S. HIL. (de
la Trin., 9) Nôtre-Seigneur se lève et se hâte d'aller consommer le mystère
de sa passion par l'amour qui le porte à exécuter les ordres de son Père.
Cependant il veut expliquer auparavant le mystère de son incarnation, en vertu
de laquelle nous lui sommes unis, comme les branches sont unies à la vigne : «
Je suis la vraie vigne, » dit-il à ses disciples. — S. AUG. (Traité 80 sur
S. Jean.) Le Sauveur parle ici comme étant le chef de l'Eglise, dont nous
sommes les membres, comme le médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ
homme. (1 Tm 5) En effet, les branches de la vigne sont de même nature
que la tige. Mais lorsque Nôtre-Seigneur dit : « Je suis la vraie vigne, »
a-t-il ajouté le mot vraie par opposition à la vigne, qu'il prend ici pour
terme de comparaison ? Car on lui donne le nom de vigne dans un sens ligure et
non au littéral, de même qu'on lui donne les noms d'agneau, de brebis et
d'autres encore, où la réalité extérieure existe bien plutôt dans tas choses
qui sont prises comme objets de comparaison. En disant : « Je suis la vraie
vigne, » il a donc voulu se séparer de cette vigne, à laquelle Dieu dit, par
son Prophète : « Comment vous êtes-vous changée en amertume, ô vigne
étrangère ? »
(Jr 2, 21).
Et comment serait-elle la vraie vigne, elle qui, au lieu de fruits qu'on
attendait, n'a produit que des épines ? (Is 5)
S. HIL. (de
la Trin., 9) Mais le Sauveur a soin de distinguer la majesté divine de son
Père de l'humble nature dont il s'est revêtu dans son incarnation, et il le
représente comme étant le vigneron intelligent qui cultive cette vigne : « Et
mon Père est le vigneron. » — S. AUG. Nous
cultivons Dieu, et Dieu nous cultive ; mais nous cultivons Dieu non pour le
rendre meilleur, nous le cultivons en l'adorant et non en le labourant ; tandis
que Dieu nous cultive pour nous rendre meilleurs que nous ne sommes ; c'est
notre âme qui est l'objet de cette culture, et il ne cesse d'extirper tous les
mauvais germes de notre cœur, de l'ouvrir par sa parole comme avec le soc de la
charrue, d'y jeter la semence de ses commandements, et d'en attendre le fruit
de la piété.
S. CHRYS. Mais
Jésus-Christ se suffit à lui-même, tandis que les disciples ont un grand besoin
de la main du laboureur ; aussi ne dit-il rien de la vigne elle-même, il ne
parle que des branches : « Toute branche qui ne porte point de fruit en moi, il
la retranchera. » Ce fruit c’est la vie de la grâce, et Notre-Seigneur nous
apprend ainsi que sans les oeuvres, nous ne pouvons lui être unis.— S. HIL. (de la Trin., 9) Quant aux
branches inutiles et infructueuses, il les coupera et les jettera au feu. — S. CHRYS. Ceux mêmes qui sont arrivés à
une haute vertu ont besoin de l'opération de ce céleste vigneron, et c'est pour
cela qu'il ajoute : « Et la branche qui porte du fruit il l'émondera, afin
qu'elle en porte davantage. » Il veut parler ici des tribulations qui les attendaient, et Il leur
enseigne que les épreuves les rendront plus forts et plus vigoureux, de même
qu'on rend la branche de la vigne plus féconde en la taillant et en l'émondant.
S. AUG. Mais
qui peut se glorifier d'être si pur dans cette vie, qu'il n'ait point besoin
d'être purifié encore davantage, puisque si nous disons que nous n'avons pas de
péché, nous nous trompons nous-mêmes ? (1 Jn 1, 1) Dieu purifie donc
ceux qui sont déjà purs, afin que cette pureté plus grande, soit aussi la cause
d'une plus grande fécondité. Or, Nôtre-Seigneur Jésus-Christ est la vigne, sous
le même rapport qui lui fait dire : « Mon Père est plus grand que moi. » (Jn
14) Mais lorsqu'il dit : « Mon Père et moi ne sommes qu'un, » (Jn 10) il est
également le vigneron. Et il n'est point vigneron, comme ceux qui ne peuvent
que donner leur travail extérieur, son opération va jusqu'à produire
l'accroissement intérieur. Aussi se représente-t-il aussitôt comme, celui qui
émonde aussi la vigne : « Déjà, leur dit-il, vous êtes purs, à cause des
paroles que je vous ai dites. » Voilà donc qu'il émonde les branches, ce qui
est l'office du vigneron et non de la vigne. Mais pourquoi ne dit-il pas : Vous
êtes déjà purs, à cause, du baptême dans lequel vous avez été lavés ? Parce
que, dans l'eau du baptême, c'est la parole qui purifie. Otez la parole, et
l'eau n'est plus que de l'eau ordinaire. La parole vient se joindre à l'eau, et
forme de sacrement. Or, d'où peut venir à l'eau cette si grande vertu de
purifier le cœur en touchant le corps, si ce n'est de la parole, et non pas de
la parole simplement dite, mais de la parole qui est crue ? Il faut distinguer,
en effet, dans la parole, le son qui passe de la vertu qui demeure. Cette
parole de la foi a une telle puissance dans l'Eglise de Dieu, que par celui qui
croit, qui offre, qui bénit, qui répand l'eau, elle purifie l'enfant, qui est
encore incapable de croire — S. CHRYS. Ou
bien encore, tel est le sens de ces paroles : Vous êtes purs, à cause des
paroles que je vous ai dites. C'est-à-dire, vous avez reçu la lumière de la
doctrine, et vous êtes délivrés des erreurs judaïques.
S. CHRYS. (hom. 75 sur S. Jean) Après
leur avoir déclaré qu'ils purs à cause des instructions qu'il leur avait
données, il leur enseigne à faire ce qui dépend d'eux pour prêter leur concours
à la grâce : « Demeurez en moi, et moi en vous. » — S. AUG. (Traité 81
sur S. Jean. ) Ils n'étaient pas en lui de la même, manière qu'il était en
eux, car cette union réciproque ne pouvait être utile qu'à eux seuls. Les
branches sont unies étroitement à la vigne, mais sans lui rien communiquer ;
tandis que c'est d'elle qu'ils tirent le principe de leur vie. La vigne, au contraire,
est unie aux branches de manière à leur communiquer sa sève vivifiante, sans
rien recevoir d'eux. Ainsi cette demeure de Jésus-Christ dans les apôtres et
des apôtres dans Jésus-Christ, n'a d’autre but
que leur avantage et non celui de Jésus-Christ. C'est pour cela qu'il
ajoute : « De même que la branche ne peut porter de fruit si elle ne
demeure unie à la vigne, ainsi vous ne le pouvez non plus si vous ne demeurez
en moi. » Quel magnifique éloge de la grâce ! Comme il est propre à instruire
les cœurs des humbles et à fermer la bouche des superbes ! N'est-ce pas
contredire cette vérité que de ne pas croire à la nécessité d'un secours divin
pour faire le bien, et ceux qui sont dans cette erreur que font-ils ? Loin
d'affirmer et de défendre le libre arbitre, ils ne font que le ruiner. Celui
qui s'imagine pouvoir porter du fruit par lui-même, n'est pas uni à la vigne ;
celui qui n'est pas dans la vigne n'est pas dans Jésus-Christ, et celui qui
n'est pas dans Jésus-Christ n'est pas chrétien. — ALCUIN. Tout le fruit des bonnes oeuvres vient comme de sa
racine, de celui qui nous a délivrés par sa grâce, et nous donne par son
secours une force nouvelle pour nous faire produire du fruit en plus grande
abondance. Aussi Nôtre-Seigneur revient sur cette vérité, en lui donnant un
plus grand développement : « Je puis la vigne, et vous êtes les branches ; si
quelqu'un demeure en moi (par la foi, l'obéissance, la persévérance), et moi en
lui, (par les lumières que je répands dans son âme, par ma grâce et le don de
persévérance), celui-là, (à l'exclusion de tout autre), portera beaucoup de
fruit. » — S. AUG. Et que
personne ne s'imagine que la branche puisse produire par elle-même quelque peu
de fruit, car Nôtre-Seigneur ajoute : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire. »
Il ne dit pas : Vous pourrez faire peu de chose, car si la branche ne demeure
attachée à la vigne, et ne tire de sa racine la sève qui lui donne la vie, elle
ne peut absolument produire aucun fruit. Or, bien que Jésus-Christ ne pût être
la vigne, s'il n'était homme, cependant il ne pourrait communiquer une si
grande vertu aux branches, s'il n'était également Dieu.
S. CHRYS. Vous
voyez que le Fils procure autant de grâces aux disciples que le Père. Le Père
émonde les branches, le Fils les tient unies avec lui, et leur donne ainsi la
vertu de produire des fruits. Et cependant nous avons vu qu'il appartient aussi
au Fils d'émonder, de même que le Père qui a engendre la racine, nous donne
aussi de demeurer attaché à la racine ; c'est donc déjà un grand malheur que de
ne pouvoir rien faire absolument ; toutefois Notre-Seigneur ne s'arrête pas là,
et il ajoute : « Celui qui ne demeure pas en moi, sera jeté comme le sarment
(c'est-à-dire, qu'il n'aura aucune part aux soins du vigneron), et il séchera
(c'est-à-dire, qu'il perdra le peu de sève qu'il avait reçue de la racine, et
qu'il sera privé de tout secours et de la vie), et on le ramassera. » — ALCUIN.
(Ce sont les anges qui le recueilleront), et on le jettera au feu, et il
brûlera. — S. AUG. Car plus le
bois de la vigne est précieux, s'il demeure uni à la vigne, plus il est vil et
méprisable s'il vient à en être détaché, il n'y a pour la branche d'autre
alternative que d'être unie à la vigne ou d'être jetée dans le feu. Si elle ne
reste point attachée à la vigne, elle sera jetée au feu ; qu'elle demeure donc
unie à la vigne pour éviter le feu.
S. CHRYS. Nôtre-Seigneur
explique ensuite ce que c'est que de demeurer en lui : « Si vous demeurez en
moi et que mes paroles demeurent en vous, vous demanderez tout ce que vous
voudrez, et il vous sera accordé. » Ce qu'il demande, c'est le témoignage des
œuvres. — S. AUG. Ses paroles demeurent en nous, lorsque nous accomplissons ses
commandements et que nous aimons ses promesses, mais si ses paroles ne restent
que dans la mémoire, et qu'on n'en trouve aucune trace dans la vie, le sarment
ne fait plus partie de la vigne, parce qu'il ne tire plus sa vie de la racine.
Or, que peuvent vouloir ceux qui demeurent en Jésus-Christ, que ce qui a
rapport à leur salut ? En effet, ce que nous voulons lorsque nous sommes unis à
Jésus-Christ, est tout différent de ce que nous voulons, lorsque nous sommes
encore attachés au monde. Il arrive quelquefois que la partie de nous-mêmes qui
demeure encore dans le monde, nous suggère des prières dont nous ne voyons pas
l'opposition avec notre salut, mais loin de nous la pensée que nous obtenions
ce que nous demandons, si nous demeurons eu Jésus-Christ, qui n'exauce que les
prières qui nous sont utiles. La prière qui commence par ces mots : « Notre Père,
» fait partie des paroles de Jésus-Christ, dont il est ici question, prenons
donc soin de ne pas nous écarter dans nos demandes des paroles et de l'esprit
de cette divine prière, et tout ce que nous demanderons nous sera
infailliblement accordé.
S. CHRYS. (hom.
75 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur venait de déclarer à ses disciples,
que ceux qui lui tendaient des embûches et ne demeuraient pas en Jésus-Christ,
seraient condamnés au feu ; il leur prédit maintenant qu'ils seront à l'épreuve
de toutes les attaques, et qu'ils porteront beaucoup de fruits : « C'est la
gloire de mon Père que vous
portiez beaucoup de fruit, » c'est-à-dire, si la gloire de mon Père est
intéressée à ce que vous portiez du fruit, il ne négligera pas sa gloire ; or,
celui qui produit du fruit est disciple de Jésus-Christ, comme l'ajoute
Nôtre-Seigneur : « Et que vous devenez mes disciples. » — THEOPHYL. Le fruit
que devaient porter les Apôtres sont les nations qu'ils ont enchaînées à la foi
par leurs enseignements, et dont ils ont fait autant d'instruments de la gloire
de Dieu. — S. AUG. (Traité 82
sur S. Jean.) Que l'on
traduise, c'est l'honneur ou la gloire, clarificatus, sive glorificatus, l'un
et l'autre de ces deux mots sont la traduction du même mot grec
δόζα, en latin, gloria, gloire ; j'ai cru utile de
faire cette remarque, pour que nous ne soyons pas tentés de tourner à notre
propre gloire le mérite de nos bonnes oeuvres, comme s'il venait de nous, car
il vient de sa grâce, et nous devons lui en renvoyer exclusivement la gloire.
Qui pourrait, en effet, nous faire produire du fruit, si ce n'est celui dont la
miséricorde nous a prévenus ? Aussi le Sauveur ajoute-t-il : « Comme mon Père
m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés. » Voilà pour nous le principe de toutes
les bonnes oeuvres, et d'où pourraient-elles venir, si ce n'est de la foi qui
opère par la charité ? Et comment aurions-nous pu l'aimer, s'il ne nous aimait
le premier ? Quant à ces paroles : « Comme mon Père m'a aimé, moi aussi je vous
aime, » elles n'emportent pas l'égalité de nature entre nous et Jésus-Christ,
comme elle existe entre son Père et lui, elles signifient simplement la grâce
du médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ homme. C'est cette médiation
qu'il veut exprimer, lorsqu'il dit : « Comme mon Père m'a aimé, moi aussi je
vous ai aimés, » car le Père nous aime aussi, mais en Jésus-Christ.
S. CHRYS. Si
donc le Père vous aime, prenez confiance, et s'il y va de la gloire du Père,
efforcez-vous de produire du fruit. Et pour prévenir toute négligence de leur
part, il ajoute : « Demeurez dans mon amour. » Comment ? « Si vous gardez
mes commandements, » etc. — S. AUG.
Qui doute que l'amour ne précède l'observation des commandements ? Celui
qui n'aime pas, n'a aucun motif de garder les commandements. Ce n'est donc
point le principe et la cause, mais les effets de l'amour que le Sauveur veut
nous indiquer ici, afin que personne ne s'illusionne en affirmant qu'il aime
Dieu, sans garder ses commandements ? Toutefois ces paroles : « Demeurez dans
mon amour, » ne précisent pas de quel amour Nôtre-Seigneur veut parler, de
celui que nous avons pour lui, ou de celui qu'il a pour nous ; et ce n'est que
par ce qui précède que nous pouvons le savoir. En effet, après avoir dit : « Je
vous ai aimés, » il ajoute aussitôt : « Demeurez dans mon amour, »
c'est-à-dire, dans l'amour dont il les a aimés. Or, que signifient ces paroles
: « Demeurez dans mon amour ? » persévérez dans ma grâce ? Et que veut-il dire
quand il ajoute : « Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans
mon amour ? » Le signe certain que vous persévérez dans l'amour que j'ai pour
vous, c'est la fidélité à observer mes commandements. Ce n'est donc point pour
mériter son amour que nous observons ses commandements, mais nous ne pouvons
les observer, s'il ne nous aime le premier. C'est la grâce qui est révélée aux
humbles et qui demeure cachée aux superbes. Mais quel est le sens des paroles
suivantes : « Comme moi-même j'ai gardé les commandements de mon Père, et
je demeure dans son amour ? » Le Sauveur veut aussi parler de l'amour que son
Père a pour lui. Mais devons-nous entendre que le Père aime son Fils par grâce, dans le même sens que
nous sommes redevables à la grâce de l'amour du Fils, alors que nous sommes les
enfants de Dieu, non par nature, mais par grâce, tandis que le Fils unique est
Fils par nature et non par grâce ? Ou bien faut-il entendre ces paroles du Fils
de Dieu fait homme ? Oui, sans doute, car ces paroles : « Comme le Père
m'a aimé, moi aussi je vous aime, » expriment la grâce du médiateur ; or c’est
comme homme et non comme Dieu que Jésus-Christ est médiateur de Dieu et des
hommes. Nous pouvons donc, dire en toute vérité, que bien que la nature
humaine n'ait point de rapport avec la nature divine, cependant elle a été unie
à la personne du Fils de Dieu, par un effet de la grâce, et d'une grâce si
extraordinaire, qu'il n'en est ni de plus grande, ni même d'égale. En effet,
cette union de la nature divine avec la nature humaine, n'est la récompense
d'aucun mérite de la part de l'homme, et c'est de cette union, au contraire,
que les mérites des hommes ont découlé comme de leur source. — ALCUIN. Or l'Apôtre nous apprend de
quels préceptes le Sauveur a voulu ici parler lorsqu'il dit : « Jésus-Christ
s'est rendu obéissant à son Père jusqu'à la mort, et jusqu'à la mort de la
croix. » (Ph 2, 8.)
S. CHRYS. (hom. 77 sur S. Jean.) Mais
comme sa passion qui approchait et de tristes paroles étaient de nature à troubler
et interrompre leur joie ; le Sauveur ajoute : « Je vous ai dit ces choses afin
que ma joie soit en vous, et que cette joie soit pleine et parfaite, »
c'est-à-dire, bien que la tristesse doive s'emparer de vous, je la dissiperai
et je la changerai à la fin en joie. — S. AUG.
(Traité 83.) Quelle est cette joie de Jésus-Christ en nous, si ce
n'est celle dont il daigne se réjouir à notre occasion ? Et quelle est notre
joie dont il nous prédit le parfait accomplissement, si ce n'est la participation à son propre
bonheur ? La joie qu'il avait à notre sujet était déjà parfaite, quand il nous
prédestinait dans sa prescience divine, mais cette joie n'était pas encore en
nous, parce que nous n'existions pas encore. Elle a remmenée à être en nous,
lorsqu'il nous a appelés à la foi, et nous disons à juste titre que cette joie
est notre joie, puisque c'est elle qui doit faire un jour notre félicité, elle
commence avec la foi qui nous régénère, elle sera pleine et parfaite avec la
résurrection qui sera notre récompense.
THEOPHYL. Nôtre-Seigneur avait prédit à ses
disciples que s'ils observaient sus commandements, ils demeureraient dans son
amour, il leur enseigne ici quels sont les commandements qu'ils doivent
observer : « Voici mon commandement, c'est que vous vous aimiez les uns les
autres. » — S. GREG. (hom. 27 sur les Evang.) Toutes les pages
des saintes Lettres sont remplies des commandements de Dieu, comment donc, le
Sauveur nous recommande-t-il ici le précepte de l'amour comme le précepte
spécial et unique, si ce n'est parce que tous les commandements ont pour but
unique la charité, et qu'ils se réduisent tous à un seul, parce que tout
précepte ne peut s'appuyer solidement que sur la charité ? De même que toutes
les branches de l'arbre sortent d'une seule racine, ainsi toutes les vertus
sont produites par la charité, et les branches, figure des bonnes oeuvres, ne
peuvent se couvrir de verdure, si elles ne sont unies à la racine de la
charité. Les commandements du Seigneur sont nombreux et variés, quant à la
diversité des oeuvres, mais ils se réduisent à un seul, si l'on considère la
racine du la charité qui les produit. — S. AUG. (Traité 83 sur S.
Jean.) Là où est la charité, quelle chose peut nous manquer ? mais si la
charité n'existe pas, quelle compensation peut nous rester ? Or, cette charité
est distincte de l'amour que les hommes ont les uns pour les autres, en tant
qu'ils sont hommes, et Notre-Seigneur prend soin d'établir cette distinction,
eu ajoutant : « Comme je vous ai aimés. » car dans quel dessein
Jésus-Christ nous a-t-il aimés, si ce n'est pour nous faire régner avec lui
dans les cieux ? Aimons-nous donc les uns les autres pour lit même motif, afin
que notre amour nous sépare de ceux dont l'amour réciproque n'a point pour fin
l'amour de Dieu, et qui ne s'aiment pas véritablement. Ceux au contraire qui
s'aiment les uns les autres pour tendre d'un commun accord à la possession de Dieu,
s'aiment d'un amour véritable.
S. GREG. La
grande et unique preuve d'amour, c'est d'aimer ceux qui nous sont contraires.
C'est ainsi que la vérité elle-même, tout en souffrant le supplice ignominieux
de la croix, donne à ses persécuteurs un témoignage touchant d'amour dans cette
prière : « Mon Père, Pardonnez-leur, parce qu'ils ne savent ce qu'ils font ; » (Lc
23) amour porté au plus haut degré, comme il le dit lui-même : « Personne ne peut avoir un plus
grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » Nôtre-Seigneur était venu
mourir pour ses ennemis, et cependant il déclare qu'il doit donner sa vie pour ses
amis, et il nous apprend ainsi que lorsque nous pouvons gagner nos ennemis par
notre affection, nos persécuteurs eux-mêmes deviennent nos amis.
S. AUG. (Traité
84) Le Sauveur avait dit précédemment : « Voici mon commandement,
c'est que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés, » la
conséquence de ce précepte se trouve exprimée dans la première Epître de saint
Jean : « De même que Jésus-Christ a donné sa vie pour nous, nous devons aussi
donner notre vie pour nos frères. » (1 Jn 3, 16.) C'est ce que les
martyre ont fait dans leur ardent amour pour Jésus-Christ; aussi à la table de
Jésus-Christ, nous n'en faisons pas mémoire comme des autres fidèles, en priant
pour eux ; mais nous les prions bien plutôt de nous obtenir la grâce de marcher
sur leurs traces, car ils ont donné à leurs frères le témoignage d'amour qu'ils
avaient reçu eux-mêmes de la table du Seigneur. — S. GREG. Mais comment celui qui, en temps de paix, ne peut
sacrifier sa tunique pour Dieu, pourra-t-il donner sa vie lorsque viendra la
persécution ? Si donc la vertu de charité veut être invincible au moment de
l'épreuve, il faut qu'en temps de paix elle se nourrisse et s'entretienne par
l'exercice de la miséricorde.
S. AUG. (de
la Trin., 8, 8.) C'est par la seule et même vertu de charité que nous
aimons Dieu et notre prochain, avec cette unique différence que nous aimons
Dieu pour Dieu, et que nous aimons le prochain et nous-mêmes pour Dieu. Ou
comprend donc que bien qu'il y ait deux préceptes de charité qui renferment
toute la loi et les prophètes (c'est-à-dire l'amour de Dieu et l'amour du
prochain), l'Ecriture cite souvent l'un pour l'autre, parce qu'en effet, celui
qui aime Dieu, est disposé à faire ce que Dieu lui commande ; il doit donc
aimer un prochain pour obéir au commandement que Dieu lui en fait. Et c'est
pour cela que Notre-Seigneur ajoute : « Vous êtes mes amis, si vous faites
ce que je vous commande. »
S. GREG. Un ami, amicus, est comme le gardien
de l'âme, animi custos, et voilà pourquoi celui qui garde la volonté de
Dieu en accomplissant ses préceptes, est appelé son ami. — S. AUG. (Traité 85
sur S. Jean.) Quelle admirable condescendance ! comme on ne peut être
bon serviteur si l'on n'accomplit les préceptes de son maître, il veut que le
caractère spécial des bons serviteurs, soit aussi le signe distinctif de ses
amis. Le bon serviteur peut donc à la fois être serviteur et ami. Mais comment
comprendre que le bon serviteur puisse réunir à la fois les deux titres de
serviteur et d'ami, le Sauveur l'explique lui-même : « Je ne vous appellerai
plus serviteur, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître. »
Est-ce à dire que nous cesserons d'être serviteurs, parce que nous serons de
bons serviteurs ? Est-ce qu'un maître ne confie pas aussi sus secrets à un
serviteur, dont il a mis la fidélité à l'épreuve ? Je réponds qu'il y a deux
sortes de servitudes, comme il y a deux sortes de craintes. Il y a la crainte
que la charité parfaite bannit complètement du cœur (1 Jn 4, 18) ; et
cette crainte entraîne avec elle la servitude qu'il faut mettre dehors avec la
crainte ; et il y a une autre crainte chaste et pure, celle qui demeure
éternellement. (Ps 18) Nôtre-Seigneur avait donc en vue ceux qui servent
sous l'impression de la première servitude, lorsqu'il dit : « Je ne vous
appellerai plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas, » etc. Il ne
veut point parler de ce serviteur animé d'une crainte chaste, et à qui son
maître dit : « Courage, bon serviteur, entrez dans la gloire de votre
Seigneur; » (Mt 24) mais du serviteur qui agit par ce sentiment de
crainte que l'amour parfait chasse du cœur, et dont il est dit : « Le serviteur
ne demeure pas toujours dans la maison, mais le fils y demeure éternellement. »
Puisque donc Dieu nous a donné le pouvoir d'être ses enfants (Jn 1), ne
soyons plus serviteurs, soyons des enfants, de sorte que par une admirable
transformation, nous soyons serviteurs sans être serviteurs ; or, nous savons
que c'est le Seigneur qui produit ce changement ineffable, tandis que le
serviteur qui ne sait pas ce que fait son maître, l'ignore. Lorsqu'il fait
quelque bien, il s'élève comme s'il en était l'unique auteur, et se glorifie en
lui-même, plutôt que de renvoyer toute la gloire à son maître.
« Je vous ai appelés mes amis, parce que tout ce que
j'ai entendu de mon Père, je vous l'ai fait connaître. » — THEOPHYL.
C'est-à-dire, le serviteur ne connaît pas les pensées de son maître, mais pour
vous que je considère comme mes amis, je vous ai communiqué tous mes secrets. —
S. AUG. (Traité 86 sur
S. Jean.) Mais dans quel sens devons-nous entendre qu'il a fait connaître à
ses disciples tout ce qu'il a entendu dire à son Père ? Il y a sans doute
beaucoup de choses que le Sauveur n'a point dites à ses disciples, parce qu'ils
n'étaient pas capables de les comprendre ; mais il dit qu'il leur a fait
connaître toutes les
vérités qu'il sait leur devoir un jour révéler avec cette plénitude de science,
dont saint Paul a dit : « Alors je connaîtrai comme je suis connu. » (1 Co 13,
12.) Car de même que nous attendons l'immortalité de la chair et le salut
éternel de nos âmes, nous espérons également la révélation et la connaissance
de toutes les vérités que le Fils unique a entendues de son Père. — S. GREG. (hom. 27 sur les
Evang.) Ou bien, toutes ces choses qu'il a entendues de son Père, et qu'il
a voulu faire connaître à ses serviteurs, ce sont les joies que la charité
répand dans nos âmes, et les fêtes éternelles de la patrie céleste que Dieu
imprime tous les jours dans nos cœurs par les aspirations de son amour, car
l'amour que nous avons pour les biens célestes, nous en donne déjà la
connaissance, parce que l'amour est lui-même une espèce de connaissance. Il
leur a donc fait tout connaître, parce qu'il les avait arrachés à tous les
désirs de la terre pour les faire brûler du feu de l'amour divin. — S. CHRYS. (hom. 77 sur S. Jean.)
Ou bien encore, toutes ces vérités sont celles qu'ils devaient apprendre et
savoir. Nôtre-Seigneur dit qu'il a entendu, et nous montre par-là qu'il ne dit
rien qui ne soit entièrement conforme à la volonté de son Père.
S. GREG. Mais que celui qui parvient à cet honneur
insigne d'être appelé l'ami de Dieu, se garde bien d'attribuer à ses mérites
les dons célestes qu'il reçoit, car poursuit le Sauveur : « Ce n'est pas vous
qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis. » — S. AUG. (Tr.
86 sur S. Jean.) Quelle grâce ineffable ! Qu’étions-nous, en
effet, avant d'avoir choisi Jésus-Christ, si ce n'est des enfants d'iniquité et
de perdition ? Nous n'avions pas encore cru en lui, pour mériter par notre foi
d'être choisis par lui, car s'il avait choisi ceux qui ont cru, il aurait donc
choisi ceux qui déjà l'avaient choisi. Loin donc d'ici les vains raisonnements
de ceux qui prétendent1 que nous avons été choisis avant la création du monde,
parce que Dieu, dans sa prescience, avait prévu que nous serions bons, et non
qu'il nous rendrait bons lui-même. En effet, s'il nous avait choisis, parce
qu'il prévoyait que nous serions bons, il aurait également prévu que nous
devions le choisir les premiers, car c'est la seule manière dont nous pouvions
être bons, à moins qu'on n'appelle bon celui qui n'a pas choisi le bien.
Qu'a-t-il donc pu choisir dans ceux qui n'avaient rien de bien ? En effet vous
ne pouvez dire : J'ai été choisi parce que je croyais déjà, car si vous croyiez
alors en lui, c'est vous qui l'aviez choisi. Ne dites pas non plus : Avant de
croire, je faisais déjà le bien, et j'ai mérité par-là d'être choisi, car
quelle bonne œuvre peut exister avant la foi ? Que nous reste-t-il donc à dire
? C'est que nous étions mauvais et que nous avons été choisis pour devenir bons
par la grâce de celui qui nous a choisis. — S. AUG. (de la prédes. des saints, 17) Ils ont donc été
élus avant la création du monde, en vertu de celte prédestination dans laquelle
Dieu prévoyait tout ce qu'il devait faire, et nous avons été choisis du milieu
du monde par suite de cette vocation qui réalisait la prédestination de Dieu, «
car ceux qu'il a prédestinés, il les a appelés. » (Rm 8)
S. AUG. (Traité
86 sur S. Jean.) Remarquez donc bien qu'il ne choisissait pas ceux
qui étaient bons, mais qu'il rendait bons ceux qu'il avait choisis : « Et je
vous ai établis pour que vous alliez et que vous rapportiez du fruit. » C'est
ce fruit dont il avait dit plus haut : « Sans moi vous ne pouvez rien faire, »
car il est lui-même la voie dans laquelle il nous a placés pour que nous y
marchions. — S. GREG. (hom. 27.)
Je vous ai établis (par ma grâce), je vous ai comme plantés afin que vous alliez (par la
volonté qui est comme la marche pour l'âme), et que vous rapportiez du fruit
(par les bonnes œuvres). Il leur fait connaître quelle espèce de fruit ils
doivent produire, lorsqu'il ajoute : « Et que votre fruit demeure. » En effet,
tous nos travaux pendant cette vie, peuvent à peine suffire à nos besoins
jusqu'à la mort ; et la mort vient d'un seul coup anéantir tout le fruit de
notre travail sur la terre ; mais les travaux qui ont pour objet la vie
éternelle, survivent à la mort, et le fruit de ces travaux commence à paraître,
lorsque le fruit des œuvres charnelles est à jamais anéanti. Produisons donc de
ces fruits qui demeurent et qui prennent naissance à la mort qui détruit et
renverse tout. — S. AUG. Le fruit que nous devons produire, c'est donc l'amour
qui n'est que dans le désir et ne jouit pas encore entièrement de son objet ;
et tout ce que nous demandons sous l'inspiration de ce désir au nom du Fils
unique, nous est donné par le Père : « Et tout ce que vous demanderez à mon
Père en mon nom, il vous le donnera ; » or, nous demandons au nom du Sauveur,
lorsque nous demandons ce qui est utile au salut de notre âme.
S. AUG. (Traité 87 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur
venait de dire : « Je vous ai établis pour que vous alliez et que
vous rapportiez du
fruit. » La
charité est le fruit que nous devons produire, et Jésus-Christ nous en fait un
précepte formel : « Ce que je vous commande, est de vous aimer les uns les
autres. » C'est pour cela que l'Apôtre nous dit : « Le fruit de l'esprit, c'est
la charité, » (Ga 5) et il nous représente toutes les autres vertus
sortant de cette source et se rattachant à ce lien de la charité.
Nôtre-Seigneur nous recommande donc avec raison la charité, comme si elle était
le seul précepte sans laquelle tout le reste est inutile et qui amène nécessairement
avec elle tous les autres biens qui constituent la bonté de l'homme.
S. CHRYS. (hom. 77 sur S. Jean.) On
peut encore rattacher autrement ces paroles à ce qui précède : « Je vous ai dit
que je donnais ma vie pour vous, et que je vous ai choisis le premier. Ce n'est
point pour vous faire un reproche que je vous ai parlé de la sorte, mais pour
vous engager à un tendre amour les uns pour les autres. Et comme il est
toujours pénible d'être en butte à la persécution et aux outrages, il leur
prouve que loin de s'en plaindre, ils doivent s'en réjouir : « Si le monde vous
hait, leur dit-il, sachez qu'il m'a haï le premier, » c'est-à-dire, je sais que
la haine est toujours dure à supporter, mais souffrez-la à cause de moi. — S. AUG. Pourquoi, en effet, les membres
s'élèveraient-ils au-dessus de leur chef ? Vous refusez de faire partie du
corps, si vous ne voulez pas souffrir la haine du monde avec votre chef ; or,
nous devons souffrir patiemment cette haine pour l'accomplissement du précepte
de l'amour, car le monde doit nécessairement nous haïr en voyant que nous ne
voulons point de ce qu'il aime, ainsi que le dit le Sauveur : « Si vous étiez
du monde, le monde aimerait ce qui est à lui. » — S. CHRYS. Comme le motif de
souffrir pour Jésus-Christ ne suffisait pas encore pour contrebalancer leurs
craintes, il en ajoute un autre, c'est que c'est une preuve incontestable de
vertu d'être haï du monde, et nous devrions gémir et nous attrister si nous en
étions aimés, car ce serait un signe évident de notre dépravation.
S. AUG. Ces
paroles s'appliquent à toute l'Eglise, qui est souvent désignée sous le nom du
monde, comme dans ce passage : « Dieu était dans le Christ, se
réconciliant le monde. » (2 Co 5, 19) L'Eglise est donc le monde entier,
et c'est le monde entier qui hait l'Eglise. C'est donc le monde qui hait le
monde, le monde ennemi qui hait le monde réconcilié, le monde réprouvé qui hait
le monde sauvé, le monde souillé qui hait le monde purifié. (Tr. 88.)
Mais puisque les méchants tourmentent aussi les méchants (ainsi les rois et les
juges impies, tout en persécutant les bons, punissent aussi les homicides et
les adultères) ; ces paroles du Sauveur : « Si vous étiez du monde, le monde
aimerait ce qui est à lui, » doivent s'entendre dans ce sens, que le monde est
dans ceux, qui punissent de tels crimes, et qu'il est aussi dans ceux qui les
aiment. Le monde a donc de la haine pour ce qui est à lui, en tant qu'il châtie
les coupables, et il aime ce qui vient de lui en ce qu'il favorise les mêmes
crimes. (Traité 87.) Si l'on demande quelle affection peut avoir pour
lui-même ce monde de perdition qui n'a que de la haine pour le monde de la
rédemption, je répondrai qu'il s'aime d'une affection qui n'a rien de vrai,
parce qu'il aime ce qui lui est nuisible. Il déteste eu lui la nature et n'aime
que le vice. Aussi nous est-il défendu d'aimer ce qu'il aime en lui-même,
tandis que Dieu nous commande d'aimer ce qu'il déteste, c’est-à-dire, qu’il
nous est défendu d'aimer en lui le vice, et commandé d'aimer la nature. Or, c'est
pour tirer les disciples de ce monde de perdition que Dieu les a choisis, et il
les a choisis, non à cause de leurs mérites, puisqu'ils n'avaient aucune bonne
œuvre à présenter, ni à cause de leur nature, qui avait été profondément viciée
dans la racine, mais il les a choisis uniquement par grâce : « Parce que vous
n'êtes pas du monde, et que je vous ai choisis du milieu du monde, à cause de
cela le monde vous hait. » — S. GREG.
(hom. 9 sur Ezéch.) Le blâme des méchants est une approbation
de notre vie, c'est une marque évidente que nous commençons à avoir quelque
justice, lorsque nous commençons à déplaire à ceux qui ne plaisent pas à Dieu ;
car personne ne peut dans une seule et même chose être agréable tout à la fois
à Dieu et à ses ennemis ; c'est renier le titre d'ami de Dieu que de plaire à
ses ennemis, et on est ouvertement opposé aux ennemis de la vérité, lorsqu'on
est intérieurement soumis au règne de cette même vérité.
S. AUG. (Traité
8S sur S. Jean.) Notre-Seigneur, pour encourager ses serviteurs à
supporter patiemment la haine du monde, ne leur a point proposé d'exemple plus
grand et plus efficace que le sien : « Souvenez-vous de la parole que je
vous ai dite : Le serviteur n'est pas plus grand que son maître ; s'ils m'ont
persécuté, ils vous persécuteront aussi, » etc. — LA GLOSE. Ils ont suivi la même conduite pour la calomnie,
selon ces paroles : « Le pécheur observera le juste. » (Ps 36) —
THEOPHYL. S'ils ont persécuté le Seigneur, à plus forte, raison, vous
persécuteront-ils, vous, ses serviteurs ; s'ils ne l'avaient point persécuté et
qu'ils eussent gardé sa parole, ils auraient aussi gardé la vôtre. — S. CHRYS. C'est-à-dire, en d'autres termes
: Ne vous troublez point, si vous avez part à mes souffrances, parce que vous
n'êtes pas au-dessus de moi. — S. AUG. Lorsque le Sauveur dit : « Le serviteur
n'est pas au-dessus de son maître, » il veut parler du serviteur qui est rempli
de cette crainte chaste et sainte qui demeure éternellement. (Ps 18)
S. CHRYS. Il
leur donne encore un nouveau motif de consolation, c'est que les outrages
qu'ils reçoivent s'adressent on même temps à Dieu le Père : « Mais ils vous
feront toutes ces choses à cause de mon nom, parce qu'ils ne connaissent point
celui qui m'a envoyé. » — S. AUG. Quelles
sont toutes ces choses ? celles dont il vient de parler, la haine, les mauvais
traitements, et le mépris qu'on fera de leur parole : « Ils vous feront toutes
ces choses ; à cause de mon nom, » n'est-ce pas dire équivalemment : c'est moi
qu'ils poursuivront de leur haine dans votre personne, c'est moi qu'ils
persécuteront en vous persécutant, et ils ne garderont pas votre parole, parce
qu'elle est la mienne. Ceux qui vous feront ces mauvais traitements à cause de
mon nom, sont donc d'autant plus malheureux, que le bonheur de ceux qui les
souffrent à cause de mon nom est plus grand. Les méchants les font endurer
également aux méchants, et ils sont misérables les uns comme les autres, ceux
qui font souffrir comme ceux qui souffrent. Mais comment Nôtre-Seigneur a-t-il
pu dire : « Ils vous feront toutes ces choses à cause de mon nom, » alors que
ces impies n'agissent point pour le nom de Jésus-Christ, c'est-à-dire, par un
motif de justice, mais par amour de l'iniquité ? Si on applique exclusivement
ces paroles aux justes, voici comme on peut résoudre cette question : «Vous
souffrirez toutes ces choses à cause de mon nom. » Mais si on entend ces
paroles dans ce sens : « Ils vous feront toutes ces choses à cause de mon
nom. » qui est en vous l'objet de leur haine, » on peut leur donner cette
signification : A cause de la justice qu'ils ne peuvent s'empêcher de haïr dans
votre personne. Par la même raison, lorsque les bons sont obligés de persécuter
les méchants, ils le font, et à cause de la justice dont ils défendent les
intérêts en châtiant les méchants, et à cause de l'iniquité qu'ils détestent
dans leur personne. Nôtre-Seigneur ajoute : « Parce qu'ils ne connaissent pas
celui qui m'a envoyé, » et cette connaissance est celle dont il est écrit : «
Vous connaître, c'est la parfaite prudence. »
S. CHRYS. (hom. 77 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur
console encore et encourage ses disciples par cette pensée, que c'est par une
souveraine injustice qu'ils furent toutes ces choses et contre ses disciples et
contre lui : « Si je n'étais pas venu, et que je ne leur eusse point parlé, ils
n'auraient point de péché. » — S. AUG. (Traité 89 sur S. Jean.)
Jésus-Christ a parlé aux Juifs, et non aux autres peuples. C'est donc dans les
Juifs qu'il a voulu personnifier ce monde qui hait Jésus-Christ et ses
disciples, et ce ne sont pas seulement les Juifs, c'est nous-mêmes qu'il veut
désigner ici sous le nom de monde. Mais est-ce donc que les Juifs, à qui le
Christ a parlé, étaient sans péché avant qu'il fût venu au milieu d'eux dans un
corps mortel ? Non, sans doute ; le Sauveur, sous le nom général de péché,
ne veut point qu'on comprenne toutes sortes de péchés, mais un péché plus grand
que tous les autres, un péché auquel se rattachent tous les autres péchés, un
péché sans lequel tous les autres peuvent être remis, c'est le péché
d'incrédulité à l'égard de Jésus-Christ, qui est venu afin que tous croient en
lui. Or, s'il n'était pas venu, ils ne seraient pas coupables de ce péché ; car
autant son avènement a été salutaire à ceux qui ont cru en lui, autant il a été
funeste à ceux qui ont refusé de croire. « Mais maintenant ils n'ont point
d'excuse de leur péché. » On peut ici se demander si ceux vers qui Jésus-Christ
n'est pas venu, qui n'ont point entendu sa parole, ont une excuse de leur péché
; car s'ils n'en ont point, pourquoi le Sauveur dit-il que les Juifs n'ont
point d'excuse ? parce que Jésus-Christ est venu et qu'il leur a parlé. Et,
s'ils ont une excuse, pourra-t-elle les soustraire au châtiment, ou du moins
adoucir celui qu'ils auraient mérité ? Je réponds à cette question qu'ils sont
excusables non point de tout péché, mais du péché d'incrédulité à l'égard de
Jésus-Christ. Quant à ceux vers qui il est venu dans la personne de ses
disciples, ils ne sont point de ce nombre, et on ne peut les ranger avec ceux
dont le châtiment sera moins rigoureux, eux qui ont refusé absolument de
recevoir la loi de Jésus-Christ, et qui, autant que cela dépendait d'eux,
auraient voulu l'anéantir. Cette excuse peut encore être apportée par ceux qui
ont été prévenus par la mort avant d'avoir entendu annoncer l'Evangile de
Jésus-Christ ; mais ils ne peuvent cependant pas échapper à la damnation, car
tous les hommes qui ne seraient point sauvés par le Sauveur, qui est venu
chercher ce qui avait péri, feraient sans aucun doute partie des réprouvés ;
bien qu'on puisse admettre que le châtiment des uns sera plus léger, et celui
des autres plus rigoureux. En effet, on périt véritablement aux yeux de Dieu,
lorsqu'on est séparé par un châtiment éternel de cette félicité qu'il donne à
ses saints. La différence des supplions entre eux répond donc à la variété
multiple des péchés. Comment cela se fait-il ? La profondeur des jugements de
la sagesse divine est ici au-dessus de toute conjecture comme de toute parole
humaine.
S. CHRYS. (hom.
77 sur S. Jean.) Comme les Juifs alléguaient presque toujours que
c'était pour défendre l'honneur de Dieu le Père qu’ils persécutaient le
Sauveur, il leur ôte ce prétexte en leur déclarant : « Celui qui me hait, hait
aussi mon Père. » — ALCUIN. De
même, en effet, que celui qui aime le Fils, aime aussi le Père (parce qu'il n'y
a qu'un amour du Père et du Fils, comme il n'y a qu'une nature), ainsi celui
qui hait le Fils, hait aussi le Père. — S. AUG.
(Traité 90 sur S. Jean.) Mais Nôtre-Seigneur n'a-t-il pas
dit plus haut : « Ils ne connaissent pas celui qui m'a envoyé ? » Comment
peuvent-ils donc haïr celui qu'ils ne connaissent pas ? Car si, sous le nom de
Dieu, ce n'est pas Dieu lui-même qu'ils poursuivent de leur haine, mais je ne
sais quelle divinité imaginaire qu'ils se sont formée, ce n'est plus Dieu
lui-même qui est l'objet de leur haine, mais ce que leur erreur ou leur vaine
crédulité leur représentent comme tel. Si au contraire ils ont sur Dieu des
idées justes et vraies, comment peut-on dire qu'ils ne le connaissent pas ? Il
peut arriver quelquefois, il est vrai, que nous ayons de l'affection ou de la
haine pour des hommes que nous ne connaissons que sur le bien on le mal que nous en
avons appris, mais comment pourrait-on dire d'un homme qu'on nous fait
connaître, qu'il nous est inconnu ? Ce ne sont pas sans doute les traits de son
visage qui nous le font connaître, mais la connaissance qu'on nous donne de ses
habitudes et de sa vie ; autrement il faudrait dire qu'on ne peut se connaître
soi-même, puisqu'on ne peut voir les traits de son visage. Cependant la plupart
du temps nous nous trompons sur ceux que nous connaissons de cette manière, car
souvent l'histoire, et plus souvent encore la renommée, nous induisent en
erreur. Dans l'impossibilité où nous sommes de pénétrer dans la conscience des
hommes, nous pouvons au moins, pour n'être pas dupes d'une opinion mensongère,
avoir une connaissance véritable et certaine des choses elles-mêmes. Quand donc
on ne se trompe pas sur les choses ; qu'on blâme ce qui est réellement vice, et
qu'on approuve ce qui est véritablement vertu, si l'erreur ne porte que sur les
personnes, c'est une faiblesse qui tient à l'humanité et qui est digne de
pardon. Il peut, en effet, arriver qu'un homme vertueux ait de la haine pour un
homme également bon dont il ignore la vertu, et alors ce n'est pas cet homme,
mais l'idée qu'il s'en fait, qui est l'objet de sa haine ; ou plutôt il peut
arriver qu'il aime cet homme sans le connaître, parce qu'il aime le bien qui se
trouve en cet homme. De même, un homme injuste peut avoir de la haine pour un
homme vertueux, et l'aimer lorsqu'il le suppose injuste, en aimant alors en lui
non pas ce qu'il est véritablement, mais l'idée qu'il s'en forme. Or, la même
chose peut arriver pour Dieu. Ainsi, qu'on ait demandé aux Juifs s'ils aimaient
Dieu, ils auraient répondu qu'ils l'aimaient sans faire un mensonge, mais en
étant simplement dupes de la fausse idée qu'ils s'en formaient ; car comment
peut-on aimer le Père de la vérité lorsqu'on a de la haine pour la
vérité ? Ils ne veulent pas que leurs actions soient condamnées, et c'est ce que fait la
vérité. Ils ont donc autant de haine pour la vérité qu'ils en ont pour les
châtiments qu'elle inflige à ceux qui l'outragent. Mais ils ne savent pas que
c'est la vérité elle-même qui condamne ceux qui leur ressemblent, et parce
qu'ils ignorent que cette vérité qui les juge et les condamne, est née de Dieu
le Père, ils ont de la haine pour Dieu sans le connaître.
S. CHRYS. Les
Juifs n'ont donc aucune excuse ; je leur ai transmis ma doctrine par mes
paroles, je l'ai confirmée par mes œuvres, comme le recommande la loi de Moïse,
qui fait un devoir à tous d'obéir à celui qui s'annonce comme docteur lorsque
sa doctrine inspire une véritable piété, et qu'elle est confirmée par des
miracles extraordinaires. C'est pour cela qu'il ajoute : « Si je n'avais point
fait parmi eux des œuvres que nul autre n'a faites, ils n'auraient point de
péché. » — S. AUG. (Traité. 91
sur S. Jean.) C'est-à-dire le péché qu'ils ont commis eu refusant de croire
à ses enseignements et à ses œuvres. Mais pourquoi ajoute-t-il : « Que nul
autre n'a faites ? » Nous ne voyons point de plus grands miracles dans la vie
de Jésus-Christ que la résurrection des morts, et nous savons que les anciens
prophètes ont ressuscité des morts, en particulier Elie (3 R 17) ;
Elisée, pendant sa vie (4 R 4), et jusque dans son tombeau (4 R 13).
Cependant Jésus-Christ a fait quelques miracles que nul autre n'a faits, par
exemple, lorsqu'il a nourri cinq mille hommes avec cinq pains ; lorsqu'il a
marché sur les eaux, et donné à Pierre le pouvoir d'y marcher lui-même ;
lorsqu'il a changé l'eau en vin ; lorsqu'il a ouvert les yeux de l'aveugle-né, et fait
beaucoup d'autres miracles, qu'il serait trop long d'énumérer ici. Mais on nous
répond que d'autres ont opéré des prodiges qui n'ont été faits ni par Jésus-Christ,
ni par aucun autre. Quel autre que Moïse, par exemple, a conduit tout un peuple
à travers les eaux divisées de la mer, a fait descendre du ciel la manne pour
le nourrir, et jaillir l'eau du rocher pour étancher sa soif ? Quel autre que
Jésus, fils de Navé, a partagé les eaux du Jourdain pour livrer un passage au
peuple de Dieu, et par ses prières a mis comme un frein au soleil dans sa
course ? Quel autre qu'Elisée a rendu la vie à un mort par le seul contact de
son propre cadavre ? J'en omets bien d'autres, et je pense que ces
exemples suffirent pour prouver que les autres saints ont opéré des prodiges
que personne n'a faits. Mais on ne sait point que, parmi les anciens, aucun
d'eux ait jamais guéri avec autant d'autorité et de puissance les vices
nombreux, les maladies et les infirmités multipliées des hommes. Car, sans dire
ici que d'un seul mot il guérissait tous ceux qui se présentaient à lui, saint
Marc nous raconte que « partout où il entrait, dans les bourgs, dans les
villages ou dans les villes, on mettait les malades sur les places publiques,
et on le suppliait de leur laisser toucher seulement la frange de son vêtement
; et tous ceux qui le touchaient étaient guéris. » (Mc 6, 56) Voilà ce
que personne autre que lui n'a fait en eux, car c'est ainsi qu'il faut traduire
ces paroles : in eis, en eux, et non parmi eux, ou devant eux
; parce qu'il les a guéris eux-mêmes. Et si un autre que lui semble avoir
opéré les mêmes prodiges, on peut dire, encore que nul autre n'a fait ce qu'il
a fait, car tous les miracles semblables qu'un autre a pu opérer, il les a
opérés en vertu de la puissance du Sauveur ; tandis que Jésus les a faits sans
le concours d'aucun autre. Et, bien que le Père et le Saint-Esprit aient pris
part à ces miracles, on peut dire encore que nul autre ne les a faits, parce qu'il n'y a
dans la Trinité qu'une seule et même nature. Les Juifs auraient donc dû
répondre à de si grands bienfaits par l'amour plutôt que par la haine, et c'est
ce que le Sauveur leur reproche : « Maintenant ils ont vu ces œuvres, et ils me
haïssent, moi et mon Père, afin que la parole qui est écrite dans leur loi soit
accomplie : ils m'ont haï sans sujet. » — S. CHRYS.
Il prévient ainsi l'objection que ses disciples auraient pu lui faire.
Pourquoi nous avez-vous jetés au milieu de tant de dangers ? N'avez-vous donc
pas prévu tous ces combats, toute cette haine ? Il leur répond eu leur citant
cette prophétie : « Afin que la parole qui est écrite dans leur loi soit
accomplie. » — S. AUG. (de la
Trin., 17) Tous les livres de l'Ancien Testament sont souvent désignés dans
les saintes Ecritures sous le nom de loi, et c'est le sens que le Sauveur lui
donne ici, lorsqu'il dit : « Il est écrit dans leur loi, » c'est-à-dire dans
les Psaumes. (Ps 68, 5)
S. AUG. (Traité 91) Il dit leur loi, non pas
qu'ils l'aient faite eux-mêmes, mais parce qu'elle leur a été donnée. Haïr sans
sujet ou gratuitement, c'est haïr sans espérance d'aucun avantage, sans crainte
d'aucun danger, c'est le caractère de la haine des impies pour Dieu ; c'est
aussi le caractère de l'amour des justes qui n'attendent point d'autres biens
que Dieu, parce qu'il sera lui-même tout dans tous. (1 Co 15, 28.) — S. AUG. (Moral., 25, 11 ou 16 dans
les anc. man.) Il y a une grande différence entre ne pas faire le bien et
haïr celui qui enseigne le bien, de même qu'entre pécher par précipitation et
pécher de propos délibéré. Il nous arrive souvent par suite de notre faiblesse
de ne point faire le bien que nous aimons ; mais pécher de propos délibéré,
c'est ne pas faire le bien, et de plus n'avoir aucun amour pour le bien. De même
donc qu'on est quelquefois plus coupable d'aimer le péché que de le commettre,
ainsi c'est souvent une faute plus grave de haïr la justice que de ne point en
pratiquer les actes. Or, il y en a un certain nombre dans l'Eglise qui,
non-seulement ne font pas le bien, mais le persécutent, et qui haïssent dans
les autres le bien qu'ils n'ont pas le courage de pratiquer, et leur péché
n'est pas un péché de faiblesse on d'ignorance, mais un péché commis avec
intention et de propos délibéré.
S. CHRYS. (hom. 77 sur S. Jean.) Les
disciples pouvaient dire au Sauveur : S'ils ont entendu de votre bouche des
paroles que nul autre n'a dites, s'ils ont vu des prodiges que personne autre
n'a faits, sans en retirer la moindre utilité ; si au contraire ils n'ont eu
que de la haine pour votre Père et pour vous, pourquoi donc nous envoyer, et
comment espérer que nous soyons dignes de foi ? Nôtre-Seigneur dissipe la
crainte que pouvaient faire naître ces pensées, en leur faisant cette promesse
consolante : « Lorsque sera venu le Paraclet que je vous enverrai du sein du
Père, etc., il rendra témoignage de moi. » — S. AUG. (Tr. 92 sur S.
Jean.) C'est-à-dire, les Juifs m'ont haï et m'ont mis à mort, bien qu'ils
aient vu de leurs yeux les œuvres que j'ai faites, mais le Paraclet rendra de
moi un si éclatant témoignage, qu'il fera croire en moi ceux mêmes qui n'auront
pu me voir. (Traité 93.) En même temps que l'Esprit de vérité me rendra
témoignage, vous aussi me rendrez témoignage, lui dans les cœurs, et vous par
vos paroles, lui par
ses inspirations, vous par vos prédications. (Traité 92) Vous pourrez
alors prêcher hautement ce que vous connaissez, vous qui avez été avec moi dès
le commencement, ce que vous ne pouvez faire maintenant, parce que vous n'avez
pas encore reçu la plénitude de l'Esprit saint ; car c'est dans la charité qui
a été répandue dans vos cœurs par l'Esprit saint qui vous a été donnée (Rm
5), que vous puiserez le courage nécessaire pour me rendre témoignage. L'Esprit
saint, en effet, en rendant lui-même témoignage, et en inspirant à ces nouveaux
témoins un courage à toute épreuve, a banni complètement la crainte du cœur des
amis de Jésus-Christ, et a converti en amour la haine de ses ennemis.
DIDYME. (de l'Esprit saint, 2) Le Sauveur donne à l'Esprit
saint le nom de consolateur, nom significatif de ce qu'il produit dans les
âmes, parce que, non-seulement il affranchit de toute espèce de trouble ceux
qu'il eu trouve dignes, mais il les remplit encore d'une joie ineffable ; car
les cœurs où l'Esprit saint fixe son séjour, jouissent d'une joie éternelle.
Cet Esprit consolateur est envoyé par le Fils, non comme Dieu envoyait les
anges, les prophètes ou les Apôtres, mais comme il convenait à la sagesse et à
la vérité d'envoyer l'Esprit de Dieu qui a une nature indivisible avec cette
même sagesse et cette même vérité. En effet, le Fils qui est envoyé par le
Père, n'en est pour cela ni séparé, ni divisé, il demeure dans son Père, et son
Père demeure en lui. Ainsi l'Esprit saint envoyé par le Fils, soit du Père,
sans aller d'un lieu dans un autre ; car de même que le Père ne peut être
contenu dans un espace limité, puisque son infinité s'étend au-delà de tous les
espaces matériels, ainsi l'Esprit de vérité ne peut être circonscrit par aucune
limite, parce qu'il est incorporel et qu'il est au-dessus de toutes les
créatures raisonnables.
S. CHRYS. Nôtre-Seigneur
l'appelle, non l'Esprit saint, mais l'Esprit de vérité, pour montrer combien
son témoignage est digne de foi. Il déclare qu'il procède du Père,
c'est-à-dire, qu'il sait toutes choses avec une entière certitude, comme le
Sauveur dit de lui-même dans un autre endroit : « Je sais d'où je viens et où
je vais. » — DIDYME. Il aurait pu
dire qu'il procédait de Dieu ou du Tout-Puissant, il laisse ces dénominations
et choisit de préférence celle du Père, non sans doute que le Père soit différent
du Dieu tout-puissant ; mais parce que l'Esprit de vérité sort de lui en vertu
de cette propriété et de cette intelligence qui est propre au Père. Or, en même
temps que le Fils envoie l'Esprit de vérité, le Père l'envoie également,
puisqu'il vient par un seul et même acte de la volonté du Père et du Fils. — THEOPHYL. Nous voyons ailleurs que le
Père envoie l'Esprit saint, ici le Sauveur, en déclarant qu'il l'enverra
lui-même, prouve qu'il a une même puissance avec le Père. Et afin qu'où ne crût
pas qu'il était opposé au Père, et qu'il envoyait l'Esprit saint en vertu d'une
puissance différente, il ajoute : « Qui procède du Père, » pour nous apprendre
que non-seulement le Père consent à cette mission, mais qu'il la donne
lui-même. Lorsque vous entendez dire que l'Esprit saint procède, n'allez pas
croire que celte procession soit une mission extérieure comme celle qui est
donnée aux esprits qui servent le Seigneur (He 1, 14) ; cette procession
est une propriété toute différente, attribut exclusif de cet esprit principal.
La procession du Saint-Esprit n'est autre que l'origine de son être, il ne faut
donc pas prendre la procession pour la mission, car la procession est l'acte en vertu duquel l'Esprit
reçoit du Père sa nature divine.
S. AUG. (Traité
96.) On nous fera peut-être ici cette question : L'Esprit saint
procède-t-il aussi du Fils ? Le Fils est Fils du Père seulement, et le Père est
exclusivement le Père du Fils ; or, l'Esprit saint n'est pas l'Esprit d'une
seule des deux premières personnes divines, il est l'Esprit des deux, puisque
Jésus-Christ dit expressément : « L'Esprit de votre Père qui parle en
vous, » (Mt 10, 20) et que l'Apôtre nous dit de son côté : « Dieu a
envoyé l'Esprit de son Fils dans vos cœurs. » (Ga 4, 6.) Et je ne vois
pas d'autre raison pour laquelle on lui donne le nom d'Esprit, car si on nous
interroge sur ce que nous pensons de chacune des autres personnes, il n'y a que
le Père et le Fils à qui nous puissions donner ce nom d'Esprit. Or, ce nom qui
est le nom commun des deux premières personnes, a dû être donné proprement à
celui qui n'est pas l'Esprit de l'un deux, mais qui est le principe d'union des
deux personnes divines. Pourquoi donc n'admettrions-nous pas que l'Esprit saint
procède du Fils, puisqu'il est aussi l'Esprit du Fils ? S'il ne procédait pas
de lui, le Fils de Dieu n'aurait pas soufflé sur ses disciples après sa
résurrection, en leur disant : « Recevez le Saint-Esprit, » c'est aussi de
cette vertu de l'Esprit saint que l'Evangéliste veut parler, quand il dit : «
Une vertu sortait de lui et les guérissait tous. » (Lc 6, 19) Mais si
l'Esprit saint procède du Père et du Fils, pourquoi le Fils déclare-t-il qu'il
procède du Père ? C'est parce qu'il a coutume de rapporter tous ses attributs
divins à celui de qui vient sa nature divine. C'est dans ce même sens qu'il dit
ailleurs : Ma doctrine n'est pas ma doctrine, mais la doctrine de celui qui m'a
envoyé. Si donc on doit regarder comme sa doctrine la doctrine qu'il déclare être non la
sienne, mais celle de son Père, à plus forte raison doit-on entendre que
l'Esprit saint procède de lui, lorsqu'il dit : « Qui procède du Père, » et non
: Il procède de moi. C'est du Père que le Fils a reçu d'être Dieu, c'est du
Père aussi qu'il a reçu d'être le principe d'où procède l'Esprit saint. D'est
ce qui nous explique, aussi pourquoi on ne dit pas de l'Esprit saint qu'il est
né mais qu'il procède ; car s'il était appelé Fils, il faudrait dire qu'il est
le Fils des deux personnes divines, ce qui serait une absurdité, car on ne peut
être le Fils de deux personnes, que lorsque ces deux personnes sont le père et
la mère, or, loin de nous de supposer quelque chose de semblable entre Dieu le
Père et Dieu le Fils. Disons plus, même, parmi les hommes, le fils ne procède
pas en même temps du père et de la mère, car au moment où il procède du père
dans la mère, il ne procède pas de la mère. Quant à l'Esprit saint, il ne
procède pas du Père dans le Fils et du Fils dans les créatures qu'il sanctifie,
il procède en même temps du Père et du Fils, car nous ne pouvons dire que
l'Esprit saint ne soit pas la vie, puisque le Père est la vie, et que le Fils
aussi est la vie, et ainsi de même que le Père qui a la vie en lui-même, a
donné au Fils d'avoir la vie en lui-même (Jn 5), ainsi a-t-il donné au
Fils que la vie procède de lui, comme elle procède du Père.
S. AUG. (Traité
93 sur S. Jean.) Après avoir promis à ses disciples l'Esprit saint,
qui devait faire d'eux autant de témoins de la vérité, le Sauveur ajoute : « Je
vous ai dit ces choses, afin que vous ne soyez pas scandalisés. » Et en effet,
lorsque la charité de Dieu est répandue dans nos cœurs par l'Esprit saint qui
nous a été donné (Rm 5), une paix abondante se répand en même temps dans
l'âme de ceux qui aiment la loi de Dieu, et il n'y a point pour eux de
scandale. (Ps 118, 165.) Il leur prédit ensuite les épreuves qui les
attendent : « Ils vous chasseront des synagogues. » — S. CHRYS. (hom. 77 sur S. Jean.)
Ils avaient déjà pris de concert la résolution de chasser de la synagogue quiconque confesserait
Jésus-Christ. — S. AUG.
Mais quel grand mal pour les Apôtres d'être chassés des synagogues des Juifs,
puisqu'ils devaient en sortir d'eux-mêmes, alors que personne ne les chasserait
dehors ? Il a donc voulu leur apprendre par-là que les Juifs ne devaient point
recevoir Jésus-Christ, dont les disciples ne devaient point se séparer. Si, en
effet, ils avaient voulu le reconnaître, comme il n'y avait point d'autre
peuple de Dieu que la race d'Abraham, les Eglises de Jésus-Christ n'auraient
pas été différentes des synagogues des Juifs. Mais ils ont refusé de recevoir
Jésus-Christ, et la conséquence naturelle, c'est que restant eux-mêmes en
dehors de Jésus-Christ, ils devaient chasser de leurs synagogues ceux qui ne
consentaient pas à quitter Jésus-Christ. Le Sauveur ajoute, encore : « Et
l'heure vient où quiconque vous fera mourir, croira faire nue chose agréable à
Dieu, » paroles qui ont pour objet de consoler ceux qui seraient chassés des
synagogues des Juifs. Est-ce donc que cette expulsion de la synagogue devait
les affliger à ce point, qu'ils auraient mieux aimé mourir que de n'en plus
faire partie ? Non, sans doute, une crainte semblable ne pouvait trouver place
dans le cœur de ceux qui cherchaient, non la gloire des hommes, mais la gloire
de Dieu. Voici donc le sens de ces paroles : « Ils vous chasseront des
synagogues, mais ne craignez pas votre isolement ; vous serez exclus de leurs
réunions, il est vrai, mais vous en rassemblerez un si grand nombre en mon nom,
que les Juifs, craignant l'abandon de leur temple et de toutes les cérémonies
de l'ancienne loi, vous mettront à mort, croyant en cela faire une chose
agréable à Dieu, parce que leur zèle pour la gloire de Dieu, n'est pas un zèle
dirigé par la science » (Rm 10, 2), paroles qu'il faut entendre des
Juifs, dont Nôtre-Seigneur dit : « Ils vous chasseront de leurs synagogues. »
En effet, lorsque les Gentils ont mis à mort les témoins, c'est-à-dire, les
martyrs de Jésus-Christ, ce n'est pas à Dieu, mais à leurs fausses divinités
qu'ils ont cru faire une chose agréable, tandis que ceux qui, parmi les Juifs,
mirent à mort les prédicateurs de Jésus-Christ, crurent faire un acte agréable
à Dieu, dans la crainte que ceux qui se convertiraient à Jésus-Christ,
abandonneraient le culte du vrai Dieu. Voilà pourquoi dans l'ardeur d'un zèle
qui n'était pas selon la science, ils mettaient à mort les disciples de
Jésus-Christ, croyant en cela faire une œuvre agréable à Dieu.
S. CHRYS. Jésus
leur donne ensuite un nouveau motif de consolation : « Et ils vous traiteront
de la sorte, parce qu'ils ne connaissent ni mon Père, ni moi, » c'est-à-dire,
qu'il vous suffise comme consolation de penser que vous souffrez pour moi et
pour mon Père. — S. AUG. Il leur apprend ensuite que la cause pour laquelle il
leur a prédit ces épreuves, c'est de prévenir le trouble qu'auraient jeté dans
leurs cœurs non préparés des maux qu'ils n'avaient pas prévus, bien qu'ils
dussent être de courte durée : « Je vous ai dit ces choses, afin que lorsqu'un
sera venue l'heure, vous vous souveniez que je vous les ai dites. » Cette
heure, c'était l'heure des ténèbres, l'heure de la nuit, mais la nuit des Juifs
n'a pu obscurcir de ses ténèbres les clartés du jour de Jésus-Christ qui en
était séparé. — S. CHRYS. Un
autre motif pour lequel il leur annonce ces épreuves à l'avance ; c'est afin de
bien les convaincre que l'avenir lui était présent, comme il le déclare par ces
paroles : « Afin que lorsqu'on sera venue l'heure, vous vous souveniez que je
vous les ai dites. Il ne veut pas non plus qu'ils pussent dire qu'il n'avait
cherché qu'à les flatter et à leur dire des choses agréables. Mais pourquoi ne
leur a-t-il pas fait tout d'abord ces prédictions ? En voici la raison : « Je
ne vous ai pas dit ces choses dès le commencement, parce que j'étais avec vous,
» c'est-à-dire, vous étiez sous ma garde, vous pouviez m'interroger quand vous
vouliez ; tous les efforts de vos ennemis se concentraient sur moi ; il était
donc inutile de vous en parler tout d'abord, mais au moins si je ne l'ai pas
fait, ce n'est pas que j'ignorais que ces épreuves dussent arriver.
S. AUG. (Tr. 94 sur S. Jean.) Selon
les trois autres évangélistes, Nôtre-Seigneur fit cette prédiction avant la
cène, taudis que saint Jean la place après la cène. Ne peut-on pas résoudre
cette difficulté, en disant que les trois premiers évangélistes font observer
que sa passion était proche, lorsqu'il fit ces prédictions ? Il ne les fit donc
pas dès le commencement qu'il était avec eux. Cependant saint Matthieu rapporte
que le Sauveur prédit ces événements, non-seulement aux approches de sa
passion, mais encore dès le commencement. Comment donc expliquer ces paroles :
« Je ne vous les ai pas dites dès le commencement, » etc., si ce n'est en
faisant une exception pour les choses qu'il attribue ici à l'Esprit saint, et
qu'il ne leur a pas fait connaître dès le commencement, par exemple qu'il
devait leur être envoyé et rendre témoignage, lorsqu'ils seraient persécutés.
En effet, il était alors au milieu d'eux, et sa présence seule était pour eux
une véritable consolation. Mais lorsque le moment vint de les quitter, il
devait leur annoncer la venue de l'Esprit saint, qui, en répandant dans leurs
cœurs la charité de Dieu, leur donnerait le courage de prêcher hautement le
Verbe de Dieu. — S. CHRYS. (hom.
78 sur S. Jean.) Ou peut dire encore qu'il leur avait prédit les
persécutions qu'ils devaient endurer, mais non pas que leur mort serait
regardée comme une œuvre agréable à Dieu, ce qui devait être pour eux un sujet
d'étonnement extraordinaire ; ou bien encore, il leur annonça dès le
commencement, ce qu'ils devaient souffrir
de la part des Gentils, et leur prédit ici les persécutions que leur
préparaient les Juifs.
S. CHRYS. (hom. 78 sur S. Jean.) La
tristesse s'était emparée de l'esprit des disciples encore bien imparfaits, en
entendant les dernières paroles de leur divin Maître ; il les en reprend, et
leur en fait un reproche. « Et maintenant je vais à celui qui m'a envoyé, et
aucun de vous ne me demande : Où allez-vous ? » En effet, lorsqu'ils
l'entendirent déclarer que celui qui les mettrait à mort croirait faire une
chose agréable à Dieu, ils gardèrent un profond silence, et ne lui adressèrent
plus aucune question, c'est pour cela qu'il ajoute : « Mais parce que je vous
ai dit ces choses, la tristesse a rempli votre cœur, » etc. Ce n'était pas pour
eux une consolation médiocre que de voir que le Seigneur connaissait la
grandeur de leur tristesse produite par la pensée de son départ prochain, par
la perspective des maux qu'ils devaient souffrir, et l'ignorance où ils étaient
s'ils pourraient les supporter courageusement.
S. AUG. (Traité
94 sur saint Jean.) Ou bien encore, ils lui avaient demandé
précédemment où il allait, et il leur avait répondu qu'il allait où ils ne pouvaient
le suivre actuellement ; maintenant il leur déclare qu'il s'en ira, sans
qu'aucun d'eux lui demande où il va : « Aucun de vous ne me demande : Où
allez-vous ? » Car lorsqu'il monta aux cieux, ils l'accompagnèrent de leurs
regards, mais sans chercher à savoir où il allait. Or, le Seigneur voyait
l'effet que produisaient ses paroles dans leur cœur ; comme ils n'avaient pas
encore cette consolation intérieure que le Saint-Esprit devait répandre dans
leur âme, ils craignaient de perdre la présence visible de Jésus-Christ ; et
comme d'après sa déclaration, ils ne pouvaient douter qu'ils la perdraient,
leur affection encore tout
humaine s'attristait de ce que leurs yeux allaient être privés de ce qui
faisait leur consolation : « Mais parce que je vous ai dit ces choses, la
tristesse a rempli votre cœur. » Jésus savait ce qui leur était le plus
avantageux ; car la vue intérieure que l'Esprit saint devait leur donner comme
consolation, était bien préférable : « Cependant je vous dis la vérité, il
vous est avantageux que je m'en aille. » — S. CHRYS.
C’est-à-dire, dût votre tristesse être mille fois plus grande, il vous
faut entendre cette vérité, c'est qu'il vous est utile, que je me sépare de
vous. Or, quelle est cette utilité ? « Car si je ne m'en vais pas, le Paraclet
ne viendra pas à vous. » S. AUG. (de la Trin., 1, 9) S'il parle de la
sorte, ce n'est point qu'il y ait inégalité entre le Verbe de Dieu et l'Esprit
saint, mais parce que la présence du Fils de l'homme au milieu d'eux était
comme un empêchement à la venue de celui qui ne lui était pas inférieur, parce
qu'il ne s'était pas anéanti lui-même jusqu'à prendre la forme d'esclave. (Ph
2) Il fallait donc faire, disparaître à leurs yeux la forme de serviteur,
qui les portait à croire que Jésus-Christ n'était pas ce qu'ils voyaient des yeux
au corps : « mais si je m’en vais, je vous l'enverrai. » — S. AUG. Est-ce qu'il ne pouvait l'envoyer,
tout en demeurant sur la terre, lui sur qui nous savons que l'Esprit saint
descendit et demeura lorsqu'il fut baptisé et qui ne fut jamais séparé de lui ?
Quel est donc le sens de ces paroles : « Si je ne m'en vais, le Paraclet ne
viendra pas à vous, » si ce n'est, vous n'êtes pas capables de recevoir le
Saint-Esprit, tant que vous continuez à ne connaître Jésus-Christ que selon la
chair. Mais lorsque Jésus-Christ les eut privés de sa présence corporelle,
non-seulement l'Esprit saint, mais le Père et le Fils vinrent fixer
spirituellement en eux leur séjour. — S. GREG.
(Moral., 8, 13 ou 17 dans les anc. éd.) Il semble leur dire
ouvertement : « Si je ne dérobe pas mon corps aux yeux de votre affection, il
me sera impossible de vous conduire à l'intelligence invisible par l'Esprit
consolateur. — S. AUG. (sur
les par. du Seig.) Or, après que la forme de serviteur que le Sauveur a
prise dans le sein de la Vierge, eut été éloignée des yeux de la chair,
l'Esprit consolateur leur procura ce bonheur singulier de pouvoir contempler
avec les yeux purifiés de leur intelligence la nature de Dieu elle-même, par
laquelle le Fils était égal à son Père, alors même qu'il daigna se manifester
dans la chair.
S. CHRYS. Mais
quelle est donc l'objection que font ici ceux qui ne se forment point de
l'Esprit saint des idées justes et convenables ? Est-il donc utile que le
Seigneur s'en aille pour que le serviteur vienne ? Or, le Sauveur répond, en
nous faisant connaître les avantages de la venue de l'Esprit saint : « Et
lorsqu'il sera venu, il convaincra le monde en ce qui touche le péché, » etc.—
S. AUG. (Traité 95 sur
S. Jean.)Est-ce donc que Jésus-Christ n'a pas convaincu le monde ?
Serait-ce parce qu'il n'a fait entendre sa voix qu'aux Juifs, qu'on ne pourrait dire qu'il a
convaincu le monde, tandis que l'Esprit saint, au contraire, dans la personne
de ses disciples répandus par tout l'univers, n'a pas seulement convaincu une
nation, mais le monde tout entier ? Mais qui oserait dire que l'Esprit saint a
convaincu le monde par la bouche des disciples, tandis que Jésus-Christ ne peut
le convaincre ; alors que l'Apôtre s'écrie : « Est-ce que vous voulez
éprouver la puissance du Jésus-Christ qui parle par ma bouche ? » (2 Co
13, 3.) Jésus-Christ peut donc convaincre ceux que l'Esprit saint convainc
lui-même. Mais Nôtre-Seigneur dit : « Il convaincra le monde, » c'est-à-dire,
il répandra la charité dans vos cœurs, et en dissipant toutes vos craintes,
vous donnera la liberté de convaincre le monde. Il explique, ensuite ce qu'il
venait de dire : « En ce qui touche le péché, parce qu'ils n'ont pas cru en
moi. » Nôtre-Seigneur ne parle que de ce péché à l'exclusion de tous les
autres, parce que tant qu'il reste, les autres péchés ne peuvent être
pardonnés, et que s'il vient à être effacé, tous les autres le sont avec lui. —
S. AUG. (serm. 61 sur
les par. du Seig.) Mais il y a une grande différence entre croire que Jésus
est le Christ, et croire en Jésus-Christ ; les démons eux-mêmes n'ont pu
s'empêcher de croire qu'il était le Christ, mais celui qui croit en
Jésus-Christ, espère eu même temps en Jésus-Christ, aime Jésus-Christ. — S.
AUG. (Traité 95.) Le monde est donc convaincu de péché, parce qu'il ne
croit pas en Jésus-Christ, et il est convaincu aussi en ce qui touche la
justice de ceux qui croient, car le seul exemple des fidèles est la
condamnation des infidèles : « Il convaincra le monde en ce qui touche la
justice, parce que je m'en vais à mon Père. » Nous entendons souvent sortir de la bouche des
infidèles cette question : Comment pouvons-nous croire ce que nous ne voyons
pas ? Il fallait donc définir de la sorte le caractère de la justice des
croyants : « Parce que je m'en vais à mon Père, et que vous ne me verrez plus.
» Bienheureux, en effet, ceux qui ne voient point et ne laissent pas de croire,
car si la foi de ceux qui ont vu Jésus-Christ a reçu des éloges, ce n'est point
parce qu'ils croyaient ce qu'ils voyaient (c'est-à-dire, le Fils de l'homme),
mais parce qu'ils croyaient ce qu'ils ne voyaient pas (c'est-à-dire, le Fils de
Dieu). Lorsqu'au contraire, la forme de serviteur eut disparu à leurs regards,
alors cette, parole du prophète fut entièrement accomplie : « Le juste vit de la
foi. » Votre justice donc qui convaincra le monde, consistera à croire en moi,
alors que vous ne me verrez plus ; et lorsque vous me verrez tel que je serai
alors, vous ne me verrez plus tel que je suis maintenant au milieu de vous,
c'est-à-dire, vous ne me verrez plus soumis à la mort, mais environné
d'immortalité. Et en effet, en leur disant : « Vous ne me verrez plus, » il
leur prédit qu'ils ne verront plus désormais le Christ tel qu'ils le voient.
S. AUG. (serm.
61 sur les par. du Seigneur.) On peut donner encore cotte
explication : Il n'ont pas cru en lui, et il s'en va vers son Père ; le péché
est donc pour eux, et la justice pour lui. En effet, lorsqu'il est venu du sein
de son Père vers nous ; c'est un acte de miséricorde, mais c'est par un effet de
sa justice qu'il retourne à son Père, selon ces paroles de l'Apôtre : « C'est
pour cela que Dieu l'a exalté. » (Ph 2) Mais s'il s'en va seul à son
Père, quelle utilité pouvons-nous en retirer ? S'en est-il allé seul, parce que
le Christ ne fait qu'un avec tous ses membres, comme le chef ne fait qu'un avec son
corps ? Le monde est donc convaincu de péché dans la personne de ceux qui ne croient pas en
Jésus-Christ, et il est convaincu en ce qui touche la justice dans ceux qui
ressuscitent comme membres de Jésus-Christ : « Et en ce qui touche le jugement,
parce que le prince de ce monde est déjà jugé, » c'est-à-dire, le démon, le
prince des méchants, dont le cœur est tout entier fixé dans ce monde, objet de
leurs affections. Par-là même qu'il a été jeté dehors, il a été jugé, et le
monde est convaincu de ce jugement, parce qu'il se plaint inutilement du démon,
lui qui ne veut point croire en Jésus-Christ. En effet, ce prince du monde qui
est jugé, c'est-à-dire, jeté dehors, et à qui Dieu permet de nous attaquer
extérieurement pour nous exercer à la vertu, a été vaincu, non-seulement par
des hommes, mais par de simples femmes, par des enfants, par de tendres vierges
qui ont souffert le martyre pour Jésus-Christ. — S. AUG. (Tr. 95 sur S. Jean.) Ou bien encore, il
est déjà jugé, parce qu'il est irrévocablement condamné au feu éternel. Or, le
monde est convaincu de ce jugement, parce qu'il est jugé lui-même avec son chef
dont il imite l'orgueil et l'impiété. Que tous les hommes croient donc en
Jésus-Christ, pour n'être point convaincus du péché d'incrédulité qui est comme
un lien qui retient tous les autres péchés ; qu'ils passent au nombre des
fidèles, pour n'être point convaincus en ce qui touche la justice de ceux dont
ils n'imitent point la conduite, et qu'ils se mettent en garde contre le
jugement à venir, afin de n'être pas jugé avec le prince du monde qu'ils ont
imité malgré son jugement et sa condamnation.
S. CHRYS. (hom.
78 sur S. Jean.) Ou bien encore : « Il convaincra le monde de pêché,
» c'est-à-dire, il leur ôtera toute excuse, et leur prouvera qu'ils sont coupables
de n'avoir pas voulu croire en moi, alors qu'ils verront l'Esprit saint
descendre sur les fidèles d'une manière ineffable par la seule invocation de
mon nom. — S. AUG. (Quest. sur
le Nouv. et l'Anc. Test., quest. 89) L'Esprit saint a encore convaincu le
monde de péché par les prodiges qu'il a opérés au nom du Sauveur, que le monde
avait rejeté. Pour le Sauveur lui-même, ayant réservé la justice, il n'a point
hésité de retourner à celui qui l'avait envoyé, et en retournant vers lui, il a
prouvé qu'il en était venu : « Et en ce qui touche la justice, parce que je
m'en vais à mon Père. » — S. CHRYS.
C'est-à-dire, qu'un retournant à mon Père, je leur prouverai que ma vie
était irréprochable, et qu'ils ne pourront dire encore comme autrefois : « Cet
homme est un pécheur, et ne vient pas de Dieu. » Lorsqu'ils verront d'ailleurs
que j'ai triomphé de mon ennemi (ce que je n'aurais pu faire si j'avais été un
pécheur), il leur sera impossible de dire que je suis possédé du démon, que je
suis un séducteur. En apprenant que le démon a été condamné à cause de ce qu'il
avait l'ait à mon égard, ils sauront qu'ils pourront désormais le fouler aux
pieds, et ils seront convaincus à n'en pouvoir douter de ma résurrection, parce
qu'il n'a pu me retenir dans les liens de la mort. — S. AUG. (Quest. de l'Anc. et du Nouv. Test.) Les démons
eux-mêmes en voyant les âmes délivrées des enfers monter vers les cieux, ont
connu que le prince de ce monde était déjà jugé, et que par suite du crime
qu'il avait commis dans le jugement du Sauveur, il était condamné lui-même à
perdre tout ce qu'il avait en sa possession, c'est ce que les Apôtres virent à
l'ascension de Jésus-Christ, mais ce qui leur fut pleinement découvert, lorsque
l'Esprit saint descendit sur eux.
THEOPHYL. Nôtre-Seigneur développe les paroles qu'il
vient de leur dire : « Il vous est utile que je m’en aille, » ou ajoutant
: « J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, » mais vous ne pouvez pas les
porter maintenant. » — S. AUG. (Traité
97 sur S. Jean.) Tous les hérétiques se sont efforcés d'étayer sur
ces paroles de l'Evangile leurs audacieuses inventions que la raison repousse
avec horreur, comme si ces inventions étaient justement les vérités que les disciples
ne pouvaient porter, et que l'Esprit saint leur eut enseigné ce que l'esprit
immonde rougit d'enseigner et de prêcher en public. (Tr. 96) Mais on ne
peut établir de comparaison entre les infamies qu'aucune pudeur humaine ne peut
supporter, et les vérités salutaires que la faiblesse de l'esprit humain n'est
pus capable de comprendre. Les unes ne se trouvent que dans les corps livrés à
l'impureté, les autres sont au-dessus de toute nature corporelle et sensible. (Même
Traité.) Mais qui de nous se croira capable de comprendre les vérités que
les disciples ne pouvaient porter alors ? Il ne faut donc point s'attendre à ce
que je les explique. On me dira peut-être, il en est beaucoup maintenant qui
pourraient comprendre
ce que saint Pierre n’était pas alors même qu'il en est beaucoup qui sont
aujourd'hui capables de recevoir la couronne du martyre, surtout depuis qu'ils
ont reçu l'Esprit saint qui, alors n'avait pas encore été envoyé. J'accorde
qu'il en soit beaucoup qui, depuis la venue du l'Esprit saint, puissent porter
les vérités dont les disciples étaient incapables avant de l'avoir reçu. Est-ce
une raison pour que nous sachions ce qu'il n'a pas voulu dire ? Et puisqu'il a
cru devoir les taire, qui de nous entreprendra de les dire ? (Plus bas.) Savons-nous
pour cela les vérités qu'il n'a pas cru devoir révéler ? Il est également de la
dernière absurdité de dire que les disciples étaient alors incapables de porter
les hautes vérités que renferment leurs Epîtres écrites beaucoup plus tard, et
dont on ne voit pas que le Seigneur leur ait parlé. Ces hommes qui
appartiennent à des sectes perverses et corrompues, comme les Manichéens, les
Sabelliens, les Ariens, ne peuvent supporter les vérités de la foi catholique
qui se trouvent dans les saintes Ecritures et condamnent leurs erreurs, de,
même que nous ne pouvons supporter leurs mensonges sacrilèges. Qu'est-ce, en
effet, que de ne pouvoir supporter quelque chose ? C'est ne pouvoir l'envisager
avec un esprit égal et tranquille. Mais quel est le fidèle, quel est même le
catéchumène qui, avant d'avoir reçu avec le baptême le Saint-Esprit, ne lise
pas ou n'entende pas d'un esprit égal, bien qu'il ne les comprenne pas, les
vérités qui n'ont été écrites qu'après l'ascension du Sauveur? (Traité 97
vers la fin.) On me dira encore : Est-ce que les hommes verses dans la
spiritualité n'ont pas dans leur doctrine des vérités qu'ils taisent aux hommes
charnels, et qu'ils font connaître à ceux qui se conduisent selon l'esprit ? (Traité
98, avant le milieu.) Il n'y a aucune nécessité de taire aux fidèles
qui ne font que commencer les secrets de la doctrine chrétienne, pour les
exposer en particulier aux âmes plus avancées. (Le milieu.) Les hommes
spirituels ne doivent pas garder devant les chrétiens même charnels, un secret
absolu sur les vérités spirituelles, parce qu'elles font partie de la foi
catholique qui doit être annoncée à tous les hommes. Cependant, dans l'exposé
qu'ils en font, ils doivent prendre garde qu'en voulant faire entrer ces
vérités dans l'esprit de ceux qui n'en sont pas capables, ils leur inspirent le
dégoût pour la parole de vérité plutôt que de leur en donner l'intelligence. (Même
imité après le commencement.) Ne soupçonnons donc pas dans ces paroles du
Seigneur, je ne sais quelles vérités secrètes qui pourraient être dites par
celui qui enseigne, mais que ne pourrait supporter son disciple ; mais
comprenons que pour les choses mêmes qui, dans la doctrine chrétienne, font
partie de l’enseignement commun des fidèles, si Jésus-Christ voulait nous les
expliquer comme il les développe à ses anges, quels sont ceux qui pourraient
supporter cette révélation, fussent-ils des plus avancés dans la spiritualité,
ce que n'étaient pas encore les Apôtres ? Certainement tout ce qu'on peut
savoir de la créature est au-dessous du Créateur, et cependant qui garde le
silence sur le Créateur ? Dans quel endroit du monde n'est-il pas connu de tous
les hommes ? Et cependant alors que tous parlent de lui, quel est celui
qui le comprend comme il doit être compris ? (Traité 96.) Et quel est
celui qui, pendant cette vie, peut connaître toute la vérité ? Est-ce que
l'Apôtre ne dit pas : « Nous ne connaissons maintenant qu'imparfaitement ? » (1
Co 13) Disons donc que comme l'Esprit Saint nous conduit à cette
plénitude de vérité dont parle le même Apôtre, en ajoutant : « Mais alors
nous le verrons face à face ; » ce n’est pas seulement ce qui doit se
faire en cette vie ; mais la révélation pleine et entière qui doit avoir
lieu dans la vie future que Nôtre-Seigneur nous promet par ces paroles : «
Lorsque l'Esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute vérité, » ou : «
Il vous fera parvenir à toute vérité. » Ces paroles nous font comprendre
que la plénitude de la vérité nous est réservée pour l'autre vie, et que dans
celle-ci l'Esprit saint enseigne aux fidèles les choses spirituelles d'une
manière proportionnée à leurs dispositions, tout en excitant dans leur cœur un
désir de plus en plus vif pour ces mêmes vérités. — DIDYME. (de l'Esprit saint, 2) Ou bien Nôtre-Seigneur
veut dire que ses disciples ne savaient pas encore tout ce qu'ils auraient à
souffrir dans la suite pour son nom ; il ne leur en faisait connaître qu'une
partie, réservant pour plus tard la connaissance des épreuves plus grandes
qu'ils ne pouvaient porter alors, avant que leur chef leur en eut donné
l'exemple par l'enseignement de sa croix. Ils étaient encore asservis aux
figures, à l'ombre et aux images de la loi, et ils ne pouvaient regarder la
vérité dont la loi n'était que l'ombre. Mais lorsque l'Esprit de vérité sera
venu, il vous enseignera toute vérité ; et par sa doctrine et par son
enseignement, vous fera passer de la mort de la lettre à l'esprit de vie dans
lequel seul se trouve la vérité de tontes les Ecritures.
S. CHRYS. (hom. 78.) Ces paroles : « Vous ne
pouvez porter maintenant ces vérités, » (mais vous le pourrez plus tard) et ces
autres : « L'Esprit saint vous conduira à toute vérité, » pouvaient donner aux
Apôtres la pensée que l'Esprit saint était plus grand que lui, il se hâte donc
d'ajouter : « Car il ne parlera pas de lui-même, » etc. — S. AUG. (Traité 99 sur S. Jean.)
Ces paroles sont semblables à celles que le Sauveur dit de lui-même : « Je
ne puis faire rien de moi-même, mais je juge suivant ce que j'entends, »
toutefois il parlait ainsi en tant qu'homme. — Or, comme l'Esprit saint n'est
pas devenu créature par son union à un être créé, comment entendre en lui ces
paroles de Nôtre-Seigneur ? Nous devons les entendre dans ce sens que l'Esprit
saint n'existe point par lui-même, car le Fils est né du Père, et l'Esprit
saint procède du Père ; or quelle différence entre procéder et naître, c'est ce
qui demanderait de longues discussions et ce qu'il serait téméraire de définir.
Entendre pour l'Esprit-Saint, c'est savoir, et savoir, c'est être. Puisque donc
l'Esprit saint n'existe pas de lui-même, mais par celui de qui il procède, il
reçoit la science et la propriété d'entendre de celui duquel il reçoit l'être.
L’Esprit saint entend donc, toujours parce qu'il sait toujours ; c'est donc de
celui qui lui a donné l'être qu'il a entendu, qu'il entend et qu'il entendra.
DIDYME. (De l'Esprit saint.) Nôtre-Seigneur dit donc : «
Il ne parlera pas de lui-même, » c'est-à-dire sans la volonté de mon Père et la
mienne ; parce qu'il tire son existence de mon Père et de moi, et c'est de mon
Père et de moi qu'il a reçu d'être, et de parler. Pour moi, je dis la vérité,
c'est-à-dire je lui inspire ce que je dis, car il est l'Esprit de vérité.
Lorsqu'il s'agit de la Trinité, il ne faut point entendre ces expressions dire
et parler dans leur signification ordinaire, mais dans le sens qui
seul peut convenir aux natures incorporelles, et surtout à la Trinité qui
inspire sa volonté dans le cœur des fidèles et de ceux qui sont dignes
d'entendre sa voix. Pour le Père parler, et pour le Fils entendre, est le signe
d'une entière égalité de nature, et d'une parfaite unité de volonté. Quant à
l’Esprit-Saint, qui est l’Esprit de vérité, l'Esprit de sagesse, lorsque le
Fils parle, on ne peut dire qu'il entend ce qu'il ne sait pas, puisqu'il est
lui-même ce qui sort du Fils, la vérité qui procède de la vérité, le
consolateur qui émane du consolateur, le Dieu esprit de vérité qui procède de
Dieu. Et afin que personne ne lui attribuât une volonté différente de celle du
Père et du Fils, Nôtre-Seigneur ajoute : « Ce qu'il entendra, il le dira. »
S. AUG. (De
la Trin., 2, 43) On ne peut conclure de là que l'Esprit saint soit
inférieur au Père et au Fils, car ces paroles doivent s'entendre de lui en tant
qu'il procède du Père. — S. AUG. (Traité 99 sur S. Jean.) Il ne
faut pas s'étonner que le verbe « il entendra » soit au futur, le Saint-Esprit
entend de toute éternité parce qu'il sait de toute éternité. Or quand il s'agit
d'un être éternel sans commencement comme sans fin, quel que soit le temps
qu'on emploie, il n'est pas contraire à la vérité. Quoique cette nature
immuable ne soit pas susceptible de passé et de futur, mais seulement du
présent, cependant on ne parle point contre la vérité en disant : « Il a été,
il est, et il sera, » il a été, car il n'a jamais cessé d'être ; il sera, parce
que son existence n'aura jamais de fin ; il est, parce qu'il existe toujours.
DIDYME. (De l'Esprit saint.)
C'est encore par l'Esprit de vérité que la science certaine de l'avenir est
accordée à de saints personnages, c'est sous l'inspiration de cet Esprit dont
ils étaient remplis que les prophètes prédisaient, et voyaient comme présents
des événements qui ne devaient arriver que bien longtemps après : « Et il vous
annoncera les choses à venir. » — BEDE. Il est certain qu'un grand nombre de
saints personnages remplis de la grâce de l'Esprit saint ont connu et annoncé
les événements à venir. Mais comme il en est un grand nombre aussi en qui
brille l'éclat des plus pures vertus, et à qui la science des choses à venir n'est
point donnée, on peut entendre ces paroles : « Il vous annoncera les choses à
venir » dans ce sens qu'il vous remettra en mémoire les joies de la céleste
patrie. L'Esprit saint fait connaître encore aux apôtres les épreuves qu'ils
devaient endurer pour le nom de Jésus-Christ, et les biens qui devaient être la
récompense de ces mêmes épreuves.
S. CHRYS. (hom. 78.) C'est ainsi que
Notre-Seigneur élève l'esprit et les pensées de ses disciples, car rien
n'excite à un plus haut degré la curiosité et les désirs de la nature humaine,
comme la connaissance do l'avenir. Il les délivre donc de celte sollicitude en
leur révélant les épreuves qui les attendent, afin qu'ils n'y tombent point
sans y être préparés. Il leur explique ensuite quelle est cette vérité dont il
a dit : « L'Esprit saint vous enseignera toute vérité, » en ajoutant : « Il me
glorifiera, » etc. — S. AUG. (Traité 6 sur S. Jean.) C'est-à-dire
qu'en répandant la charité dans les meurs des fidèles, et en les rendant des
hommes spirituels, l'Esprit saint leur a fait connaître que le Fils était égal
au Père, lui qu'ils ne connaissaient auparavant que selon la chair, et que dans
leurs pensées tout humaines, ils ne considéraient que comme un homme. Ou bien
encore : « Il me glorifiera, » parce que la charité remplissant les apôtres de
confiance, et bannissant la crainte de leurs cœurs, ils ont annoncé
Jésus-Christ aux hommes, et répandu la connaissance de son nom dans tout
l'univers, car le Sauveur attribue ici à l’Esprit Saint ce que les apôtres
devaient faire sous son inspiration. — S. CHRYS. Et
comme il leur avait dit précédemment : « Vous n'avez qu'un seul maître, qui est
le Christ ; » (Mt 23) pour les disposer à recevoir les leçons de
l'Esprit saint, il ajoute : « Il recevra de ce qui est à moi, et vous
l'annoncera. » — DIDYME. Il faut
entendre ce mot recevoir dans un sens qui puisse convenir à la nature
divine ; car de même que le Fils en donnant, ne perd point ce qu'il donne, et
n'éprouve aucun dommage de ce qu'il accorde aux autres ; ainsi l'Esprit saint
ne reçoit point ce qu'il n'avait pas auparavant, car s'il a reçu ce qu'il
n'avait pas, en communiquant lui-même cette même grâce à un autre, il s'est
appauvri de ce qu'il donnait. Comprenons donc que l'Esprit saint a reçu du Fils
ce qui était propre à sa nature, qu'il n'y a point ici une personne qui donne
et une personne qui reçoit, mais une seule et même nature, car le Fils lui-même
reçoit du Père les propriétés qui font sa nature ; en effet, le Fils n'est rien
en dehors de ce qui lui est donné par son Père, de même qu'on ne peut concevoir
la nature de l'Esprit saint en dehors de ce qui lui est donné par le Fils.
S. AUG. (Traité 6 sur S. Jean.) Il ne
faut point toutefois penser, comme l'ont fait quelques hérétiques, que l'Esprit
saint soit moindre que le Fils, parce que le Fils reçoit du Père, et que le
Saint-Esprit reçoit du Fils en suivant certains degrés qui établiraient une
différence entre leurs natures, aussi le Sauveur se hâte de résoudre cette
difficulté et d'expliquer ces paroles en ajoutant : « Tout ce qu'a mon Père est
à moi. — DIDYME. C'est-à-dire,
quoique l'Esprit de vérité procède du Père, cependant, comme tout ce qui est à
mon Père est à moi, l'Esprit du Père est le mien, et il recevra de ce qui est à
moi. Gardez-vous,
en entendant ces paroles de soupçonner ici une chose ou une propriété
quelconque qui serait possédée par le Père et par le fils ; tout ce que le Père
a dans sa nature, c'est-à-dire dans son éternité, dans son immutabilité, dans
sa bonté, le Fils l'a également. Rejetons donc bien loin tous ces filets des
raisonneurs et des sophistes qui viennent nous dire : « Donc le Père est le
Fils ; » s'il avait dit : Tout ce qu'a Dieu est à moi, leur impiété pourrait y
trouver matière à ces inventions sacrilèges, mais comme il a dit : « Tout ce
qu'a mon Père est à moi, » en proclamant le nom de son Père, il déclare
lui-même qu'il est Fils, et il se garde bien, lui qui est le Fils, d'usurper la
paternité, bien que par la grâce de l'adoption, il soit lui-même le Père d'un
grand nombre de saints.
S. HIL. (De
la Trin., 8) Notre-Soigneur n'a donc point laissé dans l'incertitude si le
Saint-Esprit venait du Père ou du Fils ; il a reçu du Fils d'être envoyé, et il
procède du Père. Mais je demande si c'est une même chose pour l'Esprit saint de
recevoir du Fils et de procéder du Père ? On devra certainement
reconnaître que c'est une seule et même chose de recevoir du Fils et de
recevoir du Père ; car lorsque Nôtre-Seigneur dit : « Tout ce qu'a mon Père est
à moi, » et qu'il dit eu même temps que l'Esprit saint recevra de ce qui est à
lui, il enseigne par-la même qu'il doit recevoir également du Père. Il dit
cependant qu'il recevra de ce qui est à lui, parce que tout ce qui est à son
Père est à lui. Cette unité ne peut donc admettre de différence, peu importe de
qui on reçoit, puisque ce qui est donné par le Père est considéré comme donné
par le Fils.
S. CHRYS. (hom.
79 sur S. Jean.) Après avoir répandu la joie dans l’âme de ses
disciples, par la promesse qu'il leur a faite de leur envoyer l'Esprit saint,
le Sauveur les attriste de nouveau en leur disant : « Encore un peu de temps,
et vous ne me verrez plus. » Il agit de la sorte pour les préparer, par ce
langage triste et sévère, à l’idée de sa séparation prochaine ; car rien n'est
plus propre à calmer l’âme plongée dans la tristesse et l'affliction, comme la
pensée fréquente des motifs qui ont produit en elle cette tristesse. — BEDE. (hom. 1, pour le 2°
Dim. ap. l'oct. de Pâq.) Il dit : « Encore un peu de temps, et vous ne
me verrez plus,» parce qu'il fut arrêté cette nuit par les Juifs, crucifié le
jour suivant, enseveli vers le soir, et qu'il disparut ainsi aux regards des
hommes. — S. CHRYS. En méditant
sérieusement ces paroles : « Parce que je m'en vais à mon Père, » on y trouve
un motif de consolation, car Notre-Seigneur montre ainsi qu'il ne doit point
périr sans retour, et que sa mort n'est qu'un passage de ce monde à son Père.
Il les console, encore en ajoutant : « Et encore un peu de temps, et vous me
verrez ; » car il leur apprend ainsi qu'il reviendra, que la séparation sera
courte, et que la réunion avec eux durera éternellement.
S. AUG. (Traité
100 sur S. Jean.) Ces paroles du Sauveur étaient obscures pour les
disciples avant l'accomplissement des événements qu'elles avaient pour objet.
Aussi : « Plusieurs de ses disciples se dirent l'un à l'autre : Qu'est-ce qu'il
nous dit : Encore un peu de temps, et vous ne me verrez plus : et encore un peu
de temps, et vous me verrez, parce que je vais à mon Père ? » — S.
CHRYS. Ils ne comprenaient pas, soit à cause de la tristesse qui les empêchait
de penser à ce qu'il leur disait, soit à cause de l'obscurité des paroles
elles-mêmes, qui paraissaient renfermer deux choses contradictoires, mais qui
ne l'étaient pas en réalité ; car, si nous vous voyons, pouvaient-ils dire,
comment vous en allez-vous ? Et si vous vous en allez, comment pourrons-nous
vous voir ? C'est pour cela qu'ils se demandent l'un à l'autre :
« Qu'est-ce qu'il nous dit : Encore un peu de temps ? Nous ne savons ce
qu'il veut dire. » — S. AUG. Dans
ce qui précède, Notre-Seigneur, en leur disant : « Je vais à mon Père, »
sans ajouter : « Dans un peu de temps, vous ne me verrez plus, » leur avait
parlé ouvertement. Mais ce qui put alors leur paraître obscur, et qui leur fut
bientôt dévoilé, nous est aussi parfaitement connu. En effet, la passion et la
mort du Sauveur arrivèrent quelque temps après, et ils ne le virent plus ; puis,
peu de temps après, il ressuscita et ils le virent de nouveau. Il leur dit
aussi : « Et vous ne me verrez plus, » parce qu'ils ne devaient plus voir
Jésus-Christ dans la nature mortelle dont il était revêtu.
ALCUIN. On peut dire encore que ce
peu de temps pendant lequel ils ne le verront pas, ce sont les trois jours
qu'il fut déposé dans le sépulcre, et que ce peu de temps après lequel ils le
reverront, ce sont les quarante jours qui suivirent sa passion et sa
résurrection, et pendant lesquels il leur apparut plusieurs fois jusqu'au jour
de son ascension. Pendant ce court espace de temps, vous me verrez, jusqu'au
jour où je m'eu irai à mon Père ; car je ne dois pas toujours rester
corporellement sur cette terre, mais je dois remonter dans le ciel avec
l'humanité que j'ai prise dans mon incarnation.
« Jésus, connaissant qu'ils voulaient l'interroger,
leur dit : Vous vous demandez les uns aux autres ce que j'ai dit : Encore un
peu de temps, et vous ne me verrez plus ; et encore un peu de temps, et vous me
verrez. « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous pleurerez et vous
gémirez. » Ce bon Maître, qui voit leur ignorance, répond au doute que ses
paroles avaient fait naître, en leur expliquant le sens de ce qu'il vient de
leur dire. — S. AUG. On peut entendre ces paroles de la tristesse des apôtres
après la mort du Sauveur, et de la joie que leur fit éprouver sa résurrection ;
et le monde alors (c'est-à-dire les ennemis de Jésus-Christ, qui le firent
mourir), se réjouit de la mort du Sauveur, tandis que ses disciples étaient
dans la tristesse. « Le monde se réjouira, » etc. — ALCUIN. Ces paroles du Seigneur peuvent s'appliquer à tous
les chrétiens qui tendent aux joies éternelles par les larmes et les
souffrances de cette vie ; tandis que les justes pleurent, le monde se réjouit,
parce qu'il ne connaît que les joies de la vie présente, et n'espère en aucune
façon les joies de l'autre vie.
S. CHRYS. Nôtre-Seigneur voulant ensuite leur
montrer que la tristesse engendre la joie, comme aussi que cette tristesse sera
courte, tandis que leur joie n'aura point de fin, emprunte cette comparaison
aux choses du monde : « Une femme, lorsqu'elle enfante, a de la tristesse,
parce que son heure est venue ; mais lorsqu'elle a mis un enfant au jour, elle
ne se souvient plus de ses douleurs, à cause de sa joie, parce qu'un homme est
né au monde. » — S. AUG. Cette comparaison n'est pas difficile à comprendre,
parce que les termes en sont connus, puisque c'est celui même qui la propose
qui en l'ait l'application : « Vous donc aussi, vous avez maintenant de
la tristesse ; mais je vous reverrai, et votre cœur se réjouira. » Le travail
de l'enfantement est ici comparé à la tristesse, et la délivrance à la joie,
qui est ordinairement d'autant plus grande, que ce n'est pas une fille, mais un
garçon qu'on a mis au monde. Il ajoute : « Et personne ne vous ravira
votre joie, » parce que Jésus est lui-même leur joie, et que, comme le dit
l'Apôtre : « Jésus-Christ, ressuscité d'entre les morts, ne meurt plus, et la
mort n'a plus d'empire sur lui. » (Rm 6, 9.) — S. CHRYS. Par la
comparaison qui précède, il veut aussi exprimer, d'une manière figurée, qu'il
s'est délivré des étreintes de la mort, et qu'il a lui-même régénéré le nouvel
homme. Et il ne dit pas qu'il n'aura point de tribulation, mais qu'il ne s'en
souviendra point, tant sera grande la joie qui lui succédera : et il en sera de
même pour les saints. Il ne dit pas non plus : Parce qu'un enfant, mais : «
Parce qu'un homme est venu au monde, » annonçant ainsi, en termes couverts, sa
résurrection. —
S. AUG. Mais je crois qu’il est mieux
d’entendre de la vision et de la joie des cieux, ces paroles : « Encore un peu
de temps, et vous ne me verrez plus ; » et alors, ce peu de temps, c'est toute
la durée du siècle présent. C'est pour cola que Notre-Seigneur ajoute : « Parce
que je vais à mon Père, » paroles qui se rapportent à la première proposition:
« Encore un peu de temps, et vous ne me verrez plus ; » et non à la seconde : «
Encore un peu de temps, et vous me verrez, » car c'est eu allant à son Père
qu'il est devenu invisible pour eux. Il leur dit donc, à ceux qui le voyaient
corporellement : « Encore un peu de temps, et vous ne me verrez plus, » parce
qu'il devait aller à son Père, et qu'ils ne devaient plus le voir désormais
dans cette nature mortelle, qu'ils voyaient de leurs yeux, lorsqu'il leur
tenait ce langage. Ce qu'il ajoute : « Et encore un peu de temps, et vous me
verrez, » est une promesse qui s'adresse à toute l'Eglise. Ce peu de temps nous
paraît bien long, parce qu'il dure encore ; mais lorsqu'il sera écoulé, nous
comprendrons alors combien courte a été sa durée.
ALCUIN. Cette femme, c'est la sainte
Eglise qui est féconde en bonnes oeuvres, et qui engendre à Dieu des enfants
spirituels. Cette femme, tant que dure pour elle le travail de l'enfantement
(c'est-à-dire, tant qu'elle s'applique à faire des progrès dans la vertu, tant
qu'elle est exposée aux tentations et aux épreuves), a de la tristesse, parce
que l'heure de la souffrance est venue pour elle ; car il n'est personne qui
ait de la haine pour sa propre chair. (Ep 5, 30.) — S. AUG. Et cependant jusque dans
l'enfantement de cette joie, notre tristesse elle-même n'est pas sans quelque
joie, car, comme le dit l'Apôtre : « Nous nous réjouissons en espérance, » (Rm
12) parce qu'en effet, la femme à laquelle Jésus-Christ nous compare, se
réjouit beaucoup plus de l'enfant qu'elle doit mettre au monde, qu'elle n'est
triste des douleurs actuelles qu'elle ressent. — ALCUIN. Mais lorsqu'elle a mis
au monde son enfant (c'est-à-dire, lorsqu'ayant triomphé de toutes ses
épreuves, elle arrive à recueillir les palmes de la victoire), elle ne se
souvient plus des douleurs qui ont précédé, tant est grande la joie de la
récompense qui lui est donnée, en effet de même qu'une femme se réjouit d'avoir
mis un homme au monde, ainsi l'Eglise est remplie d'une juste allégresse, en
voyant le peuple des fidèles qu'elle a enfanté à la vie éternelle. — BEDE. Il ne doit point nous paraître
étrange d'entendre parler de la naissance de celui qui sort de cette vie, car
de même qu'on dit de celui qui sort du sein de sa mère pour voir cette lumière
sensible, qu'il naît à la vie ; ainsi on peut dire de celui qui, délivré des
liens de la chair, est élevé jusqu'à la contemplation de la lumière éternelle,
qu'il naît à une nouvelle vie, et c'est pour cela que les fêtes des saints sont
appelées les anniversaires, non de leur mort, mais de leur naissance.
ALCUIN. Nôtre-Seigneur dit à ses
Apôtres : « Je vous verrai de nouveau, » c'est-à-dire, je vous prendrai avec
moi, ou bien : « Je vous verrai de nouveau, » c'est-à-dire, j'apparaîtrai de
nouveau à vos regards, « et votre cœur se réjouira. » — S. AUG. (Traité 1)
L'Eglise enfante maintenant par ses désirs le fruit de tous ses travaux,
elle l'enfantera alors par la contemplation, elle enfantera par conséquent un
enfant mâle, parce que tous les devoirs de la vie active se rapportent à ce
fruit de la contemplation ; le seul fruit vraiment libre est celui qu'on
recherche pour soi, et qui ne se rapporte pas à un autre, la vie active lui est
subordonnée, car toutes les bonnes oeuvres se rapportent à lui, c'est la fin qui nous suffit ;
ce fruit sera donc éternel, car la seule fin qui puisse nous suffire est celle
qui n'a pas de fin. C'est de cette fin qui doit combler tous nos désirs que le
Sauveur nous dit a juste titre : « Et personne ne vous ravira votre joie. »
S. CHRYS. (hom. 79 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur
montre de nouveau à ses disciples qu'il leur est avantageux qu'il s'en aille,
en leur disant : « Et en ce jour-là, vous ne m'interrogerez plus sur rien. » —
S. AUG. (Traité 101 sur
S. Jean.) Le mot rogare ne signifie pas seulement demander, mais
aussi interroger, et le verbe qui se trouve dans l'Evangile grec, dont
le nôtre est une traduction, peut signifier également l'un et l'autre. — S. CHRYS. Il leur dit donc : « En ce
jour-là (c'est-à-dire, lorsque je serai ressuscité), vous ne m'interrogerez
plus, » c'est-à-dire, vous ne direz pas : Montrez-nous votre Père, et où allez-vous ? car l'Esprit saint
vous l'apprendra. On bien encore, vous ne me demanderez rien, c'est-à-dire,
vous n'aurez pas besoin de médiateur pour obtenir l'effet de vos prières, mon
nom seul suffira, et en l'invoquant, vous recevrez tout ce. que vous demanderez
: « En vérité, en vérité, je vous le dis, tout ce que vous demanderez à mon
Père en mon nom, il vous le donnera. » Il fait voir ainsi la puissance de son
nom, puisque sans le voir, sans le prier, il suffira de prononcer ce nom pour
qu'il opère des merveilles auprès de son Père. Ne vous regardez donc point
comme abandonnés, parce que je ne serai plus avec vous ; mon nom seul vous
inspirera une plus grande confiance : « Jusqu'à présent, vous n'avez rien
demandé en mon nom, demandez et vous recevrez, afin que voire joie soit pleine.
» — THEOPHYL. Votre joie sera entière et parfaite, lorsque vos vœux seront
pleinement satisfaits.
S. CHRYS. Comme
ses paroles étaient encore couvertes d'un certain voile pour ses disciples, il
ajoute : « Je vous ai dit ces choses en paraboles, vient l'heure où je ne vous
parlerai plus en paraboles, » c'est-à-dire, il viendra un temps (c'est le temps
de sa résurrection), où vous comprendrez parfaitement ce que je vous dirai, et
où je vous parlerai ouvertement de mon Père ; et, en effet, pendant quarante
jours, il s'entretint avec tous ses disciples réunis du royaume de Dieu.
Maintenant, leur dit-il, vous êtes remplis de crainte, et ne prêtez point
d'attention à ce que je vous dis, mais lorsque vous me verrez ressuscité, vous
pourrez apprendre toutes choses sans qu'il y ait pour vous d'obscurité.
THEOPHYL. Il leur donne encore un nouveau motif de
confiance, c'est qu'ils recevront dans leurs tentations le secours d'en haut :
« En ce jour-là,
vous demanderez en mon nom, » c'est-à-dire, je vous déclare que mon Père
vous aime à ce point, que vous n'aurez plus besoin de mon intervention : « Et
je ne vous dis point que je prierai mon Père pour vous, » etc. Mais ce ne doit
pas être pour eux une raison de s'éloigner du Sauveur, comme s'ils n'en avaient
plus besoin, et c'est pour cela qu'il ajoute : « Parce que vous m'avez aimé, »
c'est-à-dire, mon Père vous aime, parce que vous m'avez aimé, si donc vous
veniez à vous détacher de mon amour, vous perdriez immédiatement l'amour de mon
Père.
S. AUG. (Traité
102 sur S. Jean.) Mais notre amour pour le Fils de Dieu est-il le
motif de l'amour de son Père pour nous ? N'est-ce point, au contraire, son
amour pour nous qui est la cause de notre amour ? C'est ce que nous dit
l'évangéliste saint Jean, dans une de ses Epîtres : « Aimons Dieu, parce qu'il
nous a aimés le premier. » (l Jn iv.) Le Père nous aime donc, parce que
nous aimons le Fils, en vertu du pouvoir que le Père et le Fils nous ont donné
de les aimer. Dieu aime en nous son œuvre, mais Dieu n'aurait pas fait en nous
ce qui est digne de son amour, si avant de le faire il ne nous avait aimés le
premier. — S. HIL. (de la Trin., 6) La foi parfaite que nous avons en
Jésus-Christ, Fils de Dieu, n'a plus besoin d'intercession auprès de Dieu, car
elle croit qu'il est sorti de Dieu et qu'elle l'aime, et elle mérite ainsi
d'être écoutée et d'être aimée par elle-même, parce qu'elle professe hautement
la naissance divine du Fils et son incarnation : « Et parce que vous avez cru
que je suis sorti de Dieu. » C'est, en effet, à sa naissance divine et à son
avènement en ce monde, que le Sauveur fait allusion dans ces paroles : « Je
suis sorti de mon Père, et je suis venu en ce monde ; » la première de ces
deux choses s'est accomplie dans sa nature divine, la seconde dans sou
incarnation ; car ces deux expressions : « Venir de son Père, et sortir de son
Père, » n'ont
plus la même signification ; autre chose, en effet, est pour le Fils de
sortir du Père par une naissance qui lui donne toute la substance divine ;
autre chose est d'être venu du Père en ce monde pour y consommer les mystères
de notre saint. Mais comme sortir de Dieu n'est autre chose que d'avoir par
naissance la nature divine, celui qui a le privilège de cette naissance ne peut
être que Dieu.
S. CHRYS. Comme la promesse de la résurrection du
Sauveur était un véritable adoucissement à leurs peines, aussi bien que de lui
entendre dire qu'il sortait de Dieu et qu'il retournait à Dieu, il les
entretient continuellement dans cette pensée : « Je quitte de nouveau le monde
et je vais à mon Père. » Il leur donnait ainsi la certitude d'un côté qu'ils
avaient en lui une foi droite et pure, et de l'autre qu'ils seraient désormais
sous sa protection. — S. AUG. Il est sorti du Père, parce qu'il vient du Père,
et il est venu dans le monde, parce qu'il est apparu au monde dans le corps
qu'il avait pris dans le sein de la vierge Marie. Il a quitté le monde
corporellement, et il est retourne vers son Père, en conduisant son humanité
dans les cieux ; mais il n'a point cessé de gouverner le monde par sa présence,
parce qu'il est sorti de son Père pour venir dans le monde sans quitter le sein
de son Père. Or, nous voyons que les Apôtres et les disciples de Jésus-Christ
lui ont adressé, après sa résurrection, et des questions et des prières ; des
questions, lorsqu'ils lui demandèrent avant son ascension, en quel temps il
rétablirait le royaume d'Israël (Ac 1), des prières lorsque Etienne le
vit dans les deux à la droite du Père, et le pria de recevoir son esprit. (Ac
6) Et qui oserait dire que nous ne devions plus le prier depuis qu'il est
immortel, tandis qu'on devait le prier pendant sa vie mortelle ? Je pense
donc que ses paroles
: « En ce jour-là vous ne me demanderez plus rien, » ne doivent pas être
rapportées au temps qui suivit sa résurrection, mais à celui où nous le
verrons tel qu'il est (1 Jn 3), vision qui n'est pas de cette vie que le
temps mesure, mais qui est le privilège de cette vie éternelle, dans laquelle
nous n'aurons plus aucune prière, aucune question à faire, parce qu'il ne nous
restera plus rien à désirer, rien à connaître.
ALCUIN. Voici donc le sens des paroles du Sauveur :
Dans la vie future, vous ne me demanderez plus rien, mais durant le pèlerinage
de cette vie de misères et d'épreuves, si vous demandez quelque chose à mon
Père, il vous l'accordera. Comme il le déclare expressément : « En vérité, en
vérité, je vous le dis, si vous demandez quoique chose à mon Père on mon nom,
il vous l'accordera. » — S. AUG. Il ne veut point dire toutes sortes de choses
indifféremment, mais quelque chose, qui ne soit pas comme un rien en
comparaison de la vie éternelle. Or, toute prière dont l'objet est contraire
aux intérêts de notre salut, n'est pas faite au nom du Sauveur, car par ces
paroles : « En mon nom, » il faut entendre, non pas le son extérieur des
lettres et des syllabes dont ce nom est composé, mais la signification
véritable de ce nom. Donc celui qui a de Jésus-Christ des idées autres que
celles qu'il faut avoir du Fils unique de Dieu, ne demande point en son nom,
bien que ses lèvres prononcent le nom de Jésus-Christ, parce qu'il demande au
nom de celui qui est présent à sa pensée, au moment de sa prière. Celui, au
contraire, qui a de Jésus-Christ des idées justes et droites, demande
véritablement en son nom, et reçoit infailliblement l'objet de ses prières,
s'il ne demande rien du contraire au salut éternel de son âme. Or, il reçoit
dans le temps où Dieu juge devoir l'exaucer, car il est des choses que Dieu ne
nous refuse pas,
mais qu'il diffère de nous donner dans un temps plus favorable. Il font encore
entendre ces paroles : « Il vous donnera, » des grâces exclusivement propres à
ceux qui demandent; car tous les saints sont exaucés dans les prières qu'ils
font pour eux-mêmes, mais non dans celles qu'ils adressent à Dieu pour tous les
antres, parce qu'en effet, le Sauveur ne dit pas en général : Il donnera, mais
: « Il vous donnera. » Quant aux paroles qui suivent : « Jusqu'à présent, vous
n'avez rien demandé en mon nom, » on peut les entendre de deux manières : Ou
bien, vous n'avez rien demandé en mon nom, parce que vous n'aviez pas de ce nom
le connaissance que vous deviez en avoir, ou bien vous n'avez rien demandé,
parce que ce qui a fait l'objet de vos prières doit être considéré comme rien,
en comparaison de ce que vous auriez dû demander. C'est donc, pour les engager
à ne plus demander des choses de rien, mais une joie pleine et entière, qu'il
ajoute : « Demandez, et vous recevrez, afin que votre joie soit pleine. »
Cette joie pleine n'est point une joie sensible, mais une joie toute
spirituelle, et elle sera pleine, lorsqu'elle sera si grande, qu'on ne pourra
plus y rien ajouter.
S. AUG. (de la Trin., 1, 2.) Cette joie
pleine, au-dessus de laquelle il n'y a plus rien, sera de jouir de la présence
de Dieu dans la Trinité, à l'image de laquelle nous avons été créés. — S. AUG. (Traité 102 sur S.
Jean.) C'est donc au nom de Jésus-Christ qu'il nous faut demander tout ce
qui tend à nous faire obtenir cette joie éternelle, et jamais la miséricorde
divine ne trompera la confiance de ses saints qui persévèrent dans la demande
d'un si grand bien.. Tout ce qu'on demande en dehors de ce bien, n'est rien, non pas que
l’objet de nos prières soit nul absolument, mais parce qu'un comparaison d'un
si grand bien, tout ce que l'on peut désirer n'est rien.
« Je vous ai dit ces choses en paraboles, mais vient
l'heure où je ne vous parlerai plus en paraboles, mais où je vous parlerai
ouvertement de mon Père. » Je dirais volontiers que cette heure dont il parle
est la vie future où nous le verrons à découvert, comme le dit l'Apôtre :
« Nous le verrons face à face. » (1 Co 13, 12.) Et alors ces
paroles du Sauveur : « Je vous ai dit ces choses en paraboles, » se
rapporteraient à ce que dit saint Paul : « Nous ne voyons maintenant que comme
dans un miroir et sous des images obscures, » je vous parlerai ouvertement de
mon Père, parce que c'est par le Fils qu'on peut voir le Père, « car personne
ne connaît le Père, si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils a voulu le
révéler. » (Mt 11) — S. GREG. (Moral., 20, 5, ou dans les anc.
éd., 8.) Il leur annonce qu'il leur parlera ouvertement de son Père, parce
qu'en leur découvrant l'éclat de sa majesté, il leur fera voir comment il est
égal dans sa naissance à celui qui l'a engendré, et comment l'Esprit saint est
coéternel au Père et au Fils dont il procède. — S. AUG. Mais les paroles qui suivent semblent s'opposer à
l'explication que nous venons de donner : « En ce jour, dit le Sauveur,
vous demanderez en mon nom, » car que pourrons-nous demander dans le siècle
futur, quand nos désirs seront rassasiés de l'abondance de tous les biens ? car
la demande suppose toujours une indigence quelconque. Il est donc mieux
d'entendre ces paroles dans ce sens, que Jésus rendra ses disciples spirituels
de charnels, et d'esclaves de leurs sens qu'ils étaient. En effet l'homme animal ne se représente que
sous des images matérielles et sensibles tout ce qu'il entend dire de la nature
de Dieu. Tous les enseignements de la sagesse sur la nature incorporelle et
immuable de Dieu sont pour lui autant de paraboles, non qu'il les prenne
positivement pour des paraboles, mais parce qu'il n'a d'autres pensées que ceux
qui entendent des paraboles sans les comprendre. Mais lorsque l'homme devenu
spirituel commence à juger tout avec discernement, bien que dans cette vie il
ne puisse voir que comme dans un miroir et en partie, il comprend que Dieu
n'est pas un corps, mais un esprit, et cela sans l'aide d'aucun sens, d'aucune
image sensible, mais par une perception claire et distincte de son
intelligence. Lorsque le Fils nous parle ainsi à découvert de son Père, et nous
fait voir en même temps qu'il a une même nature avec, lui, alors nous demandons
véritablement en son nom, parce que ce nom représente alors à notre esprit la
vérité même qu'il exprime. Nous pouvons comprendre alors que Nôtre-Seigneur
Jésus-Christ, en tant qu'homme, prie pour nous son Père, et que, comme Dieu, il
nous exauce conjointement avec son Père, ce qu'il paraît indiquer dans les
paroles suivantes : « Et je ne vous dis pas que je prierai mon Père pour
vous. » Il n'y a, en effet, que l'œil spirituel de l'âme qui puisse s'élever
jusqu'à cette vérité que le Fils ne prie pas le Père, mais que le Père et le
Fils exaucent ensemble les prières qui leur sont adressées.
S. CHRYS. (hom. 79 sur S. Jean.) Les
disciples de Jésus consolés et ranimés par l'assurance qui leur est donnée
qu'ils sont les amis du Père, lui avouent qu'ils reconnaissent maintenant qu'il
sait toutes choses : « Ses disciples lui dirent : Voilà que maintenant vous
parlez ouvertement, et sans vous servir d'aucune parabole. » — S. AUG. (Traité 103 sur S.
Jean.) Le Sauveur leur annonce et leur promet seulement que l'heure vient
où il ne leur parlera plus en paraboles, d'où vient donc qu'ils lui tiennent ce
langage, sinon qu'ils ne comprennent pas les paraboles dont il se sert, et que
leur ignorance est si grande, qu'ils ne la connaissent même pas ? — S. CHRYS. Nôtre-Seigneur, dans les paroles
qui précèdent, a répondu aux secrètes pensées de leur esprit, et c'est pour
cela qu'ils lui disent : « Maintenant nous voyons que vous savez toutes choses.
» Voyez comme ils étaient encore imparfaits ; après tant et de si grandes
preuves qu'il leur avait données, ils
lui disent : « C'est maintenant
seulement que nous savons ; » ils semblent lui en faire un mérite. « Et il
n'est pas besoin que personne vous interroge,
» c'est-à-dire, avant même que nous vous le disions, vous saviez ce qui
était pour nous un sujet de trouble, et vous nous avez rassurés en nous disant
que votre Père nous aimait.
S. AUG. Les apôtres étaient convaincus maintenant
que le Sauveur savait toutes choses, d'où vient donc qu'au lieu de lui dire, ce
qui paraissait bien plus naturel : Vous n'avez pas besoin d'interroger sur
aucune chose, ils lui disent au contraire : « Il n'est pas besoin que personne
vous interroge ? » Ou plutôt comment se fait-il que les deux choses eurent
lieu, c'est-à-dire que le Seigneur les interrogea, et qu'ils l'interrogèrent à
leur tour ? La solution de cette difficulté est facile, car ce n'était que pour
eux et non pour lui qu'il les interrogeait, ou qu'il en était interrogé
lui-même. En effet, il ne les interrogeait pas pour en apprendre quelque chose,
mais bien plutôt pour les enseigner eux-mêmes ; et ses disciples, qui
l'interrogeaient pour en apprendre ce qu'ils voulaient savoir, avaient besoin
d'être instruits à l’école de celui qui savait toutes choses. Pour lui au
contraire il n'avait aucun besoin qu'on l'interrogeât pour qu'il connût ce que
chacun d'eux voulait savoir de lui ; car avant même qu'on lui fit aucune
question, il connaissait l'intention de celui qui allait l'interroger. Ce n'était
point sans doute une chose extraordinaire pour le Seigneur de prévoir les
pensées des hommes, mais pour des hommes faibles il y avait un certain mérite à
dire comme ils le font : « En cela nous croyons que vous êtes sorti de Dieu. »
— S. HIL. (De la Trin., 6)
Ils croient qu'il est sorti de Dieu, parce qu'il fait des oeuvre que Dieu seul
peut faire. Le Sauveur leur avait déjà dit plusieurs fois : « Je suis sorti de
Dieu, et je suis venu de mon Père en ce monde, » et cette déclaration si
souvent répétée, n'avait excité en eux aucun sentiment d'admiration ; aussi ils
n'ajoutent pas : Vous êtes venu de votre Père en ce monde ; car ils savaient
qu'il avait été envoyé de Dieu, mais ils ne savaient pas qu'il était sorti de
Dieu, ils ne commencèrent à comprendre cette ineffable naissance du Fils de
Dieu que grâce à ces derniers enseignements du Sauveur, et c'est alors qu'ils
reconnaissent
qu'il ne leur parlait plus en paraboles. Ce n'est point en effet à la manière
des enfantements humains, qu'un Dieu naît d'un Dieu, c'est plutôt une sortie
qu'un enfantement, car il vient seul d'un principe unique, il n'en est pas une
partie, un amoindrissement, une diminution, une dérivation, une extension, une
affection, c'est la naissance d'un être vivant sortant d'un être vivant, il
n'est point choisi pour recevoir le nom de Dieu, il n'est point sorti du néant
pour arriver à l'existence, il est sorti d'un être immuable, et cette sortie
doit s'appeler une naissance, mais non un commencement.
S. AUG. Le
Sauveur leur donne ensuite des avis proportionnés à l'état de faiblesse et
d'enfance où se trouvait encore en eux l'homme intérieur : « Jésus leur
répondit : Vous croyez maintenant ? » — BEDE. Ce que l'on peut entendre de deux
manières : comme une affirmation, ou comme une ironie ; comme une ironie dans
ce sens : Il est bien tard pour commencer à croire ; car voici l'heure, etc.,
comme une affirmation, c'est-à-dirc : « Vous croyez maintenant ; il est vrai,
mais voici que vient l'heure, et déjà elle est venue où vous serez dispersés
chacun de votre côté, et où vous me laisserez seul. » — S. AUG. En effet lorsqu'on se saisit de sa
personne, ils n'abandonnèrent pas seulement extérieurement son corps au pouvoir
de ses ennemis ; mais ils renoncèrent intérieurement à la foi qu'ils avaient en
lui. — S. CHRYS. Il leur dit : « L'heure est venue que vous soyez dispersés, »
c'est-à-dire quand je serai livré à mes ennemis, car la crainte qui s'emparera
de vous sera si grande, que vous ne pourrez fuir tous ensemble ; mais pour moi
il n'en résultera aucun mal. « Et je ne suis pas seul, parce que mon Père est
avec moi. » — S. AUG. Il voulait que leur foi
prît de l'accroissement et que leur intelligence s'élevât jusqu'à comprendre
que le Fils était sorti du Père, mais sans le quitter. Il conclut son discours
par ces paroles : « Je vous ai dit ces choses, afin que vous ayez la paix en
moi. » — S. CHRYS. C'est-à-dire afin que vous ne me repoussiez jamais de votre
cœur, car ce n'est pas seulement lorsque je serai pris par mes ennemis que vous
serez assaillis par le malheur ; tant que vous serez dans le monde, vous serez
opprimés, c'est-à-dire, persécutés, c'est ce qu'il leur prédit en ces termes :
« Dans le monde vous aurez des tribulations. » — S. GREG. (Moral., 26,
12, ou 11 dans les anc. éd.) Il semble leur dire : Placez en moi
toute votre consolation et votre force intérieure, car pour le monde, vous
n'avez à en attendre que l'oppression et la persécution la plus cruelle.
S. AUG. Cette oppression devait commencer pour eux à
cette heure dont Jésus leur disait : « Vient l'heure où vous serez
dispersés chacun de votre côté, » mais elle ne devait pas se continuer de la
même manière. Car ce qu'il ajoute : « Et que vous me laissiez seul, » ne devait
point s'appliquer aux persécutions qu'ils auraient à endurer dans le monde,
après son ascension ; alors, au contraire, loin de l'abandonner, il veut qu'ils
lui demeurent attachés et qu'ils mettent en lui leur paix. Il leur dit encore :
« Ayez confiance. » — S. CHRYS. C'est-à-dire
que votre âme ressuscite et revienne à la vie, car il ne faut pas que les
disciples restent dans la tristesse et les alarmes, alors que leur Maître a
triomphé de leurs ennemis. C'est pour cela qu'il ajoute : « Parce que j'ai
vaincu le monde. » — S. AUG. Lorsqu'ils
eurent reçu l'Esprit saint, c'est en Jésus-Christ qu'ils mirent toute leur
confiance, et c'est par lui qu'ils remportèrent la victoire ; car on ne
pourrait dire que le Sauveur a vaincu le monde, si ses membres étaient vaincus par le monde. (Traité 104.)
Quant à ces paroles : « Je vous ai dit ces choses, afin que vous ayez la paix
en moi, » nous ne devons pas seulement les entendre de ce qu'il vient de dire
immédiatement à ses disciples, mais de tous ses enseignements, soit de ceux
qu'il leur a donnés depuis qu'ils ont commencé à être ses disciples, soit de ce
long et admirable discours qui suivit la cène. Le but qu'il s'est proposé dans
tons ces discours il l'a dit en termes exprès, c'est qu'ils placent en lui leur
paix ; cette paix n'aura point de fin comme le temps, mais elle sera elle-même
la fin de toutes nos pieuses intentions et de nos saintes actions.
S. CHRYS. (hom. 80 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur venait de dire à ses disciples : «
Vous aurez des tribulations dans le monde. » A cet avertissement il fait
succéder la prière, pour nous apprendre à tout quitter pour recourir à Dieu
seul au milieu de nos tribulations : « Ayant dit ces choses, Jésus leva les
yeux au ciel, » etc. — BEDE. Il
faut entendre ici les choses qu'il leur dit pendant la cène, les unes lorsqu'il
était encore à table, jusqu'à ces paroles : « Levez-vous, sortons d'ici ; » les
autres lorsqu'il fut sorti, jusqu'à la fin de la prière, dont voici le
commencement : « Jésus leva les yeux au ciel, et dit : Mon Père, » etc. — S. CHRYS. Il lève les yeux au ciel pour
nous apprendre jusqu'où nos prières doivent monter, et que nous devons les
faire en levant au ciel, non-seulement les yeux au corps, mais ceux de
l'esprit.
S. AUG. (Traité
104 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur
aurait pu en tant qu'homme, s'il l'avait fallu, prier sans proférer aucune
parole ; mais en se montrant l'humble suppliant de son Père, il a voulu nous
apprendre qu'il n'a pas oublié qu'il était notre maître. Aussi ses disciples
trouvent-ils un sujet d'édification, non-seulement dans ses enseignements, mais
dans la prière qu'il adresse pour eux à son Père. Et ce fruit précieux est à la
fois pour ceux qui entendirent cette prière, et pour nous qui devons un jour la
lire dans le saint Evangile. Il commence sa prière en ces termes : « Mon Père,
l'heure est venue, » et il nous montre ainsi que loin d'être nécessairement
soumis au temps, il était le suprême ordonnateur du temps où devaient
s'accomplir les actions dont il était l'auteur immédiat ou qui ne se faisaient
que par sa permission. N'allons pas croire que cette heure soit venue comme
amenée par le destin, c'est Dieu lui-même qui l'avait fixée dans ses décrets,
car loin de nous la pensée que les astres aient pu contraindre à mourir le
Créateur des astres.
S. HIL. (de la
Trin., 3) Il ne dit pas : Le jour ou le temps est venu, mais : « L'heure
est venue. » L'heure est une partie du jour, et quelle est cette heure ?
celle où il devait être couvert de crachats, flagellé, crucifié, mais celle
aussi où le Père devait glorifier le Fils. La mort vint interrompre le cours de
ses œuvres, et tous les cléments du monde ressentirent l'effet de cette mort,
la terre trembla sous le poids du Seigneur suspendu à la croix, et elle attesta
qu'elle ne pouvait contenir dans son sein celui qui allait mourir. Le centurion
s’écrie bien haut : « Il était vraiment le Fils de Dieu. » La prédiction se
trouve ainsi justifiée. Le Sauveur avait dit : « Glorifiez votre Fils, »
et il affirme ainsi qu'il était vraiment son Fils, non-seulement de nom, mais
en réalité, en ajoutant le pronom : « Vôtre, » car nous sommes aussi en grand
nombre les Fils de Dieu, mais nous ne le sommes pas de la même manière que lui.
Il est proprement le Fils de Dieu par origine et non par adoption, en vérité,
et non-seulement par dénomination, par sa naissance, et non par création. Aussi
après qu'il eut été glorifié, la vérité fut solennellement proclamée, le
centurion confessa qu'il était le vrai Fils de Dieu, de manière à ce que
personne, parmi les fidèles, ne pût hésiter à reconnaître ce que les bourreaux
eux-mêmes n'avaient pu nier. — S. AUG. Mais si sa passion a été pour lui un
principe de gloire, combien plus sa résurrection ? Ce qui éclate, en effet,
dans sa passion, c'est son humilité bien plutôt que sa gloire. Il faut donc
entendre ces paroles : « Mon Père, l'heure est venue, glorifiez votre Fils ; »
dans ce sens : L'heure est venue de répandre la semence de l'humilité, ne
différez pas les fruits de gloire qu'elle doit produire. — S. HIL. (de la Trin., 3) Mais peut-être
regardera-t-on comme une marque de
faiblesse dans le Fils qu'il ait besoin d'être glorifié par un plus puissant
que lui. Et qui, en effet, se refuserait à reconnaître dans le Père une
puissance plus grande, sur le témoignage du Sauveur lui-même, qui déclare que
son Père est plus grand que lui ? Prenons donc garde qu'un sentiment
d'irréflexion nous fasse voir dans la gloire du Père un affaiblissement de la
gloire du Fils, car Noire-Seigneur ajoute aussitôt : « Afin que votre Fils vous
glorifie. » Il n'y a donc ici aucun signe de faiblesse dans le Fils, puisqu'il
doit rendre lui-même la gloire qu'il demande ; donc cette prière qu'il fait
pour que son Père lui donne une gloire qu'il doit lui rendre à son tour, est
une preuve qu'ils ont tous deux une même puissance et une même divinité.
S. AUG. (Traité
105 sur S. Jean) Mais on peut
demander avec raison comment le Fils a glorifié le Père, puisque la gloire
éternelle du Père n'a pu subir d'amoindrissement qui serait la suite de son
union avec la nature humaine, ni d'accroissement dans sa perfection toute
divine. Sans doute la gloire du Père n'a pu éprouver on elle-même aucune
altération, aucun accroissement, mais elle était comme amoindrie aux yeux des
hommes, lorsque Dieu n'était connu que dans la Judée. C'est donc lorsque l'Evangile
de Jésus-Christ eut fait connaître le Père aux nations, que le Fils a
véritablement glorifié le Père. Il lui dit donc : « Glorifiez votre Fils, afin
que votre Fils vous glorifie, » c'est-à-dire : Ressuscitez-moi, afin que je
vous fasse connaître à tout l'univers. Il explique ensuite plus clairement
encore comment le Fils glorifie le Père, en ajoutant : « Puisque vous lui avez
donné puissance sur toute chair, afin qu'il donne la vie éternelle à tous ceux
que vous lui avez donnés. » Cette expression, « toute chair, » signifie tous
les hommes, c'est-à-dire, que la partie est prise pour le tout. Cette puissance
sur toute chair a été donnée par le Père à Jésus-Christ en tant qu'homme. — S. HIL. (de la Trin., 3) Car il s'est incarné pour rendre la vie éternelle
à tout ce qui était faible, esclave de la chair et de la mort. — S. HIL. (de la Trin., 9) Ou bien, Dieu a donné ce pouvoir au Fils par sa
naissance où il lui a communiqué sa divine essence. Il ne faut point regarder
cette communication dans le Père comme un signe de faiblesse, puisqu'il
conserve le pouvoir qu'il donne, et que le Fils ne laisse pas d'être Dieu
lui-même, tout en recevant le pouvoir de donner la vie éternelle. — S. CHRYS. Nôtre-Seigneur dit : « Vous lui
avez donné la puissance sur toute chair, » pour montrer que sa prédication
devait s'étendre, non-seulement aux Juifs, mais à tout l'univers. Mais comment
entendre ces paroles : « Sur toute chair, » car tous les hommes n'ont pas
embrassé la foi ? c'est-à-dire, que le Fils de Dieu a fait tout ce qui
dépendait de lui pour déterminer les hommes à croire ; si un grand nombre n'ont
point écoute sa parole, la faute n'en est pas à celui qui leur parlait, mais à
ceux qui ont refusé de recevoir sa parole. — S. AUG. Il leur dit donc : « Puisque vous lui avez donné
puissance sur toute chair ; que votre Fils vous glorifie, » C’est-à-dire, qu'il
vous fasse connaître à toute chair que vous lui avez donnée, car vous ne la lui
avez donnée, que pour qu'il lui donne lui-même la vie éternelle.
S. HIL. (de la
Trin., 3) Mais en quoi consiste
la vie éternelle ? le Sauveur va nous l'apprendre : « Or, la vie éternelle
consiste à vous connaître, vous le seul Dieu véritable, et celui que vous avez
envoyé Jésus-Christ. » La vie, c'est de connaître le vrai Dieu, mais cela seul
ne suffit pas. Quelle est la connaissance essentiellement liée à celle-là ? «
Et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ. » — S. HIL. (de la Trin., 4) Les Ariens prétendent que le Père seul
est le seul vrai Dieu, le seul juste, le seul sage, et ils excluent le Fils de
toute communion à ces divines perfections. Les choses qui sont propres à un
seul, disent-ils, ne peuvent être communiquées à un autre, si donc ces
attributs se trouvent dans le Père seul, la conséquence est que le Fils n'est
point véritablement Dieu, et que c'est à tort qu'on lui en donne le nom. — H. HIL. (de la Trin., 5) Chacun sait, à n'en pouvoir douter, que la vérité
d'une chose se révèle par sa nature et par sa vertu, ainsi le véritable froment
est celui qui réduit en farine, cuit sous la forme de pain, et pris en
nourriture présente la nature au pain et en produit les effets ; je
demande donc ce qui manque au Fils pour qu'il soit vrai Dieu, puisqu'il a tout
à la fois la nature et la vertu de Dieu ? Il a donné des preuves de la puissance
de sa nature, lorsqu'il a créé les choses qui n'existaient pas et les a
appelées à l'existence suivant sa volonté. — S. HIL. (de la Trin., 9)
Dira-t-on que par ces paroles : « Vous qui êtes le seul vrai Dieu, » le Sauveur
se met en dehors de toute communion, de toute identité avec la nature divine ?
Oui, sans doute, ou pourrait dire qu'il se met en dehors, si après ces paroles
: « Vous qui êtes le seul vrai Dieu, » il n'ajoutait : « Et celui que vous
avez envoyé Jésus-Christ. » En
effet, la foi de l'Eglise a confessé que Jésus-Christ était vrai Dieu, par la
même raison qu'elle reconnaissait que le Père était le seul vrai Dieu, car la
naissance divine du Fils unique ne lui a rien fait perdre de la nature divine.
S. AUG. (de la Trin., 6, 9.) Voyons doue si ces
paroles du Sauveur : « Afin qu'ils vous connaissent, vous qui êtes le seul vrai
Dieu, » signifient que le Père seul est le vrai Dieu, et si au contraire nous
ne devons pas en conclure que les
trois personnes, le Père, le Fils, et le Saint-Esprit soient Dieu. Mais c'est
en vertu du témoignage du Sauveur lui-même, que nous disons que le Père est le
seul vrai Dieu, que le Fils est le seul vrai Dieu, que l'Esprit saint est le
seul vrai Dieu, et que le Père, le Fils, et le Saint-Esprit, c'est-à-dire, toute
la Trinité ne font pas trois Dieux, mais un seul vrai Dieu. — S. AUG. (Traité 103 sur S. Jean.) On
peut encore disposer la phrase, de cette manière : Afin qu'ils reconnaissent
pour le seul vrai Dieu vous et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ ; et dans
cette proposition se trouve compris l'Esprit saint, parce qu'il est l'Esprit du
Père et du Fils, et l'amour consubstantiel de ces deux personnes divines. Le
Fils vous glorifie donc en vous faisant connaître à tous ceux que vous lui avez
donnés. Or, si la connaissance de Dieu est la vie éternelle, plus nous avançons
dans la connaissance de Dieu, plus aussi nous avançons vers la vie éternelle.
La mort n'a plus d'accès dans la vie éternelle, et la connaissance de Dieu sera
parfaite, lorsque l'empire de la mort sera complètement détruit. Alors Dieu
sera souverainement glorifié, parce que sa gloire sera à son comble. Les
anciens ont défini la gloire, la renommée d'un homme, accompagnée d'estime et
de louange. Or, si la gloire, d'un homme peut résulter de sa renommée seule,
quelle sera donc la gloire de Dieu, lorsqu'il sera vu tel qu'il est ? C'est
pour cela que le Psalmiste a écrit : « Bienheureux ceux qui habitent dans
votre maison, ils vous loueront dans les siècles des siècles. » La gloire
et la louange de Dieu, et par conséquent sa glorification, n'auront plus de
fin, parce que la connaissance de Dieu sera pleine et parfaite.
S. AUG. (de la Trin., 1, 8.) C'est alors que
nous contemplerons dans la vie éternelle la vérité de ce que Dieu disait à
Moïse : « Je suis celui qui suis. » (Ex 3)
— S. AUG. (de la Trin., 5, 18.)
Lorsque notre foi deviendra la vérité au sein de la vie elle-même, alors notre
mortalité fera place à l'éternité. — S. AUG. (Traité 105 sur S. Jean,) Mais
dès cette vie Dieu est glorifié, lorsque la prédication le fait connaître aux
hommes par la foi, et c'est pour cela que le Sauveur dit : « Je vous ai
glorifié sur la terre. » — S. HIL. (de la
Trin., 4) Cette glorification n'ajoute rien à la perfection de la divinité,
mais elle est un certain honneur qui résulte de la connaissance de ceux qui
l'ignoraient auparavant. — S. CHRYS. C'est
avec raison qu'il dit : « Je vous ai glorifié sur la terre, » car il avait
été glorifié dans les cieux en recevant la gloire qui est propre à sa nature,
et les adorations des anges ; il ne parle donc pas ici de la gloire essentielle
à la nature du Père, mais de la gloire qui résulte des hommages que lui rendent
les hommes. C'est pour cela qu'il ajoute : « J'ai consommé l'œuvre que vous
m'avez donnée à faire. » — S. AUG. (Traité
105 sur S. Jean.) Il ne dit pas :
L'œuvre que vous m'avez commandée, mais : « Que vous m'avez donnée, » paroles
qui sont un éclatant témoignage en faveur du la grâce ; car que possède la
nature humaine, même dans le Fils unique, qu'elle n'ait reçu ? Mais comment
a-t-il consommé l’œuvre que Dieu lui a donnée à faire, puisqu'il lui restait
encore la douloureuse épreuve de sa passion ? Il regarde donc comme consommé ce
dont il sait avec certitude que la consommation est proche. — S. CHRYS. Ou bien encore il dit : « J'ai
consommé l'œuvre que vous m'avez donnée, » c'est-à-dire, j'ai fait de mon côté
tout ce qui me concernait ; on peut dire aussi que tout est consommé, quand la
plus grande partie est faite, car la racine de tous les biens avait été plantée
et les fruits ne devaient pas tarder à suivre, et il était d'ailleurs
essentiellement uni à tout ce qui devait arriver dans la suite.
S. HIL. (de la
Trin., 9) Il ajoute ensuite pour nous faire comprendre le mérite de
l'obéissance et tout le mystère de sa divine incarnation : « Et maintenant, mon
Père, glorifiez-moi en vous-même. » — S. AUG. (Tr. 105 sur S. Jean.) Il
avait dit précédemment : « Mon Père, l'heure est venue, glorifiez votre Fils,
afin que votre Fils vous glorifie, » c'est-à-dire, que d'après l'ordre indiqué
par ces paroles, le Père devait
glorifier le Fils, afin que le Fils pût glorifier ensuite le Père. Ici au
contraire il dit : « Je vous ai glorifie, et maintenant glorifiez-moi, »
c'est-à-dire, qu'il semble demander d'être glorifié comme récompense de ce
qu'il a le premier glorifié son Père. Pour expliquer cette différence, il faut
admettre que dans la première proposition, Notre-Seigneur s'est servi du Verbe
qui exprimait le temps dans lequel les choses devaient avoir lieu, et que dans
la seconde proposition, il s'est servi du passé pour exprimer une chose future,
comme s'il avait dit : Je vous glorifierai sur la terre, en consommant l'œuvre
que vous m'avez donnée à faire, et maintenant glorifiez-moi vous-même, mon
Père. Ces deux propositions ont donc le même sens et ne diffèrent que parce que
la seconde renferme le mode de glorification que le Fils demande à son Père : «
Glorifiez-moi en vous-même de la gloire que j'ai eue en vous avant que le monde
fût. » L'ordre naturel de cette phrase est celui-ci : Que j'ai eue en vous
avant que le monde existât. Il en est qui ont prétendu que ces paroles
signifiaient que la nature humaine dont le Verbe s'est revêtu dans
l'incarnation, devait être transformée dans la nature du Verbe, et que l'homme
devait être changé on Dieu. Bien plus, si nous examinons de plus près leur
sentiment, ils vont jusqu'à dire que l'homme est anéanti en Dieu, car personne
n'oserait dire que ce changement double en aucune façon, ou augmente le Verbe
de Dieu. Nous disons, nous, que celui qui nie que le Fils de Dieu ait été
prédestiné, nie par-là même qu'il soit le Fils de l'homme, Jésus donc voyant
arriver le temps de la glorification à laquelle il était prédestiné, demande
que cette prédestination reçoive son accomplissement : « Et maintenant
glorifiez-moi, » etc. C’est-à-dire, il est temps que je jouisse en vous en
vivant à votre droite, de cette gloire que j'ai eue en vous en vertu de votre
prédestination éternelle. — S. HIL. (de la Trin., 3) Ou bien il demandait
que la nature qui en lui appartenait au temps, reçût la gloire qui est
au-dessus du temps, et que la chair soumise à la corruption fût transformée
dans la vertu de Dieu et l'incorruptibilité de l'esprit.
S. CHRYS. (hom. 81 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur explique ensuite à ses disciples
quelle est cette œuvre qu'il a consommée, c'est-à-dire, la manifestation du nom
de Dieu : « J'ai manifesté votre nom aux hommes que vous m'avez donnés. » — S.
AUG. (Traité 106 sur S. Jean.) S'il veut seulement parler ici des disciples avec
lesquels il vient de célébrer la cène, il ne peut être question de cette
glorification dont il a parlé précédemment, et par laquelle le Fils glorifie le
Père. Quelle gloire, en effet, pour Dieu, d'avoir pu être connu de onze ou de
douze mortels ? Si au contraire ces paroles : « J'ai manifesté votre nom
aux hommes que vous m'avez donnés du monde, » comprennent dans la pensée du
Sauveur, tous ceux qui devaient croire en lui; c'est vraiment alors cette
glorification par laquelle le Fils donne la gloire au Père. Cette proposition :
« J'ai manifesté votre nom, » doit donc s'entendre comme cette autre : « Je
vous ai glorifié, » c'est-à-dire, que le passé est mis ici pour le futur.
Cependant la suite nous autorise à regarder comme plus probable que le Sauveur
parlait ici de ceux qui étaient déjà ses disciples, et non de tous ceux qui
devaient croire en lui. Dès le commencement de sa prière, le Sauveur veut nous
faire comprendre sous le nom de siens, tous ceux à qui il a fait connaîtra le
nom de son Père qu'il a glorifié en leur donnant cette connaissance ; ce qu'il
a dit précédemment : « Afin que votre Fils vous glorifie, » se trouve expliqué
par les paroles qui suivent : « Puisque vous lui avez donné la puissance sur
toute chair. » Ecoutons maintenant ce qu'il dit de ses disciples : « J'ai
manifesté votre nom aux hommes que vous m'avez donnés du monde. » Est-ce donc,
qu'ils ne connaissaient pas le nom de-Dieu, lorsqu'ils étaient Juifs ? Et où
donc lisons-nous : Dieu est connu dans la Judée, et sou nom est grand dans
Israël ? Voici donc comme il faut entendre ces paroles : « J'ai manifesté votre
nom aux hommes que vous m'avez donnés du monde, » c'est-à-dire, à ceux qui,
m'écoutent en ce moment ; non pas ce nom de Dieu que vous donnent communément
les hommes, mais le nom de Père, nom qui ne peut être manifesté qu'autant que
le Fils est manifesté lui-même. Il n'est, en effet, aucune nation qui, avant
même du croire en Jésus-Christ, n'ait eu une connaissance quelconque de Dieu,
comme étant le Dieu de toutes lus créatures. Comme créateur du monde, Dieu
était donc connu dans toutes les nations, avant même qu'elles eussent embrassé
la foi de Jésus-Christ. Il était connu dans la Judée comme le Dieu, dont le
culte était exclusif de toutes les fausses divinités. Mais son nom de Père de
Jésus-Christ, par lequel il efface les péchés du monde, n'était nullement
connu, et c'est ce nom qu'il manifeste à ceux que son Père lui a donnés du
monde. Mais comment l'a-t-il manifesté ? Si le temps dont il a dit précédemment
: « L'heure vient où je ne vous parlerai plus en paraboles n'était pas encore
venue, il faut admettre que le Sauveur a employé ici le passé pour le futur. —
S. CHRYS. On peut dire encore
qu'il leur avait déjà fait connaître par ses paroles comme par ses actions, que
Dieu le Père avait Jésus-Christ pour Fils. — S. AUG. En leur disant : « Vous me les avez donnés du monde, » il leur fait
comprendre qu'ils n'étaient pas du monde ; toutefois ce n'est pas à leur
naissance, mais à la grâce de la régénération qu'ils en étaient redevables.
Mais que veulent dire les paroles qui suivent : « Ils étaient à vous, et
vous me les avez donnés ? » Est-ce que le Père a jamais rien possédé que le
Fils n'ait possédé lui-même ? Non sans doute ; cependant le Fils de Dieu a eu
en cette qualité ce qu'il n'avait pas encore comme Fils de l'homme, alors qu'il
ne s'était pas encore fait homme dans le sein de sa mère. Lors donc qu'il dit :
« Ils étaient à vous, » le Fils de Dieu ne se sépare point de son Père, mais il
a coutume de rapporter toute sa puissance à celui de qui il tire cette
puissance avec son origine. Et en ajoutant : « Vous me les avez donnés, » il
nous montre que c'est comme homme qu'il les a reçus de son Père. Il se les est
aussi donnés à lui-même, c'est-à-dire, que Jésus-Christ Dieu a donné avec son
Père à Jésus-Christ homme ce qui n'est pas avec le Père, c'est-à-dire, les
hommes. En s'exprimant ainsi, il nous fait voir l'étroite union qui existe
entre lui et son Père, et que la volonté de son Pure est que les hommes croient
au Fils, c'est pour cela qu'il ajoute : « Et ils ont gardé votre parole. — BEDE. Cette parole du Père, c'est
lui-même, parce que c'est par lui que le Père a créé toutes choses, et qu'il
contient en lui-même toutes les paroles, comme s'il disait : Ils m'ont confié à
leur souvenir, de manière à ne jamais m'oublier. Ou bien « ils ont gardé ma
parole, » en ce sens qu'ils ont cru en moi : « Et maintenant ils savent que
tout ce que vous m'avez donné vient de vous. » Il en est qui prétendent qu'il
faut lire : « Maintenant j'ai connu que tout ce que vous m'avez donné vient de
vous, » mais ce langage n'aurait pas de sens, car comment le Fils pouvait-il
ignorer ce qui appartient au Père ? Au contraire, on comprend très bien qu'il
ait dit de ses disciples : « Ils ont appris qu'il n'y a rien en moi qui vous
soit étranger, et que toutes les vérités que j'enseigne viennent de vous. » S.
AUG. Le Père lui a tout donné lorsqu'il l'a engendré, pour qu'il possédât tout
ce qu'il possède lui-même. — S. CHRYS. Et comment les disciples l'ont-ils
appris ? Par mes paroles, qui leur enseignaient que je suis sorti de vous ;
c'est, en effet, ce à quoi nous le voyons s'appliquer dans tout son Evangile :
« Parce que je leur ai donné les paroles que vous m'avez données, et ils les
ont reçues. » — S. AUG. C'est-à-dire,
ils les ont comprises et retenues, car on revoit véritablement la parole
lorsqu'on la comprend intérieurement : « Et ils ont reconnu véritablement que
je suis sorti de vous. » Et pour ne pas donner à penser que cette connaissance
était déjà le fruit de la claire vision, et non de la foi, il explique quelle
est cette connaissance, en ajoutant : « Et ils ont cru (sous-entendez
véritablement) que vous m'avez envoyé. » Ils ont donc cru véritablement ce
qu'ils ont reconnu véritablement. Car ces paroles : « Je suis sorti de vous, »
ont la même signification que ces autres : « Vous m'avez envoyé. » Il ne faut
pas entendre ce que le Sauveur dit ici : « Ils ont cru, en vérité, » dans le
même sens que ce qu'il a dit précédemment à ses disciples : « Vous croyez
maintenant, l'heure est venue où vous serez dispersés chacun de votre côté ; »
mais ils ont cru en vérité, c'est-à-dire comme il faut croire, d'une foi ferme,
inébranlable, forte, persévérante, qui devait les empêcher de s'enfuir chacun chez
eux, et d'abandonner Jésus-Christ. Les disciples n'étaient donc pas encore tels
que le Sauveur les représente, en employant le passé pour le futur, et en
prédisant l'admirable changement que le Saint-Esprit devait opérer en eux. Il
est facile d'expliquer comment le Père a donné ces paroles à son Fils, si l'on
entend qu'il les a reçues du Père comme Fils de l'homme, si l'on entend, au
contraire, qu'il a reçu ces paroles du Père comme Fils unique, il faut éloigner
toutes idée de temps, et se garder de croire que le Fils de Dieu ait pu exister
un seul instant sans que son Père lui ait donné ces paroles ; car tout ce que
le Père a donné au Fils, il le lui a donné en l'engendrant.
S. CHRYS. (hom. 81 sur S. Jean.) Tant de paroles consolantes, que le Seigneur avait
prodiguées à ses disciples, n'avaient pu encore pénétrer leurs cœurs ; il
s'adresse donc pour eux à son Père, afin de leur montrer la grandeur de son
amour. « C'est pour eux que je vous prie, » c'est-à-dire je ne me contente pas
de leur donner tout ce que j'ai, je me rends encore leur intercesseur près d'un
autre, pour leur témoigner un plus grand amour. — S. AUG. (Traité 107 sur S. Jean.) Ce monde, dont le Sauveur
ajoute : « Je ne prie point pour le monde, » ce sont ceux qui suivent dans
leur vie la concupiscence du monde, et qui ne sont point compris dans les
décrets de la grâce pour être choisis par lui du milieu du monde. Ce sont ces
discrets auxquels le Sauveur fait allusion par ces paroles : « Mais je prie
pour ceux que vous m'avez donnés. » Par là même, en effet, que son Père les lui
a donnés, ils n'appartiennent plus à ce monde pour lequel il ne prie point. Ne
croyons pas, du reste, que parce que le Père les a donnés à son Fils, il ait
perdu ceux qu'il a donnés ; aussi ajoute-t-il : « Parce qu'ils sont à
vous. » — S. CHRYS. Nôtre-Seigneur
répète souvent ces paroles : « Vous me les avez donnés, » pour bien
convaincre ses disciples que telle était bien la volonté de son Père, qu'il
n'est point venu comme un étranger pour les tromper, mais qu'il les a revus
comme étant à lui. Loin de nous encore la pensée que son pouvoir sur eux est un
pouvoir nouveau, et que c'est récemment que son Père les lui a donnés, car il
ajoute : « Et tout ce qui est à moi est à vous, et tout ce qui est à vous est à
moi. » Que personne donc ne croie, parce que mon Père me les a donnés, qu'ils
soient devenus étrangers à mon Père, car tout ce qui est à moi est à lui ; ni
qu'ils m'étaient étrangers à moi-même, parce qu'ils m'ont été donnés, car ce
qui est à lui est à moi.
S. AUG. Nous voyons assez clairement ici comment
tout ce qui est au Père est aussi au Fils unique ; c'est parce qu'il est Dieu
lui-même, qu'il est né du Père, et qu'il est égal au Père. Ce n'est donc point
dans le même sens que le père de l'enfant prodigue disait à l'aîné de ses fils
: « Tout ce que j'ai est à vous ; » (Lc
15, 31) car ces paroles doivent s'entendre de tous les biens créés qui sont
au-dessous de la créature raisonnable. Les paroles du Sauveur, au contraire,
comprennent la créature raisonnable elle-même qui ne peut être soumise qu'à
Dieu. Comme elle appartient à Dieu le Père, elle ne pourrait appartenir en même
temps au Fils qu'autant qu'il serait égal au Père ; car on ne peut sans crime
assujettir les saints, dont il parle ici, à un autre qu'à celui qui les a
créés, qui les a sanctifiés. Mais lorsqu'on parlant de l'Esprit saint le
Sauveur dit aussi : « Tout ce qu'a mon Père est à moi, » il entend les
perfections qui sont de l'essence même de la divinité du Père, car ce n'est
point d'une créature soumise au Père et au Fils que le Saint-Esprit aurait pu
recevoir ce que le Sauveur exprime en ces termes : « Il recevra de ce qui est à
moi. »
S. CHRYS. Nôtre-Seigneur donne la preuve de ce qu'il
vient d'avancer : « Et j'ai été glorifié en eux. » La preuve, en effet, qu'ils
sont sous ma puissance, c'est qu'ils me glorifient en croyant en moi et en
vous, car personne ne peut être glorifié en ceux qui ne seraient point soumis à
sa puissance. — S. AUG. En leur
représentant cette glorification comme un fait accompli, il leur fait voir
qu'elle entrait dans les desseins de la prédestination divine, et il voulait
qu'on regardât comme certain ce qui devait nécessairement arriver. Cependant il
nous faut examiner s'il s'agit ici de cette glorification dont le Sauveur a dit
plus haut : « Et maintenant, mon Père, glorifiez-moi en vous ; » car s'il a été
glorifié dans son Père, comment l'a-t-il été dans ses disciples ? Est-ce
lorsqu'il s'est manifesté aux apôtres, et par eux à tous ceux qui ont cru à
leur témoignage ? Nôtre-Seigneur ajoute, en effet : « Et déjà je ne suis plus
dans le monde, et eux sont dans le monde. » — S. CHRYS. C'est-à-dire, alors même que je ne serai plus présent
sous une forme sensible, je serai glorifié dans la personne de ceux qui donnent
leur vie pour moi, comme pour mon Père, et qui me font connaître par leurs
prédications, comme ils font connaître mon Père. — S. AUG. Si vous ne considérez que le moment où le Sauveur
parlait de la sorte, ses apôtres et lui étaient encore dans le monde. Nous ne
pouvons pas entendre ces paroles : « Déjà je ne suis plus dans le monde, » du
détachement du cœur et du progrès de l'âme dans la vie divine ; car, peut-on
admettre que Jésus ait jamais eu de l'affection pour les choses du monde ? Il
ne reste donc plus qu'un sens possible à ces paroles, c'est que Notre-Seigneur
affirme qu'il n'est plus présent dans le monde corporellement comme il l'était
auparavant. Est-ce que nous ne disons pas tous les jours, d'un homme qui est
sur le point de partir, et surtout de celui qui va mourir : Il n'est plus ici ?
Jésus explique d'ailleurs le sens de ces paroles, en ajoutant : « Et je vais à
vous. » Il recommande donc à son Père ceux qu'il allait priver de sa présence
corporelle : « Père saint, lui dit-il, conservez dans votre nom ceux que vous
m'avez donnés ; » c'est-à-dire qu'il prie Dieu en tant qu'homme, pour les
disciples que Dieu lui a donnés. Mais pesez bien les paroles qui suivent : «
Afin qu'ils soient un comme nous. » Il ne dit pas : Afin qu'eux et nous, nous
soyons un, comme nous sommes un nous-mêmes ; mais qu'ils soient un dans leur
nature, comme nous sommes un nous-mêmes dans notre nature. En effet, comme en
Jésus-Christ Dieu et l'homme ne font qu'une seule et même personne, nous
comprenons qu'il est homme, parce qu'il prie, nous comprenons qu'il est Dieu,
parce qu'il ne lait qu'un avec celui qu'il prie. — S. AUG. (De la Trin., 4, 8.) Nôtre-Seigneur, comme chef de l'Eglise, qui
est son corps, aurait pu dire : Eux et moi, nous sommes non pas une seule
chose, mais un seul être, car la tête et le corps ne font qu'un en
Jésus-Christ. Mais on nous montrant sa consubstantialité divine avec son Père,
il veut que nous soyons un en Jésus-Christ, non-seulement dans cette nature qui
nous est commune, dans laquelle nous voyons des hommes mortels s'élever à une
glorieuse égalité avec les anges, mais qu'ils soient un comme nous, par les
sentiments d'un amour réciproque, qui les fonde en un seul esprit dans les
ardeurs du feu de la charité, et les
fasse tendre au même bonheur par les efforts d'une volonté unanime. Voilà ce
que signifient ces paroles : « Afin qu'ils soient un comme nous sommes un,
» c'est-à-dire, de même que le Père et le Fils sont un, non-seulement dans une
même et simple nature individuelle, mais dans l'unité d'une même volonté ;
ainsi ceux qui ont le Fils pour médiateur entre bien et eux, doivent aussi être
un, non-seulement par la communauté d'une même nature, mais par l'union d'une
même charité.
S. CHRYS. Nôtre-Seigneur
parle ici de nouveau comme homme : « Pendant que j'étais avec eux, je les
conservais en votre nom ; » c'est-à-dire par votre puissance ; il parle ici, je
le répète, d'une manière humaine, en rapport avec les dispositions d'esprit de
ses disciples, qui croyaient que la présence corporelle leur était de la plus
grande utilité. — S. AUG. (Traité 107 sur S. Jean.) Le Fils de Dieu, fait homme conservait les disciples
au nom de son Père, lorsqu'il était présent corporellement au milieu d'eux ;
mais alors même le Père conservait au nom du Fils ceux dont il exauçait les
prières qui lui étaient faites au nom du Fils. Il ne faut point prendre ces
paroles dans ce sens matériel, que le Père et le Fils gardent tour à tour les
disciples, car le Père, le Fils et le Saint-Esprit nous environnent ensemble
d'une égale protection ; mais la sainte Ecriture ne peut nous être utile qu'en
descendant jusqu'à nous. Comprenons donc qu'en s'exprimant ainsi,
Notre-Seigneur établit la distinction des personnes divines, mais non la
séparation dans la nature. Lors donc, que le Fils gardait ses disciples par sa
présence corporelle, le Père n'attendait pas, pour les garder lui-même, que son
Fils cessât de remplir cet office, mais tous deux les conservaient en les
couvrant de leur puissance divine. Et quand le Fils les priva de sa présence
corporelle, il continua de les garder spirituellement avec son Père. Car en les
recevant comme homme des mains de son Père, il ne les a pas soustraits à la
garde du Père ; et le Père, en les confiant à la garde de son Fils, ne les a
point donnés sans le concours de celui-là même qui les a reçus ; car il les a
donnés à son Fils fait homme, mais conjointement avec ce même Fils, Dieu comme
lui. « J'ai gardé ceux que vous m'avez donnés, et aucun d'eux n'a péri, si ce
n'est l'enfant de perdition, » (c'est-à-dire le traître disciple prédestiné à
la perdition), afin que l'Ecriture fût accomplie, c'est-à-dire la prophétie qui
a pour objet le perfide Judas (surtout dans le Psaume 108).
S. CHRYS. Il
fut le seul qui périt alors, mais un grand nombre l'imitèrent dans la suite.
Nôtre-Seigneur dit : « Aucun d'eux n'a péri, autant qu'il dépendait de moi, »
c'est ce qu'il exprime plus clairement ailleurs, lorsqu'il dit : « Je ne
jetterai pas dehors celui qui vient a moi. » (Jn 10) Mais s'ils veulent sortir d'eux-mêmes, je ne veux pas les
retenir de vive force et malgré eux : « Et maintenant je viens à vous. » Mais,
pourrait-on lui dire, ne pouvez-vous donc pas les conserver tout en vous
éloignant d'eux ? Il le peut sans doute, mais il leur explique pourquoi il
parle ainsi : « Et je dis ces choses étant dans le monde, afin qu'ils aient en
eux la plénitude de ma joie, » c'est-à-dire, afin qu'ils ne se laissent point
aller au trouble naturel à leurs dispositions encore imparfaites. Il leur fait
voir ainsi que c'est pour leur procurer le repos de la joie intérieure qu'il
tient ce langage. — S. AUG. Le
Sauveur a déjà expliqué plus haut quelle est cette joie dont il dit ici :
« Afin qu'ils aient en eux la plénitude de ma joie, » lorsqu'il a dit : «
Qu'ils soient un comme nous sommes un. » Cette joie qui est la sienne
(c'est-à-dire, qu'il leur a donnée), il leur en prédit l'accomplissement
parfait dans leurs cœurs, et c'est pour cela qu'il a dit ces choses étant dans
le monde. Cette joie, c'est la paix et la félicité de la vie future. Jésus qui
avait dit précédemment qu'il n'était plus dans le monde, nous déclare
maintenant qu'il dit ces choses étant dans le monde, il y était encore, parce
qu'il n'était pas encore sorti du monde, et il n'y était plus dans un autre
sens, parce qu'il devait bientôt le quitter.
S. CHRYS. (hom. 82 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur donne une seconde raison qui rend ses
disciples dignes de la protection toute spéciale de son Père : « Je leur ai
donné votre parole, et le monde les a eus en haine, » etc., c'est-à-dire, ils ont été un objet de haine à
cause de vous et à cause de votre parole. — S. AUG. Ils n'avaient pas encore
éprouvé cette haine par les persécutions auxquelles ils furent en butte dans la
suite, mais le Sauveur, suivant sa coutume, annonce les événements qui doivent
avoir lieu, en termes qui semblent signifier qu'ils sont déjà arrivés. Il fait
connaître ensuite la cause de la haine du monde contre eux : « Parce qu'ils ne
sont pas du monde. » C'est par la régénération que cette grâce de séparation
leur a été donnée ; car par leur naissance naturelle, ils étaient du monde.
Dieu leur a donné de n'être plus du monde, comme lui-même n'est plus du monde :
« Comme moi-même, ajoute-t-il, je ne suis point du monde. » Le Sauveur n'a
jamais été du monde, car même dans sa nature de serviteur, il est né de
l'Esprit saint, qui a été le principe de la régénération des autres. Cependant
bien qu'ils ne fussent plus du monde, il était nécessaire qu'ils restassent
encore dans le monde ; aussi Nôtre-Seigneur ajoute : « Je ne demande pas que
vous les ôtiez du monde. » — BEDE. C'est-à-dire,
le temps approche où je disparaîtrai du monde, il est donc nécessaire qu'ils
n'en soient pas enlevés eux-mêmes : « Mais je vous prie de les sauver du
mal. » Quoiqu'on puisse l'entendre de toute sorte de mal, Nôtre-Seigneur a
surtout en vue le mal qui doit résulter de son éloignement. — S. AUG. Il répète
la même pensée qu'il vient d'exprimer : « Ils ne sont pas du monde, comme
moi-même je ne suis pas du monde. — S. CHRYS.
(hom. 83 sur S. Jean.) Pourquoi donc a-t-il dit précédemment : « Que vous
m'avez donnés du monde ? » Il parlait alors de la nature, et sous rapport ils
étaient du monde, tandis qu'ici il veut parler des actions mauvaises. Sous ce
rapport, ils ne sont point du monde, parce qu'ils n'ont rien de commun avec la
terre, et qu'ils sont par avance citoyens des cieux ; il leur montre ainsi son
amour pour eux on faisant leur éloge à son Père. Lorsqu'on parlant de son Père
et de lui, il emploie la particule comme,
il veut exprimer l'égalité absolue qui résulte de l'unité de nature, mais
lorsqu'il emploie ce même mot on parlant de nous et de lui, il laisse une
grande distance entre les deux termes de comparaison. La prière qu'il adresse
précédemment à son Père : « Sauvez-les du mal, » a pour objet de leur
obtenir, non-seulement d'être délivrés de tous les dangers, mais aussi la
persévérance dans la foi, c'est pour cela qu'il ajoute : « Sanctifiez-les dans
la vérité. » — S. AUG. Car c'est ainsi qu'ils sont sauvés de tout mal, ce qui
vient de faire l'objet de sa prière. On peut demander comment ils n'étaient
plus du monde, s'ils n'étaient pas encore sanctifiés dans la vérité ; est-ce
parce que tout sanctifiés qu'ils sont, ils font des progrès dans cette même
sainteté avec le secours de la grâce de Dieu ? Ces héritiers du Nouveau
Testament sont sanctifiés dans la vérité, vérité dont les sanctifications
légales de l'Ancien Testament n'étaient que l'ombre, et lorsqu'ils sont
sanctifiés dans la vérité, ils sont sanctifiés en Jésus-Christ, qui a dit : «
Je suis la voie, la vérité et la vie. » (Jn
14) Aussi le Sauveur ajoute : « Votre parole est vérité, le texte de
l'Evangile grec porte λόγος, c'est-à-dire, le Verbe.
Le Père a donc sanctifié dans la vérité (c'est-à-dire, dans son Verbe unique),
ses héritiers et ses cohéritiers.
S. CHRYS. Ou
bien encore : « Sanctifiez-les dans la vérité, » c'est-à-dire, sanctifiez-les
en leur donnant l'Esprit saint, et la saine doctrine, car la saine doctrine sur
Dieu contribue à la sanctification de l'âme, et comme preuve qu'il est ici
question de doctrine, il ajoute : « Votre parole est vérité, c'est-à-dire, elle
ne renferme point de mensonge, il n'y a rien en elle de simplement figuratif ou
de corporel. Cette prière : « Sanctifiez-les dans la vérité, » a encore, ce me
semble, une autre signification, c'est-à-dire, séparez-les pour le ministère de
la parole et de la prédication. Aussi ajoute-t-il : « Comme vous m'avez envoyé
dans le monde, je les ai envoyés moi-même. » — LA GLOSE. Les Apôtres ont été envoyés pour remplir la même
mission que Jésus-Christ, voilà pourquoi saint Paul dit : « Dieu était dans le
Christ, se réconciliant le monde, et il a placé en nous la parole de
réconciliation. » (2 Co 5, 19.)
L'expression comme n'a pas la même
signification pour lui et pour les Apôtres, elle n'établit la parité qu'autant
qu'elle est possible en parlant du Fils de Dieu et des hommes. Nôtre-Seigneur
dit qu'il les a envoyés dans le monde, en employant, selon sa coutume le passé,
pour le futur.
S. AUG. Nous
avons ici eu une preuve évidente que le Sauveur veut parler des apôtres ; car
le nom d'apôtres, qui vient du grec, veut dire en latin, envoyés. Or, comme ils sont les membres du corps de l'Eglise, dont
Jésus-Christ est le chef, il continue ainsi sa prière : « Et je me sanctifie
moi-même pour eux, » c'est-à-dire je les sanctifie en moi-même, puisqu'ils font
partie du corps dont je suis le chef. Et pour nous faire mieux comprendre que
ces paroles : « Je me sanctifie moi-même pour eux, » veulent dire qu'il
les sanctifie en lui-même, il ajoute : « Afin qu'ils soient eux-mêmes
sanctifiés en vérité, » c'est-à-dire en moi, puisque le Verbe est la vérité ;
c'est dans ce Verbe que le Fils de l'homme a été sanctifié dès le commencement
de son existence, lorsque le Verbe s'est fait chair. Il s'est alors sanctifié
lui-même en lui-même, c'est-à-dire qu'il s'est sanctifié comme homme en
lui-même, comme Verbe, parce que le Verbe et l'homme ne font qu'un seul Christ.
Et c'est à cause de ses membres qu'il ajoute : « Et je me sanctifie
moi-même pour eux, » (c'est-à-dire je les sanctifie eux-mêmes eu moi, parce
qu'ils ne font qu'un avec moi), afin qu'ils soient eux-mêmes sanctifiés en
vérité. Que signifie cette expression : « Eux-mêmes ? » c'est-à-dire comme
moi, et dans la vérité, qui n'est autre que moi-même. — S. CHRYS. Ou bien encore : « Je me
sanctifie moi-même pour eux ; » c'est-à-dire, je m'offre à vous comme victime ;
car toutes les victimes sont saintes, aussi bien que tout ce qui est consacré à
Dieu. Sous l'ancienne loi, cette sanctification n'existait qu'en figure (comme
par exemple dans les brebis qu'on immolait), mais maintenant elle existe dans
la vérité, c'est pour cela qu'il ajoute : « Afin qu'ils soient sanctifiés
en vérité ; » car je veux aussi vous les offrir on sacrifice. Il s'exprime de
la sorte, ou parce que lui, qui s'offre, est notre chef, ou parce qu'ils sont
eux-mêmes appelés à s'immoler comme victimes : « Offrez vos corps, dit
l'Apôtre, comme une hostie vivante, sainte, et agréable à ses yeux, » etc. (Rm 13, 1)
S. AUG. (
Traité 109 sur S. Jean.) Après avoir prié pour ses disciples, auxquels il
avait donné le nom d'apôtres, il comprend aussi dans sa prière tous les autres
qui dévoient croire en lui : « Je ne prie pas pour eux
seulement, mais encore pour ceux qui, par leur parole, doivent croire en moi. »
— S. CHRYS. ( hom. 82 sur S. Jean.) Il donne en même temps un
nouveau motif de consolation, en leur apprenant qu'ils seront eux-mêmes la
cause du salut d'un grand nombre d'autres : « Mais encore pour ceux qui, par
leur parole, doivent croire en mon nom. » — S. AUG. Le Sauveur comprend ici tous ses élus, ceux qui vivaient
alors, et aussi ceux qui devaient exister dans la suite, et non-seulement qui
ont entendu les prédications des apôtres lorsqu'ils étaient encore sur la
terre, mais encore tous ceux qui ne sont venus qu'après leur mort, et
nous-mêmes, qui sommes nés si longtemps après; mais qui avons été amenés à la
foi en Jésus-Christ par la parole des Apôtres, en effet, les apôtres, qui
vivaient avec Jésus-Christ, ont annoncé aux autres ce qu'ils avaient appris de
lui, et c'est ainsi que leur parole est parvenue jusqu'à nous, et qu'elle
parviendra à tous ceux qui, dans la suite, doivent croire, en lui. Il peut
sembler, au premier abord, qu'il n'a point compris dans sa prière quelques-uns
des siens, ceux par exemple qui n'étaient pas alors avec, lui, qui n'ont pas
cru par la parole des apôtres, mais qui avaient cru en Jésus-Christ bien
auparavant. En effet, Nathanaël, Joseph d'Arimathie, et un grand nombre
d'autres, dont saint Jean dit qu'ils crurent en Jésus-Christ, n'étaient pas
alors avec lui. Je ne parle pas du vieillard Siméon, de la prophétesse Anne, de
Zacharie, d'Elisabeth, du saint Précurseur, parce qu'on pourrait me répondre
qu'il n'était pas besoin de prier pour ces saints personnages, qui étaient
sortis de cette vie avec de grands mérites, ce que l'on peut dire également de
tous les anciens justes. Quant aux premiers, il faut admettre que leur foi en
Jésus-Christ n'était pas encore aussi parfaite qu'il la voulait. Ce ne fut
qu'après sa résurrection, lorsque l'Esprit saint eut éclairé l'ignorance et
fortifié la faiblesse des apôtres, que la foi des autres atteignit toute sa
perfection. Mais la difficulté existe encore pour l'apôtre saint Paul, qui
déclare qu'il a été fait apôtre non de la part des hommes, ni par un homme, et
le bon larron, qui crut en Jésus-Christ, alors qu'on vit défaillir, dans les
docteurs, leur foi, encore si imparfaite. La seule solution que nous puissions
donner, c'est de dire que la parole des apôtres c'est la parole de foi qu'ils
ont prêchée dans le monde. Notre-Seigneur l'appelle leur parole, parce qu'ils
en ont été les premiers et les principaux organes, car depuis longtemps ils
l'annonçaient par toute la terre, quand Paul la reçut lui-même par une
révélation particulière de Jésus-Christ, et c'est encore cette même parole qui
était le fondement de la foi du bon larron. Notre divin Rédempteur a donc
compris dans sa prière tous ceux qu'il a rachetés, ceux qui vivaient alors
comme ceux qui ne devaient exister que dans la suite. —(Traité 112) Quel était l'objet ou le motif de cette prière ? Le
voici : « Afin que tous ils soient un. » Il demande ici pour tous ce qu'il a
demandé précédemment pour ses apôtres, afin que nous tous, c'est-à-dire eux et
nous, nous soyons un. — S. CHRYS. Nôtre-Seigneur termine son discours par des
vœux d'unité, c'est-à-dire comme il l'avait commencé lorsqu'il disait :
« Je vous donne un commandement nouveau, c'est de vous aimer les uns les
autres. »
S. HIL. (de la
Trin., 8) Il explique, plus distinctement ce qu'il a dit de cette unité, en
lui donnant pour exemple, le plus sublime modèle d'unité : « Comme vous, mon
Père, êtes un en moi, et moi en vous, qu'eux aussi soient un en nous ; »
c'est-à-dire, que de même le Père est dans le Fils, et le Fils dans le Père,
nous devons, à leur exemple, être un dans le Père et le Fils. — S. CHRYS. Cette expression comme ne signifie pas ici une
ressemblance exacte et parfaite elle doit être prise en tenant compte de la
distance qui existe entre les hommes et Dieu, comme lorsque le Sauveur nous
dit, dans un autre endroit : « Soyez miséricordieux comme votre Père céleste
est miséricordieux. » (Lc 6, 36)
S. AUG. Il est très-important de remarquer ici que
Nôtre-Seigneur n'a pas dit : Afin que tous nous soyons un, mais : « Afin qu'ils
soient un, comme vous, mon Père, vous êtes en moi, et moi en vous. »
Sous-entendu : « Nous sommes un. » Le Père est, en effet, dans le Fils, et le
Fils dans le Père, de manière à ne faire qu'un, parce qu'ils n'ont qu'une seule
et même nature. Quant à nous, nous pouvons bien être un en eux, mais nous ne
pouvons pas être un avec eux, parce que nous n'avons pas avec eux une même
nature. Ils sont donc en nous, et nous en eux, de manière à ne faire qu'un dans
leur nature, comme nous ne faisons qu'un dans la nôtre ; car le Père et le Fils
sont en nous comme Dieu est dans son temple, et nous sommes en eux comme la
créature est dans le Créateur. Il ajoute : « En nous, » pour nous faire
bien comprendre que cette unité, que produit la charité parfaite, doit être
attribuée à la grâce de Dieu comme à son principe.— S. AUG. (de la Trin., 4,
9) Ou bien il parle ainsi, parce que les hommes ne peuvent être un en
eux-mêmes, séparés qu'ils sont par diverses passions, par la cupidité, par les
souillures qui, dans leurs péchés, couvrent leur âme. Il demande donc qu'ils
soient purifiés par le Médiateur, afin qu'ils puissent être un on lui. — S. HIL. (de la Trin., 8) Les hérétiques font tous leurs efforts pour nous induire
en erreur, en nous persuadant que ces paroles : « Mon Père et moi, ne sommes
qu'un, » ne signifient pas l'unité parfaite de nature, et l'identité de
substance divine dans le Père et le Fils, mais une simple union, qui résulte de
leur amour mutuel et du parfait accord de leurs volontés ; et ils appuient leur
opinion sur ce terme de comparaison pris par Nôtre-Seigneur lui-même : « Afin
qu'ils soient tous un, comme nous sommes un nous-mêmes. » Mais malgré les
efforts de l'impiété pour détourner le sens véritable de ces paroles, ce sens
n'en reste pas moins le seul qu'on puisse admettre. — Si, en effet, les hommes,
par la grâce de la régénération prennent, comme une nouvelle nature, qui leur
communique une même vie, une même éternité, on ne peut plus dire qu'ils ne sont
un que par la communauté des mêmes sentiments, puisqu'ils le sont par la
communauté de la même nature régénérée. — Mais au Père et au Fils seuls il
appartient d'être un, en vertu de leur nature ; parce qu'un Dieu qui naît d'un
Dieu comme son Fils unique, ne peut exister qu'en recevant une seule et même
nature de celui qui l'a engendré.
S. AUG. (Traité
110 sur S. Jean.) Mais que
signifient ces paroles qu'il ajoute : « Afin que le monde croie que vous m'avez
envoyé ? » Est-ce que le monde embrassera la foi, lorsque tous nous ne ferons
plus qu'un avec le Père et le Fils ? Est-ce que cette union parfaite n'est pas
cette paix perpétuelle, qui est plutôt la récompense de la foi que la foi
elle-même ? Dans cette vie, bien que tous nous soyons un, par les liens d'une
même foi, cependant celte unité est bien plutôt l'effet que la cause de notre
foi. Que veut-il donc dire par ces paroles : « Qu'ils soient tous un, afin que
le monde croie ? » Car ils forment eux-mêmes le monde qui doit croire, et c'est
d'eux qu'il a dit : « Je ne prie pas pour eux seulement, mais pour ceux qui,
par leur parole, doivent croire en moi. » Comment donc devons-nous entendre ces
paroles : « Qu'ils soient un en nous, afin que le monde croie que vous m'avez envoyé ? » Le Sauveur ne veut pas dire
que leur parfaite unité sera la cause pour laquelle le monde embrassera la foi
; mais c'est une prière qu'il fait à Dieu : « Que le monde croie, » comme
lorsqu'il dit : « Qu'ils soient un. » Et si
nous suppléons partout le mot : « Je demande, » le sens de cette
proposition sera des plus clairs : Je demande que tous ils ne soient qu'un : Je
demande qu'ils soient tous un en nous : Je demande que le monde croie que vous
m'avez envoyé. — S. HIL. (de la Trin., 4)
Ou bien le monde doit croire que le Fils a été envoyé par le Père, parce que
tous ceux qui doivent croire en lui seront un dans le Fils et dans le Père. —
S. CHRYS. Rien n'est plus
scandaleux, en effet, que la division entre les chrétiens ; tandis que l'union
parfaite entre ceux qui ont une même foi, est un sujet d'édification, et un
motif de foi pour ceux qui ne croient point. C'est ce que le Sauveur avait dit
dès le commencement : « Tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si
vous avez de la charité les uns pour les autres ; » si la division règne parmi
eux, on ne les reconnaîtra plus pour les disciples d'un Maître pacifique ; et
si je ne suis point moi-même ami de la paix, ils ne reconnaîtront point que
vous m'avez envoyé.
S. AUG. Notre-Seigneur
qui, en priant son Père, venait de donner une preuve de son humanité, prouve
maintenant qu'il est Dieu comme son Père, et qu'il peut accorder lui-même ce
qu'il demande : « Et je leur ai donné la gloire que vous m'avez donnée, » etc.
Quelle est cette gloire ? C'est l'immortalité, que la nature humaine devait
recevoir dans la personne de Jésus-Christ ; car en vertu des décrets immuables
de la prédestination, il se sert du temps passé pour annoncer les événements
futurs. Mais cette gloire de l'immortalité, qu'il déclare lui avoir été donnée
par son Père, il faut entendre qu'il se l'est aussi donnée à lui-même ; car
toutes les fois que le Fils parle d'une œuvre du Père sans s'y associer
lui-même, il fait acte d'humilité ; et lorsqu'en parlant de ses propres œuvres
il n'y comprend pas le Père, il veut établir l'égalité qui règne entre lui et
son Père. D'après cette règle, il ne se met pas ici en dehors des œuvres du
Père, en disant : « La gloire que vous m’avez donnée, » et ne présente pas non
plus son Père comme étranger à son action, bien qu'il déclare que c'est
lui-même qui donne cette gloire. Or, de même qu'en priant son Père pour tons
les siens, son dessein a été que « tous fussent un ; » ainsi, en disant : « Je
leur ai donné la gloire que vous m'avez donnée, » il a voulu que cette unité
parfaite fût un effet de sa grâce, car il ajoute aussitôt : « Afin qu'ils
soient un en nous, comme nous sommes un. » — S. CHRYS. Ou bien, par cette gloire, il entend la gloire qui
vient des miracles et de la doctrine, et qui doit avoir pour fin la parfaite
union entre eux : « Afin qu'ils soient un en nous, comme nous sommes
un. » Car cette gloire, d'être aussi parfaitement unis, est plus grande
que la gloire qui vient des miracles. En effet,
tous ceux qui ont cru par la prédication des apôtres, sont un, et si la
division a régné parmi quelques-uns d'entre eux, ils ne doivent l'imputer qu'à
leur négligence, ce que Nôtre-Seigneur n'a pu ignorer.
S. HIL. (de la Trin., 8) Tous les fidèles sont donc un, par le moyen de cette gloire, tour
à tour reçue et donnée ; mais je ne comprends pas encore comment cette gloire a
été la cause de cette unité parfaite entre tous les fidèles. Notre-Seigneur a
voulu établir en quelque sorte les degrés et l'ordre par lesquels ou peut
arriver à cette unité consommée, lorsqu'il dit : « Qu'ils soient un en nous, »
c'est-à-dire, que notre divin Médiateur nous enseigne l'unité parfaite, parce
qu'il est en son Père par sa nature divine, ce que nous sommes en lui par suite
de son incarnation et de sa naissance corporelle, et qu'il est encore en nous
par le mystère de son sacrement. — S. CHRYS.
Dans un autre endroit, il dit de lui et de son Père : « Nous viendrons à
lui, et nous ferons en lui notre demeure, » (Jn
14) et il ferme ainsi la bouche aux Sabelliens, par la distinction qu'il
fait des deux personnes ; en même temps qu'il détruit l'erreur des Ariens, en
affirmant que son Père ne vient point par lui dans ses disciples, mais qu'il
vient lui-même en eux avec son Père.
S. AUG. Cependant
il ne veut pas dire que le Père n'est pas en nous, ou que nous ne sommes pas
dans le Père ; le Sauveur a voulu simplement marquer en peu de mots l'office de
médiateur qu'il remplit entre Dieu et les hommes. Il ajoute : « Afin
qu'ils soient consommés dans l'unité ; » et il nous montre ainsi que la réconciliation
qui a lieu par ce divin Médiateur, nous conduit à la jouissance de la félicité
parfaite. Aussi, je ne crois pas qu'on doive entendre les paroles qui suivent :
« Afin que le monde connaisse que vous m'avez envoyé, » dans le même sens que
s'il disait, comme précédemment : « Afin que le monde croie ; » car, tant que
nous croyons ce que nous ne voyons pas, nous ne sommes pas encore consommés
dans l'unité comme nous le serons lorsque nous mériterons de voir ce qui fait
ici-bas l'objet de notre foi. La connaissance qui sera le fruit de cette
consommation n'est donc plus celle que donne la foi, mais celle que produira la
claire vue, et les croyants dont parle ici le Sauveur, c'est le monde lui-même,
qui d'ennemi qu'il était est devenu l'ami de Dieu. C'est pour cela que
Nôtre-Seigneur ajoute : « Et que vous les avez aimés comme vous m'avez aimé. »
En effet, c'est dans son Fils que le Père nous aime, parce que c'est en lui
qu'il nous a choisis. Mais nous ne sommes pas pour cela les égaux du Fils
unique ; car cette locution : De même
que, ainsi, n'expriment pas toujours l'égalité, mais simplement : Telle
chose est, parce que telle autre chose est également. Ces paroles : « Vous
les avez aimés comme je vous ai aimé, » signifient donc : Vous les avez aimés
parce que vous m'avez aimé ; car, la seule raison pour laquelle le Père aime
les membres de son Fils, c'est l'amour qu'il a pour son Fils lui-même. Or, qui
pourrait dire combien ce Dieu, qui ne peut rien haïr de ce qu'il a fait, aime
les membres de son Fils unique, et combien plus encore il aime le Fils unique
lui-même ?
S. CHRYS. (hom.
82 sur S. Jean.) Après avoir
prédit qu'un grand nombre croiraient par le ministère, des Apôtres, et qu'ils
jouiraient d'une gloire extraordinaire, il les entretient de la couronne qui
leur est réservée : « Mon Père, je veux que, là où je suis, ceux que vous
m'avez donnés soient aussi avec moi. » — S. AUG. (Traité 110 sur S. Jean.) Il veut parler de ceux que
son Père lui a donnés, de ceux qu'il a choisis du milieu du monde, car comme il
le dit au commencement de sa prière : « Dieu lui a donné puissance sur toute
chair, c'est-à-dire, sur tous les hommes, pour leur donner la vie éternelle,
preuve évidente du pouvoir qu'il a reçu sur tout homme pour sauver ceux qu'il
veut et laisser qui il veut dans la damnation éternelle. Telle est donc la
récompense qu'il a promise à tous ses membres, c'est que là où il est, nous
serons avec lui. Or, il est impossible que le Père tout-puissant n'accomplisse
pas la volonté exprimée par son Fils tout-puissant (Traité 111) ; et notre piété doit croire sans difficulté ce que
notre faiblesse ne nous permet pas de comprendre que le Père et le Fils n'ont
qu'une seule et même volonté. A ne voir en Jésus-Christ que la nature humaine,
selon laquelle il est né de la race de David ; il a pu dire : « Là où je suis,
» en se considérant comme étant déjà là où il devait bientôt aller. Il nous
promet donc que nous serons un jour dans les cieux, car cette nature humaine
qu'il a prise dans le sein d'une Vierge, il l'a élevée jusque dans les cieux et
l'a placée à la droite de son Père. — S. GREG.
(Moral., 27, 8.) Mais alors que signifient ces
paroles que la vérité nous dit dans un autre endroit : « Personne n'est monté
au ciel que celui qui est descendu du ciel ? » Nous répondons que la vérité
n'est point eu contradiction avec elle-même, car le Seigneur étant le chef de
ses membres, il est seul avec nous après qu'il a rejeté loin de lui la
multitude des réprouvés, et puisque nous ne faisons plus qu'un avec lui, on peut
dire qu'il retourne seul en nous au ciel d'où il est descendu seul en lui-même.
S. AUG. (Traité 111 sur S. Jean.) Si nous considérons au contraire la nature divine
par laquelle il est égal à Dieu son Père, et que nous voulions comprendre à ce
point de vue le sens de ces paroles : « Là où je suis, je veux qu'ils soient
avec moi, » il nous faut éloigner de notre esprit toute image des choses
sensibles, et ne pas rechercher où est le Fils égal à son Père, parce qu'on ne
peut trouver un lieu où il ne soit pas. Remarquons encore que Nôtre-Seigneur ne
se contente pas de dire : « Je veux que là où je suis, ils y soient eux-mêmes ;
» mais il ajoute : « Avec moi. » En effet, être avec lui, c'est le plus grand
des biens, car si l'on peut être malheureux en étant là où il est, on est
nécessairement heureux lorsqu'on est avec lui. Ainsi, pour prendre un exemple
dans les choses sensibles, quoique d'un ordre bien différent, de même qu'un
aveugle qui se trouve là où brille la lumière, n'est cependant pas avec la
lumière, mais en est séparé même en présence de la lumière, ainsi, bien que
non-seulement l'infidèle, mais encore le fidèle ne puisse jamais être où n'est
pas le Christ, il n'est cependant pas avec le Christ contemplé dans sa nature.
Nul doute que le chrétien fidèle soit avec Jésus-Christ par la foi, mais le
Sauveur voulait parler ici de la claire vue qui nous le fera voir tel qu'il est
: c'est pour cela qu'il ajoute : « Afin qu'ils voient la gloire que vous m'avez
donnée. » Remarquez : « Afin qu'ils voient, » et non : Afin qu'ils croient
; c'est la récompense de la foi, et non la foi elle-même. — S. CHRYS. Il ne dit pas non plus : Afin
qu'ils entrent en participation de ma gloire, mais : « Afin qu'ils voient ma
gloire, » nous indiquant ainsi en termes couverts que le souverain repos
consiste dans les cieux à voir le Fils de Dieu. Or, le Père a donné cette
gloire à son Fils lorsqu'il l'a engendré.
S. AUG. Lors
donc que nous verrons la gloire que le Père a donnée à son Fils, quand même
nous entendrions ici, non pas la gloire que le P'ère donne à son Fils qui lui
est égal, en l'engendrant, mais celle qu'il a donnée à son Fils fait homme
après la mort de la croix ; lorsque nous verrons cette gloire du Fils, c'est
alors qu'aura lieu le jugement, et que l'impie disparaîtra pour ne pas être
témoin de la gloire du Seigneur. Quelle est cette gloire ? Celle qui lui est
propre comme Dieu. En admettant donc que c'est comme Fils de Dieu et Dieu
lui-même que le Sauveur dit : « Je veux que là où je suis ils y soient avec
moi, » nous serons alors dans le Père avec Jésus-Christ, qui après ces paroles
: « Afin qu'ils voient la gloire que vous m'avez donnée, » ajoute aussitôt : «
Parce que vous m'avez aimé avant la création du monde. » C'est en
Jésus-Christ, en effet, qu'il nous a aimés avant la création du monde, et c'est
alors qu'il a réglé dans sa prédestination ce qu'il devait accomplir à la fin
du monde. — BEDE. Il donne le nom de gloire à l'amour dont son Père l'a aimé
avant la création du monde, et c'est dans cette gloire qu'il nous aime
nous-mêmes avant l'établissement du monde.
THEOPHYL. Après avoir prié pour les
fidèles et leur avoir fait de si magnifiques promesses, Nôtre-Seigneur place
une considération pleine de piété et digne de la mansuétude dont il faisait
profession : « Père juste, le monde ne vous a pas connu, » c'est-à-dire, mon
désir eût été de voir tous les hommes en possession des biens que j'ai demandés
dans cette prière ; mais ils ne vous ont point connu, et ne pourront obtenir ni
la gloire, ni les couronnes que je leur ai promises. — S. CHRYS. Le langage du Sauveur paraît ici
empreint d'un profond sentiment de tristesse, de ce que les hommes n'ont point
voulu connaître l'auteur de toute bonté et de toute justice. Les Juifs sont
donc dans l'erreur quand ils prétendent vous connaître, et qu'ils me reprochent
à moi de ne point vous connaître ; c'est le contraire qui est vrai : Pour moi,
je vous ai connu, et ceux-ci ont connu que vous m'avez envoyé, et je leur ai
fait connaître votre nom et le leur ferai connaître, en leur donnant par
l'Esprit saint une connaissance parfaite. Or, quand ils auront appris ce que
vous êtes, ils sauront que je ne suis point séparé de vous, mais que vous
m'avez aimé d'un amour extraordinaire, que je suis votre propre Fils, et que je
vous suis uni par les liens les plus étroits. C'est ce que je leur ai enseigné,
afin que je demeure en eux, et c'est ainsi qu'ils conserveront infailliblement la
foi qu'ils ont en moi, et l'amour qui doit en être le fruit : « Afin que
l'amour dont vous m'avez aimé soit en eux. » Comme s'il disait : C'est l'amour
qu'ils auront pour moi, qui leur méritera que je demeure en eux.
S. AUG. Ou
bien encore : Qu'est-ce que la connaissance de Dieu, si ce n'est la vie
éternelle, qu'il n'a point donnée au monde réprouvé, mais au monde réconcilié ?
Le monde ne vous a donc point connu, parce que vous êtes juste, et qu'il a
mérité, que vous lui refusiez la grâce de vous connaître ; au contraire, le
monde réconcilié vous a connu, parce que vous êtes miséricordieux, et que ce
n'est point à ses mérites, mais à votre grâce qu'il doit de vous connaître. Il
ajoute : « Pour moi je vous ai connu. » En tant que Dieu, il est par nature la
source de la grâce, et en tant qu'homme, né du Saint-Esprit et de la vierge
Marie, il l'est devenu par une grâce ineffable. Enfin, comme la grâce de Dieu
nous est donnée par Jésus-Christ, il termine en disant : « Et ceux-ci
(c'est-à-dire, le monde réconcilié) ont connu, mais parce que vous m'avez
envoyé ; cette connaissance leur est donc venue par la grâce. Et je leur ai
fait connaître votre nom (par la foi), et je le leur ferai connaître (par la
claire vue), afin que l'amour dont vous m'avez aimé soit en eux. » L'Apôtre
s'est servi d'une locution semblable lorsqu'il a dit : « J'ai combattu un bon combat. » (1 Tm 1, 4.) Il ne dit
pas : J'ai combattu d'un bon combat, ce qui serait plus conforme au langage
ordinaire. Or, comment l'amour dont le Père a aimé le Fils est-il en nous, si
ce n'est parce que nous sommes ses membres, et que Dieu nous aime dans son
Fils, qu'il aime tout entier, c'est-à-dire, le chef et les membres, c'est pour
cela que le Sauveur ajoute : « Et moi en eux. » Il est, en
effet, en nous comme dans son temple, et nous sommes en lui en tant qu'il
est notre chef.
S. AUG. (Traité 112 sur S. Jean.) Le
discours que Nôtre-Seigneur avait adressé à ses disciples après la cène étant
terminé, ainsi que la prière qu'il avait faite à son Père, l'évangéliste saint
Jean commence ainsi le récit de sa passion : « Après ce discours, Jésus s'en
alla avec ses disciples au-delà du torrent de Cédron. » Ce ne fut pas
immédiatement après avoir achevé cette prière, mais après quelques autres faits
intermédiaires que saint Jean passe sous silence, et qui sont rapportés par les
autres évangélistes. — S. AUG. (De l'accord des Evang., 3, 3) Il s'éleva
en effet parmi eux une contestation, lequel d'entre eux devait être estimé le
plus grand, ainsi que le raconte saint Luc. Le Sauveur dit encore à Pierre,
comme l'ajoute encore le même évangéliste : « Voilà que Satan vous a demandé
pour vous cribler, comme le froment, » et les paroles qui suivent. (Lc 22,
31-38.) Et après avoir récité l'hymne de louange, suivant le récit de saint
Matthieu et de saint Marc., ils s'en allèrent à la montagne des Oliviers. La
liaison du récit de saint Matthieu se trouve donc ainsi établie avec celui de saint Jean :
« Alors Jésus vint avec eux à une maison de campagne, qui est appelée
Gethsémani , c'est le lieu dont parle ici saint Jean, et où il y avait un
jardin dans lequel il entra avec ses disciples.
S. AUG. Ces paroles : « Après qu'il eût dit ces
choses, » signifient donc simplement que le Sauveur n'est entré dans ce lieu
qu'après avoir terminé son discours. — S. CHRYS. (hom. 83 sur S.
Jean.) Mais pourquoi l'Evangéliste ne dit-il pas : Après avoir terminé sa
prière, il se rendit dans ce lieu ? Parce que celle prière était une
instruction à l'adresse de ses disciples. C'est pendant la nuit qu'il sort,
qu'il passe le torrent, et qu'il se hâte vers le lieu connu de son traître
disciple ; épargnant ainsi la fatigue à ses ennemis, et montrant à ses
disciples que sa mort est pleinement volontaire. — ALCUIN. L'Evangéliste dit :
« Au delà du torrent de Cédron, » c'est-à-dire des cèdres, le mot Cédron étant
comme le génitif grec du mot χέδρων. Il traverse
le torrent, parce que dans le chemin (c'est-à-dire dans le passage de cette
vie), il a bu de l'eau du torrent (de la passion). Il se rend dans un jardin,
pour expier le péché qui avait été commis dans un jardin, car le paradis signifie
jardin de délices.
S. CHRYS. Ne croyez pas qu'en se rendant dans ce
jardin, Jésus cherche à se dérober à ses ennemis, car, dit l'Evangéliste, «
Judas qui le trahissait, connaissait aussi ce lieu, parce que Jésus y venait
fréquemment avec ses disciples. » — S. AUG. C'est dans ce lien que le loup
couvert de la peau de brebis, et supporté au milieu du troupeau par un conseil
profond du père de famille apprit à dresser ses embûches au pasteur, et à
disperser pour un moment le troupeau. — S. CHRYS.
Jésus avait souvent réuni ses disciples à l'écart pour avoir avec eux
des entretiens nécessaires et particuliers que d'autres ne devaient pas
entendre, qui ne devaient pas être entendus des antres. Il se rend de
préférence pour cela sur les montagnes et dans les jardins, parce qu'il cherche
un endroit calme et tranquille pour que l'esprit de ses disciples ne soit
troublé par aucun sujet de distraction. Judas de son côté vient dans ce jardin,
parce que Jésus-Christ y passait très-souvent la nuit ; il n'eût pas manqué
d'aller chercher dans le Cénacle, s'il eût pensé que le Sauveur s'y livrait au
sommeil. — THEOPHYL. Judas savait
aussi qu'aux jours de fête, le Seigneur avait coutume d'adresser à ses
disciples des instructions plus relevées, et qu'il choisissait en jardin pour
ces entretiens mystérieux ; et comme c'était la grande solennité des Juifs,
Judas pensa que Jésus se trouvait dans ce lien et qu'il y enseignait à ses
disciples ce qui avait rapport à la célébration de la fête.
LA GLOSE. Après nous avoir expliqué
comment Judas put savoir le lieu où Jésus-Christ se trouvait, l'Evangéliste
raconte comment il s'y rendit : « Judas ayant donc pris une cohorte, et des
gens des pontifes et des pharisien, » etc. — S. AUG. (Traité 112 sur
S. Jean.) Cette cohorte était composée non de Juifs, mais de soldats
romains. Les ennemis de Jésus l'avaient demandée au gouverneur comme pour
s'emparer juridiquement du coupable, au nom de l'autorité légitime, et afin que
personne ne cherchât à le délivrer de leurs mains, quoiqu'il y eût d'ailleurs
une foule si nombreuse, et si bien armée, qu'elle fut capable d'effrayer et au
besoin de repousser celui qui oserait prendre la défense du Sauveur. — S.
CHRYS. (hom. 83 sur S. Jean.) Mais comment purent-ils entraîner
celle cohorte dans leurs desseins ? Parce qu'ils avaient affaire à des soldats
prêts à tout faire pour de l'argent. — THEOPHYL. Ils portent avec eux des
torches et des lanternes afin que Jésus-Christ ne pût leur échapper à la faveur
des ténèbres.
S. CHRYS. Bien souvent ils avaient envoyé des gens
pour se saisir de Jésus, sans qu'ils aient pu s'emparer de sa personne, preuve
évidente qu'il se livrait volontairement entre leurs mains. Aussi l'Evangéliste
ajoute : Mais Jésus sachant tout ce qui devait lui arriver, s'avança et leur
demanda : « Qui cherchez-vous ? » etc. — THEOPHYL.
Il leur fait cette question, non pour connaître leurs desseins,
puisqu'il savait parfaitement ce qui devait lui arriver, mais pour leur montrer
que tout présent qu'il était à leurs yeux, ils ne pouvaient ni le voir ni le distinguer :
« Ils lui répondirent : Jésus de Nazareth, Jésus leur dit ; c'est moi. » —
S. CHRYS. Il est au milieu d'eux,
et il frappe leurs yeux de cécité, et l'Evangéliste nous fait bien voir que ce
ne sont pas les ténèbres de la nuit qui les empêchèrent de reconnaître Jésus on
prenant soin de nous dire qu'ils avaient avec eux des torches et des lanternes.
Au défaut même de lumières, ils auraient dû le reconnaître à sa voix, et si
cette troupe ne connaissait pas Jésus, comment Judas qui avait continuellement
été avec lui pouvait-il ne pas le reconnaître ? Aussi l'Evangéliste fait-il
remarquer que Judas qui le trahissait, était aussi avec eux. Or, Jésus voulait
opérer ce prodige pour leur montrer que sans sa permission, non-seulement ils
ne pouvaient pas se saisir de sa personne, mais qu'ils ne pouvaient infime le
voir quoiqu'il fût présent au milieu d'eux. Lors donc qu'il leur eut dit :
C'est moi, ils furent renversés et tombèrent par terre. — S. AUG. Où est maintenant cette cohorte de
soldats ? où est ce déploiement terrible d'armes menaçantes ? Une seule parole,
sans qu'il fût besoin d'aucune autre arme, a suffi pour frapper, pour
repousser, pour jeter à terre cette troupe nombreuse dont la haine était si
ardente et l'appareil armé si effrayant. C'est que Dieu était caché dans ce
corps mortel, et le jour éternel était tellement voilé par la nature humaine,
que les ténèbres qui voulaient le mettre à mort étaient obligées de le chercher
avec des torches et des lanternes. Que fera-t-il donc au jour où il viendra
juger le monde, lui qui opère de si grands prodiges au moment où il va lui-même
être jugé. Maintenant Jésus-Christ, par son Evangile, fait retentir en tous
lieux cette parole : « C'est moi, » et cependant les Juifs attendent l'Antéchrist,
et se retournent ainsi en arrière pour tomber à la renverse, parce qu'ils sacrifient les
biens du ciel aux désirs des choses de la terre.
S. GREG. (hom.
9 sur Ezéch.) Mais pourquoi les élus tombent-ils la face contre
terre, tandis que les réprouvés tombent à la renverse ? C'est que tout homme
qui tombe à la renverse, tombe en aveugle, tandis que celui qui tombe le visage
contre terre, voit l'endroit où il tombe ? Comme les méchants tombent dans un
milieu qui est pour eux invisible, on dit qu'ils tombent en arrière, parce
qu'ils ne peuvent voir ce qui les suit dans ce milieu où ils sont tombés. Les
justes au contraire qui s'humilient d'eux-mêmes au milieu de ces choses
visibles pour mériter de s'élever jusqu'aux invisibles, tombent la face contre
terre, parce que pénétrés de componction et. de crainte, ils voient leur propre
humiliation.
S. CHRYS. Le
Sauveur ne veut pas cependant qu'on puisse penser que c'est lui qui a comme
amené les Juifs à le mettre à mort, en se livrant de lui-même à ses ennemis, et
il fait tout ce qui était nécessaire pour les détourner de leur criminel
dessein. Mais comme ils persévèrent opiniâtrement et qu'ils sont tout à fait
sans excuse, il se remet lui-même entre leurs mains : « Il leur demanda
encore une fois : Qui cherchez-vous ? Ils lui dirent : Jésus de Nazareth. »
S. AUG. Ils avaient déjà entendu cette réponse : «
C’est moi, » et ils ne s'étaient pas emparé de la personne du Sauveur, parce
que telle était la volonté de celui qui peut tout ce qu'il veut. Cependant s'il
ne leur avait jamais permis de se saisir de lui, cette troupe n'aurait pas
rempli la mission qui lui avait été donnée, et lui-même n'aurait pas accompli
le dessein qui l'avait fait descendre sur la terre. Maintenant qu'il a donné des
preuves suffisantes de sa puissance à ceux qui voulaient s'emparer de lui, mais
inutilement, qu'ils se saisissent de sa personne ils ne feront, sans le savoir,
qu'obéir à l'ordre de sa volonté : « Si donc c'est moi que vous cherchez,
leur dit-il, laissez aller ceux-ci. » — S. CHRYS. C'est-à-dire, si c'est moi
que vous cherchez, vous n'avez rien à démêler avec eux ; je me livre moi-même
entre vos mains, et c'est ainsi que jusqu'à la dernière heure, il donne à ses
disciples des témoignages persévérants de son amour pour eux. — S. AUG. Il
commande à ses ennemis, et ses ennemis exécutent ses ordres, et ils laissent
aller en liberté ceux qu'il leur défend de faire périr. — S. CHRYS. Aussi l'Evangéliste voulant nous
montrer que ce n'était point là un acte de leur volonté, mais un effet de la
puissance de celui qu'ils venaient d'arrêter, ajoute : « Afin que fût accomplie
la parole qu'il avait dite : Je n'ai perdu aucun de ceux que vous m'avez
donnés. » Notre-Seigneur n'avait pas eu en vue dans ces paroles la mort du
corps, mais la mort éternelle ; l'Evangéliste les applique à la mort même
corporelle. — S. AUG. Est-ce que les Apôtres devaient être pour toujours à
l'abri de la mort ? Pourquoi donc les perdrait-il, s'ils mouraient alors ?
C'est qu'ils ne croyaient pas encore, en lui comme il faut croire pour ne point
périr.
S. curys. (hom.
83 sur S. Jean.) Pierre, plein de confiance dans ce que le
Sauveur venait de dire, et dans le prodige qu'il avait opéré, se met en défense
contre ceux qui étaient venus pour se saisir de Jésus : « Alors
Simon-Pierre qui avait une épée, la tira, » etc. Mais comment celui à qui Jésus
avait commande de n'avoir ni bourse ni deux vêtements, peut-il avoir un glaive
? Je crois qu'il s'était depuis longtemps muni de ce glaive dans la prévision
des dangers qu'il redoutait. — THEOPHYL.
Ou bien ce glaive était celui qui avait servi pour découper l'agneau, et
que Pierre avait conservé après la cène. — S. CHRYS.
Mais comment encore celui à qui le Sauveur avait défendu de donner un
soufflet, se rend-il homicide ? Jésus lui avait défendu toute vengeance
personnelle, mais ici ce n'est point lui, mais son maître qu'il cherche à
venger, d'ailleurs les Apôtres n'étaient pas encore parfaits, mais nous verrons
plus tard Pierre se laisser frapper sans faire aucune résistance. Ce n'est pas
sans raison que l’Evangéliste remarque qu'il coupa l'oreille droite de ce
serviteur ; il fait ainsi ressortir l'impétuosité de l'Apôtre, qui s'attaque
tout d'abord à la tête de cet homme.
S. AUG. (Traité 112 sur S. Jean.) L'évangéliste
saint Jean est le seul qui nous ait conservé le nom de cet homme : « Et cet
homme s'appelait Malchus ; » comme saint Luc est le seul qui rapporte que le
Seigneur toucha son oreille et la guérit. — S. CHRYS. Jésus fait ici un second
miracle, et il nous apprend ainsi à faire du bien à ceux qui nous font du mal,
en même temps qu'il donne un nouveau témoignage de sa puissance. L'Evangéliste
donne le nom de cet homme, pour permettre à ceux qui liraient son récit, de
vérifier si ce fait était vrai. Il ajoute qu'il était le serviteur du
grand-prêtre, pour faire ressortir l'excessive bonté du Sauveur, qui guérit cet
homme, et un homme qui venait se saisir de lui, et qui devait bientôt lui
donner un soufflet. — S. AUG. Malchus veut dire qui doit régner ; que
signifie donc l'oreille coupée pour la défense du Seigneur, et que le Seigneur
guérit lui-même ? Elle est la figure du sens de l'ouïe qui est renouvelé après
que tout ce qui appartenait au vieil homme a été retranché, afin qu'il serve
Dieu dans la nouveauté de l'esprit et non dans la vieillesse de la lettre. (Rm
7, 6.) Or, qui peut douter que celui qui a reçu cette grâce de
Jésus-Christ, doive un jour régner avec Jésus-Christ ? C'est un serviteur qui
est l'objet de ce miracle, et il est la figure de l'ancienne loi qui
n'engendrait que des esclaves, mais lorsqu'il a été guéri, il devient la ligure
de la liberté spirituelle. (Ga 4, 24-26.) — THEOPHYL. L'oreille droite coupée au serviteur du prince des
prêtres, est le symbole de la surdité des Juifs, surdité qui régnait surtout
dans les princes des prêtres, et la guérison de cette oreille, signifie que
l'intelligence sera rendue aux Juifs dans les derniers temps, lors de
l'avènement d'Elie.
S. AUG. Le
Sauveur désapprouva l'action de son disciple, et lui détendit d'aller plus loin
: « Jésus dit à Pierre : Remets ton épée dans le fourreau. » Il voulait
ainsi lui enseigner la patience, et en même temps que ce fait fût écrit pour
notre instruction. — S. CHRYS. Ce n'est point seulement en le menaçant que
Jésus réprime le zèle de Pierre (comme saint Matthieu le rapporte) ; mais il
lui donne un autre motif plus propre à le consoler : « Ne boirai-je donc point
le calice que mon Père m'a donné ? » Nouvelle preuve que ce qui arrivait ne
devait pas être attribué à la puissance de ses ennemis, mais à sa permission,
et que loin d'être opposé à son Père, il lui obéissait jusqu'à la mort. — THEOPHYL. Il se sert de la comparaison
du calice pour montrer combien la mort qu'il allait souffrir pour le salut des
hommes, lui souriait comme l'objet de ses plus vifs désirs. — S. AUG. Il
déclare que son Père lui a donné à boire le calice de sa passion dans le sens
de ces paroles de l'Apôtre : « Il n'a pas épargné son propre Fils, » (Rm
8) mais il l'a livré pour nous tous, cependant celui qui doit boire ce
calice en est lui-même l'auteur, suivant ces paroles du même Apôtre : «
Jésus-Christ nous a aimés, et s'est livré lui-même peur nous. » (Ep 5)
THEOPHYL. Après avoir épuisé tous les moyens propres
à détourner les Juifs de tout criminel dessein, sans avoir pu y parvenir,
Notre-Seigneur leur permit de s'emparer de lui et de l'emmener : « Alors la
cohorte, le tribun et les satellites des Juifs se saisirent de Jésus, » etc. —
S. AUG. Ils se saisirent de celui
dont ils ne s'étaient point approchés, et ils ne comprirent pas cette
invitation du prophète : « Approchez-vous de lui, et vous serez éclaires. » (Ps
33) S'ils s'étaient approchés de lui dans ces dispositions, ils se seraient
emparé de lui, non pour le mettre à mort, mais pour le recevoir dans leurs
cœurs. En s'emparant de la sorte de sa personne sacrée, ils s'éloignent,
beaucoup plus encore de lui, et ils enchaînèrent celui à qui ils auraient bien
plutôt demandé de briser leurs propres chaînes ; et peut-être s'en trouvait-il
parmi eux qui lui dirent plus tard, comme à leur libérateur : « Vous avez rompu
mes liens. » (Ps 115, 6) Après que les ennemis du Sauveur se furent
rendus maîtres de sa personne par la trahison de Judas, l'Evangéliste, pour
montrer que ce traître n'avait pas agi dans un but louable et utile, mais dans
une intention criminelle et condamnable, ajoute : « Et ils l'emmenèrent d'abord
chez Anne, » etc. — S. CHRYS. Ils
triomphent de joie du haut fait qu'ils viennent d'accomplir, et promènent Jésus
comme un trophée de leur victoire. — S. AUG.
(Traité 113 sur S. Jean.) L'Evangéliste donne la raison de
cette manière d'agir : « Parce qu'il était beau-père de Caïphe, qui
était grand-prêtre cette année-là. » Saint Matthieu, qui voulait abréger son
récit, se contente de dire qu'ils amenèrent Jésus chez Caïphe, car il ne fut
conduit chez Anne d'abord, que parce qu'il était le beau-père de Caïphe, et
nous pouvons conclure de là que c'est Caïphe qui voulut qu'il en fût ainsi. — BEDE. Il voulait, ce semble, faire
condamner Jésus par un de ses collègues, pontife comme lui, afin de diminuer le
crime dont il allait se rendre coupable. Peut-être aussi la maison d'Anne était
située de manière à ce qu'on ne pût passer devant sans entrer, ou bien encore,
cela se fit par suite d'un conseil tout divin qui voulait associer dans un même
crime ceux qui l'étaient déjà par les liens du sang. Ce que dit ici
l'Evangéliste, que Caïphe était grand-prêtre cette année-là, paraît contraire à
la loi d'après laquelle il ne devait y avoir qu'un seul grand-prêtre, qui,
après sa mort, avait son fils pour successeur, mais il faut se rappeler que le
souverain pontificat était alors déshonoré par l'ambition des prétendants. — ALCUIN. En effet, Josèphe rapporte que
Caïphe avait racheté celte année de pontificat. Il n'y a donc rien d'étonnant
qu'un grand-prêtre inique ait été l'auteur d'un jugement inique, car souvent
celui qui parvient au sacerdoce par avarice, le conserve par des moyens
injustes.
S. CHRYS. Mais
de peur que l'idée de chaînes et de liens ne jetât le trouble dans notre
esprit, l’Evangéliste rappelle une prophétie d'après laquelle la mort de Jésus
devint le salut du monde : « Or, Caïphe était celui qui avait donné ce
conseil aux Juifs : Il est avantageux qu'un seul homme meure pour tout le
peuple. » La force de la vérité est si grande, que ses ennemis eux-mêmes sont
obligés de lui rendre hommage.
S. AUG. (de l'acc. des Evang., 3. 6) Tous les
évangélistes ne racontent pas dans le même ordre le renoncement de Pierre, qui
vint s'ajouter aux outrages auxquels le Sauveur fut en butte pendant cette
nuit. Saint Matthieu et saint Marc, ne le placent qu'après le récit de ces
outrages, saint Luc raconte, tout d'abord le triple renoncement de cet Apôtre.
Saint Jean commence le récit de la chute de Pierre, à ces paroles : « Cependant Simon
Pierre suivait Jésus, ainsi qu'un autre disciple avec lui. » — ALCUIN. Il suivait son Maître par
amour, quoique la crainte ne le lui faisait suivre que de loin. — S. AUG. Il serait peut-être téméraire
d'affirmer quel est ce disciple, puisque l'Evangéliste ne nous dit point son
nom, cependant, c'est sous cette dénomination générale que saint Jean a coutume
de se désigner, en ajoutant : « Celui qu'aimait Jésus. » Peut-être donc
est-ce lui-même dont il est ici question. — S. CHRYS. Il cache ici son nom par un sentiment d'humilité.
L'action qu'il raconte est des plus glorieuses, puisqu'il est le seul qui suive
Jésus, et que tous les autres ont pris la fuite. Cependant il donne à Pierre la
première place dans son récit, et il semble céder à la nécessité en parlant de
lui-même. Il vous apprend en même temps toute la valeur de son récit sur les
faits qui se sont passés dans la cour du grand-prêtre, et dont il a été le
témoin oculaire. Mais il se dérobe aux éloges qu'il méritait en ajoutant : «
Or, ce disciple était connu du grand-prêtre. » Il ne cherche donc point à se
prévaloir comme d'un acte héroïque d'avoir suivi Jésus seul jusque chez le
grand-prêtre, et il en donne la raison pour ne pas laisser supposer qu'il a
fait preuve en cela de courage et d'élévation de caractère. Quant à Pierre,
l'amour le conduisit jusque-là, mais la crainte le retint à la porte : « Mais
Pierre se tenait dehors à la porte. » — ALCUIN.
Celui qui devait renier le Seigneur, se tenait dehors, et il n'était pas
en Jésus-Christ, parce qu'il n'osait pas reconnaître et confesser hautement
Jésus-Christ.
S. CHRYS. L'Evangéliste
nous fait voir que Pierre lui-même serait entré dans l'intérieur de la maison
si on le lui eût permis : « L'autre disciple, qui était connu du grand-prêtre,
sortit donc et parla à la portière, et elle fit entrer Pierre. » Il ne le fit
pas entrer lui-même, parce qu'il suivait Jésus-Christ et se tenait près de lui.
« Cette servante qui gardait la porte dit à Pierre : « Etes-vous aussi des
disciples de cet homme ? Il lui répondit : Je n'en suis point. » Que dites-vous
là, ô Pierre ? n'est-ce pas vous qui avez dit, il y a peu d'instants : « Et
s'il le faut, je donnerai ma vie pour vous ? » Qu'est-il donc arrivé, que vous
ne puissiez même pas supporter la question d'une simple servante ? Ce n'est
point un soldat qui vous interroge, c'est une pauvre portière. Et encore ne lui
dit-elle pas : Etes-vous le disciple de ce séducteur ? mais : « Etes-vous
le disciple de cet homme ? » question qui paraissait dictée par un sentiment de
compassion. Elle lui dit : « Etes-vous aussi ? » parce que Jean était dans
l'intérieur de la cour.
S. AUG. Mais
qu'y a-t-il d'étonnant que Dieu ait prédit la vérité, et que l'homme se soit
trompé en présumant trop de lui-même ? Or, nous devons remarquer, dans cette
première négation de Pierre, qu'on renonce Jésus-Christ non-seulement quand on
nie qu'il soit le Christ, mais quand on nie que l'on est chrétien. En effet,
Nôtre-Seigneur n'avait pas dit à Pierre : Vous nierez que vous êtes mon
disciple, mais : « Vous me renierez moi-même ; » Pierre a donc renié
Jésus-Christ, en niant qu'il fût son disciple. Et que fit-il autre chose on
cela que de nier qu'il fût chrétien ? Combien d'enfants et déjeunes filles on a
vu, par la suite, mépriser la mort pour confesser hautement le nom de
Jésus-Christ, et entrer dans le royaume des cieux en lui faisant violence, ce
que ne put faire, alors celui qui avait reçu les clefs du royaume des cieux !
Voilà pourquoi Nôtre-Seigneur avait dit : « Laissez ceux-ci s'en aller,
car je n'ai perdu aucun de ceux que vous m'avez donnés. » Et si Pierre s'en
était allé après avoir renié Jésus-Christ, sa perte était infaillible.
S. CHRYS. (Serm.
sur Pierre et Elie.) C'est donc par un secret dessein que la Providence
permit que Pierre tombât le premier, pour que la vue de sa propre chute lui
inspirât plus de douceur pour les pécheurs. En effet, Dieu permit que Pierre,
qui était le maître et le docteur de l'univers, succombât et obtînt son pardon,
pour donner aux juges des consciences la loi et la règle de miséricorde qu'ils
devraient suivre à l'égard des pécheurs. C'est pour cela, je pense, que Dieu
n'a point confié aux anges la dignité du sacerdoce, parce qu'étant impeccables
ils auraient poursuivi sans miséricorde le péché dans ceux qui le commettent.
C'est un homme, sujet à toutes les passions, que Dieu établit au-dessus des
autres hommes, afin que le souvenir de ses propres faiblesses lui inspire plus
de douceur et de bonté pour ses frères.
THEOPHYL. Il en est qui cherchent,
mais vainement, à justifier Pierre, en disant qu'il a renoncé à Jésus-Christ
parce qu'il voulait toujours être avec lui, et marcher constamment à sa suite.
Il savait, disent-ils, que s'il se donnait pour un des disciples de Jésus, il
en serait aussitôt séparé, et qu'il ne lui serait plus permis ni de le suivre
ni de le voir; il feint donc d'être du nombre des archers du grand-prêtre, de
peur que la tristesse de son visage ne le fit reconnaître et chasser dehors : «
Or, les serviteurs et les satellites étaient rangés autour d'un brasier, parce
qu'il faisait froid, et se chauffaient ; et Pierre aussi filait debout parmi
eux, et se chauffait. » — S. AUG. On n'était point en hiver, et cependant il
faisait froid, comme il arrive d'ordinaire à l'équinoxe du printemps. — S. GREG. (Moral., 2, 2.) Déjà
Pierre avait laissé refroidir dans son âme le feu de la charité, et il
réchauffait la fièvre de sa faiblesse à l'amour de la vie présente, comme au
feu des persécuteurs.
S. CHRYS. (hom. 83 sur S. Jean.) Comme
les ennemis de Jésus ne pouvaient produire aucun chef d'accusation contre lui,
ils l'interrogent sur ses disciples : « Le grand-prêtre interrogea donc Jésus
touchant ses disciples. » Il lui demanda sans doute où ils étaient, dans quel
but il les avait réunis ; et son dessein, en cela, était de l'accuser comme
séditieux ou comme autour de nouveautés, et n'ayant personne pour s'attacher à
lui, à l'exception de ses seuls disciples. — THEOPHYL.
Il l'interroge encore « sur sa doctrine, » c'est-à-dire en quoi elle
consistait, si elle était différente de la loi et opposée à la doctrine de
Moïse, afin de trouver l'occasion de le perdre, comme l'antagoniste de Dieu — ALCUIN. Ce n'est point, en effet, par
le désir de connaître la vérité qu'il interroge le Sauveur, mais afin d'avoir
un motif de l'accuser et de le livrer au gouverneur romain pour le faire
condamner ; mais le Seigneur pesa tellement les termes de sa réponse, que, sans
taire la vérité, il ne parut pas vouloir se défendre : « Jésus lui répondit, :
J'ai parlé publiquement au monde, j'ai toujours enseigné dans la synagogue et
dans le temple, où tous les Juifs s'assemblent, » etc.
S. AUG. (Traité
113 sur S. Jean. ) Ici se présente une question qu'il ne faut point
passer sous silence. Notre-Seigneur ne parlait pas ouvertement à ses disciples,
mais leur promettait que viendrait un jour où il leur parlerait sans aucun
voile ; comment donc peut-il dire qu'il a parlé publiquement au monde ?
D'ailleurs il parlait beaucoup plus clairement à ses disciples quand il
s'éloignait avec eux de la foule, car c'est alors qu'il leur expliquait les
paraboles qu'il proposait au peuple, sans lui en découvrir le sens. « J'ai
parlé publiquement au monde, » ne signifie donc autre chose que : Beaucoup
m'ont entendu. On peut dire encore qu'il ne leur parlait pas ouvertement, parce
qu'ils ne le comprenaient pas. D'un autre côté, s'il enseignait ses disciples
en particulier, ce n'était cependant pas en secret, car on ne parle pas en
secret, lorsqu'on enseigne devant tant de témoins, surtout si l'intention de
celui qui parle devant peu de personnes, soit qu’elles fassent connaître, à un
plus grand nombre ce qu'il leur a enseigné. — THEOPHYL. Notre-Seigneur se
rappelle ici ces paroles du Prophète : « Je n'ai point parlé en secret, ni dans
quelque coin obscur de la terre. » (Is 45, 19)
S. CHRYS. Ou bien : Il a parlé dans le secret, il
est vrai, mais non pas comme ils le pensaient, par crainte, et comme un homme
qui cherche à exciter des troubles, mais parce que les vérités qu'il enseignait
dépassaient l'intelligence d'un grand nombre. Or, pour rendre son témoignage
encore plus digne de foi, il ajoute : « Pourquoi m'interrogez-vous ? Interrogez
ceux qui ont entendu ce que je leur ai dit, ils savent ce que je leur ai
enseigné. » C'est-à-dire, pourquoi me questionner sur mes disciples ?
Interrogez mes ennemis, qui m'ont constamment tendu des embûches. Voilà le
langage d'un homme plein de confiance dans la vérité de son enseignement, car
une démonstration péremptoire (ou une preuve invincible) de la vérité, c'est
d'invoquer en sa faveur le témoignage de ses ennemis. — S. AUG. Les choses qu'ils avaient
entendues sans les comprendre, ne pouvaient offrir aucun juste sujet
d'accusation ; et, toutes les fois qu'ils étaient venus le questionner pour le
tenter et trouver matière à l'accuser, il leur avait répondu de manière à
déjouer toutes leurs ruses, et à frapper d'impuissance toutes leurs calomnies.
THEOPHYL. Après que Jésus eut ainsi invoqué le
témoignage des assistants, un serviteur du grand-prêtre voulant se mettre à
couvert du soupçon qu'il était un des admirateurs de Jésus, le frappa au visage
: « Après qu'il eut dit cela, un des satellites, là présent, donna un
soufflet à Jésus, disant : Est-ce ainsi que tu réponds au grand-prêtre ? » — S.
AUG. (de l'accord des Evang., 1,
6.) Nous avons ici une preuve qu'Anne était grand-prêtre, car Jésus n'avait pas
encore été envoyé à Caïphe, lorsque cet homme lui fit cette observation, et
saint Luc lui-même rapporte au commencement de son Evangile, qu'Anne et Caïphe
étaient tous deux grands-prêtres. — ALCUIN. Ici s'accomplit cette prophétie :
«J'ai abandonné mes joues il ceux qui me frappaient. » (Is 1, 6) Or, Jésus
frappé injustement, répond avec douceur : « Si j'ai mal parlé, montrez ce que
j'ai dit de mal ; mais si j'ai bien parlé, pourquoi me
frappez-vous ? »
THEOPHYL. C'est-à-dire, si vous trouvez quelque
chose à reprendre dans ce que je viens de dire, prouvez que j'ai mal parlé ; si
vous ne le pouvez pas, pourquoi cet acte de cruauté ? Ou bien encore, si
l'enseignement que j'ai donné dans les synagogues est blâmable, faites-le
connaître au prince des prêtres ; si au contraire cet enseignement est
irrépréhensible à ce point que vous en étiez dans l'admiration, pourquoi me
frappez-vous maintenant, puisque vous ne pouviez vous empêcher d'admirer
auparavant ?
S. AUG. (Traité 113 sur S. Jeun.) Quoi
de plus vrai, de plus doux, de plus juste que cette réponse ? Si nous
considérons attentivement celui qui a reçu ce soufflet, qui de nous ne voudrait
voir celui qui l'a frappé, ou consumé par le feu du ciel, ou englouti par la
terre entr'ouverte, ou la proie d'un démon furieux, ou victime d'un châtiment
semblable et plus effrayant encore ? Quoi de plus facile à celui qui a créé le
monde que de mettre sa puissance au service de sa justice, s'il n'avait mieux
aimé nous enseigner la patience par laquelle nous triomphons du monde. On nous
demandera peut-être : Pourquoi le Sauveur n'a-t-il pas fait ce qu'il a commandé
lui-même aux autres ? Ne devait-il pas souffrir cet affront en silence et
tendre l'autre joue, à celui qui le frappait ? Nous dirons que Nôtre-Seigneur
est allé plus loin, en répondant avec douceur et en ne tendant pas seulement
l'autre joue à relui qui le frappait, mais en abandonnant son corps tout entier
pour être cloué sur la croix. Il nous apprend ainsi que nous devons accomplir les
préceptes de patience qu’il nous a donnés, moins par des actes extérieurs où
l'ostentation peut avoir part, que par les sentiments du cœur. Il peut arriver,
en effet, qu'un homme présente l'autre joue avec la colère dans le cœur.
Nôtre-Seigneur a donc beaucoup mieux agi en répondant la vérité sans la moindre
aigreur, et on se montrant paisiblement disposé à supporter patiemment des
outrages plus sanglants encore.
S. CHRYS. (hom. 83 sur S. Jean.) Quelle
était la conduite naturelle à tenir ? C'était, ou de prouver que Jésus avait
tort, ou de se rendre à son observation. Mais ce n'est pas ce qu’ils font, car
tout ce qui se passait n'avait aucune apparence de l'égalité, mais tout était
l’œuvre du désordre et de la violence. Ne sachant plus que faire, ils envoient
Jésus chargé de chaînes à Caïphe : « Et Anne l'envoya lié à Caïphe le
grand-prêtre. » — THEOPHYL. Ils s'imaginèrent qu'étant plus rusé que son
beau-père, il pourrait trouver contre Jésus un chef d'accusation qui mériterait
la mort. — S. AUG. D'après saint Matthieu, c'était chez Caïphe qu'on le
conduisit dès le commencement, parce qu'il était grand-prêtre de cette année.
En effet, Anne et Caïphe remplissaient alternativement chaque année la charge de grand-prêtre, et il est probable
que c'est sur la volonté de Caïphe, que Jésus fut d'abord conduit chez Anne, ou
que leurs maisons étaient situées de manière qu'on ne pouvait passer devant la
maison d'Anne sans y entrer. — BEDE. De
ce que l'Evangéliste dit qu'il l'envoya lié, il ne faut pas conclure qu'il le
fût seulement alors pour la première fois. Jésus fut enchaîné lorsqu'on se
saisit de lui. Anne l'envoya donc, chargé de chaînes à Caïphe, comme on le lui
avait amené. Il put se faire aussi qu'on le débarrassât un instant de ses liens
pendant qu'on l'interrogeait, et qu'après cet interrogatoire, on l'enchaîna de
nouveau pour l'envoyer ainsi à Caïphe.
S. AUG. (Tr.
113 sur S. Jean.) Après avoir rapporté comment Anne envoya Jésus
enchaîné à Caïphe, l'Evangéliste revient à l'endroit du son récit où il avait
laissé Pierre pour raconter le triple reniement de ce disciple dans la maison
d'Anne : « Cependant Simon Pierre était là, debout, et se chauffant. » Il
rappelle donc ici ce qu'il avait dit plus haut. — S. CHRYS. (hom. 83 sur S. Jean.) Dans quel
engourdissement était plongé cet Apôtre si plein d'ardeur, lorsqu'on voulait
s'emparer de Jésus ! Le voilà devenu comme insensible, et Dieu le permet, pour
vous apprendre combien est grande la faiblesse de l'homme lorsqu'il l'abandonne
à lui-même. On le questionne de nouveau, et il nie pour la seconde fois : « Ils
lui dirent donc : Et vous, n'êtes-vous pas aussi de ses disciples ? »
S. AUG. (de
l'accord des Evang., 3, 6.) Nous voyons ici que ce n'est point devant la
porte, mais lorsqu'il se chauffait devant le brasier, que Pierre renia Jésus
pour la seconde fois, ce qui n'aurait pu avoir lieu, s'il ne fût rentré après
être sorti dehors, comme le raconte saint Matthieu. Ce n'est pas, en effet,
lorsqu'il fût sorti dehors, que cette autre servante le vit, mais au moment
même où il sortait, et c'est alors qu'elle le remarqua et qu'elle dit à ceux
qui étaient là, c'est-à-dire, à ceux qui se chauffaient avec, lui dans
l'intérieur de la cour : « Celui-ci était aussi avec Jésus de Nazareth.»
Pierre qui était déjà sorti, ayant entendu ces paroles, rentra, et à toutes les
affirmations de ceux qui étaient présents, répondit avec serment : « Je ne
connais point cet homme. » L'évangéliste saint Jean raconte ainsi le second
reniement de saint Pierre : « Ils lui dirent donc : Et vous, n'êtes-vous pas
aussi de ses disciples ? » C'est-à-dire, lorsqu'il rentrait, ce qui nous
confirme dans la pensée que ce ne fut pas seulement celte autre servante dont
parlent saint Matthieu et saint Marc, mais une autre encore dont parle saint
Luc, qui firent à Pierre la question qui détermina le second reniement de cet
Apôtre ; c'est pour cela que saint Jean emploie ici le pluriel : « Ils lui dirent
donc. » Le même Evangéliste poursuivant
son récit, raconte ainsi le troisième renoncement : « Un des serviteurs du
grand-prêtre lui dit, » etc. Saint Matthieu et saint Marc se servent du pluriel
pour désigner ceux qui firent à Pierre cette nouvelle question ; saint Luc ne
parle que d'un seul, ainsi que saint Jean, qui ajoute cette circonstance, qu'il
était parent de celui à qui Pierre coupa l'oreille. Cette divergence s'explique
facilement si l'on considère que saint Matthieu et saint Marc oui l'habitude de
mettre le pluriel pour le singulier, ou qu'un de ceux qui étaient présents,
affirmait avec plus de force, comme ayant vu Pierre dans le jardin, tandis que
les autres ne pressaient Pierre que sur l'attestation de celui qui l'avait vu.
S. CHRYS. Mais
le jardin ne lui rappelle le souvenir, ni des promesses qu'il y a faites, ni de
cet amour si ardent dont il avait protesté à plusieurs reprises : « Pierre le
nia de nouveau et aussitôt le coq chanta. » — S. AUG. (Traité 113.) Voici la prédiction du médecin qui est accomplie, et le malade
convaincu de présomption, car ce que nous voyons se réaliser, ce n'est pas la
promesse de Pierre : « Je donnerai ma vie pour vous, » mais la prédiction
de Jésus : « Vous me renierez trois fois. » — S. CHRYS. Les évangélistes s'accordent tous pour raconter le
triple reniement de saint Pierre, non pour accuser ce disciple, mais pour nous
apprendre quel mal c'est de ne pas tout remettre entre les mains de Dieu, et de
placer sa confiance en soi-même. BEDE. Dans
le sens allégorique, le premier reniement de Pierre figure ceux qui, avant la
passion du Sauveur, ont nié qu'il fût Dieu ; le second représente ceux qui,
après sa résurrection, ont nié à la fois sa divinité et son humanité. De même
le premier chant du coq figure la résurrection du chef ; le second, la
résurrection de tout le corps qui aura lieu à la fin du monde. La première
servante, qui fut l'occasion du premier renoncement de Pierre, représente la
cupidité ; la seconde, le plaisir des sens ; le serviteur, ou les serviteurs du
grand-prêtre, les démons qui nous portent à renoncer Jésus-Christ.
S. AUG. (Traité 114 sur S. Jean.) L'Evangéliste
revient à l'endroit de son récit qu'il avait interrompu pour raconter le reniement de
Pierre : « Ils amenèrent donc Jésus de chez Caïphe dans le prétoire. »
Déjà nous avions vu Jésus envoyé chez Caïphe par Anne, son collègue et son
beau-père. Mais puisqu'il est envoyé chez Caïphe, pourquoi l'amener dans le
prétoire ? Saint Jean vent simplement dire qu'on l'amena dans la maison
qu'habitait le gouverneur romain Pilate. — BEDE.
Le prétoire est ainsi appelé, parce qu'il est la demeure et le siège du
préteur ; or, les préteurs sont des préfets ou des commandants à qui on donne
ce nom, parce qu'ils sont chargés d'intimer aux citoyens les ordres du
souverain. — S. AUG. Ou bien donc
Caïphe, pour une cause urgente, quitta la maison d'Anne, ou tous deux s'étaient
réunis pour entendre les dépositions contre Jésus, et se dirigea vers le
prétoire, en laissant à son beau-père l'interrogatoire de Jésus, ou bien Pilate
avait établi le prétoire dans la maison même de Caïphe, parce que cette maison
était assez grande pour loger à la fois et séparément Caïphe et le gouverneur
romain. — S. AUG. (de l'accord
des Evang.) C'est à Caïphe, que Jésus était amené tout d'abord, et il n'y
arriva cependant qu'en dernier lieu ; on l'amenait comme un coupable déjà
convaincu, Caïphe, d'ailleurs avait déjà résolu sa mort, il le livre donc sans
aucun délai à Pilate pour qu'il le fit exécuter.
« Or, c'était le matin. » — S. CHRYS. (hom. 82 sur S. Jean.)
Jésus fut conduit chez Caïphe avant le chant du coq, et le matin chez
Pilate. L'Evangéliste nous donne ici une preuve que l'interrogatoire que Caïphe
fît subir à Jésus pendant toute la nuit, ne put fournir contre lui aucun sujet
d'accusation, et c'est pour cela qu'il le renvoie à Pilate. Mais saint Jean laisse aux
autres évangélistes le soin de nous raconter ces détails, et en vient
immédiatement à ce qui suivit les événements de la nuit : « Et eux
n'entrèrent point dans le prétoire. » — S. AUG.
C'est-à-dire, dans la partie de la maison occupée par Pilate, en
supposant que ce fût la maison de Caïphe. Or, pour quel motif ne voulurent-ils
point y entrer ? Afin de ne point se souiller et de pouvoir manger la Pâque. —
S. CHRYS. C'était le jour, en
effet, où les Juifs célébraient la Pâque, que Jésus avait célébré un jour
auparavant, parce qu'il voulait que sa mort eût lieu le sixième jour où se
célébrait l'ancienne Pâque. Ou bien le mot Pâque s'étend ici à toute la fête. —
S. AUG. Les jours des azymes
étaient commencés, et pendant ces jours ou ne pouvait entrer dans la maison
d'un païen, sans contracter l'impureté légale. — ALCUIN. La Pâque, proprement dite, était le jour où on immolait
l'agneau pascal, le soir du quatorzième jour de la lune ; les sept jours
suivants s'appelaient les jours des azymes pendant lesquels les Juifs ne
devaient avoir chez eux aucun pain fermenté. Cependant nous voyons le jour de
Pâque compté parmi les jours des azymes dans l'évangile de saint Matthieu, où
nous lisons : « Le premier jour des azymes, les disciples s'approchèrent de
Jésus, et lui dirent : Où voulez-vous que nous préparions ce qui est nécessaire
pour manger la Pâque ? » (Mt 26, 17) Le nom de Pâque est aussi
donné aux jours des azymes, comme nous le voyons ici : « Afin de pouvoir manger
la Pâque. » Or, la Pâque ici ne signifie point l'immolation de l'agneau, qui
avait lieu le soir du quatorzième jour de la lune, mais la grande solennité qui
se célébrait après l'immolation de l'agneau ; Nôtre-Seigneur avait donc célébré
la Pâque comme les autres Juifs, le quatorzième jour de la lune, et fut
crucifié le quinzième jour, qui était le jour de la grande solennité, et son
immolation commença le quatorzième jour de la lune, du moment où on se saisit
de lui dans le jardin des Olives.
S. AUG. O
aveuglement impie ! Ils craignaient de se souiller en entrant dans le prétoire
d'un juge païen et ils ne craignent pas de répandre le sang de leur frère
innocent, car ils ne savaient pas que celui qu'ils voulaient faire mourir était
le Soigneur et l'auteur de la vie, et il faut attribuer ce crime plutôt à leur
ignorance qu'à une volonté réfléchie.
THEOPHYL. Pilate quelqu'ait été le
mode de procédure qu'il suivait à l'égard de Jésus, en sort avec des sentiments
beaucoup plus modérés : « Pilate vint à eux dehors et leur demanda : Quelle
accusation portez-vous contre cet homme ? » — BEDE.
C'était la coutume chez les Juifs quand ils avaient condamné un coupable
à mort, de le remettre chargé de chaînes au gouverneur, afin que le gouverneur
le voyant en cet état, comprît qu'il était condamné à la peine de mort. — S. CHRYS. Cependant bien que Pilate vit
Jésus enchaîné et amené devant lui par une foule aussi nombreuse, il ne crut
pas que ce fût là une preuve péremptoire ou irrécusable de culpabilité, il les
interroge donc : « Quelle accusation leur demande-t-il, portez-vous contre cet
homme ? » Il leur fait sentir l'inconvenance qu'ils commettent en s'emparant du pouvoir de juger,
et en ne lui laissant que celui d'infliger le châtiment ; mais les Juifs
refusent d'aborder de front l'accusation, et n'allèguent que de vagues
présomptions : « Ils lui répondirent : Si ce n'était pas un malfaiteur, nous ne
vous l'aurions pas livré. » — S. AUG. Qu'on
interroge et qu'ils répondent, ceux qu'il a délivrés des esprits impurs, les
malades qu'il a guéris, les lépreux qu'il a purifiés, les sourds à qui il a
rendu l'ouïe, les aveugles dont il a ouvert les yeux, les muets dont il a délié
la langue, les morts qu'il a ressuscites, et ce qui surpasse tous ces miracles,
les insensés à qui il a donné la sagesse, et qu'ils disent si Jésus est un
malfaiteur. Mais ceux qui portaient cette accusation étaient ces ingrats dont
le Prophète avait fait cette prédiction : « Ils me rendaient le mal pour le
bien. » (Ps 34, 12) — S. AUG. (De
l'accord des Evang., 3, 8) Il nous faut examiner si saint Luc n'est pas en
contradiction avec saint Jean lorsqu'il raconte que les Juifs formulèrent
contre le Sauveur des chefs certains d'accusation : « Et ils commencèrent à
l'accuser, ou disant : Nous avons trouvé celui-ci pervertissant notre nation,
défendant de payer le tribut à César, et disant qu'il est le Christ roi. »
(Lc 22, 2.) D'après saint Jean, au contraire, les Juifs paraissent ne
vouloir formuler aucune accusation aussi particulière, afin que Pilate s'en
rapportant exclusivement à leur parole, cessât de leur demander ce dont ils
l'accusaient, et qu'il le regardât comme coupable par cela seul qu'ils avaient
cru devoir le livrer entre ses mains. Or nous devons admettre et le récit de
saint Jean et celui de saint Luc ; car il y eut dans cette circonstance bien
des questions et des réponses échangées, chaque évangéliste a fait entrer dans
sa narration ce qu'il a jugé plus utile, et saint Jean lui-même a rapporté certaines accusations
dirigées contre Jésus, comme nous le verrons en son lieu : « Pilate leur dit
donc : Prenez-le vous-même, et jugez-le selon votre loi. » — THEOPHYL. C'est-à-dire, puisque vous
voulez qu'il soit jugé selon vos désirs, et qu'à vous entendre, il semble que
vous n'ayez jamais rien fait de répréhensible, prenez-le et condamnez-le, quant
à moi, je ne consentirai jamais à juger de la sorte. — ALCUIN. Ou bien encore
il veut leur dire : Vous avez une loi, et vous savez ce qu'elle prononce en pareille
circonstance, faites donc selon que vous le croyez juste.
« Les Juifs lui répondirent : Il ne nous est
pas permis de mettre à mort personne. » — S. AUG. Mais est-ce que la loi ne
défend pas d'épargner les malfaiteurs, et surtout les séducteurs qui cherchent
à détourner du culte du vrai Dieu comme était Jésus dans leur pensée ? Si donc
ils répondent qu'il ne leur est pas permis de mettre personne à mort, c'est,
entendons-le bien, à cause de la solennité du jour qu'ils avaient commencé à
célébrer. L’excès de votre malice vous a-t-il fait perdre entièrement toute
raison que vous vous croyiez purs du sang innocent parce que vous voulez le
faire répandre par un autre ? — S. CHRYS.
Ou bien ils répondent qu'ils ne peuvent le mettre à mort, parce que leur
pouvoir était singulièrement diminué depuis qu'ils étaient soumis à la
domination romaine. Ou bien encore, Pilate leur ayant dit : « Jugez-le suivant
votre loi, ils veulent lui prouver que le crime que Jésus a commis n'est pas
contre la loi juive, et ils répondent : « Il ne nous est pas permis, »
c'est-à-dire, il n'a point péché contre notre loi, mais son crime est un crime
contre la sûreté publique, puisqu'il s'est dit roi. On peut dire encore qu'ils
désiraient faire
mourir Jésus du supplice de la croix pour le couvrir d'ignominie par ce genre
de mort ; or il ne leur était pas permis de crucifier, mais l'exemple d'Etienne
qui fut lapidé par eux montre qu'ils pouvaient mettre à mort d'une autre
manière. Aussi l'Evangéliste ajoute : « Afin que fût accomplie la parole que
Jésus-Christ avait dite, touchant la mort dont il devait mourir, » parce qu'il
était défendu aux Juifs de crucifier, ou bien l'Evangéliste s'exprime ainsi
parce que Jésus devait être mis à mort, non-seulement par les Juifs mais par
les Gentils. — S. AUG. Nous lisons en effet dans saint Marc que Jésus dit à ses
disciples : « Voilà que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l'homme sera
livré aux princes des prêtres, aux scribes et aux anciens, ils le condamneront
à mort et le livreront aux Gentils. » (Mc 10, 23.) Or Pilate était
romain, et les empereurs romains l'avaient établi gouverneur de la Judée. Ce
fut donc pour accomplir cette prédiction de Jésus, qu'il serait livré aux
Gentils et qu'ils le mettraient à mort, qu'ils ne voulurent point le recevoir
des mains de Pilate, et qu'ils lui dirent : « Il ne nous est pas permis de
mettre personne à mort. »
S. CHRYS. (hom.
83 sur S. Jean.) Pilate qui voulait arracher Jésus à la haine des
Juifs, ne traîna pas le jugement en longueur : « Etant donc rentré dans le
prétoire, il appela Jésus. » Il se le fait amener en particulier, parce qu'il
entrevoyait dans le Sauveur quelque chose de grand, et il se proposait de tout
examiner avec un soin scrupuleux après s'être mis en dehors de l'agitation tumultueuse
des Juifs. « Il lui dit donc : Etes-vous roi des Juifs ? » Pilate fait voir ici
que les Juifs avaient accusé Jésus de s'être dit roi des Juifs. — S. CHRYS. Ou bien Pilate l'avait appris
par le bruit public, et comme les Juifs n'avaient formulé contre lui aucune
autre accusation, pour ne point prolonger inutilement cet interrogatoire, il
lui fait connaître ce qu'ils lui reprochaient le plus habituellement.
« Jésus lui répondit : Dites-vous cela, de
vous-même, ou d'autres vous l'ont-ils dit de moi ? » Le Sauveur semble
reprocher indirectement à Pilate de juger ici à la légère et sans discernement
comme s'il lui disait : Si vous dites cela de vous-même, donnez les preuves de
ma rébellion, et si d'autres vous l'ont dit de moi, faites une enquête dans les
formes. — S. AUG. (Traité. 115 sur S. Jean.) Jésus savait
très-bien et ce qu'il demandait à Pilate et la réponse que celui-ci allait lui
faire, cependant il veut qu'il lui fasse cette question, non pour se renseigner
lui-même, mais pour que cette question fût conservée par écrit et parvînt ainsi
à notre connaissance. — S. CHRYS.
Ce n'est donc point par ignorance qu'il interroge, mais pour faire condamner les Juifs par la
bouche même de Pilate : « Pilate reprit : Est-ce que je suis juif ? » — S. AUG. Il se justifie du soupçon qu'il
eut parlé ainsi de lui-même, et prouve que ce sont les Juifs qui ont accusé
près de lui Jésus de cette prétention : « Votre nation et vos prêtres vous ont
livré à moi. En ajoutant : Qu'avez-vous fait ? » il fait assez voir que c'était
là le crime dont on l'accusait, et il semble lui dire : Si vous niez que vous
ayez aspiré à la royauté, qu'avez-vous fait pour m'être livré ? Comme s'il
n'était pas étonnant qu'on eût amené devant son tribunal pour être condamné un
homme qui se disait roi.
S. CHRYS. Le
Sauveur cherche à relever les idées de Pilate qui n'était pas absolument
mauvais, il veut lui prouver qu'il n'est pas simplement un homme, mais qu'il
est en même temps Dieu et le Fils de Dieu ; et il éloigne tout soupçon d'avoir
aspiré à la royauté (ce qu'avait craint jusqu'à présent Pilate) : « Jésus
répondit : Mon royaume n'est pas de ce monde, » etc. — S. AUG. Voilà ce que le bon maître a voulu
nous apprendre, mais il fallait auparavant nous faire connaître la vaine
opinion que les hommes, Gentils ou Juifs de qui Pilate l'avait apprise,
s'étaient formée de sa royauté. Ils prétendaient qu'il méritait la mort pour
avoir cherché à s'emparer injustement de la royauté. Ou bien encore comme ceux
qui sont en possession du pouvoir voient ordinairement d'un œil jaloux ceux qui
peuvent leur succéder, les Romains ou les Juifs pouvaient craindre que ce
nouveau royaume ne fût oppose à leur domination. Si le Sauveur avait répondu
aussitôt à la question de Pilate, il eût paru répondre exclusivement pour les
Gentils qui avaient de lui cette opinion ; mais après la réponse de Pilate, il
répond d'une manière plus opportune et plus utile aux Juifs et aux Gentils, et tel
est le sens de sa réponse : Ecoutez, Juifs et Gentils, je ne gêne en rien votre
domination en ce monde, que voulez-vous davantage ? Venez prendre possession
par la foi d'un royaume qui n'est pas de ce monde. En effet, de quoi se compose
son royaume ? De ceux qui croient en lui. C'est à eux que Jésus dit : « Vous
n'êtes pas de ce monde, » bien que sa volonté fût qu'ils demeurassent au milieu
du monde. Aussi ne dit-il pas : Mon royaume n'est pas dans ce monde, mais : «
Mon royaume n'est pas de ce monde. » Tout ce qui dans l'homme a été créé de
Dieu il est vrai, mais qui a été engendré de la race corrompue d'Adam, est du
monde, mais tout ce qui a été ensuite régénéré en Jésus-Christ fait partie de
son royaume et n'est plus du monde. « C'est ainsi que Dieu nous a arrachés de
la puissance des ténèbres, et nous a transférés dans le royaume de son Fils
bien-aimé. » (Col 1, 13.) — S. CHRYS.
Ou bien encore Nôtre-Seigneur veut dire que sa royauté n' a pas la même
origine que la royauté des princes de la terre, et qu'il tient d'en haut un
pouvoir qui n'a rien d'humain, et qui est beaucoup plus grand et plus éclatant.
C'est pour cela qu'il ajoute : « Si mon royaume était de ce monde, mes
serviteurs combattraient pour que je ne fusse pas livré aux Juifs. » Il fait
voir ici la faiblesse des royautés de la terre qui tirent leur force de leurs
ministres et de leurs serviteurs ; mais le royaume dont l'origine est toute
céleste se suffit à lui-même, et n'a besoin d'aucun appui. Si telle est donc la puissance
de ce royaume, c'est de sa pleine volonté qu'il s'est lui-même livré à ses
ennemis.
S. AUG. Après avoir prouvé que son royaume n'était
pas de ce monde, Jésus ajoute : « Mais mon royaume n'est pas d'ici. » Il
ne dit pas : Mon royaume n'est pas ici, car il est vraiment sur la terre
jusqu'à la fin du monde ; l'ivraie s'y trouve mêlée avec le bon grain jusqu'à
la moisson, et cependant il n'est pas de ce monde, parce qu'il est dans ce
monde comme dans un lieu d'exil. — THEOPHYL.
Ou bien encore, il ne dit pas : « Mon royaume n'est pas ici, » mais « il
n'est pas d'ici, » parce qu'il règne dans le monde, que sa providence le
gouverne, et qu'il y règle tout suivant sa volonté. Toutefois son royaume n'est
pas composé d'éléments terrestres, mais son origine est céleste et il existe
avant tous les siècles. — S. CHRYS. Les
hérétiques prennent de là occasion de dire que le Sauveur est étranger à la
direction du monde. Mais de ce qu'il déclare que son royaume n'est pas d'ici,
il ne s'ensuit nullement que le monde ne soit point gouverné par sa providence
; ces paroles signifient donc simplement que son royaume n'est soumis ni aux
lois du temps, ni aux imperfections de notre humanité.
« Alors Pilate lui dit : Vous êtes donc roi ? Jésus
répondit : Vous le dites, je suis roi. » Nôtre-Seigneur ne craignait pas de
déclarer qu'il fut roi, mais il répond de manière à ne point nier qu'il soit
roi, et à ne point avouer qu'il l'est dans ce sens que son royaume fût de ce
monde. En effet, que répond-il à Pilate ? « Vous le dites, » c'est-à-dire, vous
êtes de la terre, et votre langage ne peut être que terrestre. Il ajoute : « Je
suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. » Il
ne faut point faire longue la syllabe de ce pronom hoc comme si le sens
était : « Je suis né dans cette condition, » mais la faire brève de manière
qu'elle présente cette signification : « Je suis né pour cela, » de même qu'il
dit : « C'est pour cela que je suis venu au monde. » Il est donc évident que le
Sauveur a voulu
parler ici de sa naissance temporelle et de sa venue comme homme dans le monde,
et non de sa naissance éternelle et sans commencement comme Dieu. — THEOPHYL. On peut dire encore que le
Seigneur interrogé par Pilate s'il était roi lui répondit : « Je suis né pour
cela, c'est-à-dire pour être roi, car par cela seul que je suis né d'un roi,
j'affirme que je suis roi moi-même. — S. CHRYS. (hom. 84 sur S.
Jean.) Mais s'il est né roi, il n'a donc, rien qu'il n'ait reçu. « Je suis
venu, poursuit-il, pour rendre témoignage à la vérité, » c'est-à-dire pour
persuader tous les hommes de la vérité. Considérez ici la grande douceur du Sauveur,
tandis qu'on le traitait comme un malfaiteur, il a supporté cet outrage en
silence ; mais quand on l'interroge sur son royaume, alors il répond à Pilate,
il cherche à l'instruire et à élever son esprit vers des idées plus hautes, et
veut le convaincre que toute sa conduite a été exemple de subterfuges et
d'artifices : « Je suis venu pour rendre témoignage à la vérité. »
S. AUG. Lorsque Jésus-Christ rend témoignage, à la
vérité, il se rend témoignage à lui-même ; car il a dit, en termes exprès
: « Je suis la vérité. » Mais comme la foi n'est pas le partage de tous, il
ajoute : « Quiconque est de la vérité, entend ma voix. » Il l'entend avec les
oreilles intérieures du cœur, c'est-à-dire il obéit à une voix, ou si vous
voulez, il croit en moi. Par ces paroles : « Quiconque est de la vérité, » le
Sauveur veut faire ressortir l'importance de la grâce, par laquelle il nous
appelle selon son décret. (Rm 8) Si nous considérons la nature dans
laquelle nous avons été créés, quel est celui qui n'est pas de la vérité,
puisque c'est la vérité qui a créé tous les hommes ? Mais tous ne reçoivent pas
de la vérité la grâce nécessaire pour obéir à la vérité. S'il avait dit :
Quiconque entend ma voix est de la vérité, on pourrait croire qu'on est de la
vérité, parce qu'on obéit à la vérité ; mais il dit, au contraire :
« Quiconque est de la vérité, entend ma voix. » Il entend, il est vrai ;
toutefois il n'est pas de la vérité, parce qu'il entend sa voix, mais il entend
sa voix parce qu'il est de la vérité, et que la vérité lui a donné cette grâce.
— S. CHRYS. En parlant de la
sorte, il attire à lui Pilate, et cherche à lui persuader de prêter l'oreille à
ses paroles, et il l'amène, par ce peu de paroles, à lui demander ce que c'est
que la vérité : « Pilate lui demanda : Qu'est-ce que la vérité ? » — THEOPHYL.
La vérité avait presque disparu du milieu des hommes, et elle était comme
inconnue à tous, à cause de leur incrédulité.
S. AUG. (Traité
115 sur S. Jean.) Aussitôt que Pilate eut fait celle question : « Qu'est-ce
que la vérité ? » il lui vint à l'esprit (je pense que c'était la coutume parmi
les Juifs,) qu'on leur accordât, à la fête de Pâques, la délivrance d'un
criminel ; il n'attendit donc pas que Jésus lui répondît, pour ne pas perdre de
temps, du moment qu'il se fut rappelé la coutume qui lui permettait de le
délivrer à la fête de Pâques, ce qui, de toute évidence, était son plus vif
désir, comme le prouve la nouvelle démarche qu'il fit : « Et, ayant dit cela,
il sortit encore pour aller vers les Juifs, » etc. — S. CHRYS. Il savait que la réponse à la question qu'il avait faite demandait du
temps, et qu'il fallait au plus tôt arracher Jésus à la fureur des Juifs ; et
c'est pourquoi il sort de nouveau du prétoire pour parler aux Juifs. — ALCUIN. Ou peut-être encore il
n'attendit pas la réponse, parce qu'il était indigne de l'entendre.
« Et il leur dit : Je ne trouve en lui aucun crime.
» Il ne leur dit pas : Puisqu'il est coupable et digne de mort, donnez-lui sa
grâce à l'occasion de la fête ; il proclame d'abord son innocence, puis il les
prie, du reste, s'ils ne veulent point le délivrer à cause de son innocence, de
le faire en considération de la fête : « C’est la coutume, parmi vous, que je
vous accorde, à la fête de Pâques, la délivrance d'un criminel, » etc. — BEDE. Cette coutume n'était pas
prescrite par la loi, elle venait d'une ancienne tradition des Juifs ; qui, en
souvenir de leur délivrance d'Egypte, délivraient chaque année un criminel à la
fête de Pâques. Pilate emploie donc à leur égard le langage de la persuasion :
« Voulez-vous que je vous délivre le Roi des Juifs ? » — S. AUG. On ne pouvait
arracher de son cœur que Jésus fût le Roi des Juifs, il semble que la vérité
elle-même, qu'il avait demandé a connaître, l'eût gravée dans sou cœur comme
elle le fit écrire sur l'inscription de la croix.
THEOPHYL. La réponse de Pilate, qui justifie Jésus
de toute accusation, est admirable, et c’est en vain que les Juifs cherchent à
le travailler, en lui représentant le Sauveur comme ayant désiré la royauté,
car le représentant des Romains n'aurait jamais acquitté et mis en liberté un
homme qui se serait déclaré roi en face de la puissance des empereurs romains.
Lors donc, qu'il leur dit : « Délivrerai-je le Roi des Juifs ? » il proclame
publiquement l'innocence de Jésus, et plaisante les Juifs en leur tenant ce langage : « Celui
que vous accusez d’avoir voulu se faire roi, j'ordonne de le mettre en liberté,
comme complètement innocent du crime dont vous le chargez. » — S. AUG. Mais à
ces mots, « ils crièrent de nouveau, tous ensemble : Non pas celui-ci,
mais Barabbas. » Or, Barabbas était un voleur. Nous ne vous faisons pas un
reproche, ô Juifs, de mettre en liberté un criminel, à l'occasion de la fête de
Pâques ! Mais nous vous faisons un crime d'avoir mis à mort un innocent ; et
cependant si vous n'agissiez de la sorte, la véritable Pâque n'aurait pas lieu.
— BEDE. Ils ont sacrifié le
Sauveur et demandé la grâce d'un brigand ; et, en punition de cet attentat, le
démon exerce impunément sur eux des brigandages. — ALCUIN. Barabbas signifie le fils de leur maître, c'est-à-dire
du diable ; car c'est le diable, qui fut le maître de ce voleur dans ses
crimes, comme il fut celui des Juifs dans leur trahison.
S. AUG. (Traité 116 sur S. Jean.) Les
Juifs ayant demandé à grands cris qu'à l'occasion de la fêle de Pâques, Pilate
leur délivrât non pas Jésus, mais Barabbas, « alors, dit l’Evangéliste, Plate
prit Jésus elle fit flageller. » Il est vraisemblable que Pilate n'eut en cela
d'autre pensée que de rassasier lu cruauté des Juifs, par la vue de ce
châtiment ignominieux, et de les empêcher de pousser la fureur jusqu'à demander
la mort de Jésus. C'est dans le même dessein qu'il permit, ou peut-être même
qu'il ordonna aux soldats de sa cohorte de faire ce que rapporte l'Evangéliste.
Il raconte, en effet, ce que firent les soldats, mais il ne dit point que ce
fut par l'ordre de Pilate : « Et les soldats, ayant tressé une couronne
d'épines, la mirent sur sa tête, et le revêtirent d'un manteau d'écarlate. Puis
ils venaient, à lui, et disaient : Je vous salue, roi des Juifs. » — S. CHRYS.
Comme pour répondre à ce que Pilate vient de dire, que Jésus était roi des
Juifs, ils le revêtent des insignes dérisoires de la royauté. — BEDE. Pour
diadème, ils lui mettent sur la tête une couronne d'épines, et pour la pourpre
dont se servaient autrefois les rois, ils lui jettent sur les épaules un
lambeau de pourpre. Le récit de saint Jean n'est point ici en contradiction
avec ce que dit saint Matthieu, qu'on jeta sur lui un manteau d'écarlate ; car,
selon la remarque d'Origène, l'écarlate et la pourpre ont une même origine ;
les excroissances qui contiennent la cochenille laissent couler, par les
incisions qu'on leur fait, des gouttes de sang, qui servent à teindre à la fois
la pourpre et l'écarlate. Bien que ce fût par dérision que les soldats traitent
ainsi le Sauveur, ils accomplissaient pour nous des actions pleines de
mystères. La couronne d'épines signifiait que Jésus se chargeait de nos péchés,
que la terre de notre corps produit comme autant d'épines ; le manteau de
pourpre est la figure de la chair, esclave de ses passions. Nôtre-Seigneur est
encore revêtu de pourpre, lorsqu'il se glorifie des triomphes remportés par les
martyrs.
S. CHRYS. Ce
n'était point pour obéir aux ordres du gouverneur que les soldats en agissaient
ainsi, mais pour plaire aux Juifs. Ce n'était point sur son ordre qu'ils
étaient venus pendant la nuit se saisir de Jésus, mais ils se portaient à tous
les excès pour être agréables aux Juifs, qui leur avaient promis de fortes
sommes d'argent. Cependant, au milieu de tant et de si cruels outrages, Jésus
garde le silence. Pour vous, ne vous contentez pas d'entendre le récit d'un tel
spectacle, mais qu'il soit toujours présent à votre esprit, et imitez le Roi de
l'univers et le Seigneur des anges, souffrant avec patience de semblables
outrages, et les supportant sans ouvrir la bouche. — S. AUG. C'est ainsi que Jésus-Christ accomplissait ce qu'il
avait prédit de lui-même ; c'est ainsi qu'il enseignait les martyrs à supporter
tout ce que la
cruauté des persécuteurs pourrait inventer contre eux ; c'est ainsi que le
royaume qui n'était pas de ce monde triomphait de ce monde superbe, non pas en
livrant des combats sanglants, mais en souffrant avec patience et humilité.
S. CHRYS. Pilate,
dans l'espérance que la vue de ces sanglants outrages mettrait un terme à la
fureur des Juifs, leur présente Jésus couronné d'épines : « Pilate sortit de
nouveau, et dit aux Juifs : Voici que je vous l'amène dehors, afin que vous
sachiez que je ne trouve en lui aucune cause de mort. » — S. AUG. Nous avons
ici une preuve que ce ne fut pas à l'insu de Pilate que les soldats exercèrent
ces actes de cruauté, soit qu'il les ait ordonnés, soit qu'il les ait
simplement permis, pour le motif que nous avons indiqué plus haut, afin que ses
ennemis pussent boire à longs traits ces sanglants outrages, et éteindre ainsi
la soif qu'ils avaient de son sang, « Jésus sortit donc portant une
couronne d'épines et un manteau d'écarlate. » Il parait, non pas dans l'éclat
de la royauté, mais au milieu des opprobres dont il est rassasié. « Et Pilate
leur dit : Voilà l'homme ; » c'est-à-dire, si vous portez envie au roi,
épargnez du moins celui que vous voyez si profondément humilié, et que toute
votre envie s'apaise et tombe devant cet excès d'ignominie.
S. AUG. (
Traité 116 sur S. Jean.) L'envieuse fureur des Juifs contre
Jésus-Christ ne fait que s'enflammer et s'accroître encore davantage : « Les
princes des prêtres et leurs satellites ne l'eurent pas plutôt vu, qu'ils
crièrent : Crucifiez-le, crucifiez-le. » — S. CHRYS.
(hom. 84 sur S. Jean.) Pilate, voyant l'inutilité de ses
efforts, leur dit : « Prenez-le vous-mêmes, et crucifiez-le. » C'est le langage
d'un homme qui manifeste son horreur pour une action, et qui semble engager à
faire ce qu'il n'a pas voulu accorder ; car les Juifs ne lui avaient amené
Jésus que pour qu'il fût condamné par le jugement du gouverneur lui-même ; or
il arriva tout le contraire, c'est-à-dire qu'il est déclaré innocent au
tribunal du gouverneur. C'est ce qu'il leur dit en propres termes : « Je ne
trouve pas en lui de cause qui mérite la mort. » C'est-à-dire qu'il ne cesse de
le justifier de toutes les accusations portées contre lui. Il est donc évident
que ce n'est que pour satisfaire leur fureur qu'il a livré Jésus à ces premiers
et sanglants outrages. Mais rien de tout cela ne fut capable d'émouvoir et de
fléchir les Juifs, semblables à des chiens affamés. « Les Juifs lui répondirent
: Nous avons une loi, et selon cette loi il doit mourir, parce qu'il s'est fait
Fils de Dieu. » — S. AUG. Voici
un sujet d'envie plus grande encore. L'usurpation de la puissance royale, par
des moyens illicites, n'était rien auprès du cette ambition sacrilège.
Cependant Jésus ne s'était arrogé injustement ni l'un ni l'autre de ces titres,
il les possède tous les deux en vérité, il est le Fils unique de Dieu, et Dieu
l'a établi roi sur Sion, sa montagne sainte (Ps 2), et il lui serait
facile de donner actuellement des preuves de cette double puissance, s'il ne
préférait montrer que sa patience est d'autant plus grande que sa puissance est
plus étendue. — S. CHRYS. Pendant
qu'il est ainsi l'objet de leurs disputes, il accomplit cette prophétie : « Il
n'a pas ouvert la bouche, et dans son humiliation son jugement a été supprimé.
» — S. AUG. (De l'accord des Evang., 2, 8.) Cette accusation des Juifs
peut se rattacher à celle que rapporte saint Luc : « Nous l'avons trouvé
soulevant notre nation, » et à laquelle on peut ajouter : « Parce qu'il s'est
fait Fils de Dieu. »
S. CHRYS. Pilate
est effrayé de ce nouveau chef d'accusation ; il craint que ce qu'il vient
d'entendre dire ne soit vrai, et qu'il ne s'expose à commettre une plus grande
injustice : « Pilate ayant entendu ces paroles, dit l'Evangéliste, fut
encore plus effrayé. » — BEDE. Pilate
est effrayé, non point parce qu'il entend parler de la loi (puisqu'il était
païen), mais parce qu'il craint de mettre à mort le Fils de Dieu. — S. CHRYS. Les Juifs, au contraire,
n'eurent point horreur de ce qu'ils venaient de dire, et ils mettent à mort le
Sauveur pour une cause qui aurait dû les faire tomber tous en adoration devant
lui.
S. CHRYS. (hom.
84 sur S. Jean.) Pilate, saisi de crainte, adresse à Jésus une
nouvelle question : « Et, étant rentré dans le prétoire, il dit à Jésus : D'où
êtes-vous ? » Il ne lui demande plus : Qu'avez-vous fait ? Mais Jésus ne lui
fit aucune réponse. Pilate lui avait entendu dire qu'il était né, et qu'il
était venu pour rendre témoignage à la vérité, et que son royaume n'était pas de ce monde ;
son devoir était donc de résister courageusement à ses ennemis, et de le
délivrer ; mais au contraire il se laisse entraîner par les injustes fureurs
des Juifs : Jésus ne lui fait donc aucune réponse, parce que les questions de
Pilate n'étaient pas sérieuses. D'ailleurs ses œuvres lui rendaient un
témoignage assez éclatant, et il ne voulait point triompher de ses accusateurs
par ses discours et par l'habileté de ses moyens de défense pour montrer qu'il
était venu volontairement pour souffrir.
S. AUG. Ce
silence de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, dans plusieurs circonstances, est
rapporté par tous les évangélistes. Jésus se tait, en effet, devant le prince
des prêtres, devant Hérode et devant Pilate lui-même. Il accomplit ainsi
pleinement cette prophétie : « Il est demeuré dans le silence, sans ouvrir la
bouche, comme un agneau est muet devant celui qui le tond, » (Is 53) en
ne répondant pas à ceux qui l'interrogent. Il a répondu, sans doute, à
plusieurs des questions qui lui étaient faites, cependant la comparaison de
l'agneau reste vraie pour les circonstances où il n'a pas voulu répondre ;
ainsi sou silence est une preuve, non de sa culpabilité, mais de son innocence,
et il a été devant ses juges, non comme un coupable convaincu de ses
crimes, mais comme un innocent, immolé pour les péchés des autres.
S. CHRYS. Jésus,
continuant de se taire, « Pilate lui dit : Vous ne me parlez pas, ignorez-vous
donc que j'ai le pouvoir de vous crucifier et le pouvoir de vous délivrer ? »
Voyez comme Pilate est lui-même ici son propre juge. En effet, si tout dépend
de vous, pourquoi ne délivrez-vous pas celui en qui vous ne trouvez aucune
cause de mort ? Après que Pilate eut ainsi prononcé sa propre condamnation,
Jésus lui répondit : « Vous n'auriez sur moi aucun pouvoir, s'il ne vous était
donné d'en haut. » Il lui apprend ainsi que les événements qui le concernent ne
suivent pas la marche ordinaire des choses, et ne découlent pas de causes
naturelles, mais de raisons secrètes et surnaturelles ; ne croyez pas cependant
que le Sauveur justifie entièrement pour cela la conduite de Pilate : « C'est
pourquoi, ajoute-t-il, celui qui m'a livré à vous est coupable, d'un plus grand
péché. » Mais, me direz-vous, si ce pouvoir a été donné d'en haut, ni Pilate,
ni les Juifs ne sont coupables d'aucun crime ? Vaine objection, car ce pouvoir
lui a été donné dans ce sens qu'il lui a été accordé, c'est-à-dire que Dieu a
permis tout ce qui arrivait, mais Pilate, et les Juifs n'en sont pas pour cela
moins coupables.
S. AUG. Nôtre-Seigneur répond ici à la question qui
lui était faite ; lors donc qu'il ne répondra pas, ce n'est ni par conscience
de sa culpabilité, ni par artifice, mais parce qu'il est semblable à l'agneau,
qui se tait devant ceux qui le tondent ; et, lorsqu'il croit devoir répondre,
c'est pour enseigner, comme pasteur. Recueillons donc ici la leçon que
Nôtre-Seigneur nous donne, et qu'il nous enseigne encore par son Apôtre : « Il
n'y a point de puissance qui ne soit de Dieu ; » (Rm 13, 1) et celui
qui, poussé par un noir sentiment d'envie, livre au pouvoir un innocent pour le
faire mettre à mort, est plus coupable que le dépositaire du pouvoir lui-même
qui condamne cet innocent, parce qu'il craint le pouvoir qui lui est supérieur.
En effet, le pouvoir que Dieu avait donné à Pilate était subordonné à celui de
César. C'est pour cela que Jésus lui dit : « Vous n'auriez sur moi aucun
pouvoir (c'est-à-dire le moindre pouvoir tel que celui que vous avez), si ce
pouvoir, quel qu'il soit, ne vous avait été donné d'en haut. » Mais comme je
connais l'étendue de ce pouvoir (qui ne va pas jusqu'à être complètement
indépendant), je déclare que a celui qui m'a livré entre vos mains est coupable
d'un plus grand péché. » C'est par un sentiment d'envie qu'il m'a livré à votre
pouvoir, tandis que c'est par un sentiment de crainte que vous exercez contre
moi ce pouvoir. Jamais on ne doit sacrifier à la crainte la vie d'un innocent,
mais c'est un bien plus grand crime de la sacrifier à l'envie. Aussi Nôtre-Seigneur
ne dit pas : Celui qui m'a livré entre vos mains est coupable de péché (comme
si Pilate lui-même ne l'était pas), mais : il est coupable d'un plus grand
péché ; » paroles qui devaient faire comprendre à Pilate qu'il était loin
d'être exempt de faute. — THEOPHYLACTE. « Celui qui m'a livré, » c'est-à-dire
Judas, ou la foule. Devant cette réponse si claire de Jésus : « Si je ne me
livrais moi-même, et si mon Père ne vous l'accordait, vous n'auriez sur moi
aucun pouvoir, » Pilate fait de plus grands efforts pour délivrer Jésus.
« De ce moment, Pilate cherchait à le délivrer. » — S. AUG. Lisez ce
qui précède, et vous trouverez que déjà il avait cherché les moyens de mettre
Jésus en liberté. L'expression : « Depuis lors, de ce moment, de là, »
signifie : à cause de cela, pour ce motif, c'est-à-dire pour ne pas se rendre
coupable de péché, en condamnant à mort un innocent qui était livré entre ses
mains.
S. AUG. (Tr.
116 sur S. Jean.) Les Juifs s'imaginèrent qu'en menaçant Pilate de
César, ils lui inspireraient une crainte plus grande encore, et qu'ils
obtiendraient de lui la condamnation de Jésus plus efficacement que lorsqu'ils
lui avaient dit : « Nous avons une loi, et selon notre loi il doit mourir,
parce qu'il s'est fait Fils de Dieu. » Mais les Juifs criaient : « Si vous le
délivrez, vous n'êtes point ami de César, car quiconque se fait roi n'est pas
ami de César. » — S. CHRYS. (Hom.
84 sur S. Jean.) Mais comment pouvez-vous prouver qu'il a voulu se
faire roi ? Par la pourpre dont il était revêtu ? par son diadème ? par ses
chars ? par ses soldats ? Est-ce qu'il ne marchait pas toujours seul avec ses
douze disciples, ne se servant que de ce qu'il y avait de plus commun pour sa
nourriture, pour son vêtement, pour son habitation ?
S. AUG. La
crainte de la loi des Juifs n'avait eu aucune influence sur Pilate pour le
déterminer à faire mourir Jésus-Christ ; il avait craint bien plus de livrer à
la mort le Fils de Dieu. Mais il ne put se résoudre à ne pas tenir compte de
César, de qui venait son pouvoir, comme il avait fait pour la loi d'un peuple
étranger. Aussi, dit l'Evangéliste, « Pilate, ayant entendu ces paroles, fit
amener Jésus dehors, et il s'assit sur son tribunal au lieu qui est appelé lithostrotos,
on hébreu gabatha. » — S. CHRYS.
Pilate quille les Juifs pour examiner plus sérieusement encore cette
affaire, ce qu'indiquent ces paroles : « Il s'assit sur son tribunal. » — LA GLOSE. Le tribunal est pour les
juges ce que le trône est pour les rois, ce que la chaire est pour les docteurs. — BEDE. Le mot lithostrotos, qui
signifie terrain pavé de pierres, était un lieu élevé comme l'indique le
mot hébreu.
C'était le jour de la préparation de la Pâque, vers
la sixième heure. — ALCUIN. Le
mot parasceve veut dire préparation. C'est le nom que l'on
donnait au sixième jour de la semaine, parce que l'on préparait en ce jour ce
qui était nécessaire pour le jour du sabbat, comme Dieu l'avait recommandé pour
la manne : « Le sixième jour, vous en recueillerez le double. » (Ex 16)
L'homme a été créé le sixième jour, et Dieu s'est reposé le septième, c'est
pour cela que le Sauveur a voulu souffrir le sixième jour, et reposer le
septième jour dans le sépulcre : « C'était vers la sixième heure. » — S. AUG. (Traité 117 sur S.
Jean.) Pourquoi donc saint Marc rapporte-t-il que ce fut à la troisième
heure qu'ils le crucifièrent ? C'est-à-dire, qu'il fut crucifié à la troisième
heure par les langues des Juifs, et qu'il le fut à la sixième heure par les
mains des soldats. Il nous faut donc comprendre que la cinquième heure était
passée, et la sixième commencée lorsque Pilate s'assit sur son tribunal à la
sixième heure, comme le dit saint Jean, et que cette sixième heure s'écoula
tout entière, pendant le trajet du Calvaire, le crucifiement et les différentes
circonstances qui se passèrent au pied de la croix. C'est depuis cette heure
jusqu'à la neuvième que le soleil s'obscurcit, et que les ténèbres se
répandirent sur toute la terre, comme l'affirment les trois évangélistes saint
Matthieu, saint Marc et saint Luc. Mais comme les Juifs ont cherché à rejeter sur les Romains
(c'est-à-dire sur Pilate et ses soldats), le crime d'avoir mis à mort
Jésus-Christ, saint Marc passe sous silence l'heure à laquelle les soldats
crucifièrent le Sauveur, et rappelle de préférence la troisième heure, pour
nous faire comprendre que ce ne sont pas seulement les soldats qui l'ont
crucifié, mais encore les Juifs qui ont demandé à grands cris, à la troisième
heure, qu'il fût crucifié. On peut encore expliquer autrement celte difficulté
en prenant cette sixième heure comme la sixième heure de la préparation et non
la sixième heure du jour. En effet, saint Jean ne dit pas : C'était vers la
sixième heure du jour, mais : « C'était vers la sixième heure de la
préparation. » Le mot parascere signifie eu latin prœparatio, et,
comme le dit l'Apôtre : « Jésus-Christ, notre Agneau pascal, a été immolé. » (1
Co 5) Or, si nous comptons la préparation de cette pâque, depuis la
neuvième heure de la nuit, où les princes des prêtres prononcèrent l'arrêt de
mort du Sauveur, en disant : « Il est digne de mort, » jusqu'à la troisième
heure du jour, où l'évangéliste saint Marc rapporte qu'il fut crucifié, nous
trouvons six heures, trois heures de nuit et trois heures de jour. — THEOPHYL. Il en est qui résolvent cette
difficulté en rejetant cette variante sur la négligence d'un copiste parmi les
Grecs, chez qui les lettres de l'alphabet font l'office de chiffres. En effet, la lettre
grec appelée γάμμα qui est caractérisée par la γ, désigne la troisième heure, tandis
qu'une autre lettre qui a quelque ressemblance avec la première, c'est-à-dire,
la lettre ς, signifie la sixième heure. Or, il a pu très-bien arriver que,
par la négligence des copistes, un de ces signes ait été employé pour l'autre.
S. CHRYS. Pilate
était sorti sous le prétexte de procéder à un nouvel interrogatoire, mais au
fond il n'en fait rien, et il abandonne Jésus aux Juifs, espérant les fléchir
par cette condescendance : « Et il dit aux Juifs : Voilà votre roi. » —
THEOPHYL. C'est-à-dire : Voilà cet homme que vous accusez de vouloir usurper la
royauté ; dans cet étal d'humiliation, il ne peut rien entreprendre de
semblable. — S. CHRYS. Tout ce
que Pilate leur avait déjà dit devait suffire pour apaiser leur fureur, mais
ils craignaient qu'une fois délivré, Jésus n'entraînât de nouveau la multitude
après lui ; car l'ambition est pleine d'artifices, et elle est capable de
conduire une âme à sa perte. Aussi les Juifs redoublent-ils leurs
instances : « Mais eux criaient : Otez-le, ôtez-le du monde. » Ils
s'efforcent de le faire mourir de la plus ignominieuse des morts, et c'est pour
cela qu'ils ajoutent : « Crucifiez-le, » tant ils redoutent que sa renommée
survive à sa mort. — S. AUG. Pilate
cherche encore à surmonter la terreur que lui a inspiré le nom de César : «
Pilate leur demanda : Crucifierai-je votre roi ? » Il veut fléchir par la
considération de leur propre ignominie ceux qu'il n'a pu adoucir par le
spectacle des ignominies de Jésus-Christ.
« Les pontifes répondirent : Nous n'avons de roi que
César. » — S. CHRYS. Dieu ne les
a livrés au châtiment que parce qu'ils l'avaient choisi de leur pleine volonté.
Ils ont repoussé unanimement le règne de Dieu, et Dieu les a rendus victimes de
leur propre jugement. Ils ont repoussé le règne de Jésus-Christ et ils ont
appelé sur eux le règne de César.
S. AUG. Enfin
Pilate se laisse vaincre par la crainte : « Alors, il le leur livra pour être
crucifié. » Il aurait paru, en effet, se déclarer ouvertement contre César
en persistant à vouloir donner un autre roi à ceux qui déclaraient n'avoir
d'autre roi que César, et en accordant l'impunité à celui dont ils lui
demandaient la mort parce qu'il avait osé aspirer à la royauté. L'Evangéliste
ne dit pas : Il le leur livra pour qu'ils le crucifiassent, mais : «
Afin qu'il fût crucifié, » en vertu du jugement et du pouvoir du gouverneur.
Mais il dit positivement que Jésus leur fut livré pour montrer qu'ils étaient
étroitement associés au crime dont ils s'efforçaient d'éloigner d'eux le
soupçon ; car jamais Pilate ne serait arrivé à cette extrémité s'il n'avait
voulu en cela satisfaire leurs plus vifs désirs.
LA GLOSE. Sur l'ordre qui leur fut
donné par le gouverneur, les soldats se saisirent de Jésus pour le crucifier :
« Ils prirent donc Jésus et remmenèrent. » — S. AUG. (Traité 110 sur S. Jean.) On peut entendre
ici que ce furent les soldais qui faisaient partie de la garde du gouverneur,
car plus bas l'Evangéliste s'exprime sans ambiguïté : « Lorsque les
soldats l'eurent crucifié. » Mais quand il attribuerait exclusivement aux Juifs
l'exécution tout entière du crime, ce ne serait que justice, car ils sont
véritablement les auteurs de la condamnation qu'ils ont arrachée à Pilate.
S. CHRYS. (Hom.
83 sur S. Jean.) Mais comme aux yeux des Juifs le bois de la croix
était un bois souillé qu'ils évitaient avec soin et qu'ils n'auraient jamais
consenti à toucher, ils en chargèrent Jésus lui-même comme un criminel condamné
à mort : « Et portant sa croix, » etc. C'est ce qui déjà avait eu lieu dans
celui qui était la figure du Sauveur, Isaac, qui avait porté lui-même le bois
de son sacrifice : mais alors le sacrifice figuratif ne s'accomplit que dans la
volonté du père, tandis qu'il dut s'accomplir ici en réalité, parce que c'était
la vérité. — THEOPHYL. De même qu'Isaac
fut délivré et qu'un bélier fut immolé en sa place, de même la nature divine
demeure ici impassible, et il n'y a eu d'immolé que l'humanité, qui fait
comparer le Sauveur à un bélier, comme étant le fils d'Adam, semblable à un
bélier qui s'est égaré. Mais comment expliquer ce que dit un autre évangéliste,
qu'ils forcèrent Simon de porter la croix ? — S. AUG. (De l'accord des Evang., 3, 10.) Les deux choses
se sont faites successivement, d'abord ce que dit saint Jean, et ensuite ce que
rapportent les trois autres évangélistes ; il faut donc admettre qu'il portait
lui-même sa croix au moment où il se dirigeait vers le lieu du Calvaire.
S. AUG. (Trait.
117 sur S. Jean.) Quel grand spectacle ! Mais aux yeux de l'impiété,
quel immense sujet de moquerie ! aux yeux de la piété, quel grand et
touchant mystère ! L'impiété tourne en dérision ce Roi qu'elle voit, au lieu de
sceptre, porter le bois de son supplice ; la piété contemple ce Roi qui porte
cette croix où il devait se clouer lui-même avant de la placer sur le front des
rois. Cette croix le rendra un objet de mépris pour les impies, mais les cœurs
des saints y placeront toute leur gloire. Il relève donc, la croix en la
portant sur ses épaules, et il portait ainsi le chandelier de cette lampe qui
devait répandre sa lumière et ne point demeurer sous le boisseau. — S. CHRYS. Semblable aux triomphateurs, il
portait sur ses épaules le signe de sa victoire.
Il en est qui prétendent qu'Adam est mort et
enseveli dans cet endroit qui est appelé Calvaire, et que Jésus avait voulu
établir le trophée de sa victoire là où la mort avait inauguré son règne. — S. JER. (Sur S. Matth.) Cette
opinion flatte agréablement l'esprit du peuple, mais elle est dénuée de vérité.
Car, c'est hors de la ville et au delà des portes que l'on tranchait la tête à
ceux que l'on condamnait à mort, d'où ce lieu a pris le nom de Calvaire (ou
lieu de ceux qui sont décapités). Quant à Adam, nous lisons dans le livre de
Josué, fils de Navé, qu'il a été enseveli entre Ebron et Arbée.
S. CHRYS. Or,
ils le crucifièrent avec des voleurs, dit l'Evangéliste : « Ils le
crucifièrent, et avec lui deux antres, un de chaque côté, et Jésus au milieu, »
accomplissant ainsi malgré eux la prophétie d'Isaïe : « Il a été mis au nombre
des scélérats ; » (Is 53) et c'est que ce qu'ils faisaient pour
l'outrager servait au triomphe de la vérité. Le démon voulait obscurcir l'éclat
de cette mort, mais il ne put y parvenir. Il y avait trois crucifiés, mais
personne n'attribua à un autre qu'à Jésus les miracles qui se firent. Tous les
efforts du démon furent donc inutiles ; et, loin d'obscurcir sa gloire, il la
fit briller d'un plus vif éclat, car le miracle que fit Jésus en convertissant
un des voleurs et en lui ouvrant les portes du ciel est bien plus grand que
celui d'ébranler et de fendre les rochers.
S. AUG. (Trait.
31 sur S. Jean, vers la fin.) Cependant, si vous voulez y faire
attention, la croix de Jésus fut un tribunal ; le juge était placé au milieu de
deux criminels : l'un des deux crut et fut sauvé ; l'autre insulta son juge et
fut condamné. Il commençait à faire dès lors ce qu'il doit accomplir un jour à
l'égard des vivants et des morts, en plaçant les uns à sa droite et les autres
à sa gauche.
S. CHRYS. (Hom.
84 sur S. Jean.) De même que l'on met sur les trophées des
inscriptions qui rappellent les victoires des triomphateurs, ainsi Pilate place
une inscription sur la croix de Jésus : « Pilate fil aussi une inscription
qu'il fit mettre au haut de la croix. » Il veut par là prendre la défense de Jésus-Christ
et séparer sa cause de celle des voleurs, et tout à la fois se venger des
Juifs, en faisant ainsi connaître publiquement l'excès de leur malice, qui les
a portés à s'élever contre leur propre roi : « Il y était écrit : Jésus de
Nazareth, roi des Juifs. » — BEDE. Il
était ainsi démontré que le règne de Jésus-Christ, loin d'être détruit comme le
pensaient les Juifs, était bien plutôt affermi. — S. AUG. (Traité 118
sur S. Jean.) Mais est-ce que Jésus est seulement le roi des Juifs ?
a'est-il pas aussi le roi des Gentils ? Oui sans doute, il l'est aussi des
Gentils, car après avoir dit par la bouche du prophète : « J'ai été établi roi
par lui sur Sion, sa montagne sainte, » il ajoute : « Demandez-moi, et je vous
donnerai les nations pour héritage. » (Ps 20) Il nous faut donc voir
dans cette inscription un grand mystère, c'est-à-dire, que l'olivier sauvage a
pris part à la sève et au suc de l'olivier (Rm 11, 17), et que ce n'est
pas l'olivier franc qui a pris part à l'amertume de l'olivier sauvage. Jésus-Christ
est donc le roi des Juifs, mais des Juifs circoncis de cœur plutôt
qu'extérieurement, de cette circoncision qui se fait par l'esprit, et non par
la lettre.
« Beaucoup de Juifs lurent cette inscription, parce
que le lieu où Jésus fut crucifié était près de la ville. » — S. CHRYS. Il est vraisemblable qu'un grand
nombre de Gentils s'étaient rendus avec les Juifs à Jérusalem pour la fête de
Pâque, et afin que tous pussent lire cette inscription, elle fut écrite non
dans une seule langue, mais dans trois langues différentes : « Elle était
écrite en hébreu, en grec et en latin. »
— S. AUG. Ces
trois langues étaient alors les plus répandues : la langue hébraïque, qui était
celle des justes, qui se glorifiaient de leur loi ; la langue grecque, celle
des sages parmi les païens ; la langue latine, qui était celle des Romains,
dont la domination s'étendait alors sur presque toutes les nations de la terre.
— THEOPHYL. Cette inscription en
trois langues signifiait que le Christ était le roi des trois sciences, la
science pratique, la physique et la théologie. La langue latine figure la
science pratique, les Romains ayant déployé, dans leurs expéditions, une
puissance et une habileté sans égale ; la langue grecque est le symbole de la
science physique, parce qu'en effet les Grecs ont consacré tous leurs efforts à
la découverte des phénomènes de la nature ; enfin la langue hébraïque signifie
la théologie, parce que c'est aux Juifs qu'a été confiée la connaissance des
choses divines.
S. CHRYS. L'envie
des Juifs poursuit Jésus-Christ jusque sur la croix : « Les princes des prêtres
dirent donc à Pilate : N'écrivez point : Le roi des Juifs ; mais qu'il s'est
dit roi des Juifs. » Car cette inscription semble affirmer la proposition
qu'elle exprime ; mais si l'on ajoute : Qu'il s'est dit roi des Juifs, on y
verra une preuve de son audacieuse et criminelle ambition. Mais Pilate
persévère dans son premier dessein : « Pilate répondit : Ce qui est écrit est
écrit. » — S. AUG. O puissance ineffable de l'action de Dieu jusque dans les
cœurs de ceux qui la méconnaissent ! Ne semble-t-il pas qu'une voix secrète, un
silence qui avait son éloquence faisait retentir aux oreilles de son âme ce qui
avait été prédit si longtemps auparavant dans le livre des Psaumes : « Ne
changez pas l'inscription du titre ? » Mais que dites-vous, prêtres insensés !
Cette inscription cessera-t-elle d'être vraie, parce que Jésus a dit :
« Je suis roi des Juifs ? » Si l'on ne peut changer ce que Pilate a écrit,
pourra-t-on changer ce qui est affirmé par la vérité elle-même ? Pilate a écrit
ce qu'il a écrit, parce que le Seigneur a véritablement dit ce qu'il
a dit.
S. AUG. (Traité
118 sur S. Jean.) Sur
le jugement rendu par Pilate, les soldats placés sous ses ordres crucifièrent
Jésus, comme le dit l'Evangéliste : « Les soldats, après avoir crucifié
Jésus, » etc. Et cependant si nous considérons les intentions, si nous
prêtons l'oreille aux cris qui se font entendre, ce sont bien plutôt les Juifs
qui l'ont crucifié. Les trois autres évangélistes ont raconté plus
succinctement ce fait et le tirage au sort des vêlements du Sauveur, tandis que
saint Jean entre ici dans de plus grands détails : « Ils prirent ses vêtements
et ils en firent quatre parts, » etc. On voit par là que ce furent quatre soldats
qui crucifièrent Jésus par les ordres de Pilate : « Et sa tunique ; »
sous-entendez : « Ils prirent » pour donner à la phrase ce sens : « Ils prirent
aussi sa tunique. » L'Evangéliste s'exprime de la sorte pour nous faire
comprendre que les soldats partagèrent les autres vêtements sans les tirer au
sort, ce qu'ils ne firent que pour la tunique, qu'ils prirent avec ses autres
vêtements sans la partager. « Et cette tunique, poursuit-il, était sans
couture, d'un seul tissu depuis le liant jusqu'en bas. » — S. CHRYS. (hom.
85 sur S. Jean.) Saint Jean nous fait ici une description de la
tunique du Sauveur, et comme c'est l'usage dans la Palestine de faire les
vêtements avec deux morceaux d'étoffe que l'on réunit ensemble, il veut nous
montrer que telle était la tunique de Jésus, pour nous faire comprendre
indirectement la pauvreté de ses vêtements. — THEOPHYL.
D'autres disent que dans la Palestine on tisse la toile non comme chez
nous en mettant le tissu au-dessous et la chaîne au-dessus de manière que le
tissu se dirige vers le haut, mais dans un sens tout contraire.
S. AUG. L'Evangéliste
nous apprend ensuite pourquoi cette tunique fut tirée au sort : « Ils se dirent
donc entre eux : Ne la divisons point, » etc. Ils avaient donc divisé en
parties égales les autres vêtements, ce qui avait rendu superflu le tirage au
sort ; mais pour cette tunique, ils ne pouvaient en avoir chacun une partie
qu'en la coupant en quatre lambeaux qui leur eussent été complètement inutiles.
Pour éviter cet inconvénient, ils aimèrent mieux que le sort la rendît la part
d'un seul. Les oracles des prophètes viennent rendre ici témoignage au récit
évangélique : « Afin que s'accomplît cette parole de l'Ecriture : Ils se sont
partagé mes vêtements, » etc. — S. CHRYS.
Voyez quelle précision dans sa prophétie ; le Prophète ne prédit pas
seulement ce que les soldats ont partagé, mais ce qui n'a pu être l'objet d'un
partage, en effet, ils ont partagé les vêtements, mais ils ont tiré au sort la
tunique qu'ils n'ont pas voulu diviser.
S. AUG. Le
récit de saint Matthieu ainsi conçu : « Ils se partagèrent ses vêtements en les
tirant au sort, » a voulu nous faire entendre que ce partage s'étendit à tous
les vêtements et à la tunique elle-même qu'ils tirèrent au sort. Saint Luc
s'exprime en termes à peu près semblables : « Partageant ensuite ses vêtements,
ils les jetèrent au sort, » c'est-à-dire qu'en partageant ses vêtements, ils en
vinrent à la tunique qu'ils tirèrent au sort. Saint Luc a mis le mot sort au
pluriel sortes pour le singulier sortem. Le récit du saint Marc,
seul paraît faire quelque difficulté : « Ils se partagèrent ses vêtements, les
tirant au sort, pour savoir ce que chacun en emporterait. » Il semble par là
qu'ils aient tiré au sort la totalité des vêtements, et non la tunique seule ; mais
cette ambiguïté n'est due qu'à la concision du récit. Ces paroles : « Les
tirant au sort » équivalent à celles-ci : « Les tirant au sort au moment du
partage. » Il ajoute : « Pour savoir ce que chacun en emporterait, »
c'est-à-dire, pour savoir qui emporterait sa tunique, et le sens complet de la
phrase serait celui-ci : « Ils tirèrent ses vêtements au sort pour savoir qui
emporterait sa tunique qui restait après le partage égal des autres vêtements.
Les vêtements du Sauveur partagés en quatre parts représentent l'universalité
de l'Eglise qui s'étend aux quatre parties du monde, et qui se trouve également
répandue dans chacune d'elles. La tunique tirée au sort figure l'unité de
toutes les parties unies entre elles par le lien de la charité. Mais si la charité
nous ouvre une voie plus excellente (1 Co 12), si elle est supérieure à
la science (Ep 3), si elle est le premier de tous les commandements
selon ces paroles de saint Paul : « Par-dessus tout ayez la charité, » (Col 3)
c'est avec raison que le vêlement qui fin est le symbole est d'un seul tissu
depuis le haut jusqu'en bas. L'Evangéliste ajoute : « Jusqu'en bas, » car il
faut nécessairement avoir la charité pour appartenir à ce grand tout qui
s'appelle l'Eglise catholique. Elle est sans couture pour qu'elle ne puisse se séparer, et elle
devient la possession d'un seul, parce qu'elle ramène tous les hommes à
l'unité. Le tirage au sort est une figure de la grâce de Dieu, car lorsqu'on
règle une chose par le sort on ne tient compte ni de la qualité des personnes
ni de leurs mérites, mais on laisse la décision aux dispositions secrètes des
jugements de Dieu.
S. CHRYS. Ou
bien encore, selon l'interprétation de quelques-uns, cette tunique sans
couture, d'un seul tissu dans toute son étendue, figure dans le sens
allégorique que ce n'est pas seulement un homme mais un Dieu qui est crucifié.
THEOPHYL. On peut dire encore que cette tunique sans
couture est la figure du corps de Jésus-Christ qui est comme tissu dans sa
partie supérieure, car l'Esprit saint est survenu dans la Vierge Marie ; et la
vertu du Très-Haut l'a couverte de son ombre. Le très-saint corps de
Jésus-Christ est donc indivisible ; car bien qu'il soit distribué à tous pour
sanctifier l'âme et le corps de chaque fidèle, cependant il est dans tous en
entier et d'une manière indivisible. Comme le monde visible est composé de
quatre éléments, on peut voir dans les vêtements du Sauveur partagés en quatre
parties égales les créatures visibles que les démons se partagent entre eux,
toutes les fois qu'ils mettent à mort le Verbe de Dieu qui habite en nous, et
qu'ils s'efforcent de nous entraîner dans leur malheureux sort par les charmes
trompeurs des plaisirs du monde.
S. AUG. De
ce que cette action est accomplie par des hommes pervers, il ne s'ensuit pas
qu'elle ne puisse être la figure d'une bonne chose, car alors que dirons-nous
de la croix elle-même qui a été préparée par les impies ? Et cependant nous y
voyons figurées ces dimensions
mystérieuses dont parle l'Apôtre, c'est-à-dire, « la largeur, la longueur, la
hauteur et la profondeur. » (Ep 3, 18.) La largeur est dans le bois
transversal sur lequel les bras du crucifié sont étendus, elle figure les
bonnes oeuvres qui s'accomplissent dans toute l'expansion de la charité. La
longueur est dans la partie qui descend jusqu'à terre et signifie la
persévérance qui est égale à la longueur du temps. La hauteur est dans le
sommet qui s'élève au-dessus de la partie transversale ; elle figure la fin
surnaturelle à laquelle nous devons rapporter toutes nos oeuvres. La profondeur
enfin est dans la partie qui s'enfonce dans la terre ; cette partie est cachée,
c'est elle cependant qui soutient toutes les parties apparentes de la croix ;
c'est ainsi que le principe de toutes nos bonnes oeuvres sort des profondeurs
de la grâce de Dieu que personne ne peut comprendre. Mais quand même la croix
de Jésus-Christ ne figurerait autre chose que ce que l'apôtre saint Paul
exprime en ces termes : « Ceux qui appartiennent à Jésus-Christ ont crucifié
leur chair avec ses passions ni ses désirs déréglés ; » (Ga 5, 24) quel
grand bien ce serait déjà ! Enfin qu'est-ce que le signe de Jésus-Christ, si ce
n'est sa croix ? Si on n'imprime ce signe sur les fronts des fidèles, si on ne
le trace sur l'eau qui les régénère, sur l'huile du chrême qui sert à l'onction
sainte, sur le sacrifice qui les nourrit, aucun de ces sacrements n'est
administré suivant les règles de leur institution divine.
THEOPHYL. Pendant que les soldats
s'occupaient de leurs misérables intérêts, Jésus étendait sa sollicitude sur sa
sainte Mère : « Voilà ce que firent les soldats. Cependant, debout près de la
croix de Jésus était sa mère, » etc. — S. AMBR.
(Lettre à l'Eglise de Verceil.) Marie, mère de Jésus se tenait
debout au pied de la croix de son Fils, saint Jean est le seul qui nous
apprenne cette circonstance. Les autres évangélistes ont décrit le monde
ébranlé au moment où le Sauveur fut crucifié, le ciel couvert de ténèbres, le
soleil refusant sa lumière, le ciel ouvert au bon larron pieusement repentant.
Mais saint Jean nous apprend ce dont les autres n'ont point parlé, les paroles
qu'il a, du haut de la croix, adressées à sa mère. Il a estimé qu'il était plus
merveilleux que Jésus triomphant de ses douleurs ait donné à sa mère ce
témoignage de tendresse, que d'avoir fait don du ciel au bon larron ; car si la
grâce qu'il accorde au bon larron est une preuve de sa miséricorde, cet
hommage public d'affection extraordinaire que le Fils rend à sa mère témoigne
une piété filiale bien plus grande et plus admirable. « Femme, lui dit-il,
voilà votre Fils, » et au disciple : « Voilà votre mère. » Jésus-Christ testait
du haut de la croix, et son affection se partageait entre sa mère et son
disciple. Le Sauveur faisait alors non-seulement son testament pour tous les hommes,
mais son testament particulier et domestique, et ce testament recevait la
signature de Jean, digue témoin d'un si grand testateur. Testament qui avait
pour objet, non une somme d'argent, mais la vie éternelle, qui n'était point
écrit avec de l'encre, mais avec l'Esprit du Dieu vivant (2 Co 3) : « Ma
langue, disait le Psalmiste, est comme la plume de l'écrivain qui écrit très-vite. » (Ps
44) Il ne convenait pas non plus que Marie fût au-dessous de ce qu'exigeait la dignité de
mère de Dieu ; aussi tandis que les Apôtres ont pris la fuite, elle se tient
debout au pied de la croix, elle jette des regards pieusement attendris sur les
blessures de son Fils, parce qu'elle considère non la mort de ce Fils chéri,
mais le salut du monde. Ou bien encore, comme elle savait que la mort de son
Fils devait être la rédemption du monde, elle croyait en formant ainsi la cour
de ce divin Fils ajouter par sa propre mort au sacrifice qu'il offrait pour
tous les hommes : mais Jésus n'avait pas besoin qu'on vînt lui prêter secours
pour la rédemption du monde, lui qui a sauvé tous les hommes sans le secours de
personne ; ce qui lui fait dire par la bouche du Roi-prophète : « J'ai été
comme un homme sans aide, libre entre les morts. » (Ps 87) Il accepte le témoignage d'affection
de sa mère, mais il n'implore le secours d'aucune créature. Mères pieuses,
imitez cette Vierge sainte qui dans la mort de son Fils unique et bien-aimé
vous donne un si grand exemple de vertu maternelle ; car jamais vous n'avez eu
des enfants plus chéris, et cette divine Vierge ne pouvait avoir, comme vous,
l'espérance de donner le jour à un autre fils.
S. JER. (Contre
Helvid.) Cette Marie qui est appelée dans saint Marc et dans saint Matthieu
la mère de Jacques et de Joseph, fut l'épouse d'Alphée et la sœur de Marie,
mère du Seigneur. Saint Jean l'appelle Marie de Cléophas, nom qui lui vient
soit de son père, soit de sa famille, soit de quelque autre cause. Si vous
étiez tenté de croire que Marie, mère de Jacques le Mineur, et celle qui est
ici appelée Marie de Cléophas sont deux personnes différentes, il faut vous
rappeler que la coutume de l'Ecriture est de donner différents noms à une seule et même personne.
— S. CHRYS. Remarquez ici que
c'est le sexe le plus faible qui fit paraître le plus de courage ; les femmes
restent au pied de la croix pendant que les disciples se sont enfuis.
S. AUG. (De
l'acc. des Evang., 3, 21.) Si saint Matthieu et saint Luc n'avaient pas
désigné nominativement Marie-Madeleine, nous aurions pu dire que parmi ces
femmes les unes s'étaient tenues près de la croix, et les autres plus
éloignées, car saint Jean seul fait ici mention de la mère du Sauveur. Mais
comment entendre que la même Marie-Madeleine s'est tenue loin de la croix
(comme le rapportent saint Matthieu et saint Luc) et qu'elle fût au pied de la
croix, suivant le récit de saint Jean ? Il faut dire que malgré l'intervalle
qui les séparait de la croix, on pouvait dire qu'elles en étaient rapprochées,
parce qu'elles en étaient à portée, et en même temps qu'elles ni étaient loin
en comparaison de la foule qui en était plus rapprocher avec le centurion et
les soldats. On peut encore admettre que les pieuses femmes qui étaient
présentes avec la mère du Seigneur s'éloignèrent de la croix après que Jésus
eut recommandé sa mère à son disciple, pour se dégager de la multitude qui les
entourait, et considérer de plus loin le spectacle qu'elles avaient sous les
yeux, ce qui fit dire aux autres évangélistes qui ne parlent d'elles qu'après
la mort du Sauveur qu'elles se tenaient loin de la croix. Qu'importe d'ailleurs
à la vérité du récit que tous les évangélistes donnent les noms de
quelques-unes de ces femmes, et que chaque évangéliste fasse mention spéciale
de quelques autres ?
S. CHRYS. D'autres
femmes aussi se tenaient près de la croix, et le Sauveur paraît ne faire
attention qu'à sa mère, nous apprenant ainsi que nos mères ont droit à des
égards plus particuliers. Lorsque nos parents cherchent à s'opposer à nos
intérêts spirituels, nous ne devons pas même les connaître ; mais aussi
lorsqu'ils n'y mettent aucun obstacle, nous devons leur donner de préférence
aux autres tous les témoignages d'affection qu'ils peuvent désirer. C'est ce
que fait Jésus. « Jésus ayant donc vu sa mère, et près d'elle le disciple qu'il
aimait, il dit à sa mère : Femme, voilà votre Fils. » — BEDE. Saint Jean se donne à connaître par l'affection que
Jésus avait pour lui, non pas sans doute qu'il en fût aimé à l'exclusion des
autres, mais parce qu'il était l'objet d'une affection plus particulière qu'il
devait à sa virginité. En effet, il était vierge lorsqu'il fut appelé par
Jésus, et il demeura vierge toute sa vie.
S. CHRYS. Quel
magnifique témoignage d'honneur le Seigneur donne à son disciple ! Mais une
sage modestie lui fait garder le silence sur cet honneur dont il est l'objet.
Si en effet il avait voulu s'en prévaloir, il eût fait connaître le motif de
l'affection que Jésus avait pour lui, motif qui devait se rattacher à une cause
d'un ordre supérieur. Le Sauveur ne dit rien autre chose à saint Jean ; il ne
le console pas dans sa tristesse, parce que ce n'était pas le temps de faire de
longs discours de consolation. Sa mère reçoit de lui une marque d'honneur non
moins remarquable. Dans la tristesse profonde où elle était plongée, il fallait
lui chercher un appui et un soutien pour remplacer Jésus, qui allait la quitter
; il la confie donc lui-même à son disciple, afin qu'il en prenne soin ; «
Ensuite il dit à son disciple : Voici votre mère. » — S. AUG. (Traité 119 sur S.
Jean.) C'était l'heure dont Jésus, avant de changer l'eau eu vin, avait dit
à sa mère : « Femme, qu'y a-t-il entre vous et moi ? Mon heure n'est pas
encore venue. » Au moment de faire une œuvre toute divine, il semble repousser
comme lui étant inconnue la mère, non pas de sa divinité, mais de son humanité ou de
son infirmité. Maintenant, au contraire qu'il endure des souffrances propres à
la nature humaine, il recommande celle dans le sein de laquelle il s'est fait
homme avec l'affection qu'inspiré la nature. Il nous donne ainsi un enseignement
d'une haute moralité ; il nous apprend par son exemple, comme un bon maître,
les tendres soins que la piété filiale doit inspirer aux enfants pour leurs
parents ; et le bois où sont cloués les membres du Sauveur mourant a été aussi
comme la chaire du haut de laquelle le divin Maître nous a enseigné.
S. CHRYS. C'est
ainsi qu'il confond l'impudente erreur de Marcion. Si, en effet, il n'est point
né selon la chair, il n'a pas eu de mère, alors pourquoi cette sollicitude
extraordinaire dont elle est l'objet ? Considérez encore comment, au moment où
il est crucifié, Jésus fait tout avec le plus grand calme : il confie sa mère à
son disciple, il accomplit les prophéties, il donne l'espérance du ciel au bon
larron. Au contraire, avant son crucifiement, son âme paraît en proie au
trouble. Il donnait ainsi la preuve, d'un côté de la faiblesse de la nature
humaine, de l'autre de la force supérieure de son âme. Il nous apprend ainsi à
ne point nous laisser abattre, si au milieu des adversités le trouble vient à s'emparer
de notre âme, et lorsque nous serons entrés dans la lice à supporter toutes les
épreuves comme faciles et légères.
S. AUG. En quittant sa mère, il prenait soin de lui
laisser en quelque sorte un autre fils, et saint Jean nous fait connaître la raison
de cette conduite dans les paroles suivantes : « Dès ce moment le disciple la
reçut chez lui. » (In sua.) Mais quel est ce « chez lui » dans lequel
Jean reçut la mère du Sauveur ? Est-ce qu'il n'était pas du nombre de ceux qui
avaient dit : « Voici que nous avons tout quitté pour vous suivre ? » Il
la reçut donc chez lui, non pas dans ses propriétés, parce qu'il n'en avait
pas, mais dans son affection, qui le portait à prodiguer à la mère de Jésus
tous les offices personnels. — BEDE. Une
autre version porte : « Le disciple la reçut comme sienne ; » (in suam) quelques-uns
disent comme étant sa mère, mais il est plus naturel de sous-entendre le mot curam,
il la reçut pour être l'objet de sa sollicitude.
S. AUG. (Traité
119 sur S. Jean.) L'homme qui apparaissait aux regards endurait
toutes les souffrances qui étaient réglées par le Dieu qui demeurait caché. «
Après cela, Jésus sachant que toutes choses étaient accomplies, afin que
l'Ecriture, » c'est-à-dire cette prédiction de l'Ecriture : « Et dans ma soif,
ils m'ont abreuvé de vinaigre, » (Ps 68)
reçût aussi son accomplissement, il dit : « J'ai soif. » Il semble dire
par là aux Juifs : Vous avez oublié ce dernier trait, donnez-moi ce que vous
êtes. Les Juifs étaient en effet un vinaigre dégénéré du vin des patriarches et
des prophètes. Or, il y avait là un vase plein de vinaigre, c'est-à-dire que
les Juifs, dont le cœur, semblable à une éponge, renfermait mille cavités
tortueuses comme autant de repaires de malice, puisèrent à plein vase et remplirent
leur cœur de l'iniquité du monde : « Les soldats remplirent une éponge de
vinaigre, et, l'environnant d'hysope, la lui présentèrent à la bouche. » — S. CHRYS. (Hom. 85 sur S. Jean.)
Le spectacle qu'ils avaient sous les yeux, loin de les adoucir, ne fit
qu'augmenter leur cruauté, et pour étancher sa soif, ils lui donnent le
breuvage des condamnés, c'est pour cela qu'ils font usage d'hysope.
S. AUG. L'hysope dont ils entourent l'éponge est une
petite plante qui a une vertu purgative ; elle représente justement l'humilité
de Jésus-Christ qu'ils entourèrent de leurs criminelles intrigues et qu'ils
crurent avoir circonvenue ; car c'est l'humilité de Jésus-Christ qui nous
purifie. Il ne faut pas s'étonner qu'ils aient pu approcher une éponge de la
bouche de Jésus qui, sur la croix, était élevé bien au-dessus de la terre, car
d'après les autres évangélistes qui nous rapportent cette circonstance, que
celui-ci passe sous silence, ils le firent à l'aide d'un roseau, afin que le
breuvage contenu dans l'éponge pût arriver à la hauteur de la croix. —
THEOPHYL. Il en est qui pensent que ce roseau fut tout simplement l'hysope,
parce que cette plante a des branches qui ressemblent au roseau.
« Jésus ayant donc pris le vinaigre dit : Tout est
accompli. » Qu'est-ce qui est accompli ? Ce que les prophètes avaient
prédit si longtemps auparavant. — BEDE. Mais
comment concilier ce que dit ici saint Jean : « Après qu'il eut pris ce
vinaigre, » avec ce que rapporte un autre Evangéliste : « Qu'il n'en voulut
point boire ? » Cette difficulté est facile à résoudre. Jésus prit le vinaigre
non pour le boire, mais pour accomplir ce qui était écrit. — S. AUG. Et comme il ne restait plus rien
de ce qui devait s'accomplir avant sa mort, l'Evangéliste ajoute : « Et
baissant la tête, il rendit l'esprit, » après avoir fait toutes les choses dont
il attendait l'accomplissement pour mourir, agissant en tout comme celui qui
avait le pouvoir de donner sa vie et le pouvoir de la reprendre. — S. GREG. (Moral., 11, 3.) L'esprit
est mis ici pour l'âme, car si par esprit l’Evangéliste entendait autre chose
que l'âme, il s'en suivrait que l'âme serait restée après le départ de
l'esprit. — S. CHRYS. Ce n'est point parce qu'il expire qu'il baisse la tête,
mais c'est après qu'il a baissé la tête qu'il expire, et l'Evangéliste veut
nous montrer par toutes ces circonstances que Jésus est le maître de toutes
choses. — S. AUG. Quel autre
s'endort si précisément quand il veut comme Jésus est mort au moment qu'il a
voulu ? Quelle espérance, mais aussi quelle crainte doit inspirer la puissance
qu'il fera éclater au jour du jugement, alors que celle qu'il manifeste en
mourant est déjà si grande ? — THEOPHYL.
Le Sauveur remet sou esprit a Dieu et à son Père, pour nous apprendre que les
âmes des saints ne restent point dans les tombeaux, mais qu'elles reviennent
dans les mains du Père de tous les hommes, tandis que les âmes des pécheurs
sont envoyées dans un lieu de supplices, c'est-à-dire dans l'enfer.
S. CHRYS. (Hom.
85 sur S. Jean.) Les Juifs, qui ne craignaient pas d'avaler le
chameau et rejetaient le moucheron, après avoir audacieusement consommé un si
grand attentat, manifestent des scrupules, des inquiétudes au sujet du jour du
sabbat. « Les Juifs, de peur que les corps ne demeurassent sur la croix le jour
du sabbat, » etc. — BEDE. Le mot parasceve,
qui veut dire préparation, indique ici le sixième jour de la semaine, et on
lui donnait ce nom parce qu'en ce jour, les Israélites devaient préparer une
double provision d'aliments ; parce que le lendemain était le grand jour du
sabbat, à cause de la grande solennité de Pâque. — S. AUG. (Traité 120 sur S. Jean.) Ce ne sont point
les jambes des suppliciés qui devaient être enlevées, mais ceux à qui on les
brisait pour les faire mourir devaient être détachées de la croix pour ne point
profaner ce grand jour de fête par le spectacle de leur supplice prolongé sur
la croix. — théophyl. D'ailleurs
la loi défendait que le supplice d'un homme condamné à mort se prolongent au
delà du coucher du soleil. Peut-être aussi ne voulurent-ils pas être regardés
comme des bourreaux ou des homicides dans ce jour de fête.
S. CHRYS. Voyez
ici combien est grande la force de la vérité ; les Juifs eux-mêmes, par leurs
efforts, concourent à l'accomplissement des prophéties : « Il vint donc des
soldats qui rompirent les jambes au premier, et de même à l'autre qu'on avait
crucifié avec lui. Puis étant venu à Jésus, et voyant qu'il était déjà mort,
ils ne lui rompirent point les jambes ; mais un des soldats lui ouvrit le côté
avec une lance.
» — THEOPHYL. Pour complaire aux
Juifs, les soldats percent de leur lance le corps de Jésus-Christ et
poursuivent de leurs outrages ce corps même inanimé ; mais cet outrage donne
lieu à un miracle éclatant, car n'est-ce pas un véritable miracle que le sang
coule d'un corps privé de la vie ? — S. AUG.
L'Evangéliste se sert ici d'une expression choisie à dessein ; il ne dit
pas il frappa ou il blessa son côté, mais il ouvrit son côte avec une lance,
pour nous apprendre qu'il ouvrait ainsi la porte de la vie d'où sont sortis les
sacrements de l'Eglise, sans lesquels on ne peut avoir d'accès à la véritable
vie. « Et il en sortit aussitôt du sang et de l'eau. » Ce sang a été répandu
pour la rémission des péchés, cette eau vient se mêler pour nous au breuvage
du salut ; elle est à la fois un bain qui purifie et une boisson
rafraîchissante. Nous voyons une figure de ce mystère dans l'ordre donné à Noé
d'ouvrir sur un des côtés de l'arche une porte par où pussent entrer les
animaux qui devaient échapper au déluge, et qui représentaient l'Eglise, (Gn
6, 16) C'est en vue du même mystère que la première femme fut faite d'une des
côtes d'Adam pendant son sommeil (Gn 2,
22), et nous voyons ici le second Adam s'endormir sur la croix après
avoir incliné la tête pour qu'une épouse aussi lui fût formée par ce sang et
cette eau qui coulèrent de son côté après sa mort. O mort qui devient pour les
morts un principe de résurrection et de vie ! Quoi de plus pur que ce sang ?
Quoi de plus salutaire que cette blessure ? — S. CHRYS. C'est donc de ce côté
ouvert que nos saints mystères tirent leur origine ; lors donc que vous
approchez de l'autel pour boire ce calice redoutable, approchez dans les mêmes
dispositions que si vous deviez appliquer vos lèvres sur le côté même de Jésus-Christ.
— THEOPHYL. Ceux qui refusent de mêler l'eau avec le vin dans la célébration
des saints mystères trouvent donc ici leur condamnation, car ils paraissent ne pas croire
que l'eau ait coulé du côté du Sauveur. Essaiera-t-on de dire qu'il restait encore
un léger principe de vie dans le corps de Jésus, ce qui explique le sang qui
sortit de son côté ; mais l'eau qui en sort maintenant est une preuve sans
réplique qu'il était mort. Aussi l'Evangéliste prend-il soin d'ajouter : « Et
celui qui l'a vu en rend témoignage. » — S. CHRYS.
C'est-à-dire, il ne l'a point appris des autres, il était présent, il en
a été le témoin oculaire; « et son témoignage est véritable. » Il fait cette
réflexion à l'occasion de ce nouvel outrage fait au corps du Sauveur, et non
après le récit de quelque prodige extraordinaire pour fixer davantage
l'attention. Eu s'exprimant de la sorte, il ferme aussi par avance la bouche
des hérétiques, prédit les mystères que l'avenir devait dévoiler, et arrête ses
regards sur le trésor inépuisable qu'ils renferment.
« Et il sait qu'il dit vrai, afin que vous
croyiez aussi. » — S. AUG. Celui qui a vu ce miracle le sait, et son témoignage
doit servir d'appui à la foi de celui qui ne l'a pas vu. Saint Jean confirme
par deux-témoignages de l'Ecriture les deux faits dont il atteste la vérité.
Après avoir dit : « Ils ne brisèrent point les jambes à Jésus, » il
ajoute : « Ces choses se sont faites afin que cette parole de l'Ecriture fût
accomplie : Vous ne briserez aucun de ses os, » etc. (Ex 12, 46.) C'est
ce qui était recommandé à ceux qui, dans l'ancienne loi, célébraient la pâque
par l'immolation d'un agneau, qui était la figure de la passion du Sauveur.
Saint Jean avait dit aussi : « Un des soldats ouvrit son côté avec une lance, »
et à l'appui il cite cet autre témoignage : « Il est dit encore dans un autre
endroit de l'Ecriture : Ils jetèrent leurs regards sur celui qu'ils ont percé ;
» (Za 12, 11) ; prophétie qui annonçait que le Christ paraîtrait au
monde avec cette chair dans laquelle il a été crucifié. — S. JER. (Préface sur le Pentateuque.) Ce
second témoignage est emprunté au prophète Zacharie.
S. CHRYS. (hom.
85 sur S. Jean.) Joseph pensant que la mort de Jésus avait suffi
pour calmer la fureur des Juifs, se présente avec confiance pour rendre au
Sauveur les honneurs de la sépulture : « Après cela Joseph d'Arimathie, qui
était disciple de Jésus, » etc. — BEDE. Arimathie
n'est autre que Ramatha, patrie d'Helcana et de Samuel. C'est par une
providence toute particulière que Dieu avait veillé à ce que Joseph fut juste
pour être digne de recevoir le corps du Seigneur. C'est ce que nous indique
l'Evangéliste par ces paroles : « Qui était disciple de Jésus, » etc. — S.
CHRYS. Il ne faisait point partie des douze Apôtres, mais des soixante-douze
disciples. Et comment se fait-il que nous ne voyions ici aucun des douze ?
Dira-t-on que la crainte des Juifs les retenait, mais Joseph avait les mêmes
raisons de craindre, c'est pour cela que l'Evangéliste ajoute : « Mais en
secret, parce qu'il craignait les Juifs. » Toutefois comme il jouissait d'une
grande réputation et qu'il était connu de Pilate, il obtint de lui ce qu'il
demandait : « Et Pilate lui permit d'enlever le corps de Jésus, » qu'il ensevelit non pas comme
le corps d'un condamné, mais comme celui d'un personnage des plus célèbres et
des plus éminents : « Il vint donc et prit le corps de Jésus. » — S. AUG. (De l'accord des Evang., 3,
22.) En rendant à Jésus les derniers devoirs, il n'est point arrêté par la
pensée des Juifs, bien qu'il prit soin de se mettre à l'abri de leur jalousie
haineuse lorsqu'il écoutait les enseignements du Sauveur. — BEDE. Leur fureur était apaisée en
partie par la joie qu'ils éprouvaient de l'avoir emporté contre Jésus-Christ ;
Joseph ne craint donc plus de venir demander le corps de Jésus-Christ, démarche
qu'il paraissait faire non comme disciple, mais pour remplir à son égard un
acte de religion en lui rendant ces derniers devoirs qu'on n'accorde pas
seulement aux bons, mais qu'on ne refuse même pas aux méchants. Nicodème vient
se joindre à lui : « Nicodème qui était venu trouver Jésus la première fois, »
etc. — S. AUG. L'expression primum,
la première fois, ne doit pas se joindre à ces paroles : « Portant cent
livres d'une composition de myrrhe, » mais au membre de phrase qui précède, car
Nicodème était venu trouver Jésus pour la première fois la nuit, comme saint
Jean le raconte dans les premiers chapitres de son Evangile. Ce ne fut donc pas
la seule fois mais la première fois que Nicodème vint alors trouver Jésus, car
il vint plusieurs fois dans la suite pour écouter ses divins enseignements et
devenir son disciple.
S. CHRYS. Ils apportent avec eux des aromates qui
ont la vertu de conserver très longtemps les corps et de les préserver de la
corruption, car ils ne considéraient encore le Sauveur que comme un homme, mais
ils faisaient preuve d'un amour extraordinaire pour lui. — BEDE. Il faut remarquer que c'était un
parfum simple, purée qu'il ne leur était point permis d'en faire un qui fût
composé de divers aromates.
« Ils prirent donc le corps de Jésus, et ils
l'ensevelirent, » etc. — S. AUG. L'Evangéliste
nous apprend ici que dans les derniers devoirs que l'on rend aux morts,
il faut se conformer aux usages particuliers à chaque nation. Or, les Juifs avaient
coutume d'embaumer les corps avec divers parfums, afin de les préserver plus
longtemps de la corruption. — S. AUG. (De
l'accord des Evang., 3, 23.) Saint Jean n'est point ici en contradiction
avec les autres évangélistes, ils ne parlent point il est vrai de Nicodème,
mais ils n’affirment pas pour cela que Joseph seul ait enseveli le corps du
Sauveur, bien qu'ils ne fassent mention que de lui seul. Ils disent encore, que
Joseph l'ensevelit dans un linceul, nous défendent-ils pour cela d'admettre que
Nicodème ait pu apporter d'autres linges et de justifier ainsi la vérité du
récit de saint Jean d'après lequel le corps de Jésus fut enseveli non dans un
seul mais dans plusieurs linceuls. D'ailleurs le suaire dont sa tête fut
enveloppée et les bandelettes dont son corps fut entouré, et qui étaient de lin aussi bien que le
suaire, permettent de dire en toute vérité : Ils l'enveloppèrent dans des
linges, quand même il n'y aurait eu qu'un linceul, car on appelle linges
généralement tout ce qui est fait de lin. — BEDE.
C'est de là qu'est venue la coutume de l'Eglise de consacrer le corps de
Jésus-Christ non sur des étoffes de soie ou d'or, mais sur une toile de lin
d'une éclatante blancheur.
S. CHRYS. Comme
le temps pressait, (car Jésus était mort à la neuvième heure), et le soir
devait bientôt arriver, pendant qu'ils iraient chez Pilate, et qu'ils
descendraient de la croix le corps du Sauveur ils le déposent donc dans un
tombeau qui était proche : « Or il y avait dans le lieu où il avait été
crucifié, un jardin, et dans ce jardin un sépulcre tout neuf, où personne
n'avait été encore mis ; » ce qui se fit par une providence toute spéciale,
afin qu'on ne pût supposer que c'était un autre que Jésus qui était ressuscité.
— S. AUG. De même que ni avant ni après lui, nul autre ne fut conçu dans le
sein de la Vierge, ainsi, aucun autre corps ni avant ni après le sien, ne fut
déposé dans ce tombeau. — THEOPHYL. C'était
un sépulcre nouveau, et cette circonstance nous apprend que nous sommes
renouvelés par la sépulture de Jésus-Christ qui détruit le règne de la mort et
de la corruption. Voyez encore à quel excès de pauvreté Jésus s'est réduit pour
notre amour, il n'avait point de demeure pendant sa vie ; après sa mort, il est
enseveli dans un tombeau d'emprunt, et il faut que Joseph vienne couvrir la
nudité de sou corps dépouillé de tous ses vêtements.
« Et comme c'était le jour de la préparation du
sabbat des Juifs, et que ce sépulcre était proche, ils y mirent Jésus. » — S.
AUG. L'Evangéliste veut nous
faire entendre qu'ils se hâtèrent de l'ensevelir, pour ne pas être surpris par
la nuit, car alors, le temps de la préparation parasceve, que les Juifs
appellent en latin le temps des pains sans levain ne leur eût pas permis de
remplir cet office. — S. CHRYS. Ils
choisirent ce tombeau qui était proche, afin que les disciples pussent y venir
plus facilement et observer attentivement ce qui s'y passerait. Ce sépulcre fut
encore choisi afin que les ennemis du Sauveur qui en étaient gardiens fussent
eux-mêmes témoins qu'il avait été enseveli, et pour convaincre de mensonge le
bruit qu'ils devaient faire courir que son corps avait été enlevé.
BEDE. Dans le sens mystique le nom
de Joseph veut dire qui est augmenté par l'accroissement des bonnes
oeuvres, et c'est pour nous un avertissement de nous rendre dignes de recevoir
le corps du Seigneur. — THEOPHYL. Maintenant
encore Jésus-Christ est mis à mort par les avares dans la personne des pauvres
qui souffrent la faim. Soyez donc un nouveau Joseph, et couvrez la nudité de
Jésus-Christ, ensevelissez-le par la méditation dans le tombeau spirituel de
votre âme. Couvrez-le d'un mélange de myrrhe et d'aloès, deux substances
amères, en méditant sérieusement ces paroles : « Allez maudits au feu éternel,
» qui est ce qu'il y a de plus amer.
S. CHRYS. (hom.
85 sur S. Jean.) Le sabbat ou la loi commandait à chacun de
rester en repos, étant passé, Madeleine ne put résister plus longtemps au désir
qui la pressait ; elle vint donc à la première aurore pour trouver quelque,
consolation en voyant le lieu où Jésus avait été enseveli : « Le jour d'après
le sabbat, » etc. — S. AUG. (de
l'acc. des Evang., 3, 12.) Marie-Madeleine vint au sépulcre sous
l'impulsion d'un amour plus ardent que celui des autres femmes qui avaient
servi le Sauveur, et c'est la raison pour laquelle saint Jean ne parle ici que
d'elle, à l'exception des autres femmes qui étaient venues avec elle d'après le
récit des autres évangélistes.
S. AUG. Ce premier jour de la semaine est celui que
les chrétiens appellent
maintenant le jour du Seigneur, à cause de la résurrection du Sauveur, et que
saint Matthieu désigne sous le nom de premier jour du sabbat. — BEDE. Le premier jour du sabbat,
c'est-à-dire, le lendemain du sabbat, ou le premier jour qui suit le sabbat. —
THEOPHYL. Ou bien encore, comme les Juifs donnaient le nom de sabbat à tous les
jours de la semaine, ils appelaient le premier du sabbat, le premier des jours
du sabbat ou de la semaine. Ce jour est le symbole de la vie future, qui ne
sera composée que d'un seul jour que la nuit n'interrompra jamais, car Dieu en
est le soleil, et ce soleil ne se couche jamais. C'est donc, dans ce jour que
le Seigneur a voulu ressusciter et revêtir son corps de l'incorruptibilité dont
nous nous revêtirons nous-mêmes dans la vie future.
S. AUG. (de l'accord des Evang.) Ce que
rapporte saint Marc : « Qu'elles vinrent de grand matin le soleil étant
déjà levé, » n'est point en contradiction avec ce que dit ici saint Jean :
« Alors que les ténèbres n'étaient pas encore dissipées, » car à la
naissance du jour il reste encore quelque obscurité qui se dissipe d'autant
plus que la lumière du jour s'avance davantage. Il ne faut pus du reste
entendre ces paroles de saint Marc, dans ce sens que le soleil paraissait déjà
sur l'horizon, mais dans le sens où nous disons, lorsque nous voulons qu'une
chose soit faite le plus tôt possible : « Vous la ferez au soleil levé, »
c'est-à-dire à l'heure où il est près de se lever. — S. GREG. (hom. 22 sur S. Jean. ) L'expression : «
Lorsque les ténèbres n'étaient pas encore dissipées, » est pleine de justesse ;
Marie, en effet, cherchait dans le sépulcre le Créateur de toutes choses
qu'elle avait vu mourir dans son corps sur la croix, et comme elle ne le trouve
point, elle croit qu'on l'a dérobé ou enlevé. Il est donc vrai de dire que les
ténèbres duraient encore lorsqu'elle se rendit au sépulcre.
« Et elle vit la pierre ôtée du tombeau. » — S.
AUG. (de l'acc. des Evang.) Ce
que saint Matthieu seul rapporte du tremblement de terre, du renversement de la
pierre et de l'effroi des gardes avait donc eu déjà lieu.
S. CHRYS. Le
Seigneur était ressuscité sans renverser la pierre du sépulcre, sans rompre les
sceaux qu'on y avait apposés, mais comme le fait de la résurrection devait être
connu avec certitude d'un grand nombre d'autres, le tombeau est ouvert après
que Jésus est ressuscité, afin que chacun puisse croire à la vérité de ce qui
est arrivé. Celte circonstance frappe vivement Madeleine ; aussi à la vue de la
pierre ôtée du tombeau, elle n'entra pas dedans, elle ne prit pas le temps de
regarder, mais courut avec un empressement mêlé d'amour, apprendre cet
événement aux disciples. Elle n'avait encore aucune idée claire de, la
résurrection, et croyait seulement qu'on avait changé le corps de place. — LA GLOSE. Elle court donc apprendre
cette nouvelle aux disciples, pour les engager, ou à chercher avec elles, ou du
moins à partager sa douleur : « Elle courut donc, et vint trouver Simon-Pierre
et cet autre disciple que Jésus aimait, » etc. — S. AUG. (Traité 119 sur S. Jean.) Saint Jean se
désigne ordinairement par l'affection que Jésus avait pour lui, non pas que
Jésus n'aimât les autres disciples, mais parce que le Sauveur avait pour lui un
amour plus particulier et plus intime.
« Et elle leur dit : Ils ont enlevé le Seigneur du
sépulcre, et nous ne savons où ils l'ont mis. » — S. GREG. (Moral., 3, 10 ou 9 dans les anc.
édit.) En parlant de la sorte, Madeleine prend la partie pour le tout ;
c'était le corps seul du Sauveur qu'elle était venu chercher, et elle s'afflige
comme si on eût enlevé le Seigneur tout entier.
S. AUG. (Traité 120 sur S. Jean.) Quelques
exemplaires grecs portent : « Ils ont enlevé mon Seigneur, » ce qui parait être
l'expression d'un amour plus ardent ou d'un plus grand attachement. Mais nous
n'avons pas trouvé cette addition dans un grand nombre de manuscrits que nous
avons sous la main. — S. CHRYS. L'Evangéliste ne veut point ravir, à cette
femme la gloire, qui lui est due, et ne croit pas qu'il y ait de la honte pour
eux que Madeleine leur ait appris la première cette nouvelle. Aussitôt donc
qu'elle leur eût parlé, ils se rendent en toute hâte au tombeau.
S. GREG. (hom. 22 sur les Evang.) Ce
sont ceux dont l'amour est plus grand qui courent aussi plus vite que les
autres, c'est-à-dire, Pierre et Jean : Pierre sortit avec, l'autre disciple, et
il vint au sépulcre. — THEOPHYL. Demanderez-vous
comment ils osèrent venir au tombeau en présence de ceux qui le gardaient ?
C'est une question qui suppose bien de l'ignorance, car après que le Seigneur
fut ressuscité, et qu'en même temps que la terre tremblait, un ange apparut sur
la pierre du sépulcre, les gardes s’enfuirent pour annoncer aux pharisiens ce
qui venait d'avoir lieu. — S. AUG. Après avoir dit : « Ils vinrent au tombeau,
» saint Jean revient sur ses pas pour raconter comment ils y arrivèrent : « Ils
couraient tous deux ensemble, et l'autre courut plus vite que Pierre, et arriva
le premier au sépulcre. » Il nous apprend ainsi qu'il arriva le premier, mais il raconte tout ce
qui le concerne, comme s'il s'agissait d'un autre.
S. CHRYS. Aussitôt qu'il fut arrivé, il considère
les linges qui avaient été laissés dans le tombeau : « Et s'étant penché, il
vit les linceuls posés à terre. » Toutefois il ne pousse pas plus loin ses
recherches, et s'en tient là. Pierre, au contraire, beaucoup plus ardent, entre
dans le tombeau, examine tout avec soin, et voit quelque chose de plus : «
Simon-Pierre qui le suivait, arriva ensuite et entra dans le sépulcre, et vit
les linges posés à terre, et le suaire qui couvrait sa tête, non point avec les
linges, mais plié en un lieu à part. » Il y avait dans toutes ces circonstances
une preuve évidente de la résurrection. Car en supposant qu'on eût enlevé son
corps, on ne l'eût pas dépouillé de ses linceuls, et ceux qui seraient venus le
dérober, n'auraient pas pris tant de soin d'ôter le suaire, de le rouler et de
le placer dans un endroit à pari, séparé des linceuls ; mais ils auraient tout
simplement enlevé le corps tel qu'il se trouvait. Pourquoi saint Jean nous a-t-il
l'ait remarquer précédemment que Jésus avait été enseveli avec une grande
quantité de myrrhe, qui fait adhérer fortement les linges au corps, c'est pour
que vous ne soyez pas dupe de ceux qui vous affirment que le corps du Sauveur a
été enlevé, car celui qui serait venu pour le dérober, n'aurait point perdu le
sens à ce point que de dépenser tant de soins et de temps pour une chose
parfaitement inutile.
Jean entre dans le tombeau après Pierre : « Alors
l'autre disciple qui était arrivé le premier au sépulcre, entra aussi, et il
vit, et il mit, » etc. — S. AUG. Il en est qui pensent que Jean croyait déjà
que Jésus était ressuscité, mais ce qui suit indique le contraire. Il vit que le tombeau était vide, et il
crut à ce que Madeleine leur avait rapporté : « Car, ajoute le récit
évangélique, ils n'avaient pas encore compris ce que dit l'Ecriture, qu'il
fallait qu'il ressuscitât d'entre les morts. » Jean ne croyait donc pas encore
à la résurrection du Sauveur, puisqu'il ne savait pas encore qu'il dût ressusciter.
Le Seigneur leur en avait parlé souvent, mais bien qu'il s'exprimât dans les
termes les plus clairs, l'habitude qu'ils avaient d'entendre des paraboles, les
empêchait de comprendre ce qu'il leur disait et leur faisait donner un autre
sens à ses paroles.
S. GREG. (hom.
22 sur les Ev.) Gardons-nous de croire que ce récit aussi détaillé
ne renferme quelques mystères, en effet, Jean, le plus jeune des deux
disciples, représente la synagogue juive ; Pierre, le plus âge, est la figure
de l'Eglise des nations, car bien que la synagogue ait précédé l'Eglise des
nations, pour ce qui concerne le culte de Dieu, toutefois, dans l'ordre
naturel, le peuple des Gentils précède la synagogue des Juifs. Ils coururent
tous deux ensemble, parce que depuis le temps de leur naissance jusqu'à celui
de tour déclin, le peuple des Gentils et la synagogue ont suivi nue voie
commune, quoiqu'avec des sentiments bien différents. La synagogue arrive la
première au sépulcre, mais elle n'y entre pas, c'est qu'en effet, elle a bien reçu
de Dieu les commandements de la loi, elle a entendu les prophéties qui avaient
pour objet l'incarnation et la passion du Seigneur, mais elle a refusé de
croire en lui lorsqu'il fut mort. Simon-Pierre, au contraire, vient et entre
dans le sépulcre, parce que l'Eglise des Gentils est venue la dernière, à la
suite de Jésus-Christ, et a connu et cru qu'il était mort dans sa nature humaine,
mais qu'il était vivant dans sa nature divine. Le suaire qui enveloppait la
tête du Seigneur ne se trouve point avec les linceuls, parce que Dieu est la
tête du Christ, et que les mystères incompréhensibles de la divinité sont en
dehors de l'intelligence de notre faible humanité, et que sa puissance est
au-dessus de toute nature créée. Le suaire n'est pas seulement séparé, mais
roulé ; en effet, un linge qui est roulé ne laisse voir aucune de ses deux
extrémités, et il est ainsi la figure de la divinité sublime qui n'a point eu
de commencement et ne doit point avoir de fin. L'Evangéliste ajoute avec
raison, qu'il était placé dans un endroit seul, parce que Dieu ne se trouve pas
dans les âmes divisées, et que ceux-là seuls méritent de recevoir sa grâce qui
ne se séparent pas les uns des autres par les scandales que produisent les
sectes. Le linge qui couvre la tête sert à essuyer la sueur de ceux qui
travaillent, et ce suaire peut être considéré comme la figure du travail de
Dieu, qui demeure toujours dans son repos et dans son immutabilité, et qui nous
déclare cependant qu'il ne cesse de travailler, parce qu'il supporte le lourd
fardeau des iniquités des hommes. Le suaire qui enveloppait la tête est trouvé
plié en un lieu à part, parce que la passion de notre divin Rédempteur est bien
éloignée de nos propres souffrances, car Jésus a souffert sans être coupable,
ce que nous souffrons en expiation de nos crimes. Il s'est soumis
volontairement à la mort dont nous sommes les victimes involontaires. Après que
Pierre est entré, Jean entre à son tour, parce qu'à la fin du monde, les Juifs
se réuniront au peuple fidèle pour embrasser la foi du Rédempteur.
THEOPHYL. Ou bien encore, Pierre est
la figure, de l'esprit actif et prompt, Jean, le symbole de l'esprit
contemplatif et instruit dans la connaissance des choses de Dieu. Or, souvent
l'esprit contemplatif est le premier par sa facilité à comprendre les charités
divines, mais l'esprit actif l'emporte sur cette pénétration d'intelligence par
sa ferveur persévérante et sa constante application, et son regard pénètre le
premier la profondeur des divins mystères.
S. GREG. (hom. 25 sur les Evang.) Marie-Madeleine,
qui avait été connue pour une femme pécheresse dans la ville, dans son amour
pour la vérité, lava de ses larmes les taches de sa vie criminelle, et vit s'accomplir en elle ces
paroles de la vérité : « Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu'elle a
beaucoup aimé. » (Lc 7)
Elle était restée précédemment dans le froid mortel du péché, elle brûle
maintenant des flammes de l'amour le plus ardent. Considérez, en effet, combien
grande était la force de son amour qui la retient près du tombeau du Sauveur,
alors que tous ses disciples l'ont abandonné, comme le rapporte l'Evangéliste :
« Les disciples s'en revinrent de nouveau chez eux. » — S. AUG. C'est-à-dire, dans le lieu qu'ils
habitaient et d'où ils étaient accourus au tombeau. Les hommes s'en sont
retourné, mais un amour beaucoup plus fort enchaîne près du tombeau le sexe qui
est le plus faible : « Mais Marie se tenait dehors, près du sépulcre, versant
des larmes. » — S. AUG. (de
l'acc. des Ev., 3, 24.) Elle se tenait près du sépulcre de pierre, mais
dans le lieu fermé dans lequel elles étaient déjà entrées, et qui formait comme
un jardin autour du tombeau.
S. CHRYS. (hom.
86 sur S. Jean.) Ne soyez point surpris que Marie pleure amèrement
auprès du tombeau, tandis que nous ne voyons pas que Pierre ait versé des
larmes, car les femmes sont naturellement portées à la compassion et aux
pleurs. — S. AUG. Les yeux qui
avaient cherché le Seigneur sans le trouver étaient donc baignés de larmes et
ils s'affligeaient beaucoup plus de ce que le corps du Sauveur avait été enlevé
du tombeau, que de ce qu'il avait été mis à mort sur la croix, car on ne
possédait même plus alors le tombeau de ce divin Maître dont la vie avait été
si cruellement tranchée.
S. AUG. (De
l’accord des Evang., 3, 24.) Marie avait vu avec les autres femmes l'ange
assis à droite sur la pierre renversée du tombeau, et à sa voix elle regarde en
pleurant dans le tombeau. — S. CHRYS.
La vue du tombeau d'une personne chère est un adoucissement à la douleur
de l'avoir perdue, aussi voyez comment Marie cherche à se consoler en se
penchant et eu regardant de plus près le lieu où a reposé le corps du Sauveur.
— S. GREG. (hom. 25) Ce
n'est pas assez pour son amour de l'avoir vu une fois, et sa vive affection
redouble ses désirs et lui fait multiplier ses recherches. — S. AUG. (Traité
121 sur S. Jean.) Sa douleur n'avait point de bornes, elle n'en
croyait ni à ses yeux ni à ceux des disciples, ou plutôt une inspiration divine
la portait à regarder dans l'intérieur du tombeau. — S. GREG. Elle a cherché le corps du Sauveur sans le trouver,
elle a persévéré dans ses recherches et elle a fini par le trouver. Ses désirs
retardés dans la jouissance de leur objet n'en devinrent que plus ardents, et
dans leur ardeur ils se saisirent de ce qu'ils cherchaient. En effet, le retard
ne fait qu'accroître les saints désirs, et ceux qu'il rend moins ardents
n'étaient pas de vrais désirs. Or voyons dans cette femme dont l'affection est
si forte et qui se penche de nouveau vers le tombeau qu'elle avait déjà
considéré, quelle est la récompense de cet amour ardent qui la porte à
multiplier ses recherches : « Et elle vit deux anges vêtus de blanc, » etc. —
S. CHRYS. Comme l'esprit de cette
femme n'était pas encore assez élevé pour que la vue des linceuls lui
fît conclure que Jésus était ressuscité, elle voit des anges revêtus d'habits
de joie et qui devaient porter la consolation dans son âme.
S. AUG. Mais
pourquoi l'un de ces anges est-il assis à la tête et l'autre aux pieds ? Ceux
qui sont appelés anges en grec portent en latin le nom de messagers ; celle
manière d'apparaître ne signifierait-elle donc pas que l'Evangile de
Jésus-Christ devait être annoncé des pieds jusqu'à la tête, c'est-à-dire, du
commencement jusqu'à la fin ? — S. GREG.
Ou bien encore l'ange qui est assis à la tête représente les apôtres
annonçant au monde ces sublimes paroles : « Au commencement était le Verbe, »
et celui qui est assis aux pieds figure les mêmes apôtres prêchant cette autre
vérité : « Et le Verbe s'est fait chair. » Nous pouvons encore voir dans ces
deux anges les deux Testaments qui annoncent d'un commun accord l'incarnation,
la mort et la résurrection du Sauveur, le premier des deux Testaments est comme
assis à la tête, et le second aux pieds.
S. CHRYS. Les
anges qui apparaissent ne disent rien de la résurrection, mais amènent
indirectement le discours sur cette vérité. La vue de ces vêtements éclatants
et extraordinaires pouvait inspirer à Marie un sentiment d'effroi, ils lui
disent donc : « Femme, pourquoi pleurez-vous
? » — S. AUG. Les
anges lui défendent les larmes, et lui annoncent la joie qui devait bientôt
inonder son âme, car lui demander : « Pourquoi pleurez-vous ? » c'est lui dire
: « Ne pleurez pas. » — S. GREG. C'est
qu'un effet les saintes Ecritures qui excitent en nous les larmes de l'amour,
sèchent ces mêmes larmes, en nous donnant l'espérance du Rédempteur. — S. AUG.
Marie, persuadée qu'ils ignorent ce qu'ils lui demandent, leur fait connaître
la cause de ses larmes : « Elle leur répondit : Parce qu'ils ont enlevé mon
Seigneur. » Elle appelle son Seigneur, le corps inanimé du Sauveur, en prenant
la partie pour le tout, dans le sens ou nous confessons tous que Jésus-Christ,
Fils de Dieu a été enseveli, bien que son corps seul ait été mis dans le tombeau.
« Et je ne sais où ils l'ont mis. » Ce qui augmentait sa douleur, c'est qu'elle
ne savait où aller pour la consoler. — S. CHRYS.
Elle ne savait encore rien de la résurrection, et s'imaginait que le
corps avait été enlevé. — S. AUG. (De
l'accord des Evang., 3, 24.) Il faut admettre ici que les anges se
levèrent, et apparurent debout, comme saint Luc le dit en termes exprès.
S. AUG. (Traité
121 sur S. Jean.) Mais le moment était venu ou selon la prédiction
des anges qui lui avaient dit : « Ne pleurez pas, » la joie devait succéder aux
larmes : « Ayant dit cela, elle se retourna, » etc. — S. CHRYS. Pourquoi Marie
qui vient de parler aux anges, se retourne-t-elle en arrière sans
attendre leur réponse ? C'est à mon avis qu'au moment où elle parlait aux anges,
Jésus-Christ apparut derrière elle, et que les anges à la vue de leur souverain
Maître, manifestèrent par leur attitude, leur regard et leurs mouvements qu'ils
avaient vu le Seigneur, et c'est ce qui porta Marie à se retourner. — S. GREG.
Remarquez que Marie qui doutait encore de la résurrection du Seigneur, se
retourne en arrière pour voir Jésus, parce qu'en doutant ainsi, elle tournait
pour ainsi dire le dos au Seigneur à la résurrection duquel elle ne croyait
pas. Mais comme malgré le doute de son esprit, elle aimait le Sauveur, elle le
voyait sans le connaître : « Elle vit Jésus debout et elle ne savait pas que ce
fut Jésus. » — S. AUG. Jésus apparut aux anges comme leur souverain maître,
mais à Marie sous un autre aspect pour ne point jeter l'effroi dans son âme,
car ce n'est pas tout d'un coup, mais insensiblement qu'il fallait la ramener à
des idées plus élevées.
« Jésus lui dit : Femme, pourquoi pleurez-vous ? » —
S. GREG. Il lui demande la cause
de sa douleur pour accroître ses désirs et embraser son âme d'un amour plus
ardent en lui faisant prononcer le nom de celui qu'elle cherchait. — S. CHRYS. Comme Jésus lui était apparu
sous une forme ordinaire, elle crut que c'était le jardinier : « Elle, pensant
que c'était le jardinier, lui dit : Seigneur, si vous l'avez enlevé, dites-moi
où vous l'avez mis et je l'emporterai, » c'est-à-dire : si c'est par crainte
des Juifs que vous l'avez enlevé, dites-le moi, et je le prendrai pour le
mettre en sûreté. — THEOPHYL. Elle
craignait que les Juifs ne se portassent à de nouveaux excès sur son corps même
inanimé, et elle voulait le transporter dans un autre endroit qui leur fût
inconnu.
S. GREG. Mais
ne peut-on pas dire que cette femme tout en se trompant ne fut pas dans
l'erreur en croyant que Jésus était le jardinier ? N'était-il pas pour elle un
jardinier spirituel, lui qui par la force de son amour avait semé dans son cœur
les germes féconds de toutes les vertus ? Mais comment se fait-il, qu'en voyant
celui qu'elle prenait pour le jardinier, et sans lui avoir dit qui elle
cherchait, elle lui fait cette question : Seigneur, si c'est vous qui l'avez
enlevé ? etc. Tel est le caractère d'un amour ardent, il ne suppose point
que personne puisse ignorer celui qui est l'objet constant de ses pensées.
Après l'avoir d'abord appelé de son nom de femme sans en avoir été reconnu, le
Sauveur l'appelle par son nom propre : « Jésus lui dit Marie, » comme s'il lui
disait : Reconnaissez celui qui vous reconnaît. Marie, en s'entendant appeler
par son nom, reconnaît son divin Maître, car celui qu'elle cherchait
extérieurement, était le même qui lui inspirait intérieurement le désir de le
chercher : « Elle, se retournant, lui dit : Rabboni, c'est-à-dire Maître. » —
S. CHRYS. De même qu'il était
quelquefois présent au milieu des Juifs, sans qu'il en fût reconnu, ainsi même
en parlant, il ne se faisait connaître que lorsqu'il le voulait. Mais comment
expliquer ce que dit l'Evangéliste, que Marie se retourna, lorsque Jésus lui
adressa la parole ? Je pense que lorsqu'elle fit cette question : « Dites-moi
où vous l'avez mis ? » elle se tourna vers les anges pour leur demander la
cause de leur étonne-ment, et lorsqu'ensuite Jésus-Christ l'appelle par son
nom, elle se retourne vers lui, et se découvre à elle par sa parole. — S. AUG.
On peut dire encore qu'en se retournant d'abord extérieurement elle prit Jésus
pour un autre, mais lorsqu'elle se tourne vers lui par le mouvement de son
cœur, elle le reconnaît pour ce qu'il est. Que personne du reste n'accuse cette
femme de donner au jardinier le nom de Seigneur, et à Jésus celui de Maître.
Ici, elle adressait une prière, là elle reconnaît, d'un côté elle témoigna des
égards à un homme de qui elle attendait un service ; de l'autre, elle reconnaît
le docteur qui lui avait appris à faire le discernement des choses humaines et
des vérités divines. C'est donc dans un tout autre sens qu'elle prend le nom de
Seigneur dans cette phrase : « Ils ont enlevé mon Seigneur, » et dans celte
autre : « Seigneur, si vous l'avez, enlevé. »
S. GREG. L'Evangéliste
ne nous dit pas ce que fit ensuite Marie-Madeleine, mais nous pouvons
facilement le supposer par les paroles que le Sauveur lui adresse : « Jésus lui
dit : Ne me touchez point, » et qui prouvent qu'elle voulait embrasser les
pieds de celui qu'elle venait de reconnaître. Mais pourquoi ne veut-il point
qu'elle le touche ? Il en donne la raison : « Car je ne suis pas encore remonté
vers mon Père. » — S. AUG. Mais
si on ne peut le toucher alors qu'il est sur la terre, comment les hommes
pourront-ils le toucher lorsqu'il sera remonté dans le ciel ? D'ailleurs, avant
de remonter dans le ciel, n'a-t-il pas engagé lui-même ses disciples à le
toucher, en leur disant : « Touchez et voyez qu'un esprit n'a ni chair ni os, »
ainsi que le rapporte saint Luc. (Lc 24) Or, qui donc oserait pousser
l'absurdité jusqu'à dire qu'à la vérité il a consenti à être touché par ses
disciples avant de remonter vers son Père, mais qu'il n'a voulu être touché par
des femmes que lorsqu'il serait remonté dans le ciel ? Mais ne voyons-nous pas
que les femmes elles-mêmes, parmi lesquelles était Marie-Madeleine, ont touché
le corps du Sauveur après sa résurrection, avant qu'il fut remonté vers son
Père, comme le raconte saint Matthieu : « Et voilà que Jésus se présenta devant
elles et leur dit : Je vous salue. Elles s'approchèrent, et, embrassant ses
pieds, elles l'adorèrent. » (Mt 28, 8.) Il faut donc entendre cette
défense dans ce sens que Marie-Madeleine était la figure de l'Eglise des
Gentils, qui n'a cru en Jésus-Christ que lorsqu'il fut remonté vers son Père.
On peut dire encore que Jésus a voulu que la foi qu'on avait en lui, foi par
laquelle on le touche spirituellement, allait jusqu'à croire que son Père et
lui ne faisaient qu'un. Car celui qui a fait en lui d'assez grands progrès pour
reconnaître qu'il est égal à son Père, monte en quelque manière jusqu'au Père
par les sentiments intérieurs de son âme. Comment, en effet, la foi de
Madeleine en Jésus-Christ n'aurait-elle pas été charnelle, puisqu'elle ne le
pleurait encore que comme un homme ? — S. AUG.
(de la Trin., 1, 9.) Le toucher est comme le dernier degré de la
connaissance ; aussi Jésus ne voulait pas qu'il fût comme le dernier terme de
l'affection si vive de Marie-Madeleine pour lui, et que sa pensée s'arrêtât à
ce qui frappait ses regards.
S. CHRYS. Ou
bien encore, cette femme voulait dans ses rapports avec le Sauveur, se conduire
comme avant sa passion, et la joie qu'elle éprouvait, fermait son esprit à
toute pensée élevée, bien que le corps de Jésus-Christ fût revêtu de propriétés
bien supérieures depuis sa résurrection. C'est donc pour la détourner de ces
pensées trop naturelles, qu'il lui dit : « Ne me touchez point ; » il veut
ainsi qu'elle apprenne à lui parler avec une moins grande familiarité ; c'est
pour la même raison que ses rapports avec ses disciples ne sont plus les mêmes
qu'avant sa passion, afin qu'ils aient pour lui une plus grande vénération. Ces
paroles : « Je ne suis pas encore monté vers mon Père, » indiquent qu'il se
hâte de se rendre au plus tôt vers lui. Or, il ne fallait plus voir et traiter
de la même manière celui qui devait bientôt se rendre dans les cieux et cesser
tout rapport extérieur avec les hommes, et c'est ce qu'il veut faire entendre,
en ajoutant : « Allez à mes frères, et dites-leur : Je monte vers mon Père et
votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » —S. HIL. (de la Trin., 11)
Parmi tant d'autres impiétés, les hérétiques prétendent s'appuyer sur ces
paroles du Seigneur, pour soutenir que son Père étant le Père de ses disciples,
et son Dieu leur Dieu, il n'est pas Dieu lui-même. Ils ne réfléchissent pas
qu'il a pris la nature du serviteur, tout en conservant la nature divine. Or,
puisque c'est dans la forme de serviteur que Jésus-Christ s'adresse à des
hommes, nul doute qu'à ne considérer que sa nature humaine et la forme
d'esclave dont il s'est revêtu, son Père ne soit aussi leur Père, et son Dieu
leur Dieu. Il s'exprime encore de la même manière lorsqu'il leur dit en
commençant : « Allez à mes frères. » Ils sont les frères de Dieu selon la chair,
car en tant que Fils unique de Dieu, il n'a point de frères. — S. AUG. Remarquez d'ailleurs que Jésus ne
dit point : Notre Père, mais : « Mon Père, et votre Père. » Il est donc mon
Père dans un autre sens qu'il est le vôtre ; il est mon Père par nature, il est
le vôtre par grâce. Il ne dit pas non plus : Notre Dieu, mais : « Mon Dieu, »
auquel je suis inférieur comme homme, et : «Votre Dieu, » et je suis le
médiateur entre vous et lui.
S. AUG. (de
l'accord des Evang., 3, 24.) Madeleine sortit alors du tombeau,
c'est-à-dire, du jardin qui entourait le tombeau creusé dans le roc. Avec elle
sortirent les autres femmes que saint Marc nous représente saisies de crainte
et d'effroi, et toutes gardent un profond silence. Marie-Madeleine, poursuit
l'Evangéliste, vint trouver les disciples et leur dit : « J'ai vu le Seigneur,
et il m'a dit cela. » — S. GREG. Le
crime du genre humain est effacé dans les mômes circonstances où il a été
commis, c'est dans un jardin que la femme a communiqué la mort à l'homme, c'est
en sortant d'un sépulcre qu'une femme vient annoncer la vie aux hommes, et
celle qui s'était rendu l'organe des paroles de mort du serpent, rapporte
aujourd'hui les paroles du souverain auteur de la vie.
S. AUG. (de l'accord des Evang., 3, 24.)
D'après le récit de saint Matthieu, c'est alors que Madeleine revenait avec les
autres femmes, que Jésus se présenta devant elles et leur dit : « Je vous
salue. » Il faut conclure de là que les anges aussi bien que le Sauveur,
parlèrent aux pieuses femmes, lorsqu'elles allèrent au tombeau, à deux reprises
différentes ; une première fois lorsque Marie prit Jésus pour le jardinier, et
une seconde fois, lorsqu'il se présenta de nouveau devant elles pour les
affermir par cette double apparition ; c'est donc alors que Marie-Madeleine,
non pas seule, mais avec les autres femmes dont parle saint Luc, vint annoncer
cette nouvelle aux disciples.
BEDE. (sur S. Matth., 27) Dans le sens allégorique
ou tropologique, Jésus se présente à tous ceux qui commencent à marcher dans le
chemin des vertus, et il les salue en leur donnant les secours nécessaires pour
arriver au salut éternel. Les deux femmes qui portent le même nom et qui,
animées des mêmes sentiments de piété et d'amour (c'est-à-dire, Marie-Madeleine
et l'autre Marie), viennent visiter le tombeau du Sauveur, figurent les deux
peuples fidèles, le peuple des Juifs et le peuple des Gentils, qui manifestent
le même zèle et le même empressement pour célébrer la passion et la
résurrection du Rédempteur. (Sur S. Marc.) C'est avec raison que la
femme qui a la première annoncé aux disciples éplorés la joyeuse nouvelle de la
résurrection du Sauveur, nous est représentée comme ayant été délivrée de sept
démons, c'est-à-dire, de tous les vices ; elle nous apprend ainsi, que nul
de ceux dont le repentir est véritable, ne doit désespérer du pardon de ses
fautes, en la voyant elle-même élevée à un si haut degré de foi et d'amour,
qu'elle est jugée digne d'annoncer aux Apôtres eux-mêmes le miracle de la
résurrection. — LA GLOSE. Marie-Madeleine
qui se montre bien plus empressée que tous les autres d'aller voir le tombeau
de Jésus-Christ, représente toute âme qui désire vivement connaître la vérité
divine, et qui mérite ainsi d'obtenir cette connaissance. Mais elle doit alors
faire connaître aux autres la vérité qui lui a été révélée, à l'exemple de
Madeleine, qui annonce la résurrection aux disciples, pour éviter la juste
condamnation d'avoir tenu caché son talent. (Sur S. Marc.) Il ne
vous est pas permis de renfermer cette joie dans le secret de votre cœur, mais
vous devez la faire partager à ceux qui partagent votre amour. Dans le sens
allégorique, Marie qui signifie maîtresse, illuminée, illuminatrice, étoile
de la mer, est la figure de l'Eglise. Elle s'appelle aussi Madeleine,
c'est-à-dire, élevée comme une tour, car le mot Magdal, eu hébreu, a la même
signification que le mot turris en latin. Or, ce nom qui est dérivé du
mot tour, convient parfaitement à l'Eglise, dont il est dit dans le Psaume 60
: « Vous êtes devenu pour moi une forte tour contre l’ennemi. » L'exemple
de Marie-Madeleine, annonçant la résurrection de Jésus-Christ aux disciples,
nous avertit tous et surtout ceux à qui a été confié le ministère de la parole,
de transmettre soigneusement à notre prochain ce que nous avons reçu nous-mêmes
par révélation divine.
S. CHRYS. (hom.
86 sur S. Jean.) En apprenant de la bouche de Marie-Madeleine la
nouvelle de la résurrection, les disciples devaient ou refuser d'y croire, ou
en y ajoutant foi, attrister de ce que le Seigneur ne les avait pas jugés
dignes de le voir eux-mêmes ressuscité. Jésus ne les laisse pas une seule
journée dans ces pensées, et comme la nouvelle qu'ils avaient apprise qu'il
était ressuscité, partageait leur esprit entre le désir de le voir et la
crainte, lorsque le soir fut venu, il se présenta an milieu d'eux : « Sur le
soir du même jour, qui était le premier de la semaine, les portes du lieu où
les disciples se trouvaient rassemblés, étant fermées, » etc. — BEDE. Nous
avons ici une preuve de la grande timidité des Apôtres qui les tient rassemblés
les portes fermées de peur des Juifs, dont la crainte les avait déjà dispersés
: « Jésus vint et se tint au milieu d'eux. » Il leur apparaît le soir, parce
que leur crainte devait alors être plus grande encore. — THEOPHYL. Peut-être aussi voulut-il
attendre ce moment pour les trouver tous réunis. Il entre les portes fermées,
pour leur montrer qu'il était ressuscité de la même manière, en traversant la
pierre qui recouvrait
le sépulcre. — S. AUG. (serm.
sur la fête de Pâque.) Il en est quelques-uns que ce fait étonne au point
de mettre leur foi en péril, ils opposent aux miracles divins les préjugés de
leurs raisonnements, et argumentent ainsi : Si c'était vraiment un corps, si le
corps qui a été attaché à la croix est véritablement sorti du sépulcre, comment
a-t-il pu traverser les portes qui étaient fermées ? Si vous compreniez le
comment, ce ne serait plus un miracle, là où la raison fait défaut, la foi
commence à s'élever.
S. AUG. (Traité 121 sur S. Jean.) Les
portes fermées ne purent faire obstacle à un corps où habitait la Divinité, et
celui dont la naissance laissa intacte la virginité de sa Mère, put entrer dans
ce lieu sans que les portes fussent ouvertes.
S. CHRYS. Il
est surprenant que la pensée ne soit point venue aux disciples que c'était un
fantôme, mais Marie-Madeleine, en leur annonçant que Jésus était ressuscité,
avait animé et développé leur foi. Il se manifesta lui-même ensuite à leurs
yeux, et par ses paroles il affermit leur âme encore chancelante : « Et il leur
dit : La paix soit avec vous, » c'est-à-dire, ne vous troublez point. Il
rappelle ici ce qu'il leur avait dit avant sa passion : « Je vous donne ma
paix ; » et encore : « C'est en moi que vous aurez la paix. »
S. GREG. (hom.
20 sur les Evang.) Comme la foi de ses disciples avait encore
quelque doute sur la vérité du corps qu'ils avaient devant les yeux,
Nôtre-Seigneur, ajoute l'Evangéliste, leur montra aussitôt ses mains et son
côté. — S. AUG. Les clous avaient
percé ses mains, la lance avait ouvert son côté, et il avait voulu conserver
les cicatrices
de ses blessures pour guérir de la plaie du doute le cœur de ses disciples. —
S. CHRYS. Il accomplit la
prédiction qu'il leur avait faite avant sa passion : « Je vous verrai de
nouveau, et votre cœur se réjouira. » Aussi l'Evangéliste remarque, « qu'ils
furent remplis de joie voyant le Seigneur. » — S. AUG. (de la cité de Dieu, 22, 19.) Cette gloire éclatante comme le soleil dont les
justes brilleront dans le royaume de leur Père (Mt 13), demeura voilée
dans le corps de Jésus-Christ ressuscité, mais n'en fut point séparée. La
faiblesse des yeux de l'homme n'aurait pu le considérer dans cet éclat, et il
suffisait d'ailleurs alors à ses disciples de le voir de manière à pouvoir le
reconnaître.
S. CHRYS. Toutes
ces circonstances donnaient à leur foi une certitude absolue ; mais comme ils
devaient avoir ù soutenir contre les Juifs une lutte acharnée, il leur souhaite
du nouveau la paix : « Il leur dit de nouveau : La paix soit avec vous. » — BEDE. Ce souhait redoublé est une
confirmation de la paix qu'il leur souhaite ; et il le répète à deux fois parce
que la vertu de charité a un double objet, ou bien parce que c'est lui « qui
des deux peuples n'en a fait qu'un. » (Ep 2, 14.) — S. CHRYS. Il nous montre en même temps
l'efficacité de la croix qui a dissipé toutes les causes de tristesse et a été
pour nous la source de tous les biens, et c'est là la véritable paix. C'est
ainsi qu'il avait fait porter précédemment aux saintes femmes ces paroles de
joie, parce que ce sexe était comme dévoué à la tristesse par suite de cette
malédiction prononcée contre lui : « Vous enfanterez dans la douleur. » (Gn 3)
Mais maintenant que tous les obstacles sont renversés et toutes les difficultés
aplanies, le Sauveur ajoute: « Comme mon Père m'a envoyé, moi-même je vous
envoie. » — S. GREG. Le Père a envoyé son Fils lorsqu'il a décrété qu'il
s'incarnerait pour la rédemption du genre humain. C'est pour cela qu'il dit à
ses disciples : « Comme mon Père m'a envoyé, moi-même je vous envoie. »
C'est-à-dire en vous envoyant au milieu de tous les pièges que vous tendront
les persécuteurs, je vous aime du même amour dont mon Père m'a aimé lorsqu'il
m'a envoyé pour supporter toutes les souffrances que j'ai eu à endurer. — S. AUG. (Traité 121 sur S.
Jean.) Nous savons que le Fils est égal à son Père, mais nous reconnaissons
a ces paroles le langage du Médiateur. Il nous montre en effet qu'il est
Médiateur en leur disant : « Mon Père m'a envoyé, et moi je vous envoie. » — S.
CHRYS. C'est ainsi qu'il relève leur courage par la pensée des événements qui
ont eu lieu et de la dignité de celui qui les envoie. Il n'adresse plus ici de
prière à son Père, c'est de sa propre autorité qu'il leur communique une
puissance toute divine : « Ayant dit ces paroles, il souffla sur eux et
leur dit : Recevez l'Esprit saint. » — S. AUG. (de la Trin., 4, 20.) Ce
souffle extérieur ne fut point la substance de l'Esprit saint, mais une figure
propre à nous faire comprendre que l'Esprit saint procédait non-seulement du
Père, mais aussi du Fils. Car, qui serait assez dénué de raison pour prétendre
que l'Esprit saint que Jésus donna à ses disciples en soufflant sur eux est
différent de celui qu'il leur a envoyé après sa résurrection ? — S. GREG. Mais pourquoi le donne-t-il
d'abord étant sur la terre à ses disciples, avant de le leur envoyer du ciel ?
C'est parce qu'il y a deux préceptes de la charité, le précepte de la charité
de Dieu, le précepte de la charité du prochain. L'Esprit saint nous est donné
sur la terre pour nous porter à l'amour du prochain ; il nous est envoyé du
haut du ciel pour nous inspirer l'amour de Dieu. De même que la charité est
une, bien qu'elle ait deux préceptes pour objet, ainsi il n'y a qu'un seul
esprit donné dans deux circonstances différentes, la première fois par le
Sauveur, lorsqu'il était encore sur la terre ; la seconde fois lorsqu'il fut
envoyé du ciel, car c'est l'amour du prochain qui nous apprend à nous élever
jusqu'à l'amour de Dieu.
S. CHRYS. Quelques-uns
prétendent que Nôtre-Seigneur n'a point donné l'Esprit saint à ses disciples,
mais qu'il les prépara, en soufflant sur eux, à recevoir l'Esprit saint. En
effet, si à la vue seule d'un ange Daniel fut saisi d'effroi, que n'auraient
pas éprouvé les disciples en recevant ce don ineffable, si Jésus n'avait pris
soin de les y préparer ? On ne se trompera point du reste en disant qu'ils
reçurent alors la puissance d'une grâce toute spirituelle, non point pour
ressusciter les morts et faire des miracles, mais pour remettre les péchés, comme
paraissent l'indiquer les paroles suivantes : « Les péchés seront remis à ceux
à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les
retiendrez. »
S. AUG. La
charité de l'Eglise que l'Esprit saint répand dans nos cœurs (Rm 5)
remet les péchés de ceux qui entrent en participation de cette divine charité,
mais elle les retient à ceux qui n'y ont aucune part. C'est pour cela qu'après
avoir dit : « Recevez l'Esprit saint, » le Sauveur parle aussitôt du pouvoir de
remettre et du retenir les péchés.
S. GREG. Il
faut remarquer que ceux qui ont reçu d'abord l'Esprit saint pour vivre dans
l'innocence et prêcher d'une manière utile à quelques-uns, ont reçu ensuite
visiblement ce même Esprit, pour que les effets de leur zèle fussent moins
restreints et s'étendissent à un plus grand nombre. J'aime à considérer à quel degré
de gloire Jésus élève ceux qu'il avait appelé à de si grands devoirs
d'humilité. Voici que non-seulement il leur donne toute espèce de sécurité pour
eux-mêmes, mais ils reçoivent en partage la magistrature du jugement suprême et
le pouvoir de remettre les péchés aux uns et de les retenir aux autres. Les
évêques qui sont appelés au gouvernement de l'Eglise tiennent maintenant leur
place et ont aussi le pouvoir de lier et de délier. C'est un grand honneur,
mais c'est en même temps un bien lourd fardeau, car quelle charge plus pénible
pour celui qui ne sait tenir les rênes de sa propre vie, de prendre en main la
direction de la vie des autres ! — S. CHRYS.
Le prêtre qui se contente de bien régler sa vie personnelle, mais ne
prend point un soin vigilant de la vie des autres, est condamné au feu de
l'enfer avec les impies. En considérant la grandeur du danger auquel les
prêtres sont exposés, ayez donc pour eux beaucoup de bienveillance et
d'égards, quand même ils ne seraient point de condition très élevés, car il
n'est pas juste qu'ils soient jugés sévèrement pur ceux qui sont soumis à leur
pouvoir. Quand même leur vie serait souverainement coupable, vous n'avez aucun
dommage à craindre dans la distribution des grâces dont ils sont les
dispensateurs, car dans les dons qui viennent de Dieu, ce n'est point le
prêtre, ce n'est ni un ange, ni un archange qui peuvent agir ; c'est du Père,
du Fils et du Saint-Esprit que découlent toutes les grâces. Le prêtre ne fait
que prêter sa langue et sa main. Il n'eût pas été juste, en effet, que par
suite de la conduite criminelle des ministres de Dieu, les sacrements de notre
salut perdissent de leur efficacité pour ceux qui ont embrassé la foi.
Tous les disciples étant rassemblés, Thomas seul
manquait, depuis le moment où ils s'étaient tous dispersés. « Or Thomas, un des
douze, appelé Didyme, n'était pas avec eux lorsque Jésus vint. » — ALCUIN. Le mot grec Didyme veut
dire double en latin, et ce disciple est ainsi appelé à cause de ses
doutes dans la foi. Le mot Thomas signifie abîme, parce qu'il a pénétré
ensuite avec une foi certaine les profondeurs de la divinité. Or, ce n'était
point par l’effet du hasard que ce disciple était alors absent, car la conduite
de la divine bonté paraît ici d'une manière merveilleuse, elle voulait que ce
disciple incrédule, eu touchant les blessures du corps du Sauveur, guérît en
nous les blessures de l'incrédulité. Eu effet, l’incrédulité de Thomas nous a
plus servi pour établir en nous la foi que la loi elle-même dus disciples qui
crurent sans hésiter. L'exemple de ce disciple qui revient à la foi en touchant
le corps du Sauveur chasse de notre âme toute espèce de doute et nous affermit
à jamais dans la loi. — BEDE. On
peut demander pourquoi saint Jean nous dit que Thomas était alors absent,
tandis que saint Luc rapporte, que les deux disciples qui revenaient d'Emmaüs à
Jérusalem trouvèrent les onze réunis. Celte difficulté s'explique en admettant
qu'il y eut un intervalle pendant lequel Thomas sortit pour un instant, et que
ce fut alors que Jésus se présenta au milieu de ses disciples.
S. CHRYS. (hom.
87 sur S. Jean.) C’est la marque d'un esprit léger de croire trop
facilement et sans examen, mais c'est le caractère d'un esprit peu intelligent
de porter ses recherches au delà de toute mesure et de vouloir trop
approfondir, et c'est en quoi Thomas se rendit coupable. Les apôtres lui disent
: « Nous avons vu le Seigneur, » et il refuse de le croire, moins encore par
défiance de ce qu'ils lui disaient que parce qu'il regardait la chose comme impossible. « Les
autres disciples lui dirent donc : Nous avons vu le Seigneur. Il leur
répondit : Si je ne vois dans ses mains la marque des clous qui les ont
percées, et si je ne mets mon doigt dans le trou des clous et ma main dans la
plaie de son côté, je ne le croirai point. » Son esprit, plus grossier que
celui des autres, voulait arriver à la foi par le sens le plus matériel,
c'est-à-dire par le toucher. Le témoignage de ses yeux ne lui suffisait même
pas ; aussi ne se contente-t-il pas de dire : Si je ne vois, mais il ajoute : «
Si je ne mets mon doigt, » etc.
S. CHRYS. (hom.
87 sur S. Jean.) Considérez la bonté du divin Maître ; il daigne
apparaître et montrer ses blessures pour le salut d'une seule âme. Les
disciples qui lui avaient appris que le Sauveur était ressuscité étaient
assurément bien dignes de foi, aussi bien que le Sauveur lui-même qui l'avait
prédit ; cependant comme Thomas exige une nouvelle preuve, Jésus ne veut pas la
lui refuser. Toutefois il ne lui apparaît pas aussitôt, mais huit jours après,
afin que le témoignage des disciples rendît ses désirs plus vils, et que
sa foi fût plus affermie dans la suite : « Huit jours après, dit
l'Evangéliste, les disciples étaient encore dans le même lieu, et Thomas avec
eux, Jésus vint, les portes étant fermées, et il se tint au milieu d'eux et
leur dit : La paix soit avec vous. » — S. AUG.
(Serm. sur la Pass. ou serm. 3 pour l'oct. de Pâq., 159 du
temps.) Vous me demandez : Puisqu'il est entré les portes étant fermées,
que sont devenues les propriétés naturelles du corps ? Et moi je vous réponds :
Lorsqu'il a marché sur la mer, qu'était devenue la pesanteur de son corps ? Le
Seigneur se conduisait ainsi comme étant le souverain Maître ; a-t-il donc
cessé de l'être parce qu'il est ressuscité ?
S. CHRYS. Jésus
apparaît donc, et il n'attend pus que Thomas l'interroge, et pour lui montrer
qu'il était présent lorsqu'il exprimait ses doutes aux autres disciples, il se
sert des mêmes paroles. Il commence par lui faire les reproches qu'il méritait
: « Il dit ensuite à Thomas : Portez ici votre doigt et considérez mes mains ;
approchez aussi votre main et mettez-la dans mon côté. » Puis il l'instruit en
ajoutant : « Et ne soyez plus incrédule, mais fidèle. » Vous voyez qu'ils
étaient travaillés par le doute de l'incrédulité avant d'avoir reçu l'Esprit
saint, mais ils furent ensuite affermis pour toujours dans la foi. Ce serait
une question digne d'intérêt d'examiner comment un corps incorruptible pouvait
porter la marque des clous, mais n'en soyez pas surpris, c'était un effet de la
bonté du Sauveur qui voulait ainsi convaincre ses disciples que c'était bien
lui qui avait été crucifié.
S. AUG. (du
symb. aux catéch., 2, 8.) Jésus aurait pu, s'il avait voulu, faire
disparaître de son corps ressuscité et glorifié toute marque de cicatrice, mais
il savait les raisons pour lesquelles il conservait ces cicatrices dans son
corps. De même qu'il les a montrées à Thomas, qui ne voulait point croire à
moins d'avoir touché et d'avoir vu, ainsi il montrera un jour ces mêmes
blessures à ses ennemis, non plus pour leur dire : « Parce que vous avez
vu, vous avez cru, » mais pour qu'ils soient convaincus par la vérité qui leur
dira : « Voici l'homme que vous avez crucifié, vous voyez les blessures que
vous avez faites ; vous reconnaissez le côté que vous avez percé, c'est par
vous et pour vous qu'il a été ouvert, et cependant vous n'avez pas voulu y
entrer. » — S. AUG. (de la cité de Dieu, 22, 20.) Je ne sais pourquoi
l'amour que nous avons pour les saints martyrs nous fait désirer de voir sur
leur corps, dans le royaume des cieux, les cicatrices des blessures qu'ils ont
reçues pour le nom de Jésus-Christ, et j'espère que ce désir sera satisfait. Car
ces blessures, loin d'être une difformité, seront un signe de gloire, et bien
qu'empreintes sur leur corps, elles feront éclater la beauté, non point du
corps, mais de leur courage et de leur vertu. Et quand même les martyrs
auraient eu quelques-uns de leurs membres coupés ou retranchés, ils ne
ressusciteront pas sans que ces membres leur soient rendus, car il leur a été
dit : « Un cheveu de votre tête ne périra pas. » (Lc 21, 18.) Si
donc il est juste que dans cette vie nouvelle, on voie les marques de ces
glorieuses blessures dans leur chair douée de l'immortalité, les cicatrices de
ces blessures apparaîtront sur les membres qui leur seront rendus, à l'endroit
même où ils ont été frappés ou coupés pour être retranchés. Tous les défauts du
corps disparaîtront alors, il est vrai, mais on ne peut considérer comme des
défauts ou des taches les témoignages du courage des martyrs.
S. GREG. (hom.
20.) Nôtre-Seigneur offre au toucher cette même chair, avec laquelle il
était entré les portes demeurant fermées. Nous voyons ici deux faits
merveilleux et qui paraissent devoir s'exclure, à ne consulter que la raison ;
d'un côté, le corps de Jésus ressuscité est incorruptible, et de l'autre
cependant, il est accessible au toucher. Or, ce qui peut se toucher doit nécessairement
se corrompre, et ce qui est impalpable ne peut être sujet à la corruption.
Nôtre-Seigneur, en montrant dans son corps ressuscité, ces deux propriétés de
l'incorruptibilité et de la tangibilité, nous fait voir que sa nature est
restée la même, mais que sa gloire est différente. — S. GREG. (Moral., 14, 39 ou 31 dans les anc.
édit.) Après la gloire de la résurrection, notre corps deviendra subtil par
un effet de la puissance spirituelle dont il sera revêtu, mais il demeurera
palpable en vertu de sa nature première, et il ne sera pas, comme l'a écrit
Eutychius, impalpable et plus subtil que l'air et les vents.
S. AUG. Thomas
ne voyait et ne touchait que l'homme, et il confessait le Dieu qu'il ne pouvait
ni voir ni toucher ; mais ce qu'il voyait et ce qu'il touchait le conduisait à
croire d'une foi certaine ce dont il avait douté jusqu'alors : « Thomas
répondit et lui dit : Mon Seigneur et mon Dieu. » — THEOPHYL. Celui qui avait d'abord été un incrédule, après
l'épreuve du toucher, se montre un parfait théologien, en proclamant en
Jésus-Christ deux natures et une seule personne, en disant : « Mon Seigneur, »
il reconnaît la nature humaine, et en ajoutant : « Mon Dieu, » la nature
divine, et ces deux natures dans un seul et même Dieu, et Seigneur.
« Jésus lui dit : Vous avez cru parce que vous
m'avez vu. » — S. AUG. Il ne lui dit pas : Vous m'avez touché, mais vous m'avez
vu, parce que la vue est comme un sens général qui, dans le langage ordinaire,
comprend les quatre autres sens. C'est ainsi que nous disons : Ecoutez et voyez
quel son harmonieux, sentez et voyez quelle odeur agréable, touchez et voyez
quelle chaleur ? C'est ainsi que Nôtre-Seigneur lui-même dit à Thomas : «
Mettez-la votre doigt, et voyez mes mains, » ce qui ne veut dire autre chose
que : « Touchez et voyez. » Thomas cependant n'avait pas les yeux au bout du
doigt. Les deux opérations de la vue et du toucher sont donc exprimées dans ces
paroles du Sauveur : « Parce que vous m'avez vu, vous avez cru. » On
pourrait dire encore que Thomas n'osa pas toucher le corps de Jésus, bien qu'il
le lui offrît.
S. GREG. (hom.
26.) L'Apôtre nous dit : « La foi est le fondement des choses que l'on doit
espérer, et une pleine conviction de celles qu'on ne voit point. » (He 11,
1) Il est donc évident que ce que l'on voit clairement n'est pas l'objet de la
foi, mais de la connaissance. Pourquoi donc le Sauveur dit-il à Thomas, qui
avait vu et touché : « Parce que vous avez vu, vous avez cru ? » C'est qu'il
crut autre chose que ce qu'il voyait. Ses yeux ne voyaient qu'un homme, et il
confessait un Dieu. Les paroles qui suivent : « Bienheureux ceux qui n'ont pas
vu et qui ont cru, » répandent une grande joie dans notre âme, car c'est nous
que Nôtre-Seigneur a eus particulièrement en vue, nous qui croyons dans notre
esprit en celui que nous n'avons pas vu de nos yeux, si toutefois nos œuvres
sont conformes à notre foi. Car la vraie foi est celle qui se traduit et se
prouve par les œuvres. — S. AUG. Le
Sauveur parle ici au passé, parce que dans les décrets de sa prédestination, il
regardait comme déjà fait ce qui devait arriver. — S. CHRYS.
Lors donc qu'un chrétien est tenté de dire : Que n'ai-je été dans ces
temps heureux pour voir de mes yeux les miracles de Jésus-Christ, qu'il se
rappelle ces paroles : « Bienheureux ceux qui n'ont point vu et qui ont
cru. » — THEOPHYL. Notre-Seigneur
désigne ici ceux de ses disciples qui ont cru sans toucher les blessures faites
par les clous et la plaie du côté.
S. CHRYS. Comme le récit de saint Jean est moins étendu que celui des autres évangélistes, il ajoute : « Jésus fit encore devant ses disciples beaucoup d'autres miracles qui ne sont pas écrits dans ce livre. » Les autres évangélistes n'ont pas non plus raconte tout ce qu'ils ont vu, mais simplement tout ce qui suffisait pour amener les hommes à la foi. Je crois du reste que saint Jean ne veut parler ici que des miracles qui ont eu lieu après la résurrection, c'est pour cela qu'il dit : « En présence de ses disciples » avec lesquels seuls il eût des rapports après sa résurrection. Ne croyez pas du reste que ces miracles n'étaient faits que dans l'intérêt des disciples, » car ajoute l'Evangéliste : « Ceux-ci sont écrits afin que vous croyiez que Jésus est le Christ Fils de Dieu, » et il parle ici de tous les hommes. Et remarquez que cette foi est utile, non pas à celui qui en est l'objet, mais ù nous-mêmes qui croyons : « Afin que croyant, vous ayez la vie en son nom. »
S. AUG. (Traité
122 sur S. Jean.) Les dernières paroles de l'Evangéliste semblaient
indiquer la fin de son récit. Cependant il nous raconte encore comment
Nôtre-Seigneur se manifesta près de la mer de Tibériade : « Après cela, Jésus
apparut de nouveau près de la mer de Tibériade. » — S. CHRYS. (hom. 89 sur S. Jean.). Saint Jean dit :
« Après cela, » parce que Nôtre-Seigneur ne restait pas continuellement avec
ses disciples comme auparavant. Il se sert de cette expression : « Il se
manifesta, » parce que ses disciples n'auraient pu le voir, s'il n'avait
consenti à se rendre visible par un effet de sa bonté, puisque son corps était
incorruptible. Il fait mention expresse de l'endroit où il leur apparut, pour
nous montrer que le Sauveur avait diminué de beaucoup leurs craintes,
puisqu'ils s'éloignent à une assez grande distance de leur demeure. En effet,
ils ne restaient plus renfermés, mais ils allaient dans la Galilée, pour éviter
tout danger de la part des Juifs.
BEDE. Suivant sa coutume,
l'Evangéliste commence par exposer le fait, puis il raconte la manière dont il
eut lieu : « Or, il se manifesta de cette sorte. » — S. CHRYS. Comme le Seigneur n'était pas continuellement avec
eux, qu'ils n'avaient pas encore reçu l'Esprit saint, qu'aucune charge ne leur
avait été confiée, et qu'ils n'avaient pas autre chose à faire, ils se
livraient à leurs occupations de pêcheur : « Simon-Pierre et Thomas, appelé
Didyme, et Nathanaël, qui était de Cana, en Galilée (qui avait été appelé par
Philippe), et les fils de Zébédée (Jacques et Jean), et deux autres de ses
disciples se trouvaient ensemble. Simon-Pierre leur dit : « Je vais pêcher. » —
S. GREG. (hom. 24 sur
les Evang.) On peut demander pourquoi Pierre, qui exerçait le métier de
pêcheur avant sa conversion, revient à ses filets après sa conversion, alors
que la vérité elle-même nous dit : « Quiconque met la main à la charrue et
regarde en arrière, n'est point propre au royaume de Dieu. » — S. AUG. Si les Apôtres avaient agi de la
sorte aussitôt la mort de Jésus, et avant sa résurrection, nous aurions lieu de
penser qu'ils cédaient au découragement qui s'emparait de leur âme. Au
contraire, c'est après avoir vu Jésus-Christ sorti du tombeau plein de vie ;
c'est après avoir examiné les traces que les blessures avaient laissées sur son
corps, c'est après qu'il leur a donné l'Esprit saint en soufflant sur eux, qu'ils redeviennent
ce qu'ils étaient auparavant, pécheurs non d'hommes, mais de poissons. Je
réponds donc qu'il ne fut point défendu aux Apôtres de pourvoir à leur
subsistance par l'exercice d'un métier légitime, tout en sauvegardant la
dignité de leur apostolat, s'ils n'avaient point d'ailleurs d'autres moyens
d'existence. En effet, si saint Paul refusa d'user du pouvoir qui lui était
commun avec les autres prédicateurs de l'Evangile, et voulut combattre à ses
propres frais, pour ne point être un obstacle à la conversion des peuples
complètement étrangers au nom de Jésus-Christ, en leur laissant supposer que
l'intérêt était le mobile de sa prédication ; si cet Apôtre, dont l'éducation
avait été tout autre, par suite de ce principe, voulut apprendre un métier
qu'il ne connaissait pas, afin qu'en vivant du travail de ses mains, il ne fût
à charge à aucun de ceux qu'il enseignait, à combien plus juste titre saint
Pierre, qui avait été précédemment pêcheur, pût-il reprendre le métier qu'il
savait, si pour le moment il ne trouvait point d'autre ressource pour vivre. On
me dira peut-être : Et pourquoi n'en a-t-il point trouvé, lorsque la promesse
du Seigneur est formelle : « Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa
justice, et le reste vous sera donné comme par surcroît. » Je
réponds que le Seigneur a parfaitement accompli sa promesse, car quel autre a
conduit les poissons dans les filets où ils ont été pris ? Et très-certainement
c'est lui qui permit que la nécessité contraignît ses disciples de retourner à
la pêche, parce qu'il voulait les rendre témoins du miracle qu'il se proposait
d'opérer. — S. GREG. Ils purent
donc reprendre sans aucune faute après leur conversion, des occupations
auxquelles ils se livraient très licitement avant leur conversion. Voilà pourquoi Pierre, après sa
conversion retourne à la pêche, mais Matthieu ne reprend point sa place au
bureau des impôts, car il est des professions que l'on ne peut absolument, ou
sans de grandes difficultés, exercer sans péché. Il faut donc que le cœur véritablement
converti se détache complètement de tout ce qui peut l'entraîner au péché.
S. CHRYS. Les
autres disciples suivaient Pierre : « Ils lui dirent : Nous y allons aussi avec
vous ; » car ils ne formaient tous qu'une seule société, et voulaient tous ensemble
être témoins de la pêche : « Ils s'en allèrent donc, et montèrent dans la
barque. » Ils péchaient pendant la nuit, parce qu'ils étaient encore dominés
par la crainte des Juifs. — S. GREG.
Les disciples éprouvèrent de grandes difficultés dans cette pêche, afin
qu'à l'arrivée de leur divin Maître, ils fussent remplis d'une grande
admiration : « Et cette nuit-là ils ne prirent rien. »
S. CHRYS. Tandis
qu'ils se fatiguent ainsi avec le regret de ne rien prendre, Jésus leur
apparaît : « Mais le matin venu, Jésus parut sur le rivage. » Il ne se découvre
pas tout d'abord, mais veut auparavant lier conversation avec eux. Il leur
parle donc en premier lieu un langage tout humain : « Enfants, n'avez-vous rien
à manger ? » Il semble, par cette question, avoir l'intention de leur acheter
quelque chose ; mais comme il les voit saisis de crainte, il leur donne un
signe qui put le faire reconnaître : « Il leur dit : Jetez le filet à droite de
la barque, et vous en trouverez, » Les miracles se succèdent alors en grand
nombre ; le premier, c'est qu'ils prennent une quantité énorme de poissons : «
Ils le jetèrent et ils ne pouvaient plus le tirer tant il était chargé de
poissons. » Dans la manière dont ils reconnaissent Jésus-Christ, Pierre et Jean
font voir chacun la différence de leur caractère. Le premier était plus ardent,
le second d'une intelligence plus élevée, l'un avait plus d'initiative, l'autre
plus de discernement ; aussi est-il le premier à reconnaître Jésus-Christ : «
Le disciple que Jésus aimait, dit à Pierre : C'est le Seigneur. » — BEDE. C'est par ce miracle que Jésus,
comme en beaucoup d'autres endroits, manifeste sa personne divine. Or, Jean
reconnaît le premier le Seigneur, soit à cette pêche miraculeuse, soit au son
d'une voix qui lui était connue, soit au souvenir de la première pêche. — S. CHRYS. Pierre avait plus d'ardeur, et
il met plus d'empressement à venir à Jésus-Christ : « Simon-Pierre ayant
entendu que c'était le Seigneur, se ceignit de sa tunique (car il était nu), »
etc.
bède. Saint Jean dit que Pierre
était nu par opposition aux autres vêtements dont il faisait usage. C'est ainsi
qu'en voyant un homme couvert d'un simple vêtement, nous lui disons : Pourquoi
donc êtes-vous ainsi nu ? Ou peut aussi admettre que suivant la coutume des
pêcheurs, il s'était dépouillé de tous ses vêtements pour pêcher plus
librement. — THEOPHYL. Pierre se
ceignit aussitôt, par un sentiment de pudeur ; il se ceignit d'un vêtement de
lin dont les pêcheurs de la Phénicie et de Tyr s'enveloppent, et dont ils se
couvrent, qu'ils aient ou non d'autres vêtements. — BEDE. Pierre vient à la rencontre de Jésus avec la même
ardeur qu'il faisait éclater dans toutes ses actions : « Et il se jeta à
la mer ; les autres disciples vinrent avec la barque. » Il n'est point cependant
nécessaire d'entendre que Pierre ait marché sur les flots, il vint trouver
Jésus, soit en nageant, soit en marchant dans l'eau, car on était près de la
terre. « Car, remarque saint Jean, ils n'étaient pas éloignés de la terre. » — LA GLOSE. Il y a ici une transposition
évidente, car nous lisons à la suite : « En tirant le filet rempli de poissons.
» Voici l'ordre naturel de la phrase : « Les autres disciples vinrent dans la
barque, en tirant le filet rempli de poissons, car ils n'étaient pas loin de la
terre. »
S. CHRYS. Un
autre miracle les attendait sur le rivage : « Lorsqu'ils furent descendus à
terre, ils virent des charbons allumés, » etc. Nôtre-Seigneur n'opère plus ici
sur une matière préexistante, mais il fait quelque chose de plus merveilleux,
il donne l'être à ce qui n'existait pas, et il montre ainsi qu'avant sa
passion, c'était par suite d'une mystérieuse économie qu'il faisait ses
miracles en se servant d'une matière déjà existante. — S. AUG. (Traité 123
sur S. Jean.) Il ne faut point entendre ces paroles dans ce sens,
que le pain fut placé sur les charbons, mais voici ce que l'Evangéliste veut
dire : « Ils virent des charbons allumés, et un poisson placé dessus, et ils
virent du pain. » — THEOPHYL. Pour
leur prouver qu'ils ne sont pas dupe d'une illusion fantastique, il leur
commande de lui apporter quelques-uns des poissons qu'ils avaient pris :
« Jésus leur dit : Apportez quelques-uns des poissons que vous venez de
prendre. » Un troisième miracle fut que le filet ne se rompit point sous l'énorme
quantité de poissons qu'il renfermait : « Simon-Pierre monta donc dans la
barque, et tira à terre ce filet plein de cent cinquante-trois grands poissons.
Et quoiqu'il y en eût un si grand nombre, le filet ne se rompit point. »
S. AUG. (Traité
122 sur S. Jean.) Dans le sens mystique, cette poche miraculeuse est
la figure du mystère qui s'opérera dans l'Eglise lors de la résurrection des
morts. C'est à mon avis pour faire ressortir plus clairement ce mystère que
saint Jean parait vouloir terminer son Evangile par cette réflexion qui devient
comme l'introduction du récit qui va suivre et lui donne ainsi plus
d'importance. Ce qui donne un nouveau caractère de vérité à ce sentiment, c'est
que le récit évangélique paraissait terminé, et que ce fait est comme le
commencement d'un nouveau récit. Les sept disciples qui prirent part à cette
pêche sont, par leur nombre de sept, la figure de la fin du temps, dont la
révolution s'accomplit dans un espace de sept jours. — THEOPHYL. Tant que dura la nuit, avant le lever du soleil de
justice, qui est Jésus-Christ, les prophètes ne purent rien prendre, car bien
que leurs efforts n'eussent pour but que la réforme du seul peuple juif, ce
peuple ne laissait pas de tomber fréquemment dans l'idolâtrie.
S. GREG. (hom.
24.) Mais pourquoi, pendant que ses disciples se consument en efforts au
milieu de la mer, Jésus, après sa résurrection, se tient-il sur le rivage, lui
qui, avant sa résurrection, marche sur les flots mêmes de la mer pour aller les
trouver ? La mer est la figure du siècle présent qui se brise au choc de
l'agitation des événements et des flots de cette vie corruptible, tandis que la
terre ferme du rivage est le symbole de la stabilité du repos éternel. Comme
les disciples étaient encore au milieu des flots de cette vie mortelle, ils
avaient à supporter les fatigues de la mer, mais notre Rédempteur, qui avait
dépouillé la corruption de la chair, se tenait sur le rivage après sa
résurrection. — S. AUG. Le rivage est comme la fin de la mer et figure
la fin du monde. De même que Notre-Seigneur veut nous signifier dans cet
endroit ce que sera l'Eglise à la fin du monde ; ainsi dans une autre pêche qui
a précédé, il a voulu nous figurer l'Eglise telle qu'elle est pendant cette
vie. Aussi lors de cette première pêche, Jésus ne se tenait pas sur le rivage,
mais montant sur une barque qui était celle de Simon-Pierre, il le pria de
s'éloigner du rivage. Dans cette même circonstance, les filets ne sont pas
jetés à droite de la barque, pour ne pas signifier les bons seulement, ni à
gauche, pour ne pas figurer exclusivement les mauvais, mais indifféremment à
droite ou à gauche : « Jetez, dit Jésus, vos filets pour pêcher, » (Lc 5)
afin de figurer ainsi le mélange des bons et des mauvais, ici, au contraire, il
dit : « Jetez votre filet à la droite de la barque, » pour signifier seulement
ceux qui se tiendront à la droite, c'est-à-dire, les bons exclusivement. Le
Sauveur fit le premier miracle au commencement de sa prédication, et le second
après sa résurrection. La première pêche représente le mélange des bons et des
mauvais, dont l'Eglise est maintenant composée ; et la seconde, les bons
seulement, dont elle sera formée, pour l'éternité après la résurrection des
morts, qui aura lien à la fin du monde. Ceux qui auront part à la résurrection
du la vie (c'est-à-dire, ceux qui seront adroite), et qui sont morts dans les
filets du nom chrétien, ne paraîtront que sur le rivage (c'est-à-dire, à la fin
du monde après la résurrection). Aussi les disciples ne purent tirer les filets
pour verser comme la première fois dans la barque, les poissons qu'ils avaient
pris. Ces poissons
qui sont pris à la droite de la barque, l'Eglise les conserve cachés dans le
sommeil de la paix, comme dans les profondeurs de la mer, jusqu'à ce que le
filet soit tiré sur le rivage. Dans la première pêche il y avait deux barques,
et dans celle-ci, les disciples étaient à deux cents coudées du rivage ; on
peut dire que c'est la figure des élus des deux peuples, du peuple de la
circoncision et du peuple des Gentils (comprenant chacun le nombre cent). — BEDE. Ou bien encore, ces deux cents
coudées représentent les deux préceptes de la charité, car c'est par l'amour de
Dieu et du prochain que nous approchons de Jésus-Christ. Le poisson rôti est la
figure de Jésus-Christ dans sa passion ; il a daigné se cacher dans les eaux du
genre humain, il s'est laissé prendre dans les filets de notre mortalité ; il a
été pour nous comme un poisson par son humanité, et il est devenu pour nous un
pain en nous fortifiant par sa divinité.
S. GREG. C'est
à Pierre qu'a été confié le soin de la sainte Eglise, et c'est à lui
spécialement qu'il est dit : « Paissez mes brebis. » Ce que le Sauveur lui dira
bientôt en termes exprès, il le lui dit maintenant par les faits. C'est Pierre
qui tire les poissons sur la terre ferme du rivage, parce que c'est lui qui
montre aux fidèles l'éternelle et immuable patrie ; c'est ce qu'il a fait par
ses paroles, c'est ce qu'il a fait par ses Epîtres, c'est ce qu'il fait encore
tous les jours par l'éclat de ses miracles. L'Evangéliste ne se contente pas de
nous dire que le filet était plein de poissons, mais il en précise le nombre :
« Il était plein de cent cinquante-trois poissons. » — S. AUG. Dans la première
pêche, on ne parle pas du nombre des poissons, et nous y voyons comme un
accomplissement de cette prédiction du Roi-prophète : « J'ai voulu annoncer vos
œuvres, leur multitude m'a paru innombrable. » (Ps 39, 6.) Ici, au
contraire, le nombre est précisé, et il faut en donner la raison. Le nombre qui
figure la loi est le nombre dix, à cause du décalogue ; mais lorsque la grâce
vient s'unir à la loi (c'est-à-dire, l'esprit à la lettre), le nombre sept
vient s'ajouter au nombre dix. En effet, le nombre sept est comme le symbole de
l'Esprit saint, qui est surtout l'auteur de notre sanctification. Cette
sanctification se montre pour la première fois dans le repos du septième jour. (Gn
2) Le prophète Isaïe fait l'éloge de l'Esprit saint, en énumérant ses sept
dons ou ses sept opérations, (Is 11) Lors donc qu'au nombre dix de la
loi vient s'ajouter le nombre sept, symbole de l'Esprit saint ; ces deux
nombres réunis forment le nombre dix-sept ; si l'on décompose ce nombre en
commençant par l'unité et en ajoutant toujours à chacune de ces parties, depuis
un jusqu'à dix-sept le nombre additionnel ou arrive au nombre total de cent
cinquante-trois. — S. GREG. Multiplions le nombre sept et dix-sept par trois,
et nous trouvons cinquante-un. Or, c'est dans la cinquantième année que tout le
peuple se reposait de tout travail. Mais le véritable repos est dans l'unité,
car le véritable repos ne peut se trouver au milieu des déchirements produits
par la division.
S. AUG. Il ne faudrait pas conclure de là qu'il n'y
aura que cent cinquante-trois saints qui ressusciteront à la vie éternelle, car
tous ceux qui ont part à la grâce de l'Esprit saint, sont compris dans ce
nombre qui renferme trois fois le nombre cinquante, et de plus le nombre trois,
symbole du mystère de la sainte Trinité. Or, le nombre cinquante est le produit du
nombre sept multiplié par sept, et auquel on ajoute l'unité. Cette unité
indique qu'ils ne doivent faire qu'un. Ce n'est pas sans raison que
l'Evangéliste fait la remarque que les poissons étaient grands, car lorsque
Nôtre-Seigneur eut dit : « Je ne suis pas venu détruire la loi, mais
l'accomplir (en donnant l'Esprit saint qui devait la faire accomplir) ; » il
ajoute un peu plus loin : « Celui qui fera et enseignera sera grand dans le
royaume des cieux. » (Mt 5) Lors de la première pêche, le filet se
rompait en figure des schismes qui devaient déchirer l'Eglise. Ici, au
contraire, comme les schismes seront impossibles dans la paix suprême dont
jouiront les saints, l'Evangéliste a dû faire remarquer que, malgré le grand
nombre et la grosseur des poissons, le filet ne se rompit point. Il semble
faire allusion à la première pêche où le filet se rompit, et vouloir faire
ressortir par cette comparaison la supériorité de la pèche actuelle.
S. AUG. (Traité 123 sur S. Jean.) La
pêche étant terminée, le Seigneur invite ses disciples à manger : « Jésus leur
dit : Venez, mangez. » — S. CHRYS. (hom.
87 sur S. Jean.) Nous ne voyons pas ici qu'il ait mangé avec eux,
mais saint Luc le dit expressément. Il le fit du reste, non pas que sa nature
eût encore besoin d'aliments, mais pour s'accommoder à la faiblesse de ses
disciples et leur donner ainsi une nouvelle preuve de sa résurrection. — S. AUG. (de la cité de Dieu, 13,
22.) Quant aux corps des justes, tels qu'ils seront après la résurrection, ils
n'auront plus besoin de l'arbre de vie pour se garantir des maladies et de la
décrépitude qui conduisent à la mort, ni des aliments matériels qui apaisent le
besoin si souvent pénible de la faim et de la soif, parce qu'ils seront revêtus
du don assuré d'une immortalité qu'ils ne pourront plus perdre, immortalité
qui, en les affranchissant de la nécessité de se nourrir, leur en laissera la
faculté. En effet, les corps ressuscites seront affranchis, non de la faculté,
mais du besoin de boire et de manger. C'est ainsi que Notre Seigneur, après sa
résurrection, voulut boire et manger avec ses disciples dans une chair toute
spirituelle, quoique très-véritable, non par le besoin qu'il avait de
nourriture, mais en vertu de la faculté qui lui en était restée.
« Et nul de ceux qui étaient assis n'osait lui
demander : Qui êtes-vous ? » — S. AUG. (Traité
123 sur S. Jean.) C'est-à-dire, nul d'entre eux n'osait élever des
doutes sur la réalité de la personne du Sauveur, car l'évidence de la vérité
était si grande, qu'aucun d'eux n'osait, non-seulement nier, mais même douter
que ce fût lui, car s'ils avaient eu quelque doute, ils l'auraient interrogé. —
S. CHRYS. Ou bien l’Evangéliste fait celle réflexion, parce que les disciples
n'osaient plus lui parler avec la même liberté qu'auparavant ; ils étaient
assis en silence et dans l'attitude du plus grand respect, les yeux fixés sur
lui, et à la vue des propriétés différentes de son corps, ravis d'admiration et d'étonnement, ils
auraient voulu l'interroger. Mais comme ils savaient que c'était le Seigneur,
la crainte les arrêtait, et ils se contentaient de manger ce qu'il leur
distribuait avec une autorité souveraine. Il ne lève point ici les yeux au
ciel, et il n'agit plus comme un homme, pour leur apprendre que ce qu'il
faisait autrefois était la suite de ses abaissements volontaires : « Et Jésus
vint, prit le pain, et le leur donna, » etc.
S. AUG. Dans
le sens mystique, le poisson rôti représente Jésus-Christ dans sa passion. Il
est le pain descendu du ciel, et l'Eglise lui est incorporée pour avoir part au
bonheur éternel. Il leur dit : « Apportez quelques-uns des poissons que vous
venez de prendre, afin que nous tous qui avons cette espérance, nous sachions
que nous entrons en participation d'un si grand mystère dans la personne de ces
sept disciples (nombre où l'on peut voir l'universalité des fidèles), et que
nous sommes associés à leur félicité.
S. GREG. Ce dernier repas que Jésus fait avec sept
de ses disciples, nous enseigne que ceux-là seuls qui sont remplis des sept
dons de l'Esprit saint, auront part avec lui à l'éternel festin. Le cours du
temps s'accomplit et se mesure par espaces de sept jours, et ce nombre est
souvent pris pour le symbole de la perfection. Ceux donc qui, dans ce dernier
et éternel festin, se nourriront de la présence de la vérité, sont ceux que le
zèle pour leur perfection élève au-dessus des choses de la terre.
S. CHRYS. Le
Sauveur ne restait pas longtemps avec ses disciples, et n'avait plus avec eux
les mêmes rapports que précédemment, c'est pour cela que l'Evangéliste ajoute :
« Ce fut la troisième fois que Jésus apparut à ses disciples, depuis qu'il était ressuscité des morts.
— S. AUG. Ce nombre de trois doit s'entendre, non de l'ordre des apparitions
elles-mêmes, mais des jours où elles eurent lieu. Ainsi il leur apparut
le jour même de sa résurrection, puis huit jours après, lorsque Thomas crut
après l'avoir vu de ses yeux, et encore le jour de cette pêche miraculeuse, et
ensuite aussi souvent qu'il le voulut jusqu'au quarantième jour où il monta au
ciel. — S. AUG. (de l'acc. des Evang., 3, 25.) Nous trouvons dans les
quatre évangélistes, dix apparitions du Seigneur après sa résurrection. Il
apparut la première fois aux saintes femmes, près du sépulcre ; la seconde,
lorsqu'elles revenaient du sépulcre ; la troisième fois à Pierre ; la quatrième
aux deux disciples qui allaient à Emmaüs ; la cinquième à plusieurs disciples
dans Jérusalem ; la sixième aux onze Apôtres et à Thomas ; la septième sur les
bords de la mer de Tibériade ; la huitième aux onze Apôtres, sur une montagne
de Galilée, selon saint Matthieu ; la neuvième, comme le rapporte saint Marc, à
ce dernier repas après lequel ils ne devaient plus manger avec lui sur la terre
; la dixième fois enfin ; le jour même de son ascension, alors qu'il n'était
déjà plus sur la terre, mais qu'il s'élevait dans les cieux.
THEOPHYL. Après le repas, Jésus confie
à Pierre, et non pas à d'autres, le gouvernement de toutes les brebis qui
étaient dans le monde : « Lors donc qu'ils eurent mangé, Jésus dit à
Simon-Pierre, » etc. — S. AUG. (Traité
123 sur S. Jean.) Le Sauveur interroge, bien qu'il sût ce qu'il
demandait, car il savait parfaitement que, non-seulement Pierre l'aimait, mais
qu'il l'aimait plus que tous les autres.
ALCUIN. Simon est appelé fils de
Jean, parce que son père s'appelait Jean. Dans le sens mystique, Simon veut
dire obéissant, et Jean signifie grâce. C'est à juste titre que
Pierre est appelé obéissant à la grâce de Dieu, pour faire voir que s'il
aime Jésus-Christ d'un amour plus ardent, ce n'est point à ses mérites, mais à
la grâce de Dieu qu'il en est redevable.
S. AUG. (Serm.
sur la pass.) Lorsque le Seigneur fut sur le point d’être mis à mort,
Pierre fut saisi de crainte et renia son divin Maître, car c'est la crainte de
la mort qui lui fit renier Jésus-Christ ; mais maintenant qu'il est ressuscité,
que pourrait-il craindre encore, puisque la mort a reçu elle-même dans sa
personne le coup de la mort ? « Il lui répondit donc : Oui, Seigneur, vous
savez que je vous aime. » Sur cette assurance que Pierre lui donne de son
amour, Jésus lui confie le soin de sou troupeau. Il lui dit : « Paissez mes
brebis, » comme si Pierre n'avait point d'autre occasion de manifester son
amour pour Jésus-Christ, qu'en devenant un pasteur fidèle de ses brebis sous
l'autorité du Prince de tous les pasteurs. — S. CHRYS. (hom. 88 sur S. Jean.) Rien ne nous rend
plus dignes de la bienveillance divine comme le soin que nous prenons du
prochain. Nôtre-Seigneur donne cette charge à Pierre de préférence à tous les
autres Apôtres, parce qu'il était le premier entre tous les Apôtres, la bouche
des disciples, et la tête du sacré collège, et c'est pour cela qu'après lui
avoir pardonné son reniement, il l'établit le chef de ses frères. Il ne lui
reproche pas de l'avoir renié, mais il lui dit : « Si vous m'aimez, soyez à la
tête de vos frères, montrez maintenant cet amour dont vous avez fait
constamment preuve, et sacrifiez pour mes brebis cette vie que vous étiez prêt,
disiez-vous, à donner pour moi. »
« Jésus lui dit de nouveau : Simon, fils de Jean,
m'aimez-vous ? » — S. AUG. (Traité
123 sur S. Jean.) C'est avec raison que Jésus demande à Pierre : «
M'aimez-vous ? » et que sur la réponse qu'il lui fait : « Je vous aime. » Jésus
lui dit : « Paissez mes agneaux. » Nous voyons ici que l'amour et la dilection
sont une seule et même chose, car la troisième fois le Seigneur ne lui dit pas
: Diligis me, avez-vous pour moi de la dilection ? mais : Amas me, m'aimez-vous.
Jésus lui dit une troisième fois : « Simon, fils de Jean, m'aimez-vous ? »
Jésus demande à Pierre pour la troisième fois s'il l'aime, à son triple
renoncement correspond une triple confession, il faut que sa langue devienne
l'organe de sou amour comme elle l'a été de sa crainte, et que le témoignage de
sa parole soit aussi explicite en présence de la vie qu'il l'a été devant la mort qui le
menaçait. — S. CHRYS. Trois fois
Jésus lui fait la même question, et trois fois aussi il lui renouvelle la même
recommandation, pour nous apprendre quel prix il attache à la direction de ses
brebis, et que c'est à ses yeux la preuve la plus grande d'amour. — THEOPHYL. C'est de là qu'est venu
l'usage de la triple promesse exigée de ceux qui demandent à recevoir le
baptême.
S. CHRYS. A
cette troisième question, le trouble s'empare de l'âme de Pierre : « Pierre fut
contristé de ce que Jésus lui demandait pour la troisième fois : M'aimez-vous ?
» Il tremble au souvenir de sa conduite passée, il craint de se tromper en
croyant qu'il aime Jésus, et de mériter de nouveau la rude leçon qu'il a reçue par
suite de la trop grande confiance qu'il avait dans ses propres forces. C'est
donc auprès de Jésus-Christ qu'il cherche son refuge : « Et il lui dit :
Seigneur, vous connaissez toutes choses, » c'est-à-dire, les secrets les plus
intimes du cœur pour le présent et pour l'avenir. — S. AUG. (Serm. 50 sur
les par. du Seig.) Ce qui l'attriste, c'est de se voir renouveler cette
question par celui qui savait parfaitement ce qu'il demandait et qui avait
inspiré à Pierre les assurances qu'il donnait de son amour. Il répond donc en
toute vérité, et c'est du fond de son cœur qu'il fait sortir ces accents d'un
véritable amour : « Vous savez que je vous aime. » — S. AUG. (Traité 124 sur S.
Jean.) Pierre n'ajoute pas : Plus que ceux-ci, il ne répond que sur ce
qu'il sait de lui-même, car il ne pouvait connaître le degré d'amour qu'avaient
les autres disciples pour Jésus, puisqu'il ne pouvait lire dans le fond de leur
cœur : « Jésus lui dit : Paissez mes brebis, » c'est-à-dire, donnez un témoignage de votre amour en
paissant le troupeau du Seigneur, comme vous avez donné une preuve de votre
timidité en reniant le pasteur.
THEOPHYL. On peut établir une
différence entre les agneaux et les brebis ; les agneaux sont ceux qui
commencent à faire partie du troupeau ; les brebis sont les âmes qui ont
atteint la perfection. — ALCUIN. Paître
les brebis, c'est fortifier ceux qui croient en Jésus-Christ, pour que leur foi
ne vienne pas à défaillir, pourvoir, lorsqu'il le faut, aux nécessités
temporelles de ceux qu'on dirige, s'opposer à leurs ennemis, et ramener ceux
d'entre eux qui s'égarent. — S. AUG. (Traité
123 sur S. Jean.) Ceux qui paissent les brebis de Jésus-Christ, dans
l'intention d'en faire leurs propres brebis plutôt que de les attacher à
Jésus-Christ, sont convaincus de s'aimer au lieu d'aimer Jésus-Christ, d'être
conduits par le désir de la gloire, de la domination ou de l'intérêt plutôt que
par la charité qui ne se propose que d'obéir, de secourir et de plaire à Dieu.
Gardons-nous donc de nous aimer nous-mêmes, au lieu d'aimer Jésus-Christ ; en
paissant ses brebis, cherchons ses intérêts plutôt que les nôtres. Celui qui
s'aime au lieu d'aimer Dieu, ne s'aime pas véritablement, car puisqu'il ne peut
vivre par lui-même, en n'aimant que soi il se condamne à la mort. Ce n'est donc
point s'aimer véritablement que de s'aimer d'un amour qui fait perdre la vie.
Lorsqu'au contraire ou aime celui qui nous fait vivre, en ne s'aimant pas
soi-même, on s'aime beaucoup plus, puisqu'on refuse de s'aimer pour aimer
davantage celui qui est pour nous le principe de la vie. — S. AUG. (Serm. sur la pass.) Il
s'est trouvé des serviteurs infidèles qui ont divisé le troupeau de
Jésus-Christ, et qui, par leurs rapines, se sont amassé une certaine fortune.
Vous les entendez dire : Ce sont là mes brebis, que venez-vous faire près de
mes brebis, prenez garde que je vous retrouve parmi mes brebis. Si nous tenons nous-mêmes ce langage, et
qu'à leur exemple, nous disions aussi : Mes brebis ; c'en est fait,
Jésus-Christ a perdu ses brebis.
S. CHRYS. (hom.
88 sur S. Jean.) Après avoir enseigné à Pierre le véritable
caractère de l'amour qu'il devait avoir pour lui, il lui prédit le martyre
qu'il devait souffrir pour son nom, et nous apprend ainsi comment nous devons
l'aimer nous-mêmes : « En vérité, en vérité, je vous le dis, lorsque vous étiez
plus jeune, vous vous ceigniez vous-même, et vous alliez où vous vouliez. »
Jésus lui rappelle le temps de sa jeunesse, parce qu'en effet, pour les
affaires de la terre, le jeune homme seul a de la valeur, le vieillard n'en a
presque point. Dans les choses divines, au contraire, c'est dans la vieillesse
que la vertu a plus d'éclat, plus d'habileté, plus d'application, sans que
l'âge y apporte aucun obstacle. Or, comme Pierre voulait toujours être au
milieu des dangers avec Jésus-Christ, le Sauveur lui dit : « Ayez confiance,
j'accomplirai votre désir ; ce que vous n'avez pas souffert dans votre
jeunesse, vous le souffrirez dans votre vieillesse ; » preuve que Pierre
n'était alors ni jeune ni vieux, mais dans la force de l'âge.
ORIG. (sur S. Matth.) Remarquez qu'il n'est
pas facile de trouver quelqu'un de ceux qui sont prêts à quitter immédiatement
cette vie. C'est pour cela que Jésus dit dès maintenant à Pierre : « Lorsque
vous serez devenu vieux, vous étendrez vos mains. »
S. AUG. (Traité
123 sur S. Jean.) C'est-à-dire vous serez crucifié, et pour vous
conduire au supplice, un autre vous ceindra et vous conduira où vous ne voudrez
pas. Jésus prédit d'abord l'événement et ensuite la manière dont il devait
s'accomplir. Ce n'est pas lorsqu'il fut crucifié, mais avant d'être attaché à
la croix, qu'il fut conduit là où il ne voulait pas. Il voulait bien être
dépouillé de son corps pour être avec Jésus-Christ, mais, s'il eût été
possible, il aurait désire entrer dans la vie éternelle sans passer par les
angoisses de la mort. C'est malgré lui qu'il fut conduit au supplice, mais
c'est par sa volonté qu'il a triomphé des horreurs de cette mort et qu'il s'est
dépouillé de ce sentiment de crainte et de répugnance pour la mort, sentiment
tellement inhérent à notre nature que la vieillesse même ne put l'éteindre dans
saint Pierre. Mais quelles que soient les souffrances dont la mort se montre
environnée, nous devons en triompher par la force de l'amour que nous avons
pour celui qui, étant notre vie, a voulu souffrir la mort pour nous. Car s'il
n'y avait que peu ou point de souffrance à endurer pour mourir, la gloire des
martyrs serait beaucoup moins grande. — S. CHRYS.
Jésus lui dit : « Vous serez conduit là où vous ne voudrez point, »
à cause de ce sentiment naturel à l'âme qui fait qu'elle se sépare malgré elle
du corps par un sage conseil de la Providence divine qui s'oppose ainsi aux
funestes desseins d'un grand nombre qui auraient fini leurs jours par une mort
violente. L'Evangéliste élève ensuite plus haut nos pensées : « Jésus dit
cela indiquant par quelle mort il devait glorifier Dieu. » Il ne dit pas : de
quelle mort il devait mourir, pour nous apprendre que c'est un honneur et une
gloire de souffrir pour Jésus-Christ. Or, jamais le chrétien ne consentirait à
souffrir la mort pour Jésus-Christ si son esprit n'avait la certitude qu'il est
vraiment Dieu. Aussi la mort des saints est-elle pour nous une preuve certaine
de la gloire de Dieu.
S. AUG. (Traité 123 sur S. Jean.) Telle
fut donc la fin de Pierre. Après avoir renié Jésus-Christ, il l'aima de tout
son cœur, et, sous l'impulsion de cet amour parfait il souffrit la mort pour
celui pour qui, par une précipitation coupable, il avait promis de sacrifier sa
vie. Il fallait d'abord, en effet, que Jésus-Christ souffrît la mort pour le
salut de Pierre avant que Pierre donnât sa vie pour la foi de Jésus-Christ
qu'il annonçait.
S. AUG. (Traité 124 sur S. Jean.) Après
avoir prédit à Pierre par quelle mort il devait glorifier Dieu, il l'invite à
marcher à sa suite : « Et après avoir ainsi parlé, il lui dit : « Suivez-moi. »
Mais pourquoi le Sauveur dit-il à Pierre seul : « Suivez-moi, » sans adresser
la même invitation aux autres qui étaient présents et qui le suivaient comme
des disciples suivent leur maître ? Or, si par ces paroles Jésus l'appelle au
martyre, Pierre est-il donc le seul qui ait souffert pour la vérité chrétienne
? Est-ce que Jacques n'était pas là, lui que nous savons avoir été mis à mort
par Hérode ? On répondra peut-être à cela que Jacques n'ayant pas été crucifié,
Jésus put dire exclusivement à Pierre : « Suivez-moi, » parce que non-seulement
il devait
souffrir la mort, mais la mort de la croix, à l'exemple de Jésus-Christ.
THEOPHYL. Pierre ayant appris qu'il
devait souffrir la mort pour Jésus-Christ, lui demande si Jean doit mourir de
la même mort. « Pierre s'étant retourné vit le disciple que Jésus
aimait, » etc. — S. AUG. Il
se nomme le disciple que Jésus aimait parce qu'en effet Jésus avait pour lui un
amour plus intime et plus tendre que pour les autres, et c'est pour cela que,
pendant la cène, il le fit reposer sur sa poitrine. Je crois que le Sauveur a
voulu ainsi nous donner une haute idée de l'excellence de l'Evangile que Jean
devait annoncer. Il en est qui pensent (et ce ne sont pas les interprètes les
moins distingués des saintes Ecritures) que l'amour plus particulier de Jésus
pour Jean avait pour cause la chasteté que cet Apôtre avait toujours
inviolablement gardée depuis sa première enfance.
« Pierre donc, l'ayant vu, dit à Jésus : Seigneur,
mais celui-ci, que deviendra-t-il?» — théofhtl.
C'est-à-dire, suivant l'explication de quelques interprètes, est-ce
qu'il ne doit pas mourir aussi?
« Jésus lui dit : Je veux qu'il demeure ainsi jusqu'à
ce que je vienne; que vous importe ? » — S. AUG.
Et il lui répète : « Suivez-moi, » paroles qui semblent nous indiquer
que Jean ne le suivrait point, parce qu'il voulait qu'il restât jusqu'à ce
qu'il vint lui-même. Il semble qu'on ne pourrait facilement admettre d'autre
interprétation de ces paroles que celle qui vint à l'esprit des disciples qui
étaient présents : « Le bruit courut donc parmi les frères que ce disciple ne
mourrait point. » Mais Jean lui-même combat cette interprétation en ajoutant :
« Et Jésus ne lui dit pas : Il ne mourra point, mais je veux qu'il demeure
ainsi jusqu'à ce que je vienne, que vous importe ? » On peut insister cependant
si l'on veut, et dire qu'à la vérité Nôtre-Seigneur n'avait pas dit que « ce
disciple ne mourrait point, » mais que c'est le sens qui résulte des paroles
rapportées par saint Jean. — THEOPHYL. On peut dire encore : Jésus-Christ n'a
point nié que Jean dût mourir (car tout ce qui naît doit mourir), mais il lui a
dit simplement : Je veux qu'il demeure, c'est-à-dire qu'il vive jusqu'à la fin
du monde, et c'est alors qu'il souffrira pour moi le martyre. Voilà pourquoi il
en est qui prétendent que Jean vit encore, et qu'il doit être mis à mort par
l'antéchrist, après avoir annoncé le nom de Jésus-Christ avec Elie et Enoch. On
montre, il est vrai, son tombeau, mais il y est entré vivant pour en sortir
bientôt après.
S. AUG. Il
en est même qui vont jusqu'à dire que dans son tombeau, que l'on montre encore
à Ephèse, Jean y est enseveli dans le sommeil plutôt que dans la mort, et ils
en donnent pour preuve que la terre qui recouvre son tombeau se soulève et fait
comme jaillir des flots de poussière, ce qu'ils attribuent obstinément à
l'effet de sa respiration. Mais pourquoi le Sauveur aurait-il accordé, comme
une grâce privilégiée au disciple qu'il aimait plus que les autres, un sommeil
du corps aussi prolongé, tandis que par la gloire éclatante du martyre il a
délivré Pierre du fardeau de ce corps terrestre et l'a mis en possession de ce
bonheur que saint Paul désirait si vivement lorsqu'il disait : « Je désire
d'être dégagé des liens du corps pour être avec Jésus-Christ ? » (Ph 1,
23.) Si donc il faut en croire la renommée sur le fait en question, nous
dirons que Dieu le permit pour relever la mort de son disciple qui n'a pas été
rehaussée par la gloire du martyre, ou pour toute autre cause qui nous est
inconnue. Cependant il reste toujours à résoudre cette question : Pourquoi le
Seigneur a-t-il pu dire d'un homme qui devait mourir : « Je veux qu'il demeure
ainsi jusqu'à ce que je vienne ? »
Il nous est également intéressant d'examiner
pourquoi le Sauveur avait pour Jean un amour plus particulier, alors que Pierre
aimait son divin Maître plus que les autres. Autant que je puis en juger, je
serais porté à dire que celui qui a pour Jésus-Christ un plus grand amour vaut
mieux que les autres, taudis que celui qui est plus aimé de Jésus-Christ est
plus heureux, si je voyais comment défendre en cela la justice de notre divin
Rédempteur. Je vais donc essayer de résoudre cette importante et difficile
question. L'Eglise connaît deux vies différentes que la prédication divine lui
a enseignées, l'une est la vie de la foi, l'autre la vie de la claire vision ;
la première est personnifiée dans l'apôtre Pierre, à cause de la primauté de sa
dignité apostolique ; l'autre dans l'apôtre Jean. Jésus dit à Pierre : «
Suivez-moi, » tandis qu'on parlant de Jean, il dit : « Je veux qu'il démesure
ainsi jusqu'à ce que je vienne, » paroles dont voici le sens : Pour vous,
suivez-moi en supportant, à mon exemple, les souffrances de cette vie ; quant à
lui, qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne le mettre en possession des biens
éternels. Ou pour parler plus clairement encore : Que la vie active parfaite me
suive en imitant l'exemple que je lui ai donné dans ma passion, et que la vie
contemplative, qui ne fait que commencer ici-bas, demeure jusqu'à ce que je
vienne lui donner toute sa perfection. Cette expression demeurer ne doit
pas s'entendre dans le sens de rester, être permanent, mais dans le sens d'attendre,
parce que la vie dont Jean est la figure aura son parfait accomplissement
lorsque Jésus-Christ viendra. Or, dans cette vie active, plus nous aimons
Jésus-Christ, plus aussi nous sommes délivrés facilement du mal. Cependant
Jésus nous aime moins dans l'état où nous sommes, et il nous en délivre pour
que nous n'y restions pas éternellement. Dans la vie du ciel, au contraire, il
nous aime davantage, parce qu'il n'y aura plus rien en nous qui lui déplaise et
dont il doive nous délivrer. Que Pierre donc aime Jésus-Christ afin que nous
soyons délivrés de cette vie mortelle ; que Jean soit aimé par lui, afin que
nous possédions l'immortalité sans crainte de la perdre. Si vous demandez
maintenant pourquoi Jean, qui figurait la vie où Jésus est plus aimé, l'aimait
cependant moins que Pierre, je répondrai : C'est parce que le Sauveur a dit : «
Je veux qu'il demeure (c'est-à-dire qu'il attende) jusqu'à ce que je vienne, »
c'est parce que nous n'avons pas encore, mais que nous attendons dans l'avenir
cet amour plus parfait que Jésus nous donnera lorsqu'il viendra. Voilà ce qui
nous est figuré dans la personne de Pierre, qui aime davantage Jésus-Christ,
mais qui en est moins aimé, parce que le Sauveur nous aime moins dans l'état
d'épreuve que dans la vie bienheureuse ; et nous-mêmes nous aimons moins la
contemplation de la vérité telle qu'elle doit se dévoiler un jour, parce que
nous n'en avons encore ni la connaissance, ni la possession. C'est ce qui nous
est figuré par Jean, qui aime Jésus-Christ moins que Pierre. Que personne
cependant ne songe à séparer ces deux illustres apôtres, car tous deux vivaient
de cette vie qui se personnifiait dans Pierre, comme tous deux devaient vivre
un jour de cette vie dont Jean était la figure.
LA GLOSE. Ou bien encore ces paroles :
« Je veux qu'il demeure ainsi, » veulent dire : Je ne veux pas qu'il termine sa
vie par le martyre, mais qu'il attende en paix la délivrance de son corps,
lorsque je viendrai le mettre en possession de la félicité éternelle.
THEOPHYL. Ou bien autrement, par ces paroles : «
Suivez-moi, » le Seigneur le place à la tête de tous les fidèles ; et ce mot :
« Suivez-moi, » emporte l'imitation générale de toutes ses paroles, de toutes
ses actions. Il lui prouve aussi par là l'amour qu'il a pour lui, car ce sont
ceux que nous aimons le plus que nous voulons voir à notre suite.
S. CHRYS. Si
l'on me demande comment se fait-il donc que Jacques ait occupé le siège de
Jérusalem ? Je répondrai, parce que Pierre a été établi maître du monde entier.
« Pierre s'étant retourné, vit le disciple que Jésus aimait, qui, pendant la
cène, s'était reposé sur sa poitrine, et lui avait demandé : Seigneur, quel est
celui qui vous trahira ? » Ce n'est pas sans raison que l’Evangéliste rappelle
cette circonstance du la cène, il veut nous faire voir quelle grande confiance
animait Pierre après son renoncement. Pendant la cène, il n'avait pas osé
interroger le Sauveur, mais avait fait signe à Jean de l'interroger à sa place,
et c’est à lui qu'est confiée la suprême juridiction sur ses frères. Et
non-seulement il ne laisse plus à un autre le soin d'interroger son divin
Maître sur ce qui le concerne, mais lui-même l'interroge, désormais sur ce qui
peut intéresser les autres. Comme le Seigneur venait de lui faire les plus
grandes promesses, de lui confier le soin de l'univers entier, de lui prédire
son martyre, et de constater solennellement que l’amour de Pierre pour lui
était plus grand que celui des autres, Pierre, dans le désir que Jean entre en
partage d'aussi grandes prérogatives, dit à Jésus : « Mais celui-ci, que
deviendra-t-il ? » C'est-à-dire : Est-ce qu'il ne suivra pas la même voie ? En
effet, Pierre aimait beaucoup Jean, et leur union nous est attestée par
l'Evangile et par le livre des Actes. C'est ainsi que Pierre veut rendre à Jean
ce que Jean a fait autrefois pour lui. Il croit que Jean voudrait bien demander
ce qui doit lui arriver, mais qu'il n'ose le faire, il interroge donc le
Sauveur à sa place. Mais ils devaient être chargés la direction de tout
l'univers, et ne pouvaient plus rester réunis comme ils l'avaient été jusqu'à
présent, ce qui eût été un véritable préjudice pour le monde tout entier ; le
Seigneur répond donc à Pierre, selon le texte grec : « Si je veux qu'il
demeure ainsi jusqu'à ce que je vienne, que vous importe ? Quant à vous,
suivez-moi, » c'est-à-dire, ne vous occupez que de l’œuvre qui vous est
confiée, et accomplissez-la soigneusement, pour celui-ci, si je veux qu'il
demeure, que vous importe ?
THEOPHYL. Il en est qui entendent ces paroles : «
Jusqu'à ce que je vienne, » dans ce sens : Jusqu'à ce que je vienne contre les
Juifs qui m'ont crucifié, et que je les frappe par les armes des Romains. On
rapporte, en effet, que cet Apôtre vécut dans ces mêmes lieux jusqu'au temps de
Vespasien, sous lequel la ville de Jérusalem devait être prise. Ou bien encore
: « Jusqu'à ce que je vienne, » c'est-à-dire, jusqu'à ce que je l'envoie
annoncer l'Evangile. Quant à vous, je vous destine le pontificat du monde
entier, et c'est pour cela que je vous dis : « Suivez-moi ; » pour lui
qu'il demeure ici jusqu'au jour où je lui donnerai sa mission comme à vous.
S. CHRYS. L'Evangéliste
exprime ensuite et redresse l'opinion des disciples, comme nous l'avons dit
plus haut.
S. CHRYS. (hom. 88 sur S. Jean.) Comme le récit de saint Jean est appuyé sur les faits et les documents les plus certains, il n'hésite pas à produire son propre témoignage : « C'est ce même disciple qui rend témoignage de ces choses et qui les a écrites. » Nous avons pour habitude, lorsque nous rapportons des faits d'une véracité incontestable, de produire à l'appui notre propre témoignage ; c'est ce que fait à plus forte raison celui qui écrivait sous l'inspiration du Saint-Esprit. Voilà pourquoi les autres Apôtres disaient eux-mêmes : « Nous sommes témoins de ces faits. » Saint Jean ajoute : « Et qui les a écrites. » Il est le seul qui parle de la sorte parce qu'il a écrit le dernier sur l'ordre qu'il en a reçu de Jésus-Christ. Voilà pourquoi il parle si fréquemment de l'amour de Jésus-Christ pour lui, faisant ainsi connaître indirectement la cause secrète qui le porte à écrire, et appuyant son récit sur le privilège particulier d'être l’ami de Jésus-Christ : « Et nous savons que son témoignage est vrai, » car il avait été présent à tous les événements qu'il raconte ; il était là lorsque Jésus-Christ fut crucifié ; c’est à lui que le Sauveur daigne confier sa mère, preuve du grand amour que Jésus avait pour lui, et de la certitude de tous les faits qu'il raconte. Si quelques-uns restent incrédules, ce qu'il dit en terminant doit les amener à la foi : « Jésus fit encore beaucoup d'autres choses. » Il est donc évident que je n'ai pas écrit dans le but unique d'être agréable à Jésus-Christ, puisque tant de faits qui existent, j'en ai raconté beaucoup moins que les autres évangélistes ; j'en ai laissé un très-grand nombre, choisissant de préférence les injures et les outrages faits à sa personne. Or, celui qui écrit pour donner de la gloire à son héros, doit au contraire passer sous silence ce qui, dans sa vie, porte un caractère d'ignominie, et ne s'attacher qu'aux faits éclatants. — S. AUG. (Traité 124 sur S. Jean.) Il ajoute : « Si on les écrivait en détail, je ne pense pas que le monde entier pût contenir les livres qu'il faudrait écrire. » Il ne faut pas entendre ces paroles dans ce sens, que l'étendue du monde entier ne suffirait point à contenir tous ces livres, mais que la capacité des lecteurs du monde entier ne suffirait pas à les comprendre. On peut dire aussi que souvent les expressions, tout en respectant la vérité des choses, paraissent cependant aller au delà, ce qui arrive, non point lorsqu'on met dans son jour une chose obscure ou douteuse, mais quand on exagère ou qu'on atténue une vérité claire par elle-même. Cependant, en parlant, ainsi, on ne s'écarte pas de la voie de la vérité, car ces expressions qui vont au delà de ce qu'on veut dire, ne trahissent nullement l'intention de tromper dans celui qui les a employées. Cette manière de parler, s'appelle eu grec hyperbole, et cette figure ne se rencontre pas seulement ici, mais dans d'autres endroits de l'Ecriture. — S. CHRYS. On bien encore, il faut rapporter ces paroles à la puissance divine de celui qui accomplissait ces œuvres admirables ; en effet il lui était beaucoup plus facile de faire les œuvres qu'il voulait, qu'il ne nous l’est à nous de les raconter, car il est le Dieu béni au-dessus de toutes choses dans les siècles des siècles.