pouvoir à
ses serviteurs, il y aurait autant de baptêmes qu'il y a de serviteurs ; et comme
on a dit le baptême de Jean, on aurait dit aussi le baptême de Pierre ou de
Paul. Ce pouvoir que Jésus-Christ s’est exclusivement réservé, est le fondement
de l'unité de l'Eglise, dont il est dit : « Une seule est ma colombe. » (Ct 6)
Il peut se faire que quelqu'un ait reçu le baptême d'un autre que de la
colombe, mais il est impossible que ce baptême ait pour lui la moindre
efficacité.
S. CHRYS. (hom. 17 sur S. Jean.) Le
Père avait fait entendre sa voix pour proclamer son Fils, l'Esprit saint
descend des cieux pour fixer les paroles du Père sur la tête de Jésus-Christ,
afin que personne ne fût tenté d'attribuer à Jean ce qui ne convenait qu'à
Jésus-Christ. Mais comment, me dira-t-on, les Juifs ne crurent-ils pas s'ils
ont vu l'Esprit saint descendre sur Jésus ? C'est que de telles apparitions
n'exigent pas seulement les yeux du corps, mais encore ceux de l'âme.
Lorsqu'ils furent témoins des miracles que faisait Jésus, l'envie égara leur
raison à ce point qu'ils affirmaient le contraire de ce qu'ils avaient vu ;
comment donc veut-t-on que la seule apparition de l'Esprit saint ait pu
dissiper leur incrédulité ? Suivant quelques-uns, tous ne virent pas l'Esprit
saint, mais seulement Jean-Baptiste, et ceux dont les dispositions étaient
meilleures ; car bien qu'il fût possible de voir des yeux du corps l'Esprit
saint descendre sous la forme d'une colombe, il n'était pas nécessaire que tous
fussent témoins de cette apparition miraculeuse. Le prophète Zacharie (Za
1-6) ; Daniel (Dn 7-10) ; Ezéchiel (Ez 1 ; 3 ; 8 ;
10-11 ; 37 ; 40 ; etc.), n'eurent-ils pas plusieurs visions sous
des formes sensibles, sans qu'aucun autre en fût témoin ? Moïse lui-même,
n'a-t-il pas vu des choses qui n'ont été révélées à aucun autre ? c'est pour
cela que Jean-Baptiste ajoute : « J'ai vu et j'ai rendu témoignage que celui-ci
est le Fils de Dieu. » Il lui avait donné le nom d'Agneau de Dieu, il avait
annoncé qu'il baptiserait dans l'Esprit saint, mais jusqu'ici il ne l'avait
point appelé Fils de Dieu. — S. AUG. (Traité 7 sur S. Jean.) C'était
au Fils unique de Dieu, et non point à un Fils adoptif que devait être réservé
le pouvoir de baptiser. Les fils adoptifs sont les ministres du Fils unique, le
Fils unique a seul le pouvoir du baptême, les fils adoptifs n'eu ont que
l'administration.
S. CHRYS. (Hom. 17 sur S. Jean.) Plusieurs
peut-être n'avaient pas prêté grande attention aux premiers discours de
Jean-Baptiste, il multiplie donc coup sur coup les témoignages pour les rendre
plus attentifs : « Le lendemain, dit l'Evangéliste, Jean était encore là avec
deux de ses disciples. » — BEDE. (hom. pour la vigil. de S. And.) Jean
se tenait encore là, parce qu'il s'était élevé dans la pratique des vertus à
une tulle hauteur, qu'il ne pouvait en être renversé par aucune tentation, par
aucune épreuve. Ses disciples étaient avec lui, parce qu'ils suivaient les
enseignements de leur Maître avec un cœur plein de docilité et de constance.
S. CHRYS. (hom. précéd.) Mais pourquoi
Jean-Baptiste, au lieu de parcourir toute la Judée pour annoncer Jésus en tous
lieux, se tient-il sur les bords du Jourdain, attendant pour le faire
connaître, que le Sauveur vienne le trouver ? Parce qu'il réservait cette
mission aux oeuvres mêmes de Jésus-Christ. Considérez d'ailleurs combien cette
conduite fut plus utile à l'édification des âmes. Jean-Baptiste ne fit que
jeter une petite étincelle, et on vit aussitôt s'allumer un grand incendie. Si
un autre eût parcouru la Judée pour annoncer Jésus-Christ, on eût pu l'accuser
d'agir par un motif tout humain, et sa prédication eût donné lieu à mille
soupçons. C'est pour cette raison que les prophètes et les Apôtres ont annoncé
Jésus-Christ lorsqu'il n'était pas présent, les uns avant son avènement et son
incarnation, les autres après son ascension. Mais voyez comme Jean-Baptiste
rend témoignage non-seulement de la voix, mais des yeux : « Et regardant Jésus
qui s'avançait, il dit : Voici l'Agneau de Dieu. » — THEOPHYL. Il regarde
Jésus, comme-pour exprimer par son regard les sentiments de joie et
d'admiration que lui fait éprouver la présence de Jésus-Christ.
S. AUG. (Traité 7 sur S. Jean.) Jean était
l'ami de l'Epoux, il ne cherchait point sa propre gloire, mais rendait
témoignage à la vérité, aussi ne voulut-il point retenir près de lui ses
disciples et les empêcher de suivre le Seigneur, et c'est lui, au contraire,
qui leur montre celui qu'ils devaient suivre en leur disant : « Voici l'Agneau
de Dieu. » — S. CHRYS. (hom. 17 sur S. Jean.) Il ne leur fait pas
de longs discours, il n'a qu'une chose en vue, c'est de les amener et de les
unir à Jésus-Christ, il savait que pour le reste, ils n'auraient pas besoin de
son témoignage. Pourquoi encore Jean-Baptiste ne s'adresse-t-il pas à ses
disciples en particulier, mais leur dit-il publiquement devant tout le peuple :
« Voici l'Agneau de Dieu. » En se déterminant à suivre Jésus-Christ, par suite
d'un enseignement qui s'adressait à tous, leur résolution fut beaucoup plus
ferme et plus constante, et ce ne fut pas eu considération de leur Maître, mais
dans leur intérêt, qu'ils s'attachèrent au Sauveur. Remarquons encore que le
discours de Jean-Baptiste ne contient aucune prière, aucune instance, il se
contenta d'exprimer son admiration à la vue de Jésus-Christ, défaire connaître
la grâce qu'il apporte an monde, et de quelle manière il doit purifier les
âmes, deux choses que signifie le nom d'Agneau. Il l'appelle l'Agneau avec
l'article δ άμνός, c'est-à-dire l'Agneau par
excellence. — S. AUG. (Traité 7 sur S. Jean.) Le Sauveur est en effet
l'Agneau proprement dit, le seul qui soit sans péché, dont on n'a pas en besoin
de laver les souillures, mais qui a été sans souillure aucune. Il est par
excellence l'Agneau de Dieu, parce que ce n'est que par le sang de cet Agneau,
que les hommes ont pu être rachetés. C'est cet Agneau que redoutent les loups,
et qui a donné la mort au lion après que lui-même avait été mis à mort. — BEDE.
Il s'appelle encore Agneau, parce qu'il devait nous laisser en don gratuit sa
toison pour nous en faire une robe nuptiale, c'est-à-dire qu'il a voulu nous
laisser les exemples de sa vie, pour nous communiquer les saintes ardeurs de la
charité. ALCUIN. Dans le sens figuré, Jean s'arrête, c'est-à-dire que la loi cesse, et Jésus vient,
c'est-à-dire la grâce de l'Evangile, à laquelle la loi elle-même rend
témoignage. Jésus se met en marche pour réunir ses disciples. — BEDE. Cette
marche de Jésus représente la divine économie de l'incarnation, par laquelle il
a daigné venir jusqu'à nous, et nous laisser les exemples d'une vie sainte.
ALCUIN. Les disciples de Jean ayant entendu le
témoignage qu'il rendait à Jésus, qu'il était l'Agneau de Dieu, se montrèrent
dociles à ses conseils et suivirent Jésus : « Les deux disciples l'entendirent
parler ainsi, et suivirent Jésus. »
S. CHRYS. (hom. 17 sur S. Jean.) Remarquez
que lorsque Jean-Baptiste se contentait de dire : « Celui qui vient après
moi, est avant moi, et je ne suis pas digne de dénouer la courroie de sa
chaussure, » il n'a pris ni gagné personne ; mais aussitôt qu'il parle de son
incarnation et par là même de ses humiliations, en disant : « Voici
l'Agneau de Dieu, » ses disciples se mettent aussitôt à la suite de Jésus. Il
en est un très-grand nombre qui se sentent moins attirés à Dieu par les
considérations élevées sur sa nature divine, que par l'exposé de sa bonté, de
sa miséricorde et de ce qu'il a fait pour le salut des hommes. Remarquez que tandis que Jean-Baptiste prononce ces paroles : «Voici
l'Agneau de Dieu, » Jésus ne dit rien. En effet, d'après les usages reçus,
l'époux reste dans le silence, d'autres lui amènent l'épouse, et la lui
remettent entre les mains ; mais aussitôt qu'il l'a prise pour épouse, il lui
témoigne tant d'affection, qu'elle ne se souvient plus de ceux qui l'ont
conduite à son époux. Ainsi lorsque Jésus-Christ vient pour épouser l'Eglise,
il ne dit rien non plus, Jean-Baptiste, son ami, s'approche seul, lui présente
la main droite de son épouse, lorsque par ses discours il remet comme entre ses
mains les âmes des hommes. Jésus les accueille et leur témoigne aussi tant
d'amour qu'elles ne retournent plus à Jean-Baptiste. Remarquons encore que dans
la célébration des noces, ce n'est pas la jeune fille qui va au-devant de sou
époux, c'est lui-même qui vient la trouver (quand ce serait un fils de roi qui
épouserait une humble servante) ; Nôtre-Seigneur Jésus-Christ a fait de même ;
la nature humaine n'est point montée dans les cieux, c'est le Fils de Dieu qui
est venu la trouver et qui l'a conduite dans la maison paternelle. Il y eut
sans doute d'autres disciples de Jean, qui non-seulement ne suivirent point
Jésus-Christ, mais qui nourrirent contre lui des sentiments d'envie, et se
montrèrent jaloux de sa gloire. Mais ceux dont les dispositions étaient
meilleures s'attachèrent à Jésus aussitôt qu'ils l'eurent connu, non par mépris
de leur premier maître, mais par la persuasion où ils étaient d'après les
enseignements du Précurseur, que Jésus-Christ les baptiserait dans l'Esprit
saint. Considérez dans ces disciples un saint empressement mêlé d'une sage
réserve. En se mettant à la suite de Jésus, ils ne se hâtent pas de
l'interroger sur les grandes vérités du salut, et ce n'est pas en public, mais
en particulier, qu'ils cherchent à lui parler : « Alors Jésus s'étant retourné,
et les voyant qui le suivaient, leur dit :
Que
cherchez-vous ? » Ces paroles nous apprennent que lorsque nous commençons
sincèrement à vouloir le bien, Dieu nous prodigue les occasions de salut. Jésus
interroge ses disciples, non pour en apprendre quelque chose, mais pour se les
rendre plus familiers, leur inspirer une plus grande confiance, et leur montrer
qu'ils sont vraiment dignes de ses divins enseignements.
THEOPHYL. Considérez ici que Nôtre-Seigneur se
tourne vers ceux qui le suivent, et abaisse sur eux ses regards ; c'est qu'en
effet, si vous ne marchez à sa suite par la pratique des bonnes œuvres, vous ne
parviendrez jamais à voir sa face adorable, ni à entrer dans sa maison. —
ALCUIN. Ces deux disciples suivaient donc Jésus par derrière, dans l'intention
de le voir, mais sans pouvoir y parvenir. Aussi, que fait Jésus ? il se
retourne, et descend, pour ainsi dire, des hauteurs de sa majesté, afin que ses
disciples puissent contempler sa face adorable. — ORIG. (Traité 7 sur
S. Jean.) Peut-être n'est-ce pas sans raison qu'après le sixième
témoignage, Jean-Baptiste cesse de parler de Jésus à ses disciples, et c'est
Jésus lui-même qui se rend pour ainsi dire un septième témoignage en leur
demandant : « Que cherchez-vous ? » — S. CHRYS. (hom. 18 sur S.
Jean.) Ces deux disciples font paraître leur amour pour Jésus-Christ,
non-seulement par leur empressement à le suivre, mais par la question qu'ils
lui adressent : « Et ils demandèrent : Maître, où habitez-vous ? » Jésus ne
leur a encore rien appris, et ils lui donnent le nom de Maître pour se ranger d'eux-mêmes au nombre de ses disciples, et lui faire
connaître la raison qui les a déterminés à s'attacher à lui.
ORIG.
Après avoir été convaincus et amenés à Jésus par le témoignage de Jean, les
deux disciples, par cette question, reconnaissent Jésus pour leur docteur, et
expriment le désir de voir l'habitation du Fils de Dieu. — ALCUIN. Car ce n'est
pas en passant qu'ils veulent profiter de ses divins enseignements, ils lui
demandent où il demeure, afin de pouvoir se pénétrer de ses paroles dans le
secret, visiter plus souvent le Sauveur, et en recevoir une instruction plus
parfaite. Dans le sens mystique, ils demandent à Jésus-Christ dans quelles âmes
il daigne habiter, afin qu'en imitant leurs exemples, ils puissent mériter la
même faveur. Ou bien encore, ils virent Jésus marcher, et lui demandent
aussitôt où il demeure ; et il nous enseigne par là, lorsque nous méditons
intérieurement sur l'incarnation du Fils de Dieu, à le prier avec instance et
ferveur de nous faire connaître le lieu de son éternelle demeure. Jésus approuve
la légitimité de leur demande, et leur ouvre volontiers ses secrets : « Et
il leur dit : Venez et voyez. » C'est-à-dire : Ce n'est point par des paroles,
mais par des œuvres, que vous pouvez apprendre quelle est mon habitation. Venez
donc par la foi et par les œuvres, et vous verrez par l'intelligence qui vous
sera donnée. — ORIG. Ou bien encore, par cette parole : « Venez , »
il les invite à la vie active, et par cette autre : « Voyez, » à la vie
contemplative.
S.
CHRYS. (hom. 18 sur S. Jean.) Jésus ne leur indique ni la maison
ni le lieu qu'il habitait, mais il les attire à sa suite, et leur montre ainsi
qu'il les accepte pour ses disciples. Il ne leur dit pas : « Il n'est pas temps
encore, demain vous apprendrez ce que vous désirez savoir, mais il leur parle comme à
des amis et à des familiers qui auraient depuis longtemps déjà vécu avec lui.
Mais comment concilier ce que le Sauveur dit ailleurs : « Le Fils de l'homme
n'a pas où reposer sa tête, » (Mt 8 ; Lc 9) avec ce qu'il dit ici
: « Venez et voyez quelle est ma demeure ? » Ces paroles : « Le
Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête, » veulent simplement dire qu'il
n'avait pas de demeure en propre, et non pas qu'il n'habitait pas dans une
maison. Voilà pourquoi l'Evangéliste ajoute : « Ils vinrent et virent où il
demeurait, et ils restèrent près de lui ce jour-là. Il ne dit pas le motif qui
les retint près de lui, il est évident que c'était pour entendre ses divines
leçons.
S. AUG. (Traité 7 sur S. Jean). Quel
heureux jour pour ces disciples, quelle heureuse nuit ! Construisons donc
nous-mêmes aussi dans notre cœur, et élevons une maison où Jésus vienne habiter
et où il nous instruise.
THEOPHYL. Ce n'est pas sans raison que l'Evangéliste
nous indique quelle heure il était alors : « Or, il était environ, la
dixième heure ; » il voulait apprendre aux docteurs comme aux disciples, qu'on
ne doit point négliger le soin de la doctrine sous prétexte de l'heure avancée.
— S. CHRYS. (hom. précéd.) Ces disciples montraient un grand zèle pour
s'instruire, puisqu'ils n'étaient point arrêtés par l'heure avancée qui
touchait presque au coucher du soleil. La plupart des hommes, esclaves des
besoins de la chair, ne peuvent dans le temps qui suit le repas appliquer leur
esprit aux choses nécessaires, parce que leur corps est appesanti par la
nourriture. Mais tel n'était pas Jean-Baptiste, qui avait formé ces disciples,
et il pratiquait le soir une sobriété beaucoup plus grande que n'est la nôtre
le matin.
S. AUG. (Traité précéd.) La dixième heure est
encore ici le symbole de la loi qui a été donnée en dix préceptes. Le temps
était venu d'accomplir par l'amour cette loi que les Juifs ne pouvaient
accomplir par la crainte ; aussi est-ce à la dixième heure que Nôtre-Seigneur
s'entend donner le nom de Maître ; car il n'y a de véritable maître de la loi,
que celui qui en est l'auteur.
« André, frère de Simon Pierre, était un de
ceux qui avaient entendu le témoignage de Jean, et qui avaient suivi Jésus. » —
S. CHRYS. (hom. 17 sur S. Jean.) Pourquoi l'Evangéliste ne nous
fait-il pas connaître le nom de l'autre disciple ? Il en est
qui donnent pour raison que saint Jean était lui-même ce disciple ; d'antres,
que ce disciple n'était pas autrement important à connaître. Il n'y avait donc
aucune utilité à nous apprendre son nom. L'Evangéliste ne nous a pas donné non
plus le nom des soixante-douze disciples. — ALCUIN. On peut dire encore que ces
deux disciples étaient André et Philippe.
S. CHRYS. (hom. 19 sur S. Jean.) André
ne garda pas pour lui seul ce qu'il venait d'apprendre de Jésus, il s'empresse
de courir vers son frère pour lui faire part des grâces qu'il vient de recevoir
: « Or, il rencontra d'abord son frère Simon, et lui dit : Nous avons trouvé le
Messie (c'est-à-dire le Christ). » — BEDE. (hom. pour la vig. de S. And.) Oui,
c'est bien avoir trouvé le Seigneur, que d'être embrasé pour lui d'un amour véritable, et plein de zèle pour
le salut de ses frères.
S.
CHRYS. (hom. 19 sur S. Jean.) L'Evangéliste ne nous a pas
rapporté l'entretien de Jésus-Christ avec ces deux disciples, mais il nous est
permis de conjecturer quel en fut l'objet, par ce qu'André dit à son frère, et
ce peu de paroles nous en donne comme l'abrégé. Nous y trouvons, en effet, la
puissance du Maître qui avait porté le persuasion dans leurs âmes, et la
vivacité des désirs dont leur cœur était depuis longtemps animé. En effet,
cette parole : « Nous avons trouvé, » exprime le travail de l'enfantement d'une
âme qui soupirait ardemment après la présence du Messie, et qui tressaille de
joie d'avoir enfin trouvé l'objet de ses désirs. — S. AUG. Le mot Messie en
hébreu, Christ en grec, veut dire oint en latin ; car le mot chrisma signifie
onction. Tous les chrétiens reçoivent l'onction, d'après ces paroles : «
Votre Dieu vous a sacré d'une onction de joie, qui vous élève au-dessus de tous
ceux qui doivent la partager; » (Ps 44) tous les saints, en effet,
entrent en participation des dons du Christ, mais le Christ lui-même est le
saint par excellence, et a reçu par lui-même une onction plus parfaite.— S. CHRYS.
(hom. précéd.) Aussi André ne l'appelle-t-il pas simplement Messie, mais
le Messie avec l'article. Remarquez comme tout d'abord Pierre avait un
esprit docile, il accourt aussitôt sans tarder, sans hésiter : « Et il l'amena
à Jésus. » N'accusons pas et ne condamnons pas cette promptitude qui, sans
plus d'informations, le fait ajouter foi aux paroles de son frère. On peut
supposer raisonnablement qu'André prit soin de lui développer la grande vérité
qu'il lui annonçait ; mais c'est la coutume des Evangélistes d'omettre un grand nombre de
choses pour abréger leur récit. D'ailleurs, il n'est pas dit que Pierre crut
immédiatement, mais que son frère l'amena à Jésus et le lui confia pour qu'il
apprit de lui toutes les vérités nécessaires. Or, le Seigneur commence à lui
révéler lui-même les secrets de sa divinité, et à confirmer cette révélation
par les prédictions qu'il fait de l'avenir. En effet, les prophéties sont une
preuve non moins forte que les miracles, elles sont même plus particulièrement
l'œuvre de Dieu, que les démons ne peuvent imiter. Dans les miracles,
l'illusion est possible, et on peut être trompé par l'apparence. Mais il
n'appartient qu'à la nature divine et incorruptible de prédire l'avenir d'une
manière certaine. C'est ce que fait ici Jésus : « Et Jésus, l'ayant regardé,
lui dit : Vous êtes Simon, fils de Jonas, vous serez appelé Céphas,
c'est-à-dire Pierre. »
BEDE. Jésus le considère non-seulement des yeux du corps,
mais c'est du regard éternel de sa divinité, qu'il voit la simplicité de son
cœur et l'élévation de son âme qui devaient lui mériter d'être placé un jour à
la tête de toute l'Eglise. Il ne faut pas chercher une autre signification du
mot Pierre dans l'hébreu ou dans le syriaque ; car le mot Pierre a en grec et
en latin la même signification que le mot Céphas en syriaque, et dans les deux
langues, ce nom dérive du mot Pierre. Or, cet Apôtre est appelé Pierre, à cause
de la fermeté de la foi avec laquelle il s'attacha à cette pierre, dont
l'Apôtre a dit : « Or, la pierre était Jésus-Christ, » qui délivre des
embûches de l'ennemi ceux qui espèrent en lui, et qui répand sur eux, comme un
fleuve, l'abondance de ses grâces spirituelles.
S. AUG. (Traité précéd.) Il n'y a rien
d'étonnant à ce que le Seigneur ait dit de qui Simon était fils. Il savait, en
effet, le nom de tous les saints qu'il avait prédestinés avant la création du
monde. Mais ce qui est vraiment extraordinaire, c'est qu'il ait changé son nom
et l'ait appelé Pierre au lieu de Simon. Le nom de Pierre vient du mot
petra, pierre, et la pierre, c'est l'Eglise, donc le nom de Pierre est la
figure de l'Eglise. Le Seigneur veut exciter ici votre attention. Si Pierre
avait porté ce nom auparavant, vous n'auriez pas aussi bien remarqué le mystère
qu'il renferme, et vous auriez pu croire que ce nom vient du hasard plutôt que
d'une disposition providentielle. C'est pour cela que Dieu a voulu qu'il portât
auparavant un autre nom, pour faire ressortir plus vivement dans le nom qui lui
fut substitué la force du mystère qu'il renfermait.
S. CHRYS. (hom. 19.) Jésus a changé encore le
nom de cet Apôtre, comme preuve qu'il était l'auteur de l'Ancien Testament, et
que c'était lui-même qui avait changé les noms des patriarches, et appelé
Abram, Abraham ; Sarai, Sara (Gn 17), et Jacob, Israël. (Gn 32)
Pour plusieurs, il leur a donné leurs noms, dès leur naissance, par exemple à
Isaac (Gn 17), et à Samson. (Jg 13) Pour d'autres, au contraire,
il a changé les noms que leurs parents leur avaient donnés, c'est ce qu'il a
fait ici pour Pierre, et plus tard pour les fils de Zébédée. (Mc 3) Ceux
dont la vertu devait jeter un vif éclat dès leurs premières années, ont reçu
alors leur nom, tandis que ceux dont le mérite et la vertu ne devaient se
produire que plus tard, n'ont reçu aussi que plus tard le nom que Dieu leur
destinait.
S. AUG. (de l'acc. des Evang., 2, 17.) Saint
Jean raconte ici que c'est sur les bords du Jourdain (avant que Jésus se rendit
en Galilée), que,
sur le témoignage de Jean-Baptiste, deux de ses disciples, dont l'un, qui
s'appelait André, amena son frère Simon à Jésus, se mirent à la suite du
Sauveur, et que ce fut alors que Simon reçut le nom de Pierre. Or, il y a ce
semble une assez grave contradiction entre ce récit et celui des autres
évangélistes, d'après lesquels Jésus rencontra André et Simon qui prêchaient
dans la Galilée, et les appela alors pour en faire ses disciples. Cette
contradiction disparaît, en admettant que ces deux frères ne s'attachèrent pas
au Sauveur inséparablement et d'une manière définitive, lorsqu'ils le rencontrèrent
sur les bords du Jourdain. Ils connurent seulement alors qui il était, et ils
retournèrent à leurs occupations. Que personne cependant n'aille penser que
Pierre ne reçut son nom que dans la circonstance solennelle où Jésus lui dit :
« Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise. » (Mt 16) Il
reçut ce nom, lorsque le Sauveur lui dit : « Tu t'appelleras Céphas,
c'est-à-dire, Pierre. » (Jn 1) — ALCUIN. On peut dire encore que Jésus
ne lui donne pas ici le nom de Pierre, mais qu'il ne fait que présager qu'il
lui sera donné plus tard, lorsqu'il lui dira : « Tu es Pierre, et sur cette pierre
je bâtirai mon Eglise. » (Mt 16) Mais au moment même de changer son nom,
Jésus voulut faire ressortir la signification mystérieuse du nom même qu'il
avait reçu de ses parents. En effet Simon veut dire, qui est obéissant, Joanna,
signifie grâce, et Jona, colombe. Le Sauveur semble donc lui dire
: Vous êtes docile et obéissant, vous êtes le fils de la grâce ou le fils de la
colombe, c'est-à-dire, de l'Esprit saint, car c'est l'Esprit saint qui vous a
inspiré cette humilité, qui vous fait venir à moi sur la parole d'André votre
frère ; vous n'avez pas dédaigné, vous son
aîné, de suivre celui qui était plus jeune que tous, car le mérite de la foi
l'emporte sur les prérogatives de l'âge.
S.
CHRYS. (hom. 20 sur S. Jean.) Après ces premiers disciples, Jésus
cherche à en convertir d'autres, c'est-à-dire, Philippe et Nathanaël : « Le
lendemain Jésus voulut aller en Galilée. » — ALCUIN. En partant de la Judée, où
Jean baptisait, Jésus quitte la Judée par honneur pour Jean-Baptiste, et pour
ne point affaiblir l'influence de ses enseignements qui devaient encore alors
se faire entendre. Sur le point d'appeler de nouveaux disciples à sa suite, il
se dirige vers la Galilée, qui signifie transmigration et changement, et il
apprend ainsi à ceux qui le suivent à sortir d'eux-mêmes, à faire de continuels
progrès dans la vertu, et à parvenir à la joie éternelle par les souffrances,
comme il a lui-même voulu avancer et croître en sagesse, en âge, en grâce
devant Dieu et devant les hommes (Lc 11), et passer par les souffrances
avant de ressusciter et d'entrer dans sa gloire : « Et il trouva Philippe,
et Jésus lui dit : » Suivez-moi. On suit Jésus, quand on imite son humilité et
sa passion, pour avoir part à la gloire de sa résurrection et de son ascension.
S. CHRYS. (Hom 20.) Remarquez que le sauveur
n a appelé personne à sa suite, avant qu'on eût commencé à s'attacher, à lui ;
en effet, s'il avait cherché à se faire des disciples, avant que quelques-uns
n'eussent pris cette détermination d'eux-mêmes, ils n'auraient peut-être pas
persévéré longtemps. Mais au contraire, ils lui restent d'autant plus
fidèlement attachés, que c'est volontairement qu'ils ont choisi de marcher à sa
suite. Il appelle d'abord Philippe, qui lui était plus connu, comme étant de la
Galilée. Mais comment expliquer cet empressement de Philippe à suivre Jésus ?
André l'avait suivi sur le témoignage de Jean-Baptiste ; Pierre, sur la parole
d'André ; Philippe n'a été instruit par personne, et cette seule parole de
Jésus-Christ : « Suivez-moi, » suffit pour le déterminer à le suivre. On
peut dire que Philippe avait déjà pris cette résolution lorsqu'il entendit
Jean-Baptiste, ou que la voix de Jésus fut assez puissante pour produire cet
effet. — THEOPHYL. Car la voix du Sauveur n'était pas un simple son qui frappe
les oreilles, mais elle enflammait d'amour pour lui le cœur de ses disciples.
D'ailleurs, Philippe avait la connaissance du Christ, et lisait assidûment les
livres de Moïse, et y puisait l'espérance de son prochain avènement, il crut
donc en lui aussitôt qu'il le vit. Peut-être encore fut-il instruit par André
et par Pierre, qui étaient du même pays, et l'Evangéliste semble l'indiquer par
ces paroles : « Or, Philippe était de Bethsaïde, de la même ville qu'André et
Pierre, » etc. — S. CHRYS. (hom. 20.) Nôtre-Seigneur Jésus-Christ fait
encore éclater sa puissance en choisissant les plus illustres de ses disciples
dans une terre qui n'avait porté jusqu'alors aucun fruit (car aucun prophète
n'était sorti de la Galilée). — ALCUIN. Bethsaïde, signifie aussi maison des
chasseurs, et par le nom de cette ville, l'Evangéliste veut nous montrer ce
qu'étaient déjà intérieurement Philippe, Pierre et André, et comment ils
rempliraient un jour la mission qui leur serait donnée en se livrant tout
entiers à la chasse spirituelle des âmes pour leur donner la vie.
S. CHRYS. (hom. 20.) Non-seulement Philippe
fut docile aux paroles du Christ, mais il veut l'annoncer lui-même aux autres :
« Philippe trouva Nathanaël, et lui dit : Nous avons trouvé celui de qui
Moïse a écrit dans la loi, » etc. Voyez quelles étaient les saintes
préoccupations ds son esprit, comme il méditait continuellement les livres de
Moïse, et vivait dans l'attente de l'avènement du Christ. Il savait bien sans
doute que le Christ devait venir, mais il ignorait jusque-là que Jésus fût le
Christ. Il dit donc à Nathanaël : « Celui de qui Moïse a écrit et que les
prophètes ont annoncé ; » il donne ainsi un nouveau poids à ses paroles, en
montrant que l'étude de la loi et des prophètes lui était chère, et qu'il
approfondissait tout en vérité, au témoignage de Jésus-Christ lui-même. Ne
soyez pas surpris qu'il appelle Jésus fils de Joseph, il passait alors pour le
fils de Joseph. — S. AUG. (Traité précéd.) C'est-à-dire, que sa mère
était l'épouse de Joseph, car tous les chrétiens ont appris de l'Evangile, que
Jésus a été conçu et qu'il est né d'une Vierge. Il ajoute le nom de son pays :
« De Nazareth. » — THEOPHYL. Ce n'était pas le lieu de sa naissance, mais celui
où il avait été élevé. Sa naissance était inconnue d'un grand nombre, mais on
savait qu'il avait été élevé à Nazareth : « Nathanaël lui dit : Peut-il
venir quelque chose de bon de Nazareth ? »
— S. AUG. (Traité
préced.) La réponse de Philippe se prête également à ces deux
significations : ou bien la proposition de Nathanaël est affirmative : « Il
peut venir quelque chose de bon de Nazareth, » et Philippe ajoute : « Venez et
voyez, » ou bien elle est dubitative et sous forme d'interrogation : « Peut-il
venir quelque chose de bon de Nazareth ? » et Philippe lui répond : « Venez et
voyez. » Quelle que soit du reste celle des deux significations qu'on adopte,
elle s'harmonise parfaitement avec ce qui suit. Examinons donc quel est le sens
de ces paroles. Nathanaël, qui était très-instruit dans la loi, ayant entendu
dire à Philippe : « Nous avons trouvé Jésus de Nazareth ; » ce dernier mot
réveilla son espérance, et il dit : « Il peut venir quelque chose de bon
de Nazareth. » Car il avait approfondi les Ecritures, et il savait (ce que
les scribes et les pharisiens ignoraient), que c'était de Nazareth qu'on devait
attendre le Sauveur. — ALCUIN. C'est lui qui est le saint par excellence,
l'innocence, celui qui est sans tache et dont le prophète a dit : « Un rejeton
sortira de la tige de Jessé, et du Nazaréen (une fleur) s'élèvera de sa
racine. » (Is 11) On peut encore entendre ces paroles dans un sens
dubitatif et sous forme d'interrogation. — S. CHRYS. (hom. précéd.) Nathanaël
savait, d'après les Ecritures, que Jésus devait sortir de Bethléem. Selon
l'oracle du prophète Michée : « Et toi Bethléem, terre de Juda, c'est de toi
que sortira le chef qui doit conduire mon peuple d'Israël. » (Mi 5) Lors
donc qu'il entend dire à Philippe : « Jésus de Nazareth, » il a un moment
d'hésitation, et trouve que cette indication n'est pas en rapport avec la
prédication du prophète. Or, les prophètes donnent au Christ le nom de Nazaréen, parce que
c'est à Nazareth qu'il fat élevé et qu'il passa la plus grande partie de sa
vie. Remarquez encore la prudence et la douceur de Nathanaël dans la question
qu'il adresse à Philippe, il ne lui dit pas : Vous m'induisez en erreur, mais
il lui fait cette simple question : « Peut-il venir quelque chose de bon de
Nazareth ? » Philippe, de son côté, n'est pas moins prudent, il n'est pas
déconcerté par la question de Nathanaël, mais il insiste et veut absolument
amener un nouveau disciple à Jésus-Christ : « Philippe lui dit : Venez et
voyez. » Il l'entraîne jusqu'à Jésus-Christ, bien convaincu qu'il ne lui
résistera point dès qu'il aura goûté la vérité de ses paroles et de sa
doctrine.
S. CHRYS. (hom. 20 sur S. Jean.) Nathanaël,
en refusant d'admettre que le Christ devait sortir de Nazareth, fait voir
l'étude approfondie qu'il avait faite des Ecritures ; et en consentant à suivre
celui qui lui annonçait sa présence, il montre le vif désir qu'il avait de voir
le Christ, car il présumait que Philippe pouvait se tromper sur le lieu de sa naissance
: « Jésus voyant venir Nathanaël, dit de lui : Voici un vrai Israélite, dans
lequel il n'y a point de ruse. » Il ne croit pas devoir lui faire aucun reproche, bien que
d'après ses paroles, il n’eut pas cru à l'instant même, parce qu'il s'attachait
plus que Philippe aux indications des oracles prophétiques. Jésus porte donc de
lui ce jugement : « Voici un vrai Israélite, dans lequel il n'y a pas de ruse,
» parce que ses paroles ne respirent ni flatterie ni aversion. — S. AUG. (Traité
précéd.) Ou bien encore, que signifie ces paroles : « Dans lequel il
n'y a point de ruse ? » Veulent-elles dire que Nathanaël était pur de tout
péché, et qu'il n'avait pas besoin de médecin ? Non, sans doute, car il n'est
personne de ceux qui reçoivent le jour, qui n'ait besoin de recourir à ce
médecin. Or, la ruse consiste à feindre une chose différente de celle qu'on
fait. Dans quel sens donc n'y avait-il point de ruse dans Nathanaël ?
C'est-à-dire, que s'il est pécheur, il ne craint pas de le reconnaître ; si au
contraire il se disait juste, tout pécheur qu'il est, la ruse se fût trouvée
sur ses lèvres. Le Sauveur loue donc dans Nathanaël, de reconnaître sincèrement
qu'il est pécheur, mais il ne veut nullement dire qu'il soit sans péché.
THEOPHYL. Mais Nathanaël, malgré cet éloge, ne se
rend pas aussitôt, il attend une preuve plus évidente, et il interroge le
Sauveur : « Nathanaël lui dit : D'où me connaissez-vous ? » — S. CHRYS. (hom.
précéd.) La question de Nathanaël est la question d'un homme, la réponse de
Jésus est celle d'un Dieu : « Avant que Philippe vous appelât, lui dit
Jésus, je vous ai vu. » II l'a vu, non pas des yeux de l'homme, mais de ce
regard divin que Dieu abaisse sur les hommes du haut des cieux. « Je vous ai
vu, » c'est-à-dire, j'ai vu les habitudes de votre vie. Il ajoute : « Lorsque
vous étiez sous le figuier, » là où il n'y avait personne, si ce n'est Philippe
et Nathanaël qui s'entretenaient ensemble. L'Evangéliste fait remarquer que
c'est en voyant Nathanaël
de loin, que Jésus dit de lui : « Voici un vrai Israélite, » c'est-à-dire,
avant que Philippe se fût approché de Jésus, de manière que vous ne
puissiez élever aucun soupçon sur le témoignage du Sauveur. Jésus ne voulut pas
répondre : Je ne suis pas né à Nazareth, comme Philippe vous l'a dit, mais à
Bethléem, pour ne pas soulever de discussion sur ce point, c'eût été d'ailleurs
une preuve insuffisante qu'il était le Christ, et il le prouve bien plus
fortement en leur démontrant qu'il était présent à leur entretien.
S. AUG. (Traité 6 sur S. Jean.) Examinons
si ce figuier a ici une signification particulière. Nous trouvons dans
l'Evangile, un figuier maudit, parce qu'il n'avait que des feuilles et point de
fruit. (Mt 21 ; Mc 11) Au commencement du monde Adam et Eve,
après leur péché, se firent une ceinture de feuilles de figuier. (Gn 3)
Les feuilles du figuier sont donc la figure des péchés. Or, Nathanaël était
assis sous un figuier comme à l'ombre de la mort, et le Seigneur semble lui
dire : O Israël ! vous qui êtes sans ruse ! O peuple qui vivez de
la foi ! avant que je vous aie appelé par mes Apôtres, lorsque vous étiez
encore à l'ombre de la mort, et avant que vous ayez pu me voir, je vous ai vu.
— S. GREG. (Moral., 18, 20.) Ou bien, je vous ai vu pendant que vous
étiez sous le figuier, c'est-à-dire, je vous ai choisi lorsque vous étiez
encore sous les ombres de la loi.
S. AUG. (sermon 40 sur les paroles du
Seigneur.) Nathanaël se souvint qu'il était sous le figuier où Jésus
n'était présent que par sa science spirituelle et divine, et comme il savait
qu'il était seul sous ce figuier, il reconnut que celui qui lui parlait ainsi
était Dieu.
S. CHRYS. (hom. 20 sur S. Jean.) Nathanaël
reconnut donc que Jésus était vraiment le Christ, à la révélation qu'il vient de lui faire, a
la connaissance qu'il avait de ses dispositions intérieures, et aussi parce que
loin de le reprendre, il a fait son éloge, après le langage peu favorable en
apparence que Nathanaël avait tenu à son égard : « Nathanaël lui répondit
: Maître, vous êtes le Fils de Dieu, vous êtes le roi d'Israël, » c'est-à-dire,
vous êtes celui que nous attendions, celui que nous cherchions. La preuve
indubitable qui vient de lui être donnée, détermine cet aveu ; l'hésitation
qu'il a manifestée d'abord montre son zèle à chercher la vérité, et son empressement
à la reconnaître ensuite est une preuve de sa vertu et de sa religion. (Hom.
21.) Ce passage en embarrasse un grand nombre ; Pierre, disent-ils, qui a
confessé que Jésus était le Fils de Dieu, après avoir été témoin de ses
miracles et de sa doctrine, est proclamé bienheureux, de ce que le Père lui a
révélé cette vérité, tandis que Nathanaël, qui confesse la divinité de Jésus,
sans avoir ni vu ses miracles, ni entendu ses divins enseignements, ne reçoit
point les mêmes louanges. En voici la raison, c'est que Pierre et Nathanaël ont
tenu le même langage mais sans y attacher le même sens. Pierre a confessé que
Jésus était le Fils de Dieu, et vrai Dieu lui-même; Nathanaël, au contraire, ne
voit encore en lui qu'un homme. Car en lui disant : « Vous êtes le Fils de Dieu
; » il ajoute : « Vous êtes le roi d'Israël. » Or, le Fils de Dieu n'est pas
seulement le roi d'Israël, il est le roi de tout l'univers. La suite du texte
rend encore plus sensible cette différence. En effet, Nôtre-Seigneur
Jésus-Christ n'ajouta rien à la confession de Pierre, il considéra sa foi comme
parfaite, et lui prédit que sur cette confession il bâtirait son Eglise, tandis
que pour Nathanaël, dont la confession était moins complète et laissait
beaucoup à désirer, il l'élève vers des considérations plus hautes : « Et
Jésus lui dit : Parce que je vous ai dit : Je vous ai vu sous le figuier, vous
croyez ; vous verrez de plus grandes choses, » c'est-à-dire, vous regardez
comme une chose extraordinaire ce que je vous ai dit, et c'est pour cela que
vous me proclamez roi d'Israël ; que direz-vous donc, lorsque vous verrez de
plus grandes choses ? Et quelles sont ces choses ? « En vérité, en vérité, je
vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et
descendre sur le Fils de l'homme. » Voyez comme il l'élève peu à peu au-dessus
de la terre, et l'amène à reconnaître que le Christ n'est pas seulement un
homme. Car comment celui qui a les anges pour serviteurs, pourrait-il n'être
qu'un homme ? Il se fait donc ainsi connaître pour le maître des anges qui
descendirent sur Jésus et montèrent avec lui comme les ministres de sa divine
royauté ; ils descendirent sur lui au moment de sa mort sur la croix, et
montèrent au temps de sa résurrection et de son ascension. Ils avaient déjà
rempli précédemment ce ministère lorsqu'ils s'approchèrent de lui pour le
.servir dans le désert, et aussi lorsqu'ils annoncèrent sa naissance. Le
Sauveur prouve donc ici l'avenir par le passé. En reconnaissant les signes de
sa puissance dans le passé, Nathanaël pouvait plus facilement croire à la
prédiction que le Sauveur lui faisait pour l'avenir.
S. AUG. (serm. 40 sur les par. du Seig.) Rappelons-nous
l'ancienne histoire de Jacob, qui vit dans son sommeil une échelle posée sur la
terre et dont le sommet touchait au ciel, et les anges de Dieu qui montaient et
descendaient le long de l'échelle. (Gn 28) Jacob, comprenant la
signification mystérieuse de cette vision, prit la pierre qu'il avait mise sous
sa tête et répandit de l'huile dessus. Est-ce qu'il voulut en cela faire une
idole ? Non, l'action de Jacob est ici figurative, et il ne rend aucun culte
d'adoration à cette pierre. Vous voyez ici l'onction, reconnaissez aussi le
Christ. Il est la pierre qui a été repoussée par ceux qui bâtissent. Puisque Jacob,
qui fut appelé Israël (Gn 32), a vu cette échelle en songe, et que, d'un
autre côté, Nathanaël, au témoignage de Jésus, est un vrai Israélite, c'est
avec raison que le Sauveur lui rappelle le songe de Jacob, comme s'il lui
disait : Le songe de celui dont vous portez le nom se réalisera pour vous-même,
vous verrez le ciel ouvert, et les anges de Dieu monter et descendre sur le
Fils de l'homme. S'ils descendent sur lui, ils montent aussi jusqu'à lui, car
il est tout à la fois dans les hauteurs des cieux et sur la terre, il est en
haut dans sa propre nature, il est en bas dans la personne des siens.
S. AUG. (Traité 7 sur S. Jean.) Les bons
prédicateurs qui annoncent vraiment Jésus-Christ, sont les anges de Dieu, ils
montent et descendent sur le Fils de l'homme, à l'exemple de saint Paul, qui
monta jusqu'au troisième ciel (2 Co 2), et qui est descendu
jusqu'à donner du lait pour nourriture aux petits enfants. (1 Co
3) Jésus
dit à Nathanaël : « Vous verrez encore de plus grandes choses, » car la
justification de ceux que le Seigneur a appelés à la foi est un plus grand
miracle que de nous avoir vus couchés et étendus à l'ombre de la mort. Que nous
aurait-il servi, en effet, qu'il nous vit, si nous étions restés à l'ombre de
la mort ? Mais pourquoi Nathanaël, à qui le Fils de Dieu a rendu un si glorieux
témoignage, ne fait-il point partie des douze Apôtres ? Nous avons dû voir
qu'il était instruit et versé dans la science de la loi, et c'est la raison
pour laquelle le Seigneur ne voulut point l'admettre au nombre de ses Apôtres ;
il aima mieux choisir des ignorants pour confondre la vaine science du monde.
Dans le dessein
qu'il avait formé d'abaisser la tête altière des orgueilleux, ce n'est point
par l'éloquence d'un orateur qu'il voulut amener à lui un pêcheur, c'est par ce
simple pêcheur qu'il convertit à lui les empereurs. Cyprien a été un grand
orateur, mais avant lui nous voyons Pierre, qui n'était que pêcheur, et c'est
par lui que devaient croire dans la suite, non-seulement les orateurs, mais les
empereurs eux-mêmes.
S. CHRYS. (hom. 21 sur S. Jean.) Jésus
est invité à ces noces, parce qu'il était très-connu dans la Galilée : « Et
trois jours après il se fit des noces à Cana, en Galilée. »— ALCUIN. La Galilée
est une province de la Palestine, dans laquelle se trouve le bourg de Cana. — S. CHRYS. (hom.
précéd.) Le Sauveur est invité à ces noces, non pas comme un personnage
considérable, mais simplement comme une connaissance ordinaire. C'est ce que
semble indiquer l'Evangéliste en ajoutant : « Et la mère de Jésus y était,
» c'est-à-dire qu'ils invitèrent le fils, parce qu'ils avaient invité la mère :
« Et Jésus fut aussi convié aux noces avec ses disciples. » En se
rendant à cette invitation, il ne considère pas les intérêts de sa dignité,
mais le bien qui peut en résulter pour nous ; il n'a pas dédaigné de prendre la
forme d'esclave, il ne dédaigne pas davantage de se rendre aux noces de ses
serviteurs. — S. AUG. (serm. 41 sur les par. du Seig.) Que
l'homme rougisse donc de son orgueil, en voyant comment un Dieu pratique
l'humilité. Entre autres raisons, le Fils de Dieu assiste à ces noces pour
montrer que c'était lui qui, avant son incarnation et lorsqu'il était dans le
sein de Dieu le Père, avait institué le mariage.
BEDE. (hom pour le 1° dim. après l'Epiphan.) La
démarche pleine de condescendance de Jésus, en assistant à ces noces, confirme
la foi des chrétiens, et démontre combien est condamnable l'erreur de Tatien et
de Marcion, qui déclarent le mariage illicite. Si le lit nuptial, orné de la
pureté requise, et le mariage, contracté avec la chasteté voulue, étaient
illicites, le Seigneur n'eût jamais voulu assister à ces noces. La chasteté est
bonne, la continence des veuves est meilleure, la perfection virginale est bien
supérieure ; Nôtre-Seigneur donc pour approuver le choix de ces divers états de
vie, et discerner cependant le mérite de chacun, a daigné naître du sein
immaculé de la Vierge Marie ; aussitôt sa naissance, il a voulu recevoir les bénédictions de
la prophétesse Anne qui était veuve, et, dans sa jeunesse, il honore de la
présence de sa haute vertu les noces auxquelles il est invité.
S. AUG. (Traité 8 sur S. Jean.) Qu'y a-t-il
d'étonnant que le Fils de Dieu se soit rendu à ces noces, lui qui est venu dans
le monde pour célébrer des noces toutes divines ? Il a, en effet, une épouse
qu'il a rachetée de son sang, à laquelle il a donné l'Esprit saint pour gage,
et qu'il s'est unie dans le sein de la Vierge Marie. Le Verbe est lui-même
époux, et la nature humaine est sou épouse, et l'un et l'autre forment un seul
Fils de Dieu, comme un seul Fils de l'homme. Le sein de la Vierge Marie a été
le lit nuptial, d'où il s'avance comme un époux qui sort de sa chambre
nuptiale.
BEDE. Ces noces ont lieu trois jours après l'arrivée
de Jésus en Galilée ; et cette circonstance n'est pas sans mystère. Le premier
âge ou le premier jour du monde, avant la loi, a été éclairé par les exemples
éclatants des patriarches ; le second sous la loi, par les oracles des
prophètes ; le troisième sous la grâce, par les écrits des Evangélistes,
et c'est dans ce troisième jour, que Nôtre-Seigneur a voulu naître dans une
chair mortelle. Ces noces ont lieu à Cana, en Galilée, c'est-à-dire (d'après la
signification de ces deux mots), dans le zèle de la transmigration, et cette
circonstance apprend à ceux qui veulent se rendre dignes de la grâce de
Jésus-Christ, qu'ils doivent être enflammés du zèle d'une religion véritable,
et passer des vices à la pratique des vertus et des choses de la terre à
l'amour des biens célestes. Pendant que le Seigneur prend part au repas des
noces , le vin vient à manquer, et il le permet pour faire éclater, par la
création d'un vin plus exquis, la gloire qui est comme cachée dans l'Homme-Dieu
: « Et le vin, venant à manquer, la mère de Jésus lui dit : Ils n'ont plus de
vin. »
S. CHRYS. (hom. 21 sur S. Jean.) Il
est important d'examiner d'où venait à la mère de Jésus, cette haute idée
qu'elle avait de son Fils, alors qu'il n'avait encore fait aucun miracle,
puisque l'Evangéliste fait plus loin cette remarque : « Ainsi Jésus fit à Cana,
en Galilée, le premier de ses miracles, » etc. Nous répondons que sa gloire et
sa puissance commençaient à se révéler par le témoignage de Jean, et par ce que
Jésus lui-même avait dit à ses disciples. D'ailleurs, et bien auparavant, sa
conception toute divine, et les prodiges qui entourèrent son berceau, avaient
donné à Marie la plus haute idée de l'enfant dont elle était mère. Saint Luc
confirme cette explication, lorsqu'il dit : « Et sa mère conservait toutes ces
choses dans son cœur. » Pourquoi donc Marie ne l'a-t-elle pressé plus tôt de
faire des miracles ? C'est qu'il commençait seulement alors sa vie publique ;
jusque-là sa vie extérieure avait été celle d'un homme ordinaire, et sa mère
n'avait osé lui faire une demande semblable. Mais dès qu'elle eut appris le
témoignage que Jean lui avait rendu, et qu'elle l'eut vu entouré déjà de
disciples, elle lui fait cette prière avec confiance. — ALCUIN. Marie
représente ici la synagogue qui presse Jésus-Christ de faire un miracle ; car
les Juifs avaient coutume de faire de semblables demandes.
« Jésus lui répondit : Femme, qu'y a-t-il de commun
entre vous et moi ? » — S. AUG. (Traité précéd.) Il en est qui osent
contredire l'Evangile, affirmer que Jésus n'est point né de la Vierge Marie, et
ils cherchent à appuyer leur erreur sur ces paroles de Jésus à Marie. Comment,
objectent-ils, regarder comme sa mère celle à qui Jésus ne craint pas de dire :
« Qu'y a-t-il de commun entre vous et moi ? » Mais quel est donc celui qui
présente ces dernières paroles du Seigneur à notre foi ? c'est Jean
l'Evangéliste ; mais n'est-ce pas lui aussi qui vient de nous dire : « Et la
mère de Jésus était là ? » Pourquoi s'exprime-t-il de la sorte ? c'est que les
deux choses sont vraies. Mais Jésus s'est-il donc rendu à ces noces pour
enseigner aux enfants à mépriser leurs mères ? — S. CHRYS. (hom. 21.)
Voulez-vous savoir le respect profond que Jésus avait pour sa mère ? écoutez
saint Luc qui vous dit que « le Sauveur était soumis à ses parents. » Tant que
les parents, en effet, ne s'opposent pas à l'accomplissement de ce que Dieu
demande de nous, c'est un devoir de leur être soumis. Mais quand leurs
exigences sont inopportunes, et tendent à nous arracher à nos devoirs
religieux, il n'est plus sûr de leur obéir.
S. AUG. (du symbole, 2, 5) Jésus, en tant
qu'homme, était inférieur à Marie, et il lui était soumis ; mais en tant que
Dieu, il était au-dessus de toutes les créatures. C'est donc pour bien
distinguer entre l'homme et Dieu, qu'il dît à Marie : « Femme, qu'y a-t-il de
commun entre vous et moi ? » — S. CHRYS. (hom. 21.) Le Sauveur fait
encore cette réponse pour une autre raison, il ne veut pas que ses miracles
soient l'objet du moindre soupçon. En effet, c'étaient à ceux qui manquaient du
vin, et non à sa mère, de lui faire cette demande. Il veut donc montrer qu'il
fait toutes ses actions en temps convenable, avec discernement et sans aucune
confusion. C'est pour cela qu'il ajoute : « Mon heure n'est pas encore venue, »
c'est-à-dire, je ne suis pas encore connu de ceux qui sont ici ; ils ne savent
pas encore que le vin manque, laissez-les donc s'en apercevoir tout d'abord.
Celui qui n'a pas
éprouvé la nécessité d'un bienfait, n'en comprendra pas non plus l'importance.
S. AUG. (du symbole, 2, 5.) Ou bien encore,
Nôtre-Seigneur répond de la sorte, parce qu'en tant qu'il était Dieu, il
n'avait point de mère ; il en avait une en tant qu'homme, mais le miracle qu'il
devait opérer était l'œuvre de la divinité, et non de la faible nature humaine.
Cependant la mère de Jésus le pressait de faire ce miracle. Mais Jésus, alors
qu'il allait accomplir les oeuvres divines, semble méconnaître le sein où il a
été conçu, et il dit à sa mère : « Femme, qu'y a-t-il de commun entre vous
et moi ? » paroles dont voici le sens : Vous n'avez pas engendré la puissance
qui doit en moi opérer ce miracle, c'est-à-dire ma divinité. (Il l'appelle
femme, pour désigner son sexe, et non pour l'assimiler aux femmes ordinaires.)
Mais comme c'est vous qui avez engendré ce qu'il y a de faible en moi, je vous
reconnaîtrai lorsque cette faible nature humaine sera suspendue à la croix.
Voilà pourquoi il ajoute : « Mon heure n'est pas encore venue, »
c'est-à-dire, je vous reconnaîtrai lorsque cette humanité, dont vous êtes la mère,
sera attachée à la croix. C'est alors, en effet, qu'il recommande sa mère à son
disciple, parce qu'il allait mourir avant elle, et qu'il devait ressusciter
avant sa mort. Remarquez qu'à l'exemple des manichéens qui cherchent un appui à
leurs pernicieuses erreurs dans ces paroles : « Qu'y a-t-il de commun
entre vous et moi ? » les astrologues veulent autoriser leur système erroné sur
ces autres paroles du Sauveur : « Mon heure n'est pas encore venue. » Vous
voyez, disent-ils, que Jésus-Christ était assujetti au destin, puisqu'il
déclare lui-même que son heure n'est pas encore venue. Qu'ils se rendent donc à
ces paroles du Fils de Dieu, lorsqu'il dit : « J'ai le pouvoir de quitter
la vie, et de la reprendre ensuite ; » qu'ils cherchent le véritable sens de
ces paroles : « Mon heure n'est pas encore venue ; » qu'ils cessent d'asservir
au destin le Créateur du ciel, car en supposant même l'influence des astres sur
la destinée de l'homme, le Créateur des astres devait être nécessairement
affranchi de cette influence. Ajoutez que non-seulement Jésus-Christ ne fut
point soumis à cette destinée fatale, ni vous, ni un autre, ni aucun homme que
ce soit. Que signifient donc ces paroles : « Mon heure n'est pas encore
venue ? » C'est qu'il avait le pouvoir de mourir quand il le voudrait, et que
le temps ne lui paraissait pas encore venu d'user de ce pouvoir. Il voulait
auparavant appeler ses disciples autour de lui, annoncer le royaume des deux,
opérer les prodiges et les miracles qui devaient faire reconnaître sa divinité,
et aussi manifester son humilité en se soumettant à toutes les infirmités de
notre nature mortelle. Lorsqu'il eut accompli suffisamment ces divers desseins,
l'heure vint pour lui, non l'heure de la nécessité, mais celle de sa volonté,
non l'heure imposée par la fatalité, mais déterminée par sa puissance.
S. CHRYS. (hom. 22 sur S. Jean.) Bien
que Jésus vienne de dire à sa mère : « Mon heure n'est pas encore venue, » il
se rend cependant à ses désirs, et démontre amplement par là qu'il n'était
point soumis à l'heure. Car s'il était assujetti à une heure déterminée,
comment se fait-il qu'il opère ce miracle avant que l'heure soit arrivée ? Un
autre motif de cette conduite, c'est le témoignage d'honneur qu'il veut donner
à sa mère, pour ne point paraître la contredire et la couvrir de honte devant
tant de témoins ; car elle avait fait approcher les serviteurs, pour faire
appuyer sa demande par un plus grand nombre de personnes : « Sa mère dit à ceux
qui servaient, faites tout ce qu'il vous dira. » — BEDE. Comme si elle leur
disait : Il fera ce miracle, bien qu'il paraisse le refuser, car sa mère
connaissait sa bonté et son âme compatissante : « Or, il y avait là six urnes
de pierre, » etc. Ces urnes (en latin hydriae), étaient des vases
destinés à contenir de l'eau, et leur nom vient du mot grec
ΰδωρ, qui veut dire eau.
ALCUIN. Ces vases étaient destinés à contenir de
l'eau pour servir aux purifications en usage chez les Juifs, qui, entre autres
traditions pharisaïques, observaient celle de se purifier fréquemment.— S.
CHRYS. (hom. précéd.) Comme le sol de Palestine est très-aride, et qu'on
y rencontre peu de fontaines et de puits, les Juifs remplissaient d'eau de
grandes urnes, pour n'être pas obligés d'en aller chercher dans les fleuves, et
pouvoir se purifier facilement s'ils venaient à tomber dans quelque impureté
légale. L'Evangéliste ajoute : « Qui servaient aux purifications des
Juifs, » pour ôter aux incrédules jusqu'à l'ombre du soupçon qu'il restait au
fond de ces vases de la lie avec laquelle en jetant de l'eau dessus, on aurait
fait un vin fort léger, et il montre aussi jusqu'à l'évidence, que ces vases
n'avaient jamais contenu de vin.
S. AUG. (Traité 9 sur S. Jean.) Le
mot metretas vient du grec μέτρον, et
signifie des vases d'une certaine mesure, des urnes, des amphores ou autres
vases semblables. — BEDE. Ces expressions deux ou trois ne
veulent pas dire que parmi ces vases, les uns contenaient deux mesures, les
autres trois, mais que chacun d'eux pouvait contenir deux ou trois mesures.
« Jésus leur dit : Remplissez les urnes d'eau, et
ils les remplirent jusqu'au bord. » — S. CHRYS. (hom. précéd.) Mais
pourquoi Jésus ne fit-il pas ce miracle avant que les urnes fussent remplies
d'eau ? Le miracle eût été bien plus éclatant, s'il eût fait sortir une nouvelle
substance du néant, au lieu de donner simplement de nouvelles propriétés à une
substance déjà existante. Oui, en effet, ce miracle est d'un ordre supérieur,
mais pour plusieurs il eût paru beaucoup moins digne de foi. Aussi voyons-nous
souvent Nôtre-Seigneur affaiblir, pour ainsi dire, la grandeur de ses miracles,
pour les rendre plus croyables. Ajoutons qu'il opère un grand nombre de
miracles à l'aide de substances déjà existantes, pour détruire cette
pernicieuse erreur que le Créateur du monde est distinct du vrai Dieu, car si
ce prétendu créateur du monde lui était opposé, il ne ferait point servir les
objets qu'il a créés à démontrer sa puissance divine. Ce n'est point Jésus
lui-même qui puise dans les vases pour montrer que l'eau est changée en vin, c'est aux
serviteurs qu'il donne l'ordre de puiser pour les rendre eux-mêmes témoins du
miracle : « Et Jésus leur dit : Puisez maintenant et portez-en au maître
d'hôtel. »
ALCUIN. Le mot triclinium veut dire une
rangée de trois lits, du mot grec χλίνη, lit de repos
sur lequel les-convives s'étendaient ; l'Architriclinus, ou président du
festin, était le premier des convives qui, suivant l'usage antique, étaient
étendus sur des lits. Il en est qui pensent que ce président du festin étaient
un des prêtres juifs, qui pouvaient assister aux noces, pour apprendre comment
on devait s'y conduire. — S. CHRYS. (hom. 22.) On aurait pu objecter que
les convives étaient dans l'ivresse et que leur goût était émoussé au point de
ne plus pouvoir juger si c'était de l'eau ou du vin qu'on leur présentait. Ceux
au contraire qui étaient chargés du service de la table, étaient à l'abri de
tout soupçon et n'avait qu'un soin, celui de préparer tout avec ordre et
intelligence. Aussi est-ce pour donner un témoin irrécusable du miracle qu'il
venait d'opérer, que Nôtre-Seigneur dit aux serviteurs : « Portez-en au maître
du festin, » parce que son palais n'était pas émoussé, et non pas : Servez
ce vin aux convives.
S. HIL. (de la Trin., 3.) C'est de l'eau que
l'on verse dans les urnes, et c'est du vin que l'on en retire avec les coupes ;
ceux qui ont rempli ces urnes diffèrent de sentiment avec ceux qui viennent y
puiser. Les premiers ne peuvent pas supposer qu'on puisse en retirer autre
chose que de l'eau ; ceux au contraire qui puisent dans ces urnes croient qu'on
les a remplies de vin : « Sitôt que le maître du festin eut goûté l'eau changée
en vin, ne sachant d'où il venait (mais les serviteurs qui avaient puisé l'eau
le savaient), il appela l'époux. » Ce ne fut pas un mélange, mais une
création. L'eau pure disparut pour faire place à un vin généreux ; ce n'est
point par le mélange d'une substance plus forte qu'on obtient une liqueur plus
faible ; la première substance est complètement détruite, et fait place à une
substance qui n'existait pas encore.
S. CHRYS. Nôtre-Seigneur voulait que le caractère
divin de ses miracles se révélât peu à peu ; aussi ne fait-il pas
connaître lui-même ce qui vient d'arriver. Le maître du festin n'appelle pas
non plus les serviteurs (car leur témoignage n'eût pas suffi pour faire
admettre un miracle aussi étonnant de la part de celui que l'on regardait comme
un homme ordinaire) ; il s'adresse à l'époux qui était beaucoup plus on mesure
de voir et d'apprécier ce qui venait de se faire. Or, ce n'est pas un vin
ordinaire, mais un vin excellent que Nôtre-Seigneur met à la place de l'eau : «
Et il lui dit : Tout homme sert d'abord le bon vin, » etc. En effet, un
des caractères des miracles de Jésus-Christ, c'est d'être beaucoup plus
éclatants et aussi plus utiles que les choses qui sont le produit ordinaire de
la nature. Les serviteurs furent témoins du changement de l'eau en vin, et le
maître du festin aussi bien que l'époux, jugèrent eux-mêmes de l'excellence de
ce vin. Il est probable que l'époux exprima sa reconnaissance en quelques
paroles, mais l'Evangéliste n'en dit rien, il se contente de rapporter ce qui
est nécessaire, c'est-à-dire, que Jésus a changé l'eau en vin, et il ajoute
aussitôt : « Ainsi Jésus fit à Cana, en Galilée, le premier de ses miracles. » (hom.
23.) C'était le moment, en effet, d'opérer des miracles, puisqu'il était
entouré de disciples parfaitement disposés et qui suivaient avec une grande
attention toutes les actions du Sauveur, (hom. 21.) Prétendrait-on qu'il
n'y a point de preuve suffisante que ce soit là le premier des miracles de
Jésus, parce que l'Evangéliste ajoute : « A Cana, en Galilée, » ce qui permet de
supposer qu'il en avait déjà fait ailleurs ? Nous répondrons en citant de
nouveau les paroles de Jean-Baptiste : « C'est pour qu'il fût manifesté en
Israël, que je suis venu baptiser dans l'eau. » (Jn 1, 31.) Si le
Sauveur avait fait des miracles dans sa première enfance, les Israélites
n'auraient pas eu besoin qu'on vînt le leur révéler. La multitude des miracles
que fit Jésus dans un court espace de temps, lui donnèrent une si grande
célébrité, que son nom était connu dans toute la Judée. Mais sa réputation eût
été mille fois plus grande s'il avait commencé à faire des miracles dès ses
premières années, car des miracles faits par un enfant eussent paru plus
surprenants et ils auraient eu beaucoup plus de temps pour se répandre. Mais il
convenait qu'il ne fit point de miracles dès son enfance, car on eût refusé de
croire à son incarnation, et la jalousie extrême de ses ennemis les aurait
portés à le crucifier avant le temps qu'il avait marqué.
S. AUG. (Traité 9 sur S. Jean.) Ce
miracle par lequel Nôtre-Seigneur a changé l'eau en vin, n'a rien d'étonnant
pour ceux qui savent que c'est Dieu qui agit lui-même. Il opère aux noces de
Cana, dans les urnes pleines d'eau, ce qu'il fait tous les ans dans les ceps de
nos vignes, nous n'admirons pas cette dernière transformation, parce qu'elle
s'accomplit chaque année sous nos yeux ; Dieu s'est donc réservé de nouveaux
prodiges pour réveiller les hommes de leur assoupissement, et leur rappeler
l'adoration qu'ils lui doivent, voilà pourquoi l'Evangéliste ajoute : « Et il
manifesta sa gloire. » — ALCUIN. C'est qu'en effet, il est le roi de gloire qui
change les éléments aveu une puissance souveraine. — S. CHRYS. (hom. 23.)
Voilà ce qu'il a fait, de son côté du moins, pour manifester sa gloire. Si ce
miracle fut alors inconnu d'un grand nombre, tout l'univers devait dans la
suite l'entendre raconter.
« Et ses disciples crurent en lui. » Ils devaient,
en effet, croire avec plus de facilité, et examiner avec plus d'attention les
faits dont ils étaient témoins. — S. AUG. (de l'acc. des Evang., 2, 17.)
Mais si leur foi en Jésus-Christ ne date que de ce miracle, ils n'étaient donc
pas encore ses disciples, lorsqu'ils se rendirent à ces noces ? Il faut donc
voir ici une manière de parler semblable à celle que nous employons, lorsque
nous disons que l'apôtre saint Paul est né à Tarse, en Cilicie, car il est
évident qu'il n'était pas Apôtre au moment de sa naissance. De même lorsque
nous lisons dans l'Evangile, que les disciples de Jésus-Christ furent invités à
ces noces, nous devons entendre qu'ils n'étaient pas encore ses disciples, mais
qu'ils devaient le devenir plus tard.
S. AUG. (Traité 9 sur S. Jean.) Considérez
maintenant les mystères qui sont renfermés dans ce miracle du Seigneur; toutes
les prédictions qui avaient Jésus-Christ pour objet devaient recevoir en lui
leur accomplissement. C'était de l'eau qu'il avait sous les yeux, et il a changé
cette eau en vin lorsqu'il ouvrit l'intelligence de ses Apôtres et qu'il leur
expliqua les Ecritures. (Lc 24) C'est ainsi qu'il donne de la saveur à
ce qui était insipide, et une force enivrante à ce qui n'en avait aucune. —
BEDE. Au moment où le Seigneur se manifesta dans le mystère de son incarnation,
la saveur généreuse du vin de la loi perdait insensiblement de sa force
première par suite de l'interprétation toute charnelle des pharisiens. — S.
AUG. (Traité précéd.) S'il avait fait répandre l'eau qui était dans les
urnes pour la remplacer par un vin qu'il aurait tiré des trésors cachés de la
création, il aurait paru condamner les livres de l'Ancien Testament. Mais au
contraire, il change cette eau en vin, et nous démontre ainsi qu'il est l'auteur
de l'Ancien Testament, car c'est par son ordre que les urnes ont été remplies d'eau. Mais cette
eau reste sans saveur si la foi n'y découvre pas le Christ. Nous savons que les
livres de la loi comprennent tout le temps qui s'est écoulé depuis le
commencement du monde, que ce temps se partage en six époques, et que nous
sommes dans la sixième de ces époques. La première se compte d'Adam jusqu'à Noé
; la seconde, de Noé à Abraham ; la troisième, d'Abraham à David ; la quatrième
de David jusqu'à la captivité de Babylone ; la cinquième de la captivité de
Babylone jusqu'à Jean-Baptiste ; la sixième, de Jean-Baptiste à la fin du
monde. Les six urnes sont donc la figure des six âges du monde pendant lesquels
la prophétie n'a pas fait défaut. Les urnes pleines représentent les prophéties
accomplies. Mais que signifie cette circonstance qu'elles contenaient deux ou
trois mesures ? Si l'Evangéliste n'avait dit que trois mesures, notre esprit,
sans chercher ailleurs, s'arrêterait au mystère de la Trinité. Mais de ce qu'il
s'est exprimé autrement, en disant : « Deux ou trois, » ce n'est pas une
raison pour abandonner cette interprétation, car là où le Père et le Fils sont
nommés, on doit y joindre aussi l'Esprit saint, qui est la charité mutuelle du
Père et du Fils. Voici une autre explication qu'on peut encore donner. Les deux mesures peuvent représenter les deux peuples, Juifs et Grecs, et les
trois mesures, les trois enfants de Noé.
ALCUIN. Les serviteurs sont les docteurs du Nouveau
Testament, chargés d'expliquer aux simples fidèles le sens spirituel des
Ecritures. Le président du festin, c'est tout homme versé dans la science de la
loi, comme Nicodème, Gamaliel, Saul. L'eau changée en vin que l'on présente au
maître du festin, c'est la doctrine de l'Evangile qui leur est confiée et qui était
comme cachée sous la lettre de la loi. Nous voyons à ce festin nuptial trois
espèces différentes de convives, parce que l'Eglise se compose de trois ordres
de fidèles ; les personnes mariées, les vierges et les docteurs. Nôtre-Seigneur
Jésus-Christ a gardé le bon vin pour la fin, parce qu'il a réservé l'Evangile
pour le sixième âge du monde.
S. CHRYS. (hom. 23 sur S. Jean.) Le
Seigneur, peu de temps avant d'aller à Jérusalem, se rend à Capharnaüm, pour ne
pas conduire partout avec lui ses frères et sa mère : « Après cela, il
descendit à Capharnaüm avec sa mère, ses frères et ses disciples, et ils n'y
demeurèrent que peu de jours. » — S. AUG. (Traité 10 sur S. Jean.) Tel
est le Seigneur notre Dieu, le Verbe de Dieu, le Verbe fait chair, le Fils du
Père, le Fils de Dieu, et en même temps le Fils de l'homme. Il est le
Très-Haut, et par-là même notre Créateur, il s'est fait humble pour nous
régénérer; il vit au milieu des hommes, il se soumet aux infirmités de leur
nature, et voile ainsi ses attributs divins. Il a une mère, il a des frères, il
a des disciples. Il a des frères, par la même raison qu'il a une mère. Or,
l'Ecriture a coutume de donner le nom de frères, non-seulement à ceux qui ont
un même père ou une même mère, mais encore à ceux qui sont nés au même degré de
deux frères ou de deux sœurs. Quelle était donc la parenté de ces frères avec
le Seigneur ?
car il est certain que Marie n'eût pas d'autres enfants, puisque c'est à elle
que remonte l'honneur de la virginité. Abraham était oncle de Loth (Gn 12),
et Jacob avait également pour oncle Laban le Syrien (Gn 13), et
cependant l'Ecriture leur donne à tous le nom de frères. — ALCUIN. Les frères
du Seigneur sont donc les cousins de Marie et de Joseph, et non pas leurs fils,
car non-seulement la bienheureuse Vierge, mais encore Joseph, le témoin de sa
chasteté, demeurèrent toujours étrangers à tout rapport conjugal.
S. AUG. (de l'acc. des Evang., 2, 17.)
L'Evangéliste ajoute : « Et ses disciples. » Veut-il entendre par là Pierre et
André, et les fils de Zébédée ? c'est ce qu'il est difficile de dire. En effet,
d'après saint Matthieu, Nôtre-Seigneur est venu d'abord à Capharnaüm, où il a
fixé son séjour ; et ce n'est qu'après qu'il aurait appelé à sa suite ces deux
disciples, occupés alors à la pèche. Saint Matthieu a-t-il donc simplement
récapitulé ce qu'il avait omis, comme le ferait supposer l'absence dans son
récit de désignation précise de temps : « En se promenant sur le bord de la mer
de Galilée, il vit deux frères ? » Ou bien les disciples dont il parle sont-ils
différents de Pierre et d'André, et des fils de Zébédée ? Ces deux explications
ont chacune leur probabilité. On sait, en effet, que les saints Evangiles et
les épîtres des Apôtres donnent le nom de disciples, non-seulement aux douze
Apôtres, mais à tous ceux qui croyaient en Jésus-Christ et que le divin Maître
instruisait des mystères du royaume des cieux. Comment encore saint Jean a-t-il
pu dire que Jésus se rendit en Galilée avant que Jean-Baptiste eût été mis en
prison, tandis que nous lisons dans saint Matthieu et dans
saint Marc : « Jésus, ayant appris que Jean avait été jeté en prison, il se
retira en Galilée ? » Saint Luc lui-même ne dit rien de l'emprisonnement de
Jean, et comme les deux premiers Evangélistes, il place le voyage de Jésus en
Galilée après son baptême et sa tentation. Nous répondons que les trois
premiers Evangélistes ne sont pas en opposition avec saint Jean, mais qu'ils
ont tout simplement passé sous silence le premier voyage du Sauveur en Galilée,
voyage qui suivit immédiatement son baptême, et où il changea l'eau en vin. —
EUSEBE. (Hist. éccles., 23, 24.) Lorsque Jean l'Evangéliste eut pris
connaissance des trois premiers évangiles, il confirma par son témoignage
l'authenticité de la doctrine et la véracité des faits qu'ils contenaient, mais
il y découvrit quelques lacunes, surtout pour les premiers temps de la
prédication du Sauveur. Il paraît certain, en effet, que les trois premiers
évangiles ne contiennent que les faits qui se sont passés l'année où
Jean-Baptiste a été jeté dans les fers et mis à mort. C'est pour cela que saint
Jean fut prié de transmettre par écrit les événements de la vie du Sauveur qui
avaient précédé l'emprisonnement de Jean-Baptiste, et un examen attentif découvrira
que les Evangiles ne se contredisent pas, mais que saint Jean et les trois
premiers Evangélistes racontent des faits qui se sont passés dans des temps
différents. — S. CHRYS. Nôtre-Seigneur ne fit alors aucun miracle à Capharnaüm,
parce que les habitants étaient fort mal disposés à son égard, et profondément
corrompus. Cependant il se rend dans cette ville et s'y arrête quelque temps,
par considération pour sa mère.
BEDE. Cependant ils n'y restèrent pas longtemps à
cause de la fête de
Pâques qui approchait, « Or, la pâque des Juifs était proche. » — ORIG. (Traité
10 sur S. Jean.) Mais pourquoi l'Evangéliste ajoute-t-il :
« Des Juifs, » puisqu'aucun autre peuple ne célébrait cette fête ? C'est
peut-être qu'il y avait une pâque toute humaine, que les hommes célébraient en
dehors de la volonté et de l'institution de Dieu, et une pâque véritable et
divine qui se célébrait en esprit et en vérité, et c'est pour distinguer cette
seconde pâque de la première, qu'il ajoute : « Des Juifs. »
« Et Jésus monta à Jérusalem. » D'après le récit
évangélique, Jésus se rendit deux fois à Jérusalem, une première fois, la
première année de sa vie publique, avant que Jean-Baptiste eût été jeté en
prison, et une seconde fois l'année de sa passion. Nôtre-Seigneur nous apprend ici
par son exemple la soumission parfaite que nous devons aux commandements de
Dieu. Si le Fils de Dieu a voulu accomplir les préceptes de la loi dont il
était l'auteur, en célébrant les fêtes légales comme les autres hommes, avec
quel soin et quelle exactitude ses serviteurs doivent-ils célébrer les saintes
solennités, et s'y préparer par la pratique des bonnes œuvres ?
ORIG. Dans le sens allégorique, c'est après la
préparation des noces à Cana, en Galilée, que Jésus, avec sa mère, ses frères
et ses disciples, descend à Capharnaüm, dont le nom signifie le champ de la
consolation. Après avoir donné le vin généreux qui augmente la force et
l'ardeur, il était convenable que le Sauveur vint avec sa mère et ses disciples
dans le champ de la consolation pour consoler et fortifier par l'espérance des
fruits à venir, et par la perspective des champs nombreux et fertiles ceux qui
embrassaient sa doctrine, et aussi l'âme de celle qui l'avait conçu du
Saint-Esprit. Ceux qui portent des fruits de salut voient descendre vers eux
Nôtre-Seigneur, avec les ministres de la parole sainte et ses disciples, et le
Seigneur vient les fortifier en présence de sa sainte mère, et souvent même par
son intercession. Ceux qui ont été conduits à Capharnaüm, ne supportent pas
longtemps la présence de Jésus, parce que le champ de la consolation terrestre
ne peut supporter l'éclat d'un grand nombre de vérités, et peut à peine en
recevoir quelques-unes. — alcuin. Ou bien encore, Capharnaüm signifie la
campagne très-belle, et figure le monde dans lequel le Verbe de Dieu a voulu
descendre.
BEDE. Nôtre-Seigneur n'y resta que peu de jours,
parce qu'en effet, il a passé peu de temps sur la terre au milieu des hommes. —
ORIG. (Traité 11 sur S. Jean.) Jérusalem, c'est la cité du grand
roi, comme l'atteste le Sauveur lui-même ; (Mt 5, 35) et aucun de
ceux-qui restent sur la terre ne peut monter ni entrer dans cette ville. Mais
toute âme qui s'élève à la perfection de sa nature, et arrive à comprendre les
vérités spirituelles, mérite d'habiter cette ville dans laquelle nous voyons
Jésus seul entrer. Ses disciples y sont présents eux-mêmes plus tard,
lorsqu'ils se rappellent ces paroles : « Le zèle de votre maison me
dévore, » mais c'est Jésus qui monte encore dans la personne de chacun de ses disciples.
BEDE. Aussitôt son arrivée à Jérusalem,
Nôtre-Seigneur se rend immédiatement au temple pour prier, et nous donne ainsi
l'exemple, quelque part que nous allions, de nous rendre aussitôt dans la
maison du Seigneur pour lui offrir nos prières : « Et il trouva, dit
l'Evangéliste, des hommes qui vendaient des bœufs, des brebis et des colombes.»
—S. AUG. (Traité 10 sur S. Jean.) Ces sacrifices que Dieu avait
imposés à ce peuple étaient en rapport avec ses inclinations charnelles, et
avaient pour but de le détourner du culte des idoles ; ils immolaient donc des
bœufs, des brebis et des colombes.
BEDE. Mais comme ceux qui venaient de loin ne
pouvaient porter avec eux les victimes qu'ils devaient immoler, ils en
apportaient le prix. C'est ce qui donna lieu à l'usage établi par les scribes
et les pharisiens de vendre les animaux destinés aux sacrifices ; les pèlerins
achetaient ces animaux et les offraient à Dieu, et les scribes et les
pharisiens les revendaient à d'autres après qu'ils avaient été offerts, et
augmentaient ainsi leurs bénéfices. Des changeurs se tenaient à leurs comptoirs
pour faciliter les transactions entre les acheteurs et les vendeurs, c'est pour
cela que l'Evangéliste ajoute : « Et les changeurs assis à leurs tables. » Le
Seigneur ne veut pas souffrir dans sa maison le moindre trafic terrestre,
n'eut-il rien que de légitime, et il chasse dehors, sans distinction, tous les
trafiquants. — S. AUG. Il flagelle le premier ceux qui devaient un jour le
flageller : « Et ayant fait comme un fouet avec des cordes, il les chassa tous
du temple, » etc. — THEOPHYL. Il jette dehors non-seulement les acheteurs et
les vendeurs, mais tout ce qui leur appartenait : « Les brebis, les bœufs , et
il jeta par terre l'argent des changeurs,
et renversa leurs tables, » c'est-à-dire les comptoirs qui contenaient leur
argent.
ORIG.
Examinons sérieusement cette action qui peut nous paraître excessive, puisque
nous y voyons le Fils de Dieu se faire un fouet avec des cordes pour chasser
ces vendeurs hors du temple. A toutes les difficultés qu'on pourrait objecter,
nous aurons toujours pour réponse la puissance divine de Jésus, qui pouvait,
lorsqu'il le voulait, réprimer la fureur de ses ennemis, malgré leur nombre, et
apaiser l'agitation tumultueuse de leurs esprits ; « car le Seigneur dissipe
les desseins des nations, il rend vaines les pensées des peuples, et il
renverse les conseils des princes. » (Ps 32, 10.) Ce fait ne le cède en
rien aux miracles les plus éclatants de la vie du Sauveur, on peut même assurer
qu'il y déploie une puissance plus grande que lorsqu'il changea l'eau en vin ;
car dans ce dernier miracle, il agit sur une matière inanimée, tandis que dans
le premier, c'est sur des milliers d'hommes qu'il exerce sa domination.
S.
AUG. (de l'acc. des Evang., 2, 67.) Il est évident que le fait dont il
s'agit s'est répété deux fois, saint Jean raconte ici le premier, et les trois
autres Evangélistes le second. — ORIG. D'après saint Jean, le Sauveur ne chassa
que les vendeurs, tandis que saint Matthieu y joint les acheteurs. Or, le
nombre des acheteurs était beaucoup plus considérable que celui des vendeurs,
et il fallait pour les chasser hors du temple, une puissance supérieure à celle
du fils d'un charpentier, comme on l'appelait ; aussi était-ce par un effet de
la puissance divine, qu'il commanda, comme nous l'avons dit, à toute cette
multitude.
BEDE. Nous voyons ici clairement les deux natures en
Jésus-Christ, la nature humaine, parce qu'il est accompagné de sa mère ; et la
nature divine, parce qu'il se déclare le vrai Fils de Dieu. En effet, écoutons
la suite : « Et il dit à ceux qui vendaient des colombes : Emportez cela
d'ici, et ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic. » — S.
CHRYS. (hom. 22 sur S. Jean.) Il appelle Dieu son Père, et ils ne
s'irritent point contre lui, parce qu'ils prennent cette appellation dans le
sens le moins rigoureux. Mais lorsque plus tard, il s'exprimera plus
clairement, de manière à leur faire comprendre qu'il est égal et consubstantiel
à son Père, ils donneront un libre cours à leur fureur. Saint Matthieu ajoute
qu'en les chassant, il disait : « Cessez de faire de cette maison une caverne
de voleurs. » Il parlait ainsi aux approches de sa passion, et son langage
était plus sévère. Au contraire, le fait raconté par saint Jean avait lieu au
début de sa vie publique et pleine de miracles ; aussi ses expressions sont
moins dures, et ses reproches plus modérés.
S. AUG. (Traité 10 sur S. Jean.) Ce
temple n'était encore qu'un temple figuratif, et le Seigneur en chasse tous
ceux qui venaient y faire le trafic. Et qu'y vendaient-ils ? Les victimes
nécessaires aux sacrifices alors en usage. Qu'aurait fait Jésus-Christ s'il y
avait trouvé des hommes plongés dans l'ivresse ? Si la maison de Dieu ne doit
pas être une maison de commerce , doit-on en faire une maison de buveurs?
S. CHRYS. (hom. précéd.) Mais pourquoi
Nôtre-Seigneur manifeste-t-il un si grand courroux ? Il devait opérer des
guérisons le jour du sabbat, et faire un grand nombre d'œuvres qui paraissaient
aux Juifs une véritable transgression de la loi de Dieu. C'est donc pour leur
prouver qu'il n'est point en opposition avec Dieu, qu'il chasse, au péril de sa
vie, les marchands hors du temple, et il donne à comprendre que celui qui
s'expose ainsi au danger pour défendre l'honneur de la maison, ne peut être
accusé de mépriser le maître de la maison ; aussi pour montrer la parfaite
harmonie qui règne entre Dieu et lui, il ne dit pas : La maison sainte, mais :
« La maison de mon Père. » C'est pour la même raison que l'Evangéliste ajoute :
« Ses disciples se ressouvinrent alors qu'il est écrit : Le zèle de votre
maison me dévore. » — BEDE. En effet, les disciples, témoins de ce zèle si
ardent, se ressouvinrent que c'était le zèle pour la maison de son Père, qui
lui faisait chasser les impies hors du temple. — ALCUIN. Le zèle, pris en bonne
part, est une certaine ardeur de l'âme qui l'enflamme du désir de défendre la
vérité en méprisant toute crainte des hommes. — S. AUG. Celui qui est dévoré du
zèle de la maison de Dieu s'efforce d'en bannir tout ce qui pourrait la
déshonorer, et si cela lui est impossible, il gémit en souffrant un mal qu'il
ne peut empêcher ; vous prenez soin qu'aucune action mauvaise ne se fasse dans
votre maison, devez-vous donc la souffrir, si vous pouvez l'empêcher dans la
maison de Dieu, où le salut éternel vous est annoncé ? Est-ce votre ami qui lui
manque de respect ? avertissez-le avec douceur; est-ce votre épouse ? mettez un
frein sévère à sa légèreté ; est-ce votre servante ? employez même les
châtiments extérieurs pour la maintenir ; en un mot, faites tout ce que vous
pouvez, eu égard à la position que vous occupez.
ALCUIN. Dans le sens allégorique, Dieu entre tous
les jours dans sa maison pour y considérer la manière dont chacun s'y conduit.
Gardons-nous donc de nous laisser aller dans l'Eglise de Dieu à des futilités,
à des rires, à des haines, à des désirs passionnés, si nous ne voulons qu'il ne
vienne à l'improviste nous chasser à coups de fouet hors de sa maison. — ORIG.
Il peut arriver, en effet, que même un habitant de Jérusalem tombe dans cette
faute, et que les plus intelligents comme les plus instruits s'écartent du
droit chemin, et s'ils ne reviennent au plutôt de leurs erreurs, ils perdent la
force et la pénétration de leur esprit. Jésus trouve donc quelquefois dans le
temple (c'est-à-dire, au milieu des fonctions saintes et dans l'exercice de la
prédication de la parole divine), des hommes qui font de la maison de son Père
une maison de commerce. Ils mettent en vente les bœufs qu'ils auraient dû
réserver pour la charrue et empêcher de retourner en arrière pour les rendre
propres au royaume de Dieu. Il en est aussi qui préfèrent les richesses
d'iniquité aux brebis qui auraient pu suffire à leur entretien et à leur
ornement. Il en est enfin qui dédaignent la simplicité et l'innocence, et leur
préfèrent l'amertume du cœur et les emportements de la colère, et pour un vil
motif d'intérêt, ils sacrifient la fidélité de ceux qui sont figurés par les
colombes. Lorsque le Sauveur trouve ces hommes dans la maison sainte, il fait
un fouet avec des cordes et les chasse dehors avec leurs brebis ; il jette à
terre leur argent, renverse les comptoirs dressés dans l'âme des avares, et
défend de vendre désormais des colombes dans la maison de Dieu. Ce fait
renferme encore, si je ne me trompe, un enseignement mystérieux et caché. Jésus
veut nous faire comprendre que les sacrifices que Dieu exigeait des prêtres ne
devaient plus être conformes aux sacrifices extérieurs de la loi, et que la loi
elle-même ne serait plus observée comme le voulaient les Juifs encore charnels.
En chassant les bœufs et les brebis, en commandant d'emporter les colombes, qui
étaient les victimes ordinaires des Juifs ; en renversant les tables couvertes
de cette monnaie matérielle qui était la figure indirecte de la loi divine,
c'est-à-dire, de ce qui était honnête et licite, à ne consulter que la lettre
de l'Ecriture ; enfin en prenant un fouet pour chasser le peuple du temple,
Nôtre-Seigneur nous apprenait que tout ce qui faisait partie de l'ancienne loi
devait être détruit et dispersé, et que le royaume ou le sacerdoce des Juifs
devait être transféré à ceux qui, parmi les nations, ont embrassé la foi.
S. AUG. Ou bien encore, ces vendeurs dans l'Eglise
sont ceux qui cherchent leurs intérêts, et non les intérêts de Jésus-Christ. (Ph
2) Tout est vénal chez eux parce qu'ils veulent être payés de tout.
Pourquoi Simon voulait-il acheter l'Esprit saint ? Parce qu'il voulait le
vendre. Il était du nombre de ceux qui vendent les colombes, car c'est sous la
forme d'une colombe que l'Esprit saint a voulu apparaître, cette colombe ne se
vend pas, elle se donne gratuitement, parce qu'elle s'appelle grâce. — BEDE.
Ceux-là donc vendent les colombes, qui ne donnent pas gratuitement, comme Dieu
l'ordonne, la grâce de l'Esprit saint, mais qui la vendent à prix d'argent ; ou
bien si ce n'est point à prix d'argent, c'est pour un vain désir de popularité
qu'ils accordent l'imposition des mains qui appelle le Saint-Esprit dans les
âmes, et ils confèrent les saints ordres, non d'après le mérite de la vie, mais
en sacrifiant à la faveur ou à la complaisance. — S. AUG. Les bœufs
représentent les Apôtres et les prophètes, par le moyen desquels Dieu nous a
transmis les saintes Ecritures. Ceux donc qui se servent des Ecritures pour
tromper la multitude, afin d'en recevoir des honneurs, vendent les bœufs, les
brebis, c'est-à-dire, les peuples eux-mêmes ; et à qui les vendent-ils ? au
démon, car tout ce qui est détaché de l'Eglise qui est une, est emporté par le
démon qui, comme un lion rugissant, tourne autour de nous, cherchant quelqu'un
à dévorer. (1 P 5, 8.) — BEDE. Ou bien, les brebis sont les œuvres
d'innocence et de piété. Vendre les brebis, c'est donc pratiquer la piété en
vue des louanges des hommes ; les changeurs d'argent dans le temple sont ceux
qui se livrent publiquement dans l'Eglise aux intérêts de la terre. On fait
encore de la maison du Seigneur une maison de commerce, non-seulement quand on
confère les saints ordres pour recevoir en échange de l'argent, des louanges,
des honneurs, mais encore quand on exerce le ministère tout spirituel qu'on
tient de Dieu, avec une intention qui n'est pas droite, et en vue d'une
récompense toute humaine.
S. AUG. L'action de Nôtre-Seigneur, faisant un fouet
avec des cordes pour chasser les vendeurs hors du temple, renferme un sens
mystérieux et caché. Tout homme qui ne cesse d'ajouter de nouveaux péchés à
ceux qu'il a commis, se fait comme une corde de ses iniquités. Lors donc que
les hommes souffrent parce qu'ils sont coupables, qu'ils reconnaissent que Dieu
se fait comme un fouet avec des cordes, et les avertit de changer de conduite,
sinon ils entendront à la fin de leur vie cette parole terrible : « Liez-lui
les mains et les pieds. » (Mt 22) — BEDE. Après avoir fait un fouet avec
des cordes, il chasse les vendeurs hors du temple, c'est-à-dire, qu'il exclut
du sort et de l'héritage des saints ceux qui se trouvant mêlés parmi les saints
pratiquent la vertu par hypocrisie ou commettent ouvertement le mal. Il chasse
également les brebis et les bœufs pour montrer que leur vie comme leur doctrine
sont également dignes de condamnation. Il jette à terre l'argent des changeurs, et renverse leurs
tables, parce que les réprouvés à la fin du monde se verront enlever jusqu'à la
figure de ce qu'ils avaient aimé. Il commande de faire disparaître du temple la
vente des colombes, pour nous apprendre que la grâce de l'Esprit saint que nous
recevons gratuitement, doit aussi être donnée gratuitement.
ORIG. Le temple peut encore être considéré comme la
figure de l'âme attentive à son salut, parce que la parole de Dieu habite en
elle, et qui avant d'avoir reçu les divins enseignements de Jésus-Christ,
servait d'habitation aux passions terrestres et aux instincts des animaux sans
raison. Le bœuf qui sert à la culture des champs, est le symbole des passions
de la terre, la brebis, le plus stupide des animaux, est la figure des
mouvements contraires à la raison ; la colombe est l'image des âmes légères et
inconstantes, et les pièces d'argent, la figure de ceux qui portent l'apparence
de la vertu, et que Jésus-Christ chasse par sa divine doctrine en défendant que
la maison de son Père soit plus longtemps une place publique.
THEOPHYL. Les Juifs voyant Jésus agir avec une si
grande puissance, et dire hautement : « Cessez de faire de la maison de
mon Père une maison
de trafic, » lui demandent un miracle. « Les Juifs prenant la parole, lui
dirent : Par quel miracle nous prouvez-vous que tous avez le droit de faire ces
choses ? » — S. CHRYS. (hom. 22.) Etait-il donc besoin d'un miracle
pour lui donner le droit de mettre fin à des actions coupables ? Le zèle ardent
qu'il faisait paraître pour la maison de Dieu, n'était-il pas une preuve
éclatante de sa puissance ? Ils se souvenaient bien de la prédiction du
prophète, mais ils ne laissent pas de lui demander un miracle, parce qu'ils
sont mécontents de le voir entraver le honteux trafic auquel ils se livraient
dans le temple et qu'ils veulent l'empêcher d'exercer cette puissance. Ils ont
la prétention de le déterminer ou à faire un miracle, ou à revenir sur la
défense qu'il leur a faite. Aussi Nôtre-Seigneur ne leur accorde pas le miracle
qu'il demande. Il leur répond comme il fera plus tard à ceux qui venaient lui
demander un prodige dans le ciel : « Cette génération coupable et adultère
demande un signe, et il ne lui sera donné d'autre signe que celui du prophète
Jonas. » (Mt 12) C'est la même réponse de part et d'autre,
mais dans cette dernière circonstance, le Sauveur s'exprime plus clairement,
tandis qu'ici sa réponse a quelque chose de plus obscur. Sans nul doute il eut
accédé à leur demande, lui qui multipliait les miracles avant même qu'on le lui
demandât, s'il n'avait remarqué tout ce que leur âme renfermait de fourberie :
« Il leur dit donc : Détruisez ce temple, et je le relèverai en trois jours. »
— BEDE. Ils demandent à Nôtre-Seigneur un signe qui établit le droit qu'il se
donnait de défendre dans le temple le trafic qui s'y faisait ordinairement ; et
il leur répond que ce temple était la figure de son corps dans lequel on ne
pourrait trouver la moindre tache du péché. Voici donc le sens de ses paroles :
de même que je purifie ce temple inanimé du trafic coupable et des crimes dont
vous le souillez, ainsi je ressusciterai après trois jours, lorsque tous
l'aurez détruit de vos propres mains, ce temple de mon corps, dont ce temple
matériel est la figure.
THEOPHYL. Ces paroles : «Détruisez ce temple» ne
sont pas toutefois une provocation à l'homicide, mais une preuve que leurs
desseins criminels ne lui sont pas inconnus. Or, que les ariens écoutent cette
parole du Seigneur qui vient détruire l'empire de la mort : « Je le
relèverai par ma propre puissance. » — S. AUG. (Traité 10 sur S.
Jean.) C'est aussi Dieu le père qui l'a ressuscité, comme il le lui demande
dans le livre des Psaumes : « Ressuscitez-moi, et je le leur rendrai. » (Ps 40,
10.) Mais que fait le Père sans le Verbe ? De même donc que le Père ressuscite
le Fils, le Fils aussi se ressuscite lui-même, car le Fils a dit : « Mon père
et moi nous ne sommes qu'un. » (Jn 10) — S. CHRYS. (hom. 22.)
Mais pourquoi leur donne-t-il de préférence le signe de sa résurrection ? Parce
que ce miracle était celui de tous qui prouvait invinciblement qu'il n'était
pas seulement un homme, qu'il pouvait triompher de la mort, et détruire d'un
seul coup l'empire tyrannique qu'elle exerçait depuis si longtemps.
ORIG. (Traité 12 sur S. Jean.) Ces
deux choses, le corps de Jésus et le temple, me paraissent être la figure de
l'Eglise qui est construite de pierres vivantes pour former une maison
spirituelle, un sacerdoce saint ; et aussi conformément à ces autres paroles: «
Vous êtes le corps de Jésus-Christ et les membres les uns des autres. » (1 Co
12, 27.) Cet édifice de pierre semble renversé, et les os du Christ
semblent dispersés par le vent des adversités et des tribulations, mais il sera
rétabli et ressuscitera le troisième jour qui doit répandre ses clartés sur un nouveau
ciel et sur une nouvelle terre. De même que le corps sensible de Jésus-Christ a
été crucifié et enseveli avant de ressusciter, ainsi le corps mystique du
Sauveur composé de tous les saints a été crucifié avec lui. Aucun d'eux, en
effet, qui se glorifie en autre chose qu'en la croix de Nôtre-Seigneur
Jésus-Christ, par laquelle il est crucifié pour le monde. (Ga 6, 14.)
Aucun d'eux également qui ne soit enseveli avec Jésus-Christ, et ne ressuscite
avec lui, parce qu'il marche dans une sainte nouveauté de vie (Rm 6) ;
mais aucun d'eux cependant n'a encore eu part à la bienheureuse résurrection.
Aussi n'est-il point écrit : Je le rétablirai le troisième jour, mais : « dans
trois jours, » pour marquer que la restauration de ce temple s'accomplira
pendant toute la durée de ces trois jours. THEOPHYL. — Les Juifs qui
s'imaginaient qu'il parlait du temple matériel, se moquaient de lui. « Les
Juifs répartirent : On a mis quarante-six ans à bâtir ce temple, et vous le
rebâtirez en trois jours ? »
ALCUIN. Remarquez que les Juifs ne veulent point
parler ici de la première construction du temple par Salomon, et qui dura sept
ans, mais de sa reconstruction par Zorobabel, qui se prolongea pendant
quarante-six ans au milieu des obstacles sans nombre que les ennemis ne
cessaient d'y apporter. (Esd 1, 4.) — ORIG. Il en est qui prétendent
qu'on peut compter ces quarante-six ans du jour où David consulta le prophète
Nathan sur la construction du temple, s'occupant dès lors d'amasser les
matériaux nécessaires. Ne serait-il pas même possible que ce nombre quarante
appliqué au temple soit la figure des quatre éléments du monde, et le nombre
six le symbole du sixième jour où l'homme fut créé ? — S. AUG. (de la
Trinité, chap. 5.) On peut dire encore que ce nombre exprime convenablement
la perfection du corps du Seigneur. En effet, six fois quarante-six font deux cent
soixante-seize, c'est-à-dire neuf mois et six jours. Or, c'est justement le
temps que le corps de Jésus se développa dans le sein de sa mère jusqu'au jour
de sa naissance, comme nous pouvons le conclure delà tradition de nos ancêtres,
tradition que l'Eglise a revêtue de son autorité. C'est en effet, le huitième
jour des calendes d'avril, c'est-à-dire le vingt-cinq mars, que l'on croit que
Jésus fut conçu et souffrit la mort, et c'est le huitième jour des calendes de
janvier, c'est-à-dire le vingt-cinq décembre, qu'il est né. Depuis le jour de
sa conception jusqu'à celui de sa naissance, on compte donc deux cent
soixante-seize jours que l'on obtient par le nombre quarante-six multiplié par
six. — S. AUG. (Liv. des 88 quest., quest. 6.) Tels sont, dît-on,
les phénomènes progressifs de la conception de l'homme ; pendant les six
premiers jours son corps, a l'apparence du lait ; durant les neuf jours
suivants ce lait se change en sang ; ce sang se coagule pendant les douze jours
qui suivent ; puis les organes se forment et les contours des membres se
dessinent pendant dix-huit autres jours, et le corps continue à se développer
le reste du temps jusqu'à l'époque de l'enfantement. Or, les nombres six, neuf,
douze, dix-huit additionnés ensemble, font quarante-cinq ; et en ajoutant un,
quarante-six. Si on multiplie quarante-six par le nombre six qui se trouve en
tête de cette addition, on obtient deux cent soixante-seize, c'est-à-dire neuf
mois et six jours. Ce n'est donc point sans raison qu'on a mis quarante-six ans
à construire le temple qui était la figure du corps du Sauveur, mais pour que
les années de sa construction fussent le symbole et l'image des jours pendant lesquels
le corps du Seigneur atteignit sa perfection.
S. AUG. (Traité 10 sur S. Jean.) Ou
bien encore, Notre Seigneur a reçu son corps d'Adam, mais sans en prendre le
péché. Il a donc reçu de lui le temple de son corps, mais non l'iniquité qui
doit être bannie de ce temple. Si vous prenez les quatre mots grecs άνατολή,
orient ; δύσις, l'occident ;
άρχρτς, le septentrion ;
μεσημξρία, le midi ; et que vous
réunissiez les quatre premières lettres de ces mots, vous avez le nom d'Adam.
Aussi le Seigneur nous déclare qu'il rassemblera ses élus des quatre vents,
lorsqu'il viendra juger les hommes. Les lettres qui servent à former le nom
d'Adam, correspondent en grec au nombre quarante-six qui est le nombre d'années
qu'a duré la construction du temple. Ce nom, en effet, est composé de α,
c'est-à-dire un ; de δ, quatre ; de α, c'est-à-dire un ; de y,
quarante ; ce qui fait en tout quarante-six. Mais les Juifs, esclaves des
inclinations de la chair, ne pouvaient goûter que les choses charnelles, et ne
comprenaient pas le langage spirituel du Sauveur. Aussi l'Evangéliste nous
explique de quel temple il voulait parler : « Mais Jésus voulait parler du
temple de son corps. »
THEOPHYL. Apollinaire nous oppose ce texte pour
prouver que la chair de Jésus-Christ était inanimée, parce que le temple auquel
il la compare était lui-même inanimé. Dites donc alors que la chair de Jésus
était un composé de pierres et de bois, puisque tels sont les éléments qui
entrent dans la construction du temple. Vous prétendez que ces paroles : « Mon
âme est troublée, » etc. (Jn 12) « J'ai le pouvoir de donner mon âme, »
etc. (Jn 10) ne doivent point s'entendre d'une âme raisonnable ; dans
quel sens prendrez-vous donc ces paroles : « Seigneur, je remets mon âme
entre vos mains ? » (Lc 23) Car vous ne pouvez pas davantage l'entendre
d'une âme raisonnable, pas plus que ces autres paroles : « Vous ne laisserez
pas mon âme dans l'enfer. » (Ps 15) — ORIG. Le corps du Seigneur est ici
appelé le temple de Dieu, parce que de même que le temple de Dieu était rempli
de la gloire de Dieu qui l'habitait, ainsi le corps de Jésus-Christ qui
représente l'Eglise contient le Fils unique, qui est l'image substantielle de
la gloire de Dieu.
S. CHRYS. (hom. 22 sur S. Jean.) Deux
choses s'opposaient à ce que les disciples comprissent parfaitement le sens de
ces paroles : la première, c'était le fait même de la résurrection ; la
seconde, c'est que Dieu lui-même habitait le temple de son corps, ce que le
Seigneur avait exprimé en termes mystérieux et cachés, en disant : « Détruisez
ce temple, et je le relèverai en trois jours. » Aussi ajoute-t-il : « Lors donc
qu'il fut ressuscité d'entre les morts, ses disciples se ressouvinrent qu'il
avait dit cela, et ils crurent à l'Ecriture et à la parole qu'avait dite
Jésus.» — ALCUIN. Avant la résurrection, ils ne comprenaient pas les Ecritures,
parce qu'ils n'avaient pas encore reçu l'Esprit saint, et « l'Esprit saint
n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié. » (Jn
7) Mais le jour de sa résurrection, Notre-Seigneur apparut à ses disciples,
et leur ouvrit l'intelligence pour comprendre ce que la loi et les prophètes
avaient prédit de lui. (Lc 24) « Et ils crurent alors à l'Ecriture,
» (c'est-à-dire aux prophètes qui avaient prédit qu'il ressusciterait le
troisième jour), et à la parole que Jésus leur avait dite : « Détruisez ce
temple, » etc.
ORIG. Dans le sens analogique, nous parviendrons au
complément de la foi, au jour de la grande résurrection du corps entier de
Jésus, c'est-à-dire de son Eglise ; car la foi qui voit Dieu tel qu'il est, est
bien différente de celle qui ne le voit que comme dans un miroir et sous des
images obscures.
BEDE. L'Evangéliste vient de raconter ce qu'avait
fait le Sauveur en arrivant à Jérusalem, il fait connaître maintenant la
conduite qui fut tenue à son égard pendant son séjour à Jérusalem :
« Lorsque Jésus était à Jérusalem, » etc. — ORIG. Il nous faut examiner
comment la vue des miracles dont ils furent témoins en détermina un grand
nombre à croire en lui ; car nous ne lisons pas qu'il ait fait aucun miracle à
Jérusalem, à moins qu'il n'en ait fait sans que l'Evangile les ait rapportés.
C'est à vous de voir si l'on ne doit pas mettre au nombre des miracles l'action
de Jésus faisant un fouet avec des cordes, et chassant les marchands hors du
temple.
S. CHRYS. (hom. 22.) Les disciples qui
s'étaient attachés à Jésus-Christ, non pour ses miracles, mais pour sa
doctrine, avaient été les mieux inspirés. En effet, les esprits vulgaires sont
attirés par l'éclat des miracles, tandis que les âmes plus élevées sont
beaucoup plus sensibles
à la vérité des prophéties ou de la doctrine. Aussi l'Evangéliste ajoute : «
Mais Jésus ne se fiait pas à eux. » — S. AUG. (Traité 11) Que signifient
ces paroles ? « Ils croyaient au nom de Jésus, et Jésus ne se fiait pas à eux ?
» Est-ce qu'ils ne croyaient pas en réalité, et que leur foi n'était
qu'apparente ? Mais alors l'Evangéliste n'aurait pas dit aussi expressément :
« Beaucoup crurent en son nom. » Chose extraordinaire et
merveilleuse ! Les hommes croient en Jésus-Christ, et Jésus-Christ ne se
fie pas aux hommes. C'est surtout parce qu'il est le Fils de Dieu ; s'il a
souffert, c'est parce que telle était sa volonté, et s'il ne l'avait pas voulu,
il n'eût jamais souffert. Or, tels sont tous les catéchumènes. Si nous
demandons à un catéchumène : Croyez-vous en Jésus-Christ ? il répond : je
crois, et fait sur lui le signe de la croix. Si nous lui faisons cette question
: Mangez-vous la chair du Fils de l'homme ? Il ne sait ce que nous lui disons,
parce que Jésus ne s'est pas encore confié à lui. — ORIG. On peut dire encore
que Jésus ne se fie pas à ceux qui croient en son nom, mais qui ne croient pas
encore en lui ; car ceux-là seuls croient en lui qui suivent la voie étroite
qui conduite la vie. (Mt 7) Ceux dont la foi ne repose que sur les
miracles ne croient pas en lui, mais en son nom.
S. CHRYS. (hom. 22.) Ou bien encore,
l'Evangéliste s'exprime de la sorte, parce que Jésus ne se fiait pas à eux,
comme il se fie à des disciples parfaits, il ne leur confiait pas encore tous
ses dogmes, comme ù des fidèles fortement affermis dans la foi ; car il ne
s'arrêtait pas aux paroles qui sortent de la bouche, il pénétrait jusqu'au fond
des cœurs, et savait parfaitement le moment favorable pour ses divines
communications. C'est pour cela que l'auteur sacré ajoute : « Parce qu'il les
connaissait tous, et qu'il n'avait pas besoin que personne lui rendit
témoignage d'aucun homme, car il savait lui-même ce qu'il y avait dans l'homme.
» En effet, il n'appartient qu'à Dieu, qui seul a formé les cœurs des hommes,
de connaître ce qu'ils renferment de plus intime. Il n'avait donc nul besoin de
témoignages étrangers pour lui apprendre les pensées secrètes des cœurs qu'il
avait créés.
S. AUG. (Traité 11.) Ce divin ouvrier
connaissait mieux ce qui était dans son œuvre, que l'œuvre ne pouvait le
connaître elle-même. Ainsi Pierre sentait bien ce qui se passait au fond de son
cœur, lorsqu'il disait à Jésus : « Je vous suivrai jusqu'à la mort, » (Jn
13) mais Nôtre-Seigneur savait bien mieux ce qui était dans l'homme,
lorsqu'il lui répondait : « Avant que le coq chante, vous me renierez
trois fois. » — BEDE. Avertissement salutaire de ne jamais nous reposer
entièrement sur le témoignage de notre conscience, mais d'être toujours dans
une craintive sollicitude ; car ce qui demeure caché pour nous, ne saurait
échapper aux yeux du Juge éternel.
S. AUG. (Traité 12 sur S. Jean.) L'Evangéliste
venait de dire que pendant le séjour de Jésus à Jérusalem, beaucoup crurent en
son nom, en voyant les prodiges et les miracles qu'il opérait. De ce nombre
était Nicodème, un des pharisiens. — BEDE. (pour la fête de l'inv. de la
sainte croix.) Saint Jean nous fait connaître son rang et sa dignité : «
C'était un des chefs des Juifs, ». et la démarche qu'il fit : « Il vint de nuit
trouver Jésus. » Il désirait s'instruire plus à fond dans un entretien secret
des mystères de la foi, dont les miracles publics du Sauveur lui avaient fait
connaître les premiers éléments.
S. CHRYS. (hom. 24 sur S. Jean.) Cet
homme était encore esclave de la faiblesse judaïque, et il vient de nuit, parce
qu'il craignait de faire de jour cette démarche. C'est ce même motif de crainte
auquel l'Evangéliste fait allusion, lorsqu'il dit : « Cependant plusieurs
d'entre les princes mêmes crurent en lui, mais à cause des pharisiens, ils ne
le confessaient pas, de peur d'être chassés de la synagogue. » (Jn 12,
12.) — S. AUG. (Traité 12.) Nicodème était du nombre de ceux qui crurent en Jésus-Christ,
mais qui n'avaient pas encore reçu une nouvelle naissance, et c'est la raison
pour laquelle il vient de nuit. C'est à ceux qui sont nés de nouveau de l'eau
et de l'Esprit saint, que l'Apôtre dit : « Vous avez été autrefois
ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur. » — HAYM. Cette démarche
qu'il fait la nuit est parfaitement appropriée aux dispositions de son âme,
encore couverte des ténèbres de l'ignorance, et privée de cette vive lumière
qui le fit croire parfaitement au Dieu véritable ; car la nuit, dans la sainte
Ecriture, est le symbole de l'ignorance : « Et il lui dit : Maître, nous savons
que vous êtes un docteur envoyé de Dieu. » Le mot rabbi, en hébreu, a la
même signification que le mot magister, (maître) en latin. Il donne à
Jésus le nom de maître, et non celui de Dieu, parce qu'il le regardait comme
envoyé de Dieu, mais sans croire encore à sa divinité.
S. AUG. (Traité 12.) Quel motif l'avait porté
à croire ? le voici : « Car personne ne saurait faire les miracles que vous
faites, si Dieu n'est avec lui. » Nicodème faisait donc partie de ce grand
nombre de Juifs qui avaient cru au nom de Jésus, en voyant les miracles qu'il
opérait. — S. CHRYS. (hom. 24.) Cependant les prodiges ne lui donnent
pas encore une bien haute idée de Jésus, il avait de lui une opinion toute
humaine ; il en parle comme d'un prophète envoyé de Dieu pour une mission
spéciale, et qui a besoin pour la remplir d'un secours étranger, bien que son
Père, en l'engendrant de toute éternité, lui ait communiqué toute perfection,
qu'il se suffise à lui-même, et n'ait rien en lui d'imparfait. Comme le dessein
de Nôtre-Seigneur, pendant un certain temps, était moins de révéler sa
divinité, que de persuader qu'il n'était en rien contraire à son Père, son
langage est empreint
de ménagements et de modération, tandis qu'il déploie dans toutes ses actions
un pouvoir souverain. C'est pour cette raison qu'il ne révèle clairement à
Nicodème rien de sublime sur sa personne ; mais il corrige seulement l'opinion
peu relevée qu'il avait de lui, en lui apprenant qu'il n'a besoin de personne pour
opérer ses miracles : « Jésus lui répondit : « En vérité, en vérité, je vous le
dis, nul, s'il ne naît de nouveau, ne peut voir le royaume de Dieu. » — S. AUG.
(Traité 12.) Voilà ceux à qui Jésus se fie, à ceux qui sont nés de
nouveau, et ne viennent pas trouver Jésus de nuit, comme Nicodème. Jésus lui
dit donc : « Nul, s'il ne naît de nouveau, » etc. — S. CHRYS. (hom. 24.)
Paroles dont voici le sens : Comme vous n'êtes pas encore né de nouveau par la
génération spirituelle dont Dieu est l'auteur, la connaissance que vous avez de
moi est loin d'être spirituelle, elle est toute charnelle et toute humaine. Or,
je vous le déclare, ni vous, ni un autre, quel qu'il soit, ne pouvez, sans
cette nouvelle naissance qui vient de Dieu , comprendre la gloire dont je suis
environné, et vous restez nécessairement eu dehors du royaume ; car la
génération dont le baptême est le principe, répand les plus vives lumières dans
l'âme. Un peut encore suivre cette version : « Nul, à moins d'être né, » etc.,
c'est-à-dire votre naissance ne vient pas d'en haut, si vous n'avez pas reçu
une foi ferme et inébranlable aux vérités révélées, vous êtes hors de la voie,
et loin du royaume des cieux. Nôtre-Seigneur parle ici de lui-même, et veut
faire comprendre qu'il n'est pas seulement ce qu'il parait extérieurement, mais
qu'il est besoin d'autres yeux pour le voir tel qu'il est. Suivant les uns,
cette expression : d'en haut, signifie du ciel, suivant les
autres, dès le commencement. Si les Juifs avaient entendu cette
doctrine, ils auraient bien vite laissé Jésus eu se moquant de lui, mais Nicodème, en continuant d'interroger
Jésus-Christ, fait paraître l'amour d'un vrai disciple pour son maître.
S. chrys. (hom. 24.) Nicodème, en venant
trouver Jésus, ne voyait en lui qu'un homme, mais lorsqu'il l'entend exposer
des vérités supérieures à l'intelligence de l'homme, son esprit s'efforce de
s'élever à la hauteur de ces enseignements ; toutefois les ténèbres qui
couvrent son esprit ne lui permettent pas de s'y maintenir, il est encore dans
le doute et l'incertitude, et il objecte une espèce d'impossibilité, pour
engager Nôtre-Seigneur à s'expliquer plus clairement. Deux choses surtout le
jetaient dans l'étonnement : la nouvelle naissance et le royaume, choses
inouïes et inconnues parmi les Juifs. Nicodème s'attache surtout à la première
difficulté qui troublait le plus ses idées : « Et Nicodème lui dit :
Comment un homme peut-il naître lorsqu'il est vieux ? Peut-il rentrer dans le
sein de sa mère et naître de nouveau ? »
BEDE. L'observation de Nicodème semble indiquer que
dans sa pensée un enfant peut rentrer dans le sein de sa mère et naître de
nouveau. Mais il faut se rappeler qu'il était déjà avancé en âge, et qu'il se donne lui-même
comme exemple : Je suis déjà vieux, semble-t-il dire, je veux sincèrement
arriver au salut, comment donc puis-je rentrer dans le sein de ma mère et y
prendre une nouvelle naissance ? S. CHRYS. (hom. 24.) Quoi, vous
appelez Jésus, Maître et Docteur, vous reconnaissez qu'il est envoyé de Dieu,
et vous ne recevez pas ses enseignements, et vous lui faites une question
capable de porter le trouble dans les esprits ? Chercher la raison des choses
est en effet le propre de ceux dont la foi est encore faible, et il en est
beaucoup qui ont perdu la foi au milieu de ces recherches, les uns en demandant
: Comment Dieu a-t-il pu s'incarner ? Les autres : Comment peut-il rester ainsi
impassible ? C'est sous l'impression de cette incertitude d'esprit que Nicodème
fait cette question : « Comment un homme peut-il ? » etc. Mais voyez dans
quelles pensées ridicules tombent ceux qui veulent mêler leurs conceptions aux
vérités surnaturelles. — S. AUG. (Traité 11 sur S. Jean.) C'est l'Esprit
qui parle ici, et cet homme n'a que des idées charnelles ; il ne connaissait
qu'une seule naissance, celle qui vient d'Adam et d'Eve, et n'avait aucune
connaissance de celle qui vient de Dieu et de l'Eglise. Nous devons toutefois
entendre la naissance spirituelle comme Nicodème entendait la naissance
charnelle, car de même qu'on ne peut rentrer dans le sein de sa mère, on ne
peut non plus recevoir une seconde fois le baptême.
S. chrys. (hom. 24 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur,
voyant que Nicodème ne pouvait s'élever au-dessus de la génération charnelle,
lui explique plus clairement le mode de cette naissance toute spirituelle :
« Jésus lui répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis, nul, s'il ne
renaît de l'eau et de l'Esprit saint, ne peut entrer dans le royaume de
Dieu. » — S. AUG. (Traité 11) Paroles dont voici le sens : Vous ne
pensez qu'à la génération charnelle, mais il faut que l'homme naisse de l'eau
et de l'Esprit saint pour entrer dans le royaume de Dieu. Pour recueillir
l'héritage de son père dans le temps, l'homme doit naître du sein d'une mère
mortelle ; pour parvenir à l'héritage éternel de Dieu le Père, il doit
prendre une nouvelle naissance dans le sein de l'Eglise. L'homme est composé de
deux substances différentes, d'un corps et d'une âme ; cette naissance
spirituelle a aussi un double mode d'action, l'eau qui est visible sert à
purifier le corps, et l'Esprit saint, dont l'opération est invisible, purifie
l'âme qui est également invisible. — S. CHRYS. (hom. 24.) Si l'on me
demande comment l'homme peut recevoir de l'eau une nouvelle naissance, je
demanderai à mon tour comment Adam a pu naître de la terre ? Au commencement la
matière première était simplement de la terre, et la formation d'Adam est tout
entière l'œuvre du Créateur; de même ici la matière est l'eau, mais cette
nouvelle naissance est tout entière l'œuvre de l'Esprit de grâce. Dieu alors
donna au premier homme le paradis terrestre pour habitation, il nous ouvre
maintenant le ciel. Mais pourquoi l'eau est-elle nécessaire à ceux qui
reçoivent l'Esprit saint ? Voici la raison de ce mystère, c'est que l'eau est
le symbole d'opérations divines, de la sépulture, de la mortification, de la
résurrection et de la vie. En effet, lorsque notre corps est plongé dans l'eau,
le vieil homme est comme enseveli, il disparaît tout entier dans cette
immersion, et reparaît ensuite tout renouvelé. C'est encore pour vous apprendre
que la vertu du Père, du Fils et du Saint-Esprit, remplit toutes choses, et que
Jésus-Christ attendit trois jours pour ressusciter. (hom. 26.) L'eau est pour le
fidèle comme le sein de la mère pour l'enfant, c'est dans l'eau que le chrétien
reçoit la vie et sa forme. Mais l'enfant ne se développe que graduellement dans
le sein de sa mûre, tandis que dans l'eau, le chrétien reçoit sa forme en un
seul instant. Il est en effet dans la nature des corps de ne se développer et
de n'atteindre leur perfection que progressivement. Il n'en est pas ainsi des
natures spirituelles, elles sont parfaites aussitôt qu'elles existent. Depuis
le jour où Nôtre-Seigneur est sorti des eaux du Jourdain, l'eau ne produit plus
seulement des reptiles et des animaux privés de raison, mais des âmes
spirituelles et raisonnables.
S. AUG. (du bapt. des enf., 1, 30.)
Nôtre-Seigneur ne dit pas : Nul, s’il ne renaît de l'eau et de l'Esprit saint,
n'obtiendra pas le salut ou la vie éternelle, mais : « N'entrera pas dans
le royaume de Dieu, » et il en est qui concluent de ces paroles, qu'à la vérité
les enfants doivent être baptisés pour être avec le Christ dans le royaume de
Dieu, où ils ne peuvent entrer que par le baptême, mais qu'ils ne laissent pas,
s'ils viennent à mourir sans baptême, d'obtenir le salut et la vie éternelle,
parce qu'ils ne sont esclaves d'aucun péché. Mais pourquoi duc nouvelle
naissance, si ce n'est pour produire un renouvellement complet de vie ? Ou quel
sera l'obstacle qui empêchera l'image de Dieu, d'entrer dans le royaume de
Dieu, si ce n'est le péché ?
HAYM. De si grands et de si profonds mystères
étaient au-dessus de l'intelligence de Nicodème, aussi Nôtre-Seigneur
cherche-t-il à se faire comprendre par une comparaison empruntée à la naissance
charnelle : « Ce qui est né de la chair est chair, » etc., c'est-à-dire, de
même que la chair engendre la chair, ainsi l'esprit engendre l'esprit. — S.
CHRYS. (hom. 26.) Elevez-vous donc au-dessus des choses sensibles, et
n'allez point penser que l'esprit engendre la chair, car la chair elle-même du
Sauveur n'a pas été produite par l'esprit seul, mais par la chair. Mais ce qui
est né de l'esprit est spirituel, la naissance dont il est ici question n'est
point celle qui produit la substance, mais celle qui lui donne l'honneur et la
grâce. Si telle a été la naissance du Fils de Dieu, qu'a-t-il de plus que ceux
qui ont eu part aussi à cette naissance ? Comment est-il le Fils unique de Dieu
? Car je suis ne aussi de Dieu, mais sans sortir de sa substance. Et s'il n'a
point pour principe la substance même de Dieu, en quoi diffère-t-il de nous.
Que dis-je ? Il serait même inférieur à l'Esprit saint, car cette nouvelle
naissance n'a lieu que par la grâce de l'Esprit saint. Aurait-il donc besoin du
secours de l'Esprit saint pour continuer à être le Fils de Dieu ? En quoi cette
doctrine différerait-elle de la doctrine des Juifs ? Considérez ici la
dignité de l'Esprit saint, l'Ecriture lui attribue les œuvres mêmes de Dieu,
elle a dit plus haut : « Ils sont nés de Dieu. » Ici elle nous déclare que
c'est l'Esprit saint qui les engendre. Nôtre-Seigneur voit que ces paroles : «
Celui qui est né de l'esprit est esprit, jettent de nouveau le trouble dans les
idées de ce pauvre pharisien, et il emprunte pour se faire comprendre un nouvel
exemple aux choses sensibles : « Ne vous étonnez pas que je vous aie dit : Il
faut que vous naissiez de nouveau, » paroles qui indiquent visiblement le
trouble produit dans l'esprit de Nicodème. L'objet de la comparaison que
choisit le Sauveur, n'appartient pas précisément au monde matériel, il
n'atteint pas non plus la nature incorporelle ; ce terme de comparaison,
c'est le vent : « Le vent souffle où il veut, vous entendez sa voix, mais vous
ne savez d'où il vient ni où il va ; ainsi en est-il de tout homme qui est né
de l'Esprit. » Voici l'explication de ces paroles : Rien ne peut arrêter le
vent, il suit son impulsion naturelle, à plus forte raison l'action de l'Esprit
saint ne pourra être entravée ni par les lois de la nature, ni par les bornes
et les limites de la naissance corporelle, ni par aucun autre obstacle
semblable. Qu'il soit ici question du vent, c'est ce que prouvent clairement
les paroles suivantes : « Et vous entendez sa voix, » c'est-à-dire, le son dont
il frappe les airs. Car le Sauveur n'eût point dit à un infidèle qui ne
connaissait point l'action de l'Esprit saint : « Vous entendez sa voix. »
Il ajoute : « Il souffle où il veut, » non pas que le vent se détermine par un
choix libre et volontaire, mais parce qu'il suit l'impulsion qu'il a reçue de
la nature, et que sa force n'est entravée par aucun obstacle : « Et vous ne
savez d'où il vient, ni où il va, » c'est-à-dire, si vous ne pouvez connaître
la voie que suit le vent dont vous entendez le son, et qui est sensible au
toucher, comment pourriez-vous pénétrer les opérations de l'esprit de Dieu ? «
Ainsi, ajoute Nôtre-Seigneur, est tout homme qui est né de l'Esprit. »
S. AUG. (Traité 12 sur S. Jean.) Mais qui de
nous, par exemple, ne voit pas venir l’auster du midi au nord, ou un autre vent
de l'orient à l'occident ? Dans quel sens donc ne savons-nous pas d'où il
vient, ni où il va ? — BEDE. (hom. pour l'Inv. de la sainte Cr.) C'est
donc l'Esprit saint qui souffle où il veut, parce qu'il a le pouvoir de choisir
l’âme qu'il veut combler de la grâce de sa présence et de ses lumières, et vous
entendez sa voix, lorsque celui qui est rempli de l'Esprit saint, parle en
votre présence. — S. AUG. (Traité 12.) Vous entendez le son des psaumes,
le son de l'Evangile, le son de la parole divine, c'est la voix de l'Esprit
saint. Nôtre-Seigneur s'exprime de la sorte, parce que l'Esprit saint anime
invisiblement la parole et le sacrement, pour nous donner une nouvelle
naissance. — ALCUIN. Vous ne savez d'où il vient, ni où il va, car alors même
que l'Esprit saint descendrait en votre présence dans l'âme d'un de vos frères,
vous ne pourriez voir ni comment il y est entré, ni comment il en sortirait,
parce qu'il est invisible de sa nature. — HAYM. Ou bien encore, vous ne savez
d'où il vient, parce que vous ignorez comment il conduit les hommes à la foi,
ni où il va, parce que vous ne savez non plus comment il les élève jusqu'à
l'espérance : « Ainsi est tout homme qui est né de l'Esprit, c'est-à-dire :
L'Esprit saint est un esprit invisible, ainsi celui qui naît de l'esprit naît
également d'une manière invisible. — S. AUG. (Tr. 12.) Ou bien, lorsque
vous serez né vous-même de l'Esprit saint, vous serez une énigme pour celui qui
n'a point encore eu part à cette naissance, il ne saura ni d'où vous venez, ni
où vous allez. C'est pour cela que le Sauveur ajoute : « Ainsi en est-il de
tout homme qui est né de l'Esprit. » — THEOPHYL. Quoi de plus propre à
confondre Macédonius, cet ennemi de l'Esprit saint, qui ose enseigner que ce divin
Esprit n'est qu'un serviteur, puisque d'après ces paroles, l'Esprit saint opère
dans la plénitude de sa puissance, et agit là où il veut et comme il veut ?
HAYM. Nicodême ne peut comprendre les mystères de la
puissance divine que le Sauveur vient de lui révéler; sans donc les révoquer en
doute, il lui en demande la raison, non dans l'intention de le blâmer, il
l'interroge dans le désir de s'instruire : « Nicodème lui répondit : Comment
cela peut-il se faire ? »—S. CHRYS. (hom. 26.) Il reste encore dans les
basses régions du judaïsme et malgré la comparaison si claire qui lui a été
donnée, il continue d'interroger, aussi Nôtre-Seigneur lui parle-t-il avec plus
de sévérité : «Jésus lui dit : Vous êtes maître en Israël, et vous ignorez ces
choses ? » — S. AUG. (Traité 12) Que signifient ces paroles ?
L'intention de Nôtre-Seigneur est-elle de blesser ce maître en Israël ? Non, il
voulait le faire naître de l'esprit. Or, l'humilité est la condition
indispensable de cette naissance, puisque c'est l'humilité elle-même qui nous
fait naître de l'esprit. Or, Nicodème était comme enflé de son titre de maître,
et il se croyait un homme important, parce qu'il était docteur des Juifs.
Nôtre-Seigneur réprime donc son orgueil, pour qu'il puisse naître de l'esprit.
— S. CHRYS. (hom. 26.) Il n'accuse pas ses mauvaises dispositions, il
lui reproche seulement son ignorance et son défaut de jugement. Mais quel
rapport, me demandera-t-on, pouvait-il y avoir entre cette naissance dont
Jésus-Christ venait de parler et les croyances des Juifs ? Le voici : La
création du premier homme, la formation de la femme d'une des côtes d'Adam, les
femmes stériles qui sont devenues mères, les miracles dont l'eau a été
l'instrument, Elisée faisant surnager le fer sur l'eau, les Juifs passant la
mer Rouge à pied sec, Naamon le syrien guéri de la lèpre dans les eaux du
Jourdain, étaient autant de symboles figuratifs de cette naissance spirituelle,
et de la purification qu'elle produit dans l'âme. Les oracles des prophètes
rendent à leur tour témoignage quoique d'une manière plus cachée à la manière dont
s'accomplit cette naissance, par exemple dans ces paroles : « Votre jeunesse
sera renouvelée comme celle de l'aigle ; » (Ps 12) « Bienheureux ceux
dont les iniquités sont pardonnées. » (Ps 31) Isaac lui-même a été une
figure de cette naissance. Voilà pourquoi Nôtre-Seigneur dit à Nicodème : «
Vous êtes maître en Israël et vous ignorez ces choses ! » Le Sauveur donne une
nouvelle preuve de la vérité de ses paroles en ajoutant par condescendance pour
la faiblesse de ce pharisien : « En vérité, en vérité je vous le dis, nous
disons ce que nous savons, et nous attestons ce que nous avons vu, et vous ne
recevez pas notre témoignage. » La vue est pour nous le plus sûr de tous les
sens, et si nous voulons convaincre quelqu'un de l'existence d'une chose, nous
lui disons que nous l'avons vue de nos yeux. C'est pour cette raison que
Nôtre-Seigneur, parlant à Nicodème un langage humain, lui donne pour motif de
certitude qu'il a vu ce dont il parle. Il ne peut être ici question de la vue
des yeux du corps, et il est évident que le Sauveur veut parler ici d'une
connaissance des plus certaines et qui exclut jusqu'à la possibilité de
l'erreur. Or, ces paroles : « Nous savons » s'appliquent ou à lui seul ou à son
Père conjointement avec lui.
HAYM. Mais pourquoi dit-il au pluriel: « Nous savons
? » Nous répondons que c'était le Fils unique de Dieu qui parlait de la sorte
et qu'il montrait ainsi comment le Père est dans le Fils, le Fils dans le Père,
et comment le Saint-Esprit procède invisiblement de tous les deux. —ALCUIN. Ou
bien il parle au pluriel en ce sens : Moi et tons ceux qui ont eu le bonheur de
renaître de l'Esprit saint, nous comprenons ce que nous disons et ce que nous
avons vu dans le sein du Père, nous l'attestons publiquement dans le monde, et
vous qui êtes charnels et superbes, vous ne recevez pas notre témoignage. — THEOPHYL. Ce n'est
point à Nicodème que s'appliquent ces paroles, mais à toute la nation juive qui
persévéra jusqu'à la fin dans son incrédulité. — S. CHRYS. (hom. 26.) Ce
n'est non plus ni le mécontentement ni l'aigreur qui inspirent ces paroles à
Nôtre-Seigneur, mais un sentiment de douceur et de bonté, ainsi nous apprend-il
lorsque nos paroles n'auront point porté la persuasion dans les cœurs, à ne
point nous laisser aller ni à la tristesse, ni à la colère, mais à rendre notre
parole digne de foi, en évitant non-seulement la colère, mais les cris qui sont
une cause de disputes. Jésus, sur le point de révéler des vérités sublimes,
semble se retenir par égard pour la faiblesse de ses auditeurs, il ne s'élève
pas aussitôt à ces vérités dignes de sa grandeur, mais traite de choses plus en
rapport avec la disposition des esprits : « Si vous ne croyez pas lorsque je
vous parle des choses qui sont sur la terre, comment croirez-vous lorsque je
vous parlerai des choses qui sont dans le ciel ? » — S. AUG. (Traité 12.)
C'est-à-dire, si vous ne croyez pas que je puisse relever le temple que vous
aurez renversé, comment croirez-vous que les hommes puissent être régénérés par
l'Esprit saint ? — S. CHRYS. (hom. 27.) Ou bien encore, ne soyez point
surpris, s'il appelle le baptême une chose terrestre, il l'appelle ainsi, parce
qu'il se confère sur la terre, et qu'en comparaison de cette naissance étonnante
qui fait sortir le Fils de la substance du Père, la naissance même spirituelle
de la grâce est une chose terrestre. Et c'est avec raison qu'il ne dit pas :
Vous ne comprenez point mais : « Vous ne croyez pas, » car qu'un homme ne
puisse faire entrer une vérité dans son intelligence, c'est un signe de folie
ou d'ignorance, mais qu'il refuse de donner son adhésion à une vérité qu'il
doit simplement croire, ce n'est plus de la folie, c'est une incrédulité coupable. Nôtre-Seigneur révélait ces
vérités bien que ceux qui entendaient refusaient de les croire, parce que plus
tard elles devaient être crues d'une foi vive.
S. AUG. (Du bapt. des enfants, 1, 31.)
Après avoir relevé l'ignorance de ce pharisien qui s'élevait au-dessus des
autres à cause de son titre de docteur, et blâmé l'incrédulité de ceux qui
refusent de recevoir le témoignage de la vérité, Nôtre-Seigneur ajoute qu'il en
est cependant qui croiront malgré l'incrédulité des autres, et à cette question
: « Comment cela peut-il se faire ? » il répond : « Et personne n'est monté au
ciel que celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme qui est dans le
ciel, » paroles dont voici le sens : L'effet de la génération spirituelle est
de rendre les hommes célestes de terrestres qu'ils étaient, grâce qu'ils ne
peuvent obtenir qu'en devenant mes membres, de manière que celui qui monte soit
le même qui est descendu, c'est-à-dire que Nôtre-Seigneur regarde son corps ou
son Eglise, comme lui-même. — S. GREG. (Moral,, 27, 11.) Comme nous
sommes devenus une seule chose avec lui, il remonte seul avec nous dans le ciel
d'où il est descendu seul en lui-même ; et ainsi celui qui reste toujours dans
le ciel, ne cesse de monter tous les jours dans le ciel. — S. AUG. (Du bapt.
des enfants.) Bien que ce soit sur la terre qu'il soit devenu Fils de
l'homme, il n'a point jugé indigne de sa divinité qui est descendue jusqu'à
nous de porter le nom de Fils de l'homme, tout en restant dans le ciel, de même
qu'il a honoré son humanité du nom de Fils de Dieu, car l'unité de personne qui
existe entre les deux natures fait qu'il n'y a qu'un seul Christ et fils de Dieu qui
s'est rendu visible sur la terre, de même que le Fils de l'homme demeurait dans
les deux. La foi a des mystères plus incroyables, prépare à croire des vérités
moins difficiles ; car si la nature divine si éloignée de nous a pu cependant
s'unir à la nature humaine, de manière à ne former qu'une seule personne ; il
est bien plus facile de croire que les hommes sanctifiés ne fassent qu'un avec
le Fils de Dieu fait homme, et que tandis que tous montent au ciel par un effet
de sa grâce, il monte lui seul au ciel d'où il est descendu.
S. CHRYS. (hom. 27.) Ou bien encore, comme
Nicodème l'avait abordé en lui disant : « Nous savons que vous êtes un docteur
envoyé de Dieu, » Nôtre-Seigneur veut détruire l'idée qui faisait de lui un
maître à la manière des nombreux prophètes qui avaient paru sur la terre, et
c'est pour cela qu'il ajoute : « Et personne n'est monté au ciel que celui qui
est descendu du ciel, le Fils de l'homme qui est dans le ciel. » — THEOPHYL.
Lorsque vous entendez dire que le Fils de l'homme est descendu du ciel, n'allez
pas croire que la chair elle-même en est descendue, c'est là une erreur des
hérétiques qui enseignaient que le Christ avait pris son corps dans le ciel, et
n'avait fait que passer par le sein de la Vierge. — S. CHRYS. (hom. 27.)
La dénomination de Fils de l'homme ici ne comprend pas seulement la chair du
Sauveur, mais désigne toute sa personne par celle des deux natures qui est
inférieure. Maintes fois Nôtre-Seigneur la désigne tout entière sous le nom de
sa divinité, ou sous celui de son humanité. — BEDE. Qu'un homme descende sans
vêtements du sommet d'une montagne dans une vallée, et qu'il remonte sur cette
montagne après s'être revêtu de ses habits et de ses armes, on pourra dire avec
raison que celui qui remonte est le même qui est descendu.
S. HIL. (De la Trin., 10.) Ou bien encore,
entant qu'il est descendu du ciel, il est le principe de sa conception dans le
sein de Marie, car ce n'est pas d'elle-même qu'elle a donné naissance au corps
du Sauveur, bien qu'elle ait contribué pour toute la part naturelle à son sexe,
nu développement et à l'enfantement de ce corps. Or, il est devenu le Fils
de l'homme par suite de la chair qu'il a prise dans le sein de la Vierge. Il
est dans le ciel en vertu de cette nature divine et immuable dont l'infinité ne
fut jamais resserrée dans les limites étroites d'un corps matériel, mais qui,
tout en demeurant par la puissance du Verbe, sous la forme d'un serviteur, ne
laissa pas comme maître du ciel et de la terre d'être présent par son immensité
dans tontes les parties de ce vaste univers. Il est donc descendu du ciel,
parce qu'il est le Fils de l'homme, et il est dans le ciel, parce que le Verbe
en se faisant chair n'a point perdu sa nature de Verbe de Dieu. — S. AUG. (Traité
12.) Vous êtes surpris qu'il soit à la fois sur la terre et dans le ciel,
mais il communique le même privilège à ses disciples. Ecoutez, saint Paul : «
Notre vie, dit le grand Apôtre, est dans les cieux. » Or, si saint Paul qui
n'était qu'un homme vivait à la fois sur la terre et dans les cieux, le Dieu du
ciel et de la terre ne pouvait-il pas être en même temps dans le ciel et sur la
terre ? — S. CHRYS. (hom. 27.) Voyez comme ce qui nous
parait élevé est indigne de la grandeur du Fils de Dieu. Non-seulement il est
dans le ciel, mais il remplit tout de son immensité. Cependant il condescend à
la faiblesse de celui à qui il parle, et il l'élève peu à peu à des idées plus
sublimes.
S. CHRYS. (hom. 27.) Le Sauveur vient
d'exposer les grands bienfaits du baptême, il en découvre maintenant la cause,
c'est-à-dire la croix : « Et comme Moïse a élevé le serpent, » etc. — BEDE. Il
fait titrer ce docteur de la loi mosaïque dans le sens spirituel de cette loi,
et il lui rappelle un fait de l'ancienne histoire de sa nation qu'il lui
présente comme la figure de sa passion et du salut du genre humain. — S. AUG. (du bap. des
enf., 32.) Un grand nombre d'Israélites moururent par suite des morsures
des serpents ; ce fut donc par ordre du Seigneur, que Moïse éleva dans le
désert un serpent d'airain, et ceux qui le regardaient étaient aussitôt guéris.
Ce serpent élevé, c'est le symbole de la mort de Jésus-Christ, avec cette
particularité que c'est en qui produit le mal qui devient ici le signe de ce
qui doit la réparer. C'est le serpent, en effet, qui a été l'auteur de la mort,
en persuadant à l'homme le péché qui a été la cause de sa mort. Or,
Notre-Seigneur n'a point transporté dans sa chair le péché qui était le venin
du serpent, mais seulement la mort. Ainsi sa chair qui n'avait que la
ressemblance du péché a souffert la peine séparée du péché, pour détruire dans
la vraie chair du péché et la peine et la faute.
THEOPHYL. Considérez maintenant le rapport de la
figure à la vérité. Ce serpent d'airain avait la forme d'un serpent sans en
avoir le venin, et c'est ainsi que Nôtre-Seigneur est venu avec la ressemblance
de la chair de péché, mais sans le moindre péché. Il a été élevé, c'est-à-dire
suspendu dans les airs, pour sanctifier l'air après avoir sanctifié la terre par les qu'il y avait imprimés. On peut encore entendre par
cette élévation la gloire de Jésus-Christ ; car cette élévation de la croix
sur laquelle il a été attaché, est devenue la gloire du Sauveur. Il veut être
jugé par les hommes, et la sentence qu'ils prononcent contre lui devient le
jugement qu'il porte lui-même contre le prince du monde. Adam a été
soumis justement à la mort, parce qu'il a péché, mais le Seigneur, en souffrant
injustement la mort, a triomphe de celui qui l’avait livré à la mort et a
délivré ainsi Adam de la mort. Mais le démon s’est trouvé complètement vaincu ;
car il n'a pu inspirer au Sauveur attaché sur la croix aucun sentiment de haine
contre, ceux qui crucifiaient ; au contraire, son amour pour eux semblait s'en
accroître, et le portait à prier son Père pour eux. C'est ainsi que la croix de
Jésus-Christ est devenue son exaltation et sa gloire. — S. CHRYS. (hom. 27.)
Nôtre-Seigneur ne dit pas : Il faut que le Fils de l'homme soit suspendu, mais
: « Il faut qu'il soit élevé, » cette dernière expression est plus convenable,
et le Sauveur s'en sert pour montrer le rapport intime de l'Ancien Testament
avec le Nouveau, nous apprendre que ce n'est point malgré lui qu'il a souffert
la mort, et que cette mort a été pour un grand nombre un principe de vie et de
salut.
S. AUG. (du bapt. des enf.) Ceux qui
regardaient le serpent d'airain élevé dans les airs, étaient guéris de la
maladie, et délivrés de la mort ; de même celui qui reproduit en lui la
ressemblance de la mort de Jésus-Christ en croyant en lui et en recevant le
baptême, est délivré tout à la fois du péché par la justification, et de la
mort par la résurrection. C’est ce que le Sauveur exprime par les paroles
suivantes : « Afin que tout homme qui croit en lui ne périsse point, mais qu'il
ait la vie éternelle. » Quel besoin pour l’enfant de reproduire en lui la mort de Jésus-Christ par le baptême, si son âme
n'était point infectée par la morsure du serpent ?
S.
CHRYS. (hom. 27.) Il n'est pas sans intérêt de remarquer que
Vôtre-Seigneur jette comme un voile sur sa passion, pour ne point répandre la
tristesse dans l'âme de celui qui l'écoutait ; mais il parle ouvertement du
fruit de sa passion ; car si ceux qui croient au crucifié ne périssent pas, à
plus forte raison celui qui a été crucifié ne doit point périr.
S.
AUG. (Traité 12 sur S. Jean.) Il y a cette différence entre la
figure et la réalité, que les Israélites étaient guéris de la mort pour cette
vie temporelle, tandis que les autres le sont pour la vie éternelle.
S. CHRYS. (hom. 27.) Nôtre-Seigneur venait de
dire : « Il faut que le Fils de l'homme soit élevé, » paroles qui sont une
prédiction voilée de sa mort, il craint donc qu'elles ne jettent la tristesse
dans l'âme de Nicodème, qu'elles ne lui donnent de sa personne, une idée toute
humaine, et ne lui fassent regarder la mort comme le terme définitif de son
existence ; il redresse donc ses idées, en lui enseignant que c'est le Fils de Dieu
qui est livré à la mort, et que sa mort a été la cause de la vie éternelle. Il
ajoute donc : « C'est ainsi que Dieu a aimé le monde, qu'il lui a donné son
Fils unique. » Ne soyez donc pas surpris, s'il est nécessaire que je sois élevé
en croix pour votre saint, telle est la volonté de mon Père, qui vous a aimés à
ce point, de livrer son Fils pour des serviteurs ingrats et impies : « C'est
ainsi que Dieu a aimé le monde ! » Il ne pouvait exprimer plus fortement
la grandeur de cet amour ; car ces deux termes : Dieu et le monde, sont sépares
par une distance infinie. En effet, c'est celui qui est immortel, qui est sans
commencement, dont la grandeur est infinie, qui a aimé ceux qui sont sortis de
la terre et de la cendre, et qui sont pleins de péchés innombrables. Mais ce
qui suit exprime plus fortement encore cet amour : Ce n'est pas un serviteur,
ce n'est pas un ange, ce n'est pas un archange, c'est son propre Fils qu'il a
donné. S'il eût eu plusieurs fils, et qu'il en eût sacrifié un, ce serait déjà
la preuve d'un amour immense, mais c'est son Fils unique qu'il nous a donné. —
S. HIL. (de la Trin., 6.) Donner une créature à une autre créature, est
un témoignage d'amour, et cependant le don d'une chose de si peu d'importance,
et que nous devons bientôt perdre, n'a pas grand mérite. Les présents d'un
grand prix attestent une charité plus étendue, et les grands dons sont la
preuve d'un grand amour. Dieu a aimé le monde, et lui a donné non pas un fils
adoptif, mais son Fils unique, son Fils propre, son Fils par naissance, son
Fils véritable. Ce n'est point ici un fils par création, par adoption, un fils
qui ne le serait pas en réalité. Quel plus grand témoignage d'amour et de
charité que d'avoir donné pour le salut du monde un Fils, son Fils propre, son
Fils unique !
THEOPHYLACTE. Notre-Seigneur a dit plus haut que le
Fils de l'homme est descendu du ciel, bien que la chair n'en soit point
descendue ; et il s'exprime de la sorte, parce qu'en vertu de l'unité de
personne qui est en Jésus-Christ, il attribue à l'homme toutes les propriétés
de la nature divine. De même ici, il attribue au Verbe de pieu les propriétés
de la nature humaine. En effet, le Fils de Dieu est toujours demeuré
impassible, mais comme en vertu de l'union hypostatique le Fils de Dieu et
l'homme qui a souffert la mort ne faisaient qu'une seule personne, on dit que
le Fils de Dieu a été livré à la mort, parce qu'il a souffert véritablement,
non pas dans sa propre nature, mais dans la chair qu'il s'était rendue propre.
Or, les plus grands avantages découlent pour nous de ce don qui dépasse la
portée de l’esprit humain. Ecoutez la suite : « Afin que tout homme qui croit
en lui, ne périsse pas, mais qu'il ait la vie éternelle. » En effet, l'Ancien
Testament promettait aux fidèles observateurs de la loi de longs jours sur la
terre, l'Evangile promet une vie impérissable et éternelle.
BEDE. Remarquez que Nôtre-Seigneur applique au Fils
unique de Dieu les mêmes paroles qu'il avait dites précédemment du Fils de
l'homme élevé sur la croix : « Afin que tout homme qui croit en lui, » etc.,
parce qu'en effet, notre Créateur et notre Rédempteur, le Fils de
Dieu qui existe avant tous les siècles, s'est fait homme à la fin des siècles.
Il nous avait créés par un acte de sa puissance divine pour jouir de la
félicité de la vie éternelle, il nous a rachetés par la faiblesse de la nature
humaine qu'il s'est unie pour nous remettre en possession de la vie que nous
avons perdue.
ALCUIN. On ne peut douter que le Fils de Dieu ne
donne la vie au monde, puisque c'est l'unique raison pour laquelle il est venu
en ce monde, comme il le déclare lui-même : « Car Dieu n'a pas envoyé son Fils
dans le monde pour juger le monde, » etc. — S. AUG. (Traité 12 sur S.
Jean.) Pourquoi a-t-il été appelé le Sauveur du monde, si ce n'est parce
qu'il devait sauver le monde ? Le médecin a donc fait tout ce qui dépendait de
lui pour guérir le malade et celui qui ne veut pas suivre les prescriptions du
médecin, ne doit attribuer sa mort qu'à lui-même. — S. CHRYS. (hom. 28.)
Il est beaucoup d'âmes lâches et sans force qui, pour multiplier plus librement
leurs transgressions et s'endormir au sein de la plus profonde indifférence,
abusent de la miséricorde de Dieu, et s'autorisent de ces paroles du Sauveur
pour dire : « Il n'y a point d'enfer, il n'y a point de supplice, Dieu nous
pardonne tous nos péchés. » II faut donc nous rappeler qu'il y a deux
avènements de Jésus-Christ : le premier, qui est accompli ; le second, qui doit
avoir lieu plus tard. Le premier a eu pour objet, non pas de juger nos crimes,
mais de nous les pardonner; dans le second, Nôtre-Seigneur viendra, non plus
pour pardonner, mais pour juger. C'est du premier de ces deux avènements qu'il
dit : « Je ne suis pas venu pour juger le monde. » Comme il est la bonté même,
il ne veut pas juger, il nous remet tous nos péchés dans le baptême d'abord, et
ensuite dans le sacrement de pénitence ; et s'il avait agi autrement, tous les
hommes auraient péri sans exception, car tous ont péché, et ont besoin de la
grâce de Dieu. Mais que personne ne s'autorise de ces paroles pour pécher avec
impunité, et qu'il apprenne quel sera le châtiment de celui qui ne croit pas :
« Il est déjà jugé. » Il dit précédemment : « Celui qui croit, n'est pas
condamné, » remarquez, celui qui croit, non pas celui qui cherche avec
curiosité. Mais qu'en sera-t-il de ceux dont la vie aura été souillée par le
crime ? Saint Paul déclare qu'ils ne sont pas au
nombre des vrais fidèles : « Ils font profession, dit-il, de connaître Dieu,
mais ils le renoncent par leurs œuvres. » (Tite, 1, 16.)
Ces paroles signifient que celui qui croit ne sera pas jugé sur le point de la
foi, il sera puni plus sévèrement pour les crimes qu'il aura commis, mais il ne
le sera pas pour les crimes d'infidélité dont il n'est point coupable. —
ALCUIN. Ou bien encore, celui qui croit en lui, et s'attache à lui comme le
membre à son chef, ne sera pas jugé.
S. AUG. (Traité 12.) Mais que va-t-il dire de
celui qui ne croit pas, et quelle sentence attendez-vous de sa bouche, si ce
n'est qu'il est jugé ? Ecoutez, en effet, ce que dit le Sauveur : « Celui qui
ne croit pas est déjà jugé. » Le jugement n'a pas encore été rendu public, mais
il a déjà eu lieu, car le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent, il
connaît ceux à qui est réservée la couronne et ceux qu'attendent les flammes
éternelles. — S. CHRYS. (hom. 28.) Ou bien encore, il s'exprime de la
sorte, parce que l'incrédulité est elle-même un châtiment pour l'âme
impénitente, car quel plus grand supplice eu soi que d'être placé en dehors de
la lumière ? Ou bien Notre-Seigneur ne fait que prédire ce qui doit arriver :
celui qui s'est rendu coupable d'homicide avant même la sentence du juge qui le
condamne, est déjà condamné par la nature même de son crime ; il en est de même
de l'incrédule, et c'est ainsi qu'Adam mourut le jour où il mangea du fruit de
l'arbre de la science du bien et du mal.
S. GREG. (Mor., 26, 20.) On peut encore
donner cette explication. Au dernier jugement, il en est qui périront sans être
jugés, et c'est d'eux qu'il est dit ici : « Celui qui ne croit pas est déjà
jugé, » car alors on ne discutera pas la cause de ceux qui se présenteront devant le
tribunal du Juge sévère avec la condamnation que leur aura méritée leur
incrédulité ; ce sont ceux qui ont toujours professé la vraie foi, mais dont
les œuvres ne seront pas conformes à la foi qui seront jugés et condamnés.
Quant à ceux qui n'ont jamais cru aux mystères de la foi, ils n'entendront
point les reproches du juste Juge au dernier jour, ils ont été jugés par avance
au milieu des ténèbres de leur incrédulité, et ils ne méritent même pas d'être
convaincus et condamnés par celui qu'ils ont dédaigné de connaître. Le prince
qui se trouve à la tète d'un royaume, punit différemment un de ses sujets
coupables, et l'ennemi qui l'attaque au dehors ; pour le premier, il examine et
discute ses droits ; quant à l'ennemi, il lui déclare la guerre, et lui inflige
le châtiment que mérite sa méchanceté sans examiner les prescriptions de la loi
contre son crime, car pourquoi punir au nom de la loi celui qui n'a jamais pu
se soumettre à la loi ?
ALCUIN. Mais pour quelle raison celui qui ne croit
point est-il déjà jugé ? La voici : « Parce qu'il ne croit point an nom du Fils
unique de Dieu, » car c'est par ce nom seul qu'on peut être sauvé. Dieu n'a pas
un grand nombre de Fils qui puissent sauver, il n'a que ce Fils unique pour
être le Sauveur des hommes. — S. AUG. (du bapt. des enf., chap. 33.) Où
donc placerons-nous les enfants qui ont reçu le baptême, si ce n'est parmi ceux
qui ont fait profession de la foi chrétienne ? c'est une grâce qui leur est
acquise, et par la vertu du sacrement, et par l'engagement que contractent ceux
qui les présentent. Par la même raison, nous plaçons les enfants qui n'ont pus
été baptisés parmi ceux qui n'ont pas eu la foi.
ALCUIN. Nôtre-Seigneur fait connaître à la fois la
cause de l'incrédulité des hommes et celle de leur condamnation : « Or, la
cause de cette condamnation est que la lumière est venue dans le monde, » etc.
— S. CHRYS. (hom. 28.) C'est-à-dire, ils n'ont eu besoin ni de
recherches, ni d'efforts pour trouver la lumière, la lumière elle-même est
venue vers eux sans qu'ils aient été à sa rencontre : « Et ils ont mieux aimé
les ténèbres que la lumière. » Voilà ce qui rend les hommes tout à fait
inexcusables. Le Sauveur est venu les arracher aux ténèbres et les conduire à
la lumière, comment donc peut-on avoir pitié de celui que la lumière vient
trouver et qui refuse de s'approcher de cette lumière ?
BEDE. Cette lumière, c'est Nôtre-Seigneur lui-même,
dont l'Evangéliste a dit plus haut : « Il était la vraie lumière, » etc. (Jean,
1.) Les ténèbres sont les péchés. — S. CHRYS. (hom. 28.) Cette haine
de la lumière devait paraître une chose
incroyable pour plusieurs (car il n'est personne qui préfère les ténèbres à la
clarté), il fait donc connaître la cause de cet aveuglement : « Car leurs
œuvres, ajoute-t-il, étaient mauvaises. » S'il était venu pour juger les
hommes, cette haine de la lumière aurait eu quelque raison, car celui qui a
conscience de ses crimes, cherche à fuir le juge qui doit le condamner, mais
les coupables se présentent sans crainte devant celui qui n'a pour eux que des
paroles de pardon. Quoi de plus naturel donc pour les hommes dont la conscience
était chargée de si grands crimes, d'aller au-devant du Sauveur, qui leur
apportait le pardon ? C'est ce que plusieurs ont fait, et nous voyons les
publicains et les pécheur; venir s'asseoir à la même table que Jésus. Mais il
en est dont la mollesse est si grande, que leurs mains tombent de langueur
devant les travaux de la vertu, et qu'ils persévèrent dans le mal jusqu'à la
fin de leur vie ; Nôtre-Seigneur flétrit ouvertement celte lâcheté:
« Quiconque fait le mal, hait la lumière, » ce qui est vrai de ceux qui
veulent obstinément persévérer dans le mal. — ALCUIN. « Tout homme qui fait le
mal hait la lumière, c'est-à-dire, que celui qui est dans la résolution de
pécher, qui aime le péché, hait par-là même la lumière qui découvre le péché. —
S. AUG. (Confess., 10, 23.) Les hommes ne peuvent souffrir d'être
trompés, et ils veulent tromper, voilà pourquoi ils aiment la lumière quand
elle se découvre, et la détestent quand elle les découvre eux-mêmes. La juste
punition de cet aveuglement sera que la lumière les mettra en évidence malgré
eux, pendant qu'elle-même leur sera cachée. Ils aiment donc la lumière de la
vérité, mais ils ne peuvent souffrir ses censures : « Et il ne vient point à la
lumière, de peur que ses œuvres ne soient découvertes. » — S. CHRYS. (hom. 28.)
On ne songe point à reprendre de ses vices celui qui vit dans l'idolâtrie, les
dieux qu'il adore sont esclaves des mêmes vices, et ses œuvres sont conformes à
ses croyances. Les disciples de Jésus-Christ, au contraire, qui mènent une vie
déréglée, sont accusés par tous les gens de bien ; mais y a-t-il des païens qui
soient vraiment vertueux ? Je n'en
connais point quant à moi. Ne me citez pas, en effet, des hommes qui sont
naturellement doux et honnêtes (ce n'est point là de la vertu), mais
montrez-moi un homme qui soutient un rude combat contre ses passions, et vit
selon les règles de la sagesse, cela vous est impossible. La promesse
d'un royaume éternel, la menace de l'enfer, et tant d'autres vérités non moins
importantes suffisent à peine pour retenir les hommes dans la pratique du bien,
comment voulez-vous que ceux qui n'ont aucune de ces convictions aient quelque
ardeur pour la vertu ? Vous rencontrez peut-être chez quelques-uns d'entre eux
des vertus apparentes, qui n'ont pour motif que l'amour de la gloire. Aussi dès
qu'ils peuvent espérer qu'ils ne seront point découverts, ils ne se font aucun
scrupule de suivre tous leurs mauvais désirs. Or, à quoi leur sert d'être
tempérants, de ne point ravir le bien d'autrui, s'ils sont esclaves de la vaine
gloire ? Ce n'est point là de la vertu, l'esclave de la vaine gloire n'est pas
moins coupable que le fornicateur, et cette passion lui fait commettre des
fautes, et plus nombreuses et plus graves. Mais admettons qu'il y ait chez les
païens quelques hommes vertueux, cela ne contredit nullement ce que nous
disons, parce que ces hommes vertueux sont rares et forment l'exception.
BEDE. Dans le sens moral, ceux qui préfèrent les
ténèbres à la lumière, sont ceux qui poursuivent de leur haine et de leurs
calomnies, les prédicateurs qui leur enseignent la saine doctrine.
« Mais celui qui fait la vérité vient à la
lumière, afin que ses œuvres apparaissent. » — S. CHRYS. (hom. 28.)
Nôtre-Seigneur ne veut point parler ici de ceux qui sont devenus chrétiens dès
le commencement, mais uniquement de ceux qui, parmi les Juifs et les Gentils,
devaient embrasser la vraie foi, et il veut nous enseigner qu'il est impossible
à celui qui vit dans l'erreur, de prendre la résolution d'embrasser la vraie
foi, à moins d'être décidé tout d'abord à mener une vie vertueuse et pure. — S.
AUG. (du bapt. des enf.) Nôtre-Seigneur dit que les œuvres de celui
qui vient à la lumière sont faites en Dieu, parce qu'il comprend que sa
justification est l'œuvre, non de ses mérites, mais de la grâce de Dieu.
S. AUG. (Traité 12 sur S. Jean.) Mais
si Dieu a trouvé mauvaises toutes les œuvres des hommes, comment se fait-il que
quelques-uns ont obéi à la vérité, et sont venus à la lumière qui est
Jésus-Christ ? « Ils ont mieux aimé, dit plus haut le Sauveur, les ténèbres que
la lumière, » là est le point important. Il en est beaucoup qui ont aimé leurs
péchés, il en est beaucoup qui les ont confessés. Dieu accuse vos péchés, si
vous les accusez vous-même, vous faites cause commune avec Dieu. Il faut que
vous haïssiez en vous ce qui est votre œuvre, et que vous aimiez en vous
l'œuvre de Dieu. Le commencement des bonnes actions, c'est de confesser les
mauvaises : alors vous faites la vérité, vous ne vous écoutez pas, vous ne vous
flattez pas ; vous approchez volontiers de la lumière, car jamais votre péché
ne vous déplairait, si Dieu ne faisait briller sa lumière à vos yeux et ne vous
découvrait sa vérité. Or, on peut se placer dans la vérité de la confusion et
s'approcher de la lumière par la pratique des bonnes œuvres, même quand il ne
s'agit que de ces péchés légers de paroles ou de pensées, ou de l'usage
immodéré des choses permises, parce qu'en effet, ces péchés légers, s'ils se
multiplient et qu'on n'y fasse aucune attention, donnent la mort. Bien petites
sont les gouttes d'eau qui remplissent le fleuve, bien petits sont les grains
de sable, et cependant, ayez à porter une masse de grains de sable, c'est un
poids qui vous écrasera. Une ouverture qu'on néglige dans la cale d'un
vaisseau, produit les mêmes effets qu'une masse d'eau qui fait irruption ;
cette eau entre peu à peu dans la cale, mais à force d'entrer sans qu'on songe
à l’épuiser, elle coule à fond le vaisseau. Or, au sens moral, épuiser l'eau
c'est empêcher par nos bonnes oeuvres, par nos gémissements, nos jeûnes, nos
aumônes, le pardon des injures, que nous ne soyons accablés sous le poids
écrasant de nos fautes.
S. CHRYS. (hom. 29.) Rien qui marche plus à
découvert, comme aussi rien de plus fort que la vérité ; elle ne cherche pas à
se cacher, elle ne craint aucun danger, ne redoute aucune embûche, elle ne
désire point la gloire que donne le grand nombre, et n'est soumise à aucune des
faiblesses humaines. C'est ainsi que Nôtre-Seigneur venait à Jérusalem aux
jours de fête, non pour se produire ou par amour de la gloire, mais pour
communiquer à un plus grand nombre ses divins enseignements, et opérer des
miracles dans leur intérêt. Après que les fêtes étaient passées, il se rendait
ordinairement sur les bords du Jourdain, où une foule considérable se
réunissait : « Après cela, Jésus vint avec ses disciples dans la terre de
Judée, » etc. — BEDE. Ces paroles : « Après cela, » ne signifient pas
immédiatement après l'entretien avec Nicodème, qui eut lieu à Jérusalem ; et il
s'écoula un certain espace de temps, avant que Jésus revînt de la Galilée en
Judée.
ALCUIN. Le mot Judée signifie ceux qui confessent
et qui reçoivent la visite de Jésus-Christ, car là où il trouve la
confession des péchés ou des louanges divines, Jésus s'y rend avec ses
disciples (c'est-à-dire suivi de sa doctrine et de ses lumières), et il demeure
dans cette âme pour la purifier de ses crimes : « Et il y demeurait avec eux et
il baptisait. » — S. CHRYS. (hom. 29.) Gomme l'Evangéliste déclare plus
bas que Jésus ne baptisait pas, mais ses disciples, il est évident qu'il faut
entendre également que ses disciples seuls baptisaient. — S. AUG. (Traité 13
sur S. Jean.). Le baptême que donnait le Sauveur après qu'il fut baptisé
n'était pas celui qu'il avait reçu ; il avait voulu être baptisé par son
serviteur pour nous tracer la voie de l'humilité et nous conduire jusqu'au
baptême du Seigneur, c'est-à-dire à son baptême, mais Jésus baptisait comme
étant lui-même Seigneur, le Fils de Dieu.
BEDE. Jean continue de baptiser alors même que Jésus
baptise, les ombres ne sont pas encore entièrement dissipées, et le précurseur
ne doit cesser son ministère que lorsque la vérité se manifestera dans tout son
jour : « Or, Jean baptisait à Ænon,» etc. Ænon veut dire eau, en hébreu
et l'Evangéliste donne pour ainsi dire la signification de ce nom en ajoutant :
« Parce qu'il y avait là beaucoup d'eau. » Salem est une petite ville située
sur les bords du Jourdain, et où Melchisédech régna autrefois. —S. JER. (Lettre
126 à Evagr.) Peu importe qu'on dise Salem ou Salim, les Hébreux
emploient très rarement les voyelles au milieu des mots, et les mêmes mots ont
une prononciation et un accent tout différents suivant la volonté personnelle
des lecteurs ou la diversité des pays.
« Et plusieurs y venaient se faire baptiser. » —
BEDE. Le baptême de Jean avait avant le baptême de Jésus-Christ la même
efficacité que les enseignements de-la foi qui sont donnés aux catéchumènes, Il
prêchait la pénitence, annonçait le baptême de Jésus-Christ, et attirait les
hommes à la connaissance de la vérité qui venait de se manifester au monde ;
c'est ainsi que les ministres de l'Eglise commencent par enseigner ceux qui
veulent embrasser la foi, ils leur font voir ensuite l'énormité de leurs
péchés, leur en promettent la rémission par le baptême de Jésus-Christ, et les
attire ainsi à la connaissance et à l'amour de la vérité.
S. CHRYS. (hom. 29.) Pendant que les
disciples de Jésus baptisent, Jean Baptiste continue de baptiser lui-même
jusqu'à son incarcération, comme l'indique l'Evangéliste en ajoutant : « Car Jean n'avait pas
encore été mis en prison. » — BEDE. Nous voyons ici clairement que cet
Evangéliste raconte les faits de la vie de Jésus-Christ qui ont précédé la
captivité de Jean-Baptiste. Ces faits ont été passés sous silence, par les
autres Evangélistes qui commencent leur récit par les événements qui suivirent
cette incarcération. — S. AUG. (Traité 13 sur S. Jean.) Or
pourquoi Jean baptisait-il ? Parce qu'il fallait que le Christ fût baptisé.
Mais le Sauveur ne fut pas le seul qui fut baptisé par le précurseur, afin que
le baptême de Jean ne parût point supérieur au baptême du Seigneur.— S. CHRYS. (hom.
29.) Pourquoi encore continuait-il de baptiser jusqu'alors ? S'il avait
cessé débaptiser, on eût attribué sa conduite à un sentiment de jalousie ou de
mécontentement. Au contraire en continuant de baptiser, il ne cherchait point
sa propre gloire, mais il envoyait de nouveaux disciples à Jésus-Christ ; et sa
parole avait mille fois plus d'efficacité que celle des disciples du Sauveur,
car son témoignage était à l'abri de tout soupçon, et sa réputation était
beaucoup plus grande aux yeux de tous. Il baptisait encore pour ne pas
augmenter l'esprit de rivalité de ses disciples. Je pense du reste que Dieu
permit la mort de Jean-Baptiste, et que Jésus ne commença qu'après la mort du
précurseur le cours de ses prédications, afin que l'affection du peuple tout
entier lui fût acquise, les esprits n'étant plus partagés sur le mérite
respectif de l'un et de l'autre. En effet, les disciples de Jean nourrissaient des
sentiments de jalousie contre les disciples de Jésus-Christ, et contre
Jésus-Christ lui-même ; dès qu'ils virent que les disciples du Sauveur
baptisaient, ils engageront une discussion avec ceux qui recevaient leur
baptême, discussion qui avait pour objet la supériorité du baptême de Jean sur
celui des disciples de Jésus-Christ : « Or, il s'éleva une question entre les
disciples de Jean et les Juifs, » etc. Ce furent les disciples de Jean et non
les Juifs qui soulevèrent cette question. Ce que l'Evangéliste fait entendre en
disant que cette question s'éleva, non parmi les Juifs, mais entre les
disciples de Jean et les Juifs.
S. AUG. (Traité 13.)Les Juifs soutenaient
probablement que Jésus était supérieur à Jean, et qu'on devait recevoir son
baptême ; les disciples du précurseur, au contraire, ne comprenant pas encore
cette supériorité, défendaient le baptême de leur maître. On vint donc trouver
Jean-Baptiste pour qu'il décidât la question : « Les premiers étant venus
trouver Jean, lui dirent : Maître, celui qui était avec vous au delà du
Jourdain, baptise, » etc. — S. CHRYS. (hom. 29.) C'est-à-dire, celui que
vous avez baptisé ; mais ils se gardent bien de s'exprimer de la sorte, car
alors ils eussent été forcés de rappeler aussi la voix qui se fit entendre
au-dessus de lui ; ils se contentent donc de dire : « Celui qui était avec
vous, celui qui était confondu avec vos disciples, qui n'avait rien qui le
distinguât de nous, se sépare maintenant de vous, et baptise lui-même. Ils
ajoutent : A qui vous avez rendu témoignage. » C'est-à-dire celui dont vous
avez manifesté la gloire, sur qui vous avez attiré les regards, ose remplir le
même ministère que vous ; car que signifient ces paroles : « Voilà qu'il
baptise ? » Et ce n'est point le seul grief qu'ils formulent contre Jésus
auprès de son précurseur, ils se plaignent encore de voir ses disciples perdre
de leur considération, et leur nombre diminuer de jour en jour. « Et tous
vont à lui. »— ALCUIN. C'est-à-dire, tous vous abandonnent et courent se foire
baptiser par celui que vous avez baptisé.
S. CHRYS. (hom. 29.) Aux
questions que lui font ses disciples, Jean-Baptiste ne répond point par de
sévères reproches, dans la crainte qu'en se séparant de lui, ils ne se portent
à une autre extrémité, il leur parle donc en termes très-modérés : « Jean
répondit : L'homme ne peut rien recevoir s'il ne lui a été donné du ciel. »
C'est-à-dire, si la personne de Jésus-Christ est environnée d'un éclat
extraordinaire, si tous s'empressent à l'envi autour de lui, il ne faut pas
vous en étonner, c'est Dieu qui est l'auteur de ces merveilles. Ce qui est
purement humain, se découvre facilement, est faible et passe avec rapidité,
mais telle n'est point la gloire de Jésus-Christ, ce n'est point ici l'œuvre de
l'homme, tout est empreint d'un caractère divin. Ne soyez pas surpris s'il ne
parle point du Sauveur en termes plus relevés, ses disciples étaient dominés
par un sentiment trop vif de jalousie pour qu'il fût opportun ou même possible
de les enseigner à fond ; il veut donc simplement leur inspirer un sentiment de
crainte, en leur montrant qu'ils tentent l'impossible et se mettent en
opposition avec Dieu. — S. AUG. (Traité 13) On peut dire encore que Jean
veut parler ici de lui-même : Comme homme, j'ai tout reçu du ciel ; si donc je
dois à Dieu d'être quelque chose, voulez-vous donc que je m'annihile moi-même
en parlant contre la vérité ?
S. CHRYS. (hom. 29.) Remarquez comme
Jean-Baptiste retourne contre eux le trait dont ils avaient voulu se servir
contre Jésus-Christ, ça disant : « Celui à qui vous avez rendu témoignage. » Il
leur répond : « Vous-mêmes, vous m'êtes témoins que j'ai dit : Je ne suis point
le Christ, » c'est-à-dire, puisque vous croyez à la vérité de mon témoignage,
vous devez en conclure que je dois lui céder tout honneur. Il ajoute : « Mais
que j'ai été envoyé devant lui, » c'est-à-dire, je suis un simple
ministre, je fais connaître les ordres et la volonté de celui qui m'a envoyé,
je ne cherche pas à le flatter dans une pensée d'intérêt personnel, je n'ai d'autre
but que de remplir la mission que le Père m'a confiée.
ALCUIN. On pouvait lui faire cette difficulté :
Puisque vous n'êtes pas le Christ, qui êtes-vous donc ? ou quel est celui à qui
vous rendez témoignage ? Il répond : Il est l'Epoux, et je suis, moi, l'ami de
l'Epoux, et envoyé devant lui pour préparer son Epouse à le recevoir : « Celui
qui a l'Epouse, est l'Epoux. » Cette Epouse, c'est l'Eglise formée de toutes
les nations, elle est vierge par l'intégrité de son âme, la perfection de sa
charité, l'unité de la foi catholique, la concorde qui est le fruit de la paix,
la pureté de son cœur et de son corps ; elle a un Epoux qui la rend mère tous
les jours. — BEDE. C'est bien inutilement qu'une vierge a la pureté du corps,
si elle n'y joint la chasteté de l'âme. Mais pour cette épouse, Jésus-Christ se
l'est unie sur le lit nuptial du sein virginal de sa mère, et l'a rachetée du
prix de son sang.
THEOPHYL. Jésus-Christ est encore l'Epoux de toute
âme fidèle, et le lieu où se contracte cette union, c'est l'Eglise où l'âme
reçoit le saint baptême. Les arrhes que l'Epoux donne à l'Epouse sont la
rémission des péchés, la communication du Saint-Esprit ; et il réserve pour
l'autre vie des dons plus parfaits à ceux qui en seront dignes. Nul autre ne
peut prétendre à l'honneur d'être l'Epoux, que Jésus-Christ seul. Tous les
docteurs sont des paranymphes comme le Précurseur ; mais Dieu seul est la
source de tous les biens célestes, tous les autres ne sont que les ministres
dont il se sert pour répandre ces biens.
BEDE. Le Seigneur a donc confié son Epouse à son
ami, c'est-à-dire à l'ordre des prédicateurs qui doivent être pour elle pleins
de zèle, non dans leur intérêt, mais dans l'intérêt de Jésus-Christ. Voilà
pourquoi Jean-Baptiste ajoute : « Mais l'ami de l'Epoux qui se tient debout et
l'écoute, » etc. — S. AUG. (Traité 13.) Il déclare donc : Ce n'est pas
mon Epouse. Vous demeurez donc étranger à la joie des noces ? Tout au
contraire, répond-il, je partage la joie de l'Epoux, parce que je suis son ami.
— S. CHRYS. (horn. 29.) Mais comment Jean-Baptiste, qui avait dit
précédemment : « Je ne suis pas digne de dénouer les courroies de sa chaussure,
» se proclame maintenant son ami ? Ce n'est pas qu'il prétende à l'honneur
d'être son égal, il veut simplement exprimer la plénitude de son allégresse ;
car la joie des serviteurs, dans ces circonstances, est loin d'être aussi
grande que celle des amis. C'est encore par condescendance pour la faiblesse de
ses disciples, qu'il se dit l'ami de Jésus-Christ ; ils s'imaginaient que tout
ce qui se passait le blessait vivement ; il leur fait voir que loin d'en être
blessé, il est au comble de la joie, si l'Epoux est connu de son Epouse.
S. AUG. (Traité 13.) Mais pourquoi se
tient-il debout ? parce qu'il ne tombe pas ; et pourquoi évite-t-il de tomber ?
parce qu'il est humble. Voyez comme il s'appuie sur un terrain solide :
« Je ne suis pas digne de dénouer les courroies de ses souliers. » Il se
tient debout et l'écoute ; s'il venait à tomber, il ne l'entendrait pas, l'ami
de l'Epoux doit donc se tenir debout et l'écouter, c'est-à-dire persévérer dans
la grâce qu'il a reçue, et écouter la voix qui le remplit d'allégresse. Je ne
me réjouis pas, dit-il, de ce que j'entends ma voix, mais de ce que j'entends
la voix de l'Epoux ; ma joie c'est d'entendre, comme la sienne est de parler ;
je suis l'oreille, il est la parole. Celui qui est chargé de garder la fiancée
ou l'épouse de son ami, veille avec soin à ce qu'elle ne donne son affection à
aucun autre. Mais s'il consentait lui-même a prendre dans son cœur la place de
son ami, et qu'il abusât du dépôt qui lui est confié, ne serait-il pas un objet
d'horreur pour le genre humain tout entier ? Combien je vois d'adultères qui
veulent posséder cette Epouse qui a été achetée à un si grand prix, et dont
toutes les paroles tendent à obtenir une affection qui n'est due qu'à l'Epoux ?
S. CHRYS. (hom. 29.) Ou bien encore, ces
paroles : « Qui se tient debout, » ont un sens particulier, et signifient que
le ministère de Jean-Baptiste est à son terme, et qu'il ne lui reste plus qu'à
se tenir debout et à écouter. Il passe ici de la figure à l'objet figuré, il a
pris pour comparaison l'époux et l'épouse, il montre comment se fait leur
union, c’est-à-dire par la voix et par la doctrine : « Car la foi vient de ce
qu'on a entendu, et on a entendu, parce qu'on prêche la parole de Dieu. » (Rm
10) Et comme il voit toutes ses espérances réalisées, il ajoute :
« Cette joie est donc pleinement réalisée pour moi, » c'est-à-dire l'œuvre
qui m'a été confiée est pleinement accomplie, et il ne me reste plus rien à faire. —
THEOPHYL. Je me réjouis donc de ce que tous s'empressent de tourner vers lui
leurs regards. Si l'épouse (c'est-à-dire le peuple), ne se fût pas approchée de
l'Epoux, moi, son ami, son paranymphe, je serais dans la douleur. — S. AUG. (Traité
14.) Ou bien encore, ma joie est au comble, parce qu'il m'est donné
d'entendre la voix de l'Epoux. C'est la faveur que je désirais, je n'en réclame
pas d'autre, de peur de perdre la grâce que j'ai reçue. Car celui qui cherche
sa joie en lui-même sera toujours triste, mais celui qui la place en Dieu ne
verra jamais cesser sa joie, parce que Dieu est éternel. — BEDE. L'homme se
réjouit d'entendre la voix de l'Epoux, lorsqu'il comprend qu'il doit placer sa
joie, non dans sa propre sagesse, mais dans la sagesse qu'il a reçue de
Dieu ; car celui-là seul est l'ami de l'Epoux, qui ne recherche pour prix
de ses bonnes œuvres ni la gloire, ni les louanges, ni les avantages de la
terre, mais ne se propose que les récompenses éternelles.
S. CHRYS. (hom. 29.) Jean-Baptiste veut
éteindre dans le cœur de ses disciples tout sentiment d'envie, non-seulement
pour le présent, mais pour l'avenir, et il ajoute : « Il faut qu'il croisse et
que je diminue, » c'est-à-dire, ma mission et mon ministère touchent à leur
fin, tandis que la mission et la gloire de Jésus doivent toujours aller en
croissant. — S. AUG. (Traité 14.) Mais que signifient ces paroles : « Il
faut qu'il croisse ? » Dieu ne peut ni croître ni diminuer ; Jean-Baptiste et
Jésus, sous le rapport de la naissance temporelle, étaient contemporains, et
les quelques mois qui séparaient l'une de l'autre ne faisaient pas une
différence d'âge. Ces paroles renferment un grand mystère
; avant la venue du Seigneur, les hommes mettaient toute leur gloire en
eux-mêmes, il est venu et s'est fait homme pour diminuer la gloire de l'homme,
et accroître la gloire de Dieu. Il est venu, en effet, pour pardonner les
péchés à l'homme, à la condition qu'il les confesserait. Or, l'homme s'humilie
quand il confesse ses péchés, et Dieu s'élève, pour ainsi dire, quand il exerce
la miséricorde. Cette vérité se trouve exprimée dans la mort différente de
Jésus-Christ et de Jean-Baptiste ; Jean fut diminué de la tête, et Jésus fut
élevé en croix. Remarquez encore que Jésus vint au monde, lorsque les jours
commencent à croître, tandis que la naissance de Jean eut lieu lorsqu'ils
commencent à décroître. Que la gloire de Dieu croisse donc dans notre âme, et
que notre propre gloire s'amoindrisse, pour qu'elle puisse elle-même
s'accroître en Dieu. Or, plus vous avancez dans la connaissance de Dieu, plus
aussi Dieu paraît croître en vous ; car il ne peut croître en lui-même,
puisqu'il est parfait de toute éternité. Lorsque les yeux d'un aveugle sont
guéris de leur cécité, il commence d’abord par voir un peu la lumière ; le jour
suivant, il la voit davantage, la lumière paraît croître pour lui ; cependant
elle a toute sa plénitude, toute sa perfection, qu'il la voie ou qu'il ne la
voie point ; ainsi l'homme intérieur fait des progrès dans la connaissance de
Dieu, et Dieu paraît croître en lui, tandis qu'il s'amoindrit lui-même et
tombe, pour ainsi dire, de sa propre gloire, pour se relever dans la gloire de
Dieu.
THEOPHYL. Ou bien encore, lorsque le soleil paraît,
la lumière des antres astres du ciel paraît s'éteindre, et cependant elle n'est
pas éteinte en réalité ; elle est simplement éclipsée par une lumière plus
brillante ; c’est ainsi que le Précurseur paraît éclipsé comme une étoile par
le soleil. Quant à Jésus-Christ, on le voyait croître successivement à mesure qu'il se révélait par
ses miracles, il ne croissait pas en vertus suivant l'erreur insensée de
Nestorius, mais il croissait en révélant successivement les preuves de sa
divinité.
S. CHRYS. (hom. 30.) De même que le ver ronge
le bois, et la rouille le fer, ainsi la vaine gloire perd l'âme qui la nourrit
et l'entretient. Aussi devons-nous mettre tous nos soins à détruire en nous
celte malheureuse passion. Malgré tant de raisons convaincantes, Jean-Baptiste
peut à peine guérir ses disciples atteints de cette funeste maladie, et il est
comme obligé de leur apporter de nouvelles raisons : « Celui qui vient d'en
haut, est au-dessus de tous. » Puisque vous avez en si grande estime mon
témoignage, leur dit-il, et que vous ne voyez rien qui soit plus digne de foi,
sachez donc que ce n'est pas à celui qui habite la terre, à recommander comme
digne d'être cru celui qui vient du ciel. Tel est le sens de ces paroles :
« Il est au-dessus de tous, » c'est-à-dire, il se suffît à lui-même, et sa
grandeur est en dehors de toute comparaison. — THEOPHYL. Jésus-Christ, en
effet, vient d'en haut et descend du Père, et il occupe une place si élevée
qu'elle le distingue et le sépare de tous les hommes. — ALCUIN. Ou bien encore
: « Il vient d'en haut, » c'est-à-dire des hauteurs que la nature humaine
occupait avant le péché du premier homme. C'est sur ces hauteurs que le Verbe
de Dieu a pris la nature humaine, dont il a revêtu les peines, sans prendre la
faute.
« Celui qui tire son origine de la terre, est de la
terre (c'est-à-dire est terrestre), et parle de la terre » (c'est-à-dire des
choses terrestres.) — S.
CHRYS. (hom. 30.) Cependant Jean-Baptiste ne venait pas tout entier de
la terre, il avait une âme et il participait de l'esprit, qui ne vannent point
de la terre. Pourquoi donc déclare-t-il qu'il vient de la terre ? Cette manière
de s'exprimer signifie simplement dans l'intention du Précurseur, qu'il est peu
de chose, parce qu'il vient de la terre, qu’il est né sur la terre, et qu'il ne
peut en aucune sorte entrer en comparaison avec Jésus-Christ qui est venu du
ciel : « Il parle de la terre, » non pas dans ce sens qu'il parle d'après
ses propres inspirations, mais comparativement à la doctrine de Jésus-Christ,
comme s'il disait : Ma personne, ma doctrine sont trop inférieures pour entrer
en comparaison avec la personne et la doctrine de Jésus-Christ ; elles sont ce
qu'il convient d'être à la nature humaine et terrestre, comparée à celui en qui
sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science de Dieu. (Col 2,
3.) — S. AUG. (Traité 14.) Ou bien, ces paroles : « Il parle de la
terre, » doivent s'entendre de l'homme qui suit ses propres inspirations
; car lorsqu'il parle un langage divin, c'est Dieu qui l'éclairé et qui
l'inspire, comme le reconnaît le grand Apôtre : « Ce n'est pas moi, mais la
grâce de Dieu avec moi.» (1 Co 15, 10.) C'est-à-dire que Jean, considéré
en lui-même, vient de la terre, et parle le langage de la terre, et s'il vous a
fait entendre le langage du ciel, ce n'est point de lui-même, mais par un effet
de la grâce qui l'a rempli de ses lumières.
S. CHRYS. (hom. 30.) Jean-Baptiste, ayant
étouffé tout sentiment d'envie dans le cœur de ses disciples, leur parle de
Jésus-Christ avec une plus grande liberté, car tout ce qu'il aurait pu dire
auparavant eut
été inutile, et n'eût point trouvé d'écho dans des esprits si mal disposés. Il
continue donc en ces termes : « Celui qui vient du ciel est au dessus de tous.
» — LA GLOSE. C'est-à-dire celui qui vient du Père est au-dessus de tous de
deux manières : Premièrement, au-dessus de la nature humaine, qu'il n'a prise
que dans un état exempt de péché, et secondement, parce qu'il partage
l'élévation du Père dont il est l'égal.
S. CHRYS. (hom. 30.) Après ces idées si
hautes et si relevées sur Jésus-Christ, Jean-Baptiste descend de ces hauteurs
et parle, pour ainsi dire, un langage plus humain : « Et ce qu'il a vu et
entendu, il en rend témoignage. » C'est par ces deux sens de l'ouïe et de la
vue que nous arrivons à une connaissance certaine de toutes choses, et nous
sommes regardés comme des maîtres dignes de foi, lorsque nous enseignons les
choses que nous avons vues ou entendues. Jean-Baptiste applique cette vérité à
Jésus-Christ en disant de lui : « Et ce qu'il a vu et entendu, il en rend
témoignage, » il établit ainsi que les paroles du Sauveur ne renferment aucune
erreur et qu'elles sont la vérité même. Quant à moi, semble-t-il dire, j'ai
besoin d'être instruit par celui qui vient du ciel, et j'annonce ce qu'il a vu
et entendu, c'est-à-dire les vérités dont il a seul une connaissance entière et
parfaite. — THEOPHYL. En entendant ces paroles : « Il rend témoignage de ce
qu'il a vu et entendu, » n'allez pas croire que le Fils de Dieu ait besoin
d'apprendre quelque chose de son Père ; tout ce que le Fils connaît en vertu de
sa nature vient de son Père, et c'est en ce sens qu'il apprend de son Père tout
ce qu'il sait. Mais qu'est-ce que le Fils a pu entendre du Père ? Peut-être la
parole du Père ? Mais il est lui-même la parole, le Verbe du Père. — S. AUG. (Traité
14.) Lorsque vous concevez la parole que vous devez dire, vous voulez
exprimer une idée, et la conception de cette idée est déjà une parole dans
votre cœur. Or, de même que vous avez dans votre cœur la parole que vous devez
dire, et qu'elle est vraiment en vous, ainsi Dieu a produit sa parole, son
Verbe, c'est-à-dire a engendré son Fils. Donc, comme le Verbe de Dieu est le
Fils de Dieu et que c'est le Fils de Dieu qui a parlé, celui qui parlait le
Verbe du Père a voulu nous faire connaître non sa parole, mais le Verbe, la
parole du Père. Jean-Baptiste a exposé ce mystère autant qu'il était nécessaire
de le faire, et de la manière la plus convenable.
S. CHRYS. Jean-Baptiste vient de dire expressément
de Jésus-Christ : « Il atteste ce qu'il a vu et entendu » pour défendre contre
l'accusation d'erreur les enseignements du Sauveur auxquels un si petit nombre devait ajouter foi, comme il
le déclare lui-même: « Et personne ne reçoit son témoignage ; » personne,
c'est-à-dire un petit nombre de personnes ; car il avait des disciples qui
ajoutaient foi à ses paroles. Jean-Baptiste fait ici allusion à ceux de ses
disciples qui ne croyaient pas encore en Jésus-Christ et condamne en même temps
l'indifférence coupable des Juifs. C'est ce que l'Evangéliste avait dit
lui-même au commencement de son Evangile : « Il est venu chez lui, et les
siens ne l'ont pas reçu. » (C'est-à-dire les Juifs qui lui appartenaient d'une manière
toute particulière.)
S. AUG. (Traité 14.) Ou bien encore, il est
un peuple qui est comme réservé à la colère de Dieu, et qui doit être condamné
avec le démon ; personne, parmi ce peuple, ne reçoit le témoignage du Christ.
Jean-Baptiste a donc considéré cette division que la différence de disposition
et d'esprit établit dans ce mélange d'hommes qui composent le genre humain, il
a séparé par la pensée ceux que la distance des lieux n'a point encore séparés,
et il a vu deux peuples, le peuple des infidèles, et le peuple qui a embrassé
la foi. Il jette les yeux sur lès infidèles, et dit : « Personne ne reçoit son
témoignage.» Puis se détournant de la gauche, il regarde à droite et ajoute : «
Celui qui reçoit son témoignage atteste que Dieu est véridique. » — S. CHRYS. (hom.
30.) C'est-à-dire prouve qu'il est véridique. Jean-Baptiste veut inspirer
ici une crainte salutaire en disant : « Que Dieu est véridique, » et il montre
par là qu'on ne peut refuser de croire en Jésus-Christ sans accuser de mensonge
et d'erreur Dieu qui l'a envoyé, parce qu'il n'enseigne que la doctrine qu'il a
reçue de son Père : « Car celui que Dieu a envoyé, dit les paroles de Dieu. » —
ALCUIN. On peut encore entendre ces paroles : (signavit, il a marqué
d'une empreinte) dans ce sens qu'il a gravé dans son cœur un signe distinct et
spécial que Jésus est le vrai Dieu qui a souffert pour le salut du genre
humain.
S. AUG. (Traité 14.) Que signifient ces
paroles : « Dieu est véridique, » si ce n'est que l'homme est menteur
et que Dieu est le seul qui soit vrai ? Quel est l'homme en effet, qui peut
dire ce que c'est que la vérité, s'il n'est éclairé par celui qui ne peut
mentir. Dieu est donc vrai, et Jésus-Christ est Dieu. En voulez-vous la preuve
? Recevez son témoignage et tous la trouverez. Mais si tous ne le reconnaissez
pas comme Dieu, vous n'avez pas encore reçu son témoignage. Jésus est donc le
Dieu Véridique, et c'est Dieu qui l'a envoyé. C'est un Dieu qui a envoyé un
Dieu, réunissez-les, vous avez un seul Dieu. Ces paroles : « Celui que
Dieu a envoyé, » Jean-Baptiste les appliquait à Jésus-Christ, pour bien établir
la distinction qui existait entre le Sauveur et lui. Quoi donc ? Est-ce que
Jean-Baptiste n'était pas aussi l'envoyé de Dieu ? Oui, mais écoutez la suite :
« Parce que Dieu ne lui donne pas son esprit avec mesure. » Aux hommes, il la
donne avec mesure, à son Fils unique il le donne sans
mesure. L'un reçoit de l'Esprit le don de parler avec sagesse, l'autre reçoit
du même Esprit le don de parler avec science. (1 Co 12) Celui-ci reçoit une
grâce, celui-là en reçoit une autre. La mesure est une espèce de partage dans
les dons, mais Jésus-Christ ne reçoit pas avec mesure les grâces dont il est le
principe et la source.
S. CHRYS. (hom. 30.) Par Esprit,
Jean-Baptiste entend ici l'opération de l'Esprit saint, et il veut nous
apprendre que tous nous avons reçu dans une certaine mesure cette divine
opération de l'Esprit saint, tandis que Jésus-Christ l'a reçue toute entière,
comment donc avoir le moindre soupçon contre sa parole ? Il ne dit rien qui ne
soit de Dieu, qui ne soit de l'Esprit saint ; il ne parle point pour le moment
du Dieu Verbe, et se contente de confirmer sa doctrine par l'autorité du Père
et de l'Esprit saint ; car les Juifs croyaient qu'il existe un Dieu et
admettaient aussi l'existence de l'Esprit saint, (sans en avoir toutefois une
idée convenable) mais ils ne connaissaient pas l'existence du Fils.— S. AUG. (Traité
14.) Il venait de dire du Fils : « Il ne lui a pas donné i'Esprit avec
mesure. » Il ajoute : « Le Père aime le Fils » et encore : « Et il a tout remis
entre ses mains » pour vous faire comprendre toute l'étendue de ces paroles : «
Le Père aime le Fils. » En effet, le Père aime Jean ou Paul, et cependant il
n'a pas tout remis entre leurs mains. Le Père aime le Fils, mais comme un père
aime son fils, non pas comme un maître aime son serviteur ; comme on aime non
pas un fils adoptif, mais comme un fils unique. C'est pour cela qu'il lui a
tout remis entre ses mains, afin que la grandeur du Fils soit égale à la
grandeur du Père. Lors donc qu'il a daigné nous envoyer son Fils, gardons-nous
de penser qu'il nous ait envoyé quelqu'un qui lui soit inférieur.
THEOPHYL. Ainsi donc, en vertu de sa divinité, Dieu
a tout donné à son Fils par nature et
non par grâce ; ou bien il a tout remis entre ses mains, sous le rapport
de son humanité, car Nôtre-Seigneur Jésus-Christ est le maître de tout ce qui
existe dans le ciel et sur la terre.
ALCUIN. Puisque toutes choses ont été remises entre
ses mains, donc aussi la vie éternelle. C'est pour cela que Jean-Baptiste ajoute
: « Celui qui croit au Fils a la vie éternelle. » — BEDE. La foi dont il
est ici question, n'est pas celle qui ne consiste qu'en paroles, mais la foi
qui reçoit sa perfection des œuvres. — S. CHRYS. (hom. 31.) Une veut
donc point dire qu'il suffit de croire au Fils pour avoir la vie éternelle,
puisque Nôtre-Seigneur déclare lui-même expressément que ce ne sont pas ceux
qui se contentent de dire : Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume
des cieux. Il nous apprend encore que le blasphème contre l'Esprit saint,
suffit pour précipiter dans l'enfer. Ne croyons pas même que la foi pleine et
entière au Père, au Fils et au Saint-Esprit, suffise pour le salut, il faut y
joindre une vie sainte et une conduite exemplaire. Et comme le saint Précurseur
sait que la menace
des châtiments a plus d'efficacité que la promesse des récompenses, il conclut
son discours par ces paroles : « Celui qui ne croit point au Fils ne verra pas
la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui. » Remarquez comme il fait
remonter au Père l'idée de châtiment, il ne dit pas : La colère du Fils, bien
qu'il soit juge lui-même, il ne parle que de la juste colère du Père pour leur
inspirer une crainte plus vive. Et il ne dit point : La colère de Dieu
demeurera en lui, mais : « Elle demeurera sur lui, » c'est-à-dire, qu'elle
ne le quittera jamais. Et pour qu'on ne pense pas qu'il ne s'agit ici que d'une
mort temporelle, il ajoute : « Il ne verra point la vie. » — S. AUG. (Traité
14.) Il ne dit point : La colère de Dieu vient à lui, mais : « Elle
demeure sur lui, » parce que tous les hommes qui naissent à cette vie mortelle,
portent avec eux la colère de Dieu qui est tombée sur le premier Adam. Le Fils
de Dieu est venu sans avoir de péché, et il s'est revêtu de notre immortalité,
et il a souffert la mort pour nous rendre la vie. Celui donc qui refuse de
croire au Fils, mérite de voir demeurer sur lui cette colère de Dieu, dont
l'Apôtre a dit : « Nous étions par nature des enfants de colère. » (Ep 2)
LA GLOSE. Après avoir rapporté comment Jean-Baptiste
réprima les mouvements de jalousie qu'excitait dans ses disciples le progrès de
la doctrine de Jésus-Christ ; l'Evangéliste nous apprend ici comment le Sauveur
se dérobe à la méchanceté des pharisiens qui, pour la même raison, étaient
animés contre lui des mêmes sentiments d'envie : « Jésus donc ayant su que les
pharisiens avaient appris, » etc. — S. AUG. (Traité 15.) Si
Nôtre-Seigneur avait prévu que les pharisiens, en apprenant qu'il faisait plus
de disciples que Jean-Baptiste, et qu'il en baptisait un plus grand nombre, se
détermineraient à marcher à sa suite pour sauver leur âme, il n'aurait point
quitté la Judée, et il y serait resté dans leur intérêt. Mais comme il vit que
cette connaissance ne produisait en eux que de l'envie, et leur inspirait le
désir, non de le suivre, mais de le persécuter, il s'éloigna de la
Judée. Il eut pu sans doute leur échapper s'il eût voulu, tout en restant au
milieu d'eux, mais dans toutes les actions qu'il a faites comme homme, il s'est
proposé de donner l'exemple à ceux qui devaient croire en lui, et de leur
apprendre qu'un serviteur de Dieu ne pèche pas en se retirant dans un autre
lieu pour se dérober à la fureur de ses persécuteurs. Ce n'est donc point par
crainte que le bon maître agit ainsi, mais pour nous instruire. — S. CHRYS. (hom.
31.) Il le fit aussi, et pour calmer leur jalousie et pour ne pas affaiblir
la foi au mystère de son incarnation, car la vérité de sa chair eût pu paraître
douteuse, si on l'eût vu échapper visiblement aux mains de ses ennemis.
S. AUG. (Traité 15.) On sera peut-être
surpris de voir l'Evangéliste s'exprimer de la sorte : « Jésus en
baptisait un plus grand nombre, » et ajouter aussitôt : « Quoique Jésus ne
baptisât point lui-même. » Quoi donc ? Est-ce que la première proposition était
fausse et avait besoin d'être rectifiée ? — S. CHRYS. (hom, 31.) Le fait
est que Jésus-Christ ne baptisait pas lui-même, mais ceux qui firent ce rapport
affirmèrent que Jésus en baptisait un plus grand nombre que Jean, pour exciter
la jalousie des pharisiens. Jean-Baptiste nous donne du reste la raison pour
laquelle le Sauveur ne baptisait pas, lorsqu'il dit : « il vous baptisera
lui-même dans l'Esprit saint et dans le feu. » Or, comme il ne donnait pas
encore l'Esprit saint, il était convenable qu'il ne baptisât pas encore. Quant
à ses disciples, il les laissait baptiser pour en amener un plus grand nombre à
la doctrine du salut.
C'est afin de n'être pas obligés de parcourir la
Judée pour réunir ceux qui devaient embrasser la foi, comme Jésus avait fait
pour Simon et son frère, qu'ils adoptèrent l'usage du baptême, car le baptême
des disciples n'avait rien de plus que le baptême de Jean, l'un et l'autre
étaient dépourvus de la grâce qui vient de l'Esprit, et tous deux avaient un
seul et même but, celui d'amener à Jésus-Christ ceux qui étaient baptisés. — S.
AUG. (Traité 15.) On peut dire encore que ces deux propositions sont
vraies, c'est-à-dire, que Jésus baptisait et ne baptisait pas ; il baptisait,
parce que c'est lui qui purifiait les âmes, et il ne baptisait pas, parce qu'il
ne plongeait pas lui-même dans l'eau. Les disciples prêtaient leur ministère
extérieur, mais lui, dont Jean-Baptiste disait : « C'est lui qui baptise, »
donnait à ce baptême l'appui d'une majesté toute divine.
ALCUIN. On demande ordinairement si on recevait le
Saint-Esprit dans le baptême du Christ, puisqu'il est dit dans l'Evangile selon
saint Jean : « L'Esprit saint n'était pas encore donné, parce que Jésus n'était
pas encore glorifié. » Nous répondons que l'Esprit saint était donné, mais sans
cette manifestation éclatante qui eut lieu, lorsqu'après l'ascension, il
descendit sur les Apôtres sous la forme de langues de feu. Jésus-Christ posséda
toujours l'Esprit saint dans l'humanité qu'il s'était unie, et cependant
l'Esprit saint descendit visiblement sur lui sous la forme d'une colombe,
lorsqu'il fut baptisé ; c'est ainsi qu'avant l'avènement éclatant et public de
l'Esprit saint, quelques saints ont pu le recevoir d'une manière plus secrète.
— S. AUG. (Lett. 18 à Séleucis.) Il faut admettre que les
disciples de Jésus-Christ étaient déjà baptisés, soit du baptême de Jean, soit
(ce qui est plus vraisemblable) du baptême de Jésus-Christ ; il n'est pas
probable, en effet, que le Sauveur ait omis de baptiser ses disciples qui
devaient baptiser les autres en son nom, lui qui remplit si exactement l'humble
ministère de leur laver les pieds.
S. CHRYS. (hom. 31.) En s'éloignant de la
Judée, Nôtre-Seigneur reprenait la suite de ses premiers desseins : « Et il
s'en alla de nouveau en Galilée. » Jésus vient chez les Samaritains, pour le
même motif que les Apôtres, repoussés par les Juifs, allèrent chez les
Gentils ; cependant, pour ôter toute excuse aux Juifs, les Samaritains ne
sont point le but principal de son voyage, et il ne vient chez eux qu'en
passant, c'est ce que l'Evangéliste exprime en disant : « Or, il lui fallait
passer par la Samarie. » Cette contrée fut ainsi appelée, parce que la montagne
de Samarie, qui donna son nom à la ville qu'on y bâtit, s'appelait Somer, du
nom de son ancien possesseur. Les premiers habitants de cette ville et de cette
contrée ne s'appelaient pas autrefois Samaritains, mais Israélites. Dans la
suite des temps, ils transgressèrent les lois de Dieu, le roi d'Assyrie ne
voulut plus les laisser dans leur pays, il les emmena à Babylone et dans la
Médie, et le repeupla de colons tirés de diverses provinces assyriennes. Mais
Dieu voulant prouver que ce n'était point par impuissance qu'il avait livré les
Juifs aux mains de leurs ennemis, mais pour les punir de leurs crimes, envoya
contre ces peuples barbares et idolâtres des lions qui dévastaient le pays. Le
roi d'Assyrie, en ayant été instruit, leur envoya un prêtre Israélite pour leur
enseigner le culte et les lois du Dieu des Juifs. Toutefois ils ne renoncèrent
pas entièrement à leur impiété, et ils revinrent insensiblement au culte des
idoles, ils y mêlaient cependant le culte du vrai Dieu. Ils prirent le nom de
Samaritains, de la montagne même de Samarie.
BEDE. Il lui fallait passer par la Samarie, qui est
située entre la Judée et la Galilée. Samarie est une des villes les plus
remarquables de la Palestine, et tellement importante par sa population,
qu'elle a donné son nom à toute la contrée qui l'entoure. Or, l'Evangéliste
nous indique dans quel endroit de cette contrée Nôtre-Seigneur s'arrêta : « Il
vint donc dans une ville de Samarie, nommé Sichar. » — S. CHRYS. (hom. 31.)
C'était le lieu où Lévi et Siméon se vengèrent d'une manière sanglante de
l'outrage fait à Dina, leur sœur. (Gn 34) Après que les fils de Jacob
eurent rendu cette ville déserte par le meurtre des Sichimites, le patriarche
la donna par la suite en héritage à son fils Joseph ; c'est à cette donation
qu'il faisait allusion lorsqu'il lui dit : « Je te donnerai de plus qu'à tes
frères la part de mon héritage que j'ai conquise par mon glaive et par mon arc
de la main des Amorrhéens, » (Gn 48) et que l'Evangéliste rappelle en
ces termes : « Près de l'héritage que Jacob donna à son fils Joseph. »
« Là était le puits de Jacob. » — S. AUG. (Traité
15.) C'était un puits, or tout puits est une fontaine (ou une source), mais
toute fontaine n'est pas un puits. L'eau qui jaillit des entrailles de la terre
et satisfait aux besoins de ceux qui viennent y puiser,
s'appelle une source ; si elle jaillit à la surface de la terre et qu'elle soit
comme sous la main, ce n'est qu'une source, mais si l'eau est à une grande
profondeur dans l'intérieur de la terre, c'est à la fois un puits et une
source. — THEOPHYL. Mais pourquoi l'Evangéliste fait-il mention de cette
fontaine et de cet héritage ? Premièrement, pour que tous n'éprouviez aucune
surprise lorsque vous entendrez dire à cette femme car c'est leur père Jacob
qui leur a donné ce puits ; secondement, pour vous apprendre par le souvenir de
ce puits et de cet héritage que les Juifs ont perdu par leur impiété, ce que
les patriarches avaient reçu comme récompense de la foi qu'ils avaient en Dieu,
et que ces lieux avaient été livrés aux nations idolâtres ; il n'y a donc rien
de nouveau ni d'étonnant à ce que le royaume des cieux passe encore des Juifs
aux Gentils.
S. CHRYS. (hom 31.) Nôtre-Seigneur
Jésus-Christ en se rendant dans la Samarie, ne fait usage d'aucune des
commodités de la vie, il choisit ce qu'il y a de plus pénible, il ne se sert
point de monture, et entreprend à pied un voyage si difficile qu'il en éprouve
une grande fatigue ; ainsi nous apprend-il à renoncer à toutes les superfluités
et à nous priver même de beaucoup de choses nécessaires : C'est ce que veut
exprimer l'Evangéliste par ces paroles : « Jésus, fatigué de la route,
s'assit sur le bord du puits. » — S. AUG. (Traité 15.) Il semble dire :
Nous avons trouvé Jésus à la fois plein de force et de faiblesse ; plein de
force, parce qu'il est le Verbe qui était au commencement ; plein de faiblesse,
parce que le Verbe s'est fait chair. C'est donc Jésus faible parce qu'il l'a
voulu, qui, fatigué de la route, s'assied sur les bords du puits. — S. CHRYS. (hom.
31.) Ainsi, ce n'est ni sur un trône, ni sur des coussins qu'il est assis,
mais simplement sur la terre, comme cela se rencontrait. Il s'assied et pour
attendre ses disciples, et pour reposer et rafraîchir près de cette fontaine
son corps fatigué de la route et des ardeurs du soleil : « Or, il était environ
la sixième heure. » — THEOPHYL. L'Evangéliste prévient le reproche qu'on
pourrait faire au Sauveur de venir dans la Samarie après avoir lui-même défendu
à ses disciples d'y aller, en faisant remarquer que c'est pour se reposer de la
fatigue du chemin que Jésus s'est assis dans cet endroit.
ALCUIN. Dans le sens mystique, le Seigneur quitte la
Judée, (c'est-à-dire l'incrédulité de ceux qui ont refusé de le recevoir), il
s'en va dans lu personne de ses apôtres en Galilée) figure de la rapidité du
monde, et nous apprend ainsi à passer nous-mêmes des vices à la pratique des
vertus. Ce champ, à mou avis, avait été laissé moins à Joseph qu'à Jésus-Christ
dont il était la figure, et qu'adorent véritablement le soleil, la lune et les
étoiles. Le Seigneur se rend dans ce champ, afin que les Samaritains qui
revendiquaient pour eux l'héritage du patriarche Jacob pussent reconnaître le
Christ qui est le légitime héritier du patriarche, et se convertir à lui. — S.
AUG. (Traité 15.) Le chemin qu'il fait, c'est la chair qu'il a prise
pour notre salut, car pour celui qui est partout, venir à nous, c'est se
revêtir d'une chair visible. Il est fatigué de la route, c'est-à-dire fatigué
des infirmités naturelles à la chair. Que signifie la sixième heure ? Le
sixième âge du monde. Comptez en effet comme la première heure, le premier âge
d'Adam jusqu'à Noé ; le second, de Noé à Abraham ; le troisième d'Abraham
jusqu'à David : le quatrième, de David jusqu'à la transmigration de
Babylone ; le cinquième, de la transmigration de Babylone jusqu'au baptême de
Jean où commence le sixième âge.
S. AUG. (Liv. des 83 Quest., quest.
64.) C'est donc à la sixième heure du jour que Nôtre-Seigneur vint
s'asseoir sur le bord du puits. Je vois dans ce puits une profondeur
ténébreuse, je suis autorisé à y reconnaître les parties inférieures de ce
monde, c'est-à-dire la terre sur laquelle le Seigneur Jésus est venu à la
sixième heure, c'est-à-dire au sixième âge du genre humain qui représente la
vieillesse de l'homme ancien dont nous devons nous dépouiller pour nous revêtir
du nouveau. La sixième heure en effet représente la vieillesse ; la première,
l'âge le plus tendre ; la seconde, l'enfance ; la troisième, l'adolescence ; la
quatrième, la jeunesse ; la cinquième, l'âge mûr. Nôtre-Seigneur vient encore
s'asseoir sur le bord de ce puits, vers la sixième heure, c'est-à-dire au
milieu du jour, alors que le soleil commence à descendre vers le couchant,
parce qu'en effet lorsque Jésus-Christ nous appelle à lui, nous sentons le goût
des biens visibles s'affaiblir en nous pour faire place à l'amour des choses
invisibles et les yeux de notre âme se tourner vers cette lumière intérieure
qui ne se couche jamais. Nôtre-Seigneur est assis, ce qui peut figurer son
humilité, ou bien comme les docteurs ont coutume d'être assis, pour nous
rappeler qu'il est notre véritable maître.
S. CHRYS. (hom. 31.) Comme le Sauveur
paraissait aller contre le commandement qu'il avait fait en parlant aux
Samaritains, l'Evangéliste nous donne plusieurs raisons de la conversation
qu'il eut avec cette femme. D'abord il n'était point venu dans le dessein
premier de s'entretenir avec des Samaritains. Mais fallait-il pour cela
repousser cette femme qui venait à lui, comme le remarque l'Evangéliste : « Or,
une femme de Samarie vint puiser de l'eau ? » Vous voyez que cette femme
vient puiser de l'eau à cause de la chaleur.
S. AUG. (Traité 15.) Cette femme est la
figure de l'Eglise qui n'est pas encore justifiée, mais qui n'est pas loin de
la justification. C'est comme symbole de ce qui doit arriver, qu'elle vient du
milieu des étrangers. Car les Samaritains étaient des étrangers pour les Juifs
quoique habitant une contrée voisine. Or, l'Eglise aussi devait venir du milieu
des nations et d'une race étrangère à celle des Juifs.
THEOPHYL. La discussion avec cette femme commence
très à-propos à l'occasion de la soif qu'éprouvait le Sauveur : « Jésus lui dit
: Donnez-moi a boire. » Il avait soif en effet dans sa nature humaine par suite
de la fatigue et de la chaleur. — S. AUG. (Quest. 83, quest. 64.)
Jésus avait
soif aussi de la foi de cette femme, car il a soif de la foi de tous les hommes
pour lesquels il a répandu son sang. — S. CHRYS. (hom. 31.)
Nôtre-Seigneur non-seulement affronte courageusement les difficultés delà
route, mais se montre plein d'indifférence pour la nourriture, car ses
disciples ne portaient point de vivres avec eux, comme nous le voyons par la
suite du récit : « Ses disciples étaient allés dans la ville acheter de
quoi manger. » L'Evangéliste nous fait encore ressortir l'humilité de Jésus qui
consentait à ce qu'on le laissât seul. Il aurait pu s'il avait voulu, ou en
garder quelques-uns près de lui, ou a leur défaut, avoir d'autres serviteurs,
il ne le voulut pas, pour apprendre à ses disciples à fouler aux pieds tout
orgueil. On me dira, peut-être, quoi d'étonnant que les disciples fussent
humbles eux qui n'étaient que de simples pécheurs et des fabricants de tentes ?
Mais ne sont-ils pas devenus tout d'un coup plus dignes de vénération que tous
les rois, eux les amis et les intimes du Seigneur de l'univers entier ? Ne
voit-on pas en effet ceux qui sortent d'une condition obscure et qui sont
élevés à quelque dignité, être plus accessibles à l'orgueil, et comme
incapables de supporter le poids d'un si grand honneur ? Le Seigneur donc, en
maintenant ses disciples dans les mêmes sentiments d'humilité, leur apprenait à
se modérer en toutes choses. Or, cette femme trouve dans ces paroles du Sauveur
: « Donnez-moi à boire, » une occasion tout naturel de lui faire cette
question : « Comment vous qui êtes Juif, me demandez-vous à boire à moi qui
suis Samaritaine ? » Elle présuma qu'il était Juif à sa figure et à son
langage. Mais voyez la circonspection de cette femme, car si Jésus devait se
garder de tout commerce avec elle, elle
n'avait point les mêmes raisons d'éviter tout rapport avec lui. L'Evangéliste
en effet ne dit point que les Samaritains n'ont point de commerce avec les
Juifs, mais que les Juifs n'ont point de commerce avec les Samaritains. Depuis
le retour de la captivité, les Juifs étaient en garde contre les Samaritains et
les regardaient comme des étrangers et des ennemis, car ils ne recevaient pas
toutes les Ecritures, et n'admettaient que le livre de Moïse, sans tenir
beaucoup de compte des prophètes. Ils prétendaient avoir part à la noblesse du
peuple juif qui les avait en horreur à l'égal des autres nations infidèles. —
S. AUG. (Traité 15.) Les Juifs n'auraient voulu à aucun prix se servir
des vases qui étaient à l'usage des Samaritains ; aussi cette femme qui portait
un vase pour puiser de l'eau, s'étonnait qu'un Juif lui demandât à boire, ce
que ne faisaient jamais les Juifs. — S. CHRYS. (hom. 31.) Mais comment
Jésus peut-il lui demander à boire, malgré la défense de la loi ? Dira-t-on
qu'il prévoyait bien qu'elle n'accéderait pas à sa demande ? C'était une raison
de ne pas la faire. Disons donc qu'il lui demande à boire parce que le temps
était venu où l'on pouvait sans se rendre coupable, laisser de côté de telles
observances.
S. AUG. (Traité 15.) Celui qui lui demandait
à boire avait soif de la foi de cette femme. Aussi « Jésus lui répondit :
Si vous connaissiez le don de Dieu, » etc. — ORIG. (Traité 14 sur S.
Jean.) C'est une vérité des mieux établies en effet que les grâces divines
ne sont accordées qu'à ceux qui les désirent et les recherchent. Ainsi le Père
fait un commandement au Sauveur de lui demander ce qu'il désire obtenir : «
Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage. » (Ps 2)
Nôtre-Seigneur lui-même nous en fait un précepte : « Demandez, et vous recevrez
; » (Mt 7, Lc 11) et voilà pourquoi il dit ici : « Peut-être
lui en auriez-vous demandé, et il vous aurait donné une eau vive.» — S. AUG. (Liv.
des 83 Quest. quest. 64.) Il cherche à lui faire comprendre que
l'eau qu'il lui demandait n'était pas celle qu'elle entendait, mais qu'il avait
soif de sa foi et qu'elle eût soif elle-même de l'Esprit saint qu'il désirait
lui donner. Car cette eau vive, si nous la comprenons bien, c'est le don de
Dieu, comme le Sauveur dit expressément : « Si vous connaissiez le don de Dieu.
» — S. AUG. (Traité 15.) On donne ordinairement le nom d'eau vive à
celle qui jaillit d'une source ; car pour l'eau de pluie qu'on recueille dans
des fossés et dans des citernes, ce n'est point de l'eau vive. De même on ne
peut appeler de l'eau vive l'eau qui vient d'une source, mais qu'on a
recueillie dans un réservoir où ne coule pas la source d'où elle
provient, et dont le cours se trouve interrompu de manière à séparer cette eau
de la source qui l'a produite. —S. CHRYS. (hom. 32.) L'Ecriture
sainte donne à la grâce de l'Esprit saint tantôt le nom d'eau, tantôt le nom de
feu, ce qui est une preuve que ces noms ne sont pas l'expression de la nature
de cette personne divine, mais de son action. Le feu est l'emblème de
l'efficacité et de la ferveur de la grâce pour effacer et détruire le péché, et
l'eau est la figure de l'action purifiante de l'Esprit saint, et le
rafraîchissement divin qu'il donne aux âmes qui le reçoivent. — THEOPHYL. Il
appelle la grâce de l'Esprit saint une eau vive, rafraîchissante et active, car
la grâce de l'Esprit saint dirige et conduit celui qui fait le bien et dispose
dans son cœur les degrés, par lesquels il s'élève jusqu'à Dieu.
S. CHRYS. (hom. 32.) Le Sauveur a déjà
modifié l'opinion que cette femme avait d'abord de lui, en le regardant comme
un homme ordinaire ; elle le traite avec plus d'égards, et lui donne le nom de
Seigneur : « Cette femme lui dit : Seigneur, vous n'avez pas avec quoi puiser,
et le puits est profond ; d'où auriez-vous donc de l'eau vive ? » — S. AUG. (Traité
15.) Vous voyez que la Samaritaine n'entendait par eau vive que
celle qui était dans le puits, et qu'elle semble dire à Nôtre-Seigneur : Vous
voulez me donner de l'eau vive, mais j'ai seule le vase nécessaire pour la
puiser, et vous ne l'avez pas; vous ne pouvez donc pas me donner cette eau
vive, puisque vous n'avez pas de quoi la puiser. Peut-être me promettez-vous
l'eau d'une autre source, mais êtes-vous plus puissant que notre père Jacob,
qui nous a donné ce puits, et en a bu lui-même, aussi bien que ses enfants et
ses troupeaux ? » — S. CHRYS. (hom. 31.) Voici le sens de ces paroles :
« Vous ne pouvez pas dire que Jacob nous a donné ce puits, il est vrai, mais
qu'il a fait usage d'un autre. Car lui aussi bien que ses enfants ont bu de cette
eau, ce qu'ils n'eussent pas fait, s'ils avaient eu une source meilleure et
plus pure. Vous ne pouvez donc prétendre avoir une fontaine meilleure que
celle-ci, à moins que vous ne vous donniez comme un personnage plus grand que
Jacob. Mais d'où ferez-vous venir cette eau que vous me promettez ? — THEOPHYL.
Elle ajoute : « Et ses troupeaux, » pour montrer combien ces eaux étaient
abondants, et comme si elle disait : Cette eau est si bonne, que Jacob en a bu
ainsi que ses enfants ; et elle est si abondante, qu'elle a suffi pour abreuver
les nombreux troupeaux du patriarche.
S. CHRYS. (hom. 3l.) Voyez comme cette femme
prétend ouvertement partager l'honneur de la nation juive. Les Samaritains, en
effet, regardaient Abraham comme leur ancêtre, parce qu'il était chaldéen d'origine, et ils appelaient
Jacob leur père, parce qu'il était le petit-fils d'Abraham. — BEDE. Ou bien,
elle appelle Jacob son père, parce qu'elle avait vécu sous la loi de Moïse, et
que la nation possédait l'héritage que Jacob avait donné à son fils Joseph. —
ORIG. (Traité 14 sur S. Jean.) Dans le sens mystique, le
puits de Jacob, ce sont les maintes Ecritures, ceux qui sont versés dans la
connaissance de ces saintes lettres, boivent comme Jacob et ses enfants ; les
esprits simples et ignorants boivent comme les troupeaux du patriarche.
S. CHRYS. (hom. 32.) A la question que lui
fait cette femme : « Etes-vous plus grand que notre père Jacob ? » Jésus ne
répond pas expressément : Oui, je suis plus puissant que lui, pour ne point paraître
se glorifier lui-même, mais il le fait entendre en termes équivalents :
« Jésus lui répondit : Quiconque boit de cette eau, aura encore soif, mais
celui qui boira de l'eau que je lui donnerai, n'aura jamais soif. L’eau que je
lui donnerai, deviendra en lui une fontaine d'eau jaillissante pour la vie
éternelle. » C'est-à-dire Jacob vous paraît puissant et admirable, parce qu'il
vous a donné l'eau de ce puits, que direz-vous donc si je vous donne une eau
bien meilleure. Il ne déprécie pas l'eau de ce puits, il lui en indique simplement une
d'une qualité bien supérieure ; il ne dit point que cette eau est vile et
méprisable, mais il donne un fait qui est attesté par l'expérience, c'est que
celui qui boira de cette eau aura encore soif. — S. AUG. (Traité 15.) Ce
qui est très-vrai et de l'eau naturelle et de l'eau allégorique, dont elle est
la figure. L'eau, dans le puits, signifie la volupté charnelle dans les
profondeurs ténébreuses du siècle : c'est là que les hommes viennent la puiser
avec l'urne de la convoitise, car c'est par la convoitise qu'on est poussé à la
volupté. Mais lorsque l'homme s'est désaltéré dans les jouissances charnelles,
sa soif sera-t-elle apaisée pour toujours ? Il est donc vrai que celui qui
boira de cette eau aura encore soif. Mais s'il boit de l'eau que je donne, il
n'aura jamais soif ; car comment ceux qui seront enivrés de l'abondance de la
maison de Dieu (Ps 35), pourraient-ils encore éprouver le besoin de la
soif ? Ce que le Sauveur promettait donc à cette femme, c'était l'effusion
surabondante de l'Esprit saint qui devait rassasier son âme. — S. CHRYS. (hom.
32.) Nôtre-Seigneur donne la raison des propriétés merveilleuses de cette
eau qui doit étancher la soif à tout jamais : « Mais l'eau que je lui donnerai
deviendra en lui une fontaine d'eau vive qui rejaillira jusque dans la vie
éternelle, » paroles qui équivalent à celles-ci : Celui qui aurait une source
au dedans de lui-même, n'éprouverait jamais le besoin de la soif ; ainsi en
sera-t-il de celui qui boira cette eau que je lui donnerai. — THEOPHYL. Car l'eau que je lui donnerai ira toujours en
se multipliant ; les saints reçoivent, en effet, de la grâce, le principe et
les semences des vertus, mais c'est à eux de les développer et de les faire
croître par leurs travaux et par leurs efforts.
S.
CHRYS. (hom. 32.) Voyez comme Nôtre-Seigneur élève peu à peu cette femme
jusqu'à la hauteur des vérités de la foi chrétienne. Elle a commencé par le
regarder comme un juif transgresseur de sa loi. Lorsqu'elle l'entendit parler
d'eau vive, elle prit ses paroles dans un sens matériel. Comprenant ensuite
leur signification spirituelle, elle crut que cette eau pourrait étancher la
soif pour toujours. Cependant elle ne savait pas encore quelle était cette eau,
mais elle cherchait à le savoir, persuadée qu'elle était au-dessus des choses
sensibles. Aussi écoutez ce qu'elle dit au Sauveur : « Cette femme lui dit :
Donnez-moi de cette eau, afin que je n'aie plus soif, et que je ne vienne plus
ici puiser. » Et elle place ainsi Jésus bien au-dessus du patriarche Jacob,
dont elle avait cependant une si haute opinion.
S.
AUG. (Traité 15.) On peut dire aussi que la Samaritaine se conduisait
encore par les inclinations de la chair, elle fut charmée de pouvoir échapper
au besoin de la soif, et elle s'imaginait que c'était nue promesse toute
matérielle que Nôtre-Seigneur lui avait faite. Dieu avait préservé pendant
quarante jours son serviteur Elie de la faim et de la soif. (R 3, 19.)
Puisqu'il pouvait en préserver pour quarante jours, ne pouvait-il pas
affranchir pour toujours de la nécessité de boire ? Cette promesse sourit à
cette femme, et elle prie le Sauveur de lui donner cette eau vive : « Seigneur, donnez-moi
cette eau, afin que je n'aie plus soif, et que je ne vienne plus ici puiser, »
car son indigence l'obligeait à cette fatigue, que sa faiblesse lui faisait
repousser. Plût à Dieu qu'elle eût entendu cette douce invitation :
« Venez à moi, vous qui travaillez et qui êtes chargés, et je vous
soulagerai ! » (Mt 11) Jésus adressait ces paroles pour la
délivrer de tout travail, mais elle ne les comprenait pas encore.
Nôtre-Seigneur voulut enfin lui en donner l'intelligence : « Jésus lui dit
: Allez, appelez votre mari et venez ici. » Qu'est-ce que cela veut dire ?
Est-ce que c'est par l'intermédiaire de son mari qu'il voulait lui donner cette
eau ? Voulait-il se servir de lui pour lui enseigner ce qu'elle ne comprenait
pas suivant la recommandation de l'Apôtre : « Si les femmes veulent
s'instruire de quelque chose, qu'elles le demandent à leurs maris dans la
maison ? » Mais cela ne doit se faire que lorsqu'on n'a pas le Seigneur
lui-même pour maître, car dès lors qu'il était présent, qu'était-il besoin du
mari pour enseigner la femme ? Est-ce que le Sauveur employait l'intermédiaire
d'un homme pour parler à Marie qui était assise à ses pieds ?
S. CHRYS. (hom. 32.) Aux instances que fait
la Samaritaine pour recevoir l'eau qui lui a été promise, Jésus répond :
« Appelez votre mari, et comme pour lui faire comprendre qu'il voulait
faire participer son mari à la même grâce. Mais cette femme désirait recevoir
cette eau sans retard ; elle voulait d'ailleurs cacher la honte de sa vie à
Jésus, en qui elle ne voyait qu'un homme : « La femme lui répondit : Je n'ai
point de mari. » Le Sauveur profite de cet aveu pour lui découvrir le scandale
de sa vie. Il lui rappelle tous ceux qu'elle a eus pour mari, et lui fait un
reproche de celui qu'elle cherche en ce moment à dissimuler : « Jésus lui
dit : Vous avez raison de dire : Je n'ai point de mari. » — S. AUG. (Traité 15.)
Cette femme, en effet, n'avait point alors de mari, et vivait avec je ne sais
quel homme dans une union illégitime et scandaleuse, Nôtre-Seigneur le lui
rappelle avec une intention particulière et secrète en lui disant : « Vous avez
eu cinq maris. »
ORIG. (Traité 13 sur S. Jean.) Examinez s'il
ne serait pas possible dans le sens allégorique, de voir dans cette fontaine de
Jacob l'ensemble des saintes Ecritures ; l'eau que donne Jésus, ce sont les
mystères que contiennent les saintes Ecritures, et qu'il n'est pas donné à tout
le monde d'approfondir ; car la lettre de l'Ecriture a été dictée par des
hommes, mais ces mystères que l'œil de l'homme n'a point vus, que son oreille
n'a point entendus, que le cœur de l'homme n'a point compris, peuvent être reproduits
par les Ecritures ; or ils découlent de cette source qui rejaillit jusqu'à la
vie éternelle, c'est-à-dire de l'Esprit saint qui est un esprit de sagesse, et
sont révélés à ceux qui ne portent plus en eux-mêmes au cœur d'homme, et qui
peuvent dire avec l'Apôtre : « Pour nous, nous avons l'esprit de Jésus-Christ.
» (1 Co 2, 16.) Celui donc qui n'entre point dans la profondeur des
paroles, peut bien goûter quelques instants de repos, mais pour retomber
bientôt dans le doute. Celui, au contraire, qui boit de l'eau que Jésus lui
donne, voit jaillir en lui la source de toutes les vérités qu'il cherche à
connaître, et à mesure que l'eau s'élève, son âme s'envole à la suite de cette
eau qui jaillit jusqu'à la vie éternelle. Cette femme voulait, sans recourir à
l'eau de Jacob, parvenir à la vérite à la manière des anges, et par une voie
supérieure à celle des hommes ; car les anges n'ont point besoin de l'eau de
Jacob pour étancher leur soif, mais chacun d'eux a au dedans de lui une
fontaine d'eau qui sort du Verbe et qui rejaillit jusqu'à la vie éternelle :
« Cette femme lui dit donc : Seigneur, donnez-moi cette eau. » Or.
ici-bas, il est impossible de recevoir l'eau qui est donnée par le Verbe. sans
puiser à la fontaine de Jacob ; aussi lorsque la Samaritaine loi demande cette
eau, Jésus semble lui dire qu'il ne peut lui en donner qu'en puisant à la
fontaine de Jacob : or Jésus lui dit : Allez, appelez votre mari, et venez ici.
» Si nous avons soif, nous ne devons d'abord chercher à nous rafraîchir
qu'avec l'eau de la fontaine de Jacob ; car selon la doctrine de l'Apôtre : la
loi est comme le mari de l'âme. (Rm 7) — S. AUG. (Liv. des 83 quest.,
quest. 64.) Dans ces cinq maris, il en est qui voient la figure des cinq
livres qui ont été écrits par Moïse ; et ce que Notre-Seigneur ajoute : « Celui
que vous avez maintenant n'est pas votre mari, » devrait s'entendre de
lui-même. Tel serait donc le sens de ces paroles : « Vous avez d'abord été
soumise aux cinq livres de Moïse, comme à cinq maris. Mais maintenant celui que
vous avez (c'est-à-dire que vous entendez), n'est pas votre mari, parce que
vous ne croyez pas encore en lui. Mais puisqu'elle ne croyait point encore en
Jésus-Christ, et qu'elle était encore unie et soumise à ces cinq maris, c'est-
à-dire à ces cinq livres, pourquoi le Sauveur lui dit-il : « Vous avez eu cinq
maris, » comme si elle avait cessé de les avoir ? D'ailleurs, comment peut-on
comprendre qu'il faille rompre avec ces cinq livres pour se soumettre à
Jésus-Christ, alors que celui qui croit en Jésus-Christ, loin de renoncer à ces
cinq livres, recherche et goûte bien plus vivement le sens spirituel
de ces livres ? Il faut donc entendre ces paroles autrement. — S. AUG. (Traité
15.) Jésus, voyant que cette femme ne comprenait pas, et voulant l'amener à
comprendre les enseignements qu'il lui adressait : « Appelez, lui dit-il, votre
mari, » c'est-à-dire, faites que votre intelligence soit présente. Lorsqu'on
effet, la vie est bien réglée, c'est la raison qui dirige ses opérations, la
raison qui n'est point quelque chose en dehors de l'âme, mais qui est une des
facultés de l'âme. Cette faculté de l'âme qu'on appelle la raison ou l'esprit,
est éclairée par une lumière supérieure. Cette lumière s'entretenait avec cette
femme, mais l'intelligence lui faisait défaut. Aussi le Sauveur semble lui dire
: Je voudrais vous éclairer, et le sujet manque ; appelez donc votre mari,
c'est-à-dire faites usage de l'intelligence qui doit vous enseigner, vous
conduire ; mais tant qu'elle n'a pas appelé son mari, elle ne peut comprendre.
Les cinq premiers hommes peuvent signifier les cinq sens du corps. Car avant
que l'homme fasse usage de sa raison, il n'est conduit que par les sens du
corps ; mais lorsque l'âme est devenue capable de raison, elle se laisse alors
diriger ou par la vérité ou par l'erreur. Or, l'erreur est incapable de
diriger, et ne peut qu'égarer. Après avoir obéi à ses cinq sens, cette femme
était donc encore dans l'égarement ; l'erreur qu'elle suivait n'était pas son
légitime mari, mais un adultère. C'est donc avec raison que le Sauveur lui dit
: « Rompez avec cet adultère qui ne peut que vous corrompre, et appelez votre
mari pour qu'il vous aide à me comprendre. »
ORIG. (Traité 13 sur S. Jean.) Mais où Jésus
pouvait-il mieux convaincre la Samaritaine que l'homme avec qui elle vivait
n'était pas son véritable époux, qu'auprès de la fontaine de Jacob ? Si la
loi est le mari de l'âme, on peut dire aussi que la Samaritaine, obéissant à une fausse interprétation de
la loi, suivait les rites idolâtriques des infidèles. Le Sauveur la rappelle
donc au Verbe de vérité, qui devait ressusciter d'entre les morts, pour ne plus
mourir.
S. CHRYS. (hom. 31.) Cette femme ne s'offense
pas des reproches du Sauveur, elle ne songe pas à le quitter, mais pleine au contraire
d'admiration, elle prolonge la conversation pour rester avec lui : « La femme
lui dit : Seigneur, je vois que vous êtes un prophète, » c'est-à-dire, les
secrets que vous venez de me révéler me prouvent que vous êtes un prophète. —
S. AUG. (Traité 15.) Son mari commence à venir, mais il n'est pas encore
tout à fait venu. Elle regarde le Seigneur comme un prophète, et il était
prophète, en effet, car il a dit de lui-même : « Il n'y a point de prophète
sans honneur, si ce n'est dans sa patrie. » — S. CHRYS. (hom. 32.) Dans
cette persuasion où elle est, elle ne lui demande aucun des biens de la terre,
aucune des chose qui ont rapport à cette vie, elle ne se soucie ni de la santé,
ni de l'opulence, ni des richesses, elle ne cherche qu'à s'instruire de la
doctrine céleste. Elle, qui ne ressentait d'abord que les atteintes de la soif
et n'était occupée que des moyens de la calmer, n'a plus qu'une pensée, celle
de connaître la vérité. — S. AUG. Elle entame la discussion par le sujet
qui la préoccupait le plus : « Nos pères, dit-elle, ont adoré sur cette
montagne, et vous vous dites que Jérusalem est le lieu où il faut adorer. »
C'était le grand sujet de dispute entre les Samaritains et les juifs. Les Juifs
adoraient Dieu dans le temple bâti par Salomon, et se vantaient par là même
d'être supérieurs aux Samaritains. Ceux-ci leur répondaient : Pourquoi vous
vanter d'être en possession d'un temple que nous, Samaritains, nous n'avons pas
? Est-ce que nos pères qui, certes, ont été agréables à Dieu, l'ont adoré dans
ce temple ? Nous sommes donc bien plus en droit de prier Dieu sur cette
montagne où nos pères lui ont offert leurs adorations. — S. CHRYS. (hom. 32.)
Ces aieux dont elle invoque l'exemple, c'est Abraham et les patriarches. C'est
là, en effet, suivant la tradition, qu'Abraham offrit à Dieu son Fils Isaac. —
ORIG. On peut dire encore que les Samaritains regardant comme sainte la
montagne de Garizim, près de laquelle Jacob habita, croyaient devoir y offrir à
Dieu leurs adorations. Les Juifs, au contraire, pour qui la montagne de Sion
était sacrée, la regardaient comme le lieu exclusivement choisi de Dieu pour y
recevoir les prières des hommes. Or, comme les Juifs, de qui vient le salut,
sont figure de ceux qui n'admettent que la saine doctrine, tandis que les
Samaritains sont l'image de ceux qui se livrent à tous les caprices si divers
de l'erreur, le mot Garizim, qui veut dire distinction ou division,
représente les Samaritains, comme la montagne de Sion, qui signifie lieu
d'observation, représente les Juifs.
S. CHRYS. (hom. 32 et 33.) Jésus ne
résout pas aussitôt la question qui lui est proposée, mais il élève cette femme
à de plus hautes considérations, ce qu'il ne
fait cependant que lorsqu'elle eut reconnu qu'il était prophète, afin
qu'elle ajoutât une foi entière à ce qu'il allait lui révéler : « Jésus lui dit
: Femme, croyez-moi, » etc. Il lui dit : « Croyez-moi, » parce qu'en toute
circonstance la foi nous est nécessaire comme la mère de tous les biens, comme
l'unique moyen d'arriver au salut, et sans lequel nous ne pouvons avoir la
connaissance des grandes vérités du salut. Ceux qui ne s'appuient que sur leurs
propres raisonnements, sont semblables à ceux qui essaieraient de traverser la
mer sans navire, ils pourront peut-être nager un instant, mais à peine se
seront-ils avancés en pleine mer qu'ils seront submergés dans les flots. — S.
AUG. (Traité 15.) Le mari de cette femme est présent, le Sauveur peut
donc lui dire : « Croyez-moi. » Vous avez on vous celui qui doit croire,
vous êtes ici présente par votre intelligence, mais si vous ne croyez point,
vous ne comprendrez point. — ALCUIN. Ces paroles : « L'heure vient, »
signifient le temps de la doctrine évangélique qui était proche, et où toutes
les figure ? devaient disparaître pour céder la place à la vérité qui devait
répandre ses plus pures lumières dans l'âme de ceux qui devaient embrasser la
foi.
S. CHRYS. (hom. 33 sur S. Jean.) Il
était utile que Notre-Seigneur expliquât la raison pour laquelle les
patriarches avaient adorer Dieu sur la montagne de Garizim, tandis que les
Juifs l'adoraient à Jérusalem ; il n'en dit donc rien, il se contente de lui
dire que le culte rendu
à Dieu par les Juifs était préférable, non à cause du lieu où ils l'adoraient,
mais à cause de l'esprit qui les guidait : « Vous adorez, vous, ce que vous ne
connaissez pas, pour nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut
vient des Juifs. » — ORIG. (Traité 14 sur S. Jean.) Ce mot « vous, »
littéralement, désigne les Samaritains ; dans le sens allégorique, il s'applique
à ceux qui interprètent les Ecritures dans un sens contraire à celui de
l'Eglise, ou dont la doctrine est tout autre et par-là même erronée. De même le
pronom « nous, » dans le sens littéral, désigne les Juifs, et dans le sens
allégorique, le Verbe divin, aussi bien que ceux qui ont avec lui une
bienheureuse conformité et qui parviennent au salut par les Ecritures qui sont
entre les mains des Juifs. — S. CHRYS. (hom. 33.) Les Samaritains, en
effet, adoraient ce qu'ils ne savaient pas, parce qu'ils faisaient de Dieu un
être limité par les lieux et comme divisé par parties. Dans leur pensée, il
n'était donc point supérieur aux idoles, et c'est pour cela qu'ils mêlaient le
culte de la divinité avec celui des démons. Les Juifs, au contraire, étaient
affranchis de ces erreurs et connaissaient le seul vrai Dieu de l'univers,
comme le déclare Nôtre-Seigneur : « Nous adorons ce que nous savons. » Il
se met lui-même au nombre des Juifs pour répondre à l'opinion de cette femme
qui le considérait comme un prophète des Juifs, et c'est pour cela qu'il dit :
« Nous adorons, » bien qu'il soit évidemment celui qui reçoit les adorations de
tous les hommes. Les paroles qui suivent : « Parce que le salut vient des
Juifs, » ne signifient autre chose que ce sont les Juifs qui ont conservé dans
toute leur pureté toutes les doctrines du salut qui se répandirent ensuite dans
tout l'univers comme la connaissance de Dieu, l'horreur pour les idoles et les
autres vérités dogmatiques ; notre culte même tire son origine de
celui des Juifs. Nôtre-Seigneur appelle sa présence dans le monde le salut, et
il dit que ce salut vient des Juifs, selon ces paroles de l'Apôtre : « Eux de
qui est sorti selon la chair Jésus-Christ. » (Rm 9) Voyez comme il
confirme l'autorité de l'Ancien Testament, qu'il présente comme la source de
tous les biens en même temps qu'il démontre qu'il n'est point opposé à la loi.
— S. AUG. (Traité 15.) Nôtre-Seigneur accorde beaucoup aux Juifs,
en déclarant en leur nom : « Pour nous, nous adorons ce que nous connaissons. »
Ce n'est pas toutefois au nom des Juifs infidèles et réprouvés qu'il parle de
la sorte, mais au nom de ceux qui ressemblèrent aux Apôtres, aux prophètes et à
tous les saints, qui déposaient le prix de leurs biens aux pieds des Apôtres. (Ac
4)
S. CHRYS. (hom. 33.) Les Juifs vous sont donc
supérieurs, ô femme, dans le culte qu'ils rendent à Dieu, mais ce culte
lui-même touche à sa fin : « Car vient l'heure, (et elle est déjà venue) où les
vrais adorateurs adoreront en esprit et en vérité. » Les oracles des prophètes
avaient pour objet des événements éloignés, c'est pour cela que Nôtre-Seigneur
dit : « Et elle est déjà venue, » pour ne point laisser croire que cette
prophétie ne doit s'accomplir que longtemps après. Le fait, dit-il, est proche,
et va bientôt se réaliser. Il se sert de cette expression : « Les vrais
adorateurs, » pour les distinguer des faux adorateurs, qui ne cherchent dans la
prière que les biens terrestres et périssables, ou dont la conduite est en
opposition directe avec l'objet de leurs prières. — S. AUG. (hom. 33.)
Ou bien par les vrais adorateurs, il veut exclure à la fois les Juifs et les
Samaritains, car bien que les Juifs fussent préférables aux Samaritains,
cependant ils étaient bien inférieurs à ceux qui devaient leur succéder, et autant que la
figure l'est à la vérité : « Les vrais adorateurs sont donc ceux qui ne
cherchent point à circonscrire le culte de Dieu dans un seul lieu et qui
l'adorent en esprit, à l'exemple de saint Paul, qui disait de lui-même : «
Dieu, que je sers en esprit. » — ORIG. (Traité 14.) Nôtre-Seigneur
répète deux fois : « L'heure vient. » La première fois, sans ajouter : « La
voici, elle est venue ; » la seconde fois, en ajoutant : « Et elle est
venue. » Je crois que la première fois, Nôtre-Seigneur veut exprimer
l'adoration parfaite de l'âme affranchie du corps dans l'autre vie, et que la
seconde fois il veut parler de celle que nous rendons à Dieu dans la vie
présente avec toute la perfection possible à la nature humaine. Lors donc que
sera venue la première heure prédite par le Sauveur, il nous faudra éviter la
montagne des Samaritains et adorer Dieu dans Sion où est Jérusalem, qui est
appelée par Jésus-Christ la cité du grand roi. C'est l'Eglise où l'oblation
sainte et les victimes spirituelles sont offertes en présence de Dieu par ceux
qui ont l'intelligence de la loi spirituelle. Mais lorsque l'ordre des siècles
sera révolu, il ne faudra plus songer à rendre le vrai culte à Dieu dans
Jérusalem, c'est-à-dire, dans l'Eglise de la terre, car les anges n'adorent pus
Dieu dans Jérusalem ; ainsi ceux dont les Juifs n'étaient que la figure,
adorent le Père d'une manière bien supérieure à ceux qui habitent Jérusalem.
Lorsque cette heure sera venue, chaque fidèle deviendra le fils du Père. C'est
pour cela que Nôtre-Seigneur ne dit pas : Vous adorerez Dieu, mais : « Vous
adorerez le Père. » Dans la vie présente, les vrais adorateurs adorent Dieu en
esprit et en vérité. — S. CHRYS. (hom. 33.) Le Sauveur veut parler ici
de l'Eglise, où l'on offre à Dieu l'adoration véritable et la seule digne de
lui. C'est pour cela qu'il ajoute : « Car ce sont là les adorateurs que cherche
le Père. » Il avait toujours cherché de tels adorateurs, cependant il les
laissa s'attacher à leurs anciens rites et à leurs cérémonies figuratives, par condescendance
et pour les amener ainsi à la vérité.
ORIG. (Traité 14.) Si le Père cherche de tels
adorateurs, c'est par Jésus-Christ qui est venu chercher et sauver ceux qui
avaient péri (Lc 19), et c'est par ses divins enseignements qu'il en a
fait de véritables adorateurs. Le Sauveur ajoute : « Dieu est esprit d
probablement parce qu'il nous conduit à la véritable vie, et que le principe de
la vin du corps elle-même vient de l'esprit. — S. CHRYS. (hom. 33.) Ou
bien il veut nous apprendre que Dieu est incorporel, et que le culte que nous
lui rendons doit l'être également, c'est-à-dire que nous devons lui offrir
l'hommage spirituel d'un cœur pur. C'est pour cela qu'il ajoute: « Et ceux
qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et en vérité. » Les Samaritains se
souciaient peu de leur âme, et au contraire s'occupaient beaucoup du corps pour
lequel ils épuisaient tous les modes de purification. Nôtre-Seigneur enseigne
donc à cette Samaritaine que en n'est point par les purifications du corps,
mais par la pureté de ce qui est incorporel en nous, c'est-à-dire l'esprit, que
nous pouvons rendre au Dieu incorporel un culte digne de lui. — S. HIL. (De
la Trin., 3.) Ou bien encore, lorsque Notre-Seigneur enseigne que Dieu qui
est esprit doit être adoré en esprit, il nous fait connaître la liberté et la
science de ses vrais adorateurs, et l'infinité de leurs adorations, selon ces
paroles de l'Apôtre : « Là où est l'esprit de Dieu, là est la liberté. » (2 Co
3, 17.) —
S. CHRYS. (hom. 33.) Il faut adorer dans la vérité, parce que les rites
et les cérémonies de l'ancienne loi n'étaient que des figures, par exemple, la
circoncision, les holocaustes et les ablations de l'encens ; maintenant au contraire tout
est vérité. — THEOPHYL. Ou bien encore il ajoute : « Et en vérité » parce qu'il
en est beaucoup comme les hérétiques qui s'imaginent adorer Dieu en esprit,
tout en se formant de fausses idées de sa divinité. Peut-être même pourrait-on
dire que Nôtre-Seigneur a voulu désigner ici les deux parties de la sagesse
chrétienne considérées subjectivement ; c'est-à-dire l'action et la
contemplation ; l'esprit exprime la vie active selon les paroles de l'Apôtre :
« Ceux qui sont poussés par l'esprit de Dieu sont les enfants de Dieu. » (Rm
8, 14.) La vérité est comme l'emblème de la vie contemplative. Ou bien
enfin, aux Samaritains qui professaient cette erreur que Dieu était renfermé
dans un lieu, et que c'était dans ce lieu qu'il fallait adorer Dieu, Jésus
déclare que les vrais adorateurs adoreront en esprit, et non plus en circonscrivant
leurs hommages dans un seul lieu ; et aux Juifs pour qui tout était ombre et
figure, il enseigne que les vrais adorateurs n'adoreront plus en figure, mais
en vérité. Dieu est esprit, il cherche donc des adorateurs spirituels ; il est
vérité, il cherche des adorateurs véritables. — S. AUG. (Traité 15.)
Vous cherchiez peut-être une montagne pour prier, vous espériez être plus près
de Dieu, mais celui qui habite les hauteurs des cieux s'abaisse jusqu'aux
humbles ; il vous faut donc descendre pour monter. Ce sont les degrés que le
chrétien fidèle dispose dans son cœur dans cette vallée de larmes (Ps 82),
qui sont la figure de l'humilité. Vous voulez prier dans un temple, priez en
vous-même, mais commencez par devenir le temple de Dieu ?
S. CHRYS. (hom 33.) Cette femme comme
fatiguée par la hauteur de ces sublimes enseignements, reste dans la surprise
et dans l'étonnement. Elle lui dit donc : « Je sais que le Messie est sur
le point de venir, » etc. — S. AUG. (Traité 15.) Le mot grec Christ qui veut
dire en latin oint signifie en hébreu Messie. La Samaritaine savait donc
déjà que c'était au Messie de l'instruire, mais elle ne connaissait pas encore
que le Messie était précisément celui qui dans ce moment l'instruisait sur ce
grave sujet. Voilà pourquoi elle ajouta : « Lors donc qu'il sera venu, il nous
instruira de toutes choses. » Elle semble dire : Les Juifs disputent dans
l'intérêt de leur temple, et nous en faveur de cette montagne, lorsque le
Messie viendra, il rejettera cette montagne, il renversera le temple et nous
enseignera comment il faut adorer Dieu en esprit et en vérité.
S. CHRYS. (hom. 33.) Mais comment les
Samaritains pouvaient-ils attendre l'avènement du Christ ? Ils admettaient la
loi de Moïse, et c'était dans les écrits de Moïse qu'ils avaient puisé cette
espérance. Jacob en effet avait prophétisé l'avènement du Christ en ces termes
: Le sceptre ne sera point ôté de Juda, ni le prince de sa postérité jusqu'à ce
que celui qui doit être envoyé soit venu. » (Gn 49, 10.) Moïse lui-même
n'avait-il pas dit : « Dieu vous suscitera un prophète du milieu de vos frères
? » (Dt 18) — ORIG. Il ne faut pas oublier que de même que Jésus a paru
au milieu des Juifs, non-seulement en déclarant mais en prouvant qu'il était le
Christ, ainsi on vit aussi paraître parmi les Samaritains un certain Dosithée
qui prétendait être le Christ prédit par les prophètes. — S. AUG. (Liv. des 83 Quest., quest.
64.) Peut-être est-ce pour confirmer l'explication allégorique qui fait voir
les cinq sens du corps dans les cinq maris de cette femme, qu'après les cinq
premières réponses qui sont encore charnelles dans leur objet, elle nomme le
Christ à la sixième.
S. CHRYS. (hom. 33.) Nôtre-Seigneur ne tarde
pas davantage à se révéler à cette femme : « Jésus lui dit : Je le suis,
moi qui vous parle. » S'il s'était fait connaître dès le commencement, il eût
paru céder à un sentiment de vanité, au contraire, après qu'il a réveillé
insensiblement dans l'esprit de cette femme le souvenir du Christ, cette
révélation est on ne peut plus opportune. Les Juifs demandèrent un jour au
Sauveur : « Si vous êtes le Christ, dites-le nous franchement. » (Jn 10)
Mais il ne leur répondit que d'une manière obscure et mystérieuse, parce qu'ils
lui faisaient cette demande, non dans le désir de s'instruire et pour croire en
lui, mais pour le calomnier, tandis que cette femme parlait dans toute la
simplicité de son cœur.
S. CHRYS. (hom. 33.) Les disciples de Jésus
arrivèrent justement fort à propos, lorsque cet entretien venait de se terminer
: « En même temps, ses disciples arrivèrent, et ils s'étonnaient, » etc.
Ils admiraient la douceur et l'excessive bonté du Sauveur, qui si grand qu'il
était, daignait s'abaisser jusqu'à s'entretenir si familièrement avec une
pauvre femme et une Samaritaine. — S. AUG. (Traité 15.) Ils admiraient
la bonté du Sauveur, et se gardaient bien de soupçonner le moindre mal. — S.
CHRYS. (hom. 33.) Cependant, malgré leur étonnement, ils ne lui
demandent point la raison de cet entretien. « Néanmoins aucun ne dit : Que lui
demandez-vous ? ou : Pourquoi parlez-vous avec elle ? » Ils étaient habitués à
garder la sage réserve qui convient à des disciples pleins d'une crainte
respectueuse pour leur maître. Dans d'autres circonstances, ils l'interrogent
avec liberté sur des choses qu'il leur importait de savoir, tandis qu'il n'y
avait rien pour eux de personnel dans cet entretien.
ORIG. (Traité 15 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur
se sert de cette femme comme d'un apôtre pour évangéliser ses concitoyens, il
l'a tellement enflammée par ses paroles du feu sacré du zèle, qu'elle laisse là
son urne pour retourner à la ville et raconter tout à ses concitoyens : « La
femme alors, laissant là sa cruche, s'en alla dans la ville. » Elle oublie et
les soins du corps, et la bassesse apparente de l'office qu'elle remplissait,
elle ne voit que l'utilité du plus grand nombre. Ainsi devons-nous oublier et
sacrifier nos intérêts corporels, pour nous efforcer de communiquer aux autres
les biens que nous avons reçus. — S. AUG. (Traité 15.) Le mot grec
ύδρίχ vient de ΰδωρ, qui veut dire
eau, et signifie un vase destiné à porter de l'eau. — S. CHRYS. (hom. 34)
A l'exemple des apôtres qui avaient quitté leurs filets, cette femme laisse là
son urne et remplit l'office d'un évangéliste, et ce n'est pas une seule personne, mais une
ville tout entière qu'elle appelle à la connaissance de la vérité : « Elle alla
dans la ville, et dit aux habitants : Venez voir un homme qui m'a dit tout ce
que j'avais fait. » — ORIG. Elle les rappelle à venir voir un homme dont la
parole était supérieure à la parole de l'homme. Ce qu'elle avait fait, c'était
d'abord d'avoir eu cinq maris, et de vivre ensuite avec un sixième dans un
commerce illégitime ; mais elle se sépare de cet homme pour s'attacher à un
septième, et au moment où elle laisse son urne, elle a déjà recouvré la pudeur.
S. CHRYS. (hom. 34.) Elle n'a point de honte de révéler les
désordres de sa vie, car lorsque l'âme est enflammée de l'amour divin, aucune
des choses de la terre ne l'arrête plus, elle n'est sensible ni à la gloire, ni
à la honte, elle obéit uniquement à la flamme qui la dévore. Cette femme ne
prétend pas qu'on la croie sur parole, et elle demande à ses concitoyens de
venir se convaincre de leurs yeux et de leurs oreilles de la vérité de la doctrine
du Christ. Aussi ne leur dit-elle pas : Venez et croyez, mais : « Venez et
voyez, » ce qui était moins décisif ; car elle était persuadée que s'ils
approchaient seulement leurs lèvres de cette source divine, ils éprouveraient
aussitôt ce qu'elle avait éprouvé elle-même.
ALCUIN. Remarquez qu'elle n'en vient que par degrés
à leur annoncer le Christ ; elle ne leur en parle d'abord que comme d'un homme
dans la crainte que le nom de Christ ne vînt à les irriter et à les empêcher de
venir. — S. CHRYS. (hom. 34.) Voilà pourquoi elle ne dit point d'un ton
affirmatif : Cet homme ne peut-être que le Christ ; elle ne s'en tait pas non
plus absolument, mais elle dit d'un ton dubitatif « Cet homme ne serait-il pas le Christ ? » Aussi se rendent-ils à
son témoignage : « Ils sortirent donc de la ville et vinrent à lui. »
S. AUG. (Liv. des 83 Quest., quest.
64.) Il ne faut point passer légèrement sur cette circonstance que la
Samaritaine abandonne sa cruche. Cette cruche signifie la convoitise avec
laquelle l'homme puise la volupté charnelle des profondeurs ténébreuses du
cœur, comme d'un puits obscur, c'est-à-dire de la vie de la terre et des sens.
Mais dès lors qu'elle croit en Jésus-Christ, elle doit renoncer au monde, et en
laissant son urne, montrer qu'elle renonce à la convoitise du monde. — S. AUG. (Traité
15.) Elle s'est dépouillée de sa convoitise pour être plus libre d'annoncer
et de prêcher la vérité, et apprend ainsi à tous ceux qui veulent annoncer
l'Evangile à laisser d'abord près du puits l'urne de la convoitise. — ORIG.
Aussitôt qu'elle a ouvert son cœur à la véritable sagesse, elle fait peu de cas
de tout ce qu'elle aimait auparavant et se hâte de s'en dépouiller.
S. AUG. (Traité 15.) Les disciples avaient
été acheter des provisions, et ils étaient revenus. Cependant ses disciples le
pressaient en disant : « Maître, mangez, » — S. CHRYS. (hom. 34.)
Ils le voyaient fatigué tout à la fois de la route et de la chaleur, et ils le
pressent simplement et familièrement de manger, ce n'était point témérité de
leur part, mais une preuve de leur affection pour leur maître. — ORIG. Ils
désirent qu'il profite pour manger du temps qui devait s'écouler entre le
départ de cette femme et l'arrivée des Samaritains, car ils n'avaient pas
l'habitude de lui servir sa nourriture devant des étrangers, c'est pour cela
que l'Evangéliste dit expressément : « Pendant ce temps-là. »
THEOPHYL. Le Seigneur qui savait que la Samaritaine
allait lui amener tous les habitants de la ville, voulut l'apprendre à ses
disciples : « Mais il leur dit : J'ai une nourriture à manger que vous ne
connaissez pas. » — S. CHRYS. (hom 34.) Il parle ici du salut des hommes
comme d'une nourriture pour nous faire comprendre le grand désir qu'il a de
notre salut. Il le désire aussi vivement qu'il nous est naturel de désirer la
nourriture. Mais remarquez qu'il ne révèle pas aussitôt cette vérité, il fait
naître le doute dans l'esprit de ses auditeurs, pour qu'ils embrassent avec
plus d'ardeur la vérité qui a été de leur part l'objet de sérieuses recherches.
— THEOPHYL. Il dit : « Que vous ne connaissez pas, » c'est-à-dire vous ne savez
pas que le salut des hommes est pour moi une véritable nourriture, ou vous ne
savez pas que les Samaritains doivent embrasser la foi et être sauvés. Les
disciples étaient encore dans le doute sur le véritable sens de ces paroles : «
Et les disciples se disaient l'un à l'autre : Quelqu'un lui aurait-il apporté à
manger ? » — S. AUG. (Traité 15.) Quoi d'étonnant
que cette femme n'ait pas compris la nature de l'eau que Jésus voulait lui
donner, alors que ses disciples eux-mêmes ne comprennent pas quelle est cette
nourriture dont il leur veut parler ? — S. CHRYS. (hom. 34.) Ils donnent
ici une preuve de leur respect habituel pour leur maître, ils se font cette
demande entre eux, mais ils n'osent l'interroger lui-même. — THEOPHYL. De ces
paroles : « Quelqu'un lui aurait-il apporté à manger ? » nous concluons
légitimement que Nôtre-Seigneur avait coutume de recevoir les aliments qu'on
lui offrait, non sans doute qu'il eût besoin du secours d'autrui, lui qui donne
la nourriture à toute chair (Ps 146), mais pour donner à ceux qui lui
faisaient cette offrande l'occasion d'une action méritoire. Il nous apprenait
en même temps à ne point rougir de la pauvreté, comme aussi à ne point regarder
comme une humiliation d'être nourri par les autres, car c'est une nécessité
inhérente à la condition des docteurs de se décharger sur les autres du soin de
pourvoir à leur nourriture pour s'occuper exclusivement du ministère de la
parole.
S. AUG. (Traité 15.) Le Seigneur entendit
pour ainsi dire les pensée de ses disciples, et il les instruit en maître
directement et ouvertement sans prendre de circuits comme il l'avait fait avec
la Samaritaine : « Jésus leur dit : Ma nourriture est de faire la volonté de
celui qui m'a envoyé. » — ORIG. La nourriture qui convient au Fils de Dieu
c'est d'accomplir la volonté de son Père, en se proposant pour règle de ses
actions les décrets de cette volonté divine. Or, le Fils de Dieu peut seul
accomplir dans sa perfection la volonté du Père. Les autres saints conforment
toutes leurs actions à cette volonté, mais celui-là seul l'accomplit dans toute
sa perfection qui a dit : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui
m'a envoyé. » C'est la nourriture qui lui est exclusivement propre. Mais quelle
est la volonté du Père ? C'est, ajoute Nôtre-Seigneur, d'accomplir son œuvre.
En effet, pour parler simplement, dans un ouvrage quelconque, l'œuvre qui est
commandée est lu fait de celui qui commande, c'est ainsi que nous disons de
ceux qui construisent une maison ou creusent la terre, qu'ils exécutent l'œuvre
de celui qui les a pris à son service. Mais si l'œuvre de Dieu est parfaitement
accomplie par Jésus-Christ, elle était donc imparfaite auparavant, et comment
admettre l'imperfection dans l'œuvre de Dieu ? L'accomplissement
parfait de cette œuvre, c'était le perfectionnement de la créature raisonnable,
et c'est pour donner toute sa perfection à cette oeuvre imparfaite que le Verbe
s'est fait chair et qu'il a habité parmi nous. Nous disons donc que l'homme
avait été créé dans un certain état de perfection, il en est déchu par sa
faute, et le Seigneur a été envoyé d'abord pour accomplir la volonté de celui
qui l'avait envoyé, et en second lieu, pour consommer l'œuvre de Dieu, afin que
tout chrétien puisse parvenir à la perfection nécessaire pour participer à une
nourriture plus solide. — THEOPHYL. Le Fils de Dieu donne encore à l’oeuvre de
Dieu, c'est-à-dire à l'homme, toute sa perfection en montrant en lui-même notre
nature pure de tout péché, parfaite dans toutes ses actions et affranchie de la
corruption. Il accomplit aussi dans sa perfection l'œuvre de Dieu, c'est-à-dire
la loi, parce que Jésus-Christ est la fin de la loi (Rm 10) ; il fait
cesser le règne de la loi, en accomplissant toutes les figures qu'elle
contenait, et en substituant aux cérémonies extérieures de la loi un culte
vraiment spirituel.
ORIG. Dans le sens mystique, après l'entretien que
le Sauveur venait d'avoir sur la boisson de l'âme, et ses divins enseignements
sur l'eau toute spirituelle qu'il devait lui donner, il était naturel de parler
de la nourriture. La Samaritaine à qui Nôtre-Seigneur demandait à boire, ne
pouvait lui offrir une boisson digne de lui ; les disciples qui n'avaient trouvé
chez ces étrangers que des aliments bien ordinaires, les présentent à Jésus en
le pressant de manger. Ne pourrait-on pas dire que les disciples craignent que
le Verbe de Dieu n'étant point suffisamment soutenu par la nourriture qui lui
est propre ne vienne à tomber en défaillance. Ils proposent donc au Verbe de se
nourrir de tous les aliments qu'ils trouvent et qu'ils lui présentent, espérant
ainsi le conserver au milieu d'eux en lui donnant la nourriture qui doit il
soutenir et le fortifier. Mais les corps qui ne peuvent se soutenir que par la
nourriture n'ont pas tous besoin des mêmes aliments, ni de la même quantité
d'aliments, il en est de même dans les choses spirituelles. Parmi les âmes, il
en est qui demandent une nourriture plus abondante, d'autres ont besoin d'une
quantité beaucoup moins considérable, parce que leur capacité est différente,
et qu'elles n'ont, pour ainsi parler, ni les mêmes proportions, ni la même
mesure. Il faut dire la même chose des discours et des pensées de haute
perfection qui ne peuvent convenir indifféremment à toutes les âmes ; les
enfants nouvellement nés désirent le lait spirituel et pur qui doit les faire
croître pour le salut. (1 P 2) Mais ceux qui sont parfaits demandent une
nourriture plus solide. (He 5) Nôtre-Seigneur exprime donc une vérité
certaine en disant : « J'ai une nourriture à manger, que vous ne connaissez
pas, » et tout homme qui se trouve placé au-dessus des infirmes et qui ne
peuvent se nourrir des mêmes considérations que les âmes fortes, peut s'appliquer
ces mêmes paroles.
S. CHRYS. (hom. 34.) Nôtre-Seigneur explique
à ses disciples quelle est cette volonté du Père dont il vient de parler : « Ne
dites-vous pas : Encore quatre mois et la moisson sera venue. » —
THEOPHYL. C'est-à-dire la moisson matérielle. Mais moi, je vous dis que le
temps de la moisson spirituelle est venu. Il parlait ainsi à la vue des
Samaritains qui venaient à lui ; c'est pour cela qu'il ajoute : « Levez les
yeux et voyez les champs qui déjà blanchissent pour la moisson. » — S. CHRYS. (hom.
34.) Il se sert des choses les plus ordinaires pour les élever à la
considération des vérités les plus sublimes ; les champs et la moisson sont ici
la figure des âmes qui sont prêtes à recevoir la parole de la prédication. Les
yeux sont ici tout à la fois les yeux du corps et de l'âme, car les disciples
voyaient en effet les Samaritains qui accouraient en foule. La comparaison
qu'il fait des dispositions de ces hommes avec les champs qui blanchissent, est
des plus justes, car de même que les épis blanchis n'attendent plus que la faux
du moissonneur, ainsi ces hommes sont prêts à recevoir le salut. Mais pourquoi
Jésus ne dit-il pas clairement et sans figure qu'ils sont disposés à recevoir
la prédication de l'Evangile ? Pour deux raisons : premièrement, pour rendre
cette vérité plus saillante en la plaçant pour ainsi dire sous les yeux ;
secondement, pour donner plus de charme à son récit et en rendre le souvenir
plus durable.
S. AUG. (Traité 15.) Le Sauveur brûlait du
désir d'accomplir son œuvre ; et avait hâte d'envoyer des ouvriers recueillir
cette moisson. C'est pour cela qu'il ajoute : « Celui qui moissonne, reçoit sa
récompense, et recueille le fruit pour la vie éternelle, et ainsi celui qui
sème se réjouit comme celui qui moissonne. » — S. CHRYS. (hom. 34.)
Nôtre-Seigneur établit ici clairement la distinction qui sépare les choses de
la terre des biens du ciel ; il avait dit précédemment de l'eau qu'il voulait
donner : « Celui qui boit cette eau, n'aura plus soif, » et ici :
« Celui qui moissonne reçoit sa récompense et recueille le fruit pour la
vie éternelle, » et encore : « Et ainsi celui qui sème se réjouit comme
celui qui moissonne. » Les prophètes ont répandu la semence, mais ce sont les
apôtres qui ont moissonné, comme il va bientôt le dire : « L'un sème et l'autre
moissonne. » Il ne faut pas croire cependant que les prophètes qui ont semé
n'aient point de part à la récompense ; c'est pour éloigner cette idée que
Nôtre-Seigneur donne une raison qui n'a point son application dans les choses
sensibles. Dans le cours ordinaire de la vie, s'il arrive que l'un sème et que
l'autre moissonne, la joie n'est pas égale pour tous deux. Ceux qui ont semé
s'attristent d'avoir travaillé pour les autres, et ceux qui moissonnent sont
les seuls à se réjouir. Il n'en est pas de même ici, ceux qui ont semé ne
moissonnent pas, et cependant ils partagent la joie de ceux qui moissonnent, et
reçoivent la même récompense. — S. AUG. (Traité 15.) Les Apôtres et les
prophètes ont travaillé à des époques bien différentes, mais ils auront part à
la même joie, et recevront tous pour récompense la vie éternelle.
S. CHRYS. (hom. 34.) Pour appuyer ce qu'il
vient de dire, Nôtre-Seigneur rappelle le proverbe suivant : « Ici ce que l'on
dit d'ordinaire est vrai, l'un sème et l'autre moissonne, » C'était un
proverbe que l'on citait, lorsqu'on voyait les uns supporter toutes les
fatigues, et d'autres venir moissonner tous les fruits. Mais ce proverbe a
surtout ici son application, parce que les prophètes ont travaillé et que vous
moissonnez les fruits de leurs travaux, comme le Sauveur l'ajoute : « Je
vous ai envoyés moissonner où vous n'avez pas travaillé. » — S. AUG. (Traité
18.) Quoi donc ? Nôtre-Seigneur envoie des moissonneurs et non pas des
semeurs. Et où envoie-t-il des moissonneurs ? Là où les prophètes avaient déjà
répandu la semence. Lisez leurs travaux, et dans tous ces travaux vous
trouverez une prophétie du Christ. La moisson était donc prête à recueillir,
lorsque tant de milliers d'hommes offraient le prix de leurs biens (Ac 4),
et le déposaient aux pieds des Apôtres, heureux de se décharger du fardeau des
biens de la terre pour suivre plus librement Nôtre-Seigneur Jésus-Christ.
Quelques grains de cette moisson ont été jetés dans la terre, et ont ensemencé
l'univers tout entier ; il en est sorti une antre moisson qui ne doit point
être recueillie par les Apôtres, mais par les anges : « Les moissonneurs,
dit-il ailleurs, sont les anges. » (Mt 13) — S. CHRYS. (hom. 34.)
Il dit donc à ses disciples : « Je vous ai envoyés moissonner où vous n'avez
pas travaillé, » c'est-à-dire, je vous ai réservé le travail où la fatigue est
beaucoup moindre que la joie et le plaisir, et j'ai chargé les prophètes de ce
qu'il y avait de plus pénible, c'est-à-dire de répandre la semence , et n'est
ainsi que « d'autres ont travaillé et que vous êtes entrés dans leurs travaux.
» Il veut ainsi nous prouver que la volonté des prophètes et le but que se
proposait la loi étaient que tous les hommes vinssent se ranger autour de lui,
et ils ont semé dans l'intention de préparer cette moisson. Il prouve en même
temps que c'est lui qui a envoyé les prophètes, et l'étroite union qui existe
entre l'Ancien et le Nouveau Testament.
ORIG. (Traité 15 sur S. Jean.) On peut
encore donner de tout ce passage, l'explication suivante. Si rien ne s'oppose à
ce qu'on entende dans un sens allégorique ces paroles : « Levez les yeux, »
etc., n'est-il pas permis d'entendre dans le même sens les paroles qui
précèdent immédiatement
: « Ne dites-vous pas : Encore quatre mois, et la moisson sera venue ? »
Or, voici l'explication qu'on pourrait donner de ces paroles des disciples :
« Encore quatre mois, et la moisson sera venue. » Un grand nombre des
disciples du Verbe, c'est-à-dire du Fils de Dieu, qui considèrent que la vérité
est incompréhensible à la nature humaine, n'ont pas plus tôt découvert qu'il y
avait une vie différente de la vie présente qui est soumise à la corruption des
quatre éléments, qui sont comme autant de mois, qu'ils croient ne parvenir
qu'après cette vie seulement à la connaissance de la vérité. Les disciples
disent donc de la moisson, qui est le terme de tous les efforts qui tendent à
la vérité, qu'elle se fera après qu'aura cessé la domination des quatre
éléments. Le Verbe incarné redresse dans leur esprit cette pensée qui n'est pas
conforme à la vérité, en leur disant : « Ne dites-vous pas : Encore quatre mois
et la moisson vient. Et moi je vous dis : « Levez les yeux. » Dans
plusieurs endroits de l'Ecriture, le Verbe divin nous fait cette recommandation
d'élever nos pensées qui se traînent ordinairement sur les choses de la terre,
et qui ne peuvent s'en affranchir sans le secours de Jésus. Nul, en effet, ne
peut obéir à ce commandement, s'il reste l'esclave de ses passions et d'une vie
sensuelle, il ne verra point les champs blanchis pour la moisson. Or, les
champs blanchissent, lorsque le Verbe de Dieu répand sa lumière sur toutes les
parties de l'Ecriture, auxquelles l'avènement de Jésus donne tonte leur
fécondité. Toutes les choses sensibles elles-mêmes sont comme des champs
blanchis pour la moisson, pour ceux qui élèvent les yeux, lorsque la raison
nous montre dans chaque objet créé l'éclat de la vérité qui se trouve répandue
sur toutes choses. (Traité 16.) Celui qui recueille ces moissons spirituelles
a un double avantage, le premier, lorsqu'il reçoit sa récompense : « Et celui
qui moissonne, reçoit une récompense, » c'est-à-dire la récompense future :
« Et il recueille le fruit pour la vie éternelle, » ce qui exprime une
disposition précieuse dé l'intelligence, qui est le fruit de la contemplation
elle-même. Dans toute doctrine, je pense, celui qui pose les principes est
celui qui sème ; d'autres à leur tour prennent ces principes, les méditent, les
fécondent par de nouvelles considérations, et procurent ainsi à leurs
descendants l'avantage de moissonner et de recueillir des fruits qui sont
parvenus à leur maturité. C'est surtout dans l'art des arts que nous pouvons
voir l'application de cette vérité. Ceux qui ont semé, c'est Moïse et les prophètes
qui ont prédit l'avènement du Christ ; les moissonneurs sont les Apôtres qui
ont reçu Jésus-Christ et contemplé sa gloire. La semence, c'est la connaissance
que nous donne la révélation du mystère qui a été caché et comme enseveli dans
le silence des siècles passés ; les champs sont les livres de la loi et des
prophètes qui n'avaient point leur clarté, pour ceux qui n'étaient point
capables de comprendre l'avènement du Verbe. Celui qui sème et celui qui
moissonne partageront la même joie, lorsque dans la vie future le chagrin et la
tristesse auront complètement disparu. C'est ce qui a commencé à se réaliser,
lorsque Jésus fut transfiguré dans la gloire, et que les moissonneurs Pierre,
Jacques et Jean, et les semeurs, Moïse et Elie se livraient à une joie commune
en voyant la gloire du Fils de Dieu. Examinez cependant si ces mêmes paroles :
« Autre est celui qui sème, et autre celui qui moissonne, » ne peuvent pas
s'entendre des temps différents dans lesquels les hommes ont été justifiés,
lorsqu'ils étaient les uns disciples de l'Evangile, les autres simples
observateurs de la loi. Les uns et les autres ont part cependant à la même
joie, car c'est la même fin que se propose un seul et même Dieu, par le même
Jésus-Christ et dans un même Esprit. Les Apôtres sont entrés dans les travaux
des prophètes et de Moïse, ils les ont moissonnés d'après les instructions de
Jésus, en recueillant dans leurs greniers, c'est-à-dire dans leur intelligence,
les vérités cachées dans les écrits de Moïse et des prophètes. Ceux qui
recueillent les fruits d'une doctrine déjà semée, ont un partage plus éclatant,
mais sont loin de travailler autant que ceux qui ont répandu la semence.
ORIG. (Traité 13 sur S. Jean.) Après
avoir rapporté les paroles de Jésus à ses disciples, l'Evangéliste continue son
récit, en racontant la conversion des habitants de cette ville qui vinrent
trouver Jésus, et crurent en lui par le témoignage de cette femme. — S. CHRYS. (hom.
34.) Tout se fait ici avec autant de facilité qu'au temps de la moisson,
les gerbes sont promptement recueillies, et en un instant l'aire de la grange
en est remplie : « Or, beaucoup de samaritains de cette ville entrent en lui, »
etc. Ils voyaient bien que ce n'était point par un sentiment naturel que cette
femme était pleine d'admiration pour celui qui lui avait reproché ses désordres
et qu'elle avait reconnu en lui les caractères d'une grandeur et d'une
supériorité incontestables. — S. CHRYS. (hom. 35.) Ce fut donc sur le
seul témoignage de cette femme, et sans avoir vu aucun miracle, qu'ils
sortirent de la ville, et prièrent Jésus de rester au milieu d'eux. Les Juifs,
au contraire, témoins de tant de miracles, non-seulement ne cherchèrent point à
le retenir au milieu d'eux, mais mirent tout en œuvre pour le chasser de leur
pays. Rien de plus mauvais, en effet, que l'envie et la jalousie, rien de plus
pernicieux que la vaine gloire qui corrompt et détruit tous les biens qu'elle
touche. Les Samaritains voulaient le retenir toujours auprès d'eux, mais il ne
se rendit pas à leurs désirs, il demeura seulement deux jours avec eux : «
Et il y demeura deux jours. »
ORIG. On pourrait demander avec assez de raison
comment le Sauveur a pu rester deux jours avec les Samaritains, qui l'en
avaient prié, lui qui avait défendu à ses disciples d'entrer dans les villes
des Samaritains. (Mt 10) Et il est évident que les disciples y entrèrent
avec lui. Nous répondons que marcher dans la voie des nations, c'est se laisser
gagner par les croyances des nations, et en faire la règle de sa conduite, et
qu'entrer dans les villes des Samaritains, c'est adhérer à la fausse doctrine
de ceux qui admettent la loi, les prophètes, les évangiles et les écrits
des Apôtres ; mais lorsqu'ils abandonnent leur doctrine personnelle pour venir
trouver Jésus, il est alors permis de demeurer avec eux.
S. CHRYS. (hom. 35.) Les Juifs, malgré tous
les miracles dont ils furent témoins, demeurèrent dans leur incrédulité, tandis que les
Samaritains, sans avoir vu aucun miracle, et après avoir entendu seulement
Jésus, manifestèrent en lui une foi vraiment extraordinaire : « Et un plus
grand nombre crurent en lui pour avoir entendu ses discours. » Pourquoi donc
les Evangélistes ne nous ont-ils pas rapporté ces discours ? Pour vous
apprendre qu'ils ont passé sous silence bien des choses importantes ; ils vous
font toutefois comprendre la puissance de ces discours, puisqu'ils ont persuadé
tous les habitants de cette ville. Là, au contraire, où les auditeurs ne se
laissent point persuader, les Evangélistes sont comme obligés de reproduire les
discours du Sauveur, pour montrer que ce défaut de persuasion ne doit pas être
imputé à l'insuffisance de la parole, mais aux mauvaises dispositions dès
auditeurs. Or, les Samaritains, devenus les disciples de Jésus-Christ, ne
veulent plus de cette femme pour les instruire : « Et ils disaient à la
femme : Maintenant ce n'est plus sur ce que vous avez dit que nous croyons ;
car nous-mêmes nous l'avons entendu, et nous croyons qu'il est vraiment le
Sauveur du monde. » Voyez comme ils comprennent aussitôt qu'il était venu
délivrer l'univers, et que voulant opérer le salut de tous les hommes, il ne
devait pas renfermer son action dans la Judée, mais répandre partout la semence
de sa parole. En le proclamant le Sauveur du monde, ils prouvent encore que le
monde était perdu, et plongé dans un abîme de maux. Les prophètes et les anges
étaient venus aussi en qualité de sauveurs, mais le seul vrai Sauveur est celui
qui donne le salut, non-seulement pour le temps, mais pour l'éternité. Voyez
encore comme malgré la question de cette femme qui semble renfermer quelque
doute : « Ne serait-il point le Christ ? » ils ne disent point : Nous
soupçonnons, mais : « Nous savons. » Ils vont plus loin, et reconnaissent qu'il
est vraiment le Sauveur du monde, c'est-à-dire qu'il n'est pas un sauveur
ordinaire comme l'ont été tant d'autres. Ils s'expriment de la sorte pour
l'avoir entendu seulement parler, que n'auraient-ils pas dit à la rue des
miracles si nombreux et si extraordinaires qu'il opérait ?
ORIG. Si nous nous rappelons ce qui précède, nous
n'aurons point de peine à comprendre qu'après avoir trouvé la parole de vérité,
ces Samaritains abandonnent toute autre doctrine, et sortent de la ville de
leurs anciennes croyances pour embrasser la foi qui conduit au salut. Aussi
est-ce avec intention, je pense, que l'Evangéliste ne dit pas : Les Samaritains
le prièrent d'entrer dans la Samarie ou dans leur ville, mais : « Ils le
prièrent de demeurer dans leur pays. » Jésus demeure toujours avec ceux
qui l'en prient, et surtout lorsqu'ils sortent de leur ville et viennent le
trouver. — S. AUG. (Traité 15.) Il demeure deux jours avec eux,
c'est-à-dire qu'il leur donne les deux préceptes de la charité. — ORIG. Ils
n'étaient pas encore dignes de voir son troisième jour, car ils ne désiraient
point voir de choses extraordinaires, comme les disciples qui se trouvèrent
avec Jésus aux noces de Cana, en Galilée, trois jours après que Jésus les eut
appelés à sa suite. (Jn 2) Plusieurs d'entre eux durent le commencement
de leur foi à la parole de cette femme qui leur' attestait que Jésus lui avait
dit tout ce qu'elle avait fait, mais le progrès de cette foi et le nombre
beaucoup plus considérable de ceux qui crurent ensuite furent l'œuvre des
enseignements du Sauveur lui-même ; car la connaissance du Verbe ou Fils de
Dieu, qui est due à un témoignage extérieur, n'est jamais aussi parfaite que celle qu'il répand avec
toutes ses clartés dans l'âme de celui qu'il daigne instruire lui-même.
S.
AUG. (Traité 15.) Les Samaritains connurent donc Jésus-Christ, d'abord
par ce qu'ils entendirent raconter de lui, et ensuite par ce qu'ils virent de
leurs yeux. Il tient encore aujourd'hui la même conduite à l'égard de ceux qui
sont en dehors de l'Eglise et ne sont pas encore chrétiens. Ce sont les amis de
Jésus-Christ, déjà chrétiens eux-mêmes, qui commencent à le faire connaître, et
c'est sur le témoignage de cette femme, c'est-à-dire, de l'Eglise, qu'ils
viennent le trouver. Ils croient donc d'abord par l'intermédiaire de cette
femme, mais sur le témoignage même du Sauveur, un bien plus grand nombre croit
et d'une foi plus parfaite qu'il est vraiment le Sauveur du monde. — ORIG. Il
est impossible que l'effet produit sur l'intelligence, par ce que l'on voit
soi-même, ne sont pas supérieur à l'impression produite par le témoignage d'un
témoin oculaire, et il vaut beaucoup mieux avoir l'espérance que la foi pour
guide, c'est pour cela que les habitants de cette ville croient non-seulement
sur un témoignage humain, mais sur le témoignage de la vérité elle-même.
S.
AUG. (Traité 16.) Après avoir passé deux jours dans la Samarie, Jésus s'en alla en Galilée,
où il avait été élevé : « Deux jours après il sortit de ce lieu, » etc. Il nous
parait surprenant que l'Evangéliste ajoute : « Car Jésus lui-même a rendu
ce témoignage qu'un prophète n'est point honoré dans sa patrie, » il
semble qu'il eût été plus logique de dire qu'un prophète n'est point honoré
dans sa patrie, s'il avait évité d'aller dans la Galilée et qu'il fût resté
dans la Samarie. Voici à mon avis l'explication de cette difficulté : Jésus ne
resta que deux jours dans Samarie, et tous les Samaritains crurent en lui ; il
prolonge son séjour dans la Galilée, et les Galiléens refusèrent de croire en
lui, et c'est ce qui lui fait dire qu'un prophète est sans honneur dans sa sa
patrie. — S. CHRYS. (hom. 35.) On peut dire encore que l'Evangéliste
ajoute cette réflexion, parce que le Sauveur ne se rendit pas à Capharnaüm,
mais dans la Galilée, et de là dans la ville de Cana ; car la patrie dont il
est ici question est Capharnaüm, et pour se convaincre qu'il n'y reçut aucun
honneur, il suffit de se rappeler les paroles qu'il a prononcées lui-même : «
Et toi, Capharnaüm, qui t'es élevée jusqu'au ciel, tu seras abaissé jusqu'aux
enfers. » (Mt 11) L'Evangéliste appelle la patrie du Sauveur le lieu où
il paraît avoir passé la plus grande partie de sa vie.
THEOPHYL. On peut donner encore cette explication : Jésus,
en sortant de la ville de Samarie se rend dans la Galilée, il pouvait donc
paraître étonnant qu'il n'y restât pas plus longtemps, l'Evangéliste en donne
la raison, c'est qu'il n'y était nullement honoré, ce qu'il déclare on ces
termes : « Un prophète n'est point honoré dans sa patrie. »
ORIG. Approfondissons davantage cette parole. La
Judée était la patrie des prophètes, et personne n'ignore qu'ils n'ont reçu des
Juifs aucun honneur, comme l'atteste Nôtre-Seigneur loi-même : « Quel est celui
des prophètes que vos pères n'ont point persécuté ? » La vérité de ce proverbe
est d'autant plus frappante qu'il ne s'applique pas seulement aux saints
prophètes qui ont été méprisés par leurs compatriotes, et à Nôtre-Seigneur
Jésus-Christ lui-même, mais qu'il s'étend à certains philosophes qui n'ont
recueilli de leurs concitoyens que le mépris, les mauvais
traitements et la mort même.
S. CHRYS. (hom. 35.) Quoi donc ? Est-ce que
nous ne voyons pas un certain nombre d'hommes qui ont excité l'admiration de
leur concitoyens ? Oui, sans doute, mais il ne faut pas prendre l'exception qui
arrive rarement comme règle générale. D'ailleurs, s'ils ont été honorés dans
leur patrie, ils l'eussent encore été davantage dans un autre pays, car
l'habitude et la familiarité engendrent ordinairement le mépris : Lorsque Jésus
fut arrivé dans la Galilée, il fut donc accueilli par les Galiléens, comme le
remarque l'Evangéliste. Vous voyez que ce sont ceux qui étaient considérés
comme plus mauvais qui se pressent le plus d'approcher de Jésus. N'est-ce pas
en effet des Galiléens qu'il est dit : « Interrogez et voyez si jamais il s'est
élevé un prophète dans la Galilée. » Quant aux Samaritains, on faisait un
reproche au Sauveur de ses rapports avec eux : « Vous êtes un Samaritain et un
possédé du démon. » (Jn 18) Or, voilà que les Samaritains et les
Galiléens ont embrassé la foi à la grande confusion des Juifs. Les Galiléens
paraissent même supérieurs aux Samaritaine car ces derniers n'ont cru que sur
le témoignage d'une femme, tandis que la foi des Galiléens s'est appuyée sur
les miracles que le Sauveur avait opérés sous leurs yeux : « Les Galiléens
l'accueillirent, ayant vu tout ce qu'il avait fait à Jérusalem pendant la fête.
» — ORIG. Ce que Nôtre-Seigneur avait fait en chassant du temple ceux qui
vendaient des brebis et des bœufs, leur avait paru tellement extraordinaire, qu'ils
l'accueillirent avec empressement, encore sous l'impression de sa puissance,
qui n'avait pas moins éclaté, en effet, dans cette circonstance, que lorsqu'il
rendait la vue aux aveugles et l'ouïe aux sourds. Je suppose d'ailleurs qu'ils
furent encore témoins d'autres miracles.
BEDE. Mais comment purent-ils être témoins de ces
miracles ? parce qu'eux aussi étaient venus à cette fête. Nous voyons ici en
figure que lorsque les nations auront été affermies dans la foi par les deux
préceptes de la charité, Jésus-Christ, à la fin du monde, retournera dans sa
patrie, c'est-à-dire, vers les Juifs. — ORIG. Il est convenable que la Galilée
(c'est-à-dire celle qui émigre), vienne célébrer les fêtes à Jérusalem, où est
le temple de Dieu, et voir tous les prodiges qu'y opère Jésus, car l'ordre
exige que les Galiléens reçoivent le Fils de Dieu qui rient les trouver, sans
quoi, ou ils ne l'auraient pas reçu, ou lui-même ne serait pas venu au milieu
d'eux s'ils n'avaient été préparés à le recevoir.
S. CHRYS. (hom. 35.) Nôtre-Seigneur était
venu une première fois à Cana, en Galilée, où il était invité à assister à des
noces ; il retourne maintenant dans cette ville pour l'attirer davantage à lui
par cette démarche toute volontaire qu'il fait en quittant sa patrie, et pour
affermir par sa présence la foi que son premier miracle avait commencé de
former dans le cœur de ses habitants. — S. AUG. (Traité 16.)
Lorsqu'il changea l'eau en vin dans cette circonstance, ses disciples crurent
en lui, la maison était pleine de convives, et cependant à la vue d'un
si grand miracle, aucun autre ne crut à sa puissance divine. Il revient
donc dans cette ville pour amener à la foi ceux que son premier miracle n'avait
pu déterminer à croire. — THEOPHYL. L'Evangéliste nous rappelle le miracle
qu'il fit à Cana, en Galilée, en changeant l'eau en vin, pour ajouter à la
gloire de Jésus-Christ, parce qu'en effet ce ne fut pas seulement à cause des
miracles dont ils furent témoins à Jérusalem, mais par suite des prodiges qui
s'accomplirent au milieu d'eux qu'ils accueillirent Nôtre-Seigneur. Il veut
nous apprendre en même temps que cet officier croyait en Jésus-Christ depuis le
miracle de Cana, bien qu'il ne connût point parfaitement sa dignité :
« Or, il y avait à Capharnaüm un officier du roi dont le fils était
malade. »
ORIG. Quelques-uns pensent que cet homme était un
des officier d'Hérode, et d'autres affirment qu'il était dé la maison de César,
et qu'il avait été envoyé en mission particulière en Judée, car on ne dit pas
qu'il fut juif. — S. CHRYS. (hom. 35.) L'Evangéliste lui donne le nom de
Régulus, officier royal, soit qu'il fût de race royale, soit qu'il fût
revêtu de quelque haute dignité qui lui faisait donner ce titre. Il en est qui
pensent que cet officier est le même que le centenier dont parle saint Matthieu
(Mt 8, 5). Mais tout prouve que ce sont deux personnages différents. Le
centenier prie Jésus de ne pas venir dans sa maison, alors que le Sauveur se
disposait à y aller, cet officier, au contraire, veut l'entraîner chez lui sans
que Nôtre-Seigneur le lui ait promis. Le premier vint trouver Jésus, alors
qu'il descendait de la montagne et qu'il entrait à Capharnaüm, celui-ci,
lorsque le Sauveur était dans la ville de Cana. Le serviteur de l'un était
paralytique, le fils du second était atteint d'une fièvre mortelle. C'est donc
de l'officier royal que l'Evangéliste dit : « Ayant appris que Jésus arrivait
de Judée en Galilée, il l'alla trouver et le pria de descendre en sa maison, »
etc. — S. AUG. Il priait, il n'avait donc pas la foi ? Quelle explication
attendez-vous de moi ? Demandez au Seigneur lui-même ce qu'il pense de cet
homme : « Jésus lui dit : Si vous ne voyez des signes et des prodiges vous
ne croyez pas. » Il reproche à cet homme sa tiédeur, sa froideur dans la foi,
peut-être même son absence complète de foi ; il n'avait qu'un désir la guérison
de son fils comme une épreuve certaine de ce qu'était Jésus, de sa dignité, de
sa puissance. Le mot prodige (prodigium comme porro dictum), signifie une
chose qui date de loin, qui est éloignée et qui annonce un événement futur.
S. AUG. (de l'accord des Evang., 4, 10.)
Nôtre-Seigneur veut tellement élever l'âme de ses fidèles au-dessus de toutes
les choses soumises à la mutabilité, qu'il ne veut pas leur voir rechercher des
miracles, où sa divinité est le premier et le principal agent, mais qui portent
sur de simples changements opérés dans les corps. — S. GREG. (hom. 28 sur
les Evang.) Rappelez-vous l'objet de la prière de cet officier, et vous
connaîtrez. clairement que sa foi était bien chancelante : « Cet officier lui
dit : Seigneur, descendez avant que mon fils ne meure. » Sa foi était donc bien
faible, puisqu'il ne croyait pas qu'il pût guérir son fils sans venir lui-même
en personne. — S. CHRYS. (hom. 35.) Ecoutez sous quelle impression toute
humaine il veut attirer le Sauveur chez lui, comme s'il ne pouvait ressusciter
son fils après sa mort. Rien d'étonnant du reste qu'il vienne trouver Jésus
sans avoir la foi ; l'amour des pères pour leurs enfants leur fait consulter,
non-seulement les médecins qui ont leur confiance, mais ceux mêmes qui ne leur
en inspirent pas une bien grande, parce qu'ils ne veulent rien omettre de ce
qui peut conserver la vie à leurs enfants. S'il avait eu une foi vive à la
puissance de Jésus-Christ, il l'aurait été trouver jusque dans la Judée.
S. GREG. (hom. 28 sur les Evang.) Nôtre-Seigneur
à qui cette prière est adressée, veut nous apprendre qu'il se rend toujours aux
invitations qui lui sont faites, et il guérit le fils de cet homme par son
commandement, lui qui a tout créé par sa volonté : « Jésus lui dit :
Allez, votre fils est plein de vie. » Quelle condamnation pour notre orgueil
qui respecte et vénère dans les hommes non cette nature faite à l'image et à la
ressemblance de Dieu, mais les honneurs et les richesses ! Notre Rédempteur au
contraire, pour nous apprendre que les saints méprisent ce qui paraît élevé aux
yeux des hommes, et qu'ils estiment et vénèrent ce que les hommes méprisent,
refuse d'aller dans la maison de cet officier pour guérir son fils ; et il est
disposé au contraire à se rendre près du serviteur du centenier. — S. CHRYS. (hom.
35.) Ou bien encore, la foi du centenier était solidement affermie, et
Nôtre-Seigneur promet d'aller chez lui, pour faire ressortir la piété du
centenier. Cet officier au contraire, n'avait qu'une foi bien imparfaite, il ne
croyait pas bien entièrement que Jésus pût guérir son fils, sans se rendre près
de lui, et le refus du Sauveur a pour but de le lui apprendre, comme
l'Evangéliste le dit expressément : « Cet homme crut à la parole que Jésus lui
avait dite et s'en alla, sans toutefois comprendre parfaitement cette leçon. »
ORIG. Ces serviteurs qui viennent à sa rencontre
montrent que cet homme était d'un rang élevé et occupait un emploi supérieur :
« Comme il était en chemin, ses serviteurs vinrent à sa rencontre, » etc.
— S. CHRYS. (hom. 35.) Ils viennent à sa rencontre, non-seulement pour
lui annoncer la guérison de son fils, mais parce qu'ils croyaient que Jésus
l'accompagnait, et qu'ils regardaient comme inutile qu'il allât plus loin. La
question que leur fait cet officier prouve que sa foi n'était ni bien pure ni
bien parfaite : « Et il leur demandait à quelle heure il s'était trouvé
mieux, » Il voulut savoir si sa guérison était l'effet du hasard ou de la
parole de Jésus : « Et ils lui dirent : Hier à la septième heure, la
fièvre l'a quitté. » Voyez comme tout, concourt à rendre ce miracle éclatant,
la guérison de cet enfant ne suit pas la marche ordinaire, elle est instantanée
et complète pour bien établir qu'elle n'est pas due aux lois de la nature, mais
à l'action toute puissante de Jésus-Christ : « Et son père reconnut que
c'était l'heure à laquelle Jésus lui avait dit : Votre fils est plein de vie,
et il crut lui et toute sa maison. »
S. AUG. (Traité 16.) S'il crut lorsqu'il
apprit que son fils était guéri, et qu'il eut rapproché l'heure de sa guérison
de celle où Jésus lui avait dit : « Votre fils est guéri, » il n'avait
donc pas encore la foi quand il se présenta devant le Sauveur. — BEDE. Nous devons
conclure de là qu'il y a des degrés dans la foi comme dans les autres vertus
qui ont leur commencement, leur progrès et leur perfection. La foi de cet
officier était à son commencement, lorsqu'il vint demander la guérison de son
fils, elle prenait de l'accroissement, lorsqu'il crût à la parole du Seigneur
qui lui disait : « Votre fils est guéri ; » et elle eut toute sa
perfection lorsque ses serviteurs lui confirmèrent la guérison de son fils.
S. AUG. (Traité 16.) C'est après l'avoir
simplement entendu qu'un grand nombre de Samaritains crurent en lui, et après
ce grand miracle, il n'y eut que la maison seule de cet officier où cette
guérison miraculeuse avait eu lieu. L'Evangéliste ajoute : « Ce fut le second
miracle que Jésus fit après être revenu de Judée en Galilée. » — S. CHRYS. (hom.
35.) Ce n'est pas sans raison qu'il fait cette réflexion, et il veut nous
faire remarquer que même après ce second miracle, les Juifs n'étaient pas
encore parvenus à la hauteur des Samaritains qui n'avaient vu aucun miracle. —
ORIG. (Traité 18 sur S. Jean.) Cette proposition est
amphibologique, on peut l'entendre en ce sens, que Jésus en venant de la Judée
en Galilée, fit deux miracles, dont le second fut la guérison du fils de cet
officier ; ou dans cet autre qui est le plus vrai, que de ces deux miracles que
Jésus fit dans la Galilée, le second eut lieu lorsqu'il vint de la Judée en
Galilée.
Dans le sens mystique, ce double voyage de Jésus en
Galilée figure le double avènement du Sauveur dans le monde, le premier qui est
tout de miséricorde et où il porte la joie dans le cœur des convives en
changeant l'eau en vin ; le second où il rend à la vie le fils de cet officier
presque entre les bras de la mort, c'est-à-dire le peuple juif qui sera sauvé à
la fin du monde après que la plénitude des nations sera entrée dans l'Eglise.
C'est lui qui est le grand Roi des rois que Dieu a établi sur la sainte
montagne de Sion (Ps 2) ; ceux qui ont vu son jour ont été remplis de
joie. (Jn 8)Cet officier royal, c'est Abraham ; son fils malade, c'est
le peuple d'Israël qui a laissé s'affaiblir entre ses mains le culte du vrai
Dieu, et qui transpercé des traits enflammés de l'ennemi, est comme atteint
d'une fièvre mortelle. Nous voyons encore ici que les saints dont nous venons
de parler, lorsqu'ils ont dépouillé l'enveloppe de cette chair mortelle,
prennent compassion de leur peuple. C'est ce que nous lisons dans le livre des
Macchabées (M 2, 45), après la mortde Jérémie : « C'est Jérémie, le
prophète de Dieu qui prie beaucoup pour le peuple. » Abraham prie le Sauveur de
venir au secours de ce peuple infirme, c'est de Cana que part cette parole
toute puissante : « Votre fils est plein de vie, » mais c'est à Capharnaüm que
son efficacité se fait sentir ; car c'est là que le fils de cet officier est
guéri, comme dans le champ de la consolation, et cet enfant représente ces
hommes atteints de grandes faiblesses, mais sans être réduits à une stérilité
complète. Ces paroles du Sauveur : « Si vous ne voyez des signes et des
prodiges » peuvent s'appliquer à la multitude des enfants du patriarche, aussi
bien qu'à lui-même. En effet, de même que Jean-Baptiste attendait le signe qui
lui avait été donné : « Celui sur lequel vous verrez l'Esprit saint
descendre ; » ainsi les justes morts depuis le commencement du monde,
attendaient l'avènement de Jésus-Christ dans la chair, avènement qui devait se
manifester par des signes et par des prodiges. Cet officier, outre son fils,
avait des serviteurs qui représentent ceux dont la foi est encore faible et imparfaite,
et ce n'est point sans dessein que la fièvre quitte cet enfant à la septième
heure, car le nombre, sept est le symbole du repos. — ALCUIN. Ou bien encore,
c'est parce que c'est l'Esprit aux sept dons qui est l'auteur de la rémission
des péchés, car le nombre sept composé des nombres trois et quatre, représente
la sainte Trinité dans les quatre temps de l'année, dans les quatre parties du
monde, comme dans les quatre éléments.
ORIG. On peut encore voir ici les deux avènements du
Verbe dans notre âme : le premier ou l'eau fut changée en vin fait éprouver à
l'âme la joie d'un banquet spirituel ; le second qui retranche tous les restes
de langueur et de mort spirituelle. — THEOPHYL. Cet officier du roi représente
tout homme, non-seulement parce que l'homme est par sou âme dans des rapports
étroits avec le souverain roi de tout ce qui existe, mais aussi parce que Dieu
lui a donné l'autorité sur toutes les créatures. Son fils, c'est l'âme de
l'homme en proie à la fièvre des mauvais désirs et des convoitises charnelles.
Il s'approche de Jésus et le prie de descendre, c'est-à-dire de s'abaisser
jusqu'à lui par une miséricordieuse condescendance et de lui pardonner ses
péchés, avant que cette maladie des voluptés sensuelles ne lui ait fait perdre
la vie. Le Seigneur lui dit : « Allez, » c'est-à-dire faites toujours de
nouveaux progrès dans le bien ; et alors votre fils sera rendu à la vie ; mais
si vous cessez de marcher, votre âme frappée de mort ne pourra plus faire
aucune bonne action.