L’ENSEIGNEMENT DE PAUL VI

1975

Suite

 

 

 

 

10 mai : UNE LETTRE DU SOUVERAIN PONTIFE

11 mai : VÉRITÉ ET CHARITÉ DANS LA COMMUNICATION SOCIALE

16 mai : RÉVEILLER DANS LE PEUPLE DE DIEU LA FERVEUR DE LA PIÉTÉ MARIALE

18 mai : LE DON D’UNE VIE NOUVELLE

19 mai : LE PRINCIPE DU RENOUVELLEMENT SPIRITUEL : FIDÉLITÉ À LA DOCTRINE ET CHARITÉ ACTIVE

25 mai : CANONISATION DE JEAN-BAPTISTE DE LA CONCEPTION ET DE VICENTA MARIA LOPEZ Y VICUNA

29 mai : HOMÉLIE DU SAINT - PÈRE POUR LA FÊTE - DIEU

6 juin : « CE N’EST PAS DEMAIN, MAIS AUJOURD’HUI, QUE NOUS SOMMES OUVRIERS DE LA VIGNE DU SEIGNEUR »

16 juin : LA PARTICIPATION DE LA FEMME À L’ACTION POUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA PAIX

23 juin : L’ANNÉE SAINTE TÉMOIGNE DE LA VITALITÉ DE L’EGLISE

29 juin : « LE SACERDOCE EST DESTINÉ AU MONDE »

6 juillet : CHARLES STEEB, LE PRÊTRE HÉROÏQUE

1er août : L’EUROPE À UN TOURNANT DANS L’HISTOIRE MILLÉNAIRE

6 août : LA MISSION IRREMPLAÇABLE DES UNIVERSITÉS CATHOLIQUES

15 août : LE DON DE L’ESPERANCE

28 août : LES NOMADES SONT CHEZ EUX DANS L’EVANGILE ET DANS L’EGLISE

29 août : MESSAGE DU SOUVERAIN PONTIFE AU DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’UNESCO

14 septembre : L’HÉRITAGE D’ELISABETH SETON : UN TÉMOIGNAGE DE FOI ROBUSTE ET DE PUR AMOUR ENVERS DIEU, L’EGLISE ET LE PROCHAIN

20 septembre : LE MESSAGE DU SOUVERAIN PONTIFE POUR LA JOURNÉE MISSIONNAIRE MONDIALE

24 septembre : RÉSOUDRE LE PROBLÈME DE L’HABITATION SELON LES IMPÉRATIFS DE LA JUSTICE

28 septembre : HOMÉLIE DU PAPE À LA CANONISATION DE JEAN MACIAS

5 octobre : UNE FÊTE DE COMMUNION ECCLÉSIALE AVEC TOUS LES MALADES DU MONDE

11 octobre : UN NOUVEL ÉLAN MISSIONNAIRE DANS LE RESPECT DES CULTURES LOCALES

12 octobre : L’HOMÉLIE DE PAUL VI À LA CANONISATION D’OLIVER PLUNKETT

18 octobre : SEULE LA CIVILISATION CHRETIENNE PEUT SAUVER L’EUROPE DU VIDE QU’ELLE EPROUVE

 

 

 

10 mai

UNE LETTRE DU SOUVERAIN PONTIFE

 

Du 17 au 19 mai dernier une Table Ronde eut lieu à Chantilly pour commémorer le centenaire du décès du célèbre prêtre-éditeur, l’ab­bé Jacques Paul Migne. A cette occasion « L’Osservatore Romano », édition française, a con­sacré plusieurs pages à la vie et à l’œuvre de Migne (cf. « L’Oss. Rom. », éd. en langue fran­çaise, n. 9 du 28 février 1974 et n. 16 du 18 avril 1975). Nous avons l’avantage du pu­blier maintenant la Lettre que le Saint-Père a envoyée à l’époque à S.E.M. le Cardinal Michel Pellegrino, Président du Comité International du Centenaire de J. P. Migne :

 

Monsieur le Cardinal,

 

Nous avons pris connaissance avec la plus vive satisfaction du programme des célébrations prévues pour le centenaire de la mort de l’Abbé Jacques Paul Migne, et notamment de la Table ronde internationale organisée par le Comité international que vous présidez, qui aura lieu tout prochainement à Chantilly sous le patronage de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres.

Il était bien juste que fût solennellement célébré le souvenir de ce prêtre insigne, dont la courageuse entreprise d’édition a rendu et continue à rendre de si grands services à l’Eglise uni­verselle. De grand cœur nous nous associons à cette commémo­ration et félicitons ceux qui en ont eu l’initiative et assumé l’or­ganisation.

En publiant la « Bibliothèque universelle du clergé », l’abbé Migne se proposait de rassembler toutes les oeuvres d’exégèse, de théologie, de patristique, d’éloquence sacrée et de spiritualité, éparses dans diverses éditions particulières, difficilement acces­sibles et par surcroît trop coûteuses pour des bourses moyennes.

Il était persuadé que le renouvellement religieux — que, comme prêtre, il avait souverainement à cœur — commence par l’illumi­nation des esprits, et que celle-ci suppose, à son tour, qu’on puisse disposer, facilement et en abondance, d’œuvres de saine et profonde doctrine. Il voulut donc, avec une remarquable intui­tion, et sans se laisser arrêter par d’innombrables difficultés — y compris le terrible incendie qui, le 12 février 1868, réduisit en cendres son imprimerie du Petit Montrouge — mettre à la dispo­sition et à la portée de tous, et surtout du clergé et des laïcs cul­tivés, les trésors de la doctrine ecclésiastique ancienne et moderne. Et il réussit, par sa ténacité, à mener à bien une partie considé­rable de son immense programme.

On vit sortir de sa typographie, avec une prodigieuse rapidité et à des prix abordables pour toutes les bourses des centaines et des centaines de volumes : le « cours complet » des traités d’exé­gèse et de théologie, la collection intégrale et universelle des ora­teurs sacrés, une encyclopédie théologique, des oeuvres complètes de Sainte Thérèse d’Avila, du Cardinal de Bérulle, de Saint Fran­çois de Sales, de Bousset, de Fénelon, pour ne mentionner que celles-là.

Mais de toutes ces collections, les deux plus célèbre, les plus universellement connues et consultées restent sans contredit la Patrologie latine en 222 volumes, et la Patrologie grecque, avec traduction latine, en 161 volumes. L’ampleur de cette publication dépassait de loin toutes les collections précédentes, et débordant les limites de l’ère patristique, arrivait, pour la première col­lection jusqu’à notre prédécesseur Innocent III, et pour la se­conde jusqu’au Concile de Florence.

L’infatigable éditeur montrait ainsi par l’éloquence des faits, que pour un chrétien, l’illumination de l’esprit passe par la Tra­dition, et que la connaissance de la Tradition passe par l’étude des Père de l’Eglise. Son exemple avait et a encore valeur prophétique.

De fait, l’Eglise, dans sa fonction de « colonne et soutien de la vérité » (1 Tm 3, 15), s’est toujours référée à l’enseignement des Pères, considérant leur accord comme une règle d’interpréta­tion de la Sainte Ecriture, Saint Augustin avait de son temps formulé cette règle (cf. De Baptismo 4, 24, 31 ; Migne P.L. 43, 174) et l’avait appliquée (cf. Contra Julianum 2, 10, 33 Migne P.L. 44, 697). Vincent de Lérins, à son tour, l’avait longuement expo­sée dans son Commonitorium Primum (Migne P.L. 50, 637-673). Elle fut reprise et solennellement proclamée par le Concile de Trente (Concilium Trident., éd. Goerresiana, V, Acta II, 91 ss.) et par le premier Concile du Vatican (Collectio Laecensis 7, 251).

Le récent second Concile du Vatican s’est fait, si l’on peut dire, plus insistant encore sur ce point. Car après avoir affirmé que « l’enseignement des Pères atteste la présence vivante de la Tra­dition, dont les richesses passent dans la pratique et dans la vie de l’Eglise qui croit et qui prie » (Dei Verbum, n. 8), il a re­commandé l’étude des Pères « pour une intelligence toujours plus profonde des Saintes Ecritures » (Dei Verbum, n. 23), pour l’en­seignement de la théologie, qui doit montrer aux étudiants « l’ap­port des Pères d’Orient et d’Occident à la transmission et à l’ap­profondissement fidèles de chacune des vérités révélées» (Optatam totius, n. 16), pour une solide science sacerdotale (Presbyterorum ordinis, n. 19), pour l’enrichissement de la prière officielle de l’Eglise (Sacrosanctum Concilium, n. .92 b) et pour la recher­che théologique dans les terres de mission (Ad Gentes, n. 22).

L’étude des Pères, d’une grande utilité pour tous, apparaît d’une impérieuse nécessité pour ceux qui ont à cœur le renou­vellement théologique, pastoral et spirituel promu par le récent Concile, et qui veulent y coopérer. Après les Apôtres, l’Eglise a grandi, comme le dit Saint Augustin, grâce aux Pères, qui la plantèrent, l’irriguèrent, l’édifièrent, la nourrirent (Contra Julianum, 2, 10, 37 ; P.L. 44, 700). Elle continuera à croître en bé­néficiant de leurs richesses. Celles-ci sont d’une grande variété, mais elles comportent des propriétés constantes, qui sont préci­sément à la base de tout renouvellement authentique dans l’ordre spirituel et théologique : l’attachement inébranlable à la Foi, le désir ardent de scruter le mystère du Christ, le sens profond de la Tradition, l’amour sans borne pour l’Eglise. Ces sentiments, qui animent les Pères de l’Eglise, étaient aussi ceux de l’abbé Migne.

Pour porter un jugement équitable sur ce grand serviteur de l’Eglise, il faut bien comprendre le caractère spécifique de son oeuvre. Le but qu’il se proposait était de transmettre le patrimoine patristique dans l’état où il le trouvait de son temps. On ne saurait donc lui reprocher de n’avoir pas préparé des éditions scientifique­ment irréprochables. Ce n’était pas son but. Il recueillait les meil­leures éditions alors existantes et se contentait de les publier à nouveau, aidé dans son choix par un collaborateur de haute compé­tence, le futur Cardinal Pitra.

Mais par le seul fait de rassembler en un corpus les écrits des Pères et des écrivains ecclésiastiques, Migne a grandement favorisé l’étude scientifique et les entreprises ardues d’éditions critiques pos­térieures. Aussi la Table ronde de Chantilly, en mettant à son programme le problème de la transmission et de l’édition des textes patristiques, rend-elle par là même un hommage indirect au magna­nime éditeur qui a tant contribué à préparer ces possibilités de travail scientifique.

Nous voudrions saisir cette occasion pour encourager très vivement ceux qui, au prix d’un labeur souvent austère, préparent aujourd’hui ces éditions critiques et utilisent sagement le progrès des sciences pour arriver à une connaissance toujours plus exacte des textes. Ils rendent par là un signalé service à l’Eglise.

Ces encouragements, nous tenons à les étendre à tous ceux qui se consacrent à une oeuvre non moins utile : celle de la diffusion des textes patristiques. Avec les heureux progrès de la culture, un nom­bre croissant de chrétiens manifestent aujourd’hui le désir de con­naître directement les sources, et sont grandement reconnaissants à ceux qui leur fournissent, dans des éditions accessibles à tous, ces trésors de foi et de doctrine de la grande Tradition catholique.

Migne fut en ce domaine, qui était proprement le sien, un pré­curseur vraiment génial, et ceux qui, par la divulgation des textes patristiques, marchent dans les voies qu’il a ouvertes, méritent, eux aussi, à un titre très spécial la reconnaissance de l’Eglise. La collabo­ration si féconde de l’abbé Migne et du futur Cardinal Pitra peut en outre servir de modèle à la concertation si désirable entre éditeurs et érudits.

On ne saurait oublier enfin qu’un des plus grands mérites de Migne a été son souci d’englober dans son immense entreprise les témoins de la tradition des Eglises Orientales, et de les mettre, grâce à une traduction latine, à la portée du plus grand nombre de ses lecteurs. Là encore il se montrait précurseur et annonçait déjà cet oecuménisme positif et constructeur pour lequel on remarque aujourd’hui tant de sensibilité dans l’Eglise, surtout depuis le se­cond Concile du Vatican. Nous aimons à faire remonter à l’abbé Migne une part du mérite de ce climat nouveau dans les relations avec nos frères séparés d’Orient, heureuse évolution, qu’attesté d’ailleurs éloquemment leur empressement à s’associer à ces fêtes cen­tenaires.

En appelant les meilleures grâces sur tous ceux qui participent a la Table ronde internationale de Chantilly, et en témoignage du vif intérêt que nous portons à leurs travaux, nous leur envoyons à tous, et d’abord à Votre Eminence, une large Bénédiction Apostolique.

 

Du Vatican, le 10 mai 1975.

 

paulus PP. VI

 

 

 

11 mai

VÉRITÉ ET CHARITÉ DANS LA COMMUNICATION SOCIALE

 

Dans le contexte de l’Année Sainte, la IX° Journée mondiale des communications sociales ne pouvait qu’être célébrée d’une manière tou­te particulière, à cause de l’importance extraordinaire des mass média dans la promotion des deux objectifs majeurs du Jubilé — le re­nouvellement et la réconciliation — et tout autant sur la plan de l’évangélisation des peuples. C’est pourquoi Paul VI a voulu célébrer lui-même la Messe en la Basilique Saint-Pierre où se pressait la foule compacte des profession­nels venus de tous les continents : éditeurs de publications, journalistes, représentants du théâtre, du cinéma, de la radio, de la télévision, techniciens de toutes spécialités. Parmi les principales personnalités nous avons noté : le Président de la Commission Pontificale des communications sociales, S. Exe. Mgr André Deskur avec le Secrétaire de ladite Commis­sion, le R.P. Pancirolli, le Vice-Président du « Concilium de Laids », S. Exe. Mgr Lucas Moreira Neves avec le Secrétaire Mgr Uylenbroeck. La délégation de l’Union Catholique Internationale de la Presse (U.C.I.P.) était conduite pas son Président M. Louis Meerts et le Secrétaire, R.P. Pierre Chevalier ; celle de l’U.N.D.A. par son Vice-Président, le Comte Zorzi ; celle de l’Organisation Catholique du Cinéma (O.C.I.D.) par le délégué de la Pré­sidence, M. l’abbé Segneri. De nombreuses agences catholiques nationales étaient représen­tées. « L’Osservatore Romano » avait délégué son directeur général M. Raymond Manzini. Après la liturgie de la Parole, le Saint-Père a prononcé une homélie en langue italienne. En voici la traduction :

 

Frères ! Ministres et Diacres de la Parole transmise !

 

Et d’abord, vous, spécialistes et générateurs de la Parole écrite, journalistes, informateurs, correspondants, commenta­teurs ; vous, formateurs de l’opinion publique et de la pensée quotidienne d’autrui, orateurs et interlocuteurs du peuple à l’écoute, fournisseurs du pain quotidien à la pensée communautaire ; et vous, éditeurs puissants, artisans et artistes, typographes et dif­fuseurs de la prodigieuse multiplication des feuilles parlantes, tous véhicules du mot imprimé et rayonnant dans la société éveil­lée à l’arrivée de votre message.

Et vous, qui traduisez et devancez le message imprimé avec celui, vif et animé par votre voix, prophètes éloquents et mes­sagers alertes de la Radio, vous qui transformez en échos sonores de vos annonces personnelles, les silencieuses vibrations de l’éther, instruments presque angéliques du monologue-dialogue, rayonnant en cercle immense vers d’innombrables auditeurs inconnus.

Vous, artistes du théâtre et du cinéma ; vous maîtres et acteurs du prodige de ce siècle, la télévision, qui possède l’art magique d’offrir avec la voix et la musique, à présent avec la couleur, l’image parfaite, la scène vivante de l’événement et puis le dra­me de l’imagination, de la littérature, de l’histoire et encore la documentation scientifique et l’école des choses et des faits, l’expression raffinée de la culture; vous tous, amis bons et courtois, qui, par la prière et la méditation, participez à cette célébration de la Journée mondiale des communications sociales au moment où l’on célèbre également le rite du Jubilée qui caractérise cette Année Sainte, une manifestation qui trouve sa signification la plus profonde ici, en cette Basilique, mausolée triomphal élevé sur la tombe de l’humble pêcheur de Galilée, de nom et de fait devenu Pierre, c’est-à-dire pierre angulaire de cette mystérieuse, continuelle et séculaire construction de la demeure ouverte à l’humanité entière qu’est l’Eglise Universelle, catholique — une Eglise dont le Christ est l’architecte et en même temps le premier artisan — vous tous, donc, amis devenus pour un instant de silencieux disci­ples, écoutez !

Oui, écoutez ! Comme premier don, nous vous offrons un instant de silence. Il n’est probablement personne autant que vous, habitués au fracas de vos laboratoires de la Parole, qui puisse le goûter.

Oh ! Non pas pour la valeur de notre discours qui habite ce silence ; cela ne vaudrait certainement pas la peine de lui accorder votre attention ; mais pour un autre phénomène évident qui lui confère son titre à l’écoute; ce discours n’est pas, ou même ne veut pas être le nôtre ; il est aussi un écho, une parole transmi­se; et vous savez bien au nom de Qui ! Nous vous parlons au nom de Jésus Christ, Parole éternelle de Dieu, et non pour que vous fixiez votre pensée sur celui qui vous parle; il est lui aussi un instrument de communication sociale, conformément au man­dat constitutif de l’apostolat dans l’Eglise : « Allez, enseignez toutes les nations » (Mt 28, 19) ; ou que vous l’arrêtiez sur le mystère central et infini du Verbe, expression divine, totale du Père, principe premier de l’Etre et parole de Celui qui conçoit et crée toute chose ; oh ! Réalité divine de la Parole ! (cf. Jn 1, 3). Ce très rapide, mais très important coup d’œil, pour ainsi dire un éclair de lumière théologique, permet d’illuminer, ne serait-ce qu’un moment, le plan psychologique, le vôtre, où chacun de vous est, à sa manière, un personnage de premier plan, et, dans sa relation, de découvrir son inspiration transcendante, grâce à cet­te assimilation divine qu’est la pensée et qu’est la parole qui en jaillit; puis, d’en retracer les finalités supérieures et immédiates qui sont la vérité et la charité. Pourquoi ces références à une si haute et difficile doctrine, sinon pour descendre aussitôt dans le vif de votre conscience professionnelle, et pour qualifier la dignité de votre vocation, de votre mission ?

Vous êtes au service de la pensée qui de la première phase de conception personnelle passe à la seconde, celle de la diffu­sion, de la transmission, de la communication, et devient sociale, sans limites à son universalité potentielle : ceci est culture, ceci est civilisation. Comment pourrait-on ne pas tenir votre profes­sion en haute estime ? Vous êtes aux premiers rangs dans l’ordre des activités humaines. Ceci indique à chacun, qu’il opère lui-même activement dans les communications sociales ou qu’il en soit le client passif, l’importance — non discutée d’ailleurs — de ce service de dites communications ; mais cela indique aussi, en conséquence, son énorme et multiforme responsabilité. Respon­sabilité veut dire mérite et veut dire faute, sous deux aspects : celui de la genèse de la communication en question et celui des effets qui peuvent découler de la communication. Il n’est aucune chose de quelque importance dans la sphère humaine qui puisse se faire sans respecter les règles d’une déontologie propre. Vous connaissez parfaitement ces aspects de votre profession que nous n’avons pas hésité à qualifier de mission, considérant qu’une grande honnêteté, une grande probité, une grande objectivité pré­sident à l’origine de la communication sociale: la vérité est la première de ses lois. Nous rappelons que l’Exposition de la pres­se catholique, aménagée au Vatican à l’occasion de l’Année Sainte 1975, se présentait à l’enseigne de la « VERITAS » ; et l’expérience nous montre à quel point aujourd’hui l’atteinte à cet im­pératif essentiel de la communication est hélas nombreuse et multiforme. Nous remettrons cette enseigne d’or au fronton de l’activité qui la concerne.

Mais ceci n’est pas la seule enseigne qui doive assurer sa valeur morale à une pareille activité : il en est une autre qui doit s’y inté­grer : celle de la caritas. Nous pourrions faire nôtre la merveil­leuse formule de Saint Paul « Veritatem facientes in caritate », suivre le vrai en visant la charité (Ep 4, 15). C’est dire que la communication sociale doit adhérer à la vérité, mais qu’elle ne saurait perdre de vue le bien qu’elle est destinée à procurer, c’est-à-dire le bien de la société.

Sur ce dernier point, il y aurait beaucoup à vous dire, ne serait-ce que pour expliquer comment cet objectif moral, s’il pose des conditions qualitatives, sélectives, limitatives à la communication ne porte cependant pas atteinte à sa juste liberté, n’en freine l’exercice que si elle outrepasse le droit public propre et dégé­nère en licence. C’est encore le cas d’invoquer l’autorité de Saint Paul : « Omnia mihi licent, sed non omnia expediunt » — tout m’est permis, mais tout n’est pas profitable — alors qu’il n’est pas permis de mettre sur le marché des vivres dangereux pour la santé physique de la population, comment pourrions-nous sans vergogne livrer au public un aliment malsain pour sa santé mo­rale ? Nous savons bien — hélas — à quel point on évite généra­lement de donner à cette hygiène morale, spirituelle, civile, le poids qu’elle mérite ; mais notre souci pastoral nous incite d’au­tant plus vivement à dénoncer comme grave atteinte au bien de la société le fait de lui offrir en gourmande pâture des publications et des spectacles qui abusent de la dégradante propension à l’excitation personnelle ; et ceci nous incite à recommander aux citoyens, spécialement aux fidèles, à la jeunesse forte et conscien­cieuse, de pratiquer l’autodéfense, qui, avec l’abstention et, le cas échéant, la protestation, immunise les consciences contre les bassesses de certaines formes déplorables de communication publique.

A ce point-ci, notre discours déborde le cercle des agents de la communication sociale ; il s’adresse maintenant à vous, consom­mateurs, pourrait-on dire, des communications elles-mêmes, à vous, lecteurs, à vous, spectateurs. Eh bien, oui ; nous avons, à ce propos, une chaleureuse mais grave parole à adresser à tout notre Peuple afin de l’exhorter à comprendre l’importance énorme que le pro­blème des communications sociales a pour tous ! Tous, Frères et Fils, vous devez tous, et particulièrement en cette Journée mon­diale des communications sociales, écouter la voix de l’Eglise au sujet de ce problème. Exactement comme vous avez le droit d’exi­ger qu’un pays noble et civilisé soit servi par d’excellentes et no­bles communications sociales, vous avez le devoir de choisir à votre usage celle qui est bonne et n’offense pas vos sentiments moraux et chrétiens ; vous avez le devoir d’avantager, de soutenir et de diffuser ce qu’on appelle la « bonne presse » ; le devoir d’encourager et de promouvoir cette forme de la diffusion de pensées et de mœurs cohérentes avec une haute conscience civique et religieuse.

Frères et Fils ! Oui, écoutez cette voix, écoutez ce cri de l’Eglise !

 

 

 

16 mai

RÉVEILLER DANS LE PEUPLE DE DIEU LA FERVEUR DE LA PIÉTÉ MARIALE

 

Le Saint-Père s’est rendu le 16 mai dernier à l’Université « Antonianum » où se trouvaient réunis les participants aux Congrès Internatio­naux Mariologique et Mariai actuellement en cours. Il leur a adressé en langue latine, un discours dont voici la traduction :

 

Vénérables  Frères  et chers  Fils,

 

Après avoir été présent par la pensée, par la prière et par nos paternelles exhortations aux travaux de votre Congrès mariologique, il nous a semblé que c’était comme un devoir découlant de notre conscience de pasteur universel de l’Eglise, de participer aussi par notre présence à cette séance finale. Et pro­longeant par la pensée en quelque sorte, cette visite, nous enten­dons adresser notre salut également à ceux qui participeront au quatorzième Congrès marial qui est sur le point de s’ouvrir.

Ce qui nous a en premier lieu inspiré cette démarche, c’est notre amour pour la Très Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu et de l’Eglise, et Mère de chacun d’entre nous. L’Evangile, en nous assurant que Marie est la Mère de Dieu (cf. Lc 1, 26 ss.), nous offre aussi le fondement inébranlable, qu’aucune ombre de doute ne peut effleurer, pour rendre à Marie l’honneur qui lui est dû et l’entourer d’un sentiment affectueux, écho de celui que nous adressons à son Fils.

Ce qui nous a poussé encore à venir parmi vous, c’est l’impor­tance que revêt ce Congrès dans le climat et dans le cadre de 1 Année Sainte. En effet, si Marie est la « pleine de grâce » (Lc 1, 28), qui nous a donné Jésus-Christ, chacun voit combien son exemple, son intercession, sa protection peuvent aider les fidèles a se renouveler et à se réconcilier avec Dieu et avec leurs frères, en évitant et fuyant toute espèce de péché.

Nous voulions aussi rendre l’hommage qui leur est dû à ceux qui ont organisé ces deux Congrès et leur exprimer notre recon­naissance. Leur exemple d’amour filial envers la Mère du Christ et l’étude approfondie de la personne et de la mission de Marie ne peuvent manquer d’être féconds pour l’Eglise. Notre remer­ciement va en premier lieu au très cher Cardinal Léo Joseph Suenens, Président de ce Congrès ; au Père Charles Balic, o.f.m., Président de l’Académie pontificale mariale internationale ; au Rec­teur Magnifique de cet Athénée pontifical Antonianum, le Père Roberto Zavalloni, aux illustres orateurs, aux Associations mariales qui ont adhéré aux Congrès et à tous ceux qui y ont par­ticipé. Nous voudrions que se vérifie pour tous ce qui est dit de la Sagesse et que l’Eglise applique à la Vierge Marie : Qui éluci­dant me, vitam aeternam habebunt (Si 24, 31).

Les thèmes choisis pour les deux Congrès méritaient aussi de notre part considération et louange. Le premier, le Congrès mariologique, se proposait l’étude de Culte de la Mère de Dieu du XII° au XV° siècle. L’autre, le Congrès mariai, est centré sur « L’Esprit Saint et Marie ». On pouvait difficilement trouver des sujets plus opportuns et plus intéressants.

 

I. Nous sommes heureux d’observer d’abord que ces deux Con­grès s’insèrent très heureusement dans le cadre de la recherche théologique actuelle et de la nouvelle dimension de la piété ma­riale telle que l’a présentée avec autorité la doctrine du deuxième Concile du Vatican. Cette doctrine, qui met dans une juste lu­mière la place qui revient à la très Sainte Vierge dans le mystère du Christ et de l’Eglise, constitue désormais un fondement dont ne peuvent faire abstraction un véritable développement de la mariologie et une saine orientation des fidèles vers la Mère de Dieu qui est aussi notre Mère.

Du fait que « quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme » (Ga 4, 4), et que Marie, comme l’en­seigne le Concile, « ne fut pas un instrument purement passif dans les mains de Dieu, mais coopéra au salut de l’homme dans la liberté de sa foi et de son obéissance » (Lumen Gentium, n. 56), il découle que Marie a une part essentielle dans le mystère du salut. Le Christ est venu à nous par Marie, nous l’avons reçu d’elle. C’est pourquoi, si nous voulons être de vrais chrétiens, il nous faut reconnaître le rapport essentiel, vital, qui unit la Vierge à Jésus et qui nous ouvre la voie qui conduit à Lui. Et nous ne saurions détourner notre regard de Celle qui est la créa­ture la plus ressemblante au Christ, le « type » de l’Eglise, et qui est, comme l’affirme le Concile, « le modèle admirable dans la foi et dans la charité » (Lumen Gentium, n. 53 ; cf. nn. 61, 65). Il faut toujours bien se rappeler cette doctrine car c’est sur elle que sont fondés les rapports d’amour, d’honneur et de vénération que nous devons à Marie et qui, dans leur expression légi­time et très heureuse — pourvu que l’on conserve à cette expres­sion la signification que l’Eglise lui donne — sont appelés culte marial. Cela, nous l’avons déjà rappelé dans notre Exhortation Apostolique Marialis cultus : « Que, dans les manières d’expri­mer le culte de la Vierge, soit spécialement mis en relief l’aspect christologique, pour qu’elles reflètent le plan de Dieu, qui a fixé à l’avance par une seule et même disposition l’origine de Marie et l’incarnation de la Sagesse divine ». Cela, sans aucun doute, non seulement n’affaiblira pas, mais au contraire, « contribuera à développer le culte dû au Christ lui-même, puisque, conformé­ment au sentiment permanent de l’Eglise, (...) ce qui s’adresse à la servante se rapporte au Maître ; ainsi remonte au Fils ce qui est attribué à la Mère ; (...) ainsi rejaillit sur le Roi l’honneur rendu en humble hommage à la Reine » (n. 25). De cette manière, « la piété envers la Mère du Seigneur devient pour le fidèle une occasion de croissance dans la grâce divine : c’est le but final de toute action pastorale. Il est impossible en effet d’honorer la Pleine de grâce sans honorer en soi-même l’état de grâce, et donc l’amitié avec Dieu, la communion avec lui, la présence inté­rieure de l’Esprit. Cette grâce divine investit tout l’homme et le rend conforme à l’image dû Fils de Dieu » (n. 57).

 

II. D’après ce que nous avons dit jusqu’ici, vous pourrez facilement comprendre la grande importance que nous attachons au double hongres qui se déroule actuellement. Il sera certainement une semence qui produira des fruits nombreux et salutaires, non seu­lement au plan de la mariologie, mais aussi dans les domaines de la théologie, de la liturgie, de l’œcuménisme et surtout de la pastorale. Vraiment, en poursuivant le travail entrepris par les deux précédents Congrès, organisés par l’Académie pontificale mariale internationale, on aborde d’une part les recherches sur une des périodes les plus fécondes quant à l’affirmation et à la promo­tion du culte mariai, sous l’impulsion notamment de grands théo­logiens comme Saint Albert le Grand, Saint Thomas, Saint Bonaventure, Jean Duns Scot, pour citer seulement quelques noms parmi les plus illustres, qui tentèrent d’approfondir la mission et les prérogatives de la Très Sainte Vierge. D’autre part, l’étu­de des rapports entre l’Esprit Saint et Marie, qui constitue l’objectif spécifique du Congrès marial, pourra aider à clarifier le rôle qui revient à chacun dans l’économie du salut. A cet égard, dans l’Exhortation Apostolique ci-dessus mentionnée, nous écrivions : « On affirme parfois que de nombreux textes de la piété mo­derne ne reflètent pas suffisamment toute la doctrine concernant le Saint Esprit » ; et nous ajoutions : « C’est aux spécialistes de vérifier cette affirmation et d’en évaluer la portée » (n. 27). Aussi regardons-nous votre double congrès comme le lieu le plus qua­lifié pour répondre à notre attente.

 

III. Nous pourrions ici conclure nos considérations si, pris par l’élé­vation de notre sujet, nous n’étions poussé à ajouter nous aussi une fleur à l’apport doctrinal que, comme une couronne précieu­se, vous entendez déposer, en cette Année Sainte, aux pieds de la bienheureuse Vierge Marie. Cette fleur, nous la cueillons plus en notre cœur qu’en notre esprit, dans un but plus pastoral que scientifique ; cet aspect pastoral est d’ailleurs également présent dans l’hommage que ces Congrès (même le premier) entendent offrir à Marie. Donc, nous voudrions répondre à une question de grande actualité pastorale, et aussi doctrinale : comment présen­ter à nouveau Marie de manière adéquate au Peuple de Dieu, de manière à redonner à ce dernier un renouveau de ferveur dans sa piété mariale.

A cet égard, on peut suivre deux voies. La voie de la vérité, tout d’abord, c’est-à-dire de la spéculation d’ordre biblique, his­torique et théologique, qui concerne la place exacte de Marie dans le mystère du Christ et de l’Eglise : c’est la voie des savants, la vôtre, elle est certainement nécessaire, et la doctrine mariologique en tire grand profit. Mais il y a aussi, outre cette voie, une voie accessible à tous, même aux âmes simples : c’est la voie de la beauté, à laquelle nous conduit, finalement, la doctrine mys­térieuse, merveilleuse et même stupéfiante qui forme le thème du Congrès marial : Marie et l’Esprit Saint. En effet, Marie est la créature « toute belle » ; elle est le « miroir sans tache » elle est l’idéal suprême de perfection que les artistes de tous les temps ont cherché à reproduire dans leurs œuvres ; elle est la « femme revêtue du soleil » (Ap 12, 1), chez laquelle les rayons très purs de la beauté humaine se rencontrent avec les rayons transcendants, mais accessibles de la beauté surnaturelle. Et pour­quoi tout cela ? Parce que Marie est celle qui est « pleine de grâce », ou, pourrions-nous dire, celle qui est remplie de l’Esprit Saint, dont la lumière brille en elle d’une incomparable splendeur. Oui, nous avons besoin de regarder Marie, de fixer sa beauté sans tache, car nos yeux sont trop souvent blessés et comme aveuglés par les images trompeuses de la beauté de ce monde. Quels no­bles sentiments, quel désir de pureté, quelle spiritualité rénova­trice pourrait susciter la contemplation d’une beauté aussi su­blime !

Alors que de nos jours la femme progresse dans la vie sociale, il n’est rien de plus bénéfique et de plus exaltant que l’exemple de cette Vierge-Mère, rayonnante de la lumière de l’Esprit Saint, qui dans sa beauté, résume et incarne les valeurs authentiques de l’esprit humain.

Travaillons donc, Vénérables Frères et chers Fils, à ce que, pour notre génération moderne, la lumière suave et maternelle de la dévotion à Marie n’aille pas s’affaiblissant, mais, soit au contrai­re toujours ravivée. C’est en formulant ce vœux que nous vous donnons de grand cœur, à vous tous qui êtes présents, comme à tous les participants à ces Congrès, en gage des divines grâces, no­tre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

18 mai

LE DON D’UNE VIE NOUVELLE

 

Une foule immense, venue de tous les conti­nents et au premier rang de laquelle se tenaient le Roi et la Reine des Belges, en pèlerinage à Rome, se pressait le dimanche de la Pentecôte dans le Temple le plus vaste de la chrétienté, insuffisant toutefois pour participer à la célébration. Aussi la foule qui stationnait sur la Place Saint-Pierre n’était-elle pas moins dense. Grâce à de nombreux diffuseurs, elle put, elle aussi, suivre — sinon voir — la cérémonie et entendre l’homélie que le Saint-Père a pronon­cée après la Liturgie de la Parole. Voici, en traduction ce qu’a dit Paul VI :

 

Vénérables Frères, Fils bien-aimés,

 

Parler de la Pentecôte !

Tout d’abord, deux sentiments contraires agitent sponta­nément l’âme lorsque l’on se propose de parler d’un thème d’une telle nature, d’une telle importance ; le premier est la crainte paralysante, celle que la Bible nous montre en Jérémie, le jeune prédestiné à qui le Seigneur donne l’ordre de prophétiser et dont notre Vulgate traduit ainsi le quasi-bégaiement : « ah ! ah ! ah !, Seigneur Dieu, voilà que je ne sais plus parler » (Jr 1, 6), telle­ment ce thème se place au niveau du sublime, atteint l’ineffable ; on voudrait plutôt s’abandonner à la silencieuse contemplation du mystère de la Pentecôte.

Par contre, l’autre sentiment est celui de l’enthousiasme exu­bérant, semblable à celui qui jaillit de la poitrine de Pierre, dé­sormais promu du rôle de disciple à la fonction d’Apôtre, comme les autres onze ; au moment du retentissant événement, Pierre en effet s’écria : Hommes, écoutez : « Ce qui se passe maintenant est bien ce qu’a prédit le prophète Joël : Il arrivera dans les derniers jours, dit le Seigneur, que je répandrai mon Esprit sur toute chair. Alors vos fils et vos filles prophétiseront, les jeunes auront des visions et les vieillards des songes. Et moi, sur mes serviteurs et sur mes servantes je répandrai de mon Esprit et ils prophétiseront... » (Ac 2, 14-18).

C’est indubitablement ce second sentiment qui prévaut, entraî­nant le premier avec lui, lorsqu’il s’agit d’annoncer à l’Eglise et au monde ce grand événement et ce qu’il révèle avant tout : la vie intime de Dieu, unique en son Etre et trois dans les Personnes. Jésus l’avait déjà prédit : « Et moi je prierai le Père et il vous enverra un autre Paraclet qui restera à jamais avec vous : l’Esprit de Vérité que le monde ne peut recevoir parce qu’il ne le voit ni le connaît ; mais vous, vous le connaîtrez, parce qu’il demeu­rera avec vous et qu’il sera en vous » (Jn 14, 16-17). Et ainsi, Frères et Fils, le discours qui convient à la Pentecôte est celui qui exprime la doctrine, la théologie, la science de la Réalité reli­gieuse suprême, le mystère même de la Vie, infiniment transcen­dante de Dieu. Ceci nous est aujourd’hui enseigné et jamais plus nous ne saurions l’oublier, même si nos facultés d’entendement s’en trouvaient noyées, submergées. Oui, Il est certes difficile de garder les yeux fixés sur le soleil, ils en, sont éblouis, brûlés ; et cependant, ces mêmes yeux ne pourraient rien voir si l’objet sur lequel ils se posent n’était pas éclairé par le soleil. Dieu est notre soleil.

Et c’est sa fulgurante lumière qui nous a révélé directement que les Relations intérieures à son Etre souverain sont des Per­sonnes, les trois Personnes divines ; que le Père, éternel et pre­mier principe, engendre sa propre Pensée, le Verbe, le Fils éternel qu’il a envoyé dans le monde afin que, revêtu de notre huma­nité, il prît le nom de Jésus et vécût son drame salvifique ; puis que l’Esprit Saint, lui aussi Personne divine, procède comme Amour de l’infinie complaisance et béatitude mutuelle du Père et du Fils. Cet Esprit Saint a, lui aussi, été envoyé dans le monde pour accomplir et dilater l’œuvre du Fils, c’est-à-dire du Christ : voilà la Pentecôte, un moment de plénitude et lai source de la forme institutionnelle de cette œuvre divinisante et salvatrice, l’Eglise « signe ou sacrement et instrument de l’intime union avec Dieu ». C’est ce qu’a affirmé le récent Concile (Lumen Gentium n. 1), indiquant ainsi le premier effet transcendant et le premier aspect surnaturel du nouveau rapport direct que Dieu a voulu instaurer avec son humble et sublime créature qu’est l’homme, que nous sommes. Mais le Concile poursuit en indiquant un second aspect de l’Eglise dans ce mystère : « Elle est aussi Signe ou Sacrement, et instrument de ‘l’unité de tout le genre humain’ ».

Aussi, en faisons-nous le pivot de tout le système religieux et théologique ; il définit les véritables, les authentiques, les néces­saires relations de l’humanité avec la divinité, relations qui main­tenant se réalisent dans l’Esprit Saint. « En vérité, en vérité, je te le dis, enseignait Jésus à Nicodème, à moins dei naître d’eau et d’Esprit, nul ne peut entrer au Royaume de Dieu» (Jn 3,5).

A la suite d’un semblable discours nous voudrions aujourd’hui non seulement posséder l’Esprit à l’instant même, mais expéri­menter les effets sensibles et prodigieux de sa merveilleuse présence au-dedans de nous. Car nous savons que l’Esprit est lumière, qu’il est force, don, infusion d’une vitalité supérieure, capacité de fran­chir les limites de l’activité naturelle ; il est richesse de vertus surnaturelles, richesse de dons, les célèbres sept dons qui ren­dent prompte et souple l’opération du Saint-Esprit ordonnée au système complexe de la psychologie humaine ; il est richesse de fruits spirituels qui revêtent de beauté le jardin fécond de l’expé­rience chrétienne (cf. Ga 5, 22-23).

Mais, nous, maintenant, en annonçant le mystère de Pentecôte, nous nous arrêtons sur son seuil : comment, comment pouvons-nous y pénétrer ? Cette phase de l’événement pentécostal mérite également notre réflexion actuelle et y suffit pour l’instant. La préparation n’est pas superflue même si le grand Don de l’Esprit est gratuit et peut se propager en nous avec l’impétuosité de son souffle et le jaillissement inattendu de son feu ainsi qu’il advint en ce jour unique, en ce jour historique de notre première Pen­tecôte.

Ce jour d’ailleurs, ce jour prodigieux eut, lui aussi sa prépara­tion. Une préparation dans le silence intérieur au sein duquel la conscience a mûri sa conversation, sa purification, sa metanoia. Nous les hommes d’aujourd’hui nous sommes trop extrovertis, nous vivons hors de chez nous et, peut-être, comme le dit un philosophe célèbre, en quittant la maison nous avons perdu la clé pour y rentrer. La rencontre avec l’Esprit Saint est sancti­fiante, et même s’il laisse des traces de toutes parts sur la scène des choses extérieures (« rien n’est sans langage » — voir 1 Co 14 10 — pour qui sait écouter— la rencontre se fait dans le secret du cœur, où se garde la parole du Seigneur (Jn 14, 23), là où l’homme est lui-même, dans la solitude de sa personne. Voilà pourquoi, dans l’attente du grand jour, les Apôtres étaient réunis « persévérant ensemble dans la prière... avec Marie, la Mère de Jésus » (Ac 1, 14) ce fut la première, la plus heureuse des retraites spirituelles. Au silence, donc, s’unit la prière qui, dans l’expression traditionnelle de l’Eglise, s’élève comme une imploration bien connue, une invocation, la manifestation d’un désir : viens ! viens, ô Esprit créateur; viens, ô Esprit Saint ! Et le miracle s’accomplit pour nous, au moment sacramentel de la justification, de la rémission de nos péchés moyennant, nous le savons, la confession qui ressuscite l’âme et l’élève à la coexis­tence avec la vie divine (cf. 2 P 1, 4), que nous appelons état de grâce, oui, grâce ineffable, état qui devrait nous être plus cher que la vie naturelle elle-même — comme nous l’enseignent les Saints — car il vaut pour elle et il vaut plus qu’elle ; c’est en effet un état de vie surnaturelle à laquelle est assurée, de par le fait même, la plénitude et la béatitude de la vie éternelle.

Parvenue à ce point, la préparation permet déjà d’entrer dans le mystère de Pentecôte : l’Esprit Saint, c’est-à-dire le Dieu Amour, vit dans l’âme et l’âme se sent envahie d’un besoin subit de s’abandonner à l’Amour, un « super-Amour » ; et elle se sent en même temps comme envahie d’un courage insolite, le courage propre de celui qui est heureux, de celui qui est sûr ; le courage de parler, de chanter, d’annoncer à autrui, à tout le monde « les merveilles de Dieu » (Ac 2, 11). Et voilà qu’éclaté le miracle des langues qui pour nous, héritiers lointains mais pas inactifs d’un si grand prodige, se traduit dans la facilité et dans la joie du témoignage, devant tous et pour tous, dans un champ d’aposto­lat sans limites. Il ne s’agit pas seulement de ministère, mais bien de positive, de volontaire et courageuse activité exercée pour annoncer et diffuser le message du Christ ; il s’agit d’apostolat, nous le répétons.

Ici se termine aujourd’hui notre annonce de la Pentecôte : elle est l’annonce de la donation d’une nouvelle vie intérieure animée par la présence et l’énergie de Dieu qui se communique lui-même dans son Amour ; elle est la sublimation, de la vie naturelle en vie surnaturelle, vie de grâce ; elle est l’embrasement conscient, personnel de la double vocation de notre pauvre être caduc, ti­mide, malhabile, devenu apte ainsi à la contemplation intérieure et à l’action extérieure ; la Pentecôte est le jour où nous fêtons la naissance de l’Eglise apostolique, une, catholique et sainte ; no­tre Eglise, l’Eglise du Christ ! Clamons notre allégresse !

 

 

 

19 mai

LE PRINCIPE DU RENOUVELLEMENT SPIRITUEL : FIDÉLITÉ À LA DOCTRINE ET CHARITÉ ACTIVE

 

Le lundi 19 mai à 10 heures, dans la Basilique Saint-Pierre, le Saint-Père s’est adressé aux membres du 3° Congrès International pour le renouveau charismatique catholique. Nous reviendrons dans notre prochain numéro sur cet important rassemblement et publions ci-dessous l’allocution de Paul VI :

 

Vous avez choisi en cette Année Sainte la ville de Rome pour célébrer votre troisième Congrès international, chers fils et chères filles ; vous nous avez demandé de vous rencontrer au­jourd’hui et de vous adresser la parole : vous avez voulu montrer par là votre attachement à l’Eglise instituée par Jésus-Christ et tout ce que représente pour vous ce Siège de Pierre. Ce souci de bien vous situer dans l’Eglise est un signe authentique de l’action de l’Esprit Saint. Car Dieu s’est fait homme en Jésus-Christ, dont l’Eglise est le Corps mystique, et c’est en elle que l’Esprit du Christ fut communiqué au jour de la Pentecôte, quand il descen­dit sur les Apôtres réunis dans « la chambre haute », « assidus à la prière », « autour de Marie, mère de Jésus » (cf. Ac 1,13-14).

Nous le disions en octobre dernier devant quelques-uns d’en­tre vous, l’Eglise et le monde ont besoin plus que jamais que « le prodige de la Pentecôte » se poursuive dans l’histoire » (Audience générale du 16 oct. 1974, voir L’Oss. Rom., éd. fran­çaise du 25 oct. 1974). En effet, grisé par ses conquêtes, l’homme moderne a fini par s’imaginer que, selon les expressions du der­nier Concile, « il est à lui-même sa propre fin, le seul artisan et démiurge de sa propre histoire » (Gaudium et Spes, 20, 1). Hélas ! chez combien de ceux-là mêmes qui continuent, par tradition, à professer son existence, et, par devoir, à lui rendre un culte, Dieu n’est-il pas devenu un étranger dans leur vie ?

Rien n’est plus nécessaire à un tel monde, de plus en plus sécularisé, que le témoignage de ce « renouveau spirituel », que nous voyons le Saint-Esprit susciter aujourd’hui dans les régions et les milieux les plus divers. Les manifestations en sont variées : communion profonde des âmes, contact intime avec Dieu dans la fidélité aux engagements pris lors du baptême, dans une prière souvent communautaire, où chacun, s’exprimant librement, aide, soutient, nourrit la prière des autres, et à la base de tout, une conviction personnelle, qui n’a pas sa source uniquement dans un enseignement reçu par la foi, mais aussi dans une certaine expérience vécue, à savoir que, sans Dieu, l’homme ne peut rien, qu’avec lui, par contre, tout devient possible : d’où ce besoin de le louer, de le remercier, de célébrer les merveilles qu’il opère partout autour de nous et en nous. L’existence humaine retrouve sa relation à Dieu, ce qu’on appelle la « dimension verticale », sans laquelle l’homme est irrémédiablement mutilé. Non certes que cette recherche de Dieu apparaisse comme une volonté de conquête ou de possession ; elle veut être pur accueil de Celui qui nous aime et librement se donne à nous, désirant, parce qu’il nous aime, nous communiquer non sans humble fidélité de notre part. Et cette fidélité doit savoir unir l’action à la foi selon l’en­seignement de Saint Jacques : « De même que le corps sans âme est mort, la foi sans les œuvres est morte » (Jc 2, 26).

Comment alors ce « renouveau spirituel » ne pourrait-il pas être une « chance » pour l’Eglise et pour le monde ? Et comment, en ce cas, ne pas prendre tous les moyens pour qu’il le demeure ?

Ces moyens, chers fils et chères filles, le Saint-Esprit voudra bien vous les indiquer, selon la sagesse de ceux qu’il a lui-même « établis gardiens pour paître l’Eglise de Dieu » (Ac 20, 28). Car c’est le Saint-Esprit qui a inspiré à Saint Paul certaines directives fort précises, que nous nous contenterons de vous rappeler. Y être fidèles sera pour vous la meilleure des garanties pour l’avenir.

Vous savez le grand cas que l’Apôtre faisait des « dons spiri­tuels » : « N’éteignez pas l’Esprit », écrivait-il aux Thessaloniciens (1 Th 5, 19), tout en ajoutant aussitôt : « Vérifiez tout, retenez ce qui est bon » (ibid. 5, 21). Il estimait donc qu’un discerne­ment était toujours nécessaire, et il en confiait le contrôle a ceux qu’il avait mis à la tête de la communauté (ibid. 5, 12). Avec les Corinthiens, quelques années plus tard, il entre dans plus de détails : il leur signale notamment trois principes à la lumière desquels ils pourront plus aisément pratiquer ce discernement in­dispensable.

Le premier, par quoi il commence son expose, est la fidélité à la doctrine authentique de la foi (1 Co 12, 1-3). Ce qui la contredirait ne saurait provenir du Saint-Esprit : celui qui distri­bue ses dons est le même qui a inspiré l’Ecriture et qui assiste le Magistère vivant de l’Eglise auquel, selon la foi catholique, le Christ a confié l’interprétation authentique de cette Ecriture (Cf. Constitution Dei Verbum, n. 10). C’est bien pourquoi vous éprou­vez le besoin d’une formation doctrinale toujours plus approfon­die : biblique, spirituelle, théologique. Seule une telle formation, dont l’authenticité doit être garantie par la Hiérarchie, vous pré­servera de déviations toujours possibles, et vous donnera la certi­tude et la joie d’avoir servi la cause de l’Evangile « sans frapper dans le vide » (1 Co 9, 26).

Deuxième principe. Tous les dons spirituels sont à recevoir avec gratitude ; et vous savez que l’énumération est longue (1 Co 12, 4-10. 28-30). Toutefois, accordés « en vue du bien commun » (1 Co 12, 7), ils ne le procurent pas tous au même degré. Aussi les Corinthiens doivent-ils « ambitionner les dons supérieurs (ibid. 12, 31), les plus utiles à la communauté (cf. ibid. 14, 1-5).

Le troisième principe est, dans la pensée de l’Apôtre, le plus important. Il lui a suggéré une des pages les plus belles, sans doute, de toutes les littératures, à laquelle un traducteur récent a donné un titre évocateur : « Au-dessus de tout plane l’amour » (E. Osty). Si désirables que soient les dons spirituels — et ils le sont —, seul l’amour de charité, l’agape, fait le chrétien parfait, seul il rend l’homme « agréable à Dieu », « gratia gratum faciens », diront les théologiens. C’est que cet amour ne suppose pas seulement un don de l’Esprit ; il implique la présence active de sa Personne au cœur du chrétien. Commentant ces versets, les Pères de l’Eglise l’expliquent à l’envie. Au dire de Saint Fulgence, pour ne citer qu’un exemple, « le Saint-Esprit peut conférer tout espèce de dons sans être présent lui-même ; il prouve en revanche qu’il est présent par la grâce, quand il accorde l’amour », « se ipsum demonstrat per gratiam praesentem, quando tribuit caritatem » (Contra Fabianum, Fragment 28 ; P.L. 65, 791). Présent dans l’âme, il lui communique, avec la grâce, la propre vie de la Très Sainte Trinité, l’amour même dont le Père aime le Fils dans l’Esprit (cf. Jn 17, 26), l’amour dont le Christ nous a aimés et dont à notre tour nous pouvons et devons aimer nos frères (cf. Jn 13, 34), « non seulement en paroles, avec la langue, mais en actes, véritablement » (1 Jn, 3, 18).

Oui, l’arbre se juge à ses fruits, et Saint Paul nous dit que « le fruit de l’Esprit, c’est l’amour » (Ga 5, 22), tel qu’il l’a décrit dans son hymne à l’amour. C’est à lui que sont ordonnés tous les dons que l’Esprit Saint distribue à qui il veut, car c’est l’amour qui édifie (cf. 1 Co 8, 1), comme c’est lui qui, après la Pentecôte, a fait des premiers chrétiens une communauté « assidue à la com­munion fraternelle » (Ac 2, 42), « tous n’ayant qu’un cœur et qu’une âme » (ibid, 4, 32).

Soyez fidèles à ces directives du grand Apôtre. Et selon l’ensei­gnement du même Apôtre, soyez également fidèles à célébrer fré­quemment et dignement l’Eucharistie (cf. 1 Co 11, 26-29). C’est la voie que le Seigneur a choisie pour que nous ayons sa Vie en nous (cf. Jn 6, 53). De même encore, approchez-vous avec confiance du sacrement de la réconciliation. Ces sacrements expriment que la grâce nous vient de Dieu, par la médiation nécessaire de l’Eglise.

Chers Fils et chères Filles, avec le secours du Seigneur, forts de l’intercession de Marie, mère de l’Eglise, et en communion de foi, de charité et d’apostolat avec vous Pasteurs, vous serez sûrs de ne pas vous tromper. Et vous contribuerez ainsi, pour votre part, au renouveau de l’Eglise.

Jésus est le Seigneur ! Alléluia !

 

 

 

25 mai

CANONISATION DE JEAN-BAPTISTE DE LA CONCEPTION ET DE VICENTA MARIA LOPEZ Y VICUNA

 

Une foule nombreuse de pèlerins, en grande majorité espagnols, se pressait dans la majestueuse et immense Basilique Saint-Pierre pour assister aux cérémonies de canonisation des Bienheureux Jean-Baptiste de la Conception et Vicenta Maria Lapez y Vicuna. Voici, en tra­duction, le discours que le Saint-Père a pro­noncé à cette occasion :

 

L’Eglise est en fête aujourd’hui, heureuse d’enregistrer dans la liste des Saints deux nouveaux noms qu’elle peut désormais déclarer avec certitude « inscrits dans le ciel » selon l’expression de Jésus (Lc 10, 20) ; ce sont ceux des nouveaux « canonisés » : le Bienheureux Juan Bautista de la Concepciôn, Réformateur de l’Ordre de la Sainte Trinité, qui vécut de 1561 à 1613 et la Bien­heureuse Vicenta Maria Lopez y Vicuna, Fondatrice des Filles de Marie Immaculée qui vécut, le siècle dernier, de 1847 à 1890. Nous avons tous ressenti une grande joie en écoutant la lecture des deux Décrets relatifs et motivant par de sommaires mais décisives considérations, le jugement de l’Eglise au sujet des preuves et des mérites de la sainteté respective de l’une et de l’autre de ces figures déjà honorées de la béatification qui leur avait été reconnue ; nous avons eu ainsi la très heureuse occasion de proclamer leur cano­nisation.

La phalange des Saints grandit. Nous devons tous nous en réjouir pour la gloire de Dieu, pour l’honneur de Notre Seigneur Jésus-Christ, pour la joie qui en découle pour la Mère des Saints, l’Eglise Catholique et en particulier pour les Familles religieuses illustrées par l’œuvre et par les vertus de leurs Saints Patrons; nous devons nous réjouir également pour l’édification de tout le Peuple de Dieu qui sait pouvoir vénérer en eux, deux des ses membres, deux de ses frères exemplaires, dignes d’admiration et de dévotion; et le peuple de Dieu sait aussi qu’il peut compter sur leur solidaire et efficace intervention prés du Christ Notre Seigneur, source unique de notre salut en vertu de la communion des Saints.

La phalange des Saints, officiellement déclarés tels, s’accroît, et, s’il plaît à Dieu, elle s’accroîtra encore durant cette Année Sainte, puis au cours des années successives. Mais il ne faudrait pas qu’on s’imagine que cette progressive augmentation des fils élus de l’Egli­se est la conséquence d’une facile inflation. Qui connaît la com­plexité et la rigueur des procès préparatoires tant pour les Béati­fications que pour les Canonisations sait parfaitement avec quelle prudence et quelle sévérité l’Eglise exige des preuves indiscutables de « vertus héroïques » et pouvons-nous dire, superlatives, éminentes, corroborées par des témoignages irréfutables analysés avec rigueur critique, selon des méthodes objectivement historiques, et mieux encore, sanctionnées par deux vérifications, l’une négative, celle dite de « non cultus » qui protège les juges du procès contre l’influence de quelque éventuelle mystification populaire ; et celle, positive, des miracles, considérés comme une sorte de témoignage transcendant d’un « placet » divin accordé à l’exceptionnelle re­connaissance de la sainteté que l’Eglise entend vénérer dans chacun des candidats aux honneurs des autels. La législation canonique est extrêmement sévère et prudente en cette matière et elle se main­tient telle, même si quelque forme de procédure d’autre temps, trop ritualisée ou trop compliquée, doit être simplifiée, non sans maintenir toutefois, rigoureusement et sans complaisance, cet élé­ment essentiel qu’est le contrôle des titres exceptionnels exigés pour une conclusion positive de chacun de ces procès.

Mais que la phalange des Saints aille en s’enrichissant de noms nouveaux au cours de la démarche de l’Eglise dans le temps, puis, que nous en soyons les témoins favorisés, doit être un motif de joie et d’espérance : l’Eglise reste bien vivante ; elle ne vieillit pas et fleurit toujours ; et, tandis que les vicissitudes de l’histoire sou­vent troublent sa pacifique progression et même parfois boule­versent et affligent sa normale démarche terrestre, elle réagit en sainteté, s’offrant à elle-même et offrant au monde le réconfort et l’exemple de quelques-uns de ses fils imprévus et tout à fait ca­ractéristiques qui, avec l’admirable charisme de charité et d’autres vertus évangéliques, de dons et fruits mêmes du Paraclet, soutien­nent la foi menacée des peuples et offrent à leur siècle et aux siècles suivants l’impérissable présence de l’Esprit vivifiant au sein de l’Eglise du Christ. Et cette simple réflexion qui pourrait se déve­lopper en philosophie de l’histoire et en théologie de l’Eglise pèle­rine et militante, doit nous faire exulter aujourd’hui pour les deux Canonisations qui viennent d’être heureusement célébrés; que l’ali­mentent et la confirment ces quelques brèves notations biographi­ques ou, mieux, hagiographiques des deux nouveaux élus au titre officiel de sainteté.

La figure de Saint Jean Baptiste de la Conception, loin de s’être affaiblie dans la course des siècles, continue, inaltérable, à nous offrir l’intégrité et la fraîcheur de son témoignage de fils de l’Eglise, Jean-Baptiste naquit en 1561 dans un foyer profondément chré­tien d’Almodovan del Campo, une région où vit le jour également Saint Jean d’Avila, un maître insigne de l’esprit que nous avons, lui aussi, canonisé nous-même. Il semble que ces deux existences, formées dans la même ambiance, se sont, par dessein divin, com­me prolongées sans interruption, moins dans le temps, que dans une mission commune de réformateurs : le Maître d’Avila mourut précisément au moment ou Jean-Baptiste entrait dans sa neuvième année.

Voici un autre fait significatif et curieux : Jean-Baptiste avait quinze ans quand une grande sainte réformatrice, Thérèse de Jésus, que nous avons proclamée Docteur de l’Eglise, vint à Almodovar prendre possession d’un logement dans la même maison que le fu­tur saint trinitaire. Cette floraison de Saints aux aspirations ré­formatrices, au début d’une étape postconciliaire, celle qui suivit le Concile de Trente, ne semble-t-elle pas instructive, pour notre époque de renaissance et de développement ecclésial croissant ? Il est évident, en effet, qu’une période déterminée ne peut se consi­dérer comme époque de réforme authentique et féconde si elle ne produit pas une constellation de Saints. N’est-il pas opportun, à l’occasion de ces canonisations de l’Année Jubilaire de rappeler le 5° chapitre de la Constitution dogmatique Lumen Gentium qui traite de la vocation universelle et de la sainteté de l’Eglise ? Oui, nous pensons que le moment est favorable pour lancer à tous nos collaborateurs dans l’évangélisation, évêques, prêtres, diacres, re­ligieux et laïcs, le défi de la sainteté, car nous savons parfaitement qu a son défaut le renouvellement se trouverait compromis et que serait perdu le fruit primordial et fondamental, tant du Jubilé que du Concile (voir aussi Christus Domini, n. 15). Ce n’est pas une simple coïncidence, vide de signification, le fait que Jean-Baptiste de la Conception soit canonisé au cours de cette Année Sainte et pour le X° anniversaire de la conclusion du Concile Vatican II, presque quatre siècles après sa mort. Le dernier Concile a imposé à l’Eglise le rythme de renouvellements mais de quel renouvellement s’agit-il ? Il ne peut évidemment être question d’un renouvellement indiscriminé. Ce sont les Pasteurs de l’Eglise, réunis sous la Prési­dence du Successeur de Pierre, qui ont indiqué le sens du renou­vellement nécessaire à notre époque. Les problèmes ecclésiaux actuels trouvent leur solution dans la fidélité aux enseignements du Concile, et en suivant les sages directives de la Hiérarchie.

Saint Jean-Baptiste de la Conception nous enseigne de manière concrète avec sa vie, quelles doivent être les dispositions et les attitudes des réformateurs authentiques. Et particulièrement en ce qui concerne les familles religieuses, d’autant plus qu’il est entré dans l’histoire comme réformateur de l’Ordre de la Très Sainte-Trinité. Notre Saint, qui porta l’habit de l’Ordre dès sa 19° année, se prépara à sa mission en se confiant généreusement au Seigneur, en cultivant en son âme la piété eucharistique et mariale, avec le plus grand désir d’imiter la vie austère des Saints tel que la raconte le Flos Sanctorum qu’il lisait avec ferveur. Il s’absorba profondément dans les études, avide de se forger une solide forma­tion théologique, basée principalement sur les Ecritures et les Saints Pères et qui lui sera très utile dans son ministère de prédicateur inlassable. Il voulait être un religieux observant, désireux d’embras­ser la règle primitive, austère et pauvre, de l’Ordre et, pour elle, il brisa décidément avec la tyrannie des « obligations du monde » (Oeuvres III, 29). N’est-ce pas là, la démarche des Saints ?

Pour réaliser la réforme de son Ordre, il accomplit un pèlerinage à Rome ; et son oeuvre, tant en Espagne qu’en dehors, se voit sou­mise à de rudes épreuves. Peu lui importe d’ailleurs : « Il est cer­tain, dit-il, que si je t’aime, Seigneur, je n’ai pas à avoir en cette vie honneurs ou gloire, mais seulement à souffrir par amour pour toi » (Oeuvres VIII, 128). Lorsque le Pape Clément VIII approu­va la réforme, notre Saint retourna en Espagne pour appliquer fi­dèlement les normes, que lui avait données le Saint-Siège. Il exigea des moines qui embrassaient la vie réformée une stricte observance de la règle, une vie faite de prière, de pénitence et de pauvreté, vécue toujours dans un climat de joie, ce qui n’est nullement en contradiction avec l’austérité. Et toujours il fit preuve d’humanité et de délicatesse dans ses intervention ; mais en même temps de fermeté, de droiture et de soumission à ses supérieurs. Il en eut les fruits. Son oeuvre eut de grands résultats et les vocations se multiplièrent.

Quand sa vie fut à son déclin, il connut des épreuves, des con­tradictions: comment réagit-il ? Comme le font les Saints. Oui ; avec la charité ; et ainsi, son âme se purifia dans son renouvelle­ment personnel et s’embrasa d’une plus grande sainteté. Quand il mourut à Cordoue à l’âge de 51 ans, il nous laissait dans son oeuvre et dans ses écrits une leçon éternelle : Il ne peut y avoir d’authentique réforme ecclésiale sans renouvellement intérieur, sans obéissance, sans croix. Seule la sainteté produit des fruits de re­nouvellement ! Que le Seigneur comble de ses bénédictions l’Ordre de Saint Jean de Mata et de Saint Jean-Baptiste de la Conception, un Ordre qui a précisément pour finalité le culte à la Sainte Trinité et l’apostolat libérateur parmi les chrétiens qui, à cause de con­tingences sociales particulières, risquent le plus de perdre la foi.

Dans un certain sens, cet apostolat caractérise également l’œuvre de la nouvelle Sainte.

Vicenta Maria Lopez y Vicuna est plus proche de nous dans le temps. Elle naquit dans la noble et très chrétienne terre de Na­varre le 24 mars 1847 pour mourir au seuil de notre siècle. Elle vécut une jeunesse sereine, durant laquelle mûrirent en elle les fruits d’une éducation chrétienne très soignée où son milieu fami­lial laissa des traces éloquentes : la mère, un oncle prêtre, une tante religieuse Oh ! nous n’estimerons jamais assez haut l’importance formative du noyau familial ; c’est là que sont semées et cultivées, de manière irremplaçable, les connaissances et les vertus. Et Dieu bénit avec prédilection les familles authentiquement chrétiennes ; elles constituent le laboratoire le plus productif de vocations pour le service de l’Eglise. Vous avez, en Espagne, une tradition mer­veilleuse, glorieuse, féconde, en ce domaine.

Ceci, nous le rappelons maintenant, chers Fils, parce que nous avons l’espoir que cette Année Sainte se caractérisera, elle aussi, par une riche floraison de vocations, par « un accroissement numé­rique de ceux qui servent l’Eglise en lui consacrant entièrement leur vie, c’est-à-dire les prêtres et les religieux » (Bulle Apostolorum Limina, IV).

Notre Sainte était encore très jeune lorsqu’elle entendit l’appel divin retentir dans son cœur. Ce ne fut pas une décision facile à réaliser. Avec simplicité et douceur, sacrifice et charité, elle réussit à se dégager des perspectives que lui offrait une vie dans un monde paisible, confortable, flatteur.

En la fête de la Sainte Trinité de 1876, elle reçut l’habit reli­gieux avec deux de ses compagnes ; c’est ainsi que naquit la Con­grégation des Religieuses de Marie Immaculée ; une famille dont la mission est la sanctification personnelle de ses membres et l’as­sistance aux jeunes filles qui travaillent hors de leur propre foyer.

C’est à ces jeunes, aux prises fréquemment avec de graves diffi­cultés et périls que Vicenta Maria consacra sa vie tout entière. En mettant dans la balance l’avenir de sa vocation, elle pourra dire : « Les jeunes ont gagné ! ». Et c’est à ces jeunes qu’elle se consacrera sans réserve pour leur assurer un foyer accueillant où elles puissent trouver une voix amie, la parole encourageante et désintéressée, la chaleur d’un cœur ; où elles découvriront l’immense richesse humano-divine de leur vie, le secret des valeurs éternelles ; de la paix intérieure et où elles pourront, en même temps, apprendre à se réaliser intégralement pour se rendre de plus en plus dignes devant Dieu et toujours plus parfaites en tant que jeunes.

De quelles merveilleuses intuitions peut être capable celui qui aime vraiment ! Quelle fine pédagogie sait appliquer celui qui parle le sublime langage qui s’apprend dans le cœur du Christ !

Notre Sainte possède déjà une expérience personnelle de son apostolat spécifique. Sa propre famille de Madrid l’a mise en con­tact avec cette classe laborieuse qui a tant besoin d’être aidée. Le désir de se consacrer à Dieu fait le reste. Elle-même ressent en son âme le besoin insatiable de ce renoncement pur, délibéré, amou­reux qui convient au disciple du Christ « pour la gloire de Dieu, plus sensible. Plus pauvre. Plus mortifiée dans ses inclinations les plus naturelles. Risquant toujours plus de souffrir le mépris. Combien vitupèrent contre elle! Continuel effort, continuel sacri­fice. Nécessité de l’époque ». Ce sont précisément ces raisons qui la poussent à réaliser la fondation, comme elle l’a écrit elle-même (cf. les Ecrits de la fondatrice, Cahier t. f. 80 r. O. c. 124-130).

Malgré sa mort prématurée, à 43 ans, non sans souffrances phy­siques et surtout morales — la croix est la compagne inséparable des Saints — la Mère Vicuna vit son œuvre recevoir l’approba­tion du Saint-Siège; il y avait déjà des maisons réparties dans toute l’Espagne et Vicenta Maria pensait à fonder une maison à Buenos Aires. La congrégation s’ouvrait ainsi vers tous les horizons de l’Eglise, comme elle l’est aujourd’hui avec de nombreuses communautés disséminées en Europe, en Amérique, en Afrique et en Asie.

Nous nous souvenons bien du moment où elle fut béatifiée par notre vénérable prédécesseur Pie XII, durant la précédente Année Sainte. En cette Année Sainte actuelle qui coïncide avec l’Année Internationale de la Femme nous pourrions nous demander : « Quel message Sainte Vicenta Maria apporte-t-elle à l’Eglise et au monde de notre époque ? ».

En ouvrant le cycle des béatifications de l’Année Sainte avec celle de Marie Eugénie Milleret nous disions que « la sainteté, cherchée à tous les âges de la vie, est la promotion la plus originale et la plus élevée à laquelle puissent accéder les femmes ».

Sainte Vicenta Maria a senti, impérieuse, l’attirance de la cha­rité se faisant service, une impulsion qui la poussait à prodiguer ses attentions à la femme, surtout à la plus jeune, la plus nécessi­teuse d’orientation religieuse, d’assistance sociale, d’authentique perfection chrétienne ; en un mot, de promotion dans le sens le plus complet et le plus élevé du terme. Une tâche que, compte tenu des modalités diverses que nécessite notre époque, constitue encore une exigence importante du monde actuel.

Le charisme de la fondatrice a ainsi, pour nos temps encore, une pertinence toute particulière. Ce même charisme vous impose, religieuses de Marie Immaculée, un engagement et un compromis : l’engagement d’un authentique et constant renouvellement (cf. Perfectae caritatis, 2), le regard fixé sur votre Sainte Mère pour imiter son exemple de fidélité évangélique (cf. Mt 5, 3) centrée sur la charité, et alimentée par l’adoration eucharistique et la dévotion à la Sainte Vierge, caractéristiques dominantes de la spiritualité de Vicenta Maria, autant que sa fidélité et son amour envers l’Eglise : en un mot, suivez sa trace dans la vie spirituelle et dans la vie apostolique.

Un compromis également : celui de la charité sociale qui cons­titue l’héritage principal de votre fondatrice. En près d’un siècle d’existence combien parfaitement votre congrégation a-t-elle su utiliser cet héritage en faveur de la promotion des jeunes, édifiant des lieux de résidence, des écoles professionnelles, des centres so­ciaux et missionnaires ! C’est avec joyeuse satisfaction que nous vous disons, à vous, chères religieuses de Marie Immaculée ici présentes et à toutes celles qui, n’ayant pu venir, ont en ce moment les yeux fixés sur cette assemblée ecclésiale : Courage ! En avant, toujours !

Chers Fils : l’Eglise aujourd’hui déborde de joie. Sa vitalité éter­nelle est fruit de la présence divine. Que s’élève de partout le chant d’action ! de grâces que l’Eglise dédie au Père et au Fils et à l’Esprit Saint qui la guident et l’embellissent sans cesse, ensemençant de Saints les sentiers du monde. Oui, réjouissons-nous, car Dieu a fait des merveilles dans l’âme de Saint Jean-Baptiste de la Conception et dans celle de Sainte Vicenta Maria ; leur passage sur notre terre attire nos regards, nos aspirations à des conquêtes toujours plus belles, nos désirs les plus pressants de transformation terrestre et transcendante. Grâces en soient rendues à la Sainte Trinité, du plus profond de nos âmes.

Nous voudrions que ce chant d’allégresse se traduise mainte­nant en un fervent message de félicitations pour l’Espagne toute entière. Elle le mérite parce que, dans sa séculaire trajectoire ec­clésiale, elle nous offre deux nouveaux témoins de sa fécondité spirituelle et religieuse qui doivent servir de constant stimulant, de compromis éternel pour les générations présentes et futures. A l’exemple de vos Saints, restez toujours fidèles à l’Eglise ! Tous unis, prêtres, religieux et fidèles d’Espagne, poursuivez votre dé­marche sur la voie de l’adhésion et de la fidélité au message du Christ, faisant surgir par votre attitude des œuvres généreuses qui servent la cause du bien spirituel et du progrès social de votre patrie. Voilà notre espérance, voilà nos désirs ; et en ce jour lumineux, nous les recommandons de manière particulière à Saint Jean-Baptiste de la Conception et à Sainte Vicenta Maria Lopez y Vicuna, pour la gloire de Dieu, Père, Fils et Esprit Saint.

 

 

 

29 mai

HOMÉLIE DU SAINT - PÈRE POUR LA FÊTE - DIEU

 

Frères,

 

Cette liturgie du « Corpus Domini », si particulière et si solen­nelle, a le caractère d’un rappel. Notre réflexion retourne vers la nuit du Jeudi-Saint, pleine d’une telle signification pour Jésus, le Maître, qui ouvre la Cène pascale avec ces paroles en forme de testament, pleines d’une émotion intense et d’une tendresse pleine d’amour : « J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir... » (Lc 22, 15). Une curiosité angoissée provoque alors une extraordinaire tension parmi les convives pen­dant que Jésus accomplit des gestes insolites comme le lavement des pieds de ses disciples, et prononce des discours extrêmement doux et graves, distribuant à un moment donné le pain et le vin transformés de manière radicale et essentielle en son propre corps et en son propre sang. Il transforme ainsi le repas en sacrifice où l’agneau pascal alors consommé cède sa valeur séculaire et his­torique de symbole national de libération, à la présence d’une victime salvatrice authentique, prophétisée et prophétique, unique, universelle et permanente. Puis le commandement de l’amour fra­ternel, puis la doctrine de l’union permanente de Jésus et des siens, et l’alternance de la souffrance et de la joie prévue pour les fidèles disciples du Maître au-delà de sa disparition sensible, l’annonce répétée aussi de la mission animatrice de l’Esprit Paraclet et enfin, comme couronnement de l’économie messianique, la der­nière prière sacerdotale du Seigneur, s’élevant entre ciel et terre comme un hymne qui absorbe dans l’unité transcendante les destins suprêmes de l’humanité rachetée.

C’est trop de choses pour nous ! Alors que nous sommes absor­bés aussitôt dans le drame féroce et héroïque de la Passion du Vendredi-Saint, et enfin par l’avènement suivant, quasi inconce­vable dans son bonheur suprême, de la résurrection du Seigneur, Lui-même, mais tellement merveilleusement vivant qu’il ne peut pas être enfermé dans les schémas habituels de notre mentalité courante.

Cette profusion de faits, de paroles, de rapports prophétiques avec le passé et avec le futur, qui forme le cadre si dense du mys­tère pascal nous oblige, comme nous le disions, à un rappel et à une recherche du point central dans lequel la réalité supérieure se condense dans une expression symbolique, c’est-à-dire sacra­mentelle; grâce à laquelle il transcende les limites de la contin­gence de la matière et du temps, se diffuse, corne la lumière à partir de son point focal, et se rend accessible à ceux qui ouvrent les yeux à cette lumière, les yeux de la foi, et franchissant les bornes de l’espace et du temps tout comme celles de nos lois expé­rimentales, la fait sienne, comme c’était dans l’intention du Sei­gneur, lorsqu’il l’a fait briller par sa suprême puissance, avec un amour infini.

Et nous voici, oui, tremblants d’émerveillement et de joie, qui ouvrons cette capacité réceptive profonde de notre esprit et nous nous écrions : « Mystère de la foi ! ». Nous franchissons ainsi le seuil prodigieux du règne de Dieu auquel le banquet pascal du Seigneur, à la veille de sa passion rédemptrice, nous avait invités comme à une rencontre suprême. Oui, nous croyons, Seigneur, mais viens Toi-même en aide à notre incrédulité (cf. Mt 9, 24). Alors voici la scène théologique qui brille devant nous; et nous ne pouvons jamais en contempler simultanément tous les aspects, ni en jouir, ni les comprendre. Les âmes entraînées à cette surpre­nante vision le savent bien. Pour en saisir quelque chose, il faut maintenant choisir un aspect et fixer notre regard sur un point particulier.

Quel est ce point particulier aujourd’hui pour nous ? Nous écoutons en ce moment, Seigneur, une de tes paroles. C’est une parole de ton discours à Capharnaüm, discours de commentaire, de polémique et de révélation que tu as fait, ô Seigneur, après le miracle de la multiplication des pains pour la foule de plus de cinq mille personnes qui étaient venues à ta recherche au-delà du lac de Tibériade, miracle prélude et symbole de l’institution de l’Eucharistie. A ceux qui demandaient encore du pain pour as­souvir leur faim naturelle, Tu as redit, Seigneur : « Je suis le Pain de vie ; celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim, et celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif » (Jn 6, 35). Tu attirais ainsi l’attention sur une autre faim et sur une autre soif qui ne sont pas celles de la vie temporelle pour laquelle ta miséricordieuse bonté avait donné la veille une nourriture gratuite et abondante. Tu as ainsi enseigné des vérités qui ont encore leur valeur, qui valent toujours, et pour nous aussi, aussi loin que nous soyons des lieux et des temps qui Te virent physiquement présent.

Tu nous as enseigné que les nécessités de la vie temporelle et économique méritent, certes, que la société s’y intéresse, que les hommes y pourvoient de manière immédiate, rendus frères à un nouveau titre par ce besoin incontestable du pain que la terre peut, donner et qu’elle donne à qui y prodigue ses efforts avec sagesse, à la sueur de son front et en priant. La solidarité entre les hom­mes, née de la souffrance et de la nécessité comme de la recherche d’un bien-être croissant et d’une plus juste participation de tous aux biens de la terre, ne sera jamais oubliée ni passée sous silence par ceux qui sont marqués du nom de chrétiens, qui sont les dis­ciples fidèles de ton Evangile; ce sera aussi pour eux une obliga­tion à la fois douce et sévère et ce le sera toujours plus, que celle de multiplier le pain de la terre dans la mesure où la faim est plus grande, c’est-à-dire dans la mesure où le besoin et la souffrance le réclament: et ce sera pour eux un puissant stimulant et une récom­pense incomparable que de savoir que cet effort économique et social sera soutenu par un amour que Toi seul peut donner dans toute son efficacité et dans toute sa beauté, la charité. Et fais Toi-même, Seigneur, que nous puissions donner notre témoignage vrai, humble, amical et persévérant à cette loi chrétienne suprême de la vie en commun qui est la tienne.

Mais Tu nous as enseigné aussi, ô Seigneur, que l’homme ne vit pas seulement du pain de la terre (cf. Mt 4, 4) parce que notre vie n’est pas appelée seulement à un destin terrestre ; mais pour la destinée surnaturelle qui est offerte à notre existence naturelle, ta parole, ta rédemption, ta communion nous sont indispensables avec le Pain de la vie éternelle.

Excite en nous, Seigneur, cette faim. Toi qui l’alimentes et l’apaises aujourd’hui, dans le temps, et demain, dans l’éternité; Toi qui viens à nous dans l’inestimable don du Pain eucharistique.

 

 

 

6 juin

« CE N’EST PAS DEMAIN, MAIS AUJOURD’HUI, QUE NOUS SOMMES OUVRIERS DE LA VIGNE DU SEIGNEUR »

 

Vénérés Confrères dans l’Episcopat et dans le Sacerdoce, chers Fils et Filles,

 

Congregavit nos in unum Christi amor. Oui, ce matin, en cette Fête du Cœur du Christ, qui est la célébration de l’amour du Christ, ce même amour nous a réunis ici, tous ensemble. Nous nous en réjouissons intimement, et nous sommes certain que vous aussi, vous vous réjouissez tous dans vos esprits : parce que nous voici tous unis, nous, avec vous, Evêques d’Italie, et avec vos prêtres ; unis dans cette célébration jubilaire qui est bien plus qu’une manifestation extérieure, toute solennelle et vécue qu’elle soit: elle est le signe visible d’un fait intérieur, de cette réalité vivante qu’est l’Eglise Italienne ici présente en la personne de ses pasteurs, réunis pour leur Assemblée Générale, et celle de leurs collaborateurs directs, les prêtres, comme elle est présente dans l’expression qualifiée du laïcat, collaborateur généreux. De telle sorte que votre présence ici, près du trophée caché et res­plendissant du Prince des Apôtres, aux côtés de son très humble Successeur, assume la signification évidente de la communion. Con­gregavit nos in unum Christi amor : et cela ressort avec plus d’évi­dence encore de la richesse de la Liturgie du mystère d’aujourd’hui, une célébration de l’amour de Dieu qui se reflète dans le coeur humain du Verbe Incarné. Dans sa première Epître, celle que nous venons d’écouter, Saint Jean nous l’a rappelé : « En ceci s’est ma­nifesté l’amour de Dieu pour nous: Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde afin que nous vivions par lui... Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous et en nous son amour est accompli. A ceci nous reconnaissons que nous demeurons en Lui et Lui en nous : c’est qu’il nous a fait don de son Esprit » (1 Jn, 4, 9 et 12-13).

Communion, donc, qui enfonce ses racines dans la vie même de la Très-Sainte-Trinité. Mais voici que pour nous, élus, décou­lent aussitôt de cette communion, des faveurs et des devoirs concrets et impérieux : ceux de l’unité, de la solidarité, de l’action conforme qui ne doit pas seulement être affirmée verbalement, mais démontrée chaque jour dans les faits : d’où l’importance des pro­grammes unitaires dont l’Assemblée de la C.E.I. et son incessante activité nous donnent une image des plus encourageantes ; d’où éga­lement la mobilisation des efforts de tous les membres de la com­munauté ecclésiale.

 

1. Mais dans quel esprit devons-nous accomplir tout ceci ? En faisant preuve d’un zèle renouvelé, d’une ardeur renouvelée, d’une générosité renouvelée qui trouvent leur base dans la metanoia que l’Année Sainte prescrit à chacun. Si la communion est le miroir qui reflète notre réalité intérieure et si elle exprime notre activité exté­rieure, alors, sous cet éclairage, nous devons ressentir l’obligation de poursuivre avec un nouvel élan l’œuvre commune de salut et d’évangélisation à laquelle nous appelle notre vocation. Il nous semble qu’une période nouvelle de vie ecclésiale est en train de se dessiner: il faut que notre fidélité à la tradition canonique s’exprime dans une ferveur renouvelée d’interventions et d’œuvres (cf. Rm 12, 2). De nous, Pasteurs responsables et conscients, les temps actuels at­tendent deux choses : une application adhérente et conforme du grand trésor de doctrine et de précepte du récent Concile que la Pro­vidence a voulu faire célébrer par notre génération : ce n’est pas hier, ce n’est pas demain, mais aujourd’hui que nous sommes, nous, ouvriers de la vigne du Seigneur, appelés à un travail très absorbant (cf. Mt 20, 7) ; il faut que le Concile devienne le stimulant conti­nuel et la loi opérante de notre vie ecclésiastique actuelle. Et deu­xième chose : nous devons avoir un sens aigu, attentif et vigilant, de la transformation, spécialement dans ses aspects culturels, du monde dans lequel nous sommes appelés à opérer.

Alors, voulons-nous esquisser ensemble les grandes lignes de ce que nous devons accomplir dans cet esprit nouveau, pour repren­dre vraiment notre mission, avec des énergies jamais lasses et tou­jours vigoureuses ?

D’abord et avant tout, la vocation. C’est par elle qu’il faut com­mencer pour revitaliser et accroître les communautés ecclésiales : devenir maîtres d’une nouvelle génération de prêtres et approfondir la conscience sacerdotale. Mais c’est l’Evêque qui est le premier maître tant des vocations de son diocèse que de la formation de ses propres prêtres, formation mise à jour et mûrement réfléchie, mais jamais séparée d’une vie spirituelle des plus intenses. Cette responsabilité directe, bénéficiant certes de la collaboration choisie et efficiente d’excellents Confrères a été rappelée expressément par le Concile Vatican II (Christus Dominus, n. 15 ; 16 ; Presbyterum Ordinis, n. 7 ; Optatum totius, n. 2). Il importe donc que ce soit l’Evêque qui personnellement s’intéresse à ses propres séminaristes et prêtres, afin que ceux-ci puissent vraiment trouver en lui le Père, le Conseiller, l’Ami, le guide, l’aide et le soutien.

Il faudra en même temps qu’il réponde en toute conscience à la grave obligation d’assurer également la formation apostolique des laïcs et spécialement de ceux qui acceptent de s’enrôler dans les for­mations toujours actuelles de l’Action Catholique ; en effet, en un moment comme celui-ci cette formation est nécessaire pour que ne vienne pas à manquer la clarté de la doctrine, la vigueur des princi­pes, la lumière de l’exemple. Ici encore la voix des Pères Conci­liaires a été catégorique : « Il appartient à la Hiérarchie de favoriser l’apostolat des laïcs, de lui donner principes et assistance spirituelle, d’ordonner son exercice au bien commun de l’Eglise et de veiller à ce que la doctrine et les dispositions fondamentales soient res­pectées » (Apostolicam Actuositatem, n. 24). Sous cet éclairage, nous voyons avec grande consolation et très heureuse espérance, le phénomène des catéchistes, en plein développement et parfois de manière surprenante. Voilà une chose excellente, à encourager très sagement, parce qu’elle démontre la toujours vive et généreuse éner­gie des jeunes forces de l’Eglise. Et il est évident que ce n’est que dans une solide formation religieuse, en parfait accord avec la vie de grâce, et dans l’exercice du témoignage doctrinal que l’on peut avoir des communautés ecclésiales adultes, sur lesquelles faire fond solidement pour l’avenir.

 

2. Mais nous voulons aussi souligner le but qui nous est assigné aujourd’hui dans notre activité pastorale: c’est celui d’être actifs et forts. Actifs avant tout, parce que la logique de l’Evangile nous appelle à dépenser les talents que nous a confiés le Seigneur, sans nous lasser, sans jamais nous interrompre, sans nous laisser accabler par les préoccupations de la routine : « Nec in te partitur Dominus unius usum esse operis aut laboris, quis, dum vivimus debemus semper operari » a dit Saint Ambroise (Exp. Ev. sec. Luc VIII, 31 ; CC, page 309).

Il se pourrait qu une subtile tentation s insinue dans le Pasteur d’âmes et le poids immense de son travail lui fournirait facilement une excuse atténuante : « Après tout, il y a la C.E.I. ; il y a quelqu’un pour y penser ! ». C’est la tentation de demander à l’organisme collé­gial ce que seule la responsabilité personnelle peut réaliser. Nous sommes tous convaincus qu’il en est ainsi, n’est-il pas vrai ? Cha­que Evêque conserve intégralement sa propre responsabilité, chacun doit se proposer de résoudre personnellement, avec l’aide de son pro­pre clergé, ses propres problèmes immédiats ; en effet, chacun sera jugé sur la générosité et le zèle avec lesquels il aura répondu à l’état de grâce : sans oublier toutefois que nous devons en même temps agir comme en un concert unique, en une unique harmonie, selon ce caractère d’unicité du programme auquel nous avons déjà fait allu­sion, et qui seul assure la validité des diverses initiatives.

C’est pourquoi, Frères, il faut également que vous soyez forts. Forts pour canaliser les énergies du bien; forts pour favoriser le dé­veloppement positif que vous avez relevé dans les tensions de renou­vellement et de collaboration dans les divers éléments de la vie ecclésiale ; forts pour répondre aux difficultés qui ont investi un peu toutes les formes d’association et, ci et là, la vie même du clergé et des âmes consacrées. Mais, surtout, forts dans l’amour ! Vous puiserez, Frè­res, comme vous le savez bien, une telle force, vraie, indispensable, dans l’intensité de la vie religieuse, soit personnelle, soit communau­taire et liturgique ; et vous la puiserez dans votre union, comme il a été dit. Or, votre union doit être la Conférence Episcopale qui veille remarquablement à harmoniser et à intensifier la consistance religieuse du Peuple italien. Comme on le dit, l’union fait la force. Mais quelle est la force qui jaillit de cette union ? La force de l’amour ! de l’amour pastoral ! Amour pour les hommes de notre temps ; oui, c est à cette fin qu’est consacrée notre vie ; mais rappelons-nous bien comment nous devons interpréter cette parole magnanime et polyvalente « amour », c’est-à-dire dans le sens que le Christ lui attribue, de libération, de service, de sacrifice, et selon la formule de Saint Paul qui fait de la charité et de la vérité un binôme inséparable. Il faut exercer l’amour selon les exigences de la doctrine sans se laisser emporter comme des enfants à tous vents des opinions publiques à la mode (cf. Ep 4, 14-15), comme cela arrive, malheureusement, mê­me à certaines personnes engagées au service de la foi et qui, par­fois aussi avec de généreuses intentions, de maîtres et guides qu’ils devraient être pour les frères égarés sur des sentiers erronés, se font les disciples serviles de ceux-ci et détournent le dynamisme de notre charité sociale au profit de systèmes idéologiques et pratiques qui en étouffent la liberté intrinsèque et la vident finalement de sa valeur religieuse.

 

3. Nous le répétons : que l’amour soit notre force : « Nous avons reconnu l’amour et nous y avons cru » (1 Jn 4, 16). La réalité du Cœur du Christ nous pousse à cet amour, même in spem contra spem ! Oui, frères, aujourd’hui, la société a besoin d’amour : il y a des désordres sociaux, des ferments de désagrégation, des erreurs mo­rales (drogue, perversion, etc.) parce que peut-être notre peuple, dans quelques expressions de sa vie (le besoin de justice sociale, par exemple la pression du travail industriel, l’étude de la mentalité moderne) ne s’est pas senti assez aimé ! De même, dans la méfiance, et dans les préjugés qui tiennent loin de l’Eglise tant de membres des classes sociales les plus évoluées, du monde de la culture, de l’enseignement, des arts, on a vu à tort, un manque d’intérêt et d’a­mour. Au contraire, il faut que tous se sentent chez eux dans l’Eglise; elle n’est hostile à personne parce qu’à tous elle apporte la vérité, la lumière, la clairvoyance, la patience, la paix, la charité de Dieu. Voilà notre force: un plus grand amour, une plus grande bonté: nous devons nous faire aimer plus, et en aimant, nous faire, comme Saint Paul « tout à tous afin de les sauver tous » (1 Co 9, 22). C’est no­tre profession, notre vocation, notre terrible et fortifiante responsa­bilité. C’est à cela que nous appelle le Christ qui, par notre intermé­diaire — de nous Evêques, de nous prêtres — et par celui des laïcs généreux, veut faire entendre à tous les hommes les anxiétés de son Cœur : nous l’avons entendu dans l’Evangile : « Venez à moi, vous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai. Char­gez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur et vous trouverez soulagement pour vos âmes » (Mt 11, 28-29). Le monde qui souffre dans le climat glacé de l’égoïsme et de la peur a besoin de réentendre cette affirmation qui renou­velle et confirme pour toujours les grandes paroles de l’Alliance : « Le Seigneur s’est lié à vous... le Seigneur vous aime » (Dt 7, 7-8).

Oui, Frères, oui, amis: ceci est notre engagement, ceci est notre gloire ceci est notre récompense. Que nous fortifient Saint Pierre et tous les Apôtres, avec leur héroïque témoignage ; que nous aide la Vierge Très Sainte, Mère de l’Eglise ; et que nous encouragent et nous bénissent Dieu le Père, le Fils, le Saint-Esprit. Amen.

 

Après cette  homélie, le Saint-Père s’est adressé  en  diverses langues aux fidèles présents. Aux pèlerins de langue française il a dit :

 

Nous saluons affectueusement, les pèlerins de langue française. Chers fils et filles, en ce jour où nous célébrons le Cœur du Christ, demandons au Seigneur de nous combler de son Amour, afin que nous soyons toujours unis entre nous et avec Lui.

 

 

 

16 juin

LA PARTICIPATION DE LA FEMME À L’ACTION POUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA PAIX

 

Nous sommes heureux de saluer la Conférence Mondiale de l’Année Internationale de la Femme, qui va s’ouvrir pro­chainement à Mexico, en formant les meilleurs vœux pour ses travaux, qui pourront heureusement contribuer à l’avenir de l’hu­manité.

Nous avons déjà eu l’occasion, lors de la visite que vous nous avez rendue, de souligner l’attention et la sympathie avec lesquelles nous nous proposions de suivre l’Année Internationale de la Femme proclamée par les Nations Unies. Nous reconnaissions, en effet, dans le triple thème de l’Année : égalité, développement, paix, la synthèse d’une vaste problématique que les Institutions de la communauté mondiale doivent aujourd’hui affronter et qui exprime des aspirations dont l’Eglise est elle-même solidaire. La présente Conférence marque cependant une étape vraiment nouvelle dans ce cheminement des nations à la recherche de conditions de vie plus justes et plus humaines.

D’une part, il s’agit de rende justice à la femme qui trop souvent au cours de l’histoire, et de nos jours encore, s’est trouvée, ou se trouve, reléguée dans une situation d’infériorité par rapport à l’homme, et victime plus encore que lui des fléaux du sous-dévelop­pement et de la guerre. Mais d’autre part, comme nous avons été heureux de le relever dans les buts assignés à l’Année Internatio­nale, il s’agit aussi concrètement d’assurer la pleine intégration des femmes dans l’effort global de développement et de reconnaître et encourager leur apport au renforcement de la paix. Quel espoir pour l’humanité si, par l’effort concerté de toutes les bonnes vo­lontés, les centaines de millions de femmes de toutes les régions du monde pouvaient enfin mettre à la disposition de ces grandes causes, et de la « réconciliation dans les familles et dans la société », non seulement leur force numérique mais l’apport irremplaçable de leurs dons d’intelligence et de cœur ! Cet espoir, nous l’évoquions, récemment encore, à l’occasion de la Journée mondiale de la Paix.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’Eglise Catholique appelle de ses vœux la réalisation de ces buts proposés pour l’Année Interna­tionale de la Femme. Il y a près de vingt ans déjà — pour ne pas remonter plus loin — notre Prédécesseur, Pie XII, disait à des femmes catholiques du monde entier : « Vous pouvez et vous devez faire vôtre, sans restrictions, le programme de la promotion de la femme, qui soulève d’un immense espoir la foule innombrable de vos sœurs encore soumises à des coutumes dégradantes, ou victi­mes de la misère, de l’ignorance de leur milieu, du manque total de moyens de culture et de formation » (A l’Union Mondiale des organisations Féminines Catholiques, 29 septembre 1957, AAS 49, 1957, p. 907). Cette « promotion » devait se concevoir « en termes chrétiens, dans la lumière de la foi » ; mais ce n’était certes pas pour en diminuer la portée. Au contraire, car c’est dans cette lumière que ressort le mieux l’égalité véritable entre homme et femme, dotés, chacun selon son mode propre, de la dignité de la personne humaine, et créés à l’image de Dieu.

C’est ainsi que dans son Encyclique Pacem in terris le Pape Jean XXIII saluait comme un « signe des temps » le fait que la femme, « de plus en plus consciente de sa dignité humaine, n’admet plus d’être considérée comme un instrument ; elle exige qu’on la traite comme une personne aussi bien au foyer que dans la vie publique » (AAS 55, 1963, pp. 267-268). En même temps, le Concile Vatican II, prenant conscience de la solidarité de toute l’Eglise avec « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses » du monde de ce temps, s’apprêtait à condamner les injustices d’une discrimination basée sur le sexe et à revendiquer pour la femme, avec le respect des droits et des devoirs correspondant à ses aptitudes propres, une participation responsable à part entière dans toute la vie de la société (cf. Constitution pastorale Gaudium et Spes, n. 29 paragr. 2 ; n. 60, paragr. 3).

Il ne peut être question de rappeler ici tous les efforts par lesquels l’Eglise Catholique cherche à contribuer efficacement à l’intégration des femmes dans les oeuvres du développement et de la paix. Qu’il nous suffise de mentionner un domaine seulement qui nous tient particulièrement à cœur : celui de la lutte contre l’analphabétisme, qui joue un rôle néfaste, surtout chez les femmes des régions rurales, faisant obstacle au développement et lésant des droits essentiels, car — nous l’avons rappelé dans notre Encyclique Populorum Progressio — « la faim d’instruction n’est pas moins déprimante que la faim d’aliments : un analphabète est un esprit sous-alimenté » (n. 35 : AAS 59, 1967, p. 274).

Souligner le besoin élémentaire d’instruction des masses déshéri­tées ne veut pas dire oublier l’importance, pour les buts de l’Année Internationale de la Femme, de l’éducation sous toutes ses formes — éducation des hommes aussi bien que des femmes — et de l’action à mener sur le plan de l’opinion publique. C’est d’ailleurs, par un sain effort d’éducation qu’on pourra faire opérer les discernements nécessaires afin que la « libération » n’aboutisse pas à de nouvelles et pires servitudes, et que la lutte contre la discrimination ne se réclame pas d’une fausse égalité « qui nierait les distinctions établies par le Créateur lui-même » (Octogesima adveniens, 13 ; AAS 63, 1971, p. 411), ou qui risquerait d’atténuer la vision exacte de la mission privilégiée de la femme.

Afin de promouvoir et d’orienter cette action pour un change­ment salutaire des mentalités, nous avons tenu à créer un Comité du Saint-Siège pour l’Année Internationale de la Femme. Nous avons proposé aussi aux Eglises locales, répandues dans le monde entier, de profiter de cette occasion pour s’interroger sur la parti­cipation effective des femmes à la vie de l’Eglise ainsi que sur la contribution des catholiques à tout effort visant la collaboration harmonieuse entre hommes et femmes dans les grandes tâches de la société humaine.

Nous souhaitons contribuer ainsi à ce que l’Année Internatio­nale de la Femme soit réellement, selon l’idée heureuse de ses promoteurs, le point de départ d’une action à longue échéance.

Nous nous tournons enfin vers le Dieu Très-Haut. C’est Lui qui a créé la femme, comme l’homme, à son image (Gn 1, 27) ; c’est Lui aussi qui a voulu appeler une femme, la Vierge Marie, pour qu’elle donne « son consentement actif et libre » (Marialis cultus, n. 37 ; AAS 66, 1974, p. 148), à l’événement décisif de la venue du Christ sur la terre, bonne nouvelle de la plénitude de la vie et de la vraie libération pour toute l’humanité. Qu’il bénisse les travaux de cette Conférence ; qu’il donne lumière et force à tous ceux et à toutes celles qui en portent la responsabilité au service de la famille humaine.

 

Du Vatican, le 16 juin 1975.

 

paulus P.P. VI

 

 

 

23 juin

L’ANNÉE SAINTE TÉMOIGNE DE LA VITALITÉ DE L’EGLISE

 

 

Nous répondons avec toute notre affection aux vœux que le car­dinal Doyen vient d’exprimer, en interprétant avec tant de délicatesse vos propres sentiments, Vénérables Frères du Sacré Col­lège. C’est une circonstance bien agréable pour nous : ce n’est pas seulement pour l’attention accordée à notre personne, qui vou­drait constamment s’éclipser devant la lumière du Christ Seigneur, en suivant l’exemple du Précurseur dont nous portons le nom de baptême: « Il faut que lui croisse et que moi je diminue » (Jn 3, 30). Mais cette circonstance est surtout agréable parce qu’elle constitue un fait de communion, de koinonia, elle est un signe de cette cha­rité qui est vivante dans l’Eglise et qui unit tous ses membres, dans un unique lien d’amour que l’Esprit Saint soutient, dans un enga­gement solidaire de service, dans une harmonie profonde des vo­lontés et des conduites.

Merci, donc, Frères vénérés. La rencontre d’aujourd’hui survient au cœur de l’Année Sainte. Précisément demain six mois se seront écoulés depuis la nuit de Noël où, frémissant d’émotion et plongé dans la prière, nous avons ouvert la Porte Sainte, à travers laquelle sont passés, jusqu’à ce jour, des millions de fidèles, engagés par ce passage symbolique sur les voies de la conversion, de la rencontre avec Dieu et de l’amour pour les frères.

 

L’Année Sainte

 

Un courant de spiritualité intense envahit le monde, et il faudrait être aveugle pour ne pas le reconnaître. L’itinéraire de Rome n’est que le point final d’une trajectoire qui a pris le départ dans chacune des Eglises locales : c’est la digne conclusion, la conclusion logique des célébrations accomplies au plan paroissial, diocésain, national et communautaire, dans tous les pays de la communion catholique ; elles ont amené et elles amènent encore ici, non pas des masses amorphes, ni des touristes distraits, mais des personnes qui prient, qui affrontent des sacrifices, même pénibles, d’argent, de temps, d’adaptation, de fatigue etc. Ces personnes sont attirées, non pas par quelque chose d’extérieur, mais par l’appel solennel et austère de ces lieux et des grands thèmes de l’Année Sainte. Ce qui nous frappe le plus, c’est qu’il s’agit pour la plupart de gens simples, à tel point que cette Année Sainte, plus que les autres du passé, en est caractérisée : il s’agit du peuple qui travaille, qui dispose de ressources limitées, dont l’unique richesse est la famille et leur fidélité aux valeurs les plus saintes. Et la relative facilité des moyens de transport favorise leur pèlerinage, pour lequel ils se contentent des heures et des journées indispensables. Nulle statistique ne pourra jamais connaître exactement leur nombre, et leur ferveur est connue seulement de Celui qui voit tout.

 

Les Documents publiés

 

Nous ne pouvons que remercier Dieu du fond du cœur pour avoir, même visiblement, accompagné de sa grâce un aussi vaste mouvement de-piété, de prière, de pénitence. Et nous sommes touché de cette très large réponse à ce que nous avons demandé au Peuple de Dieu, depuis la première annonce de l’Année Sainte, le 9 mai 1973 (cf. AAS 65, 1973, pp. 322-325), et à ce que nous avons rappelé dans la Bulle d’indiction Apostolorum limina du 23 mai de l’année passée, en demandant que les célébrations jubilaires soient centrées sur le renouveau et sur la réconciliation : « Les aspira­tions — écrivions-nous — signifiées par ces deux thèmes... trou­veront une expression plus complète à Rome, où les pèlerins aux tombeaux, des Apôtres Pierre et Paul, ainsi qu’aux mémoires des autres martyrs, entreront plus facilement en contact avec les sources anciennes de la foi et de la vie de l’Eglise, dans la résolution de faire retour, à Dieu par la pénitence, de se fortifier dans la charité et d’être unis plus étroitement à leurs frères par là grâce de notre Dieu. Ce renouveau et cette réconciliation doivent porter en premier lieu sur la vie intérieure, car c’est au fond du cœur que se trouve la racine de tout bien comme aussi, hélas ! de tout mal. C’est donc là que doit s’opérer la conversion » (I ; AAS 66, 1974, p. 292).

Nous voyons maintenant chaque jour, nous entendons de notre fenêtre ouverte sur le monde, comment nos fils de tous les peuples, de toutes les langues, de toutes les civilisations ont compris et mis en pratique cette invitation. C’est l’Esprit Saint qui fait en­tendre fortement, aujourd’hui comme toujours, sa voix qui appelle à l’intériorité, à la paix, à la vie nouvelle. Des « gémissements inef­fables » (Rm 8, 26) s’élèvent chaque jour, suscités par Lui, du cœur des milliers et milliers de fidèles qui viennent ici faire une halte de prière et de méditation.

Une réponse aussi large et aussi consolante nous permet de déduire, avec une profonde conviction, que c’est avec la même attention généreuse et sincère qu’aura été accueillie aussi notre « cha­leureuse invitation à la charité, à l’union réciproque... dans le lien de l’unique charité du Christ » (AAS 67, 1975, p. 6), contenue dans notre Exhortation Apostolique sur la réconciliation à l’inté­rieur de l’Eglise, promulguée le 8 décembre 1974, à l’approche imminente de l’ouverture de l’Année Sainte. De nombreuses voix nous le confirment, même si nous ne voulons pas ignorer — nous le disons avec une profonde peine — que certains de nos fils, car nous les considérons toujours comme tels, demeurent dans des po­sitions d’incertitude doctrinale, quand ce n’est pas de critique destructrice, de méfiance hostile, de connivence avec des idéolo­gies opposées à l’Evangile et à l’Eglise. A eux, encore et toujours, s’adresse notre invitation : comme nous l’avons dit récemment, dans l’Audience générale du 11 juin, « puissent-ils ne pas nous priver ni se priver eux-mêmes de la joie de la nouvelle paix fraternelle ! » (L’Osservatore Rotnano, 13 juin 1975). Nos bras sont ouverts, le cœur encore davantage : la charité et la coopération mutuelles doivent montrer toujours davantage que l’Eglise est « dans le monde signe efficace d’union avec Dieu et d’unité entre toutes ses créatures » (AAS 67, 1975, p. 21).

Cette fusion des cœurs, dans la charité et dans la fidélité absolue à la norme apostolique de la doctrine, produit en outre la floraison suprême de la joie. Nous avons voulu le mettre expressément en relief dans notre récente Exhortation Apostolique sur la joie chré­tienne, sur laquelle nous nous arrêterons plus loin. Il nous suffit d’avoir recueilli ici les motifs d’optimisme, qui viennent de la très grande consonance de toute l’Eglise avec son Suprême Pasteur et avec ses Evêques, et de cette prééminence de l’intériorité et de la prière, qui a jusqu’ici caractérisé les célébrations de l’Année Sainte, d’une façon vraiment inespérée, et peut-être dans une mesure qui ne s’était encore jamais manifestée pareillement lors des autres Jubilés.

 

Renouveau et Réconciliation

 

Notre appel au renouveau et à là réconciliation a suscité dans les diverses Eglises locales une intense participation de réflexion et de coresponsabilité dont on recueille maintenant les fruits, en cette phase terminale du pèlerinage, sommet et couronnement de toutes les initiative prises à une très grande échelle dans la com­munauté ecclésiale tout entière. Si l’on est en train de recueillir des fruits si réconfortants, dont l’expérience nous donne la confir­mation chaque jour ici à Rome — même si aucune page de chro­nique ne pourra jamais enregistrer des faits essentiellement surna­turels comme l’est celui que nous vivons — c’est justement parce que, grâce à Dieu, les Eglises locales, dans un élan magnifique et silencieux, ont pu se préparer pendant plus d’un an à la grâce du Jubilé par leurs célébrations particulières. Les pasteurs, le clergé, les religieux et les fidèles ont compris tout de suite que le voyage à Rome ne devait pas constituer un fait sporadique, une dé­tente plus ou moins pieuse, et encore moins un acte « magique » qui aurait déclenché — permettez-nous de le dire en rappelant un souvenir historique bien connu — le mécanisme mystérieux de l’indulgence. Non, le pèlerinage aux tombeaux des Apôtres a été préparé par un large courant de vie intérieure et de prière, et par l’invitation à la conversion dans les rapports avec Dieu et avec nos frères; et cela a fait comprendre en profondeur cette « dimen­sion verticale de la vie », que, dans la Bulle Apostolorum limina, nous avons souhaitée comme étroitement liée au message de l’Année Sainte pour que « toutes les aspirations et les recherches se réfèrent à une valeur absolue et vraiment universelle » (ASS 66, 1974, p. 293).

Nous remercions nos frères de l’épiscopat du monde entier d’avoir, par leur collaboration pastorale, favorisé ce déroulement de l’Année Sainte qui aujourd’hui, à Rome, se réalise sous des formes nobles et élevées, au grand bénéfice certainement des dio­cèses eux-mêmes qui y prennent part avec ferveur et initiative. Ici aussi se manifeste, sur un plan plus élevé, c’est-à-dire sur le plan théologique et spirituel, la fameuse parole d’Ignace d’Antioche qui, écrivant aux Romains, regarde l’Eglise de Rome comme celle qui « préside à la communauté universelle de la charité » (Ad Rom., Prol. ; Fulk, 1, 213). C’est un immense reflux de charité qui, des plages du monde entier, converge vers Rome. Et Rome, qui l’a suscité, est la première à goûter cette expérience et ses fruits spi­rituels.

En effet, quel caractère présentent les divers pèlerinages auxquels nous avons assisté sinon celui de reproduire en soi, d’une certaine façon, les « notes » de l’Eglise ? Ne voyons-nous pas concrètement tous l’es jours la réalité admirable de l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique ? Elle est Une : et, en effet, chaque jour nous est offert le spectacle de la multitude réunie dans la prière, devenant « un seul cœur et une seule âme » (Ac 4, 32) par les célébrations pénitentielles et surtout par la participation à Tunique foi et à l’unique Eucharistie : « Puisqu’il n’y a qu’un pain, à nous tous nous ne formons qu’un corps, car tous nous avons part à ce pain unique » (1 Co 10, 17). Elle est sainte, parce que l’Esprit Saint l’anime, l’entraîne à imiter le Christ humble, pauvre, crucifié ; il suscite en elle le don du repentir ; et — comme nous l’avons écrit dans l’Exhortation Apostolique sur la réconciliation — « il est déjà présent et agissant dans le secret du cœur de chaque fidèle, capable de les conduire tous, dans l’humilité et dans la paix, sur les chemins de la vérité et de l’amour » (AAS 67, 1975, p. 22). Elle est catholique, parce que — il suffit de jeter un regard lors d’une des cérémonies solennelles dans la basilique vaticane, comme aux audiences générales ou lors des rencontres dominicales de l’An­gélus sur la place Saint-Pierre — dans l’Eglise il n’y a pas de diffé­rences de peuples et de cultures; l’Année Sainte renouvelle en quelque sorte le don du matin de la Pentecôte : c’est la catholicité en acte, la collaboration internationale qui se cherche péniblement sur le plan de la vie sociale, politique, culturelle, économique, une réalité déjà à l’œuvre dans l’Eglise ; et le jubilé en est le stimulant très vif en même temps qu’il la révèle infailliblement. Enfin, l’Eglise est apostolique : et cela est souligné par la signification même de l’indulgence, liée au pèlerinage aux mémoires sacrées du martyre des Apôtres, dans leurs splendides basiliques qui, avant d’être des monuments insignes d’art, sont de sublimes actes de foi. Selon l’économie en vigueur dans l’Eglise par disposition divine, le don spiri­tuel est lié à un signe sensible : dans le cas présent, aux lieux sanc­tifiés par le suprême témoignage d’amour donné au Christ par ses martyrs et apôtres, là où les fidèles se recueillent en prière et pour la célébration de l’Eucharistie, aujourd’hui comme dans les premiers temps de l’Eglise. Oui, nous avons la confirmation de cette réalité selon laquelle nous ne sommes plus des étrangers ni des hôtes, nous sommes concitoyens des saints, nous sommes de la maison de Dieu. Car la construction que nous sommes a pour fondations les apôtres et prophètes, et pour pierre d’angle le Christ Jésus lui-même (cf. Ep 2, 19-20).

 

Béatifications et Canonisations

 

Cette réalité intérieure de l’Eglise, qui est mise en relief par le Jubilé que nous célébrons, brille d’une façon spéciale, avec une splendeur exemplaire, car on y trouve toute la richesse de l’Epouse du Christ « sans tache ni ride... mais sainte et immaculée » (Ep 5, 27), dans les modèles que nous avons proposés et que nous pro­poserons cette année à l’imitation et à la vénération de tous nos fils. Nous parlons des Bienheureux et des Saints, que nous avons eu la grâce de déclarer tels, dans l’atmosphère exceptionnelle d’un peuple priant et exultant de joie.

Nous rappelons avec émotion les béatifications de Marie Eugénie de Jésus Milleret de Brou, fondatrice des Sœurs de l’Assomption, et celle de César de Bus, fondateur des Doctrinaires, célébrées respectivement le 9 février et le 27 avril derniers ; de même la canonisation simultanée, le 25 mai, de Saint Jean-Baptiste de la Conception, réformateur de l’Ordre de la Très Sainte Trinité, et de Sainte Vicenta Maria Lopez y Vicuna, fondatrice des religieuses de Marie-Immaculée. D’autres suivront dans les prochains mois, parmi lesquelles il nous plaît de citer la béatification de Don Steeb, en juillet, et celles de Monseigneur de Mazenod, de Mère Ledochovska, du Père Janssen, du Père Freidnademetz, prévues pour la Journée missionnaire en octobre; et les canonisations d’Elisabeth Anne Seton, de Jean Macias en septembre, du martyre Olivier Plunkett et de Justin De Jacobis, en octobre.

Ce sont de nouveaux astres, humbles et lumineux, qui brillent dans le firmament de l’Eglise pour indiquer aux regards de l’homme moderne, souvent aveuglé par des sources de lumière artificielle, ou perdu dans le vide sidéral du doute ou du désespoir, que la vie vaut la peine d’être vécue pour Dieu et pour nos frères, et que, au-delà de son cours éphémère, il y a le jugement de Dieu et la récompense sans fin réservée aux serviteurs bons et fidèles (cf. Mt 25, 21.23 ; Lc 19, 17).

 

Rapport avec le Concile

 

Vénérables Frères, la Bonne Providence — pour employer un terme cher à notre prédécesseur Jean XXIII qui a commencé le Concile Vatican II — nous fait célébrer cette Année Sainte pour le dixième anniversaire de l’achèvement de ce grand événement qui a laissé une trace indélébile dans la vie de l’Eglise d’aujourd’hui et de demain. Cela ne nous paraît pas exagéré de voir dans le Jubilé 1975 comme la grande démonstration de la vitalité du Concile et de son application au niveau de l’Eglise universelle ; nous avons ici l’indication que ses enseignements ne sont pas tombés dans le vide, ni non plus — comme on l’a dit — dans l’abus de simples citations, mais sont entrés dans la vie quotidienne, sont devenus la substance qui donne sa force à la pensée et à la vie chrétienne, dans la recherche passionnée et sincère de la confor­mité avec le Christ, Voie, Vérité et Vie, dans la confrontation quo­tidienne et stimulante avec son Evangile.

Ne voyons-nous pas se réaliser chaque jour ce qu’a dit le Concile dans un de ses documents ? « Par la charité, la prière, l’exemple, les efforts de pénitence, la communauté ecclésiale exerce encore une véritable maternité pour conduire les âmes au Christ : elle est un instrument efficace pour montrer ou préparer à ceux qui ne croient pas encore un chemin vers le Christ et son Eglise, pour réveiller les fidèles, les nourrir, leur donner des forces pour le combat spirituel » (Presbyterorum Ordinis, n. 6).

Nous avons là comme le programme de l’Année Sainte, et nous voyons vraiment se réaliser cette maternité de l’Eglise, qui se manifeste principalement dans la conscience ecclésiale, dans les contacts oecuméniques et dans ceux avec les religions non-chré­tiennes. En effet, l’Année Sainte nous fait surtout toucher du doigt comment l’amour dont le Christ nous a aimés est « le commandement nouveau » du Peuple messianique qu’est l’Eglise qui, établie par le Christ pour communier à la vie, à la charité et à la vérité, est entre ses mains l’instrument de la rédemption de tous les hommes », et « constitue pour tout l’ensemble du genre humain le germe le plus fort d’unité, d’espérance et de salut » (Lumen Gentium, n. 9). Cette charité brille aussi dans l’aide que les commu­nautés les mieux pourvues de moyens fournissent incessamment pour aider les plus pauvres à venir à Rome, avec simplicité et mesure. C’est cette charité qui unit continuellement les cœurs dans l’exemple et l’aide réciproque, spirituelle et matérielle, et qui se manifeste comme en un lieu privilégié autour de l’autel.

La prière, oui, est elle aussi le signe de cette continuité entre le Concile et l’Année Sainte : on dirait que les fruits de la réforme liturgique apparaissent maintenant dans toute leur splendeur, et que l’accent placé par les documents conciliaires, sur la réalité mystérieuse et magnifique de l’Esprit Saint, qui prie dans l’Eglise et avec l’Eglise (cf. Lumen Gentium, 4, 34 ; Sacrosanctum Concilium, 6) ; sur la présence du Christ dans l’Eglise en prière, particulièrement dans son action liturgique (Sacrosanctum Concilium, 7) ; sur la nécessité et la valeur de la prière aussi bien personnelle (ibid. 12, 90) que communautaire (ibid. 7, 12). Elle a trouvé dans la célébration de l’Année Sainte une vérification et une lumineuse confirmation : nous avons des informations très consolantes sur les diverses cérémonies liturgiques qui se déroulent dans les quatre Basiliques, surtout celle du Vatican, comme dans les catacombes et les autres lieux de prière, et qui sont fréquentées par de nom­breux jeunes. Les pèlerinages grandioses comme les humbles groupes ou les simples fidèles se font remarquer surtout par ce besoin, cette faim et cette soif de prière et de grâce. Leur itinéraire romain ne leur promet rien d’autre, et les fidèles ne se contentent pas de quelque geste extérieur qui assurerait le gain de l’indulgence ; mais nous savons qu’ils vont à la source de la piété chrétienne, et qu’ils y trouvent, particulièrement dans le sacrifice eucharistique, la plénitude de la vie. Nous pensons que ce sens retrouvé de la prière est une grande et précieuse richesse du Jubilé : et nous nous réjouis­sons de voir ainsi arriver à terme les prémisses que le Concile avait posées avec tant d’espérance, commençant vraiment une ère nou­velle de la vie de l’Eglise en notre temps.

L’Année Sainte signifie également un nouvel engagement dans la conscience ecclésiale tant souhaitée par nous-même et par les Père conciliaires et demeurant vraiment l’un des plus remarquables signes des temps, donné par le Seigneur. Cette conscience ecclésiale se manifeste dans ce caractère communautaire, dans cette solida­rité humaine, dans cette communion fraternelle que le Christ Lui-même a réalisée par son Incarnation, a déployée au cours de sa vie terrestre, et a confiée à son Corps qui est l’Eglise, avec l’obli­gation de la faire grandir jusqu’au jour où elle sera consommée (Gaudium et Spes, 32 ; cf. Ad Gentes, 15).

Cette solidarité s’est aussi manifestée au cours de cette Année dans les relations discrètes mais continues avec nos frères qui portent avec nous le nom du Christ, même s’ils ne sont pas encore unis à nous par les liens de la communion parfaite. Il est vraiment réconfortant de voir que l’Année Sainte a exercé sur eux, spéciale­ment sur les jeunes, un puissant attrait dans lequel on doit recon­naître une impulsion de l’Esprit Saint. De même, nous sommes informé de l’intérêt mystérieux que les cérémonies jubilaires ont provoqué dans l’âme profondément religieuse des adeptes des re­ligions non chrétiennes. Les germes déposés par le Concile Vatican II et le travail continu qui se déploie dans son sillage, conduisent peu à peu vers des réalités merveilleuses qui, à une époque même très récente, étaient encore insoupçonnées. Il faut ensemble en louer le Seigneur, parce que « tout don excellent, toute donation parfaite vient d’en haut et descend du Père des lumières » (Jc 1, 17).

 

Rapport avec le monde et avec l’histoire de ce temps

 

Mais le Jubilé veut favoriser également la poursuite de ce dia­logue avec le monde contemporain et avec l’histoire présente, que le Concile Vatican II a confié à l’Eglise comme un devoir auquel elle ne peut renoncer (Gaudium et Spes). De notre côté, c’est une volonté ferme et cordiale, et nous croyons en avoir donné des preuves concrètes en ces douze années de pontificat. Oh, nous ne nous faisons pas d’illusions sur les obstacles, sur les difficultés, sur le délais, comme sur les forces aveugles qui souvent semblent vouloir asservir ce monde, qui est pourtant une « réalité très bonne » (Gn 1, 31) parce que créé par Dieu, tant aimé par le Père, sauvé par son Fils unique qu’il a envoyé (cf. Jn 3, 16). Il n’est pas dans nos intentions de mentionner explicitement les horreurs de la guerre qui ensanglantent toujours une si grande partie du monde, tant elles sont présentés à la conscience de tous. Nous ne voudrions pas non plus passer sous silence les assauts qui aujourd’hui, au nom d’une liberté mal comprise qui offense Dieu et avilit l’homme, ont tendance à se multiplier dans une société qui ne veut pas reconnaître d’autre loi morale que son autonomie absolue et ses propres affir­mations : il suffit de penser à la limitation artificielle des naissances, à l’avortement, à l’euthanasie, et à tant d’autres formes, manifestes ou larvées, de manipulation de l’homme, qui constituent ou constitueront pour le monde contemporain un lourd passif sur le cadran de l’histoire, laquelle, à sa manière est témoin et juge sévère des actions et des erreurs des hommes.

Si nous rappelons ces choses, c’est pour dire que, malgré tout, nous semons la Parole de Dieu pour la défense de l’homme, spé­cialement du pauvre, de l’innocent, de tous ceux qui n’ont pas la capacité et la force de se défendre. Nous diffusons notre message de Vérité, qui est aussi un message de dignité humaine et de libé­ration de toute forme d’esclavage. Nous ne savons pas s’il aura de l’efficacité, et nous n’avons pas là prétention de le savoir. Mais nous n’en persévérons pas moins, « espérant contre toute espérance » (Rm 4, 12), comme Abraham, comme nos Pères en route vers la Terre promise. Dieu seul le sait, et nous mettons en Lui notre espérance.

Il en est de même pour l’œuvre de la paix, que nous nous effor­çons de continuer, grâce aux initiatives publiques et privées, con­nues et inconnues, qui nous sont possibles. Nous avons la ferme volonté de la stimuler, parce que la paix est un bien trop précieux pour l’humanité ; nous revendiquons la charge, pourtant si lourde, de la promouvoir. Assurément, nous ne cherchons pas à faire re­marquer nos mérites, même si de grands organismes internationaux les reconnaissent, ce dont nous les remercions de tout cœur. Nous sommes engagé dans la poursuite de cette œuvre ; même si les résultats ne correspondent pas parfois aux efforts accomplis, même si continuellement des événements semblent démentir cet effort vers la paix. Qu’il en soit de même dans l’humanité, c’est bien ce que signifient les foules de toute provenance qui, ici à Rome, fu­sionnent dans la prière, célèbrent les rites de l’Eglise autour de l’Eucharistie ; foules fraternellement unies même sans se connaître, grâce au lien de la charité du Christ, grâce à l’unique nourriture qui alimente l’Eglise. C’est d’elles aussi que monte un appel au monde, pour qu’il veuille vraiment aimer et défendre la paix, pro­mouvoir le progrès humain et social, respecter l’homme qui est un frère et un ami, puisqu’il est fils de Dieu.

 

La joie chrétienne

 

« On s’en va, en pleurant, on porte la semence; on s’en vient en chantant, on rapporte les gerbes » (Ps 125, 6). C’est avec cette espérance que nous avançons, heureux de répondre, à la volonté de Dieu qui nous a choisi pour annoncer et étendre son Royaume parmi les hommes. Nous allons de l’avant, le cœur plein d’espoir, sachant que Dieu secondera notre oeuvre, même si nous n’en me­surons pas l’effet immédiat, et nous souvenant d’une splendide page de Saint Augustin : « Dans les larmes vous semez, dans la joie vous moissonnez. Comment cela, mes frères ? Quand l’agriculteur passe la charrue et qu’il porte la semence, n’arrive-t-il pas parfois que le vent soit glacial et que la pluie fasse obstacle ? Il scrute le ciel, il le voit triste, il tremble de froid et cependant il entreprend et sème » (Enarr. in Ps. CXXV, 13 ; PL 37, 1666). Nous aussi, regardant le ciel obscurci de nuages, nous allons de l’avant et nous semons. C’est pour cela que nous avons adressé à l’Eglise, et même à tous les hommes, notre récente Exhortation sur la joie chrétienne, comme une invitation à dépasser les motifs graves et réels de décou­ragement, d’angoisse, de tristesse qui accablent une si grande partie de l’humanité, pour atteindre, dans une vision supérieure, les motifs de la joie. Nous n’ignorons certes pas, comme nous le disions dans ce document, qu’aujourd’hui l’homme souffre des tensions que lui impose la civilisation contradictoire dans laquelle il vit ; mais nous avons relevé le besoin de joie, qui jaillit au cœur de tous les hom­mes et qui est l’écho de la joie même de Dieu, et nous avons entonné l’hymne à la joie chrétienne. L’Année Sainte doit être — et elle est certainement, autant qu’il nous est donné de voir — une contribution très forte à la satisfaction de ce besoin de joie qui est de caractère essentiellement spirituel. La promesse du par­don de Dieu, le renouveau des consciences, la réconciliation avec les frères à tous les niveaux de la vie communautaire, sociale, internationale, qui sont les pôles du Jubilé, sont les conditions toujours nécessaires de la paix de l’âme qui permettent à la joie de s’épanouir ; et voilà pourquoi, reprenant les paroles de l’Exhor­tation, « Nous souhaitons en tout temps, mais plus encore en cette célébration catholique de l’Année Sainte que vous éprouviez avec nous, soit à Rome, soit en toute Eglise consciente de devoir s’ac­corder avec l’authentique tradition conservée à Rome, combien il est bon, combien il est doux d’habiter en frères tous ensemble » (AAS 67, 1975, p. 319).

 

Propos et vœux

 

Vénérés et chers Frères ! Parvenu au terme de ce colloque, qui a voulu être comme un premier bilan spirituel et pastoral de l’Année Sainte et de son rayonnement dans les âmes, dans l’Eglise et dans le monde, nous ne pouvons pas ne pas tourner notre pensée vers ce qui nous attend encore dans les mois à venir, qui seront toujours plus denses de profonds enrichissements et rencontres spirituelles. Mais nous pensons aussi à ce qui arrivera après l’Année Sainte. En effet, ce courant de renouveau et de réconciliation ne saurait se clore en même temps que les battants de la Porte Sainte, à Noël prochain, lorsque s’achèvera le Jubilé 1975, de même que le vaste mouvement des âmes suscité par ce dernier ne saurait s’assoupir en attendant le prochain Jubilé. De 1950 jusqu’à aujourd’hui, la main de Dieu a conduit l’Eglise à travers des événements, mémora­bles, d’extraordinaires expériences, des joies lumineuses et des épreuves difficiles et purificatrices. Et aujourd’hui l’Eglise est vi­vante, l’Eglise, malgré toute apparence contraire, est unie, l’Eglise est et reste le levain dans la pâte (cf. Mt 13, 33), le signe levé sur les nations (cf. Is 5, 26). L’horizon qui s’ouvre maintenant pour ces vingt-cinq prochaines années prépare pour l’Eglise de nou­veaux champs d’apostolat, de nouvelles confrontations avec le monde qu’elle est appelée à sauver, de nouvelles purifications, dans la participation au mystère, toujours à l’œuvre, de la Croix. Nous ne nous arrêterons certainement pas là. Nous sommes ouvert, nous sommes disponible, tout en ayant conscience de nos limites humai­nes, à l’œuvre que la Très Sainte Trinité veut poursuivre en se servant de nos humbles moyens : sans hésitation, sans paresse, sans crainte. Une ère nouvelle s’ouvre, une ère de fidélité à l’Esprit Saint d’amour pour le Christ Crucifié, de dévouement à nos frères, d’édification d’une société plus humaine et plus juste. Nous ne voulons pas reculer. En avant, in nomine Domini ! Que Saint Jean-Baptiste nous aide à préparer les voies du Seigneur comme il l’a fait lui-même, par la parole et par l’exemple, jusqu’au martyre ! Que les Saints Pierre et Paul soient pour nous un stimulant et un modèle pour la générosité avec laquelle nous devons accomplir notre mission et pour l’évangélisation jusqu’aux confins de la terre ! Que la Vierge très sainte, Mère de l’Eglise, soit encore et toujours au milieu de nous, comme elle était au Cénacle en attendant la Pente­côte (cf. Ac 1, 14), pour nous donner joie et espérance !

Telle est notre prière, tels sont nos vœux, que nous confirmons par la Bénédiction Apostolique.

 

 

 

29 juin

« LE SACERDOCE EST DESTINÉ AU MONDE »

 

La grande ordination que nous sommes en train de célébrer ne nous laisse pas suffisamment de temps pour faire l’homélie qu’il faudrait. Il y aurait tant de choses à commenter dans la cérémonie elle-même et à offrir à votre méditation, par exemple la compo­sition sans précédent de cette assemblée de diacres qui nous fait penser à la Pentecôte ; la fête d’aujourd’hui, celle des saints Apôtres Pierre et Paul ; l’occasion prévue, à savoir la célébration jubilaire extraordinaire de ce jour; les textes liturgiques ; le lieu, consacré par l’art, par l’histoire, par le culte; les personnes, les sentiments, les propos qui animent ce rite mémorable : tout cela, nous sem­ble-t-il, est fort parlant et, une fois gravé dans votre mémoire, vous inspirera encore bien d’autres innombrables pensées.

Mais nous ne saurions taire trois mots qui résument la vérité intrinsèque du mystère de l’ordination sacerdotale et que nous proposons simplement à votre mémoire comme des chapitres que vous-mêmes, tout au long de votre vie, devrez continuellement vous rappeler et approfondir.

Le premier mot, vous le savez, est « vocation ». Vous avez été appelés. Appelés par Dieu, appelés par le Christ, appelés par l’Eglise. Quelle que soit la façon dont la vocation a résonné au fond de votre conscience ou dans la réalité externe de votre expé­rience, chacun d’entre vous devra toujours se rappeler ce fait, qui qualifie votre existence : le choix divin qui s’est exercé sur votre personne, la Parole de Jésus qui, de l’Evangile, est descendu jusqu’à votre existence humaine : « C’est moi qui vous ai choisis » (Jn 15, 16) ; à chacun de vous, le Christ a dit : « Viens, suis-moi ! » (Mt 19, 21) ; et pour vous tous a résonné la même voix douce, libé­ratrice et impérative : « Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheurs d’hommes » (Mt 4, 19).

Heureux êtes-vous, fils et frères très chers ! Heureux, vous qui avez eu la grâce, la sagesse, le courage d’écouter et d’accueillir cette invitation déterminante ! Elle a bouleversé les projets normaux et séduisants de votre vie ; elle vous a arrachés à la compagnie des vôtres (Mt 19, 27-29) ; elle vous a même demandé de renoncer à l’amour conjugal pour exalter en vous une plénitude exceptionnelle d’amour en vue du Royaume des deux, c’est-à-dire pour la foi et pour la charité envers vos frères (Mt 19, 12) ; elle a fait de vous des êtres particuliers, plus semblables, par votre caractère sacerdotal, aux anges qu’aux hommes de ce monde (cf. Mt 22 30 ; 1 Co 7, 8) ; elle a mis en vous, elle vous a même imposé une spiritualité exclusive (cf. Ga 5, 16), qui peut cependant tout comprendre et tout juger (cf. 1 Co 2, 14 ss. ; Jn 14, 17) ; et, en recevant l’oblation de vous-mêmes, elle vous a insérés dans l’aventure dramatique de la marche à la suite du Christ (cf. Mt 8, 19 ; Lc 22, 35). Oui, heureux êtes-vous ! Pensez toujours à la chance extraordinaire de votre vocation et ne craignez jamais de vous être trompés dans votre choix : il a été inspiré par un charisme supérieur de sagesse et de charité (cf. Mt 19, 11 ; 1 Co 12, 4 ss.). Et ne revenez plus en arrière ! Le Seigneur Jésus lui-même le dit : « Quiconque a mis la main à la charrue et regarde en arrière est impropre au Royaume de Dieu » (Lc 9, 12). Telle est la loi de la vocation : un oui total et définitif.

Ensuite il y a une seconde parole, tout à fait divine celle-là. Comment l’appeler ? Le droit canonique la nomme ordination sa­cerdotale. Mais que signifie, que comporte l’ordination sacerdotale ? Quelle est l’efficacité de l’acte sacramentel qui constitue l’essence, la vérité, la nouveauté surnaturelle du rite qui se déroule présen­tement ? Faisons bien attention ! Quel est l’essentiel, non seulement de cette cérémonie, mais du mystère même de l’Eglise ? Il ne s’agit rien moins que de la transmission de pouvoirs spirituels que l’Esprit Saint lui-même infuse au disciple élu, élevé au rang de ministre de Dieu, par le Christ, dans l’Eglise. Souvenez-vous du Christ res­suscité, parlant aux disciples et soufflant sur eux : « Recevez l’Esprit Saint ! » (Jn 20, 22). Un contact, un sceau, un caractère modelait alors et modèle toujours celui qui reçoit le sacrement de l’ordre ; il devient capable de « dispenser les mystères de Dieu » (1 Co 4, 1 ; 1 P 4, 10). N’oublions jamais, chers Frères et Fils, cette relation très spéciale que l’ordination sacerdotale établit entre nous et Dieu : nous devenons l’instrument de l’action divine. « L’Ordre, dit Saint Thomas, comporte principalement la collation d’un pou­voir » (suppl. 34, 2, ad 2), qui de soi dépasse radicalement les possibilités humaines, et qui ne peut venir que de Dieu seul pour être confié au ministère de l’homme. Pensez au pouvoir « de con­sacrer, d’offrir, de donner le Corps et le Sang de notre Sauveur, de remettre ou de retenir les péchés » (Denz.-Sch. 1764) ! S’il en est ainsi, et il en est ainsi, nous ne devrons jamais cesser d’être émerveillés ; nous devrons être absorbés par la contemplation du mystère de notre ordination, plus que jamais conscients de ce que le Seigneur a opéré en nous. Notre vie entière ne sera pas suffi­sante pour épuiser la méditation de l’inépuisable richesse des grandes choses accomplies par la puissance et la bonté de Dieu. Avec la Vierge, nous dirons toujours : « Fecit mihi magna qui potens est », « Le Seigneur a fait pour moi de grandes choses ! » (Lc 1, 49).

Vocation, ordination ! Voici maintenant la troisième parole, en laquelle se résume la célébration que nous sommes en train d’ac­complir ; cette parole est : mission ! Nous savons cela, mais en ce moment nous nous laissons pénétrer complètement par la signi­fication, par l’exigence du sacerdoce catholique. Le sacerdoce n’est pas pour celui qui en est honoré, il n’est pas une dignité purement personnelle. Il n’est pas un but en lui-même. Le sacerdoce est ministère, il est service, il est médiation entre Dieu et les hommes. Le sacerdoce est destiné à l’Eglise, à la communauté, aux frères ; il est destiné au monde. A cet égard aussi, la parole du Christ a valeur constitutionnelle : « La paix soit avec vous ! — dit-il aux Apôtres le soir même de sa résurrection —. Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie » (Jn 20, 21). Le sacerdoce est aposto­lique. Le sacerdoce est missionnaire. Le sacerdoce est exercice de médiation. Le sacerdoce est essentiellement social. Et voici alors, comme pour nous réveiller de l’ivresse que le mystère sacramentel a maintenant engendrée en nous, que survient ce commandement, véritable programme auquel on ne peut résister : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples » (cf. Mt 28, 19).

A ce plan également, une prise de conscience continuelle et pro­gressive devra faire partie de la spiritualité sacerdotale. Chacun de vous devra se répéter à lui-même : je suis destiné au service de l’Eglise, au service du peuple. Le sacerdoce est charité. Malheur à qui entretiendrait l’idée de pouvoir en faire une vie vécue pour soi. Le don total de sa propre vie ouvre au prêtre généreux une nouvelle merveille : le panorama de l’humanité. Peut-être que lui, à un certain moment, quand il comprit que à cause de sa vocation, il était séparé de son propre milieu social (cf. Ac 13, 2) et destiné à une activité passablement spécialisée, comme l’est celle du minis­tère religieux, il pensa qu’il ne pourrait jamais plus avoir de contacts directs et efficaces avec la société contemporaine ou avec chacun des éléments qui la composent ; maintenant il doit revenir sur son opinion. S’il y a un service qui exige que celui qui l’exerce soit plongé dans l’expérience multiforme et agitée de la société, encore plus que celui de l’enseignant, du médecin ou de l’homme politique, c’est bien le service du ministère sacerdotal. « Vous êtes, dit le Seigneur, le sel de la terre... vous êtes la lumière du monde» (cf. Mt 5, 13-15). Une affinité, une sympathie, une nécessité, allant de pair avec la conscience de son être de prêtre, oblige le ministre de la Parole, de la Grâce, de la Charité, non seulement à se rendre disponible pour tout dialogue, pour toute invitation qui lui est loyalement adressée, mais encore à prendre lui-même l’initiative pas­torale de rechercher celui qui, consciemment ou non, a besoin de lui. Cette attitude apostolique active (cf. Mt 18, 12) doit aujour­d’hui plus que jamais ressortir dans la figure du prêtre : une cha­rité, manifestement surnaturelle, sensible et zélée doit caractériser son ministère, spécialement pour promouvoir efficacement la justice sociale, selon l’esprit et les formes de la doctrine sociale chrétienne, qui doit puiser son inspiration et son énergie dans l’Evangile et à l’écoute du Magistère de l’Eglise, et non pas à d’autres sources étran­gères aux principes chrétiens : « L’amour du Christ nous presse » (2 Co 5, 14), et aucun autre stimulant ne peut le remplacer ni le dépasser.

« Levez votre regard, vous dirons-nous avec les paroles mêmes du Christ, et voyez les champs qui blanchissent pour la moisson » (Jn 4, 35). Nous oserons désigner avec un accent prophétique le panorama apostolique qui s’ouvre devant chacun de vous : Le monde a besoin de vous ! le monde vous attend ! Y compris dans le cri hostile qu’il lance souvent vers vous, le monde manifeste sa soif de vérité, de justice, de renouveau, que seul votre ministère pourra satisfaire. Sachez accueillir, comme un appel, jusqu’aux critiques que peut-être, et souvent injustement, le monde lance contre le message de l’Evangile ! Sachez écouter le gémissement du Pauvre, la voix candide de l’enfant, l’appel pensif de la jeunesse, la plainte du travailleur exténué, les soupirs de celui qui souffre et la critique du penseur! N’ayez jamais peur ! Nolite timere, a répété le Seigneur (cf. Mt 10, 23 ; Lc 12, 32) ; Le Seigneur est avec vous (cf. Mt 28, 20). Et l’Eglise, mère et maîtresse, vous assiste et vous aime, et elle attend, grâce à votre fidélité et à votre activité, que le Christ continue son oeuvre constructive de salut.

Et nous conclurons en rendant honneur à l’Apôtre Pierre dont nous célébrons aujourd’hui la fête, ici, près de sa tombe glorieuse, et faisant nôtre son exhortation sacerdotale : « Je vous exhorte, vous les prêtres, moi qui le suis comme eux et témoin des souffrances du Christ, et appelé à participer à la gloire qui sera manifestée un jour, soyez les pasteurs du troupeau de Dieu qui vous est confié, le gouvernant non de force mais avec bonté, comme Dieu le veut, non par vil intérêt, mais en devenant vraiment les modèles du troupeau. Et lorsque le Prince des Pasteurs apparaîtra, vous re­cevrez l’incorruptible couronne de gloire » (1 P 5, 1-4). Amen.

 

 

 

6 juillet

CHARLES STEEB, LE PRÊTRE HÉROÏQUE

 

Nous sommes heureux que la mystérieuse Providence divine qui assiste l’Eglise de Dieu nous permette de proposer à la vénéra­tion du Peuple de Dieu, de celui de l’insigne Diocèse de Vérone en particulier, la noble figure de l’abbé Charles Steeb dont vous venez d’écouter l’éloge et que nous avons déclaré Bienheureux. Nous re­connaissons ainsi que le Seigneur l’a accueilli dans son glorieux royaume céleste et qu’il est digne du culte que vouent à un membre du Christ, les fidèles d’une Eglise locale qui, sous les auspices du Saint-Siège, ont pu voir, réfléchie dans la vie et l’œuvre du nouveau Bienheureux, l’image de ce Christ à qui nous devons notre salut. Avec un regard apocalyptique nous devons reconnaître, « cet Agneau Immaculé, digne de recevoir la puissance, la richesse, la sagesse, la force, l’honneur la gloire et la bénédiction » (Ap 5, 12) : le Christ resplendit et triomphe dans son disciple. C’est cette entrée du bon et fidèle serviteur dans la joie de son Seigneur (cf. Mt 25, 21) que nous célébrons aujourd’hui et qui se reflète dans nos âmes en liesse : Charles Steeb est dans le Christ, au ciel, bienheu­reux; et sa béatitude se communique dans une certaine mesure, à nous, à l’Eglise de Vérone, à l’Eglise d’Allemagne et à toute l’Eglise encore pèlerine sur la terre.

Bien-aimés Frères et Fils, comment se communique-t-elle, cette béatitude ? Voilà l’interrogation qui surgit dans nos âmes si elles ont vraiment tressailli de joie à la proclamation de la béatitude à laquelle est parvenu Charles Steeb. Celle-ci se communique dans la foi tout d’abord, en quelque sorte dans la vive conviction inté­rieure de la mystérieuse communion des saints ; cela, c’est la voie mystico-théologique qui nous fait participer dès à présent, poten­tiellement tout au moins, au royaume qui viendra. Cette commu­nication se réalise également dans l’observance des devoirs qui découlent d’un tel acte de foi ; devoirs de culte, de vénération, d invocation, de confiance et principalement d’imitation. Maintenant, c’est sur ce dernier aspect que se fixe principalement et plus facilement notre dévotion et notre mémoire.

L’hagiographie assume ici une grande importance ; mais n’ou­blions pas que pour nous elle n’est pas seulement une science historique et biographique de ces personnages qui se sont distin­gués sur le plan religieux et que nous appelons Saint ou Bien­heureux; elle est une école de perfection évangélique; elle est une méditation de leur vie vécue pour y découvrir la phénoménologie de la grâce de Dieu et de l’exercice des vertus dans leur âme privi­légiée ; elle est l’étude d’excellents modèles dans la démarche des disciples du Christ et c’est ainsi que Saint Paul pouvait dire et répétait sans ombre de vanité : « soyez mes imitateurs, comme je le suis moi-même du Christ » (1 Co 4, 16 ; 11, 1). Ces élus sont les gradins de l’échelle qui s’élève vers le Christ et vers Dieu; et dont nous ne désespérons pas de pouvoir, à leur niveau humain, nous servir, nous aussi, dans une certaine mesure.

Alors notre regard s’abaisse et, cessant d’être ébloui par la « lumiè­re inaccessible » (1 Tm 6, 16) de la gloire céleste, il se fait attentif au sentier terrestre parcouru par nos frères les plus valeureux, spécialement si quelque titre à la conversation humaine nous les rend plus proches ; les Saints et les Bienheureux ne sont-ils pas nos protecteurs ? nos intercesseurs ? nos amis ?

Notre curiosité se fait pressante. Qui était Charles Steeb que l’Eglise exalte maintenant comme personnalité remarquable et lu­mineuse ; digne non seulement qu’on en proclame l’exceptionnelle vertu, mais aussi qu’on en fasse le phare qui oriente nos pas vers le Christ, dans cette vie présente comme dans la vie future ?

Nous n’allons pas tracer maintenant le portrait de notre nouveau Bienheureux et encore moins faire son panégyrique. Il est docu­menté par une série d’écrits biographiques qui valent d’être lus: nous nous contentons de les recommander. Charles Steeb est une figure qui mérite d’être connue, tant dans les aspects privés de sa vie que dans ses aspects communs. Qu’il suffise en ce moment, pour donner valeur de prière à ce rappel de sa bienheureuse mé­moire, de relever quelques aspects saillants de cet exemplaire ser­viteur de Dieu.

Le premier aspect saillant et original est sa provenance ; vous la connaissez et vous cherchez à en pénétrer les secrets providen­tiels. Le nouveau Bienheureux venait d’Allemagne, précisément de Tübingen, dans le Wurtemberg, célèbre centre représentatif d’études universitaires supérieures ; catholique à l’origine, l’Université était devenue protestante à l’époque de la Réforme et s’était distinguée par ses dissolvants courants philosophiques, théologiques et bibli­ques plus ou moins libéraux, tempérés courageusement par les affirmations d’une haute pensée catholique. Steeb ne fréquenta pas l’Université de Tübingen, mais il ne put cependant que respirer l’atmosphère strictement protestante dont son milieu familial était profondément et sincèrement imprégné. On sait comment, venu à Vérone pour perfectionner sa formation professionnelle, il se fit catholique malgré les recommandations de sa famille qui, certai­nement en toute bonne foi, y était vivement hostile. Voilà le premier épisode notable de sa vie spirituelle que nous devrions tous étudier et comprendre ; il scelle l’orientation religieuse de la vie de Steeb, orientation libre, méditée, décisive, dépourvue de toute polémique au plan de la mentalité religieuse acquise durant son éducation ini­tiale — fièrement luthérienne — ; mais logique, pour ainsi dire, un retour, une récupération, une réintégration dans la foi authen­tique et traditionnelle. Certes cette option fut une décision héroïque qui dut coûter un sacrifice énorme, nous dirions total, comme celui de la parabole évangélique du chercheur de pierres précieuses qui, en ayant trouvé une de grande valeur, vendit tous ses biens pour pouvoir l’acquérir. C’est ce que fit Charles Steeb. On ne pourra vraisemblablement jamais évaluer suffisamment le drame juvénile de sa conversion au catholicisme qui lui coûta la rupture avec sa famille, les personnes aimées et les avantages matériels et qui le laissa cheminer pauvre et. seul, pour ainsi dire orphelin sur un sentier nouveau et abrupt de la vie. En cela, il fut certainement un héros de l’esprit. Il faut le comprendre. L’épreuve ne l’aigrit pas, mais le fortifia. Son caractère en fut trempé de cette énergie, de ce sérieux, de cette humilité que révélera toujours son visage viril et spirituel. Il n’était pas homme de nombreuses paroles, mais de nombreuses œuvres ; un homme à la sensibilité profonde et con­tenue ; homme également d’une très grande fermeté dans ses projets. Sa forte psychologie nordique trouva un accueil humain et chrétien dans l’aimable tempérament local ; rien ne fit obstacle au mûris­sement de sa vocation sacerdotale, déjà contenue dans sa première et radicale oblation à la vérité, à l’Evangile, au Christ-Maître, à l’Eglise, famille des croyants fidèles : il se fit aussitôt prêtre.

Ce processus spirituel est un paradigme auquel nous devons ré­fléchir en cette époque d’œcuménisme pour réaliser ce qu’il nous faut de force d’âme, d’esprit de renoncement et de sacrifice pour préférer à toute chose la vérité de l’appel divin (cf. Mt 19, 27) et pour savoir attendre et préparer, avec humble et patiente bonté, avec une confiance jamais découragée, l’heure inconnue de la recom­position concertée de la parfaite unité chrétienne avec nos frères encore séparés de nous (cf. Décret Unitatis Redintegratio, nn. 7 et 9 ; Ep 1-3). Notre Bienheureux Charles Steeb n’eut pas la joie de voir poindre cette, heure bénie, pendant la longue démarche de sa vie terrestre, mais pour nous, il la prépara.

De telle sorte que le profil biographique du prêtre solitaire Charles Steeb, considéré au cours de la période centrale de sa vie ecclésiastique, se présente comme celui d’un prêtre n’ayant d’autre qualification que celle d’aumônier provisoire en voie de titularisation, voué à l’assistance conçue de manière empirique et exercée avec héroïsme : assistance religieuse et morale des com­munes misères humaines et des calamités imprévues. Pour son bonheur, il se trouvait dans une ville comme Vérone où les tradi­tions de la charité à l’égard d’autrui avaient encore de solides et florissantes racines (pensez à l’œuvre de l’Evêque Gian Matteo Giberti mort en 1543) et offraient de lumineux témoignages d’une actualité toujours prospère (pensez à Don Gaspare Bertoni, fon­dateur des Stigmatins en 1816 ; aux Filles de la Charité Canossiennes, fondées en 1808 et approuvées en 1818, aux Institutions de Don Nicola Mazza en 1828 et 1833, et coetera). A cette époque la ville de Vérone a été féconde et géniale dans la création de nouvelles institutions de bienfaisance ; nous sommes dans les années de guerres napoléoniennes et des besoins implacables qu’elles provoquaient ou qui en dérivaient. Une oeuvre qui précéda et suscita des initiatives bénéfiques est celle dite de la Fraternité Evangélique, organisée par l’abbé Pietro Leonardi et qui introduisit l’abbé Charles Steeb dans le champ de la charité assistantielle : l’Hospice, le Lazaret, l’Hôpital, les Ecoles trouvèrent pendant des années ce prêtre austère, assidu, empressé, infatigable, penché sur toutes les infirmités humaines ; aux maladies des corps, son pro­gramme pastoral ajoutait les besoins des âmes; il devint un con­fesseur patient et plein de sagesse. Son histoire qui semble uniforme et monotone est semblable à celle d’un médecin, toujours tendue, toujours nouvelle ; il faut en avoir une vision exacte pour l’appliquer à notre temps, pour se convaincre à quel point est injustifiée la problématique, aujourd’hui malheureusement diffusée, au sujet de ce qu’on appelle l’« identité » du prêtre, presque comme si l’insta­bilité sociologique qui parfois crée le vide autour du prêtre, allait jusqu’à insinuer dans son âme le doute au sujet de sa propre raison d’être; il suffit en effet qu’il conserve le génie de son ministère, qu’il ait les yeux et le cœur ouverts à l’humanité qui, de gré ou de force, le cerne, pour se rendre compte de la nécessité pressante et privilégiée de son oeuvre, aujourd’hui d’autant plus réclamée que moins nombreux deviennent les ministres du Christ « dispensa­teurs des mystères de Dieu » (1 Co 4, 1) et que plus diverse et réfractaire est la psychologie des foules éloignées de l’Evangile. Le Bienheureux Charles Steeb enseigne et assiste.

Puis, comme vous le savez, le Bienheureux est fondateur de l’Institut des Sœurs de la Miséricorde qui, toutes présentes en personne ou en esprit, exultent de voir élevé aux honneurs des autels leur ancien et très pieux maître et promoteur. Ici, l’Institut même fait l’apologie de l’abbé Charles Steeb et nous laisserons à la phalange de ces excellentes et très chères Sœurs, à laquelle donna le départ la pure et courageuse cofondatrice Luigia Poloni, morte avant Charles Steeb ; il documente en nombre et en qualité le service de charité que celui-ci a créé et diffusé à Vérone, en Italie et dans le monde. Nous nous limiterons à réclamer une fois de plus l’attention de notre temps sur un phénomène, certes pas unique, mais toujours original comme contexte, où la foi religieuse se transmue admirablement en amour et en service du prochain ; nous exhorterons chacun à voir dans un tel phénomène une preuve nouvelle et admirable de la vitalité éternelle et de l’authenticité indiscutable de l’Evangile dans l’Eglise de Dieu. Courage, courage, très chères Filles en Jésus-Christ !

Et nous conclurons ce discours sommaire en adressant un salut tout particulier et riche de bénédictions au Pasteur de Vérone ici présent, Mgr Giuseppe Carraro, et à toute l’Eglise de Saint-Zenon qu’il guide avec un si grand zèle pastoral. Défilent en ce moment devant notre esprit de très dignes figures de Prêtres — nous en avons personnellement connu et vénéré quelques uns — de prêtres, donc, éduqués précisément à l’école de la sainteté véronaise, et nous revoyons tant de visages de personnes amies, pleins de génie, de brio, de fidélité catholique, toute la famille fidèle et religieuse de l’heureux diocèse auquel s’associe certainement l’Allemagne croyante ; et nous pensons spontanément à cette noble partie de l’Eglise de Dieu, en fête autour du nouveau Bienheureux, attirée par lui dans le sillage de ses exemples et fortifiée par sa protection.

 

 

 

1er août

L’EUROPE À UN TOURNANT DANS L’HISTOIRE MILLÉNAIRE

 

Le 1er Août, avant le discours de clôture de la Conférence Internationale d’Helsinki pour la sécurité en Europe, discours que devait pro­noncer M. Mekonen, Président de la République Finlandaise, S.Exc. Mgr Casaroli, Représentant du Saint-Siège, a lu devant l’Assemblée, une Lettre que lui a adressée Sa Sainteté Paul VI. En voici le texte original :

 

A Monseigneur Agostino Casaroli

Secrétaire du Conseil pour les Affaires Publiques de l’Eglise

 

En juin 1973, nous avions voulu donner notre encouragement à une initiative qui, se présentant comme étant destinée à promouvoir le bien tellement souhaité, et inestimable de la paix, était de grande importance, non seulement pour les peuples de l’Europe, mais pour toute la famille des nations. C’est bien dans cet esprit, que nous avons accueilli l’invitation adressée au Saint-Siège pour prendre une part directe, dans les formes qui lui sont propres, à la Conférence projetée sur la sécurité et la coopération en Europe, dont la première phase se déroulait à Helsinki en juillet de la même année.

Après les négociations laborieuses de Genève qui ont duré pres­que deux ans, on va maintenant procéder à la troisième phase avec la signature de l’Acte final au niveau de hauts représentants des Etats ; elle aura lieu à Helsinki du 30 juillet au 1er août prochain. Nous avons décidé de vous charger d’y prendre part, en qualité de notre Délégué spécial.

En même temps nous vous prions de bien vouloir porter notre salut et exprimer nos vœux aux très hautes personnalités des pays représentés à la Conférence et aux autres membres distingués des Délégations respectives, les assurant de l’importance que nous attachons au travail accompli, comme aussi de la prière et des souhaits dont nous accompagnons l’attente que la Conférence a suscitée d’une façon bien compréhensible.

Cette Conférence se tient, peut-on dire, à un tournant de l’histoire millénaire du continent européen, histoire qui offre un caractère assurément singulier, aussi bien par l’étonnante abondance des richesses de l’esprit humain que par la densité d’événements si­gnificatifs.

Au sommet de cette histoire longue et souvent tourmentée, en vertu de la variété des apports que chaque peuple de ce con­tinent, avec son génie propre, lui a conférée, l’Europe a un patrimoine idéal qui représente un héritage commun : celui-ci se base essentiellement sur le message chrétien, annoncé à toutes ses po­pulations qui l’ont accueilli et fait leur ; il comprend, en plus des valeurs sacrées de la foi en Dieu et du caractère inviolable des consciences, les valeurs de l’égalité et de la fraternité humaines, de la dignité de la pensée consacrée à la recherche de la vérité, de la justice individuelle et sociale, du droit conçu comme critère de comportement dans les rapports entre les citoyens, les institu­tions, les Etats.

C’est vers ce patrimoine, unique et indestructible, que nous aimons tourner notre pensée comme vers une source de paix, au moment où les illustres représentants des Etats de l’Europe, des Etats-Unis d’Amérique et du Canada vont se rassembler, côte à côte, dans ce cher pays de Finlande. Instruits par la tragique expérience de deux guerres épouvantables qui, allumées en Europe en l’espace de trente années, consumèrent comme dans un brasier tant de millions de victimes, dévastant des régions étendues et flo­rissantes et entraînant dans la lutte fratricide beaucoup d’autres peuples non européens, ces représentants veulent établir une entente qui repose sur les principes clairs et fermes de droit Interna­tional et mettre l’Europe — et le monde — à l’abri de la menace de nouvelles expériences de destruction et de mort, infiniment plus terrifiantes. En même temps, ils veulent tracer les lignes d’un début de coopération dans les divers domaines de l’activité humaine, de façon limitée mais concrète ; ils espèrent ainsi qu’une telle coo­pération, en consolidant la paix, concourra à multiplier avec plus d’intensité les échanges des valeurs qui forment la force spirituelle de l’Europe.

La Papauté, tout en étant investie d’une mission religieuse ouverte sur l’universel, a toutefois son siège en Europe ; par là même, elle est liée encore plus étroitement à l’histoire du continent. Aussi ne peut-elle s’empêcher de désirer ardemment que cette entreprise, poursuivie dans la fidélité aux engagements qui vont être signés, puisse produire des fruits prometteurs et tangibles. La reconnais­sance de l’interdépendance de la sécurité entre les Etats, confiée aux engagements solennels du renoncement à l’emploi et à la menace de la force, du règlement pacifique des différends, de l’accomplis­sement en bonne foi des obligations internationales ; la résolution de développer des relations mutuelles correctes et amicales, basées sur le respect de la souveraineté légitime et des droits qui doivent être reconnus à chaque pays, de sa réalité humaine, politique, cul­turelle, sociale, en même temps que sur le respect de la libre volonté de son peuple pour déterminer ses propres institutions ; l’intérêt commun porté au développement de la coopération dans les domaines économique, scientifique, technique, social, culturel et humanitaire, tout cela suffirait par lui-même à donner le sens de l’engagement grave, délicat, difficile, dont veut s’inspirer la politique des Etats participants.

Nous disons des Etats, parce qu’ils sont la forme juridique des sujets des rapports internationaux, mais nous voudrions viser plus précisément les peuples qui forment la réalité vivante des Etats, leur raison d’être et le motif de leur action. Ces peuples de langues et de traditions diverses, qui composent l’Europe plutôt qu’ils ne la divisent, regardent avec une attention anxieuse les affir­mations solennelles qui vont être souscrites. Il y a des centaines de millions d’hommes et de femmes, jeunes et vieux, qui aspirent à vivre des rapports toujours plus sereins, plus libres, plus humains, c’est-à-dire à jouir de la paix dans la justice ; ils désirent certaine­ment se sentir rassurés par la garantie de la sécurité de chaque Etat, mais ils sont tout autant encouragés par la réaffirmation du respect des droits légitimes de l’homme et de ses libertés fonda­mentales. Parmi ces droits, le Saint-Siège se réjouit de voir souli­gnée de façon spécifique la liberté religieuse, tandis qu’il considère avec un intérêt non moins grand les chances de protection et de croissance humaine que de telles libertés signifient pour les indivi­dus, les communautés, les migrants, les groupes ethniques, les minorités nationales, les populations de toute région.

A juste titre on a pris particulièrement en considération la pos­sibilité de faciliter les mouvements et les contacts entre les per­sonnes et les institutions ou organismes. Puissent les personnes qui se déplaceront ainsi plus librement pour se rencontrer d’un pays à l’autre de l’Europe être toujours porteuses d’un message vivant et persuasif d’amitié et de paix, symbole et gage de la paix et de l’amitié entre leurs pays !

La paix en Europe, et la paix entre l’Europe et le monde entier ! Considérant leurs responsabilités historiques et celles qu’ils ont actuellement dans le contexte international, les pays d’Europe et, avec eux, les Etats-Unis d’Amérique et le Canada, se déclarent conscients du lien étroit qui existe entre la paix et la sécurité en Europe et celles du monde, avec une considération spéciale pour le bassin méditerranéen ; ils réaffirment aussi leur engagement de contribuer à résoudre, dans un esprit de vraie solidarité, les grands problèmes d’interdépendance et de coopération qui hantent la vie de la communauté internationale.

Tels sont nos espoirs, tels sont les souhaits que nous formons, au nom de Dieu, en vertu de la sollicitude que nous portons dans notre cœur pour la paix et pour la réconciliation entre tous les peuples.

 

Du Vatican, le 25 juillet 1975.

 

paulus PP. VI

 

 

 

6 août

LA MISSION IRREMPLAÇABLE DES UNIVERSITÉS CATHOLIQUES

 

Le 6 août dernier, avant sa rencontre hebdo­madaire Place Saint-Pierre avec les pèlerins de l’Année Sainte, Paul VI a reçu en audience un groupe d’environ 70 Recteurs des Universités dirigées par la Compagnie de Jésus. Sous la présidence du Préposé Général, le R.P. Pedro Arrupe, les Recteurs, venus de tous les conti­nents du monde, participent actuellement à une rencontre consacrée à l’examen de questions con­cernant l’apostolat de l’éducation supérieure et les décisions à ce sujet prises par la XXXII° Congrégation Générale de la Compagnie. Il s’agit, en quelque sorte d’une étude préparatoire au Congrès Général de toutes les Universités Catholiques du monde qui allait s’ouvrir quel­ques jours plus tard (le 10 août) à New Delhi. Le Saint-Père a adressé à ses visiteurs un dis­cours en langue latine dont voici la traduction :

 

Fils bien-aimés dans le Christ,

 

Nous nous réjouissons de cette présente rencontre avec vous, Recteurs des Universités que la Compagnie de Jésus soutient dans le monde entier. Dès ses origines, votre Institut a reçu de son Fondateur, parmi d’autres tâches, celle de consacrer vos soins et votre sensibilité aux problèmes de la culture et à la jeunesse qui se livre aux études supérieures. Et de fait, la Compagnie de Jésus à toujours considéré comme une de ses fins la promotion du message chrétien dans le domaine de la culture. Il nous plaît de souligner sans tarder cette prérogative, soit pour en souligner la valeur intrinsèque, soit pour vous dire notre gratitude et nos appréhensions pour un travail si important et délicat dont dépend la promotion de l’Eglise dans les avant-postes de la pensée humaine et de la vie de l’Esprit où la place suprême de l’homme se trouve en jeu. L’apostolat dans le domaine de la culture est, surtout aujourd’hui, irremplaçable : et le démontrent les pages que la Constitution Pastorale Gaudium et Spes a réservées au progrès de la culture et à la responsabilité des fidèles en la matière (cf. nn. 53-62 ; spécialement le n. 62).

Ceci pour vous dire l’estime que nous nourrissons pour votre mission ainsi que l’importance que nous attribuons à notre ren­contre pour souligner quelques points qui nous paraissent fonda­mentaux dans le contexte actuel de la société et de l’Eglise, avec un regard particulier sur le rôle que doivent remplir les Universités Catholiques.

 

I. Les Universités Catholiques face à l’évolution culturelle

 

Le monde actuel se caractérise par une vertigineuse évolution culturelle dans tous les secteurs. La culture se présente comme un défi à l’homme même qui en est l’artisan et le promoteur. La Constitution précitée a donné de cette situation un diagnos­tic des plus lumineux (Gaudium et Spes, 54-57). Devant la transformation si décisive que le monde connaît aujourd’hui, la mission de l’Université Catholique devient toujours plus impor­tante et même plus originale. Au cours de ces dernières années les Dirigeants des Universités ecclésiastiques, en collaboration avec notre si méritoire Congrégation pour l’Education catholique ont étudié les multiples problèmes que pose l’évolution culturelle, et ce, dans le but de rechercher et de déterminer avec précision quel service l’Université Catholique doit offrir à l’Eglise et au monde face à l’impétueuse transformation actuelle. Le véhicule technolo­gique court toujours plus rapide, et il lui faut par conséquent des phares qui permettent de voir de plus en plus loin si l’on veut éviter à une telle évolution culturelle, qui porte en soi une po­larité ambiguë, de se résoudre finalement au détriment de l’homme. L’Université Catholique, quelle lumière doit-elle apporter ?

 

II. Nécessité d’une qualification catholique sans équivoque

 

Au cours de ces récentes années on a cru, dans certaines uni­versités catholiques, pouvoir répondre aux interrogations de l’hom­me et du monde, débilitant la propre caractérisation catholique. Et les conséquences ? On a assisté à un affaiblissement des valeurs chrétiennes qui ont cédé la place à un humanisme qui s’est transfor­mé en une véritable et propre sécularisation ; on a assisté également à la dégradation des mœurs dans le cadre des « campus » universi­taires, faisant perdre de vue aux jeunes le caractère admirable de nombreuses vertus. De telles tendances, d’ordre intellectuel et dis­ciplinaire ont eu pour conséquence le développement parmi le Peuple de Dieu d’un certain manque d’intérêt pour les Universités catholiques et pour les problèmes des Universités qui en ont subi les conséquences : manque de soutien et manque d’encouragements. Or, aujourd’hui plus que jamais, l’Eglise a besoin des Universités Catholiques. Malheur à nous si nous l’oublions ! Précisément parce qu’elle est de plus en plus consciente de sa mission salvatrice en ce monde, l’Eglise veut sentir ces Centres tout proches d’elle, veut les avoir présents et actifs dans la diffusion du message authen­tique du Christ. En d’autres mots, elle les désire « catholiques » et lorsqu’elle les voit tels, elle est disposée, même au prix d’énormes sacrifices, à leur accorder toute son aide.

Les Universités Catholiques doivent être ouvertes au monde et aux problèmes d’aujourd’hui ; elles doivent promouvoir le dia­logue avec toutes les cultures, avec les athées, avec les non-chrétiens, avec les chrétiens des diverses confessions; à cet égard l’exemple de l’Eglise de l’après-Concile est très éloquent. Mais il faut que tout ceci se fasse en maintenant intact le caractère d’Université Catholique — et pour vous, celui d’Université Catholique propre de la Compagnie de Jésus — respectant toujours, dans l’ensei­gnement, dans les publications et dans toutes les formes de la vie académique, la pleine orthodoxie de la doctrine, l’obéissance au Magistère de l’Eglise, la fidélité à la Hiérarchie et au Saint-Siège sans s’attarder à un relativisme doctrinal ou à une morale permis­sive, incompatibles avec le caractère d’une Université qui veut se définir « Catholique ». Le mimétisme doctrinal et moral n’est certainement pas conforme à l’esprit de l’Evangile qui veut que vous soyez « sel de la terre », sous peine, si vous l’oubliiez, d’être rejetés, ayant perdu toute saveur (cf. Mt 5, 13). Du reste, même ceux qui ne partagent pas les vues de l’Eglise nous demandent une extrême clarté de position afin de pouvoir établir un dialogue constructif et loyal. Le pluralisme culturel et le respect dû à la personne de nos frères ne devront jamais faire perdre de vue au chrétien son devoir de servir la vérité dans la charité (cf. Ep 4, 19, de suivre cette vérité du Christ qui, seule, donne la vraie liberté (cf. Jn 8, 32 ; Ga 4, 31 ; 2 Co 3, 17).

 

III. Fidélité à la tradition de la Compagnie de Jésus

 

Certes, les difficultés que les Universités rencontrent aujourd’hui sont très graves. Mais elles ne doivent pas décourager ni inspirer la tentation, manifeste ou sournoise d’abandonner ce secteur pour le céder à d’autres. A ce propos, il importe de préciser qu’est certainement louable et nécessaire la collaboration des laïcs et d’autres prêtres non jésuites dans la gestion de l’Université mais il faut faire en sorte que cela intervienne de manière convenable, de façon que la Compagnie conserve l’autorité nécessaire pour faire face à ses responsabilités catholiques. La Compagnie ne devra donc pas renoncer à son autorité dans les Universités qu’elle pos­sède. Laisser perdre cette méritoire tradition signifierait, non seu­lement manquer à votre « identité », mais aussi et surtout perdre quelque chose dont l’Eglise a besoin et dont elle ne peut se passer.

 

IV. Créer dans l’Université un climat d’authentique foi chrétienne

 

L’Université catholique est appelée, aujourd’hui plus que jamais, à promouvoir en son sein un climat authentiquement catholique, c’est-à-dire une ambiance où le catholicisme est vivant, actif, visi­ble ; les professeurs eux-mêmes et principalement les jeunes en ressentent le besoin. L’enseignement religieux ne suffit pas à lui seul — il doit certes être l’objet des soins les plus attentifs, faire preuve de sérieux scientifique, être entièrement fidèle à l’enseigne­ment de l’Eglise — il importe aussi de créer ce climat dans lequel le jeune se sent sincèrement entraîné à suivre le Christ, à l’aimer et à le porter aux autres. C’est précisément dans le sein de l’Université que les jeunes doivent acquérir ou, s’ils l’ont déjà acquis, perfectionner un style de vie authentiquement chrétien, se rendre compte du caractère sérieux de la profession, ressentir l’enthousias­me d’être appelés, demain, à être des leaders qualifiés, témoins du Christ dans les places où ils devront exercer leur profession. Si elle est opportunément secondée, la jeunesse ne manque jamais de répondre sérieusement, de s’engager. Mais il faut lui présenter la vision totale, « catholique », de toutes les réalités humaines sous l’éclairage du Christ, réponse suprême, unique, parce que c’est le Verbe de Dieu qui interpelle l’homme, lui adresse les paroles de vie éternelle (cf. Jn 6, 68) et le met face à ses grandeurs, à ses tâches, à ses responsabilités. L’Université Catholique est évi­demment le lieu privilégié où le jeune homme devra être aidé pour pouvoir réaliser cette synthèse globale qui, pour lui et pour les autres sera une source de lumière féconde pour toute la vie. Mais il faut s’engager à fond, il faut travailler, se montrer patient et clairvoyant !

Et à ce propos, disons que les soins pastoraux de la jeunesse universitaire, se révèlent extrêmement urgents ; c’est un problème aujourd’hui de fondamentale importance pour l’Eglise. Le Concile Vatican II a souligné dans sa Déclaration Gravissimum educationis que « le sort de la société et de l’Eglise même est étroitement lié aux progrès des jeunes qui font des études supérieures » (N. 10). Il importe d’agir avec la plus grande prudence, selon une méthodo­logie qui corresponde le mieux aux exigences de la mentalité juvé­nile. Il importe avant tout, cependant, de leur donner des idéaux de vie chrétienne, incarnés en ceux qui sont formateurs, et édu­cateurs. Il faut ne jamais oublier que les jeunes se conquièrent en leur offrant des idéaux authentiques, importants ; l’indulgence, la complaisance, la soumission à la mode peuvent aussi rapprocher les jeunes, mais c’est une approche qui s’évanouit facilement.

Leur présenter le Christ comme réponse complète à leurs pro­blèmes et aux problèmes du monde ; leur faire comprendre que le Christ ne déçoit pas leurs sentiments de fraternité, de justice, d’amour universel et que, au contraire, ces sentiments se dévelop­pent sans limite s’ils trouvent consciemment leur source dans le Christ lui-même : voilà une mission enthousiasmante pour les Dirigeants des Universités Catholiques de la Compagnie de Jésus.

Nous sommes certain que, fidèle à l’esprit de votre Fondateur, vous saurez accomplir votre devoir quotidien, les yeux fixés tou­jours sur ces objectifs. N’ayez pas peur ! Le Christ, Sagesse du Père, sera toujours près de vous pour donner chaleur et force de conviction à vos paroles et à vos méthodes, l’Esprit Paraclet vous suggérera toute chose (cf. Jn 14, 26) pour que vous sachiez faire entendre aux jeunes l’enseignement éternel du Christ et l’appliquer à leurs exigences et aux besoins de la vraie culture; la Vierge Très-Sainte, Sedes Sapientiae vous assistera de ses soins maternels. C’est cela la prière que nous lui adressons pour vous, pour vos collaborateurs, pour vos élèves dans les nombreuses et importantes Universités des Jésuites.

A tous, notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

15 août

LE DON DE L’ESPERANCE

 

Le 15 Août, fête de la Vierge, Paul VI a quitté vers la fin de l’après-midi, sa résidence d’été de Castel Gandolfo, pour rencontrer à Rome, au Vatican, une joule immense de pèlerins et célébrer avec eux l’Assomption de Marie. Au cours de la Sainte Messe solennelle qu’il a concélébrée, Paul VI a prononcé une homélie dont voici notre traduction.

 

En 1950, durant l’Année Sainte, le premier Novembre, en la fête de Toussaint, sur la place qui s’étale devant la Basilique Saint-Pierre, en présence de tous les Cardinaux se trouvant à Rome ce jour-là et de centaines d’Evêques venus de tous les continents du monde, du Clergé et du peuple de la Ville éternelle ; en présence également de nombreux Chefs d’Etats et de Représentants d’in­nombrables pays ; devant, enfin, une immense assemblée de pèlerins de toutes nationalités, notre Vénéré Prédécesseur, le Serviteur de Dieu Pie XII, proclamait comme dogme de foi le fait, le mystère de l’Assomption corporelle au ciel de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère du Christ, Mère du Verbe de Dieu incarné et donc Mère de Dieu, puis, pour nous, Mère de l’Eglise, Notre Mère et, comme une Eve nouvelle, Mère de toute l’humanité en vue de son salut. Aujourd’hui que nous célébrons la fête de l’Assomption, nous évo­quons à nouveau cet événement solennel pour en faire nôtres les sentiments et les propos ; et la liturgie de ce jour nous offre une occasion propice à cet effet.

Cette célébration liturgique aurait dû avoir lieu en la très véné­rable — et à nous, très chère — Basilique de Sainte-Marie-Majeure, monument exceptionnel et magnifique, unique en vertu de l’idéal marial qui s’y cristallise en images d’incomparable prestige, de la piété, de l’histoire, de l’art qui s’y rattachent. Pour des raisons d’espace nous avons cru bon de transposer cette solennelle célébration dans cette plus vaste Basilique Saint-Pierre, voulant ainsi permettre à un plus grand nombre de Pèlerins et de fidèles d’y participer et honorer ici même, sur cette place où, en foules innom­brables ils se pressent aux cérémonies sacrées du Jubilé, honorer ici même, disons-nous, l’image sainte et bénie de la Vierge, re­connue salus Populi Romani, image qui, pendant son transfert mo­mentané, a été accompagnée par le très digne Archiprêtre de la Basilique Patriarcale Libérienne et le vénérable chapitre de ladite Basilique. Et ainsi, nous sommes heureux, non sans considérer éga­lement la valeur symbolique et théologique de l’accueil de Marie en la maison de Pierre, de voir ici également le Chapitre de Saint-Pierre réuni autour du Cardinal Paolo Marella, également très digne Archiprêtre qui a toujours accueilli nos cérémonies de l’Année Sainte dans un esprit de très grande et religieuse courtoisie ; heu­reux aussi de voir ici une si grande partie du Clergé de Rome et des Familles Religieuses, ainsi que de nombreuses Délégations des Sanctuaires dédiés à la Vierge ; heureux enfin d’être entouré de très nombreux fidèles de Rome et de pèlerins de toute prove­nance ; si bien que cette célébration, assumant un solennel caractère de représentation de l’Eglise répandue sur toute la terre, rend, en union avec elle, un hommage d’admiration et de confiance à la Vierge Très-Sainte, l’hommage le plus beau que l’humanité croyante puisse Lui offrir à l’occasion de sa fête.

Nous préférerions tous, peut-être, célébrer dans un profond silence intérieur cette extraordinaire apothéose de la Vierge, au lieu de devoir utiliser, pour l’énoncer, des concepts et des mots qui se révèlent tout aussitôt impuissants à exprimer un mystère qui dépasse toute expérience humaine et ne saurait, par ailleurs, admettre une emphatique présentation verbale. Toutefois, pour dire maintenant quelques brèves paroles au sujet de l’Assomption de Marie, nous nous sentons encouragés par le fait que sa récente définition doctri­nale renforce de certitude notre foi, notre dévotion, et nous permet, en conséquence, d’étudier en toute confiance les multiples et pro­fonds aspects d’une vérité religieuse proclamée telle.

Aussi, allons-nous simplifier notre réflexion en la ramenant, comme dans un diptyque, à deux tableaux, c’est-à-dire à deux aspects distincts bien que liés entre eux : l’aspect personnel de l’Assomption de la Vierge, et l’aspect humain, universel sur lequel la figure devenue céleste de Marie projette sa bienheureuse lumière.

Quant au premier aspect, ce qui nous surprend, aussitôt, c’est son caractère de privilège: Marie est la seule créature humaine qui, après le Seigneur Jésus, son Fils, soit entrée au Paradis, corps et âme, à la conclusion de sa vie terrestre. Cet exceptionnel pri­vilège nous oblige à une fondamentale méditation théologique qui devra toujours alimenter et enrichir notre dévotion à la Vierge et donc à sa très particulière relation au Christ, relation qui a comporté un glorieux enchaînement de grâces tout à fait singulières accordées à la très humble servante du Seigneur (cf. Lc 1, 38) ; des grâces qui se sont succédées en ordre ascendant dont nous pouvons dire qu’elles démontrent un dessein divin tendant à fa­çonner Marie comme modèle d’une humanité nouvelle prédestinée à un salut transcendant (cf. Lumen Gentium, ch. 8). On pense d’abord à deux miraculeuses concessions dont, de manière diverse, Marie a été l’objet : d’abord son immaculée conception qui déjà la rend différente de tout le genre humain qui naît avec le triste héritage de la faute d’Adam, ce dont Marie fut miraculeusement préservée ; puis la virginale conception de Jésus dans le sein de Marie, par l’opération du Saint-Esprit (Lc 1, 35) ; et si le péché est cause de la mort (Rm 5, 13) dont l’homme, selon la première in­tention de Dieu, devait être exempt, voilà l’innocence, rétablie dans la femme bénie entre toutes, qui constitue un premier titre à l’immortalité — physique également — de la Vierge. Puis le grand mystère de l’Incarnation, c’est-à-dire de la maternité ineffable et humaine qui fit de Marie la Mère de Jésus, qui est Dieu, et l’enracina si profondément en Lui qu’on put la définir « fille de son Fils » (Dante) ; un titre nouveau, un titre suprême qui insère Marie dans le plan de la Rédemption de manière si parfaite que nous la retrouverons au Calvaire (cf. Lc 2, 35 ; Jn 19, 26-27), puis au Cénacle le jour de la Pentecôte. Ce n’est pas sans raison que illuminée par l’Esprit prophétique Marie a pu prévoir et proclamer dans son Magnificat: « toutes les générations m’appel­leront bienheureuse » (Lc 1, 48). Et à cette prévision l’Eglise répond avec ses Saints, avec ses Pasteurs et ses Docteurs, avec le chœur des fidèles, tous à la recherche de la Reine du Ciel dans ce mysté­rieux état de plénitude, de béatitude et de gloire que nous appelons ciel. Voilà le premier cadre de notre contemplation de la Bien­heureuse Marie élevée au Ciel avec son corps virginal et son âme très pure, et siégeant aux côtés du Christ dans son royaume éternel : la réalité, la certitude de l’apothéose vitale et surnaturelle de sa parfaite et intègre humanité.

Le second cadre ? Oh celui-ci est aussi vaste que le monde, c’est-à-dire du monde que nous voyons et sur lequel se projette le mystère de l’Assomption. C’est la lumière du Christ qui, sur le plan de l’eschatologie, nous parle de la vie future, de celle qui, après la mort, nous attend nous aussi. Mais quand ? Et comment ? Après s’être détachée du corps, notre âme immortelle ne sombre-t-elle pas dans l’inconnu ? Cette partie essentielle de notre vie ne se réduit-elle pas en cendres ? la mort n’est-elle pas un châtiment définitif ? n’est-elle pas désespérément victorieuse de notre corps, c’est-à-dire de cet indispensable instrument qui compose notre humanité dans le cadre de laquelle se déroule notre existence tem­porelle ? Cette existence qui, au fur et à mesure des progrès de l’homme, nous paraît si riche, même si elle est fugace ; et si belle, même si tant de misères nous affligent ; et puis, si heureuse, malgré les douleurs qui parfois la tourmentent et l’issue qui toujours la menace. Chez ceux qui sont privés de notre foi, la vie engendre malheureusement l’inconsolable illusion que l’existence corporelle est tout pour eux, condamnés, comme ils le sont, à se satisfaire d’une conception matérialiste de l’existence actuelle, d’autant plus arrière et plus vide de signification que plus satisfaite d’une expé­rience éphémère — et, partant, atroce — de biens fragiles; alors que cette expérience devrait pousser à la possession des biens éternels : la vérité, la perfection, l’amour, la vie. Et il nous semble entendre au plus profond de notre cœur une voix qui fait retentir le message de la révélation : « Où est-elle, ô mort, ta victoire ? » (1 Co 15, 55). Et lorsque sonnera la trompette de la résurrection « voilà, je vais vous dire un mystère » : — c’est l’Apôtre qui parle ainsi — « nous ressusciterons vraiment tous » (1 Co 15, 51). Mais quand ? Et comment ? L’écho de ce cri répété ne se perd pas dans le vide. La triomphale, la très sainte figure de Marie vivante nous apparaît, ressuscitée, dans la splendeur de son Assomption. Elle est la primeur anticipée de notre résurrection future, l’espé­rance et la garantie de notre véritable et réel destin.

La lumière est si virginale, douce et candide, si parfumée de bonté maternelle, si rayonnante sur notre scène temporelle et hu­maine, qu’elle élève le degré de valeur même de la vie présente, recomposée dans l’ordre qui se résout dans la joie promise de la vie éternelle, mais déjà, et dès à présent, heureuse et embellie par le don que justement nous offre la Vierge ressuscitée, un don qui vient du Christ : le don de l’espérance.

Nous vous saluons, Marie notre espérance.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

28 août

LES NOMADES SONT CHEZ EUX DANS L’EVANGILE ET DANS L’EGLISE

 

Les Nomades, pèlerins à Rome, ont rendu visi­te au Saint-Père à Castel Gandolfo. Au cours de l’audience spéciale qu’il leur a accordée, le Saint-Père leur a adressé une brève allocution dont voici notre traduction :

 

Très Chers Fils,

 

Parmi les profondes joies intimes que le Bon Dieu nous a fait éprouver au cours de cette extraordinaire Année Sainte, nous devons ranger avec les plus vives, les plus caractéristiques, celle que nous procure cette rencontre avec vous qui participez au Pèlerinage international des Nomades. Nous vous accueillons, le cœur grand ouvert et vous saluons très affectueusement.

Vous ne manquerez certainement pas d’être heureux si nous saluons, avec vous, nos Frères les Evêques ici présents, et les nom­breux prêtres et religieuses qui, dans les diverses nations, se dé­vouent à votre assistance religieuse. Ils sont le signe vivant et visible de la sollicitude maternelle de l’Eglise à votre égard : Dieu les bénisse tous, ces forts et généreux ministres du Seigneur qui nous donnent tant de consolation grâce à la fidélité à leur appel à leur apostolat !

Votre visite, très chers Nomades, fait renaître en nous le souvenir des autres rencontres que nous avons eues avec vous : à Milan, lorsque le Seigneur nous voulut Archevêque et Pasteur de ce Diocèse et, dix ans plus tard, à Pomizia, parmi vous, une visite qui a gravé en nous un souvenir ineffaçable. Cette fois encore le Pape est venu parmi vous pour vous dire toute l’affection qu’il vous porte. Et si notre satisfaction est grande pour votre visite, elle est plus grande encore parce que votre venue est en relation avec la célébration du Jubilé universel, de l’Année Sainte, et que vous avez été entraînés par ses buts spirituels : le renouvellement et la réconciliation. Nous sommes certains que ces termes suscitent en votre cœur des sentiments et des intentions de vie nouvelle, d’amour, de bonté, de pardon. Et nous faisons des vœux pour qu’à partir de cette Année Sainte, une nouvelle période de progrès spirituel et matériel commence pour vous que nous aimons tant. Oui, très chers fils et filles, nous vous le répétons et il faut nous croire : nous avons pour vous — et cela ne date pas d’aujour­d’hui — de profonds sentiments de respect, d’affection, de sym­pathie, humaine, avant tout en considération de la condition par­ticulière de votre vie nomade et pèlerine ; mais cette sympathie est aussi et surtout chrétienne, parce qu’en vous se reflète un aspect de la vie de Jésus, notre Seigneur, Maître et Frère : en effet, Jésus lui aussi, encore enfant et sans défense, fut un fugitif, devant s’exiler en Egypte par crainte d’Hérode ; puis, toute sa vie publique fut, au cours des trois années de sa prédication messia­nique, une vie de nomade, tout comme la vôtre, on peut bien le dire ; il trouvait certes quelqu’hospitalité chez des personnes amies, mais plus occasionnelle que régulière, si bien que Jésus pouvait dire de lui-même : « Les renards ont leur tanières et les oiseaux du ciel leurs nids, mais le Fils de l’homme (Jésus, donc) n’a pas où reposer sa tête » (Mt 8, 20). Voyez comme Jésus vous ressemble, comme il est proche de vous ! Et les Apôtres ont fait comme Jésus ; et Saint Paul également, lui le grand Apôtre voyageur (pensons à la manière dont on pouvait voyager à l’époque, par quels moyens, avec quelles difficultés). Et c’est proprement ainsi que Saint Paul décrit sa vie : « Voyages sans nombre, dangers au passage des fleuves, dangers des voleurs, dangers de mes com­patriotes, dangers des gentils, dangers des cités, dangers des déserts, danger de la mer, dangers des faux-frères ; travail, fatigues, veilles continuelles, faim et soif, jeûnes fréquents, froid, nudité, j’ai tout enduré» (2 Co 11, 26-27) ! Comme vous le voyez, très chers Frères, vous n’êtes pas des étrangers dans l’histoire de l’Evangile, de l’Eglise. C’est précisément pour ces raisons que vous nous êtes aussi chers !

Et alors voici nos vœux qui se développent sur deux plans : sur le plan humain pour que vous puissiez vous soutenir, vous aider, avoir une assistance qui pénètre dans votre vie (perfectionnement de l’instruction, des soins sanitaires, de la préparation professionnelle...) ; et sur le plan chrétien que vous puissiez, tou­jours mieux, connaître Dieu, Jésus-Christ, et aussi l’Eglise ; puis, prier chaque jour; être bon, vivre en paix entre vous et avec les autres : précisément en conformité avec les intentions de ce Jubilé qui doit se poursuivre dans le temps, même au-delà des limites de cette année-ci.

Puis, nous voulons encore vous donner l’assurance de ceci: nous vous suivrons ! nous nous souviendrons de vous ! Les bons prêtres qui vous suivent, en liaison avec notre Commission Pontificale pour la Pastorale des Migrations et du Tourisme (où existe une section spécialement organisée pour les Nomades) nous donneront de vos nouvelles, nous informeront sur votre vie, sur vos joies et sur vos peines ; et nous, autant que ce sera possible, nous vous aiderons.

En attendant nous allons dire une prière ensemble, chacun dans sa propre langue ; et vous remerciant de nouveau pour votre visite, nous vous bénissons maintenant, au nom du Père, du Fils et Saint-Esprit.

 

Puis le Saint-Père a salué les Nomades en langues diverses. Aux pèlerins francophones il a dit :

 

A vous tous, chers nomades, à chacun de vous, notre salut cordial, notre prière ! Dieu veille sur vous. Le Christ vous aime, l’Eglise vous accueille : « vous êtes de la maison de Dieu » (Saint Paul, aux Ephésiens 2, 19). Nos souhaits fervents pour la dignité de votre vie humaine, pour votre paix, pour votre bonheur. Notre Bénédiction affectueuse vous accompagne.

 

 

 

29 août

MESSAGE DU SOUVERAIN PONTIFE AU DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’UNESCO

 

A l’occasion de la IX° Journée Mondiale de l’alphabétisation, le St-Père a envoyé a M. Amadou Mahtar M’Bow, Directeur de l‘Unesco, le message suivant :

 

En cette dixième année après la Conférence de Téhéran qui a marqué le point de départ de l’action mondiale pour l’alphabé­tisation, Nous tenons à souligner d’une façon spéciale le rôle majeur joué en ce domaine depuis déjà de longues années par l’UNESCO, aussi bien dans la sensibilisation de l’opinion mondiale à la gravité de ce problème, que dans l’élaboration et la mise en oeuvre de programmes et moyens appropriés, efficaces et adaptés aux besoins de l’homme et du développement.

Nous vous redisons l’appui que le Saint-Siège ne veut cesser d’apporter à ces efforts. L’action pédagogique de l’Eglise tend en effet, à travers l’alphabétisation, à la formation intégrale de la personne et à sa promotion humaine et sociale, cherchant à intégrer ainsi l’individu, de manière consciente et responsable, dans la société à laquelle il appartient. De cette manière, il peut jouir de son droit à participer à la culture de son peuple, et il prend aussi conscience de sa propre mission dans la société.

Les instances responsables du monde catholique, en collaboration aussi avec leurs frères d’autres religions ou qui partagent d’autres convictions, ont déjà fourni une contribution de valeur au succès de cette noble campagne, grâce à des entreprises multiples, aussi variées qu’originales.

Ils ne manqueront pas, à l’occasion de cette neuvième Journée internationale de l’Alphabétisation, de redoubler d’efforts, avec un dévouement renouvelé, pour que l’alphabétisation soit reconnue comme une condition fondamentale de tout développement humain authentique et de tout progrès économique et social. Qu’il Nous soit aussi permis d’insister sur un aspect, particulier sans doute, mais d’importance croissante, de ces efforts : l’alphabétisation des travailleurs migrants.

Des travailleurs en nombre important se trouvent contraints, pour des raisons économiques, de quitter pour longtemps leur pays. Des mesures urgentes s’imposent pour leur permettre de participer pleinement d’abord à leur propre culture d’origine, ensuite pour s’insérer dans la vie sociale et professionnelle du pays hôte. Un réel effort d’alphabétisation sera souvent nécessaire pour atteindre l’un et l’autre de ces objectifs, faute de quoi les travailleurs migrants risquent de se trouver désemparés et à la merci des exploitations les plus diverses. Nous savons combien de générosités se sont déjà mobilisées dans ce domaine, mais il reste encore beaucoup à faire.

Certes, c’est aux nations elles-mêmes qu’il appartient de définir et de promouvoir l’alphabétisation par une politique appropriée. C’est avec une grande satisfaction que Nous voyons se développer en ce sens de multiples réalisations qui peuvent servir d’exemple et de modèle. Toutefois, le problème est vaste et nécessite la col­laboration de tous, par delà les frontières culturelles et territoriales. La solidarité internationale invite à apporter, en particulier aux pays les moins favorisés, toute aide utile, qu’il s’agisse d’appuyer directement la réalisation de programmes bien déterminés, ou de partager des expériences permettant une amélioration des méthodes ou une évaluation exacte de leur mise en oeuvre. Nous connaissons et Nous apprécions l’action persévérante poursuivie en ce sens par l’UNESCO, et c’est pourquoi Nous suivons avec un intérêt particulier la réalisation des projets et des programmes établis pour les prochaines années afin de chercher à résoudre dans son ensemble le grave problème de l’alphabétisation dans le monde.

A l’occasion de la célébration de cette Journée internationale de l’Alphabétisation, Nous vous redisons nos vœux pour cette noble tâche qui s’inscrit si bien dans la mission spécifique de l’UNESCO et qui, par delà tant de douloureuses divisions, mani­feste le souci commun de l’humanité d’assurer un plus authentique épanouissement de l’homme.

 

Du Vatican, le 29 Août 1975.

 

paulus PP. VI

 

 

 

14 septembre

L’HÉRITAGE D’ELISABETH SETON : UN TÉMOIGNAGE DE FOI ROBUSTE ET DE PUR AMOUR ENVERS DIEU, L’EGLISE ET LE PROCHAIN

 

L’homélie du Saint-Père

 

Oui, Vénérables Frères, fils et filles bien-aimés, Elisabeth Anne Seton est sainte !

Nous nous réjouissons et sommes profondément émus, que notre Ministère Apostolique nous autorise à faire cette déclaration solen­nelle face à vous ici présents, face à la Sainte Eglise Catholique, face à nos frères chrétiens, du monde entier, face à tout le peuple américain et face à toute l’humanité. Elisabeth Anne Bayley Seton est une sainte !

C’est la première fille des Etats Unis d’Amérique à être glorifiée de ce titre incomparable !

Mais qu’entendons-nous par sainte ?

Nous avons tous une idée de la signification de cette très haute distinction; mais il nous est cependant difficile d’en faire l’analyse exacte. Etre saint, cela signifie être parfait, d’une perfection la plus haute qu’un être humain puisse atteindre. Un saint est une créa­ture humaine, pleinement conforme à la volonté de Dieu. Un saint est une personne qui élimine tout péché principe de mort — et qui le remplace par la splendeur vivante de la grâce divine. L’ana­lyse du concept de sainteté nous amène à reconnaître dans une âme la rencontre de deux éléments bien différents, mais qui concourent à produire tous deux, un effet unique : la sainteté. L’un de ces éléments est l’élément humain et moral porté jusqu’au degré d’héroïsme ; les vertus héroïques sont toujours requises par l’Eglise pour reconnaître la sainteté d’une personne. Le second est l’élément mystique qui exprime la mesure et la forme de l’action divine chez la personne choisie par Dieu pour réaliser en elle-même — toujours de façon originale — l’image du Christ (cf. Rm 8, 9).

La science de la sainteté est donc la plus intéressante, la plus variée, la plus surprenante et la plus fascinante de toutes les études faites sur cet être toujours plus mystérieux qu’est l’homme.

L’Eglise a fait cette étude dans la biographie, c’est-à-dire dans l’histoire interne et externe d’Elisabeth Anne Seton. L’Eglise a exulté d’admiration et joie, et a senti son propre charisme de vérité et de foi, se dégager de l’exclamation faite à Dieu et de l’annonce faite au monde : c’est une sainte !

Nous ne ferons pas maintenant la panégyrique, c’est-à-dire le récit qui glorifie la nouvelle sainte. Nous connaissons déjà sa vie et nous aurons encore l’occasion de l’étudier. Cela sera un des élé­ments les plus valables de la nouvelle sainte : la connaître pour admirer en elle l’être humain extraordinaire ; pour louer Dieu qui se rend admirable dans ses saints ; pour imiter son exemple que cette cérémonie place dans une lumière d’édification permanente ; pour invoquer sa protection maintenant que nous avons la certi­tude de sa participation dans cet échange de vie céleste dans le corps mystique du Christ que nous appelons la Communion des Saints et à laquelle nous aussi nous appartenons durant toute notre vie terrestre.

Nous ne parlerons pas de la vie de notre sainte. Ce n’est ni le moment ni le lieu pour une commémoration convenable.

Mais laissez-nous mentionner la liste des titres dont une telle commémoration doit être tissée.

Sainte Elisabeth Anne Seton est américaine. Et nous le disons avec une joie spirituelle et avec l’intention d’honorer cette terre et cette nation où elle a merveilleusement fleuri dans le calendrier de tous les saints. Tel est le titre que le défunt Cardinal Spelman, Archevêque de New York lui reconnaissait comme caractéristique première dans sa préface originale écrite pour le volume : « Elisa­beth Anne Seton était une vraie Américaine » écrit par le Père Dirvin.

Réjouis-toi, dirons-nous à la grande nation des Etats Unis d’Amé­rique ; réjouis-toi pour ta glorieuse fille ; sois-en fière et sache en garder le précieux héritage. Elle, ce très beau visage de sainte fem­me, présente au monde, à l’histoire, l’apologie d’une nouvelle et authentique richesse qui est tienne : la spiritualité religieuse que ta prospérité temporelle semblait mépriser et rendre presque impos­sible. Ta terre aussi, Amérique, est bien digne d’accueillir dans son sol fertile la semence de la sainteté évangélique. Et c’est là la preuve éclatante — parmi tant d’autres — de ce fait. Puissiez-vous toujours cultiver cette naturelle fécondité de sainteté évangélique et expéri­menter comment — loin de rendre stérile le développement de ta florissante vitalité économique, culturelle et civile, — elle en sera, à sa manière, la sauvegarde infaillible.

Sainte Elisabeth Anne Seton est née, a grandi, et a été élevée religieusement à New York dans la communauté épiscopalienne. C’est à cette Eglise que va le mérite d’avoir éveillé et nourri son sens religieux et le sentiment chrétien, dont la jeune Elisabeth était naturellement dotée et qu’elle manifestait par les sentiments vifs et spontanés : nous reconnaissons volontiers ce mérite, et sa­chant combien a coûté à Elisabeth son passage à l’Eglise catho­lique, nous admirons son courage pour la cohérence de son adhésion, à la vérité religieuse, à la réalité divine qu’elle a ainsi manifestée ; c’est ainsi que nous voyons avec satisfaction que de cette même adhésion à l’Eglise catholique, elle a éprouvé une grande paix et une grande sécurité, elle a trouvé naturel de con­server tout ce que son appartenance à la fervente communauté épiscopalienne lui avait enseigné de bon, spécialement dans les si belles expressions de la piété religieuse et elle a toujours apporté la fidélité de son estime et de son affection aux personnes dont son adhésion à la foi catholique l’avait douloureusement séparée. C’est pour nous un motif d’espoir et un présage de rapports oecu­méniques toujours meilleurs que de noter la présence à cette cé­rémonie de personnalités distinguées de l’Eglise épiscopalienne auxquelles interprétant les sentiments de la nouvelle sainte — nous apportons notre salut déférent et nos vœux.

Nous devons ensuite observer qu’Elisabeth Seton fut mère de famille et en même temps fondatrice de la première congrégation religieuse féminine aux Etats Unis. Bien que cette condition sociale et ecclésiale qui était la sienne ne soit pas unique ou nouvelle (nous pouvons citer par exemple sainte Brigitte, sainte Françoise Romaine, sainte Jeanne de Chantal, sainte Louise de Marillac) elle se distingue toutefois par sa féminité au point que, au moment où cette femme est élevée par l’Eglise Catholique aux suprêmes honneurs, il nous plaît de relever la coïncidence heureuse entre cet événement et l’initiative des Nations Unies : l’Année Internationale de la Femme. Ce programme tend à promouvoir la compréhension du devoir qui incombe à tous de reconnaître le rôle véritable de la femme dans le monde et de contribuer à sa promotion authentique dans la société. Nous sommes heureux, en outre, du lien qui s’est ainsi établi entre ce programme et la canonisation d’aujourd’hui par laquelle l’Eglise place Elisabeth Seton au rang le plus élevé, en faisant l’éloge de sa contribution personnelle en tant que femme — d’épouse, de mère, de veuve et de religieuse. Notre vœu sera que le dynamisme et l’authenticité de sa vie soient un exemple pour notre temps — comme pour les générations futures — exemple que les femmes devront et pourront suivre dans l’accomplissement de leur rôle pour le bien de l’humanité.

Nous devons enfin rappeler comme le caractère le plus notable de notre sainte, le fait qu’elle était, comme nous le disions, la fon­datrice de la première congrégation religieuse aux Etats Unis, un bourgeon dérivé de la famille de Saint-Vincent de Paul, qui plus tard s’est diversifié en diverses branches autonomes — dont les cinq principales répandues dans le monde se reconnaissent aujour­d’hui dans le premier groupe institué personnellement par Sainte Elisabeth : les Sœurs de la Charité de Saint-Joseph à Emmitsburg dans l’Archidiocèse de Baltimore. L’assistance aux pauvres et les écoles paroissiales en Amérique furent à l’origine les activités hum­bles, pauvres, courageuses, de cet institut.

Ce souvenir qui constitue le noyau central de l’histoire terrestre et de la renommée mondiale de l’œuvre de Mère Seton mériterait un exposé bien plus large, nous pensons que ses filles spirituelles se chargeront de faire connaître son oeuvre comme elle le mérite.

C’est pourquoi nous adressons notre salut spécial et cordial aux filles de cette sainte en formant le vœu qu’elles puissent être fidèles à leur institution sainte et providentielle, qu’elles puissent accroître leur ferveur et leur nombre toujours dans la conviction d’avoir choisi et suivi une vocation sublime, digne d’être servie par le don total de leur cœur et de leur vie dans le souvenir de l’exhortation suprême de leur sainte fondatrice, prononcée sur son lit de mort comme un testament céleste, le 2 janvier 1821 : « Be Children of thé Church » (Soyez filles de l’Eglise) et nous ajou­terons : « for ever » (pour toujours).

A tous nos fils et filles des Etats Unis et à l’Eglise de Dieu toute entière, nous confions, au nom du Christ l’héritage glorieux d’Elisabeth Anne Seton. C’est avant tout un héritage ecclésial de foi robuste et de pur amour envers Dieu et le prochain — foi et amour nourris aux sources de l’Eucharistie et de la Parole de Dieu. Oui, vénérés confrères, fils et filles bien-aimés, Dieu vrai­ment est admirable dans ses saints, que Dieu soit béni pour toujours.

 

 

 

20 septembre

LE MESSAGE DU SOUVERAIN PONTIFE POUR LA JOURNÉE MISSIONNAIRE MONDIALE

 

Missionnaires, hommes et femmes,

 

C’est à vous que nous adressons cette année notre habituel message de la « Journée Missionnaire », assuré que nous sommes d’être, ce faisant, l’interprète de toute l’Eglise catholique et très certain que vous, bien chers Fils et Filles dispersés sur toute la terre à cause de votre vocation, de votre « mission », qui est de diffuser dans le monde l’Evangile de Jésus-Christ, la religion de la Vérité et du salut, nous écouterez volontiers.

Notre message n’est pas seulement pour vous, Missionnaires hommes et femmes, mais à vous !

 

1. Nous voulons avant tout vous rappeler que cette année est l’Année Sainte, l’année du Jubilé, l’année de la pénitence, de la conversion, du pardon, de la purification, du retour à Dieu, de la conscience chrétienne, de la force des bonnes résolutions, de la paix intérieure. Pour résumer le sens et le but de cette année par­ticulière et sainte, nous lui avons assigné une double finalité à la fois large et très simple, en la définissant l’année du renouveau et de la réconciliation ; renouveau voulons-nous dire, au sens re­ligieux, spirituel, moral, idéal ; et réconciliation, c’est clair, avec Dieu, avec le Christ, avec l’Eglise et, autant que possible, avec tous les hommes, c’est-à-dire avec notre prochain, avec les per­sonnes hostiles ou antipathiques, avec les ennemis de toute sorte (chose difficile, certes, mais voulue du Seigneur — cf Mt 5, 44 ; 6, 12 ; 18, 35 ; Rom 12, 14 ; 1 Co 4, 12 ; Ac 7, 60 etc.). Eh bien ! nous désirons que vous aussi, Fils éloignés dans l’espace mais d’autant plus proches à notre cœur, soyez spirituellement associés a cet événement de réveil religieux conscient et vigoureux, dans la foi et dans la grâce ; nous vous considérons tous comme étant présents.

 

2. Oui ! et aussi parce que, parmi les Pèlerins accourus à Rome pour le Jubilé de l’Année Sainte, nous avons vu, avec un immense plaisir et une grande émotion, des foules et des foules de Fidèles de vos missions. O quelle joie, quelle espérance nous ont apportées ces nouveaux Chrétiens, témoins vivants de votre intense labeur missionnaire. Nous avons béni le Seigneur, qui a étendu son règne à vos régions, ô braves et valeureux Mission­naires ; et nous vous félicitons et remercions pour ces fruits de votre apostolat ; que le Seigneur vous réconforte et vous bénisse !

 

3. Ainsi s’est ravivé en nous la pensée de votre activité missionnaire, bien plus de la situation missionnaire, nouvelle et difficile, dans laquelle vous vous trouverez souvent. Jadis, la grande difficulté qui faisait obstacle à l’œuvre missionnaire était la pénétration au sein de régions, chez des peuples, dans des condi­tions d’extrême difficulté, de méfiance, d’hostilité, de périls devant les pas audacieux et inexpérimentés du Missionnaire; aujourd’hui, à ces obstacles s’en est ajouté un autre, peut-être encore plus grave, c’est la permanence en ces régions qui, réveillées à la conscience de la civilisation, de leur propre tradition indigène, quelle qu’elle soit, n’apprécient plus la présence et l’activité du Missionnaire étranger venu d’autres Pays et qui souvent est suspecté de colonialisme, regardé comme exploiteur, comme porteur d’une civilisation étrangère et dominatrice. Une conscience nationale est également née en beaucoup de territoires où travaillent les Missionnaires et où leur qualification n’est plus appréciée, comme si elle était contraire à ce qu’on appelle l’authenticité .des coutumes et de la religion, traditionnelles de la Population locale. D’où la grande objection, la grande opposition:! le Missionnaire n’est pas nécessaire, il n’est plus nécessaire. Cet obstacle revêt les formes les plus insidieuses, les plus radicales et, pour le Missionnaire, les plus pénibles, c’est-à-dire les formes de préjugés et de doctrines : souvent elles se traduisent en un langage païen et hérétique; plus souvent ingrat et hostile. L’Evangile ne nous re garde pas, disent en certaines régions les Indigènes ; il n’est pas indispensable, il n’est pas pour notre tradition, notre race ; l’époque des Missions est révolue !

Le Missionnaire pleure. Non pas tant pour le refus qu’on lui oppose à lui, mais au Christ. C’est le doute sur l’inutilité du sacrifice qu’il a fait de toute sa personne vie, famille, amour, profession, santé, patrie — tout serait inutile et tout est déprécié, tout est vain et rejeté ! La Mission est contestée dans son principe fondamental, dans sa raison d’être, dans son caractère de nécessité absolue, d’annonce heureuse et indispensable de la bonne nou­velle.

 

4. Nous voudrions, en ce retour de la Journée Missionnaire, avec la même conviction que vous — Missionnaires, hommes et femmes — avez déjà au cœur, vous confirmer dans la certitude de votre vocation : la Mission, c’est-à-dire l’annonce de l’Evangile à tous les peuples, n’est pas dépassée, n’est pas de soi facultative ; elle est fondée sur la théologie du salut, sur l’autorité perpétuel­lement affirmée de l’Eglise et sur la documentation récente et solennelle du Concile Vatican II. Non, hérauts chers et vénérés de l’Evangile auprès des Peuples non encore associés au Corps mystique du Christ qui est l’Eglise, votre choix n’est pas erroné, votre effort n’est pas vain, votre sacrifice, quel qu’en soit le ré­sultat, n’est pas une faillite.

 

5. Nous voulons aussi vous dire, Fils et Filles, tous très chers dans le Christ, que vous n’êtes pas seuls. L’Eglise est avec vous. Oui, nous voulons espérer que toute l’Eglise catholique, en pre­nant connaissance de notre parole, voudra l’honorer en y adhérant. Nous sommes certain que notre voix aura un écho dans le cœur de chaque fidèle, au profit de nos Missions très aimées. C’est pour­quoi nous nous adressons maintenant à nos Prêtres, spécialement à ceux qui ont charge d’âmes, aux Curés, aux Fidèles, à ceux qui réfléchissent davantage et comprennent mieux le mystère de la sainte Eglise de Dieu, aux contemplatifs, à ceux qui souffrent, aux âmes innocentes, pour implorer leur solidarité à l’égard de la cause missionnaire, leur compréhension, leurs sens des respon­sabilités, leur communion avec vous, Frères et Sœurs, qui, pour porter aux Peuples lointains le nom et le salut du Christ, vous êtes faits les agents de transmission, au nom de toute la commu­nauté ecclésiale, d’une activité surprenante et gratuite, ignorée et héroïque, qui vous coûte un don de soi sans nulle réserve, l’activité missionnaire.

 

6. Aux Evêques, nos Frères dans la charge pastorale, nous nous adressons de façon spéciale, nous faisant l’avocat, humble mais autorisé, de votre cause, Missionnaires hommes et femmes, afin que, grâce à leur prière efficace, avec le sens de leur responsabilité universelle, avec les charismes de leur doctrine et de leur charité et aussi avec leur aide économique et matérielle généreuse, ils viennent toujours plus à votre secours. Eux connaissent et comprennent le moment actuel des Missions ; c’est un moment grave et urgent, comme l’est chaque moment de l’histoire de l’Eglise et de la civilisation, mais aujourd’hui le moment est particulier et peut-être décisif pour la vie et l’expansion de nos Missions ; oui, à celles-ci s’opposent de nouveaux et parfois insurmontables obstacles, mais en même temps s’ouvrent et même toutes gran­des de nouvelles portes pour une présence missionnaire consacrée à l’éducation et à l’assistance, présence qui d’elle-même constitue un témoignage évangélique et pourra devenir demain un ministère re­ligieux.

Et voici que notre exhortation se dirige, avec une paternelle ins­tance, vers les Supérieurs et Supérieures des Familles religieuses, pour qu’ils veuillent conserver et intensifier leur intérêt pour les Missions, visant particulièrement à vous prodiguer, à vous Mis­sionnaires hommes et femmes qui êtes déjà dans les lignes les plus avancées de l’évangélisation, ce qu’ils ont, eux et elles, de plus précieux, à savoir: de nouvelles vocations, de nouveaux Frères et de nouvelles Sœurs, qui viendront soutenir et étendre l’efficacité de votre labeur.

 

7. Pourtant, les problèmes missionnaires ne sont pas ainsi épui­sés, ni les vôtres à vous qui militez aux frontières de l’Eglise, ni les nôtres à nous des lignes arrières qui formons le champ de l’Eglise déjà constituée et vivante de la tradition.

Voulons-nous être attentifs aux deux situations, la vôtre et la nôtre, avec un regard ouvert et courageux ? Les deux situations ont un besoin commun : celui de la conscience missionnaire, que l’Eglise a développé ces derniers temps et que le Concile a tra­duit en termes théologiques et modernes. Il s’agit maintenant d’approfondir cette doctrine missionnaire pour y découvrir la ra­cine même du plan divin de salut ; c’est la doctrine essentielle et vitale, non seulement complémentaire et facultative  c’est l’effort normal et infatigable que le Peuple de Dieu, l’Eglise, doit accom­plir pour réaliser le programme qui la définit : être apostolique et universelle.

Puis les tâches se différencient: la vôtre, celle de la Mission locale est un problème complexe de méthode pour savoir comment fonder, faire croître la jeune communauté ecclésiale ; la nôtre, destinée au soutien des Missions, est principalement un problème d’hommes et de moyens : comment recruter et former des Mis­sionnaires ? comment subvenir à leur besoins, leur donner les pos­sibilités d’action et de développement ? Eh bien ! vous, nous, l’Eglise tous ensemble avons conscience des énormes problèmes qu’il nous faut ainsi résoudre ; mais ces problèmes, vus dans la lumière du Christ en laquelle ils se posent et croissent jusqu’à l’invraisem­blance, loin de nous épouvanter, nous remplissent d’énergie et d’imagination pour les résoudre, quand la confiance en la Provi­dence nous soutient, quand votre exemple, Frères et Sœurs dans les Missions, nous exhorte et nous stimule et quant ici, dans les communautés ecclésiales constituées, dans nos l’Eglises, résonne la prodigieuse parole du Seigneur : « Toutes les fois que vous avez fait du bien à l’un de ces plus petits de mes frères (...Jésus parle ainsi de vos fidèles possibles), c’est à Moi-même que vous l’avez fait » (Mt 25, 40).

Chers Missionnaires hommes et femmes ! ce sont ces paroles (ou d’autres équivalentes) que dans toutes nos Eglises, à l’occa­sion de la « Journée Missionnaire » nous ferons encore retentir par fidélité au Christ Seigneur et à cause de l’affection que nous vous portons en son Nom.

Ayez confiance ! L’Eglise est avec vous !

Et à vous tous va la bénédiction du Pape, votre ami, votre serviteur.

 

paulus PP. VI

 

 

 

24 septembre

RÉSOUDRE LE PROBLÈME DE L’HABITATION SELON LES IMPÉRATIFS DE LA JUSTICE

 

Le 24 septembre dernier, le Saint-Père a reçu en audience M. Penalosa, Secrétaire Général des Nations Unies pour les Etablissements Hu­mains. Au cours d’une brève allocution il lui a exprimé quelques-unes de ses idées au sujet de la conférence qui se déroulera à Vancouver l’an prochain. Voici, en traduction le texte de cette allocution :

 

Monsieur le Secrétaire Général,

 

C’est avec grand plaisir que nous saisissons l’occasion qui s’of­fre à nous pour vous dire l’importance que nous attri­buons à la Conférence des Nations Unies sur les Etablissements humains qui doit se tenir l’an prochain à Vancouver et pour vous exprimer notre vive satisfaction pour l’ardeur et la compétence avec lesquelles vous assumez la responsabilité de sa préparation. Le problème du milieu humain est un des plus urgents et des plus graves qui se présentent aujourd’hui à l’humanité. Au cours des années prochaines, les conditions générales du milieu humain vont changer dans de nombreux pays; non seulement dans les zones urbaines, mais tout autant dans-les campagnes et dans les diver­ses formes de la vie rurale. La rapide croissance de la population, sa concentration, l’exode accéléré des populations rurales vers les villes ; les transformations de la vie économique, un régime nou­veau de mobilité humaine, l’extension à toute la population d’une instruction de base et de majeures possibilités culturelles consti­tuent, à notre avis, les principaux facteurs de ce changement. L’ins­piration si légitime de l’homme à une meilleure qualité de vie implique la possession d’une demeure qui ne soit pas simplement un abri contre les intempéries, mais qui permette à l’homme sa propre réalisation dans ses besoins matériels, culturels et spirituels et contribue, de cette manière, au perfectionnement de ce qu’il y a de plus humain dans l’homme.

Quelque diverses que puissent être ses formes, l’habitation doit, pour être véritablement humaine, satisfaire à des exigences fon­damentales trop peu reconnues jusqu’à présent. Ces exigences sont de deux espèces : les unes ont trait à la vie privée, personnelle et familiale ; les autres à la vie sociale. En premier lieu, il faut que l’habitation garantisse la possibilité d’isolement, de calme, d’in­timité, indispensables tant à la vie personnelle qu’à la vie familiale. Il faut assurer aux familles des logements proportionnés au nombre des enfants, de manière à favoriser une vie normale et rendre possible le développement culturel et spirituel de chacun, sans recourir, à une limitation des naissances. D’autres exigences se réfèrent à la nécessité d’ouverture, de rencontres, d’échanges et d’enrichissement mutuel. Tout cela implique une conception ap­propriée des villes, des centres habités, des populations et de leur répartition dans l’espace.

Il est vrai que la seule disposition d’un logement approprié ne suffit pas à satisfaire à ces exigences. Sont également néces­saires des installations affectées à des services collectifs, les uns d’ordre matériel, les autres qui répondent aux besoins culturels et spirituels. De semblables équipements doivent fournir à l’indi­vidu comme à la famille les services qui manquent dans l’habita­tion ; en même temps ils doivent offrir l’occasion de rencontres, de contacts qui répondent aux exigences d’ouverture de la vie privée et permettent des formes de vie sociale plus personnalisées. Quelques-uns de ces équipements méritent une mention spéciale et à cause de leur importance humaine et sociale et parce qu’ils sont le plus souvent négligés : les garderies d’enfants qui accueil­lent ceux des femmes qui travaillent ; les terrains et installations sportives ; les foyers culturels ; les foyers pour vieillards ; des cen­tres de réunion pour diverses catégories d’habitants et principale­ment pour la jeunesse. Dans ce contexte il faut prévoir les lieux de culte, car l’homme a des besoins spirituels qui ne trouvent leur entière satisfaction que dans leur expression sensible et com­munautaire.

Toutefois, si désirable qu’il soit de pouvoir offrir aux hommes une habitation qui réponde le mieux possible à leurs aspirations légitimes, il est évident qu’en matière d’établissement humain il faut donner la priorité absolue aux moyens propres à garantir à tous les conditions minimum qu’exigé une vie décente. Nous sa­vons qu’actuellement, dans la majorité des cas, ces exigences ne sont pas satisfaites et que la réalisation d’un milieu humain adé­quat demeure un des problèmes sociaux les plus graves. Nous pensons au grand nombre d’êtres humains qui se trouvent encore sans logis ou ne disposent que de taudis misérables, dépourvus des commodités les plus élémentaires, comme ceux que nous vo­yons proliférer dans la périphérie des grandes villes. Nous pen­sons tout spécialement au grand nombre de familles de jeunes, de vieillards, de travailleurs émigrés qui doivent s’adapter à des conditions indignes de l’homme. Ces situations sont d’autant plus pitoyables que, souvent, à peu de distance de ces quartiers mi­sérables, de somptueuses résidences font étalage de leur luxe ; sans oublier que ces déplorables situations sont aggravées par tous ceux qui se livrent à des spéculations en matière immobilière pour en retirer des bénéfices abusifs.

Mettre fin à cet état de choses constitue une des plus impé­rieuses et des plus urgentes exigences de la justice, car le droit à l’habitation est un des droits fondamentaux de l’homme.

Nous nous réjouissons, Monsieur le Secrétaire Général de voir figurer au programme de la conférence l’étude des moyens pro­pres à créer un milieu qui réponde pleinement à toutes les exi­gences de l’homme. Vous pouvez compter sur tout notre appui pour que cette conférence des Nations Unies sur les Etablisse­ments Humains puisse contribuer à préparer pour tous les habi­tants de la terre un milieu convenable et authentiquement humain.

 

 

 

28 septembre

HOMÉLIE DU PAPE À LA CANONISATION DE JEAN MACIAS

 

Comme nous l’avons annoncé dans le dernier numéro, voici le texte traduit de l’homélie que le Saint-Père a prononcée au cours de la solen­nelle canonisation de Saint Jean Marias, sur la Place Saint-Pierre.

 

Vénérables Frères et Fils bien-aimés !

 

L’Eglise, aujourd’hui, se sent inondée de joie. C’est la joie de la mère qui assiste à l’exaltation d’un de ses fils. Et si précisément la Mère-Eglise se réjouit d’une manière toute particu­lière, c’est qu’il s’agit d’un fils humble, qui durant sa vie n’a jamais brillé de l’éclat de la science, du pouvoir, de la notoriété humaine, de tout ce qui constitue la grandeur aux yeux du monde.

Ce matin, l’Eglise entend retentir de nouveau les paroles insi­nuantes et merveilleusement étonnantes du Maître qui proclama de manière claire et nette sa préférence pour les classes les plus humbles et les plus pauvres : « Bienheureux les pauvres en esprit ! ».

A l’écoute éternelle, attentive de son divin Fondateur et en indéfectible fidélité à son Message, l’Eglise fixe aujourd’hui les yeux sur une figure singulière, synthèse sublime des vertus évangéliques : Jean Macias, de Ribera de Fresno en Espagne. Humble berger durant 27 années ; émigré sans ressources au Pérou ; pen­dant 25 années, simple frère portier du couvent des Dominicains de la Magdalena à Lima. Voilà le nouveau Saint à qui l’Eglise rend aujourd’hui son tribut d’exaltation suprême, après l’avoir déclaré Bienheureux le 22 octobre 1837. Dans cette glorification, tout comme dans celle d’autres modestes figures, telles le Saint Curé d’Ars, Saint François d’Assise, Saint Martin de Porres et tant d’autres, se révèle clairement l’amour sans réserve ni distinction de l’Eglise qui valorise et tient pour égaux les mérites cachés des grands et des petits, des pauvres comme des riches, éprouvant peut-être une plus grande joie à pouvoir élever les plus pauvres, reflets plus vifs de la présence et de la prédilection du Christ.

Faute de temps, nous ne pourrons exalter comme le mériterait l’humble et grande figure de Jean Macias qu’avec l’aide du Sei­gneur et en plein exercice de notre magistère ministériel, nous avons inscrit au catalogue des saints. Nous ferons simplement al­lusion aux sentiments qui se sont emparés de notre âme durant cet acte solennel. En canonisant Saint Jean Macias, il nous sem­blait interpréter les intentions du Seigneur qui, de riche s’est fait pauvre afin de nous enrichir de sa pauvreté (cf. 2 Co 8, 9) ; qui, de condition divine, s’anéantit lui-même, prenant condition de serviteur (cf. Ph 2, 7) ; qui fut envoyé par le Père pour « ensei­gner les pauvres et libérer les opprimés » (Lc 4, 18), proclama Bienheureux les pauvres d’esprit (Mt 5, 3), indiqua la pauvreté comme condition indispensable pour atteindre la perfection (cf. Mt 10, 17-31 ; Lc 18, 18-27) et rendit grâce à Dieu pour avoir révélé les mystères du Royaume aux plus humbles (cf. Mt 11, 26). Ce sont là les enseignements nettement dictés par le Seigneur et que le Magistère de l’Eglise nous propose aujourd’hui, les illus­trant d’un exemple concret de l’histoire ecclésiale.

Jean Macias qui fut pauvre et vécut parmi les pauvres est un témoignage éloquent, admirable, de pauvreté évangélique : le jeune orphelin qui, avec sa modeste paye de berger, assiste les pauvres « ses frères », leur communique en même temps sa foi ; l’émigrant qui, guidé par son protecteur Saint Jean l’Evangéliste, ne va pas à la recherche de richesses comme tant d’autres, mais pour que s’accomplisse en lui la volonté de Dieu ; le garçon d’auberge et le surveillant de pâturage qui prodigue secrètement sa charité en faveur des nécessiteux, en même temps qu’il leur apprend à prier ; le religieux qui fait de ses vœux une forme éminente d’amour envers Dieu et envers le prochain ; qui organise dans sa loge de portier une vie très intense de prière et de pénitence, l’assortissant d’une assistance directe, d’une distribution de vivres à une véritable armée de pauvres ; qui se prive d’une grande partie de sa propre nourriture pour la donner à celui qui a faim en qui sa foi découvre la présence palpitante du Christ Jésus. En un mot, la vie tout entière de ce « Père des pauvres », des orphelins, des miséreux, n’est-elle pas une démonstration palpable de la fécon­dité de la pauvreté évangélique, vécue dans toute sa plénitude ?

Lorsque nous disons que Jean Macias était pauvre, nous ne nous référons certainement pas à une pauvreté — que Dieu ne pourrait demander ni bénir — une pauvreté équivalente à une coupable misère ou à une inertie incapable de conquérir un juste bien-être, non ! nous parlons de cette pauvreté, riche de dignité, qui doit chercher l’humble pain de la terre comme fruit de la propre activité. Avec quelle exactitude, quelle efficacité, il se consacra à ses devoirs, avant de devenir religieux comme après ! Ses patrons comme ses supérieurs en ont donné un lumineux témoignage. Ce fut toujours de ses propres mains qu’il voulut ga­gner son propre pain, le pain pour ses frères, le pain pour sa cha­rité multipliée. Ce pain, fruit d’un effort socialement créateur et exemplaire, qui personnalisa, sauva et configura au Christ, tout en remplissant l’âme de confiance envers le Père céleste qui nour­rit les oiseaux du ciel et vêt les lys des champs et ne manquera pas de donner le nécessaire à ses fils : « chercher d’abord le royau­me de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné en surcroît » (Mt 6, 25-34).

D’autre part la rude tâche de Jean Macias ne distraya pas son âme du pain céleste. Lui qui dès sa plus tendre enfance avait été introduit dans le monde intime de la présence de Dieu, fut toujours, au sein de son activité, une âme contemplative. Les champs, l’eau, les étoiles, les oiseaux, tout lui parlait de Dieu, lui faisait ressentir sa proche présence : « Oh Seigneur, de quelles grâces et de quels cadeaux Dieu m’a-t-il comblé dans ces champs ! » pendant qu’il gardait ses troupeaux. C’est ce qu’il disait, alors qu’il était déjà vieux. Et rappelant sa vie de couvent et ce jardin dans lequel il se retirait souvent pendant les heures de nuit, il dira : « Maintes fois, pendant que je priais la nuit, il arrivait que les petits oiseaux se mettaient à chanter et moi, je pariais avec eux pour voir qui louerait le mieux le Seigneur ». Phrases d’une émouvante beauté poétique qui laissent entrevoir les heures innombrables qu’il con­sacrait à la prière, à la dévotion à la Sainte Eucharistie, à la ré­citation du Rosaire !

Toutefois cette vie intérieure n’a jamais constitué pour Jean Macias une fuite devant les problèmes de ses frères ; au contraire, elle conduisait de la vie religieuse à la vie sociale. Son contact avec Dieu, non seulement ne l’amène pas à se séparer des hommes, mais il l’attire vers eux, vers leurs besoins, avec plus de dévouement, plus de force, pour les assister et les orienter vers une vie plus chrétienne. Et ainsi, il ne fait que suivre les enseignements et les désirs de l’Eglise qui, avec sa prédilection pour les pau­vres et son amour pour la pauvreté évangélique n’a jamais voulu les laisser dans leur difficile situation, mais a toujours cherché à les aider et à les élever à des formes toujours meilleures de vie, plus conformes à leur dignité d’hommes et de fils de Dieu.

A travers ces quelques traits bien limités, apparaît déjà devant nos yeux la figure merveilleuse et si attirante de notre Saint. Une figure actuelle. Un exemple lumineux pour nous, pour notre société.

Evidemment la question économique se présente aujourd’hui avec des caractéristiques bien différentes de celles du temps de Jean Macias. Les nouveaux systèmes de production, l’industria­lisation accélérée, les progrès de la technique et les conquêtes en matière nucléaire et électronique, bien que tout cela ait fait surgir des problèmes assez importants pour l’homme, ont déterminé in­contestablement un progrès des situations économiques et un développement de l’assistance dans de nombreuses régions du monde, mais malheureusement de manière encore trop peu étendue. D’au­tre part, la sensibilité sociale s’est développée fréquemment sur un plan d’humanisme radical, détaché de toute référence au tran­scendent.

C’est dans ce contexte que s’offre à nous, dans toute sa valeur actuelle, le message de Frère Jean Macias. Il ne s’agit pas de con­sidérer l’humilité de sa tâche, mais la manière qu’il eut de l’accom­plir, en s’y livrant tout entier et de façon exemplaire. Il se donna toujours aux autres et c’est dans le don de lui-même à tous qu’il rencontra le Christ. Son travail était une exigence de sa condition d’homme et de chrétien, un exercice de féconde pauvreté, un moyen de pourvoir noblement à sa propre subsistance et à celle des pauvres. Sans jamais prétendre faire de ses expériences une sociologie élaborée ou se convertir en expert de l’économie, il fit tout ce qui était dans ses cordes pour atténuer les besoins et les flagrantes inégalités. En demandant aux riches pour les pauvres il leur apprenait à penser aux autres ; en donnant au pauvre il l’exhor­tait à ne pas haïr. Il allait ainsi, unissant tout le monde dans la charité, travaillant en faveur d’un humanisme total. Et en tout cela, s’il aimait les hommes, c’est qu’il voyait en eux l’image de Dieu. Comme nous aimerions rappeler cela à ceux qui aujour­d’hui travaillent parmi les pauvres et les marginaux ! Il ne faut pas chercher ailleurs que dans l’Evangile ou enfreindre la loi de la charité pour tenter d’obtenir par la violence un peu plus de justice. Il y a dans l’Evangile assez de puissance virtuelle pour faire jaillir des forces renouvelées qui, transformant les hommes au plus intime d’eux-mêmes, les entraînent à changer en tout ce qui est nécessaire les structures sociales pour les rendre plus justes et plus humaines.

Jean Macias sut, au cours de sa vie honorer la pauvreté de deux manières exemplaires : avec la recherche confiante du pain pour les pauvres et avec la recherche constante du pain des pau­vres, le Christ, qui donne réconfort à chacun et conduit vers le but transcendant. Quel merveilleux message pour nous, pour no­tre monde matérialiste, gangrené souvent par un esprit de jouis­sance sans frein, par un profond égoïsme social ! Exemple élo­quent de cette « unité intérieure » que le chrétien doit réaliser dans sa tâche terrestre, l’imprégnant de foi et de charité (cf Mater et Magistra, n. 51).

Bien-aimés Fils, nous ne voudrions pas terminer notre discours sans mentionner quelques-unes des caractéristiques qui marquè­rent harmonieusement la vie de Saint Jean Macias. La première est son origine espagnole ; fils d’une nation qui trouve ses expres­sions les plus hautes et les plus décidées — et tout le peuple en est marqué — dans les figures de ses Saints, tels Saint Domi­nique de Guzman, Saint Ignace de Loyola, Sainte Thérèse d’Avila, Saint Jean de la Croix. Ce sont des noms qu’il suffit de prononcer pour rendre par le fait même un authentique tribut d’hommage à l’Espagne. Un hommage que nous sommes heureux de pouvoir adresser à cette bien-aimée nation et que l’Eglise tout entière, si bien représentée dans le cadre solennel de la Place Saint-Pierre par les milliers de pèlerins venus du monde entier, désire rendre avec nous à cette terre de Saints. C’est une expérience d’heureuse communion ecclésiale, un éclat de spiritualité parmi tous les autres de l’Année Sainte, une manifestation de joie intense et fraternelle. Cette joie pourrait toutefois être plus complète, si ces derniers jours n’avaient pas été assombris par les événements que nous connaissons tous.

Le nouveau Saint continue la tradition comme s’il l’avait reçue par une sorte d’héritage familial. Un héritage qui croît et se dé­veloppe au foyer, dans la vie familiale, dans le milieu social et dans la sensibilité religieuse du peuple. Cette canonisation, n’est-elle pas un événement qui glorifie une si haute, une si noble tra­dition, annonçant en même temps un renouveau de ferveur et de sainteté parmi les fils de cette bien-aimée nation ? C’est là, ce que nous espérons.

La seconde caractéristique de Saint Jean Macias est qu’il de­vint péruvien et que c’est au Pérou qu’il se sanctifia. Alors que de nombreuses personnes se rendaient en Amérique à la recherche de richesses matérielles, le nouveau Saint sut y trouver une ri­chesse spirituelle dont avaient déjà fait leur aliment les premiers saints de ce Continent. Une richesse imprégnée des apports mil­lénaires des premières populations, les Indios, et de ceux des nou­veaux venus, les colonisateurs, auxquels va le mérite de l’évangélisation de ce Continent et que notre Saint fortifia décidément avec sa vie. Depuis lors, quelle vitalité religieuse, malgré ses lacunes et ses imperfections, quel courant de vie spirituelle a marqué l’his­toire de toutes ces nations ! A tous les fils de ces pays nous adres­sons l’exhortation d’être dignes de l’exemple de sainteté qu’a donné Saint Jean Macias.

Et enfin, Saint Jean Macias était un religieux dominicain, membre de cette grande famille qui a donné tant de saints à l’Eglise et dont le travail zélé au service de la vérité a été si unanimement reconnu. Nous lui adressons, en ce jour solennel, un salut tout spécial, l’exhortant à suivre ses grandes traditions de sainteté, à l’exemple de Saint Jean Macias, de Saint Martin de Porres, de Sainte Rosé de Lima, synthèse de la sainteté domini­caine dans les nobles contrées sud-américaines.

Un exemple et une exhortation avec lesquels nous voulons tou­cher tous les membres des autres familles religieuses pour qu’ils éprouvent un élan renouvelé vers les sommets les plus élevés de la proximité divine, du progrès spirituel, du climat où s’entend le plus clairement la voix de Dieu. Et, plaise à Dieu que le nou­veau modèle de sainteté que nous proposons aujourd’hui suscite d’abondantes forces jeunes qui se consacrent sans réserve aux idéaux toujours valables, toujours attirants, de l’Evangile de Notre Seigneur Jésus Christ.

 

 

 

5 octobre

UNE FÊTE DE COMMUNION ECCLÉSIALE AVEC TOUS LES MALADES DU MONDE

 

Nous voici parmi vous, bien-aimés fils que le Seigneur a voulu privilégier — oui, ceci est une certitude pour nous, chrétiens — en vous donnant une preuve d’amour, avec la maladie et la souf­france, en communion intime avec le mystère de sa Croix.

Le premier motif de notre rencontre est précisément ceci : vous répéter ce que vous savez déjà, parce que vous l’avez appris à l’école de la foi chrétienne et, peut-être, plus encore sous l’inspi­ration du Saint-Esprit qui vit dans vos cœurs : pour celui qui croit en Jésus-Christ, les peines et les douleurs de la vie présente sont des signes de grâce et non de disgrâce ; elles sont la preuve de l’infinie bienveillance de Dieu qui développe ce dessein d’amour, selon lequel, comme l’a dit Jésus « le sarment qui porte le fruit, mon Père l’émonde, pour qu’il en porte encore plus » (Jn 15, 2).

Cela ne signifie évidemment pas une invitation irrationnelle à accepter passivement la maladie et à renoncer aux soins pour guérir. Nous ne pourrons jamais remercier assez le Seigneur d’avoir pourvu la nature d’énergies capables de rendre santé et vigueur aux organismes malades et concédé aux hommes la faculté de découvrir certains secrets à utiliser pour soulager leurs frères souffrants. Et nous n’exalterons jamais assez les mérites des savants, des chimis­tes, des chercheurs, de ceux qui, tout au long des siècles, ont trouvé et appliqué, avec un succès croissant, d’opportuns remèdes aux infirmités humaines. C’est pourquoi nous voulons saluer les médecins, leurs assistants et le personnel sanitaire ici présents a vos côtés, chers malades, et les remercier publiquement pour leur oeuvre si noble, inspirée par la charité chrétienne. Nous adres­sons un éloge tout spécial aux Prêtres, aux Religieux et Religieuses qui, dans un esprit éminemment chrétien consacrent toute leur vie au service de ceux qui souffrent ; et nos applaudissements vont également aux personnes et aux institutions spécialisées dans l’as­sistance sanitaire. Etendant, ensuite, nos salutations à tous les médecins, assistants, infirmiers et infirmières de chaque Centre sani­taire du monde entier, nous dirons plus encore : nous voyons resplendir en vous un reflet de la figure de Jésus-Thaumaturge qui, bien souvent, a défini son ministère comme une oeuvre de guérison des malades (Mt 9, 12) et de consolation des affligés (Mt 11, 28) ; de Jésus qui guérissait les malades qui lui étaient présentés (Mt 4, 23 ; 21, 14 ; Lc 9, 11), poussé par la tendre charité qui habitait son cœur, mais aussi par la plénitude même de sa mission salvifique qui s’adressait à tout l’homme, corps et âme.

Nous savons, en effet que, précisément en vertu de là Rédemption, tous les défauts inhérents à la nature humaine ou dérivant des plaies du péché, jusqu’à présent laissés à l’homme comme occasion pour se livrer à des pratiques d’ascétisme et de se conformer au Christ Crucifié (cf. St. Thomas, Summa Th. III, 69, 3) seront un jour effacés, lorsque Dieu essuiera toute larme des yeux : il n’y aura plus de mort, de pleur, de cri et de peine... (Ap 21, 4), et le corps ressuscitera, transfiguré et rayonnant, dans sa nouvelle unité avec l’âme vivifiée dans la gloire de Dieu (cf. Rm 8, 11 ; 1 Co 15, 42 et ss.).

 

« Nous comptons sur votre prière »

 

Mais il nous plaît maintenant de nous adresser à vous, chers Malades et à vous aussi, vous qui les assistez, et de vous parler d’un sujet particulier qui concerne directement la célébration d’au­jourd’hui. Le Sacrement de l’Onction des Malades que nous admi­nistrons aujourd’hui à quelques-uns d’entre vous, a été institué et transmis comme signe efficace de l’amour, rédempteur du Christ qui veut guérir l’homme principalement dans son esprit sans, toute­fois, négliger son corps. En conférant ce sacrement, l’Eglise ne prétend certes pas de se substituer à la médecine; elle est aussi très loin des conceptions ou des pratiques pseudo-religieuses qui aient une affinité avec n’importe quelle forme de superstition. L’Église — vous le savez — agit sur un autre plan : celui, sur­naturel, des sacrements qui sont les signes de l’intervention du Christ, Sauveur et Médecin divin, dans notre vie et dans nos besoins physiques et spirituels. Toutefois, le Sacrement de l’Onction revêt également une signification profondément humaine qui peut se résumer en ces paroles de Saint Paul : « Prenez part aux besoins des saints... pleurez avec qui pleure... essayez de faire le bien... » (Rm 12 13 et ss.). Et comment, devant vous, ne pas faire nôtre, aujourd’hui, l’autre grande parole de l’Apôtre : « Qui est malade, sans que je le sois moi-même ? » (2 Co 11, 29). Et com­ment oublier le témoignage spécifique que l’Apôtre Saint Jacques nous a transmis au sujet de ce sacrement ? « Quelqu’un parmi vous est-il malade ? Qu’il appelle les presbytes de l’Eglise et qu’ils prient sur lui après l’avoir oint d’huile au nom du Seigneur; la prière de la foi sauvera le patient et le Seigneur le relèvera. S’il a commis des péchés ils lui seront remis. » (Jc 5, 14-15).

Evidemment, dans ce sacrement également, l’Eglise considère principalement l’âme, la rémission des péchés et le développement de la grâce divine ; mais, pour autant que cela dépende d’elle, elle désire et entend apporter le soulagement et, si possible même, la guérison du malade.

Nous basant sur la parole du Seigneur, transmise par les Apôtres et animé de leurs propres sentiments de charité, nous avons ré­cemment procédé à la réforme du rite de l’Onction des malades, afin que soit mieux mise en lumière sa finalité intégrale et que l’administration en soit facilitée et étendue — entre de justes limi­tes — même à des cas qui ne sont pas des maladies mortelles.

Et voici, qu’aujourd’hui, en tant qu’humble représentant du Christ Sauveur, nous administrons un sacrement que nous recom­mandons une fois de plus à nos Frères et Fils — aux Evêques et aux Prêtres — auxquels sont confiés les soins pastoraux de cette partie d’élite de l’Eglise que forment précisément les malades.

Il y a toutefois un second motif qui nous a incité à cette af­fectueuse présence, dans l’exercice d’un ministère sacramentel si précieux. Nous voulons vous dire qu’il n’est rien qui, autant que la souffrance et, par conséquent la maladie, vécues chrétiennement (nous préférons dire : vécues, et non : supportées), insère le fidèle dans le cadre de la spiritualité que l’Année Sainte offre au monde. Rien ne les fait mieux participer à ce grand mouvement de renou­vellement et de réconciliation que des millions de pèlerins ont désormais accompli, l’ayant considéré comme fondamental pour leur vie de chrétiens appelés à faire partie du royaume de Dieu. Rien ne les rend mieux aptes à recevoir les ineffables dons de grâce, de pardon et de purification qui sont tout autant des fruits du Jubilé. C’est pourquoi, déjà dans la Bulle Apostolorum Limina, par laquelle nous avons décrété l’Anne Sainte, nous avons rendu possible aux malades — comme à tous les fidèles empêchés pour raison grave de participer au pèlerinage romain — d’obtenir le don de l’indulgence s’ils s’unissent spirituellement aux pèlerins en offrant à Dieu leurs prières et leurs souffrances.

Nous savons que de très nombreux malades se sont unis à leurs frères venus se grouper près des Tombes des Apôtres, ac­complissant ainsi un pèlerinage spirituel, en grande partie invisible, qui constitue sans aucun doute, un fil d’or dans la chaîne de grâce de ce prévoyant événement ecclésial. Comme nous l’avons déjà dit dans notre récent Message à tous les malades du monde « nous croyons que leur réponse généreuse constitue un des élé­ments essentiels du Jubilé actuel, car, de même que toute souffrance s’inscrit dans le mystère de la Croix du Christ, son acceptation cerne encore mieux, dans sa signification la plus profonde, l’esprit de pénitence qui est le propre de chaque Jubilé ».

Mais vous, chers Fils ici présents, vous ne vous êtes pas limités au pèlerinage visible. Vous avez voulu vous trouver avec nous en cette journée du « Jubilé des malades », tout près de la Porte Sainte qui signifié l’accès au Temple de la divine miséricorde, afin de mieux réaliser et manifester l’universelle association au mystère de la Rédemption qui a lieu pendant l’Année Sainte, et pour demander les grâces de la consolation et, Dieu le veuille ! de la guérison ou, tout au moins, de l’adoucissement de vos souffrances; pour de­mander aussi et surtout les grâces de la sanctification dans la maladie et du progrès dans la communion avec le Christ et avec son Corps Mystique. Et voilà un fait qui nous comble de joie et nous encourage dans le ministère apostolique, même au milieu des tri­bulations de l’époque actuelle.

Permettez-nous de vous dire que votre présence ici nous donne la certitude presque expérimentale que les forces du bien, consacrées par l’immolation avec le Christ Crucifié, agissent dans le monde pour le conduire au salut. Qu’il nous soit aussi permis d’ajouter que nous comptons sur vous, sur vos prières, sur l’offrande et la valeur de vos souffrances sur cette fervente célébration elle-même, pour espérer que dans l’intime contexte de l’humanité se produise cet assainissement intérieur qui veut dire sérénité et paix de l’âme, et sans lequel seraient inutiles la santé physique, le bien-être et toute autre satisfaction terrestre. Et s’il vous arrivait parfois de ressentir toute la faiblesse humaine qui accompagne la maladie, et, peut-être, la mélancolie de la solitude, l’insuffisance de l’assistance, ou d’autres tourments et humiliations, veuillez vous rappeler alors l’expérience merveilleuse de Saint Paul qui, affligé de « son épine dans la chair », entendit le Seigneur lui dire : « Ma grâce te suffit ; car ma puissance se déploie dans la faiblesse » (2 Co 11, 8-9). Aussi pouvait-il affirmer de lui-même : « Oui, je me complais dans mes faiblesses, car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » (ibid. 10). C’est cela que nous vous souhaitons de tout cœur, chers Malades, que la force du Christ soit toujours avec vous !

Nous désirons vous confier une dernière pensée parmi tant d’autres que vous nous inspirez avec l’exemple de votre foi.

Si un homme n’est jamais dans une tour d’ivoire; si nous som­mes tous unis dans la solidarité naturelle qui dérive de notre ap­partenance commune au genre humain, à sa vocation et à son histoire ; si « toute âme qui s’élève, élève tout le monde », comme l’a dit, une âme d’élite, Elisabeth Leseur ; si, par-dessus tout, nous, disciples du Christ et membres de son Corps Mystique, sommes unis, par le lien de la charité, aux énergies qui opèrent le salut et aux mérites mêmes qui dérivent du Chef et, pour ainsi dire revi­vent en nous : pensez alors à ce qui arrive quand se réalise la com­munion dans l’offrande des souffrances ! Alors le malade peut ré­péter avec l’Apôtre : « Je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps, qui est l’Eglise » (Col 1, 24). Oui, toute l’Eglise — et avec elle le genre humain tout entier — tire grand profit de vos douleurs transformées par le mystère de la Croix et devenues de ce fait comme un levain dans la communion des Saints.

Nous pensons que tout spécialement la confluence spirituelle aujourd’hui de tous les malades du monde catholique, dont vous êtes en quelque sorte les délégués, établit en ce moment un contact direct avec les mérites et avec les satisfactions offertes au Père par le Christ Rédempteur, de telle sorte que l’Eglise ne peut qu’en tirer un avantage spirituel immédiat, c’est-à-dire une effusion de vie nouvelle, d’unité et d’accroissement intérieur. A présent, donc, vous êtes en train d’aider, vous êtes en train de construire l’Eglise. Quelle ouverture sur le mystère de la douleur ! La fête que nous célébrons en ce moment est une fête de communion ecclésiale avec tous les malades du monde catholique !

C’est pourquoi, tant à vous, ici présents, qu’à vous malades phy­siquement loin, mais unis à nous dans l’onde mystérieuse de la Communion des Saints, à vous tous qui, de manière exemplaire, êtes associés au ministère de l’Eglise pour la rédemption du monde nous disons : Merci !, et nous vous le disons également au nom de nos Frères dans l’Episcopat et dans le Sacerdoce.

Oui, l’Eglise vous est reconnaissante, parce qu’elle reçoit de nom­breux fruits de vos souffrances unies à celles du Christ.

Nous devons, avant de terminer, ajouter quelques mots pour les Pèlerins ici présents, qui se qualifient de manière spéciale comme « Dévots du Saint Rosaire », la belle et célèbre prière que l’Eglise Catholique, fidèle à une tradition qui remonte à Saint Dominique et qui, par la suite, a toujours joui de la faveur de nos vénérables Prédécesseurs et a toujours été cultivée par la piété des fidèles les plus fervents.

Nous leur exprimons notre satisfaction et nos encouragements, faisant nôtre l’exhortation si souvent répétée de notre très véné­rable Prédécesseur Léon XIII qui écrivait, précisément à propos du Saint Rosaire : « Nous considérons comme très opportun, dans les circonstances présentes, de promouvoir de solennelles prières afin que la Vierge auguste, invoquée dans le Saint Rosaire, nous obtienne de Jésus-Christ, son Fils, une aide à la mesure de nos besoins » (Supr. Apostolatus, 1er sept. 1883) ; et nous nous per­mettons de rappeler notre propre exhortation, adressée l’an der­nier (2 février 1974, n. 42) à toute l’Eglise : « au sujet du renouvellement de ce pieux exercice — la synthèse de tout l’Evangile — (Pie XII, AAS 38, 1946, p. 419) a été appelé la Couronne de la Bienheureuse Vierge Marie, le Rosaire ». Puisse la pratique de cet exercice religieux, pieux et privilégié, alimenter la foi et la piété dans chaque âme désireuse de communiquer avec le Christ, moyennant cette filiale et simple conversation avec Sa Mère, avec la Mère de l’Eglise ; qu’il puisse rallumer la sainte coutume de la prière collective, spécialement dans les familles chrétiennes et dans les Communautés religieuses, ainsi que dans les Associations ca­tholiques, les Cliniques etc. Que la Vierge vous protège tous, Fils et Filles « persévérants dans la prière avec Marie, Mère de Jésus » (Ac 1, 14).

Avec notre Bénédiction Apostolique.

 

 

 

11 octobre

UN NOUVEL ÉLAN MISSIONNAIRE DANS LE RESPECT DES CULTURES LOCALES

 

Chers Frères et chers Fils qui participez au Congrès interna­tional de missiologie, soyez les bienvenus ! Votre rassem­blement prend un relief tout particulier : à Rome même, au cœur de l’Année Sainte qui permet à des fidèles de tous les peuples de se réunir et de prier ensemble dans la même foi et chacun dans sa langue, dix ans après le décret Ad Gentes. Ce décret soulignait la nécessité d’une « nouvelle réflexion théologique », pour que la vie chrétienne soit « ajustée au génie et au caractère de chaque culture » (n. 22). N’est-ce pas ce que vous essayez de faire cette semaine, dans les nombreuses sessions minutieusement préparées, avec des maîtres renommés en matière de théologie, d’histoire et de pastorale, que nous sommes heureux de saluer ici ?

Votre programme « évangélisation et culture » veut embrasser les problèmes fondamentaux que pose aujourd’hui l’œuvre mis­sionnaire de l’Eglise. Puissent cette réflexion et ces confrontations apporter aux missionnaires une aide précieuse pour le discerne­ment pastoral et un stimulant pour une évangélisation mieux adap­tée ! Nous ne pouvons reprendre ce matin tous les thèmes étudiés, mais nous voulons avant tout vous manifester notre satisfaction, notre encouragement, notre confiance. Et notre message vous in­vite à un surcroît de foi, de réalisme, d’espérance, d’audace apos­tolique.

Oui, il importe d’abord de tenir ferme aux principes de la foi qui régissent la mission de l’Eglise. Autrement nous risquerions de perdre notre identité de chrétiens dans le dédale des cultures en cherchant à y adapter le message évangélique. Pour ne citer que les axes fondamentaux il faut sans cesse avoir devant les yeux le dessein de Dieu, c’est-à-dire l’alliance des fils en Jésus-Christ, par l’Esprit Saint ; considérer le Christ, source de salut pour tous; l’Eglise, sacrement universel de salut ; la charité, signe par excel­lence des disciples du Christ. Cette révélation, qui est avant tout celle de l’amour de Dieu pour tous les hommes, s’est faite à travers l’histoire et la culture du peuple juif, et a trouvé son achèvement par le Verbe qui s’est incarné au sein de ce peuple : ce donné pri­mitif, consigné dans les Ecritures, demeure intangible, comme la voie voulue par la Providence. Et de même les dogmes que l’Eglise a exprimés à partir de cette Révélation. Ce noyau de la foi transcende toutes les cultures.

Et cependant la réponse de la foi à l’offre de Dieu est toujours celle d’un sujet particulier, inséré dans une culture donnée ; elle s’exprime dans une humanité concrète. Voilà pourquoi il nous faut regarder et accueillir avec réalisme toutes les situations humaines, tous les contextes culturels, qui constituent le terrain providentiel de l’évangélisation. Il s’agit d’abord de transmettre le message de la foi dans un langage adapté à chaque culture ; certes, ce message dépasse toujours ce qui est monté au cœur de l’homme (cf. 1 Co 2, 9) ; il peut même y rencontrer des pierres d’achoppement et demande toujours une conversion ; mais il ne s’enracine et ne produit des fruits qu’en prenant appui sur les pierres d’attente des civilisations ; toutes ces valeurs auxquelles le Christ est venu donner un sens. Le décret Ad Gentes le proclamait en des termes que nous aimons reprendre, et que vous n’avez pas manqué d’approfondir: les jeunes Eglises « empruntent aux coutumes et aux traditions de leurs peu­ples, à leur sagesse, à leur science, à leurs arts, à leurs disciplines tout ce qui peut contribuer à confesser la gloire du Créateur, mettre en lumière la grâce du Sauveur et ordonner comme il faut la vie chrétienne » (n. 22).

Dès lors, notre troisième mot-clef est la confiance : confiance que, parmi les hommes de tout milieu culturel, l’Esprit Saint est déjà à l’œuvre, de façon mystérieuse, et que l’Eglise peut y naître et s’y épanouir, grâce au témoignage des chrétiens, afin que de nou­veaux groupes sociaux enrichissent de leur vitalité propre le corps mystique du Christ. C’est selon la même espérance qu’il nous faut aussi chercher la volonté de Dieu et les chances de salut face aux immenses groupes humains des religions non chrétiennes, et même face aux masses sécularisées qui nous apparaissent plus près de l’athéisme que de la foi.

C’est vous dire enfin l’audace évangélique qui doit tous nous animer, évêques, prêtres, religieux, catéchistes, laïcs, tous appelés à la mission. Certes, plus on est aux avant-postes de l’Eglise, plus il faut être soucieux de l’identité de la foi, de la communion dans l’Eglise, de la Tradition. Et notre mission à nous, successeur de Pierre, nous fait un devoir d’y veiller particulièrement. Mais nous souhaitons que, forts de cette fidélité et de cette unité, tous nos Frères et Fils aillent de l’avant pour promouvoir une sage accultu­ration de la foi, de la liturgie, de l’organisation ecclésiale, de l’action catholique, sous la responsabilité des Pasteurs des Eglises locales, en liaison avec le Saint-Siège. En un mot, il nous faut unir la rigueur dans la foi et l’audace apostolique de Saint Paul. L’apôtre des gentils n’hésitait pas à dire « Malheur à moi si je ne prêchais pas l’Evangile » (1 Co 9, 16), et « Si quelqu’un vous annonce un Evangile différent de celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème » (1 Ga 1, 9) ; mais il avouait aussi « je me suis fait juif avec les juifs... sans-loi avec les sans-loi... je me suis fait tout à tous » (1 Co 9, 20-22) ! Oui, l’Evangile est capable de produire des fruits nouveaux, dans toutes les cultures, et ici, spécialement en cette Année Sainte, nous avons de nombreuses occasions de le constater avec admiration, et de rendre grâce à Dieu.

Que l’Esprit Saint vous éclaire et vous fortifie, qu’il permette à vos travaux de contribuer à un nouvel élan missionnaire. L’Eglise a besoin d’une prospective sage et hardie en ce domaine, et l’humanité attend, sans le savoir ou sans le reconnaître, que le levain du Christ fasse lever sa propre pâte. Notre Bénédiction Apostolique vous accompagne.

 

 

 

12 octobre

L’HOMÉLIE DE PAUL VI À LA CANONISATION D’OLIVER PLUNKETT

 

Dia’s Muire dhibh, a Mann Phâdraig ! céas mile fâilte rômhaibh ! Ta Naomh nua againn inniu : Comharba Phâdraig, Olibhéar Naofa Ploincéad. (Que Dieu et Marie soient avec vous, famille de Saint Patrick ! Cent mille souhaits de bienvenue ! Aujourd’hui, nous avons un nouveau Saint : le successeur de Saint Patrick : Saint Oliver Plunkett !).

Aujourd’hui, Vénérables Frères et chers Fils et Filles, l’Eglise célèbre la plus haute expression de l’amour — la dimension su­prême du chrétien et de la charité pastorale. Aujourd’hui, l’Eglise tressaille d’une joie immense, parce que le sacrifice d’amour de Jésus-Christ, le Bon Pasteur, est reflété et manifesté dans un nou­veau Saint.

Et ce nouveau Saint est Oliver Plunkett, Evêque et Martyr : Oli­ver Plunkett, successeur de Saint Patrick sur le Siège d’Armagh ; Oliver Plunkett, gloire de l’Irlande et, aujourd’hui et à jamais, Saint de l’Eglise de Dieu. Oliver Plunkett est pour tous — pour le monde entier — un extraordinaire exemple de l’amour du Christ.

Et, de notre côté, nous nous prosternons aujourd’hui pour vé­nérer ses reliques sacrées, exactement comme en une occasion pré­cédente nous nous sommes plein d’admiration, agenouillé en prière, devant son tombeau à Drogheda. Les souffrances endurées par Oli­ver Plunkett sont une autre expression du triomphe et de la victoire de la grâce du Christ. Comme son Maître, Oliver Plunkett a sa­crifié volontairement sa vie (cf. Is 53, 7 ; Jn 10, 17). Il la donna par amour et, ainsi, s’associa volontairement de manière très in­time aux souffrances du Christ. Il prononça et effet des paroles telles que : « Je remets mon esprit entre tes mains, Seigneur », « Seigneur Jésus, accueille mon âme ».

Les mérites de la Passion du Seigneur, la puissance de Sa Croix et le dynamisme de Sa Résurrection furent très actifs et manifes­tes dans la vie de ce Saint. Nous rendons grâces à Dieu — Père, Fils et Esprit Saint — qui accorda à Oliver Plunkett le don glo­rieux d’une foi surnaturelle, une foi si intense qu’elle lui donna la force et le courage nécessaires pour affronter le martyre avec sé­rénité, avec joie et avec détachement. Condamné à la peine de mort à cause de sa profession de foi catholique, il reçut selon l’ex­pression de notre Prédécesseur Benoît XV, la couronne de martyr de la foi (cf. Bref Apostolique de Béatification, 23 mai 1920, AAS 12, 1920, p. 238). Et fidèle à l’exemple du Roi des Martyrs, il n’y avait aucune rancœur dans son âme. Mieux, par sa mort, il scella son message même ainsi que le « ministère de la réconciliation » (cf. 2 Co 5, 18, 20) qu’il avait prêché et accompli durant sa vie.

Parmi ses activités pastorales, figura inlassablement l’exhorta­tion au pardon et à la paix. Auprès des partisans de la violence il ne cessa de plaider pour la justice ; il fut toujours l’ami des op­primés, et n’accepta jamais de transiger avec la vérité ou d’excuser la violence : il ne voulait pas admettre qu’on remplace l’Evangile de la paix par un autre. Et lorsqu’il dit avec l’Apôtre Pierre « Ne rendez pas le mal pour le mal » (1 P 3, 9), son témoignage garde toute sa valeur dans l’Eglise d’aujourd’hui.

Quel merveilleux modèle de réconciliation, quel guide sûr pour nos jours ! Oliver Plunkett avait compris avec Saint Paul que « Dieu nous a réconciliés avec Lui par le Christ et nous a confié le ministère de la réconciliation » (2 Co 5, 18). C’est de Jésus lui-même qu’il avait appris à prier pour ses persécuteurs (cf. Mt 5, 44) ; et avec Jésus qu’il avait l’habitude de dire : « Père, par­donne-lui... » (Le 23, 34). Et sur l’échafaud, ses dernières paroles furent, en effet : « Je pardonne à tous ceux qui, directement ou indirectement, sont responsables de ma mort et de mon sang inno­cemment versé ».

Quel exemple en particulier pour tous ceux qui ont des liens spéciaux avec Oliver Plunkett, pour tous ceux dont il a partagé la vie ! Comme un fils illustre d’Irlande, il est l’honneur et la force du peuple qui lui transmit la foi catholique !

En 1647 Oliver Plunkett et ses cinq compagnons étaient con­duits à Rome par le célèbre Oratorien, le R.P. Pietro Francesco Scarampi ; et durant les 22 années suivantes il séjourna dans la Cité de Pierre et de Paul. Comme étudiant au Collège Irlandais, il reste un exemple de force d’âme et de piété pour les séminaris­tes d’aujourd’hui. Pendant 3 années, après son ordination sacerdotale en 1654, il exerça avec les Oratoriens, sa mission pastorale à Saint Jérôme de la Charité, à Rome, et s’occupa de visiter les malades du proche hôpital du Saint-Esprit. Comme ministre de Jésus Christ et serviteur de l’amour fraternel il est un modèle de zèle et de dévouement pour ses frères en sacerdoce dans le monde moderne. Pendant 12 années il enseigna au Collège de Propaganda Fide, et, comme professeur ecclésiastique il est un flambeau de véritable sagesse surnaturelle pour ses confrères d’aujourd’hui.

Et avant tout, Oliver Plunkett fut un Evêque de l’Eglise de Dieu, Primat d’Irlande pendant douze ans. Il fut un vigilant pré­dicateur de la foi catholique, un champion de la charité pastorale qui était nourrie de prières et se manifestait dans sa sollicitude pour ses frères du clergé; une charité pastorale qui s’exprimait dans son zèle pour l’instruction chrétienne de la jeunesse, pour la promotion de l’éducation catholique, pour la consolation de tout le Peuple de Dieu. Tirant sa force de l’inépuisable source de grâce, de la puissance de la Croix — qui est éminemment contenue dans l’Eucharistie, source de toute la puissance de l’Eglise (Sacrosanctum Concilium, 10) et dans laquelle se renouvelle l’œuvre de la Ré­demption — Oliver Plunkett infusa dans son peuple une vigueur nouvelle et ranima l’espérance en un moment d’épreuves et de mi­sères.

Oui Oliver Plunkett est un triomphe de la grâce du Christ, un modèle de réconciliation pour tous et un exemple particulier pour chacun — mais Oliver Plunkett est aussi un maître qui nous en­seigne les suprêmes valeurs du christianisme.

Au moment où le monde entame le dernier quart du vingtième siècle et entre dans les décennies conclusives de ce millénaire, à un tournant décisif pour toute la civilisation chrétienne, le témoi­gnage de Saint Oliver Plunkett proclame devant le monde que le sommet de la sagesse et la « puissance de Dieu » (1 Co 1, 18) se trouvent dans le mystère de la Croix. Et l’Eglise élève la voix en une solennelle affirmation pour authentifier et consacrer ce témoignage, et pour réaffirmer, pour cette génération-ci et pour tous les temps, la réelle prédominance des valeurs évangéliques dans le monde. Le message d’Oliver Plunkett apporte un espoir plus grand que la vie présente ; il montre un amour plus fort que la mort.

Puisse, grâce à l’action du Saint-Esprit,  l’Eglise  tout entière faire l’expérience de sa perspicacité et de sa sagesse et, avec lui, être capable d’entendre le conseil qui nous vient de Saint Pierre : « espérez pleinement en la grâce qui doit vous être apportée par la Révélation de Jésus-Christ » (1 P 1, 13). Puisse l’Eglise le comprendre comme un rappel au renouvellement et à la sainteté de la vie, consciente comme elle l’est, qu’en vertu de la puissance de la Croix, il n’y a pas de limites à ce que peut supporter l’amour (cf. 1 Co 13, 7), et que les souffrances de notre temps elles-mêmes ne peuvent se comparer à la gloire qui nous attend (cf. Rm 8, 18).

Et c’est ainsi que nous exhortons nos chers Fils et Filles d’Ir­lande, en leur disant avec une immense affection, un sincère amour : « Souvenez-vous de vos chefs, eux qui vous ont fait en­tendre la parole de Dieu, et, considérant l’issue de leur carrière, imitez leur foi. Jésus-Christ est le même hier et aujourd’hui, il le sera à jamais » (He 13, 7). Que ceci soit donc l’occasion pour que le message de la paix et de la réconciliation dans la vérité et dans la justice, et surtout le message d’amour pour le prochain, se grave dans les esprits et dans le cœur de la bien-aimée population irlan­daise tout entière — ce message signé et scellé du sang d’un Martyr, à l’imitation de son Maître. Puisse l’amour vivre toujours dans vos cœurs. Et Saint Oliver Plunkett vous inspire, chacun de vous.

Et pour le monde entier nous proclamons : « Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15, 13). C’est ce que nous a appris, le Seigneur, ce que nous vous an­nonçons avec la plus profonde conviction.

Vénérables Frères, chers Fils et Filles : rendons grâces au Sei­gneur; Aujourd’hui et à jamais Oliver Plunkett est un Saint de Dieu !

Avec notre Bénédiction Apostolique !

 

 

 

18 octobre

SEULE LA CIVILISATION CHRETIENNE PEUT SAUVER L’EUROPE DU VIDE QU’ELLE EPROUVE

 

Frères bien-aimés,

 

Le symposium des Evêques d’Europe, que vous clôturez par cette célébration Jubilaire, Nous tient très à cœur. Par un examen sérieux des questions qui se posent aux Pasteurs pour un meilleur service de la foi, dans un climat d’amitié fraternelle et de prière favorisé par la discrétion du cadre choisi, vous avez pu nouer des liens à un niveau plus profond, élargissant ainsi votre communion indispensable dans l’épiscopat, et progressant dans votre sens des responsabilités communes au service des populations européennes.

Vos soucis, vos espoirs, vos résolutions, Nous les partageons, vous le savez, à un titre particulier : notre propre foi n’a cessé d’être pétrie de la civilisation chrétienne de ce continent, de ses maîtres spirituels, et Nous continuons d’être solidaire de ces efforts pastoraux, tout en ayant le souci de toutes les Eglises. Réciproque­ment, vous l’exprimez bien ce matin, votre ministère apostolique n’atteint sa pleine dimension qu’autour de l’humble Successeur de Pierre. Au milieu de toutes les manifestations de l’Année Sainte, Celle-ci Nous est particulièrement chère.

Au delà de vos personnes, Nous pensons à vos communautés catholiques éparses en Europe, à l’Europe elle-même. Aussi, sans perdre de vue la pertinence des multiples questions pastorales que vous avez abordées ces jours-ci et dont Nous avons pris con­naissance avec intérêt, permettez-Nous de prendre un peu de recul, ou, si vous le voulez, de hauteur, au regard de cette Europe. Il s’en dégage une idée et une mission.

L’Europe ! Il y a bien des façons de la considérer. A-t-on jamais pu parler de son unité ? Elle semble avoir été jusqu’à hier un champ de batailles continuelles. Et pourtant les tentatives d’unifi­cation politique y ont connu leur temps de gloire, si l’on songe à l’Empire romain, puis aux Empires carolingien et germanique qui en ont pris le relais. Plus profondément, c’est la civilisation gréco-romaine qui les a tous marqués, et plus encore, une même culture chrétienne. Oui, quelque chose de commun animait ce grand ensemble : c’était la foi. Ne peut-on pas dire que c’est la foi la foi chrétienne, la foi catholique, qui a fait l’Europe, au point d’en être comme l’âme ? La Réforme, c’est un fait d’histoire, a contribué à une dispersion. L’avènement de la science, de la techni­que, celui de la richesse productive ont donné lustre et puissance à l’Europe, ils ne lui ont pas redonné une âme. L’époque des révolutions a vu s’accentuer le morcellement, l’indépendance. Les na­tions se sont affermies dans leur diversité, en s’opposant bien sou­vent. Les guerres ont devenues de plus en plus graves. Le processus des regroupements nationaux sur leur propre territoire n’est pas tout à fait terminé, mais il devrait se résoudre par des voie pacifi­ques. Bref, Nous assistons toujours à des divisions très marquées entre les nations et à l’intérieur des nations.

Peut-on dès lors envisager une unité, une conscience commune de l’Europe ? Qu’il nous soit permis d’évoquer aujourd’hui un épisode significatif. Lorsque Nous exercions notre ministère pas­toral à Milan, l’honneur Nous fut donné d’être invité, avec d’autres personnalités, à la rencontre des Autorités italiennes avec le Général de Gaulle qui, comme Chef de l’Etat français, venait en Italie célébrer le centenaire de l’indépendance du pays. Celle-ci fut inaugurée par la campagne militaire qui trouva son épilogue sanglant et victorieux dans les batailles de Solferino et de San Martine au mois de juin mil huit cent cinquante neuf. La commémoration eut lieu à Magenta, là où se déroula le premier affrontement mémorable des deux armées, autrichienne et franco-piémontaise, avec une multitude de morts de part et d’autre, et là où s’élève maintenant un ossuaire monumental à la mémoire des combattants.

Devant cet ossuaire, nous avons célébré la Sainte Messe. Le Général de Gaulle et le Président Gronchi y assistaient dans des tribunes, entourés du déploiement des forces militaires, des auto­rités et de la population. Il nous souvient qu’à la fin de la céré­monie religieuse, nous avons adressé notre salut respectueux aux deux Chefs d’Etat présents et exprimé ce vœu : de même que le dix-neuvième siècle a été caractérisé par les luttes pour l’indépen­dance et la formation des différents Etats qui composent aujour­d’hui l’Europe, qu’ainsi le vingtième siècle, le nôtre, puisse être, au moins en Europe, caractérisé à son tour non plus par les guerres et l’opposition entre les peuples, mais par l’unité. Aux nations désormais politiquement distinctes et organisées en Etats libres et souverains, il reste à découvrir une expression communautaire et continentale de la fraternité des peuples, associés pour promouvoir une civilisation solidaire, animée naturellement d’un même esprit. Et nous nous souvenons alors qu’à la fin de ce bref discours le Général de Gaulle, descendant seul de l’estrade qui lui était réservée, venait vers nous à la surprise et à l’étonnement de toute cette so­lennelle assistance ; arrivé devant l’autel, il nous tendait la main et, étreignant la nôtre, il nous disait avec gravité ces paroles : « Ce que vous avez dit, sera fait ».

On ressent en effet à nouveau aujourd’hui le besoin de l’union, mais d’abord au niveau d’une concertation indispensable sur des problèmes techniques, économiques, commerciaux, culturels, poli­tiques. Efforts laborieux et méritoires, que nous encourageons, tout en étant conscient des obstacles multiples qu’ils rencontrent. Plus profondément, on rêve à nouveau d’une unité spirituelle, qui donne sens et dynamisme à tous ces efforts, qui restitue aux hommes la signification de leur existence personnelle et collective. Les pouvoirs politiques et techniques sont impuissants à produire cet effet, et ne pourraient l’imposer que par l’esclavage. Nous pen­sons nous que seule la civilisation chrétienne, dont est née l’Europe, peut sauver ce continent du vide qu’il éprouve, lui permettant de maîtriser humainement le « progrès » technique dont elle a donné le goût au monde, de retrouver son identité spirituelle et de prendre ses responsabilités morales envers les autres partenaires du globe. C’est bien là l’originalité, la chance, la vocation de l’Europe, moyen­nant la foi. Et c’est là que notre mission d’Evêques en Europe prend un relief saisissant. Aucune autre instance humaine en Europe ne peut rendre le service qui nous est confié, à nous, pro­moteurs de la foi : réveiller l’âme chrétienne de l’Europe où s’enra­cine son unité.

Nous entendons bien que les conditions sont nouvelles par rapport à l’état de chrétienté qu’a connu l’histoire. Il y a une maturité civique au niveau des pays, au niveau du continent. De toute façon, nous ne sommes pas, nous Evêques, les artisans de l’unité au plan temporel, au plan politique. La foi, dont nous sommes les serviteurs, n’est pas un élément politique. Elle se reçoit librement de Dieu, par le Christ, dans l’Esprit Saint. Et que fait-elle ? Elle donne un sens à la vie des hommes, révélant leur destinée éternelle de fils de Dieu : n’est-ce pas appréciable en cette ère de désarroi ? Elle nourrit leur cœur d’une espérance non fallacieuse. Elle leur inspire une vraie charité, génératrice de justice et de paix, qui les pousse au respect de l’autre dans la complémentarité, au partage, à la collaboration, au souci des plus défavorisés. Elle affine les consciences. Dans un monde souvent clos sur sa richesse ou sur son pouvoir, rongé par les conflits, ivre de violence ou de défoulement sexuel, la foi procure une libération, une remise en ordre des facultés merveilleuses de l’homme.

L’unité qu’elle cherche n’est pas l’unification réalisée par la force, c’est le concert où les bonnes volontés harmonisent leurs efforts dans le respect des conceptions politiques diverses. C’est celle d’une Eglise travaillée tout entière par un sain oecuménisme. C’est celle d’une Pentecôte où la diversité des langues laisse parler le même Esprit Saint. Voilà ce qu’on pourrait appeler l’âme de cette civili­sation, et Nous savons combien vous travaillez chaque jour à l’épanouir.

Utopie ? Non. Certes, le processus de sécularisation, qui touche profondément l’Europe chrétienne, semblerait passer de plus en plus sous silence le rôle vital de la foi. Et pourtant, si les valeurs évangéliques sont trop souvent comme désarticulées, axées sur des objectifs purement terrestres, elles demeurent enracinées dans l’âme de la plupart de ces peuples européens ; elles continuent de les marquer ; elles peuvent être purifiées, ramenées à leur Source, c’est le rôle de l’évangélisation. Les autres continents, d’ailleurs, con­tinuent à regarder l’Europe comme le foyer du christianisme. Notre responsabilité est grande. Ne soyons pas pusillanimes, défaitistes, complexés. Ayons l’audace apostolique des saints que Nous béa­tifierons demain. Plus que jamais, l’Esprit Saint nous intime la mission de prêcher entièrement la foi de l’Eglise, à temps et à contre temps, de réveiller et de fortifier les consciences à sa lu­mière, de faire converger leur flamme par dessus toutes les bar­rières, comme cela se passe ici, en cette Année Sainte, de susciter leur témoignage actif, évangélique, sur tous les chantiers où se construit l’unité humaine de l’Europe.

Mais cela ne pourra se réaliser que dans l’authenticité et l’unité de la foi. Et aujourd’hui, Nous devons veiller à ne pas nous laisser éblouir par ce que le « pluralisme » renferme d’ambiguïté et d’équi­voque, dans la mesure où il signifierait un pluralisme subjectif et indifférent à l’interprétation delà doctrine de la foi. Ce serait glisser vers le libre examen qui, Nous le savons trop bien, compromet et souvent annule l’unité objective et univoque de la doctrine de la foi. Oui, à l’« una fides » serait> substitué ce libre examen qui corrompt la Parole de la foi, sûre et source d’unité, et qui, au lieu de favoriser une vraie convergence oecuménique, en annule les motifs, les efforts méritoires, l’espérance. Pluralisme, pour nous, doit signifier la fécondité inépuisable des richesses contenues dans le « dépôt » de la même foi, c’est-à-dire dans la variété extra­ordinaire, mais toujours cohérente et fidèle, des expressions que peut utiliser le langage de la foi et de la spiritualité, en accord avec le message du Magistère. Le dépôt est toujours ouvert à l’explo­ration des profondeurs de la vérité théologique, que la doctrine authentique non seulement permet, mais offre à l’étude de la con­templation, à l’école de l’Eglise qui est enseignante par charisme et par mandat divin.

Voilà ce qui doit avant tout nous préoccuper, nous Evêques : l’épanouissement du levain évangélique dans l’unité de la foi, dans tous ces pays d’Europe confiés à notre charge. Voilà ce qui doit faire converger nos efforts. Car notre unité à nous chrétiens, à nous Pasteurs, elle existe déjà. Votre Symposium d’Evêques la manifeste pour une part. Nous devons lui donner une expression, la célébrer, l’épanouir en charité, dans cette charité qui vient de la foi. C’est par ce chemin spirituel que l’Europe doit retrouver le secret de son identité, de son dynamisme, du service providentiel auquel Dieu l’appelle toujours, du témoignage qu’elle doit rendre à la face du monde. Paraphrasant la fameuse Epître à Diognète, Nous pourrions dire : ce que l’âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde, dans ce monde de l’Europe. Oh ! certes, comme au temps de Diognète, ils doivent donner leur témoignage dans des conditions de pauvreté, dans l’incompréhension, dans la contradiction, voire dans la persécution. Mais si leur levain a l’humilité de l’Evangile, il en a aussi la vigueur, il est porteur de salut pour l’ensemble. Telle est notre foi. En servant cette foi, comme Evêques, en la gardant et en la promouvant, et cela de concert, vous aidez l’Europe à retrouver son âme. Et votre ministè­re, Nous l’affermissons d’une particulière Bénédiction Apostolique.