L’ENSEIGNEMENT DE PAUL VI

1977

 

 

 

PRÉFACE

 

I- CATÉCHÈSE DU PAPE DANS LES AUDIENCES GÉNÉRALES DU MERCREDI

 

5 janvier : NOËL, ÉCOLE DE PAUVRETÉ - DIEU S’EST FAIT HOMME !

12 janvier : BAPTÊME ET CATECHUMENAT

19 janvier : L’ESPÉRANCE EST L’AME DE LA CAUSE OECUMÉNIQUE

26 janvier : FORTS DANS LA FOI POUR VIVRE CES TEMPS DIFFICILES

2 février : S’OFFRIR AU CHRIST C’EST LE RECEVOIR

9 février : JE CROIS EN DIEU, CRÉATEUR DU MONDE

16 février : OUI ! DIEU AIME... DIEU NOUS AIME !

23 février : AYEZ CONFIANCE ! J’AI VAINCU LE MONDE

16 mars : CONVERTISSEZ-VOUS! FAITES PÉNITENCE !

23 mars : LA PÉNITENCE, SACREMENT DE LA RÉSURRECTION ET DE LA PAIX

30 mars : PAR LA CROIX J’ATTIRERAI TOUS LES HOMMES A MOI

6 avril : ENTENDRE LA PAROLE DE DIEU ET S’EN NOURRIR

13 avril : QUE NOUS VIVIONS, NOUS AUSSI, DANS UNE VIE NOUVELLE !

20 avril : VIVRE L’AUJOURD’HUI DE DIEU

27 avril : LA FIGURE DE JÉSUS RESSUSCITÉ

4 mai : LE MYSTÈRE PASCAL : OEUVRE DE RÉDEMPTION

11 mai : LE DESSEIN HISTORIQUE DU MYSTÈRE PASCAL

18 mai : PÂQUES ET LA FOI

25 mai : LE JUSTE VIVRA PAR LA FOI

1er juin : PENTECÔTE, NAISSANCE DE L’ÉGLISE

8 juin : QUE TOUS SOIENT UN

15 juin : SE NOURRIR DE L’EUCHARISTIE

22 juin : RENOUVELONS NOTRE ENGAGEMENT HUMBLE, FORT, FIDÈLE

6 juillet : ECLAIRER LE CHEMIN DE VOTRE VIE

13 juillet : L’IMPORTANCE DE LA CONSCIENCE MORALE

20 juillet : L’ACTION ÉCLAIRÉE PAR LA FOI

27 juillet : UNE, SAINTE, CATHOLIQUE, APOSTOLIQUE

3 août : JE CROIS EN L’EGLISE CATHOLIQUE

10 août : L’EGLISE APOSTOLIQUE

17 août : SAINTETÉ DE L’EGLISE

24 août : L’EGLISE, PEUPLE FIDÈLE RÉPANDU DANS LE MONDE

31 août : L’EVANGILE EST FEU ET LUMIÈRE

7 septembre : CROYEZ EN MES OEUVRES

14 septembre : A QUOI SERT L’ÉGLISE ?

21 septembre : AIMER ET SERVIR LE CHRIST-DIEU DANS L’HOMME QUI SOUFFRE

28 septembre : PLUS QUE JAMAIS, LE CHRIST EST VIVANT

5 octobre : L’IMPORTANCE PRIMORDIALE DE LA CATÉCHÈSE

12 octobre : LE JUSTE VIVRA DE FOI

19 octobre : SOYEZ FORTS DANS LA FOI

26 octobre : LE SYNODE, SIGNE D’UNITÉ DE L’EGLISE

2 novembre : LE MYSTÈRE DE LA MORT ET L’ESPERANCE DE LA RÉSURRECTION

9 novembre : UNE TRANSFORMATION INTÉRIEURE

16 novembre : SEIGNEUR, QUE VEUX-TU QUE JE FASSE ?

23 novembre : SEIGNEUR, SANS TOI, OÙ IRONS-NOUS ?

30 novembre : L’AVENT DU CHRIST

7 décembre : LE CHRIST EST VENU. LE CHRIST VIENDRA

14 décembre : LE NOËL DU PRÉSENT

21 décembre : NOËL, PRODIGE DE LA MATERNITÉ DE MARIE

28 décembre : IL FAUT REPENSER NOËL

 

 

 

PRÉFACE

 

Ce volume des Enseignements du Pape porte sur sa couverture l’image de Saint Paul. Ce choix a une intention claire. Le pre­mier geste symbolique que fit le Cardinal Jean-Baptiste Montini, après avoir été élu Souverain Pontife, le 21 juin 1963, fut de choisir le nom de Paul. Geste prophétique qui contenait déjà en lui tout un programme, réalisé au cours de ses quinze ans de pontificat, avec un don généreux et permanent au service de la parole, selon l’exemple inégalable de l’Apôtre des Gentils, avec son même style et ses mêmes élans. Centrer sur le Christ toute la prédication, « annonçant à temps et à contre temps l’Evangile du Seigneur — ce sont les paroles mêmes du Pape aux Evêques — sans se laisser abattre par aucune difficulté et sans céder devant aucun obstacle, dans la sainte et constante réalisation du ministère pastoral ».

En 1977, pour ses quatre-vingt ans, le Saint Père a voulu mettre cet aspect en relief avec un accent particulier. Dans les jours qui ont précédé et suivi le 26 septembre — date de son quatre-vingtième anniversaire — le Pape a parlé fréquemment de Saint Paul, du style paulinien qu’il faut donner à la tâche de l’évangélisation. Il a choisi lui-même l’image reproduite sur notre couverture pour l’offrir en guise de souvenir symbolique, avec une signature autographe : « Die... octogesimo nativitatis meae ».

Le volume que nous présentons « Enseignement de Paul VI, 1977 » est le X° de la série. Il trouve son appui dans l’Edition hebdomadaire en langue française de l’Osservatore Romano qui apporte aux Eglises, chaque semaine, régulièrement, depuis Rome, la parole du Pape. Et il apparaît fort utile de réunir, chaque année, dans un seul volume, les « catéchèses du mercredi » qui consti­tuent le dialogue hebdomadaire du Saint Père avec les fidèles et les pèlerins, son enseignement systématique au Peuple de Dieu, les messages, homélies et autres discours qui, par leur contenu doctri­nal, et, en raison des fêtes ou circonstances spéciales où ils ont été prononcés, méritent une attention particulière.

Pour l’année 1977, parmi ces discours, figure une série de grande importance comme source d’orientations doctrinales et pastorales précises pour le renouveau de l’Eglise à la lumière du Concile. Nous voulons parler des allocutions adressées par le Pape Paul VI aux groupes d’évêques de pays les plus divers pour la visite « ad limina Apostolorum Petri et Pauli ». Du sommet lumineux de ses quatre-vingt ans, Paul VI, avec son incomparable expérience ecclésiale, se trouve dans la meilleure disposition prophétique pour réaliser la mission spécifique que lui a confiée le Seigneur en insti­tuant l’Eglise : « Confirme tes frères ». (Lc 22, 32) C’est la tâche que le Saint Père accomplit dans ses dialogues avec les évêques et dans tous les autres documents par lesquels Il oriente la marche de l’Eglise vers le « troisième millénaire du christianisme », selon l’expression utilisée par le Pape lui-même, à la fin de l’Exhortation Apostolique « Evangelii Nuntiandi ».

Ce livre est donc composé de deux parties.

La première comprend les catéchèses hebdomadaires. C’est en référence précise à ces allocutions du mercredi que l’Assemblée Synodale de 1977 a pu qualifier le Pape Paul VI, le « grand caté­chiste de l’Eglise Universelle ».

Dans la deuxième partie, on trouve, dans l’ordre chronologique, les messages, homélies, allocutions aux évêques et autres discours : toute l’activité magistérielle du Pasteur de l’Eglise universelle.

Un index analytique des matières et une table générale termi­nent ce volume et en facilitent l’utilisation et la consultation.

 

Cité du Vatican, 1er janvier 1978

 

 

 

 

I- CATÉCHÈSE DU PAPE DANS LES AUDIENCES GÉNÉRALES DU MERCREDI

 

 

 

5 janvier

NOËL, ÉCOLE DE PAUVRETÉ - DIEU S’EST FAIT HOMME !

 

Chers Fils et Filles,

 

La pensée du Noël récemment célébré occupe encore nos esprits, constituant un double stimulant social. Le premier est relatif au fait de la naissance de Jésus à Bethléem et donc au cadre de la crèche qui ne cesse d’absorber notre esprit avec le charme de sa pastorale simplicité et de son angélique poésie ; le second est relatif à l’efficacité pédagogique de la révélation du Christ par la manière miséreuse dont il s’est présenté à l’humanité, incontestablement dans une intention de modèle, d’exemple.

En d’autres termes, si nous voulons comprendre la signification essentielle du grand événement qu’est la venue du Christ dans le monde, la venue du Fils même de Dieu qui, restant tel, assume en même temps une nature humaine, pour se faire dans le même temps Fils de l’homme, nous ne pouvons manquer de rester stu­péfaits devant cette pauvreté que le Christ a assumée en venant dans le monde.

Noël est une incomparable leçon de pauvreté. C’est ainsi que Dieu s’est fait homme. La perception de cet aspect du mystère de l’Incarnation nous pénètre non seulement par les circonstances dans lesquelles un tel mystère s’est historiquement et pratiquement célébré à Bethléem, mais aussi parce qu’il ne s’agit pas d’un simple épisode aussitôt fondu dans un cadre historique correspondant mieux à l’exceptionnelle dignité du Dieu-Homme entré dans la scène de l’humanité. C’est le style, la forme voulue et cohérente, choisis par le Christ pour vivre parmi nous, mieux, pour ac­complir sa mission de salut : l’Enfant-Jésus de la crèche allait mourir sur le Calvaire, dans la douleur et l’humiliation de la Croix. La pauvreté de l’Incarnation sera consumée dans la Ré­demption et tout le message évangélique, qui s’étend de la naissance à la mort du Christ est une annonce, une apologie de la pauvreté, choix proverbial que le Christ a fait pour se manifester au monde.

Pauvreté du Seigneur ! Le grand obstacle à son acceptation par une humanité qui s’attendait à bien autre chose de la venue spectaculaire et victorieuse du Messie ; et, en même temps, voilà le grand secret de l’attrait du Christ apparu dans l’humanité.

Lisons, un peu au hasard, des pages du Nouveau Testament, quel­ques textes qui imposent le thème de la pauvreté évangélique comme sujet essentiel du fait chrétien. Qui ne se souvient de la voix vi­brante de la première béatitude « bienheureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux leur appartient » (Mt 5, 3) ? Alors, ce Jésus de Bethléem et de Nazareth, il est le prophète des pauvres ? Il est celui qui a révélé leur dignité, leur priorité, leur bonheur ? Ce n’est pas démagogie ; c’est la réhabilitation dans l’excellence ter­restre et dans l’espérance ultra-terrestre des déshérités des biens de la terre.

Puis, vous souvenez-vous de cette page célèbre de Saint Paul sur la pauvreté totale et volontaire « Epître aux Philippiens » (2, 5-8). Il écrit : « Ayez entre vous les mêmes sentiments qui furent dans le Christ Jésus : Lui, de condition divine ne retint pas jalouse­ment le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave et devenant semblable aux hommes. S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéis­sant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix ! ». Et, Saint Paul encore, écrivant aux Corinthiens pour les inciter à assister leurs frères de Jérusalem : « Vous connaissez la libéralité de Notre Sei­gneur Jésus-Christ, comment de riche il s’est fait pauvre pour vous, afin de vous enrichir par sa pauvreté » (2 Co 8, 9).

Impossible de tout dire sur cet immense aspect du christianisme. Qu’il nous suffise de le soumettre à l’admiration de ceux qui, célébrant Noël, se sont rendus compte de l’exaltation de la pauvreté humaine qui découle de cette fête.

Mais il est tout aussi impossible de passer sous silence l’im­portance et l’intérêt des enseignements qui, surtout après le Con­cile, nous sont, non pas seulement proposés, mais même imposés, au sujet de la pauvreté, l’aspect que le Christ a assumé pour habiter parmi nous (cf. L’Eglise de Vatican II, II° volume, pp. 339-372 ; J. Dupont, L’Eglise et la pauvreté).

Nous pouvons tenter de faire un classement de la doctrine du Christ sur quelque chose que tout le monde sait.

Voici le premier point, celui qui se réfère au critère théologique de l’Evangile sur la pauvreté. Pourquoi la pauvreté ? Pour donner à Dieu, au royaume de Dieu, la première place dans l’ordre des va­leurs qui sont l’objet des aspirations humaines. Jésus a dit : « Cher­chez d’abord le royaume de Dieu et sa justice » (Mt 6, 33) ; et il l’a dit en comparaison avec tous les autres biens temporels, même nécessaires et légitimes, qui généralement attirent les désirs de l’homme. La pauvreté du Christ rend possible ce détachement concernant les choses terrestres pour hisser le rapport avec Dieu au faîte des aspirations humaines.

Second point : le critère ascétique : la pauvreté comme dégage­ment des liens des intérêts temporels pour dédier nos facultés à la soumission à l’Evangile, à l’accomplissement des devoirs de la vie chrétienne. Que Saint François nous enseigne !

Et troisième point, le critère bénéfique : « Donnez et il vous sera donné » (Lc 6, 38 ; 11, 41). Ceci est également bien connu : « la pauvreté, la privation de quelque fraction de notre avoir doit se transformer en pain pour nos frères. C’est la source sociale, qui jaillit de la pauvreté et qui sait valoriser le travail, l’épargne, la ri­chesse et le généreux renoncement au relatif afin de maintenir la charité, de soutenir l’amour entre les hommes, l’assistance frater­nelle. Cette leçon de pauvreté est aujourd’hui d’actualité ! Que cha­cun l’écoute donc d’un cœur capable d’aimer, en méditant une pa­role dont Saint Paul nous dit qu’elle nous vient des lèvres mêmes du Christ : « Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir » (Ac 20, 25).

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

12 janvier

BAPTÊME ET CATECHUMENAT

 

Chers Fils et Filles,

 

La présence à cette audience d’un groupe de membres des « Com­munautés néo-catéchuménales », remarquable par le nombre et la dignité des participants, nous donne l’occasion d’attirer l’attention de nos visiteurs et de tous ceux qui ont l’occasion d’entendre ces paroles familières, sur deux événements de l’Eglise catholique ; c’est-à-dire sur le Synode de l’Episcopat de 1974 qui eut pour thè­me « l’évangélisation » de notre temps et qui fournit la matière à notre Exhortation Apostolique Evangelii nuntiandi du 8 décembre 1975 ; et, second événement, le prochain Synode de l’Episcopat qui, s’il plaît à Dieu, sera célébré au cours du prochain automne, à partir du 30 septembre et aura pour thème « la catéchèse » qui se relie évidemment au thème du Synode précédent. Ceci démontre combien reste vigilante et agissante dans l’Eglise la conscience de sa mission fondamentale qui est de diffuser le message évangélique conformément à l’ultime commandement du Christ au terme de sa présence visible sur la Terre : « Allez et enseignez à toutes les na­tions » (Mt 28, 19) ; et cela démontre également comme elle s’engage tout entière, ministres et fidèles, dans l’annonce de l’Evangile, au­jourd’hui plus que jamais nécessaire tant à cause des difficultés que le monde moderne oppose à la diffusion de cette annonce qu’en vertu des possibilités que ce monde lui offre en même temps.

Nous nous trouvons donc dans une phase apostolique, mission­naire, didactique plus accentuée que jamais dans la vie de l’Eglise, nous devons tous y être engagés : l’édification du Corps mystique du Christ sur la terre, qui est notre Eglise présente, est le devoir de tout croyant (cf. Lumen Gentium, n. 33).

Dans cette perspective, il est évident qu’il faille souhaiter une recrudescence d’efforts pour réaliser cet immense et urgent pro­gramme : évangéliser, catéchiser ; et l’on assiste à la floraison d’œuvres et de moyens destinés à permettre la meilleure diffusion pos­sible du message évangélique. Nous observons comment ce phé­nomène multiforme dans la Sainte Eglise ne concerne pas seule­ment l’aspect scolaire, didactique, de son activité, mais plutôt celui, plus ample, pédagogique, vital, dans lequel l’enseignement des vé­rités religieuses est parallèle, ou mieux est uni à la profession de la vie, dont l’enseignement est norme et principe. Nous noterons en deuxième lieu comment ce devoir n’assume pas, chez celui qui l’ac­complit et de même chez celui qui en est favorisé, le caractère d’un poids lourd et difficile, même s’il en est réellement ainsi, mais plu­tôt celui d’un honneur, d’une chance, d’une vocation qui ennoblit et exalte : son accomplissement possède en soi-même une compen­sation aux fatigues qu’il comporte ; il rend heureux ses témoins, leur donne la sécurité, les fait participer d’avance aux biens de ce royaume de Dieu qu’ils annoncent.

Puis nous dirons que ceux qui, d’un cœur simple et généreux se mettent au service de l’évangélisation sont l’objet, grâce certes à un secret mais immanquable charisme de l’Esprit, d’une métamor­phose psychologique et morale caractéristique, celle qui transforme les difficultés en stimulants, les dangers en attraits, et même les défaites en titre de mérite et par conséquent de paix sereine.

Et maintenant nous pouvons comprendre également le témoi­gnage que nous offrent nos visiteurs d’aujourd’hui : il tourne autour du pivot de la vie chrétienne qu’est le baptême, le sacrement de la régénération chrétienne qui doit redevenir ce qu’il était dans les consciences et dans les coutumes des premières générations du christianisme La praxis et la norme de l’Eglise ont introduit la sainte habitude de conférer le baptême au nouveau-né, laissant le rite baptismal concentrer la préparation qui, jadis, quand la société était encore profondément païenne, précédait le baptême et était dite « catéchuménat ». Mais dans le cadre social d’aujourd’hui, il est nécessaire, après le baptême d’intégrer dans cette méthode, une instruction, une initiation au style de vie propre du chrétien, c’est-à-dire une assistance religieuse, un entraînement pratique à la fi­délité chrétienne, une insertion effective dans la communauté des croyants qu’est l’Eglise.

Et voilà que renaît le nom du « catéchuménat » qui certes ne tend pas à invalider ou diminuer l’importance de la discipline baptismale en vigueur, mais qui veut l’appliquer avec une méthode d’évangélisation graduelle et intensive qui rappelle et renouvelle d’une certaine façon le catéchuménat d’autres temps.

Celui qui a été baptisé a besoin de comprendre, de méditer, d’ap­précier, de seconder l’inestimable bonheur d’avoir reçu ce sacre­ment. Et nous sommes heureux de voir qu’aujourd’hui ce besoin est compris par les structures ecclésiastiques institutionnelles et fondamentales des Paroisses. S’annonce ainsi une catéchèse qui remplace celle que le Baptême n’a pas eue ; la « pastorale des adultes », comme on dit aujourd’hui, se dessine, prépare de nou­veaux programmes et de nouvelles méthodes ; puis de nouveaux mi­nistères subsidiaires soutiennent l’assistance plus exigeante du Prêtre et du Diacre dans l’enseignement et dans la participation à la liturgie ; de nouvelles formes de charité, de culture et de soli­darité sociale accroissent la vitalité de la communauté chrétienne et, face au monde, en assurent la défense, l’apologie, l’attirance.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

19 janvier

L’ESPÉRANCE EST L’AME DE LA CAUSE OECUMÉNIQUE

 

Vénérables Frères et très chers Fils,

 

Notre rencontre aujourd’hui tombe opportunément dans la se­maine vouée à la prière et à la méditation pour l’unité des chrétiens. Ces jours ci, c’est comme un chœur immense qui, de la part des fidèles d’à peu près toutes les confessions chrétiennes, s’élève vers l’unique Père de tous par le seul Seigneur Jésus dans le lien du même Esprit. C’est en effet dans la prière que l’unité trouve son inspiration la plus profonde et sa juste orientation, puis encore la force et la raison d’espérer. L’unité est une caractéristique de l’Eglise du Christ, elle fait partie de son mystère. Aussi, comme l’Eglise elle-même, l’unité est-elle également un don de Dieu et une marque de sa miséricorde. Elle implique en effet la purifica­tion du coeur, la conversion de l’esprit, le pardon des péchés, la sainteté de la vie : toutes choses que Dieu seul peut donner à ses fils s’ils recourent à Lui d’un coeur contrit et humble et avec l’in­tention sincère de reprendre la route sur Ses voies.

Aussi est-ce un motif de joie de voir que la prière pour l’unité prend une extension toujours plus grande parmi tous les chrétiens. En nombre sans cesse croissant, Catholiques, Orthodoxes et Pro­testants, tous baptisés au nom de la Sainte Trinité, s’unissent dans cette Semaine pour demander la réalisation de l’unité parmi eux. C’est déjà depuis une dizaine d’années en effet, qu’il a été convenu de prier sur un même thème, choisi d’un commun accord chaque année. Cela indique de toute évidence que l’on reprend conscience de l’importance que revêt l’unité pour la vie de l’Eglise et pour sa mission dans le monde. Ainsi, deviennent de plus en plus manifestes les liens profonds qui unissent encore entre eux tous les chrétiens. Et ceci exprime également la volonté commune d’obéir tous en­semble au Seigneur qui veut que son Eglise, une et unique soit pleinement et harmonieusement unie « dans la profession d’une seule foi, la célébration commune du culte divin, la concorde fraternelle de la famille de Dieu » (Conc. Oecum. Vatican II, Unitatis Redintegratio n. 2). Mais nos supplications à Dieu ne peuvent et ne doivent pas se limiter à une seule et rapide Semaine annuelle. C’est pendant toute l’année, d’ailleurs, que dans les différentes Eglises, on prie incessamment pour l’unité des chrétiens. Il importe de le faire chaque jour, car le problème de la division est tellement grave qu’il porte atteinte à l’œuvre même du Christ, « la division est pour le monde un objet de scandale et fait obstacle à la plus sainte des cau­ses : la prédication de l’Evangile à toute créature » (ibid. n. 1). Cette Semaine reste cependant le point fort et le moment le plus dense de signification. Elle engendre en effet une communion des esprits qui donne un avant-goût du jour où tous les chrétiens, pleinement unis, glorifieront, d’une seule voix et d’un seul coeur, le nom de Dieu, lui rendront un témoignage concordant et fidèle face au monde (cf. Ph 2, 15). A ce chœur d’invocations ne peut manquer de s’unir tout spécialement notre voix de Pasteur universel (cf. Jn 21, 15-17), chargé, même s’il n’en est pas digne, de « con­firmer les frères » (Lc 22, 32). C’est pourquoi notre voix se fait présage et invitation à tous les fidèles de l’Eglise Catholique à s’unir unanimement et du fond du coeur, à faire corps tous ensemble devant le Seigneur afin qu’il écoute la voix pressante de ses fidèles qui, en pleine concorde, lui demandent lumière et force pour faire Sa volonté et marcher ensemble « épaule contre épaule » (Sg 3, 9), sur Ses voies.

La thème proposé cette année à la réflexion et à la prière de tous et de chacun est extrait de Saint Paul : « l’espérance ne déçoit pas » (Rm 5, 5). Il est des plus importants pour éviter qu’on s’aban­donne à la déception, qu’on ne s’appuie sur des habitudes acquises et qu’on ne s’arrête à mi-chemin. L’espérance est l’âme de la cause oecuménique. Elle est l’étoile qui guide nos pas vers le lieu où le Seigneur se trouve à coup sûr. A ceux qui, dès la première heure se sont engagés dans la recherche de l’unité et qui consta­tent, peut-être avec une certaine tristesse, que l’unité recherchée n’est pas encore réalisée. Saint Paul rappelle que « l’espérance ne déçoit jamais » et qu’il faut persévérer. A ceux qui désormais s’in­téressent à cette oeuvre un peu par habitude, mais passivement, Saint Paul rappelle que « l’espérance ne déçoit jamais » et qu’il est nécessaire de continuer à se tendre vers le futur et à poursuivre sa démarche vers le but final (cf. Ph 3, 13). A ceux qui éprouvent la tentation de se satisfaire des résultats déjà acquis dans les relations entre chrétiens, et qui courent donc le risque de s’arrêter à un stade de coexistence pacifique sans aller nécessairement jusqu’à la pleine unité, Saint Paul rappelle que l’œuvre doit être réalisée à fond, jusqu’à ce que soit conquis finalement le but que le Sei­gneur lui-même a fixé et qui est celui « d’être consacrés dans la vérité » (Jn 17, 19) et « parfaits dans l’unité » (ibid. 17, 23). A celui qui, au dernier moment, hésite et se demande si cela vaut la peine de s’insérer lui aussi dans le mouvement, Saint Paul fait remarquer de nouveau, avec une ardente conviction que « l’espé­rance ne déçoit jamais » et que, unis au Seigneur, nous pouvons vaincre toutes les résistances et surmonter toutes les difficultés.

En fait, notre espérance se fonde en Dieu et sur son plan de salut Dieu est tout-puissant et fidèle: il réalise toujours sa promesse. Sa Parole est certitude d’œuvres merveilleuses. Comme le chante le Psalmiste : « le Seigneur est ma force, mon rocher, mon libéra­teur, ma forteresse, mon bouclier, ma corne de salut, ma citadelle » (Ps 17, 2-3 ; cf. 17, 2 ; 17, 27-31 ; etc.). C’est pourquoi nous n’avons pas la prétention de nous baser sur notre action et sur nos aspira­tions mais « nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire de Dieu » (Rm 5, 2) comme nous l’enseigne également l’Apôtre. Cette parole est une certitude : Dieu fera finalement resplendir sa gloire et à tous il communiquera sa sainteté. Il sera « tout en tous » (1 Co 15, 28) et marquera de son sceau le triomphe définitif rem­porté sur toute expression du « mystère d’iniquité » (2 Th 2, 7), notamment les déchirements réciproques, les violences, les vexa­tions, les divisions, les jalousies et toute forme de haine. C’est la suprême espérance du chrétien qui sait qu’elle ne le décevra pas, ayant en lui-même la présence agissante de l’Esprit Saint qui nous a été donné (cf. Rm 5, 5). En effet l’effusion de l’Esprit Saint dans nos cœurs opère chez le chrétien une transformation certaine, même si elle est lente et contrariée, tendant à la formation de l’homme nouveau « jusqu’à ce que nous parvenions tous ensemble à ne faire plus qu’un dans la foi et la connaissance du Christ, et à constituer cet Homme parfait, dans la force de l’âge qui réalise l’unité du Christ » (Ep 4, 13).

C’est précisément dans cette perspective que se place la recherche de l’unité des chrétiens : croissance de la foi, maturité dans le Christ, tension vers la pleine communion en Dieu. En tant que baptisés, tous les chrétiens individuellement « ayant reçu leur justi­fication de la foi, sont en paix avec Dieu par le Seigneur Jésus-Christ » (Rm 5, 1) ; mais ils sont également appelés à tirer les consé­quences ecclésiales des exigences du baptême commun, pour que le Christ devienne aussi « notre paix » réciproque et oecuménique (Ep 2, 14). Le Concile Vatican II l’a indiqué très clairement en ces termes vigoureux : « Le baptême est donc le lien sacramentel d’unité existant entre ceux qui ont été régénérés par lui. Cependant, le baptême, de soi, n’est que le commencement et le point de départ, car il tend intégralement à l’acquisition de la plénitude de la vie du Christ. Il est donc destiné à la totale profession de foi, à la totale intégration dans l’économie du salut, telle que le Christ l’a voulue et enfin, à la totale intégration dans la communion eucha­ristique » (Unitatis redintegratio, 22). Il y a donc encore un chemin de foi à parcourir pour finir par se retrouver à l’unité eucharistique, que nous ne pouvons pas réaliser aujourd’hui parce qu’il manque encore cette pleine unité dans la foi. Mais une fois de plus, notre stimulant est l’espérance Les difficultés objectives elles-mêmes ne doivent pas nous empêcher d’aller de l’avant. Au contraire, nous devons tirer un avantage spirituel de ces obstacles eux-mêmes car, comme Saint Paul l’explique encore, « la tribulation produit la constance, la constance une vertu éprouvée, la vertu éprouvée l’espérance » (Rm 5, 4).

Notre espérance est également fondée et soutenue par les résul­tats positifs que la recherche de l’unité entre les chrétiens a déjà réalisés. En effet un climat nouveau a été instauré et l’esprit d’au­thentique fraternité se fait toujours plus solide et fécond. Nous en faisons nous-même l’expérience dans nos rencontres personnelles toujours plus fréquentes avec un grand nombre de vénérés Frères qui nous honorent de leur visite ici à Rome, tout comme nous en avons eu des preuves au cours de nos pèlerinages à Jérusalem, à Istanbul et à Genève. Nous, nous remercions le Seigneur qui a permis que nous nous fassions l’instrument de ces rencontres entre chrétiens de diverses dénominations, pouvant ainsi contribuer à cette mystérieuse opération de l’Esprit Saint qui donne sa vitalité à l’Eglise de notre temps. Du reste nous ne considérons pas le Siège de Pierre autrement que comme une forme particulière de service pour l’unité de l’Eglise. Notons aussi que la recherche de l’unité conduit à une rencontre croissante sur le plan doctrinal et que des convergences positives prennent corps de plus en plus, même sur des questions qui ont jadis fortement opposé les chré­tiens, telles par exemple la question fondamentale de l’Eucharistie et celle du Ministère et de l’autorité dans l’Eglise. Les dialogues entre l’Eglise catholique et les autres Eglises et Communautés ecclésiales, soutenus par la prière, poursuivent leur délicate mis­sion, ce qui nous l’espérons, aboutira à la pleine clarification de toutes les questions de foi controversées et un accord complet dans la vérité tout entière. Pour ceci également, il nous faut prier inten­sément.

Nous voulons conclure en affirmant une fois de plus que la recherche de l’unité n’est pas la tâche réservée seulement à des groupes spéciaux, tels que notre Secrétariat pour l’unité des chré­tiens : tous ceux qui ont reçu le baptême partagent cette respon­sabilité, et, en particulier tous les catholiques. « Le souci de réa­liser l’union concerne l’Eglise tout entière, fidèles autant que pas­teurs, et touche chacun selon ses possibilités, aussi bien dans la vie quotidienne que dans les recherches théologiques et historiques » (Unitatis redintegratio, n. 5). En effet, la concorde dans la recherche ne peut manquer de conduire également à une concorde dans le résultat final. Et c’est cela que nous souhaitons tous, au nom du Seigneur.

Nous entendons confirmer ces vœux avec notre plus cordiale Bénédiction Apostolique pour qu’elle ravive les intentions oecu­méniques de tous et les rende toujours plus féconds avec la grâce de Dieu.

 

 

 

26 janvier

FORTS DANS LA FOI POUR VIVRE CES TEMPS DIFFICILES

 

Chers Fils et Filles,

 

La brève, mais émouvante rencontre avec une assemblée si nombreuse, si variée, si représentative que nous offre cette Audience hebdomadaire suscite dans notre âme une effusion de sentiments que nous ne parvenons jamais à exprimer de manière adéquate. Vous êtes, en effet, si nombreux, si divers, si forts que notre parole risque d’en être plus étouffée que favorisée. Pourtant nous aimerions que notre voix soit forte, digne de rester dans votre mémoire. Vous venez chez le Pape et vous attendez de lui une parole, avec sa bénédiction, un peu comme pour pouvoir, un in­stant, lire une pensée dans son esprit, et, par la suite, vous la rap­peler : « c’est ainsi que nous l’a dit le Pape ». De ce dialogue mo­mentané, un écho se prolonge en vous qui va provoquer quelque réflexion personnelle que nous souhaitons consolante et bénéfique. L’audience est en effet une sorte de dialogue, d’interview qui offre à celui qui y assiste l’occasion d’apprendre quelque chose sur la pensée du Pape, sur l’Eglise. C’est pourquoi, dans une telle ren­contre, nous sommes toujours heureux, « trépidant » même, et nous nous sentons forcé de choisir, parmi les multiples choses que nous voudrions vous confier, celle qui, à ce moment-là, nous sem­ble la plus importante.

Eh bien, oui ; cette fois encore nous voulons limiter l’ouverture de notre coeur à l’impression qui, aujourd’hui, y domine et nous est suggérée par les circonstances de notre époque. Elle coïncide avec une exhortation que répète plusieurs fois l’Evangile de Jésus, notre Maître et notre Sauveur : « Que votre coeur cesse de se troubler » (Jn 14, 1). Une parole qui vient souvent sur les lèvres du Christ (cf. Jn 4, 27 ; Lc 12, 32 ; 23, 36 ; etc.). Rassurantes et merveilleuses paroles que nous ferions bien de conserver dans

notre âme pour y recourir avec confiance. Ce sont des paroles qu£ nous avertissent en même temps de la situation peu tranquille, peu heureuse dans laquelle nous nous trouvons. Si le Seigneur nous recommande de ne pas craindre, c’est là signe que nous sommes en danger. Et, tout en accordant une grande attention à Sa récon­fortante exhortation, nous ne faisons pas tort à sa parole en constatant que nous nous trouvons dans une condition qui n’est ni propice, ni facile. Il en est ainsi, et, humainement parlant, nous ne nous trouvons pas dans une période de normalité, de tranquillité, de facilité : nous parlons de nous, les chrétiens.

Nous devons ouvrir les yeux. Nous vivons des temps difficiles. Jésus répand en nous le courage. Il veut que nous fassions crédit à son assistance et à son art divin de faire tourner toutes choses; à notre avantage spirituel et supérieur, même celles dont nous nous rendons compte qu’elles nous sont contraires et douloureuses. N’avons-nous pas appris de la voix de l’Apôtre que « avec ceux qui l’aiment, Dieu collabore en tout pour leur bien » (Rm 8, 28) ? Ce Jésus-là donc, Jésus le Maître est aussi celui qui nous prévient de nombreuses et nombreuses fois qu’il faut veiller (cf. Mt 24, 42 ; 26, 38 ; Mc 13, 37 ; Le 21, 26 ; etc.) qui veut que nous soyons atten­tifs aux signes des temps (cf. Mt 16, 4), qui nous annonce que la peine est pour ainsi dire naturelle dans la profession chrétienne (cf. Jn 16, 20, 22) et, c’est encore l’Apôtre qui le dit, qu’il nous exhorte à nous abriter sous l’armure de Dieu pour être capables de résister au mal (cf. Ep 6, 11-13) ... La vie chrétienne est une mi­lice (cf. Jb 7, 1). La condition de celui qui a pris le Christ pour modèle, pour guide et pour Rédempteur ne peut être ni peureuse, ni commode, ni certaine (cf. Jn 19, 37).

Eh bien, s’il en est ainsi, la force est aujourd’hui notre vocation. Les temps sont difficiles. Nous devons être préparés à les vivre dans un généreux esprit de témoignage de foi, d’énergie morale, au-delà de tout calcul d’égoïsme, de peur, de lâcheté, d’opportunisme. Nous devons les vivre avec notre personnalité d’hommes vrais, devenus « super-hommes » par notre baptême, en citoyens tem­porels loyaux et sincères, qui ont conscience d’être simultanément citoyens de ce royaume de Dieu que nous appelons l’Eglise, la nôtre, une « société de l’esprit » (cf. Ph 2, 1) : une sainte, catho­lique et apostolique. Nous devons les vivre en chrétiens animés par les principes fondamentaux de l’histoire et du progrès, basés sur la conception religieuse de sacrifice et d’amour, que nous savons être remplie de vraie et inépuisable fécondité d’esprit et non pas sur les conceptions philosophiques et sociales qui s’y opposent.

Courage donc, chers Fils et Frères, venus à ce paternel colloque ; courage !

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

2 février

S’OFFRIR AU CHRIST C’EST LE RECEVOIR

 

L’audience du mercredi 2 février a revêtu cette fois-ci le caractère particulier que lui donnait sa conjonction avec la fête liturgique de la Présen­tation de Jésus au Temple. C’est l’occasion pour le Pape de bénir les cierges que lui présentent le cardinal Archiprêtre de St-Pierre, Paulo Marella, les délégués du Chapitre, le Cardinal Préfet des Religieux et Instituts Séculiers Edouard Pironio, les représentants des Congré­gations Religieuses et Instituts séculiers, les dé­légués des universités, collèges et séminaires. La cérémonie a donc commencé par une liturgie de la parole, rappelant l’événement que l’Eglise célèbre et sa signification. Le Pape devait d’ailleurs s’y référer dans son allocution.

Un très nombreux public assistait à cette célébration et à cette audience qui ont eu lieu en la Basilique Saint-Pierre. Voici la traduction du discours prononcé par le Souverain Pontife en italien :

 

Chers Fils et Filles,

 

A la fête que nous célébrons aujourd’hui et qui termine la pé­riode de Noël, on attribue différents noms et différentes si­gnifications : Purification de Marie, en relation avec le rite de la Loi ancienne (cf. Ex 13, 2, 12, 15 ; Nb 8, 17 ; Lv 2, 6, 8) ; Présentation de Jésus avec le vieux Siméon et la prophétesse Anne, plus qu’octogénaire, c’est-à-dire la rencontre de l’Ancien Testament avec le Nouveau qui a débuté avec la naissance de Jésus (Lc 2, ibid) ; Chandeleur, un nom qui lui vient de la pro­cession qui, à la fin du IV° siècle se faisait à Jérusalem et nous est rappelée dans le célèbre écrit d’Etérie la pèlerine sur les liturgies locales (cf. Duchesne, Origines du culte chrétien, p. 519) ; et, à la même époque, à Rome, mais avec une autre signification, pénitentielle et purificatrice (cf. P.L. 96, 277 ; Polycarps Rado, Enchir. Litur., II, 1139) ; à Milan, avec la letania qui, de l’église S. Maria Beltrade, accompagnait la procession entourant un portatorium avec l’image de la Vierge portant l’Enfant-Jésus dans les bras (cf. M. Righetti, Manuale di St. Lit. II, 87). C’est donc une magnifique collection de rites variés et dévots, qui dans la liturgie actuelle, que nous pouvons considérer comme authentique et centrale par rapport aux autres, trouve finalement son point focal, fixe, dans l’oblation biblique de Jésus à Dieu, Père et maître de la vie hu­maine, dans l’expression messianique qui se situe au centre de l’histoire de l’humanité et du difficile destin du salut comme « signe en butte à la contradiction » (Lc 2, 34).

Bossuet nous l’explique : « Nous savons que le premier acte de Jésus entrant dans le monde fut de se donner à Dieu et de se mettre à la place de toutes les victimes, de n’importe quel genre, pour ac­complir Sa volonté quelle qu’elle soit » (Elévations sur les Mystères, Oeuvres, II, 336). Dans cet épisode évangélique se trouve la pro­fession fondamentale : la philosophie de la vie commence ainsi : l’homme ne s’appartient pas ; il est une créature ; il naît libre mais dans le cadre d’un dessein divin qui engage son destin et son de­voir radical (cf. Ep 1, 3 et ss.). Parole bien connue de celui qui a découvert la clé de la vocation humaine qui est celle du Christ même : « Voici, je viens (...) pour faire, ô Dieu, ta volonté » (Hb 10, 7, 9 ; cf. Ps 39, 8 ; Is 53, 7). D’où vient que la relation tout entière entre l’homme et Dieu se noue en une série ascendante de mouvements qui se font prière, dialogue, amour, oblation ; qui se font sacrifice également, mais destinés à déboucher dans l’océan de la vie et de la béatitude.

Cet engagement initial, cette offrande de nous-mêmes que nous faisons à la volonté de Dieu, mérite que nous méditions à fond cette fête toute particulière de notre foi en Dieu et dans le Christ, notre Maître et notre Sauveur. Nous sommes le Peuple de Dieu ; et comme transportés par une coutume historique dont nous ne pourrons jamais assez reconnaître et bénir la fortune gratuite, nous sommes parvenus à la rencontre avec le monde religieux, avec le royaume de la foi et de la lumière. Avons-nous compris notre destin merveilleux ? Avons-nous répondu à la dignité de cette élévation communautaire qui incorpore notre microscopique existence à celle universelle du Christ total qui s’appelle Son Corps mystique, l’Eglise ? Nous sommes-nous rendus compte du fait que dans cette communion démesurée, qui nous fait tout-un dans le Christ, notre minuscule vie, loin de perdre sa personnalité, l’acquiert et la ma­gnifie ? Notre ego prend-il des proportions incalculables et se pré­vaut de cette transfigurante « société de l’esprit » (Ph 2, 1) pour parvenir à cette plénitude que nous cherchons vainement dans la possession du royaume de la terre, de la nature, de la pensée elle-même, et, que peut-être inconsciemment, nous désirons profondé­ment: la possession infinie du Dieu vivant.

S’offrir au Christ c’est le recevoir. Evoquer le Christ, c’est con­quérir le Dieu Infini.

Quel bonheur pour nous, si cette offrande découlant de notre baptême, s’est maintenue avec fidélité, si elle s’est approfondie avec la conscience de ses proportions démesurées ; et si, au lieu de rayonner dans l’effort de se faire minime et avare, elle s’est rendue plus généreuse et plus active. Si elle est devenue totale et chrétienne.

Il nous souvient en ce moment, au point presque de nous trans­porter de joie, qu’il y a, précisément aujourd’hui, trente ans l’Eglise catholique célébrait un événement qui a communiqué à nombre de ses fils le charisme de cette fête de la Présentation de Jésus au Temple, c’est-à-dire de l’offrande du Christ à la vo­lonté du Père.

Nous désirons en effet, rappeler un anniversaire qui tombe aujour­d’hui : il y a trente ans, le 2 février 1947, l’Eglise reconnaissait une forme nouvelle de vie consacrée, lorsque notre Prédécesseur Pie XII promulgua la Constitution Apostolique Provida Mater.

Une forme nouvelle, différant de celle de la vie religieuse non seulement par une autre manière de réaliser la « sequela Christi » mais aussi par une façon diverse d’assumer le rapport Eglise-monde, certainement essentiel pour toute vocation chrétienne (cf. Gaudium et Spes, 1).

Trente années, ce n’est pas beaucoup, mais la présence des In­stituts séculiers est déjà très importante dans l’Eglise, et nous vous convions à vous unir à nous dans nos remerciements au Père des cieux pour ce don qu’il nous a fait.

Et nous voulons envoyer à tous et à chacun, homme ou femme, nos salutations, empreintes de bénédictions, que nous étendons à tous ceux qui nous apportent aujourd’hui leur cierge bénit, symbole de leur vie et de celle de leurs frères et sœurs associés dans une semblable oblation au Seigneur. De tout coeur nous les éten­dons à tout le Peuple de Dieu, fidèle à sa propre oblation au nom et à la profession chrétienne.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

9 février

JE CROIS EN DIEU, CRÉATEUR DU MONDE

 

Chers Fils et Filles,

 

Nous pensons qu’il est opportun aujourd’hui, même pour nous, gens d’Eglise, de revoir et, si nécessaire, de reconstruire le château de notre foi. Il nous faut passer, de la phase, qui semble devenue habituelle, d’une pénombre d’opinions religieuses incer­taines et discutables, considérées comme pratiquement superflues pour la vie moderne, à l’état de certitude et de clarté au sujet de notre manière de penser et de professer notre religion.

Alors que toute affirmation religieuse exige une adhésion per­sonnelle qu’on doit à la vérité, beaucoup de personnes, intelligentes et instruites, préfèrent, en fait de religion, s’en abstenir. Elles se limitent à une expression conventionnelle de religiosité plutôt que de religion propre et vraie. Bien souvent, par égard au milieu ou aux circonstances, il s’agit là d’une attitude plutôt passive que d’une conviction personnelle, ferme et logique, agissant dans la vie mo­rale et dans la conduite pratique. Ces personnes se contentent d’un conformisme nominal, manifesté par égard pour autrui plutôt qu’en vertu d’une conception précise et organique de la religion, consi­dérée comme un système réel, indiscutable et rigoureux. Cette mentalité est souvent considérée, non pas comme la suite logique d’un état d’ignorance ou d’esprit superficiel en matière de religion, mais comme maturité d’esprit et d’expérience : une sorte de scepti­cisme aristocratique ou encore un moyen commode et pratique d’éluder les questions épineuses que la religion, si on la tient pour vraie et contraignante, pose aux principaux problèmes de la vie.

Un exemple. Si nous demandons à un élève de nos cours de catéchisme ce qu’est le monde, il nous retournera la question : mais de quel monde entendons-nous parler ? celui dans lequel nous vivons ? ou celui dont parle souvent l’Evangile ? est-ce le monde que nous qualifions de cosmos, de ciel, de terre ? ou bien le monde comme univers ? ou comme humanité ? ou encore comme cette humanité qui s’oppose à la foi, au royaume de Dieu, au Christ ? Nous avons déjà fait allusion aux multiples significations que peut offrir cette parole des plus communes (cf. Insegnamenti V, 727). En ce moment nous fixerons notre attention sur le monde entendu comme réalité extérieure et matérielle dans laquelle nous vivons. Et nous constaterons tout aussitôt que la question devient fonda­mentale. Elle engage la pensée d’une manière que nous pouvons dire décisive; elle se fait pensée cosmologique, c’est-à-dire intéressant le panorama universel des choses et des événements, de notre propre ego et des valeurs qui le cernent. Elle réclame une réponse. Si elle était niée, c’est l’intelligibilité des choses qui serait com­promise. Si elle était admise de manière quelconque, irrationnelle, elle semblerait justifier le non-sens du monde ou admettre un monde dénué de signification. C’est-à-dire que ce serait alors un royaume de ténèbres, une nuit universelle, — ce qui n’est pas, évidemment — ou bien un monde s’expliquant lui-même, comme un panthéisme absurde, bouleversant toute rationalité. Au contraire, le monde est entièrement et extrêmement rationnel ; il est le domaine de la science ; qui, elle, constitue un complexe harcelant et urgent de questions ; pourquoi en est-il ainsi ?

Le terme « monde » exige que nous lui donnions une explication transcendante. Il nous entraîne avant tout à l’affirmation d’un dualisme : moi et le monde ; mieux, il nous pousse à une synthèse, à un principe auquel doivent se rallier tant ma pensée que la réalité des choses. Ces choses que la pensée découvre, mais n’invente pas, ne crée pas. Et alors ? Oh ! les voies infinies qui rayonnent comme des éclairs qui éclatent dans le vide ! et l’intelligence qui a cherché fidèlement à suivre quelques-unes de ces voies s’exalte devant une très simple et formidable découverte : Dieu existe, si moi j’exis­te ! Ce sont donc les graves et solennelles paroles de notre pre­mière profession de foi qui remontent à nos lèvres : « Je crois en Dieu, Créateur du monde » (cf. Denz-Schoen., 3001, 3003, etc.).

Nous nous rendons parfaitement compte que nous simplifions trop. Mais nous n’altérons pas la vérité. Nous faisons allusion à ces problèmes surtout pour nous donner le désir de les reprendre en sérieuse et virile considération. Quant à l’athéisme, loin de nous épouvanter ou de paralyser notre pensée par une pseudo-sécurité, il la stimule. Même comme hommes de pensée rationnelle pure, nous devons être des chercheurs ; et face à un siècle qui est en train de perdre le sens vrai et lumineux de toute chose, nous de­vons rallumer avec confiance la lampe pour notre démarche vers la Lumière du monde (Cf. « in lumine tuo videbimus lumen », Ps 35, 10 ; la « causa causarum », le Principe de tout, l’Etre qui est par lui-même : « Ego Sum, Qui Sum », Ex 3, 14 ; au sujet de ce thème immense, complexe et magnifique voir H. de Lubac : Sur les chemins de Dieu, Aubier 1956 ; et encore : Saint Thomas, Con­tra Gentes, 1, I et II).

Et nous voulons souhaiter aux hommes de notre temps, spécia­lement aux jeunes, de retrouver les deux chemins qui sont proba­blement les plus proches de leurs pas, celui, classique, de la cau­salité des choses, qui semble aujourd’hui encore le plus engageant et le plus accessible ; et celui de l’admiration esthétique et extatique de l’univers qui, dès qu’on l’emprunte, nous enchante et nous exalte, et dissout, dans la prière, la fatigue et les obscurités de notre pensée.

Dieu le veuille ! avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

16 février

OUI ! DIEU AIME... DIEU NOUS AIME !

 

Chers Fils et Filles,

 

Aujourd’hui, notre discours portera encore sur le monde. Oui ! car « monde » est un mot si courant qu’il revêt facilement dif­férentes significations ; la plupart de celles-ci tentent d’exprimer un concept qui conduit notre esprit à une vision synthétique, récapi­tulative où transparaît un jugement philosophique conditionné par les principes qui orientent notre pensée et, par conséquent, notre activité. Nous avons déjà, récemment, dit quelque chose à propos d’une première signification qui nous donne une vue panoramique de l’univers : « monde » veut dire « cosmos ». Et si tel est le sens de ce mot très commun « monde » nous avons vu comment il nous fait remonter à l’origine de tout ce qui existe ; le problème de l’être assaille notre pensée : que signifie « monde » si nous nous référons à l’être de tout ce que nous sommes, de tout ce qui nous entoure, de tout ce qui a été, est et sera. Et nous avons remarqué combien ce mot grave et peu clair se complique et comment il nous conduit à un dédoublement fondamental de sa signification intime que nous pouvons traduire par le verbe être ou par le verbe exister. En même temps, il nous mène à la raison de l’être comme à la raison de l’exister : comment existe le monde ? en vertu de quel principe le monde est-il ce qu’il est ? En effet, dès qu’on observe le monde en pensant au secret de son existence, nous nous rendons compte que rien de ce que nous voyons n’explique sa raison d’être et qu’il en demande une qui lui soit extérieure, qui lui soit supé­rieure. C’est le fameux problème de Dieu dont la nécessité ressort de cette opacité même. La contemplation du monde nous force à remonter à sa source, supérieure et extérieure, bien que présente et agissante, à savoir le mystère de Dieu : « les deux racontent la gloire de Dieu et le firmament annonce l’œuvre de ses mains » (Ps 18, 2). Et, il est vrai, le mot « monde », nul ne l’ignore, offre un autre sens, tant dans le langage courant que dans celui qui nous intéresse : c’est-à-dire le langage biblique, celui du Nouveau Tes­tament en particulier : le « monde » signifie l’humanité », « le genre humain » ; et ceci, dans sa signification première que nous dirons optimiste, car dans les Evangiles (spécialement dans celui de Saint Jean), une autre signification, négative, nous présente le monde sous le signe du mal (cf. 1 Jn 5, 9 « le monde entier gît sous le pouvoir du Malin »).

Mais occupons-nous maintenant de la première signification, la positive, l’optimiste, cette conception du monde qui n’est rien de moins que l’objet de l’amour de Dieu. Gardons en mémoire et dans le coeur cette évidente, cette merveilleuse révélation : « Oui, Dieu a tant aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle » (Jn 3, 16 ; cf. Rm 5, 8 ; 8, 32 ; 1 Jn 4, 9). Il y a ici toute la théologie du salut ; ici, encore, la trouée la plus profonde permise à notre introspection dans le coeur même de Dieu : son amour pour le monde, pour l’homme, pour ses conditions de dignité et de mi­sère, pour l’universalité de sa vie sur terre et dans le temps. Dieu aime ! Dieu nous aime ! Dieu a disposé une ineffable, une incom­mensurable économie, par l’Incarnation et la Rédemption, par le Christ Sauveur, né, mort, ressuscité pour tous les hommes. Les cloches de toute la terre ne suffiront jamais pour rappeler à tous ses habitants cette bonne fortune, ce bonheur ! C’est cela le chris­tianisme : il se déroule tout entier dans l’orbite de l’effusion in­finie et bienheureuse, de l’amour que Dieu a pour nous (Ep 2, 4 ; 5, 2). C’est de là que naît l’anthropologie chrétienne, c’est-à-dire notre science de l’humanité : la dignité, le caractère sacré de la vie humaine trouvent dans cet amour de Dieu leur racine la plus profonde. Cet amour de Dieu fait tomber toute division, toute haine parmi les hommes, s’ils sont tous frères. Pourquoi l’homme contre l’homme s’il sont tous fils d’un même Père céleste, objet du même sacrifice amoureux du Christ, tous destinés au même souffle aima­ble de l’Esprit Saint ? Pourquoi les Apôtres, pourquoi les mission­naires, pourquoi la vie pastorale de l’Eglise si ce n’est en vertu de cet amour de Dieu pour le monde ? pourquoi le pardon, pourquoi la paix parmi les hommes, si ce n’est en raison de cet amour que Dieu nous a enseigné, Lui-même, en nous aimant le premier ? (1 Jn 4, 10).

Si, par douloureuse hypothèse, cet amour s’éteignait, pourrait-elle survivre, la « philanthropie humaine » ?, oui, comme vocation ré­pandue dans le coeur de l’homme, comme noble tentative de pro­grès civil (en grande partie d’origine chrétienne) ; mais ne faut-il pas craindre surtout le triomphe de l’égoïsme, de la haine, du féroce « homo homini lupus », ainsi que le progrès même des ar­mements nous le fait toujours craindre pour notre monde moderne ?

Apprenons encore aujourd’hui, nous chrétiens, à aimer le monde comme l’Evangile — et aucune autre idéologie — peut nous l’en­seigner. Avec un enthousiasme foncier pour l’homme qui naît (cf. Jn 16, 21), avec un saint respect pour ce miroir du Christ qu’est l’homme souffrant, avec un esprit de service et de sacrifice qui confère à l’amour du prochain une valeur religieuse, transcendante pour l’éternité : « Mihi fecistis » (Mt 25, 40). Comme le monde serait beau s’il était vraiment chrétien !

Et dans le commun désir de cette beauté recevez notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

23 février

AYEZ CONFIANCE ! J’AI VAINCU LE MONDE

 

Chers Fils et Filles,

 

Le monde ; c’est de nouveau le monde qui sera le thème de la réflexion que nous proposons aujourd’hui à nos visiteurs. Au cours d’audiences précédentes nous en avons déjà parlé, donnant, comme d’habitude, de brefs aperçus de la question; nous allons encore en parler parce qu’il nous reste à rappeler que le terme « monde » assume dans le langage des Ecritures des significations très diverses; par exemple celle de cosmos, de création, d’œuvre de Dieu, un merveilleux concept qui ouvre le champ à l’admiration, à l’étude, à la conquête de l’homme ; ou, encore, celle d’« huma­nité » : le monde peut signifier le genre humain que Dieu a tant aimé qu’il a pourvu à son salut (cf. Jn 3, 16) et à son élévation au niveau d’une ineffable association de l’homme à la vie même de Dieu (cf. 2 P 1, 4) ; et, enfin : le terme « monde » prend sou­vent, dans le Nouveau Testament et dans les écrits ascétiques chré­tiens, une signification sinistre, et négative au point de se référer à l’empire du Diable sur la terre et sur les hommes eux-mêmes, dominés, tentés et ruinés par l’Esprit du mal, appelé « Prince de ce monde » (cf. Jn 14, 30 ; 16, 11 ; Ep 6, 12). Ce « monde », dans son sens péjoratif, signifie encore l’humanité, ou plutôt, cette partie de l’humanité qui refuse la lumière du Christ et vit dans le péché (Rm 5, 12-13), et qui conçoit la vie présente selon des critères con­traires à la loi de Dieu, à la foi, à l’Evangile (1 Jn 2, 15-17).

Aussi, la signification ambiguë de ce terme « monde » constitue-t-elle un des problèmes les plus graves et les plus dramatiques de la vie chrétienne, du fait que nous sommes plongés dans le monde, un champ où s’entremêlent le bien et le mal, « le bon grain et l’ivraie » (Mt 15, 25), même si, sans que nous en soyons respon­sables, le monde peut être bon et fécond et tout en même temps, détérioré et nuisible ; même si nous ne pouvons pas toujours évi­ter matériellement la coexistence à laquelle nous obligent les condirions mêmes de la vie (cf. Jn 17, 15 ; 1 Co 5, 10). On vit dans un milieu équivoque et contaminé contre lequel il faut savoir s’im­muniser sans cesse grâce à une prophylaxie morale ; celle-ci va de la fuite du monde — comme le font ceux qui choisissent un genre d’existence voué à une plus rigoureuse, à une plus amoureuse sou­mission au Christ — à la discipline ascétique propre à toute vie chrétienne qui « comme il convient à des saints » (cf. Ep 5, 3 ; Rm 6, 22) adopte comme programme le style moral et spirituel caractérisant celui qui a reçu le baptême, mais cherche également à répandre le sentiment et le comportement chrétiens dans le monde même qui y est hostile et réfractaire (cf. Ac 2 ; etc.).

La vie chrétienne est un drame dans lequel le bien et le mal s’entrecroisent et s’opposent sans cesse, conférant précisément au monde un caractère de lutte permanente : « milice », comme les Saintes Ecritures (Jb 7, 1 ; Ep 6, 11-13), appellent la condition de l’homme sur la terre. C’est l’aspect fondamental de notre exis­tence présente, passagère (1 Co 7, 31) mais décisive pour notre sort dans la vie future (2 Co 5, 10) ; le Seigneur a voulu l’insérer dans la formule, officielle, peut-on dire, de notre prière à Dieu le Père, en nous faisant invoquer toujours son aide afin de pouvoir nous défendre contre une menace qui assaille notre démarche dans le temps : la tentation. Ce terme simple, mais effrayant, mé­riterait une longue explication et des directives éthiques et péda­gogiques correspondantes : le temps de Carême qui commence aujourd’hui nous offre l’occasion de méditer ce thème qui, s’il n’est plus au goût du jour, a conservé cependant un intérêt spirituel qui, loin de diminuer, n’a fait que croître. Pensons-y : nous sommes des êtres libres, mais fortement conditionnés par le milieu — disons même par le monde— dans lequel nous vivons ; cela signifie que nous sommes à tout moment contraints, pour agir, de faire un choix, de résoudre une « tentation » ; il faut que notre sens moral soit toujours en état d’alerte ; il faut « veiller » : un terme évangélique (cf. Mt 24, 42 ; Mc 14, 38 ; 13, 37 ; 1 Co 16, 13 ; 1 P 4, 7 ; 5, 8 ; etc.) menacé d’expulsion par le code de la permissivité mo­derne ; on dirait que l’hygiène morale, c’est-à-dire la défense pré­ventive de notre trop évidente faiblesse éthique devrait cesser d’être, et qu’une fausse norme pratique — celle de s’exposer à la tenta­tion sous prétexte de renforcer ainsi notre propre personnalité grâce à l’expérience du mal — pourrait l’emporter sur les « tabous » par lesquels la sensibilité de la conscience et la droiture de la vie ont entravé la libre et facile désinvolture de l’homme con­temporain, soi-disant « adulte ». Il ne faut pas s’étonner alors si, au fur et à mesure qu’elle progresse dans cette pseudo-maturité morale, notre société, tombée de son niveau d’authentique humanité, sombre dans cette indifférence ; dans cette insensibilité à distinguer entre le bien et le mal, et si l’Ecriture nous avertit âprement que « le monde entier (dans le sens péjoratif que nous sommes en train d’observer) gît sous le pouvoir du Malin » (1 Jn 5, 19). Nous devons veiller, très chers Frères et Fils, afin que le monde, celui qui n’est pas de Dieu, ne nous séduise pas, ne répande pas en nous une conception illusoire de la vie ; pour qu’il ne nous fasse pas perdre le sens de ses vraies valeurs. Attachons-nous au Christ pour participer à la victoire qu’il nous annonce et nous promet : « ayez confiance ! J’ai vaincu le monde » (Jn 16, 33). Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

16 mars

CONVERTISSEZ-VOUS! FAITES PÉNITENCE !

 

Chers Fils et Filles,

 

Le déroulement du carême et le développement liturgique de sa très sage pédagogie nous incitent, nous contraignent presque, à méditer le thème central de cette période extraordinaire, véritable temps fort de l’esprit : la conversion. Nous sommes invités à nous convertir, à faire pénitence. Depuis les temps les plus reculés, l’Eglise a développé pleinement ce leitmotiv dans toute une gamme de thèmes théologiques, spirituels et moraux qui s’expriment dans les rites liturgiques comme dans la prédication des Pères, précisé­ment dans l’intention de préparer les cœurs à la conversion ! on n’ignore pas en effet que le temps de carême préludait alors à l’ad­ministration du Baptême et à la réconciliation des pécheurs dans la Pénitence.

En agissant ainsi, l’Eglise n’a fait que continuer le grand mes­sage de la Révélation. Par elle, Dieu a convié les hommes à entrer en communion avec Lui et à briser les chaînes qui entravent sa démarche. En effet, c’est réellement d’une démarche qu’il s’agit : la conversion est une démarche, disons, à rebours, comme l’indique le verbe hébreu Sûb : changer de route, renverser la direction, revenir en arrière. C’est une idée profonde et extraordinaire dont sont im­prégnées de nombreuses pages de l’Ancien Testament, et particu­lièrement celles des Prophètes (voir, parmi les plus importantes : Is 1, 11-17 ; Jr 3, 21-25 ; 4, 1-4 ; 31, 18 ; 36, 3 ; Ez 11, 19 et ss. ; 18, 31 et ss. ; 36, 26-31 ; Am 5, 14 et ss. ; Os 14, 2-9), qui élèvent la voix pour inviter le peuple rebelle à retourner à Dieu, comme le fait Isaïe avec force : « Lavez-vous, purifiez-vous. Enlevez de devant mes yeux la malice de vos agissements. Abstenez-vous de faire le mal, apprenez à faire le bien. Recherchez la justice » (Is 1, 16) ; ou comme le promet Jérémie, le prophète de la conversion par excellence : « Je leur donnerai un coeur capable de me connaître car je suis le Seigneur; ils deviendront mon peuple et mol je deviendrai leur Dieu » (Jr 24, 7). Cette voix se fait prière dans-les Psaumes. Rappelez-vous le Miserere : « Crée en moi un coeur pur, ô Dieu et rénove en mon sein un coeur ferme » (Ps 50, 12). Ce cri, le précurseur l’a fait retentir de manière vibrante aux temps de Jésus (Mt 3, 2. 8 ; Lc 3, 10-14). Et Jésus en fera le signe mar­quant de la venue du Royaume de Dieu, et même la condition pour entrer dans le nouvel ordre du salut qu’il est venu instaurer dans le monde : « Les temps sont accomplis et le Royaume de Dieu est tout proche : repentez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle » (Mc 1, 15 ; cf. Mt 4, 17) Jésus est venu appeler les pécheurs à la conversion (cf. Lc 5, 32) : les publicains, la pécheresse, le bon larron sont les signes vivants de cette possibilité, de la réalité de ce rachat que le Fils de Dieu offre à l’humanité déchue à cause du péché. Il faut naître à nouveau (cf. Jn 3, 3) ; il faut devenir comme les petits enfants (cf. Mt 18, 3) et passages similaires ». Qu’on pense à la force de sanctification que cette dernière expression a eue pour une âme sublime des temps modernes, Thérèse de Lisieux !

Nous n’en finirions pas de rappeler des paroles et des faits évangéliques pour mettre en lumière le sens et la valeur de cette con­version, de cette pénitence, de cette metanoia qui est précisément un renversement intérieur, un changement de route, un retour dans les bras du Père. C’est ce que nous montre, avec des accents in­comparables, la parabole du fils prodigue qui revient chez son Père (cf. Lc 15, 11-32). C’est ce que nous font parfaitement comprendre les lumineux enseignements de Jésus. Le but est de réaliser une modification profonde, dans deux directions :

D’abord et avant tout, modifier la manière de penser, la menta­lité, les mobiles intimes de l’action. Un tel changement, vous le per­cevez aisément, est difficile, quand, c’est la personnalité la plus secrète, la plus profonde de chacun de nous qui y est impliquée. Puis, dans une deuxième démarche, il s’agit de changer également notre conduite pratique, notre comportement, notre manière d’agir afin que les actions extérieures correspondent, désormais sans con­trastes criants, avec la révolution intérieure, intervenue dans nos esprits.

En un mot, il s’agit de réaliser une pleine, toujours plus pleine conformité de la pensée et de la vie avec la volonté de Dieu, comme Jésus nous incite à le demander dans notre prière de chrétien : fiat voluntas tua (Mt 6, 10) : que ta volonté soit faite, sans obsta­cles, sans délais, sans résistance ; sur la terre comme au ciel.

Ce sont des paroles difficiles, mais uniquement pour ceux qui .refusent d’ouvrir leur coeur à la voix du Seigneur, uniquement pour ceux qui s’obstinent à poursuivre dans la « direction défen­due, malgré tous les rappels de la Révélation et de la conscience. Nous sommes certainement très éloignés de la conception permis­sive moderne qui exalte de la manière la plus provocatrice — pour ceux qui n’ont pas encore le caractère trempé et vigoureux — une liberté qui n’est que licence, un instinct, une amoralité et un im­moralisme qui équivalent seulement à l’égoïsme le plus effréné ; mais aussi on oublie qu’il existe un rapport tant ontologique et existentiel que déontologique entre la liberté, consciemment et virilement exercée, et le devoir qui en tire sa force, sa vertu et son mérite.

Difficile ? Assurément. Mais pas impossible.

C’est la voie que Dieu a toujours indiquée à celui veut être vrai­ment digne de devenir son fils. Aurons-nous la force de nous y engager ? Oui. C’est le Christ qui nous y appelle avec les mots les plus bouleversants, des mots qui doivent donner la confiance la plus grande même à ceux qui se sont égarés au loin : « Il y aura plus de joie au ciel pour un seul pécheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de repentir » (Lc 15, 7). Oui, qu’il en soit ainsi, vraiment ainsi, très chers frères et fils.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

23 mars

LA PÉNITENCE, SACREMENT DE LA RÉSURRECTION ET DE LA PAIX

 

Chers Fils et Filles,

 

La proximité de Pâques nous invite à un devoir caractéristique de la participation de chaque fidèle à la célébration de la grande fête de la Rédemption : le devoir de se confesser, c’est-à-dire de s’approcher du Sacrement de la Pénitence, personnelle­ment et sincèrement, s’accusant de ses péchés avec un sincère re­pentir et la ferme intention de s’amender. Ceci est une importante loi de l’Eglise, et elle est toujours en vigueur; une loi difficile, mais salutaire, sage et libératrice ; une loi dont l’observance se heurte aujourd’hui à deux genres d’obstacles : l’un, pratique et ex­trinsèque, est celui dé trouver les circonstances favorables à l’accomplissement de ce devoir ; l’autre, psychologique et intrinsèque, celui de formuler au fond de sa propre conscience le concept du péché, c’est-à-dire de ses propres péchés et d’avoir le courage de les avouer — même sous le sceau du secret le plus absolu — à un prêtre, c’est-à-dire à un ministre autorisé par l’Eglise à les ab­soudre et à imposer la pénitence qu’ils réclament.

Mais nous sommes obligés de constater un manque progressif d’observance de cette pratique sacramentelle, avec de nombreux et importants reculs dans la fidélité et dans la vivacité de la vie chré­tienne et de la conscience de la vie ecclésiale. Il en découle de graves appréhensions pour tous ceux, ministres ou simples fidèles, qui aiment la réalité mystico-sociologique du mystère de notre in­sertion dans le Christ, le mystère de la grâce, le mystère de notre salut. Que l’homme ait encore et toujours besoin du sacrement de la Pénitence ce n’est pas seulement le droit canon qui l’affirme (cf. can. 906) ; nous le constatons aussi dans le fait que nous sommes moins conscients de cette régénération profonde que le baptême accomplit en nous et qui nous oblige, en conséquence, d’adopter un style de vertus morales original, cohérent et supérieur ; nous en avons une preuve également dans l’expérience des avantages spi­rituels que, la confession assure à l’âme qui veut être forte et fi­dèle dans la profession et sa propre religion, spécialement lorsqu’un sage recours à ce sacrement accompagne le développement et le déroulement de l’existence vécue (cf. A. Manzoni, la Moralità Cattolica, 1 ch. VIII).

Ceci est une simple constatation et non pas une entrée en ma­tière pour faire l’apologie de la Confession sacramentelle. Une apologie qui peut être extrêmement étendue si elle est étudiée au point de vue historique ; qui peut être des plus fécondes si l’on utilise les développements mêmes des études, scientifiques ou litté­raires, de la psychologie de l’homme moderne ; qui peut être pro­fondément consolante pour tous ceux qui se rendent compte qu’une enquête honnête et objective concernant les racines intérieures de l’agir humain ne peut qu’aboutir à un pessimisme désolé et même désespéré au sujet de l’inaptitude de l’homme à la pratique d’une vertu authentique et stable. Qu’il nous suffise de dire que cette apologie est possible et facile pour ceux qui se rappellent les pa­roles que le Christ ressuscité proclama le soir même de sa résur­rection, lorsqu’il apparut à ses disciples réunis dans le Cénacle : « La paix soit avec vous ! Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ». Cela dit, il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, il leur seront remis, ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus » (Jn 20, 21-23). Le sacrement de la Pénitence, ainsi institué, se révéla immédiatement comme sacrement de la résurrection des âmes mor­tes, comme sacrement des âmes revivifiées, comme sacrement de la vie, de la paix, de la joie.

Qu’il nous suffise d’exhorter les prêtres, nos Frères, habilités à l’administration du Sacrement de la Pénitence, à donner à l’exer­cice pastoral qu’il permet et renforce, toute l’importance qu’il re­quiert, l’estime, le culte, l’esprit de sagesse et de sacrifice qu’il mérite ; la Confession est le sacrement thérapeutique par excellence, le sacrement pédagogique pour la formation chrétienne à tous les niveaux (cf. le périodique Seminarium, n. 3, 1973).

Puis, nous exhortons tous les fidèles à purifier leur âme de toute méfiance que la discipline sacramentelle en vigueur peut susciter pour son exercice pratique. Si, dans certains cas particuliers l’Eglise autorise l’absolution collective, rappelez-vous que cette faculté a un caractère exceptionnel, qu’elle ne dispense pas de la confession personnelle et qu’elle ne veut pas priver le pénitent des avantages qu’elle comporte: école de sagesse morale, la confession entraîne l’esprit à distinguer le bien du mal; arène d’énergie spirituelle, elle exerce la volonté à la cohérence, à la vertu positive, au devoir dif­ficile; dialogue sur la perfection chrétienne, elle aide les fidèles à découvrir leur propre vocation à en corroborer les perspectives par la fidélité et par le progrès vers la sanctification, la leur et celle d’autrui. Puisse la fête de Pâques toute proche apporter à chacun de vous le bonheur de la célébrer par une bonne confession. Avec la Communion, elle est le grand don de Pâques (cf. le toujours actuel Catechismus ex Decreta Concilii Tridentini ad Parochos, De Poenit. Sacramento ; et les récentes Normae pastorales circa absolutionem sacramentalent generali modo impertiendam, de la S. Congrégation pour la Doctrine de la, Foi, 16, VI, 1972, AAS vol. LXIV, 1972, p. 510 et ss.).

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

30 mars

PAR LA CROIX J’ATTIRERAI TOUS LES HOMMES A MOI

 

Chers Fils et Filles,

 

Une fois encore, la notation du temps nous conduit à la fête de Pâ­ques. Celle-ci entraîne un double jugement; d’abord celui que le monde, invité à être spectateur de la Passion du Christ, et de la Résurrection qui l’a suivie, donnera du protagoniste du drame messianique, c’est-à-dire de Jésus lui-même. Qui est, qui était ce personnage qu’à un tournant décisif de son procès, le Procureur Romain, Pilate, présenta, sous un émouvant aspect, à la foule amas­sée, devant le prétoire, avec ces paroles fatidiques : « Voici l’homme » (Jn 19, 5). Et l’homme était Jésus ; il venait d’être flagellé, et Celui qui s’était dit Roi des Juifs avait été, par cruelle dérision, couronné d’épines et couvert d’un manteau de pourpre. Pilate voulait apitoyer le peuple et il clama bien fort : « Voyez, je vous l’amène dehors pour que vous sachiez que je ne trouve aucune faute en lui ». Vous savez quel accueil les grands prêtres et les gardes réservèrent à cette appari­tion : « à la croix, à la croix ! ». Et, après une nouvelle phase du procès, ce sera le sort de Jésus : la croix. Le monde est saisi d’épou­vanté devant la victime désormais promise à l’infâme supplice de la croix.

Cette croix qu’il avait prédite lui-même, ajoutant un commen­taire qui est un autre jugement, celui que le condamné aurait porté sur le monde en train de contempler la scène de sa crucifixion : « Mais, quand je serai élevé de la terre (allusion au genre de mort que serait la sienne), j’attirerai tous les hommes à moi » (Jn 12, 32). Voilà le monde attiré, fasciné par le divin Crucifié. Il émane de lui un charme mystérieux qui entraîne vers lui toute l’humanité croyante. Autour de la Croix du Christ se pressent des hommes nouveaux. C’est Saint Paul qui nous le dit, trouvant dans cette paradoxale convergence vers le Christ Crucifié le signe caractéri­stique de la nouvelle, et finalement vraie religion : « Pour moi, frères, quand je suis venu parmi vous... je n’ai rien voulu savoir sinon Jésus Christ, et Jésus Crucifié » (1 Co 2, 2 ; Ga 6, 14).

Maintenant, c’est sur cet aspect de notre vie religieuse et chré­tienne qui trouve son pivot dans la croix du Christ, qu’il nous fau­dra fixer l’attention, spécialement dans la commémoration pascale : comment se peut-il que la science de la Croix (comme l’appelèrent les Saints) ait un tel pouvoir de faire converger sur la mort du Christ — et quelle mort — la substance même de sa doctrine et de sa mis­sion, au point d’obliger quiconque veut être son disciple à la con­naître et à la vivre ? Comment le drame d’une mort peut-il devenir en soi et pour nous un mystère de vie ?

Quel bonheur si nous trouvons la clé qui nous donne l’accès à ce royaume de l’économie chrétienne, c’est-à-dire au plan de notre salut, dans la révélation de l’Amour de Dieu pour nous : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle » (Jn 3, 16). Que ce suprême dessein d’Amour se réfère au Christ lui-même venu pour le confirmer : « Le Fils de Dieu m’a aimé et il s’est livré pour moi » (2 Ga 2, 20).

Voilà tout, et nous n’en dirons pas plus en ce moment. Mais cela suffit pour rester éblouis, par le mystère de la Croix en elle-même et pour accueillir le destin de l’Amour, rapporté à nous-mêmes, à chacun de nous personnellement : comment répond-on à l’Amour ? Puisse la célébration pascale nous en enseigner le moyen et nous donner l’énergie nécessaire pour y répondre comme il se doit. « Qui nous séparera jamais de l’amour du Christ ? » (Rm 8, 35).

Amen ! avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

6 avril

ENTENDRE LA PAROLE DE DIEU ET S’EN NOURRIR

 

Chers Fils et Filles,

 

Une invitation que la sainte liturgie du Carême nous a fait ré­péter maintes fois, est exprimée ainsi : « Si vous entendez sa voix (Seigneur), ne durcissez pas vos cœurs ». C’est l’Eglise qui parle, prenant à son compte l’exhortation du Psalmiste, David ; une exhortation qui se répète dans l’Ecriture Sainte, tant à cause de l’importance de ce qu’elle entend annoncer que de l’indifférence avec laquelle une grande partie du Peuple élu accueille l’annonce (cf. Ex 19, 5 ; Pr 1, 20-21 ; etc.). On remarque que la Bible insiste vivement pour se faire entendre, pour se faire comprendre (Ps 33, 12 ; 49, 7). Et l’on voit que le sort des hommes dépend de l’at­tention qu’ils prêtent à la voix divine ; et l’on voit aussi, par contre, que les hommes, même ceux qui vivent dans l’économie du salut, se montrent réticents à accueillir l’invitation religieuse et paraissent presque en craindre l’enchantement et l’autorité.

Dieu parle. Qui l’écoute ? Lorsqu’on étudie ce fait, duquel dé­pend notre libre réponse et par conséquent notre salut, on note souvent dans l’art mystérieux de la révélation divine une manière particulière de langage, un langage formulé en mots simples et communs (Pensez aux paraboles de l’Evangile, cf. Mt 13, 14 et ss. ; 13, 35). Sous leur sens figuré, ils cachent et en même temps révèlent une pensée plus profonde que les hommes ne comprennent pas tous, parce qu’ils ne se donnent pas tous la peine de la sonder et d’en cueillir le sens véritable et intime. Cette ambiguïté est également une méthode voulue par l’Auteur de la Parole divine, par­faitement cohérente avec la liberté humaine : comprendra qui veut comprendre. Certes la révélation nous est transmise dans sa for­mulation exacte, mais elle est enfermée dans un écrin de termes (p. ex. la parabole), des termes qui ont une signification par eux-mêmes mais nous sont confiés afin que notre esprit, et principalement notre bonne volonté sachent y découvrir la voix intime, pro­fonde, authentique du Seigneur.

L’homme reste libre également sur le plan de la révélation divine ; il doit faire ce qu’il peut pour venir en contact avec la Pensée di­vine. La voix divine résonne ; la comprend qui veut la comprendre. Un phénomène naturel, que plus personne n’ignore aujourd’hui, celui de la Radio, nous fournit une image de cette Loi du sens mystérieux de la conversation divine. Pensez à l’immensité des voix extrêmement diverses qui remplissent l’atmosphère. Seuls s’en ren­dent compte ceux qui, disposant d’un appareil adéquat, savent dé­tecter ces voix qui, autrement, seraient vaines ; et les comprennent seulement ceux qui savent mettre leur propre appareil en état de les recevoir.

L’analogie convient à notre cas. Le grand mystère de la Ré­demption nous est transmis de manière impressionnante par le rite liturgique : qui l’accueille ? et parmi ceux qui reçoivent ainsi la présentation rituelle et évocatrice de l’histoire évangélique, com­bien y en a-t-il qui en saisissent le sens théologique, réel, actuel ? Bien plus, parmi ceux-là, combien comprennent le mystère présent, actualisé par la liturgie ? Combien l’appliquent vraiment à eux-mê­mes ? (cf. Hb 3, 7 et ss. ; 4, 2 et ss.). Notre bref discours veut être une cordiale invitation : D’abord, à participer aux cérémonies de la Semaine Sainte dont l’intention est de se faire comme la voix du Christ qui nous rappelle, nous explique, nous offre la partici­pation au mystère de la Rédemption : si aujourd’hui cette voix se fait entendre à nos cœurs, que ceux-ci ne restent pas fermés et indifférents à la loi divine. Deuxièmement, à faire un effort pour comprendre au moins quelque chose de ces rites qui, enchâssés dans des cérémonies traditionnelles et dans une langue latine peu­vent rester, comme des manuscrits antiques, impénétrables à notre intelligence. Pourtant il existe aujourd’hui suffisamment de docu­mentation explicative pour ceux qui désirent vraiment en com­prendre le sens et en saisir la force. Et troisièmement, une invita­tion à chacun d’appliquer à soi-même le drame divin de Jésus, à le revivre dans son propre coeur, à en écouter l’accent ineffable, à y consacrer un humble et généreux acte de bonne volonté. Qui sait ce que Jésus sacrifié et ressuscité veut de chacun de nous ?

A ce secret individuel s’adressent notre bénédiction et nos vœux, avec pour tous nos souhaits de « Bonnes Pâques ! ».

 

 

 

13 avril

QUE NOUS VIVIONS, NOUS AUSSI, DANS UNE VIE NOUVELLE !

 

Chers Fils et Filles,

 

Etre chrétien : quelle signification cela a-t-il ? La première signi­fication, première par ancienneté et par importance, vient du fait que nous avons été rendus dignes de porter ce nom, non pas comme une simple qualification sociologique (cf. Ac 11, 26), mais comme un rapport vital avec le Christ, une entrée dans le Royaume de Dieu. Jésus lui-même l’a enseigné à un premier notable, d’abord timide, mais ensuite adepte fidèle de sa prédication et de son influence messianique, Nicodème « ... à moins de naître d’eau et d’Esprit, nul ne peut entrer au Royaume de Dieu » (Jn 3, 5). C’est ainsi que fut annoncé ce signe sacramentel novateur, le Bap­tême. Puis, sitôt après la descente du Saint-Esprit, après la Pen­tecôte, ce sera là le premier acte extérieur, accompagné toutefois de l’expression intérieure de sentiments de foi et de pénitence, qui sera demandé et conféré aux premiers disciples de la prédication apos­tolique (Ac 2, 38 ; 3, 19 à 4, 4) ; et aussitôt ce rite indispensable et caractéristique est déclaré en liaison avec la passion du Seigneur, avec sa résurrection (Rm 3, 3, etc.). La première relation, essen­tielle et vitale, de notre vie, nous est établie au moyen du Baptême : « Le Christ, notre Pâque, a été immolé ! » s’exclame Saint Paul, réaffirmant presque le canon fondamental de la religion qui, dans le Christ, précisément prend son origine et son nom.

Ce fait a un tel relief dans le domaine de notre foi que nous ferions bien de lui consacrer une toute particulière réflexion, si nous voulons que la fête de Pâques qui vient d’être célébrée ne passe pas comme tout autre jour, comme n’importe quelle fête, sans laisser de traces dans notre manière de concevoir la vie chrétienne.

Nous nous contenterons, en ce moment de rappeler le double symbolisme du rite baptismal dont le sens nous introduit dans la signification théologique, c’est-à-dire essentielle, du sacrement. D’abord : le Baptême est un bain. Mais pourquoi un nouveau-né, et même toute créature humaine ont-ils besoin d’être purifiés pour être admis au Royaume de Dieu ? pour être appelés chrétiens ? Et c’est ici que se présente la grande histoire du péché originel, un péché qui fut proprement tel dans Adam et qui, par triste héritage, passa à tout le genre humain, non pas comme faute personnelle, mais comme état personnel et propre de tout fils d’Adam, incapable de se racheter de lui-même des conséquences fatales de péché du premier homme (cf. Ad Romanos, 5 ; Denz.-Schôn., 621). Ceci est un point capital dans le plan religieux du christianisme et de toute l’humanité. Il s’en déduit et la nécessité de la Rédemption et la fortune suprême qui nous est concédée au moyen de la purifica­tion baptismale.

Et, second symbolisme du Baptême : la participation mystique à la mort et à, la résurrection du Seigneur. Relisons Saint Paul : « Ignorez-vous que, baptisés dans le Christ Jésus, c’est dans sa mort que tous nous avons été baptisés ? Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts pour la gloire du Père, nous vivions, nous aussi, dans une vie nouvelle. Car si c’est un même être avec le Christ que nous sommes devenus par une mort semblable à la sienne, nous le serons aussi par une résurrection semblable » (Rm 6, 3-5). Au IV° siècle, Saint Cyrille (313-387), Evêque de Jérusalem, expli­que la doctrine de manière encore plus ample : il fut un admirable pionnier de la catéchèse ecclésiastique systématique qui, d’ailleurs avait déjà eu ses maîtres antérieurement (cf. Prat, Théologie de Saint Paul, II, 306 et ss.). Nous ne pouvons manquer de citer Saint Ambroise en particulier (De Sacramentis et De Mysteriis, O. Faller, 1955).

Ceci pour dire qu’une conception chrétienne de la vie ne peut manquer d’être imprégnée de l’enseignement de notre foi au sujet de notre Pâque. Pâque, c’est le Christ immolé pour nous et qui nous est communiqué par le sacrement régénérateur qu’est notre Baptême. Ne l’oublions jamais !

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

20 avril

VIVRE L’AUJOURD’HUI DE DIEU

 

Chers Fils et Filles,

 

Le temps liturgique nous conduit à poursuivre notre réflexion sur le mystère pascal, sous l’aspect multiple de notre parti­cipation au Christ. Jésus a accompli l’œuvre de rédemption. Sa célébration sacramentelle liturgique et morale que nous avons évo­quée et, de certaine manière (sacramentelle, pénitentielle, dévotionnelle), revécue, tend à laisser quelque trace profonde dans notre esprit et dans nos mœurs. La vie chrétienne se caractérise par un effort continu de renouvellement et de perfectionnement : l’homme intérieur qui vit en nous, tend à se renouveler « de die in diem », de jour en jour (Col 4, 16). Alors se pose une question qui engage notre conduite : cette résolution de perfectionnement continuel agit-elle efficacement en nous ? ou bien retombe-t-elle aussitôt dans le commun d’une vie qui nous plonge dans la médiocrité coutumière ? Et aussitôt domine en nous un style de vie qui non seule­ment renonce à se modeler sur l’exemple et sur l’enseignement du Christ, mais qui cherche également à se soustraire à l’engagement que la célébration pascale nous a fait éprouver dans le secret de notre conscience comme logique, comme urgent : l’engagement d’être authentiquement chrétiens. Et nous nous disons à nous-mêmes que nous voulons être comme les autres, comme l’un de ces individus frappés en série par la société permissive. Parfois même, un in­stinct tentateur voudrait nous affranchir des formes trop régulières de notre manière d’être et nous faire expérimenter quelque geste audacieux et anticonformiste de libre conduite.

C’est la mode aujourd’hui ; et un essaim de stimulations, de pro­vocations nous assaille de toutes parts pour ranimer en nous les passions endormies ou inquiètes qui semblent ainsi réclamer, comme un droit naturel, celui de se laisser aller à des expériences qu’un juste sentiment moral nous dit coupables. Il y a même une ten­dance qui, partant de chaires autorisées et de mœurs relâchées voudrait vaincre les scrupules des consciences sensibles en les mithridatisant, c’est-à-dire en les accoutumant progressivement à la violation de la loi morale.

Et cela, ce n’est pas chrétien, pour ne pas dire que ce n’est pas humain ; cela n’est pas logique.

Il faut au contraire que nous nous rappelions toujours deux ordres de vérités qui font partie des principes fondamentaux de notre manière correcte de penser et donc d’agir. Le premier découle de la connaissance que notre anthropologie, c’est-à-dire notre science de l’homme, éclairée par la foi et, en partie, confirmée par notre douloureuse expérience, nous enseigne : c’est-à-dire que nous sa­vons que l’homme est un être dans lequel a pénétré un désordre que nous pouvons définir perturbateur de son dessein constitution­nel (cf. Rm 7, 15) et que l’on prétend souvent inexistant, sinon pour cause de coercition anti-pédagogique ; opinion délétère encore en vogue aujourd’hui.

L’autre ordre de vérités nous fait voir une sorte de dédouble­ment de notre nature humaine sur laquelle la pensée ineffable de Dieu, que nous communique la foi, a superposé une « surnature », un « homme nouveau » qui rend au « vieil homme » un visage pu­rifié d’où a été effacée la déformation du péché, même si n’a pas été supprimée la faiblesse qui rend le péché toujours possible. Mais, en outre, a été imprimée l’image nouvelle d’un homme régéné­ré, élevé à la filiation adoptive de Dieu, associé à une fraternité qui devient coexistence avec le Christ, et animé par le souffle vital divin que nous appelons la grâce et que nous attribuons à l’Esprit Saint.

Voilà pourquoi le concept d’une vie immaculée, c’est-à-dire pure, simple, belle, est restitué ou plutôt concédé à ceux qui ont reçu le baptême et qui — comme l’affirme Saint Pierre dans sa pre­mière épître — ont été libérés « avec le précieux sang du Christ » comme celui d’« un agneau immaculé ».

Cet idéal d’une vie innocente, non contaminée, immaculée doit être restitué à notre esprit chrétien et nous rendre la résolution et la grâce d’une existence nouvelle, vraiment pascale.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

27 avril

LA FIGURE DE JÉSUS RESSUSCITÉ

 

Chers Fils et Filles,

 

Nous sommes encore dans le temps pascal qui, pour nous, est dominé, comme vous le savez par la mort sur la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ et par sa prodigieuse résurrection. Ce double événement, la mort du Seigneur Jésus et son retour à la vie, domine le monde ; il nous donne la clé de l’histoire précédente, celle du peuple juif, c’est-à-dire l’Ancien Testament, et nous offre une vision du futur destin de l’humanité, le Nouveau Testament ; c’est l’événement sur lequel se fondent la religion chrétienne et l’Eglise et qui place la figure de Jésus au centre des destinées humaines.

Le mystère pascal est donc la synthèse de notre foi, et il attire notre attention comme point de convergence de tous les faits re­ligieux regardant le passé, le présent, l’avenir de l’humanité, le secret du monde et le pourquoi de notre existence personnelle. Ceci, très chers Fils, nous devons le savoir et le méditer : « C’est moi l’Alpha et l’Oméga, dit le Seigneur-Dieu ; Il est, Il était et Il vient, le Maître-de-tout » (Ap 1), 8). Nous devons nous habituer à penser toute chose en fonction de ce mysterium pietatis, de ce mystère religieux. Notre foi doit concentrer notre pensée sur le Christ-Sei­gneur, comme Saint Paul le recommandait à Timothée, son disciple préféré : « Il (Jésus Christ) a été manifesté dans la chair, justifié dans l’Esprit, vu des Anges, proclamé chez les païens, cru dans le monde, enlevé dans la gloire » (1 Tt 3, 16). La pensée de Saint Paul se fait théologique, incite la nôtre à recourir encore aux sour­ces de son récit, à l’Evangile ; et, dans notre esprit toujours assoiffé d’images sensibles pareilles à celles que Jésus nous a offert en ve­nant dans ce monde, elle soulève une question qui n’est ni enfantine ni ingénue, mais a besoin de réalités expérimentales : comment était Jésus ? Si nous avions, au mieux, si nous avons un jour le bonheur de Le voir, comment nous apparaîtra-t-il ? Comment pou­vons-nous L’imaginer ?

Nous risquons d’être déçus ; il semble que la question doit rester sans réponse satisfaisante si nous nous rappelons que lors de ses apparitions après la Résurrection, Jésus ne laissa pas transpa­raître immédiatement sa figure sensible. Cela se passa ainsi avec Marie-Madeleine au Sépulcre, et avec les deux disciples sur le chemin d’Emmaüs ; ce fut pareil quand le soir de la Résurrection, Il se présenta au Cénacle devant ses disciples (Jn 20, 20), ou, lorsque sur le rivage du lac de Tibériade Il rencontra le groupe des disciples pêcheurs, sans se révéler tout de suite. Jésus s’est entouré de mystère même dans ces moments sublimes où il reprenait sa figure humaine sans la manifester à tous (Ac 10, 41).

Mais alors, comment pouvons nous recomposer fidèlement sa figure dans notre esprit ? Nous nous trouvons devant un problème qui, des sens et de l’imagination, s’élève au plan spirituel : comment voir, comment « repenser Jésus » ? Quelques Saints ont bénéficié à cet égard d’exceptionnelles faveurs comme Sainte Thérèse l’a écrit à son propre sujet (cf. Vida) ; mais les autres, les simples fidèles ? et nous-même, obligé, de manière et en mesure différente, de donner témoignage du Jésus de l’Evangile, et aussi du Jésus céleste ?

Eh bien, nous croyons pouvoir, de quelque façon nous figurer le Christ, que ce soit de manière sensible ou simplement imaginaire, si nous pensons à lui avec un esprit capable, dans un sentiment réceptif de foi, de refléter en nous quelque ressemblance du Sei­gneur, comme celle qui s’est imprimée dans le voile compatissant de la Véronique de la tradition. Rappelons-nous comment le Cen­turion romain, qui avait présidé à la crucifixion, le reconnut. Comme l’écrit Saint Marc l’Evangéliste : « Voyant qu’il avait ainsi expiré, le Centurion qui se trouvait en face de Lui, s’écria : ‘Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu !’ » (Mc 15, 39).

Et rappelons-nous le premier portrait de Jésus-Christ, portrait biographique plutôt que linéaire, qui nous vient du témoignage de Saint Pierre, témoin certes qualifié, parlant au premier groupe de païens, celui du centurion Cornélius (un autre soldat romain décrit comme « homme juste et craignant Dieu ») admis à la nouvelle foi chrétienne : « ... Jésus Christ, annonça Pierre ; il est le Seigneur de tous ! (...) Jésus de Nazareth qui a passé en faisant le bien et en guérissant... » (Ac 10, 38). Voilà une image surhumaine d’une incomparable bonté ! Voilà ce qu’est le témoignage apostolique !

C’est ainsi que nous devons concevoir Jésus ; une bonté toute-puissante, qui s’est fait proche de nous, qui nous est accessible.

Qu’il en soit ainsi, avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

4 mai

LE MYSTÈRE PASCAL : OEUVRE DE RÉDEMPTION

 

Chers Fils et Filles,

 

Nous devons méditer encore le mystère pascal. Nous ne pourrons jamais terminer notre « chemin de la Croix » sans ressentir sa valeur universelle et éternelle, c’est-à-dire sans rattacher la Passion du Seigneur et sa Résurrection aux destinées du genre humain. Il n’est pas suffisant que nous assistions à la scène des faits évangéliques qui concernent la divine Personne de Jésus, nous laissant em­porter par l’émotion devant ces péripéties d’abord poignantes puis triomphantes, comme cela peut nous arriver devant une tragédie grecque ou un spectacle impressionnant, mais qui ne nous intéresse pas personnellement. Il importe qui nous saisissions la relation qui existe entre l’histoire de la mort de Jésus et de son retour à la vie, et notre propre existence. Le mystère pascal n’est autre que l’œuvre de la Rédemption qui, par un ineffable dessein du Père, a été accomplie par Jésus-Christ dans l’Esprit Saint. Voyez, par exem­ple, le premier chapitre de l’Epître de Saint Paul aux Ephésiens (cf. E. Prat, La théologie de Saint Paul).

Ceci est une observation extrêmement importante. Nous ne sommes pas de simples spectateurs devant les faits qui ont conclu la vie temporelle du Seigneur et inauguré, par Lui, une nouvelle forme de vie ultra-temporelle; qu’on le veuille ou non, nous sommes impliqués dans le drame du Christ. Il a une signification sacrificatoire. C’est-à-dire que le Christ a souffert pour nous ; qu’il est res­suscité pour nous. Saint Paul appliquera à lui-même le sacrifice du Christ : « Il m’a aimé, écrit-il aux Galates et il s’est immolé pour moi » (2, 20). Et chacun peut, et même doit, dire la même chose pour soi-même : notre pâque, le Christ, a été immolée » (1 Co 5, 7). La pensée de l’Apôtre va même plus loin, jusqu’à associer le destin d’un disciple du Christ, baptisé donc en Jésus-Christ, à celui du Seigneur : avec Lui, nous avons été ‘ensevelis’ ». (Rm 6, 4) ; « avec lui nous sommes ressuscites » (Ep 2, 6 ; Ga 3, 27). Il ne s’agit pas d’une simple image. Il s’agit d’une fusion, d’une incorporation de notre vie dans celle du Christ. Cause méritoire de notre justification, le Christ, victime crucifiée, devient cause exemplaire et principe vivifiant avec sa résurrection (Denz-Schoen., 1529). Et il est vain de soutenir que cette vision divine, cosmique, anthropologique est le fruit du génie de Paul, quand nous la trouvons exprimée déjà dans un des premiers discours de Saint Pierre à Jérusalem : Il n’y a de salut que dans Notre Seigneur Jésus Christ le Nazaréen » (Ac 4, 10-11).

Il reste encore tant de choses, tant de doctrines à exposer pour notre formation chrétienne ! Mais déjà si nous arrêtons notre pensée sur ces peu nombreuses, mais capitales vérités, nous pouvons nous demander si elles sont réellement présentes dans notre forma mentis de chrétiens authentiques, que nous devrions tous avoir la juste prétention d’être. Il nous faut avant tout décider d’avoir avec le Christ une « communion », une amitié, une confiance que nous pouvons nous concéder facilement — quelle chance ! — en nous approchant souvent de la Sainte Table : oui, nous devons vivre avec Lui, par Lui, pour Lui ; mais ceci comporte qu’il soit vraiment l’inspirateur de notre mentalité nouvelle, c’est-à-dire chrétienne, notre « Pain » de vie, qu’il alimente pensée, action, sentiments, désirs et espérances. C’est-à-dire que le Seigneur doit produire en nous un « sentiment », une âme, un style de pensée et de vie qui, au moins dans leur tendance, soient cohérents avec la coexistence qu’avec la foi et avec les sacrements qui nous viennent de Lui, le Christ a daigné établir en nous.

Cela signifie que la Pâque, c’est-à-dire la pensée de son mystère, l’engagement qui en découle, la joie dont elle est la source, l’énergie du bien qui en dérive doit demeurer en nous et entraîner nos esprits sur le sentier de la vie chrétienne qui, dans les jours qui suivent Pâques même, monte en spirale et nous prépare à la rencontre finale avec Lui, le Christ Seigneur.

Qu’il en soit ainsi pour vous tous, avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

11 mai

LE DESSEIN HISTORIQUE DU MYSTÈRE PASCAL

 

Chers Fils et Filles,

 

Pâques est passé. Mais nous savons qu’il constitue un événement qui demeure. Attention : il demeure non seulement dans le double souvenir historique que chacun se rappelle : la mort sur la Croix infligée à Jésus parce que, comme Pilate l’avait écrit sur l’écriteau fixé au sommet de la croix, « Jésus de Nazareth était le roi des Juifs » ; et, le troisième jour, la résurrection du mystérieux Crucifié. Cet événement demeure aussi dans la réalité du fait prodigieux, inséré dans la profession de foi, le Credo, que l’Eglise nous fait réciter sur un ton de certitude à l’acte du Baptême, puis dans la célébration de la Messe ; il demeure dans la vie intérieure de tout croyant ; il demeure dans la conviction des disciples, parmi lesquels nous avons tous la joie et la fierté de nous compter, dans la société religieuse issue du Crucifié ressuscité ; il demeure dans la mystique et sacramentelle présence qui accompagne précisément l’Eglise dans le cours des temps, en attendant qu’à la fin, Lui, le Christ mort et ressuscité, arrache l’humanité au sommeil de la mort, la juge et, si elle en est digne, lui assigne une forme nouvelle de vie, jointe à la sienne, en ineffable plénitude (cf. 1 Co 2, 9). C’est cela, la foi ; c’est cela, la vérité. Et c’est la vision de l’histoire passée et la prophétie pour la vie future qui, dans la mort du Christ et dans son retour à la vie, a son foyer central, rayonnant sur le monde : c’est la Weltanchauung (conception du monde), la perspective de l’univers.

Nous ferions bien de considérer notre vie à la lumière de cette révélation : « Je suis la lumière du monde » (Jn 8, 12) a dit Jésus. Et, si nous cherchons à nous former une mentalité pascale, ce qui nous attire aujourd’hui, c’est la pensée que Jésus lui-même a offerte à ces deux voyageurs, déçus et attristés, que l’on désigne comme « les disciples d’Emmaüs », la vision synthétique de ce dessein historico-religieux dont il est Lui-même le centre. Vous souvient-il de la scène que raconte Saint Luc l’Evangéliste ?

Relisons-la ensemble :

« Et voici que ce même jour deux d’entre eux faisaient route vers un village du nom d’Emmaüs, à 60 stades de Jérusalem, et ils s’entre­tenaient de tout ce qui s’était passé. Or, tandis qu’ils devisaient et discutaient ensemble, Jésus en personne s’approcha et fit route avec eux, mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. Il leur dit : ‘Quels sont donc ces propos que vous échangez en marchant ?’ Et ils s’arrêtèrent, le visage morne. L’un d’eux, nommé Cléophas lui répondit : ‘Tu es bien le seul habitant de Jérusalem à ignorer ce qui s’est passé ces jour-ci !’ - ‘Quoi donc ?‘ leur dit-il. Ils lui répon­dirent : ‘Ce qui est advenu à Jésus le Nazaréen, qui s’était montré un prophète puissant en oeuvres et en paroles, devant Dieu et devant tout le peuple ; comment nos grands prêtres et nos chefs l’ont livré pour être condamné à mort et l’ont crucifié. Nous espérions, nous, que c’était lui qui délivrerait Israël ; mais avec tout cela, voilà deux jours que ces choses se sont passées ! Quelques femmes qui sont des nôtres nous ont, il est vrai, bouleversés ! S’étant rendues de grand matin au tombeau et n’y ayant pas trouvé son corps, elles sont reve­nues nous dire que des anges mêmes leur étaient apparus, qui le déclarèrent vivant. Quelques-uns des nôtres sont allés au tombeau et ont trouvé les choses comme les femmes avaient dit ; mais Lui, ils ne l’ont pas vu !’

Alors il leur dit : ‘Esprits sans intelligence, lents à croire tout ce qu’ont annoncé les Prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ?’ Et, commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, il interpréta dans toutes les Ecritures ce qui le concernait.

Quand ils furent près du village où ils se rendaient, il fit semblant d’aller plus loin. Mais ils le pressèrent en disant : ‘Reste avec nous, car le soir tombe et le jour touche déjà à son terme’. Il entra donc pour rester avec eux. Or, une fois à table avec eux, il prit le pain, dit la bénédiction, puis le rompit et le leur donna. Leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent... mais il avait disparu de devant eux. Et ils se dirent l’un à l’autre : ‘Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au-dedans de nous quand il nous parlait en chemin et qu’il nous expliquait les Ecritures ?’

Sur l’heure ils partirent et revinrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent réunis les Onze et leurs compagnons qui leur dirent : ‘C’est bien vrai, le Seigneur est ressuscité et Il est apparu à Simon !’. Et eux de raconter ce qui s’était passé en chemin, et comment ils l’avaient reconnu à la fraction du pain » (Lc 24, 13-35).

Vous avez entendu ? Jésus accompagne aimablement les deux voya­geurs qui, extrêmement attristés par la tragédie du Vendredi Saint n’étaient pas loin de perdre la foi, et l’espérance : « nous espé­rions... ». Et le Seigneur qui, sous les apparences anonymes du com­pagnon s’est uni à leurs pas, de les réprimander ; et Il leur explique le sens, encore hermétique pour eux d’un dessein historique qui, à la lumière des Ecritures et grâce aux paroles du Seigneur, devient parfaitement clair et compréhensible dans sa signification profonde et bipolaire : primo : « il était nécessaire que le Christ souffrit », et, secundo « ... pour entrer ainsi dans sa gloire ».

Le drame de la liberté : première de toutes et mystérieuse, celle de Dieu qui est Amour, même dans le sacrifice de Jésus (cf. Jn 3, 16) ; puis celle du Christ qui, bien que « sa sueur devint comme de grosses gouttes de sang » (Lc 22, 40), s’est livré et s’est sacrifié (Ga 2, 20) ; puis, celle des artisans de la crucifixion, exécuteurs res­ponsables mais défendus par Jésus lui-même parce qu’« ils ne com­prennent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34), celle des disciples et des spectateurs, coresponsables dans une certaine mesure, et celle des myriades d’hommes qui, en péchant ont conspiré l’immolation de l’Agneau de Dieu, « qui efface les pèches du monde », ... le drame de la liberté, disons-nous, est ici également exalté, mais absorbé dans un dessein supérieur ineffable de sagesse, de bonté et de volonté divine qui donne un caractère de salutaire nécessité à la Croix, et donc à la résurrection : « il était nécessaire que le Christ souffrit », « afin qu’il entrât dans sa gloire ».

Il importe de méditer toujours ce mystère pascal ! Il est le pivot de l’économie religieuse mondiale (cf. Ep 1). Méditons-le et revivons-le !

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

18 mai

PÂQUES ET LA FOI

 

Chers Fils et Filles,

 

Nous avons célébré Pâques, le grand événement de la mort et de la résurrection du Christ.

Cet événement est grand et l’on peut dire qu’il est capital sous deux aspects : l’aspect qui concerne Jésus lui-même ; c’est ainsi que Jésus s’est manifesté, qu’il a accompli l’œuvre pour laquelle il était venu au monde. Jésus s’est inséré dans le monde, dans l’histoire, comme « lumière véritable qui éclaire tout homme » (cf. Jn 1, 9 ; 8, 12) ; et tel qu’une flamme qui resplendit dans la nuit qui couvre toute la terre, il fait voir les choses, leur donne un sens, à elles, à l’espace et au temps ; Jésus est le vrai Maître du monde (Mt 23, 8) ; il est le commencement et la fin (Ap 1, 8). A lui tout seul, Jésus-Christ fait de l’univers un spectacle splendide et terrible. Puis, la présence de Jésus, dans le temps, dans l’Evangile, assume une autre importance : le rapport qu’il a avec les hommes, avec nous, avec chacun de nous. Il est notre Sauveur ; et nous ne pouvons rien faire sans Lui (cf. Jn 15, 5).

Il faut bien réfléchir à ce principe. Nous avons besoin du Christ. Comment devons-nous faire pour nous mettre en communication avec Lui et même si nous avions eu le bonheur de vivre à son époque, de nous approcher personnellement de Lui, aurions-nous été capables de le connaître pour ce qu’il était vraiment, de le com­prendre, de pénétrer le secret de son Etre divin ? La découverte du Christ dans sa double nature divine et humaine, et de sa Personne divine, vrai Fils de Dieu, Verbe de Dieu, infini et éternel, aurait-elle été réellement possible ? Puis, nous-mêmes, éloignés de Lui dans le temps et plongés dans l’océan de l’humanité, comment pourrions-nous jamais nous approcher de Lui et goûter l’heureuse fortune d’être distinctement connus et aimés de Lui, d’être sauvés par Lui ? Car c’est là tout le problème à résoudre, celui de notre salut, celui d’être sauvés par le Christ ; comment est-ce possible ? A quoi nous sert de célébrer la Pâque du Seigneur si elle n’est pas, aujourd’hui, ici, actuelle et opérante ? Ce problème, nous ne saurions le résoudre de nous-mêmes ; le Seigneur, Lui l’a rendu admirablement soluble. Ecoutez une des dernières affirmations contenues dans la finale de l’Evangile de Marc : « Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé » (Mc 16, 16). La foi et l’action sacramentelle du Baptême sont les deux conditions fondamentales requises pour pénétrer dans l’orbite lumineuse et réelle de la rédemption chrétienne ; et ce n’est pas peu de chose si nous sommes ainsi associés à rien de moins que la vie immortelle et divine du Christ.

S’il en est ainsi — et il en est réellement ainsi — il est bon de nous intéresser d’abord et avant tout à la foi : qu’entend-on par « la foi » ? comment parvient-on, comment adhère-t-on à la foi ? De nouveau, la question devient grave : « Sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu » (Hb 11, 6). Nous sommes sur le seuil de la religion du Christ : y entre qui croit ! Quelle masse énorme de problèmes religieux trouvons-nous là devant nous ! En ce moment, nous allons à peine effleurer les premières pages de ce livre de la foi ; des pages faciles à résumer en quelques mots très simples, mais qui ensuite, exigeront une longue étude si l’on veut poursuivre l’exploration du mystérieux volume. Déjà la première page, celle à laquelle s’arrête le monde profane se révèle immédiatement ardue et sévère : la foi est un royaume de mystère ; pour nous, durant cette vie qui est encore un apprentissage, une initiation, la foi est une science obscure ; elle ne repose pas sur des arguments rationnellement évidents ; certes, elle est étayée par d’excellentes raisons de crédibilité, tant intrin­sèques qu’extrinsèques ; mais en soi elle est fondée sur l’autorité d’une révélation, sur la Parole de Dieu. Déjà ce caractère de la foi constitue une difficulté pour nous qui sommes tributaires de notre raison, qui sommes portés plutôt à nous déclarer libre-penseurs qu’à admettre des vérités dont l’explication directe nous échappe, oubliant que lorsque la Vérité se manifeste réellement comme telle, nous devons toujours, si nous sommes raisonnables, y adhérer docilement. La foi, certes, est mystérieuse et obscure pour notre esprit ; toutefois, quand il est admis à son école, il entrevoit déjà, au point d’en de­meurer ébloui et heureux, des espaces merveilleux et profonds de beauté et de lumière.

Il en est ainsi toutefois : la foi est un ciel hors de portée pour nos facultés naturelles de comprendre. Certes, elle implique l’adhésion de l’intelligence, mais elle réclame aussi la volonté. Pour croire, il faut le vouloir. Ce qui signifie que la foi est un libre choix. Ceci est un discours de grande importance, spécialement aujourd’hui que le Concile a confirmé cette prérogative de l’homme pensant, même sur le plan religieux; il a en effet, réaffirmé que « tous les hommes sont tenus de chercher la vérité, surtout en ce qui concerne Dieu et son Eglise » (Dignitatis humanae, n. 1).

Nous aurions un troisième point à considérer en examinant ces aspects préparatoires : le bonheur calme et profond que la certitude fait naître dans l’esprit de celui qui accueille la foi avec sagesse et humanité. Mais nous aurons vraisemblablement l’occasion d’y re­venir. Qu’il nous suffise en ce moment de rappeler, comme rayonne­ment du mystère pascal, la foi qui nous le conserve et nous le fait revivre.

Nous le souhaitons, avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

25 mai

LE JUSTE VIVRA PAR LA FOI

 

Chers Fils et Filles,

 

Nous allons relire ensemble la déclaration de Saint Jean l’Evangéliste qui figure au début de sa première Epître, un message que nous trouvons dans les Saintes Ecritures reconnues par l’Eglise. Voici comment il s’exprime :

« Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie ; — car la vie s’est ma­nifestée : nous l’avons vue, nous en rendons témoignage et nous vous annonçons cette Vie éternelle, qui était auprès du Père et qui nous est apparue — ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’an­nonçons, afin que vous aussi, vous soyez en communion avec nous. Quant à notre communion, elle est avec le Père, et avec son Fils Jésus-Christ. Tout ceci, nous vous l’écrivons pour que votre joie soit parfaite » (1 Jn 1, 1-4).

Ce prologue de la merveilleuse lettre apostolique nous amène à considérer un aspect très important de notre religion, c’est-à-dire le témoignage apostolique sur lequel, dans le milieu historique et externe, se fonde notre foi. Le passage que nous venons de lire démontre comment notre foi, c’est-à-dire ce que nous croyons au sujet de l’histoire et de la révélation chrétienne, nous est connue grâce a un témoignage apostolique. Les Apôtres, et avec eux la géné­ration qui vécut à l’époque de Jésus et put avoir de Lui une con­naissance immédiate et sensible, reçurent de Jésus lui-même le man­dat de la transmettre, cette connaissance immédiate et sensible qu’ils avaient de Lui, pour en donner une connaissance indirecte et spiri­tuelle, c’est-à-dire un « témoignage », une foi. Le Seigneur l’avait prédit, avant son Ascension, c’est-à-dire avant de disparaître de la scène de ce monde. Il leur avait dit : « … vous allez recevoir une force, celle de l’Eprit Saint qui descendra sur vous. Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et jusqu’aux confins de la Terre » (Ac 1, 8). Et il en fut ainsi. La première prédication des disciples, devenus Apôtres, et de tous ceux qui ont pris leur suite dans la charge d’annoncer le christianisme au monde, a été un témoignage qu’a rendu persuasif et, à certains moments, irrésistible, un charisme de l’Esprit opérant tant dans les Apôtres que dans leurs auditeurs. Elle témoignait, cette prédication, du fait évangélique de la mort et de la résurrection de Jésus de Nazareth ainsi que de l’interprétation prophétique et théologique de ce réel et stupéfiant événement.

Le témoignage apostolique qui, dans des conditions déterminées, reçoit de manière concomitante l’influence divine de l’Esprit Saint, est la source de notre foi ; celle-ci nous vient par l’intermédiaire du magistère, par voie de transmission extérieure et sociale dans laquelle opère la présence éclairante de l’Esprit Saint : c’est l’Eglise, dans son authentique mission évangélisatrice qui nous donne la foi.

Et l’on reconnaît ici le miracle historique de cette condition dont dépend rien de moins que notre salut et le fait d’être chrétien : « le juste vivra par la foi », nous enseignent les Saintes Ecritures (Ga 3, 11).

Ici, chers Fils et Filles, s’impose une méditation consciencieuse sur cette parole-pivot de notre système religieux, nous voulons dire: la foi. « Sans la foi, il n’est pas possible de plaire à Dieu » (Hb 11, 2). Peu de termes ont subi, sans doute, des interprétations plus variées que celui-là, depuis celle d’un sentiment spirituel et général jusqu’à une autre, d’opinion personnelle aussi imprécise que spécieuse. Aujourd’hui toute utilisation subjective semble devenir légitime. Chacun se croit autorisé à supprimer ce terme dans le langage scien­tifique, alors que dans un sens purement naturel, la foi domine tout enseignement scolaire et rationnel. De même tant d’intelligences modernes, lorsqu’elles admettent un langage de quelque manière spirituel, donnent au terme « foi » une signification imprécise et complaisante de vague sentimentalisme religieux. Ce terme prend alors un sens à peu près synonyme de pénombre, de doute, d’in­quiétude intérieure quand ce n’est pas de tourment et de vaine attente d’une lumière autant désirée dans son réconfort sincère que repoussée dans ses exigences logiques. La pensée protestante au sujet du « libre-examen » réhabilite cette grande parole de « foi » et lui donne la dimension d’une conviction religieuse ; mais, décrochée d’un ma­gistère autorisé et permanent, celui de notre Eglise catholique, que devient-elle ? Elle devient une opinion subjective, privée d’autorité supérieure ; elle devient une évasion dans un pluralisme équivoque ; elle devient une foi nominale et élastique, ouverte à trop d’insigni­fiantes adaptations. Ce n’est plus le trésor divin pour lequel tant d’hommes ont donné leur vie ; ce n’est plus la lumière matinale de la vie chrétienne qui permet d’avoir d’avance quelque lueur de la Vérité divine (cf. 1 Co 13, 12) et qui soutient effectivement la vie morale et intellectuelle. Et ainsi de suite.

En nous souvenant du mystère pascal, et comme prélude à la fête dont nous sommes tout proches, la Pentecôte, essayons tous de ra­fraîchir notre foi, approuvée par le magistère vivant de l’Eglise. Et s’il le faut, faisons nôtre cette prière de l’humble personnage de l’Evangile : « Je crois, ô Seigneur, mais Toi, aide-moi dans mon in­crédulité » (Mc 9, 24).

Ainsi soit-il ! Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

1er juin

PENTECÔTE, NAISSANCE DE L’ÉGLISE

 

Chers Fils et Filles,

 

Nous avons célébré la grande fête de Pentecôte. Pourquoi gran­de ? Saint Jean Chrysostome la définit : « la métropole des fêtes » (PG 50, 463) Grande, parce qu’elle inaugure la religion nouvelle, la religion de l’Esprit, une nouvelle forme de rapports entre la Divinité et l’humanité ; et grande parce que c’est cette mission de l’Esprit Saint qui donne la vie à l’Eglise, au Corps mystique du Christ. La Pentecôte est la naissance de l’Eglise.

Ce terme « Eglise » qui, historiquement, a dans l’Ancien Testa­ment un sens limité et profane, et indique simplement une assem­blée, une réunion, une convocation de gens, a pris, dans le Nouveau Testament, une signification nouvelle, précise et qualifiée, celle de multitude réunie par un lien réel et spirituel, celle de société de fidèles, de croyants, gouvernée par un appel divin et par une autorité pastorale. Pour nous, ce terme a une signification reli­gieuse complexe. Il caractérise ce groupe, ou mieux cette partie de l’humanité qui a accueilli une vocation intérieure et a suivi un guide extérieur autorisé pour rencontrer le Père, par le Christ notre Sauveur, « avec la lumière et la force de l’Esprit Saint » (cf. Jn 14, 23).

Nous nous bornerons, en ce moment, à esquisser simplement quel­ques notions élémentaires qui nous donnent une idée descriptive de ce qu’est l’Eglise. Et même cela n’est guère facile. Il semble que le Concile lui-même ait renoncé à nous donner une liste complète des termes qui désignent l’Eglise dans le langage religieux commun. Les images se multiplient pour nous suggérer quelque concept de cette immense vision évangélique du Royaume de Dieu dans laquelle est représentée l’Eglise, et pas seulement elle. Le Concile évo­que la figure du troupeau dont le Christ est le pasteur; celle du champ de Dieu ; celle d’édifice de Dieu ; celle de famille de Dieu, de Temple de Dieu et même celle d’épouse du Christ ; puis, enfin celle de Corps Mystique du Christ (Lumen Gentium, n. 6 et 7). Alors, facile à saisir, intervient le concept essentiellement complé­mentaire de l’animation de ce corps, un concept qui se réfère à l’Eglise. Certes, celle-ci est un corps social, humain, une commu­nauté d’hommes, mais elle n’est pas que cela; elle est un corps vivant, animé par une Présence, par une Energie, par une Lumière, par une Activité, c’est-à-dire, précisément, par l’Esprit du Christ (cf. Rm 8, 77 ; 2 Co 12, 9). Pour notre culture religieuse, nous avons toujours à nous rappeler l’Encyclique Mystici Corporis ainsi que les documents du Concile ; puis encore les « Méditations sur l’Eglise » d’Henri De Lubac et « L’Eglise est une communion » de Jérôme Hamer.

Nous disons ceci pour que s’anime, que se perfectionne en nous ce vrai concept de l’Eglise qui, à peine énoncé, doit transformer notre mentalité de croyant, que tant de laïcisme, tant de matéria­lisme menace aujourd’hui d’obscurcir et de priver d’un de ses élé­ments de la plus haute importance, c’est-à-dire : la connaissance de nous-mêmes, l’éternel problème de la pensée humaine : « Connais-toi toi-même » se complique d’une extraordinaire nouveauté introduite dans notre être — déjà par lui-même si mystérieux — cette nou­veauté étant précisément l’Esprit Saint qui vient habiter en nous : « Ne savez-vous pas, écrit Saint Paul aux Corinthiens, que vous êtes un temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » (1 Co 3, 16). Mais observons bien le résultat de cette hospitalité qui nous offre l’immense privilège d’arbitrer le Saint-Esprit en nous : le privilège est comparable à une lumière allumée dans une chambre obscure ; rien n’est modifié, rien n’est touché, mais tout acquiert une figure, une position, une fonction, un nom : tout devient clair et donne la joie. C’est le mystère de la grâce ; c’est le mystère de l’Eglise qui est source de lumière ; la Lumière divine de l’Esprit reflète en sept faisceaux les dons de l’Esprit Saint : faisceaux d’in­telligence, faisceaux d’amour dans l’humble cellule de la psycho­logie humaine si infantile ou primitive soit-elle.

Ce n’est pas facile à dire ; il est probablement plus facile d’en avoir quelqu’expérience, même dans la vie modeste et commune du chrétien fidèle. Nous devons tous aspirer à cette condition pri­vilégiée de vie, y aspirer avec cette intention que nous tous cul­tivons en nous-mêmes, celle de vivre toujours dans la grâce de Dieu. Et nous devons ajouter à ceci, un culte supérieur et ardent rendu à l’Esprit Saint que Lui-même, le Paraclet, alimentera si nous nous souvenons de l’exhortation de Saint Paul : « N’éteignez point l’Esprit ! » (1 Th 5, 15).

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

8 juin

QUE TOUS SOIENT UN

 

Chers Fils et Filles,

 

Nous suivons le fil des pensées qui découlent de la célébration du grand mystère de la Pentecôte. Il est la continuation de l’Evan­gile ; il est l’héritage du Christ dans le monde. Il vaut mieux encore dire qu’il consiste en l’effusion de l’Esprit Saint, Dieu Amour vivi­fiant, la troisième Personne de la Très Sainte Trinité, dans les hom­mes qui reçoivent ainsi l’hospitalité au sens passif, de l’Hôte divin qui les sanctifie et les unit. Avec « la communication de l’Esprit Saint » (2 Co 13, 13) se réalise l’animation de l’Eglise qui acquiert ainsi son unité vraie et surnaturelle « en s’appliquant, com­me nous l’enseigne Saint Paul, à conserver l’unité de l’Esprit par ce lien qu’est la paix » (Ep 4, 13). Et l’Apôtre ajoute : « Il n’y a qu’un Corps et qu’un Esprit comme il n’y a qu’une espérance au terme de l’appel que vous avez reçu ; un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous qui est au-dessus de tous, par tous et en tous » (ib. 4-6). Cette conséquence de la présence de Dieu dans les croyants, dans les fidèles, dans l’humanité sanctifiée par la grâce et organisée en un corps social qui s’appelle l’Eglise, cette unité mystérieuse et réelle marquent le sommet des désirs du Christ au regard de son oeuvre de Frère de tous les hom­mes (Mt 23, 8), de Maître Universel (ib.), de Sauveur (Lc 2, 11 ; Jn 4, 42 ; 1 Tm 4, 10 ; etc.). Ceci, d’ailleurs Il l’a affirmé et synthé­tisé dans la prière testamentaire que, la nuit précédant la Passion, il a répétée quatre fois : « Que tous soient un » (Jn 17, 11, 20, 21, 22).

Ce n’est pas que cette unité mystique, qui prend modèle dans l’unité divine et qui intercède entre le Père et le Fils, exclue les diverses articulations et fonctions qui distinguent les hommes com­posant le Corps du Christ qu’est l’unique Eglise ; la doctrine aposto­lique explique que, comme organes distincts d’un même Corps, le Christ lui-même « a donné aux uns d’être apôtres, à d’autres d’être prophètes, ou encore évangélistes, ou bien pasteurs et docteurs, organisant ainsi les saints pour l’œuvre du ministère en vue de la construction du Corps du Christ » (Ep 4, 12 ; 1 Co 12, 4 et ss.).

Mais l’unité, avant tout. C’est tellement vrai que Jésus lui-même admet la possibilité d’exclure de la communion fraternelle celui qui, après des appels répétés, s’y est montré réfractaire (Mt 18, 15-17).

Maintenant, cette réflexion au sujet de l’unité que le Christ a voulue pour ceux qui puisent en Lui leur foi, leur raison d’être, doit éclairer notre profession religieuse ; nous ne saurions avoir de rapport avec Dieu — c’est encore Lui qui nous en avertit — si nous n’avons pas des relations pacifiques avec notre frère (Mt 5, 23-24). Ceci est un des principes dynamiques de l’œcuménisme moderne. C’est une exigence pour la paix du monde. Un des princi­pes les plus clairs de l’Evangile est qu’il faut s’abstenir de toute vengeance personnelle, qu’il faut exclure toute haine tribale, toute haine entre frères ; dans cette prière fondamentale que Jésus Lui-même nous a enseignée, nous disons à Dieu le Père : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont of­fensés. S’écartent donc des voies du Seigneur ceux qui provoquent des fractures ou des discordes dans l’association harmonieuse et unitaire du Corps mystique du Christ. Rappelons-nous toujours l’exhortation de l’Apôtre : « Je vous en conjure, frères, par le nom de notre Seigneur Jésus-Christ, qu’il n’y ait point parmi vous de divisions (schismes) ; soyez bien unis dans le même esprit et dans la même pensée » (1 Co 1, 10).

Le ton plein d’autorité de cette leçon devrait nous inciter à ré­fléchir sur la signification qu’a prise, dans notre langage et dans nos habitudes, le mot « pluralisme » ; ceci à cause d’une conception philosophiquement inexacte de la liberté considérée comme arbitre autonome, dégagée de la norme qui doit l’ennoblir et la diriger, c’est-à-dire de la vérité (Jn 8, 32), et non comme élection et adhé­sion personnelles à ce que l’esprit juge bon et vrai.

Et cette rapide considération nous ramène sur le chemin d’où nous sommes partis : à l’unité qui naît en nous comme invitation et conséquence de l’Esprit et qui nous éclaire les voies du salut pré­sent et du salut éternel.

Répétons avec l’Eglise, la merveilleuse invocation à l’Esprit Saint : Lumière bienheureuse, illumine les profondeurs intérieures de tes fidèles.

Nous le souhaitons ; avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

15 juin

SE NOURRIR DE L’EUCHARISTIE

 

Chers Fils et Filles,

 

Avez-vous, vous aussi, célébré dimanche dernier, la fête du Corpus Domini, la Fête-Dieu ? C’est-à-dire la fête liturgique solennelle de l’Eucharistie qui, d’une certaine manière, synthétise l’itinéraire religieux qui nous a conduit à l’union, et même, à la Communion avec le Christ ? Eh bien, vous avez tous, certainement compris que nous sommes arrivés à un sommet de notre démarche : nous sommes arrivés à Lui, à sa présence cachée mais réelle, mais toujours dans le cadre du temps qui passe et ne change pas ; qui au contraire, affirme sa fugacité et nous entraîne vers l’avenir, vers notre mort corporelle, vers l’océan mystérieux de l’autre vie. L’Eu­charistie, soit comme sacrifice rappelant la Passion de Jésus pour notre mort corporelle, vers l’océan mystérieux de l’autre vie. L’Eu­charistie, soit comme sacrifice rappelant la Passion de Jésus pour notre rédemption, soit comme Sacrement de sa Table divine, n’est pas, pour nous, la dernière rencontre. Elle demeure comme gage et promesse d’une vie future, dans la plénitude de la joie de notre incorporation au Christ glorieux. Ceci indique que la rencontre eu­charistique peut et doit se répéter. Jésus a voulu se représenter sous les apparences du pain, comme pour nous stimuler à le dé­sirer, à le recevoir encore, à faire de Lui un aliment qui doit nous donner le désir et la joie de renouveler la com­munion qu’il nous permet d’avoir avec lui. Ceci nous paraît une conclusion du moment eucharistique : sublime et habituel ; extraordinaire et ordinaire ; nous obligeant donc à vivre dans un climat vraiment surnaturel, même si aujourd’hui, notre existence reste terrienne, coutumière, mortelle. Une fois de plus, une parole de Saint Augustin semble résumer parfaitement ce dualisme, humain divin de la vie chrétienne alimentée par l’Eucharistie : « sic vive, ut quotidie possis sumere » ; vis de telle manière que tu puisses chaque jour te nourrir de l’Eucharistie (cf. Cath. ad Par. de Eucb. Sacr., n. 60). Cette spiritualité, surveillée et excitée par la proxi­mité et la facilité de la rencontre eucharistique, peut être la source d’une authenticité chrétienne dont un vrai fidèle doit faire son programme.

Une seconde conséquence de l’introduction de l’Eucharistie dans notre style de vie concerne la bonne entente et la bonté qui doi­vent caractériser nos relations sociales avec les personnes de notre entourage. Jésus nous enseigne que nous ne saurions accomplir dignement un acte religieux si nous ne sommes pas réconciliés avec notre frère (Mt 5, 23). Comme le monde serait transformé si cette discipline découlant de l’Eucharistie était d’application générale ! Du reste, elle l’est déjà par tant d’âmes évangéliques et généreuses qui vivent dans un continuel exercice de charité d’oblation, de sacri­fice silencieux. Et elles le vivent justement en vue du moment de la sainte communion qui luit et brûle comme une lampe dans leur for intérieur !

Cette relation entre la célébration eucharistique et la dignité, la pureté, l’innocence de l’âme chrétienne, est la première et perma­nente recommandation que l’Apôtre Paul — à qui nous pourrions attribuer la qualité de premier évangéliste de l’Eucharistie — a faite dans le célèbre récit de la « synaxe » liturgique aux premiers moments du christianisme. Il vaut la peine de relire ce texte béni. De fait, Saint Paul a écrit, dans sa première Epître aux Corinthiens : « Pour moi, en effet, j’ai reçu du Seigneur ce qu’à mon tour je vous ai transmis : le Seigneur Jésus, la nuit où il était livré, prit du pain et, après avoir rendu grâces, le rompit et dit : « ‘Ceci est mon corps, qui est pour vous ; faites ceci en mémoire de moi.’ De même, après le repas, il prit une coupe en disant : ‘Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang ; toutes les fois que vous en boirez, faites-le en mémoire de moi’. Chaque fois en effet que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne ». Suivent alors ces très graves paroles : « C’est pourquoi, quiconque mange le pain ou boit la Coupe du Seigneur indignement aura à répondre du corps et du sang du Seigneur.

Que chacun donc s’éprouve soi-même, et qu’il mange alors de ce pain et boive de cette coupe ; car celui qui mange et boit, mange et boit sa propre condamnation, s’il n’y discerne pas le Corps ».

Avec quelle conscience sincère, avec quelle tremblante humilité, avec quelle humble confiance devrons-nous donc diriger nos pas vers Jésus Christ dans l’Eucharistie !

Ceci, il faut que chacun de nous se le répète, pour que le grand Sacrement soit vraiment pour nous l’heureux viatique pour la vie éternelle !

Avec notre Bénédiction Apostolique !

 

 

 

22 juin

RENOUVELONS NOTRE ENGAGEMENT HUMBLE, FORT, FIDÈLE

 

Chers Fils et Filles,

 

Une pensée nous domine, ici, près de la tombe du premier Apôtre, de celui a qui le Seigneur a dit, avec spirituelle so­lennité, les célèbres et ineffaçables paroles : « Tu es Pierre ; et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise » (Mt 16, 18) : cette pensée est celle de l’Eglise.

Nous ferons bien de laisser cette pensée nous dominer. Elle contient de nombreux secrets ; des secrets qui nous concernent. Et avant tout, le secret de nos véritables, inéluctables, inépuisables rapports avec Dieu. Tout de suite, le mystère attire et éblouit notre regard. Pouvons-nous faire fi de ce besoin de la solution duquel tout dépend ? : notre intelligence du monde, du temps, de notre destin. On peut ignorer, on peut nier la religion ; mais sa réalité, son exigence demeurent, s’imposent ; elle est la clé qui permet de saisir quelque chose du sens de l’univers ; elle est la lumière qui, comme le soleil illumine le monde, éclaire l’histoire, le bien et le mal, l’esprit humain, la vie, notre vie. Sous l’éclairage de la religion toute chose acquiert un sens, même si celui-ci dépasse notre en­tendement, et nous fait entrevoir des profondeurs qui accroissent le sens universel du mystère ; mais ce n’est plus un mystère d’obscu­rité : c’est un mystère ouvert à la pensée, à la joie de la connaissance, à la découverte des trésors inépuisables de la science. Commençons par fixer dans notre esprit cette conviction : la religion est lumière.

Puis, presque d’elle-même, la pensée prend des ailes et survole l’histoire, l’humanité, le monde et ses vicissitudes. Et sous cette vision panoramique se profile un dessein précis : c’est une voie longue et disjointe, mais qui maintient toujours sa direction, enre­gistrée dans un livre en deux volumes, la Bible avec son Ancien et son Nouveau Testament : le grand, le dramatique poème de la Révélation qui se concentre sur le Christ. Le mystère se révèle à un nouveau degré de réalité. Nous ne pourrons jamais arriver au bout de notre lecture, de notre étude, de notre méditation au sujet de la Parole qui s’est faite Homme, du Verbe qui s’est fait chair et qui, avant de quitter la brève scène de sa prodigieuse histoire, nous a laissé deux choses : l’Eglise et l’Esprit qui deviennent l’âme d’une histoire bivalente, l’histoire de l’humanité réunie en assem­blée, en Eglise, en société humaine ; et cette société humaine ne connaît plus de subdivisions de lieux et de temps, elle est une, unique et universelle ; elle est un seul corps composé de tous les hommes qui ont le bonheur d’y participer; l’Eglise réunie, disions-nous, et nous ajoutons : animée ; animée, oui, par l’Esprit Saint, Dieu-Amour vivifiant le Corps de l’Eglise qui est le Corps mystique du Christ : le Christus totus comme disait Saint Augustin, et que nous sommes, nous, en vertu de cette vie dans le Christ qui durera non seulement au-delà de notre mort corporelle, mais ensuite, pour toute l’éternité.

Et la pensée retourne sur elle-même et se fait conscience. Elle nous interroge intérieurement, jusqu’à nous faire trembler. Nous, oui nous, sommes-nous vraiment chrétiens ? Quels rapports de foi et de grâce nous unissent-ils à cette fatidique et bienheureuse Eglise de Dieu ? Sommes-nous catholiques ? de nom ou dans la réalité de notre vie ? l’Eglise est-elle vraiment notre Mère, notre Maîtresse ? est-elle vraiment notre confiance, notre barque pour le grand voyage sur la mer agitée du monde présent ?

Frères, que ceci soit un moment décisif pour notre vie. Renou­velons ici, sur la tombe de Pierre, notre engagement humble, fort, fidèle : oui, nous serons fidèles ! son Eglise sera notre sagesse, notre concorde, notre école de charité.

Que de joie pour notre vie tout entière !

Qu’il en soit ainsi, avec notre Bénédiction Apostolique !

 

 

 

6 juillet

ECLAIRER LE CHEMIN DE VOTRE VIE

 

Chers Fils et Filles,

 

Quand nous voyons devant nous l’assemblée que vous formez, visiteurs fidèles désireux de voir le Pape et d’entendre sa pa­role, ou encore pèlerins curieux de faire l’expérience de cette rencontre avec nous et de tirer de cette brève présence à une audience du Pape des conclusions au sujet de graves problèmes, plutôt dif­ficiles à résoudre en se basant sur la simple et immédiate impression découlant de ce moment singulier, nous nous sentons heureux et ému, toujours surpris par une extraordinaire vision : celle de vos âmes ouvertes devant nous comme des livres personnels sur lesquels il nous semble pouvoir lire une question simple, mais décisive ; une question qui nous reste en mémoire pour l’avoir lue dans les pre­miers chapitres de l’Evangile, là où les auditeurs du solitaire et sage évangélisateur du désert jordanien, Jean le Baptiste, lui de­mandent : « Que nous faut-il donc faire ? » (Lc 3, 10-12).

Oui, chers visiteurs, nous avons le sentiment de pouvoir lire une demande semblable dans vos âmes. Vous nous demandez une parole qui vous oriente, qui console, rafraîchisse, dirige vos esprits et éclaire ainsi le chemin de votre vie. Nous croyons ne pas nous tromper. Vous êtes ici, avides de recevoir des directives spirituelles qui puissent guider votre existence et donner toute sécurité à votre navigation sur la mer agitée de l’expérience quotidienne, as­surant la direction générale de votre démarche dans la vie.

Cette noble curiosité peut se considérer comme un phénomène normal et général. Se rendre à une audience du Pape provoque en toute personne consciente le réflexe d’une interrogation intérieure : quel est — demande en effet une personne consciente — ma posi­tion effective devant celui qui se définit « Vicaire du Christ ? » Position tranquille, position cohérente, position soumise, ou posi­tion indifférente, peut-être même polémique ? La seule présence du Pape est déjà une provocation à faire le point, le point morale­ment astronomique, et, à définir, intérieurement et consciemment, où en est notre existence sur le plan spirituel. Et nous, en vous parlant, en vous saluant, en vous bénissant, nous sommes cons­cient de tous ces états d’âme et nous voulons, avec l’aide du Christ opérant dans notre ministère, vous donner ce moment de lumière, d’énergie, de béatitude qui correspond à nos intentions et à vos besoins spirituels particuliers. Dieu veuille qu’il en soit ainsi, avec l’abondance, la plénitude propre à la bonté divine qui, à cet effet, daigne se servir de notre ministère apostolique !

Nous ne saurions toutefois négliger la situation morale de l’heure présente tant sur le plan religieux que sur celui des mœurs publiques. Observez ceci : nous nous trouvons dans une période terriblement agitée en ce qui concerne les principes de base du style moral et religieux dont nous devons supposer la présence aux sources de notre conscience opérante. Existe-t-il encore des prin­cipes-pivots de notre manière d’agir ? Ou bien, dans notre style de vie ne domine-t-il pas une série d’axiomes négatifs qui privent notre navigation pratique sur la mer des mœurs modernes de tout gouvernail, de toute exigence, de toute distinction entre le bien et le mal, de tout impératif volontaire de droiture, de toute suprématie contraignante des valeurs religieuses ? Nous-mêmes, ne sommes-nous pas souvent « relativistes », c’est-à-dire enclins à nous adapter à l’opportunité, à l’intérêt personnel, à l’indifférence au sujet de la valeur éthique de nos actions ?

Eh bien, devant une telle situation qui se généralise et s’aggrave chaque jour, avec une ignorance progressive soit du sens du de­voir, soit de la sensibilité religieuse, soit de la fierté personnelle dans le cadre de nos besoins propres ou de ceux d’autrui, que pou­vons-nous vous dire aujourd’hui pour répondre à votre désir tacite de recevoir de nous une effusion de lumière ? Ce n’est pas une parole seule que nous aurions à vous dire ; mais tant, et tant ! Nous nous limiterons à vous en dire deux. Les voici : premièrement la nécessité d’un ordre moral dérivant d’une conscience au courant de la grande doctrine du bien et du mal. Nécessité, disons nous en pensant à la Croix ! Deuxièmement, la facilité relative de la morale voulue et observée ; nous dirions mieux, la félicité qui naît d’être bon, avec la grâce divine. Jésus lui-même l’a dit : « Oui, mon joug est aisé et mon fardeau léger » (Mt 11, 30). Frères et Filles ! Faisons-en tous l’épreuve !

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

13 juillet

L’IMPORTANCE DE LA CONSCIENCE MORALE

 

Chers Fils et Filles,

 

Ce que nous voulons vous dire pour donner également à cette rencontre spirituelle momentanée qu’est notre audience un noyau de bonnes pensées qui exhortent, qui régénèrent, qui mé­ritent d’être rappelées et personnellement ré-élaborées, est extrê­mement simple et nous l’avons, plusieurs fois déjà, soumis à l’attention de nos auditeurs : il s’agit d’un thème, ancien mais toujours neuf, celui de la conscience et, précisons-le tout de suite, de la conscience morale.

La raison de ce choix peut être cherchée au sommet de notre office pastoral : n’avons-nous pas en effet, pour tâche de parler de science de la vie, qui est celle de bien vivre ? Et nous pasteurs d’âmes, que désirons-nous, sinon que nos fidèles nous écoutent et nous suivent sur les sentiers de la vertu chrétienne ? (cf. Jn 10, 14).

On peut en voir le motif également dans une intention plus modeste plus immédiate, celle de vous rendre attentifs et fidèles à cette commune norme de vie — si précieuse et si souvent con­tredite aujourd’hui — qui s’appelle l’honnêteté, la bonne conduite, la dignité du comportement personnel.

Que la chronique de notre vie publique soit pleine de faits cri­minels, que la délinquance soit largement répandue, que la vie in­correcte soit une voie ouverte à tant le personnes que nous prenons pour des gens de bien, que la fausseté des mœurs civiles soit admise comme art de soigner ses propres intérêts ou de couvrir des actes vicieux, que trop de jeunes enfin se laissent entraîner à des formes déplorables et dégradantes d’une conduite insensée, il serait difficile de nier cette décadence de la moralité publique que rap­portent amplement tous les moyens modernes de communication sociale.

On dirait que les normes de la moralité se sont affaiblies, que l’éducation civique admet désormais un abaissement vulgaire de la coexistence et que les anciennes lois de la civilisation et de l’hon­nêteté ne sont plus désormais que des formalités pédantes et péri­mées.

Que s’est-il passé ? Il est difficile de le dire en termes suffisam­ment précis, mais il est facile d’observer que ce ne sont pas seu­lement les formes extérieures mais également celles, intérieures, personnelles, de la vie moderne qui sont généralement discréditées. Sont en faveur aujourd’hui les formes de ce qu’on appelle la per­missivité qui, malheureusement, n’attaque pas seulement le vernis apparent des coutumes civiles, mais se glorifie de détruire — et elle le fait — l’armature éthique et publique de la coexistence actuelle jusque dans les principes supérieurs mêmes de la civili­sation humaine.

Il ne s’agit pas, en ce moment, de juger le monde ; contentons-nous d’exiger pour nous-mêmes le respect de notre dignité person­nelle et d’avoir conscience, toujours plus fortement, de notre propre devoir d’être humain et de chrétien. Il n’est pas inutile de rappeler la double expression de la conscience qui, comme l’ensei­gnement les maîtres, peut être psychologique ou morale. C’est là, une distinction importante. La conscience psychologique est une connaissance-réflexe de soi-même qui aujourd’hui peut évoluer, être maintenue en forme grâce à la culture, à l’environnement com­munautaire qui stimule cette réflexion psychologique dont nous ne parlerons pas en ce moment. C’est la conscience morale qui fait l’objet de cet entretien: elle est d’une importance capitale pour la conception de la vie que nous voulons servir et à laquelle nous voulons éduquer. Le « connais-toi toi-même » de la philosophie antique a dans la conscience morale sa plus complète et sa plus haute expression en raison d’un aspect essentiel et décisif du développement de la personnalité humaine. Pourquoi ? parce que dans cette forme de conscience, l’esprit est guidé par une ten­dance naturelle, que les philosophes classiques appellent « syndérèse », à recourir intérieurement à des principes innés concernant l’agir humain, principes qui dépassent les limites de la sphère subjective et s’adressent à l’origine de l’activité consciente : ils tendent au rapport personnel de l’être humain avec l’Absolu, au rapport avec Dieu. La conscience morale se mesure donc à la rela­tion entre le Bien et le Mal; elle guide l’homme vers sa source et vers son terme et donne à l’esprit le sens — qui sera alors un jugement — de sa responsabilité transcendante (cf. St Thomas 1, 79 et 12 ; 5-55, 94, Id E).

Perception extrêmement importante, disions-nous, sur laquelle se fonde l’évolution morale de notre esprit et donc de notre cons­cience morale.

Celle-ci, Fils bien-aimés, n’est pas une source de problèmes inutiles et fastidieux comme les scrupules, l’incertitude devant l’action, l’involution psycho-éthique de l’âme ; mais elle est sim­plement la conscience de l’homme en tant qu’homme et pour nous chrétiens, en tant que chrétiens. Celui qui a l’habitude d’insérer dans sa prière, c’est-à-dire dans son entretien avec Dieu, un examen de conscience, sait quelle force, quelle clarté, quelle source d’autonomie personnelle peut jaillir d’un tel examen qui a pour miroir l’œil de Dieu.

Essayez-le. Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

20 juillet

L’ACTION ÉCLAIRÉE PAR LA FOI

 

Chers Fils et Filles,

 

Une des pensées qui pénètrent dans l’esprit lorsqu’une pause dans les occupations extérieures permet de réfléchir consciencieuse­ment sur soi-même, concerne les principes de l’activité personnelle, comme lorsqu’on se demande : « que fais-je » ? et spécialement : « pourquoi le fais-je ? quels sont les motifs de mon action ? ». Les motifs peuvent être nombreux et, d’habitude, ils dépendent l’un de l’autre; ils sont hiérarchisés. Ainsi, par exemple, on travaille pour gagner son salaire ; et le salaire pour vivre.

D’où la demande : quel est le motif, quel est le but, supérieurs à tous les autres, qui donnent à une vie sa qualification profes­sionnelle ou, mieux, morale ? Le but en soi, l’objectif général de l’activité, c’est de faire le bien. Mais quel bien ? le moral ? le bien pour soi-même ? le bien utile ? le bien agréable ? le bien facile ? le bien possible ? L’honnêteté naturelle de notre vie dépend de cette réponse fondamentale : la valeur morale de notre existence est fonction du but principal et supérieur qui la guide.

Une question qui paraît facile, mais qui pose tant de problèmes auxquels les hommes, ceux qui sont braves et bons, savent sou­vent donner des réponses magnifiques mais toujours incomplètes par rapport aux fins globales. Il y a ceux qui se contentent d’édifier la moralité humaine dans sa dimension purement naturelle, même si elle est dilatée jusqu’à ses limites extrêmes (cf. Térence « Homo sum, nihil a me alienum puto »). D’ailleurs, est-ce vraiment et toujours possible ? Il y a ceux qui refusent d’admettre le moindre principe moral absolu : le « permissivisme » moderne empêche tout recours à des normes supérieures et contraignantes.

Et nous chrétiens ? Certes, nous sommes pour la primauté de la liberté ; mais d’une liberté en correspondance, en cohérence avec le devoir. Mieux encore, nous avons une conception religieuse de la perfection humaine, de la justice au plein sens du mot ; nous estimons que celle-ci ne peut nous être donnée que par le Christ, par la foi qui nous prescrit une justice surnaturelle, et qui nous apporte l’aide, la grâce pour être vraiment bons. Rappelons-nous toujours les paroles de Saint Paul : « L’homme juste vivra par la foi ».

De la foi, nous devons tirer les principes normatifs et les prin­cipes pratiques de la vie juste et bonne (cf. Ga 3, 11).

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

27 juillet

UNE, SAINTE, CATHOLIQUE, APOSTOLIQUE

 

Chers Fils et Filles,

 

De quoi allons-nous parler pendant ce bref moment de conver­sation ? De l’Eglise, naturellement. Une visite à Rome, comme votre visite de pèlerins, une visite d’étrangers, fait certainement naître spontanément dans votre esprit la curiosité, le désir de vous faire une nouvelle idée, une idée plus claire que celle que vous avez de cette grande et mystérieuse institution qu’est l’Eglise ; vous pensez, en effet que là où l’Eglise a son centre, là où vous pouvez rencontrer le Pape, le Chef de l’Eglise, vous pourrez avoir une connaissance directe, plus complète, plus exacte, plus mémo­rable de l’Eglise même. Il en est ainsi, précisément. Nous vous suggérons, pendant votre séjour à Rome, de répéter, du fond du coeur, les paroles si souvent répétées du Credo de la Messe domi­nicale : « Je crois... ». En ce lieu, cette expression acquiert une gravité particulière : « Je crois en l’Eglise, une, sainte, catholique et apostolique ».

Que ces paroles vous soient chères. Ce sont des paroles de vie. Elles semblent répondre à une question très simple et cependant très difficile. Qu’est-ce que l’Eglise ? Il ne suffit certainement pas de répondre que l’Eglise est l’édifice sacré où l’on va prier. Puis vous entendez, au sujet de l’Eglise, les définitions les plus étranges, les plus arbitraires, généralement incomplètes et partiales, parfois même blessantes. Vous êtes, à notre avis, tous baptisés ; vous ap­partenez donc à l’Eglise. Eh bien, qu’est-ce que l’Eglise ? Le Con­cile Vatican II, célébré il y a quelques années, en a donné plu­sieurs définitions plutôt descriptives qui font voir la richesse, la profondeur, la beauté de ce terme : « l’Eglise ». Les Maîtres de la religion, les Evêques, les théologiens et d’autres experts ont eu également des mots merveilleux et profonds à son sujet et il n’est pas facile de les répéter, de les résumer : on a dit, par exemple, que l’Eglise est le dessein de Dieu sur l’humanité, qu’elle est le royaume de Dieu dans le monde, l’œuvre de Dieu, l’édifice que Dieu bâtit dans l’histoire ; elle est le Peuple de Dieu ; elle est l’Alliance de Dieu avec les hommes ; elle est le Corps mystique du Christ... Des idées grandioses, des idées immenses qui ont ceci de particulier que, du fait qu’elles sont des idées divines et universelles, elle nous con­cernent aussi de manière toute spéciale, et investissent notre destin. Nous ne pouvons faire abstraction du concept d’Eglise pour définir en quelque mesure notre être même, notre vie, notre sort. Nous sommes l’Eglise. C’est-à-dire que nous sommes « appelés » ; Eglise signifie convocation, signifie appel, signifie réunion du peuple (cf. Dt 9, 10 ; Ac 19, 32) ; signifie l’humanité réunie par la voix et par la grâce de Dieu, par le Christ, dans l’Esprit Saint (cf. Ac 2, 39 ; Rm 8, 30 ; cf. Bellarmin, De Eccl. militante, I ; voici la définition de Bellarmin : « L’Eglise est la communauté de tous les fidèles »).

La première intention divine qui engendra l’Eglise est donc celle de communauté, puis mieux, celle d’unité. En fait, une communauté compacte et bien agencée comme un édifice parfaitement construit ; souvenez-vous de l’idéal de Jésus : « J’édifierai mon Eglise » (Mt 16 18). Rappelez-vous que cette unité Jésus lui-même l’a proclamée dans ses ultimes paroles, celles de la prière ineffable, la nuit précédant la Passion, après la Cène : « que tous soient une seule chose » (Jn 17, 11, 21, 22). Ici est le mystère : Jésus le fait comprendre en déclarant que cette unité, propre aux disciples du Christ, jaillit de l’unité même du Fils avec le Père et qu’elle est donc insondable pour notre pensée ; nous devons la proclamer et nous devons la vivre : mois nous ne pourrons pas la comprendre ; nous devons « la croire ». De fait, ces prérogatives propres de l’Eglise : « une sainte, catholique et apostolique » dont nous avons parlé, peuvent revêtir deux significations : l’une, celle de propriété caractéristique de l’Eglise, c’est-à-dire manière d’être, qualités inhérentes à la nature de l’Eglise ; et en ce sens, elles sont des vérités mystérieuses que seule la foi recueille, médite et cé­lèbre ; l’autre signification est, par contre, celle qui découle de leur manifestation extérieure et, sous cet aspect, ces paroles bénies de­viennent des « notes », comme on le dit. C’est-à-dire des signes qui, humainement, peuvent se connaître et illustrent, pour ceux qui sont capables de l’observer, la splendeur miraculeuse de l’Eglise (cf. Journet L’Eglise... II, 1193, et ss. ; Bossuet, Lettre sur le mystère de l’unité de l’Eglise), de l’Eglise qui est, répétons-le une, sainte, apostolique et catholique.

Voici, Fils et Frères : nous vous exhortons à recueillir ce témoi­gnage de l’Eglise sur elle-même ; et, aujourd’hui, au sujet de sa première qualité, celle de l’unité ; ici à Rome, près de la tombe de l’Apôtre Pierre, et précisément dans cette période de la vie de l’Eglise, si agitée, si opprimée et cependant si certaine d’elle-même ; fixer aujourd’hui votre attention sur cette première « note » qui atteste clairement l’origine divine de l’Eglise; nous disions : son unité. L’unité de l’Eglise et dans l’Eglise nous fait penser à la source dont elle provient : de Dieu Lui-même ; puis du Christ Chef de l’Eglise et identifié dans toute sa plénitude avec sa seule et unique Eglise ; et l’Esprit Saint, âme incréée de l’Eglise, qui alimente sa vie, qui est la grâce, qui est la charité.

Vous sentirez naître en vous-même la nostalgie de l’unité de l’Eglise ; de l’œcuménisme, par exemple, impatient de se recom­poser dans la paix d’une seule foi, sous la direction d’un seul Pasteur (Jn 10, 16) ; vous éprouverez de la souffrance pour toute division, pour tout particularisme désobéissant, pour tout schisme, pour toute hérésie, pour toute désagrégation anarchique qui renie cette unité pour laquelle le Christ a souffert la Croix (Jn 11, 52). Et vous bénirez votre séjour à Rome, comme motif d’une nouvelle béatitude révélatrice (Mt 13, 16).

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

3 août

JE CROIS EN L’EGLISE CATHOLIQUE

 

Frères vénérés,

Chers Fils et Visiteurs !

 

Un mot, un seul mot mais qui suffise à établir dans cette Au­dience estivale un rapport spirituel entre vous tous et notre humble mais paternelle personne.

Ce mot est celui qui, nous l’espérons, nous définit tous : « catho­lique ». Il se rattache à celui que nous avons rappelé au cours de l’Audience précédente sur l’unité de l’Eglise. L’un et l’autre se réfèrent à la profession de foi que nous prononçons toujours avec gravité, en récitant le « Credo », c’est-à-dire en affirmant : « Je crois... en la sainte Eglise catholique », ou, plus précisément, comme il est dit dans le symbole adopté pour la célébration de la Messe : Je crois l’Eglise « une, sainte, catholique et apostolique ».

D’où vient cette appellation de l’Eglise, ornée du titre de « ca­tholique », que nous ne trouvons pas textuellement dans la Sainte Ecriture ? Les savants nous disent que le premier qui assigna à l’Eglise le titre de « catholique » fut Saint Ignace d’Antioche, célèbre martyr du début du II° siècle, quand il écrivit de Rome une de ses fameuses lettres à l’Eglise de Smyrne (8, 2). Mais la notion de « catholique » attribuée à l’Eglise ne manque certainement pas dans le nouveau Testament. Il suffit de rappeler les dernières pa­roles du Seigneur à la fin de l’Evangile de Saint Mathieu : Jésus ressuscité fait ses adieux aux Apôtres avant de monter au ciel, et leur dit : « ... allez et instruisez toutes les nations » (Mt 28, 19). Que veut dire le terme « catholique » ?

Il veut dire universel, et se rapporte directement au « corps » de l’Eglise, comme l’unité se réfère à l’Esprit qui la fait vivre d’une façon divine. Les deux propriétés ou notes, catholicisme et unité, s’intègrent pour signifier la catholicité. Mystère prodigieux que nous ne pouvons connaître, dans son dessein transcendant, que par la foi. Elle nous fait découvrir et admirer l’Amour de Dieu pour toute l’humanité (cf. 1 Tm 2, 4), et nous aide à admirer ensuite la vocation missionnaire de l’Eglise, et son aptitude à se répandre sur toute la terre, à embrasser le monde entier, à s’insérer dans chaque peuple, et à rendre frères tous les hommes. Et cela non comme le résultat de l’oppression d’un peuple sur l’autre, d’une classe sociale sur une autre classe sociale, d’un totalitarisme ine­xorable et intransigeant, qui ne peut naître de l’unification forcée et artificielle de l’humanité, privée de la liberté des fils de Dieu, mais qui peut surgir seulement de la diffusion du règne ouvert par le Christ, au-delà de l’horizon de ce monde. Celui-ci peut aussi provenir de la catholicité de l’Eglise, féconde et inépuisable source de civilisation temporelle.

Que cela suffise pour l’instant. Nous vous invitons à méditer et à aimer ce titre de « catholique » qui est essentiellement inséré dans l’économie authentique de l’Evangile et qui se déverse sur notre vocation de disciples du Christ pour élargir nos cœurs à la dimension incommensurable de la charité de Dieu pour nous et pour l’humanité toute entière.

 

 

 

10 août

L’EGLISE APOSTOLIQUE

 

Chers Fils et Filles,

 

Vous aimeriez certainement, vous aussi, savoir distinguer, au milieu de si nombreuses manifestations religieuses de l’his­toire et du monde contemporain, où se trouve la vraie religion. Et si la religion chrétienne se présente comme celle qui mérite notre préférence et donc notre choix à tant de titres (titres qui sont présents à votre esprit, nous le présumons), une question ce­pendant demeure dans notre esprit : au milieu de si nombreuses professions de foi chrétienne, existe-t-il une profession de foi qui soit non seulement prééminente mais aussi unique et exclusive ? Où est la véritable Eglise ? Quels sont les signes qui la distinguent ? Et si nous avons l’habitude de réciter le « Credo » de la sainte messe, nous trouvons déjà la réponse sur nos lèvres : « Je crois... à la sainte Eglise, une, sainte, catholique et apostolique ». Nous croyons que ces titres sont la propriété intrinsèque de cette grande et singulière institution, qui s’appelle l’Eglise, parce que le Christ son Fondateur l’a voulu ainsi. Nous savons ainsi que ces caractéristiques transparaissent normalement, même à l’extérieur dans la vie historique et humaine de ce « corps mystique » du Christ, qu’est l’Eglise. Et c’est ce qui nous garantit que si nous lui restons fidèles, par la grâce de Dieu, nous sommes sur la voie juste. Le Christ a fondé une seule, une unique Eglise : le Christ n’a pas mis de frontières à son universalisme, il l’a voulue catholique. Il a aussi voulu qu’elle soit sainte, comme une source pure et inépuisable, même si tous ceux qui boivent à cette source ne sont pas tous également purs et limpides, même si tous ne ressentent pas le besoin d’une purification, c’est-à-dire d’être sancti­fiés par la grâce qui déborde de l’Eglise. Et enfin nous croyons finalement en une Eglise apostolique ; elle n’a pas été inventée par quelque homme de génie ; elle n’est pas sortie d’un quelconque mouvement social. Nous la voulons « apostolique » c’est-à-dire issue des apôtres ; ce sont eux et eux seuls qui ont été directement et exclusivement chargés par le Christ d’être les témoins authen­tiques de sa parole et de son oeuvre. Ceci veut dire que le Christ Jésus s’est choisi des ministres pour garder, transmettre, défendre l’œuvre de la Rédemption qu’il a accomplie.

Jésus a voulu une Eglise organisée. Tout l’Evangile l’atteste. Jésus n’a pas écrit, il a parlé, il a proclamé, en s’adressant à ses disciples : « Qui vous écoute, m’écoute ; et qui vous méprise me méprise... et méprise Celui qui m’a envoyé » (Lc 10, 16). Jésus n’a pas dit : « Le texte de l’Ecriture suffit », parce que l’Ecriture elle-même vient d’un magistère qui lui a donné son origine. D’ail­leurs le Christ n’a autorisé personne à s’ériger en législateur entre les hommes et Dieu pour fonder une nouvelle forme de religion que Lui seul peut établir (cf. 1 Tm 2, 4-7 ; Mt 19, 40 ; Jn 20, 21 etc.).

Cette note d’apostolicité concerne pratiquement la transmission du message de la foi, qui est une vérité difficile et exigeante. Cette transmission demande une fidélité absolue, écarte tout arbitraire, précisément quand elle confère un pouvoir hiérarchique aux apôtres qui en sont revêtus. Se détacher de l’apostolicité veut dire se détacher du Christ et s’exposer à une contestation de la foi et à la sécheresse de la religion.

C’est ainsi que se manifeste, si l’on y réfléchit bien, l’amour de Dieu à l’égard de l’Eglise pour qu’elle soit maîtresse de vérité et de charité. Nous croyons donc, dans l’exultation, à l’apostolicité de l’Eglise.

 

 

 

17 août

SAINTETÉ DE L’EGLISE

 

Chers Fils et Filles,

 

Une expression de notre credo, sur laquelle nous avons déjà fait porter notre attention, nous oblige à compléter avec mo­destie notre entretien spirituel avec vous, très chers frères et fils qui êtes venus assister à cette audience générale: c’est la caractéris­tique de « sainte » appliquée à l’Eglise, qualité que nous recon­naissons et que nous proclamons avec foi quand nous récitons le « Credo ». « Je crois — c’est ce que chacun de nous affirme quand il dit le Credo — à l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique ». C’est une très belle expression, parce qu’elle passe en revue les quatre causes essentielles dont la vie transcendante de l’Eglise dérive. La cause efficiente fait que l’Eglise est apostolique ; la cause for­melle lui permet de se définir une ; la cause matérielle fait qu’elle est catholique ; et nous devons dire qu’elle est sainte en raison de la cause finale (cf. Ch. Journet, L’Eglise... 11, 1185).

Ceci va bien sous forme de concepts. Mais quand on parle, com­me nous aujourd’hui avec vous, de la sainteté de l’Eglise, il surgit, dans l’esprit de bien des personnes qui réfléchissent, une objection déconcertante. En effet : n’est-il pas exagéré de reconnaître de fait la sainteté de l’Eglise, alors que nombreux sont ceux — dis-je — tous ses membres qui vivent dans le temps, sur la terre, se disent et doivent se dire pécheurs Et quand, par ailleurs les très rares fidèles, déclarés « saints » par l’Eglise, sont déjà hors de ce monde ; ils sont en paradis, ils ont fait des miracles, et leur canonisation, c’est-à-dire la reconnaissance officielle de leur sainteté exige un examen, une vérification assez longue et difficile de la part des autorités compétentes de l’Eglise elle-même.

A cette objection, on peut facilement donner plusieurs réponses. La première est celle-ci : déclarer l’Eglise sainte veut dire avant tout qu’elle jouit d’une relation essentielle avec le Christ, médiateur entre Dieu et les hommes, et cause méritoire de leur salut. Et cette médiation est entre les mains de l’Eglise qui est sainte parce qu’elle sanctifie, non par ses mérites personnels mais en vertu de la foi et de la grâce dont elle a été faite dispensatrice et maîtresse.

En second lieu, nous devons dire que l’Eglise est sainte parce que tous ses membres ont été sanctifiés par le baptême, puis par les autres sacrements et ensuite par l’Esprit Saint qui est comme la respiration divine. Cette respiration divine, l’Eglise l’offre con­tinuellement à ses fils, en les instruisant dans la foi, et en les ex­hortant à une conduite conforme à la loi divine et naturelle ; et cette justice, distincte des signes prodigieux et charismatiques accordés à certains fidèles, doit marquer de son empreinte et qualifier la vie de chaque chrétien qui, dans le langage des origines de l’Eglise, était appelé saint.

Et enfin nous reconnaîtrons au superlatif cette appellation de sainte à l’Eglise parce que ce titre, plus qu’il ne convient à ses membres en particulier, caractérise sa fonction dans le temps, c’est-à-dire la fonction de sanctification qui préfigure le but vers lequel se dirige son pèlerinage fatigant dans le temps. Ce but est précisément la sainteté des fidèles, admis par la miséricorde de Dieu à cette ultime et très sainte possession (cf. Mt 5, 8 ; 1 Jn 3, 2).

Nous nous souviendrons que chacun de nous est appelé à cette honnêteté de vie, à cette religion de l’esprit, que l’on peut appeler sainteté et qui, finalement, comme nous l’enseigne la théologie de saint Thomas exige de nous une pureté de mœurs et une volonté ferme (S. Thomas II-II, 81, 8).

 

 

 

24 août

L’EGLISE, PEUPLE FIDÈLE RÉPANDU DANS LE MONDE

 

Chers Fils et Filles,

 

De quoi pouvons-nous, de quoi devons-nous vous parler ? De l’Eglise, encore et toujours de l’Eglise !

Tout d’abord parce que c’est notre mission. Le Seigneur n’a-t-il pas dit qu’il voulait fonder son Eglise sur Simon, fils de Jean, et ne lui a-t-il pas donné un nom nouveau, symbolique, ce nom nouveau, symbolique, ce nom de « Pierre » ? Ce nom qui signifie base fondement et qui, nous le savons bien, vise en tout premier lieu et d’une façon absolue le Christ lui-même, qui est la « pierre d’an­gle », et sur laquelle repose tout le dessein de salut de Dieu pour l’humanité (Mt 21, 42 ; Ps 117, 22 ; Ac 4, 11-12). Nous ne pou­vons pas nous dérober à la mystérieuse et fondamentale fonction qui nous a été confiée par Dieu (cf. Lc 22, 32 ; Jn 21, 15-23).

En second lieu, parce que l’Eglise a été et est l’objet de l’amour sans limites du Christ lui-même : « Il a aimé l’Eglise, comme l’ex­prime saint Paul en des termes bien connus et ineffables, et s’est immolé lui-même pour elle » (Ep 5, 25). Et c’est la raison pour laquelle si l’on scrute l’Eglise, on découvre la qualité et la gran­deur de l’amour qui est passé du coeur du divin Rédempteur à l’humanité élue : ce n’est pas en vain qu’elle a été appelée l’Epouse de l’Agneau (Ap 21, 9).

Et puis encore, parce que la méditation théologique de notre temps c’est l’encyclique du Pape Pie XII, du 29 juin 1943, suivie de la Constitution dogmatique Lumen Gentium, du 21 novembre 1964, qui ont révélé l’Eglise, comme si elle contemplait son mys­térieux visage dans le miroir de la révélation divine (cf. Ch. Journet, L’Eglise, II, I, I ; H. de Lubac, Méditation sur l’Eglise, I).

Ajoutons encore un autre motif, qui nous invite à y arrêter notre attention par sa brièveté et sa simplicité de catéchisme élémentaire. C’est la difficulté qu’il y a à donner une définition de l’Eglise, ou tout au moins à en choisir une parmi toutes celles qui nous sont proposées avec autorité (cf. Lumen Gentium, 5, ss.). Ainsi par exemple : Royaume de Dieu, Corps mystique du Christ, Peuple de Dieu, « Eglise du Dieu vivant, colonne et fondement de la vérité » (1 Tm 3, 15-16). Quant à nous, nous nous arrêterons, en con­sidération de sa brièveté, à la définition que donne saint Augustin et qui est rapportée dans le catéchisme destiné aux Pères du Concile de Trente. La voici : « L’Eglise est le peuple fidèle répandu dans le monde » (in Ps 149 ; cath. rom. de IX symb. art. 2). A bien y réfléchir, il nous est demandé un effort mental : la définition écarte toutes les limites qui habituellement restreignent notre pensée quand elle se tourne vers l’humanité : limites du temps et de l’histoire, limites de sang et de peuple, limites d’espace et de lieu, limites d’intérêt particulier et de classe. La pensée reste con­crète, seule la notion de Peuple demeure l’objet de notre considéra­tion, avec un caractère, spécifique et donc distinctif et limitatif, celui de la « fidélité », c’est-à-dire de l’adhésion à une Parole, la Parole de Dieu : l’Eglise est le Peuple fidèle, celui qui accepte l’in­vitation à la foi non pas à une foi vague, incertaine, exposée aux interprétations du libre examen, mais humblement et joyeusement soumise au magistère qualifié qui donne la sécurité : « Qui vous écoute, m’écoute » (Lc 10, 10,).

Nous en reparlerons, s’il plaît à Dieu. Mais en tout cas, nous voudrions que vos cœurs, très chers fils, soient remplis d’intérêt et de joie, dans la certitude inspirée que le Christ, la Voie, nous offre sa lampe qui est l’Eglise.

Avec notre bénédiction apostolique.

 

 

 

31 août

L’EVANGILE EST FEU ET LUMIÈRE

 

Vénérés Frères ! Très chers Fils ! Et vous tous, visiteurs toujours attendus et appréciés,

 

Votre présence éveille en nous une grande joie, une grande émotion, une grande stupeur. Elle suscite en nous la cons­cience de notre office pontifical. Cette rencontre et toute autre rencontre semblable avec de nouvelles personnes inconnues que nous sentons devoir aussitôt considérer comme des frères, des fils, des amis, nous oblige à penser, non pas à vous d’abord, mais à nous-même, avec déférence, avec crainte, avec émerveillement pour ce qui nous a été conféré, la mission de présider à l’Eglise Univer­selle. Les paroles de Jésus lui-même nous viennent aux lèvres. Celles qu’il a dû un jour adresser aux disciples que son Précurseur, Jean le Baptiseur, dit le Baptiste, envoya vers lui, de sa prison pour de­mander : « Toi, qui es-tu ? Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » (Mt 11, 2-3). Il nous semble que la même question nous est adressée. Nous savons bien que vous avez tous une réponse précise à donner à cette interrogation ; celle-ci est, d’une part, d’une signification très dense et, d’autre part, étroite­ment liée à la réponse aux problèmes qui sous certains aspects, regardent chacun de vous et, sous d’autres aspects, touchent aux très importants problèmes des destinées du monde, il faut bien le dire. C’est pourquoi, dans notre faiblesse humaine nous nous sen­tons tentés de nous soustraire à la pressante demande : « Toi, qui es-tu ? » le Pape, qui est-il ? et de ne pas répondre à une inter­rogation aussi embarrassante et qui exige une réponse exacte.

Mais alors, la réponse nous revient à l’esprit, c’est-à-dire la dé­finition que Jésus lui-même a voulu attribuer à Simon, fils de Jean et que nous avons héritée de Simon-Pierre : nous la lisons dans le Concile Vatican I (cf. Denz.-Schoen. 3050-3060), et nous la re­lisons dans le récent Concile Vatican II (Lumen Gentium, 18 et 23) : Jésus Christ établit, dans le bienheureux Pierre, « le principe et le fondement perpétuel et visible de l’unité de la foi et de la communion ». Un immense chapitre de la doctrine catholique est énoncé ici ; la foi, c’est-à-dire l’adhésion à la Parole divine, l’accepte, et la théologie le décrit, l’explique, le répand ; il nous révèle et nous enseigne qui est Pierre et tout légitime successeur de Pierre et, à la lumière de ce mystère, il nous présente ce que le Pape fait : et cette distinction nous permet d’oser dire ici quelques paroles élémentaires au sujet de ce second aspect de la mission confiée à Pierre ; également parce que le mystère de Pierre est im­mergé dans le secret de la pensée de Dieu, tandis que son activité est apparente, et peut être l’objet de la connaissance et du juge­ment communs, tout au moins extérieurement (cf. Jn 10, 38 ; 14, 12 ; etc.).

En ce moment, nous nous limiterons à une vue d’ensemble que seul permet un discours purement indicatif comme celui-ci.

Eh bien, que fait l’Eglise ? Si elle est fidèle au Maître, si elle est fidèle à l’Esprit qui la guide, si elle est fidèle à l’humanité dans laquelle elle vit, et pour laquelle elle vit, l’Eglise fait beaucoup de choses, pour autant qu’elle en ait la liberté et, dans une certaine mesure, également les moyens » (cf. Mt 14, 17 ; 17, 26, etc.).

Mais écoutons le Seigneur quand, dans un discours ultime et ré­capitulatif il prescrit aux siens le programme de leur activité. Pour aujourd’hui, il nous suffira d’un mot, d’un seul ; mais un mot qui a donné une origine et un dynamisme, qui caractérise la vie chrétienne. Ce mot, parmi les derniers de l’Evangile de Saint Ma­thieu, le voici « Allez... » « euntes ». Jésus ne veut pas avoir des disciples spirituellement sédentaires (cf. Mt 20, 6) ; il les veut en mouvement, sur toute la surface de la terre. C’est pour cela qu’il les a appelés « Apôtres » (Lc 6, 13), ce qui veut dire : envoyés, témoins, messagers, annonciateurs de sa parole et de son plan de salut. Précisons-le avec un titre de permanente actualité: Jésus a voulu qu’ils soient des « missionnaires » ; comme le Cardinal Suenens le démontre dans un de ses livres. Tout catholique vraiment fidèle à l’Evangile, doit, d’une manière ou de l’autre, être mission­naire. Une sainte, enfermée dans un cloître, Thérèse de l’Enfant Jésus, n’a-t-elle pas su être une ardente missionnaire ?

Il n’est permis au chrétien aucun respect humain, aucune indif­férence spirituelle et encore moins un prosélytisme indiscret par rapport à la foi religieuse si celle-ci est appelée chrétienne, est appelée catholique ; il doit, au contraire, se qualifier par un sens sincère de la responsabilité, par un amour pour la diffusion de l’Evangile, par une solidarité missionnaire. L’Eglise est un ferment. Gravons dans nos cœurs la parole entraînante de Jésus : « Je suis venu apporter le feu sur la terre, et comme je voudrais que déjà il brûle ! » (Lc 12, 49).

Ce feu, c’est l’Evangile qui doit brûler et éclairer. Nous sommes tous appelés à l’allumer et à le répandre. Que chacun s’en sou­vienne !

Avec notre bénédiction apostolique !

 

 

 

7 septembre

CROYEZ EN MES OEUVRES

 

Chers Fils et Filles,

 

Notre réflexion sera centrée de nouveau sur l’Eglise, considérée sous l’aspect de ses oeuvres plutôt que dans le mystère de son être. Cette méthode d’étude offre une apologie expérimentale de notre foi, et elle a été soutenue par le Christ lui-même en faveur de sa Personne divine et de sa mission messianique : « Quand bien même vous ne me croiriez pas, croyez en mes oeuvres » comme eut à l’affirmer le Seigneur dans la ferveur polémique de sa discus­sion avec les Juifs, ses adversaires (cf. Jn 10, 38). C’est là une controverse à l’égard de l’Eglise et de notre religion qui reste encore ouverte en des temps comme les nôtres où ce qu’attestent les preu­ves rationnelles et sensibles prévaut dans l’opinion publique sur les signes de l’Esprit et de la foi.

Et nous nous rappelons qu’au moment où il prit congé de la scène de ce monde, le Christ lui-même grava dans les dernières et célè­bres paroles de l’Evangile la synthèse du programme d’activité de l’Eglise, un programme auquel nous allons accorder maintenant un moment d’attention. En effet Jésus dit à ses disciples, déjà constitutionnellement érigés en hiérarchie apostolique et ecclésiasti­que : « Allez et enseignez... » (Mt 28, 19). Enseigner quoi ? « Tout ce que je vous ai commandé, ajouta le Seigneur ». Cette investiture magistérielle est souverainement importante! les disciples choisis comme apôtres (Le 6, 13) sont élevés au rang de « témoins » (Ac 1, 8 ; 1, 22 ; 2, 32 ; 3, 15 ; etc.) ; ils sont les garants d’une vérité qui se nomme Evangile et qui leur sera intérieurement con­firmée par le Paraclet, c’est-à-dire par l’Esprit qui les assiste et les console, ils sont les futurs « martyrs », c’est-à-dire ceux qui rendent témoignage de la Parole par leur sang ; ils sont les pasteurs, les guides qualifiés du Peuple de Dieu ; ils sont l’Eglise dans l’en­seignement et également dans l’appréhension et dans l’expression de la science surnaturelle de Dieu, la foi.

De nos jours, comme toujours du reste au cours des siècles, on a entendu répéter : l’Eglise, pourquoi ? Que fait-elle ? A quoi sert-elle ? Eh bien, risquons l’hypothèse — heureusement irréelle après la venue du Christ — qu’à n’y ait plus l’Eglise apostolique sur la terre : qu’arriverait-il ? Il arriverait ce qui se passe durant une nuit sans lumière, dans un milieu fermé où la lampe s’est éteinte : une immense confusion au sujet de la perspective de l’espace vital, une interminable lutte sans raison, un temps sans espérance. « Je suis la lumière du monde, dit le Christ : qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie » (Jn 8, 12).

Ici se présentent interminablement des questions : et spécialement au sujet de deux problèmes qui sont comme deux fenêtres ouvertes sur le caractère fixe des vérités, c’est-à-dire des dogmes que l’Eglise enseigne comme maîtresse des hommes et comme, elle tout d’abord, disciple du Christ, du seul et vrai Maître des suprêmes vérités qui ne nous sont pas accessibles par nous-même (Mt 23, 8), disciple du Dieu révélateur. Et à cet égard nous savons parfaitement que l’attitude de l’Eglise, c’est-à-dire de la foi, est la fidélité, selon l’expression d’un Saint du V° siècle, St Vincent de Lérins : les vérités de la foi peuvent-être étudiées, expliquées, illustrées, mais toujours en leur conservant un identique sens substantiel (cf. Denz.-Schoen. 2803, 3020) ; l’autre dogme ou enseignement est celui du Cardinal Newmann, celui du développement de la doctrine comme un arbre de la même et féconde racine, où l’accroissement de la doctrine ne s’égare pas dans les contre-sens d’un certain pluralisme moderne, qui prétend être son propre arbitre et son propre juge, libre de modeler les mystères de la foi selon les paramètres des conceptions personnelles (cf. Denz.-Schoen. 3809). Comme nous le savons, l’Eglise est sévère à l’égard de la cohérence avec cette fidélité. Elle peut même se montrer absolument hostile à l’égard de certains systèmes et comportements, religieux et piétistes, qui, s’affranchissant de l’enseignement sans équivoque, éternel, authentique de la Révélation défendue par l’Eglise, relâchent d’abord et ensuite brisent les liens avec l’unique Vérité apostolique, la seule qui assure l’identité de la doctrine religieuse avec celle du Christ, qui exige amoureusement l’unité de son message de salut, scellé de sa Parole aux Apôtres : « Qui vous écoute, m’écoute » (Lc 10, 16).

Qu’il en soit ainsi pour vous et pour nous, avec notre Bénédiction Apostolique (cf. R. Guardini, Vie de la foi, éditions du Cerf 1958, pp 102-115).

 

 

 

14 septembre

A QUOI SERT L’ÉGLISE ?

 

Chers Fils et Filles, A quoi sert l’Eglise ?

 

Cette fois-ci encore, nous allons parler de l’Eglise considérée dans son action. Et, de nouveau, il y a, pour nous éclairer, les paroles fondamentales qu’au moment de prendre congé de la scène visible de la terre, le Christ a laissées à ses Apôtres comme statut et programme : « Allez... enseignez... » a-t-il ordonné, et Il a ajouté : « baptisez... » (Mt 28, 20). La fonction des Apôtres devient ainsi sacramentelle. Chose importante. L’activité de l’Eglise en devient « visible et divine » ; mais cet aspect ne plaît pas toujours aux critiques puritains de la religion qui voudraient qu’elle soit unique­ment intérieure, spirituelle, sans ministère autorisé et qualifié, sans signes sensibles, et, tout spécialement, si ces signes sont tenus pour avoir des effets sacrés, nécessaires et surnaturels. En défense de la vérité religieuse chrétienne, nous rappellerons cette pro­digieuse parole constitutionnelle du Seigneur : « allez et instruisez toutes les nations et baptisez-les au nom du Père et du Fils et de l’Esprit Saint... » (ibid.). C’est ainsi qu’est né le chris­tianisme et c’est ainsi qu’aujourd’hui encore s’affirme et se manifeste l’Eglise qui a conscience d’être investie de son plus manifeste pouvoir, le pouvoir religieux précisément, opérant par mandat divin, lorsqu’elle, l’Eglise, qui prend part ministériellement au sa­cerdoce du Christ, agit en tant qu’instrument actif, certes, mais dont l’efficacité émane du Dieu vivant et non d’elle-même. Et ce que nous disons du baptême s’applique, avec les distinctions et la pru­dence nécessaires aux autres Sacrements : « Recevez l’Esprit Saint, dit Jésus Ressuscité. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez ils leur seront retenus » (Jn 20, 23).

Et que dirons-nous du Sacrement dont le mystère est, ces jours-ci, au Congrès Eucharistique National de Pescara, honoré avec une attention plus que jamais réaliste et extatique ? Dans l’Eucharistie les éléments sacramentels sensibles, le pain et le vin, sont réduits à de simples signes, privés de leur substance lorsque ceux-ci cèdent leur réalité à celle, vraie et réelle mais ineffable, du Christ lui-même, rendue présente comme aliment sacrificatoire par la mé­moire et par la vie surnaturelle des siens (cf. St Thomas III, 73, 5).

Nous ne voulons pas, ici, aller plus loin. Qu’il nous suffise en ce moment de rappeler à notre conscience religieuse cet aspect substantiel de notre religion, c’est-à-dire sa vitalité sacramentelle. Elle n’est pas une magie illusoire et trompeuse. Elle se réclame d’une Parole divine comme source indispensable ; le Christ seul est l’Auteur de ce prodige inépuisable, la participation vitale à sa divinité. Elle exige de nous une adhésion humaine particulière­ment qualifiée par la foi et la rectitude morale, consciente et actuelle (cf. 1 Co 11, 28). Elle exige un ministère, elle exige un rite précis. Elle associe notre vie temporelle, fragile et passagère, à la vie du Christ-Homme, Dieu, et prépare notre parfaite et future existen­ce dans la révélation eschatologique de l’éternité. Elle ne déprécie pas, elle n’avilit pas notre expérience temporelle qui, plutôt, est déjà intégrée dans sa radicale insuffisance. Elle est affranchie de l’inexorable voracité du temps qui engendre et consume sa créa­ture. Et elle se fait propédeutique, préparant l’ascension vers l’éternel séjour du ciel.

N’ayons pas l’illusion de croire, très chers Fils, que nous pouvons construire notre vie sans l’aide de la vraie religion, celle qui nous est ouverte par l’Eglise ; et ne pensons pas qu’il suffit d’avoir une idée générale de la religion, qu’il suffit de lui accorder une quel­conque adhésion. Elle est la vérité irremplaçable pour notre exis­tence et c’est uniquement l’Eglise qui nous en offre aujourd’hui la garantie, demain la plénitude.

Et nous devons graver dans nos âmes ce message du Christ : « Je suis la résurrection et la vie » (Jn 11, 23).

Qu’il en soit ainsi !

Avec notre bénédiction apostolique.

 

 

 

21 septembre

AIMER ET SERVIR LE CHRIST-DIEU DANS L’HOMME QUI SOUFFRE

 

Chers Fils et Filles,

 

Ces derniers mercredis, dans notre bref discours durant les Audiences Générales qui nous réunissent comme celle d’au­jourd’hui, nous nous sommes attaché à une question que nous entendons répéter par un bon nombre d’hommes représentant la mentalité anti-religieuse ou tout simplement areligieuse de notre époque : à quoi sert l’Eglise ? Là société moderne ne peut-elle se suffire à elle-même ? Malheureusement, même si elle est étayée par l’admirable progrès humanitaire contemporain, cette mentalité est superficielle, empirique. Elle en est souvent réduite à juger la vie humaine selon des critères utilitaires que le matérialisme cultive comme une découverte, comme un progrès, comme un humanisme libérateur. Elle répète, en termes philosophiques, des formules to­talement négatives, non seulement contre l’Eglise constituée, mais aussi contre tout spiritualisme non lucratif ou ne satisfaisant pas à quelque profit économique ou scientifique. A quoi sert l’Eglise quand le monde profane est en mesure de répondre à tout besoin, même purement somptuaire ? L’Eglise organise la religion ; mais aujourd’hui, la religion, à quoi sert-elle ? On ne veut plus admettre, serait-ce même l’hypothèse de la vérité comme base de la religion, et par conséquent comme un titre à son existence, et encore moins à son efficience dans une société moderne qui se croit capable de se suffire, à elle-même, affranchie des vaines pensées théologiques et spirituelles.

Pour l’instant, nous ne prétendons pas le moins du monde donner une réponse appropriée à des objections aussi radicales et, en ap­parence tout au moins, aussi formidables. Il ne serait pas impossible de faire l’apologie de la religion et de l’Eglise en commençant par où débute ce grand document autobiographique sur la réalité de notre existence que sont les Confessions de Saint; Augustin. Dans le premier chapitre de cette oeuvre, l’auteur, adressant directement à Dieu un discours passionné et réaliste, affirme : « Tu nous as fait par rapport à Toi ; et notre coeur est inquiet jusqu’au mo­ment où il reposera en Toi ». Du reste, la discussion sur un thème aussi fondamental est si étendue et si vive (même s’il y a quelques signes de résipiscence théorique ou du moins de tempérance pra­tique), que nous renvoyons les curieux à une étude plus appro­fondie (voir par exemple celle de Cornelio Fabro, Introduzione all’ateismo, Studium 1964 ; Mgr Veuillot, etc. — L’Athéisme..., Cerf, 1963). Qu’il suffise ici de descendre au niveau le plus simple de la question concernant l’utilité pratique et sociale de l’Eglise ; un niveau toutefois d’une immense étendue comme l’est le champ où l’Eglise opère avec ses actions de charité humaine.

Oui, l’Eglise établit son utilité par son obéissance à l’Evangile. Il est donc superflu de sortir une documentation, attendu que l’Eglise est encore activement présente partout dans notre société. L’Eglise démontre son intelligence des besoins comme nul autre organisme social n’a pu le faire, même si la civilisation dispose aujourd’hui de développements merveilleux. Une intelligence qui prévient : comme elles sont nombreuses les institutions bienfaisantes qui ont jailli du coeur de l’Eglise quand la société ne pensait pas encore à porter secours ! L’Eglise a la faculté de percevoir la dou­leur de l’homme, dans toute condition, à toute époque, dans tout pays, partout où elle est autorisée à exercer sa mission humanitaire. Demandez à ceux qui connaissent cette sociologie de la charité, jusqu’où peut arriver cet Evangile vivant, et quel prodige de dévouement, de patience de sacrifices elle a suscité.

Il n’existe pas de misère humaine qui n’ait eu dans l’Eglise son propre Institut qui lui a consacré des vies entières, de religieux et religieuses spécialement, avec une indicible patience, avec un silen­cieux amour. Et encore aujourd’hui, des témoignages évangéliques comme, pour ne citer que quelques-uns des plus connus, ceux d’un Père Damien, lépreux avec les lépreux à Molokai, d’une Mère Thé­rèse vivant au milieu des pauvres innombrables à Calcutta, ou des Petits Frères et Petites Sœurs de Charles de Foucauld, désormais disséminés dans le monde entier, et tant et tant de Filles, de Sœurs, de Servantes de la Charité d’innombrables Familles reli­gieuses, engagées dans tant d’initiatives bénéfiques, disent avec l’héroïsme de leur immolation ce que l’Eglise fait dans le monde. Ces témoignages évangéliques, elles le portent aussi, dans les villes et les quartiers périphériques, avec une admirable persévérance, les phalanges de Dames, de Compagnies, de Conférences et de groupes dérivés de Saint Vincent de Paul, de laïcs et de jeunes également. A l’enseigne de ce nom ou de celui d’autres Saints ou Saintes, et d’innombrables bons chrétiens de partout dans le monde, elles vont à la recherche du Pauvre, où qu’il se trouve, le regard avide de découvrir la transparence évangélique révélatrice du visage hu­milié de Jésus : « Chaque fois que vous aurez accompli un acte de charité à l’égard de l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à Moi que vous l’aurez fait », à Moi, Jésus qui vous parle (cf. Mt 25, 35-45). Qui est ce Moi qui se montre dans le visage souffrant de l’homme quelconque pour se faire l’objet d’un amour supérieur inex­tinguible ? C’est le Christ qui inspire, soutient, transfigure, sanctifie, dans sa partie la plus absorbante et expressive, le programme de son Eglise ; parce que tel est son programme tel est son génie : aimer et servir le Christ —Dieu dans l’homme qui souffre.

La leçon est toujours présente et éloquente sous ses mille formes. Elle est pour nous tous. Pensons-y.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

28 septembre

PLUS QUE JAMAIS, LE CHRIST EST VIVANT

 

Chers Fils et Filles,

 

Nous parlerons aujourd’hui dans cette grande salle, nous l’avons fait construire pour accueillir les visiteurs qui, de toutes parts, affluent au Siège de Pierre, désireux de se rencontrer avec son humble et vivant successeur qui poursuit la mission confiée au premier des Apôtres, celle d’être « le principe et le fondement perpétuel et visible de l’unité de la foi et de la communion » (Lu­men Gentium, n. 18). Mais nous ne parlerons que de la monu­mentale et seule figure, celle de Jésus ressuscité, vivant et bénissant, qui domine cette salle et que nous inaugurons aujourd’hui, une oeuvre du sculpteur Pericle Fazzini : elle dit quel témoignage a été confié au ministère apostolique : que ce Jésus qui a été cruci­fié, est constitué Seigneur et Christ (Ac 2, 36), témoignage que le successeur de Pierre veut proclamer ici, avec certitude et avec humilité de foi.

Oui, nous voulons confier à cette image notre voix, simple et limpide dans l’énoncé des paroles et de l’image qui veulent l’expri­mer, mais presque étouffée par leur exubérante signification réelle (cf. St Thomas II-II, I, 2 ad 2). Jésus est la voie, la vérité et la vie (Jn 14, 6). Jésus est la lumière du monde (Jn 8, 12 ; 9, 5). Jésus est le pain de la vie (Jn 6, 48). Jésus est le Bon Pasteur (Jn 10, 11-14). Jésus est le Fils de l’homme (Mt 16, 13 ; 25, 31 ; 26, 24), il est le Fils de Marie (Mt 13, 55), il est le Fils de Dieu (Mt 14, 33 ; 26, 64 ; Jn 9, 35 ; etc.) ; Jésus est l’alpha et l’oméga (Ap 22, 13).

Nous voulons attester, devant vous, Frères et Fils, et devant tous ceux qui, dans le monde sont revêtus de la gloire et de l’espérance du nom de chrétien, qu’encore aujourd’hui le Christ est dans l’histoire du monde qu’il y est aujourd’hui plus que jamais ; dans la pénombre du doute et de l’incertitude, non pas dans l’in­terprétation futile d’un rationalisme myope et orgueilleux qui le restreint à la mesure des phénomènes compréhensibles, et, tout au plus, singuliers, échappant aux proportions ordinaires de l’intelligibilité naturelle. Mais vivant et réel dans la débordante dimension de son Etre divin, que seule la foi admet exultante, planant dans le mystère qu’il a Lui-même proclamé et documenté (cf. Jn 10, 38).

Le Christ est présent. Le temps ne le contient pas, ne le consume pas. L’histoire évolue et peut modifier fortement la face du monde. Mais sa présence l’illumine, en révélant, comme dues à Lui-même, les sages beautés et imprégnant les abîmes d’une miséricorde ré­paratrice que Lui seul peut répandre. Il est la joie de la terre (cf. Jn 3, 29) ; Il est le médecin de toute infirmité humaine (Jn 8, 7). Il se personnifie dans tout homme qui souffre ; aussi longtemps qu’il y aura la douleur sur la terre, il en fera sa propre image pour susciter l’énergie de la compassion et de l’amour généreux (Mt 25, 40). Aussi Jésus est-il présent, toujours et partout.

Et chacun peut le percevoir par soi-même. Car, tout comme il est vrai que par le dessein salvifique qui s’accomplit en Lui (Ep 1-2) Jésus Christ est le centre de l’humanité, le « Fils de l’homme » par excellence, il est vrai, tout autant, qu’il est le Maître le Frère, le Pasteur, l’Ami de chacun des siens le Sauveur de chacune des personnes humaines qui ont le bonheur d’être associées à Lui comme cellules du Corps mystique dont il est le Chef. Il est permis à chacun de l’appeler par son nom, non comme un personnage étran­ger et lointain, inaccessible, mais comme le « Tu » du suprême et seul amour, comme l’Epoux de son propre bonheur (cf. Mt 9, 15 ; Ap 22, 17), qui est mystérieusement proche bien plus que ne peuvent se l’imaginer ceux qui le cherchent, ainsi qu’il a été dit : « console-toi ; tu ne me chercherais pas, si tu ne m’avais déjà trouvé » (Pascal, Le mystère de Jésus ; St Augustin, Confessions X ; c. 18). Et que cette présence transcendante et immanente du Christ soit représentée ici, est une chose très belle ; à notre avis elle est significative, elle est instructive, car cette salle, pareille à une salle d’attente dans une gare de départ, à une école des vérités, pour élé­mentaires ou sublimes qu’elles soient, « vérités vraies » en tous cas, nécessaires à la vie, cette salle donc est toute proche, comme une annexe, de la tombe de Saint Pierre, le « pêcheur d’hommes » (Mt 4, 19), le premier Pasteur mandaté par le Bon Pasteur Jésus Christ (Jn 21, 15 ; 10, 11) ; l’Apôtre à qui ont été confiées « les clés du Royaume des Cieux » (Mt 16, 19).

A se le rappeler ; avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

5 octobre

L’IMPORTANCE PRIMORDIALE DE LA CATÉCHÈSE

 

Chers Fils et Filles,

 

Le Synode des Evêques, vous le savez, est actuellement réuni à Rome, dans la Cité du Vatican : il dure à peu près un mois : tout le mois d’octobre. Mais qu’est-ce que ce Synode ? c’est une institution nouvelle, issue du Concile Vatican II. Il s’agit d’une réunion d’Evêques choisis par les Conférences Episcopales locales et représentant l’épiscopat du monde entier, destinés à collaborer avec le Pape à la direction de toute l’Eglise, au moyen d’informations et de conseils. Au Synode, actuellement rassemblé trois ans après le précédent, ont été convoqués 204 membres, à peu près tous présents ; aux Evêques élus par les Conférences Episcopales natio­nales se sont joints les Patriarches des Eglises Orientales, quelques Religieux et les Cardinaux-Préfets des Dicastères de la Curie Ro­maine. Une assemblée vraiment représentative, avec son Secrétaire général et quelques auxiliaires et experts.

Et de quoi s’occupe le Synode ? Il s’occupe de thèmes généraux — normalement un à la fois — qui intéressent la vie de l’Eglise. Aussi un Synode a-t-il une importance extraordinaire. Et cette fois chacun connaît le thème choisi d’avance pour permettre de l’étudier non seulement au niveau doctrinal, mais surtout concrètement, dans ses rapports avec l’expérience et avec les problèmes de la vie vécue de l’Église et de la société qui lui est contemporaine. Le thème est la catéchèse, spécialement pour l’enfance et la jeunesse, sans oublier toutefois que l’âge adulte a besoin lui aussi d’une catéchèse à son niveau.

A ceux qui considèrent l’Eglise dans ses larges et complexes pro­portions doctrinales et sociales, cela peut sembler un thème trop particulier, un thème qui restreint la vision d’ensemble des problè­mes religieux, historiques, moraux dans lesquels est impliquée la vie de l’Eglise. Mais il n’en est pas ainsi : il s’agit, certes, d’un problème spécifique, la catéchèse, mais c’est là un problème fonda­mental, un problème « séminal », et toute la vitalité, toute l’effi­cience de l’Eglise elle-même dépendent de sa solution. Avant tout parce que la religion de Jésus Christ est fondée sur la Foi, c’est-à-dire sur la Parole de Dieu, aussi bien dans sa phase d’énonciation, dans son magistère que dans sa divulgation, dans sa pédagogie, dans sa phase d’acceptation ; pour ne pas dire, ce qui importe le plus, dans son contenu, doctrinal, théologique ou moral.

Rappelons-nous l’origine et la nature du christianisme qu’on a l’habitude de couvrir à juste titre d’une parole traditionnelle, mais toujours auguste et mystérieuse : Evangile. Jésus, de qui dérive toute notre religion est la « Parole » qui s’est faite homme ; le Verbe divin qui s’est fait chair, qui est venu dans le monde pour annoncer le « royaume de Dieu » (cf. Mt 4, 17). Jésus est le Maître de l’humanité (Mt 23, 8). Le dessein de son oeuvre est fondé sur l’écoute, l’acceptation, l’application de sa parole. Si le destin de l’homme dépend de cette rencontre avec le Christ par voie d’en­seignement énoncé — c’est la part du Christ — et d’enseignement reçu comme norme de vie, c’est-à-dire l’obéissance à la Foi — c’est l’autre part — on peut entrevoir l’importance primordiale que revêt le contact de l’homme avec la catéchèse.

Mais qu’est-ce que la catéchèse ? C’est précisément l’enseignement fondamental des vérités religieuses, celles que Jésus nous a enseignées par sa prédication, par son exemple, par son Evangile et que nous transmet l’Eglise responsable par son « Education à la Foi » (St Augustin, De Doctrina christiana, Prologus ; P.L. 3, 15 et ss.).

Et l’on peut se rendre compte alors du grand besoin qu’il y a de catéchèse pour tous et toujours et comprendre les exigences di­dactiques que la Vérité soit exprimée avec une scrupuleuse exacti­tude, avec la vivacité que son contenu même inspire et recrée et avec l’étude, c’est-à-dire l’amour, de celui qui se sachant et se sentant disciple ne craint pas de reprendre à la base la doctrine qui n’est jamais assez enseignée et jamais assez étudiée.

Et l’on constate aussi à quel point l’intérêt porté à la catéchèse est actuel au cours d’une phase de développement de la pensée hu­maine qui se berce de l’illusion d’engendrer par elle-même si elle en garde l’estime et le goût, une émotion spirituelle et religieuse subjective ; ou bien, comme il arrive trop souvent aujourd’hui, de pouvoir faire abstraction de la Vérité qui sauve, c’est-à-dire de l’Evangile, et de pouvoir suppléer au manque de la lumière du Christ par la folie de la permissivité.

Retournons tous à la catéchèse, c’est-à-dire à l’école du Divin Maître soit pour faire écho, en humbles apôtres, à sa voix sancti­fiante, soit pour nous laisser pénétrer, d’abord, et nous enivrer ensuite, de la Vérité qui assure la vie.

Avec notre bénédiction apostolique.

 

 

 

12 octobre

LE JUSTE VIVRA DE FOI

 

Chers Fils et Filles,

 

La rencontre que cette audience nous procure, à vous et à nous, a une grande importance. Elle peut être un de ces moments qui restent, non seulement inoubliables, mais aussi décisifs. Pour nous, c’est clair. Nous avons été choisi par le Seigneur Jésus pour faire le Pêcheur ; c’est Lui qui, dans l’Evangile, l’a dit à Pierre dont nous sommes l’humble mais authentique successeur. « Suivez-moi — a dit le Christ aux premiers Apôtres — je vous ferai pêcheurs d’hommes » (Mt 4, 19). C’est toujours avec humble anxiété, avec ardente prière que nous venons à cette Audience, une angoissante demande dans le cœur ; voilà que nous rencontrons tant de personnes et nous ne savons rien de la plupart d’entre elles ; tant d’âmes ! aurons-nous la grâce, le bonheur d’en « pêcher » une ? ; c’est-à-dire de lui inspirer une vraie méditation intérieure, de l’enga­ger sur la voie de l’authenticité religieuse, de la fidélité chrétienne ? Et cela peut être aussi clair pour vous. Que signifie assister à une Audience du Pape ? Cela peut signifier de nombreuses choses ; pour celui qui a de la sensibilité spirituelle et l’intelligence de ses propres destinées, ce n’est pas seulement la curiosité d’une scène excep­tionnelle ou seulement le geste extérieur de piété religieuse qui peut donner de l’intérêt et de l’importance à un moment comme celui-ci. Et nous pensons que pour chacune des personnes présentes ceci est un moment de rencontre, certes, mais non seulement avec notre modeste personne : elle est bien une formidable rencontre avec Celui que nous avons la mission de représenter, Jésus-Christ. Et plus peut-être qu’une rencontre, ceci est pour chacun des assistants une confrontation. Une confrontation avec le Seigneur. Avec ce Seigneur devant Qui toute personne est transparente (cf. Jn 1, 47). Ici, chacun se trouve comme devant un miroir ; le miroir, de­venu extrêmement limpide, est la conscience, éclairée par les yeux du Christ. Si la rencontre était sensible (elle ne l’est pas mais, spirituellement, elle est réelle) quel état d’âme jaillirait dans la conscience de celui qui se sent observé, percé par le regard du Christ ? (cf. Jn 2, 24-25 ; Lc 6, 5 : 22, 60 etc.).

Il n’est peut-être pas téméraire de supposer que la conscience de beaucoup de gens, scrutée par un oeil si pénétrant, se remplirait d’une certaine confusion, aujourd’hui si commune dans la mentalité religieuse de nombreuses personnes. La demande que chacune d’el­les, ainsi interrogées, se répéterait à soi-même, serait celle d’un doute stagnant et incurable : « mais alors le Christ est-il, ou n’est-il pas la vérité ? » (cf. Jn 14, 5 ; 14, 8-11 ; 18, 37). Moi, je crois ou je ne crois pas ? Et ici se présente une des situations spirituelles les plus répandues parmi les contemporains en ce qui concerne la question religieuse. C’est celle de l’incertitude, de l’attentisme, du doute systématique. Ces attitudes apparaissent comme la position la plus prudente, et donc la plus sage, pour la raison humaine, aussi avide de certitude scientifique, c’est-à-dire naturelle, que méfiante à l’égard des vérités qui lui sont prodiguées par la foi. Même si le témoignage qui soutient la foi est le témoignage du Christ ? Oui, malheureusement ! Même si l’adhésion à ce témoignage constitue une raison de salut ? (Mc 16, 16). Oui, Malheureusement !

Et alors, c’est à ce point que nous attendons les hommes d’aujour­d’hui, les chrétiens nouveaux. Il faut recommencer depuis la base qui soutient l’édifice religieux : la foi, l’adhésion à la Parole du Maître, une foi simple, ferme, immédiatement consolidée par le don de la certitude divine. Rappelons-nous la parole fondamen­tale de Saint Paul : « Le juste vivra de foi » (Rm 1, 16-17).

Qu’il en soit ainsi pour nous tous !

Avec notre bénédiction apostolique.

 

 

 

19 octobre

SOYEZ FORTS DANS LA FOI

 

Salut à vous tous, très chers Frères et Fils dans le Christ !

 

Cette audience, comme toutes celles de ce genre, nous rend heureux ; nous voudrions vous communiquer ce sentiment de bonheur spirituel que nous procure cette rencontre : « Le Christ est avec nous ! » (Mt 18, 20). Nous vous remercions pour cette visite si nombreuse, si significative ! A vous, la grâce et la paix du Christ, en abondance ! Nous nous demandons ce que nous poumons vous offrir en échangé du don de votre présence ; ou mieux, nous le demandons au Christ lui-même, Lui qui nous a chargé de Le représenter et de qui nous recevons tout, en vue de cette difficile mission qu’il nous a confiée.

Eh bien, nous voulons avant tout obéir à la Parole que le Christ a dite à Saint Pierre et que nous avons reçue en héritage : « Toi, dit le Seigneur à Pierre, confirme tes frères » (Lc 22, 32). C’est précisément cela, notre tâche : confirmer nos frères; et nous vou­drions que la plénitude, la force, la joie de cette confirmation vous soit prodiguée par le Christ dans cette rencontre, par la vertu de notre ministère.

Cette confirmation concerne évidemment votre foi, une foi que vous professez en ce moment même par cette visite à l’humble successeur de Pierre, c’est-à-dire au Pape. Oui, Fils et Frères, nous voudrions que la grâce particulière de ce moment unique soit pour vous, et pour tous ceux que rattachent à vous des liens naturels ou spirituels, un sentiment de sécurité au sujet de votre foi catholique et chrétienne. Vous savez tous combien la certitude de la foi est aujourd’hui troublée dans le coeur de beaucoup d’hommes, tout spécialement à cause d’un manque de connaissance de la vraie re­ligion; ou encore à cause du doute qui pénètre l’esprit de l’homme moderne au contact de la culture naturelle et scientifique qui nous donne de magnifiques preuves de ses progrès dans tous les do­maines du savoir mais engendre facilement l’opinion que notre esprit, en étudiant et en cherchant, se suffit à lui-même, sans ce supplément de science que seule la Foi peut nous donner.

Et la Foi, c’est-à-dire notre adhésion à la parole de Dieu telle qu’elle nous est enseignée par l’Eglise, n’est pas un supplément superflu pour la vie de l’homme : elle est un supplément nécessaire pour connaître la vérité au sujet de Dieu, au sujet de nos rapports avec Lui, au sujet de notre destin transcendant, au sujet de nos relations avec nos frères, c’est-à-dire avec tous les hommes ; en somme au sujet de notre manière de penser et de vivre. Le véritable sens du monde et de la vie nous est dévoilé par la Foi, c’est-à-dire par la religion, pas simplement par cette religion instinctive, sen­timentale et subjective, née peut-être de quelque expérience spirituelle personnelle ; ce sens ne nous est pas dévoilé par le pluralisme divers et incertain de nos pensées et de nos sentiments particuliers ; ou encore par un opportunisme insignifiant ; et moins encore par une facile insouciance à l’égard du monde religieux comme si celui-ci n’était qu’une vaine et inutile divagation. Notre Unique et véritable Weltanschauung (vision du monde) doit dépendre de notre Foi qui n’est certes pas contraire à la science et à la pensée naturelle, à qui elle donne plutôt impulsion et vigueur.

C’est pourquoi, pour vous souvenir de cette Audience, nous vous répétons les paroles qu’a écrites Saint Pierre : « Soyez forts dans la foi » (1 P 5, 9) !

Avec notre bénédiction apostolique.

 

 

 

26 octobre

LE SYNODE, SIGNE D’UNITÉ DE L’EGLISE

 

Chers Fils et Filles,

 

Au moment où il est presque arrivé à son terme, nous vous dirons quelques mots du Synode des Evêques, réuni à Rome durant ce mois d’octobre. Tout le monde sait de quoi il s’agit. Il s’agit d’une réunion d’Evêques, provenant, peut-on dire du monde entier ; ou mieux, de toute Région où l’Eglise Catholique est consti­tuée ; environ 200 participants, si l’on compte les représentants des Familles religieuses, et des Chefs des Dicastères Romains. Que le monde moderne s’exprime dans des organismes internationaux, quasi universels et organiques, est un fait de civilisation qui fait honneur à notre époque et fait espérer un sort toujours meilleur de l’humanité. Mais nous ne pouvons ignorer qu’il existe un orga­nisme, analogue mais original, antérieur dans le temps, supérieur dans les objectifs et spirituellement incomparable, qui s’occupe, lui aussi, de réunir le genre humain, de lui inspirer un sens de fraternité fondée sur une Identité de principes, d’intérêts et de sentiments, qui transforme la multiplicité de ses membres en une communion de personnes qui, tout en conservant ou, mieux, en dé­veloppant leur propre personnalité, se rendent compte et se réjouis­sent d’être une unique société, un seul corps.

Cet organisme, nous le savons tous, s’appelle Eglise, ce qui si­gnifie assemblée, et se qualifie d’universel, c’est-à-dire ouvert à tous les hommes, considérés soit individuellement, soit collective­ment, c’est-à-dire une Eglise Catholique. Dans cette toute par­ticulière association d’êtres humains, un aspect ou, plutôt, un fait essentiel et profond est manifeste : c’est l’unité. Nous répétons avec respect et avec joie cette note ou, pour mieux dire, cette pro­priété, parce qu’elle nous indique le secret de ce phénomène humain, elle nous avertit que celui-ci cache et, en même temps, manifeste un mystère, une présence transcendante, une activité divine impondérable mais absolument certaine : l’unité de l’Eglise est un effet de l’Esprit Saint, âme du corps mystique du Christ.

Relisez, très chers Frères, le récit de la Pentecôte au second chapitre des Actes des Apôtres. La nouveauté du fait prodigieux est attestée par l’explosion, si l’on peut dire, de la parole inspirée, résonnant dans la multiple diversité des langues propres à tous ceux qui eurent le bonheur d’assister à cette première « épiphanie de l’Eglise » (cf. J. Hamer L’Eglise est une communion, p. 221). Relisez ce qu’écrivait Saint Paul qui recommandait aux Ephésiens de « conserver l’unité de l’Esprit par ce lien qu’est la paix ». Et il ajoute : « Il n’y a qu’un Corps et qu’un Esprit, comme il n’y a qu’une espérance au terme de l’appel que vous avez reçu ; un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ; un seul Dieu, et Père de tous (...) Chacun de nous a cependant reçu sa part de la grâce divine selon que le Christ a mesuré ses dons... » (Ep 4, 3-7).

Ce sont là des paroles qui résolvent dans la parfaite unité de la doctrine le grand et difficile effort oecuménique et autorisent un certain pluralisme extrinsèque des formes d’expression de la même foi, fleurissant d’une souche identique et convergeant vers une iden­tique unité d’amour et de vie.

Nous voudrions que vous puissiez tous recueillir comme une vision de beauté spirituelle, comme un sanctifiant concert d’har­monie comme un fortifiant engagement de fidélité, votre rencontre à Dieu avec le Synode des Evêques qui se conclut près de la Tombe de l’Apôtre Pierre, et que cette rencontre vous fasse ressentir que vous aussi vous participez à la Foi, à l’Espérance à la Charité que l’Esprit répand dans sa sainte Eglise.

Avec notre bénédiction apostolique.

 

 

 

2 novembre

LE MYSTÈRE DE LA MORT ET L’ESPERANCE DE LA RÉSURRECTION

 

Chers Fils et Filles,

 

Dans cette journée consacrée à la mémoire des fidèles défunts, la religion investit notre existence d’une manière telle qu’elle nous conduit à consacrer au thème liturgique notre bref sermon de l’audience hebdomadaire. Et tout aussitôt, nous nous sentons tous comme écrasés par la double pensée qui envahit nos âmes, les remplissant, dans une mesure surhumaine, de crainte et d’espérance. La double pensée est celle de la mort et celle des morts.

Quant au premier aspect de ce thème, celui de la mort, nous nous souvenons de l’avoir déjà médité dans sa tragique réalité lorsque, au début du Carême, l’Eglise nous avertit, comme pour nous réveiller de notre habituelle insouciance : « Souviens-toi, ô homme, que tu es poussière et que tu retourneras en poussière ». La gravité de l’annonce se référant à la vie présente, sur laquelle pèse l’inexorable sort de la destruction. Aujourd’hui, par contre, le message défie l’avenir et cherche à percer le mystère de l’au-delà. Et ce mystère assume un aspect effrayant, mais aussi absolument rassurant : c’est le mystère de la résurrection des morts, placé à l’épilogue de l’aventure humaine, presque comme un victorieux défi à la dissolution de l’existence humaine. Notre foi, avec une force incomparable, avec une autorité qui n’admet aucun doute, avec un regard prophétique qui voit engagée dans la palingénésie finale, la toute-puissante et re-créatrice vertu divine, nous donne l’assurance de la résurrection des morts. Relisez, ô fidèles, le chapitre XV de la célèbre Première Epître de Saint Paul aux Corinthiens. Vous sentirez alors frémir en vous-mêmes la force de la parole divine : « Le Christ est ressuscité des morts, prémices de ceux qui sont morts... Et de même que tous meurent en Adam, tous aussi revivront dans le Christ... Ainsi en va-t-il de la résurrec­tion des morts; on sème de la corruption ; on sème de l’ignominie, il ressuscite de la gloire ; on sème de la faiblesse, il ressuscite de la force ; on sème un corps physique, il ressuscite un corps spirituel... Et de même que nous avons revêtu l’image du terrestre, il nous faut revêtir aussi l’image du céleste » (1 Co 15, passim). « L’espé­rance ne déçoit pas » (Rm 5, 5). C’est cette espérance surhumaine dont nous ne pouvons même pas imaginer la réalité, qui doit éclairer notre vie présente, prosaïque, souffrante, faible : « O mort ! où est ta victoire ? » (1 Co 15, 55).

Et ainsi, c’est dans l’ivresse de ce mirage non trompeur du triomphe final de notre vie dans le Christ, que nous nous inclinons sur la tombe de nos Morts. Nous nous avançons dans l’obscurité de l’« autre monde » ; un monde dont les images précises nous manquent et que nous ne pouvons, par conséquent, nous représenter selon notre manière actuelle de connaître et de penser. Mais nous connaissons par contre quelques vérités qui nous instruisent et nous réconfortent ; et avant tout, nous savons que nos Morts sont encore vivants ! L’âme humaine est immortelle Même séparée du corps dont elle a été la forme vivante, elle survit. Et nous savons également qu’une présence divine les enveloppe: le jugement de Dieu ! nous tremblons ! (cf. Rm 2, 2 ; 14, 12 ; Mt 16, 27 ; etc.). Mais nous savons que le Seigneur est bon et clément ; il connaît la faiblesse de l’homme ; il est « riche en miséricorde » (Ep 2, 4). Et nous en savons même plus ! nous savons qu’une bonne et bénéfique action de notre part peut, dans le mystérieux décompte des mérites devant Dieu, se révéler utile pour nos Défunts ! C’est ce que l’Eglise enseigne dans l’ordre des suffrages : un enseigne­ment des plus consolants ! La « communion des Saints » peut opérer également à travers le cosmos ultra-terrestre : prières, aumônes, pénitences, bonnes oeuvres, tout cela, nous pouvons le faire et en créditer nos Défunts.

Une consolation ineffable envahit nos cœurs attristés ! Nous accueillons comme s’il venait d’outre-tombe, le message de Dante : « on a grand profit ici par ceux de là-bas » (Purgatoire, chant III, 145) et, le faisant nôtre, adressons pour les défunts nos suffrages.

Avec notre bénédiction apostolique.

 

 

 

9 novembre

UNE TRANSFORMATION INTÉRIEURE

 

Nous regardons vers le monde. Vous-mêmes Frères et Fils bien-aimés, vous êtes aujourd’hui pour nous des signes du monde dans lequel nous sommes et que nous voudrions rencontrer. Nous savons maintenant deux choses qui viennent se confronter : nous sommes au milieu de vous comme messager d’une annonce de vie et cherchons à qui confier ce message. Vous nous apparaissez comme des gens qui cherchent, des gens qui attendent, des gens qui désirent : n’est-ce pas là votre attitude, aujourd’hui ? Des gens inquiets, des gens qui se sont mis en route et ne savent où se diriger. Spécialement si parmi vous il y a des jeunes : ceux-ci sont anxieux de marcher, mais ils ne savent pas exactement où aller. Et même beaucoup et précisément parmi les jeunes ou parmi ceux qui sont vigilants et curieux de contrôler la juste direction de leur vie, doutent de la justesse de leur marche et se demandent : Où allons-nous ? où va-t-on ? et leur regard plonge au loin, à la recherche d’un point d’arrivée, qui est le point d’orientation. On est généralement persuadé qu’il faut aller en avant, mais où, cela on ne le sait pas bien. Parmi les foules de notre temps règne le soupçon de faire fausse-route, ou au moins se fait une réflexion sur la direction à préférer et à décider pour les nouveaux pas à choisir. Vous comprenez. que cette image d’une foule en mouvement, agitée du besoin de savoir où se diriger, se réfère au monde dans lequel nous nous trouvons. Après tant de travail, après tant de progrès, surgit dans la conscience de beaucoup et, nous le répétons, spécialement des jeunes, la demande : sommes-nous sur la bonne voie ; et même sans vouloir discuter si la voie de l’évolution de notre temps est légitime et digne d’être parcourue, il est évident pour chacun qu’elle ne suffit pas, c’est-à-dire qu’elle n’est pas arrivée là où il est nécessaire d’arriver ; il faut au moins aller au-delà. Où va-t-on ? Mieux, plus long est le chemin parcouru, et plus grand est le besoin de savoir s’il a un but, et lequel.

Cette angoissante question nous touche directement, nous, ministre de Celui qui a dit : « Je suis la Voie ! » et nous avons l’impé­rieux devoir d’indiquer, comme si c’était un secret du salut (et c’en est un), quelle est la voie, véritable et vitale, qu’il faut parcourir. Ici se présente notre messianisme, c’est-à-dire notre ministère qui dévoile et offre la vision et, avec la vision, une première expérience ou une garantie de conquête satisfaisante au sujet de la réalité d’une nouvelle plénitude de vie, d’un nouveau « royaume » pour employer un terme biblique. Et voici que nous nous trouvons, précisément au seuil de ce royaume, instruits par une autre Parole du Christ qui, faisant écho au cri du Précurseur, en fit le prélude de toute sa prédication évangélique : « Convertissez-vous, car le Royaume des deux est proche » (Mt 4, 17).

Cette parole « Convertissez-vous » constitue un programme et elle synthétise en grande partie le processus spirituel et moral qui rend possible l’action rénovatrice de l’Evangile. On a beaucoup discuté en commentant l’Evangile, du sens de ce terme : metanoia, en grec, et paenitentiam agere, conversio, en latin ; et à bon droit, car il s’agit d’un terme-clé qui pose globalement les conditions d’accès à ce « royaume des cieux » ou « royaume de Dieu » qu’est pour nous la nouvelle vie, la bonne fortune évangélique. Et ici, chacun est invité à faire de l’Evangile un problème personnel. Sommes nous disposés à résoudre ce problème comme le Christ nous le propose ? C’est précisément au début de la voie du salut que se présente une option qui peut être décisive. Que nous demande-t-on pour pénétrer dans le milieu du « royaume des cieux » ? On nous demande une transformation intérieure, une métamorphose de mentalité. Il y a des personnes qui se refusent à admettre pour, elles-mêmes la nécessité de changer quelque chose à leur propre manière d’être et de penser : tout le naturalisme qui soutient que l’homme est bon tel qu’il est et qui prétend que c’est un droit et un devoir pour l’homme de se conduire selon les impulsions instinctives de son propre être, jugé déjà parfait en lui-même et pas du tout imparfait, et moins encore altéré par l’héritage du pèche originel, ce naturalisme, donc, s’oppose radica­lement à la grande nouveauté du salut chrétien et accepte la triste espérance de la vie humaine abandonnée à elle-même avec toutes les conséquences dramatiques et tragiques de son développement irrégulier et souvent pervers.

Et cela, c’est l’histoire d’une grande partie de l’humanité à qui n’est pas encore échu le bonheur de recevoir l’Evangile avec ses richesses prodigieuses de vérités et de vie.

Ne nous refusons pas à considérer cette condition mise à notre entrée dans la voie du Christ et à oser introduire dans notre psycho­logie et dans notre vie morale la « conversion » que cette voie exige de nous ; elle nous obligera, certes, à la pédagogie de l’humilité (cf. St Augustin, De Trinitate, VIII, 5-7 ; P.L. 42, 952) qui est propre­ment la joyeuse vérité du chrétien.

Ainsi soit-il, avec notre bénédiction apostolique.

 

 

 

16 novembre

SEIGNEUR, QUE VEUX-TU QUE JE FASSE ?

 

Chers Fils et Filles,

 

Il est clair, pensons-nous, que dans un milieu et, à un moment comme celui-ci, dans un climat social comme le nôtre aujourd’hui, il doive s’instaurer dans la conscience de chacun une demande impérieuse : moi, que dois-je faire ? suis-je sur la bonne voie ? quelle est l’orientation dominante de ma vie ? Une semblable ques­tion s’impose avec une exigence décisive lorsque les circonstances de la vie confèrent à l’esprit un moment de clairvoyance, et im­posent un choix qui, par la suite, peut gouverner la manière de penser et d’agir. Rappelez-vous Saul (qui, ensuite, sera Paul) sur le chemin de Damas, surpris par la fulgurante vision du Christ qui lui reprochera : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » et Saul, après avoir demandé : mais qui es-tu Seigneur ? et que la réponse fut, comme nous le savons : « Je suis Jésus, que tu persé­cutes !, et alors Saul dit en tremblant : « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? » (Ac 22, 10). Voilà la grande question du salut : que faut-il faire ?

Donc, il faut se rappeler qu’il y a deux questions fondamentales pour l’orientation de notre vie : l’une regarde l’être, ce qu’il est ; elle naît de notre capacité de connaître et nous confronte avec les problèmes scientifiques et théologiques, les problèmes de la culture et de la conscience ; question fondamentale, indispensable, priori­taire, mais spéculative, et non décisive pour le destin suprême de notre existence. L’autre question concerne l’activité humaine et s’adresse plutôt à la volonté : elle s’exprime précisément dans la demande : que dois-je faire pour donner à ma vie son sens le plus plein, sa signification la plus élevée ? Elle regarde l’aspect moral, cet aspect qui est, lui aussi, indispensable ; et, à certains égards il l’est à un degré supérieur à l’aspect spéculatif. Les destinées de la vie humaine dépendront en fin de compte, de la réponse que nous aurons donnée à cette demande relative à l’activité dans laquelle sera engagée notre vie elle-même. Nous ne seront pas jugés pour ce que nous sommes, mais plutôt pour ce que nous faisons. A cet égard, l’Evangile est très clair : lisez le Magnificat, lisez les béati­tudes ; rappelez vous la parabole du Christ au sujet des talents : ce n’est pas la bonne fortune de les posséder qui compte, mais les fruits qu’on est capable de faire produire aux talents eux-mêmes ; ce sont ces fruits qui constituent leur véritable fortune pour nous. Le « faire », le « bien faire », le « faire le bien », tout cela, dans le jugement final, l’emporte sur la valeur de notre existence, sur l’être et sur le savoir.

Et alors, ce qui importe par-dessus tout, c’est l’engagement de notre volonté.

Ceci comporte un complément dans notre éducation moderne, dans laquelle la liberté a, très justement, une première place subjective dont nous devons tous être les gardiens et défenseurs jaloux (voyez la déclaration du récent Concile au sujet de la liberté religieuse). Mais la liberté est appelée objectivement à s’exercer dans la recherche et dans le choix du bien; elle est appelée à faire son propre devoir. L’obligation morale invite à soi la liberté, qui apparaît alors le visage éclairé de lumière divine, lorsqu’elle choisit la loi du devoir, lorsqu’elle ne se décompose pas dans le caprice arbitraire qui avilit la liberté même dans la sujétion à des passions aveugles ou à de bas intérêts.

Pour nous, croyants, la foi sera la norme et le soutien dans l’orientation tant spéculative que pratique de notre vie, nous souvenant toujours de l’affirmation capitale de Saint Paul qui nous répète : « l’homme juste vit de foi » (Rm 1, 17).

La vie chrétienne exige un engagement total de la volonté. Ce don du coeur est ce qui la caractérise. Elle est amour, elle est bonheur, elle est sacrifice, elle est communion avec le Christ de notre foi, guide et source de notre action. Il vaut la peine d’en faire l’expérience !

Avec notre bénédiction apostolique !

 

 

 

23 novembre

SEIGNEUR, SANS TOI, OÙ IRONS-NOUS ?

 

O Vous tous, présents à cette audience qui se place au seuil de cette période liturgique que nous avons l’habitude de considérer comme particulièrement importante dans le discours du temps, et que nous appelons « l’Avent », pourquoi êtes-vous venus ? Quel motif vous a poussé à venir à cette rencontre ? Une simple curiosité touristique (« allons voir également cette figure singulière qu’est le Pape ») ? ou une simple raison de dévotion catholique (« il est toujours beau d’assister à une Audience générale du Pape ») ? ; ou une impulsion spirituelle qui soit presque la conclu­sion d’un processus intérieur d’inquiétude personnelle, et semble faire siennes les paroles du pécheur Saint Pierre après le discours du Christ pré-annonçant le pain eucharistique, un discours qui avait déconcerté les auditeurs de Capharnaüm encore émerveillés par le miracle de la multiplication des pains, accompli la veille, mais incapables de supposer qu’il était le signe prémonitoire d’un miracle plus étonnant, plus insolite, celui de l’Eucharistie ; ce jour-là, voyant la foule incrédule se disperser, Pierre, comme éperonné par les paroles du Christ : « Voulez-vous partir, vous aussi ? », répondant au nom de tous ses collègues, s’exclama : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Nous croyons, nous, et nous savons que tu es le Saint de Dieu » (Jn 6, 67-69).

Oui, à qui irions-nous ? Vous, tout au moins quelques-uns d’entre vous (et nous supposons que ce sont les jeunes, d’âge ou d’esprit) vous êtes ici précisément avec cet esprit ; ce sont ceux-là qui viennent chez le Pape dans l’espoir d’entendre de lui quelque parole secrète et prodigieuse qui réponde à une de leurs intimes « demandes de vie » ; une demande qui se débat entre désillusions et incertitudes, et plus encore entre tensions et besoin anxieux de certitudes nou­velles, par faim intérieure de vérités qui interprètent véritablement le monde bouleversé qui les entoure, et qui leur enseigne une voie sûre, digne d’être parcourue par leur vitalité insatisfaite mais frémissante.

Il existe, pensons-nous, une aspiration — inquiète jusqu’à la souffrance chez beaucoup — vers une solution vitale, le besoin d’un choix, le besoin d’une vie qui ne se perde pas dans les sables d’un désert de problèmes non résolus, ou qui ne s’enfonce pas dans le marais trompeur des fausses et indignes promesses. Dans tant d’âmes généreuses, mais aux yeux bandés, il existe le besoin urgent de trouver une formule de vie qui assure un emploi plein et valeureux aux énergies dont elles débordent, mais qui sont déçues par les flatteries de la vie ordinaire ou par l’attrait de programmes illusoires, ou seulement médiocrement capables de donner un sens plein et noble à ce que nous concède la propre existence.

Après les bouleversements des guerres récentes, après un mode de vie sans idéal ou soutenue par des objectifs de médiocre valeur ou aveuglée par des conceptions politico-sociales incomplètes et peut-être inhumaines et défaitistes, renonçant aux idéaux de l’esprit de la vérité supérieure, une crise se précise dans la génération des hommes nouveaux et libres qui cherchent anxieusement une vo­cation qui vaille vraiment la peine d’être vécue avec un héroïsme muet mais non fallacieux.

Il y a probablement parmi vous, jeunes, hommes et femmes qui nous écoutez, des personnes, des personnes vivantes qui souffrent dans leur recherche de ce modèle de vie non pas étrange mais caché. Vous attendez peut-être de nous la formule de la vraie vie, celle qui possède en soi le trésor des valeurs qui justifient le risque, le don d’un choix qui ne souffre aucune comparaison ?

Eh bien, à vous qui êtes avides de cette réponse suprême, la réponse concernant l’engagement authentique, sage, vraiment humain de la vie, nous dirons deux choses : d’abord notre ignorance au sujet de celles qui forment la richesse, la force, l’attrait du monde extérieur. Nous sommes des étrangers, nous sommes des pauvres en esprit. Ne nous demandez pas, ne demandez pas à l’Eglise ce que nous ne pouvons vous donner. Nous ne connaissons plus le bonheur de la terre (cf. Jn 16, 20).

Mais si vous nous demandez le secret de la vie véritable, celle qui est fondée sur la vérité, sur l’amour, sur la concomitance de la grâce divine ; celle des hommes forts, austères, et joyeux, celle des hommes qui vivent la vie, même modeste et pauvre, de la société moderne, mais soutenue par des idées vraies, par une communion transcendante qui rend l’esprit heureux même dans l’adversité, celle, en bref, de la vocation du baptême, pleine de chant intérieur et qui ne s’éteint pas avec la mort, la vie bonne et simple et honnête et sereine, la vie chrétienne, en somme, celle-là, oui, nous pouvons vous l’enseigner et vous aider à la vivre. Le voulez-vous ?

Avec notre bénédiction apostolique.

 

 

 

30 novembre

L’AVENT DU CHRIST

 

L’Avent est commencé. Qu’est-ce que l’Avent ? L’Avent est cette période de temps qui, dans la prière officielle de l’Eglise, précède et prépare la célébration de Noël. La prière de l’Eglise suit le cours du temps qui, pour nous, se déroule non seulement selon le cycle cosmico-saisonnier des périodes thermo-­agraires, mais aussi dans le souvenir renouvelé de la vie temporelle du Christ et de l’œuvre qu’il a accomplie, et qui est la Rédemption, le mystère de Dieu dans l’histoire. L’Eglise fixe un tel événement dans le rythme solaire du temps, pour le constituer comme point central dans la succession de l’histoire même, c’est-à-dire dans le temps qui passe : « Notre Mère la sainte Eglise estime qu’il lui appartient de célébrer l’œuvre salvifique de son divin Epoux par une commémoration sacrée, à jours fixes, tout au long de l’année... » (Sacrosanctum Concilium, n. 102) ; de telle sorte que la première observance de la vie religieuse consiste à percevoir la relation qui existe entre le temps qui passe et cette présence du Christ qui domine les vicissitudes de notre vie en transit dans le temps, l’inexorable succession des causes et des événements dans laquelle notre existence actuelle naît, s’affirme et meurt.

Aussi, la première pensée qui vient du fond de notre conscience doit-elle être cette forme et cette mesure d’existence dans laquelle nous nous trouvons, afin comme le dit Saint Paul dans son célèbre discours d’Athènes « de chercher Dieu pour l’atteindre, si possible, comme à tâtons et le trouver; aussi bien n’est-il pas bien loin de chacun de nous. C’est en lui, en effet, que nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Ac 17, 27-28). Le sens naturel, fondamental, primordial de Dieu doit s’ouvrir, au milieu des mille expériences de la vie profane, dans quelqu’éclair d’illumination qui soulève en notre esprit le problème fondamental de Dieu. Dieu frappe à notre porte (Ap 3, 20). Alors l’Eglise, par sa sage et maternelle pédagogie, nous parle du Christ et, les jours que nous appelons jours du Seigneur, c’est-à-dire les dimanches, nous racontent l’histoire de sa venue et transfigurent le récit en célébration parce que — et nous devrons y revenir — cette célébration liturgique est un moment de présence : nous dans le Christ et le Christ en nous. Le Christ qui vient, voilà la présentation de son arrivée historique et figura­tive ; ceci est l’Avent que nous devons célébrer en premier lieu. Ce n’est pas de l’imagination, mais du souvenir, de l’histoire. Une histoire rétrospective par rapport à notre actualité contemporaine ; une histoire qui a commencé il y a 1977 années (si l’on s’en tient au calcul initial de Cyrille d’Alexandrie que le moine Denis, dit le Petit, composa à Rome entre le V° et VI° siècle après le Christ, compilant la collection des Conciles).

Ce besoin de recourir aux documents antiques pour avoir des renseignements chronologiques sur l’Avent du Christ nous apprend qu’il s’agit d’un fait déterminé, d’un fait historique, comme nous le disons, qui ramène à la réalité du temps, ou mieux, au mystère du temps choisi par Dieu pour la venue de son divin Fils sur la scène du monde (cf. He 1, 2) ; et nous rappelle notre devoir de connaître l’« histoire sainte » ou pour mieux dire l’Ecriture Sacrée, la Bible (cf. Dei Verbum, nn. 9-10). C’est le livre de la Révélation qui constitue, avec la Tradition, (ibid. n. 8) la source historico-divine de notre foi. Elle a le regard fixé sur le passé, d’où se projette dans les siècles cette Parole de Dieu dont notre religion tire certitude et richesse.

Pour bien célébrer l’Avent, nous devons avoir le plus grand respect pour cette sage attitude : regarder en arrière, regarder l’histoire, l’« histoire sainte » à travers laquelle à jailli la lumière sur le monde. Relisons Vito Fornari : « Jésus vint au monde comme vient à nous une personne dont nous avons déjà entendu le bruit des pas. Le bruit de la venue fut d’abord léger, comme il est normal quand il vient de loin, puis il s’est fait plus sonore et tout proche ; mais, commencé depuis l’origine, puis continué sans arrêt et en dernier ressort tellement clair que toute chose paraissait une voix d’annonciation, et que le monde semblait, ne plus être autre chose, tout entier qu’une préparation de la venue du Christ » (Vita di Gesù Cristo, 4. 1, vol. 1, p. 31).

Faisons tous le projet de compléter notre culture profane, d’enri­chir notre formation religieuse en recherchant dans les Ecritures, sous l’éclairage du Magistère de l’Eglise la Vérité qui sauve.

C’est là un projet qui peut le mieux nous conduire dans cette nouvelle année liturgique et renforcer nos pas pour le chemin suivant.

Avec notre bénédiction apostolique.

 

 

 

7 décembre

LE CHRIST EST VENU. LE CHRIST VIENDRA

 

Chers Fils et Filles,

 

Noël est proche. Si nous essayons de le comprendre comme point de contact du Dieu éternel avec le flux ininterrompu du temps qui s’écoule, nous parvenons plus facilement à considérer cet événement dans le passé, que l’Evangile fixe dans l’histoire, et dans l’avenir, dont l’Evangile se fait prophétie. Noël nous oblige à penser au Christ qui est venu, et au Christ qui viendra. Sur la bande de l’histoire se trouve enregistrée l’apparition du Verbe de Dieu qui s’est fait homme. Nous, nous ne finirons jamais de consi­dérer cet événement : dans sa lente et séculaire préparation, dans sa brève apparition, dans ses conséquences qui nous touchent encore et font de notre existence temporelle une expérience, une épreuve, en comparaison de cette présence momentanée du Christ durant les brèves années de sa vie sur la terre, notre modèle, notre type d’humanité notre maître, notre sauveur et fondateur de la société du salut, de la communion existentielle avec Lui que nous appelons l’Eglise. Cet Avent, constaté dans des événements prodigieux en eux-mêmes mais presque inaperçus sur la scène du temps, fut cependant d’une importance telle qu’il constitue le point central de l’histoire du monde : « … mysteria clamoris, quae in silentio Dei operat a sunt » ; ce furent, écrivait déjà, au début du deuxième siècle, Ignace, le célèbre Evêque d’Antioche, martyrisé à Rome, ce furent des mystères retentissants, mais accomplis dans le silence de Dieu (Ad Ephes, 19). Le Noël temporel du Christ fut l’épilogue de l’ancien Testament, mais il fut, en même temps, l’inauguration du nouveau Testament, celui dans lequel se déroule aujourd’hui notre présente existence. C’est ainsi que Noël nous fait célébrer deux venues du Christ, celle de Bethléem, passée mais fulgurante dans les siècles qui lui ont suc­cédé jusqu’à nous, et jusqu’à la fin du monde ; et l’autre, celle future, lorsque le Christ reviendra. Ce sera, sous une forme que nous ne pouvons même pas imaginer, qu’il viendra, dans toute sa gloire, pour juger l’humanité entière, « les vivants et les morts », c’est-à-dire ceux qui sont vivants de la vie du Christ et ceux qui, par leur culpabilité, s’en sont privés.

Noël n’a pas seulement le regard tourné vers le passé, vers la nais­sance de Jésus dans la chèche. Noël a le regard projeté également vers l’avenir, vers la nouvelle et future venue glorieuse du Christ (cf. 2 Th). Cette prévision est pleine de mystère, mais pleine également d’ineffable réalité : « En effet, comme il est écrit, dit Saint Paul, nous annonçons ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au coeur de l’homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. Mais Dieu nous l’a révélé par l’Esprit... ». Et nous, nous ne devons pas oublier ce futur, eschatologique comme on le définit, avènement qui conclura pour l’éternité le royaume de Dieu et fixera notre sort pour toujours. Il est suspendu au-dessus de nous, presque comme une sanction prophétique, à la fin du temps, de l’accueil que nous aurons fait au premier Noël dans le temps qui nous est accordé. Le sens de la vie présente s’éclaire à la lumière de la vie future. Les valeurs morales de notre existence s’imposent à nous au mo­ment de l’extrême confrontation avec l’Avènement du Juge, qui pour nous fut un frère, un maître, un modèle et même le pain de vie dans le temps présent, et qui nous a enseigné le sens de la charité fraternelle comme titre pour être admis à nous associer, pour toujours et pleinement, à la vie divine.

Que notre Noël ne soit donc pas un événement mondain et profane, mais un moment de convergence du Noël évoqué par l’Evangile avec celui auquel on croit et qu’on espère pour l’éternité : une fête de Noël, pieuse et bonne et bénéfique, celle de celui qui est chrétien.

Avec notre bénédiction apostolique.

 

 

 

14 décembre

LE NOËL DU PRÉSENT

 

Chers Fils et Filles,

 

Comme il se doit, la fête prochaine de Noël mobilise notre attention. Quelle est la signification religieuse essentielle de cette fête ? Nous l’avons déjà considérée sous deux aspects: le pre­mier est l’aspect commémoratif, historique : nous — c’est-à-dire l’Eglise — nous entendons célébrer la naissance de Jésus-Christ, advenue il y a 1977 ans à Bethléem. Noël est un souvenir d’une extraordinaire importance, il nous porte à évoquer l’histoire du monde et de l’humanité antérieure au fait commémoré que nous avons coutume d’admirer, après les siècles de l’attente et de la prophétie, dans la scène merveilleuse de la crèche au milieu de la nuit enchanteresse ; une scène dont nous ne finirons jamais de mé­diter, dans toutes ses circonstances, la relation avec l’histoire reli­gieuse qui l’a entourée et qui l’a précédée ; l’extrême humilité de la scène évangélique et le chant ineffable des anges qui l’a exaltée avec une incomparable, une céleste solennité, rendent l’événement séduisant pour toute l’histoire du monde et pour chaque être humain qui a été gratifié de l’heureuse fortune d’avoir un Frère divin. Ceci est l’aspect que l’on considère le plus et, avec le souvenir ébloui de la contemplation de cet événement, il entraîne aussi l’imagination à l’exalter devant la familiarité pastorale dont la scène est inépui­sablement féconde.

L’Eglise, qui naît de l’Avènement du Christ dans le monde, y a découvert un second aspect : l’aspect prophétique ; elle sait et croit que dans l’humilité de la crèche, Noël est un premier moment de la présence du Christ dans l’humanité, prélude et promesse de son autre et triomphale venue au terme de la présente vie historique des hommes sur la terre. De cet Avènement futur nous ne savons rien, sinon qu’il se réalisera dans la gloire et dans la puissance pour un jugement final de l’histoire du monde; voilà une pensée qui devrait pénétrer vos consciences et les entraîner à plus de vigilance et de sollicitude dans l’accomplissement de l’Evangile que le Christ nous a laissé, non seulement comme souvenir, mais aussi comme commandement responsable. L’Avent — comme l’avons déjà dit, a le regard fixé sur le passé, sur le Noël que nous com­mémorons, mais également sur l’avenir qui contient le secret d’une future venue du Christ, celle qui décidera de notre destin éternel.

Mais ce double rapport que nous avons avec le Christ en inclut un autre, et Noël nous invite à y penser : c’est le Noël du présent. Oui, le Christ nous a quittés: sa présence sensible et personnelle ne nous est plus accordée (elle le fut, dans d’exceptionnelles visions : souvenons-nous de Paul Ac 9, 7 etc. — et de quelques saints, pour de brefs épisodes intérieurs). Mais nous-mêmes, avons-nous le souvenir d’une présence du Christ dans notre vie, une présence qui est son « avènement » continu parmi nous ? Rappelons briè­vement le nom sous lequel le désigna le Prophète Isaïe d’abord, puis l’Ange à Joseph dans un songe : il l’appela « Emmanuel », ce qui veut dire « Dieu parmi nous » (Is 7, 14 ; Mt 1, 23). Ce nom ne comporte-t-il pas une présence permanente dans le monde, parmi les hommes ? et Jésus lui-même n’a-t-il pas dit, au moment de prendre congé de ses disciples, avant que son Ascension le fit disparaître dans les cieux : « Voici, je suis avec vous chaque jour jusqu’à la fin des temps » ? (Mt 28, 20). Puis, et tout spécialement, le Seigneur n’a-t-il pas institue le sacrement de l’Eucharistie dans lequel il se trouve réellement vivant et vrai ? Cet adorable sacre­ment, n’est-ce pas une présence permanente du Christ parmi nous ? Non pas, évidemment sous son apparence sensible, mais dans sa réalité sacramentelle ? Pour notre bonheur et pour notre réconfort, nous savons tous et nous croyons que c’est, non pas seulement à Bethléem, mais en tout lieu du monde où l’Eucharistie est célébrée que la véritable et réelle présence du Christ lui-même est offerte à chacun de nous, orphelins de sa présence sensible ; et offerte comme aliment sacrificatoire pour notre pèlerinage actuel vers la vie éter­nelle. N’est-ce pas là un Noël permanent ?

Nous devons raviver, et précisément en célébrant la grande fête de Noël, notre foi en la mystérieuse et joyeuse présence eucharisti­que parmi nous. D’ailleurs, combien de moyens nombreux et divers, mystiques ceux-ci, sont à notre disposition pour rendre de manière habituelle et vraie la présence vivifiante, et dès maintenant sancti­fiante, du Christ parmi nous ! : son Evangile, son Eglise, ses Pauvres... Chaque jour peut être un Noël pour nous !

Avec notre bénédiction apostolique.

 

 

 

21 décembre

NOËL, PRODIGE DE LA MATERNITÉ DE MARIE

 

Chers Fils et Filles,

 

Nous voici à Noël. Avec les vœux qu’une pieuse et aimable coutume fait abonder, pleins de cordialité, sur les lèvres et dans le coeur de tous ceux qui ont conscience du caractère très spécial de cette fête, source pour ainsi dire première de sentiments nobles et élevés dans la conversation sociale, accueillez, Fils et Filles bien-aimés, notre vœu particulier. Ce vœu, conforme à notre mission religieuse, est que vous puisiez à leur source authen­tique et originelle les raisons des joyeuses manifestations de la fête de Noël, c’est-à-dire, donc dans le fait, dans le mystère que Noël commémore et ravive : l’Incarnation du Verbe de Dieu. Le Fils éternel de Dieu, consubstantiel au Père, créateur de l’Univers, s’est fait Homme ; il est devenu un homme parmi nous, il s’est placé, en suprême humilité mais en effective réalité au centre de l’huma­nité au point de rencontre des prophètes avec l’histoire du monde, afin de donner aux hommes un Evangile, une foi et un salut qu’ils ne pouvaient conquérir d’eux-mêmes, marquant ainsi le centre du temps et des événements, le point focal, le sens du cosmos. Nous devons prêter la plus grande attention à ce dessein divin qui se greffe sur le déroulement du devenir terrestre et humain. Et, à la fin des temps, du vêtement d’humilité, de pauvreté et de douleur, dont il fut historiquement revêtu durant les jours de sa présence sur la terre, rayonnera, comme un soleil qui s’allume, une fulgu­rante majesté.

Oui, soyons empressés et avides de connaître, d’approcher, de toucher cette divine présence qui s’appela Jésus (cf. Mt 1, 20-23 ; He 1, 1-4 ; 1 Jn 1, 1-4). Nous voici alors conduits au lieu, à la scène de la naissance de Jésus, à la crèche de Noël que mille et mille artistes et saints et dévots ont tenté de représenter. Mêlés à l’humble escorte évangélique, nous suivons les pas hâtifs des bienheureux bergers réveillés par les anges ; et nous avons la joie de trouver, comme le dit textuellement l’Evangile de Saint Luc « Marie et Joseph, et le nouveau-né couché dans la crèche » (Lc 2, 16). A ce point, il nous faut faire une pause et contempler. Con­templer quoi ? le prodige de la maternité de Marie : la voilà la source !

Il importe de recueillir sur-le-champ cette révélation. La révé­lation du Dieu qui s’est fait homme; le mystère de l’Incarnation : dans notre esprit résonne aussitôt l’écho de ce verset fatidique de notre Credo : « Jésus- Christ, pour nous hommes, et pour notre salut, est descendu des deux, s’est incarné par l’opération du Saint-Esprit dans le sein de la Vierge Marie et s’est fait homme ». Pour arriver à Jésus il faut d’abord saluer Marie. Nous devons accueillir avec allégresse et avec vénération ce Mystère de l’Incarnation.

Le Concile a dit : « Ce divin mystère de salut se révèle pour nous et se continue dans l’Eglise que le Seigneur a établie comme son Corps et dans laquelle les croyants, attachés au Christ chef et unis dans une même communion avec tous ses saints, se doivent de vénérer « en tout premier lieu la mémoire de la glorieuse Marie toujours vierge, Mère de notre Dieu et Seigneur Jésus-Christ » (Lumen Gentium, 52). Marie est la « janua caeli », la porte du ciel ; elle est l’« alma Redemptoris socia » (AAS 1974, p. 127).

On a tenté parfois d’accuser l’Eglise d’avoir attribué une trop grande importance à la mission de Marie et à son culte, sans souci de l’irrévérence, par là démontrée à l’égard du mystère de l’Incar­nation et de l’abandon ainsi admis de l’économie historique et théologique de ce mystère fondamental. Le culte que l’Eglise rend à Marie ne porte en rien préjudice à la totalité et à l’exclusivité de l’adoration qui est due uniquement à Dieu et au Christ en tant que Fils consubstantiel avec le Père : un tel culte nous guide plutôt vers cette adoration et nous en garantit l’accès parce qu’il remonte la voie que le Christ a parcourue en descendant pour se faire homme.

Nous avons déjà exposé quelques considérations dans notre Exhortation Apostolique Marialis cultus (AAS 1974, p. 113 et suiv.) ; et nous voudrions que votre dévotion envers la Vierge Marie et votre souci de commémorer dignement Noël, vous suggè­rent des pensées et des sentiments qui disposent précisément vos âmes à célébrer le mystère de Noël avec, au coeur, la joie de Marie.

Avec notre bénédiction Apostolique. (Cf. le chapitre L’Eglise et la Vierge Marie dans Méditation sur l’Eglise, du R.P. Henri de Lubac, p. 241 et suiv.).

 

 

 

28 décembre

IL FAUT REPENSER NOËL

 

Chers Fils et Filles,

 

Noël est une fête qui demeure. Nous le disons en nous référant à l’influence que cette fête liturgique doit exercer sur nos âmes, n’y laissant pas uniquement distinct du temps qui s’écoule, comme cela se passe pour les événements qui s’insèrent dans notre vie et que des circonstances particulières ont rendus mémorables, gravant leur souvenir dans notre esprit. Noël, comme source toujours vive de pensées et de stimulants pédagogiques, moraux et religieux, reste et doit rester comme un jour sans couchant qui répand sa lumière également sur le temps qui suit sa propre date chronolo­gique.

Il faut repenser Noël. Comme l’ont fait les bergers qui, convoqués par l’Ange pour constater que Jésus était né, furent les premiers témoins de l’événement. Ils allèrent donc à Bethléem, trouvèrent Jésus avec Marie et Joseph et, au retour, « ils firent connaître ce qui leur avait été dit de cet enfant ; et tous ceux qui les entendirent furent émerveillés de ce que leur racontaient les bergers » (Lc 2, 18). Et nous pouvons dire que c’est ainsi que l’Evangile a com­mencé à se faire connaître, à se répandre discrètement et secrète­ment, et à contribuer à la formation de cette conscience populaire messianique qui fera accueil à la prédication de Jean-Baptiste, le Précurseur, puis à celle du Christ lui-même.

Mais il est une autre circonstance qui nous conseille de méditer le fait de Noël évoqué par la fête liturgique afin d’y découvrir le sens, la signification transcendante qui s’y cache et qu’il manifeste. Noël a un contenu secret que seul peut découvrir celui qui le cherche. Pensons à la Vierge elle-même, à l’extase de son âme d’une extraordinaire limpidité, consciente déjà du mystère de sa divine maternité (cf. Lc 1, 28 et ss.), et toute absorbée dans la méditation de ce qui s’accomplissait en elle et autour d’elle. C’est encore l’Evangile de Saint Luc qui nous dit, pour conclure son récit des événements de la nuit de Noël : « Quant à Marie elle conservait avec soin tout ces événements et les méditait en son cœur » (Lc 2, 19). Cette attitude de recueillement, de réflexion, de méditation de la Vierge nous est rapportée également dans un autre passage de l’Evangile qui est en quelque sorte une conclusion du récit évangélique au sujet des douze premières années de la vie de l’Enfant Jésus : « Et sa mère gardait fidèlement tous ces souvenirs en souvenirs en sou coeur » (Lc 2, 51). Et ainsi nous est proposé, le premier exemple de vie contemplative dans l’histoire évangé­lique : l’exemple est merveilleux et riche d’enseignements. La pré­sence du Christ dans le monde est certes une lumière qui l’éclairé, avec le diaphragme du mystère : un mystère qui exige de chacun de nous une attention, une exploration. La révélation n’est pas seule­ment un fait sensible et extérieur ; c’est une révélation enrobée dans la parabole (Cf. Mt 13, 13). Voit celui qui veut voir ; voit celui qui regarde ; voit celui qui veut pénétrer le sens, les fins de la révélation. Celle-ci est sans limites dans son contenu divin et elle justifie ainsi l’effort contemplatif des fidèles auquel le divin Maître dira : « Quant à vous, heureux vos yeux parce qu’ils voient ; heureuses vos oreilles parce qu’elles entendent » (Mt 13, 16).

C’est pourquoi, si nous voulons que Noël ait une influence po­sitive et efficace, nous ne devons pas le ranger parmi les moments passés de notre vie spirituelle, mais il doit rester ! Avant tout comme événement déterminant de notre conscience religieuse : Le Verbe de Dieu s’est fait homme ! Ceci est un fait qui doit soutenir comme un authentique pivot notre manière de penser et de vivre. D’ailleurs, le fait d’être chrétien, ce n’est pas quelque chose de secondaire, de discutable, d’inconstant; il ne s’agit pas d’une idéologie subjec­tive et adaptable à des courants facultatifs de l’esprit historique ou de la mentalité ambiante. C’est la vérité heureusement contraignante, transfigurante et vivifiante. « La vérité vous rendra libres » (Jn 8, 32). La crèche, oui, nous force à nous agenouiller devant le mystère de l’Incarnation, mystère d’humilité infinie, mais mystère de gloire infinie pour le Christ et de salut pour nous (cf. Ph 2, 1-11).

Et puis comme école : l’exemple de la crèche n’épuise pas ses enseignements en une leçon passagère de merveille idyllique et de poésie pastorale : la crèche est un miroir de la vie conçue selon l’Evangile, une vie dans laquelle ne sont pas éteintes les énergies de l’action, ni les valeurs de l’activité humaine, mais plutôt, éner­gies et valeurs, engagées dans un effort total de l’humble amour.

Tâchons donc de repenser Noël comme un point de départ, une ligne qui veut être la trajectoire pour la démarche d’une vie chré­tienne authentique.

Avec notre bénédiction apostolique.