Ressuscités en Christ

par George Cottier, O.P.

Saint Augustin remarque que nulle vérité de la foi chrétienne n’a rencontré autant d’opposition que la proclamation de la résurrection des corps (cf. Enar. in Ps. 88, 2.5.). Les Actes des Apôtres, 17, 32ss., rapportent le refus des auditeurs de Paul à l’Aréopage d’Athènes. La communauté de Corinthe soulève des objections que l’Apôtre affronte immédiatement avec vigueur : " Or, si l’on prêche que le Christ est ressuscité des morts, comment certains parmi vous peuvent-ils dire qu’il n’y a pas de résurrection des morts ? S’il n’y a pas de résurrection des morts, le Christ non plus n’est pas ressuscité. Mais si le Christ n’est pas ressuscité, vide alors est notre message, vide aussi votre foi ". Donc, par cette négation, la foi s’effondre et l’Apôtre se trouve être un imposteur : " Il se trouve même que nous sommes des faux témoins de Dieu, puisque nous avons attesté contre Dieu qu’il a ressuscité le Christ, alors qu’il ne l’a pas ressuscité, s’il est vrai que les morts ne ressuscitent pas ".

Notons que Paul pose un lien fondamental entre la résurrection du Christ et la nôtre. La négation a également d’autres conséquences. " Car si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n’est pas ressuscité. Et si le Christ n’est pas ressuscité, vaine est votre foi ; vous êtes encore dans vos péchés. Alors aussi ceux qui se sont endormis dans le Christ ont péri ". Autrement dit, la négation revient à affirmer la victoire définitive de la mort et même, plus radicalement encore, la victoire du péché et la négation de la justification. L’espérance chrétienne se présente alors comme une mystification : " Si nous qui sommes dans le Christ n’avons d’espoir que cette vie, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes " (1Cor 15,12-19).

Ces paroles de Paul ont une tonalité dramatique, parce qu’il s’agit d’une vérité fondamentale pour le sens même de l’existence. D’ailleurs, la première prédication apostolique, à laquelle appartient celle de Paul, rapportée dans les Actes des Apôtres, fait de l’annonce de la résurrection du Christ le cœur du message du salut. Les Apôtres se présentent d’abord en témoins du Christ ressuscité. La rencontre, si inimaginable, les a trouvés incrédules. La simple vue du Ressuscité ne suffit pas à les convaincre. Ce n’est qu’après avoir mangé et bu avec lui et après avoir touché ses cicatrices qu’ils l’ont reconnu et qu’à leur cœur est apparu dans toute sa clarté ce que l’Écriture avait annoncé. Jésus leur apparaît avec une suprême liberté, il n’est plus soumis à l’espace et au temps. Il est dans la gloire. Il est entré dans une autre vie ; sa résurrection marque le début d’une ère nouvelle. Avec la résurrection, nous est pleinement révélée notre filiation adoptive par le don de la vie divine. Les paroles de Paul aux Corinthiens soulignent déjà notre participation à la vie du Ressuscité. C’est ce point que nous devons exposer maintenant. Il s’agit d’un mystère de foi. " [...] Nous à qui la foi doit être comptée, nous qui croyons en celui qui ressuscita d’entre les morts Jésus notre Seigneur, livré pour nos fautes et ressuscité pour notre justification " (Rm 4,24-25).

La résurrection du Christ est le fondement de notre espérance : j’attends la résurrection de la chair et à la vie éternelle, parce que le Christ est " prémices de ceux qui se sont endormis " (1Cor 15,20). " Et si l’Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité le Christ Jésus d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous " (Rm 8,11). Mais la vie présente elle-même s’en trouve transformée. C’est une vie nouvelle. Cette vie nouvelle est une victoire sur la mort. Et la mort, dans l’existence humaine, n’est pas une simple nécessité naturelle. Elle est liée au péché : " Car le salaire du péché, c’est la mort ; mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus notre Seigneur " (Rm 6,23). Il faut mesurer la force de l’opposition : la mort renvoie à une autre mort, la mort spirituelle, et la vie n’est pas une vie quelconque, mais la vie éternelle. Le triomphe de la vie éternelle sur la mort du péché est le fruit du baptême. Vivre pleinement la grâce du baptême, c’est se laisser imprégner par le mystère pascal (Rm 6,1-11) : " Car si c’est un même être avec le Christ que nous sommes devenus par une mort semblable à la sienne, nous le serons aussi par une résurrection semblable " (v. 5). Dans l’Épître aux Colossiens, nous lisons : " Ensevelis avec lui [le Christ] lors du baptême, vous en êtes aussi ressuscités avec lui, parce que vous avez cru en la force de Dieu qui l’a ressuscité des morts " (Col 2,12). Il en résulte tout un programme de vie : " Du moment donc que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d’en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu. Songez aux choses d’en haut, non à celles de la terre. Car vous êtes morts, et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu : quand le Christ sera manifesté, lui qui est votre vie, alors vous aussi vous serez manifestés avec lui pleins de gloire " (3,1-4).

On comprend pourquoi l’appartenance du chrétien au Ressuscité possède une dimension eschatologique. La force de la résurrection présente dans le baptême est présente aussi dans l’Eucharistie. Il faut citer ici l’Évangile selon saint Jean. Jésus y parle de la Résurrection à la première personne : " Je suis la résurrection. Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra " (Jn 11,25). Et dans le discours du pain de vie, il a ces mots : " Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour " (Jn 6,54). Notre participation à l’Eucharistie nous donne un avant-goût de la future transfiguration de notre corps. Pour l’Église de la terre, la vie sacramentelle est comme une anticipation de la puissance de la résurrection.