S. CHRYS. (hom.
56 sur S. Jean.) Comme les Juifs n'avaient pu comprendre la hauteur
des enseignements de Jésus-Christ, en sortant du temple, il guérit un aveugle.
Il veut en se dérobant à leurs regards apaiser leur fureur, et en même temps
amollir leur dureté par le miracle qu'il va faire et confirmer la vérité de ses
paroles : « Et comme Jésus passait, Jésus vit un homme qui était aveugle de naissance,
» etc. Remarquons qu'en sortant du temple, il a le dessein formel d'opérer une
œuvre qui fit connaître sa divinité, car c'est lui qui vit l'aveugle, ce ne fut
point l'aveugle qui vint le trouver, et il le considéra avec tant d'intérêt,
que ses disciples le remarquèrent et lui firent cette question : « Maître,
est-ce cet homme qui a péché ou ses parents ? » — S. AUG. (Traité 44 sur
S. Jean). Rabbi veut dire maître, ils lui donnent le nom de maître,
parce qu'ils voulaient apprendre de lui ce qu'ils ignoraient ; et ils proposent
cette question au Seigneur comme à leur maître. — THEOPHYL. Cette question paraît fautive de la part des Apôtres, qui n'admettaient pas cette opinion ridicule des
Gentils, que l'âme avait péché dans un autre monde où elle avait vécu
auparavant ; mais en y réfléchissant de plus près, cette question n'est pas
aussi simple qu'elle le parait. — S. CHRYS. (hom. 56.) Ils furent
amenés en effet à lui faire cette question, parce qu'en guérissant le
paralytique, Jésus lui avait dit : « Voilà que vous êtes guéri, ne péchez
plus davantage. » (Jean, 5) Et dans la pensée que ses péchés avaient été
la cause de sa paralysie, ils demandent si cet aveugle ne s'est pas rendu aussi
coupable de péché, ce qu'on ne pouvait ni dire ni supposer, puisqu'il était
aveugle de naissance ; ou bien ses parents, ce qui n'était pas plus
raisonnable, car le fils ne porte pas le péché du père.
« Jésus répondit : Ce n'est point qu'il ait péché,
ni ses parents. — S. AUG. Est-ce
donc qu'il était né sans la faute ORIGinelle ou qu'il n'y avait ajouté par la
suite aucune faute volontaire ? Non, sans doute, ses parents aussi bien que lui
étaient coupables, mais ce n'est pas à cause du péché qu'ils avaient commis que
cet homme était né aveugle. Nôtre-Seigneur en donne la véritable cause,
lorsqu'il ajoute : « C'est afin, dit-il, que les œuvres de Dieu soient
manifestées en lui. » — S. CHRYS. (hom.
56.) On ne peut conclure de ces paroles que les autres aveugles le sont
devenus en punition des péchés de leurs parents, car il n'arrive pas qu'un
homme soit puni pour le péché d'un autre. Ces paroles du Sauveur : « Afin
que la gloire de Dieu soit manifestée, » doivent s'entendre de sa
propre gloire et non de celle du Père, dont la manifestation avait déjà eu
lieu. Mais cet homme souffrait-il donc injustement ? Non, et je réponds que la
cécité fut pour lui un bienfait, car il lui dut de voir des yeux de l'âme. Il
est évident que celui qui avait tiré cet homme du néant pour lui donner l'être,
avait aussi le pouvoir de l'affranchir de toute infirmité. On peut dire
du reste avec quelques-uns, que la particule ut n'exprime pas ici la
cause, mais plutôt la conséquence. Comme dans cette autre phrase : « La loi est
survenue, ut abundaret delictum, en sorte que le péché a abondé ; » (Rm
5, 20) de même ici, la conséquence de la guérison de cet aveugle et de
toutes les autres maladies qui accablent l'infirmité humaine, a été la
manifestation de sa puissance.
S. GREG. (1
Moral. ou Préf. sur Job.) Il y a des châtiments que Dieu inflige
aux pécheurs sans qu'il y ait pour lui de retour possible ; il en est d'autres
qui le frappent afin de le rendre meilleur ; il en est d'autres encore qui ont
pour fin, non point de punir les fautes passées, mais de prévenir les fautes à
venir ; d'autres enfin qui n'ont pour but ni de punir les péchés passés, ni de
prévenir ceux que l'on peut commettre dans l'avenir, mais de faire connaître
d'une manière plus éclatante et aimer plus ardemment la puissance de celui qui
sauve par le salut inespéré qui suit immédiatement le châtiment.
S. CHRYS. (hom.
56.) Nôtre-Seigneur vient de dire, en parlant de lui-même : « Afin que
la gloire de Dieu soit manifestée, » il ajoute : « Il faut, pendant qu'il est
jour, que je fasse les œuvres de celui qui m'a envoyé, » c'est-à-dire, il faut
que je me manifeste moi-même, et que je fasse les œuvres propres à me
manifester, les mêmes que celles que fait mon Père. — BEDE. Lorsque le Fils affirme qu'il fait les œuvres de son Père, il prouve ainsi que ses œuvres sont les mêmes que
celles de son Père, c'est-à-dire, guérir ce qui est infirme, fortifier ce qui
est faible, éclairer tous les hommes. — S. AUG.
En disant : « Les œuvres de celui qui m'a envoyé, » il renvoie
toute la gloire à celui de qui il vient, car le Père a un Fils qui vient de
lui, et il n'a pas lui-même de Père de qui il vienne.
S. CHRYS. (hom.
56.) Il ajoute : « Pendant qu'il est jour, » c'est-à-dire, il me faut
agir tandis qu'il est permis aux hommes de croire en moi, ou bien tant que dure
cette vie, et les paroles qui suivent viennent à l'appui de cette explication :
« La nuit vient, où personne ne peut agir. » Cette nuit dont il a été dit : «
Jetez-le dans les ténèbres extérieures. » (Mt 22) La nuit sera donc le
temps où personne ne peut plus travailler et où l'on recevra la récompense de
sou travail. Tandis que vous vivez, faites donc ce que vous devez faire, car au
delà de cette vie, ni la foi n'est possible, ni les travaux, ni le repentir.
S. AUG. Mais si nous prenons soin de travailler
pendant cette vie, c'est vraiment le jour, c'est le Christ. Aussi
Nôtre-Seigneur ajoute-t-il : « Tant que je suis dans le monde, je suis la
lumière du monde. » Il est donc lui-même le jour ; ce jour qui se mesure sur la
révolution du soleil compte un petit nombre d'heures, mais le jour de la présence
de Jésus-Christ s'étend jusqu'à la consommation des siècles, comme il le
déclare lui-même : « Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation des
siècles. »
S. CHRYS. (hom.
56.) C'est par des œuvres que le Sauveur veut confirmer la vérité de ce
qu'il vient de dire, l'Evangéliste ajoute donc : « Après
avoir parlé ainsi, il cracha à terre, et ayant fait de la boue avec sa salive,
il l'étendit sur les yeux de l'aveugle. Celui qui a tiré du néant et appelé à
l'être des créatures beaucoup plus importantes, eût bien pu donner des yeux à
cet aveugle, sans une matière préexistante; mais il a voulu nous enseigner
qu'il était le Créateur, qui au commencement s'est servi de bouc pour créer
l'homme. (hom. 57.) Il ne se sert pas d'eau, mais de salive pour faire
cette boue, pour vous empêcher d'attribuer rien à la vertu de la fontaine, et
vous apprendre que c'est la vertu de sa bouche qui a fait et ouvert les yeux de
cet aveugle, et il lui ordonne ensuite de les laver pour que la guérison ne
soit point non plus rapportée à une vertu secrète de la terre : « Et il lui dit
: Allez vous laver dans la piscine de Siloë (mot qui veut dire envoyé), » pour
vous apprendre que je n'ai pas besoin de boue pour faire des yeux. La piscine
de Siloë tirait toute sa vertu de Jésus-Christ qui opérait toutes les guérisons
qui s'y faisaient, et c'est pour cela que l'Evangéliste donne la signification
de ce nom en ajoutant : « Qui signifie envoyé, » et il vous apprend par là que
c'est Jésus-Christ qui a guéri cet aveugle. De même, en effet, que l'Apôtre
nous dit : « La pierre c'était le Christ, » ainsi la piscine de Siloë,
alimentée par un cours d'eau qui coulait soudainement à certains intervalles,
nous figurait secrètement que Jésus-Christ se manifeste souvent contre toute
espérance. Mais pourquoi donc ne lui commande-t-il pas de se laver
immédiatement sans aller à la piscine de Siloë ? C'est pour mieux confondre
l'impudence des Juifs. Il était bon, en effet, que tous le vissent se diriger
vers cette piscine, ayant les yeux couverts de boue. Jésus voulait d'ailleurs
montrer en l'envoyant à cette piscine, qu'il n'est opposé ni à la loi, ni à
l'Ancien Testament. Il n'était point d'ailleurs à craindre qu'on attribuât la
gloire de cette guérison à la piscine de Siloë, car beaucoup s'y lavaient les
yeux sans obtenir une grâce aussi importante. Il voulait encore faire éclater
la foi de cet aveugle, qui ne cherche pas à contredire le Sauveur, qui ne se
dit pas en lui-même : La boue d'ordinaire est bien plus propre à faire perdre
la vue qu'à la rendre, je me suis lavé plusieurs fois dans la piscine de Siloë,
je n'en ai éprouvé aucun soulagement, si cette eau avait quelque efficacité,
elle m'eût guéri sur-le-champ, il obéit avec simplicité : « Il y alla, se lava
et revint voyant clair. » (hom. 56.) C'est donc ainsi qu'il manifesta sa
gloire, car ce n'est pas une faible gloire que de passer pour le créateur de
toutes choses ; la foi que l'on donnait à cette grande vérité en faisait
accepter d'autres moins importantes. L'homme, en effet est la première et la
plus honorable de toutes les créatures ; et de tous ses membres, l'œil est le
plus digne d'honneur, car c'est lui qui gouverne le corps, lui qui est le plus
bel ornement du visage, ce qu'est le soleil dans l'univers, l'œil l'est dans le
corps de l'homme, c'est pour cela qu'il occupe la partie la plus élevée et
qu'il y est placé comme sur son trône. — THEOPHYLACTE.
Il en est qui pensent que cette boue ne fut pas lavée, mais qu'elle
servit à former les yeux de cet aveugle.
BEDE. Dans le sens allégorique,
nous voyons ici que le Sauveur, chassé du cœur des Juifs, se dirige aussitôt
vers les Gentils. Son passage, le chemin qu'il fait, c'est sa descente du ciel
sur la terre. Il vit cet aveugle, lorsqu'il abaissa les regards de sa
miséricorde sur le genre humain. — S. AUG.
Cet aveugle, en effet, c'est le genre humain tout entier qui a été
frappé de cécité par le péché du premier homme, dont nous tirons tous notre
ORIGine ; il est donc aveugle de naissance. Le Seigneur laisse tomber à terre un
peu de salive, et la mélangeant avec la poussière du chemin, il en fait de la
boue, parce que le Verbe s'est fait chair, et il étend cette boue sur les yeux
de l'aveugle. Lorsque ses yeux étaient ainsi couverts, il ne voyait pas encore,
parce que le Seigneur ne fit de lui qu'un catéchumène, lorsqu'il lui couvrit
ainsi les yeux. Il l'envoie à la piscine de Siloë, car c'est en Jésus-Christ qu'il a été baptisé, et
c'est alors que le Sauveur lui donna l'usage de la vue. L’Evangéliste nous
donne la signification du nom de cette piscine, qui veut dire envoyé, et,
en effet, si le Fils de Dieu n'avait été envoyé sur la terre, personne d'entre
nous n'eût été délivré de son iniquité. — S. GREG. (Moral., 8, 12 ou
18.) Ou bien encore, la salive figure la saveur de la contemplation intime.
Elle descend de la tête dans la bouche, parce qu'elle part des splendeurs de
Dieu, qu'elle nous fait goûter par les douceurs de la révélation alors que nous
sommes encore dans cette vie. Nôtre-Seigneur mêle sa salive à la terre, et
donne ainsi à cet aveugle l'usage de la vue, parce que c'est en mêlant la
contemplation de la vérité à nos pensées charnelles, que la grâce céleste
répand sa lumière dans notre âme, et délivre notre intelligence de la cécité
ORIGinelle dont elle a été frappée dans le premier homme.
S. CHRYS. (hom.
57.) L'étrangeté de ce miracle le rendait plus difficile à croire, et c'est
en effet ce qui arrive : « Les gens du voisinage, dit l'Evangéliste, et ceux
qui l'avaient vu auparavant demander l'aumône, disaient : N'est-ce pas là celui
qui était assis et mendiait ? » Admirable condescendance de la clémence de Dieu
! Le Sauveur guérissait avec une grande bonté les pauvres mendiants, et il
ferme ainsi la bouche aux Juifs, en jugeant dignes de ses bienfaits les hommes
obscurs et inconnus de préférence aux personnages illustres ou distingués par
leurs talents ou leurs dignités, car il était venu pour le salut de tous les
hommes : « Les uns disaient : C'est lui. » Comme cet aveugle avait une
longue route à parcourir et que leur attention était excitée par la singularité
de ce miracle dont ils avaient été les témoins, ils ne pouvaient pas dire : Ce
n'est point lui. « D'autres cependant, poursuit l'Evangéliste, disaient : Point
du tout, mais il lui ressemble. » — S. AUG.
(Traité 44.) En effet, ses yeux ouverts avaient changé sa
physionomie : « Mais lui disait : C'est moi, » c'est la voix de la
reconnaissance qui veut se mettre à couvert du reproche d'ingratitude. — S. CHRYS. (hom. 57.) Il ne rougit
pas de son premier état, il ne redoute point la colère du peuple, et il
n'hésite pas à se montrer en public pour faire connaître son bienfaiteur : «
Ils lui disaient donc : Comment vos yeux se sont-ils ouverts ? » De quelle
manière fût-il guéri, nous ne le savons pas, il ne le savait pas lui-même, il
savait seulement qu'il était guéri sans pouvoir comprendre comment cela s'était
fait : « Il répondit : Cet homme qu'on appelle Jésus, a fait de la boue et l'a
étendue sur mes yeux. » Voyez comme il s'attache à ne dire que la vérité. Il ne
dit pas comment Jésus a fait cette boue, parce qu'il ne le savait pas, qu'il
avait craché à terre, tandis que le sens du toucher lui fit connaître qu'il
avait étendu de la boue sur ses yeux : « Et il m'a dit : « Allez à la piscine
de Siloë et vous y lavez. » Il put encore certifier ce fait par le sens de
l'ouïe, car il reconnut la voix de Jésus, dont il avait entendu la discussion
avec ses disciples. Et comme il s'était préparé à une seule chose,
c'est-à-dire, à faire avec docilité tout ce qui lui serait commandé, il ajoute
: « J'y ai été, je me suis lavé et je vois. »
S. AUG. (Traité
44.) Le voici devenu prédicateur de la grâce, il évangélise et confesse
Jésus-Christ. Mais tandis que cette aveugle confesse ainsi la vérité, le cœur
des impies se resserrait, parce qu'ils n'avaient pas dans le cœur les yeux qui
brillaient sur sa figure : « Et ils lui dirent : Où est cet homme ? » — S. gIlrys. (hom. 57.) Ils lui
faisaient cette question dans le dessein qu'ils avaient formé de mettre Jésus à
mort, car déjà ils avaient conspiré contre lui. Mais Jésus ne restait pas
auprès de ceux qu'il avait guéris, parce qu'il ne cherchait ni la gloire ni
l'ostentation, il se retirait aussitôt qu'il avait opéré un miracle de ce
genre, pour éloigner tout soupçon de fraude on de concert, car comment ceux qui
ne le connaissaient pas auraient-ils déclaré dans son intérêt, que leur
guérison venait de lui ? « Et il répondit : Je ne sais. » En faisant cette
réponse, il est semblable au catéchumène, qui n'a reçu que l'onction, et qui n'est pas
encore éclairé, il prêche et il ne connaît pas encore ce qu'il annonce. — BEDE. Il est donc en cela la figure des
catéchumènes qui ont bien la foi eu Jésus-Christ, mais qui ne le connaissent
pas encore parfaitement, parce qu'ils ne sont pas encore purifiés.
C'étaient aux pharisiens qu'il appartenait
d'approuver ou de blâmer cette œuvre. — S. CHRYS.
Les Juifs donc, en demandant où était Jésus, avaient le dessein de le
conduire aux pharisiens, mais n'ayant pu le trouver, ils leur amènent l'aveugle
: « Alors ils amenèrent aux pharisiens celui qui avait été aveugle, pour le
presser par de nouvelles et plus vives questions. » C'est pour cela que
l'Evangéliste fait cette remarque : « Or, c'était le jour du sabbat que Jésus
détrempa ainsi de la terre, » etc. Il voulait ainsi nous faire connaître les
mauvaises dispositions du leur âme, et la cause pour laquelle ils le
cherchaient, c'est-à-dire, pour trouver l'occasion de la perdre, et détruire
l'impression produite par ce miracle par la prétendue violation de la loi, ce
qui ressort évidemment des questions qu'ils lui adressent : « Les
pharisiens lui demandèrent donc aussi comment il avait recouvré la vue. » Voyez
comment l'aveugle répond sans se troubler; quand le peuple l'interrogeait, il
n'avait aucun danger à craindre, il ne fallait pas un grand courage pour dire
la vérité ; mais ce qui est vraiment admirable, c'est que bien qu'ayant tout à
craindre de la haine des pharisiens, il ne songe ni à nier le fait, ni à dire
le contraire de ce qu'il a déclaré précédemment : « Il leur dit : Il m'a mis de
la boue sur les yeux, je me suis lavé et je vois. » Il abrège ici sa réponse,
parce qu'il parle à des hommes qui connaissaient déjà le fait. Il ne leur dit pas le nom de celui qui lui a donné cet ordre, il ne rapporte pas les
paroles que Jésus lui a adressées : « Allez, et lavez-vous ; » il va tout de
suite au fait : « Il m'a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé et je
vois. » Ils éprouvèrent donc le contraire de ce qu'ils espéraient, ils
l'amenèrent dans l'intention de lui faire nier le fait de sa guérison, et ils
en acquirent une certitude beaucoup plus grande.
« Sur cela, quelques-uns des pharisiens disaient, »
etc. — S. AUG. Ce n'étaient pas
tous, mais quelques-uns seulement, car déjà il y en avait parmi eux qui
recevaient l'onction. Ceux donc qui ne voyaient pas encore et qui n'avaient pas
reçu la grâce de l'onction, disaient : « Cet homme n'est point de Dieu,
puisqu'il n'observe point le sabbat. » Au contraire, il en était le plus fidèle
observateur, lui qui était sans péché, car l'observation spirituelle du sabbat,
c'est de n'avoir aucun péché, et c'est l'avertissement que Dieu nous donne
quand il nous recommande l'observation de la loi du sabbat : « Vous ne
ferez aucune œuvre servile. » Qu'est-ce qu'un œuvre servile ? le Seigneur
lui-même vous l'apprend : « Tout homme qui commet le péché est esclave du péché
; » (Jn 7) or, les pharisiens tout en observant extérieurement la loi du
sabbat, la violaient spirituellement.
S. CHRYS. Ils passent malicieusement sous silence le
fait de la guérison, et ne mettent en avant que la prétendue violation du
sabbat. Ainsi, ils ne disent pas : Il guérit le jour du sabbat, mais : « Il
transgresse la loi du sabbat. » D'autres disaient : « Comment un
pécheur peut-il faire de tels prodiges ? » Vous voyez qu'ils sont vivement impressionnés par ce miracle,
mais leurs dispositions étaient imparfaites, car ils auraient dû plutôt
chercher à prouver qu'il n'y avait point ici transgression de la loi du sabbat.
Mais ils ne croyaient pas encore qu'il était Dieu, et ne pouvaient répondre que
c'est le maître du sabbat qui avait opéré ce miracle. Nul d'entre eux n'osait
déclarer ouvertement ce qu'il aurait voulu dire, ils tenaient un langage
ambigu, les uns, parce qu'ils n'osaient parler librement, les autres par amour
du pouvoir : « Et ils étaient divisés entre eux. » Cette division avait lieu
dans le peuple et avait gagné jusqu'aux chefs du peuple. — S. AUG. Jésus-Christ était le jour qui
sépare la lumière des ténèbres.
S. CHRYS. Ceux
qui avaient osé dire : Un pécheur ne peut faire de tels prodiges, voulant
fermer la bouche à leurs contradicteurs, fout avancer au milieu d'eux celui qui
avait éprouvé les heureux effets de la puissance de Jésus-Christ, pour éviter
tout reproche de flatterie: « Ils dirent donc de nouveau à l'aveugle : Et vous,
que dites-vous de celui qui vous a ouvert les yeux ? » — THEOPHYL. Voyez comme
leur question est pleine de bienveillance ; ils ne lui demandent pas : Que
dites-vous de celui qui n'observe pas la loi du sabbat ? Ils ne rappellent que
le miracle qu'il a opéré, mais : « Comment vous a-t-il ouvert les yeux ? » Ils
semblent exciter le zèle de cet homme, et lui dire : Il est votre bienfaiteur,
et c'est un devoir pour vous de proclamer ses bienfaits. — S. AUG. Ou bien peut-être ils cherchaient
une occasion de calomnier cet homme et de le chasser de la synagogue, mais il
continua de dire avec courage tout ce qu'il pensait : « Il répondit : C'est un prophète. » Il avait déjà reçu l'onction du cœur,
mais il ne reconnaît pas encore Jésus pour le Fils de Dieu. Cependant il ne
ment pas, car Nôtre-Seigneur a dit, en parlant de lui-même : « Aucun
prophète n'est sans honneur, si ce n'est dans sa patrie. » (Lc 4)
S. CHRYS. (hom.
58.) Les pharisiens n'ayant pu intimider cet homme, et voyant qu'il
proclamait en toute liberté le nom de son bienfaiteur, crurent qu'ils
pourraient détruire la vérité du miracle au moyen de ses parents ; c'est ce que
signifient ces paroles de l'Evangéliste : « Mais les Juifs ne voulurent
pas croire qu'il eût été aveugle et qu'il eût recouvré la vue, jusqu'à ce
qu'ils eussent fait venir les parents de celui qui voyait. » — S. AUG. C'est-à-dire, de celui qui avait
été aveugle et qui avait recouvré la vue. — S. CHRYS. (hom. 58.) Mais telle est la nature de la
vérité, qu'elle puise une force plus grande dans les difficultés qu'on lui
suscite. Le mensonge se détruit par lui-même, et les moyens qu'il prend pour
détruire la vérité, ne servent qu'à la rendre plus
éclatante ; c'est ce que nous voyons arriver ici. On aurait pu dire que le
témoignage des voisins n'était pas bien certain, que la ressemblance avait pu
les tromper ; on fait donc venir les parents, qui connaissaient leur fils mieux
que personne ne pouvait le connaître : « Et ils leur demandèrent : Est-ce là
votre fils, que vous dites être né aveugle ? » Ils ne disent pas : Qui était
autrefois aveugle, mais : « Que vous dites être né aveugle ? » O hommes pervers
et dignes d'exécration ! Quel est le père qui
voudrait faire un tel mensonge à l'égard de son fils ? Il n'y a qu'une chose
qu'ils ne disent pas, c'est que ce sont eux-mêmes qui l'ont rendu aveugle. Ils
s'efforcent donc de leur faire nier sa guérison par ces deux questions : «
Est-ce là votre fils que vous dites être né aveugle ? » et : « Comment
donc voit-il maintenant ? » — THEOPHYL. C'est-à-dire
qu'ils voudraient révoquer en doute l'un des deux faits, ou il est faux qu'il
voie maintenant, ou il n'a pas été précédemment aveugle. Mais comme on ne peut
nier qu'il voie maintenant, il est donc faux qu'il fût aveugle, comme vous
l'avancez.
S. CHRYS. (hom.
58.) Sur trois questions qui leur sont faites, s'il est leur fils, s'il
était aveugle, et comment il se fait qu'il voie maintenant, ils répondent à
deux : « Ses parents leur répondirent : Nous savons que c'est là notre fils, et
qu'il est né aveugle. » Quant à la troisième, ils l'éludent, en disant : « Mais
comment il voit maintenant, et qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons. »
C'est pour le plus grand triomphe de la vérité que nul autre que celui qui a
été guéri, et qui était bien digne de foi, atteste le miracle dont il est
l'objet. « Interrogez-le, disent ses parents, il a de l'âge, qu'il parle de ce
qui le concerne. » — S. AUG. C'est-à-dire,
on pourrait nous forcer de parler pour un enfant, parce
qu'il ne pourrait parler pour lui-même : nous l'avons connu aveugle de
naissance, mais ayant l'usage de la parole.
S. cIlrys. (hom.
58.) Quelle ingratitude dans les parents de cet homme, qui n'osent dire ce
qu'ils savent très-bien, par la crainte qu'ils ont des Juifs ! « Ils
parlèrent ainsi, dit l'Evangéliste, parce qu'ils craignaient les Juifs. » Il
nous fait connaître en même temps la pensée des Juifs et leur dessein : « Car,
ajoute-t-il, les Juifs étaient convenus entre eux que quiconque reconnaîtrait
Jésus pour le Christ, serait chassé de la synagogue. » — S. AUG. Ce n'était plus, du reste, un mal
que d'être chassé de la synagogue ; car, si l'on était chassé par les Juifs, on
était reçu par Jésus-Christ.
C'est pourquoi ses parents dirent: « Il a de
l'âge, interrogez-le, » — ALCUIN. L'Evangéliste
nous donne ici une preuve que, ce n'est point l'ignorance, mais la crainte qui
leur a dicté cette réponse. — THEOPHYL. Ils
sont plus timides que leur enfant, qui se montre le témoin intrépide de la vérité,
parce que Dieu avait éclairé les yeux de son âme.
S. CHRYS. (hom.
58 sur S. Jean.) Les parents ayant renvoyé les pharisiens à celui-là
même qui avait été guéri, ils l'appelèrent une seconde fois, comme le dit
l'Evangéliste : « Ils appelèrent donc de nouveau l'homme qui avait été
aveugle. » Ils ne lui dirent pas ouvertement : Niez que Jésus-Christ
vous ait guéri ; mais ils veulent l'y amener indirectement, sous prétexte de
religion : « Rendez gloire à Dieu, » lui dirent-ils ; c'est-à-dire, avouez que
Jésus ne vous a rien fait. — S. AUG. (Traité
47.) Niez le bienfait que vous avez reçu ; ce qui n'est point rendre gloire
à Dieu, mais se rendre coupable de blasphème envers lui. — ALCUIN. Mais ils voulaient qu'il rendit
gloire à Dieu à leur façon, c'est-à-dire en reconnaissant que Jésus-Christ
était un pécheur : « Nous savons, disent-ils, que cet homme est un pécheur. » —
S. CHRYS. (hom. 58.)
Pourquoi donc ne lui avez-vous point prouvé qu'il était un pécheur lorsqu'il
vous a fait ce défi : « Qui de vous me convaincra de péché ? »
ALCUIN. Cet homme, qui ne voulait ni
donner lieu à la calomnie, ni cacher la vérité, ne dit pas : Je sais qu'il est
juste, mais il leur dit : « S'il est pécheur, je n'en sais rien. » — S. CHRYS. Comment celui qui avait reconnu précédemment que Jésus était un prophète, peut-il dire
maintenant : « S'il est un pécheur, je ne sais ? » Est-ce qu'il se laisse
influencer par la crainte ? Non ; mais il veut justifier Jésus-Christ contre
ses accusateurs par le témoignage du miracle lui-même, et rendre ses paroles
dignes de foi par le bienfait qu'il a reçu : « Je sais seulement que j'étais
aveugle, et qu'à présent je vois. » C'est-à-dire, je ne m'explique point sur
cette question s'il est pécheur ou non, mais je dis ce que je sais à n'en
pouvoir douter. Les pharisiens ne pouvant détruire la vérité du fait
miraculeux, reviennent à leurs premières questions, et s'informent de nouveau
de la manière dont cette guérison a eu lieu, semblables à des chiens qui
cherchent sans discontinuer leur proie, tantôt d'un côté tantôt d'un autre : «
Sur quoi ils lui dirent : Que vous a-t-il fait ? Comment vous a-t-il ouvert les
yeux ? » C'est-à-dire, est-ce au moyen de quelque prestige ? Ainsi ils ne lui
disent pas : Comment avez-vous vu ? mais : « Comment vous a-t-il ouvert les
yeux ? » pour lui offrir l'occasion de calomnier le miracle opéré par Jésus.
Tant que les éclaircissements avaient été nécessaires, l'aveugle s'était
expliqué avec modération ; mais comme la vérité est désormais triomphante, il
leur parle avec une généreuse liberté : « Il leur répondit : Je vous l'ai déjà
dit, et vous l'avez entendu, pourquoi voulez-vous l'entendre encore ? »
C'est-à-dire : Vous ne tenez aucun cas de ce que je vous ai dit, je ne
répondrai donc plus à des questions qui n'ont aucun but, et que vous faites non
pour apprendre, mais pour trouver dans mes réponses un sujet de critique ou
d'accusation. Il ajoute : « Est-ce que, vous aussi, vous voulez devenir ses
disciples ? » — S. AUG. Que
veulent dire ces paroles : « Est-ce que vous aussi ? » Quant à moi,
je suis déjà son disciple, voulez-vous aussi le devenir ? Je vois, mais je
jouis sans envie du bienfait de la vue. C'est avec cette noble fermeté que cet homme, autrefois aveugle, et qui ne peut plus
supporter les aveugles, condamne la dureté opiniâtre des Juifs. — S. CHRYS. (hom. 58.) Voyez à la
fois la force de la vérité, et la faiblesse du mensonge. La vérité rend les
hommes illustres et les couvre de gloire, quelque méprisés qu'ils soient
d'ailleurs ; et le mensonge, eût-il pour organe les puissants du monde, dévoile
toute leur faiblesse.
« Ils le maudirent alors et lui dirent : Sois son
disciple, toi. » Que cette malédiction soit sur nous et sur nos enfants, car
elle n'existe que dans leur cœur, et non dans leurs paroles : « Pour nous,
ajoutent-ils, nous sommes disciples de Moïse ; nous savons que Dieu a parlé à
Moïse. » Plût à Dieu que vous sachiez que Dieu a parlé à Moise, vous sauriez
également alors que Moïse a prédit l'avènement d'un Dieu ; puisque c'est le Seigneur
lui-même qui vous dit : « Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez aussi en moi ;
car il a parlé de moi dans ses écrits. » Ainsi vous vous faites gloire de
suivre le serviteur, et vous tournez le dos au Maître ? Car vous ajoutez : «
Mais celui-ci, nous ne savons d'où il est » — S. CHRYS. (hom. 58.) C'est-à-dire que ce que vous voyez
de vos yeux vous paraît moins véritable que ce que vous avez entendu dire ; en
effet ce que vous dites savoir, vous le tenez de vos ancêtres. Mais n'est-il
pas bien plus digne de foi, celui qui vous a prouvé qu'il venait de Dieu par
des miracles, dont vous n'avez pas seulement entendu parler, mais que vous avez
vus de vos propres yeux ? C'est ce que leur répond cet homme : « Il est
vraiment surprenant que vous ne sachiez pas d'où il est, et qu'il m'ait ouvert
les yeux. » Il ne cesse de leur rappeler ce miracle, parce qu'ils ne pouvaient
en contester la réalité, et qu'il portait avec lui sa conviction ; et comme ils
avaient déclaré qu'un pécheur ne pouvait opérer de semblables prodiges, il
s'appuie sur cet aveu, et leur remet en mémoire leurs
propres paroles : « Nous savons, leur dit-il, que Dieu n'exauce point les
pécheurs ; » c'est-à-dire, vous et moi nous sommes d'accord sur ce point.
S. AUG. Il
parle ici comme un homme qui n'a pas encore reçu l'onction, car Dieu exauce les
pécheurs ; et, s'il ne les exauçait pas, c'est donc en vain que le publicain
lui aurait fait cette prière : « Seigneur, soyez-moi propice, à moi, qui ne
suis qu'un pécheur. » Mais au contraire il mérita, par cette confession, d'être
justifié, comme l'aveugle mérita que la lumière lui fût rendue. — THEOPHYL. Ou bien encore on peut dire
que Dieu n'exauce point les pécheurs, en ce sens qu'il ne leur accorde pas le
pouvoir de faire des miracles, mais lorsqu'ils implorent le pardon de leurs
fautes, ils passent de l'état de pécheurs à celui de pénitents.
S. CHRYS. (hom.
58.) Et, remarquez que les paroles qui précèdent : « S'il est un
pécheur, je ne sais, » n'expriment pas un doute de la part de cet homme ; car
ici, non-seulement il le justifie de tout péché, mais il montre combien il est
agréable à Dieu. « Mais celui qui l'honore, et fait sa volonté, c'est celui-là
qu'il exauce ; » ainsi il ne suffît pas de connaître Dieu, il faut encore
accomplir sa volonté. «Voyez encore comme il relève le miracle dont il vient
d'être l'objet : « Jamais on n'a ouï dire que personne ait ouvert les yeux à un
aveugle-né. » C'est-à-dire : Si vous reconnaissez que Dieu n'exauce point les
pécheurs, et que cet homme cependant ait fait un miracle comme jamais aucun
homme n'en a fait, il est évident que la puissance en vertu de laquelle il a
fait ce miracle est supérieure à toute puissance humaine : « Si cet homme
n'était pas de Dieu, ajouta-t-il, il ne pourrait rien faire. » — S. AUG. Il ne pourrait
rien faire avec liberté, avec constance, avec vérité ; car, comment les choses
que le Seigneur a faites auraient-elles pu exister si Dieu lui-même n'en était
l'auteur ? et comment ses disciples pourraient-ils opérer de semblables
prodiges, si le Seigneur lui-même n'habitait en eux pour les revêtir de sa
puissance ?
S. CHRYS. Cet
homme a donc confessé la vérité sans la moindre crainte, et cependant au lieu
d'admirer sa noble fermeté, les pharisiens le condamnent, « Ils lui répondirent
: Tu es né tout entier dans le péché, et tu nous enseignes ! » Que veulent dire
ces mots : « Tout entier ? » Avec les yeux fermés ; mais celui qui lui a
ouvert les yeux l'a guéri aussi tout entier. — S. CHRYS. (hom. 58.) Ou bien ces paroles : « Tout entier,
» signifient : Vous êtes dans le péché depuis vos premières années. Ils lui
reprochent donc sa cécité, comme la suite et la punition de ses péchés, ce qui
était dénué de fondement. Tant qu'ils ont espéré qu'il nierait cette guérison
miraculeuse, ils l'ont juge digne de foi ; maintenant ils le repoussent loin
d'eux. « Et ils le chassèrent dehors. » — S. AUG.
Ils l'avaient eux-mêmes établi comme maître, ils l'avaient interrogé à
plusieurs reprises, comme pour s'instruire, et après qu'il leur a enseigné la
vérité, ils le chassèrent avec une superbe ingratitude. — BEDE. C'est, en effet, la coutume des
grands, de dédaigner de rien apprendre de la bouche de leurs inférieurs.
S. CHRYS. (hom. 59 sur S. Jean.) Dieu
se plaît à honorer surtout ceux qui sont couverts d'outrages pour avoir rendu
témoignage à la vérité et confessé Jésus-Christ. C'est ce qui se vérifie dans
cet aveugle. Les Juifs le chassent du temple, et le Maître du temple le
rencontre, et l'accueille avec bonté, comme le président des combats accueille
celui qui a courageusement combattu et mérité la couronne. « Jésus apprit
qu'ils l'avaient ainsi chassé ; et, l'ayant rencontré, il lui dit : Croyez-vous
au Fils de Dieu ? » Le récit de l'Evangéliste nous fait voir que Jésus était
venu exprès pour lui parler. Or, il l'interroge, non pour apprendre ce qu'il
ignorait, mais pour se faire connaître à lui, et lui montrer la grande estime
qu'il fait de sa foi ; et il semble lui dire : Ce peuple m'a outragé, mais peu
m'importe ; je n'ai à cœur qu'une seule chose, c'est de vous inspirer la foi :
mieux vaut un homme faisant la volonté de Dieu, que dix mille impies.
S. HIL. (de la Trinité, 6) Si une foi telle
quelle en Jésus-Christ devait être regardée comme une foi consommée, le Sauveur
aurait dit à cet homme : Croyez-vous en Jésus-Christ ? Mais comme presque tous
les hérétiques devaient avoir ce nom à la bouche et confesser le Christ, tout
en niant qu'il était le Fils de Dieu, Jésus demande à cet homme de croire ce
qui est le signe caractéristique du Christ, c'est-à-dire, de croire qu'il est
Fils de Dieu. Que servirait-il de croire au Fils de Dieu, si l'objet de la foi
n'était qu'une créature ? La foi qui nous est demandée,
c'est la foi en Jésus-Christ, non comme créature de Dieu, mais comme Fils de
Dieu.
S. CHRYS. (hom.
59.) Cet homme ne connaissait pas encore Jésus-Christ, il était aveugle
avant que Jésus l'eût rencontré pour la première fois ; et après sa guérison,
il avait été entraîné de tous côtés par les Juifs. « Il répondit : Qui est-il,
Seigneur, afin que je croie en lui ? » C'est là l'expression d'un vif et ardent
désir. Il ne connaît point celui dont il a pris et soutenu la défense avec tant
de force et de chaleur, preuve de son grand amour pour la vérité. Le Seigneur
ne lui a point encore dit expressément : « C'est moi qui vous ai guéri ; » mais
il le lui fait connaître équivalemment en lui disant : « Vous l'avez vu, et
c'est lui-même qui vous parle. » — THEOPHYL. Il s'exprime ainsi pour
rappeler à cet homme sa guérison, parce que c'est de lui qu'il avait
reçu la faculté de voir. Remarquez que celui qui lui parle est à la fois le
Fils de Marie et le Fils de Dieu, et il n'y a point en lui deux personnes,
suivant l'erreur de Nestorius ; « et c'est lui-même qui vous parle, » lui dit
le Sauveur.
S. AUG. (Traité 44) Nôtre-Seigneur lave et
purifie maintenant la face de son cœur, et après que son cœur est purifié,
ainsi que sa conscience, il le reconnaît non comme Fils de l'homme, ce qu'il
croyait déjà auparavant, mais comme Fils de Dieu, revêtu d'une chair mortelle :
« Et il lui dit : Je crois, Seigneur. » C'est peu de croire ; voulez-vous voir
tout ce que sa foi découvre en lui ? « Et, se jetant à ses pieds, il l'adora. »
— BEDE. Cet exemple nous apprend
qu'on ne doit point prier Dieu la tète haute, mais implorer sa miséricorde la
face prosternée contre terre. — S. CHRYS.
( hom. 59. ) Par son attitude autant que par son langage, cet homme révèle la puissance divine de Jésus ; le
Seigneur, de son côté, donne une nouvelle ardeur à sa foi, et rend ceux qui le
suivent plus attentifs : « Alors Jésus dit : Je suis venu dans ce monde
pour exercer le jugement. » — S. AUG. Jésus était le jour, qui sépare la
lumière des ténèbres, et il ajoute justement : « Afin que ceux qui ne voient
pas voient, » parce qu'il délivre des ténèbres. Mais que signifient les paroles
qui suivent : « Et que ceux qui voient deviennent aveugles ? » La suite nous en
donne le véritable sens : «Quelques-uns, d'entre les pharisiens qui étaient-là,
ayant entendu ces paroles, lui dirent : « Sommes-nous donc aussi des aveugles ?
» Car cette parole : « Et que ceux qui voient deviennent aveugles, » les avait
vivement touchés. « Jésus leur répondit : Si vous étiez aveugles, vous n'auriez
point de péché ; » c'est-à-dire, si vous reconnaissiez que vous êtes des
aveugles, vous auriez recours au médecin. « Mais maintenant vous dites : Nous
voyons, votre péché demeure. » En effet, en prétendant que vous voyez, vous
n'avez nul souci de chercher le médecin, et vous demeurez dans votre
aveuglement ; c'est ce qu'il vient de leur prédira, en leur disant : « Je suis
venu pour que ceux qui ne voient point voient, » (c'est-à-dire, ceux qui
reconnaissent qu'ils ne voient point, et cherchent un médecin, pour qu'il leur
rende la vue,) « et que ceux qui voient deviennent aveugles. » (C'est-à-dire,
afin que ceux qui s'imaginent qu'ils voient et ne cherchent pas le médecin,
demeurent dans leur aveuglement.) C'est cette distinction qu'il appelle
jugement, lorsqu'il dit : « Je suis venu dans le monde pour exercer le
jugement, » et il ne veut point dire qu'il vienne exercer sur le monde ce
jugement qui doit n'avoir lieu qu'à la fin des siècles, pour les vivants et les
morts.
S. CHRYS. (hom.
59.) Ou bien encore, tel est le sens de ces paroles : « Je suis venu pour le jugement; » c'est-à-dire, pour augmenter la
rigueur du supplice qui vous est réservé ; et il montre aussi que ceux qui
l'ont condamné, seront eux-mêmes l'objet d'une sévère condamnation. Les paroles
suivantes : « Afin que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient
deviennent aveugles, » doivent être entendues dans le même sens que ces autres
de saint Paul : « Que les Gentils qui ne cherchaient point la justice, ont
embrassé la justice, et la justice qui vient de la foi de Jésus-Christ ; et
qu'Israël, au contraire, qui recherchait la loi de la justice, n'est point
parvenu à la loi de la justice. » (Rm 9, 30-31.) — THEOPHYL. Nôtre-Seigneur semble dire :
Celui qui était aveugle dès sa naissance voit maintenant, et ceux qui
paraissent avoir l'usage de la vue, sont aveugles dans leur intelligence. — S. CHRYS. (hom. 59.) Il y a, en
effet, deux manières de voir, comme deux manières d'être aveugle, l'une
extérieure, l'autre intérieure ; or, les Juifs n'avaient de désirs que pour les
choses sensibles, et de mépris que pour la cécité extérieure ; Jésus leur
déclare donc qu'il vaudrait mieux pour eux être aveugles, que de voir de la
sorte : « Si vous étiez aveugles, leur dit-il, vous n'auriez point de péché, »
et votre châtiment serait moins rigoureux ; « mais maintenant vous dites : Nous
voyons. » — THEOPHYL. Vous ne
voulez faire nulle attention au miracle opéré en faveur de cet aveugle, vous
êtes donc indigne de pardon, puisque la vue de tels prodiges n'est point
capable de vous attirer à la foi.
S. CHRYS. (hom.
59.) Il leur montre ainsi que ce qu'ils regardaient comme un titre de
gloire, sera pour eux une cause de châtiment, et en même temps il console de sa
cécité extérieure cet homme qui avait été aveugle de naissance. Ce n'est pas
sans raison que l’Evangéliste nous fait remarquer que quelques-uns d'entre les
pharisiens qui étaient là entendirent ces paroles ; il veut nous rappeler que ce sont les
mêmes qui avaient d'abord résisté à Jésus-Christ, et avaient voulu ensuite le
lapider ; ils étaient de ceux qui suivaient le Sauveur comme par manière
d'acquit, et à la première occasion se déclaraient contre lui.— THEOPHYL. Ou
bien encore, si vous étiez aveugles, c'est-à-dire si vous ignoriez les
Ecritures, votre péché serait moins grand, parce qu'il aurait l'ignorance pour excuse
; mais maintenant, que vous vous donnez comme des sages et des hommes versés
dans la loi, vous vous condamnez vous-mêmes.
S. CHRYS. (hom.
59 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur venait de convaincre les Juifs
d'aveuglement, mais ils pouvaient lui répondre : Ce n'est point par aveuglement
que nous ne vous suivons pas, nous nous séparons de vous comme d'un imposteur,
il veut donc leur prouver que loin d'être un imposteur, il est le véritable
pasteur, en donnant les signes distinctifs de l'un et de l'autre, et d'abord le
signalement de l'imposteur et du voleur : « En vérité, en vérité, je vous le
dis, celui qui n'entre point par la porte dans la bergerie, mais qui y monte
par un autre endroit, est un voleur et un larron. » Nôtre-Seigneur désigne ici
indirectement tons ceux qui sont venus avant lui et ceux qui doivent paraître
après lui, l'Antéchrist et les faux prophètes. Les saintes Ecritures
sont la porte, car ce sont elles qui ouvrent l'intelligence à la connaissance
de Dieu, elles servent d'ailleurs à garder les brebis et ne laissent point
approcher les loups, c'est-à-dire, les hérétiques qu'elles empêchent d'entrer
dans la bergerie. Celui donc qui, laissant là les Ecritures, veut monter par un
autre endroit, et s'ouvre un chemin particulier et non autorisé, est un voleur.
Le Sauveur dit : « Il monte, » et non pas : « Il entre, » à l'exemple du
voleur qui cherche à escalader le mur de clôture, et s'expose pour cela à tous
les dangers. Nôtre-Seigneur ajoute : « Par un autre endroit, » et il désigne à
mots couverts les scribes, qui enseignaient des maximes et des doctrines tout
humaines, et transgressaient ouvertement la loi. S'il déclare plus bas qu'il
est lui-même la porte, il ne faut pas s'en étonner, il s'appelle la porte et
pasteur sous des rapports différents. Il est la porte, parce qu'il nous amène à
son Père, et il est notre pasteur, parce qu'il nous conduit et nous dirige.
S. AUG. (Traité
45 sur S. Jean.) Ou bien encore, il en est beaucoup que selon
l'usage ordinaire de la vie, on appelle des hommes de bien, ils observent d'une
manière quelconque les commandements de la loi, et toutefois ils ne sont pas
chrétiens et demandent avec fierté comme les pharisiens : « Est-ce que nous
sommes aveugles ? » Or, Nôtre-Seigneur leur montre que toutes leurs
actions qu'ils ne savent à quelle fin rapporter, sont vaines sous la figure
d'un troupeau et de la porte par laquelle on entre dans la bergerie : « En
vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui n'entre point par la porte, » etc.
Que les païens donc, que les Juifs, que les hérétiques disent : « Notre vie est
bonne, » à quoi cela leur sert-il s'ils n'entrent point par la porte ? La fin
de la bonne vie doit être pour chacun de lui faire obtenir la vie éternelle, et
on ne peut appeler des hommes de bien ceux qui, par aveuglement ou bien par
orgueil, dédaignent de connaître ce qui doit être la fin de la bonne vie. Or, la véritable espérance de vivre toujours n'est donnée
qu'à celui qui connaît la vie qui est Jésus-Christ, et qui entre par la porte dans
la bergerie. Que celui donc qui veut entrer dans la bergerie, entre par la
porte, qu'il ne se contente pas d'annoncer Jésus-Christ, qu'il cherche la
gloire de Jésus-Christ au lieu de chercher la sienne. Mais Jésus-Christ est une
porte qui est bien basse, et il faut s'abaisser pour entrer par cette porte
sans se blesser la tête, or celui qui s'élève au lieu de s'humilier, veut
escalader le mur, et il ne s'élève que pour tomber. Ces hommes, la plupart du
temps, cherchent à persuader aux autres à vivre en hommes de bien sans être
chrétiens, ils veulent monter et passer ailleurs que par la porte pour ravir et
pour tuer. Ce sont des voleurs, parce qu'ils disent que ce qui est aux autres,
leur appartient, et des larrons, parce qu'ils tuent ce qu'ils ont volé.
S. CHRYS. (hom. 59.) Vous avez vu la
description du voleur, voici celle du pasteur : « Mais celui qui entre par
la porte est le pasteur des brebis. » — S. AUG.
(serm. 49 sur les par. du Seign.) Celui qui entre par la
porte est celui qui entre par Jésus-Christ, qui imite la passion de
Jésus-Christ, qui connaît l'humilité de Jésus-Christ, c'est-à-dire, qu'à la vue
d'un Dieu fait homme, l'homme doit reconnaître que lui-même n'est pas Dieu,
mais qu'il n'est qu'un homme, car celui qui veut affecter de paraître un Dieu,
lorsqu'il n'est qu'un homme, n'imite pas celui qui étant Dieu s'est fait homme.
Or, on ne vous dit pas : Soyez moins que ce que vous êtes, mais : Reconnaissez
ce que vous êtes en réalité.
« C'est à lui que le portier ouvre. » — S. CHRYS. (hom. 59.) Rien ne
s'oppose à ce que ce portier soit Moïse, car c'est à lui qu'a été confié le dépôt des oracles de Dieu. — THEOPHYL. Ou bien encore ce portier, c'est l'Esprit saint qui
nous ouvre le sens des Ecritures pour nous y faire reconnaître le Christ. — S.
AUG. Ou bien encore ce portier, c'est le Seigneur lui-même ; dans les choses
humaines, en effet, il y a une bien plus grande différence entre le pasteur et
la porte qu'entre le portier et la porte, et cependant le Sauveur se donne à la
fois comme le pasteur et comme la porte. Pourquoi donc ne pas voir aussi en lui
le portier ? Ne s'ouvre-t-il pas lui-même lorsqu'il s'explique lui-même ? Si
cependant vous voulez qu'un autre soit le portier, vous pouvez donner cette
dénomination à l'Esprit saint, dont le Seigneur a dit : « Il vous enseignera
lui-même toute vérité. » (Jn 16) La porte, c'est Jésus-Christ qui est la
vérité. Qui ouvre la porte, si ce n'est celui qui enseigne la vérité ? Prenons
garde cependant de regarder ici le portier comme supérieur à la porte, parce
que dans les maisons des hommes, le portier est plus que la porte, et non la
porte plus que le portier.
S. CHRYS. (hom.
59.) Comme les Juifs traitaient Jésus d'imposteur et confirmaient cette
opinion par leur incrédulité, en disant : « Qui d’entre les princes du peuple a
cru en lui ? » il leur signifie que pour avoir refusé de l'écouter, ils sont
exclus du nombre de ses brebis : « Et les brebis entendent sa voix. » Si
en effet, c'est un signe distinctif du pasteur d'entrer par la porte, comme
Nôtre-Seigneur lui-même est entré, c'est se séparer du troupeau de ses brebis
que de refuser d'écouter sa voix.
« Et il appelle par leur nom ses brebis. » — S. AUG.
En effet, il connaît le nom des prédestinés, et c'est pour cela qu'il dit à ses
disciples : « Réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux. » (Lc 10) « Et il les fait sortir. » — S. CHRYS. (Hom. 59.) Il faisait
sortir ses brebis, quand il les envoyait non loin des loups, mais au milieu
même des loups. Le Sauveur paraît faire ici allusion à l'aveugle, car en
l'appelant, il l'a comme fait sortir du milieu des Juifs. — S. AUG. Quel est
celui qui fait véritablement sortir les brebis, si ce n'est celui qui leur
remet leurs péchés, afin qu'elles puissent le suivre délivrées qu'elles sont des
lourdes chaînes de leur esclavage ? « Et lorsqu'il a fait sortir ses brebis, il
marche devant elles. » — LA GLOSE. Il
les fait sortir des ténèbres de l'ignorance à la lumière de la vérité, en
marchant devant elles, comme il marchait autrefois devant le peuple de Dieu,
dans une colonne tour à tour de nuée et de feu. S. CHRYS. Les bergers font le contraire de ce qui est ici
marqué, et marchent après leur troupeau. Nôtre-Seigneur nous apprend qu'il agit
tout différemment, parce qu'il conduit ses brebis à la vérité. — S. AUG. Quel
est le pasteur qui a précédé ses brebis, si ce n'est celui qui est ressuscité
des morts pour ne plus mourir (Rm 6), et qui a dit à son Père :
« Mon Père, je veux que là où je suis, ceux que vous m'avez donnés soient
aussi avec moi ? » (Jn 17, 24.)
« Et les brebis le suivent, parce qu'elles
connaissent sa voix, mais elles ne suivent point un étranger, » etc. — S. CHRYS. Ces étrangers sont les partisans
de Théodas et de Judas (Ac 6, 36-37), et de tous les faux apôtres qui,
après eux devaient tromper le peuple de Dieu. Or, pour n'être point confondu
avec eux, il fait voir les différents caractères qui l'en séparent ;
d'abord la doctrine des Ecritures, par lesquelles Jésus-Christ amenait les
hommes à lui, tandis que les autres en détournaient les hommes ; en second
lieu, l'obéissance que les brebis avaient pour lui, car les hommes ont cru en
lui, non-seulement pendant sa vie, mais après sa mort, tandis que ces faux
pasteurs furent bientôt abandonnés de ceux qui les avaient suivis. — THEOPHYL.
Il veut encore désigner ici l'Antéchrist, qui, après avoir égaré un instant les
hommes, n'aura point de disciples après sa mort.
S. AUG. Mais comment résoudre celte question ? Ceux
qui ne sont pas des brebis de Jésus entendent quelquefois sa voix, comme Judas,
par exemple, qui était un loup, tandis qu'une partie de ceux qui avaient
crucifié le Sauveur, n'écoutèrent pas sa voix, bien qu'ils fussent du nombre de
ses brebis. On peut dire que lorsqu'elles n'entendaient pas sa voix, elles
n'étaient pas encore du nombre des brebis, la voix qu'elles ont entendue, les a
changés, et en a fait des brebis de loups qu'elles étaient. Je suis encore
frappé de ces reproches que Dieu adresse aux pasteurs par la bouche d'Ezéchiel,
lorsqu'il leur dit entre autres choses, en parlant des brebis : « Vous n'avez
point ramené la brebis qui s'égarait. » (Ez 34, 4.) Elle s'égare et il
ne laisse pas de lui donner le nom de brebis ; elle ne s'égarerait pas, si elle
entendait la voix du pasteur, et elle ne s'égare que parce qu'elle écoute la
voix d'un étranger. Disons donc : « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui, » (2 Tm
2) il
connaît les prédestinés, ce sont les brebis. Quelquefois ils ne se connaissent
pas eux-mêmes, mais le pas-tour les connaît, car il y a beaucoup de brebis
dehors, comme il y a un grand nombre de loups dans l'intérieur. Nôtre-Seigneur
veut donc parler ici des prédestinés. Il y a d'ailleurs une certaine voix du
pasteur qui ne sera jamais confondue parles brebis avec celle des étrangers, et
que ceux qui ne sont pas brebis n'entendront jamais comme la voix de
Jésus-Christ. Quelle est cette voix ? « Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé. » (Mt 10 et 24) Cette voix est toujours
entendue de celui qui appartient à Jésus-Christ ; elle ne l'est pas de celui qui
lui est étranger : « Jésus leur dit cette parabole, mais ils ne comprirent pas
ce qu'ils lui disaient. » Nôtre-Seigneur, en effet, nourrit notre âme par les
vérités qu'il révèle clairement, et il l'exerce par celles qu'il, laisse dans
l'obscurité. Deux hommes entendent les paroles de l'Evangile, l'un est un homme
religieux, l'autre est un impie, et ce qu'ils entendent n'est peut-être compris
ni de l'un ni de l'autre. L'un s'exprime de la sorte : Ce que le Sauveur vient
de nous dire est vrai et bon, mais nous ne le comprenons pas ; cet homme a déjà
la foi, il est digne qu'on lui ouvre, s'il persévère à frapper. L'autre, au
contraire, soutient qu'il ne leur a rien dit, il a donc encore besoin
d'entendre ces paroles : « Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas. » (Is
7, 9, selon la vers. des Sept.)
S. CHRYS. (hom.
59 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur, pour rendre les Juifs plus
attentifs, leur explique ce qu'il vient de dire : « Jésus donc leur dit encore
: En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis. » — S.
AUG. (Traité 45 sur S. Jean.) Voici qu'il ouvre ce qui était
fermé, il est lui-même la porte ; entrons et réjouissons-nous d'être entrés.
« Tous ceux qui sont venus sont des voleurs et des
larrons. » — S. CHRYS. (hom. 59.) Ce n'est point aux prophètes que
s'appliquent ces paroles, comme le disent les hérétiques, mais à ceux qui ont
excité des séditions. Aussi se hâte-t-il de faire l'éloge des brebis en
ajoutant : « Et les brebis ne les ont point écoutés ; » or, jamais nous ne le
voyons donner des louanges à ceux qui n'ont point obéi aux prophètes, au
contraire, il les blâme toujours sévèrement. — S. AUG. Comprenez donc ces paroles dans ce sens : « Tous ceux
qui sont venus en dehors de moi ; » or, les prophètes ne sont point venus en
dehors de lui, tous ceux qui sont venus avec le Verbe de Dieu sont venus avec
lui, et ceux qui sont venus avec lui sont dignes de foi, parce qu'il est
lui-même le Verbe et la vérité. Avant de venir lui-même sur la terre, il
envoyait devant lui ses hérauts, mais il était le maître des cœurs de ceux
qu'il envoyait, car s'il a pris une chair mortelle dans le temps, il existe de
toute éternité. Que signifient ces
paroles : « De toute éternité ? » « Au commencement était le Verbe. »
Or, avant son avènement si plein d'humilité dans la chair, il a paru sur la
terre des justes qui croyaient au Christ qui devait venir, comme nous croyons
au Christ qui est venu. Les temps ont changé, la foi est restée la même, et
cette même foi unit étroitement ceux qui croyaient que le Christ devait venir
avec ceux qui croyaient qu'il est venu. Tous ceux donc qui sont venus en dehors
de lui sont des voleurs et des larrons, c'est-à-dire, qu'ils ne sont venus que
pour voler et pour tuer. Mais les brebis, c'est-à-dire ceux dont saint Paul a
dit : « Le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent, » (2 Tm
2) ne
les ont point écoutés. Les brebis n'ont donc pas écouté ceux en qui n'était
point la voix de Jésus-Christ, c'étaient des maîtres d'erreur et de mensonge
qui ne pouvaient que séduire des âmes infortunées.
Il explique ensuite pourquoi il s'est appelé la
porte : « Je suis la porte, si quelqu'un entre
par moi, il sera sauvé. » — ALCUIN. C'est-à-dire,
les brebis ne les écoutent point ; mais ils m'écoutent, parce que je suis la
porte, et que celui qui entrera par moi sans artifice, en toute sincérité, et
en toute persévérance, sera sauvé. — THEOPHYL.
Or, le Seigneur conduit ses brebis aux pâturages par la porte : « Et
il entrera, et il sortira, et il trouvera des pâturages. » Quels sont ces
pâturages ? ce sont les délices du ciel, et ce repos dans lequel Nôtre-Seigneur
nous fera entrer. — S. AUG. (Traité 45.) Mais que signifient ces paroles
: « Il entrera et il sortira ? » Entrer dans l'Eglise par la porte elle-même
est une excellente chose, mais il n'est pas aussi avantageux de sortir de
l'Eglise. On peut donc dire que nous entrons, quand nous avons quelque pensée
au dedans de nous, et que nous sortons quand nous agissons au dehors, selon ces
paroles : « L'homme sortira pour accomplir son œuvre. » (Ps 103)
— THEOPHYL. Ou bien encore,
entrer c'est prendre soin de l'homme intérieur ; sortir, c'est mortifier en
Jésus-Christ l'homme extérieur, c'est-à-dire les membres qui sont sur la terre.
(Col 3) Celui qui agit ainsi trouvera des pâturages dans la vie future.
— S. CHRYS. (hom. 59.)
Peut-être encore ces paroles doivent s'entendre des Apôtres, qui entrèrent et
sortirent librement comme les maîtres du monde entier, sans que personne les en
pût chasser ou les empêcher de trouver leur nourriture.
S. AUG. (Traité 41) Mais j'aime mieux
voir ici un avertissement que la vérité elle-même, comme un bon pasteur, nous
confirme dans les paroles qui suivent : « Le larron ne vient que pour dérober,
pour égorger, et pour détruire. » — ALCUIN.
Paroles dont voici le sens : Les brebis ont raison de ne pas écouter la
voix du larron, parce qu'il ne vient que pour voler, en dérobant ce qui ne lui appartient pas,
c'est-à-dire, en persuadant à ceux qui le suivent de vivre conformément à ses
exemples, au lieu de leur enseigner les préceptes de Jésus-Christ. Le Sauveur
ajoute : « Et pour égorger, » en les détournant de la foi par sa doctrine
pernicieuse, « et pour les perdre, » en les précipitant dans l’éternelle
damnation. Les larrons ne font donc que voler et égorger ; « mais je suis
venu pour qu'elles aient la vie, et une vie plus abondante. » — S. AUG. Je crois que Notre-Seigneur veut
dire : Afin qu'elles aient la vie en entrant, c'est-à-dire au moyen de la foi,
qui opère par la charité. (Gal 5) Cette foi les fait entrer dans la
bergerie, pour leur donner la vie, parce que le juste vit de la foi. (Rom 1,
17.) Il ajoute : « Et une vie plus abondante en sortant, » c'est-à-dire,
quand les vrais fidèles sortent de cette vie, et entrent en possession d'une
vie plus abondante, qui est pour toujours à l'abri de la mort. Car, bien que
sur la terre même, et dans la bergerie, les pâturages ne leur aient pas manqué,
ils trouveront alors des pâturages où ils seront pleinement rassasiés, tels que
les a trouvés celui à qui Jésus a dit : « Aujourd'hui vous serez avec moi dans
le paradis. » — S. GREG. (hom.
13, sur Ezech.) Il entrera donc pour recevoir la foi, il sortira pour
entrer dans la claire vision, et il trouvera des pâturages là où son âme sera
éternellement rassasiée.
S. CHRYS. (hom.
59.) Ces paroles : « Le voleur ne vient que pour dérober, pour égorger et
pour perdre, » s'appliquent à tous les auteurs de révolte ou de sédition, et
elles se sont vérifiées à la lettre dans tous ceux qui ont été misa mort pour
les avoir suivis, et qui ont ainsi perdu même la vie présente. Mais pour moi,
je suis venu pour le salut de tous, pour qu'ils aient la vie, et une vie plus abondante dans
le royaume des cieux, et c'est la troisième différence qui le distinguo, des
faux prophètes. — THEOPHYL. Dans
le sens allégorique, le voleur est le démon qui vient par la tentation pour
dérober, par les pensées coupables qu'il inspire, égorger par le consentement,
et perdre par les actes.
S. AUG. (Traité
46 sur S. Jean.) Notre-Seigneur nous a déjà expliqué deux choses
qu'il nous avait proposées sous le voile de la parabole ; nous savons déjà
qu'il est lui-même la porte, nous savons qu'il est lui-même le pasteur ; il va
maintenant prouver qu'il est le bon pasteur : « Je suis le bon pasteur. »
(Traité 47.) Il avait dit précédemment que le pasteur entre par la porte
; si donc il est lui-même la porte, comment peut-il entrer par lui-même ? Le
Fils de Dieu connaît le Père par lui-même, et nous ne le connaissons que par
lui ; ainsi il entre dans la bergerie par lui-même, tandis que nous n'y entrons
que par lui. Nous, qui prêchons Jésus-Christ, nous entrons par la porte ;
Jésus-Christ, au contraire, se prêche lui-même, car la lumière se manifeste
elle-même en découvrant les autres objets qu'elle éclaire. (Traité 46.)
Si les chefs de l'Eglise, qui sont ses enfants, sont pasteurs, comment peut-il
dire qu'il n'y a qu'un seul pasteur, si ce n'est parce qu'ils sont tous les
membres d'un seul et même pasteur ? (Traité 47.) Il a communiqué à ses
membres son titre et ses fonctions de pasteur ; ainsi Pierre est pasteur, les
autres apôtres sont pasteurs, tons les saints apôtres sont eux-mêmes pasteurs.
Mais personne d'entre nous n'ose se dire la porte ; c'est une prérogative que
le Sauveur s'est réservée à l'exclusion de tout autre. Il n'aurait pas ajouté
au nom de pasteur la qualification de bon, s'il n'y avait de mauvais pasteurs ;
ce sont les voleurs et les larrons, ou du moins les mercenaires, qui sont en
grand nombre. — S. GREG. (hom. 14 sur les Evang.) Il propose
ensuite à notre imitation l'exemple de sa bonté et de son dévouement pour ses
brebis. « Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. » Il a fait
lui-même ce qu'il nous enseigne ; il pratique le commandement qu'il nous a
impose, il a donné sa vie pour ses brebis, afin de faire de son corps et de son
sang un véritable sacrement pour nous, et rassasier de sa chair, devenue notre
aliment, les brebis qu'il avait rachetées, il nous a tracé, pour que nous la
suivions, la voie du mépris de la mort ; il nous a donné le modèle que nous
devons reproduire. Notre premier devoir est de distribuer charitablement nos
biens à ses brebis ; le second, de sacrifier généreusement, s'il le faut, notre
vie pour elles. Mais celui qui ne sacrifie même pas ses biens pour ses brebis,
quand sera-t-il disposé à sacrifier sa vie ?
S. AUG. (Traité 47) Or, le Christ n'est pas
le seul qui ait donné personnellement cette preuve de charité, et cependant on
peut dire que c'est lui seul qui l'a donnée, dans la personne de ceux qui
étaient ses membres ; car lui seul pouvait la donner sans eux, tandis qu'ils ne
pouvaient, sans lui, accomplir cet acte de dévouement. — S. AUG. (Serm. 50
sur les paroles du Seig.) Tous cependant ont été de bons pasteurs,
non-seulement parce qu'ils ont versé leur sang, mais parce qu'ils l'ont versé
pour leurs brebis, et qu'ils l'ont versé non par orgueil, mais par charité. Il
est des hérétiques, en effet, qui osent décorer du nom de martyre les
tribulations qu'ils ont pu souffrir à cause de leurs erreurs et de leurs
iniquités, et qui se couvrent de ce manteau pour pouvoir plus facilement voler
et piller, parce qu'ils sont de véritables loups. Mais gardons-nous de croire
que tous ceux qui livrent leur corps au supplice même du feu versent leur sang
pour les brebis, c'est bien plutôt contre elles qu'elles le versent. Car, comme
dit l'Apôtre : « Quand je livrerai mon corps pour être brûlé, si je n'ai
pas la charité, cela ne me sert de rien. » (1 Co 13) Or, comment
peut-on prétendre avoir le moindre degré de charité, quand on n'aime pas
l'unité de la communion chrétienne ? C'est pour nous recommander cette unité
que le Seigneur ne veut point dire qu'il y a plusieurs pasteurs, mais un seul,
en disant : « Je suis le bon pasteur. »
S. CHRYS. (hom.
89 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur en vient ensuite à parler de sa
passion, et à montrer qu'elle avait pour objet le salut du monde, et qu'il
allait volontairement au-devant d'elle. Puis il expose de nouveau les signes
distinctifs du pasteur et du mercenaire. « Mais le mercenaire et celui qui
n'est pas le pasteur, à qui les brebis n'appartiennent pas, voit venir le loup,
laisse là les brebis et s'enfuit. »
— S. GREG. Il en est
quelques-uns qui, en préférant dans leur affection les avantages de la terre,
aux brebis elles-mêmes, perdent justement le nom de pasteur ; car celui qui ne
conduit pas ses brebis par un sentiment d'amour, mais pour un gain terrestre,
n'est pas un pasteur, c'est un mercenaire. Le mercenaire, en effet, est celui
qui tient la place du pasteur, mais ne cherche pas l'intérêt des âmes, ne
soupire qu'après les richesses de la terre, et se complaît dans les prérogatives de sa
dignité. — S. AUG. (Serm. 49 sur les par. du Seig.) Il cherche
donc dans l'Eglise autre chose que Dieu ; s'il cherchait Dieu, il serait chaste,
car le légitime époux de l'âme c'est Dieu, et celui qui demande à Dieu autre
chose que Dieu lui-même, ne le cherche pas avec des dispositions pures.
S. GREG. —
Ce n'est, du reste, que dans les temps d'épreuve qu'on peut distinguer
parfaitement le pasteur du mercenaire ; dans les temps de paix, le mercenaire
veille ordinairement à la garde du troupeau comme le véritable pasteur : mais
lorsque le loup survient, il découvre les vrais motifs qui inspiraient cette
vigilance. — S. AUG. (Serm. 49 sur les par. du Seign.) Le loup,
c'est le démon et tous ceux qui font profession de le suivre ; car,
Nôtre-Seigneur lui-même nous dit que, tout revêtus qu'ils sont de peaux de
brebis, ils sont au dedans des loups ravisseurs. (Mt 7) — S. AUG. (Traité 46 sur S. Jean.)
Voici que le loup saisit la brebis à la gorge, le démon persuade à un
fidèle de commettre un adultère, vous devez l'excommunier ; mais cette
excommunication le rendra votre ennemi déclaré, il vous tendra des pièges, et
vous nuira autant qu'il le pourra ; vous gardez le silence, vous ne lui faites
aucun reproche ; vous avez vu le loup qui venait, et vous vous êtes enfui ;
vous êtes resté de corps, mais vous vous êtes enfui d'esprit ; car c'est par
les affections que notre âme se meut, elle se répand par la foi, se resserre
par la tristesse, marche par le désir, et s'enfuit par la crainte. — S. GREG. Le loup vient encore fondre sur
les brebis toutes les fois qu'un homme injuste ou ravisseur opprime les fidèles
et les humbles. Or, celui qui n'avait que l'extérieur du pas-leur et ne l'était
pas en effet, laisse les brebis et s'enfuit à son approche, parce que le danger
qu'il redoute pour lui le rend incapable de résister à l'injustice ; et il
s'enfuit non pas en changeant de lieu, mais en privant ses brebis de son appui.
A la vue des dangers que court son troupeau, le mercenaire n'est enflammé
d'aucun sentiment de zèle ; et il supporte avec indifférence les maux qui
viennent fondre sur ses brebis, parce qu'il n'est préoccupé que de ses intérêts
personnels. « Le mercenaire s'enfuit, » etc. L'unique raison pour laquelle
le mercenaire s'enfuit, c'est qu'il est mercenaire ; et voici le sens de ces
paroles : Celui qui dirige les brebis non par un sentiment d'amour, mais en vue
d'un gain sordide, ne peut supporter le danger qui menace les brebis, et il
redoute de l'affronter, parce qu'il craint de perdre ce qu'il aime.
S. AUG. (Tr.
46 sur S. Jean.) Les Apôtres étaient des pasteurs et non des
mercenaires, et pourquoi donc fuyaient-ils devant la persécution, obéissant en
cela au conseil du Sauveur : « S'ils vous persécutent, fuyez » (Mt 10,
23.) Frappons, quelqu'un nous ouvrira. — S.AUG. (Lett. 180 à Honor.) Les
serviteurs de Jésus-Christ, les ministres de sa parole et de ses sacrements
peuvent fuir de ville en ville,
peuvent fuir de ville en ville,et spécial de la
haine des persécuteurs, à la condition que l'Eglise ne soit pas abandonnée par
ceux qu'épargne la persécution. Mais lorsque le danger devient commun pour
tous, pour les évoques, pour les clercs, pour les simples fidèles, ceux qui ont
besoin du ministère de leurs frères, ne doivent pas être abandonnés par eux.
Que tous donc s'enfuient alors dans des lieux de sûreté, ou que ceux qui sont
obligés de rester ne soient pas privés du ministère de ceux qui doivent pourvoir
à leurs besoins spirituels. Ainsi il est permis aux ministres de Jésus-Christ,
de fuir devant la persécution, quand ils ne laissent pas derrière eux tout un
peuple qui réclame leur ministère, ou lorsque ce ministère peut être rempli par
ceux qui n'ont pas les mêmes raisons de fuir. Mais si le peuple est obligé de
rester et que les ministres le laissent sans secours en s'enfuyant, c'est la
fuite honteuse et inexcusable des mercenaires qui n'ont aucun souci de leurs
brebis.
S. AUG. (Traité 46 sur S. Jean.) Parmi
les bons, il nous faut donc compter la porte, le portier, le pasteur et les
brebis ; parmi les mauvais, les voleurs, les larrons, les mercenaires et les
loups. — S. AUG. (serm. 49 sur les par. du Seig.) Il faut aimer
le pasteur, se garder du voleur, supporter le mercenaire, car le mercenaire
peut être utile tant qu'il ne voit point le loup, le voleur ou le larron, mais
à leur vue seule, il s'enfuit. — S. AUG.
(Traité 46 sur S. Jean.) On ne lui donne le nom de
mercenaire, que parce qu'il est payé par celui qui le loue. Les enfants
attendent patiemment l'héritage de leur père, le mercenaire soupire ardemment
après le salaire qu'il regarde comme le prix de son travail, et cependant la
gloire du divin Sauveur se répand par la bouche de chacun d'eux. Le mercenaire
n'est donc nuisible que lorsqu'il fait mal et non lorsqu'il annonce la bonne
doctrine : cueillez le raisin, gardez-vous des épines. Quelquefois, en effet,
la grappe de raisin qu'a produite le cep de vigne, pend aux branches d'un
buisson ; il en est beaucoup dans l'Eglise, qui cherchent leurs avantages
temporels en prêchant Jésus-Christ, la voix de Jésus-Christ se l'ait entendre
par eux, et les brebis suivent alors, non pas le mercenaire, mais la voix de
Jésus-Christ qui se fait entendre par le mercenaire.
S. CHRYS. (hom.
60 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur a fait connaître dans ce qui précède
l'existence de deux mauvais maîtres, l'un qui vole, égorge et pille, l'autre
qui ne s'y oppose point ; par le premier il veut représenter les auteurs de
sédition ; et par le second, confondre les docteurs des Juifs, qui ne
veillaient point sur les brebis qui leur étaient confiées. Il se sépare
nettement de ces deux maîtres, d'abord de ceux qui ne venaient que pour perdre
en disant : « Je suis venu pour qu'elles aient la vie, » et ensuite de ceux qui
voient avec indifférence les rapines des loups, en déclarant qu'il donne sa vie
pour ses brebis, et comme conclusion de tout ce qui précède, il dit : « Je suis
le bon pasteur. » Mais comme il venait de dire que les brebis entendent la voix
du pasteur et le suivent, on pouvait lui objecter : « Que dites-vous donc de
ceux qui ne croient point en vous ; » il ajoute donc : « Et je connais mes
brebis, » etc. Vérité que saint Paul confirme, lorsqu'il dit : « Dieu
n'a pas rejeté son peuple qu'il a connu dans sa prescience. » — S. CHRYS. Il semble dire ouvertement :
J'aime mes brebis, et leur amour pour moi est le principe de leur obéissance,
car celui qui n'aime pas la vérité n'en a pas la moindre intelligence. — THEOPHYL. Vous pouvez conclure de là
quelle différence sépare le pasteur du mercenaire, le mercenaire ne connaît pas
les brebis, parce qu'il les visite rarement ; le pasteur les connaît en vertu
de la sollicitude qu'il a pour son troupeau.
S. CHRYS. Gardez-vous
de croire cependant que la connaissance de Jésus-Christ et celle des brebis
soit la même : « Comme mon Père me connaît, ajoute-t-il, et que moi-même je
connais mon Père, » etc., c'est-à-dire, je le connais avec autant de certitude
qu'il me connaît lui-même, la connaissance du Père et du Fils est donc la même,
il n'en est pas de même de la connaissance des brebis, car il ajoute : « Et je
donne ma vie pour mes brebis. » — S. GREG. (hom. 14.) La preuve évidente
que je connais mon Père, et que mon Père me connaît, c'est que je donne ma vie
pour mes brebis, c'est-à-dire, la charité qui me porte à sacrifier ma vie pour
mes brebis, fait voir la grandeur de l'amour que j'ai pour mon Père. — S. CHRYS. Il prouve un môme temps qu'il
n'est pas un imposteur, de même que le grand Apôtre voulant prouver contre les
faux apôtres qu'il était un véritable maître, puisait ses raisons dans les
dangers qu'il avait courus et dans les périls de mort auxquels il avait été
exposé. — THEOPHYL. En
effet, les séducteurs n'ont jamais exposé leur vie pour leur brebis, mais comme
des mercenaires, ils ont abandonné ceux qui les suivaient, et le Sauveur, pour
qu'on ne se saisît pas de la personne de ses disciples, dit à ses ennemis : «
Laissez-les aller ».
S. GREG. Cependant
comme le Sauveur était venu racheter, non-seulement les Juifs, mais les
Gentils, il ajoute : « J'ai encore d'autres brebis qui ne sont point de cette
bergerie. » — S. AUG. (serm.
50 sur les par. du Seig.) Il s'adressait tout d'abord au bercail qui
était composé des enfants d'Israël par le sang, il y en avait d'autres qui en
faisaient partie par la foi, ils étaient encore au milieu des Gentils, ils
étaient prédestinés, mais ils n'étaient pas encore réunis. Ils ne sont donc pas
encore de cette bergerie, parce qu'ils n'appartiennent point par le sang à la
race d'Israël, mais ils en feront un jour partie d'après la parole du Sauveur :
« Il faut que je les amène, » etc. — S. CHRYS.
(hom. 60.) Il nous apprend ainsi que les uns et les autres
étaient dispersés et n'avaient point de pasteurs : « Et ils entendront ma voix, » paroles dont voici le sens :
Pourquoi vous étonner que les premiers me suivront et entendront ma voix, quand
vous verrez les autres eux-mêmes se mettre à ma suite et écouter ma voix ? Il
prédit ensuite l'union future des deux troupeaux : « Et il n'y aura qu'une
bergerie et qu'un pasteur. » — S. GREG. Il
ne fait de ces deux troupeaux qu'une seule bergerie, parce qu'il unit dans les
liens d'une seule et même foi les Juifs et les Gentils. — THEOPHYL. Tous deux, en effet, n'ont
qu'un seul et même sacrement du baptême, un seul et même pasteur qui est le
Verbe de Dieu. Que les manichéens comprennent donc ici que l'Ancien et le
Nouveau Testament n'ont qu'un seul pasteur et un seul bercail. — S. AUG. (Traité 17.) Que signifient
alors ces paroles : « Je ne suis envoyé qu'aux brebis perdues de la maison
d'Israël ? » C'est que le peuple d'Israël seul a joui de sa présence
corporelle, et qu'il n'a pas été en personne vers les Gentils, mais qu'il leur
a envoyé ses Apôtres.
S. CHRYS. (hom.
60.) Ce mot : « Il faut, » n'exprime pas la nécessité, mais la certitude de
l'événement, et comme les Juifs prétendaient que Jésus était en opposition avec
le Père, il ajoute : « Mon Père m'aime, parce que je donne ma vie pour la
reprendre. » — S. AUG. C'est-à-dire,
parce que je meurs pour ressusciter. Remarquez la force de cette expression :
« Je donne ma vie. » Que les Juifs cessent de se glorifier, ils pourront
se déchaîner contre moi, mais si je ne consens à donner ma vie, à quoi peuvent
aboutir les efforts de leur fureur ? Or, l'amour que le Père a pour le Fils,
n'est pas comme le prix de la mort qu'il doit soutenir, mais il l'aime en
contemplant dans ce Fils qu'il a engendré sa propre nature, alors qu'en vertu
de ce même amour, il consent à donner sa vie pour nous.
S. CHRYS. (hom.
60.) On peut dire encore qu'en parlant de la sorte, il s'accommode à notre
faiblesse et veut nous dire : Quand il n'y aurait pas d'autre motif, ce qui me
porte à vous aimer, c'est l'amour que mon Père a pour vous, amour qui est si
grand, qu'il m'aime moi-même, parce qu'il me voit disposé à mourir pour vous.
Il ne faut pas toutefois l'entendre dans ce sens, que le Père n'aimait pas
auparavant son Fils, et que nous soyons la cause de cet amour. Le Sauveur veut
encore prouver que ce n'est point malgré lui qu'il a enduré les souffrances de
sa passion : a Personne, dit-il, ne me la ravit, mais je la donne de moi-même.
» — S. AUG. (de la Trin., 4,
13.) Ces paroles sont la preuve que sa mort n'a été l'effet et la suite d'aucun
péché personnel, mais qu'il est mort parce qu'il l'a voulu, quand il l'a voulu,
et de la manière qu'il l'a voulu : « Et j'ai le pouvoir de la donner, et le
pouvoir de la reprendre. » — S. CHRYS.
Combien de fois les Juifs avaient formé le projet de le mettre à mort,
il leur déclare
donc que tous leurs efforts sont inutiles, s'il ne consent à donner sa vie.
J'ai tellement le pouvoir de la donner, dit-il, que personne ne peut me
l'arracher malgré moi, pouvoir qui n'appartient pas à tous les hommes. Ainsi nous
n'avons le pouvoir de donner notre vie qu'en nous donnant la mort à nous-mêmes,
et Nôtre-Seigneur a le véritable pouvoir de la donner. De cette vérité suit
nécessairement cette autre qu'il a le pouvoir de reprendre sa vie, et il donne
ainsi une preuve certaine de sa résurrection. Mais comme ils auraient pu penser
qu'après qu'ils l'auraient mis à mort, il serait abandonné de son Père, il
ajoute : « J'ai reçu de mon Père ce commandement, » c'est-à-dire, de donner ma
vie et de la reprendre. Ne croyons pas cependant qu'il ait attendu que ce
commandement lui ait été donné, et qu'il ait eu besoin de l'apprendre, il veut
simplement montrer ici que sa volonté est libre, et détruire tout soupçon
d'opposition entre lui et son Père. — THEOPHYL.
Ce commandement, en effet, n'exprime autre chose que la parfaite
harmonie entre son Père et lui. — ALCUIN.
Et ce n'est point par une parole extérieure, que le Verbe a reçu ce
commandement, car tout commandement a sa racine dans le Verbe, Fils unique du
Père. Lors donc qu'on dit du Fils, qu'il reçoit ce qu'il possède, par sa
nature, ce n'est point pour amoindrir sa puissance, mais pour prouver sa
génération, car c'est par la génération que le Père a tout donné à son Fils,
qu'il a engendré dans toute sa perfection.
THEOPHYL. Après avoir parlé de
lui-même en termes aussi relevés et s'être donné pour le maître de la mort et
de la vie ; le Sauveur tempère de nouveau son langage, et unit ainsi les choses
les plus contraires
dans une admirable harmonie, afin que nous le considérions, non comme inférieur
à son Père, ni comme son adversaire, mais comme possédant le même pouvoir et la
même sagesse.
S. AUG. (Traité 47.) La manière dont
Nôtre-Seigneur parle ici de son âme, nous prémunit contre l'erreur des
apollinaristes, qui prétendent que Jésus-Christ n'a pas eu d'âme humaine,
c'est-à-dire, une âme intelligente et raisonnable. Dans quel sens donc
Nôtre-Seigneur dit-il qu'il a le pouvoir de donner son âme ou sa vie ?
Jésus-Christ est à la fois Verbe et homme, c'est-à-dire, Verbe, âme et chair ;
or, est-ce comme Verbe qu'il donne son âme ou sa vie et qu'il la reprend ? Ou
bien est-ce en tant qu'il est une âme humaine que l'âme se donne et qu'elle se
reprend ? Ou bien encore est-ce en tant qu'il est chair, que la chair donne son
âme ou la reprend ? Si nous disons que le Verbe de Dieu a donné son âme et l'a
reprise, donc cette âme a été pendant un certain temps séparée du Verbe de
Dieu, puisque la mort sépare l'âme du corps, mais non, l'âme n'a jamais été
séparée du Verbe. Si nous disons au contraire que l'âme elle-même s'est donnée,
c'est une proposition absurde, car si elle ne pouvait être séparée du Verbe,
pouvait-elle être séparée d'elle-même ? C'est donc la chair qui laisse son âme
pour la reprendre ensuite, non cependant par sa puissance, mais par la
puissance du Verbe qui habitait en elle.
ALCUIN. Et comme la lumière luisait
dans les ténèbres, et que les ténèbres ne l'ont point comprise, l'Evangéliste
ajoute : « Il s'éleva de nouveau une dissension parmi les Juifs, à l'occasion
de ce discours, plusieurs d'entre eux disaient : Il est possédé du démon et il
a perdu le sens. » — S. CHRYS. Ses
enseignements dépassaient la portée de l'intelligence humaine, ils l'accusaient
doue d'être possédé du démon ; mais il trouve des défenseurs qui savent bien le
venger de cette accusation par les œuvres qu'il a faites : « D'autres disaient
: Ce ne sont pas là les paroles d'un homme possédé du démon, est-ce que le
démon peut ouvrir les yeux des aveugles ? » C'est-à-dire, ces paroles ne sont
pas celles d'un homme possédé du démon, mais si elles ne suffisent point pour
vous convaincre, laissez-vous an moins persuader par les œuvres. Après cette
démonstration tirée des faits eux-mêmes, Nôtre-Seigneur se tait sur le reste,
car ils n'étaient pas dignes qu'il leur répondit. Il nous enseigne aussi à
pratiquer dans toute leur étendue la douceur et la longanimité. D'ailleurs ils
se réfutaient eux-mêmes les uns les autres par les divisions qui existaient
entre eux.
ALCUIN. Nous avons entendu le récit
de la patience du Seigneur, et comment les outrages dont il est l'objet ne
peuvent interrompre pour lui le ministère de la prédication du salut, mais les
Juifs, plus que jamais endurcis, cherchaient à le tenter plutôt qu'à lui obéir,
voici dans quelles circonstances : « Or, c'était à
Jérusalem la fête de la Dédicace. » — S. AUG.
(Traité 48.) Le mot encœnia signifiait la fête de la
Dédicace du temple, car le mot grec χαινόν veut
dire nouveau, et on appelait encœnia, toute dédicace de chose nouvelle.
— S. CHRYS. (hom. 61.)
C'était l'anniversaire du jour où le temple fut de nouveau consacré, au retour
des Juifs de la captivité de Babylone. — THEOPHYL.
Ils célébraient cette fête avec une grande pompe, il leur semblait que
la ville de Jérusalem avait recouvré tout son éclat après une si longue
captivité. — ALCUIN. Ou bien encore, cette dédicace était l'anniversaire de
celle qu'avait faite Judas le Machabée, car la première dédicace avait été
faite par Salomon en automne, la seconde par Zorobabel et Jésus au printemps,
et celle-ci avait lieu en hiver, comme le remarque l'Evangéliste : « Et c'était
l'hiver. » — BEDE. Nous lisons en
effet, qu'il fut établi sous Judas Machabée, que l'anniversaire de cette
dédicace aurait lieu solennellement tous les ans.
BEDE. L'Evangéliste précise
l'époque de cette fête qui avait lieu en hiver, pour nous faire comprendre que
le temps de la passion était proche, car ce fut au printemps suivant qu'eut
lieu la passion du Sauveur, et c'est pour cela qu'il se trouvait alors à
Jérusalem. — S. GREG. (2 Mor.,
2.) On bien encore, il fait mention de la saison d'hiver pour exprimer la
froide méchanceté qui avait gagné les cœurs des Juifs.
S. CHRYS. Nôtre-Seigneur
s'était rendu avec un grand empressement à cette solennité, et il restait
d'ailleurs de préférence dans la Judée, parce que sa passion approchait : «
Et Jésus se promenait dans le temple, sous le
portique de Salomon. » — ALCUIN. On
appelait portique de Salomon, celui où ce roi se tenait ordinairement pour la
prière, et qui pour cette raison avait reçu son nom, car ces portiques qui
entouraient le temple, tiraient leur nom de la partie du temple qu'ils
entouraient. Or, si le Fils de Dieu a voulu fréquenter le temple où l'on
n'offrait que la chair des animaux sans raison, combien plus aimera-t-il à
visiter notre maison de prière où se fait la consécration de sou corps et de
son sang.
THEOPHYL. Efforcez-vous aussi pendant
la durée de l'hiver, c'est-à-dire, durant cette vie présente si souvent agitée
par les tempêtes de l'iniquité, de célébrer la dédicace spirituelle de votre
temple, en vous renouvelant sans cesse vous-même et en disposant dans votre
cœur les degrés qui vous élèvent jusqu'à Dieu, alors Jésus viendra à votre
rencontre sous le portique de Salomon, et vous fera jouir d'une paix assurée
sous son propre toit. Mais dans la vie future, nous n'aurons plus à célébrer
les fêtes solennelles de la dédicace.
S. AUG. Comme
le feu de la charité s'était éteint dans le cœur des Juifs, et qu'ils brûlaient
au contraire de l'ardeur de faire le mal, ce n'est point la foi qui les amenait
à Jésus, c'est le désir de le persécuter : « Les Juifs donc l'entourèrent et
lui dirent : Jusques à quand tiendrez-vous notre esprit en suspens ? Si vous
êtes le Christ, dites-nous-le ouvertement. » Ils lui font cette question, non
qu'ils désirent connaître la vérité, mais pour trouver occasion de le
calomnier. — S. CHRYS. (hom. 61.)
Ils ne peuvent incriminer aucune de ses actions, ils désiraient donc trouver
dans ses paroles un sujet d'accusation. Et voyez jusqu'où va leur perversité :
lorsqu'il les enseigne par ses paroles, ils lui disent : « Quel miracle
faites-vous ? » S'il fait des miracles pour démontrer sa divinité, ils viennent
lui dire : « Si vous êtes le Christ, dites-le nous ouvertement, » tant ils
sont dominés par l'esprit de contradiction. Remarquez encore quelle haine dans
ces paroles : « Si vous êtes le Christ, dites-le nous ouvertement. » Mais Jésus
parlait toujours en public, il assistait à toutes les grandes solennités, et ne
disait rien en secret. Ils commencent toutefois par un langage plein de
flatterie : « Jusques à quand tiendrez vous notre âme en suspens ? » pour le
provoquer et le faire tomber dans un piège. — ALCUIN.
Ils reprochent à celui qui était venu sauver les âmes de tenir leur âme en
suspens et dans l'incertitude.
S. AUG. Ils
cherchaient à obtenir du Sauveur cet aveu : « Je suis le Christ, » et comme ils
n'avaient du Christ que des idées tout humaines, et qu'ils ne comprenaient
point sa divinité prédite par les prophètes, s'il leur avait répondu qu'il
était le Christ, ils l'auraient accusé d'usurper la puissance royale d'après la
croyance où ils étaient que le Christ devait sortir de la race de David. — ALCUIN. Ils pensaient donc à le livrer
au gouverneur pour le faire punir comme usurpateur du pouvoir de l'empereur
Auguste, mais Nôtre-Seigneur leur répond de manière à fermer la bouche des
calomniateurs, à faire connaître aux fidèles qu'il est vraiment le Christ, et à
dévoiler les mystères de sa divinité à ceux qui ne l'interrogeaient que sur son
humanité : « Jésus leur répondit : Je vous parle et vous ne me croyez point. »
— S. CHRYS. (hom. 61.) Comme ils paraissaient vouloir se rendre à
l'évidence seule de ses paroles, eux que tant d'œuvres miraculeuses n'avaient
pu persuader, il confond leur malice et semble leur dire : Si vous ne croyez
pas à mes œuvres, comment croirez-vous à mes paroles ? et il leur fait connaître la raison de leur peu de foi : « Mais vous ne
croyez point, parce que vous n'êtes point de mes brebis. » — S. AUG. (Traité 48.) Il leur tient
ce langage, parce qu'il les voyait prédestinés à la mort éternelle et privés à
jamais de la vie éternelle qu'il avait acquise par son sang, car ce qui fait
les brebis c'est leur foi et leur obéissance à leur pasteur.
THEOPHYL. Après leur avoir déclaré
qu'ils ne sont point de ses brebis, il les engage ensuite à le devenir, et leur
en donne le moyen : « Mes brebis, leur dit-il, entendent ma voix. » — ALCUIN. C'est-à-dire, elles obéissent
de cœur à mes préceptes, « et je les connais, » c'est-à-dire, je les choisis, «
et elles me suivent, » en marchant ici dans les voies de la douceur et de
l'innocence, et en entrant ensuite dans les joies de la vie éternelle : « Et je
leur donne la vie éternelle. » — S. AUG.
(Traité 48.) Ce sont les pâturages dont il avait dit précédemment
: « Il trouvera des pâturages. » Ce pâturage excellent, c'est la vie
éternelle, où l'herbe, loin de se flétrir, conserve toute sa verdure, mais pour
vous, vous cherchez à me calomnier, parce que vous ne songez qu'à la vie présente
: « Et elles ne périront pas à jamais ; » ajoutez ce qu'il
sous-entend : Pour vous, vous périrez éternellement, parce que vous n'êtes pas
de mes brebis. — théophyl. Mais
comment Judas a-t-il péri ? Parce qu'il n'a point persévéré jusqu'à la fin. Or,
Jésus-Christ ne veut parler ici que de ceux qui persévèrent, car si quelques
brebis se séparent du troupeau, et cessent de suivre le pasteur, elles
s'exposent aussitôt aux plus grands dangers.
S. AUG. (Traité
48.) Il explique ensuite pourquoi ses brebis ne périssent
point ; les brebis dont il est dit : « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui,
» (2 Tm 2)
ni le loup ne les ravit, ni le voleur ne les enlève, ni le larron ne
les égorge, celui qui sait le prix qu'elles lui ont coûté est assuré de n'en
perdre aucune. — S. HIL. (de la Trin., 7) Cette parole est le
témoignage d'une puissance qui a conscience d'elle-même ; mais comme tout en
ayant la nature même de Dieu, il faut cependant admettre qu'il est né de lui ;
il ajoute : « Ce que mon Père m'a donné est plus grand que toutes choses. » Il
ne dissimule point qu'il est né du Père, car ce qu'il a reçu du Père, il l'a
reçu par sa naissance, et non dans la suite. — S. AUG. En effet, le Fils qui
est né du Père, Dieu de Dieu, n'est point devenu son égal par un accroissement
successif, il l'est par sa naissance seule. Voilà donc ce que mon Père m'a
donné, et ce qui est plus grand que toutes choses, c'est que je suis son Verbe,
son Fils unique, la splendeur de sa lumière. On ne peut donc ravir mes brebis
d'entre mes mains, parce qu'on ne peut les ravir d'entre les mains de mon Père
: « Et nul ne peut ravir ce qui est entre les mains de mon Père. » Si par la
main nous entendons la puissance, le Père et le Fils ont une seule et même
puissance, parce qu'ils ont une seule et même divinité ; mais si par la main
nous entendons le Fils, c'est le Fils qui est la main du Père, ce qui ne veut
point dire que Dieu le Père ait des membres comme ceux du corps de l'homme,
mais qu'il a tout fait par son Fils. (Jn 1, 3.) C'est ainsi que les
hommes appellent leurs mains ceux de leurs semblables, qui sont les instruments
de leurs volontés. Quelquefois même l'œuvre de l'homme est appelée sa main,
parce qu'elle est le produit de sa main, c'est ainsi qu'on dit qu'un homme
reconnaît sa main lorsqu'il reconnaît son écriture. Dans cet endroit la main
doit s'entendre de la puissance du Père et du Fils, de peur qu'en appliquant
exclusivement au Fils cette dénomination, une pensée toute charnelle ne nous
fasse chercher le Fils du Fils. — S. HIL.
(de la Trin., 7) La main du Fils est ici appelée la main du Père,
pour vous faire comprendre par une comparaison sensible, qu'ils ont une
puissance de même nature, parce que la nature et la puissance du Père se
trouvent également dans le Fils.
S. CHRYS. Et
afin que vous ne puissiez soupçonner que la puissance du Père vient au secours
de la puissance du Fils, pour mettre les brebis en sûreté, Nôtre-Seigneur
ajoute : « Mon Père et moi nous sommes un. » — S. AUG. (Traité 48.)
Comprenez bien ces deux mots : « Un, » et : « Nous sommes, » et vous ne
tomberez ni dans Charybde, ni dans Scylla. En disant : « Un, » il
vous délivre d'Arius, et en disant : « Nous sommes, » il vous débarrasse de
Sabellius ; s'il y a unité, il n'y a donc point de différence ; si : « Nous sommes,
» il y a donc Père et Fils. — S. AUG. (de
la Trin., 6) Il a dit : « Nous sommes un, » ce qu'il est, je le suis
moi-même, quant à la nature, non quant à la relation de personne à personne. —
S. HIL. (de la Trin., 8)
Les hérétiques contraints d'avouer la vérité de ces paroles, s'efforcent de les
dénaturer par leurs interprétations mensongères aussi ridicules qu'elles sont
impies. Ils cherchent donc à les expliquer dans le sens d'unité parfaite de
consentement ; il y a, disent-ils, unité de volonté, mais non unité de nature,
c'est-à-dire, que le Père et le Fils sont un, non par leur essence, mais par la
conformité parfaite de leur volonté. Ils sont un, non par le mystère d'une
économie quelconque, mais par la génération de la nature divine, parce que la nature
divine ne dégénère en aucune manière par cette génération. Ils sont un, en ce sens que ce qui ne peut être ravi d'entre les mains du Fils, ne peut
être ravi d'entre les mains du Père ; parce que le Père agit en lui et en même
temps que lui ; puisqu'il est dans le Père, et que le Père est en lui. Ce n'est
point là l'effet d'une création, mais de la naissance ; ce n'est pas la
volonté, mais la puissance qui agit ici, ce n'est point une simple unanimité de
sentiments qui parle ici, c'est l'unité de nature. Nous ne nions donc pas
l'unanimité de sentiments entre le Père et le Fils, ce que les hérétiques nous
attribuent à tort en prétendant que nous n'admettons point cette unanimité
entre le Père et le Fils, parce que nous voulons voir ici autre chose que l'unanimité.
Qu'ils comprennent donc dans quel sens nous affirmons cette unanimité ; le Père
et le Fils sont un en nature, en honneur, en puissance, et une même nature ne
peut avoir des volontés différentes.
S. AUG. (Traité 48.) Les Juifs ne purent
supporter ces paroles : « Mon Père et moi nous sommes un, » et obéissant à leur
dureté habituelle, ils coururent chercher des pierres pour les lui jeter : «
Alors les Juifs prirent des pierres pour le lapider. » — S. HIL. (de la Trin., 7) Maintenant
que le Seigneur est assis an plus haut des cieux, les hérétiques refusent
encore d'obéir à ses paroles par le même sentiment d'incrédulité, et le
poursuivent de leur haine sacrilège ; ils lancent contre lui leurs impiétés
comme autant de pierres, et s'ils le pouvaient, ils le renverseraient de son
trône pour l'attacher de nouveau à la croix.
THEOPHYL. Mais le Sauveur voulant leur
prouver que leur fureur contre lui n'a aucune raison d'être, leur rappelle les
prodiges qu'il avait opérés : « J'ai fait devant vous beaucoup d'œuvres
excellentes, » etc. — ALCUIN. C'est-à-dire,
les guérisons des infirmes, l'éclat de ma doctrine et de mes miracles, dont mon
Père était le principe comme je vous l'ai déclaré, parce que j'ai toujours
cherché sa gloire, pour laquelle donc de ces œuvres me lapidez-vous ? Ils sont
forcés de reconnaître la multitude des bienfaits dont Jésus-Christ les a
comblés, mais ils relèvent comme un blasphème ce qu'il a dit, qu'il était égal
à son Père : « Les Juifs lui répondirent : Ce n'est pas pour aucune bonne œuvre
que nous vous lapidons, mais à cause de votre blasphème, » etc. — S. AUG. C'est la réponse qu'ils font à
cette parole du Sauveur : « Mon Père et moi nous ne sommes qu'un. » Voici
donc que les Juifs ont compris ce que n'ont pas compris les Ariens, car la
colère des Juifs vint de ce qu'ils comprirent bien qu'il ne pouvait dire : Mon
Père et moi nous ne sommes qu'un, qu'autant qu'il y avait égalité parfaite
entre son Père et lui. — S. hil. (de
la Trin., 7) Le Juif dit : « Alors que vous êtes un homme ; » l'Arien : «
Alors que vous êtes une créature, » et tous deux poursuivent : « Vous vous
faites Dieu. » Les ariens, en effet, en font un Dieu
d'une nature nouvelle et toute particulière, un Dieu d'un nouveau genre, ou
plutôt un Dieu qui n'en est pas un, puisqu'ils prétendent qu'il n'est point
Fils de Dieu par naissance, qu'il n'est point Dieu en vérité, et qu'il est tout
simplement une créature plus excellente que les antres.
S. CHRYS. (hom.
61.) Nôtre-Seigneur, loin de détruire l'opinion où étaient les Juifs, qu'il
se disait égal à Dieu, cherche au contraire à la confirmer : « Jésus leur
repartit : N'est-il pas écrit dans votre loi, » etc. — S. AUG. C'est-à-dire,
dans la loi qui vous a été donnée : « Je l'ai dit : Vous êtes des dieux. »
Ce sont les paroles que Dieu adresse aux hommes dans les psaumes par son
prophète. Le Sauveur comprend quelquefois sous le nom de loi, toutes les
Ecritures ; en d'autres endroits il la distingue des écrits prophétiques :
« A ces deux commandements se rattachent toute la loi et les prophètes. » (Mt
22) Quelquefois il divise les Ecritures en trois parties : « Il fallait que
tout ce qui a été prédit de moi, dans la loi, dans les prophètes et dans les
psaumes, fût accompli. » (Lc 14) Ici il comprend les psaumes sous le nom
de loi, et voici son raisonnement : Si l'Ecriture appelle dieux ceux à qui la
parole de Dieu a été adressée, et que l'Ecriture ne puisse être démentie,
comment dites-vous à celui que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde :
Vous blasphémez, parce que j'ai dit : Je suis le Fils de Dieu ?
S. HIL. (de
la Trin., 7) Le Sauveur, avant de démontrer que son Père et lui n'avaient
qu'une seule et même nature, commence par repousser l'accusation aussi ridicule
qu'outrageante, que les Juifs dirigeaient contre lui, qu'il se faisait Dieu,
lorsqu'il était homme, car puisque ce nom était donné à
de saints personnages, et que la parole de Dieu appuyait de son autorité
irréfragable l'attribution faite de ce nom à de simples mortels, ce n'est donc
point un crime pour lui de se faire Dieu, quand il n'aurait été qu'un homme,
puisque la loi elle-même appelle Dieu ceux qui ne sont que des hommes. Et si
les autres hommes peuvent prendre ce nom sans aucune usurpation sacrilège, à
plus forte raison celui que le Père a sanctifié peut-il sans usurpation prendre
ce nom et se dire le Fils de Dieu, puisqu'il surpasse tous les autres par la
sanctification qu'il a reçue comme Fils, d'après ces paroles de saint Paul :
« Qu'il était prédestiné Fils de Dieu en puissance, selon l'esprit de
sanctification, » (Rm 1, 4) car toute cette réponse du Sauveur a trait à
son humanité, et tend à établir que le Fils de Dieu est aussi le Fils de
l'homme.
S. AUG. Ou
bien encore, le Père l'a sanctifié, c'est-à-dire, lui a donné d'être saint eu
l'engendrant, parce qu'il l'a engendré dans la plénitude de la sainteté. Or, si
la parole de Dieu, adressée aux hommes, leur a donné le nom de dieux, comment
le Verbe de Dieu ne serait-il pas Dieu lui-même ? Et si les hommes, en
participant au Verbe de Dieu, deviennent eux-mêmes des dieux, comment le Verbe
qui fait entrer en participation de lui-même, ne serait-il pas Dieu ? — THEOPHYL. Ou bien, il l'a sanctifié,
c'est-à-dire, il a ordonné qu'il serait offert en sacrifice pour le monde, ce
qui prouve qu'il n'est pas Dieu comme les autres hommes, car sauver le monde
est une œuvre toute divine et bien au-dessus d'un homme déifié par la grâce.
S. CHRYS. (hom.
61.) Ou bien encore, Nôtre-Seigneur s'exprime d'abord en termes plus
humbles de lui-même, pour faire recevoir plus facilement ses paroles, et
s'élever ensuite à de plus hautes considérations : « Si je ne fais pas les
œuvres de mon Père, ne me croyez point. » Il prouve ainsi qu'il n'est en
rien inférieur à son Père : et comme il était impossible de voir sa nature
divine, il prouve que la ressemblance est l'identité des œuvres, la parfaite
égalité de puissance. — S. HIL. (de
la Trin., 7) Comment trouver place ici à une simple adoption, à un nom
concédé par indulgence, pour nier qu'il soit le Fils de Dieu par nature, alors
que les œuvres de la puissance du Père prouvent évidemment qu'il est le Fils de
Dieu ? La créature ne peut prétendre ni à l'égalité ni à la ressemblance avec
Dieu, et aucune nature créée ne peut lui être comparée en puissance. Or, le
Fils déclare qu'il accomplit non pas ses œuvres, mais les œuvres de son Père,
pour ne pas détruire par l'éclat de ses œuvres la vérité de sa naissance. Et
comme le mystère de son incarnation, dans le sein de Marie, découvrait surtout
en lui le Fils de l'homme et non le Fils de Dieu, il appuie notre foi sur ses
œuvres : « Mais si je les fais, quand bien même vous ne voudriez pas me croire,
croyez aux œuvres. » Pourquoi, en effet, le mystère de sa naissance humaine, de
son humanité, nous empêcherait-il d'admettre sa naissance divine, puisque c'est
sous le voile de l'humanité que la nature divine accomplit toutes ses œuvres ?
Mais quelle est la vérité qu'il veut faire ressortir des œuvres du Père qu'il
accomplit ? « Afin que vous connaissiez et que vous croyiez que mon Père est en
moi, et moi dans mon Père, » c'est-à-dire que je suis le Fils de Dieu, ou en
d'autres termes, que mon Père et moi ne sommes qu'un. — S. AUG. (Traité 48 sur S. Jean.)
Le Fils de Dieu ne dit pas : Mon Père est en moi. et moi en lui, dans le
sens que les hommes le peuvent dire ; car si nos pensées sont bonnes, nous
sommes en Dieu, et si notre vie est sainte, Dieu est en nous. Lorsque nous
participons à sa grâce et que nous recevons sa
lumière, nous sommes en lui, et lui en nous. Mais pour le Fils unique de Dieu,
il est dans le Père, et le Père est en lui, comme un égal est dans celui qui
lui est égal.
BEDE. Nous voyons par le récit de
l'Evangéliste que les Juifs persévèrent avec opiniâtreté dans leur égarement :
« Les Juifs cherchaient donc à le prendre. » — S. AUG. (Traité 48)
Ils cherchent à le prendre, non par la foi ou par l'intelligence, mais pour
satisfaire leur haine contre lui en le mettant à mort. Vous le prenez pour
l'avoir en votre possession, ils veulent le prendre pour se défaire de lui : «
Et il s'échappa de leurs mains. » Ils ne purent se saisir de lui, parce qu'ils
n'avaient pas les mains de la foi, et il ne fut pas difficile au Verbe de
délivrer son corps de ces mains de chair. — S. CHRYS. (hom. 61.) Lorsque le Sauveur a enseigné aux
Juifs quelque grande vérité, il se dérobe presque aussitôt pour apaiser leur
fureur par son absence, comme il le fait encore ici : « Et il s'en alla de
nouveau au delà du Jourdain. » Pourquoi l'Evangéliste fait-il mention du lieu
où il se retire ? c'est pour rappeler le souvenir des actions et des paroles de
Jean-Baptiste, aussi bien que de ses témoignages multipliés. — BEDE. Il dit: « Où Jean était d'abord,
» c'est-à-dire dès ses premières années. Pendant le séjour
que Jésus, y fit, l'Evangéliste nous raconte qu'un grand nombre de personnes
vinrent le trouver : « Et un grand nombre de personnes vinrent à lui, et
ils disaient : Jean n'a fait aucun miracle. » — S. AUG. C'est-à-dire qu'il n'a
fait aucun miracle public, il n'a ni chassé les démons, ni rendu la vue aux
aveugles, ni ressuscité les morts.
S. CHRYS. Voyez
la force de leurs raisonnements : « Jean, disent-ils, n'a fait aucun miracle.
Jésus, au contraire, en a fait de nombreux. ce qui établit sa supériorité et sa
prééminence. Cependant il ne faut pas croire pour cela que parce que Jean n'a
fait aucun miracle, son témoignage soit sans autorité, aussi ajoutent-ils :
« Tout ce que Jean a dit de celui-ci était vrai. » Si Jean n'a fait
aucun miracle, tous les témoignages qu'il a rendus à Jésus sont véritables.
Donc si l'on devait ajouter foi aux témoignages de Jean, à plus forte raison
doit-on croire à celui qui, à l'autorité de ce témoignage, joint encore
l'autorité des miracles. C'est ce qui eut lieu en effet : «Et beaucoup crurent
en lui. » — S. AUG. Voici qu'ils
s'emparent de Jésus-Christ, alors qu'il demeure au milieu d'eux, non pas comme
les Juifs qui voulaient se saisir de lui, lorsqu'il s'échappait de leurs mains.
Servons-nous donc aussi de la lampe pour arriver au jour, puisque Jean était la
lampe, et qu'il rendait témoignage au jour.
THEOPHYL. Il est à remarquer que le
Seigneur aimait à conduire le peuple dans des lieux solitaires, et qu'il les
arrachait à la société des méchants pour leur faire produire des fruits de
vertu. C'est ainsi qu'il avait conduit le peuple hébreu dans le désert pour lui
donner la loi ancienne. Dans le sens
mystique, Nôtre-Seigneur s'éloigne de Jérusalem, c'est-à-dire du peuple juif,
et se dirige vers les lieux où les fontaines abondent, c'est-à-dire vers
l'Eglise des nations qui a la fontaine du baptême, par laquelle un grand nombre
parviennent jusqu'à Jésus-Christ en traversant le Jourdain.
BEDE. L'Evangéliste venait de dire
que le Seigneur était allé au delà du Jourdain, et que c'est alors que Lazare
tomba malade : « Or, il y avait un homme malade, nommé Lazare, de Béthanie. »
De là vient que dans quelques exemplaires la conjonction copulative se trouve
placée en tête de ce récit, de manière à le rattacher à ce qui précède. Le mot Lazare signifie qui
a été secouru ; car de tous les morts que Jésus a ressuscites, Lazare est
celui qui a reçu le secours le plus signale, puisque non-seulement Il était
mort, mais dans le tombeau depuis quatre jours, lorsqu'il fut ressuscité. — S. AUG. (Traité 49, sur S. Jean.) La résurrection de Lazare est un des plus éclatants
miracles qu’ait opéré Noire-Seigneur. Mais si nous considérons l'auteur de ce
miracle, notre joie doit être plus grande que notre étonnement. Celui qui a
ressuscité un homme, est celui-là même qui a créé l'homme ; car, créer l'homme
est un acte, de puissance plus grande que de le ressusciter. Or, Lazare était
malade à Béthanie, bourg où demeuraient Marthe et Marie, sa sœur, selon la
remarque de l'Evangéliste. Ce bourg était proche de Jérusalem. — ALCUIN. Et,
comme il y avait plusieurs hommes du nom de Marie, pour nous faire éviter toute
erreur, l'Evangéliste caractérise celle, dont il s'agit par une action très
connue : « Marie était celle qui oignit de parfum le. Seigneur, » etc.
S. CHRYS. (hom.
62 sur S. Jean.) Ce qu'il faut savoir tout d'abord, c'est, que ce ne
fut pas cette femme de mauvaise vie dont il est parlé dans saint Luc. La sœur
de Lazare était une femme vertueuse et empressée à recevoir le Sauveur. — S.
AUG. (de l'accord des Evang., 2, 79.) Ou bien encore, en
s'exprimant de la sorte, saint Jean rend témoignage au récit
de saint Luc,
qui raconte, que ce fait se passa dans la maison d'un pharisien appelé Simon.
Marie avait donc déjà répandu des parfums sur la tête de Jésus ; elle renouvela
cette action à Béthanie, comme le racontent les trois autres évangélistes, à
l'exclusion de saint Luc, qui n'en parle point, parce que ce fait était
étranger à son récit.
S. AUG. (Serm. 52, sur les par. du Seig.) Lazare
était donc atteint d'une langueur mortelle, et le feu dévorant de la fièvre
consumait de jour en jour le corps de cet infortuné. Ses deux sœurs lui
prodiguaient leurs soins, et, pleines de compassion pour leur jeune frère
souffrant, elles restaient constamment près de son lit. Aussi les voyons-nous
agir aussitôt dans son intérêt, « Ses sœurs donc envoyèrent dire à Jésus :
Seigneur, voilà que celui que vous aimez est malade. » — S. AUG. (Traité 49.) Elles ne lui
disent pas: Venez, et guérissez-le ; elles n'osent lui dire : Commandez là où
vous êtes, et la guérison aura lieu ici ; elles se contentent de lui dire : «
Voilà que celui que vous aimez est malade, » c'est-à-dire, il suffit que vous
en soyez averti, car vous n'abandonnez jamais celui que vous aimez.
S. CHRYS. (hom.
62.) Elles veulent, par ce message, réveiller la compassion pour son
ami dans le cœur de Jésus ; car elles agissaient encore avec lui comme avec un
homme. Elles ne vinrent point trouver le Sauveur comme le Centurion et
l'officier du roi ; mais elles envoient vers lui, parce que la grande intimité
qu'elles avaient avec Jésus-Christ leur inspirait une vive confiance dans sa
bonté, et que d'ailleurs leur tristesse les retenait chez elles. — THEOPHYL. Ajoutons qu'il ne convient
pas à des femmes de sortir trop facilement de leur maison. Mais quelle foi et
quelle, confiance dans cette courte prière : « Voilà que celui que vous aimez
est malade ! » Elles reconnaissent dans le Seigneur une si grande
puissance, qu'il leur paraît surprenant que la maladie ait pu atteindre un homme
qui lui était si cher. « Ce qu'entendant Jésus, il leur dit : Cette maladie
n'est pas pour la mort. » — S. AUG. (Traité 49.) La mort elle-même de
Lazare n'était pas pour la mort, mais plutôt pour donner lieu à un grand
miracle qui fit croire les hommes en Jésus-Christ et
leur fit éviter la véritable mort. C'est pour cela qu'il ajoute : « Mais
elle est pour la gloire de Dieu. » C'est ainsi qu'il prouve indirectement qu'il
est Dieu, contre les hérétiques, qui prétendent que le Fils de Dieu n'est pas
Dieu. Nôtre-Seigneur explique, du reste, ces paroles : « Elle est pour la
gloire de Dieu, » en ajoutant : « Afin que le Fils de Dieu en soit
glorifié, » c'est-à-dire par cette infirmité. — S. CHRYS. (hom. 62.) La particule ut, afin, n'exprime
pas ici la cause, mais ce qui arriva en effet, c'est-à-dire que l'infirmité eut
une autre cause, et que Jésus la fit servir à la gloire de Dieu.
« Or, Jésus aimait Marthe, Marie, sa sœur, et
Lazare. » — S. AUG. Lazare était malade, ses sœurs dans la tristesse, et tous
étaient aimés de Jésus. Ils étaient donc pleins d'espérance, parce qu'ils
étaient aimés de celui qui est le consolateur des affligés et le salut des
infirmes.— S. CHRYS. (hom. 62.)
L'Evangéliste veut encore nous apprendre, par cette réflexion, à ne point nous attrister
lorsque nous voyons des hommes de bien, des amis de Dieu éprouvés par la
maladie et la souffrance.
ALCUIN. — Nôtre-Seigneur ayant
appris la maladie de Lazare, diffère de le guérir et attend quatre jours
entiers, afin d'avoir l'occasion d'opérer un plus grand
miracle en le ressuscitant. « Ayant donc appris qu'il était malade, il
demeura encore deux jours au lieu où il était. » — S. CHRYS. Il attend que Lazare ait rendu le dernier soupir,
qu'il soit enseveli, qu'il exhale déjà une odeur infecte, afin que personne ne
puisse dire : Il n'était pas encore mort lorsqu'il a paru le ressusciter ; ce
n'était qu'une léthargie, et non une mort véritable.
« Après cela, il dit à ses disciples : Retournons en
Judée. » — S. AUG. (Traité 49.)
Dans la Judée, où il avait failli être lapidé, et d'où il était parti comme
un homme qui veut se dérober an danger ; mais en revenant, il semble oublier sa
faiblesse, pour ne faire paraître que sa puissance. — S. CHRYS. (hom. 62.) Nulle part
ailleurs on ne le voit prévenir ses disciples du lieu où il doit aller ; il le
fait ici, parce qu'ils redoutaient grandement ce voyage, et qu'il veut leur
épargner un trop vif sentiment de terreur ! « Ses disciples lui dirent :
Maître, tout à l'heure les Juifs voulaient vous lapider, et vous retournez là ?
» Ils craignaient tout à la fois pour lui et pour eux, car ils n'étaient pas
encore affermis dans la foi.
S. AUG. Les
hommes voulurent donc donner un conseil à Dieu, les disciples à leur Maître ;
aussi les en reprend-il immédiatement : « N'y a-t-il pas douze heures au jour ?
» C'est pour signifier qu'il est lui-même le jour, qu'il a choisi douze
disciples. En parlant ainsi, il avait en vue, non point Judas, mais son
successeur ; car, après la chute de Judas, Matthias lui succéda, et la
perfection du nombre douze demeura dans son intégrité. Les heures sont
éclairées par la lumière du jour, et c'est par la prédication des heures que le
monde est amené à croire à celui qui est le jour. Suivez-moi donc, si vous ne
voulez pas vous heurter, car : « Si quelqu'un marche pendant le jour, il
ne se heurte point, » etc. — S. CHRYS. (hom. 62.) C'est-à-dire, celui qui a la
conscience pure de tout crime, n'aura rien à craindre d'aucune embûche ; mais
celui qui fait le mal, en souffrira la peine. Ne craignons donc point, car nous
n'avons rien fait qui mérite la mort. Ou bien encore, celui que marche à la
lumière extérieure de ce monde, est en pleine sécurité ; à plus forte raison
celui qui marche avec moi, à la condition qu'il ne s'écartera jamais de moi.
THEOPHYL. Il en est qui par le jour
entendent le temps qui a précédé sa passion, et par la nuit, sa passion
elle-même : Il leur dit donc : « Pendant qu'il est jour, » c'est-à-dire
avant que le temps de ma passion soit proche, vous n'avez rien à craindre, les
Juifs ne vous persécuteront point. Mais lorsque la nuit sera venue,
c'est-à-dire ma passion, alors vous serez comme plongés dans une nuit de
tribulations.
S. CHRYS. (hom.
62 sur S. Jean.) A ce premier encouragement donné aux Apôtres, le
Sauveur eu ajoute un second, en leur apprenant que ce n'est pas à Jérusalem,
mais à Béthanie, qu'ils doivent se rendre : « Il leur parla ainsi, et ensuite
il leur dit : Notre ami Lazare dort, mais je vais le tirer de son sommeil, »
c'est-à-dire je ne retourne pas en Judée pour avoir de nouvelles discussions
avec les Juifs, j'y vais pour réveiller notre ami. Il dit : « Notre ami, » pour
leur faire comprendre la nécessité de son voyage. — S. AUG. Rien de plus exact
que cette expression : « Lazare dort. » Aux yeux des hommes qui ne pouvaient
pas le ressusciter Lazare était mort, mais pour le Seigneur il n'était qu'un
homme endormi, car il pouvait plus facilement faire sortir un mort du tombeau,
que vous ne pouvez réveiller un homme endormi. Il dit donc de Lazare qu'il
dort, au point de vue de sa puissance, c'est dans ce sens que l'Apôtre lui-même
a dit : « Nous ne voulons pas, mes frères, que vous ignoriez ce que vous devez
savoir touchant ceux qui dorment. (1 Th 4, 12.) Il appelle la mort
des chrétiens un sommeil, parce qu'il annonçait leur résurrection. Mais de même
qu'il y a une différence entre ceux que nous voyons tous les jours dormir et
s'éveiller, et que les mêmes images ne se présentent pas à eux dans le sommeil,
les uns ont des songes agréables, les autres en ont d'affreux ; ainsi chacun
s'endort du sommeil de la mort, et se réveille avec une cause de jugement qui
lui est propre.
S. CHRYS. (hom.
62.) Ses disciples voulurent de nouveau s'opposer à son retour dans la
Judée : « Ses disciples lui dirent : S'il dort, il guérira, » car le sommeil
est pour les malades un signe de guérison. Ils semblent donc lui dire : S'il
dort, il est inutile que vous alliez le réveiller de son sommeil. — S. AUG. (Traité
49.) La réponse des disciples est conforme au sens qu'ils ont donné aux
paroles du Sauveur : « Jésus, dit l'Evangéliste, voulait parler de la mort de
Lazare, mais ils pensaient qu'il parlait de l'assoupissement du sommeil. »
— S. CHRYS. (hom. 62.)
Mais, dira-t-on, comment les disciples ne comprirent-ils pas que Lazare était
mort, lorsque Jésus leur dit : « Je vais le réveiller de son sommeil ? »
N'était-il pas ridicule de faire un voyage de plusieurs stades
pour le réveiller simplement de son sommeil ? Nous répondrons que les disciples
virent dans cette manière de parler un langage figuré qui était très-ordinaire
au Sauveur. — S. AUG. Il ne tarde
pas du reste à expliquer ce qu'il y avait d'obscur dans cette expression :
« Alors Jésus leur dit clairement : Lazare est mort. » — S. CHRYS. (hom. 62.) Il n'ajoute
pas ici : Je vais le ressusciter , car il ne voulait point proclamer par ses
paroles ce que ses œuvres devaient suffisamment établir ; et il nous apprend
ainsi tout à la fois à fuir la vaine gloire, et à ne pas nous contenter de
faire de simples promesses.
« Et je me réjouis à cause de vous, de ce que je
n'étais pas là. » — S. AUG. (Traité
49.) On lui avait annoncé la maladie et non la mort de Lazare ; mais que
pouvait ignorer celui qui l'avait créé, et entre les mains duquel son âme était
retournée au sortir de son corps ? « Il leur dit donc : Je me réjouis à cause
de vous de ce que je n'étais pas là, afin que vous croyiez. » Ce devait être
déjà pour eux un premier sentiment d'étonnement d'entendre le Seigneur leur
annoncer une chose qu'il n'avait ni vue, ni entendue, la mort de Lazare. Nous
devons ici nous rappeler que la foi des Apôtres eux-mêmes s'appuyait encore sur
les miracles, non pour commencer d'être, mais pour se développer. Ces paroles :
« Afin que vous croyiez, » signifient donc : Afin que votre foi devienne
plus ferme et plus robuste.
THEOPHYL. Voici une autre explication
: « Je me réjouis à cause de vous, » car mon absence, lors de la mort de
Lazare, doit être pour vous un nouveau motif de foi. En effet, si j'eusse été
présent, je l'aurais guéri de sa maladie, ce qui n'eût donné qu'une faible idée
de ma puissance. Mais comme sa mort est arrivée en mon
absence, votre foi en moi n'en deviendra que plus forte, lorsque vous verrez
que je puis ressusciter un mort qui tombe déjà en pourriture.
S. CHRYS. (hom.
62.) Tous les disciples avaient une grande crainte des Juifs, mais
par-dessus tout Thomas : « Sur quoi Thomas , qui est appelé Didyme, dit aux
autres disciples : Allons et mourons avec lui. » Il était le plus faible de
tous et celui qui avait le moins de foi, mais il devint par la suite le plus
fort et le plus indomptable, parcourant seul le monde entier, et se trouvant
tous les jours au milieu de peuples qui voulaient le mettre à mort. — BEDE. On peut encore dire que les
disciples, instruits par les paroles qui précèdent, n'osèrent plus contredire
leur divin Maître ; mais Thomas entre tous exhorte les autres disciples à
suivre leur Maître et à mourir avec lui. Il donne en cela une grande preuve de
courage ; car il parle ainsi comme un homme qui était disposé à faire ce qu'il
conseille aux autres, et qui, comme plus tard Pierre, oubliait sa propre
fragilité.
ALCUIN. Le dessein de Nôtre-Seigneur
en retardant son départ, était de laisser passer quatre jours et de rendre plus
glorieuse la résurrection de Lazare : « Jésus vint donc et il le trouva mis
dans le sépulcre depuis quatre jours. » — S. CHRYS.
(hom. 62.) Le Sauveur était encore resté deux jours dans le même
endroit, et l'envoyé était arrivé deux jours auparavant, le jour même de la
mort de Lazare, c'est donc le quatrième jour que Nôtre-Seigneur vint à
Béthanie.
S. AUG. On
peut expliquer ces quatre jours de plusieurs manières différentes, car une même
chose peut avoir diverses significations. Le péché que l'homme reçoit avec la transmission
de la vie est un premier jour de mort ; la transgression de la loi naturelle
est un second jour de mort ; le troisième c'est le mépris de la loi écrite, que
Dieu a donnée par Moïse, et la violation de la loi de l'Evangile est le
quatrième jour de mort. Or, le Seigneur ne dédaigne pas de venir pour
ressusciter de semblables morts. — ALCUIN.
Ou bien encore, le premier péché qui a existé, c'est l'enflure du cœur ;
le second, le consentement ; le troisième, l'acte ; le quatrième, l'habitude.
« Or, Béthanie était près de Jérusalem, à
quinze stades environ, » c'est-à-dire à deux mille.
L'Evangéliste fait cette remarque pour montrer qu'il était très-naturel qu'un
grand nombre de Juifs fussent venus de Jérusalem : « Beaucoup de Juifs
étaient venus près de Marthe et de Marie pour les consoler de la mort de leur
frère ; » Mais comment les Juifs purent-ils venir consoler les amies de Jésus,
après avoir décidé que celui qui le reconnaîtrait pour le Christ, serait chassé
de la synagogue ? Ils vinrent les consoler ou à cause des convenances dues au
malheur, ou par égard pour la condition élevée des deux sœurs de Lazare. Ou
bien encore, ceux qui vinrent n'étaient pas de ceux qui s'étaient déclarés
contre Jésus ; car un grand nombre d'entre eux croyaient en lui. Or,
l'Evangéliste fait mention de cette circonstance, comme preuve que Lazare était
véritablement mort.
BEDE. Nôtre-Seigneur n'était pas
encore entré dans le bourg de Béthanie, et c'est au dehors du bourg que Marthe
vient au-devant de lui : « Marthe ayant donc appris que Jésus venait, alla
au-devant de lui. » — S. CHRYS. Elle
n'a point pris sa sœur avec elle pour aller au-devant de Jésus-Christ, elle
veut lui parler en particulier, l'informer de ce qui est arrivé, et ce n'est
qu'après que Jésus lui a donné bon espoir qu'elle retourne appeler Marie. — THEOPHYL. Elle ne fait pas connaître
d'abord son dessein à sa sœur, parce qu'elle veut le laisser ignorer à ceux qui
étaient présents. Si, en effet, Marie eut appris que Jésus approchait, elle eût
été à sa rencontre, et les Juifs qui étaient Tenus l'auraient accompagnés. Or,
Marthe ne voulait pas leur faire connaître l'arrivée de Jésus.
« Marthe dit donc à Jésus : Seigneur, si vous
eussiez été ici, mon frère ne serait pas mort. » — S. CHRYS. (hom. 62.) Elle croyait en Jésus-Christ, mais sa foi n'était pas encore ce qu'elle devait être ;
elle ne savait pas encore qu'il était Dieu, voilà pourquoi elle lui disait : «
Si vous eussiez été ici, mon frère ne serait pas mort. » — THEOPHYL. Elle paraît douter que Jésus tout
absent qu'il était, eût pu, s'il l'eût voulu empêcher son frère de mourir. — S.
CHRYS. Elle ne savait pas encore
non plus que Jésus agirait ici en vertu de sa propre puissance, comme nous le
voyons dans ce qu'elle dit au Sauveur : « Cependant, maintenant encore, je sais
que tout ce que vous demanderez à Dieu, Dieu vous le donnera, » elle regarde
ici Jésus comme un homme vertueux et aimé de Dieu. — S. AUG. (Traité 49.) Elle ne lui dit pas : Je vous prie
de ressusciter mon frère ; car comment pouvait-elle savoir qu'il serait utile à
son frère de ressusciter ? Elle se contente de dire au Sauveur : « Je sais que
vous pouvez le faire, si vous le voulez, mais ce n'est pas à moi, c'est à vous
seul qu'il appartient de juger, s'il est utile de le faire. » — S. CHRYS. Nôtre-Seigneur lui enseigne
alors la vérité qu'elle ne savait point : « Jésus lui répondit : Votre
frère ressuscitera. » Il ne lui dit pas : Je demanderai à Dieu qu'il
ressuscite. Il ne dit pas non plus : Je n'ai pas besoin de secours, je fais
tout de moi-même, ce qui eût paru surprenant à cette femme ; il prend un moyeu
terme et lui dit : « Votre frère ressuscitera. » — S. AUG. Il y avait
cependant quelque ambiguïté dans cette expression : « Il ressuscitera, »
puisque Jésus ne disait pas : Il va ressusciter actuellement. Aussi Marthe lui
dit : « Je sais qu'il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour, »
je suis certaine de cette résurrection, mais je ne le suis pas de celle qui
aurait lieu immédiatement.
S. CHRYS. (hom.
62.) Marthe avait souvent entendu Jésus-Christ parler de la résurrection ;
il lui fait donc connaître ici clairement sa
puissance : « Jésus
lui dit : Je suis la résurrection et la vie. » Il loi prouve ainsi qu'il
n'a point besoin d'un secours étranger, car si ce secours lui était nécessaire,
comment serait-il la résurrection ? S'il est loi-même la vie, il n'est limité
par aucun espace, il existe partout, et partent aussi il peut faire sentir sa
vertu bienfaisante. — ALCUIN. Je
sois la résurrection, par la même raison que je suis la vie, et celui qui un
jour doit ressusciter votre frère avec tous les autres hommes, peut aussi bien
le ressusciter dès aujourd'hui. — S. CHRYS.
Marthe lui a dit : « Tout ce que vous demanderez, Dieu vous le donnera ;
» et Jésus lui répond : « Celui qui croit en moi, fût-il mort, vivra, » il lui
apprend ainsi qu'il est le dispensateur de tous les biens, et que c'est à lui
qu'il faut les demander, et il élève en même temps son intelligence à de plus
hautes pensées, car il ne se proposait pas seulement de ressusciter Lazare,
mais de rendre tous ceux qui étaient présents témoins de sa résurrection. — S. AUG. Voici donc l'explication des
paroles du Sauveur : « Celui qui croit en moi, fût-il mort (dans son corps),
vivra (dans son âme), jusqu'au jour où son corps ressuscitera pour ne plus
mourir, car la vie de l'âme c'est la foi. » Il ajoute : « Et quiconque vit
(de la vie du corps) et croit en moi (quand bien même il viendrait à perdre
pour un temps cette vie du corps), il ne mourra point pour toujours. — ALCUIN.
A cause de la vie de l'esprit et de l'immortalité de la résurrection. Le
Seigneur, pour qui rien n'est caché, savait que Marthe croyait ces vérités,
mais il voulait qu'elle fit extérieurement la profession de foi qui sauve. Il
lui demande donc : « Croyez-vous cela ? » Elle lui répondit : « Oui,
Seigneur, je crois que vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant, qui êtes
venu en ce monde. » — S. CHRYS. (hom.
62.) Marthe ne me parait pas avoir compris entièrement ce que Jésus lui
avait dit ; elle comprit qu'il s'agissait d'un grand mystère, mais elle ne
savait encore ce que c'était ; aussi ne ré-pond-elle pas directement à la
question que lui fait le Sauveur. — S. AUG. Ou bien encore : en croyant
que vous êtes le Fils de Dieu, je crois que vous êtes la vie, car celui qui
croit en vous, vivra alors même qui perdra la vie du corps.
S. CHRYS. (hom.
63.) Les paroles de Jésus-Christ eurent la puissance de mettre fin à la
douleur de Marthe, car la pieuse affection qu'elle avait pour le divin Maître
ne lui permettait pas de se livrer à l'affliction que lui causait la mort de
son frère : « Lorsqu'elle eut parlé ainsi, elle s'en alla et appela à voix
basse Marie, sa sœur. » — S. AUG.
(Traité 49.) L'Evangéliste dit qu'elle l'appela en silence,
c'est-à-dire, à voix basse, car comment dire qu'elle a fait tout en silence,
puisqu'elle lui dit : « Le Maître est là, il vous appelle ? » — S. CHRYS. (hom. 63.) Elle appelle
sa sœur en secret, car si les Juifs eussent appris l'arrivée de Jésus, ils se
seraient retirés et n'eussent pas été témoins du miracle.
S. AUG. Il est à remarquer que l'Evangéliste ne dit
ni le lieu, ni le moment où le Seigneur appela Marie, ni de quelle manière ;
pour abréger son récit, il ne nous fait connaître cette circonstance que par
les paroles de Marthe. — THEOPHYL. Peut-être
aussi Marthe regarda-t-elle la présence seule de Jésus-Christ comme un appel,
et semble-t-elle dire à sa sœur : Vous seriez inexcusable si, le Seigneur étant
là, vous n'alliez pas à sa rencontre.
S. CHRYS. (hom.
63.) Un cercle d'amis entouraient Marie, plongée dans la douleur et dans
les larmes. Cependant elle n'attend pas que le Maître vienne la trouver, elle
n'est retenue ni par les bienséances de sa condition, ni par son profond
chagrin, elle se lève aussitôt pour aller à sa rencontre : « Ce que
celle-ci ayant entendu, elle se leva aussitôt et vint à lui. » — S. AUG. Nous voyons par-là que Marthe
n'eût pas eu besoin de prévenir sa sœur, si Marie eût connu l'arrivée de Jésus.
« Car Jésus n'était pas encore entré dans le bourg.
» — S. CHRYS. Nôtre-Seigneur
approchait lentement, il ne voulait point paraître se jeter au-devant du
miracle, mais il attendait qu'on vînt l'en prier, c'est ce que l'Evangéliste
semble vouloir indiquer en termes couverts, lorsqu'il dit que Marie se leva
aussitôt, ou bien il veut nous apprendre qu'elle vint à sa rencontre pour
prévenir son arrivée. Or elle vint, non pas seule, mais accompagnée de tous les
Juifs qui étaient avec elle : « Cependant les Juifs, qui étaient dans la maison
avec Marie, et la consolaient, la suivirent, » etc. — S. AUG. L'Evangéliste a pris soin de
mentionner cette circonstance, pour nous apprendre la raison pour laquelle il y
avait tant de monde, lorsque Lazare fut ressuscité ; c'était pour qu'un plus
grand nombre fussent témoins d'un aussi
grand miracle que la résurrection d'un mort de quatre jours.
« Lorsque
Marie fut arrivée au lieu où était Jésus, le voyant, elle se jeta à ses pieds.
» — S. CHRYS. (hom. 63.)
Marie était plus ardente que sa sœur, elle n'est arrêtée ni par la multitude,
ni par les préjugés que les Juifs avaient contre Jésus-Christ, ni par la
présence de plusieurs de ses ennemis personnels, la vue du Sauveur lui fait
mépriser toutes les considérations humaines, et elle n'est préoccupée que d'une
seule pensée, l'honneur de sou divin Maître. — THEOPHYL. Cependant elle ne parait pas avoir de lui une idée
encore assez relevée, en lui disant : « Seigneur, si vous eussiez été ici, mon
frère ne fût pas mort. » — ALCUIN. Tant
que vous êtes demeuré avec nous, aucune maladie, aucune infirmité n'ont osé
apparaître chez celles qui avaient pour hôte et pour habitant la vie elle-même.
— S. AUG. (serm. 52 sur les paroles du Seigneur.) Quel pacte
déloyal ! Lazare, votre ami, meurt pendant que vous êtes encore sur cette
terre, et si vous laissez mourir votre ami de la sorte, à quoi doit s'attendre
votre ennemi ? C'est peu que les cieux ne vous obéissent point, voici que les
enfers vous ont enlevé celui que vous aimez. — BEDE. Marie parle moins à Jésus que n'avait fait sa sœur, car
par un effet ordinaire de la douleur et des larmes, elle ne put épancher les
sentiments dont son cœur était plein.
S. chris, (hom.
63 sur S. Jean.) Jésus ne répond rien à Marie, il ne lui tient pas
le même langage qu'à sa sœur, il était environné d'une grande multitude, et ce
n'était pas le moment de faire de longs discours, mais il s'abaisse, il
s'humilie, et dévoile en lui les sentiments de la nature humaine. Comme il
allait opérer un grand miracle qui devait lui gagner beaucoup de disciples, il
s'entoure d'un grand nombre de témoins, et montre qu'il a véritablement pris
notre nature : « Jésus la voyant pleurer, et les Juifs, qui étaient venus avec
elle pleurer aussi, fut ému en lui-même et se troubla. » — S. AUG. (Traité 49 sur S. Jean.) Qui
pourrait le troubler, si ce n'est lui-même ? Jésus-Christ a été troublé parce
qu'il l'a voulu, il a eu faim parce qu'il l'a voulu, il était en son pouvoir de
se prêter ou de se soustraire à ces impressions, car le Verbe a pris une âme et
un corps, et s'est uni la nature humaine tout entière en unité de personne ;
or, là où se trouve une puissance souveraine, la faiblesse humaine ne peut être
troublée qu'autant que cette puissance souveraine y consent. — THEOPHYL. C'est afin de prouver la
vérité de sa nature humaine, qu'il lui commande de manifester les sentiments
qui lui sont propres, et c'est par la vertu de l'Esprit saint qu'il lui donne
cet ordre, et qu'il réprime ses trop vives émotions. Le Seigneur vent que la
nature humaine subisse ces épreuves, pour nous prouver qu'il était homme en
réalité et non-seulement en apparence, et aussi pour nous enseigner à mettre
des bornes à la tristesse comme à la joie, car n'être accessible à aucun
sentiment de compassion ou de tristesse, c'est l'insensibilité de la brute,
comme aussi il n'appartient qu'aux caractères efféminés de se livrer sans
mesure à ces affections.
« Et il dit : Où l'avez-vous mis ? » — S. AUG. (serm. sur les par. du Seig.) Ce
n'est pas qu'il ignorât le lieu où Lazare était enseveli, mais il voulait
éprouver la foi de ce peuple. — S. CHRYS.
(hom. 63.) Il ne veut pas se mettre en avant, et il veut être
instruit par les autres et ne rien faire que sur leur prière, pour ne laisser
aucune place au soupçon. — S. AUG. (Liv.
des 83 quest., quest. 65.) Cette question du Sauveur est comme le
symbole de notre vocation qui se passe dans le secret, car la prédestination de
notre vocation est une chose cachée, et la marque qu'elle est secrète, c'est la
question que fait le Seigneur sur ce sujet comme s'il l'ignorait, alors que
c'est nous-mêmes qui l'ignorons. Ou bien peut-être est-ce parce que le Seigneur
déclare dans un autre endroit qu'il ne connaît pas les pécheurs auxquels il dit
: « Je ne vous connais pas, » (Mt 7, 25) parce que les péchés se
commettent en dehors de la loi et de ses préceptes : « Ils lui répondirent :
Seigneur, venez et voyez. » — S. CHRYS. (hom.
63.) Il n'avait encore fait aucun miracle de résurrection, il leur
paraissait donc ne se diriger vers le tombeau que pour pleurer sur Lazare, et
non pour le ressusciter, c'est pour cela qu'ils lui disent : « Venez et
voyez. » — S. AUG. Le Seigneur
voit lorsqu'il a compassion, c'est pour cela que le Psalmiste lui dit : « Voyez mon humiliation et ma douleur, et
pardonnez-moi tous mes crimes. » (Ps 24)
« Et
Jésus pleura. » — ALCUIN. Il
était la source inépuisable de la bonté, et il pleurait comme homme celui qu'il
pouvait ressusciter par un acte de sa puissance divine. — S. AUG. Or, pourquoi Jésus a-t-il pleuré ?
pour enseigner aux hommes à verser eux-mêmes des larmes. — BEDE. Les hommes ont coutume de pleurer
les personnes chères que la mort leur a enlevées. Les Juifs crurent que Jésus
pleurait sons l'impression de ce sentiment, et c'est ce qui leur fait dire : «
Voyez comme il l'aimait ! » — S. AUG. Que signifient ces paroles : Il
l'aimait ? » « Je ne suis pas venu appeler les justes mais les
pécheurs à la pénitence. » « Mais quelques-uns d'entre eux dirent : Ne
pouvait-il pas, lui qui a ouvert les yeux d'un aveugle-né, faire que cet homme
ne mourût point ? » Il fera bien plus, puisqu'il va le ressusciter après sa
mort. — S. CHRYS. Ceux qui
parlèrent ainsi étaient de ses ennemis, ils se servent pour le calomnier d'un
fait qui aurait dû leur faire admirer sa puissance, c'est-à-dire, la guérison
de l'aveugle-né, et ils se plaignent que Jésus n'ait pas empêché par un miracle
Lazare de mourir. Une nouvelle preuve de leur perversité, c'est qu'ils prennent
le rôle d'accusateurs avant même que Jésus soit arrivé au tombeau, et sans
attendre l'issue de l'événement : « Jésus donc, frémissant de nouveau en
lui-même, vint au tombeau. » L'Evangéliste prend soin de répéter que Jésus
pleura, et frémit en lui-même pour vous convaincre qu'il a pris véritablement
notre nature. L'Evangéliste saint Jean nous a décrit les grandeurs du Verbe
incarné, bien plus magnifiquement que ne l'ont fait les autres évangélistes, et par une même
raison, il s'appesantit davantage sur ses humiliations. — S. AUG. Frémissez aussi en vous-même si
vous voulez reprendre une nouvelle vie, c'est, ce qu'on peut dire à tout homme
qui est accablé sous le poids d'une habitude criminelle : « C'était une grotte
et une pierre était posée dessus. » Ce mort étendu sous la pierre, c'est
l'homme coupable sous la loi, car la loi qui fut donnée aux Juifs, était écrite
sur la pierre. Tous les coupables sont sous la loi, mais la loi n'a pas été
établie pour le juste. (1 Tm 1) — BEDE. Une grotte est une excavation pratiquée dans un rocher.
On appelle monuments ces grottes qui servent de tombeau, parce qu'ils avertissent
notre âme (mentem monet), et leur rappellent le souvenir des morts.
« Jésus leur dit : Otez la pierre. » — S. CHRYS. Pourquoi le Sauveur n'a-t-il pas
ressuscité Lazare sans que la pierre fût ôtée ? Celui qui, d'une seule parole,
rendit la vie et le mouvement à ce cadavre, ne pouvait-il pas, à plus forte
raison, ôter la pierre qui fermait le tombeau ? Oui, sans doute, mais il ne l'a
pas fait, parce qu'il voulait rendre les Juifs témoins de ce miracle, et les
empêcher de dire ce qu'ils avaient dit de l'aveugle-né : « Ce n'est pas lui, »
car leurs mains qui roulaient cette pierre et leur présence au tombeau
attestaient d'une manière infaillible que c'était bien Lazare. — S. AUG. Dans le sens allégorique, ces
paroles : « Otez la pierre, » signifient : Enlevez le poids de la loi,
et annoncez la grâce de la loi nouvelle. — S. AUG.
(Lim. des 83 quest., quest. 65.) Ceux à qui le Sauveur donne cet
ordre, me paraissent figurer les Juifs qui voulaient imposer le fardeau de la
circoncision aux Gentils, qui entraient dans l'Eglise ; ou bien, les chrétiens
qui, au sein de l'Eglise même, mènent une vie corrompue et sont un scandale
pour ceux qui veulent embrasser la foi.
S. AUG. (serm.
82 sur les par. Du Seign.) Cependant Marie et Marthe, soeurs de Lazare, qui avaient va souvent
Jésus ressusciter des morts ne croient pas entièrement qu'il puisse ressusciter
leur frère : « Marthe, la sœur de celui qui était mort, lui dit : « Seigneur,
il sent déjà mauvais, » etc. — THEOPHYL.
Marthe parle de la sorte sous l'impression d'un sentiment de défiance
qui lui fait regarder comme impossible la résurrection de son frère après
quatre jours qu'il était dans le tombeau. — BEDE.
On peut dire encore que ces paroles sont l'expression de J'étonnement et
de l'admiration plutôt que de la défiance. — S. CHRYS. Elles peuvent servir aussi à fermer la bouche aux
incrédules, et nous voyons ainsi concourir à la démonstration de ce miracle les
mains qui ont ôté la pierre, les oreilles qui ont entendu la voix de
Jésus-Christ, les yeux qui ont vu Lazare sortir du tombeau, et l'odorat qui
sentait l'odeur que son cadavre exhalait.
THEOPHYL. Nôtre-Seigneur rappelle à la
sœur de Lazare ce qu'il lui avait déjà dit, et qu'elle paraissait avoir presque
oublié : « Jésus lui répondit : Ne vous ai-je pas dit que si vous croyiez,
vous verriez la gloire de Dieu ? » — S. CHRYS.
(hom. 63.) Marthe ne se souvenait plus en effet de ce que
Jésus-Christ lui avait dit : « Celui qui croit en moi fût-il mort, vivra. » En
parlant à ses disciples, il leur avait dit : « Afin que le Fils de Dieu
soit glorifié par cette maladie. » Ici il ne parle que de Dieu le Père, les
dispositions imparfaites de ceux qui l'écoutaient le forçaient ainsi de
modifier son langage. Il ne voulait point jeter le trouble dans l'âme de ceux
qui étaient présents, et c'est pour cela qu'il dit à Marthe : « Vous
verrez la gloire de Dieu. » — S. AUG. (Traité
49.) La gloire de Dieu parut en effet dans la résurrection d'un mort
de quatre jours exhalant déjà l'odeur infecte du tombeau.
« Ils ôtèrent donc la pierre. » — ORIG. (Traité
28 sur S. Jean.) Le retard que l'on mit à enlever cette pierre, vint
de la sœur de Lazare ; si elle n'avait pas dit : « Il sent déjà mauvais, car il
y a quatre jours qu'il est là, » Jésus n'eût pas été obligé de donner l'ordre
d'ôter la pierre. Ils enlevèrent donc cette pierre, mais plus tard qu'elle
n'aurait du l'être. Il est souverainement utile de ne mettre aucun intervalle
entre les ordres de Jésus et leur exécution.
ALCUIN. En tant qu'homme,
Nôtre-Seigneur Jésus-Christ était inférieur à son Père, et c'est sous ce
rapport qu'il lui demande la résurrection de Lazare, et qu'il dit eu avoir été
exaucé : « Jésus, levant les yeux en haut, dit : Mon Père, je vous rends
grâces de ce que vous m'avez exaucé. » — ORIG.
(Traité 28 sur S. Jean.) Il élève les yeux en haut,
c'est-à-dire qu'il élève son âme humaine, et qu'il la conduit par la prière
jusqu'au Très-Haut. Celui donc qui veut imiter la prière de Jésus-Christ doit
aussi élever jusqu'au ciel les yeux de son cœur, et les détacher de toutes les
choses présentes, de tout ce qui remplit mémoire, ses pensées, ses
intentions. Mais si Dieu promet d'exaucer la prière de ceux qui remplissent ces
conditions, comme il le déclare par la bouche d'Isaïe : « Pendant que vous
parlerez encore, je dirai : Me voici, » (Is 58, 9) que devons-nous
penser de Notre-Seigneur Jésus-Christ notre Sauveur ? Il allait prier Dieu pour
obtenir la résurrection de Lazare, mais celui qui seul est un Père plein de
bonté exauce sa prière avant même qu'il l'ait faite. Et c'est pour remercier
son Père qu'il lui rend grâces en ces termes : « Mon Père, je vous rends grâces
de ce que vous m'avez exaucé..., afin qu'ils croient que vous m'avez envoyé. »
— S. CHRYS. (hom. 64.)
C'est-à-dire qu'il n'y a aucune contradiction entre vous et moi. Ce langage du
Sauveur n'est point une preuve de son impuissance, ou de son infériorité
vis-à-vis de son Père, car on peut ainsi parler à ses amis et à ses égaux. Pour
montrer du reste qu'il n'avait pas besoin de recourir à la prière, il ajoute :
« Pour moi, je savais que vous m'exaucez toujours, » c'est-à-dire, je n'ai
pas besoin de vous prier pour vous persuader de faire ma volonté ; car nous
n'avons tous deux qu'une même volonté ; vérité qu'il n'exprime qu'en termes
couverts à cause de la faiblesse de ceux qui l'entendaient ; car le Dieu
Sauveur a moins égard à sa dignité qu'à notre salut, aussi nous parle-t-il
très-peu de ses grandeurs, et toujours d'une manière voilée, tandis qu'il
s'étend comme avec complaisance sur ses humiliations.
S. HIL. (de la Trin.) Il n'avait donc aucun
besoin de prier, et s'il a prié, c'est pour nous faire connaître sa filiation
divine : « Mais je dis ceci à cause de ce peuple qui m'entoure, afin qu'ils
croient que vous m'avez envoyé. » La prière lui était inutile, il prie
cependant dans l'intérêt de notre foi. Il n'a pas besoin de secours, mais nous
avons besoin d'être instruits. — S. CHRYS. Il ne dit pas toutefois : Afin
qu'ils croient que je vous suis inférieur (parce que je ne puis rien faire sans
vous prier), mais : « Afin qu'ils croient que vous m'avez envoyé. » Il ne dit
pas non plus : Que vous m'avez envoyé, dénué de tout pouvoir, avec la
connaissance de ma dépendance absolue, ne pouvant rien faire de moi-même, mais
: « Que vous m'avez envoyé, » afin qu'ils ne pensent pas que je suis en
opposition avec Dieu, et ne disent point : Il ne vient pas de Dieu, et pour
leur montrer que c'est d'après sa volonté que je vais faire ce miracle.
S. AUG. (serm. 52 sur les par. du Seig.) Jésus
s'approche donc du tombeau où était enseveli Lazare, et il l'appelle à en
sortir, non pas comme s'il était vivant, et prêt à entendre sa voix :
« Ayant ainsi parlé, il cria d'une voix forte : Lazare, sortez dehors. »
Il l'appelle par son nom, pour faire voir que ce ne sont pas les autres morts
qu'il appelle à sortir du tombeau. — S. CHRYS.
Il ne lui dit pas : Ressuscitez, mais : « Venez dehors, » il parle
à celui qui était mort, comme s'il était vivant, il ne lui dit pas non plus :
Au nom de mon Père, sortez dehors, ou bien encore : Mon Père, ressuscitez-le,
il laisse de côté ces formules qui convenaient à un suppliant, et prouve sa
puissance par les faits. Il entrait, en effet, dans les desseins de la sagesse
de faire preuve d'humilité dans ses discours, et de puissance dans ses œuvres.
THEOPHYL. La voix forte du Sauveur qui
ressuscita Lazare est le symbole de cette trompette éclatante qui doit se faire
entendre à la résurrection générale. (1 Co 15, 52.) Le Sauveur élève la
voix pour fermer la bouche aux Gentils qui prétendent sans aucun fondement que
les âmes des morts sont dans les tombeaux, et il appelle à haute et forte voix
l'âme de Lazare comme étant absente très au loin. Cette résurrection
individuelle de Lazare eut lieu en un clin d'œil, comme se fera un jour la résurrection
générale : « Et aussitôt celui qui avait été mort, sortit, » etc. Nous voyons
dès lors s'accomplir ce que disait le Sauveur : « L'heure est venue où les
morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'entendront vivront. » (Jn
5) — ORIG. (Traité 28
sur S. Jean.) On peut dire avec raison que c'est cette voix forte qui a
ressuscité Lazare, et ainsi se trouve accomplie cette parole du Sauveur : «
Notre ami Lazare dort, je vais le réveiller. » Le Père qui a exaucé la prière
du Fils a aussi ressuscité Lazare, et cette résurrection est l'œuvre commune du
Fils et du Père qui l'a exaucé, car de même que le Père ressuscite les morts et
leur rend la vie, le Fils donne aussi la vie à qui il veut. » (Jn 5,
21.)
S. CHRYS. Lazare
sortit les pieds et les mains liés de bandelettes, pour qu'on ne crût pas qu'il
n'était qu'un fantôme, et ce ne fut pas une chose moins admirable de le voir
sortir avec ces bandelettes et entouré d'un suaire, que de le voir ressusciter
: « Jésus leur dit : Déliez-le, » afin que ceux qui le toucheraient de leurs
mains fussent bien convaincus que c'était vraiment lui. « Et laissez-le
aller. » Le Sauveur agit ainsi par humilité, et c'est pour cela qu'il ne prend
pas Lazare avec lui, et ne lui commande pas de marcher à sa suite comme preuve
du miracle qu'il vient d'opérer.
ORIG. Nôtre-Seigneur avait dit
précédemment : « Je dis ceci à cause de ce peuple qui m'entoure, afin qu'ils
croient que vous m'avez envoyé. » Si aucun de ceux qui étaient présents
n'avaient cru en lui, il eût parlé comme un homme qui n'a aucune connaissance
de l'avenir ; aussi est-ce pour éloigner ce soupçon que l'Evangéliste ajoute :
« Plusieurs d'entre les Juifs crurent en lui, mais quelques-uns d'entre
eux allèrent trouver les pharisiens et leur racontèrent ce que Jésus avait
fait. » Cette proposition paraît offrir un sens équivoque, ceux qui allèrent
trouver les pharisiens étaient-ils du grand nombre de ceux qui crurent en
Jésus-Christ, et se proposèrent-ils de concilier à Jésus-Christ les pharisiens
animés de dispositions hostiles à son égard ? ou bien étaient-ils différents de
ceux qui crurent en lui, et ne cherchèrent-ils qu'à exciter contre le Sauveur
le zèle plein de jalousie des pharisiens ? C'est cette dernière supposition qui
paraît ressortir du récit de l'Evangéliste. D'après son récit, en effet, c'est
le grand nombre de ceux qui étaient présents qui crurent en Jésus-Christ, et un
petit nombre d'entre eux dont il ajoute : « Quelques-uns allèrent trouver les
pharisiens, » etc.
S. AUG. (liv.
des 83 quest., quest. 65.) Quoique nous admettions avec une foi
entière la résurrection de Lazare dans le sens historique, je regarde cependant
comme certain qu'elle contient aussi une vérité allégorique ; car le sens
allégorique d'un événement ne lui fait perdre en aucune façon son caractère de
réalité historique. — S. AUG. (Traité
49.) Tout homme qui pèche, est tombé victime de la mort, mais Dieu, par sa
grande miséricorde, ressuscite les âmes et les sauve ainsi de la mort
éternelle. Les trois morts dont Nôtre-Seigneur a ressuscité les corps sont donc
la figure de la résurrection des âmes. — S. GREG.
(Moral., 4, 25 ou 29.) Il a ressuscité une jeune fille dans sa
maison, un jeune homme hors des portes de la ville, et Lazare déjà enseveli
dans le tombeau. Celui qui est mort dans son péché est comme étendu sans vie
dans sa maison ; le pécheur est conduit hors des portes, lorsque son péché
affiche le caractère scandaleux d'un péché
public. — S.
AUG. (Traité 49.) Ou bien, la mort est encore à l'intérieur lorsque la
pensée du mal ne s'est pas encore produite par un acte extérieur; mais si vous
commettez le mal, vous portez pour ainsi dire le mort hors des portes de la
ville. — S. GREG. (Moral., 4)
Le pécheur est comme oppressé sous la pierre du tombeau, lorsqu'il est écrasé
par l'horrible pierre des mauvaises habitudes qu'il a contractées, mais souvent
la grâce divine éclaire ces pauvres pécheurs d'un rayon de sa lumière. — S. AUG. (liv. des 83 quest., quest.
68.) Ou bien Lazare, dans le tombeau, figure encore l'âme qui est comme accablée
sous le poids des péchés de la terre. » — S. AUG.
(Traité 49) Et cependant le Seigneur aimait Lazare, car s'il
n'avait pas aimé les pécheurs, il ne serait pas descendu du ciel sur la terre.
C'est à juste titre que l'on dit du pécheur d'habitude : « Il sent mauvais, »
car sa mauvaise réputation se répand partout comme une odeur infecte et
nauséabonde. — S. AUG. (liv. des 83 quest.) C'est encore avec
raison qu'il est dit : « Il y a quatre jours qu'il est dans le tombeau ; »
car le dernier des éléments c'est la terre, qui figure l'abîme des péchés de la
terre, c'est-à-dire des convoitises charnelles.
S. AUG. (Traité
49.) Jésus frémit, il verse des larmes, il crie à haute voix, parce qu'il
est bien difficile de se relever pour celui qui est accablé sous le poids de
ses habitudes vicieuses. Jésus se trouble lui-même pour vous apprendre le
trouble dont vous devez être saisi lorsque vous êtes comme écrasé sous le poids
énorme de vos péchés. La foi de l'homme qui devient
pour lui-même un objet d'horreur, doit frémir en accusant ses actions
coupables, afin de faire céder l'habitude du péché à la violence du repentir.
Lorsque vous dites : J'ai commis ce crime, et Dieu m'a épargné ; j'ai entendu
la doctrine évangélique, et je l'ai méprisée, qu'ai-je fait ? Jésus-Christ
frémit en vous, parce que la foi frémit, ce frémissement contient déjà
l'espérance de la ré-surrection. — S. GREG.
(Moral., 22, 9 ou 13.) Le Sauveur dit à Lazare : « Sortez
dehors, afin que le pécheur qui cherche à dissimuler et à cacher son péché, soit
comme forcé par cette voix de se faire son propre accusateur, et que celui qui
est enseveli dans le tombeau de sa conscience, en sorte de lui-même par la
confession de ses fautes. »
S. AUG. (liv.
des 83 quest.) Lazare, sortant de son tombeau, est le symbole de
l'âme qui se retire des vices de la chair ; les bandelettes dont il reste
encore enveloppé nous apprennent que ceux-là mêmes qui ont renoncé aux plaisirs
charnels, et veulent obéir de cœur à la loi de Dieu, ne peuvent tant qu'ils
sont dans ce corps mortel être entièrement à l'abri des atteintes de la chair.
Le suaire dont sa figure est couverte signifie que nous ne pouvons avoir dans
cette vie la pleine intelligence de la vérité. Nôtre-Seigneur ajoute : «
Déliez-le, et laissez-le aller, » pour nous apprendre qu'après cette vie tous
les voiles seront enlevés, afin que nous puissions voir Dieu face à face.
S. AUG. (Traité
49.) Ou bien encore, lorsque vous faites mépris de la loi de Dieu, vous
êtes comme mort et enseveli dans le tombeau ; si vous faites l'aveu de vos
fautes, vous sortez de ce tombeau ; car sortir du tombeau, c'est sortir de la
retraite cachée de son cœur pour se produire au grand jour. Mais c'est Dieu qui
vous amène à faire cet aveu en vous appelant à haute voix, c'est-à-dire par une
grâce extraordinaire. Le mort qui sort du tombeau est encore lié, de même que
celui qui confesse ses péchés est encore coupable, et c'est pour le délier de
ses péchés que Jésus dit aux serviteurs : « Déliez-le, et laissez-le aller, » c'est-à-dire, tout ce que vous aurez délié sur la terre, le sera le
ciel.
ALCUIN. C'est donc Jésus-Christ qui ressuscite,
parce que c'est lui qui donne par lui-même la vie à l'intérieur, ce sont ses
disciples qui délient, parce que c'est par le ministère des prêtres que ceux .qu'il
vivifie sont absous. — BEDE. Ceux
qui vont apprendre aux pharisiens ce que Jésus a fait, figurent ceux qui, à la
vue des bonnes œuvres des serviteurs de Dieu, les poursuivent de leur haine, et
s'efforcent de noircir leur réputation.
THEOPHYL. Les pharisiens auraient dû
admirer et exalter l'auteur d'aussi grands miracles, et au contraire, ils
forment le dessein de le mettre à mort : « Les pontifes et les pharisiens
assemblèrent donc le conseil, » etc. — S. AUG.
(Traité 49.) Ils ne disent point : Croyons en lui, ces hommes
pervers sont bien plus préoccupés de la pensée de faire le mal et de mettre à
mort un innocent, que des moyens d'assurer leur propre salut. Et cependant la
crainte les agite, et ils se consultent : « Et ils disaient : Que ferons-nous ?
car cet homme opère beaucoup de miracles ? » — S. CHRYS. Ils ne le regardent encore que comme un homme, après
qu'il leur a donné une si grande preuve de sa divinité.
ORIG. (Traité 28 sur S. Jean.) Le
langage que tiennent les pontifes et les pharisiens nous donne une idée de
l'étendue de leur folie et de leur aveuglement. Quelle folie, en effet, de
reconnaître et d'attester que Jésus a opéré un grand nombre de miracles, et de
penser qu'ils pouvaient néanmoins lui dresser des embûches, comme s'il n'était
point capable de déjouer toutes leurs machinations ! Leur aveuglement n'est pas
moins surprenant, de ne pas voir que celui qui pouvait opérer de si grands
prodiges, pouvait également échapper à leurs embûches, à moins que dans leur
pensée ses miracles ne fussent pas l'œuvre d'une puissance divine. Ils forment
donc le dessein de ne point le laisser aller, ils s'imaginent par là empêcher
ses disciples de croire en lui, et s'opposer à ce que les Romains ne détruisent
leur pays et leur nation : « Si nous le laissons faire, disent-ils, tous
croiront en lui, et les Romains viendront, » etc. — S. CHRYS. (hom. 64.) En parlant de la sorte, ils veulent
soulever le peuple, comme s'il courait le danger d'être soupçonné par les
Romains de vouloir s'affranchir de leur domination, et leurs paroles peuvent
ainsi se traduire : Si les Romains le voient entraîner la multitude après lui,
ils en prendront ombrage, croiront que nous voulons nous ériger en pouvoir
indépendant, et ils détruiront notre cité. Mais cette supposition était
purement imaginaire ; car sur quoi reposait-elle ? Voyait-on Jésus entouré
d'hommes en armes ? traînait-il après lui des escadrons de gardes? Au
contraire, ne cherchait-il pas la solitude ? Ils ne veulent pas qu'on les
soupçonne de vouloir la mort du Sauveur, et ils mettent en avant le danger que
courent leur cité et leur nation. — S. AUG. Ou bien encore, ils craignirent que
si tous venaient à croire en Jésus-Christ, il ne restât plus personne pour
prendre contre les Romains la défense de leur ville et de leur temple ; car ils
comprenaient que la doctrine de Jésus-Christ était contraire à leur temple et
aux institutions données à leurs ancêtres. La crainte donc qu'ils avaient de
perdre les choses du temps, les empêcha de penser à celles de l'éternité, et
ils perdirent les unes et les autres ; car après la passion et la résurrection
glorieuse du Sauveur, les Romains ruinèrent le pays et la nation des Juifs en
les détruisant on en les emmenant en captivité.
ORIG. (Traité 28) Dans le sens
anagogique, les Gentils prirent la place du peuple de la circoncision, parce
que leur chute est devenue le salut des Gentils. (Rm 11, 11.) Les
Romains sont mis ici à la place des Gentils, c'est-à-dire ceux qui avaient
l'empire à la place de ceux qui leur étaient soumis. Leur nationalité fut aussi
détruite, car le peuple qui avait été le peuple de Dieu, cessa de l'être. — S. CHRYS. (hom. 65.) Pendant qu'ils
hésitaient et qu'ils soumettaient de nouveau cette question à la délibération
du conseil, en disant : « Que faisons-nous, » un d'entre eux prend la parole et
ouvre cet avis plein d'impudence et de cruauté : « Mais l'un deux, nommé
Caïphe, qui était le pontife de cette année-là, leur dit, » etc.
S. AUG. On peut être surpris que Caïphe soit appelé
le pontife de cette année, alors que Dieu n'avait établi qu'un seul
grand-prêtre, qui n'avait de successeur qu'après sa mort. Il faut donc se
rappeler que ta prétentions ambitieuses et les rivalités qui régnaient parmi
les Juifs, les avaient amenés à instituer plusieurs grands-prêtres,
qui exerçaient leur ministère tour à tour pendant un an. Peut-être même il y en
avait plusieurs pour une même année, et d'autres leur succédaient l'année
suivante.
ALCUIN. Ainsi, l'historien Josèphe
rapporte que c'est à prix d'argent que Caïphe avait acheté le souverain
pontificat pour cette année-là.
ORIG. (Traité 28.) La méchanceté de Caïphe
ressort de cette circonstance qu'il était grand-prêtre pour cette année-là,
dans laquelle notre Sauveur accomplit le ministère douloureux de sa passion : «
Or, comme il était pontife de cette année-là, il leur dit : « Vous n'y entendez
rien, et vous ne songez pas qu'il vous est avantageux qu'un seul homme meure
pour le peuple. » — S. CHRYS. (hom.
65.) Il semble leur dire : Vous êtes assis tranquillement et vous délibérez
négligemment sur cette affaire, mais veuillez donc réfléchir que la vie d'un
homme doit être comptée pour rien quand il s'agit de l'intérêt public. — THEOPYHL. Il parle de la sorte dans une
intention coupable, et cependant l'Esprit saint se sert de sa bouche pour
prophétiser l'avenir : « Or, il ne dit pas cela de lui-même, mais étant le
grand-prêtre de cette année, il prophétisa que Jésus devait mourir pour la
nation. »
ORIG. Tout homme qui prophétise
n'est point par-là même prophète, de même qu'on n'est pas juste pour avoir fait
une action juste, si par exemple on l'a faite par un motif de vaine gloire,
Caïphe prophétise donc, mais sans être prophète, pas plus que Balaam. (Nb 23)
Osera-t-on dire que ce n'est point par l'inspiration de l'Esprit saint que
Caïphe a prophétisé, parce que l'esprit mauvais peut également rendre
témoignage à Jésus, et prophétiser dans son intérêt, comme nous voyons les
démons dire à Jésus : « Nous savons qui vous êtes, le saint de Dieu. »
Mais son intention n'est pas de gagner des disciples à Jésus, c'est, au
contraire, d'exciter contre lui ceux qui, dans le conseil avait mis en lui leur
confiance, et de leur arracher une sentence de mort. D'ailleurs ces paroles : «
Il vous est avantageux, » etc. qui sont une partie de la prophétie, sont-elles
vraies ou fausses ? Si elles sont vraies, il s'ensuit que tous ceux qui, dans
le conseil, se déclarent contre Jésus, seront sauvés, puisque Jésus meurt pour
le salut du peuple ; et tous obtiendront cet avantage ; mais s'il est absurde
de dire que Caïphe, et les antres membres du conseil qui délibéraient contre
Jésus, soient sauvés, il est évident que ce n'est pas l'Esprit saint qui lui a
dicté ces paroles, parce que l'Esprit saint ne ment jamais. Si l'on veut
cependant que Caïphe ait dit ici la vérité, on comprendra ce que dit saint Paul
: a Que la bonté de Dieu a voulu qu'il mourût pour tous, » (He 2,
9) et qu'il est le Sauveur de tous les hommes, surtout des fidèles. (1 Tm
4, 10.) Il
reconnaîtra que toute cette prophétie est vraie dans son ensemble, à partir de
ces mots : « Vous n'y entendez rien, » car ils ne connaissaient vraiment rien,
eux qui ignoraient que Jésus est la vérité, la justice, la sagesse et la paix.
Il est vrai encore qu'il était avantageux que ce seul homme (en tant qu'il est
homme) mourût pour le peuple, car en tant qu'il est l'image du Dieu invisible,
il ne peut être soumis à la mort. Il est mort pour le peuple en vertu de la
puissance qu'il avait d'effacer les crimes de tout l'univers en les prenant sur
lui. Cette réflexion de l'Evangéliste : « Il ne dit pas cela de lui-même,
» nous apprend qu'il y a des choses que nous pouvons dire par nous-mêmes, sans
avoir besoin pour cela d'aucun secours étranger, mais qu'il en est d'autres qui
nous sont inspirées par une vertu secrète, bien que nous ne les comprenions
point dans toute leur étendue. Dans ce dernier cas, nous nous attachons au sens
que paraissent présenter les choses que nous disons, mais sans comprendre dans
quelle intention elles nous ont été dictées. C'est ainsi que Caïphe ne dit rien
ici de lui-même, et ne pense point faire une véritable prophétie, parce qu'il
ne comprend pas le sens prophétique des paroles qu'il prononce. Tels étaient
ces prétendus docteurs de la loi dont parle saint Paul : « Qui n'entendent ni
ce qu'ils disent, ni ce qu'ils affirment. » (1 Tm 1, 7) — S. AUG. (Traité 49.) Nous apprenons
par cet exemple que des hommes livrés au mal peuvent recevoir l'esprit de
prophétie pour prédire l'avenir, ce que l'Evangéliste attribue à un conseil
secret de la divine providence, parce que Caïphe était grand-prêtre cette
année. — S. CHRYS. (hom. 65.)
Voyez combien grande est la puissance de l'Esprit saint, qui peut faire sortir
d'un esprit corrompu un oracle prophétique ! Voyez aussi la grandeur et la
vertu du pouvoir pontifical. Caïphe est grand-prêtre, tout indigne qu'il est de
cet honneur, et il prophétise sans savoir ce qu'il dit : La grâce ne s'est
servi que de ses lèvres, et n'effleura même pas le cœur de cet homme
profondément corrompu. — S. AUG. Caïphe
ne prophétisa que de la seule nation des Juifs, dans laquelle se trouvaient les
brebis, dont le Seigneur a dit lui-même : « Je ne suis envoyé qu'aux
brebis qui ont péri de la maison d'Israël. » (Mt 15) Mais l'Evangéliste
savait qu'il y avait d'autres brebis qui n'étaient pas de cette bergerie et
qu'il fallait amener au bercail (Jn 10) ; et c'est pour cela qu'il
ajoute : « Et non seulement pour la nation, mais afin de rassembler en un seul
corps les enfants de Dieu. Il se place ici au point de rue de la
prédestination, car les Gentils n'étaient alors ni les brebis, ni les enfants
de Dieu.
S. GREG. (Moral.,
6, 12 ou 13 dans
les anc.) Les ennemis de Jésus mirent donc à exécution le dessein criminel
qu'ils avaient formé. Ils firent mourir Jésus-Christ, pour empêcher la piété
des fidèles de s'attacher à lui ; mais la foi grandit et s'accrut par les
moyens mêmes que la cruauté des impies avait pris pour l'éteindre, et Jésus fit
servir à l'accomplissement de ses desseins miséricordieux ce que la cruauté des
hommes avait inventé contre lui. — ORIG.
(Traité 28.) Ces paroles de Caïphe les enflammèrent de colère, et
ils résolurent dès lors de mettre à mort le Seigneur : « Depuis ce jour ils
pensèrent à le faire mourir. » Si ce n'est point par l'inspiration de l'Esprit
saint que Caïphe a prophétisé ; il y eut un autre esprit qui parla par la
bouche de cet impie et qui excita ses semblables contre Jésus-Christ. Si
cependant on veut absolument que l'Esprit saint ne soit pas étranger aux
paroles de Caïphe et à la délibération qui suivit, on peut dire que de même
qu'on voit des hommes faire servir à l'établissement de leur monstrueuse
doctrine les saintes Ecritures qui ont pour objet l'utilité des fidèles, de
même les pharisiens, en ne prenant point dans son vrai sens la prophétie
véritable qui avait le Christ pour objet, en ont tiré comme conclusion le
dessein de le mettre à mort. — S. CHRYS.
(hom. 65.) Ils cherchaient depuis longtemps à le faire mourir, et ils s'affermirent plus que
jamais dans leur dessein.
ORIG. (Traité
28.) Jésus ayant appris la résolution
que les prêtres et les pharisiens avaient prise dans leur conseil de le mettre
à mort, s'environna de plus de précautions, et ne se montra plus avec autant de
confiance au milieu des Juifs. Il choisit pour retraite non une cité populeuse,
mais une petite ville éloignée et située près du désert : « C'est pourquoi
Jésus ne se montrait plus en public parmi les Juifs, » etc. — S. AUG. (Traité 19.) Ce n'est pas
que sa puissance lui fit défaut, et il aurait très bien pu, s'il avait voulu,
demeurer publiquement au milieu des Juifs, sans avoir rien à craindre, mais il
voulut apprendre par son exemple à ses disciples, qu'il n'y a pour eux aucun
péché à se dérober à la haine de leurs persécuteurs, et qu'il vaut mieux
échapper en se cachant à leur fureur sacrilège, que de la rendre plus ardente
en paraissant à leurs yeux. — ORIG. Il
est beau et louable pour confesser le nom de Jésus, de ne point rougir d’affronter le combat qui se
présente, et de ne point refuser de souffrir la mort pour la défense de la
vérité ; mais il n'est pas moins louable de ne point donner occasion à une si
grande épreuve, non-seulement parce que nous ne pouvons pas prévoir l'issue
d'un si grand combat, mais parce que nous devons éviter de donner aux impies et
aux méchants les moyens augmenter leur impiété et leurs crimes ; car si celui
qui devient pour un autre une occasion de péché, portera nécessairement la
peine de ce péché, celui qui ne fuit point la persécution, lorsqu'il le peut, ne
sera-t-il pas aussi responsable du crime de son persécuteur ? Et non-seulement
le Seigneur se rendit dans cet endroit écarté, mais pour ôter tout motif à ses
ennemis de le chercher, il y conduisit avec lui ses disciples : « Et il y
demeurait avec ses disciples. » — S. CHRYS.
Combien les disciples durent être troublés en voyant leur divin Maître
échapper au danger par des moyens humains, et comme forcé de chercher un refuge
pour se dérober à la poursuite de ses ennemis ? Tous sont dans la joie et
l'allégresse qui accompagnent les grandes solennités, eux, au contraire, se
cachent exposés qu'ils sont à de grands dangers ; cependant ils persévèrent
avec le Sauveur, suivant la parole qu'il leur avait dite : « C'est vous qui
êtes demeurés avec moi au milieu de mes épreuves. »
ORIG. Dans le sens anagogique, on
peut dire que Jésus demeurait avec confiance au milieu des Juifs, alors que le
Verbe divin habitait avec eux dans la personne des prophètes ; mais il s'en est
retiré, et le Verbe de Dieu n'est plus avec les Juifs. Il se rendit dans une
petite ville qui était près du désert et dont le prophète a dit : « Les
enfants de la femme abandonnée (ou déserte) sont plus nombreux que les enfante
de l'épouse. » Cette ville s'appelait Ephrem, qui veut dire fertilité ; or, Ephraïm fut le frère de Manassé, c'est-à-dire, du peuple ancien
livré à l'oubli, car c'est après que ce peuple eut été livré à l'oubli et
abandonné, que l'abondance sortit du milieu des nations. Nôtre-Seigneur quitte
donc la Judée et vient dans la terre de tout l'univers, auprès de l'Eglise
déserte et abandonnée, et dont le nom veut dire cité féconde, et il y demeure
avec ses disciples.
S. AUG. (Traité
50 sur S. Jean.) Celui qui était descendu du ciel pour souffrir, ne
voulut pas s'éloigner du lieu de sa passion, parce que l'heure de sa mort
approchait : « Or, la Pâque des Juifs était proche, » etc. Les Juifs n'avaient
que l'ombre de la vraie Pâque, nous en avons la lumière; le haut des portes des
maisons juives était marqué du sang de l'agneau immolé, nos fronts sont marqués
du sang de Jésus-Christ. Les Juifs ont voulu ensanglanter ce jour en répandant
le sang du Seigneur, et l'Agneau qui a été immolé a consacré à jamais ce jour
de fête par son sang. La loi faisait un précepte aux Juifs de se réunir pour cette
fête à Jérusalem, de toutes les parties de la Judée, et de se sanctifier par la
célébration de cette grande fête : « Un grand nombre de Juifs, dit
l'Evangéliste, montèrent de la province à Jérusalem avant la Pâque, pour se
purifier. » — THEOPHYL. Ils se
rendirent à Jérusalem avant la Pâque pour se purifier, parce que ceux qui
s'étaient rendus coupables d'une faute volontaire ou involontaire ne
célébraient point la Pâque avant de s'être purifiés, selon la coutume, par des
bains, par des jeûnes, en se rasant les cheveux, et aussi en faisant les
offrandes qui étaient commandées à cet effet. C'est donc pendant le temps
qu'ils accomplissaient ces purifications légales qu'ils cherchent à tendre des
pièges au Sauveur. « Ils cherchaient donc Jésus, et se disaient les uns aux
autres : Que pensez-vous de ce qu'il n'est pas venu pour la fête ? » — S. CHRYS. (hom. 65.) Ils lui
tendent des embûches jusque dans cette fête de Pâque, et font de cette grande
solennité un temps de meurtre et d'homicide. — Omet. Aussi l'Evangéliste ne dit
pas : La Pâque du Seigneur, mais : « La Pâque des Juifs, » parce qu'ils
dressaient des embûches au Seigneur dans cette fête. — ALCUIN. Les Juifs cherchaient Jésus-Christ avec de mauvaises
intentions; pour nous, nous le cherchons en restant dans le temple à nous
consoler, à nous exhorter mutuellement, et à demander qu'il se rende à notre
jour de fête, et nous sanctifie par sa présence. — THEOPHYL. S'il n'y avait que le peuple pour s'occuper de ce
dessein sanguinaire, on pourrait dire que sa passion a été le résultat de
l'ignorance, mais ce sont les pharisiens eux-mêmes qui donnent l'ordre de se
saisir du sa personne : « Or, les pontifes et les pharisiens avaient donné
ordre que si quelqu'un savait où il était, il le déclarât, afin qu'ils le fissent
prendre. » — ORIG. Remarquez
qu'ils ignoraient où il était ; car, nous avons dit qu'il avait quitté la ville
de Jérusalem. Vous irez ajouter qu'en cherchant à tendre des pièges à Jésus,
ils ne auvent où il est, et qu'ils donnent des commandements bien différents
des commandements divins, en enseignant des maximes et des ordonnances tout
humaines. — S. AUG. Pour nous, indiquons aux Juifs où Jésus se trouve
maintenant. Plaise à Dieu qu'ils veuillent nous entendre et se saisir de lui !
Qu'ils viennent dans l'Eglise, qu'ils apprennent où se trouve Jésus-Christ, et
qu'ils s'emparent de sa personne.
ALCUIN. Le temps où le Sauveur avait
résolu de souffrir approchait ; il se rapprocha donc aussi du lieu où il devait
accomplir la mystérieuse économie de sa passion : « Jésus donc, six jours avant
la Pâque, vint à Béthanie. » Il se rend d'abord à Béthanie, puis à Jérusalem ;
à Jérusalem pour y souffrir, à Béthanie pour que la résurrection de Lazare
s'imprimât plus profondément dans la mémoire de tous ; et c'est pour cela que
l'Evangéliste ajoute : « Où était mort Lazare, qu'il avait ressuscite. »
théophyi. Le dixième jour du mois, les
Juifs prennent un agneau pour l'immoler dans les fêtes de Pâques ; c'est de ce
jour que commence pour eux les solennités de cette fête. Voilà pourquoi le
neuvième jour du mois, qui précède le dixième jour avant la Pâque, ils font un
festin splendide, et ce jour est comme l'ouverture de cette grande fête ; c'est
pour cela que Jésus, venant à Béthanie, prend part à on festin de ce genre : «
On lui prépara là un souper, » etc. En nous disant que Marthe servait à table,
l'Evangéliste nous fait entendre que ce repas avait lieu dans sa maison. Mais
considérez la foi de cette femme ; elle ne charge pas les femmes de service de
servir à table, elle veut elle-même remplir cet office. L'Evangéliste nous
donne encore une preuve évident la résurrection de Lazare, en ajoutant :
« Lazare était un de ceux qui étaient assis à table avec lui. » — S. AUG. (Traité 50 sur S. Jean.)
Il était donc vivant, il parlait, il mangeait, la vérité se montrait au
grand jour, et l'incrédulité des Juifs était confondue.
S. CHRYS. (hom.
65.) Quant à Marie, elle ne s'occupe point du service ordinaire, elle est
tout entière à l'honneur qu'elle veut rendre à son divin Maître, et elle
s'approche de lui non comme d'un homme, mais comme d'un Dieu: « Or, Marie prit
une livre de parfum de nard pur, d'un grand prix, le répandit sur les pieds de
Jésus, et les essuya avec ses cheveux, » etc. — S. AUG. Le mot pistici indique probablement le lieu d'où
venait ce parfum précieux. —ALCUIN. Ou
bien, ce mot ajouté à celui de parfum, veut dire qu'il était pur (de fides),
et n'était mélangé d'aucune substance étrangère. Marie était cette femme
pécheresse qui était déjà venue trouver le Seigneur dans la maison de Simon,
avec un vase de parfum. — S. AUG. (de
l'accord des Evang., 2, 79.) Ce fait, qui se
répète à Béthanie, est différent de celui que raconte saint Luc ; mais il est
également raconté par les trois autres évangélistes, saint Jean, saint Matthieu
et saint Marc. Dans saint Matthieu et dans saint Marc, le parfum est répandu
sur la tète; dans saint Jean, il est répandu sur les pieds ; mais nous devons
entendre que Marie le répandit non-seulement sur la tête, mais encore sur les
pieds du Seigneur. C'est comme par récapitulation que saint Matthieu et saint
Marc parlent de ce fait, qui eut lieu à Béthanie, six jours avant la Pâque, et
qu'ils racontent le repas dont parle ici saint Jean, et du parfum qui fut
répandu sur le Sauveur.
« Et la maison fut remplie de l'odeur du parfum. » —
S. AUG. (Traité 80.) Rappelez-vous ces paroles de l'Apôtre : « Aux uns
nous sommes une odeur de mort pour la mort, et aux autres une odeur de vie pour
la vie, » (2 Co 2, 16) et vous comprendrez par ce parfum comment il
était pour les uns une bonne odeur qui donnait la vie, et pour les autres une
mauvaise odeur qui donnait la mort : « Alors un de ses disciples, Judas
Iscariote, qui devait le trahir, dit : Pourquoi n'a-t-on pas vendu ce parfum
trois cents deniers, » etc. — S. AUG. Les autres évangélistes disent que
les disciples murmurèrent également à la vue de ce parfum répandu, saint Jean
ne parle que de Judas, on peut donc dire que saint Matthieu et saint Marc ont
voulu désigner Judas sons le nom des disciples en général, en mettant le
pluriel pour le singulier. On peut encore dire que les disciples eurent la même
pensée que Judas, ou qu'ils l'exprimèrent, ou que Judas leur fit partager sa
manière de voir, et que saint Matthieu et saint Marc ont exprimé ce qu'ils
pensaient intérieurement. Mais Judas parle ainsi parce que c'était un voleur,
et les autres par intérêt pour les pauvres, et Jean n'a cru devoir ici
mentionner que celui dont il voulait faire apparaître l'habitude de voler : « Il
dit cela, non qu'il se souciât des choses, mais parce qu'il était voleur, et
qu'ayant la bourse, il portait ce qu'on y déposait. » — ALCUIN. Son devoir était de la porter, son crime de la voler.
S. AUG. La perversion de Judas ne date pas seulement
du jour où il reçut des Juifs la somme d'argent pour leur livrer
Nôtre-Seigneur, bien auparavant il avait la passion du vol, il était déjà
perdu, et suivait Jésus, non de cœur, mais de corps seulement. Le Seigneur
voulut nous apprendre ainsi à supporter les méchants pour ne point diviser le
corps de Jésus-Christ. Celui qui vole l'Eglise en quelque chose, est semblable
au traître Judas. Si vous êtes bon, tolérez les mauvais pour obtenir la
récompense des bons, et ne point partager le supplice des méchants. Prenez exemple sur la conduite du Seigneur, lorsqu'il vivait
sur cette terre ; pourquoi lui qui avait les anges pour le servir, voulût-il
que ses disciples eussent une bourse à son usage, sinon pour nous apprendre
qu'il serait aussi permis à son Eglise d'avoir de l'argent en réserve ?
Pourquoi permit-il qu'il y eût un voleur dans sa compagnie, si ce n'est pour
enseigner à son Eglise à supporter les voleurs qu'elle aurait dans son sein ?
Remarquez cependant que celui qui avait contracté l'habitude de voler son maître,
n'hésita pas à vendre le Seigneur pour une somme d'argent.
S. CHRYS. (hom.
65.) Jésus lui confia, quoiqu'il fût un voleur, la bourse des pauvres, pour
ôter tout prétexte, toute excuse à sa trahison, car il ne peut alléguer que
c'est le désir d'avoir de l'argent qui l'avait porté à cet excès, puisqu'il
trouvait dans la bourse qu'il portait de quoi satisfaire abondamment ce désir.
— THEOPHYL. Il en est qui pensent
que Judas fut chargé de l'emploi et de la distribution de l'argent, comme le
dernier des apôtres, car l'administration de l'argent est inférieure à la
prédication de la doctrine, selon ce que disent les Apôtres eux-mêmes : « Il
n'est pas juste que nous abandonnions la parole de Dieu pour le service des
tables. » (Ac 6, 2.)
S. CHRYS. Cependant
Jésus-Christ fait preuve de la plus grande bonté à l'égard de Judas, il ne lui
reproche pas les vols qu'il a commis, il donne à l'action de cette femme une
excuse générale : « Jésus lui dit donc : Laissez-la réserver ce parfum
pour le jour de ma sépulture. » — ALCUIN. Nôtre-Seigneur prédit ainsi
qu'il doit mourir et que son corps doit être embaumé avec des parfums, et comme
Marie, malgré tout son désir, ne pourrait embaumer son corps après sa mort qui
devait être suivie d'une résurrection si prompte, il lui permet de lui rendre
cet hommage pendant sa vie. — S. CHRYS. En
rappelant le souvenir de sa sépulture, il veut encore donner un avertissaient à
son traître disciple, et il semble lui dire : Je vous suis à charge, ma
présence vous pèse, mais attendez un peu, et je m'en irai ; c'est ce que
signifient ces paroles : « Vous avez toujours des pauvres avec vous, mais vous
ne m'aurez pas toujours. » — S. AUG. Il parlait ici de sa présence
corporelle, car sous le rapport de sa puissance divine, de sa providence, de sa
grâce ineffable et invisible, il accomplit cette promesse qu'il a faite à ses
disciples : « Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles.
» Ou bien encore, Judas est la figure de tous les méchants ; si vous êtes bon,
vous jouissez de la présence de Jésus-Christ par la foi dans son sacrement, et
vous en jouirez toujours, car vous ne sortirez de cette vie que pour aller
trouver celui qui a dit au bon larron : « Aujourd'hui vous serez avec moi dans
le paradis. » Mais si votre conduite est mauvaise, vous paraîtrez jouir de la
présence de Jésus-Christ pendant cette vie, parce que vous avez reçu son
baptême, parce que vous vous approchez de son autel, mais votre vie criminelle
vous la fera bientôt perdre, Jésus ne dit pas : Tu as, mais : « Vous avez, »
parce que dans un seul homme mauvais, il voit la figure de tous les méchants. «
Une grande multitude de Juifs surent qu'il était là, et ils vinrent, non à
cause de Jésus seulement, mais pour voir Lazare qu'il avait ressuscité
d'entre les morts. » C'est
la curiosité qui les amène et non la charité. — THEOPHYL. Ils désiraient voir celui qu'il avait ressuscité, dans
l'espérance d'apprendre de Lazare quelque nouvelle des enfers.
S. AUG. (Traité 30.) Ce miracle que
Nôtre-Seigneur avait opéré, portait avec lui un caractère si éclatant
d'évidence, il avait reçu d'ailleurs une si grande publicité, qu'ils ne
pouvaient ni le dissimuler, ni le nier, que firent-ils donc ? Ils formèrent le
projet de faire mourir Lazare. Projet insensé, cruauté aveugle ! Est-ce que le
Seigneur, qui a pu ressusciter un homme mort, ne pourrait le ressusciter s'il
était tué ? Voici qu'il a fait l'un et l'autre : Il a ressuscité Lazare qui
était mort, et il s'est ressuscité lui-même, après que les Juifs l'eurent fait
mourir de mort violente. — S. CHRYS. (hom.
66.) Aucun miracle de Jésus-Christ ne leur causa une si grande fureur, il
était un des plus éclatants, il avait été fait devant un grand nombre de
témoins, et c'était un spectacle vraiment extraordinaire que de voir marcher et
parler un mort de quatre jours. On peut
dire encore que dans d'autres circonstances, ils croyaient pouvoir détacher la
multitude de Jésus, en l'accusant de violer la loi du sabbat, mais comme ici
ils ne pouvaient formuler contre lui aucune accusation, ils tournent tous leurs
efforts contre Lazare ; c'est ce qu'ils eussent fait à l'égard de l'aveugle-né,
s'ils n'avaient cru pouvoir accuser Jésus d'avoir violé la loi du sabbat.
Peut-être encore, comme l'aveugle-né était de condition obscure, se
contentèrent-ils de le chasser du temple, Lazare, au contraire, était d'une
famille distinguée, comme on le voit par le grand nombre de ceux qui étaient
venus pour consoler ses sœurs. Ce qui les blessait encore profondément, c'est
que tout le monde quittait la fête qui commençait pour se rendre à Béthanie.
ALCUIN, Dans le sens mystique,
Jésus, en venant à Béthanie six jours avant la Pâque, nous apprend que celui
qui avait fait tout l'univers en six jours, et créé l'homme le sixième jour,
était venu racheter le monde au sixième âge du monde, le sixième jour de la
semaine et à la sixième heure. Le festin que l'on prépare au Seigneur, c'est la
foi de l'Eglise qui opère par la charité. (Gal 5, 7) Marthe sert le
Seigneur dans toute âme fidèle qui offre à Jésus l'hommage de sa piété et de sa
dévotion. Lazare, qui était un de ceux qui étaient assis à table avec lui, est
la figure des pécheurs qui, après être morts au péché, sont ressuscites à la
justice, se réjouissent de la présence de la vérité avec ceux qui ont persévéré
dans la justice, et se nourrissent avec eux des dons de la grâce céleste. C'est
à Béthanie que se célèbre ce festin, et avec raison, car Béthanie veut dire maison
de l'obéissance, et l'Eglise est vraiment la maison de l'obéissance. — S. AUG. Le parfum que Marie répandit sur
les pieds de Jésus, est le symbole de la justice, et c'est pour cela qu'il y en
avait une livre. C'était un parfum de nard pur d'un grand prix, car le mot pistici,
veut dire foi. Vous cherchiez à opérer la justice ? Rappelez-vous que le
juste vit de la foi. Couvrez de parfums les pieds de Jésus par une vie sainte,
suivez les traces du Seigneur, essuyez ses pieds avec vos cheveux,
c'est-à-dire, si vous avez du superflu, donnez-le aux pauvres, et vous aurez
essuyé les pieds du Seigneur, car les cheveux sont comme une partie superflue
du corps. — ALCUIN. Remarquez que
la première fois elle n'avait répandu ses parfums que sur les pieds de Jésus;
ici elle les répand à la fois sur les pieds et sur la tête ; d'un côté ce sont
les commencements de la vie pénitente, de l'autre c'est la justice des âmes
parfaites, car la tête du Seigneur figure la hauteur sublime de sa divinité, et
ses pieds l'humilité de son incarnation ; ou bien encore la tête, c'est
Jésus-Christ lui-même, les pieds ce sont les pauvres qui sont ses membres. — S. AUG. La
maison fut remplie de l'odeur du parfum, c'est-à-dire, que le bruit de cette
action s'est répandue dans le monde entier comme un parfum d'agréable odeur.
S.
CHRYS. La loi ordonnait que le
dixième jour de la lune du premier mois, chacun prît un agneau ou un chevreau,
et le gardât dans sa maison jusqu'au quatorzième jour de ce mois, au soir
duquel on devait l'immoler (Ex 12) ; voilà pourquoi l'Agneau véritable,
l'Agneau sans tache, choisi dans tout le troupeau, et qui devait être immolé
pour la sanctification du peuple, se rendit à Jérusalem cinq jours avant son
immolation, c'est-à-dire, le dixième jour de la lune. — S. AUG. (Traité 51 sur S. Jean.)
Voulez-vous juger du fruit de la prédication du Sauveur et du grand nombre
de brebis (parmi celles qui avaient péri de la maison d'Israël), qui avaient
entendu la voix du pasteur, considérez ce que dit l'Evangéliste : « Le lendemain, une
foule nombreuse qui était venue pour la fête, ayant appris que Jésus venait à
Jérusalem, prit des rameaux de palmiers, » etc. Les rameaux de palmier sont les
louanges et l'emblème de la victoire que le Seigneur devait remporter sur la
mort en mourant lui-même, et du triomphe qu'il devait obtenir par le trophée de
la croix sur le démon, le prince de la mort.
S. CHRYS. (hom.
66.) Cette multitude témoignait à haute voix qu'elle voyait eu lui beaucoup
plus qu'un prophète : « En effet, dit l'Evangéliste, ils allèrent au-devant de
lui, en criant : hosanna, » etc. — S. AUG.
Le mot hosanna est une parole de supplication, qui exprime plutôt
un sentiment du cœur qu'une pensée déterminée, comme sont les mots qu'on
appelle dans la langue latine interjections. — BEDE. Ce mot est composé d'une abréviation et d'un mot
entier, osi veut dire sauvé, et anna est une interjection
suppliante. Le mot osi est abrégé, anna est entier, « Béni soit
celui qui vient au nom du Seigneur, » peut être entendu dans ce sens :
« Béni soit celui qui vient an nom de Dieu le Père, » bien qu'on puisse
aussi l'entendre de son propre nom, puisqu'il est aussi le Seigneur ; mais le
sens le plus vraisemblable de ces paroles nous est indiqué par ces autres du
Sauveur : « Je suis venu au nom de mon Père. » (Jn 10) Il ne perd pas sa
divinité en nous enseignant l'humilité.
S. CHRYS. Un
des plus puissants motifs qui porta la multitude à croire en Jésus-Christ,
c'est qu'il n'était pas contraire à Dieu, et ce qui frappait le plus l'esprit
du peuple, c'est qu'il disait qu'il venait du Père. De ces paroles nous tirons cette
conclusion qu'il était Dieu. En effet, le mot hosanna signifie sauvé.
Or, l'Ecriture n'attribue qu'à Dieu la puissance de sauver. Nous concluons
encore qu'il était vrai Dieu, parce qu'il vient et qu'il n'est pas conduit par
un autre ; car être conduit, indique qu'on est sous la dépendance de quelqu'un
tandis que venir soi-même, n'appartient qu'au Maître. Ce qu'ils ajoutent : « Au
nom du Seigneur, » exprime la même vérité ; car ils ne disent pas qu'il vient
au nom du serviteur, mais « au nom du Seigneur. »
S. AUG. Qu'était-ce
pour le Roi éternel des siècles de devenir le roi des hommes ? Jésus-Christ ne
fut pas roi d'Israël pour imposer des tributs, pour lever et armer des troupes,
mais pour gouverner les âmes et les conduire dans le royaume des cieux. Si donc
il a voulu être roi d'Israël, ce n'est point pour s'élever lui-même, mais par
bonté pour nous, c'est un témoignage de sa miséricorde, plutôt qu'une marque de
sa puissance ; car celui qui s'est appelé sur la terre le roi des Juifs, est
dans le ciel le roi des anges. — THEOPHYL.
Les Juifs le proclamaient roi d'Israël dans un sens conforme à leurs
rêves sur la royauté temporelle de leur Messie. Ils espéraient, en effet, voir
s'élever du milieu d'eux un roi dont la puissance surpasserait celle des rois
de la terre, et qui les affranchirait de la domination des Romains.
L'Evangéliste décrit ensuite l'entrée du Sauveur
dans la ville de Jérusalem : « Et Jésus trouva un ânon, » etc. — S. AUG. Saint Jean ne raconte que d'une
manière abrégée ce fait qui se trouve complètement développé dans les autres
évangélistes. Ce petit de l'ânesse sur lequel personne encore ne s'était assis, suivant la
remarque des autres évangélistes, est la figure du peuple des Gentils qui
n'avait pas encore reçu la loi du Seigneur, l'ânesse (puisque l'un et l'autre
furent amenés au Seigneur) était le symbole du peuple fidèle qui se forma au
milieu du peuple d'Israël. — S. CHRYS. En
montant sur cet ânon, Nôtre-Seigneur nous enseigne figurativement qu'il doit
s'assujettir le peuple immonde des nations, et il accomplit en même temps une
prophétie. — S. AUG. L'Evangéliste joint au récit de ce fait un oracle
prophétique pour faire voir que les princes des Juifs, aveuglés par leur
méchanceté, ne comprenaient point que les prophéties qu'ils lisaient
s'accomplissaient en Jésus-Christ : « Selon ce qui est écrit : Ne craignez
point, fille de Sion, voici votre Roi qui vient, assis sur le petit d'une
ânesse. » C'est dans le peuple juif que se trouvait la fille de Sion, la ville
de Jérusalem est elle-même cette Sion, à qui il est dit : « Ne craignez point.
» Reconnaissez celui qui est l'objet de vos louanges, et ne soyez point
effrayée lorsque vous le verrez souffrir, car le sang qui est répandu doit
effacer vos crimes et racheter votre vie. — S. CHRYS. Ou bien encore, comme les rois des Juifs avaient été
injustes pour la plupart, et avaient jeté leurs peuples dans des guerres sans
fin, le prophète dit ici : Ce roi ne leur est pas semblable, il est plein de
douceur et de mansuétude, comme le prouve l'âne qu'il choisit pour monture ;
car il n'entre pas à la tête d'une armée, il entre assis sur son ânon.
Voyez l'humilité de l'Evangéliste, il ne rougit pas
de faire connaître l'ignorance où ils étaient
alors : « Ses disciples ne comprirent pas ceci d'abord, mais quand Jésus
fut glorifié, alors ils se souvinrent, » etc. — S. AUG. Lorsque Nôtre-Seigneur
eut fait éclater la vertu de sa résurrection, ils se souvinrent alors que ces
choses étaient écrites de lui, et que ce qu'ils avaient fait à son égard en
était l'accomplissement, c'est-à-dire qu'ils n'avaient fait autre chose que ce
qui était prédit de lui. » — S. CHRYS. Leur
ignorance venait de ce que Jésus ne leur avait pas révélé qu'il allait
accomplir cette prophétie ; car il les eût scandalisés en leur faisant
connaître qu'il soumettrait sa royauté à cette humiliation, ils n'eussent point
compris tout d'abord quel était le royaume dont il leur parlait, et ils
auraient cru qu'il s'agissait d'un royaume temporel.
THEOPHYL. Considérez ici
l'enchaînement des faits qui amenèrent la passion du Sauveur. Il ressuscita
Lazare, réservant ce miracle pour le dernier, et la vue et le bruit de ce
miracle déterminèrent nu grand nombre de Juifs à croire en lui : « C'est
ainsi que lui rendait témoignage la multitude qui était avec lui, lorsqu'il
appela Lazare du tombeau, et le ressuscita d'entre les morts. » C'est pour cela
aussi que le peuple vint en foule au-devant de lui, parce qu'il avait appris
que Jésus avait fait ce miracle. De là l'envie haineuse et les embûches des
pharisiens : « Les pharisiens se dirent donc entre eux : Vous voyez que nous ne
gagnons rien, voilà que tout le monde court après lui. » — S. AUG. (Traité 51.) Cette
multitude trouble une autre multitude. Mais pourquoi cette multitude aveugle se
laisse-t-elle aller à la jalousie ? parce que le monde s'empresse autour de
celui par qui le monde a été fait. — S. CHRYS.
Le monde ici est pris pour la multitude. Ces paroles, du reste, me
paraissent venir de ceux qui étaient animés de bons sentiments à l'égard de
Jésus, mais qui n'osaient les faire connaître, et qui s'efforçaient par cette
considération de détourner les autres de leur projet comme d'une chose dont
l'exécution était impossible. — THEOPHYL.
Ils semblent leur dire : Plus vous cherchez à lui tendre des embûches,
plus vous le grandissez, et rendez sa gloire éclatante. Quel fruit donc
retirez-vous de tant d'efforts ?
BEDE. Le temple élevé à Dieu dans
la ville de Jérusalem avait une si grande célébrité, qu'aux jours de fête,
non-seulement ceux qui étaient voisins, mais une nombreuse multitude accourue
des points les plus éloignés de l'univers encombrait la ville ; comme les Actes
des Apôtres nous l'apprennent de l'eunuque de Candace, reine d'Ethiopie. (Ac
8) C'est d'après cet usage que les Gentils, dont il est ici question,
étaient venus pour adorer Dieu : « Or, parmi ceux qui étaient venus pour adorer
en ces jours de fête, il y avait quelques Gentils. » — S. CHRYS. Ils étaient sur le point de se
faire prosélytes.
Attirés par la réputation du Sauveur, ils désirent le voir : « Ils
s'approchèrent donc de Philippe qui était de Bethsaide, de Galilée, et le
prièrent disant : Seigneur, nous voudrions voir Jésus. » — S. AUG. Voici que les Juifs veulent le
mettre à mort, tandis que les Gentils désirent le voir, et aux Gentils se
joignent ceux d'entre les Juifs qui criaient : « Béni soit celui qui vient au
nom du Seigneur ! » Ainsi les uns viennent du peuple de la circoncision,
les autres, du peuple des incirconcis, comme deux murailles qui ont un point de
départ différent, et se réunissent par un baiser de paix dans la même foi de
Jésus-Christ.
« Philippe le vint dire à André. » — S. CHRYS. Comme étant plus ancien que lui
dans l'apostolat. Ils avaient, en effet, entendu dire au Sauveur : « N'allez
pas dans la voie des nations. » (Mt 10) Philippe croit donc,
devoir soumettre la question à André avant d'en référer à leur divin Maître : «
Et André et Philippe le dirent à Jésus. » — S. AUG. (Traite 51) écoutons donc la réponse de la
pierre angulaire : « Jésus leur répondit : L'heure est venue que le Fils de
l'homme doit être glorifié. » Quelqu'un pourrait penser peut-être que Jésus
annonce qu'il va être glorifié, parce que les Gentils désirent le voir ; non il
n'en est pas ainsi. Jésus prévoyait que les Gentils de toutes les parties de
l'univers croiraient en lui après sa passion et sa résurrection. Il prend donc
occasion de ces Gentils qui désirent le voir, pour prédire la conversion future
de toute la Gentilité, et il annonce la venue prochaine de l'heure de sa
glorification dans les cieux, qui devait être suivie de la conversion à la foi de tous les
Gentils. C'est ce que le Roi-prophète avait prédit : « Soyez exalté, ô
Dieu, au-dessus des deux, et que votre gloire éclate par toute la terre. »
(Ps 56, 12 ; 107, 6.) Mais
cette haute élévation dans la gloire a dû être précédée par les humiliations de
la passion. Aussi le Sauveur ajoute : « En vérité, en vérité, je vous le dis :
Si le grain de froment qui tombe dans la terre, ne meurt, il demeure
seul ; mais s'il meurt, il produit beaucoup de fruits. » Ce grain de
froment c'était lui que l'incrédulité des Juifs devait faire mourir, et qui
devait se multiplier par la foi des peuples. — BEDE. Il est, en effet, ce grain qui a été semé de la semence
des patriarches dans le champ du monde, c'est-à-dire qui s'est incarné pour
mourir et ressusciter en se multipliant au centuple. Lui seul est mort, mais il
est ressuscité avec un grand nombre d'autres.
S. ghrts. Comme
les paroles du Sauveur ne portaient pas toujours la persuasion dans les cœurs,
il a recours à cette comparaison, parce que le froment est une des graines qui
produit le plus de fruit lorsqu'elle est morte. Or, si ce phénomène se
manifeste dans les semences, à plus forte raison se produira-t-il en moi.
Nôtre-Seigneur devait dans la suite envoyer ses disciples vers les Gentils, et
il les voit déjà venir d'eux-mêmes avec ardeur pour embrasser la foi, il
annonce donc que le moment est venu pour lui de souffrir le supplice de la
croix ; car il n'envoya point ses Apôtres vers les nations avant que les Juifs
se fussent brisés eux-mêmes contre la pierre, avant qu'ils l'eussent crucifié :
Et, comme il prévoyait que sa mort devait jeter ses disciples dans une profonde
tristesse, il expose pleinement la doctrine de la croix, et semble dire à ses
disciples : Il ne suffit pas que vous supportiez ma mort avec patience ; si
vous ne mourez vous-mêmes, vous n'avez aucun fruit à espérer de ma mort : «
Celui qui aime son âme, la perdra. » — S. AUG.
On peut entendre ces paroles de deux manières : la première, « celui qui
aime son âme, la perdra ; » c'est-à-dire, si vous l'aimez véritablement,
n'hésitez pas à la perdre ; si vous désirez obtenir la vie, qui est en
Jésus-Christ, ne craignez pas de souffrir la mort pour Jésus-Christ. Ou bien :
« Celui qui aime son âme, la perdra. » N'aimez donc point votre âme dans
cette vie, pour ne point la perdre dans la vie éternelle. Cette seconde
interprétation est plus conforme à l'ensemble du texte évangélique, où nous
lisons ensuite : « Et celui qui hait son âme dans ce monde, » etc. Donc, dans
le membre de phrase précédent : « Celui qui aime, » il faut sous-entendre
: En ce monde. — S. CHRYS. (hom.
67.) Or, aimer son âme en ce monde, c'est satisfaire ses désirs criminels ;
haïr son âme, c'est résister à ses désirs coupables. Et remarquez que
Nôtre-Seigneur ne dit pas : Celui qui ne se rend pas aux désirs de son âme,
mais : « Celui qui la hait. » Lorsque nous avons de la haine contre
quelqu'un, nous ne pouvons entendre sa voix, sa présence nous est désagréable ;
ainsi lorsque notre âme nous suggère des pensées contraires à la loi de Dieu,
nous devons la repousser avec horreur. — THEOPHYL.
Comme cette obligation de haïr son âme pouvait paraître bien dure, le
Sauveur adoucit cette dure obligation en ajoutant: « En ce monde, »
paroles qui annoncent la brièveté de l'épreuve; il ne nous commande pas de haïr
notre âme pour toujours, et il nous fait savoir quel sera le prix de ce
sacrifice : « Il la conservera pour la vie éternelle. » — S. AUG. Mais prenez garde de vous laisser
aller à la pensée de vous donner la mort à vous-même par une fausse
interprétation de ce précepte : « Qu'il faut haïr son âme eu ce monde. »
C'est ainsi que l'entendent certains hommes pervers et mal inspirés, qui se
rendent coupables d'homicide et trouvent la mort en se jetant dans les flammes,
en s'étouffant dans les eaux, en se précipitant d'un lieu élevé (1). Ce n'est
pas ce que Jésus-Christ a enseigné ; au contraire, lorsque le démon lui
eut conseillé de se jeter du haut du temple, il lui répondit : « Retire-toi,
Satan. » Lors donc que vous vous trouvez dans cette alternative ou
d'enfreindre un précepte divin, ou de sortir de cette vie sous la menace de
mort d'un persécuteur, c'est alors que vous devez haïr votre âme eu ce monde,
pour la conserver dans la vie éternelle.
S. CHRYS. (hom.
67.) Cette vie présente paraît pleine de douceur à ceux qui en sont
violemment épris, mais celui qui jette les yeux vers le ciel et qui considère
les biens qui l'y attendent, n'aura que du mépris pour la vie présente ; car,
en présence d'un plus grand bien , le bien qui est moindre n'a plus de valeur.
Or, Jésus-Christ nous conseille ce mépris, lorsqu'il nous dit : « Si quelqu'un
veut être mon serviteur, qu'il me suive ; » c'est-à-dire, qu'il marche sur mes
traces. Le Sauveur veut parler ici de la mort et de l'imitation par les œuvres,
car le serviteur doit nécessairement suivre celui qu'il sert. — S. AUG. Nôtre-Seigneur nous apprend
lui-même ce que c'est que le servir, en nous disant : » Si quelqu'un veut être
mon serviteur, qu'il me suive, » etc. Servir Jésus-Christ, c'est donc ne pas
chercher ses intérêts, mais ceux de Jésus-Christ. C'est ce que signifient ces
paroles : « Qu'il me suive, » c'est-à-dire,
qu'il marche dans mes voies, et non dans les siennes ; qu'il ne se contente pas
des œuvres extérieures de miséricorde, mais qu'il fasse tontes ses bonnes
œuvres pour Jésus-Christ, jusqu'à cette oeuvre de charité héroïque qui consiste
à donner sa vie pour ses frères. Mais quel en sera le fruit, quelle en sera la
récompense ? « Et où je suis, là sera aussi mon serviteur. » Que le
serviteur de Jésus-Christ l'aime d'un amour désintéressé, afin que la
récompense du dévouement à son service soit d'être avec lui. — S. CHRYS. (hom. 67.) Nôtre-Seigneur
nous apprend ainsi que la mort sera suivie de la résurrection : il dit : « Là
où je suis, » parce qu'avant même sa résurrection, il était dans ciel ; c'est
donc là que nous devons transporter nos pensées et nos affections.
« Si quelqu'un me sert, mon Père l'honorera. — S. AUG. C'est l'explication de ces paroles
: « Où je suis, là sera aussi mon serviteur. » Car, quel plus grand
honneur pour le fils adoptif, que d'être là où est le Fils unique ? — S. CHRYS. Il ne dit point : C'est moi qui
l'honorerai, mais : « Mon Père l'honorera. » Car, ils n'avaient pas encore
des idées convenables sur le Sauveur, et ils regardaient le Père comme lui
étant supérieur.
S. CHRYS. (hom.
67 sur S. Jean.) Aux exhortations que Notre-Seigneur faisait à ses
disciples, de ne craindre ni les souffrances ni la mort ; ils auraient pu
répondre qu'il lui était facile, à lui, qui était placé en dehors des douleurs
de notre humanité, de philosopher sur la mort et de les engager à supporter des
épreuves dont il était affranchi ; il prévient cette objection en leur faisant
voir qu'il est lui-même exposé aux mêmes dangers, et que cependant, à cause du
bien qui doit en résulter, il ne craint pas la mort. C'est ce qui lui fait
dire: « Et maintenant mon âme est troublée. » — S. AUG. (Traité 52.)
J'entends ces paroles : « Celui qui hait son âme en ce monde, la garde pour la
vie éternelle ; » et je me sens enflammé d'un saint mépris pour le monde, et la
vapeur légère de cette vie, quelque prolongée qu'elle soit, n'est rien à mes
yeux, l'amour des biens éternels me fait paraître viles toutes les choses de la
terre ; et voilà que j'entends de nouveau le Seigneur me dire : « Maintenant
mon âme est troublée. » Vous commandez à mon âme de vous suivre, mais je vois
que la vôtre est dans le trouble ; sur quel fondement m'appuyer, si la pierre
elle-même succombe ? Je reconnais, Seigneur, votre miséricorde ; c'est votre
charité qui est la cause de votre trouble, et vous voulez ainsi consoler et
sauver du désespoir, qui les perdrait, les membres si nombreux de votre corps,
qui sont troublés par suite des faiblesses nécessaires de leur nature. Notre
chef a donc voulu ressentir en lui toutes les affections de ses membres. Son
trouble ne vient donc point d'une cause étrangère, mais comme l'Evangéliste l'a
remarqué plus haut, il s'est troublé lui-même. — S. CHRYS. (hom. 67.) Aux approches de sa croix, il fait
paraître les sentiments qui sont propres à notre humanité, une nature qui a
horreur de la mort, et qui s'attache à la vie présente, et Il prouve ainsi
qu'il n'était point étranger aux fassions de notre humanité ; car ce n'est pas
plus un crime de désirer conserver la vie présente que ce n'est un crime
d'éprouver le besoin de la faim. Le corps de Jésus-Christ était pur de tout
péché, mais il n'était pas affranchi des infirmités de notre nature ; c'était
l'effet et la suite non de sa divinité, mais de son incarnation.
S. AUG. (Traité
52.) Enfin que l'homme qui désire suivre le Sauveur, apprenne à quel moment
il doit marcher à sa suite, voici peut-être une heure terrible ; on vous donne
le choix, ou de commettre l'iniquité, ou de souffrir la mort, votre âme faible
se trouble ; écoutez ce que Jésus ajoute : « Et que dirai-je ? » — BEDE. C'est-à-dire, que dirai-je que ce
qui peut être une leçon pour mes membres ? « Père, sauvez-moi de cette heure. »
— S. AUG. C'est ainsi qu'il vous
montre celui que vous devez invoquer, celui à la volonté duquel vous devez
subordonner la vôtre ; ne regardez donc pas comme une chute pour lui l'acte par
lequel il veut vous tirer de votre misère, il a pris sur lui nos infirmités,
pour enseigner à ceux qui sont dans la tristesse, à dire : « Non ce que je
veux, mais ce que vous voulez. » C'est ce que signifient les paroles suivantes
: « Mais c'est pour cela que je suis arrivé à cette heure. » — S. CHRYS. C'est-à-dire, je n'ai rien à
dire pour me dérober à la mort qui me menace, « car c'est pour cela que je suis
arrivé à cette heure ; » langage dont voici le sens : Malgré le trouble et
l'agitation auxquels vous êtes en proie, ne cherchez pas à vous soustraire à la
mort, puisque moi-même, malgré le trouble où mon âme est plongée, je ne demande
pas d'y échapper (car il faut supporter ce qui doit arriver) ; je ne dis pas :
Délivrez-moi de cette heure, mais au contraire : « Mon Père, glorifiez votre
nom. » Il montre ainsi qu'il meurt pour la vérité, ce qu'il appelle la
glorification du nom de Dieu. C'est en effet ce qui s'est vérifié, puisqu'après
le supplice de la croix, l'univers entier devait se convertir, connaître et
adorer le nom de Dieu, ce qui était autant la gloire du Fils que du Père, mais
Jésus ne dit rien de ce qui lui était personnel.
« Et une voix vint du ciel : Je l'ai glorifié,
et je le glorifierai encore. » — S. GREG.
(Moral., 28, 2.) C'est par le ministère d'un ange que Dieu fit
entendre ces paroles, puisque rien ne parait aux yeux, et qu'on entend
seulement une voix qui vient du ciel. Comme en parlant du haut des cieux, Dieu,
voulant être entendu de tous, s'est servi pour cela de l'intermédiaire d'une
créature raisonnable. — S. AUG. (Traité
52.) « Je l'ai glorifié, » avant
la création du monde, « et je le glorifierai encore » lorsqu'il ressuscitera
d'entre les morts ; ou bien encore, je l'ai glorifié, lorsqu'il est né d'une
Vierge, lorsqu'il a fait une multitude de miracles, lorsque l'Esprit saint est
descendu sur lui sous la forme visible d'une colombe ; et je le glorifierai de
nouveau lorsqu'il ressuscitera d'entre les morts, lorsqu'il sera exalté comme
Dieu an-dessus des cieux, et que sa gloire éclatera sur toute la terre.
« Or, la foule qui était là et qui avait entendu,
disait : C'est le tonnerre. » — S. CHRYS.
Cette voix était claire, et le sens de ces paroles facile à comprendre,
mais elle ne fit qu'une impression fugitive sur des esprits grossiers, charnels
et indolents. Les uns ne firent attention qu'au son de la voix, les autres
avaient bien remarqué que c'était une voix articulée, mais ils n'en savaient
pas encore le sens, et c'est d'eux que l'Evangéliste ajoute : « D'autres
disaient : Un ange lui a parlé. »
« Jésus répondit : Ce n'est pas pour moi que cette
voix est venue, c'est pour vous. » — S. AUG.
Cette voix n'apprenait donc point au Sauveur ce qu'il savait déjà, mais
elle donnait cette connaissance à ceux qui en avaient besoin. De même donc que
ce n'est point pour lui, mais pour nous que cette voix se fit entendre ; ainsi
ce n'est point pour lui, mais pour notre instruction qu'il permit que sou âme
fût troublée. — S. CHRYS. (hom.
67.) La voix du Père se fait entendre ici pour répondre à ce qu'ils ne
cessaient de dire : que Jésus ne venait pas de Dieu, car comment Dieu
pourrait-il glorifier celui qui ne viendrait pas de Dieu ? Vous voyez que
toutes les actions empreintes d'un caractère plus humble, sont faites pour les
hommes et non pour le Fils, qui n'en avait nul besoin. Le Père a dit : « Je le
glorifierai. » Voici de quelle manière : « C'est maintenant le jugement du
monde. » — S. AUG. (Traité 52.)
Le jugement que nous attendons à la fin des siècles, sera le jugement des
récompenses et des châtiments éternels. Il y a encore un autre jugement, non de
condamnation, mais de discernement, c'est ce discernement que Jésus appelle
jugement, aussi bien que l'expulsion du démon des âmes, qu'il a rachetées :
« Maintenant le prince du monde sera jeté dehors. » Gardons-nous de croire
que le démon soit appelé le prince du monde dans ce sens qu'il exerce un empire
absolu dans le ciel et sur la terre ; le monde ici, c'est l'ensemble des hommes
méchants qui sont répandus sur toute la surface de la terre. Le prince de ce
monde, c'est donc le prince des méchants qui habitent le monde. Le monde est
pris aussi quelquefois pour les bons qui sont également répandus par tout
l'univers ; c'est dans ce sens que l'Apôtre dit : « Dieu était en Jésus-Christ,
se réconciliant le monde. » (2 Co 7) C'est de leurs cœurs que le
prince du monde devait être chassé, car le Seigneur prévoyait qu'après sa
passion et sa glorification, un grand nombre de peuples répandus dans tout
l'univers croiraient en lui. Le démon était dans leur cœur, et il est chassé
dehors quand ils renoncent an démon en embrassant la foi. Mais est-ce donc que
le démon n'a pas été chassé du cœur des justes de l'ancienne loi ? Pourquoi
donc le Sauveur dit-il ici : « Maintenant le prince du monde va être
jeté dehors ? » C'est-à-dire que ce qui ne s'est fait qu'en faveur d'un
très-petit nombre, doit se réaliser pour une multitude innombrable de peuples.
Mais dira-t-on encore : De ce que le démon a été chassé dehors, s'ensuit-il que
tous les fidèles soient à l'abri de ses tentations ? Tout au contraire, il ne
cesse de tenter les hommes, mais il y a une grande différence entre attaquer
extérieurement et régner dans l'intérieur de l'âme.
S. CHRYS. Mais
quel est ce jugement par lequel le démon est chassé ? La comparaison suivante
le fera comprendre : supposez un créancier impitoyable qui maltraite ses
débiteurs et les jette dans les fers, et qui, emporté par sa fureur insensée,
fait jeter dans le même cachot celui qui ne lui doit rien. Ce dernier lui fera
expier l'injustice des mauvais traitements qu'il a soufferts et de ceux qu'il a
fait souffrir aux autres. C'est ce qu'a fait Jésus-Christ ; il a tiré vengeance
du joug tyrannique que le démon a fait peser sur nous, et de son entreprise
insolente contre Jésus-Christ lui-même. Mais comment sera-t-il jeté dehors,
s'il triomphe du Sauveur lui-même ? Il répond à cette objection, en ajoutant :
« Et moi, quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tout à moi. » Comment,
en effet, celui qui entraîne les autres pourrait-il être vaincu ? Dire : «
J'attirerai tout à moi, » c'est dire plus que : « Je ressusciterai ; » car de
la prédiction qu'il ressusciterait, il ne s'ensuivait pas nécessairement qu'il
attirerait tout à lui, mais l'expression : « J'attirerai tout à moi, »
supposait les deux choses. — S. AUG. Or
quelles sont toutes ces choses qu'il doit attirer à lui, si ce n'est celles
dont le démon doit être chassé ? Remarquez qu'il ne dit pas : Je les attirerai
tous, car tous les hommes n'ont pas la même foi. Ces paroles ne se rapportent
donc pas à l'universalité des hommes, mais à l'ensemble de la nature humaine,
c'est-à-dire, à l'esprit, à l'âme, au corps, à ce qui est en nous la cause de
la pensée, de la vie, et à ce qui fait de nous des créatures visibles. Ou bien,
s'il faut entendre des hommes cette expression : « Toutes choses, » il faut
l'appliquer aux prédestinés ou à toutes les espèces d'hommes séparés entre eux,
à l'exception du péché, par d'innombrables différences. — S. CHRYS. Mais comment expliquer ce que
Nôtre-Seigneur dit plus haut, que : « Son Père nous attire ? » Parce que
c'est le Père qui attire, lorsque le Fils lui-même attire. Il dit :
« J'attirerai, » expression qui signifie qu'il délivre les captifs
de la tyrannie, et qu'il rend la liberté à ceux qui ne peuvent venir
d'eux-mêmes et briser les chaînes de leur servitude. — S. AUG. Mais « si une
fois je suis élevé de terre, » c'est-à-dire, « lorsque je serai élevé, »
car il n'a aucun doute sur la réalisation prochaine du mystère qu'il doit
accomplir, et c'est sa mort sur la croix qu'il désigne sous le nom d'élévation.
C'est pour cela que l'Evangéliste ajoute : « Ce qu'il disait, pour marquer
la mort dont il devait mourir. »
S. AUG. (Traité 47.) Les Juifs ayant compris
que Nôtre-Seigneur avait parlé de sa mort, lui demandent comment il pouvait
dire qu'il devait mourir : » Le peuple lui répondit : Nous avons appris par la
loi que le Christ demeure éternellement, comment dites-vous donc : Il faut que
le Fils de l'homme soit élevé ? » Ils avaient conservé dans leur mémoire que le
Seigneur se disait continuellement le Fils de l'homme, car le Sauveur n'avait
point employé ici cette dénomination : Lorsque le Fils de l'homme sera élevé,
comme précédemment : « L'heure vient où le Fils de l'homme sera
glorifié. » Ils avaient donc présent à l'esprit ce nom qu'il se donnait,
lorsqu'ils lai font cette question : « Si le Christ demeure éternellement,
comment sera-t-il élevé sur la terre ? » c'est-à-dire, comment mourra-t-il de
la mort de la croix ? — S. CHRYS. Nous
voyons ici qu'ils comprenaient un grand nombre des choses que le Sauveur leur
disait dans un sens parabolique; il leur avait prédit plus haut sa mort, et ils
entendent dans ce sens ce qu'il dit de son élévation. — S. AUG. Ou bien ils comprirent qu'il leur
parlait de ce qu'ils avaient l'intention de faire, ce ne fut donc point une
lumière reçue d'en haut, mais leur conscience agitée par le remords qui leur
révèle l'obscurité de ces paroles. — S. CHRYS.
Voyez quelle malice dans cette question ; ils ne s'expriment pas de
cette manière : Nous avons appris par la loi que le Christ doit être exempt de
souffrances (car dans une foule d'endroits, les saintes Ecritures annoncent en même temps sa passion et sa résurrection), mais
ils disent : « Nous avons appris que le Christ demeure éternellement. » Et
il n'y avait en cela aucune contradiction, car la passion du Sauveur n'est
point devenue un obstacle à son immortalité. Mais les Juifs s'imaginaient
qu'ils prouveraient par là qu'il n'était pas le Christ, parce que le Christ
doit demeurer éternellement. Ils ajoutent : « Quel est ce Fils de l'homme
? » question également pleine de malice et dont voici le sens : N'allez pas
dire que nous vous faisons cette question par un sentiment de haine, car nous
ne savons pas de qui vous voulez parler. Nôtre-Seigneur leur répond en leur démontrant
que sa passion n'est pas un obstacle à ce qu'il demeure éternellement : « Jésus
leur dit : La lumière est encore pour un peu de temps au milieu de vous. » Il
leur apprend par là que la mort n'est qu'un passage, de même que la lumière du
soleil ne s'éteint pas, mais se retire un peu de temps pour reparaître bientôt.
— S. AUG. Ou bien encore, la
lumière qui vous fait comprendre que le Christ demeure éternellement est pour
un peu de temps au milieu de vous ; marchez donc à cette lumière, tandis que
vous en jouissez, en d'autres termes : Approchez, comprenez la vérité tout
entière, c'est-à-dire, que le Christ doit mourir et vivre éternellement. — S. CHRYS. Il veut parler ici du temps de
cette vie tout entière, de celui qui devait précéder sa croix comme de celui
qui devait la suivre, car un grand nombre crurent en lui après la passion : «
De peur que les ténèbres ne vous surprennent. » — S. AUG. Si vous ne voulez croire l'éternité du Christ, qu'en
niant l'humiliation de sa mort.
« Et celui qui marche dans les ténèbres ne sait où
il va. » De quels crimes énormes les Juifs se rendent maintenant coupables ! Ils ne savent ce qu'ils font, mais tout en marchant dans les ténèbres, ils
s'imaginent suivre le droit chemin, tandis qu'ils s'égarent dans une fausse voie,
et c'est pour cela que le Sauveur ajoute : « Pendant que vous avez la lumière,
croyez en la lumière. » — S. AUG. C'est-à-dire,
tandis que vous retenez encore quelque parcelle de la vérité, croyez en la
vérité, pour que vous puissiez renaître à la vérité : « Afin que vous soyez des
enfants de lumière. » — S. CHRYS. (hom.
68.) C'est-à-dire, mes enfants. Au commencement de son Evangile, saint Jean
dit qu'ils sont nés de Dieu, c'est-à-dire, du Père ; ici, d'après ses paroles,
c'est lui-même qui les engendre, pour vous faire comprendre que le Père et le
Fils ont une seule et même action.
« Jésus dit ces choses, puis il s'en alla et se
cacha d'eux. » — S. AUG. Il ne se
cacha pas de ceux qui avaient commencé à croire en lui et à l'aimer, mais de
ceux qui, témoins de ces merveilles, nourrissaient contre lui une noire envie.
En se dérobant ainsi à ses ennemis, il a égard à notre faiblesse, il ne déroge
pas à sa puissance divine. — S. CHRYS. Mais
pourquoi se cacher, alors qu'ils ne cherchaient pas à le lapider, et qu'ils ne
proféraient aucun blasphème ? Il pénétrait le fond de leurs cœurs, il y
voyait la fureur dont ils étaient animés contre lui, et il n'attendit pas
qu'elle se traduisît en excès sacrilèges. Il se cache donc pour calmer ainsi
leur jalousie.
S. CHRYS. (hom.
67 sur S. Jean.) Notre-Seigneur connaissait la haine furieuse des
Juifs, qui méditaient sa mort, et c'est le motif qui le porte à se cacher,
comme l'Evangéliste semble l'indiquer par ces paroles : « Mais, quoiqu'il
eût fait tant de miracles devant eux, ils ne croyaient point en lui, » etc. — THEOPHYL. Ils furent grandement
coupables de ne pas croire à de si grands miracles. Ces miracles sont ceux dont
il a été parlé plus haut. — S. CHRYS. Et,
pour qu'on ne pût excuser leur incrédulité, en disant qu'ils ne savaient pas
l'objet de la mission du Christ, l'Evangéliste apporte le témoignage des
prophètes qui ont connu cet objet : « De sorte que cette parole d'Isaïe fût
accomplie : Seigneur, qui a cru à votre parole, et à qui le bras du Seigneur
a-t-il été révélé ? — ALCUIN. Le
Prophète dit : « Qui a cru ? » pour exprimer le petit nombre de ceux qui
ont cru à ce que les sainte prophètes avaient appris de Dieu et annoncé au
peuple. — S. AUG. (Traité 53
sur S. Jean.) Il fait assez entendre que ce bras du Seigneur c'est le
Fils de Dieu lui-même, non pas que Dieu le Père ait une forme humaine, mais il
l'appelle le bras de Dieu, parce que toutes choses ont été faites par lui. (Jn
1) Si un homme, en effet, avait une puissance assez grande pour exécuter ce
qu'il veut sans aucun mouvement de son corps, sa parole serait pour ainsi dire
son bras. Cette expression ne peut nullement appuyer l'erreur de ceux qui
prétendent qu’il n'y a que la personne du Père, si le
Fils est son bras, puisque l'homme et le bras ne forment qu'une seule personne.
Ils ne comprennent pas qu'une expression puisse être détournée de sa
signification naturelle pour être appliquée à un genre de choses tout
différent, à cause de certains points d'analogie et de ressemblance.
Il en est d'autres qui demandent, en murmurant, en
quoi les Juifs ont été coupables, s'il fallait que la prophétie d'Isaïe fût
accomplie ? Nous répondons que Dieu, dans la connaissance qu'il a de l'avenir,
a prédit l'incrédulité des Juifs, sans en être l'auteur ; car Dieu ne force
aucun homme à pécher, par là même qu'il prévoit les péchés que commettront les
hommes. Ce sont leurs péchés qu'il prévoit, et non les siens. Les Juifs se
rendirent donc coupables d'un crime qui avait été prévu et prédit par celui à
qui rien ne peut être caché. — S. CHRYS.
Dans cette locution : « Afin que la prophétie d'Isaïe fut accomplie, »
la particule afin que n'indique pas la cause, mais l'effet ; car, si les
Juifs n'ont pas cru, ce n'est point parce qu'Isaïe l'avait prédit, mais e'est, au
contraire, parce qu'ils devaient être incrédules, qu'Isaïe a prédit leur
incrédulité. — S. AUG. Cependant les paroles qui suivent soulèvent une
difficulté plus grave ; en effet, l'Evangéliste ajoute : « C'est pour cela
qu'ils ne pouvaient croire ; » parce qu'Isaïe a dit encore « Il a aveuglé leurs
yeux, et il a endurci leur cœur, de peur qu'ils ne voient des yeux, et ne
comprennent du cœur, » etc. Or, s'ils ne pouvaient croire, quel est le crime
d'un homme qui ne fait point ce qui lui est impossible de faire ? Et, ce qu'il
y a de plus grave ici, c'est que Dieu paraît être la cause de leur incrédulité,
puisque c'est lui qui a aveuglé leurs yeux et endurci leur cœur ; car ce n'est
point au démon, mais à Dieu, que l'Evangéliste attribue cet aveuglement. Mais pourquoi donc ne pouvaient-ils croire ? Je réponds : Parce qu'ils ne le
voulaient pas ; car, de même que c'est la gloire de la volonté divine que Dieu
ne puisse se démentir lui-même, ainsi c'est la faute de la volonté humaine de
ne pouvoir croire à la parole divine. — S. CHRYS.
Cette manière de parler est passée en usage ; c'est ainsi que l'on dit :
Nous ne pouvons l'aimer, en rejetant sur l'impuissance de la volonté ce qui est
l'effet d'une violente antipathie. L'Evangéliste se sert de cette expression : «
Ils ne pouvaient pas, » pour montrer qu'il était impossible que le Prophète ait
fait une fausse prédiction ; mais ce n'est point cette prédiction qui leur
rendait la foi impossible, car Isaïe ne l'eût point faite s'ils avaient dû
croire.
S. AUG. Mais,
direz-vous, le Prophète indique une autre cause que leur volonté, quand il
ajoute : « Il a aveuglé leurs yeux, » etc. Je réponds que c'est leur volonté
qui a mérité cet aveuglement, car Dieu aveugle et endurcit, en abandonnant et
en refusant son secours, ce qu'il peut faire par un jugement secret, mais qui
ne peut jamais être injuste. — S. CHRYS.
Dieu, en effet, ne nous abandonne que lorsque nous le voulons, selon ces
paroles du prophète Osée : « Vous avez oublié la loi de votre Dieu, je
vous oublierai moi-même. » (Os 4, 6.) Il parle ainsi pour nous apprendre
que c'est nous qui commençons nous-mêmes l'œuvre de notre réprobation, et qui
devenons la cause de notre perte. De même que le soleil blesse une vue malade,
bien que cet effet ne soit point dans sa nature, ainsi arrive-t-il pour ceux
qui ne font nulle attention aux enseignements divins. Or, ces paroles de
l'Ecriture: « Il a aveuglé et endurci, » sont propres à jeter l'effroi dans
l'âme des auditeurs.— S. AUG. Dans
celles qui suivent : « Et que venant à se convertir, je les guérisse, » faut-il
sous-entendre la particule négative ne (c'est-à-dire que ne se convertissant pas), car la
conversion est un effet de sa grâce ? Ou bien n'est-ce point par un effet
de la bonté de ce divin Médecin que les Juifs, pour avoir voulu établir leur
justice orgueilleuse (Rm 10), aient été abandonnés et aveuglés pour un
temps, afin qu'ils viennent heurter contre la pierre de scandale (Rm 9, 32),
que leur face soit couverte de confusion (Ps 82, 17), et qu'ainsi humiliés, ils cherchent non plus celte justice
personnelle qui enfle le superbe, mais la justice de Dieu, qui justifie l'impie
? Car, ce châtiment a été une cause du salut pour un grand nombre d'entre eux
qui, repentants de leur crime, ont cru ensuite en Jésus-Christ. l'Evangéliste
ajoute : « Isaïe a dit ces choses lorsqu'il a vu sa gloire et qu'il
a parlé de lui. » Il a vu sa gloire non telle qu'elle est en elle-même, mais
sous une forme symbolique, comme il convenait que Dieu la révélât à un
prophète. Ne vous laissez donc point induire en erreur par ceux qui enseignent
que le Père est invisible, et que le Fils seul est visible, et qui soutiennent
qu'il est une simple créature ; car le Fils est également invisible dans sa
nature divine, qui le rend égal au Père. Il s'est revêtu de la forme du
serviteur pour se rendre visible. Mais avant même son incarnation, il s'ost
manifesté aux yeux des hommes sous une forme créée et non tel qu'il est. — S. CHRYS. La gloire dont il parle ici est
celle qui se révéla aux yeux du prophète, lorsqu'il vit Celui qui était assis
sur un trône élevé, il tout ce qui est rapporté en cet endroit. l’Evangéliste
ajoute : « Et qu'il a parlé de lui. » Qu'a-t-il dit de lui ? « J'ai vu le
Seigneur assis, et j'ai entendu la voix qui me disait : Qui enverrai-je, et qui
ira, » etc. « Néanmoins plusieurs des sénateurs eux-mêmes crurent en lui ; mais à cause des pharisiens, ils n'osaient le reconnaître publiquement,
de crainte d'être chassés de la synagogue ; car, ils ont plus aimé la gloire
des hommes que la gloire de Dieu. » — ALCUIN.
La gloire de Dieu, c'est de confesser publiquement le Christ : la gloire
des hommes, c'est de se glorifier dans les vanités du monde. — S. AUG. L'Evangéliste condamne donc ceux
qui auraient pu s'élever, par l'amour, au-dessus de ce premier degré de la foi,
et triompher ainsi des tentations de la gloire humaine.
S. CHRYS. (hom.
69 sur S. Matth.) Comme l'amour de la gloire, humaine empochait les
princes du peuple d'avouer qu'ils croyaient en Jésus-Christ, le Sauveur s'élève
avec force contre cette passion : « Jésus s'écria et dit : Celui qui croit en
moi, ne croit point en moi, mais en celui qui m'a envoyé. » Comme s'il leur
disait : Pourquoi redoutez-vous de croire en moi ? Votre foi arrive jusqu'à
Dieu par moi. — S. AUG. (Traité
52 sur S. Jean.) Les hommes ne voyaient que son humanité, qui voilait sa divinité, et pouvaient penser qu'il n'était que ce qu'il
paraissait à leurs yeux. Le Sauveur, qui voulait que l'on crût sa nature et sa
majesté égales à la nature et à la majesté de son Père, dit aux Juifs :
« Celui qui croit en moi, ne croit point en moi, » c'est-à-dire, en ce
qu'il voit de ses yeux, mais en celui qui m'a envoyé ; c'est-à-dire, en mon
Père. Car, s'il pense que mon Père n'a que des fils selon la grâce, et qu'il
n'a point de Fils qui lui soit égal et coéternel, il ne croit point au Père,
qui l'a envoyé, parce que tel n'est point le Père, qui l'a envoyé. Et, comme il
ne veut pas laisser supposer que son Père a bien engendré un grand nombre
d'enfants par la grâce, mais qu'il n'est point le Père d'un Fils qui lui soit
égal, il ajoute aussitôt : « Et celui qui me voit, voit celui qui m'a envoyé. »
C'est-à-dire, il est si vrai qu'il n'y a point de différence entre mon Père et
moi, que celui qui me voit, voit celui qui m'a envoyé. Certainement c'est le
Seigneur qui a envoyé les Apôtres, jamais cependant aucun d'eux n'a osé dire :
« Celui qui croit en moi ; » car, nous croyons à l'apôtre, mais nous ne croyons
pas en l'apôtre. Le Fils unique au contraire peut dire avec raison :
« Celui qui croit en moi, ne croit pas en moi, mais croit en celui qui m'a
envoyé. » Non pas qu'il repousse la foi de celui qui croit en lui, mais il
ne veut pas que cette foi s'arrête à la forme du serviteur.
S. CHRYS. Ou
bien encore, ces paroles : « Celui qui croit en moi, ne croit point en
moi, mais en celui qui m'a envoyé, » doivent être entendues dans ce sens :
Celui qui reçoit l'eau d'un fleuve, ne reçoit pas l'eau du fleuve, mais l'eau
qui sort de la source. Or, le Sauveur voulant montrer qu'on ne peut croire en
Dieu le Père sans croire en lui, ajoute : « Celui qui me voit, voit celui qui
m'a envoyé. » Quoi donc, est-ce que Dieu est un corps ? Non, sans doute ; mais
le Sauveur donne ici le nom de vision à la considération du vrai, qui se fait par
l'intelligence. Il explique ensuite ce qu'est la connaissance du Père, en
ajoutant : « Et moi, qui suis la lumière, je suis venu en ce monde. » Comme le
Père est appelé la lumière, le Sauveur emploie et s'applique partout ce nom. Il
s'appelle ici la lumière, parce qu'il nous délivre de l'erreur et dissipe les
ténèbres de l'intelligence ; c'est pour cela qu'il ajoute : « Afin que tous
ceux qui croient en moi, ne demeurent pas dans les ténèbres. » — S. AUG. Il
nous fait assez comprendre par là qu'il a trouvé tous les hommes plongés dans
les ténèbres ; mais, s'ils veulent sortir des ténèbres au milieu desquelles il
les a trouvés, il leur faut croire dans la lumière qui est venue dans le monde.
Dans un autre endroit, il dit à ses disciples : « Vous êtes la lumière du
monde. » Il ne leur dit pas, toutefois : Vous êtes venus dans le monde comme
étant la lumière, afin que tout homme qui croit en vous ne demeure pas dans les
ténèbres. Tous les saints sont donc des lumières ; mais c'est en croyant en
Jésus-Christ qu'ils sont éclairés par lui, dont on ne peut se séparer sans
retomber dans les ténèbres.
S. CHRYS. Le
Sauveur veut éloigner la pensée que l'impunité, dont semblent jouir ceux qui le
méprisent, vient de sa faiblesse, et il ajoute : « Si quelqu'un écoute mes
paroles, et ne les garde pas, je ne le juge pas. » — S. AUG. Il faut entendre : Je ne le juge pas actuellement,
puisqu'il dit dans un autre endroit : « Le père a donné tout pouvoir de
juger à son Fils. » (Jn 5) Pourquoi ne juge-t-il pas maintenant ? Il en
donne lui-même la raison : « Car je ne suis pas venu pour juger le monde, mais
pour sauver le monde. » C'est donc maintenant le temps de la miséricorde :
viendra ensuite celui du jugement. — S. CHRYS.
Mais de peur que ce délai ne devienne une cause de relâchement, il
rappelle l'idée de ce terrible jugement : « Celui qui me méprise et ne
reçoit pas mes paroles, a quelqu'un qui le jugera. » — S. AUG. Il ne dit pas : Je ne le jugerai
pas au dernier jour, ce qui serait en contradiction avec ce qu'il a dit plus
haut : « Il a donné tout pouvoir de juger à son Fils. » Les paroles : «
Celui qui me méprise, a quelqu'un qui le jugera, » donnaient naturellement lieu
à cette question : Quel est celui qui jugera ? Nôtre-Seigneur la prévient, en
ajoutant : « Ce sera la parole même que j'ai annoncée qui le jugera an dernier
jour. » En s'exprimant de la sorte, il fait assez entendre que c'est
lui-même qui doit juger au dernier jour ; car, il s'est affirmé lui-même, il
s'est annoncé et fait connaître lui-même. Ceux donc qui n'ont point entendu sa
parole, n'auront point le même jugement à subir que ceux qui ne l'ont entendue
que pour la mépriser.
S. AUG. (De
la Trin., 1, 12.) C'est la parole annoncée par le Fils, qui jugera an
dernier jour; parce que le Fils n'a point parlé de lui-même. « Car,
ajoute-t-il, je n'ai point parlé de moi-même. » Mais je me demande comment nous
devons entendre ces paroles : « Ce n'est pas moi qui jugerai, ce sera la parole
que j'ai annoncée qui jugera, » puisqu'il est lui-même la parole du Père. On
peut les expliquer de la sorte : Je ne jugerai pas en vertu d'un pouvoir
humain, parce que je suis le Fils de l'homme, mais je jugerai par la puissance
du Verbe de Dieu, parce que je suis le Fils de Dieu. — S. CHRYS. On bien encore : « Je ne le
juge pas, » c'est-à-dire, je ne suis pas la cause de sa perte, qui ne doit être
imputée qu'à celui qui méprise mes paroles ; car, ces paroles que j'ai dites prendront le rôle d'accusateur, et enlèveront
toute excuse. C'est pour cela qu'il ajoute : « La parole que j'ai annoncée, le
jugera. » Et quelle est cette parole? Celle que je n'ai point dite de moi-même,
mais qui est la parole de mon Père, qui m'a envoyé ; car c'est lui qui m'a
prescrit, par son commandement, ce que je dois dire, et comment je dois parler.
Toutes les vérités qu'il leur annonçait étaient donc dans leur intérêt, et
aussi pour les rendre inexcusables s'ils refusaient d'y croire.
S. AUG. Or, le Père n'a point donné au Fils un
commandement qu'il n'avait pas auparavant ; car tous les commandements du Père
émanent de la sagesse du Verbe, qui est le Verbe du Père. Nôtre-Seigneur dit
que ce commandement lui est donné parce que celui à qui il est donné n'existe
pas de lui-même. Donner au Fils ce sans quoi il n'a jamais été Fils, c'est
engendrer le Fils, qui n'a jamais cessé d'exister. — THEOPHYL. Comme le Fils est le Verbe du Père, et qu'il révèle
et qu'il explique dans toute leur vérité ce qui est dans l'intelligence du
Père, il dit qu'il a reçu le commandement qui lui prescrit ce qu'il doit dire,
et commentai doit parler. C'est ainsi que notre parole, lorsque nous voulons
dire la vérité, ne fait qu'énoncer ce que la pensée lui suggère.
« Et je sais que son commandement est la vie
éternelle. » — S. AUG. Si donc le Fils est la vie éternelle, et que la vie éternelle
soit le commandement du Père, quelle conclusion tirer de ces paroles, si ce
n'est : Je suis le commandement du Père ? Ainsi lorsqu'il ajoute :
« Ce que je dis donc, je le dis selon que mon Père me l'a enseigné, » il
ne faut pas l'entendre dans ce sens que Dieu ait adressé une parole extérieure
à son Verbe. Le Père a donc parlé au Fils de la même manière qu’il lui a donné la vie, non en
lui faisant connaître ce qu'il ignorait, ou en lui donnant ce qu'il n'avait
pas, mais en lui donnant ce par quoi il était son Fils. Que signifient ces
paroles : « Comme il dit, je parle, » si ce n'est : Je parle comme étant le
Verbe ? Le Père parle comme étant essentiellement vrai ; le Fils parle comme
étant la vérité. Celui qui est vrai a
engendré la vérité ; que pourrait-il donc dire à la vérité ? Car la vérité
n'était point dans cet état d'imperfection qui la rendit susceptible d un
accroissement quelconque de vérité
théophyl. Nôtre-Seigneur, sur le point
de quitter ce monde, veut nous faire connaître l'amour qu'il avait pour les
siens : « Avant la fête de Pâque, dit l'Evangéliste, Jésus sachant que
son heure était venue, » etc. — BEDE. Les
Juifs avaient plusieurs fêtes, mais la plus célèbre et la plus solennelle était
celle de Pâque, comme l'Evangéliste veut le faire remarquer par ces paroles : «
Avant la fête de Pâque, » etc. — S. AUG. (Traité 55.) Le mot pâque n'est
pas un mot grec, comme quelques-uns le pensent, c'est un mot hébreu, cependant
ce mot a dans les deux langues un rapport frappant d'analogie : souffrir se dit
en grec πάσχειν, et c'est pour cela que le
mot pâque a été considérer comme synonyme de passion, comme s'il tirait de là
son étymologie. Dans sa langue propre, au contraire, c'est-à-dire, dans
l'hébreu, le mot Pâque signifie passage, et la raison de ce nom, c'est
que le peuple de Dieu a célébré pour la première fois cette fête, lorsqu'après
s'être enfui de l'Egypte, il eut traversé la mer Rouge. Or, cette figure prophétique a trouvé son
accomplissement véritable, lorsque Jésus-Christ a été conduit comme une brebis
à la mort. C'est alors que par la vertu de son sang qui a marqué les poteaux de
nos portes, c'est-à-dire, par la vertu du signe de la croix empreint sur nos
fronts, nous avons été délivrés de la servitude de ce monde, comme de la
captivité d'Egypte, et nous accomplissons de nouveau ce passage salutaire,
lorsque nous passons du démon à Jésus-Christ, et de ce monde inconstant dans le
royaume dont les fondements sont inébranlables. L'Evangéliste semble nous
donner cette explication du mot pâque, lorsqu'il dit : « Jésus sachant que
son heure était venue de passer de ce monde à son Père. Voilà la Pàque, voilà
le passage. » — S. CHRYS. (hom.
70 sur S. Jean.) Il le savait auparavant, et non-seulement de ce
moment, et ce passage c'est sa mort.
Sur le point de quitter ses disciples, il leur donne
des marques plus sensibles de son amour, c'est ce que l'Evangéliste veut nous
exprimer par ces paroles : « Comme il avait aimé les siens qui étaient
dans le monde, il les aima jusqu'à la fin, » c'est-à-dire, il n'oublia rien de
ce que peut inspirer un grand amour. Il n'avait pas agi de la sorte dès le
commencement, mais il avait été progressivement pour augmenter leur affection
pour lui, et leur préparer une source de consolation au milieu des épreuves qui
les attendaient. Il les appelle siens, à cause de l'intimité qu'il avait avec
eux, car dans un autre endroit, il donne ce nom à ceux qui n'avaient avec lui
que les rapports de nature : « Les siens ne l'ont point reçu, dit saint Jean. »
Il ajoute : « Qui étaient dans le monde, » parce qu'il y en avait
aussi des siens parmi les morts (comme Abraham, Isaac et Jacob), mais qui
n'étaient pas dans le monde. Il aima donc sans jamais cesser, les siens qui
étaient dans le monde, et leur donna des
témoignages d'un amour parfait, c'est ce que signifient ces paroles : « Il les
aima jusqu'à la fin. » — S. AUG. Ou bien encore : « Il les aima jusqu'à la
fin, » pour les faire passer par le moyen de l'amour de ce monde à celui qui
était leur chef. Que signifient, en effet, ces paroles : « Jusqu'à la fin ? »
Jusque dans Jésus-Christ, car Jésus-Christ est la fin de la loi pour justifier
tous ceux qui croient (Rm 10), la fin qui perfectionne et non la fin qui
donne la mort. Il me semble qu'on pourrait encore entendre ces paroles dans ce
sens trop naturel peut-être, que Jésus-Christ a aimé les siens jusqu'à la mort,
mais à Dieu ne plaise, que la mort ait mis fin à l'amour de celui dont elle n'a
pu faire cesser l'existence, à moins qu'on ne l'entende de cette manière : Il
les a aimés jusqu'à la mort, c'est-à-dire, son amour l'a porté à mourir pour
eux.
« Et le souper étant fait, » c'est-à-dire, étant
complètement préparé et servi sur la table devant les convives, car nous ne
devons pas entendre qu'il fut fait en ce sens qu'il fut tout à fait terminé ;
le souper durait encore, lorsque Jésus se leva de table pour laver les pieds de
ses disciples, puisqu'il se remit ensuite à table, et donna un morceau de pain
à son traître disciple. Quant à ces paroles : « Le démon ayant déjà mis
dans le cœur de Judas, » etc. ; si vous me demandez ce que le démon mit dans le
cœur de ce perfide disciple, je répondrai que ce fut le dessein de le trahir,
cette action du démon fut une suggestion intérieure qui eut lieu, non par l'oreille,
mais par la pensée, car le démon envoie pour ainsi dire ses suggestions dans
les âmes pour les mêler aux pensées de l'homme. Il avait donc déjà mis dans le
cœur de Judas le dessein de trahir son maître. — S. CHRYS. L'Evangéliste rapporte avec un profond étonnement, que
le Seigneur a lavé les pieds de celui qui était déjà résolu à le trahir, et il
fait ressortir la profonde malice de ce traître disciple, qui ne fut point
arrêté par cette douce et intime communauté de table et de vie, qui éteint ordinairement
tout sentiment de haine.
S. AUG. Avant
de nous décrire la profonde humilité du Sauveur, l'Evangéliste veut nous
remplir de l'idée de ses grandeurs : « Jésus sachant que son Père lui
avait remis toutes choses entre les mains, » etc., donc jusqu'au traître
lui-même. — S. GREG. (Moral., 6,
11 ou 12.) Il savait que Dieu lui avait remis entre les mains jusqu'à ses
persécuteurs eux-mêmes, afin qu'il fît servir à l'accomplissement de ses
desseins miséricordieux, tout ce que leur cruauté à qui Dieu avait comme lâché
les rênes, pourrait inventer contre lui. — ORIG.
(Tr. 32 sur S. Jean.) Le Père lui a remis toutes choses
entre les mains, c'est-à-dire, a tout remisa son action, à sa puissance, car
mon Père, dit le Sauveur, ne cesse d'agir jusqu'à présent, et moi-même j'agis
également. Ou bien encore, son Père a remis tout entre ses mains qui embrassent
toutes choses, afin que toutes choses lui soient soumises. — S. CHRYS. Ce tout qui lui est remis entre
les mains, c'est surtout le salut des fidèles. Mais que cette expression ne
vous fasse soupçonner rien d'humain, elle exprime simplement l'honneur que le
Fils rend à son Père, et la parfaite harmonie qui existe entre eux. En effet,
de même que le Père lui a remis toutes choses, lui aussi a remis toutes choses
à son Père, comme le dit saint Paul : « Lorsqu'il aura remis le royaume à Dieu
et au Père. » (1 Co 15) — S. AUG.
Sachant qu'il sort de Dieu et qu'il retourne à Dieu, bien qu'il ne se
soit pas séparé de Dieu lorsqu'il en est sorti et qu'il ne nous abandonne pas
lorsqu'il retourne vers Dieu. THEOPHYL. Comme
le Père lui avait remis toutes choses entre les mains, c'est-à-dire, le salut
des fidèles, il jugeait convenable de leur enseigner tout ce qui pouvait
contribuer à leur salut. Il savait également qu'il était sorti de Dieu et qu'il
retournait à Dieu, il ne pouvait donc diminuer sa gloire en lavant les pieds de
ses disciples, car cette gloire il ne l'avait point usurpée et il n'y a que
ceux qui usurpent injustement les honneurs, qui refusent de s'abaisser dans la
crainte de perdre les dignités dont ils se sont emparé sans aucun droit. — S.
AUG. Alors que le Père lui avait tout remis entre les mains, il lave non pas
les mains, mais les pieds de ses disciples ; et lui qui savait qu'il était
sorti de Dieu et qu'il retournait à Dieu, il remplit l'office qui convient, non
au Seigneur Dieu, mais à un homme et à un serviteur. — S. CHRYS. Il était en effet digne de celui
qui est sorti de Dieu et qui retournait à Dieu, de fouler aux pieds toute
enflure et tout orgueil. Ecoutons la suite : » Il se lève de table, il pose ses
habits, et ayant pris un linge, il s'en ceignit ; il versa ensuite de l'eau
dans le bassin, et il commença à laver les pieds de ses disciples et à les
essuyer avec le linge qui était autour de lui. » Voyez quelle profonde
humilité, non-seulement dans l'action même de leur laver les pieds, mais dans
les circonstances qui l'accompagnent, car ce n'est pas avant de se mettre à
table, c'est après que tous sont assis qu'il se lève, et non-seulement il leur
lave les pieds, mais il pose ses vêtements, il se ceint d'un linge, et verse de
l'eau dans le bassin, sans donner cette commission jà un autre, il veut tout
faire lui-même pour nous apprendre avec quel soin nous devons pratiquer les
œuvres de charité.
ORIG. Dans le sens allégorique, le dîner qui est le
premier repas, a été servi à ceux qui ne sont encore qu'initiés avant qu'ils
soient arrivés an terme du jour spirituel qui s'accomplit dans cette vie,
tandis que le souper est le dernier repas, celui qu'on sert à ceux qui ont
atteint une perfection plus grande. On peut dire encore que le dîner c'est
l'intelligence des Ecritures anciennes, tandis que le souper, c'est la
connaissance des mystères cachés dans le Nouveau Testament. Je pense que ceux
qui doivent prendre ce dernier repas avec Jésus et s'asseoir à la même table au
dernier jour de cette vie, ont besoin d'être purifiés, non point dans les
parties les plus élevées du corps et de l'âme, mais dans les parties extrêmes
et qui sont en contact nécessaire avec la terre. L'Evangéliste raconte qu'il
commença à laver les pieds de ses disciples (car il acheva plus tard cette
opération), parce que les pieds des apôtres avaient été salis selon cette
parole : « Vous serez tous scandalisés cette nuit à mon occasion. » Il acheva
ensuite ce lavement des pieds, en donnant à ses apôtres une pureté qu'ils ne
devaient plus perdre.
S. AUG. Il
a déposé ses vêtements, lorsqu'il s'est anéanti lui-même, lui qui était Dieu ;
il s'est ceint d'un linge, lorsqu'il a pris la forme de serviteur; il a versé
de l'eau dans un bassin pour laver les pieds de ses disciples, lorsqu'il a
versé son sang sur la terre pour laver toutes les souillures de nos péchés, il
a essuyé leurs pieds avec le linge dont il était ceint, lorsqu'il affermit les
pas des évangélistes, par la chair mortelle dont il était revêtu ; avant de se
ceindre avec le linge, il quitta les habits dont il était revêtu ; mais pour
prendre la forme d'esclave dans laquelle il
s'est anéanti, il n'a point quitté ce qu'il avait, il a pris seulement ce qu'il
n'avait pas. Lorsqu'il fut crucifié, il fut dépouillé de ses vêtements, et
après sa mort son corps fut enveloppé dans un linceul, et sa passion tout
entière a pour fin de nous purifier.
ORIG. (Traite 32 sur S. Jean.) De même
qu'un médecin, qui est chargé de plusieurs malades à la fois, commence par ceux
dont l'état réclame premièrement ses soins ; ainsi Jésus-Christ, en lavant les
pieds de ses disciples, qui étaient couverts de poussière, commence par ceux
qui étaient plus souillés, et vient en dernier lieu à Pierre, comme ayant moins
besoin d'avoir les pieds lavés : « Il vint donc à Simon Pierre ; » à qui la
propreté presque entière de ses pieds conseillait la résistance : « Et Pierre
lui dit : Quoi ! Seigneur, vous me laveriez les pieds, » etc. — S. AUG. Que
signifient ces paroles : « Vous, à moi ? » Elles demandent à être méditées
plutôt qu'expliquées, de peur que la langue ne puisse rendre entièrement ce que
l'âme a pu en comprendre dignement. — S. CHRYS.
Ou peut dire encore que bien que Pierre fût le premier, il est probable
que le traître insensé s'était assis à table avant lui, ce
que l'Evangéliste semble avoir voulu indiquer, quand il dit : « Il commença à
laver les pieds, » et ensuite : « Il vint à Pierre. » — THEOPHYL. D'où il faut conclure qu'il ne commence point par
Pierre, et cependant aucun autre parmi les disciples n'eût osé se placer avant
Pierre pour le lavement des pieds.
S. CHRYS. On
demandera peut-être aussi comment il se fait qu'aucun autre disciple ne se soit
opposé à ce que Jésus lui lavât les pieds, à l'exception de Pierre, qui donnait
ainsi à Jésus un témoignage éclatant de son amour et de son respect ; et il
semble qu'on pourrait conclure de là que le Sauveur n'avait lavé les pieds,
avant lui, qu'au seul traître, qu'il vint ensuite à Pierre, et que la leçon
qu'il lui donne s'adresse à tous les disciples. En effet, si Nôtre-Seigneur
avait commencé à laver les pieds d'un autre disciple, ce disciple l'en aurait
empêché par les mêmes paroles que Pierre. — ORIG.
Ou bien encore, tous présentaient leurs pieds au Sauveur, en disant que
celui qui était si élevé au-dessus d'eux ne leur lavait pas les pieds sans
raison ; mais Pierre, ne prenant conseil que de son profond respect pour Jésus,
ne voulait point présenter ses pieds pour que Jésus les lavât ; souvent, en
effet, l'Ecriture nous montre Pierre plein d'ardeur pour exprimer ce qui lui
paraissait le meilleur et le plus utile. — S. AUG.
Ou bien encore, nous ne devons point penser que Pierre seul, de tous les
disciples, se soit opposé avec un respect mêlé d'effroi à l'action du Sauveur,
tandis que les autres eussent souffert que Jésus leur lavât les pieds ; car on
ne peut admettre qu'il les eût lavés à d'autres auparavant, et qu'il ne fût
arrivé à Pierre qu'en second lieu (car qui ne sait que le bienheureux Pierre
était le premier des disciples ?) Il a donc commencé par Pierre. Quand il
commença à laver les pieds de ses disciples, il vint d'abord à celui par lequel
il commença, c'est-à-dire à Pierre, et c'est alors que Pierre exprima ce
sentiment de frayeur et d'étonnement que tous les autres auraient éprouvé
également.
« Jésus lui répondit : Vous ne savez pas
maintenant ce que je fais, mais vous le saurez par la suite. » — S. CHRYS. C'est-à-dire l'utilité de cet
enseignement, et comment l'humilité suffit pour conduire jusqu'à Dieu. — ORIG. Ou bien le Seigneur veut nous
faire comprendre que cette action cache un mystère ; en effet, en lavant leurs
pieds et en les essuyant, il les rendait éclatants de blancheur, comme il
convenait à ceux qui devaient évangéliser la vertu (Rm 10 ; Is 52), montrer le chemin de la sainteté,
et marcher par celui qui a dit : « Je suis la voie. » (Jn 14) Jésus
devait déposer ses vêtements avant de laver les pieds de ses disciples, afin de
rendre plus purs encore leurs pieds, qui l'étaient déjà, ou pour recevoir sur
son propre corps les souillures de leurs pieds, en ne gardant que le linge dont
il était ceint ; car, « il a lui-même porté toutes nos langueurs. » (Is
53) Remarquez encore qu'il ne choisit pas d'autre temps pour laver les
pieds de ses disciples que celui où le diable était déjà entré dans le cœur de
Judas pour lui inspirer le dessein de livrer le Sauveur à ses ennemis, et où le
mystère de la rédemption des hommes allait s'accomplir. Avant ce moment, il
n'eût point été opportun que Jésus leur lavât les pieds ; car, qui leur aurait
rendu cet office dans le temps qui devait s'écouler jusqu'à sa passion ? On ne
pouvait non plus choisir le temps même de la passion ; car il n'y avait point un
autre Jésus pour leur laver les pieds ; ni le temps qui la suivit, car alors
leurs pieds furent purifiés par l'Esprit saint ; c'est à ce mystère que le
Seigneur fait allusion, quand il dit à Pierre : « Vous n'êtes pas capable de le
comprendre, mais vous le
comprendrez plus tard, lorsqu'une lumière divine vous en donnera
l'intelligence. »
S. AUG. Cependant
Pierre, comme épouvanté de ce que le Sauveur voulait faire, continue de
s'opposera une action dont il ignorait le motif ; il ne peut souffrir de voir Jésus-Christ
s'humilier jusqu'à ses pieds, et il lui dit : « De l'éternité vous ne me
laverez les pieds. » C'est-à-dire, jamais je ne le souffrirai ; car ce qui
ne se fait de l'éternité, ne se fait jamais — ORIG.
Nous apprenons, par cet exemple, qu'on peut dire dans une bonne
intention, mais par ignorance, une chose qui n'est point avantageuse. Pierre,
en effet, ignorant combien cette action du Sauveur devait lui être utile, s'en
excuse en exprimant un doute plein de respect et de douceur : « Quoi ! Seigneur,
vous, me laver les pieds ? » Ensuite il va plus loin : « Jamais
vous ne me laverez les pieds ? » et s'oppose ainsi à une action qui devait le
faire entrer en communication intime avec le Sauveur. En s'exprimant de la
sorte, non-seulement il reprend Jésus de l'inconvenance qu'il y a pour lui de
laver les pieds de ses disciples, mais il reproche aussi aux autres Apôtres de
céder à ce désir inconvenant en présentant leurs pieds à Jésus. Comme ce refus
de Pierre ne pouvait lui être avantageux, Notre-Seigneur ne voulut point lui
donner raison : Jésus lui répondit : « Si je ne vous lave point, vous
n'aurez point de part avec moi. » —
S. AUG. Le Sauveur dit :
« Si je ne vous lave, » bien qu'il ne s'agisse que des pieds seuls, comme
on dit : Vous marchez sur moi, alors qu'on ne marche que sur les pieds.
ORIG. Comment ceux qui refusent
d'entendre, dans un sens tropologique ou moral ce passage et d'autres
semblables, pourront-ils expliquer que celui qui a dit à Jésus, par un sentiment de respect : « Vous
ne me laverez jamais les pieds, » n'ait point de part avec lui pour ce seul
fait de n'avoir point eu les pieds lavés par Jésus, comme s'il s'agissait d'un
crime énorme ? Nous devons donc présenter à Jésus les pieds, c'est-à-dire les
affections de notre âme, afin que nos pieds soient éclatants de blancheur,
surtout lorsque nous aspirons à des grâces plus hautes et que nous voulons être
du nombre de ceux qui évangélisent les biens du ciel.
S. CHRYS. Jésus,
au lieu de faire connaître à Pierre les motifs de sa conduite, lui fait des
menaces, parce que Pierre n'était point alors en état d'être persuadé ; mais
dès qu'il entend le Sauveur lui dire : «Vous le saurez par la suite, » il
n'insiste pas et ne lui dit pas : Faites-le moi savoir actuellement pour que
j'accède à votre désir; la menace seule qui lui est faite, d'être séparé de
Jésus, le détermine à se rendre. — ORIG. Nous nous servons de cette parole du Sauveur contre
ceux qui prennent la résolution indiscrète de faire des actions qui doivent
leur être nuisibles ; car, en leur montrant qu'en persévérant dans ce dessein
indiscret et téméraire, ils n'auront point de part avec Jésus, nous leur
persuadons d'y renoncer, lors même qu'emportés par la vivacité de leurs désirs,
ils auraient donné à leur résolution la sanction du serment.
S. AUG. (Traité 56 sur S. Jean.) Mais
Pierre, dans le trouble où le jettent à la fois l'amour et la crainte, redoute
plus de perdre Jésus-Christ que de le voir s'humilier jusqu'à ses pieds, et
Simon-Pierre lui dit : Seigneur, non-seulement les pieds, mais les mains et la
tête. » — ORIG. Jésus ne
voulait point laver les mains de ses disciples, pour montrer le mépris qu'il
faisait de ce que disaient les pharisiens : « Vos disciples ne lavent point
leurs mains lorsqu'ils se mettent à table pour manger. » (Mt 15) Il ne
voulait point non plus laver la tête, qui reflétait l'image et la gloire du
Père, et il lui suffisait que Pierre présentât ses pieds. « Jésus lui
répondit : Celui qui est pur n'a plus besoin que de se laver les pieds, et il
est pur tout entier. » — S. AUG. Il
est pur tout entier, à l'exception des pieds ; ou si ce n'est ses pieds, qu'il
a besoin de laver ; car l'homme, dans le baptême, est lavé tout entier, sans
excepter même les pieds ; mais lorsque sa vie se trouve ensuite mêlée au commerce
humain, il foule nécessairement la terre aux pieds. Les affections du cœur
humain sans lesquelles cette vie mortelle ne peut ni exister ni se concevoir,
sont comme les pieds ; et les choses de la terre nous affectent et nous
impressionnent à ce point que si nous prétendons n'être coupables d'aucun
péché, nous nous trompons nous-mêmes (Jn 1, 8) ; mais si nous confessons
nos péchés, celui qui a lavé les pieds de ses disciples nous remet nos péchés,
et purifie jusqu'à nos pieds, par lesquels nous sommes en contact avec la
terre. — ORIG. Je regarde comme
impossible que les extrémités de l'âme et ses parties inférieures ne
contractent pas de souillures, quelle que soit la réputation de vertu et de
perfection dont on jouisse aux yeux des hommes. Il en est même beaucoup qui,
après leur baptême, sont couverts des pieds jusqu'à la tête de la poussière de
leurs crimes ; mais ceux qui sont ses véritables disciples n'ont d'autre besoin
que d'avoir les pieds lavés.
S. AUG. (Lettr.
108 à Seleuc.) De ce qui est dit ici, nous pouvons conclure que
Pierre était déjà baptisé. Nous pouvons admettre, en effet, que les disciples,
par le ministère desquels Jésus baptisait, avaient eux-mêmes reçu le baptême,
soit le baptême de Jean, suivant l'opinion de quelques-uns, soit (ce qui est
plus probable) le baptême de Jésus-Christ, car celui qui a bien voulu remplir
l'humble office de laver les pieds à ses disciples, n'a point dédaigné de leur
administrer lui-même le baptême, afin que ceux qui devaient être les ministres
de son baptême fussent eux-mêmes baptisés. C'est pour cela que le Sauveur
ajoute : « Vous êtes purs, mais non pas tous. » — S. AUG. (Tr. 58 sur
S. Jean.) L'Evangéliste nous explique lui-même le sens de ces paroles, en
ajoutant : « Car il savait quel était celui qui devait le trahir, c'est
pour cela qu'il leur dit : Vous n'êtes pas tous purs. » — ORIG. Ces paroles : « Vous êtes purs, »
s'adressent donc aux onze disciples, et cette restriction : « Mais non pas
tous, » s'applique à Judas, dont la conscience était souillée,
premièrement, parce qu'au lieu de prendre soin des pauvres, il dérobait
l'argent qui leur était destiné, et en second lieu, parce que le démon était
déjà entré dans son cœur pour lui inspirer de trahir Jésus-Christ.
Nôtre-Seigneur lave les pieds à ses disciples, quoiqu'ils fussent purs, parce
que la grâce de Dieu ne s'arrête pas à ce qui est seulement nécessaire ; et,
comme le dit saint Jean : « Celui qui est pur doit encore se purifier. » (Ap
22, 6.) — S. AUG. Ou bien,
Nôtre-Seigneur parle de la sorte à ses disciples, parce qu'étant déjà lavés,
ils n'avaient plus besoin que de se laver les pieds, car tant que l'homme vit
au milieu de ce monde, il foule la terre avec ses affections qui sont comme les
pieds de l'âme et contracte des souillures inévitables. — S. CHRYS. Ou bien encore, le Sauveur ne
leur dit pas qu'ils sont purs, dans ce sens qu'ils soient purifiés de leurs
péchés, puisque la victime qui devait les effacer n'était pas encore offerte,
mais il vent parler de la pureté de l'intelligence, car ils étaient déjà
délivrés des erreurs judaïques.
S. AUG. (Traité
58 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur se rappelle qu'il a promis à Pierre
l'explication de ce qu'il venait de faire, lorsqu'il lui a dit : « Vous
saurez par la suite (ce que j'ai fait) ; » et il commence à lui en faire
connaître la raison : « Après donc qu'il leur eut lavé les pieds, il
reprit ses vêtements, et s'étant remis à table, il leur dit : Savez-vous ce que
je viens de vous faire ? » — ORIG. Nôtre-Seigneur
parle ici, ou d'une manière interrogative, pour leur faire comprendre la
grandeur de cette action, ou dans le sens impératif pour réveiller leur
attention. — ALCUIN. Dans le sens
allégorique, c'est après avoir consommé l'œuvre de notre purification et de
notre rédemption par l'effusion de son sang qu'il reprend ses vêtements en
ressuscitant et en sortant du tombeau le troisième jour, revêtu de son corps,
doué d'immortalité. Et il s'assied de nouveau en montant au ciel, en prenant place à la droite de
Dieu son Père, d'où il doit venir pour nom juger.
S. CHRYS. (hom.
91 sur S. Jean.) Ce n'est pas à Pierre seul qu'il s'adresse, mais à
tous les Apôtres, comme s'il leur disait : Vous m'appelez tous votre Seigneur
et votre Maître. Nôtre-Seigneur en appelle ici à leur propre témoignage, et
afin que ce témoignage ne pût être soupçonné de flatterie, il s'empresse
d'ajouter : « Et vous avez raison, car je le suis en effet. » — S. AUG. Le sage donne à l'homme ce
précepte : « Que ce ne soit point ta bouche qui te loue, mais la bouche de
ton prochain. » Car la vaine complaisance est dangereuse pour l'homme qui doit
éviter l'orgueil. Mais pour celui qui est au-dessus de tout, quelques louanges
qu'il se donne, il ne peut s'élever au-dessus de ce qu'il est, et on ne peut
légitimement accuser Dieu d'arrogance. En effet, c'est à nous et non pas à lui
qu'il importe de connaître Dieu, et personne ne peut le connaître, si celui-là
qui seul a cette connaissance, ne daigne nous la communiquer. Si donc il
s'abstient de se louer lui-même pour éviter le reproche d'aimer la vaine
gloire, il nous prive des leçons de la sagesse. Mais comment la vérité
peut-elle craindre la tentation d'orgueil ? Personne ne peut lui reprocher de
se donner le nom de maître, même celui qui ne verrait en lui qu'un homme, car
il ne fait en cela que ce que font tous les jours les hommes qui enseignent les
différentes branches des connaissances humaines, et qui prennent sans se rendre
coupables d'arrogance, le nom de professeurs. Toutefois on ne pourrait
supporter qu'un homme s'arrogeât le titre de seigneur de ses disciples qui
seraient eux-mêmes de condition distinguée suivant le monde. Mais lorsque Dieu
parle, ne craignez aucun orgueil d'une si grande élévation, aucun mensonge de
la part de la
vérité, nous avons tout profit à nous soumettre à cette hauteur, à obéira cette
vérité. Vous avez donc raison de m'appeler votre Maître et votre Seigneur, car
je le suis en effet, et si je ne l’étais pas, vous auriez tort de tenir ce
langage. — ORIG. (Traité 32
sur S. Jean.) Ceux à qui Dieu dira à la fin du monde : « Retirez-vous
de moi, vous qui opérez l'iniquité, » ne disent pas comme il le faut :
« Seigneur, » mais pour
les Apôtres, ils appellent légitimement Jésus, Maître et Seigneur, car ce n'est
point l'hypocrisie, mais le Verbe de Dieu qui leur dictait ce langage.
« Si donc je vous ai lavé les pieds, moi votre
Seigneur et votre Maître, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux
autres. » — S. CHRYS. Le
Sauveur prend le terme de comparaison dans un ordre de choses plus élevé pour
nous engager à faire une action qui doit nous coûter beaucoup moins, car pour
lui il est notre Maître, tandis que pour nous, c'est à nos frères, serviteurs
comme nous, que nous rendons cet office : « Je vous ai donné l'exemple, afin
que vous fassiez comme je vous ai fait moi-même. — BEDE. Nôtre-Seigneur a commencé par pratiquer ce qu'il devait
ensuite enseigner, selon ces paroles : « Jésus commença par faire. » (Ac 1)
Voilà, bienheureux Pierre, ce que vous ne saviez pas, et ce dont le Sauveur
vous promettait l'explication.
ORIG. Il nous faut examiner s'il
est nécessaire que tout disciple qui veut accomplir dans sa perfection la
doctrine de Jésus-Christ, doit pratiquer comme une œuvre d'obligation, le
lavement extérieur des pieds, d'après ces paroles : « Vous devez vous
laver les pieds les uns des autres ; » mais cette coutume ne se pratique plus
ou se pratique rarement. — S. AUG. La
plupart accomplissent ce devoir d'humilité
lorsqu'ils se donnent mutuellement l'hospitalité, et lies chrétiens se le
rendent les uns aux autres, même dans ce qu'il a d'extérieur. Sans aucun doute, il est mieux et
plus conforme à la vérité, de le rendre extérieurement, en sorte qu'un chrétien
ne dédaigne pas de faire ce qu'a fait Jésus-Christ lui-même, car lorsque notre
corps s'incline et s'abaisse jusqu'aux pieds de nos frères, le sentiment de
l'humilité se trouve on excité dans notre cœur, ou affermi s'il y était déjà.
Mais indépendamment de cette interprétation morale, est-ce qu'un frère ne peut
purifier son frère de la contagion du péché ? Confessons-nous mutuellement nos
péchés, pardonnons-nous réciproquement nos fautes, prions pour les fautes les
uns des autres, et nous nous serons en quelque sorte mutuellement lavé les
pieds. — ORIG. On peut dire
encore que ce lavement spirituel des pieds ne peut avoir pour principal auteur
que Jésus seul, et ce n'est que secondairement que les disciples peuvent le
pratiquer conformément à ces paroles : « Vous devez vous laver les pieds les
uns aux autres. » En effet, Jésus a lavé les pieds de ses disciples comme
Maître, et ceux de ses serviteurs comme Seigneur ; or, le but que se propose le
maître, c'est de rendre son disciple semblable à lui, c'est le but que s'est
proposé le Sauveur ; il veut que ses disciples deviennent semblables à leur
Maître, à leur Seigneur, et qu'ils n'aient point de servitude, mais l'esprit
des enfants qui leur fait dire à Dieu : « Mon Père. » (Rm 8) Avant
donc qu'ils deviennent comme le Maître et comme le Seigneur, ils ont besoin
qu'on leur lave les pieds comme à des disciples qui ne sont point suffisamment
instruits, et qui sont encore soumis à l’esprit de servitude. Mais lorsque l'un
d'eux s'élève jusqu'au rang de maître et de seigneur, alors il peut imiter
celui qui a lavé les pieds de ses disciples, et laver les pieds des autres par
la doctrine en qualité de maître.
S. CHRYS. Pour
les exciter encore davantage à remplir ce devoir, il ajoute : « En vérité, en
vérité je vous le dis, le serviteur n'est pas plus grand que le maître, ni
l'apôtre plus grand que celui qui l'a envoyé,» c'est-à-dire, si j'ai agi de la
sorte, à plus forte raison, vous devez faire de même. — THEOPHYL. Il donne ici aux Apôtres une leçon nécessaire. Ils
devaient tous être élevés un jour à des dignités plus ou moins importantes, il
s'applique donc à modérer les sentiments ambitieux qui les porteraient à
s'élever les uns au-dessus des autres. — BEDE.
Et comme la connaissance de ce qui est bien sans la pratique est un
titre, non de félicité, mais de condamnation, selon ces paroles : « Celui
qui connaît le bien et ne le pratique pas, est coupable de péché ; » le Sauveur
ajoute : « Si vous savez ces choses, vous serez bienheureux, pourvu que
vous les pratiquiez. » — S. CHRYS. Tous
peuvent arriver à savoir, mais tous ne parviennent pas à pratiquer. Le Sauveur
condamne ensuite en termes couverts la conduite de son traître disciple : « Je
ne dis pas ceci de vous tous. » — S. AUG.
C'est-à-dire, il en est un parmi vous qui n'aura point part à ce bonheur
et qui ne fera point ces choses : « Je sais ceux que j'ai choisis. » Quels
sont-ils ? ceux qui seront heureux, en accomplissant les commandements du
Sauveur. Ainsi Judas ne fut pas choisi de la sorte ; comment donc expliquer ce
qu'il dit dans un autre endroit : « Est-ce que je ne vous ai pas choisis
tous les douze ? » Judas a-t-il donc été choisi pour une œuvre où il était nécessaire, sans être choisi
pour cette félicité dont Nôtre-Seigneur vient de dire : « Vous seriez
bienheureux si vous les pratiquez ? »
ORIG. Voici une autre explication
: Je ne pense pas qu'on puisse rattacher logiquement ces paroles : « Je ne dis
pas ceci de vous tous, » à ces autres : « Vous serez bienheureux, pourvu que
vous pratiquiez ces choses, » car on peut dire avec vérité de Judas, aussi bien
que de tout autre : Il sera heureux s'il fait ces choses ; mais je crois qu'il
faut les rattacher à la proposition qui précède : « Le serviteur n'est pas plus
grand que son maître, ni l'apôtre plus grand que celui qui l'a envoyé, » car
Judas n'était ni serviteur de la parole divine, puisqu'il était esclave du
péché, ni apôtre, puisque le démon était entré dans son cœur. Le Seigneur donc
qui connaît ceux qui sont à lui, ne connaît pas ceux qui lui sont étrangers ;
c'est pour cela qu'il ne dit pas : Je connais tous ceux qui sont ici présents,
mais : « Je connais ceux que j'ai choisis, » c'est-à-dire, je connais mes élus.
S. CHRYS. Toutefois,
comme il ne veut point contrister le grand nombre de ses disciples, il ajoute :
« Mais il faut que cette parole de l'Ecriture soit accomplie : Celui qui
mange le pain avec moi lèvera le pied contre moi. » Il montrait ainsi qu'il
n'ignorait pas qu'on devait le trahir, ce qui eût dû suffire pour retenir le
perfide Judas. Et remarquez qu'il ne dit pas : Il me trahira, mais : « Il
lèvera le pied contre moi, » pour faire ressortir la ruse et les embûches
cachées qu'on devait employer contre lui. — S. AUG. (Traité 59.) Que signifient, en effet, ces
paroles : « Il lèvera le pied contre moi, » si ce n'est : Il me foulera aux
pieds ? Sous cette expression figurée, il veut désigner son traître disciple. —
S. CHRYS. Il dit : « Celui
qui mange le pain avec moi, » c'est-à-dire, celui que j'ai nourri, celui qui a
partagé ma table. Ne soyons donc point
scandalisés, si nous essayons quelque injure de nos serviteurs ou de quelqu'un
de nos inférieurs, en considérant l'exemple de Judas, qui, malgré les bienfaits
infinis dont Jésus l'avait comblé, paya son bienfaiteur par la plus noire des
trahisons. — S. AUG. Ceux qui avaient été choisis se nourrissaient du corps du
Seigneur ; Judas, au contraire, mangeait le pain du Seigneur contre le Seigneur
; ceux-ci mangeaient la vie, celui-là mangeait son châtiment, car celui qui
mange ce pain indignement, dit l'Apôtre, mange sa propre condamnation.
« Je vous dis ceci dès maintenant, et avant que
la chose se fasse, afin que lorsqu'elle arrivera, vous me reconnaissiez pour ce
que je suis, » c'est-à-dire, pour celui que cette prophétie avait pour objet. —
ORIG. Jésus ne dit pas aux
Apôtres : Afin que vous croyiez en général, comme s'ils ne croyaient point,
mais il veut leur dire : Afin que non contents de croire vous arriviez à
pratiquer. Il leur recommande de persévérer dans la foi, et de ne s'exposer à
aucune des occasions qui pourrait la leur faire perdre. Et en effet, parmi tous
les motifs de crédibilité sur lesquels reposait la foi des disciples, ils
eurent celui de voir s'accomplir les prophéties qui avaient Jésus-Christ pour
objet.
S. CHRYS. (hom.
72.) Les Apôtres devaient bientôt partir pour prêcher l'Evangile et pour
être exposés à toute sorte d'épreuves, il les console donc par avance de deux
manières : d'abord en leur promettant d'être lui-même leur consolateur : « Vous
serez heureux, pourvu que vous pratiquiez ces choses ; » puis en leur prédisant
que les hommes eux mêmes s'empresseront de leur prodiguer les secours dont ils
auront besoin : « En vérité, en vérité je vous le dis, celui qui reçoit, celui
que j'ai envoyé, c'est moi-même qu'il reçoit. » — ORIG. En effet celui qui
reçoit l'envoyé de Jésus, reçoit Jésus, qui demeure dans celui qu'il a envoyé,
et celui qui reçoit Jésus, reçoit son Père ; donc recevoir celui que Jésus
envoie, c'est recevoir le Père lui-même. On peut encore donner cette
explication. Celui qui reçoit mon envoyé, arrive jusqu'à me recevoir moi-même,
mais celui qui me reçoit, non dans la personne d'un de mes envoyés, mais qui me
reçoit même lorsque je viens dans les âmes, reçoit mon Père, de sorte que mon
Père et moi nous demeurions en lui.
S. AUG. (Traité
59.) Les ariens, en entendant ces paroles, s'empressent de recourir à ces
degrés, qui au lieu de les élever sur les hauteurs de la vie, les précipitent
dans l'abîme de la mort. Autant, disent-ils, l'Apôtre diffère du Seigneur qui
l'envoie, autant le Fils diffère du Père. Mais lorsque le Sauveur fait cette
déclaration : « Mon Père et moi nous ne sommes qu'un, » il ne permet pas le
moindre soupçon de différence entre le Père et le Fils. Comment donc
devons-nous entendre ces paroles du Seigneur : « Celui qui me reçoit, reçoit
celui qui m'a envoyé ? » Si nous voulons les entendre dans ce sens, que le Père
et le Fils ont une même nature, la conséquence naturelle de ces autres paroles
: « Celui qui reçoit mon envoyé, me reçoit, » paraît devoir être que le Fils et
l'envoyé ont aussi une même nature. On pourrait donc supposer que le Sauveur a
voulu dire : Qui reçoit celui que j'ai envoyé me reçoit en tant qu'homme, mais
qui me reçoit comme Dieu, reçoit celui qui m'a envoyé. Toutefois, en
s'exprimant de la sorte, ce n'est point l'unité de nature qu'il voulait faire
ressortir dans la personne de celui qui est envoyé, mais l'autorité de celui
qui envoie ; si donc vous considérez Jésus-Christ dans Pierre, vous y trouverez
le maître du disciple ; si au contraire vous considérez
le Père dans le Fils, vous trouverez le Père du Fils unique.
S. CHRYS. (hom.
72 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur venait d'offrir cette double
consolation à ses Apôtres, qui devaient bientôt parcourir le monde entier, mais
il se trouble à la pensée que le traître disciple devait être privé :
« Lorsqu'il eut dit ces choses, Jésus se troubla en son esprit, » etc. —
S. AUG. (Traité 60 sur saint Jean.) Ce n'était pas la première
fois que cette pensée lui venait dans l'esprit, mais il allait désigner si
clairement celui qui devait le trahir, qu'il ne lui serait plus possible de
rester caché parmi les autres, et c'est une des causes de son trouble.
D'ailleurs, Judas allait bientôt sortir pour amener les Juifs et leur livrer le
Sauveur, et Jésus était encore troublé par les approches de sa passion, par les
dangers qui le menaçaient, et par la trahison imminente de son perfide
disciple, dont il connaissait par avance les intentions. (Traité 6l.) Nôtre-Seigneur
« voulu nous apprendre aussi par ce trouble, que lorsque la nécessité force
l'Eglise de séparer de faux frères de son sein avant la moisson, ce ne doit
jamais être sans un grand sentiment de trouble. Or, il fut troublé, non dans sa
chair, mais dans son esprit ; car au milieu de ces scandales, le trouble des
hommes vraiment spirituels ne vient pas d'un sentiment répréhensible, mais de
la charité qui leur fait craindre qu'en arrachant l'ivraie, on ne déracine en
même temps le bon grain. (Mat 13) — (Traité 60.) Que ce trouble
ait eu pour cause ou un sentiment de compassion pour Judas, qui allait se
perdre, ou les approches de sa mort, ce n'est point par faiblesse d'âme, mais
par un acte de sa puissance que Jésus se trouble ; car ce trouble n'est point
forcé, il est tout à fait volontaire, il se troubla lui-même, comme il est dit
plus haut. Or, ce trouble est une source de consolation pour les membres
faibles de son corps, c'est-à-dire, de son Eglise, que Jésus apprend à ne point
se regarder comme coupables, si le trouble s'empare de leur âme aux approches
de la mort de ceux qui leur sont chers. — ORIG.
(Traité 32.) Jésus est troublé en esprit, c'est-à-dire,
que ce sentiment humain était produit par la puissance de l'esprit. En effet,
si tous les saints vivent, agissent et souffrent en esprit, à combien plus
forte raison devons-nous l'assurer de Jésus, le premier et le chef de tous les
saints.
S. AUG. (Traité
60.) Périssent donc tous les raisonnements des stoïciens, qui
prétendent que l'âme du sage doit être complètement inaccessible au trouble ;
de même qu'ils prennent la vanité pour la vérité, ils regardent l'insensibilité
comme un indice de la force de l'âme.
L’âme du chrétien
peut donc légitimement être troublée, non par la souffrance, mais par un
sentiment de compassion. (Traité 61.) Jésus dit : « L'un de vous,
» par le nombre, non par le mérite ; l'un de vous par l'apparence et non par sa
vertu.
S. CHRYS. Mais comme il n'avait pas
désigné le traître par son nom, ils sont tous de nouveau saisis de frayeur : «
Les disciples donc se regardaient l'un l'autre, ne sachant de qui il parlait. »
Leur conscience ne leur reprochait aucun dessein de ce genre, et cependant
cette déclaration du Sauveur l'emportait dans leur esprit sur leurs propres
pensées. — S. AUG. (Traité 61.)
Leur pieuse tendresse pour leur maître ne les empêchait pas, sous l'impression
d'un sentiment de faiblesse naturelle, de concevoir ces soupçons les uns à
l'égard des autres. — ORIG. Ils
se rappelaient d'ailleurs par l'expérience qu'ils avaient de la faiblesse
humaine, que la vertu, chez les parfaits, n'est point à l'abri de la
mutabilité, et que les désirs les plus louables peuvent facilement se changer
en désirs contraires.
S. CHRYS. Tous
donc étant saisis de crainte, et Pierre, leur chef, tout tremblant lui-même ;
Jean, comme le disciple bien-aimé, inclina sa tête sur la poitrine de Jésus : «
Or, un des disciples de Jésus, que Jésus aimait, reposait sur son sein. » — S.
AUG. C'était Jean, l'auteur
de cet Evangile, comme il le déclare plus loin lui-même. En effet, lorsque les
écrivains sacrés racontent un fait où il est question d'eux-mêmes, ils ont
coutume d'en parler comme d'une tierce personne. Et en effet, en quoi peut
souffrir la vérité du récit, lorsque les choses sont dites telles qu'elles
sont, et qu'en même temps l'écrivain échappe au danger de la vanité ?
S. CHRYS. Si
vous désirez connaître la cause d'une si grande familiarité de la part de Jean,
c'était l'amour de Jésus pour lui, c'est pour cela qu'il ajoute : « Celui
qu'aimait Jésus. » Jésus aimait tous les autres Apôtres, mais il avait
pour celui-ci une affection plus spéciale. — ORIG.
Je pense que Jean, reposant sur le sein du Verbe, veut nous apprendre
qu'il goûtait, un doux repos dans la considération des mystères secrets du
Verbe. — S. CHRYS. Il voulait
encore montrer par là qu'il était innocent du crime de trahison, et il
s'exprime de la sorte pour ne point vous laisser penser que Pierre lui fit
signe comme à quelqu'un qui lui serait supérieur en dignité. En effet,
l'Evangéliste ajoute : « Simon-Pierre lui fit signe et lui dit : Qui est
celui dont on parle ? » En toutes circonstances, nous voyons Pierre comme
emporté par la vivacité de son amour ; comme il en a déjà été repris par le
Sauveur, il ne prend plus lui-même la parole, et cherche à savoir ce qu'il
désire par l'intermédiaire de Jean, car le saint Evangile nous montre partout
Pierre, plein de ferveur, et vivant dans une grande intimité avec Jean.
S. AUG. Remarquez
ici cette manière de s'exprimer sans parler, et par un simple signe. Il lui fît
signe dit l'Evangéliste, et il lui demande, c'est-à-dire, il lui demande par le
signe même qu'il faisait ; car si la pensée seule est un véritable langage,
comme l'atteste l'Ecriture dans ce passage : « Ils dirent en eux-mêmes, »
combien plus peut-on parler par signes, puisqu'alors on manifeste au dehors par
une expression quelconque la pensée qu'on a conçue dans son cœur ? — ORIG. On
peut dire encore que Pierre commence par faire signe, et que non content de ce
signe, il fit cette question : « Quel est celui dont il parle ? »
« C'est pourquoi ce disciple s'étant penché sur la
poitrine de Jésus, lui dit : Seigneur, qui
est-ce ? » Précédemment l'Evangéliste avait dit sur le sein, il dit maintenant
sur la poitrine. — ORIG. On peut
dire encore qu'il était couché sur le sein de Jésus, et qu'ensuite il monta
plus haut et reposa sur sa poitrine. Il semble que s'il ne se fût point reposé
sur la poitrine de Jésus, et qu'il fût resté couché sur son sein, le Seigneur
ne lui aurait pas fait connaître ce que Pierre désirait savoir. En reposant
donc en dernier lieu sur la poitrine de Jésus, il nous apprend qu'il était le
disciple privilégié de Jésus, par l'effet d'une grâce plus haute et plus
abondante. — BEDE. Ce repos qu'il
prend sur le sein et sur la poitrine de Jésus, n'est pas seulement la preuve de
l'amour du Sauveur pour lui, mais le présage de ce qui devait arriver,
c'est-à-dire, que Jean devait puiser sur la poitrine de Jésus cette voix qui
devait retentir et qu'aucun des siècles précédents n'avait entendue. — S. AUG. (Traité 61 sur S. Jean.)
Le sein est en effet ici la figure d'un mystère caché, et le sein de la
poitrine est comme la source secrète de la sagesse.
S. CHRYS. (hom.
72.) Cependant Nôtre-Seigneur ne fait pas encore connaître par son nom le
traître disciple : « Jésus lui répondit : C'est celui à qui je présenterai le
pain trempé. » Cette manière de le faire connaître avait pour but de lui faire
changer de résolution ; et puisqu'il n'avait point rougi de s'asseoir à la même
table que son divin Maître, il devait rougir au moins en mangeant le même pain.
« Et ayant trempé du pain, il le donna à Judas
Iscariote, fils de Simon. » — S. AUG. (Traité
62.) On ne peut admettre, avec quelques lecteurs superficiels, que Judas
reçut alors seul le corps du Seigneur; nous devons admettre au contraire que le
Sauveur avait déjà distribué le sacrement de son corps et
de son sang à tous ses disciples, et que Judas était du nombre, au témoignage
de saint Luc (Lc 22). Ce ne fut qu'après la communion que, suivant le
récit de saint Jean, le Seigneur fit connaître celui qui devait le trahir en
lui donnant un morceau de pain trempé. Peut-être, par ce pain trempé, voulut-il
désigner l'hypocrisie du traître disciple, car tout ce qui est trempé n'est
point pour cela purifié, et quelquefois une chose est souillée, par cela seul
qu'elle est trempée ; si au contraire ce morceau de pain trempé est le symbole
d'une grâce particulière, l'ingratitude de Judas, après le nouveau bienfait,
rend plus juste encore sa réprobation.
« Et quand il eut pris ce morceau, Satan entra en
lui. » — ORIG. Remarquez que
Satan n'était pas tout d'abord entré dans le cœur de Judas, il lui avait
seulement suggéré la pensée de trahir son Maître, ce ne fut qu'après ce morceau
qu'il entra dans son âme. Prenons donc bien garde que le démon ne fasse
pénétrer dans notre âme quelques-uns de ses traits enflammés, car s'il y
réussit, il redouble ses efforts pour entrer lui-même. — S. CHRYS. Tant que Judas fit partie du
corps des Apôtres, le démon n'osait s'emparer entièrement de lui, il se
contentait de l'attaquer extérieurement, mais lorsqu'il l'eût fait connaître et
qu'il l'eût séparé des autres disciples, il se trouva plus libre pour se saisir
de sa personne. — S. AUG. Ou bien : « Satan entra en lui, » dans ce sens
qu'il prit complètement possession de celui Qui lui appartenait déjà, car il
était déjà dans Judas, lorsque ce perfide disciple convint avec les Juifs du
prix de sa trahison, comme saint Luc le dit clairement : « Or, Satan entra
en Judas, surnommé Iscariote, l'un des douze ; et il s'en alla conférer avec
les princes des prêtres et les officiers du
temple, sur les moyens de le leur livrer. » Il était donc au pouvoir de Judas,
lorsqu'il vint se mettre à table avec Jésus, mais après qu'il eut reçu ce
morceau de pain, Satan entra en lui, non plus comme pour tenter un homme qui
lui fût étranger, mais pour posséder plus pleinement celui qui lui appartenait
déjà. — ORIG. Il était juste, à mon avis, qu'après que ce morceau de pain lui
l'ut présenté, il perdit le bien dont il était indigne et qu'il croyait
posséder, et qu'ainsi dépouillé de ce bien, le démon pût entrer plus facilement
dans son âme.
S. AUG. Il
en est qui disent : Est-ce qu'un morceau de pain pris sur la table du Seigneur,
a pu avoir pour effet de livrer à Satan l'entrée du l'âme de ce perfide
disciple ? Nous répondons que nous devons apprendre par là avec quel soin nous
devons éviter de recevoir les grâces du ciel dans de mauvaises dispositions,
car si Dieu traite si sévèrement celui qui ne discerne pas (c'est-à-dire, qui
ne distingue pas des autres aliments) le corps du Seigneur, quelle sera la condamnation
de celui qui, sous les dehors de l'amitié, s'approche de sa table avec un cœur
hostile ?
« Et Jésus lui dit : Ce que vous faites, faites-le
vite. » On ne peut dire avec certitude à qui s'adressent ces paroles, car
Notre-Seigneur a pu dire également à Judas ou à Satan : « Ce que vous faites,
faites-le vite, » en provoquant, pour ainsi dire, son ennemi au combat, ou en
pressant le traître disciple d'aider à l'accomplissement du mystère, qui devait
être le salut du inonde, et dont il pressait l'exécution, loin de vouloir la
retarder. — S. AUG. Toutefois, il
ne commande pas le crime, il le prédit simplement, non point pour hâter la
perte de son perfide disciple, que pour
accomplir au plutôt l'œuvre du salut des nommes. — S. CHRYS. Ces paroles : « Ce que vous faites, faites-le au
plus vite, ne sont ni un ordre ni un conseil, mais un reproche, et une preuve
que le Sauveur ne voulait mettre aucun obstacle à la trahison de son disciple :
« Aucun de ceux qui étaient à table ne comprit pourquoi il lui disait cela. »
Une difficulté assez grande se présente ici, et on se demande comment les
disciples qui avaient demandé quel était celui dont Jésus parlait, n'aient pas
compris la réponse du Sauveur : « Celui à qui je présenterai un morceau de
pain trempé. » Il faut donc admettre que Jésus fit cette réponse à voix basse,
de manière que personne ne l'entendit, et que Jean, qui reposait sur son sein,
lui fit précisément cette question à l'oreille, pour ne point faire connaître
celui qui devait le trahir ; car, si le Sauveur l'eût clairement désigné,
Pierre eût pu le mettre à mort. C'est pour cela que l'Evangéliste dit qu'aucun
de ceux qui étaient à table ne comprit pourquoi il lui disait cela, pas même
Jean, qui ne pouvait penser qu'un disciple de Jésus put se porter à cet excès
de scélératesse ; ne pouvant soupçonner dans les autres l'idée d'un crime dont
il était si éloigné lui-même. Les Apôtres ne comprirent donc point le véritable
motif des paroles de Jésus. L'Evangéliste nous apprend dans quel sens ils les
entendirent en ajoutant : « Quelques-uns pensaient que, comme Judas avait la
bourse, Jésus lui avait dit : Achetez ce dont nous avons besoin pour la fête, »
etc.
S. AUG. Nôtre-Seigneur
avait donc une bourse, dans laquelle il conservait les offrandes des fidèles destinées
à pourvoir aux besoins de ses disciples et au soulagement des pauvres. Telle
fut la première institution de la propriété ecclésiastique. Lors donc que le
Sauveur nous ordonne de ne point songer au lendemain,
(Mt 6) ce précepte n'est pas une défense faite aux fidèles de ne
conserver aucun argent, mais un avertissement de ne point servir Dieu en vue de
l'argent, et de ne jamais sacrifier la justice par crainte de la pauvreté. — S.
CHRYS. Aucun des disciples de
Jésus ne lui apportait d'argent ; mais l'Evangéliste nous fait entendre ici que
de pieuses femmes fournissaient à Jésus ce qui lui était nécessaire pour son
entretien. Or, celui qui ordonne à ses apôtres de ne porter ni sac, ni bâton,
ni urgent, portait lui-même une bourse pour subvenir aux besoins des pauvres,
afin de nous apprendre que celui même qui embrasse une vie de pauvreté et de
crucifiement à tout ce qui est dans le monde, doit cependant avoir une grande
sollicitude pour les pauvres ; car, Nôtre-Seigneur a fait beaucoup de choses
dans sa vie, uniquement pour notre instruction.
ORIG. Le Sauveur avait dit à Judas : « Ce que vous
faites, faites-le au plus vite, » et le traître disciple n'obéit que sur ce
point à son Maître ; aussitôt qu'il a reçu ce morceau de pain, il se hâte
d'accomplir, sans aucun retard, son criminel dessein. « Judas, ayant donc pris
ce morceau de pain, sortit aussitôt. » Et, en effet, il sortit, non-seulement
en quittant la maison où il se trouvait, mais en se séparant tout à fait de
Jésus. Quant à moi, je pense que Satan, qui était entré dans Judas, après qu'il
eut reçu ce morceau de pain, ne pouvait supporter d'être plus longtemps dans le
même lieu que Jésus ; car il ne peut y avoir aucun point de contact entre Jésus
et Satan. Il n'est pas inutile de rechercher pourquoi l’Evangéliste, qui nous
rapporte que Judas
reçut ce morceau de pain, n'ajoute pas qu'il le mangea. Est-ce qu'eu effet
Judas ne mangea point le morceau de pain ? Ne peut-on pas dire que, lorsqu'il
eut pris ce morceau de pain, le démon, qui lui avait suggéré la pensée de
trahir son Maître, craignant qu'en mangeant de ce pain il ne renonçât à son
dessein, se hâta d'entrer en lui aussitôt qu'il l'eut reçu des mains du
Sauveur, et le fit sortir aussitôt de la maison ? On peut dire encore, avec
autant de raison, que de même que celui qui mange indignement le pain du
Seigneur ou boit indignement son calice, le mange et le boit pour sa
condamnation ; ainsi Jésus donna ce pain aux uns pour leur salut, et à Judas
pour sa perte ; en sorte que Satan entra en lui aussitôt qu'il l'eut reçu.
S. CHRYS. L'Evangéliste ajoute : « Or, il était
nuit, » pour faire ressortir l'audace téméraire de Judas, que le temps ne dut
ni retenir ni détourner de son dessein. — ORIG. Cette nuit extérieure et
sensible était d'ailleurs la figure des ténèbres, qui s'étendaient sur l'âme de
Judas. — S. GREG. (Moral., 2, 2.) La circonstance du temps fait
ressortir la nature et la fin de l'action, et l'Evangile nous fait voir Judas
accomplissant dans la nuit son œuvre de trahison, parce qu'il ne devait jamais
eu concevoir de repentir.
ORIG. (Traité 32 sur S.
Jean.) Après les glorieux témoignages qu'avaient rendus au Sauveur les
prodiges qu'il avait opérés, et le miracle de la transfiguration, la
glorification du Fils de l'homme commença lorsque Judas, avec Satan, qui était
entré en lui, sortirent du lieu où se trouvait Jésus. «
Lorsqu'il fut sorti, Jésus dit : Maintenant le Fils de l'homme a été glorifié.
» Il ne s'agit pas ici de la gloire du Fils unique et immortel, du Verbe de
Dieu, mais de la gloire de l'homme qui est né de la race de David. En effet, si
dans la mort de Jésus-Christ, qui a glorifié Dieu, nous voyons s'accomplir ces
paroles : « Il a dépouillé les puissances et les principautés, il les a
menées hautement on triomphe à la face de tout le monde par le bois de sa croix » (Col 2, 15) et ces
autres : « Il a pacifié, par le sang qu'il a répandu sur la croix, tant ce qui
est sur la terre, que ce qui est dans le ciel ; » (Col 1, 20) la gloire
qui en est résultée pour le Fils de l'homme, est inséparable de la gloire du
Père, qui a été glorifié en lui ; car, on ne peut glorifier Jésus-Christ sans
glorifier en même temps le Père. Mais comme celui qui est glorifié l'est
nécessairement par quelqu'un, si vous demandez par qui le l'ils de l'homme a
été glorifié, il vous répond lui-même : « Si Dieu a été glorifié en lui, Dieu
aussi le glorifiera en lui-même. » — S. CHRYS.
C'est-à-dire par lui-même et non par un autre. « Et c'est bientôt qu'il
le glorifiera. » Comme il disait : Ce ne sera pas après un long espace
de temps, car la croix fera bientôt éclater ces glorieux témoignages ; en
effet, le soleil s'éclipsa, les rochers furent brisés, et un grand nombre de
ceux qui étaient morts ressuscitèrent. C'est ainsi qu'il relève l'esprit abattu
de ses disciples, et qu'il les excite non-seulement à bannir la tristesse, mais
à se livrer à la joie.
S. Ane. (Traité 63 sur S. Jean.) Ou
bien encore : Le disciple impur étant sorti, tous ceux qui étaient purs
demeurèrent avec celui qui les avait purifiés. Il arrivera
quelque chose de semblable lorsque l'ivraie, étant séparée du froment, les
justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père. (Mt 13) C'est dans la prévision de cette
séparation future que Nôtre-Seigneur, lorsque Judas fut sorti, c'est-à-dire
lorsque l'ivraie fut séparée et qu'il ne resta plus que le bon grain,
c'est-à-dire les saints Apôtres, dit : « Maintenant, le Fils de l'homme est
glorifié. » Il semble dire : Voilà ce qui aura lieu dans ma glorification ; ou
n'y verra aucun méchant ; aucun des bons qui s'y trouveront ne périra.
Remarquez que Nôtre-Seigneur ne dit pas : C'est maintenant qu'est figurée la
glorification du Fils de l'homme, mais : « C'est maintenant que le Fils de
l'homme est glorifié ; » de même que l'Apôtre ne dit pas : La pierre signifiait
le Christ ; mais : « La pierre était le Christ. » (1 Co 10) Car, les
écrivains sacrés ont coutume de donner aux figures le nom des choses figurées.
Or, la glorification du Fils de l'homme a pour but que Dieu soit glorifié en lui,
comme Nôtre-Seigneur l'ajoute : « Et Dieu est glorifié en lui. » Il donne
ensuite l'explication de ces paroles : « Si Dieu a été glorifié en lui
(parce qu'il n'est point venu faire sa volonté, mais la volonté de celui qui
l'a envoyé), Dieu aussi le glorifiera en lui-même, » en donnant l'immortalité à
la nature humaine, à laquelle le Verbe s'est uni. « Et bientôt il le
glorifiera, » paroles qui sont une prédiction de sa résurrection, qui ne sera
point retardée, comme la nôtre, à la fin du monde, mais qui suivra presque
immédiatement sa mort. Ou peut aussi entendre, de cette résurrection prochaine,
ce qu'il a dit plus haut : « Maintenant, le Fils de l'homme est glorifié ; » et
l'expression : « Maintenant, » s'appliquerait non point à sa passion, qui
était proche, mais à sa résurrection, qui devait suivre,
et qui regardait comme déjà faite parce qu'elle devait arriver bientôt.
S. HIL. (de la Trin., 11) Ces paroles : «
Dieu a été glorifié en lui, » se
rapportent à la gloire du corps de Jésus-Christ, qui a fait ressortir la gloire
de Dieu par celle qu'il empruntait lui-même de son union avec la nature divine.
Dieu, en retour de cette gloire que son Fils lui donnait, l'a glorifié en
lui-même, en augmentant la gloire que le Fils donnait en lui à Dieu, de telle sorte
que celui qui règne dans la gloire (qui est la gloire de Dieu), fût comme
transformé dans la gloire de Dieu, en demeurant tout entier Dieu par l'union de
son humanité avec la divinité. Il ne veut pas laisser ignorer le temps de cette
glorification : « Et bientôt il le glorifiera, » c'est-à-dire, qu'au moment où
Judas sort pour le trahir, Jésus prédit la gloire que doit lui procurer bientôt
sa résurrection après sa passion, et réserve pour un temps plus éloigné la
gloire par laquelle Dieu devait le glorifier en lui-même, en faisant éclater
aux yeux de tous la puissance de sa résurrection, tandis que lui-même devait
rester en Dieu en vertu de cette mystérieuse disposition qui le soumet à son
Père.
S. HIL. (de la Trin., 9) La première
signification de ces paroles : « Maintenant le Fils de l'homme a été
glorifié, » ne peut être douteuse à mon avis, car ce n'est point le Verbe, mais
la chair qu'il s'était unie qui était susceptible d'une nouvelle gloire. Mais
je me demande ce que signifient les paroles qui suivent : « Et Dieu a été
glorifié en lui ; » en effet, le Fils de l'homme n'est point autre que le Fils
de Dieu (puisque c'est le Verbe qui s'est fait chair) ; je cherche donc comment
Dieu a été glorifié dans ce Fils de l'homme qui est en même temps le Fils de
Dieu. Examinons encore le sens de ces autres paroles : « Si Dieu a été glorifié
en lui, Dieu le glorifiera en lui-même. » L'homme ne peut être glorifié par
lui-même, et d'autre part le Dieu qui est glorifié dans l'homme (bien qu'il
reçoive de la gloire), ne peut être autre chose que Dieu ; il faut donc ou que
ce soit le Christ qui est glorifié dans la chair, ou le Père qui est glorifié
dans le Christ. Si c'est le Christ, il est certain que le Christ qui est
glorifié dans la chair, est Dieu ; si c'est le Père (qui est Dieu), le Père est
glorifié dans le Fils en vertu du mystère de l'unité. Mais de ce que Dieu
glorifie en lui-même, le Dieu qui a été glorifié dans le Fils, comment peut-on
encore tirer cette conclusion impie, que le Christ ne soit point vrai Dieu, et
n'ait point une même nature avec Dieu le Père ? Est-ce que celui qu'il glorifie
en lui-même serait en dehors de lui ? Celui que le Père, glorifie en lui-même
partage nécessairement la même gloire, et celui qui doit être glorifié de la
gloire du Père, entre nécessairement en participation de toutes les perfections
du Père.
ORIG. Disons encore que le mot
gloire n'a pas ici le sens que lui donnent quelques païens qui définissent la
gloire, la réunion des louanges qui sont données par un grand nombre, car il
est évident que ce n'est pas là le sens du mot gloire dans l'Exode, où il est
dit : « Que le tabernacle fut rempli de la gloire de Dieu ; » (Ex 40, 32) et encore que la figure de Moïse
fut resplendissante de gloire (Ex 34, 35). Dans le sens premier et
littéral, on doit entendre qu'il y eut comme une apparition plus spéciale de la
gloire divine dans le tabernacle aussi bien que sur le visage de Moïse, qui
venait de s'entretenir avec Dieu. Mais dans le sens figuré, la gloire de Dieu
apparut, parce que l'intelligence déifiée et s'élevant au-dessus de toutes les
choses matérielles
pour scruter la vision de Dieu, participe à l'éclat de la divinité qu'elle
contemple, c'est dans ce sens que le visage de Moïse resplendit de gloire,
parce que son intelligence fut comme déifiée ; or, on ne peut établir aucune
comparaison entre la prééminence divine de Jésus-Christ et l'éclat qui
rejaillissait de l'intelligence de Moïse sur son visage, car le Fils est la
splendeur de toute la gloire, divine au témoignage de saint Paul : « Et comme
il est la splendeur de sa gloire et l'image de sa substance. » (He 1,
3.) Bien plus, de ce foyer complet de gloire et de lumière partent des rayons
éclatants qui se répandent sur la créature raisonnable, car je ne pense pas
qu'aucune créature puisse comprendre toute la splendeur de la gloire divine, le
Fils seul en est capable. Le Fils n'était donc, pas glorifié dans le monde,
alors qu'il n'en était pas connu, mais lorsque le Père eut donné la
connaissance de Jésus à quelques-uns de ceux qui existaient dans le monde, le
Fils de l'homme fut glorifié dans ceux dont il était connu. Cette connaissance
fut une cause de gloire pour ceux qui la possédaient, car ceux qui contemplent
à visage découvert la gloire du Seigneur sont transformés en sa ressemblance (2
Co 3, 13) par la gloire de celui qui est glorifié qui rejaillit sur ceux
qui le glorifient. Lors donc qu'il vit s'approcher l'accomplissement de ce
mystère qui devait le faire connaître au monde et lui mériter cette gloire qui
devait se répondre sur ceux qui le glorifieraient, il dit. : « C'est maintenant
que le Fils de l'homme est glorifié. » Et
comme nul n'a connu le Père, si ce n'est le Fils, et celui à qui le
Fils l'a révélé, et qu'il entrait dans le plan de l'incarnation divine que le
Fils fit connaître le Père, Dieu fut par cela même glorifié en lui. Pour bien
comprendre ces paroles : « Dieu a été glorifié en lui, » vous les
rapprocherez de ces
autres : « Celui qui me voit, voit aussi mon Père. » (Jn 14) On voit, en effet, le Père, parce
que le Verbe est Dieu, et l'image invisible de Dieu le Père qui l'a engendré.
On peut encore donner de ce passage une explication plus développée et plus
claire. De même que le nom de Dieu est blasphémé par quelques-uns parmi les
nations (Rm 2, 24), ainsi ce nom divin du Père est glorifié par
les saints, dont les oeuvres parfaites brillent aux yeux des autres hommes.
Mais par qui Dieu a-t-il été plus glorifié que par Jésus, qui n'a commis aucun
péché, et dans la bouche de qui le mensonge ne s'est point trouvé ? (1 P 2, 22.) C'est donc ainsi que le Fils a
été glorifié, et que Dieu a été glorifié en lui ; mais si Dieu a été glorifié
en lui, il lui rend une gloire bien supérieure à celle que le Fils lui a
donnée, car la gloire que le Père donne au Fils de l'homme, lorsqu'il le
glorifie, est incomparablement plus grande que celle qu'il rend lui-même à Dieu
le Père qui est glorifié en lui. Il était convenable, en effet, que celui qui
était le plus puissant, rendît aussi une gloire plus grande, et comme cette gloire
que le Père devait accorder au Fils de l'homme ne devait point tarder, Jésus
ajoute : « Et bientôt il le glorifiera. »
S. AUG. (Traité
64 sur S. Jean.) Ce que Nôtre-Seigneur venait de dire : « Et bientôt
il le glorifiera, » pouvait laisser croire aux disciples qu'après que Dieu
l'aurait glorifié, il cesserait de leur être uni et de vivre avec eux sur la
terre, c'est pour cela qu'il ajoute : « Mes petits enfants, je ne suis plus
avec vous que pour un peu de temps ; » c'est-à-dire, je serai immédiatement
glorifié par ma résurrection, mais je ne remonterai pas aussitôt dans les deux,
car comme il est écrit dans les Actes des Apôtres : « Il demeura quarante,
jours avec eux après sa résurrection, » (chap. 1) et c'est à ces quarante jours
qu'il fait allusion, lorsqu'il dit : « Je ne suis plus avec, vous que pour un
peu de temps. »
ORIG. (Traité 32 sur S. Jean.) Ce nom
de petits enfants qu'il leur donne, prouve que leur âme, était encore
soumise aux faiblesses de l'enfance, mais ceux qu'il appelle maintenant des
petits enfants deviennent ses frères après sa résurrection, de même qu'ils
avaient été des serviteurs avant de devenir des petits enfants. — S. AUG. On
peut entendre ces paroles dans ce sens : Je suis encore comme vous dans
l'infirmité de la chair, c'est-à-dire, jusqu'au temps de ma mort et de ma
résurrection. Après sa résurrection, il fut encore présent au milieu d'eux
d'une présence corporelle, mais il cessa de partager les faiblesses de la
nature humaine. Nous voyons, en effet, dans un autre évangéliste, qu'il tient
ce langage à ses Apôtres : « C'est là ce que je vous ai dit, étant encore avec
vous, » (Lc 24) c'est-à-dire, alors que j'étais dans celte chair
mortelle qui nous est commune. Après sa résurrection, il était encore avec eux
dans la même chair, mais il n'était plus comme eux soumis aux conditions de la
mortalité. Il est encore une autre présence divine inaccessible aux sens, et
dont le Sauveur veut parler quand il dit : « Voici que, je suis avec vous
jusqu'à la consommation des siècles. » (Mt 28) Il ne dit pas ici : « Je
ne suis avec vous que pour un peu de temps, » car le temps qui doit s'écouler
jusqu'à la consommation des siècles n'est pas de courte durée, ou s'il est de
courte durée, parce que mille ans sont aux yeux de Dieu comme un seul jour (Ps
89), ce n'est pas cependant
cette vérité que le Sauveur a voulu exprimer, puisqu'il ajoute : « Vous me
chercherez, et comme j'ai dit aux Juifs : Où je vais vous ne pouvez venir. »
Est-ce qu'à la fin du monde il y aurait encore impossibilité d'aller où il
allait lui-même, pour ceux à qui il devait bientôt dire : « Mon Père, je veux
que là où je suis, ils soient eux-mêmes avec moi. » (Jn 18)
ORIG. Dans leur sens le plus
simple, ces paroles n'offrent aucune difficulté, parce qu'en effet, le Sauveur
ne devait pas rester longtemps avec ses disciples ; mais si l'on veut leur
donner une signification plus profonde et plus cachée, ou se demande s'il n'a
pas cessé d'être avec eux après un peu de temps, non parce qu'il n'était plus
présent corporellement au milieu d'eux, mais parce que peu de temps après
s'accomplit celte prédiction qu'il avait faite : « Je vous serai un sujet
de scandale cette nuit. » Ainsi il n'était plus avec eux, parce qu'il ne reste
qu'avec ceux qui en sont dignes. Mais bien qu'il ne fût pas avec eux, ils
savaient cependant chercher Jésus, comme Pierre, qui en répandant tant de
larmes, après avoir renié son divin Maître, cherchait évidemment Jésus. C'est
pourquoi Nôtre-Seigneur ajoute : « Vous me chercherez, et comme j'ai dit aux
Juifs : Où je vais, vous ne pouvez venir. » Chercher Jésus, c'est chercher le
Verbe, la sagesse, la justice, la vérité, la puissance divine, toutes choses
qui se trouvent dans le Christ. Ils voulaient donc suivre Jésus, non pas
corporellement, comme quelques ignorants le prétendent, mais dans le sens
spirituel dont parle le Sauveur, quand il dit : « Celui qui ne porte point
sa croix et ne me suit pas, ne peut être mon disciple. » (Lc 14, 27.) Et
Jésus leur dit : « Là où je vais, vous ne pouvez venir ; » lors même qu'ils
eussent voulu suivre le Verbe et le confesser publiquement, ils n'avaient pas
la force nécessaire, car l'Esprit saint n'avait pas encore été donné, parce que
Jésus n'était pas encore glorifié.
S. AUG. Ou
bien, Nôtre-Seigneur leur parle de la sorte, parce qu'ils n’étaient pas encore
capables de le suivre jusqu'à la mort pour la justice ; car comment
auraient-ils pu le suivre, n'étant pas encore mûrs pour la justice ? Ou comment
auraient-ils pu suivre le Seigneur jusqu’à l'immortalité de sa chair, eux qui
ne devaient ressusciter qu'à la fin des siècles, quelle que fût l'époque de
leur mort? Ou bien encore, comment auraient-ils pu suivre le Seigneur jusque
dans le sein du Père, alors que la charité parfaite pouvait seule leur donner
l'entrée de cette suprême félicité ? Lorsque Jésus s'adressait aux Juifs, il
n'ajoutait point : « Maintenant, » car si ces disciples ne pouvaient le suivre
actuellement, ils devaient le suivre plus tard, et c'est pour cela que le
Sauveur ajoute : « Je vous le dis aussi maintenant. » — ORIG. Et je vous le dis, mais prenant soin de spécifier le
temps par celte expression : « Maintenant, » car pour les Juifs qu'il prévoyait
devoir mourir dans leurs crimes, ils ne pouvaient suivre bientôt Jésus où il
allait, tandis que les disciples, dans un temps fort court, devaient suivre le
Verbe.
S. CHRYS. Il appelle ses disciples : « Mes petits
enfants, » afin qu'ils ne s'appliquent point ces paroles qui semblaient les
ranger avec les Juifs : « Ainsi que je l'ai dit aux Juifs, » et il leur donne
ce nom pour rendre plus vif l'amour qu'ils avaient pour lui. En effet, c'est
lorsque nous voyons une personne qui nous est chère sur le point de nous
quitter, que nous sentons notre affection pour elle redoubler, surtout lorsque
nous la voyons partir pour des lieux où il nous est impossible de la suivre. Il
nous apprend en même temps que sa mort n'est qu'un déplacement, une translation
heureuse dans un lieu où les corps mortels ne peuvent avoir d'accès.
S. AUG. Nôtre-Seigneur
leur enseigne du reste la voie qu'ils devront suivre pour arriver là où il les
précédait : « Je vous donne un commandement nouveau, c’est de vous aimer les
uns les autres. » (Traité 65) Mais est-ce que ce commandement n'existait
pas déjà dans l'ancienne loi, qui avait Dieu pour auteur, et où il est écrit :
« Vous aimerez votre prochain comme vous-même ? » Pourquoi donc Nôtre-Seigneur
l'appelle-t-il un commandement nouveau ? Est-ce qu'il nous a dépouillé du
vieil homme pour nous revêtir du nouveau ? Celui, en effet, qui reçoit ce
précepte, ou plutôt qui lui est fidèle, se trouve renouvelé, non point par
toute espèce d'amour, mais par cet amour que le Sauveur distingue avec soin de
l'affection purement naturelle, en ajoutant : « Comme je vous ai aimés,
aimez-vous les uns les autres. » Ne vous aimez pas comme s'aiment les hommes
qui ne cherchent qu'à corrompre, ni comme ceux qui s'aiment, parce qu'ils ont
une même nature, mais aimez-vous comme ceux qui s'aiment mutuellement, parce
qu'ils sont dieux, et les fils du Très-Haut, pour devenir ainsi les
frères du Fils unique de Dieu, en s'aimant mutuellement de cet amour qu'il a eu
pour eux et qui le porte à les conduire à cette fin bienheureuse où il
rassasiera leurs désirs dans l'abondance de tous les biens. — S. CHRYS. Ou bien encore ces paroles : «
Comme je vous ai aimés, » signifient que l'amour que j'ai eu pour vous, n'a pas été fondé sur vos mérites antérieurs, c'est moi qui vous
ai prévenus, ainsi devez-vous faire le bien, sans y être forcés par aucune
obligation de reconnaissance.
S. AUG. Ne
croyez pas que le Sauveur ait oublié ici le commandement qui nous oblige
d'aimer le Seigneur notre Dieu ; car, pour qui l’entend bien, chacun de ces
deux commandements se retrouve dans l'autre. En effet, celui qui aime Dieu ne
peut pas mépriser Dieu, qui lui recommande d'aimer le prochain ; et celui qui
aime le prochain d'un amour surnaturel et spirituel, qu'aime-t-il en lui, si ce
n'est Dieu ? C'est cet amour que Nôtre-Seigneur veut séparer de toute affection
terrestre, lorsqu'il ajoute : « Comme je vous ai aimés. » Qu'a-t-il aimé
en nous, en effet, si ce n'est Dieu ? Non pas Dieu que nous possédons, mais
Dieu, qu'il désirait voir en nous. Aimons-nous donc ainsi les uns les autres,
afin qu'autant que nous le pourrons, nous soyons attirés à la possession de
Dieu seul par la force de cet amour mutuel.
S. CHRYS. Nôtre-Seigneur
laisse de côté les miracles que ses disciples devaient opérer, et veut qu'on ne
les reconnaisse qu'à cet amour seul qu'ils auront les uns pour les autres : «
C'est en cela que tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez,
de l'amour les uns pour les autres. » C'est à ce signe qu'on reconnaît la
véritable sainteté, comme c'est à ce signe que le Sauveur reconnaît ses
disciples. — S. AUG. Ne semble-t-il pas dire : Ceux qui ne sont pas mis
disciples partagent avec vous d'autres grâces, d'autres faveurs ; non-seulement
ils ont une même nature, une même vie, une même intelligence, une même raison,
et cet ensemble de biens qui sont communs aux hommes et aux animaux, mais
encore le don des langues, le pouvoir d'administrer les sacrements, le don de
prophétie, la science, la foi, la distribution de leurs biens aux pauvres, le sacrifice
de leur corps au milieu des flammes ; mais parce qu'ils n'ont point la charité,
ce sont des tymbales retentissantes, ils ne sont rien, et tous ces dons ne leur
servent de rien ?
S. CHRYS. (hom. 73 sur S. Jean.)
L'amour est quelque chose de grand, il est plus fort que le feu, et nul
obstacle ne peut arrêter son élan. Aussi Pierre, sous l'impression de cet
ardent amour, entendant le Sauveur lui dire : « Là où je vais, vous ne pouvez
venir maintenant, » lui fait cette question : « Seigneur, où allez-vous ? » —
S. AUG. (Traité 66 sur S. Jean.) C'est ainsi que le disciple
parle à son Maître, disposé qu'il est à le suivre ; c'est pourquoi le Seigneur,
qui voit le fond de son âme, lui fait cette réponse : « Là où je vais, vous ne
pouvez maintenant me suivre. » Il retarde l'accomplissement de son désir, mais
ne lui enlève pas toute espérance ; au contraire il l'affermit, en lui disant :
a Vous me suivrez un jour. » Pourquoi donc cet empressement, Pierre? Celui qui
est la pierre ne vous a pas encore donné l'appui inébranlable de son esprit;
n'ayez donc point cette présomption orgueilleuse. « Vous ne le pouvez pas
maintenant. » Ne vous laissez point abattre par le désespoir : « Vous me
suivrez plus tard. »
S. CHRYS. Malgré cette réponse, Pierre ne peut
contenir la vivacité de son désir ; il se laisse emporter à la douce espérance qui vient de
lui être donnée, et comme il ne craint pins maintenant de trahir son Maître, il
l'interroge avec sécurité au milieu du silence que gardent les autres apôtres.
« Pierre lui dit : Pourquoi ne puis-je
pas vous suivre à présent ? Je donnerai ma vie pour vous. » Que
dites-vous, Pierre ? Je viens de vous déclarer que vous ne pouvez pas, et vous
insistez, en disant : Je le puis. Vous apprendrez donc par votre expérience que
votre amour n'est rien sans la présence d'un secours surnaturel qui le
dépouille de sa faiblesse. « Jésus lui répondit : Vous donnerez votre vie pour
moi ? » — BEDE. Cette proposition
peut s'entendre de deux manières : premièrement, d'une manière affirmative, en
ce sens : Vous donnerez votre vie pour moi, mais actuellement la crainte de la
mort du corps vous fera tomber dans la mort de l'âme ; secondement, dans un
sens ironique — S. AUG. C'est-à-dire, vous ferez pour moi ce que je n'ai pas
encore fait pour vous ? Vous pouvez me precéder, vous qui n'êtes pas capable de
me suivre ? Pourquoi tant de présomption ? Apprenez donc ce que vous êtes : «
En vérité, en vérité, je vous le dis, le coq ne chantera pas que vous ne
m'ayez renié trois fois, » vous qui promettez de mourir pour moi ? vous
renierez trois fois celui qui est votre vie. Pierre voyait bien l'étendue du
désir de son âme, mais il ne voyait pas sa faiblesse, malade qu'il était, il
vantait bien haut l'ardeur de sa volonté, mais le Médecin connaissait son
infirmité. Peut-on admettre, avec, quelques-uns qui, par une condescendance coupable,
veulent excuser Pierre, que cet apôtre n'a point précisément renié le Christ,
parce qu'à la question que lui fit la servante, il répondit qu'il ne
connaissait pas cet homme, comme les autres évangélistes le disent expressément
? Comme si renier Jésus en tant qu'homme ne soit pas le renier comme Christ, et
le renier dans ce qu'il a daigné se faire pour notre amour et pour nous sauver
de la mort, nous ses créatures. Comment est-il devenu la tête de l'Eglise si ce
n'est par son humanité ? Comment donc peut-on faire partie du corps de
Jésus-Christ, en reniant Jésus-Christ comme homme ? Mais pourquoi nous arrêter
davantage à cette difficulté ? Nôtre-Seigneur ne dit point : Le coq ne
chantera pas que vous n'ayez renié l'homme où le Fils de l'homme ; mais : « Le
coq ne chantera pas que vous ne m'ayez renié. » Que veut dire ici l'expression moi,
si ce n'est ce que Jésus-Christ était alors ? donc tout ce que Pierre a
renié dans le Christ, c'est Jésus-Christ lui-même qu'il a renié. En douter, ce
serait un crime. Jésus-Christ l'a déclaré, il a prédit les deux choses ; il est
donc certain que Pierre a renié Jésus-Christ. N'allons pas accuser
Jésus-Christ, en voulant défendre Pierre. Pierre a reconnu pleinement son
péché, et l'abondance des larmes qu'il a versées a témoigné de la grandeur du
crime qu'il a commis. Si nous parlons de la sorte, ce n'est point pour le
plaisir d'accuser le chef des Apôtres, mais la considération de sa chute nous
apprend combien l'homme doit se défier de ses propres forces. — BEDE. Que chacun cependant profite de
cet exemple. pour ne point se laisser aller au désespoir lorsqu'il tombe dans
quelque faute, et qu'il y puise l'espérance assurée d'obtenir son pardon. — S.
CHRYS. Nous devons aussi conclure de là que le Seigneur permit la chute de Pierre.
Il aurait pu, sans doute, la prévenir tout d'abord ; mais comme cet apôtre
persévérait dans ses protestations opiniâtres, le Sauveur ne le poussa point à
le renier, mais il l'abandonna à ses propres forces, pour lui faire comprendre
sa propre faiblesse, le préserver pour l'avenir d'une si déplorable chute,
lorsqu'il serait chargé du gouvernement du monde entier, et lui donner la
connaissance de lui-même par le souvenir de sa faiblesse.
S. AUG. Ce fut donc l'âme de Pierre qui souffrit la
mort qu'il offrait de souffrir dans son corps, mais dans un sens différent de
celui qu'il pensait ; car avant la mort et la résurrection du Seigneur, il
mourut par son renoncement, et ressuscita par ses larmes. — S. AUG. (De
l'Acc. des Evang., 2, 2.) Le renoncement dr Pierre, dont nous venons de
parler, nous est raconté non-seulement par saint Jean, mais par les trois
autres évangélistes, bien que tous ne le placent pas dans les mêmes
circonstances ; car saint Matthieu et saint Marc le rattachent au discours qui
suivit la sortie du Sauveur de la maison où il avait mangé la pâque ; tandis
que saint Luc et saint Jean le placent avant qu’il en fût sorti : mais il nous
est facile de comprendre ou que les deux premiers évangélistes en ont parlé par
récapitulation, ou les deux derniers par anticipation. On serait peut-être plus
fondé à admettre, en voyant les discours variés et les affirmations différentes
du Seigneur, rapportées par les Evangélistes, que sous l'impression de ces
paroles, Pierre a fait le serment téméraire de mourir pour son Maître ou avec
son Maître, et qu'ainsi il a renouvelé trois fois cet engagement en divers
endroits du discours du Sauveur, de même que Jésus lui a répondu, à trois
reprises différentes, qu'il le renierait trois fois avant le chant du coq.
S. AUG. (Traité
67 sur S. Jean.) Le Sauveur voulant prévenir la crainte tout humaine
que sa mort pouvait produire dans l'âme de ses disciples et le trouble qui
devait s'en suivre, cherche à les consoler, en leur déclarant qu'il est Dieu
lui-même : « Et il dit à ses disciples : Que votre cœur ne se trouble
point, vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi, » c'est-à-dire, si vous croyez
en Dieu, par une conséquence nécessaire, vous devez croire en moi, conséquence
qui ne serait point légitime, si Jésus-Christ n'était pas Dieu. Vous craignez
la mort pour la nature du serviteur, que votre cœur ne se trouble point, la nature divine la
ressuscitera. — S. CHRYS. (hom.
73 sur S. Jean.) La foi que vous aurez en moi et dans mon Père qui
m'a engendré, est plus puissante que tous les événements qui peuvent arriver,
et aucune difficulté ne peut prévaloir contre elle. Il prouve encore ici sa
divinité en dévoilant les pensées les plus intimes de leur âme, et en leur
disant : « Que votre cœur ne se trouble point. » S. AUG. Comme la prédiction que Jésus avait faite à Pierre,
toujours plein de confiance et d'ardeur qu'il le renierait trois fois avant le
chant du coq avait aussi rempli de crainte les autres disciples, Nôtre-Seigneur
les rassure en leur disant : « Il y a beaucoup de demeures dans la maison de
mon Père. » C'est ainsi qu'il calme le trouble et l'agitation de leur âme, en
leur donnant l'espérance assurée, qu'après les périls et les épreuves de cette
vie, ils seraient pour toujours réunis à Dieu avec Jésus-Christ. Que l'un soit
supérieur à un autre en force, en sagesse, en justice, en sainteté, aucun ne
sera exclu de cette maison, où chacun sera placé suivant son mérite. Tous
recevront également le denier que le père de famille ordonne de donner à ceux
qui ont travaillé à sa vigne. (Mt 20) Ce dernier est le symbole de la
vie éternelle, qui n'a pour personne une durée plus longue, parce qu'il ne peut
y avoir de durée plus ou moins grande dans l'éternité. Le grand nombre de
demeures signifie donc les différents degrés de mérites qui existent dans cette
seule et même vie éternelle. — S. GREG. (hom.
16 sur Ezech.) Ou bien ce grand nombre de demeures s'accorde avec
l'unité de denier, parce que bien que l'un goûte une félicité plus grande que
l'autre, tous cependant éprouvent un
même sentiment de joie dans la claire vue de leur Créateur. — S. AUG. Ainsi
Dieu sera tout en tous, car comme Dieu est charité par l'effet de cette charité, ce qui est à chacun
sera le partage de tous. C'est ainsi que chacun possède les choses qu'il n'a
pas en réalité, mais qu'il aime, dans un autre. La différence de gloire
n'excitera donc aucune envie, parce que l'unité de la charité régnera dans tous
les cœurs. — S. GREG. (Moral.,
dern. liv., chap. 14 ou 24.) D'ailleurs les bienheureux
n'éprouveront aucun désavantage de cette disparité de gloire, parce que chacun
recevra la mesure suffisante pour combler ses désirs.
S. AUG. Il faut rejeter comme opposé à la foi
chrétienne le sentiment de ceux qui prétendent que cette multiplicité de
demeures signifie qu'il y aura en dehors du royaume des cieux un lieu destiné
aux âmes innocentes qui seront sorties de cette vie sans avoir reçu le baptême,
condition nécessaire pour entrer dans le royaume des cieux. Puisque toute la
maison des enfants de Dieu, qui sont appelés à régner, ne peut être que dans le
royaume, loin de nous la pensée qu'il y ait une partie de cette maison royale
qui ne soit point dans le royaume, car le Seigneur n'a pas dit : Dans la
béatitude éternelle, mais : « Dans la maison de mon Père il y a un grand
nombre de demeures. »
S. CHRYS. On
peut encore rattacher autrement ces paroles à ce qui précède. Le Seigneur avait
dit à Pierre : «Là où je vais vous ne pouvez me suivre maintenant, mais vous me
suivrez par la suite. » Or, les disciples auraient pu regarder cette promesse
comme faite exclusivement à Pierre, c'est pour cela qu'il leur dit ici : « Il y
a un grand nombre de demeures dans la maison de mon Père, » c'est-à-dire, le
palais que je destine à Pierre vous est également destiné, car il y a dans ce
palais un grand nombre de demeures, et il n'y a point à objecter qu'elles ont
besoin d'être préparées, car il s'empresse d'ajouter : « S'il en était
autrement, je vous l'aurais dit, je vais vous préparer une place. » S. AUG. Ces paroles prouvent suffisamment
qu'il leur parle de la sorte, parce qu'il y a dans le ciel un grand nombre de
demeures, et qu'il n'est pas besoin d'en préparer quelqu'une. — S. CHRYS. Comme
Il avait dit à Pierre : « Vous ne pouvez pas me suivre maintenant, » et qu'ils
pouvaient craindre d'être pour toujours séparés de lui, il ajoute : « Et
lorsque je m'en serai allé, et vous aurai préparé une place, je reviendrai et
vous prendrai avec moi, afin que là où je suis, vous soyez aussi. » Quoi de
plus propre que ce langage pour leur inspirer une vive confiance en lui ? —
THEOPHYL. Ne semble-t-il pas leur dire, en effet : Que les demeures soient
préparées ou ne le soient point, vous ne devez point vous troubler, car en
supposant qu'elles ne soient point préparées, je vais moi-même vous les
préparer avec toute la sollicitude possible ?
S. AUG. Mais comment Nôtre-Seigneur peut-il aller
nous préparer nue place, puisque d'après lui, il y a déjà un grand nombre de
demeures ? C'est qu'elles ne sont pas encore comme elles doivent être
préparées, car les demeures qu'il a préparées par la prédestination, il les
prépare encore par son action divine. Elles existent donc, déjà dans les
décrets de sa prédestination, autrement il aurait dit : J'irai et je préparerai
(c'est-à-dire je prédestinerai) une place ; mais comme elles ne sont pas encore
l'objet de l'action divine, il ajoute : « Et lorsque je m'en serai allé et que
je vous aurai préparé une place. » Or, il prépare maintenant ces demeures, en
leur préparant ceux qui doivent les habiter. En effet, lorsque le Sauveur dit :
« Il y a un grand nombre de demeures dans la maison de mon Père ; » que
devons-nous entendre par cette maison de Dieu, si ce n'est le temple de
Dieu, temple dont l'Apôtre dit : « Le temple de Dieu est saint, et c’est vous
qui êtes ce temple ? » (1 Co 3, 17.) Or, cette maison est
encore en voie de construction
et de préparation. Mais pourquoi faut-il qu'il s'en aille pour cette
préparation, puisque c'est lui-même qui nous prépare, ce qu'il ne peut faire,
s'il le sépare de nous ? Il veut nous enseigner par là, que pour préparer ces
demeures, le juste doit vivre de la foi. Si vous jouissez de la claire vue, la
foi n'est plus possible. Que le Seigneur s'en aille donc pour se dérober aux
regards, qu'il se cache pour devenir l'objet de notre foi, car c'est la vie de
la foi qui nous prépare la place. Que la foi nous fasse désirer le Sauveur,
afin que les saints désirs nous en mettent en possession. D'ailleurs, si vous
l'entendez bien, il ne quitte ni le lieu d'où il paraît s'éloigner, ni celui
d'où il est venu jusqu'à nous. Il s'en va en se cachant à nos regards, il vient
en manifestant sa présence. Mais s'il ne demeure avec nous pour nous diriger et
nous faire avancer dans la voie de la sainteté, le lieu où nous demeurerons
avec lui, en jouissant de sa présence, ne nous sera point préparé.
ALCUIN. Voici donc le sens de ce
qu'il leur dit : « Je m'en vais, » (c'est-à-dire, je m'absente corporellement),
mais : « Je reviendrai de nouveau, » (par la présence de ma divinité), ou bien
encore, je reviendrai juger les vivants et les morts. Et comme il prévoyait
qu'ils lui demanderaient où il irait, et le chemin qu'il suivrait, il les
prévient et leur dit : « Où je vais, vous le savez (c'est-à-dire, vers mon
Père), et vous savez la voie » (c'est-à-dire, que j'y vais par moi-même). — S. CHRYS. En leur parlant de la sorte, il
fait connaître le désir qui était au fond de leur âme et leur offre l'occasion
de l'interroger.
S. CHRYS. (horn.
73 sur S. Jean.) Si les Juifs, qui ne demandaient pas mieux que de
se séparer de Jésus-Christ, l'interrogeaient sur le lieu où il devait aller,
combien plus les disciples qui ne voulaient pour rien en être séparés,
désiraient savoir où il allait ? aussi lui font-ils cette question dans un sentiment
mêlé d'amour et de crainte : « Thomas lui dit : Seigneur, nous ne savons où
vous allez. » — S. AUG. (Traité
59 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur venait de leur dire qu'ils savaient
où il allait, et qu'ils en savaient aussi la voie ; Thomas, de son côté,
déclare ignorer ces deux choses, mais le Fils de Dieu ne peut mentir ; les
Apôtres savaient donc, mais ils ignoraient qu'ils savaient, et Nôtre-Seigneur
leur prouve qu'ils savaient ce qu'ils croyaient ignorer : « Jésus lui dit : Je suis la voie, la vérité et la vie. »
— S. AUG. (Serm. 34 sur
les par. du Seign.) C'est-à-dire, où voulez-vous aller ? je suis la voie ;
où voulez-vous aller ? je suis la vérité ; où voulez-vous demeurer ? je suis la
vie. Tout homme est capable de percevoir la vérité et la vie, mais tout homme
ne trouve pas la voie qui y conduit. Que Dieu soit une certaine vie éternelle,
et une vérité que l'on peut connaître, c'est ce que les philosophes de ce monde
ont eux-mêmes compris, mais c'est le Verbe de Dieu qui, dans le sein du Père, est
la vérité et la vie qui est devenu la voie en se revêtant de notre humanité.
Marchez par cette humanité, et vous arriverez jusqu'à la divinité ; car il vaut
encore mieux marcher en boitant dans la voie,
que de l'aire de grands pas hors de la voie. — S. HIL. (de la Trin., 7)
Celui qui est la voie ne vous conduira pas dans des chemins perdus et sans
issue ; celui qui est la vérité, ne peut vous tromper, et celui qui est la vie
ne vous laissera pas dans l'erreur de la mort. — THEOPHYLACTE. Lorsque vous menez la vie active, Jésus-Christ est
pour vous la voie, lorsque vous persévérez dans la vie contemplative, il
devient pour vous la vérité. La vie est le fruit de l'action de la vie
contemplative, car il faut nécessairement marcher et annoncer l'Evangile pour mériter
la vie future et éternelle.
S. AUG. (Traité
69.) Ils savaient donc la voie, parce qu'ils le connaissaient, lui qui est
la voie. Mais qu'était-il besoin d'ajouter qu'il était la vérité et la vie,
alors que la voie étant connue, il restait à savoir quel en était le terme, si
ce n'est parce qu'il allait à la vérité et à la vie ? Il allait donc à lui-même
par lui-même. Mais, Seigneur, est-ce que pour venir jusqu'à nous, vous vous
étiez quitté vous-même ? Je sais que vous avez pris la forme de serviteur, et
que vous êtes venu dans une chair mortelle, tout en demeurant où vous étiez
d'abord, et vous êtes retourné par cette même chair sans vous séparer de ceux
vers lesquels vous étiez venu. Si donc c'est par cette chair que vous êtes venu
et que vous êtes retourné, c'est par cette même chair aussi que vous êtes
devenu tout à la fois la voie que nous devons prendre pour arriver jusqu'à
vous, et la voie par laquelle vous êtes vous-même venu et retourné. Or, lorsque
vous êtes retourné vers la vie (qui n'est autre que vous-même), vous avez
conduit cette même chair de la mort à la vie. Jésus-Christ est donc allé à la
vie lorsque sa chair a passé de la mort à la vie. Et comme le Verbe est la vie,
c'est à lui-même que le Christ est venu, car le Christ est un composé de ces
deux choses, le Verbe et la chair dans une même personne. Dieu était venu par
le moyen de la chair vers les hommes, la vérité était venue trouver le
mensonge, car Dieu est la vérité, et tout homme est menteur. (Rm 3, 4.)
Lors donc qu'il s'est dérobé aux regards des hommes, et qu'il a élevé sa chair
vers ces hauteurs inaccessibles au mensonge. C’est le même Verbe fait chair qui, par lui-même,
c'est-à-dire par sa chair, est retourné vers la vérité, qui n'est autre que
lui-même ; vérité qu'au milieu même des hommes de mensonge, il a conservée
jusque dans la mort. Lorsque moi-même je vous tiens un langage que vous
comprenez, je m'avance en quelque sorte vers vous, sans me quitter moi-même, et
lorsque je cesse de parler, je reviens comme à moi-même, tout en demeurant avec
vous, si vous retenez ce que vous avez entendu. Or, si cela est possible à
l'homme, image créée de Dieu, que ne peut point son image substantielle qu'il a
engendrée ? Il va donc à lui-même par lui-même, et par lui-même au Père, et par
lui, nous allons nous-mêmes à lui et au Père.
S. CHRYS. Si j'ai le pouvoir de vous conduire au
Père, vous ne pouvez manquer d'y arriver, car il n'est pas possible d'y arriver
par un autre chemin. En rapprochant ce qu'il a dit précédemment : « Personne ne
peut venir à moi, si mon Père ne l'attire, » de ce qu'il déclare ici que
personne ne peut venir à son Père que par lui, il se proclame l’égal de celui
qui l'a engendré. Mais comment après avoir dit : « Vous savez où je vais,
et vous en savez la voie, » ajoute-t-il : « Si vous m'aviez connu, vous auriez
aussi connu mon Père, » c'est-à-dire, si vous connaissiez ma nature et
ma dignité, vous connaîtriez aussi la nature et la dignité du Père. Il n'y a
point ici contradiction, car ils connaissaient, mais d'une connaissance
imparfaite, il était réservé à l'Esprit saint de leur donner cette connaissance
dans toute sa perfection. C'est pour cela qu'il ajoute : « Bientôt vous le
connaîtrez (il veut parler d'une connaissance tout à fait spirituelle), et vous
l'avez déjà vu
(c'est-à-dire par moi) ; » il leur apprend ainsi que celui qui le voit, voit
son Père, or, ils l'avaient vu, non dans sa nature divine, mais sous le voile
de la chair dont il était revêtu.
BEDE. Il nous faut examiner
maintenant comment Nôtre-Seigneur a pu dire à ses disciples : « Si vous
m'aviez connu, » etc. Après leur avoir dit précédemment : Là où je vais, vous
le savez, et vous savez le chemin. La réponse à cette difficulté est que parmi
les Apôtres, quelques-uns le savaient, et d'autres, du nombre desquels était
Thomas, l'ignoraient. — S. HIL. (de la Trin., 7) On peut encore
rattacher ces paroles entre elles d'une autre manière. Comme on ne peut aller
au Père que par le Fils, il faut examiner si c'est par renseignement de sa
doctrine ou par la foi en sa nature divine. La réponse à cette question se
trouve dans les paroles qui suivent : « Si vous m'aviez connu, vous auriez
aussi connu mon Père. » En effet, le Sauveur a suivi cet ordre dans le mystère
de son incarnation, qui avait pour objet de confirmer lu nature divine de son
Père, il a distingué le temps de la vision du temps de la connaissance ; celui
qu'ils doivent connaître bientôt, ils l'ont déjà vu et ils devaient recevoir
par l'effet de la révélation l'intelligence de la nature divine qu'ils avaient
déjà contemplée en lui.
S. HIL. (de
la Trin., 7) La nouveauté de ce langage étonne l'apôtre Philippe, on ne
voit en Jésus-Christ qu'un homme, et il se proclame le Fils de Dieu, il déclare
qu'en le connaissant on connaît son Père, et que qui le voit voit son Père ;
Philippe fait au Sauveur cette question qu'autorisait son titre d'Apôtre : «
Seigneur, montrez-nous votre Père, et cela nous suffit. » Il ne nie pas qu'on
puisse voir son Père en lui, mais il demande qu'on le lui montre, non pas comme
vu spectacle extérieur propre à satisfaire les regards du corps, mais comme une
démonstration intellectuelle qui lui fasse comprendre celui qu'il désire voir ;
car il avait bien vu le Fils de Dieu sous une forme humaine, mais il ne savait
pas comment en le voyant, il pouvait voir le Père. Et comme preuve que cette
manifestation qu'il désire est plutôt une démonstration de l'intelligence
qu'une vision extérieure, il ajoute : « Et cela nous suffira. » —S. AUG. (de la Trin., 8) Celle joie
dont il nous comblera en nous montrant son visage (Ps 15, 11), ne nous
laissera plus rien à désirer, et c'est ce qu'avait bien compris Philippe,
lorsqu'il disait : « Seigneur, montrez-nous le Père, et cela nous suffit. »
Mais il n'avait pas encore compris qu'il pouvait également dire à Jésus-Christ
: « Seigneur, montrez-vous à nous, et cela nous suffit, car c'est pour lui
faire comprendre cette vérité, que Nôtre-Seigneur ajoute : « Il y a si
longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas ? » — S. AUG. (Traité 70.) Mais comment
le Sauveur peut-il leur faire ce reproche, alors qu'ils savaient bien où il
allait, ainsi que la voie qui y conduisait, par cela seul qu'ils le
connaissaient lui-même ? Cette question peut facilement se résoudre, en disant que parmi les
Apôtres, quelques-uns connaissaient Jésus-Christ, mais que quelques autres ne
le connaissaient pas, et que de ce nombre était Philippe.
S. HIL. (de
la Trin., 7) Le Sauveur fait donc un reproche à cet Apôtre, de ce qu'il ne
le connaît point, car la plupart des actions qu'il avait faites, comme de
marcher sur la mer, de commander aux vents, de remettre les péchés, de rendre
la vie aux morts, étant visiblement les œuvres d'un Dieu ; toute la difficulté
venait de ce que sous le voile de l'humanité qu'il avait prise, Philippe
n'avait pas compris l'existence de la nature divine. Aussi à la demande que lui
fait cet Apôtre, de lui montrer son Père, il répond : « Philippe qui me voit,
voit mon Père. » — S. AUG. En
effet, lorsque nous parlons de deux personnes parfaitement semblables, nous
disons : « Si vous avez vu l'une, vous avez vu l'autre. » C'est dans ce sens
que Nôtre-Seigneur dit : « Celui qui me voit, voit mon Père, » non pas que le
Père soit le même que le Fils, mais parce que le Fils a une entière et parfaite
ressemblance avec le Père.
S. HIL. (de
la Trin., 7) Nôtre-Seigneur ne veut point parler ici de la vue des yeux du
corps, car la chair qui est née de la vierge Marie, ne peut servir à découvrir
un Jésus-Christ la nature divine, mais c'est l'intelligence que nous avons du
Fils de Dieu, qui nous fait comprendre le Père, car si le Fils est l'image du
Père, il a avec lui une même nature, et cette expression signifie simplement
qu'il a été engendré. Les paroles du Sauveur ne laissent point supposer, en effet,
une seule et unique personne, bien qu'elles expriment l'unité de nature, car en
ajoutant : « Voit le Père, » il exclut la supposition d'une personne unique, et
nous force d'admettre qu'en vertu de l'unité de nature, le Père est vu dans le
Fils. — S. AUG. Mais doit-on
faire des reproches à celui qui, voyant une personne parfaitement semblable à
une autre, désire voir l'autre terme de la ressemblance ? Nous répondons que le
Sauveur reprend son disciple, parce qu'il voyait le fond de son cœur ; Philippe
désirait connaître le Père, comme si le Père était supérieur au Fils, et par
là-même il ne connaissait pas le Fils, m supposant qu'il existait un être qui
lui fût supérieur. C'est pour redresser cette erreur que Nôtre-Seigneur lui dit
: « Ne croyez-vous pas que je suis dans mon Père, et que mon Père est en moi ?
» C'est-à-dire, si c'est beaucoup pour vous de voir le Père dans le Fils,
croyez au moins ce que vous ne voyez pas. — S. HIL. (de la Trin., vu.)
Comment pouvait-on encore ignorer le Père, et quelle nécessité de le faire
connaître à ceux qui l'ignoraient, alors qu'on pouvait le voir dans le Fils ?
Or, on le voyait, parce qu'ils ont une commune nature, et qu'en vertu de cette
nature absolument semblable, celui qui engendre et celui qui est engendré ne sont
qu'un, selon ces paroles du Sauveur : « Ne croyez-vous pas que je suis dans mon
Père, et que mon Père est en moi ? » — S. AUG.
(de la Trin., 1, 2.) Le Sauveur voulait qu'il vécût de la foi
avant de parvenir à la claire vision, car la contemplation est la récompense de
la foi, et c'est la foi qui prépare les cœurs à cette récompense en les
purifiant.
S. HIL. (de la Trin., 7) Or, le Père est dans
le Fils, et le Fils dans le Père, non par la double union de deux natures qui
se rencontrent, ni par l'union d'une nature supérieure qui vient s'enter sur
une autre nature, parce que les choses intérieures ne peuvent être soumises aux
nécessités des dimensions corporelles, et demeurer extérieures aux choses qui
les contiennent, mais le Père est dans le Fils, et le Fils dans le Père, en
vertu de sa naissance d'une nature vivante sortant d'une autre nature vivante,
c'est-à-dire, en vertu de la naissance d'un Dieu engendré par un Dieu. — S.
HIL. (de la Trin., 5) En effet, Dieu qui est immuable, agit conformément
à sa nature en engendrant une nature immuable, et cette naissance parfaite d'un
Dieu immuable qui sort du sein d'un Dieu immuable, lui conserve toute la
perfection de sa nature. Nous comprenons donc que la nature divine est en lui,
en ce sens que c'est Dieu qui est dans Dieu, et qu'il n'y a point d'autre Dieu
en dehors de lui qui est Dieu.
S. CHRYS. (hom.
74 sur S. Jean.) On peut encore donner une autre explication de ce
passage. Philippe voulait voir le Père des yeux du corps, parce qu'il
pensait avoir vu le Fils de la sorte, peut-être aussi, parce qu'il avait
entendu dire aux prophètes qu'ils avaient vu le Seigneur, c'est sous cette
impression qu'il dit à Jésus : « Montrez-nous le Père. » Les Juifs lui avaient
souvent fait cette question : « Quel est votre Père ? » Pierre et Thomas lui
avaient demande oùl il allait, et ni les uns ni les antres n'avaient compris sa
réponse. Philippe donc voulant éviter le reproche d'importunité, se contente de
lui dire : « Montrez-nous 1e Père, et cela nous suffit, » c'est-à-dire, nous ne
demandons rien autre chose. Or, le Sauveur ne lui répond point : « Vous
demandez une chose impossible ; » mais il lui fait comprendre qu'il n'a même
pas vu le Fils, car s'il avait pu le voir, il aurait vu aussi le Père, et c'est
le sens de ces paroles : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous
ne me connaissez pas ? Philippe, qui me voit, voit aussi mon Père. » Il ne lui
dit pas : Vous ne m'avez pas vu, mais : « Vous ne m'avez pas connu, »
c'est-à-dire, vous n'avez pas compris que le Fils demeurant ce qu'est le Père,
peut très-bien montrer en lui celui qui l'a engendré. Il distingue ensuite les
deux personnes, en ajoutant : « Celui qui me voit, voit aussi mon Père, » pour
prévenir cette erreur que le Fils est une même personne avec le Père. Il lui montre maintenant qu'il n'a
point vu le Fils des yeux du corps. Si quelqu'un veut donner ici au mot voir
la signification du mot connaître, je ne m'y oppose point, et tel
serait alors le sens de ces paroles : « Celui qui me connaît, connaît aussi le
Père. » Mais ce n'est point la pensée du Sauveur, qui a voulu exprimer sa
consubstantialité avec son Père en ces termes : Celui qui a vu ma nature, a vu
la nature de mon Père. Il résulte de là qu'il n'est pas une simple créature,
car celui qui voit un être créé ne voit pas Dieu. Philippe, d'ailleurs,
désirait voir la nature du Père. Si donc le Sauveur avait une nature différente
de son Père, il ne dirait pas : « Celui qui me voit, voit mon Père, « car
personne ne peut voir la nature de l'or dans celle de l'argent ; une nature ne
peut faire voir en elle-même une nature toute différente.
S. AUG. Le Sauveur s'adresse ensuite non plus à
Philippe seul, mais a tous ses apôtres : « Les paroles que je vous dis, je ne
vous les dis pas de moi-même ; » que signifie cette manière de s'exprimer : «
Je ne parle pas de moi-même, » si ce n'est : Moi qui vous parle, je ne suis pus
de moi-même ? Il attribue ainsi ce qu'il fait à celui de qui lui vient avec
l'être le pouvoir d'agir. — S. HIL. (de la Trin., 7) Il ne
nie donc pas qu'il soit le Fils, il ne dissimule pas non plus la puissance de
la nature paternelle qui est en lui, car lorsqu'il parle, il parle dans sa
propre nature, et en déclarant qu'il ne parle pas de lui-même, il atteste en
lui la naissance divine qui le fait naître d'un Dieu.— S. CHRYS. Voyez avec
quelle abondance de preuves il établit l'unité de la nature divine : « Le Père
qui demeure en moi, fait lui-même les œuvres que je fais. » C'est-à-dire, mon
Père et moi n'agissons point d'une manière différente, comme il le dit ailleurs
: « Si je ne fais point les œuvres de mon Père, ne croyez pas en moi. » Mais
pourquoi passe-t-il des paroles aux œuvres ? Il paraissait convenable de dire :
C'est lui qui dit les paroles que je prononce, mais il veut donner ici deux
preuves différentes empruntées, l'une à la doctrine, l'autre aux miracles ; ou
encore, parce que les paroles étaient ici comme des œuvres. — S. AUG. En effet, celui qui édifie son
prochain par ses discours, fait une bonne œuvre. Ces deux propositions ont été
pour des hérétiques différents, la matière d'une double difficulté. Le Fils
n'est point égal au Père, disent les Ariens, puisqu'il ne parle point de
lui-même. Le Père est la même chose que le Fils, disent à leur tour les
Sabelliens, car que signifient ces paroles : « Le Père qui demeure en moi, fait
lui-même les œuvres que je fais, » si ce n'est : Je demeure en moi-même, moi
qui fais ces œuvres ? — S. HIL. (de
la Trin., 7) Que le Père demeure dans le Fils, cela n'indique pas une seule
et même personne ; que d'un autre côté, le Père agisse par le Fils, on ne peut
en conclure qu'ils soient d'une nature différente. Disons encore que celui qui ne parle point de lui-même, prouve
par-là même qu'il n'est pas seul, et que celui qui parle par lui n'est pas d'une
nature différente. Or, après avoir enseigné que le Père parlait et agissait en
lui, il apportait la foi à cette unité parfaite entre lui et son Père, en
ajoutant : « Ne croyez-vous pas que je suis dans mon Père, et que mon Père est
en moi ? » Tant il veut que nous croyons que le Père parle et agit dans son
Fils, non par un effet de sa puissance, mais par l'effet de la génération
divine et de l'unité de nature. — S. AUG. Jusque-là Nôtre-Seigneur n'avait
adressé de reproches qu'à Philippe, il fait voir maintenant qu'il n'était pas
le seul qui les méritât, en disant à tous : « Croyez au moins à cause de mes
œuvres ? » — S. CHRYS. Si ce que
j'ai dit ne suffit pas pour vous convaincre que je cuis consubstantiel à mon
Père, apprenez-le du moins par mes oeuvres. » C'est le sens de ces paroles :
« Croyez-le du moins à cause de mes œuvres. » Vous avez vu des
miracles faits avec autorité, vous avez vu en moi tous les signes les plus
évidents de divinité, les péchés remis, les morts ressuscités, et d'autres
prodiges semblables. — S. AUG. Croyez
donc au moins à cause de mes œuvres, que je suis dans mon Père et que mon Père
est en moi ; car si nous avions une nature distincte, nous ne pourrions
nullement agir avec autant d'unité.
S. CHRYS. (hom.
74 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur venait de dire à ses disciples : «
Croyez du moins, à cause, de mes œuvres ; » il veut leur apprendre
maintenant que non-seulement il peut faire des œuvres semblables, mais qu'il
peut en faire de plus grandes, et (ce qui est encore plus admirable), qu'il
peut communiquer à d'autres ce pouvoir : « En vérité, en vérité, je vous le
dis, celui qui croit en moi fera lui-même les œuvres que je fais, et en fera
encore de plus grandes. »
S. AUG. (Traité 71 sur S. Jean.) Mais
quelles sont ces œuvres plus grandes ? Est-ce d'avoir guéri les malades par
l'ombre seule de son corps lorsqu'ils passaient ? (Ac 5, 15.) Car c'est
une action plus merveilleuse
de guérir par l'ombre seule de son corps que par la frange de son vêtement.
Toutefois en s'exprimant de la sorte, le Sauveur avait en vue les faits et les
œuvres de ses paroles ; en effet, lorsqu'il dit : « Mon Père qui demeure en
moi, opère lui-même les œuvres ; » de quelles œuvres voulait-il parler ?
évidemment des paroles qu'il disait. Et le fruit de ces paroles, c'était la foi
de ses disciples ; mais lorsque ses disciples eux-mêmes prêchèrent l'Evangile,
ceux qui se convertirent furent beaucoup plus nombreux qu'ils n'étaient
eux-mêmes, puisque les nations elles-mêmes embrassèrent la foi. (Traité 72.)
Ne voyons-nous pas ce jeune homme riche se retirer de Jésus plein de tristesse
après l'avoir entendu ? (Mt 19) Et cependant le conseil qu'un seul ne
put se décider à pratiquer sur la recommandation du Sauveur, un grand nombre
l'embrassèrent avec ardeur à la prédication des Apôtres. Il a donc fait de plus grandes œuvres
lorsqu'il a été prêché par ceux qui croyaient, que lorsqu'il parlait lui-même à
ceux qui recrutaient. Mais voici une autre difficulté, ces oeuvres plus grandes
n'ont été faites que par les Apôtres ; or, ce n'est, pas seulement d'eux que le
Sauveur veut parler, lorsqu'il dit : « Celui qui croit en moi. » Ou bien ne
doit-on compter parmi ceux qui croient en Jésus-Christ que ceux qui auraient
fait des œuvres plus grandes que les siennes ? Cette conséquence serait dure,
elle serait même absurde, si on ne comprenait bien ces paroles. L'Apôtre dit :
« Lorsqu'un homme, sans faire des œuvres, croit en celui qui justifie le
pécheur, sa foi lui est imputée à justice. (Rm 4, 5) En cela nous
faisons les œuvres de Jésus-Christ, car c'est faire l'œuvre de Jésus-Christ que de croire en lui ; c'est une œuvre
qu'il fait en nous, non toutefois sans notre concours. Entendez donc bien le
sens de ces paroles : Celui qui croit
en moi, fera aussi les œuvres que je fais ; je les fais le premier, et il les
fera après moi, parce que je ne les fais le premier que pour qu'il les fasse à
mon exemple. Or, quelles sont ces œuvres ? la justification du pécheur, c'est
ce que le Christ opère dans le pécheur, mais avec le concours de sa volonté.
Or, c'est là une oeuvre plus grande que la création du ciel et de la terre, car
le ciel et la terre passeront, mais le salut et la justification des
prédestinés demeureront à jamais. Les anges dans les cieux, sont aussi l'œuvre
de Jésus-Christ, pouvons-nous dire que celui qui coopère à la grâce de
Jésus-Christ pour sa justification, fait une œuvre plus grande que la création
des anges ? Que celui qui en est capable, juge si la création des justes estime
œuvre plus grande que la justification des pécheurs, si l'une et l'autre de ces
deux œuvres annoncent une puissance égale, la seconde exige une plus grande
miséricorde. D'ailleurs il n'est nullement nécessaire d'entendre
de toutes les œuvres de Jésus-Christ, ces paroes : « Il fera de plus grandes
œuvres que les miennes. » Peut-être n'a-t-il voulu parler que des œuvres qu'il
opérait alors, et en ce moment il ne faisait qu’enseigner la doctrine de la foi
; or, enseigner la doctrine de la justice (ce que Jésus a fait sans nous),
c'est faire moins que du justifier les pécheurs, ce qu'il a fait en nous avec
le concours de notre volonté.
Nôtre-Seigneur donne ensuite un grand sujet
d'espérance à ceux qui lui adresseront leurs prières, lorsqu'il ajoute : «
Parce que je vais à mon Père.. » — S. CHRYS.
C'est-à-dire, je ne dois point périr, mais je resterai dans la puissance
qui m'est propre, et je demeurerai dans les cieux. Ou bien tel est le sens de
ces paroles : C'est à vous maintenant de faire des miracles, pour moi je
m'en vais à mon Père. — S. AUG. Et
afin que personne ne fût tenté de s'attribuer le mérite de ces oeuvres plus
grandes, il leur fait voir que c'est lui-même qui en sera l'auteur : « Et tout
ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, je le ferai. » Il venait de dire
: « Il fera, » il dit maintenant : « Je le ferai, » et voici l'explication de cette parole : Ne
regardez pas ce que je vous dis comme impossible, celui qui croit en moi ne
peut être plus grand que moi ; c'est moi-même qui ferai alors des œuvres plus
éclatantes que celles que je fais maintenant, je ferai par celui qui croit en
moi ces œuvres plus grandes que celles que je fais actuellement par moi-même,
ce qui n'accuse point un défaut de puissance, mais un sentiment de
condescendance.
S. CHRYS. Nôtre-Seigneur
dit : « Tout ce que vous demanderez en mon nom, » c'est ce que proclamaient les
Apôtres : « Au nom de Jésus-Christ, levez-vous et marchez ; » (Ac 3, 6 ;
9, 33) car c'est lui-même qui était l'auteur de tous les miracles qu'ils
opéraient, et la main du Seigneur était avec eux. — THEOPHYL. Il nous fait connaître ici la véritable théorie des
miracles, c'est par la prière et par l'invocation de son nom qu'on peut opérer
les plus grands prodiges.
S. AUG. Mais que veulent dire ces paroles : « Tout
ce que vous demanderez, » lorsque nous voyons tant de fidèles demander sans
recevoir ? N'est-ce point parce qu'ils demandent mal ? Dieu refuse dans sa
miséricorde ce qu'on ne demande que pour en faire un mauvais usage. Gomment
donc faut-il entendre ces paroles : « Tout ce que vous demanderez, je le ferai,
» si Dieu, dans leur intérêt, n'accorde point aux fidèles l'objet de leurs
prières ? Cette promesse n'a donc été faite qu'aux seuls Apôtres ? Non, sans
doute, car le Sauveur avait dit précédemment : « Celui qui croit en moi, fera les
œuvres que je fais moi-même. » Si nous considérons l'accomplissement de cette
promesse dans les Apôtres eux-mêmes, nous voyons que celui qui a travaillé plus
qu'eux tous, a prié trois fois le Seigneur d'éloigner de lui l'ange de Satan,
sans avoir pu obtenir l'effet de sa prière. (2 Co 12,
7-9.) Comprenez
bien le sens de ces paroles : « En mon nom, » (qui est Jésus-Christ.) Le
mot Christ signifie roi, le mot Jésus veut dire sauveur ; donc
tout ce que nous demandons contre les véritables intérêts de notre salut, nous
ne le demandons pas au nom du suiveur. Cependant il ne laisse pas d’être notre
Sauveur, non-seulement quand il nous accorde l'objet de nos prières, mais même
quand il refuse de les exaucer, car il se montre justement notre Sauveur, en
refusant de nous accorder ce qu'il sait être contraire à notre salut. Le
médecin sait bien ce que le malade demande dans l'intérêt ou contre l'intérêt
de sa santé, et il refuse d'accorder à ce malade les choses nuisibles qu'il
désire, justement pour lui conserver la santé. Disons encore qu'il est des
choses que nous demandons en son nom et qu'il ne nous accorde pas au
moment même où nous les demandons, mais il les accorde plus tard ; il diffère,
mais il ne refuse pas d'exaucer nos prières. Il ajoute aussitôt : « Afin
que le Père soit glorifié dans le Fils, si vous demandez quelque chose en mon
nom je le ferai. » Le Fils ne fait donc rien sans le Père, puisqu'il
n'agit que pour que le Père soit glorifié en lui. — S. CHRYS. En effet, lorsqu'on verra le Fils opérer de grandes
choses, la gloire en reviendra à celui qui l'a engendré. Pourquoi répète-t-il
de nouveau : « Je le ferai ? » pour confirmer la vérité de ses paroles. —
THEOPHYL. Remarquez, par quels degrés le Père est glorifié : c'est au nom de
Jésus que sont opérés les miracles en vertu desquels les peuples croyaient à la
prédication des Apôtres, et tandis qu'ils parvenaient ainsi à la connaissance,
du Père, le Père était glorifié dans le Fils.
S. CHRYS. (hom. 74 sur S. Jean.) Les
paroles que Notre-Seigneur venait de dire : « Tout ce que vous demanderez, je
le ferai, » pouvaient donner aux Apôtres la pensée que toute prière
indistinctement devait être exaucée ; il se hâte donc de prévenir cette idée,
en ajoutant : « Si vous m'aimez, gardez mes commandements ; » comme s'il
leur disait : C'est à cette condition que j'exaucerai vos prières. Ou bien
encore, comme la nouvelle qu'il venait de leur apprendre, qu'il allait à son
Père, devait naturellement les jeter dans le trouble, il leur dit : « L'amour
que vous devez avoir pour moi, ne doit point avoir pour effet de troubler votre
âme, mais de vous faire accomplir mes commandements ; car l'amour consista à
obéir et à croire à celui qu'on aime. » Il prévoit aussi qu'ils devaient
désirer vivement cette présence extérieure et cette, consolation sensible dont
ils avaient joui jusqu'à présent, et c'est pour cela qu'il ajoute: « Et
moi, je prierai mon Père, et il vous donnera un autre Paraclet. » — S. AUG. (Traîté
74) En parlant ainsi, il fait voir qu'il est lui-même un Paraclet.
Le mot Paraclet veut dire, en latin, avocat, et saint Jean dit du
Sauveur : « Nous avons pour avocat auprès du Père, Nôtre-Seigneur Jésus-Christ. »
(Jn 1) — ALCUIN. Ou bien, le mot Paraclet veut dire Consolateur, et
les Apôtres, en effet, avaient eu jusqu'alors un Consolateur, qui les animait
et les fortifiait par l'éclat de ses miracles et par la douceur de ses
enseignements. — DIDYM. (De
l'Eprit saint.) Nôtre-Seigneur appelle l'Esprit saint un autre consolateur,
non qu'il ait une nature autre que la sienne, mais parce que son opération est
différente. Le Sauveur était venu pour remplir l'office de médiateur et
d'ambassadeur, et comme un pontife qui devait prier pour nos péchés, l'Esprit
saint reçoit le nom de Paraclet ou de consolateur dans un autre sens, parce que
ça mission est de consoler ceux qui sont dans la tristesse. Mais de cette
diversité d'opérations, il faut se garder de conclure à la différence de
natures, puisque nous voyons dans un autre endroit l'Esprit consolateur remplir
près du Père l'office d'ambassadeur. « L'Esprit lui-même, dit saint Paul,
demande pour nous par des gémissements inénarrables. » (Rm 8, 20.) Le
Sauveur, de son côté, répand la consolation dans les coeurs affligés, car il
est écrit : « Il a consolé tous les humbles de son peuple. » (1 M 14, 14)
S. CHRYS. Le
Sauveur dit : « Je prierai mon Père » pour rendre ses paroles plus dignes de foi :
car s'il avait dit simplement : Je vous enverrai un autre consolateur, ils ne l'auraient
pas cru aussi facilement. — S. AUG. (Cont.le. Serm. Des Ar, 19) Et
cependant pour montrer que ses oeuvres ne sont point distinctes de celles du
Père, il dit ailleurs : « Lorsque je m'en serai allé, je vous l'enverrai. » (Jn
16) — S. CHRYS. Qu'aurait-il eu, en effet, plus que les apôtres, s'il avait
dû prier son Père pour qu'il envoyât l'Esprit saint, alors que nous
voyons les apôtres eux-mêmes le communiquer aux autres, sans avoir recoins à la
prière ?— ALCUIN. Je prierai, comme inférieur par mon humanité, mon Père, à qui
je suis égal et consubstantiel par ma nature divine. — S. CHRYS. Il leur promet que l'Esprit saint demeurera avec eux
éternellement, parce qu'il ne les quittera même pas après leur mort ; et il
leur enseigne, indirectement, par là même, que l'Esprit saint ne doit ni souffrir la mort
comme lui, ni se séparer d'eux. Et pour éloigner de leur esprit, la pensée
d'une nouvelle incarnation qui rendrait le Saint-Esprit visible à leurs yeux,
il ajoute : « L'Esprit de vérité, que le monde ne peut recevoir parce qu'il ne
le voit point et ne le connaît point. » — S. AUG.
Cet Esprit saint est une des personnes de la sainte Trinité, et la foi
catholique le proclame consubstantiel et coéternel au Père et au Fils.
S. CHRYS. Il
l'appelle l'Esprit de vérité, parce que c'est lui qui nous révèle le sens des
figures de l'Ancien Testament ; le monde ici, ce sont les méchants ; et voir,
c'est connaître avec certitude, parce que la vue est le plus clair de tous les
sens.
BEDE. Remarquez encore qu'en appelant l'Esprit saint
l'Esprit de vérité, il prouve en même temps qu'il est son Esprit. De même
encore lorsqu'il enseigne que cet Esprit est donné par le Père, il déclare par
là même qu'il est l'Esprit du Père, et que par conséquent l'Esprit saint
procède du Père et du Fils.
S. GREG. (Moral.,
5, 19 ou 20, dans les anc. ex. ) Dès que l'Esprit saint
remplit un cœur, il excite en lui un ardent désir des biens invisibles. Mais
comme les cœurs des mondains n'ont d'amour que pour les biens extérieurs, le
monde ne peut recevoir cet Esprit, parce qu'il est incapable de s'élever
jusqu'à l'amour des choses invisibles. En effet, plus les âmes mondaines
s'étendent et s'élargissent au dehors par leurs désirs, plus elles se
resserrent et deviennent étroites pour recevoir ce divin Esprit.
S. AUG. Nôtre-Seigneur déclare que le monde
(c'est-à-dire ceux qui aiment le monde), ne peuvent recevoir l'Esprit saint,
comme si nous disions
: L'injustice ne peut être juste. Le monde donc, c'est-à-dire ceux qui aiment
le monde, ne peuvent recevoir l'Esprit saint, parce qu'ils ne le voit point. En
effet, l'amour du monde est privé de ces yeux invisibles par lesquels nous ne
pouvons voir l'Esprit saint que d’une manière invisible. « Pour vous, vous le
connaîtrez, parce qu'il demeurera au milieu de vous. » Et afin qu'ils
n'entendent pas ces paroles : « Il demeurera au milieu de vous, » d'une demeure
visible, comme celle d'un hôte à qui l'on donne l'hospitalité, il ajoute : « Et
il sera en vous. » — S. CHRYS. C'est-à-dire
il ne demeurera pas au milieu de vous comme j'y suis demeuré moi-même, mais il
habitera dans vos âmes.
S. AUG. Il
faut d'abord se donner à quelqu'un avant de demeurer ni lui, et Nôtre-Seigneur
explique ces paroles : « Au milieu de vous, » par ces autres : « En vous ; »
car s'il n'est pas en vous, vous ne pouvez non plus avoir en vous la
connaissance de ce divin Esprit. C'est ainsi que vous voyez en vous-même votre
propre conscience.
S. GREG. (Moral.,
2, 28 ou 41 dans
les anc. ex. ) Si l'Esprit saint demeure dans les disciples, comment donner
encore comme signe distinctif du médiateur que l'Esprit saint demeure en lui,
comme il est dit à Jean-Baptiste : « Celui sur qui vous verrez l'Esprit saint
descendre et demeurer, c'est lui qui baptise ? » Cette difficulté disparaîtra
bientôt, si nous prenons soin de faire une distinction entre les dons de
l'Esprit saint. Quant aux dons sans lesquels il est impossible de parvenir à la
vie, l'Esprit saint demeure dans tous les élus ; s'il s'agit au contraire des
dons qui ont pour objet non de conserver, mais de produire dans les autres la
vie surnaturelle, il ne demeure pas toujours ; quelquefois, en effet, il
suspend le pouvoir d'opérer des miracles, pour que l'humilité garde plus
sûrement les vertus qu'il inspire. Jésus-Christ, au contraire, jouit toujours,
et en toutes circonstances, de la présence de l'Esprit saint.
S. CHRYS. Par
ces seules paroles, Nôtre-Seigneur renverse d'un seul coup deux hérésies
contraires. En disant : « Je vous enverrai un autre, » il établit la différence
de personnes ; et en lui donnant le nom de consolateur, l'identité de nature. —
S. AUG. (contr. le serm. des Ar., chap. 19.) L'office de consolateur,
que les hérétiques abandonnent à l'Esprit saint, comme à la dernière personne
de la sainte Trinité, l'Apôtre l'attribue à Dieu lui-même, quand il dit :
« Dieu qui console les humbles nous a consolés. (2 Co 7, 6)
L'Esprit saint qui console les humbles, est donc Dieu. Ou s'ils prétendent que
saint Paul veut parler ici du Père et du Fils, qu'ils cessent de séparer
l'Esprit saint du Père du Fils, en lui attribuant exclusivement l'office de
consolateur.
S. AUG. (Traité
64 sur S. Jean.) Mais s'il est vrai que la charité de Dieu a
été répandue dans nos cœurs par l'Esprit saint qui nous y été donné (Rm 5),
comment aimer Jésus-Christ et observer ses commandements pour mériter de
recevoir l'Esprit saint, puisque nous ne pouvons sans lui ni aimer ni observer
les commandements ? Peut-on dire que nous avons d'abord en nous la charité qui
nous fait aimer Jésus-Christ, et que cet amour de Jésus-Christ et l'observation
de ses commandements attirent en nous l'Esprit saint qui répand la charité de
Dieu le Père dans nos cœurs ? Cette interprétation est tout à fait erronée ;
celui qui croit aimer le Fils de Dieu, et n'aime pas le Père, n'aime
certainement pas le Fils, il aime le produit de son imagination.
La seule manière de résoudre cette difficulté est donc de dire que celui qui
aime a déjà l'Esprit saint, et qu'en le possédant, il mérite de le posséder
encore davantage et d'avoir ainsi un plus grand amour. Les disciples de Jésus avaient
déjà en eux l'Esprit saint que le Sauveur leur promettait, mais ils devaient le
recevoir d'une manière plus abondante. Ils le possédaient au dedans
d’eux-mêmes, il devait leur être donné d'une manière visible, ce n’est donc
point sans raison que ce divin Esprit est promis, non-seulement à celui qui ne
l'a pas encore, mais à celui qui le possède déjà. Il est promis à celui qui ne
l'a pas, pour qu'il le possède, et à celui qui l'a déjà pour qu'il le reçoive
plus abondamment. — S. CHRYS. Lorsque
Jésus eut purifié ses disciples par le sacrifice de sa passion, que leurs
péchés furent effacés et que le temps fut venu de les envoyer affronter les
dangers et les combats, ils eurent besoin de recevoir l'Esprit saint dans toute
sa plénitude. Il ne leur fut point donné aussitôt sa résurrection, afin que
leurs désirs plus ardents fussent une préparation à recevoir l'abondance de ses
grâces.
S. AUG. (Traité
75 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur ne veut point laisser croire à ses disciples qu'il leur donne l'Esprit saint pour le
remplacer, comme s'il ne devait plus être avec eux, et c'est pour cela qu'il
leur dit : « Je ne vous laisserai point orphelins. » Le mot orphelins
signifie la même chose que le mot pupilles, l'un est grec, l'autre
latin. Ainsi, bien que le Fils de Dieu nous ait donnés à son Père comme des
enfants adoptifs, il veut lui-même nous témoigner une tendresse toute
paternelle.
S. CHRYS. (hom.
75.) Le Sauveur leur avait dit tout d'abord : « Vous viendrez là où
je vais ; » mais comme il fallait attendre un long espace de temps,
il leur promet l'Esprit saint, et parce qu'ils ne comprenaient pas l'excellence
de ce don, il leur promet sa présence dont ils étaient si avides, en leur
disant : « Je viendrai à vous. » Mais il ne vent pas qu'ils recherchent sa
présence telle qu'ils en ont joui jusqu'à présent, il exclut indirectement ce
genre de présence quand il ajoute : « Encore un peu de temps, et le monde ne me
verra plus, » c'est-à-dire : Je viendrai à vous, mais non pas comme par le
passé, en demeurant chaque jour tout entier au milieu de vous. Et pour prévenir
cette objection : Pourquoi donc avez-vous dit aux Juifs : « Bientôt vous
ne me verrez plus ? » Il leur dit : « C'est vers vous seuls que je viendrai. »
— S. AUG. Le monde le voyait
alors des yeux du corps revêtu d'une chair visible, mais il ne voyait pas le
Verbe, qui était caché sous l'enveloppe d'un corps sensible, de même qu'après
sa résurrection, il a donné cette chair, non-seulement à voir, mais à toucher à
ses disciples, tandis qu'il en a dérobé la vue à ses ennemis ; peut-être est-ce
pour cela qu'il dit : « Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus,
mais pour vous, vous me verrez. » Cependant, comme au jour du jugement, le
monde, c'est-à-dire, ceux qui sont exclus de son royaume, le verront de leurs yeux, je crois qu'il a surtout voulu désigner ce temps de la
fin du monde où il disparaîtra pour toujours des yeux des réprouvés, et ne sera
plus vu que de ceux qui l'aiment. Et s'il se sert de cette locution : « Encore
un peu de temps, » c'est que ce qui parait long aux yeux des hommes, est
toujours très-court aux yeux de Dieu.
« Parce que je vis et que vous vivrez aussi. » — THEOPHYL. C'est-à-dire, bien que je
doive souffrir la mort, cependant je ressusciterai : et vous aussi vous vivrez,
c'est-à-dire, vous serez dans la joie, lorsque vous me verrez, et dès que
j'apparaîtrai, vous ressusciterez comme des morts qui sortent du tombeau. — S. CHRYS. Il veut parler ici non de la vie
présente, mais de la vie future, et tel est le sens de ces paroles : La mort de
la croix ne me séparera point de vous pour toujours, mais elle ne fera que me
cacher un instant à vos yeux.
S. AUG. Pourquoi
dit-il de lui au présent : « Parce que je vis, » et d'eux au futur : « Et que
vous vivrez ? » C'est parce qu'il leur promettait pour l'avenir la vie de
la chair ressuscitée, telle qu'il devait bientôt la manifester le premier dans
sa personne. En effet, sa résurrection devait suivre presque immédiatement sa
mort, et c'est pour cela qu'il dit au présent: « Je vis, » pour exprimer
le terme prochain de sa résurrection. Mais comme la résurrection des siens
devait être différée jusqu'à la fin des siècles, il ne leur dit pas : Vous
vivez, mais : « Vous vivrez. » Nous vivrons en vertu de sa vie, car si c'est par
un homme que la mort est entrée dans le monde, c'est aussi par un homme qu'aura
lieu la résurrection des morts. Et dans ce jour (où s'accomplira cette promesse
de vie), vous connaîtrez (par intuition, ce dont la foi nous donne ici la
connaissance), que je suis dans mon Père, et vous en moi, et moi en vous, »
parce qu'en effet, lorsque nous vivrons de cette vie qui aura complètement
détruit la mort, nous verrons alors s'accomplir ce qu'il a commencé lui-même,
c'est-à-dire, qu'il soit en nous et que nous soyons en lui. — S. CHRYS. Ou bien encore, au jour de ma
résurrection, vous connaîtrez, parce que leur foi devint pleine de certitude
lorsqu'ils le virent ressusciter et revenir au milieu d'eux ; car la puissance
de l'Esprit saint, qui leur enseignait toutes choses était grande. Quant à ces
paroles : « Je suis dans mon Père, » c'est le langage de l'humilité, et quand
il ajoute : « Et vous en moi, et moi en vous, » il veut parler de son humanité,
du secours qui vient de Dieu, car l'Ecriture emploie très souvent des mots
semblables, mais qu'elle entend dans un sens différent, suivant qu'elle les
applique à Dieu ou aux hommes. — S. HIL. (de la Trin., 8) Ou bien en
s'exprimant de la sorte, il veut que nous croyions qu'il est dans son Père par
sa nature divine, que nous sommes en lui par sa naissance corporelle, et qu'il
est encore en nous par le mystère de son sacrement, comme il l'atteste lui-même
: « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui. » (Jn
6)
ALCUIN. Or, c'est par l'amour et par
l'observation de ses commandements que s'accomplira cette union parfaite qu'il
a commencée lui-même, et en vertu de laquelle il est en nous, et nous en lui.
Et ce n'est pas seulement à ses Apôtres qu'est promis ce bonheur, mais à tous
les hommes : « Celui qui a mes commandements et qui les garde, » etc. — S. AUG. Celui qui les a dans sa mémoire et
les garde dans sa vie ; celui qui les a dans ses discours et qui les garde dans
ses œuvres ; celui qui les a par son attention à les écouter et qui les garde
par sa fidélité à les pratiquer ; celui qui les a en les observant et qui les
garde par une constante persévérance : voilà celui qui m'aime véritablement, la preuve de
l'amour doit être dans les œuvres, ou alors il n'est plus qu'une dénomination
stérile. — THEOPHYL. Voici, en
effet, le vrai sens de ces paroles : vous pensez me donner un témoignage
d'amour en vous attristant de ma mort, mais pour moi la preuve de l'amour
véritable, c'est l'observation de mes commandements. Or, quelle sera la
récompense de cet amour ? « Celui qui m'aime sera aimé de mon Père, et je
l'aimerai aussi. » — S. AUG. Mais
qu'est-ce à dire : « Je l'aimerai, » comme s'il n'avait pas aimé jusque-là ? Il
répond à cette difficulté en ajoutant : « Et je me manifesterai à lui, »
c'est-à-dire, je l'aimerai pour me manifester à lui et lui donner la claire
vision comme récompense de sa foi. Maintenant Jésus nous aime pour nous amener
à la foi, il nous aimera alors pour nous conduire à la vision des cieux ; et
nous aussi nous aimons maintenant en croyant ce que nous verrons un jour, et
nous aimerons alors en voyant ce qui est l'objet de notre foi.
S. AUG. (Lett.
112 à Paulin., chap. 10) Or, il a promis de se manifester à ceux qui
l'aiment comme un seul Dieu avec son Père, et non corporellement comme il a été
vu dans ce monde par les méchants eux-mêmes. — THEOPHYL. Ou bien encore, comme il devait leur apparaître
après sa résurrection dans un corps glorieux et plus rapproché de la divinité,
il leur fait cette prédiction afin qu'ils ne le prennent point pour un esprit
ou pour un fantôme, et que bannissant tout sentiment de défiance, ils se
rappellent qu'il se manifeste à eux pour les récompenser d'avoir observé ses
commandements, et qu'ils persévèrent dans cette observance pour jouir toujours
de celte manifestation.
S. AUG. (Traité 76 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur
venait de dire : « Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus, mais
pour vous, vous me verrez. » Judas, non pas le traître surnommé Iscariote, mais
celui dont l'Epître est au rang des Ecritures canoniques, Judas lui demande
l’explication de ces paroles : « Judas, non pas l'Iscariote, lui dit :
Seigneur, d'où vient que vous vous manifesterez à nous et non au monde ? » Il
lui demande donc la raison pour laquelle il doit se manifester, non pas au
monde, mais à ses disciples, le Seigneur lui donne cette raison, c'est qu'il
est aimé des uns et qu'il n'est pas aimé des autres. Jésus lui répondit : « Si
quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera, » etc. — S. GREG. (hom. 30 sur les
Evang.) La preuve de l'amour ce sont les œuvres ; l'amour de Dieu ne peut
jamais être oisif, dès qu'il existe, il opère de grandes choses, s'il refuse
d'agir, ce n'est qu'un simulacre d'amour.
S. AUG. L'amour qui distingue et sépare les saints
des partisans du monde, est cet amour qui inspire un même esprit à ceux qui
habitent (Ps 68, 7) dans
la maison où le Père et le Fils font leur demeure, en répandant leur amour sur
ceux à qui ils doivent se manifester un jour. Il y a donc une certaine manifestation
intérieure de Dieu, complètement inconnue des impies, à qui Dieu le Père
ne se manifeste jamais. Quant au Fils, ils ont pu le voir, mais seulement dans
sa chair, cette manifestation ne ressemble nullement à l'autre, elle ne peut
d'ailleurs leur être toujours présente, elle ne dure qu'un peu de temps, et
loin d'être pour eux une cause de joie et de récompense, elle est bien plutôt
un principe de jugement et de condamnation : « Et nous viendrons à lui. » Le
Père et le Fils viennent à nous, lorsque nous venons nous-mêmes à eux ; ils
viennent à nous en nous secourant, nous venons à eux en obéissant à leur
inspiration, ils viennent à nous en nous comblant de leur lumière, nous venons
à eux en la contemplant, ils viennent à nous en nous remplissant de leurs dons,
nous venons à eux en les recevant. Cette vision n'a aucun rapport avec les sens
extérieurs, elle est tout intérieure, et cette demeure n'est point passagère,
elle est éternelle : « Et nous ferons en lui notre demeure. » — S. GREG. Dieu vient dans certaines âmes et
n'y demeure pas, parce que si le repentir leur fait tourner les regards vers
Dieu, elles oublient ce repentir aux approches de la tentation, et retombent
dans leurs anciens péchés, comme si elles ne les avaient jamais pleurés. Celui donc
qui aime Dieu d'un amour véritable, voit le Seigneur venir en lui et y établir
sa demeure, parce qu'il est tellement pénétré de l'amour de Dieu, qu'il lui
reste fidèle dans le temps même de la tentation, et il aime véritablement Dieu,
parce que le plaisir criminel ne peut triompher de son âme en lui arrachant son
consentement.
S. AUG. Mais
devons-nous admettre que l'Esprit saint reste étranger à cette demeure que le Père
et le Fils font dans l'âme de celui qui les aime ? Alors que signifieraient ces
paroles que le Sauveur a dites précédemment de l'Esprit saint : « Il
demeurera au milieu de vous, et il sera en vous, » à moins qu'on ne pousse
l'absurdité jusqu'à penser que lorsque le Père et le Fils arrivent, le
Saint-Esprit s'éloigne comme pour laisser la place à ceux qui lui sont
supérieurs ? La sainte Ecriture va du reste au-devant de cette grossière
objection, lorsqu'elle dit : « Afin qu'il demeure en vous éternellement. »
L'Esprit saint sera donc éternellement dans la même demeure avec le Père et le Fils,
parce qu'il ne peut venir sans eux, et qu'ils ne peuvent venir sans lui. C'est
pour établir la distinction des personnes de la sainte Trinité, que quelques
opérations sont attribuées nominativement à chacune des personnes, mais il ne
faut jamais en exclure les autres personnes, parce qu'il n'y a qu'une seule et
même nature dans la Trinité.
S. GREG. Plus
on se livre aux plaisirs bas et terrestres, plus on s'éloigne de l'amour des
biens célestes. « Celui qui ne m'aime pas, poursuit Nôtre-Seigneur, ne garde
point mes commandements. » L'amour du Créateur exige donc le concours de la
langue, du cœur et de la vie. — S. CHRYS.
(hom. 75 sur S. Jean.) On peut encore donner cette
explication : Judas pensait qu'ils ne verraient le Sauveur que comme nous
voyons les morts pendant notre sommeil, et c'est pour cela qu'il lui fait cette
question : « D'où vient que vous vous manifesterez à nous et non au monde ? »
Langage qui revient à celui-ci : Malheur à nous ! Vous allez mourir, et vous ne
nous apparaîtrez plus que comme les morts ont coutume d'apparaître. C'est pour
détruire ce soupçon que Nôtre-Seigneur leur dit : « Mon Père et moi, nous
viendrons à lui, » c'est-à-dire, je me manifesterai de même que mon Père. « Et
nous ferons en lui notre demeure ; » ce qui éloigne toute idée de sommeil et de
songe ; il ajoute : « Et la parole que vous avez entendue n'est pas de
moi, mais de mon Père, qui m'a envoyé. » C'est-à-dire, celui qui n'écoute pas
ma parole, n'aime ni mon Père, ni moi. Le Sauveur s'exprime de la sorte, parce
qu'il ne dit rien qui soit en dehors de son Père, ou qui ne soit conforme à son
bon plaisir. — S. AUG. Peut-être est-ce pour établir une distinction, que
lorsqu'il s'agit de ses propres paroles, le Sauveur parle au pluriel : « Celui
qui ne m'aime pas, ne garde pas mes commandements ; » tandis que lorsqu'il
parle au singulier de sa parole, c'est-à-dire du Verbe du Père, il ne dit point
que c'est sa parole, mais celle du Père, c'est-à-dire lui-même. En effet, il
n'est point son Verbe, mais le Verbe du Père ; de même qu'il n'est point son
image, mais l'image du Père ; de même qu'il n'est point son Fils, mais le Fils
du Père. C'est donc avec raison qu'il attribue à l'auteur de son être ce qu'il
fait comme étant son égal, puisque c'est de lui qu'il a reçu ce qui lui donne
cette parfaite égalité.
S. CHRYS. Parmi
les choses que le Sauveur vouait de leur dire, les unes étaient claires, les
autres étaient restées incomprises ; il ajoute donc, pour calmer le trouble de
leur âme : « Je vous ai dit ceci, demeurant avec vous. » — S. AUG. (Traité 77)
Cette demeure qu'il vient de promettre pour l'avenir, est toute différente de
celle qu'il déclare exister actuellement. La première est toute spirituelle, et
se réalise au dedans de l'âme ; l'autre est extérieure ut accessible aux yeux
du corps comme au sens de l'ouïe. — S. CHRYS.
Or, pour les préparer à supporter plus patiemment la privation de sa
présence corporelle, il leur promet que son départ sera pour eux la cause des
biens les plus abondants, car tant qu'il restait au milieu d'eux d'une manière
visible, sans que l'Esprit saint vint en eux, ils ne pouvaient comprendre
aucune vérité importante. Aussi Nôtre-Seigneur ajoute : « Mais le Paraclet,
l'Esprit saint, que mon Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses,
et vous rappellera tout ce que je vous ai dit. » — S. GREG. Le mot grec
παράχλητος veut dire en latin
avocat ou consolateur. L'Esprit saint est appelé avocat, parce qu'il intercède
auprès de la justice du Père en faveur des pécheurs qui se sont égarés, et en
inspirant l'esprit de prière à ceux qu'il remplit de ses dons. On lui donne
aussi le nom de consolateur, parce qu'il délivre de l'affliction et de la
tristesse les âmes que la pensée de leurs crimes plongent dans une mer
d'amertumes, en leur faisant entrevoir l'espérance du pardon. —S. CHRYS. Il leur représente encore
l'Esprit saint comme consolateur, en vue des tribulations dont ils allaient
être assaillis.
DIDYME. (De l'Esprit saint, liv.
2) Le Sauveur affirme que l'Esprit saint est envoyé par le Père en son nom, et
le nom du Sauveur est celui de Fils, qui exprime à la fois l'unité de nature et
la distinction des personnes. En effet, il est exclusivement le propre du Fils
de venir au nom du Père, en conservant les relations qui existent du Père le Fils
; aussi nul autre n'est venu au nom du Père, mais plusieurs sont venus au nom
du Seigneur Dieu tout-puissant. De même donc que les serviteurs qui viennent au
nom de leur maître rappellent le souvenir de leur maître, par cela seul qu'ils
sont ses serviteurs et ses subordonnés ; ainsi le Fils qui vient au nom de son
Père porte et rappelle son nom par cela seul qu'il est reconnu pour le Fils
unique de Dieu. Par cela donc que l'Esprit saint est envoyé par le Père au nom
du Fils, il montre les liens étroits qui l'unissent au Fils ; aussi est-il
appelé l'Esprit du Fils, et par la grâce de l'adoption, il donne à ceux qui
veulent le recevoir le titre et les droits d'enfants de Dieu. Or, ce divin
Esprit, qui est envoyé par le Père et qui vient au nom du Fils, enseignera
toutes choses à ceux dont la foi eu Jésus-Christ est parfaite, c'est-à-dire
tous les mystères et les secrets spirituels de la vérite et de la sagesse, et
il les enseignera non comme les hommes enseignent les arts et la sagesse, à
force d'étude et d'habilité , mais cet Esprit de vérité les enseignera comme
étant lui-même par essence la doctrine et la sagesse, et répandra invisiblement
dans les âmes la science des choses divines.
S. GREG. La parole de celui qui enseigne demeure
nécessairement infructueuse si l'Esprit saint n'est présent dans le cœur de
celui qui reçoit ses enseignements. Que personne donc n'attribue à celui qui
enseigne l'intelligence des vérités qui sortent de ses lèvres, car sans la
présence de ce maître intérieur, la langue de celui qui enseigne travaille
inutilement à l'extérieur. Le Créateur lui-même ne parle point à l'homme pour
son instruction, à moins que l'Esprit saint ne lui parle on même temps par son
onction. — S. AUG. Mais est-ce
donc que le Fils parle et que l'Esprit saint enseigne, de manière que nous
entendions les paroles du Fils, et que l'enseignement de l'Esprit saint nous en
donne l'intelligence ? C’est donc la Trinité tout entière qui parle et qui
enseigne ; mais si l'action de chacune des divines personnes ne nous était
présentée comme distincte et séparée, la faiblesse humaine ne pourrait en
aucune manière la comprendre.
S. GREG. (hom.
30.) Examinons encore pourquoi le Sauveur dit de l'Esprit saint : « Il
vous suggérera toutes les choses, » etc., ce qui parait indiquer un ministère
inférieur. Mais il faut nous rappeler que le mot suggérer a quelquefois
le sens de fournir, de donner, et on dit de l'Esprit invisible
qu'il suggère, non qu'il nous inspire la science puisée dans les régimes
inférieurs, mais parce qu'il la tire des profondeurs cachées aux yeux des
hommes. — S. AUG. Ou bien encore
ces paroles : « Il vous suggérera, » c'est-à-dire il vous rappellera, doivent
nous faire comprendre que c'est pour nous un devoir de ne jamais oublier que
ses salutaires enseignements ont pour objet et pour fin la grâce que l'Esprit
nous remet en mémoire. — THEOPHYL. L'Esprit
saint a donc tout ensemble enseigné et remis en mémoire ; il a enseigné les
vérités que Jésus-Christ n'avait pas voulu faire connaître à ses disciples,
parce qu'ils n'étaient pas capables de les comprendre ; et il les a fait
ressouvenir de celles que le Sauveur leur avait enseignées, mais dont ils
avaient perdu la mémoire par suite de l'obscurité des choses elles-mêmes ou de
la lenteur de leur intelligence.
S. CHRYS. Ces
discours du divin Maître jetaient le trouble dans leur âme, en leur
représentant les persécutions elles combats qu'ils auraient à soutenir après
que Jésus les aurait quittés ; il les console donc le nouveau en leur disant :
« Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. » — S. AUG. Il nous laisse la paix dans ce monde, afin qu'elle nous serve à vaincre nos
ennemis et à nous aimer les uns les autres ; il nous donnera sa paix dans le
siècle futur, où nous régnerons sans avoir à craindre ni les attaques des
ennemis, ni les dissentiments avec nos frères. Or, c'est lui-même qui est notre
paix, et lorsque nous croyons qu'il est et lorsque nous le verrons tel qu'il
est. Mais pourquoi, lorsqu'il dit à ses disciples : « Je vous laisse la paix, »
ne dit-il point : Ma paix, tandis que dans la proposition suivante il dit : «
Je vous donne ma paix ? » Devons-nous sous-entendre ce pronom ma dans
la phrase où il n'est pas exprimé ? Ou bien y a-t-il ici quelque vérité cachée
? Par sa paix, il veut que nous entendions celle dont il jouit lui-même. Quant
à la paix qu'il nous laisse pendant cette vie, c'est plutôt notre paix que la
sienne. Le Sauveur n'a en lui aucun élément de guerre intérieure, parce qu'il
n'y a en lui aucun péché ; tandis que la paix que nous pouvons avoir en ce
monde ne nous empêche pas de dire : « Pardonnez-nous nos péchés. » De même
encore la paix règne entre nous, parce que nous croyons à l'amour mutuel que
nous avons les uns pour les autres ; mais cette paix n'est point parfaite, parce
que nous ne pouvons pénétrer réciproquement les pensées secrètes de nos cœurs.
Je sais toutefois que l'on peut entendre ces paroles du Sauveur dans le sens
d'une simple répétition de la même pensée. Il ajoute : « Je ne vous la donne
pas comme le monde la donne ; » c'est-à-dire, je ne la donne pas comme la
donnent les hommes qui aiment le monde. Ils s'accordent mutuellement la paix,
afin de pouvoir jouir des biens de ce monde sans inquiétude et sans crainte ;
et s'ils laissent la paix aux justes en ce sens qu'ils ne les persécutent pas,
ce ne peut être une paix véritable, parce qu'il ne peut y avoir de véritable
entente là où les cœurs sont séparés. — S. CHRYS.
D'ailleurs, la paix qui n'est qu'extérieure est souvent très-dangereuse, et n'est
d'aucune utilité pour ceux qui la possèdent.
S. AUG. (serm.
59 sur les par. du Seign.) La paix, c'est la sérénité de l'âme, la
tranquillité de l'esprit, la simplicité du cœur, le lien de l'amour, l'union
intime de la charité ; celui qui n'aura point voulu observer ce divin testament
de la paix, ne pourra parvenir à l'héritage du Seigneur, et il ne peut espérer
d'être en paix avec Jésus-Christ, s'il est en guerre avec un de ses frères en
Jésus-Christ.
S. chkys. (hom.
75 sur S. Jean.) Ces paroles du Sauveur à ses disciples : « Je vous
laisse ma paix, » leur faisaient pressentir son départ et pouvaient leur
inspirer un sentiment de trouble ; il se hâte donc de sur dire : « Que votre
cœur ne se trouble point et ne s'effraie point. » Ce double sentiment était
produit en eux l'un par l'amour, l'autre par la crainte.
S. AUG. (Traité
78 sur S. Jean.) Ce qui pouvait être pour eux une cause de trouble
et d'effroi, c'est que Jésus les quittait (quoiqu'il dût revenir), et que
pendant cet intervalle, le loup pouvait profiter de absence du pasteur pour
fondre sur le troupeau : « Vous avez entendu, leur dit le Sauveur, que je vous
ai dit : Je m'en vais et reviens à vous. » Il s'en allait en tant qu'homme, et il
restait en tant que Dieu. Mais pourquoi ce trouble et cet effroi, puisqu'en se
dérobant à leurs regards, Jésus n'abandonnait pas leur cœur ? Or, pour leur
faire comprendre que c'était comme homme qu'il leur avait dit : « Je m'en vais
et je reviens à vous ; » il ajoute : « Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez
de ce que je m'en vais à mon Père, » etc. C'est en tant qu'il n'était pas
égal au Père, que le Fils devait aller à son Père, d'où il devait revenir juger
les vivants et les morts. Mais en tant qu'il est égal à celui qui l'a engendré,
il ne se sépare jamais de son Père, mais il est tout entier avec lui en tout
lieu en vertu de cette divinité qu'aucun lieu ne peut limiter. Aussi le Fils de
Dieu, égal à son Père dans la forme de Dieu (car il s'est anéanti lui-même sans perdre la forme de Dieu, mais en prenant la forme de serviteur), (Ph
2), est plus grand que lui-même, puisque la forme et la nature de Dieu
qu'il n'a point perdues, sont plus grandes que la forme et la nature de
serviteur qu'il a prises. A ne considérer que cotte forme de serviteur, le Fils
de Dieu est inférieur, non-seulement au Père, mais à l'Esprit saint ; sous ce
rapport Jésus-Christ enfant était inférieur à ses parents, puisqu'il leur était
soumis dans son enfance, comme l'Evangile nous l'apprend. (Lc 2)
Reconnaissons donc en Jésus-Christ deux natures, la nature divine, qui le fait
égal au Père, et la nature humaine, qui le rend inférieur au Père. Or, ces deux
natures ne font point deux Christs, mais un seul Christ ; de sorte qu'il n'y a
pas en Dieu quaternité, mais trinité. Or, Nôtre-Seigneur dit : « Si vous
m'aimiez, vous vous réjouiriez dr ce que je m'en vais à mon Père. » Félicitons, en
effet, la nature humaine, de ce que le Fils unique de Dieu a daigné la prendre
pour la placer dans les cieux, au sein de l'immortalité, de ce que la terre a
été élevée si haut, et de ce que la poussière, devenue incorruptible, s'est
assise à la droite le Dieu le Père. Qui ne se réjouirait, s'il aime
Jésus-Christ, qui ne 'applaudirait de voir sa nature revêtue de l'immortalité
dans la personne du Christ, et d'espérer obtenir lui-même un jour cette
immoralité par les mérites de Jésus-Christ ?
S. HIL. (de
la Trin., 9) Ou bien encore, si le Père est plus grand que moi, en vertu de
l'autorité de celui qui donne, est-ce que le Fils ne lui est pas inférieur,
par-là même qu'il reconnaît avoir reçu de son Père ? Oui, celui qui donne est
plus grand, mais le Fils n'est pas inférieur, puisque son Père lui donne d'être
un seul et même Dieu avec lui. — S. CHRYS.
On peut encore donner cette explication : Les Apôtres ne savaient pas en
quoi consistait cette résurrection qu'il leur avait prédite, en leur disant : «
Je m'en vais et je reviens à vous, » et ils l'avaient pas encore de lui une
idée convenable, tandis qu'ils regardaient le Père comme infiniment plus grand
et plus élevé. Il leur dit donc : « Vous craignez que je ne sois pas assez
puissant pour me secourir moi-même, et vous ne pouvez croire que je revienne
vous voir près ma mort sur la croix ; mais au moins vous devriez vous réjouir
de m'entendre dire que je vais à mon Père qui est plus grand que moi, et qui
est assez puissant pour renverser tous les obstacles. » Il accommodait
ainsi son langage à la faiblesse de ses disciples, et c'est pour cela qu'il
ajoute : « Et je vous le dis maintenant, avant que cela arrive, afin que
quand ce sera arrivé, vous croyiez. »
S. AUG. (Traité
79 sur S. Jean.) Que veulent dire ces paroles ? Est-ce que l'homme ne doit pas
croire bien plutôt ce qui lui est proposé comme l'objet de sa foi avant son
accomplissement ? Le véritable mérite de la foi, c'est de croire ce qu'on ne
voit point, car cet Apôtre à qui Jésus a dit : « Vous avez cru parce que vous
avez vu, » il a vu une chose et en a cru une autre, il a vu en
Jésus-Christ un homme, et il a cru qu'il était Dieu. On dit bien, il est vrai,
qu'on croit ce que l'on voit, qu'on en croit à ses propres yeux, mais ce n'est
point là cette foi qui s'établit dans nos cœurs ; les choses que nous voyons ne
sont que le moyen par lequel nous croyons celles que nous ne voyons pas. Ces
paroles : « Quand cela sera arrivé, » signifient donc qu'après qu'il sera mort,
ils le verront de nouveau plein de vie, et qu'en le voyant ils croiront
fermement qu'il était le Christ, fils de Dieu, qui a pu opérer un tel prodige
et le prédire avant de l'accomplir. Et ils le devaient croire, non d'une foi
nouvelle, mais d'une foi plus complète, ou si l'on veut, d'une foi qui avait
faibli au moment de sa mort, mais qui s'était ranimée lors de sa résurrection.
S. HIL. (de la Trin., 9) Nôtre-Seigneur leur
fait connaître ensuite ce qui devait lui mériter la gloire qui devait suivre sa
mort : « Je ne vous parlerai plus guère. » — BEDE.
Il s'exprime de la sorte, parce que le moment approchait où on allait se
saisir de sa personne et le mettre à mort : « Car le prince de ce monde vient.
» — S. AUG. Quel est ce prince du
monde si ce n'est le démon ? Il n'est point toutefois le prince de toutes les
créatures, mais seulement des pécheurs. Aussi lorsque l'Apôtre nous dit : «
Nous avons à combattre..... contre les princes de ce monde, » (Ep 6, 12)
il ajoute : « De ce monde de ténèbres, » c'est-à-dire, du monde composé des
hommes impies, « et il n'a rien en moi, » parce que le Fils de Dieu était venu
sans péché, et la très-sainte Vierge n'avait pas conçu et enfanté sa chair
d'une source empoisonnée par le péché. Mais alors, pouvait-on lui dire :
Pourquoi devez-vous souffrir la mort, si vous êtes sans péché, puisque la mort
est la peine du péché ? Il prévient cette objection en ajoutant : «Mais afin
que le monde connaisse que j'aime mon Père, et que selon le commandement que
mon Père m'a donné, ainsi je fais ; levez-vous, sortons d'ici. » En effet, il
était encore à table avec ses disciples, lorsqu'il leur adressait le discours
qui précède ; il dit : « Allons, » en se dirigeant vers le lieu où on devait
se saisir de sa personne pour le livrer à la mort, bien qu'il n'eût aucunement
mérité la mort ; mais son Père lui commandait de mourir, et il voulait donner
l'exemple de l'obéissance par amour.
S. AUG. (contr.
le disc. des Ar., 2) L'obéissance du Fils, à la volonté et aux ordres de
son Père, n'est point une preuve même parmi les hommes, de la diversité
et de l'inégalité de nature entre le Père qui commande et le Fils qui obéit, et
il y a ici quelque chose de plus, c'est que Jésus-Christ n'est pas seulement Dieu,
en quoi il est égal à son Père, mais il est homme aussi, et par conséquent
d'une nature inférieure à celle de son Père. — S. CHRYS. (hom. 76 sur S. Jean.) On peut dire
encore que ces paroles : « Levez-vous, sortons d'ici, » sont le commencement
d'un autre ordre d'idées. Le temps, comme le lieu, étaient pour les disciples
une cause naturelle de crainte et d'effroi. Ils étaient dans un endroit connu
et ouvert de toutes parts ; la nuit était profonde, et ils ne prêtaient qu'une
médiocre attention aux paroles du Sauveur, tournant les yeux de côté et
d'autre, et s'imaginant toujours voir entrer ceux qui devaient les attaquer. Ce
que le Sauveur venait de leur dire : « Je ne vous parlerai plus guère, car le
prince de ce monde est venu, » ajoutait à leur frayeur. Jésus les voyant sous
cette impression en entendant ses paroles, les conduit dans un autre lieu, où
la pensée qu'ils étaient plus en sûreté leur laisserait plus de liberté
d'esprit pour écouter attentivement les grandes vérités qu'il avait à leur
révéler.