Controverses contre les Manichéens

Oeuvres complètes de saint Augustin traduites pour la première fois en français, sous la direction de M. Raulx, Bar-Le-Duc, L. Guérin & Cie, éditeurs, 1869, Tome XIV. p. 54 – 412

 

 

 

 

 

CHAPITRE V. APOSTROPHE IRONIQUE A L'ÉGLISE MANICHÉENNE. *

CHAPITRE VI. SUITE DE L'APOSTROPHE. RÊVERIES MANICHÉENNES. *

CHAPITRE VII. LA DOCTRINE MANICHÉENNE EN PRÉSENCE DU DÉCALOGUE. *

CHAPITRE VIII. LA VÉRITABLE ÉGLISE A SEULE L'INTELLIGENCE DE LA LOI. *

CHAPITRE IX. CONTINUATION DU MÊME SUJET. LA SECTE MANICHÉENNÈ SÉDUITE PAR LE SERPENT. *

CHAPITRE X. LES PROPHÈTES MANICHÉENS. LA SECTE PRÉDITE PAR SAINT PAUL. *

CHAPITRE XI. PROMESSES DE DIEU ACCOMPLIES. INVITATION PRESSANTE À REVENIR À LA VÉRITÉ. *

LIVRE SEIZIÈME. LE CHRIST PRÉDIT PAR MOÏSE. *

CHAPITRE PREMIER. FAUSTE ACCEPTE LES PROPHÉTIES DE MOÏSE SUR LE CHRIST, S'IL Y EN A, TOUT EN REPOUSSANT LE RESTE DE SA DOCTRINE. *

CHAPITRE II. MAIS FAUSTE N'A TROUVÉ DANS MOÏSE AUCUNE PROPHÉTIE SUR LE CHRIST. *

CHAPITRE III. IL DEMANDE QU'ON LES LUI FASSE CONNAÎTRE. *

CHAPITRE IV. IL EN DISCUTE UNE ET LA REJETTE. *

CHAPITRE V. IL EN RÉPROUVE ÉGALEMENT UNE SECONDE. *

CHAPITRE VI. CONTRADICTIONS ENTRE LA DOCTRINE DE MOISE ET CELLE DU CHRIST. *

CHAPITRE VII. AUSSI LES SECTES CHRÉTIENNES REJETTENT-ELLES LA LOI DE MOÏSE. *

CHAPITRE VIII. FAUSTE NE VEUT PAS CROIRE SANS PREUVES. *

CHAPITRE IX. RÉTORSION D'AUGUSTIN. *

CHAPITRE X. LE CULTE PRESCRIT PAR MOÏSE N'ÉTAIT POINT UN PAGANISME. *

CHAPITRE XI. AUGUSTIN JUSTIFIERA LES TEXTES INCRIMINÉS. SI FAUSTE NE CROIT PAS A L'ÉVANGILE, QUI CROIRA A FAUSTE ? *

CHAPITRE XII. CEUX QUI SONT VENUS AVANT LE CHRIST SONT DES VOLEURS ET DES LARRONS. SENS DE CE TEXTE. *

CHAPITRE XIII. EXPLICATION DU TEXTE : TOUTE PAROLE SERA ASSURÉE PAR LA DÉPOSIJION DE DEUX OU TROIS TÉMOINS. *

CHAPITRE XIV. FAUSTE PRIS DANS SES PROPRES ARGUMENTS. *

CHAPITRE XV. EN QUOI LE CHRIST RESSEMBLE A MOÏSE, ET EN QUOI IL EN DIFFÈRE. *

CHAPITRE XVI. LE PÉCHÉ ET LA MORT DE MOÏSE N'ÔTENT RIEN A SON MÉRITE. *

CHAPITRE XVII. MOÏSE FIGURE DU CHRIST. *

CHAPITRE XVIII. LE CHRIST A ÉTÉ PROPHÈTE. *

CHAPITRE XIX. LE CHRIST EST LE PROPHÈTE PROMIS A MOÏSE. *

CHAPITRE XX. UN JUIF SINCÈRE, UN PAÏEN DE BONNE FOI, SERAIENT CONVAINCUS PAR LES PROPHÉTIES. *

CHAPITRE XXI. UTILITÉ DE L'AVEUGLEMENT DES JUIFS. *

CHAPITRE XXII. SUR LE TEXTE: TU VERRAS TA VIE SUSPENDUE ET TU NE CROIRAS PAS A TA VIE. *

CHAPITRE XXIII. CETTE PROPHÉTIE S'APPLIQUE AU CHRIST. PROPHÉTIE DE CAÏPHE. *

CHAPITRE XXIV. LE CHRIST N'A POINT DÉTOURNÉ LES JUIFS DE L'OBSERVATION DES COMMANDEMENTS. *

CHAPITRE XXV. MOÏSE A EU EN VUE LE VRAI CHRIST ET CONDAMNÉ D'AVANCE L'ERREUR DE MANÈS. *

CHAPITRE XXVI. ON PEUT PRODUIRE D'AUTRES TÉMOIGNAGES DE MOÏSE RELATIVEMENT AU CHRIST. *

CHAPITRE XXVII. LES JUIFS AURAIENT PU FAIRE CE QU'A FAIT LE MONDE ENTIER. *

CHAPITRE XXVIII. LE SABBAT ÉTAIT UNE FIGURE. QUESTION IRONIQUE ADRESSÉE AUX MANICHÉENS. *

CHAPITRE XXIX. LA CIRCONCISION AVAIT UN SENS PROPHÉTIQUE. DÉTAILS A CE SUJET. *

CHAPITRE XXX. SENS PROPHÉTIQUE DE LA DISTINCTION DES ALIMENTS. *

CHAPITRE XXXI. LE CHRIST NE L'A PAS MAINTENUE NI OBSERVÉE LUI-MÈNE. CE N'EST PAS CE QUI ENTRE DANS LA BOUCHE QUI SOUILLE L'HOMME, MAIS CE QUI EN SORT. *

CHAPITRE XXXII. LES CHRÉTIENS SONT LES VRAIS OBSERVATEURS DE LA LOI DE MOISE, QUE LES JUIFS TRANSGRESSAIENT. *

CHAPITRE XXXIII. DILEMME A FAUSTE A L'OCCASION DES CICATRICES DU CHRIST. *

LIVRE DIX-SEPTIÈME. LA LOI ET LES PROPHÈTES EN FACE DU CHRIST. *

CHAPITRE PREMIER. FAUSTE NIE L'AUTHENTICITÉ DE CE TEXTE DE SAINT MATTHIEU : " JE NE SUIS PAS VENU ABOLIR LA LOI ET LES PROPHÈTES, MAIS LES ACCOMPLIR ". *

CHAPITRE II. JÉSUS A DÉTRUIT LA LOI. NI LA LOI NI LES PROPHÈTES N'AVAIENT BESOIN D'ACCOMPLISSEMENT. *

CHAPITRE III. RÉPONSE D'AUGUSTIN. POURQUOI LE TÉMOIGNAGE DE SAINT MATTHIEU DOIT ÊTRE ACCEPTÉ. *

CHAPITRE IV. LES HISTORIENS PARLENT D'EUX-MÊMES À LA TROISIÈME PERSONNE. LE CHRIST AUSSI L'A FAIT. *

CHAPITRE V. DANS QUEL SENS LE CHRIST A PU DIRE : " JE NE SUIS PAS VENU ABOLIR, ETC. " *

CHAPITRE VI. COMMENT LA LOI ET LES PROPHÈTES PEUVENT S'ACCOMPLIR. *

LIVRE DIX-HUITIÈME. LA LOI ET LES PROPHÈTES ACCOMPLIS. *

CHAPITRE PREMIER. ON NE PEUT ÊTRE CHRÉTIEN, DIT FAUSTE, SANS SUPPOSER LA LOI ABOLIE. *

CHAPITRE II. SI LA LOI N'EST PAS ABOLIE, IL FAUT DONC OBSERVER TOUTES SES PRESCRIPTIONS? *

CHAPITRE III. NÉCESSITÉ DE TRIER DANS L'ÉVANGILE POUR NE PAS SE TROUVER DANS L'EMBARRAS. *

CHAPITRE IV. C'EST EN DISPARAISSANT QUE LA LOI ET LES PROPHÈTES ONT ÉTÉ ACCOMPLIS. *

CHAPITRE V. SUR LE SABBAT. DÉNOMINATION PAÏENNE DES JOURS ET DES MOIS. *

CHAPITRE VI. LES SACRIFICES D'ANIMAUX ÉTAIENT DES FIGURES DU CHRIST. *

CHAPITRE VII. USAGE QUE LES VRAIS CHRÉTIENS FONT DE LA RAISON. *

LIVRE DIX-NEUVIÈME. LA LOI PERFECTIONNÉE. *

CHAPITRE PREMIER. QUEL SENS LE CHRIST A-T-IL ATTACHÉ A CES PAROLES : " JE NE SUIS PAS VENU ABOLIR, ETC. " *

CHAPITRE II. TROIS ESPÈCES DE LOIS, SELON FRUSTE. *

CHAPITRE III. CES PAROLES : " JE NE SUIS PAS VENU, ETC.", S'APPLIQUENT A LA LOI ET AUX PROPHÈTES DE LA VÉRITÉ. *

CHAPITRE IV. CERTAINS JUIFS POURRAIENT SEULS TENIR LE LANGAGE QUE TIENT AUGUSTIN. *

CHAPITRE V. GRACE A LA DOCTRINE DE MANÈS, FAUSTE NE S'EST PAS FAIT JUIF. *

CHAPITRE VI. SI LE CHRIST N'EST PAS VENU ABOLIR LA LOI, POURQUOI LES CATHOLIQUES L'ABOLISSENT-ILS EN PRATIQUE ? *

CHAPITRE VII. C'EST LA LOI MOSAÏQUE QUE LE CHRIST EST VENU, NON ABOLIR, MAIS ACCOMPLIR. *

CHAPITRE VIII. LES RITES PROPHÉTIQUES CESSENT D'ÊTRE OBSERVÉS, PARCE QUE LEUR BUT EST REMPLI. *

CHAPITRE IX. POURQUOI LE CHRÉTIEN N'OBSERVE PLUS LA CIRCONCISION NI LE SABBAT. *

CHAPITRE X. POURQUOI LE CHRÉTIEN N'OBSERVE PLUS LA DISTINCTION ENTRE LES ALIMENTS, LES SACRIFICES D'ANIMAUX, LA PAQUE, ETC.... *

CHAPITRE XI. L'AVÈNEMENT DU CHRIST A MIS FIN A TOUS LES RITES QUI L'ANNONÇAIENT. *

CHAPITRE XII. LES IMPIES PARTICIPENT AUX SACREMENTS, MAIS N'ONT POINT LA CHARITÉ. *

CHAPITRE XIII. SACREMENTS DE LA LOI NOUVELLE SUBSTITUÉS A CEUX DE L'ANCIENNE. *

CHAPITRE XIV. SI LES ANCIENS JUSTES ONT SOUFFERT POUR LEUR LOI, A PLUS FORTE RAISON DOIT-ON SOUFFRIR POUR LA NOUVELLE. LA PROMESSE DE LA VIE ÉTERNELLE DÉJÀ RÉALISÉE DANS LE CHRIST. *

CHAPITRE XV. QUESTIONS DIVERSES. CE N'EST POINT LE MOMENT DE LES TRAITER. *

CHAPITRE XVI. IL A FALLU DES RITES DIFFÉRENTS, UN AUTRE LANGAGE FOUR PROPHÉTISER CE QUI DEVAIT ARRIVER, ET INDIQUER CE QUI EST ACCOMPLI. *

CHAPITRE XVII. A QUI, PARMI LES PREMIERS CHRÉTIENS, LE JUDAÏSME ÉTAIT ENCORE PERMIS, A QUI IL ÉTAIT DÉFENDU. *

CHAPITRE XVIII. CE QUE LES CHRÉTIENS ONT GARDÉ DE LA LOI ANCIENNE. *

CHAPITRE XIX. ERREUR DE FAUSTE SUR CE POINT. *

CHAPITRE XX. CE N'EST POINT LA LOI DES ANCIENS JUSTES, QUE LE CHRIST EST VENU ACCOMPLIR. *

CHAPITRE XXI. LA LOI QUI DÉFEND L'ADULTÈRE ÉTAIT DÉJÀ COMPLÈTE CHEZ LES ANCIENS JUSTES. *

CHAPITRE XXII. ET AUSSI CELLE QUI DÉFEND DE JURER. LE NOM DE MANÈS TRANSFORMÉ PAR LES MANICHÉENS. *

CHAPITRE XXIII. LA LOI QUI DÉFEND LE PARJURE N'A POINT ÉTÉ ABOLIE. *

CHAPITRE XXIV. COMMENT ON PEUT TOUT A LA FOIS HAÏR ET AIMER SON ENNEMI. SYSTEME EXTRAVAGANT DES MANICHÉENS. *

CHAPITRE XXV. LA LOI DU TALION EN FACE DE LA DOCTRINE ÉVANGÉLIQUE. *

CHAPITRE XXVI. LE DIVORCE. L'ACTE DE RÉPUDIATION. *

CHAPITRE XXVII. QUEL EST LE VÉRITABLE SENS DE CES PAROLES: " JE NE SUIS PAS VENU ABOLIR LA LOI, MAIS L'ACCOMPLIR ". *

CHAPITRE XXVIII. L'ANCIEN TESTAMENT CONTENAIT DÉJA LES PERFECTIONNEMENTS INTRODUITS PAR LE CHRIST. *

CHAPITRE XXIX. LA LOI PRIMITIVE DU MARIAGE. BÉVUE DE MANÈS. POURQUOI MOÏSE PERMETTAIT LE DIVORCE. *

CHAPITRE XXX. POURQUOI LE CHRIST EST VENU ACCOMPLIRLA LOI. LES ANCIENS JUSTES EN VOYAIENT LE BUT. *

CHAPITRE XXXI. LE MOT DE " ROYAUME DES CIEUX " NE SE TROUVE PAS DANS L'ANCIEN TESTAMENT, OU NÉANMOINS LA FOI A LA VIE ÉTERNELLE EST EXPRIMÉE. *

LIVRE VINGTIÈME. LES MANICHÉENS ET LES PAÏENS. *

CHAPITRE. PREMIER. FAUSTE SE PROPOSE DE RÉPONDRE AU REPROCHE D'ADORER LE SOLEIL ET D'ÊTRE PAÏEN. *

CHAPITRE II. FAUSTE FAIT SA PROFESSION DE FOI. *

CHAPITRE III. DIFFÉRENCE ENTRE SA DOCTRINE ET CELLE DES PAÏENS. *

CHAPITRE IV. CE N'EST POINT LE MANICHÉISME, MAIS LE CATHOLICISME ET LE JUDAÏSME, QUI SONT DES SCHISMES DE LA GENTILITÉ. *

CHAPITRE V. RÉPONSE D'AUGUSTIN. LE MANICHÉISME EST AU-DESSOUS MÊME DU PAGANISME. *

CHAPITRE VI. OBSCÈNES RÊVERIES DES MANICHÉENS SUR LE SOLEIL. *

CHAPITRE VII. LA LUMIÈRE MATÉRIELLE. LA LUMIÈRE DE LA RAISON. LA LUMIÈRE DIVINE. *

CHAPITRE VIII. RIDICULES CONTRADICTIONS DE LA DOCTRINE MANICHÉENNE SUR LE FILS DE DIEU. *

CHAPITRE IX. CE QUE LES PAÏENS ADORENT, EXISTE : CE QUE LES MANICHÉENS ADORENT, EST PUR NÉANT. *

CHAPITRE X. DIFFÉRENCES ENTRE LES DIVERSES RELIGIONS, SUIVANT LE POINT DE VUE OU L'ON SE PLACE. *

CHAPITRE XI. QUESTIONS AUX MANICHÉENS SUR JÉSUS PASSIBLE. ABSURDITÉS DE LEUR DOCTRINE. *

CHAPITRE XII. POURQUOI, D'APRÈS LES MANICHÉENS, LE CHRIST N'EST-IL PAS MULTIPLE ? POURQUOI N'EST-IL PAS TOUT ? *

CHAPITRE XIII. LE PAIN ET LE VIN. COMBIEN LES CATHOLIQUES ET LES MANICHÉENS PENSENT DIFFÉREMMENT LA-DESSUS. *

CHAPITRE XIV. ERREURS DES MANICHÉENS SUR HYLÉ OU LA MATIÈRE. *

CHAPITRE XV. COMMENT UN MANICHÉEN S'IMAGINE ÊTRE LE TEMPLE DE DIEU. *

CHAPITRE XVI. LE SACRIFICE INTÉRIEUR SELON LA DOCTRINE DES MANICHÉENS. *

CHAPITRE XVII. CE QUE C'EST QUE LA PRIÈRE CHEZ LE MANICHÉEN. *

CHAPITRE XVIII. DIVERSES ESPÈCES DE SACRIFICES. SACRIFICE DU CHRIST. SACRIFICE DES MANICHÉENS. *

CHAPITRE XIX. LES PAÏENS ONT EU L'IDÉE D'UN POUVOIR DIVIN UNIQUE, LES MANICHÉENS NE L'ONT PAS. *

CHAPITRE XX. CE NE SONT PAS LES AGAPES CHRÉTIENNES, MAIS LES SACRIFICES DES MANICHÉENS, QUI RESSEMBLENT A CEUX DES PAÏENS. *

CHAPITRE XXI. CULTE DES MARTYRS DIFFÉRENT DU CULTE DE LATRIE QUI N'EST DU QU'A DIEU. LE SACRIFICE EUCHARISTIQUE, MÉMORIAL DE CELUI DE LA CROIX. *

CHAPITRE XXII. LES SACRIFICES DES JUIFS DIFFÉRENTS DE CEUX DES PAÏENS. LES DÉMONS SE REPAISSENT DES ERREURS HUMAINES. *

CHAPITRE XXIII. DANS L'USAGE DES CHOSES ORDINAIRES DE LA VIE, LES MANICHÉENS *

DIFFÉRENT BEAUCOUP DES CATHOLIQUES ET SONT AU-DESSOUS MÉME DES PAÏENS. *

LIVRE VINGT-UNIÈME. CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN. *

CHAPITRE PREMIER. FAUSTE VEUT PROUVER QU'IL N'ADMET PAS DEUX DIEUX. *

CHAPITRE II. COMMENT DIEU PEUT AVEUGLER LES ESPRITS. *

CHAPITRE III. DIEU CONDAMNE ET JUSTIFIE PAR DES VOIES IMPÉNÉTRABLES. *

CHAPITRE IV. QUOI QU'IL EN DISE, FAUSTE ADMET DEUX DIEUX. *

CHAPITRE V. DIEU ADMIRABLE DANS SES OEUVRES GRANDES ET PETITES. TOUT ANIMAL AIME SA PROPRE CHAIR, ILLUSION DES MANICHÉENS SUR CE POINT. *

CHAPITRE VI. L'OUVRIER SUPRÊME DÉMONTRÉ PAR SES OEUVRES. *

CHAPITRE VII. LA LOI DE LA CONSERVATION EST UNIVERSELLE. *

CHAPITRE VIII. SUBLIME HARMONIE DU CORPS HUMAIN, D'APRÉS SAINT PAUL. *

CHAPITRE IX. C'EST DIEU, ET NON LE DÉMON, QUI EST L'AUTEUR DU CORPS HUMAIN. *

CHAPITRE X. RÉFUTATION IRONIQUE DE L'OPINION MANICHÉENNE SUR LES ANIMAUX. *

CHAPITRE XI. LE BLANC ET LE NOIR, LE CHAUD ET LE FROID. CONTRADICTIONS MANICHÉENNES. *

CHAPITRE XII. AUTRES CONTRADICTIONS DU MANICHÉISME. FABLES ABSURDES. *

CHAPITRE XIII. SUR LES ALIMENTS, LE POISON, L'ANTIDOTE; BÉVUES DE FAUSTE A CE SUJET. *

CHAPITRE XIV. RAISONNEMENTS SUR LA DOCTRINE DES DEUX PRINCIPES. *

CHAPITRE XV. DÉFAUT DE PRESCIENCE ET DE SÉCURITÉ DANS LE DIEU DES MANICHÉENS. *

CHAPITRE XVI. LES DEUX NATURES DES MANICHÉENS SONT OU DEUX BIENS OU DEUX MAUX. DÉMONSTRATION PAR L'ABSURDE. *

LIVRE VINGT-DEUXIÈME. LE DIEU DE L’ÉCRITURE. *

CHAPITRE PREMIER. SELON FAUSTE, OU LES PATRIARCHES ET LES PROPHÈTES ONT ÉTÉ CRIMINELS OÙ LES ÉCRIVAINS SACRÉS SONT DES FAUSSAIRES. *

CHAPITRE II. FAUSTE DISTINGUE, DANS LA LOI, LES PRÉCEPTES MORAUX ET LES RITES QU'ON Y A ATTACHÉS. *

CHAPITRE III. LES ÉCRIVAINS DE L'ANCIEN TESTAMENT ONT SOUILLÉ LA MÉMOIRE DES PATRIARCHES ET DES PROPHÈTES. *

CHAPITRE IV. DIEU, TEL QUE CES ÉCRIVAINS L'ONT DÉPEINT, SELON FAUSTE. *

CHAPITRE V. CRIMES ATTRIBUÉS A ABRAHAM, A ISAAC, A JACOB, A JUDA, A DAVID, A SALOMON, A OSÉE, A MOÏSE, PAR LES ÉCRIVAINS SACRÉS. *

CHAPITRE VI. LES MANICHÉENS NE COMPRENNENT PAS QU'UNE PARTIE DE LA LOI DEVAIT SUBSISTER ET L'AUTRE DISPARAÎTRE. *

CHAPITRE VII. LEUR ININTELLIGENCE COMPARÉE A CELLE DU SOURD ET DE L'AVEUGLE. *

CHAPITRE VIII. LUMIÈRE INCRÉÉE, LUMIÈRE CRÉÉE. *

CHAPITRE IX. DIEU EST LUMIÈRE ET SOURCE DE TOUTE LUMIÈRE. *

CHAPITRE X. QUELLE EST LA LUMIÈRE QUE DIEU A CRÉÉE? QUESTION CONTROVERSÉE. *

CHAPITRE XI. DIEU N'A JAMAIS ÉTÉ DANS LES TÉNÈBRES. *

CHAPITRE XII. COMMENT DIEU A TROUVÉ SES OEUVRES BONNES, CE QUE NE PEUT FAIRE LE DIEU DES MANICHÉENS. *

CHAPITRE XIII. DIEU A APPROUVÉ SON OEUVRE ET NE L'A POINT ADMIRÉE. JÉSUS-CHRIST A ÉPROUVÉ DE L'ADMIRATION. *

CHAPITRE XIV. UN PAÏEN POURRAIT RETOURNER CONTRE LE NOUVEAU TESTAMENT LES OBJECTIONS QUE FAUSTE FAIT CONTRE L'ANCIEN. *

 

 

 

 

 

CHAPITRE V. APOSTROPHE IRONIQUE A L'ÉGLISE MANICHÉENNE.

Et maintenant, c'est à toi que je m'adresse, secte manichéenne, menteuse et enveloppée de mensonges. Quoi ! épouse de tant d'éléments, ou plutôt femme perdue, prostituée aux démons et grosse de vanités sacriléges, quoi ! tu oses briser le mariage catholique de ton maître par ta criminelle impudicité ! Montre-nous tes corrupteurs adultères, le pondérateur porte-lumière, et l'Atlas qui porte le monde. Car tu prétends que celui-là est le maître des éléments, et tient le monde suspendu; et que celui-ci, appuyé sur un genou, soutient cette masse énorme sur de robustes épaules, sans doute, de peur que l'autre ne puisse suffire à la besogne. Où sont-ils? et s'ils existent, quand viendront-ils à toi, accablés qu'ils sont sous le poids de leur tâche? Quand viendront-ils chez toi, pour se délasser de leur fatigue excessive, pour être frottés de ta main caressante, oisive et délicate, l'un aux doigts et l'autre aux épaules? Mais tu es le

1. Rom. XIII, 9, 10. — 2. Matt. XXII, 37-40. — 3. Ps. XCI, 4. — 4. Rom. VIII, 3, 4.

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jouet de démons impurs, qui s'unissent à toi pour que tu conçoives des mensonges et enfantes des fantômes. Comment ne repousserais-tu pas le diptyque du vrai Dieu, ennemi de tes parchemins, en vertu desquels tu as aimé tant de faux dieux, d'un coeur inconstant, égaré dans les fictions de tes pensées; dans lesquels on peut retrouver tous les mensonges des poètes, moins sérieux cependant, et moins honnêtes chez toi que chez eux : puisque, faisant profession de mentir, ils ne trompent personne, tandis que tes livres fourmillant d'erreurs, séduisent les âmes encore enfantines, même chez les vieillards, les corrompent par de misérables illusions, et font que, éprouvant une vive démangeaison aux oreilles, elles les ferment à la vérité, et se tournent vers les fables (1)? Comment supporterais-tu la vaine doctrine de ces tables, où on lit pour premier commandement : " Écoute, Israël; le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu (2) ", alors que te complaisant dans une si grande multitude de dieux, tu te vautres dans la honte et la fange d'un coeur adultère? Ne te rappelles-tu pas ce chant de volupté, où tu dépeins le roi très-grand sur son trône, le porte-sceptre éternel, au front couronné de fleurs et à la face rayonnante? Quand tu n'aurais qu'un amant de ce genre, tu devrais déjà rougir car une épouse pudique ne saurait agréer même un amant unique au front couronné de fleurs. Et tu ne peux pas dire qu'il y a, dans ces paroles ou dans cette image, une signification mystique : car ce qu'on fait surtout valoir à tes yeux dans Manès, c'est qu'il te dira la vérité nue et simple, en termes propres, sans figures et sans voiles. Tu chantes donc littéralement un roi porte-sceptre, couronné de fleurs. Qu'il dépose au moins son sceptre, quand il se couronne de fleurs : ce luxe et cette mollesse ne conviennent point au sceptre austère d'un roi. De plus, ce n'est pas là ton seul amant; tu continues ta chanson, et tu mentionnes douze siècles aussi ornés de fleurs; remplis de sons harmonieux et jetant des fleurs au visage de leur père. Là, tu les proclames tous les douze, grands dieux, rangés autour de lui, en quatre groupes ternaires. Mais comment ce Dieu, que vous dites entouré, peut-il être immense ; c'est ce que vous n'avez jamais su expliquer. Tu parles encore de sujets sans nombre, de troupes de dieux et de légions

1. II Tim. IV, 4. — 2. Deut. VI, 4.

d'anges, que tu prétends être, non pas créés par Dieu, mais engendré de sa propre substance.

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CHAPITRE VI. SUITE DE L'APOSTROPHE. RÊVERIES MANICHÉENNES.

Il est donc prouvé que tu adores des dieux sans nombre, et que tu rejettes la saine doctrine qui nous enseigne un Fils unique, né d'un Dieu unique, et un Esprit-Saint procédant des deux. Et non-seulement il n'est pas permis de parler de dieux sans nombre, mais pas même de trois dieux : puisque non-seulement il n'y a- qu'une seule et même substance, mais encore une seule et même opération par une seule et même substance propre, et que la distinction des personnes se révèle même par la créature matérielle. Tu ne comprends pas cela, tu ne le saisis pas : je le sais, tu es pleine, tu es enivrée, tu es saturée de fables sacrilèges. Digère donc enfin ce que trahit ton haleine, et cesse de t'ingurgiter de la sorte; en attendant, poursuis ton chant, et vois, si tu le peux, la honte de ta fornication. La doctrine de tes démons menteurs t'a introduite dans un chimérique séjour des anges, où souffle un vent frais, et dans des champs parfumés, où les arbres et les montagnes, les mers et les fleuves donnent un doux nectar dans tout le cours des siècles. Et tu l'as cru ! et tu t'es imaginé tout cela dans ton coeur ! Et livrée à la luxure et à la débauche, tu t'es bercée de vains souvenirs ! Car quand on emploie un langage de ce genre pour exprimer l'ineffable abondance des délices spirituelles, on parle évidemment en énigme; c'est pour que l'âme qui s'occupe de ces sujets sache qu'il y a, là, quelque autre sens à chercher et à saisir, soit qu'un objet matériel soit présenté réellement aux sens du corps, comme le feu dans le buisson (1), la verge changée en serpent et le serpent redevenu verge (2), la tunique du Seigneur qui n'est point partagée par les bourreaux (3), le parfum répandu respectueusement sur les pieds ou sur la tête du Christ par une femme (4), les palmes aux mains de la multitude qui précède et suit l'âne sur lequel il est monté (5) : soit que les objets soient présentés en figures à l'esprit par des images corporelles, ou en songe, ou

1. Ex. III, 2. — 2. Id. IV, 2-4. — 3. Jean, XIX, 24. — 4. Matt. XXVI, 7; Jean, XII, 3. — 5. Matt. XXII, 7-9.

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dans le ravissement, comme à Jacob les échelles (1); à Daniel, la pierre détachée sans le travail des mains et devenue une montagne (2); à Pierre la nappe (3), et à Jean tant d'autres choses (4) : soit que le langage soit simplement figuré, comme dans le Cantique des cantiques (5); dans la parabole évangélique du père de famille qui fait les noces de son fils (6); dans celle de l'homme qui avait deux fils, l'un rangé et l'autre livré à la débauche (7), ou de l'homme qui planta une vigne et la loua à des vignerons (8). Mais tu loues précisément Manès d'être venu le dernier, non pour tenir ce langage, mais pour en donner l'explication, de manière à interpréter les anciennes figures, à présenter ses récits et ses discussions avec la plus grande clarté, sans jamais s'envelopper d'énigme et d'obscurité. Et pour justifier cette, présomption, tu prétends que les anciens, dans tout ce qu'ils ont vu, fait ou dit en figure, savaient qu'il devait venir un jour pour tout révéler, et que lui, sachant que personne ne viendrait après lui, a exposé ses sentiments sans allégories et sans détours. Que devient donc ton affection souillée par des désirs charnels, au milieu des champs et des forêts épaisses, des couronnes de fleurs et des parfums? S'il n'y a pas là d'énigmes pour la raison, il y a des, fantômes pour l'imagination ou de l'égarement pour la folie. Mais si on dit qu'il y a des énigmes, pourquoi ne fuis-tu pas l'adultère, qui te promet la vérité claire pour t’allécher, et se rit de toi par ses mensonges et ses fables quand il t’a attirée? Ses ministres, infectés aussi de ces vanités, les malheureux ! n'ont-ils pas l'habitude de mettre, pour amorce à leur hameçon, ces paroles de l'apôtre Paul : " Car c'est imparfaitement que nous connaissons, et imparfaitement que; nous prophétisons, mais quand viendra ce qui est parfait, alors s'anéantira ce qui est imparfait " ; et encore : " Nous voyons maintenant à travers un miroir, en énigme mais alors nous verrons face à face (9)". En sorte que l'apôtre Paul a imparfaitement connu, imparfaitement prophétisé ne voyant qu'à travers un miroir et en énigme : et que tout cela doit disparaître à l'arrivée de Manès, qui apportera ce qui est parfait, de manière à ce qu'on voie la vérité

1. Gen. XXVIII, 12. — 2. Dan. II, 34, 35. — 3. Act. X, 11. — 4. Apoc. I, etc. — 5. Cant. I, etc. — 6. Matt. XXII, 2-14. — 7. Luc, XV, 11-32. — 8. Matt, XXI, 33. — 9. Cor. XIII, 9, 10. 12.

face à face. O lascive, ô immonde créature, tu tiens encore ce langage saris rougir, tu te repais encore de vent, tu embrasses encore les idoles de ton coeur ? Quoi ! tu as vu face à face le roi porte-sceptre assis sur son trône, couronné de fleurs, et les troupes de dieux, et le grand porte-lumière ayant six visages et six bouches et rayonnant de lumière ; et un autre roi d'honneur, entouré des armées des anges; et un autre, amant, héros guerrier, tenant de sa droite une lance et de sa gauche un bouclier; puis un autre encore, roi glorieux qui pousse trois roues, celle du feu, celle de l'eau, et celle du vent : et le colossal Atlas, portant le monde sur ses épaules, et le soutenant de ses deux bras en s'appuyant sur un genou? As-tu réellement vu face à face ces merveilles et mille autres de ce genre, ou n'est-ce point la doctrine de démons menteurs, que des imposteurs te chantent à ton insu? Malheur à toi, infortunée ! voilà les fantômes auxquels tu te prostitues, les vanités que tu suces au lieu de la vérité; et enivrée à la coupe du serpent, tu oses insulter, à propos des deux tables de pierre, à la chaste matrone, épouse du Fils unique de Dieu; parce qu'elle n'est plus sous le joug de la loi, mais sous l'empire de la grâce, parce que, ne s'enflant point de ses oeuvres, ne se laissant pas abattre par la terreur, elle vit de foi, d'espérance et de charité, devenue Israël en qui il n'y a pas d'artifice (1), et attentive à ce qui est écrit : " Le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu (2) ": tandis que toi, pour n'avoir pas écouté ces paroles, tu t'es prostituée à une multitude de faux dieux.

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CHAPITRE VII. LA DOCTRINE MANICHÉENNE EN PRÉSENCE DU DÉCALOGUE.

Comment ne haïrais-tu pas ces tables, où on lit pour second commandement : " Tu ne prendras pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu (3) ", puisque tu as rangé parmi les vains imposteurs le Christ mémé, qui a daigné apparaître aux yeux de la chair dans une chair vraie et réelle; pour purger les hommes charnels de la vanité charnelle? Comment ne serais-tu pas contrariée du troisième commandement relatif au repos du sabbat, toi dont l'âme inquiète est livrée à tant de rêveries et d'illusions? Quand comprendras-tu que ces

1. Jean, I, 45. — 2. Deut. VI, 4. — 3. Ex. XX, 7.

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trois préceptes se rattachent à l'amour de Dieu? Quand les goûteras-tu? Quand les aimeras-tu ? Tu ne sais pas te contenir, tu es laide et disputeuse : tu t'es enflée, tu es devenue vaine, tu t'es ravalée, tu es sortie des bornes, tu as flétri ton honneur, tu es descendue au-dessous de ton rang. J'ai été tel moi-même dans ton sein, je te connais. Comment donc pourrais-je, aujourd'hui, t'apprendre que ces trois commandements regardent l'amour de Dieu, de qui, par qui et en qui sont toutes choses (1)? Comment le comprendrais-tu, quand tes perverses et détestables erreurs ne te permettent pas même de connaître et d'observer les sept autres, qui concernent l'amour du prochain, la base de la société humaine ? Le premier est : " Honore ton père et ta mère " Paul en le rappelant et le renouvelant dans les mêmes termes, le nomme le premier commandement fait avec une promesse (2). Mais ton infernale doctrine t'a appris à regarder tes parents comme des ennemis, pour t'avoir enchaînée à la chair par leur union maritale, et avoir mis par là d'immondes entraves à ton dieu. Voilà pourquoi aussi vous violez le précepte suivant : " Tu ne commettras pas d'adultère ", à ce point qu'il n'est rien que volis détestiez dans le mariage comme de mettre au monde des enfants, et que vous rendiez vos disciples adultères, par les précautions qu'ils prennent pour empêcher de concevoir les femmes auxquelles ils s'unissent. En effet, ils les épousent d'après les lois du mariage, suivant les règlements publics, pour avoir des enfants; mais d'après votre loi, de peur de souiller des immondices de la chair une partie de leur dieu, ils né cherchent dans le commerce des femmes que l'assouvissement d'une infâme volupté, et n'ont des enfants que malgré eux, bien que ce soit là le seul but du mariage. Comment donc ne défendrais-tu pas le mariage, selon ce que l'Apôtre a prédit de toi depuis si longtemps (3), puisque tu lui enlèves son unique raison d'être? Car en dehors de ce but, les maris ne sont plus que de misérables libertins; les femmes, que des prostituées; le lit nuptial, qu'un lieu de débauches ; les beaux-pères, que des corrupteurs de la jeunesse. Par là même raison, en vertu de la même erreur criminelle, tu n'observes point non plus le commandement : " Tu ne tueras pas ". En effet, pour ne pas retenir dans la chair un membre de

1. Rom. XI, 30. — 2. Ex. XX, 12; Eph. VI, 2. — 3. I Tim. IV, 3.

ton dieu, tu ne donnes pas de pain à celui qui a faim, et pour éviter un homicide imaginaire, tu en commets un réel. Si donc tu rencontres un homme affamé qui peut mourir, à moins que tu ne lui donnes à manger, te voilà homicide ou d'après la loi de Dieu si tu ne lui donnes pas, ou d'après la loi de Manès si tu lui donnes. Et les autres préceptes du Décalogue, comment les observerais-tu? T'abstiens-tu du vol, quand tu enlèves, si tu le peux, le pain, un mets quelconque que le premier venu mangerait et tuerait dans ses entrailles plutôt que toi, et que tu cours à la cuisine de tes élus, pour garantir, au moyen de ce vol, ton dieu de quelque chaîne plus lourde, ou le délivrer de celle qui lui pèse? Et si tu es pris en flagrant délit, ne jures-tu pas par ton dieu même, que tu n'as rien pris? Et que peut te faire un dieu à qui tuas le droit de dire : Je me suis parjuré par toi, mais pour toi; voudrais-tu que, pour te rendre hommage, je t'eusse donné la mort? De même tu violeras le commandement : " Ne porte point de faux témoignages ", à cause des membres de ton dieu, afin de les délivrer de leurs entraves, non-seulement par un témoignage, mais par un faux serment. Quant à celui qui vient ensuite : " Tu ne convoiteras point la femme de ton prochain (1) ", tu dois l'accomplir: je ne vois que celui-là que ton erreur ne t'oblige pas à transgresser. Mais s'il est défendu de convoiter la femme du prochain, songe à ce que c'est que de s'offrir soi-même à la convoitise d'autrui; souviens-toi de tes beaux dieux, de tes belles déesses, qui se montrent dans le but d'exciter de violents désirs, ceux-là, de la part des femmes, princesses des ténèbres, et celles-ci de la part des dieux mâles; afin que, en excitant la soif de la jouissance et l'ardeur d'une passion criminelle, ils délivrent ton dieu prisonnier chez eux, et qui à besoin de toutes ces horribles turpitudes pour être dégagé de ses liens. Et comment, misérable, pourrais-tu observer le dernier précepte du Décalogue, qui défend de convoiter le bien d'autrui? Ton dieu lui-même ne te dit-il pas faussement qu'il prépare sur la terre étrangère des siècles nouveaux, où tu te pavaneras, après une fausse victoire, dans un faux triomphe? Et comme tu y aspires dans ta folle vanité et que tu crois cette terre du peuple des ténèbres très-rapprochée de ta propre substance, tu

1. Ex. XX, 13, 16, 17.

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convoites sans aucun doute le bien du prochain. C'est donc à juste titre que tu hais le diptyque, qui contient des commandements si bons, si opposés à ton erreur. Car tu ignores complètement, tu n'observes en aucune façon, les trois premiers qui se rapportent à l'amour de Dieu; et quant aux sept autres, sauvegarde de la société humaine, si parfois tu les respectes: ou tu obéis à un sentiment de honte, de peur d'avoir à rougir parlai les hommes; ou tu cèdes à la crainte du châtiment fixé par des lois publiques ; ou tu repousses une mauvaise action par l'effet d'une bonne habitude. Enfin la loi naturelle te rappelle combien il est injuste de faire à un autre ce que tu ne voudrais pas que l'on te fit à toi-même; mais tu sens combien ton erreur te pousse en sens contraire, soit que tu cèdes ou que tu ne cèdes pas, quand tu fais ce que tu ne veux pas permettre, ou que tu ne fais pas, parce que tu ne veux pas permettre.

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CHAPITRE VIII. LA VÉRITABLE ÉGLISE A SEULE L'INTELLIGENCE DE LA LOI.

Mais cette véritable épouse du Christ, à laquelle tu insultes avec une extrême impudence à l'occasion des deux tables de pierre, sait parfaitement la distance qu'il y a entre la lettre et l'esprit (1), ou, en d'autres termes, entre la loi et la grâce; et comme elle sert Dieu dans la nouveauté de l'esprit, et non dans la vétusté de la lettre (2), elle n'est plus sous la loi, mais sous la grâce. L'esprit de discussion ne l'aveugle pas; elle écoute humblement les paroles de l'Apôtre, pour bien comprendre ce qu'il appelle la loi, sous l'empire de laquelle il ne veut plus que nous soyons, parce qu'elle " a été établie à cause des transgressions, jusqu'à ce que vint le rejeton pour lequel a été faite la promesse (3) " : et parce que " elle est survenue pour que le péché abondât; mais où le péché a abondé, la grâce a surabondé (4) ". Et cependant il n'appelle pas péché cette même loi, qui, sans la grâce, ne vivifie pas: en effet, elle augmente plutôt la faute en y ajoutant la rébellion : " Car où il n'y a point de loi, il n'y a point de prévarication (5) " ; et ainsi, par elle-même, quand elle est la lettre sans l'esprit, c'est-à-dire la

1. II Cor. II, 6. — 2. Rom. VII, 6. — 3. Gal. III, 19. — 4. Rom. V, 20. — 5. Id. IV, 15.

loi sans la grâce, elle ne fait que des coupables; mais l'Apôtre se propose la question qui se présenterait aux moins éclairés, et il explique sa pensée en disant: " Que dirons-nous donc? La loi est-elle péché ? Point du tout : mais je n'ai connu le péché que par la loi ! Car je ne connaîtrais pas la concupiscence, si la loi n'eût dit: Tu ne convoiteras point. Or, prenant occasion du commandement, le péché m'a trompé et m'a tué par lui. Ainsi la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon. Ce qui est bon est donc devenu pour moi la mort? Loin de là; mais le péché, pour paraître péché, a, par une chose bonne, opéré pour moi la mort (1) ". Voilà ce que comprend celle à qui tu insultes, parce qu'elle demande avec gémissements, qu'elle cherche avec humilité, qu'elle frappe avec douceur; et ainsi elle voit qu'on ne blâme point la loi, quand on dit: " La lettre tue, mais l'esprit a vivifie (2) ", pas plus qu'on ne blâme la science, quand on dit: " La science enfle, mais la charité édifie (3) ". Car l'Apôtre avait déjà dit. " Nous savons tous que nous avons une science suffisante ", après quoi il ajoute: " La science enfle, mais la charité édifie (4) ". Pourquoi donc avait-il lui-même de quoi s'enfler, si ce n'est parce que la science unie à la charité, non-seulement n'enfle pas, mais affermit? Ainsi la lettre avec l'esprit, et la loi avec la grâce, ne s'appelle plus lettre et loi, dans le même sens que quand elles tuaient par elles-mêmes, le délit abondant. Aussi la loi a été appelée même " force du péché (5) ", parce qu'elle en augmentait la criminelle jouissance, par l'effet de ses défenses sévères. Et pourtant, même alors, elle n'était pas mauvaise ; " mais le péché, pour paraître péché, a, par une chose bonne, opéré la mort ". Ainsi, bien des choses sont nuisibles à quelques uns, sans être mauvaises par elles-mêmes. Vous-mêmes, par exemple, quand vous avez mal aux yeux, vous fermez les fenêtres au soleil, votre dieu. Donc cette épouse du Christ, déjà morte à la loi, c'est-à-dire au péché, que la défense de la loi rendait plus abondant (car la loi, sans la grâce, donne des ordres, mais non point de secours), morte, dis-je, à cette loi, afin d'appartenir à un autre qui est ressuscité des morts, fait toutes ces distinctions sans injurier la loi, ne voulant point

1. Rom. VII, 7-13. — 2. II Cor. III, 6. — 3. I Cor. VIII, 1. — 4. Id. — 5. Id. XV, 56.

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blasphémer son auteur : ce que tu fais, toi, à l'égard de celui en qui tu ne sais pas reconnaître l'auteur du bien, quoique tu entendes l'Apôtre dire: " La loi est sainte et le commandement est saint, juste et bon ". Et voilà que l'auteur du bien est, selon toi, un des princes des ténèbres. Fais donc attention à la vérité, elle te saute aux yeux. Paul l'apôtre dit: " La loi est sainte et le commandement est saint, juste et bon ". Et son auteur est celui qui a d'abord envoyé, dans des vues profondes et mystérieuses, le diptyque dont tu te railles dans ta folie. Car cette même loi, donnée par Moïse, est devenue la grâce et la vérité par Jésus-Christ (1), quand l'esprit s'est joint à la lettre, afin que la justice de la loi commençât à s'accomplir, elle qui jusque-là n'avait fait que des coupables par la rébellion. En effet, la loi sainte, juste et bonne, n'est pas différente de celle par laquelle le péché opère la mort, et à laquelle nous devons mourir pour appartenir à un autre qui est ressuscité des morts : c'est absolument la même. Continue et lis : " Mais le péché, pour paraître péché, a, par une chose bonne, opéré pour moi la mort, de sorte qu'il est devenu par le commandement une source extrêmement abondante de péché, ou péché par le commandement ". Sourde, écoute donc, aveugle, vois donc. " Il a ", dit l'Apôtre, " par une chose bonne, opéré pour moi la mort ". Donc la loi est toujours bonne; soit que la grâce nuise à ceux qui sont vides, soit qu'elle profite à ceux qui sont rassasiés. Elle est toujours bonne; comme le soleil est toujours bon (parce que toute créature de Dieu est bonne (2) ), soit qu'il nuise à des yeux malades, soit qu'il flatte agréablement des yeux sains. Or, ce que la santé est aux yeux pour voir le soleil, la grâce l'est aux esprits pour accomplir la loi. Et comme les yeux sains ne meurent pas à la jouissance du soleil, mais seulement à ces rayons piquants dont l'éclat les jetait dans des ténèbres plus épaisses, ainsi l'âme sauvée par la charité de l'esprit, n'est point déclarée morte à la justice de la loi, mais seulement à la faute et à la prévarication que la loi occasionnait par la lettre, quand la grâce manquait. C'est donc d'elle qu'on dit d'abord: " La loi est bonne, si on en use légitimement ", et immédiatement après

" Reconnaissant que la loi n'est pas établie

1. Jean, I, 17. — 2. I Tim. IV, 4.

pour le juste (1) " ; parce que celui qui jouit de la justice même, n'a plus besoin de la lettre qui effraie.

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CHAPITRE IX. CONTINUATION DU MÊME SUJET. LA SECTE MANICHÉENNÈ SÉDUITE PAR LE SERPENT.

Cette épouse du Christ, qui se réjouit dans l'espoir d'être entièrement sauvée, souhaite que tu te convertisses heureusement des fables à la vérité, de peur que, redoutant un Adonaï quasi adultère, tu ne restes avec l'astucieux serpent, l'adultère véritable. Car Adonaï est un mot hébreu qui signifie Seigneur, dans le sens où l'on dit que le seul Dieu est Seigneur; comme latrie est un mot grec que l'on traduit par culte, non un culte quelconque, mais celui qui n'est dû qu'à Dieu; comme Amen signifie vrai, non dans l'acception générale et vulgaire, mais dans le sens de vérité religieuse. Si on te demande d'où tu tiens ce que tu as, tu ne trouves non plus que l'hébreu ou ce qui vient de l'hébreu. L'Eglise du Christ ne craint donc. pas qu'on lui objecte tous ces termes; elle comprend et elle aime; elle n'a souci d'un insulteur ignorant; et ce qu'elle ne comprend pas, elle l'assimile à d'autres choses dont l'expérience lui a appris le sens qu'elle n'avait pas su jusque-là. Qu'on lui reproche d'aimer l'Emmanuel, elle rit de l'ignorance du blasphémateur et accepte la signification du nom dans toute sa vérité. Qu'on lui reproche d'aimer le .Messie, elle repousse un adversaire mort et s'attache à un Maître embaumé de parfums. Et elle désire que tu sois ainsi guérie de tes vaines erreurs, et bâtie sur le fondement des Apôtres et des Prophètes (2). Quand tu parles d'Hippocentaure, tu ne sais ce que tu dis; tu ne fais pas attention au fond de ta fable, lorsque tu forges dans ton imagination un monde chimérique, formé d'une partie de ton dieu et d'une partie de la terre de ténèbres. N'est-ce pas là l'hippocentaure; demi-animal et demi-dieu? En vérité, on ne peut pas même l'appeler hippocentaure. Mais examine ce que c'est, et rougis, et humilie-toi, afin d'avoir en horreur l'opprobre que te fait subir le serpent corrupteur. Car si tu n'as pas cru à son astuce sur la parole de Moïse. Paul a dû te tenir en garde contre lui, puisque; voulant, présenter au Christ la vraie Église comme une vierge chaste, il a dit :

1. 1 Tim. I, 8, 9. — 2. Eph. II, 20.

238

"Je crains que comme le serpent séduisit Eve par son astuce, ainsi vos esprits ne se corrompent et ne dégénèrent de la simplicité qui est dans le Christ (1) ". Tu entendais cela, et pourtant tu as poussé si loin la folie, tu as été tellement égarée par de perfides enchantements que, quand ce même serpent inspirait telle ou telle erreur à beaucoup d'autres sectes, il est venu à bout de te persuader qu'il est le Christ. Or, si ces sectes, enveloppées dans ses ruses variées et multiformes, sont dans l'erreur, bien qu'elles reconnaissent la vérité de ce que dit l'Apôtre combien n'es-tu pas plus corrompue, plus enfoncée dans la prostitution, toi qui prends pour le Christ celui par qui l'Apôtre du Christ proclame qu'Eve a été séduite et corrompue, afin d'avertir et de tenir en garde contre lui, la Vierge épouse du Christ? Il a rempli ton coeur de ténèbres, celui qui se vautre avec toi dans les forêts lumineuses, peuplées de fantômes. Quelles sont ses fidèles promesses ? Où sont-elles? D'où viennent-elles? O femme ivre, mais non de vin (2) !

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CHAPITRE X. LES PROPHÈTES MANICHÉENS. LA SECTE PRÉDITE PAR SAINT PAUL.

Car tu as accusé avec une impudence sacrilége le Dieu des Prophètes, de n'avoir pas tenu ses promesses aux Juifs qui le servaient. Mais tu t'es bien gardée de préciser en quoi consistent ces promesses non exécutées, de peur qu'on ne te prouve ou qu'elles le sont sans que tu le saches, ou qu'elles le seront, bien que tu n'y croies pas. Mais toi, que t'a-t-on promis, que t'a-t-on offert pour te faire croire qu'un jour tu jouiras des triomphes des siècles nouveaux sur la terre de ténèbres? Si tu montres certaines prophéties, où nous lisons que la secte manichéenne a été annoncée avec éloge, en sorte que tu voies déjà un commencement d'exécution dans le fait même de votre existence, il faut d'abord que tu nous prouves que Manès, voulant conquérir ta foi, n'a pas lui-même fabriqué ces prophéties. Car pour lui le mensonge n'a rien de honteux, et il ne peut pas hésiter à nous montrer de faux prophètes sous des peaux de brebis, lui qui fait une gloire au Christ d'avoir montré de fausses cicatrices dans ses membres. Pour

1. II Cor. XI, 2,3. — 2. Is. LI, 21.

moi, je sais que vous avez été prédits, non-seulement par les Prophètes en termes obscurs, mais par l'Apôtre en termes exprès : " Or, l'Esprit dit manifestement que, dans les derniers temps, quelques-uns abandonneront la foi, s'attachant à des esprits séducteurs et à des doctrines de démons, parlant le mensonge avec hypocrisie, ayant la conscience cautérisée, défendant le mariage et s'abstenant des aliments que Dieu a créés pour être reçus avec actions de grâces par les fidèles et par ceux qui ont connu la vérité; car toute créature de Dieu est bonne, et on ne doit rien rejeter de ce qui se prend avec actions de grâces (1) ". Or, pour ceux qui vous connaissent, il est plus clair que le soleil que tout cela s'est accompli en vous, et nous l'avons démontré plus haut dans l'occasion.

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CHAPITRE XI. PROMESSES DE DIEU ACCOMPLIES. INVITATION PRESSANTE À REVENIR À LA VÉRITÉ.

Mais celle que l'Apôtre désire présenter à son unique Epoux, le Christ, comme une chaste vierge, et qu'il tient en garde contre l'astuce du serpent qui l'a perdue, celle-là reconnaît le Dieu des Prophètes, le vrai Dieu, son Dieu; elle attend en toute confiance l'accomplissement de ses dernières promesses, elle qui en a déjà tant vu se réaliser dont elle goûte les fruits; et personne ne s'avise de dire que les prophéties qu'elle lit dans les livres hébreux ont été fabriquées à son usage pour les besoins du temps. Car quoi de plus incroyable que cette promesse faite à Abraham : " Toutes les nations seront bénies en ta postérité (2)?" Et quoi de plus certain que son accomplissement ? Or, la dernière promesse est celle que le Prophète résume en ce peu de mots: " Heureux ceux qui habitent dans votre maison ! ils vous loueront dans les siècles des siècles (3) ". En effet, quand tous les besoins auront cessé, quand la mort, le dernier ennemi, sera détruite (4), les élus en paix n'auront plus qu'à louer Dieu sans fin, dans cette demeure où personne n'entrera plus, comme personne n'en sortira plus. C'est ce que le Prophète exprime ailleurs : " Jérusalem, loue unanimement le Seigneur; Sion, loue ton Dieu, parce qu'il a fortifié les barrières de tes portes,

1. I Tim. IV, 1, 4. — 2. Gen. XXII, 18. — 3. Ps. LXXXIII, 5. — 4. I Cor. XV, 26.

239

et béni tes enfants dans ton sein (1)". Les portes une fois fermées, personne n'entrera, personne ne sortira. C'est ainsi que l'Epoux lui-même dit dans l'Evangile aux vierges folles qu'il ne leur ouvrira pas, quoiqu'elles frappent (2). Cette Jérusalem, la sainte Eglise, l'épouse du Christ, est décrite plus au long dans l'Apocalypse de Jean. Permis à la chaste vierge de ne pas croire à cette promesse prophétique, si elle ne goûte déjà pas l'accomplissement de celle qui lui a été faite en ce temps par le même Prophète : " Ecoutez, ô ma fille! voyez, prêtez l'oreille et oubliez votre peuple et la maison de votre père : car le roi sera épris de votre beauté, parce qu'il est lui-même votre Dieu, et les filles de Tyr viendront l'adorer en lui offrant des présents, les riches de la terre imploreront vos regards. Toute la gloire de la fille du roi est intérieure ; ses vêtements sont resplendissants d'or et de broderie; à sa suite des vierges seront présentées au roi, ses compagnes vous seront présentées, on les amènera avec joie et allégresse dans le temple du roi. Pour vous, à la place de vos pères, il vous est né des enfants; vous les a établirez princes sur toute la terre; ils se

1. Ps. CXLVII, 1, 2. — 2. Matt. XXV, 12.

souviendront de votre nom de génération en génération; pour cela, les peuples chanteront vos louanges pendant l'éternité et les siècles des siècles (1) ". Mais toi, infortunée victime du serpent, quand chercheras-tu seulement à comprendre ce que c'est que cette beauté intérieure de la fille du roi? Eh bien ! c'est la chasteté de l'esprit que tu as perdue, au point que tes yeux se sont ouverts pour aimer et adorer le soleil et la lune ; que, par un juste jugement de Dieu, tu as été séparée de l'arbre de vie, qui est la sagesse éternelle et intérieure, et que tu n'as plus estimé et appelé vérité et sagesse que cette lumière qui entre dans les yeux mal ouverts, s'accroît à l'infini, prend mille formes chimériques et fabuleuses, et où s'égare ton âme impudique. Ce sont là tes fornications, exécrables au plus haut point. Et cependant, songes-y patiemment et reviens à moi, dit la Vérité. Reviens à moi; et tu seras purifiée, restaurée, si tu te perds pour toi et te rejettes en moi. Ecoute cela: car c'est ce que te dit la Vérité, laquelle n'a point lutté sous des formes trompeuses avec le peuple des ténèbres et ne l'a pas racheté au prix d'un sang imaginaire.

1. Ps. XLIV, 11, 18.

 

 

 

 

LIVRE SEIZIÈME. LE CHRIST PRÉDIT PAR MOÏSE.

Fauste nie que Moïse ait prophétisé du Christ. — Selon lui, la loi de Moïse contredit l'Evangile. — Réfutation. — Le saint Docteur reprend un à un les textes objectés et les explique. — Il justifie Moïse, prouve qu'il a été la figure du Christ et qu'il a eu le Christ en vue. — Détails sur le Sabbat, la Circoncision, la distinction des aliments, etc.

 

CHAPITRE PREMIER. FAUSTE ACCEPTE LES PROPHÉTIES DE MOÏSE SUR LE CHRIST, S'IL Y EN A, TOUT EN REPOUSSANT LE RESTE DE SA DOCTRINE.

Fauste. Pourquoi ne recevez-vous pas Moïse, quand le Christ dit : " C'est de moi que Moïse a écrit, et si vous croyiez Moïse, vous me croiriez sans doute aussi (1) ". Pour moi, je n'entends pas que non-seulement Moïse, mais aucun prophète hébreu ou gentil aient écrit du Christ. Au fond, en quoi cela nuirait-il à notre foi, ou plutôt quel profit n'en tirerait-elle pas, si nous pouvions recueillir de tout côté des témoignages clairs et concordants en faveur de notre Dieu ? Même en ce cas, nous serions encore libres, tout en conservant une haine profonde pour leur superstition, d'extraire simplement de leurs livres les prophéties relatives au Christ : tant je suis peu contrarié de ce que Moïse, quoique hostile au Christ, semble pourtant avoir écrit quelque chose sur le Christ. Est-il un homme qui ne recueillît avec plaisir une fleur sur toute épine, un fruit sur toute tige d'herbe, du miel de chaque mouche, bien que nous ne prenions ni mouche, ni foin pour aliments, ni épines pour former une couronne? Chacun n'aimerait-il pas à voir des perles se former dans toutes les cavités, des pierres précieuses sur toutes les terres, des fruits sur tous les arbres des forêts? Et si manger un poisson de mer ne fait point de mal, tandis que boire de l'eau de mer en fait, si les hommes savent prendre ce qui leur est utile et rejeter ce qui leur est nuisible : pourquoi ne nous serait-il pas permis, tout en réprouvant une religion quelconque qui nous est inutile, de lui emprunter seulement les prophéties touchant le Christ? Et l'erreur n'en pourrait profiter pour nous séduire et faire de nous ses esclaves: car il n'a servi de rien aux esprits immondes de confesser clairement et sans détour que Jésus

1. Jean, V, 46.

est le Fils de Dieu (1); ils ne nous en sont pas moins odieux. Ainsi donc, si Moïse, d'après ce texte, a rendu quelque témoignage du Christ, je l'accepte; mais sous la réserve cependant qu'il n'en pourra tirer parti pour m'enchaîner à sa loi, qui, selon moi, ne diffère en rien du paganisme. C'est pourquoi, tu n'as aucune raison de croire que, si cette thèse est prouvée, je ne serai pas fort heureux que tout esprit ait prophétisé du Christ.

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CHAPITRE II. MAIS FAUSTE N'A TROUVÉ DANS MOÏSE AUCUNE PROPHÉTIE SUR LE CHRIST.

Je te serai certainement reconnaissant, puisque tu me fais voir que le Christ atteste que Moïse a écrit de lui, de me faire aussi connaître ce que Moïse a écrit. Pour moi, en parcourant ses livres, suivant l'ordre, je n'y ai trouvé aucune prophétie touchant le Christ; soit qu'il n'y en ait pas, soit que je n'aie pu les comprendre. Aussi, dans mon extrême embarras, je me suis vu réduit à cette alternative : ou de regarder ce chapitre comme supposé, ou de traiter Jésus de menteur. Mais la piété me défendait d'accuser Dieu de mensonge. J'ai donc cru plus raisonnable d'attribuer une fausseté à des écrivains, plutôt qu'un mensonge à Dieu. J'avais en effet entendu le Christ traiter de voleurs et de larrons tous ceux qui sont venus avant lui (2) ; condamnation qui me semble tomber en premier lieu sur Moïse. Et quand les Juifs, l'entendant parler de sa majesté et s'appeler lui-même la lumière du monde, protestaient avec colère en disant : " C'est vous qui rendez témoignage de vous-même; votre témoignage n'est pas vrai " : je ne vois pas que le Christ ait dit que Moïse avait prophétisé de lui, bien que ce fût le cas ou jamais de le dire; mais comme quelqu'un qui leur serait étranger et n'aurait à citer aucun témoignage de leurs pères en sa faveur,

1. Matt. VIII, 29. — 2. Jean, X, 8.

241

il répondit : " Or, dans votre loi il est écrit que le témoignage de deux hommes est vrai. C'est moi qui rends témoignage de moi-même : mais mon Père, qui m'a envoyé, rend aussi témoignage de moi (1) " faisant ici allusion à ce qu'ils avaient tous entendu dire d'en haut : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé; croyez en lui (2)". De plus, il ne me semble pas vraisemblable que les Juifs eussent pu se taire quand le Christ disait que Moïse avait écrit de lui, et que, méchants et rusés comme ils l'étaient, ils ne lui eussent pas demandé quels étaient donc ces passages qu'il croyait écrits pour lui. Or, leur silence absolu n'est pas une faible preuve que Jésus n'a rien dit de ce genre.

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CHAPITRE III. IL DEMANDE QU'ON LES LUI FASSE CONNAÎTRE.

Bien que ce ne soit pas là de minces motifs pour me rendre ce chapitre suspect de falsification, cependant le plus grave à mes yeux c'est que, en étudiant attentivement, comme je l'ai dit, tous les écrits de Moïse, je n'y ai trouvé aucune prophétie touchant le Christ. Cependant, trouvant en toi un lecteur plus intelligent, j'espère en profiter, y gagner quelque chose; et je te serai reconnaissant, je l'avoue, si tu ne trompes pas, par un sentiment de jalousie, l'espoir d'avancement et d'instruction que m'inspire la confiance avec laquelle tu m'adresses tes reproches; mais que tu me fasses connaître tout ce que les écrits de Moïse renferment sur notre Dieu et Seigneur et qui m'aura peut-être échappé à la lecture. Et ne me dis pas, de grâce, ce que disent ordinairement les ignorants: qu'il suffit, pour croire, que le Christ ait affirmé que Moïse a écrit de lui. Ici, je t'en prie, ne fais pas attention à moi : ma profession m'oblige à croire, et je ne puis me dispenser d'ajouter foi à celui dont j'ai embrassé la doctrine; mais suppose que nous avons affaire à un juif, ou même à un gentil; quand nous leur aurons dit : Moïse a écrit du Christ, et qu'ils nous demanderont des preuves, que leur offrirons-nous ? Nous contenterons-nous de leur dire : Le Christ a dit cela, quand ils ne croient pas au Christ ? Evidemment il faut leur montrer ce que Moïse a écrit.

1. Jean, VIII, 13, 17, 18. — 2. Matt. III, 17; Luc, IX, 35.

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CHAPITRE IV. IL EN DISCUTE UNE ET LA REJETTE.

Que leur montrerons-nous donc? Sera-ce le passage que vous citez ordinairement, où leur Dieu parlant à Moïse, dit : " Je leur susciterai, du milieu de leurs frères, un prophète semblable à toi (1) ? " Mais le Juif sait parfaitement que cela ne se rapporte pas au Christ, et nous ne pouvons nous-mêmes le croire : car le Christ n'est pas un prophète, ni un prophète semblable à Moïse; puisque l'un était pécheur et l'autre saint; l'un né d'un couple et l'autre d'une vierge, selon vous, et, selon moi, pas même d'une vierge; l'un meurt sur une montagne pour avoir offensé son Dieu (2), l'autre, pour le bon plaisir de son Père, souffre une mort volontaire (3). Comment donc serait-il un prophète semblable à Moïse? Evidemment le juif nous accusera aussitôt d'ineptie, ou nous convaincra de mensonge.

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CHAPITRE V. IL EN RÉPROUVE ÉGALEMENT UNE SECONDE.

Lui présenterons-nous encore cet autre passage, que vous alléguez aussi souvent " Ils verront leur vie suspendue, et ils ne croiront pas à leur vie (4) ? " Vous ajoutez " Sur le bois ", qui ne se lit pas dans le texte. Mais rien n'est plus facile que de prouver qu'il ne s'agit pas ici du Christ. En effet, parmi les terribles malédictions lancées contre son peuple, dans le cas où il serait infidèle à sa loi, Moïse ajoute celle-ci: qu'ils seront prisonniers de leurs ennemis, qu'ils penseront à la mort jour et nuit, et ne compteront pas même sur une vie due à la générosité des vainqueurs, parce que toujours incertains, toujours tremblants, ils se sentiront constamment sous la pointe du glaive. Il n'y a donc rien là qui se rapporte au Christ et il faut chercher ailleurs. Car j'ai peine à croire que vous appliquiez au Christ la malédiction formulée contre quiconque est suspendu au bois (5) ; ou cet autre passage où l'on dit qu'il faut mettre à mort tout prophète ou chef du peuple qui tenterait de détourner les Israélites de leur Dieu ou de transgresser quelqu'un des commandements (6) : ce que le Christ a certainement fait, je ne saurais le

1. Deut. XVIII, 15,18. — 2. Id. XXXIV, 5. — 3. Jean, X, 18. — 4. Deut. XXVIII, 66. — 5. Id. XXI, 23. — 6. Id. XIII, 5.

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nier. Mais toi, au contraire, tu ne peux convenir que ces choses aient été écrites du Christ ; autrement, nous te demanderions encore une fois dans quel esprit Moïse a prophétisé, pour maudire le Christ ou le condamner à mort. Car s'il a eu l'esprit de Dieu, il n'a pas dit cela du Christ ; et s'il l'a dit du Christ, il n'a pas eu l'esprit de Dieu. En effet, l'Esprit divin ne maudirait pas le Christ, ou ne le condamnerait pas à mort. Donc, pour laver Moïse de ce crime, vous êtes forcés d'avouer qu'il n'avait pas le Christ en vue quand il écrivait cela. Et s'il n'a pas écrit cela du Christ, ou vous produirez d'autres témoignages, ou il n'y en a pas. S'il n'y en a pas, le Christ n'a pas pu affirmer ce qui n'est pas. Et si le Christ n'a pas affirmé cela, il est donc évident que le chapitre est faux.

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CHAPITRE VI. CONTRADICTIONS ENTRE LA DOCTRINE DE MOISE ET CELLE DU CHRIST.

La suite du texte n'est pas plus vraisemblable : " Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez sans doute aussi " : car la doctrine de Moïse et celle du Christ sont tellement dissemblables, tellement différentes, que les Juifs, en admettant l'une, devraient nécessairement rejeter l'autre. En effet, Moïse prescrit avant tout de s'abstenir de tout travail le jour du sabbat, et le principal motif qu'il donne à cette observance religieuse, c'est que Dieu ayant mis six jours à former le monde et ce qu'il contient, se reposa le septième, qui est le sabbat; et que pour cela il le bénit, c'est-à-dire le sanctifia, comme le port où il était entré dans le repos, et établit en loi que quiconque le violerait serait mis à mort (1). Les Juifs, sur la parole de Moïse, en étaient pleinement convaincus ; aussi ne voulaient-ils pas même prêter l'oreille au Christ quand il affirmait que Dieu agit sans cesse, qu'il ne s'est fixé aucun jour pour le repos, parce que sa puissance est continuelle et infatigable, et que lui, par conséquent, ne doit non plus jamais cesser d'agir, pas même les jours de sabbat car, dit-il : " Mon Père agit sans cesse et il faut que j'agisse aussi (2) ". De même Moïse range la circoncision parmi les rites sacrés et agréables à Dieu ; il ordonne que tous les mâles soient circoncis dans leur chair, il

1. Ex. XX, 8-11 ; XXVI, 13-17. — 2. Jean, V, 17 ; IX, 4.

enseigne que c'est là la marque indispensable de l'alliance que Dieu a faite avec Abraham, et il affirme que tout homme qui ne portera pas ce signe, sera chassé du milieu de sa tribu et n'entrera point en partage de l'héritage promis à Abraham et à sa postérité (1). Et, cela encore, les Juifs le croyaient fermement, sur l'affirmation de Moïse ; et c'est pourquoi ils ne pouvaient ajouter foi au Christ qui infirmait cette doctrine, et prétendait même que quiconque était circoncis, encourait deux fois le supplice de la géhenne (2). De même encore Moïse établit une distinction rigoureuse entre les chairs servant d'aliments, et, à la façon d'un gourmet, se fait juge des poissons, des oiseaux et des quadrupèdes ; il veut que les uns soient mondes et puissent être mangés, que les autres soient immondes, et ne soient pas même touchés; et parmi ceux-ci, il range le porc et le lièvre, tous les poissons qui n'ont pas d'écailles, et les quadrupèdes qui n'ont pas le sabot fendu et ne ruminent pas (3) . Les Juifs ont aussi fortement adhéré à ces prescriptions écrites par Moïse; et pour cela encore, ils ne pouvaient croire au Christ qui enseignait que tous les aliments sont indifférents, qui les interdisait presque tous, il est vrai, à ses disciples, mais permettait aux gens du peuple de manger tout ce qui peut se manger, et leur déclarait que rien de ce qui entre dans la bouche n'était capable de les souiller : vu que les choses mauvaises qui sortent de la bouche peuvent seules souiller l'homme (4). Personne n'ignore que Jésus a enseigné cela et bien d'autres choses encore, opposées à la loi de Moïse.

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CHAPITRE VII. AUSSI LES SECTES CHRÉTIENNES REJETTENT-ELLES LA LOI DE MOÏSE.

Comme il serait long de les parcourir en détail, je me bornerai à un seul point : c'est que la plus grande partie des sectes chrétiennes, et même les catholiques, comme chacun le voit, n'ont aucun souci des prescriptions de Moïse. Or, si ce n'est pas là une erreur, mais la vraie tradition du Christ et de ses disciples, vous êtes forcés d'avouer que les enseignements de Jésus et ceux de Moïse sont formellement opposés, et que les Juifs n'ont

1. Gen. XVII, 9-14. — 2. Matt. XXIII, 15. — 3. Deut. XIV, 3-20. — 4. Matt. XV, 11-20.

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pas cru à Jésus parce qu'ils voulaient rester fidèles à Moïse. Comment donc ces paroles attribuées à Jésus : " Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez sans doute aussi ", ne seraient-elles pas fausses, quand il est de la plus grande évidence que les Juifs n'ont pas cru à Jésus précisément parce qu'ils croyaient à Moïse, et qu'ils auraient pu croire au Christ, s'ils avaient cessé de croire à Moïse? Encore une fois, je t'en prie, dis-nous donc où Moïse a écrit du Christ.

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CHAPITRE VIII. FAUSTE NE VEUT PAS CROIRE SANS PREUVES.

D'autre part on me dit : Si tu es chrétien, crois au Christ, quand il affirme que Moïse a écrit de lui. Si tu n'y crois pas, tu n'es pas chrétien. C'est toujours là la sotte et niaise réponse de ceux qui n'ont point de preuve à donner. Que tu aurais bien mieux fait de t'en tenir à ce simple aveu ! Et cependant tu as pu me dire cela, à moi que tu sais obligé de croire, parce que je professe la religion du Christ : quoique en réalité il s'agisse précisément de savoir si c'est là un témoignage du Christ qu'il faille absolument accepter, ou celui d'un écrivain qu'on doive soumettre à une sévère critique. Et en refusant de croire à des faussetés, ce n'est pas le Christ que nous blessons, mais les falsificateurs. Cependant admettons que les chrétiens puissent à la rigueur se contenter de cette réponse : mais comment nous en tirerons-nous avec ceux dont j'ai parlé, avec le juif et le gentil, à qui nous ne pouvons dire : Si tu es chrétien, crois; si tu ne crois pas, tu n'es pas chrétien ? Bien que, au fond, on n'aurait pas tout à fait raison de tenir ce langage à un chrétien, puisque le Christ n'a pas dédaigné de dissiper les doutes de l'apôtre Thomas concernant sa personne, mais lui a montré les cicatrices de son corps, pour remédier aux plaies de son âme, et ne lui a pas dit : Si tu es mon disciple, crois; si tu ne crois pas, tu n'es pas mon disciple. Réponds-moi là-dessus, à moi qui ne doute pas du Christ, mais de l'authenticité des paroles qu'on lui prête. Mais, dis-tu, il appelle plus heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru (1). Si tu penses que ces paroles signifient qu'il faut tout croire sans raison et sans jugement,

1. Jean, XX, 27, 29.

reste dans ta béate ignorance; pour moi je me contente du bonheur de raisonner sur ce que j'entends.

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CHAPITRE IX. RÉTORSION D'AUGUSTIN.

Augustin. Ce n'est pas sans finesse que tu te dis prêt à accepter les prophéties que tu trouveras dans les livres de Moïse touchant le Christ, comme tu prendrais un poisson de mer tout en rejetant l'eau dont il serait tiré. Mais comme tout ce que Moïse a écrit est du Christ, c'est-à-dire regarde absolument le Christ, soit qu'il l'annonce sous la figure des paroles et des actions, soit qu'il exalte sa grâce et sa gloire, toi qui admets, sur la foi des écrits de Manès, un Christ faux et menteur, tu ne veux pas croire à Moïse, pas plus que de manger du poisson. Il y a seulement une différence : c'est que tu poursuis Moïse de ta haine, et que tu fais du poisson un éloge menteur. En effet si, comme tu le dis, on peut manger un poisson de mer sans danger, pourquoi le déclarez-vous tellement malsain, que, à défaut d'autre aliment, vous vous laisseriez mourir de faim plutôt que d'y toucher? Pourquoi, si toute chair est immonde, comme vous l'affirmez ; si toute eau et toute herbe enchaînent misérablement la vie de votre Dieu et que vous deviez la purifier par vos aliments : pourquoi ta détestable superstition te fait-elle rejeter le poisson que tu loues, et boire l'eau de mer et manger les épines, que tu blâmes ? Pour ce qui est de la comparaison entre le serviteur de Dieu et les démons, où tu déclares qu'il faut accepter les prophéties qu'il a pu faire du Christ, comme on accepte le témoignage de ces esprits trompeurs confessant le Christ (1), sache que Moïse ne dédaigne point de partager l'opprobre de son Maître. Car, si le père de famille a été appelé Béelzébuth, à combien plus forte raison ceux de sa maison (2) ! Mais examinez bien de qui vous tenez tout cela ; ils sont certainement plus méchants que ceux qui adressaient ces injures au Seigneur. Car les Juifs ne croyaient point qu'il fût le Christ, et c'est pourquoi ils le regardaient comme un trompeur; mais vous, vous n'admettez pour vraie, que la doctrine qui ose prêcher un christ imposteur.

1. Matt. VIII, 29. — 2. Id. X, 25.

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CHAPITRE X. LE CULTE PRESCRIT PAR MOÏSE N'ÉTAIT POINT UN PAGANISME.

Mais comment vois-tu que la loi de Moïse ne diffère en rien du paganisme? Est-ce parce qu'elle parle de temple, de sacrifice, d'autel, de prêtre ? Mais tous ces noms se trouvent dans le Nouveau Testament. " Détruisez ce temple ", dit le Christ, " et je le relèverai en trois jours (1) ". Et : " Quand tu présentes ton offrande à l'autel (2) " ; puis : " Va, montre-toi au prêtre et offre le don prescrit par Moïse, en témoignage pour eux (3) ". Or, ce que tout cela figurait, le Seigneur nous le fait voir d'un côté, quand il compare le temple de son corps au temple de Jérusalem; et nous le voyons, d'autre part, dans l'enseignement de l'Apôtre : " Car le temple de Dieu est saint, et ce temple, c'est vous (4). Je vous conjure donc par la miséricorde de Dieu d'offrir vos corps en hostie vivante, sainte et agréable à Dieu (5) ", et dans d'autres passages de ce genre. Par conséquent toutes ces choses " ont été des figures de ce qui nous regarde (6) ", comme ledit le même apôtre et comme il faut souvent le rappeler; car ce n'étaient pas des offrandes aux démons, mais au seul vrai Dieu qui a fait le ciel et la terre; non qu'il eût besoin de ces offrandes, mais parce qu'il avait établi une distinction entre les temps, exigeant pour le présent ce qui devait être une figure de l'avenir. Mais vous qui, pour séduire et tromper des chrétiens ignorants et imparfaits, feignez une grande horreur pour le paganisme, montrez-nous des livres chrétiens autorisés, où il vous soit ordonné de vénérer et d'adorer le soleil et la lune. C'est bien plutôt votre erreur qui rapproche du paganisme, puisque vous n'honorez pas le Christ, mais je ne sais quoi sous le nom de Christ ; un rêve mensonger de votre imagination, des dieux visibles dans le ciel étalé sous nos yeux, ou d'autres dieux chimériques et sans nombre. A ces fantômes, semblables à de vaines et fantastiques idoles, vous n'élevez pas de temples, mais vous consacrez vos coeurs en guise de temple.

1. Jean, II, 19. — 2. Matt. V, 24. — 3. Id. VIII, 4. — 4. I Cor. III, 17. — 5. Rom. XII, 1. — 6. I Cor. X, 6.

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CHAPITRE XI. AUGUSTIN JUSTIFIERA LES TEXTES INCRIMINÉS. SI FAUSTE NE CROIT PAS A L'ÉVANGILE, QUI CROIRA A FAUSTE ?

Tu me sommes de te montrer ce que Moïse a écrit du Christ. Je t'ai déjà indiqué bien des choses plus haut ; mais qui pourrait suffire à tout ? surtout quand un méchant adversaire est disposé à tout tenter pour donner un autre sens aux passages que je puis citer; ou à dire, si l'éclat de la lumière l'accable, qu'il prend un poisson agréable au goût dans l'eau salée de la mer, et qu'on ne peut pas plus l'obliger à accepter tous les écrits de Moïse, qu'à boire de cette eau imprégnée de sel. Je pense donc suffire à ma tâche actuelle, en démontrant que les passages qu'il a recueillis, pour les critiquer, dans les livres de la loi hébraïque, s'appliquent au Christ, si on les entend dans leur vrai sens ; d'où il résulte assez clairement que d'autres, en bien plus grand nombre, saisissables à la première lecture, ou après une étude attentive et sincère, se rapportent à la foi chrétienne, si ceux mêmes qu'un ennemi objecte comme ridicules et condamnables démontrent que la foi chrétienne le condamne lui-même. Ainsi donc, ô le plus astucieux des hommes ! quand le Seigneur dit dans l'Evangile : " Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez sans doute à moi ; car c'est de moi qu'il a écrit (1) ", tu n'as pas besoin de feindre un si grand embarras et de te placer, comme par force, dans l'alternative ou de rejeter le chapitre comme faux, ou de déclarer Jésus menteur. Car comme ce chapitre est vrai, ainsi Jésus est véridique. " Il semble plus raisonnable ", dit notre adversaire, " d'attribuer une fausseté à des écrivains, qu'un mensonge à l'auteur de la vérité ". Quoi ! tu crois le Christ auteur de la vérité, quand tu dis qu'il a simulé chair, mort, blessure, cicatrices? Montre-moi donc, je te prie, qui t'a appris que le Christ est l'auteur de la vérité, toi qui oses traiter de faussaires ceux qui ont écrit de lui, et dont les témoignages, appuyés sur de récents souvenirs, ont passé à la postérité ? Car enfin tu n'as pas vu le Christ, il n'a point conversé avec toi comme avec les Apôtres, il ne t'a pas appelé, comme Paul, du haut du ciel (2). Que pouvons-nous penser, que pouvons-nous croire de lui, sinon ce qu'en dit

1. Jean, V, 46. — 2. Act. IX, 3-7.

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l'Ecriture ? Or, si l'Evangile, répandu et connu chez toutes les nations, et tenu en si grande réputation de sainteté par toutes les Eglises, depuis que le nom du Christ a commencé à être prêché ; si, dis-je, l'Evangile est menteur, quel écrit digne de foi noirs présentera-t-on pour nous faire croire au Christ ? Si l'Evangile, bien que connu partout, t'est suspect, quel écrit produiras-tu dont celui qui ne veut pas croire à l'Evangile, ne puisse dire qu'il est fabriqué ?

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CHAPITRE XII. CEUX QUI SONT VENUS AVANT LE CHRIST SONT DES VOLEURS ET DES LARRONS. SENS DE CE TEXTE.

Tu ajoutes ensuite que tu as entendu le Christ lui-même traiter de voleurs et de larrons tous ceux qui étaient venus avant lui (1). Comment sais-tu qu'il a dit cela, sinon par l'Evangile? Mais si on conteste ce que tu crois sur la foi de l'Evangile au point de dire que tu l'as entendu de la bouche du Seigneur lui-même; si on te nie que le Christ t'ait dit cela : où iras-tu? que feras-tu ? ne soutiendras-tu pas de toutes tes forces l'autorité de l'Evangile? Eh ! misérable, ce que tu neveux pas croire est précisément écrit là où tu as appris ce que tu crois au point de dire que tu l'as entendu de la bouche même du Christ. Pour nous, nous croyons l'un et l'autre, parce que nous croyons au saint Evangile, où l'un et l'autre sont écrits; à savoir, que Moïse a écrit du Christ, et que tous ceux qui sont venus avant le Christ ont été des voleurs et des larrons. Car ici " être venu " signifie n'avoir pas été envoyé: en effet, ceux qui ont été envoyés, comme Moïse et les saints Prophètes, ne sont pas venus avant lui, mais avec lui, puisqu'ils n'ont pas voulu marcher devant lui par orgueil, mais l'ont porté avec humilité, parlant par leur organe. Mais vous, qui interprétez ainsi ces paroles du Christ, vous confessez assez à votre façon que vous n'avez pas de prophètes qui aient prédit la venue du Christ, et voilà pourquoi vous vous en êtes forgé un à votre guise. Et si quelques-uns des vôtres, qui ne méritent aucune créance, précisément parce que vous êtes seuls à les produire ; si, dis-je, quelques-uns dont vous osez dire qu'ils ont prophétisé un Christ qui devait prendre une fausse chair, subir une fausse mort, montrer

1. Jean, V, 8.

de fausses cicatrices à ses disciples hésitants, ce n'est pas pour cela précisément que je les déclarerai détestables et gens à fuir (quoiqu'ils ne puissent être véridiques, dès qu'ils adoptent un christ imposteur) : non, ce n'est pas pour cela que je les repousse, mais (pour achever ma pensée de tout à l'heure), je dis que, d'après votre propre interprétation, ils ont été des voleurs et des larrons, puisqu'ils sont venus avant le Christ et qu'ils ont, d'une manière quelconque, annoncé son avènement. Or, si votre interprétation est vraie, si on doit dire que ceux-là sont venus avant le Christ, qui n'ont pas voulu venir avec le Christ, c'est-à-dire avec le Verbe de Dieu, mais qui n'étant pas envoyés de Dieu, ont apporté des mensonges aux hommes: vous aussi, quoique venus au monde après la Passion et la Résurrection du Christ, vous êtes des voleurs et des larrons, parce que, avant qu'il vous éclairât pour que vous pussiez prêcher la vérité, vous avez voulu marcher devant lui, pour débiter vos mensonges.

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CHAPITRE XIII. EXPLICATION DU TEXTE : TOUTE PAROLE SERA ASSURÉE PAR LA DÉPOSIJION DE DEUX OU TROIS TÉMOINS.

Quant à ce passage où les Juifs disent au Christ : " Vous rendez témoignage de vous-même; votre témoignage n'est pas vrai " ; il n'est pas étonnant que tu ne voies pas que le Christ continue pour dire que Moïse à prophétisé de lui; car tu n'as pas l'oeil de la piété, qui pourrait te le faire voir. En effet, voici ce qu'il leur répondit: " Il est écrit dans votre loi que le témoignage de deux hommes est vrai. C'est moi qui rends témoignage de moi-même; mais mon Père, qui m'a envoyé, rend aussi témoignage de moi (1) ". Que signifient ces paroles pour ceux qui savent comprendre, sinon que ce nombre de témoins a été consacré et recommandé dans la loi en esprit prophétique, pour annoncer d'avance la future révélation du Père et du Fils, dont l'Esprit-Saint est l'Esprit dans l'indivisible Trinité ? Voilà pourquoi il est écrit : " Toute parole sera assurée par la déposition de deux ou trois témoins (2) ". Du reste, souvent un seul témoin dit la vérité, et plusieurs mentent; aussi, au début de la prédication faite aux gentils, on a plutôt ajouté foi à un seul apôtre

1. Jean, VIII, 13, 17, 18. — 2. Deut. XIX, 15.

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annonçant l'évangile, qu'aux peuples égarés qui le persécutaient. Ce n'est donc pas en vain que ce nombre de témoins a été en quelque sorte consacré ; et quand le Seigneur fit cette réponse, il voulait faire entendre qu'en cela même Moïse avait prophétisé de lui. Objecterez-vous méchamment qu'il n'est pas dit: Il est écrit dans la loi de Dieu, mais: " Il est écrit dans votre loi ? " Eh ! qui né reconnaît ici le style ordinaire de l'Ecriture? Jésus a dit: "Dans votre loi", dans la loi qui vous a été donnée (1), dans le même sens que l'Apôtre, en parlant de l'évangile, dit, mon évangile, bien qu'il affirme l'avoir reçu, non d'un homme, mais par la révélation de Jésus-Christ. Direz-vous aussi que le Christ a renié Dieu pour Père, toutes les fois qu'il a dit: " Votre Père (2) " Mais puisque vous n'avez pas entendu la voix du ciel dire : " Celui-ci est mon Fils bien" aimé : croyez en lui (3) ", cessez d'y croire. Et si vous y croyez parce que vous l'avez trouvée dans les saintes Écritures, là aussi se lisent les paroles auxquelles vous ne voulez pas croire: à savoir, que Moïse a écrit du Christ, et bien d'autres que vous rejetez également. Et vous ne craignez pas, malheureux, qu'un profane vous dise que la voix n'est point descendue du ciel ! Vous ne craignez pas, quand vous argumentez, pour votre propre ruine, contre le salut du genre humain, que l'autorité de l'évangile assure au monde entier; quand vous affirmez qu'il ne faut pas admettre que le Christ ait dit que Moïse a prophétisé de lui, par la raison que s'il eût dit cela, les Juifs n'eussent pu se taire, et que, méchants et rusés comme ils l'étaient, ils " lui eussent demandé quels étaient ces passages qu'il croyait écrits de lui par Moïse " vous ne craignez pas, dis-je, qu'un homme vain et pervers ne vous dise : Si la voix dont vous parlez eût vraiment retenti du haut du ciel, tous les Juifs qui l'auraient entendue, eussent cru ! Pourquoi donc, insensés, ne voyez-vous pas que si, malgré la voix céleste, les Juifs ont persévéré dans leur infidélité et dans leur endurcissement, il a bien pu se faire aussi que quand le Christ disait que Moïse a écrit de lui, ils n'aient point demandé, méchants et astucieux qu'ils étaient, en quel endroit de ses livres, de peur de se voir confondus par des preuves convaincantes?

1. II Tim. II, 8; Gal. I, 11. 12. — 2. Matt. VI, 26, 32, etc. — 3. Id. III, 17; XVII, 5.

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CHAPITRE XIV. FAUSTE PRIS DANS SES PROPRES ARGUMENTS.

Mais Fauste sent que son argumentation contre la sainteté de l'Évangile n'est pas seulement sacrilège, mais encore faible et sans solidité; aussi dirige-t-il ailleurs son intention, et affirme-t-il que ce qui fait le plus d'impression sur lui, c'est que, en étudiant scrupuleusement tous les livres de Moïse, il n'y a trouvé aucune prophétie touchant le Christ. Je me hâte de lui répondre qu'il ne comprend pas. Et si on me demande pourquoi, je répondrai que c'est parce qu'il lit avec une intention hostile, perverse; parce qu'il n'étudie pas pour apprendre, mais qu'il croit savoir ce qu'il ignore. Cette présomption, cette bouffissure de l'orgueil ferme l'oeil du coeur, pour l'empêcher de voir, ou le tourne de travers, pour qu'il voie mal et approuve ou désapprouve à tort. " Faites-moi connaître ", nous dit-il, " tout ce que les livres de Moïse renferment sur notre Dieu et Seigneur, et qui m'aura peut-être échappé à la lecture ". Je lui réponds de suite : Tout t'a échappé, car tout est écrit en vue du Christ. Mais comme il nous est impossible de tout discuter, de tout traiter, je serai, avec l'aide de Dieu, fidèle à la règle que je me suis tracée dans cet ouvrage et que j'ai énoncée plus haut, à savoir de te démontrer que ces passages que tu choisis toi-même pour les critiquer, sont précisément écrits à cause du Christ. Bien plus, tu me pries de ne pas te dire, " à la façon des ignorants, qu'il suffit pour croire, de savoir que le Christ a affirmé que c'est de lui que Moïse a écrit ". Mais si je le dis, ce n'est pas comme ignorant, mais comme fidèle. Je conviens toutefois que cet argument est sans valeur pour convaincre un juif ou un païen; mais qu'il suffise à vous confondre, vous qui vous glorifiez d'être chrétiens d'une façon ou de l'autre, c'est ce que tu es obligé d'avouer après bien des tergiversations, quand tu dis " Ici, je t'en prie, ne fais pas attention à moi; ma profession m'oblige à croire, et je ne puis me dispenser d'ajouter foi à celui dont j'embrasse la doctrine; mais suppose que nous avons affaire à un juif, ou même à un gentil ". En attendant, ces paroles font assez voir que toi, à qui j'ai maintenant affaire, parce que ta profession t'oblige à croire, tu es (247) suffisamment convaincu que c'est du Christ que Moïse a écrit, vu que le Christ lui-même l'a dit, comme le porte l'Evangile, dont tu n'oses pas attaquer la si grande et si sainte autorité. Que si tu l'oses par voie détournée, tu te trouves embarrassé dans tes propres arguments ; et voyant quelle ruine te menace quand on te dit que tu ne peux exiger la foi à aucun écrit sur les actes et les paroles du Christ, si tu ne te crois pas obligé d'admettre l'Evangile si saintement et si universellement connu, tu crains de voir disparaître ce nom de chrétien, qui te sert de manteau, de voir ta vanité mise à nu, livrée au mépris et à l'horreur de tous; alors tu cherches à cacher tes blessures, et tu dis que ta profession t'oblige à croire à ces paroles de l'Evangile. Voilà comment, en attendant, moi, qui ai maintenant affaire à toi, je te tiens, je te frappe, je te tue, c'est-à-dire ton erreur et ta fourberie, et je te force à avouer que Moïse a écrit du Christ; parce que nous lisons dans l'Evangile, auquel ta profession t'oblige de croire, que le Christ fa dit. Et s'il est jamais nécessaire que je discute avec le juif ou le gentil, j'ai déjà montré plus haut comment je croirai devoir agir dans la faible mesure de mes forces.

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CHAPITRE XV. EN QUOI LE CHRIST RESSEMBLE A MOÏSE, ET EN QUOI IL EN DIFFÈRE.

Je ne conteste point que ces paroles de Dieu à Moïse, que tu as choisies comme si faciles à réfuter : " Je leur susciterai, du milieu de leurs frères, un prophète semblable à toi (1) ", que, ces paroles, dis-je, soient une prédiction relative au Christ. Et les magnifiques et gracieuses épithètes dont tu as cherché à colorer et à barioler ton langage ordurier, n'ont nullement ébranlé ma croyance sur ce point. Comparant en effet le Christ et Moïse, et désirant faire ressortir leurs différences, pour empêcher de rapporter au Christ ce passage écrit : " Je leur susciterai un prophète semblable à toi ", tu as établi plus d'un contraste : l'un est homme, l'autre est Dieu; l'un pécheur, l'autre saint; l'un est né d'un couple, l'autre d'une vierge selon vous, et, selon nous, pas même d'une vierge; l'un meurt sur la montagne pour avoir offensé Dieu, l'autre, pour le bon plaisir de son père, souffre une

1. Deut. XVIII, 15, 18.

mort volontaire. Comme si, quand on fait une comparaison, la ressemblance devait être parfaite de toute manière et en tout point ! Non seulement on dit que les choses sont semblables entre elles, quand elles sont d'une seule et même nature, comme deux jumeaux, ou des enfants vis-à-vis de leurs parents, ou des hommes quelconques vis-à-vis d'autres hommes, en tant qu'ils sont hommes, comme aussi il est facile de le voir chez les animaux ou parmi les arbres, quand on compare un olivier à un olivier, ou un laurier à un laurier; mais on dit encore que des choses sont semblables, quoiqu'elles soient de nature différente, comme l'olivier greffé et l'olivier sauvage, la farine grossière et la farine de froment. Et encore je parle ici de choses analogues et qui se touchent de près. Mais qu'y a-t-il de plus éloigné du Fils de Dieu, par qui tout a été fait (1), qu'une brebis ou une pierre? Et cependant, on lit dans l'Evangile : " Voici l'Agneau de Dieu (2) ", et l'Apôtre nous dit : " Or, la pierre était le Christ (3) " : ce que personne ne pourrait dire convenablement, si le Fils de Dieu n'admettait aucune comparaison. Qu'y a-t-il donc d'étonnant que le Christ n'ait pas dédaigné d'être comparé à Moïse, lui qui est devenu semblable à l'Agneau que Dieu, par l'organe de Moïse, avait ordonné à son peuple de manger, dont le sang était une sauvegarde et qui s'appelait la pâque (4)? autant de traits figuratifs dont il n'est pas permis de ne pas voir l'accomplissement dans le Christ. Ainsi donc, d'après l'Ecriture, je reconnais la différence, mais, d'après l'Ecriture, reconnais aussi la ressemblance. Or, la différence ne part pas du même point que la ressemblance; l'une a une cause et l'autre une autre; il nous reste seulement à les démontrer toutes les deux. Le Christ est différent de l'homme, parce qu'il est Dieu; car il est écrit de lui : " Qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni dans tous les siècles (5) " ; et le Christ est semblable à l'homme, parce qu'il est homme; puisqu'il est également écrit de lui : " Un médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus homme (6) ". Le Christ est différent du pécheur, parce qu'il est toujours saint; et le Christ est semblable au pécheur, parce que Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à celle du péché, afin de

1. Jean, I, 3. — 2. Id. 29. — 3. I Cor. X, 4. — 4. Ex. XII. — 5. Rom. IX, 5. — 6. I Tim. II, 5.

248

condamner le péché dans la chair par le péché même (1). Le Christ est différent de l'homme né d'un couple, en tant qu'il est né d'une vierge, mais il lui est semblable en tant qu'il est né d'une femme à qui il a été dit : " Le Saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu (2) ". Le Christ est différent de l'homme mort à cause de son péché, en tant qu'il est sans péché et qu'il a subi une mort volontaire; mais en revanche il est semblable à un homme mort, en tant qu'il a subi véritablement la mort corporelle.

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CHAPITRE XVI. LE PÉCHÉ ET LA MORT DE MOÏSE N'ÔTENT RIEN A SON MÉRITE.

Tu n'as rien ôté à Moïse, le serviteur de Dieu, en disant qu'il a été pécheur et qu'il est mort sur la montagne pour avoir offensé son Dieu (3). Car il savait aussi se glorifier en Dieu, pour être sauvé par celui par qui a été sauvé l'Apôtre qui a écrit : " Le Christ Jésus est venu en ce monde pour sauver les pécheurs, entre lesquels je suis le premier (4) ". En effet, la voix de Dieu reproche à Moïse d'avoir quelque peu chancelé dans sa foi au moment de tirer l'eau du rocher (5): faiblesse qui lui est commune avec Pierre, qui, par un même défaut de foi, chancela au milieu des flots (6). Mais gardons-nous de croire qu'il ait été pour cela exclu de la société éternelle des saints, lui qui, au rapport de l'Evangile, a eu l'honneur de se trouver avec saint Elie à côté du Seigneur transfiguré sur la montagne (7). Car nous pouvons voir dans les livres de l'Ancien Testament en quelle estime Dieu le tint, même après son péché. Mais pourquoi Dieu lui a-t-il reproché son péché et l'en a-t-il puni par une telle mort? Comme je me suis engagé à démontrer que les passages que tu as choisis pour les critiquer sont des prophéties relatives au Christ, je ferai mon possible, avec l'aide du Seigneur, pour prouver que ce que tu as blâmé dans la mort de Moïse en est une pour ceux qui savent comprendre.

1. Rom. VIII, 3. — 2. Luc, I, 35. — 3. Deut. XXXV, 5. — 4. I Tim. I, 15. — 5. Num. XV, 10-12. — 6. Matt. XIV, 30, 31. — 7. Id. XVII, 1-5.

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CHAPITRE XVII. MOÏSE FIGURE DU CHRIST.

Comme il est ordinaire dans les mystérieuses allégories des saintes Ecritures, que le même personnage joue différents rôles selon l'objet qu'il doit figurer, Moïse représentait en sa personne le peuple juif constitué sous la loi et le figurait au point de vue prophétique. Comme donc Moïse a douté de la puissance de Dieu en frappant le rocher de sa verge; ainsi ce peuple, asservi à la loi donnée par Moïse, en attachant le Christ au bois de la croix, n'a pas cru qu'il fût la vertu de Dieu. Mais comme la pierre frappée a fourni de l'eau aux Juifs altérés; ainsi la plaie du Dieu souffrant est devenue la source de vie pour les croyants. Nous avons là-dessus le témoignage très-clair et très-fidèle de l'Apôtre, qui, en en parlant, nous dit: " Or, cette pierre était le Christ (1) ". Dieu fait donc mourir cette incrédulité toute charnelle à la divinité du Christ, sur les hauteurs mêmes du Christ, lorsqu'il exige la mort corporelle de Moïse sur la montagne. Car comme le Christ est la pierre, le Christ est aussi la montagne : la pierre est la force dans l'humilité; la montagne l'élévation dans la grandeur. Comme l'Apôtre a dit: " Cette pierre était le Christ ", le Seigneur lui-même a dit : " Une ville ne peut être cachée, quand elle est située sur une montagne (2) " : laissant entendre par là qu'il est la montagne, et que les fidèles établis sur la gloire de son nom, sont la ville. La prudence de la chair vit, quand l'humilité du Christ, comme la pierre qu'on frappe, est un objet de mépris sur la croix : car le Christ crucifié est un scandale pour les Juifs et une folie pour les Gentils. Mais la prudence de la chair meurt, quand le Christ, comme une haute montagne, est reconnu pour le Très-Haut; car après la vocation des Juifs mêmes et des Gentils, le Christ est la vertu de Dieu et la sagesse de Dieu (3). Moïse monte donc sur la montagne pour mourir corporellement et être reçu avec un esprit vivant ; mais Fauste n'y est pas monté pour débiter ses calomnies charnelles avec un esprit mort. Et Pierre, guidé par la prudence de la chair, n'a-t-il pas redouté de voir frapper la pierre même, quand il disait au Seigneur qui annonçait sa passion : " A Dieu ne plaise, Seigneur, cela n'arrivera point ; ayez pitié de vous-même? " Et le Seigneur n'a pas ménagé cette faute, quand il lui répondit : " Arrière, Satan ! tu es un scandale pour moi : car tu ne goûtes pas ce qui

1. I Cor. X, 4. — 2. Matt. V, 14. — 3. I Cor. I, 23, 24.

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est de Dieu, mais ce qui est des hommes (1) ". Or, où est morte cette défiance charnelle, sinon

dans la glorification du Christ, figurée par la hauteur de la montagne? Car elle vivait dans Pierre, quand il aimait timidement son maître ; et elle était certainement morte, quand il le prêchait librement. Elle vivait dans Saul, quand il détestait le scandale de la croix et persécutait la foi chrétienne (2) ; et où mourut-elle, sinon sur cette montagne, alors que Paul disait : " Moi je vis, non plus moi, mais le Christ vit en moi (3) ".

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CHAPITRE XVIII. LE CHRIST A ÉTÉ PROPHÈTE.

Sur quel fondement donc, ô vaniteuse hérésie, espères-tu prouver que ce n'est point au Christ que se rapporte cette prédiction "Je leur susciterai, du milieu de leurs frères, un prophète semblable à toi ", quand tu ne le peux pas même par les dissemblances que tu cherches à faire ressortir? Car, sous les autres points de vue, nous montrons la ressemblance. Est-ce parce qu'on donne le nom de prophète à celui qui a daigné se faire homme, et a prédit tant de choses à venir? A moins peut-être qu'un prophète ne soit autre chose qu'un homme qui annonce l'avenir au-delà des prévisions humaines. C'est pourquoi le Christ a dit de lui-même : " Un prophète n'est pas sans honneur, si ce n'est dans sa patrie (1) ". Mais je reviendrai à toi, qui t'es tout à Meure avoué vaincu, quand tu as dit que ta profession t'oblige à croire à l'Evangile. Faisons comparaître le juif qui, dans sa fausse liberté, se soustrait au joug du Christ, et se croit pour cela encore endroit de dire : Le Christ a menti, Moïse n'a rien écrit qui le regarde.

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CHAPITRE XIX. LE CHRIST EST LE PROPHÈTE PROMIS A MOÏSE.

Qu'il me dise donc quel est le prophète que Dieu promit à Moïse quand il lui dit: "Je leur susciterai, du milieu de leurs frères, un prophète comme toi ", ou " semblable à toi ? " Sans doute, il y a eu dans la suite de nombreux prophètes; mais évidemment Dieu a voulu en désigner un en particulier. Le juif, je pense,

1. Matt. XVI, 22, 23. — 2. Act. VIII, 3. — 3. Gal. II, 20. — 4. Matt. XIII, 57.

songera immédiatement au successeur de Moïse, à celui qui introduisit dans la terre promise le peuple délivré de l'Egypte. Et à cette pensée il se moquera de moi, qui demande à qui s'appliquent ces mots : " Je leur susciterai un prophète semblable à toi ", alors que je sais par l'Ecriture quel est celui qui succéda à Moïse dans la fonction de gouverneur et de conducteur du peuple d'Israël. Mais quand il aura bien ri de mon ignorance (c'est du moins ce que nous promet Fauste dans le portrait qu'il nous trace de ce juif), je ne laisserai pourtant pas de l'interroger encore, de le ramener de son sourire de triomphe à la peine de répondre, en le pressant de questions et en le suppliant de me dire pourquoi Moïse a changé le nom de son successeur futur, de celui en comparaison duquel il était réprouvé, au point de ne pas introduire le peuple dans la terre promise (évidemment pour que la loi donnée par Moïse, non pour sauver, mais pour condamner le pécheur, né fût pas réputée capable d'introduire dans le royaume des cieux (1), mais bien la grâce et la vérité données par Jésus); oui, je demanderai au juif pourquoi Moïse a changé le nom de son futur successeur: car il s'appelait d'abord Ausé (Osée), et il reçut le nom de Jésus s. Pourquoi encore Moïse lui a donné ce nom au moment où, de la vallée de Pharan, il l'envoyait vers cette même terre où le peuple devait entrer sous sa conduite ? Car le véritable Jésus a dit lui-même : " Et quand je m'en serai allé et que je vous aurai préparé un lieu, je reviendrai et je vous prendrai avec moi (2) ". Je demanderai de plus si le Prophète n'entre pas dans la pensée de cette figure, quand il dit : " Dieu viendra du midi, et le saint, de Pharan (3) " : comme s'il disait : Il viendra un Dieu saint qui portera le même nom que celui qui vint du côté du midi, de Pharan, c'est-à-dire Jésus. Ajoutons que c'est le Verbe de Dieu lui-même qui parle et promet ce successeur de Moïse, celui qui devait introduire le peuple dans la terre promise et qu'il lui donne le nom d'ange, nom ordinairement réservé dans la sainte Ecriture à ceux qui ont quelque chose à annoncer : " Voilà que j'enverrai mon ange devant ta face, afin qu'il te garde dans le chemin et qu'il t'introduise dans la terre que j'ai juré de te donner.

1. Jean, I, 27. — 2. Num. XIII, 9, XIV, 6. — 3. Jean, XIV, 3. — 4. Hab. III, 3.

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" Fais attention à toi, écoute sa voix et prends garde de lui désobéir : car il ne te refusera rien, et mon nom est en lui (1) ". Qu'est-ce que cela veut dire ? Que non-seulement le manichéen, mais même le juif, cherche dans les Ecritures et qu'il voie si Dieu a dit: " Mon nom est en lui ", de quelque ange autre que celui qu'il promet pour introducteur dans la terre de promission. Qu'il cherche ensuite parmi les hommes quel est ce successeur de Moïse qui a introduit le peuple; et il trouvera Jésus, ainsi appelé, non dès sa naissance, mais par substitution de nom. Donc celui qui a dit : " Mon nom est en lui ", est le vrai Jésus, gouverneur et introducteur de son peuple dans l'héritage de la vie éternelle, selon le Nouveau Testament, dont l'Ancien était la figure. Ainsi, au point de vue de l'appareil prophétique, on ne pouvait rien faire, rien dire de plus éclatant, puisqu'on va jusqu'à exprimer le nom même.

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CHAPITRE XX. UN JUIF SINCÈRE, UN PAÏEN DE BONNE FOI, SERAIENT CONVAINCUS PAR LES PROPHÉTIES.

Il ne reste plus à ce juif, s'il veut être juif intérieurement, non d'après la lettre, mais en esprit (3); s'il veut être regardé comme un vrai Israélite, en qui il n'y a pas d'artifice (2), il ne lui reste plus, dis-je, qu'à se représenter en figure ce Jésus mort qui a introduit dans la terre des mourants, et à reconnaître en vérité Jésus vivant, qui l'introduira dans la terre des vivants. Il ne résistera plus aigrement à l'éclat d'une telle prophétie; mais, adouci par le souvenir du Jésus qui a introduit dans la terre de promission, il écoutera celui dont l'autre portait le nom, introducteur plus vrai, et qui nous dit: " Heureux ceux qui sont doux, parce qu'ils posséderont la terre en héritage (4) ". Et même le gentil, s'il n'avait pas un coeur de pierre, ou qu'il fût de ces pierres dont Dieu fait sortir des enfants d'Abraham (5), ne s'étonnerait-il pas de voir les livres antiques de ce peuple, dont on lui dirait que Jésus est sorti, renfermer une prophétie tellement claire que le nom même y est exprimé? Ne remarquerait-il pas que le Jésus, objet de cette prophétie, n'est pas un homme ordinaire, mais certainement un Dieu, puisque Dieu a déclaré

1. Ex. XXIII, 20, 21. — 2. Rom. II, 29. — 3. Jean, I, 47. — 4. Matt. V, 4. — 5. Id. III, 9.

que son nom était dans l'homme établi pour gouverner et introduire le peuple dans le royaume, qu'il l'a appelé ange, et que ce simple changement de nom indique une mission et quelque chose de grand et de divin? Car quel homme, ayant la moindre teinture de grec, ignore que dans cette langue ange signifie messager? Ainsi donc tout gentil, à moins d'être perverti et entêté, ne rejetterait pas ces livres parce qu'ils sont hébreux, parce qu'ils viennent d'une nation dont il ne reconnaît point, la loi ; mais il estimerait grandement les livres Il d'un peuple quelconque s'il y trouvait, prédits longtemps d'avance, des événements dont il aurait l'accomplissement sous les yeux; il ne, mépriserait point le Christ lui-même, parce qu'il le verrait prophétisé par des écrits hébreux: mais bien plutôt, saisi d'une vive admiration et d'une tendre pitié, il regarderait comme digne d'être suivi et adoré celui qui, avant de naître parmi les hommes, aurait mérité d'être prédit et recommandé par des écrits quelconques à travers tant de siècles, soit par des témoignages évidents, soit par des i actions et des paroles figurées et mystérieuses, Donc, pour lui, l'établissement actuel du christianisme démontrerait la vérité de ces prophéties écrites, et, par ces prophéties écrites, il reconnaîtrait que le Christ doit être adoré. Qu'on prenne tout ceci pour des paroles en l'air, si cela n'a pas eu lieu, s'il n'en est pas encore ainsi, si, à la simple lecture de ces livres, on ne s'empresse pas dans l'univers entier d'embrasser cette foi.

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CHAPITRE XXI. UTILITÉ DE L'AVEUGLEMENT DES JUIFS.

C'est vraiment quelque chose d'étonnamment ridicule que la niaiserie de ceux qui nous demandent (comme si c'était une chose impossible) comment un païen voudrait s'instruire dans la foi chrétienne par le moyen des livres des Juifs, alors que ce païen peut voir toutes les nations se mettre, avec dévotion et empressement, à l'école de ces livres, avec d'autant plus de force et de confiance que ces nombreux témoignages rendus au Christ sont fournis par des mains ennemies. Et les nations qui croient ne sauraient s'imaginer qu'il y ait là aucune prophétie fabriquée après coup, puisqu'elles trouvent le Christ dans ces mêmes livres que vénèrent depuis tant de siècles (251) ceux-mêmes qui ont sacrifié le Christ, et auxquels ceux qui blasphèment chaque jour le Christ accordent une si grande autorité. Car si les prophéties relatives au Christ étaient seulement produites par ceux qui prêchent le Christ, on pourrait les regarder comme fabriquées; mais celui qui prêche ne fait qu'expliquer ce que lit celui qui blasphème. Le Dieu souverain fait en effet tourner au profit des saints l'aveuglement des impies : lui qui, dans son équitable providence, tire parti des méchants, de manière à disposer, par un juste jugement, de ceux qui vivent volontairement dans l'injustice. Afin donc qu'on n'accusât point les prédicateurs du Christ d'avoir forgé des prophéties pour annoncer chez toutes les nations sa naissance, ses miracles, sa cruelle passion, sa mort, sa résurrection, son ascension, la propagation de l'Evangile de la vie éternelle; il s'est passé à notre profit quelque chose de grand à l'occasion de l'infidélité des Juifs : c'est qu'ils ont conservé pour nous, dans leurs livres, ce qu'ils n'ont pas voulu admettre pour eux dans leurs coeurs. Et, pour n'être pas compris des Juifs, ces livres n'en ont pas moins de valeur; ils en ont même davantage, car l'aveuglement de ce peuple y est prédit. Ainsi, en ne comprenant pas la vérité, ils n'en rendent que mieux témoignage à la vérité; car, en ne comprenant pas les livres où il est prédit qu'ils ne comprendront pas, ils prouvent, par là même, que ces livres sont véridiques.

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CHAPITRE XXII. SUR LE TEXTE: TU VERRAS TA VIE SUSPENDUE ET TU NE CROIRAS PAS A TA VIE.

Là est aussi l'explication de ces paroles, dont l'ambiguïté a trompé Fauste : "Tu verras ta vie suspendue et tu ne croiras pas à ta vie (1) ". On peut dire peut-être qu'elles sont susceptibles d'un autre sens ; mais qu'on ne puisse les entendre du Christ, c'est ce que Fauste n'a pas osé dire, c'est ce que personne n'osera jamais dire, à moins de nier ou que le Christ soit la vie, ou que les Juifs l'aient vu suspendu, ou qu'ils aient refusé de croire en lui. Mais comme le Christ a dit lui-même : " Je suis la vie (2) ", et qu'il est constant qu'il a été suspendu sous les yeux des Juifs qui ne croyaient point en lui : je ne vois pas pourquoi celui dont le Christ a dit : " C'est de moi

1. Deut. XXVIII, 66. — 2. Jean, XIV, 6.

qu'il a écrit (1) ", n'aurait pas écrit cela du Christ. Mais si Fauste s'est efforcé de prouver que ce texte : " Je leur susciterai, du milieu de leurs frères, un prophète semblable à toi ", ne peut s'entendre du Christ, parce que le Christ n'est pas semblable à Moïse, et s'il a été complétement réfuté sur ce point, qu'est-il besoin de nous arrêter à celui-ci ? Comme Fauste a dit, pour écarter la première prophétie, que le Christ n'est pas semblable à Moïse; qu'il soutienne, pour se débarrasser de la seconde, ou que le Christ n'est pas la vie ou qu'il n'a pas été suspendu sous les yeux des Juifs incrédules. Mais comme il ne l'a pas dit, et que personne aujourd'hui n'oserait le dire, pourquoi hésiterions-nous à appliquer aussi à Notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ cette prophétie de son serviteur ? Car cette malédiction a été énumérée parmi les autres. Est-ce donc parce que les malédictions, où celle-ci a sa place, sont des prophéties, que celle-ci n'en serait pas une ? Ou ne serait-ce point une prophétie applicable au Christ, parce que ce qui précède et ce qui suit dans le contexte, ne paraît pas concerner le Christ? Comme s'il pouvait y avoir une malédiction pire que celle que les Juifs se sont attirée par leur orgueilleuse impiété, de voir leur vie, c'est-à-dire le Fils de Dieu suspendu, et ne pas y croire ! En effet, les malédictions prophétiques ne sont point des imprécations dictées par la haine, mais des prédictions inspirées par l'Esprit qui prévoit l'avenir : les imprécations provenant de la malice sont même défendues, puisqu'on nous dit : " Bénissez et ne maudissez pas (2) ". Mais on trouve souvent dans la bouche des saints un langage comme celui-ci, de saint Paul : " Alexandre, l'ouvrier en airain, m'a fait beaucoup de mal ; le Seigneur lui rendra selon ses oeuvres (3) ". Et cet autre souhait de l'Apôtre paraît aussi avoir été dicté par la colère et l'indignation : " Plût à Dieu que ceux qui vous troublent fussent même mutilés (4) ! " Si vous faites attention à la personne de celui qui écrit, vous verrez qu'il déguise très-élégamment un souhait de bonheur sous une phrase ambiguë. Car il est des hommes qui se sont rendus eunuques, à cause du royaume des cieux (5). C'est ce que Fauste aurait aussi compris, si son palais eût été disposé à goûter

1. Jean, V, 47. — 2. Rom. XII, 14. — 3. II Tim. IV, 14. — 4. Gal. V, 12. — 5. Matt. XIX, 12.

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les mets du Seigneur. Peut-être encore ces paroles: " Tu verras ta vie suspendue, et tu ne croiras pas à ta vie ", étaient-elles entendues par les Juifs en ce sens que, voyant leur existence mal assurée au milieu des menaces et des embûches de leurs ennemis, ils ne croyaient pas à la victoire. Mais le fils de l'Evangile, en entendant dire : " C'est de moi qu'il a écrit ", démêle, à travers l'ambiguïté de la phrase, ce que les Prophètes jettent aux pourceaux, et ce qu'ils insinuent aux hommes ; et aussitôt sa pensée se porte sur le Christ, vie des hommes, suspendu, et sur les Juifs qui n'y croient pas, Précisément parce qu'ils le voient suspendu. Un autre se bâtera sans doute de dire que, parmi les malédictions qu'on lit en cet endroit et qui ne regardent point le Christ, ce passage seul le concerne: " Tu verras ta vie suspendue, et tu ne croiras pas à ta vie ". Car cette malédiction devait nécessairement prendre place parmi celles dont on menace prophétiquement ce peuple impie. Mais comme le Christ ne dit pas : Moïse a aussi écrit de moi, de manière à laisser croire que Moïse a écrit d'autres choses qui ne le concernent pas; mais qu'il dit : " Car c'est de moi qu'il a écrit ", afin que nous n'ayons dans l'étude de tous les écrits de Moïse, d'autre but que de nous procurer l'intelligence de la grâce du Christ: pour cela donc, moi et quiconque lit attentivement ces paroles du Seigneur dans l'Evangile, nous reconnaissons que les malédictions contenues dans ce chapitre ont été aussi formulées prophétiquement en vue du Christ : mais si j'essayais de le démontrer maintenant, je serais trop long.

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CHAPITRE XXIII. CETTE PROPHÉTIE S'APPLIQUE AU CHRIST. PROPHÉTIE DE CAÏPHE.

Tant s'en faut que les paroles citées par Fauste ne se rapportent pas au Christ, parce qu'elles sont placées entre d'autres malédictions, qu'au contraire ces autres malédictions elles-mêmes n'ont plus de sens raisonnable, si on n'y veut pas voir des prophéties relatives à la gloire du Christ, ce grand intérêt de l'humanité. A combien plus forte raison faut-il le dire de celle-ci ? Et si Moïse avait été homme à parler contre sa pensée, j'aimerais encore mieux dire qu'il a prophétisé sans le savoir, que de ne pas voir une prophétie relative au Christ dans ces mots : " Tu verras ta vie suspendue, et tu ne croiras pas à ta vie ". Certainement Caïphe n'avait pas la pensée que l'on a prêtée à ses paroles, quand, persécutant le Christ comme un ennemi, il disait qu'il était bon qu'un homme mourût, pour sauver le peuple entier de sa ruine. Sur quoi l'Evangile ajoute qu'il ne disait pas cela de lui-même, mais qu'étant pontife, il prophétisait (1). Mais Moïse n'était pas Caïphe ; aussi ce qu'il a dit au peuple hébreu : " Tu verras ta vie suspendue, et tu ne croiras pas à ta vie ", non-seulement il l'a dit du Christ, et, l'eût-il dit sans le savoir, on ne pourrait l'entendre autrement, mais il l'a dit avec' connaissance de cause. Car il était le très-fidèle dispensateur du mystère prophétique, c'est-à-dire de cette onction sacerdotale, qui a donné son nom au Christ; et c'est dans ce même mystère que Caïphe, quoique très-méchant homme, a pu prophétiser même sans le savoir. De quel front donc vient-on nous dire que Moïse n'a rien prophétisé du Christ : Moïse, par qui a commencé cette onction, d'où est venu le nom de Christ, et par laquelle un persécuteur du Christ l’a prophétisé même sans le savoir ?

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CHAPITRE XXIV. LE CHRIST N'A POINT DÉTOURNÉ LES JUIFS DE L'OBSERVATION DES COMMANDEMENTS.

Nous avons dit plus haut tout ce qu'il nous a paru bon de dire sur la malédiction lancée contre tout homme suspendu au bois. Or, que la peine de mort prononcée par Moïse contre tout prophète ou prince du peuple qui tenterait de détourner les enfants d'Israël de leur Dieu ou de violer quelqu'un des commandements : que cette peine, dis-je, n'ait point été prononcée contre le Christ, c'est ce qui résulte assez clairement de ce que nous avons expliqué en détail, et ce qui ressortira plus clairement encore pour quiconque étudiera attentivement les paroles et les actes de Notre-Seigneur Jésus-Christ, puisque le Christ n'a cherché à détourner de Dieu qui que ce soit de son peuple. En effet, le Dieu que Moïse commandait aux Israélites d'aimer et d'adorer, est certainement le Dieu même d'Abraham, le Dieu d'Isaac, et le Dieu de Jacob, que le Christ mentionne sous le même titre, et par l'autorité duquel il réfute l'erreur des Sadducéens

1. Jean, XI, 49, 51.

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qui niaient la résurrection, quand il leur dit : " Touchant la résurrection des morts, n'avez-vous pas lu ce que Dieu dit à Moïse du milieu du buisson: Je suis le Dieu d'Abraham, et le Dieu d'Isaac, et le Dieu de Jacob? Or, Dieu n'est point le Dieu des morts, mais le Dieu des vivants (1), car tous vivent pour lui ". Ces paroles viennent donc à propos pour confondre les Manichéens, comme elles ont alors fermé la bouche aux Sadducéens: car ils nient aussi la résurrection, quoique sous une autre forme. Et ailleurs, en louant la foi du centurion, après avoir dit: En " vérité, je vous le déclare: je n'ai pas trouvé une si grande foi dans Israël ", le Seigneur ajouta : " Aussi je vous dis que beaucoup viendront de l'Orient et de l'Occident et auront place au festin dans le royaume des cieux avec Abraham, Isaac et Jacob; tandis que les enfants du royaume iront aux ténèbres extérieures (2) ". Si donc (et Fauste ne peut le nier) Moïse n'a pas recommandé d'autre dieu au peuple d'Israël que le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, et si le Christ, comme le prouvent ces témoignages et bien d'autres, n'a pas hésité à en faire autant : donc celui-ci n'a point cherché à détourner les Israélites de leur Dieu, mais, au contraire, il les a menacés des ténèbres extérieures précisément parce qu'il les voyait se détourner de ce Dieu, dans le royaume duquel il affirme que les nations, appelées de toutes les parties de la terre, auront place avec Abraham, Isaac et Jacob, uniquement pour avoir cru au Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. C'est ce qui fait dire à l'Apôtre : " L'Ecriture prévoyant que c'est par la foi que Dieu justifierait les nations, l'annonça d'avance à Abraham en disant : Toutes les nations seront bénies en ta postérité (3) " ; et cela, pour que ceux qui imiteraient la foi d'Abraham, fussent bénis en la postérité d'Abraham. Le Christ ne voulait donc point détourner les Israélites de leur Dieu, mais il leur reprochait plutôt de s'en être détournés. Il n'est pas étonnant que celui qui croit que le Seigneur a violé quelqu'un des commandements donnés par Moïse, soit du même avis que les Juifs; mais en cela il se trompe comme eux. Quant au commandement que Fauste mentionne et que le Seigneur, selon lui, aurait transgressé, il faut

1. Matt. XXII, 31, 32; Luc, XX, 37, 38. — 2. Matt. VIII, 10-12. — 3. Gal. III, 8.

démontrer ici qu'il est dans l'erreur, comme nous l'avons déjà fait quand cela était nécessaire. Je dis tout d'abord, que si le Seigneur eût violé quelqu'un des commandements, il n'eût pas reproché aux Juifs de les violer eux-mêmes : et cependant, quand ils font un crime à ses disciples de manger sans se laver les mains, et de blesser en cela, non le commandement du Seigneur, mais les traditions des anciens, il leur répond : " Et vous, pourquoi transgressez-vous le commandement de Dieu, pour garder vos traditions? " Et il leur rappelle ce commandement que nous savons avoir été donné par Moïse. Il continue ainsi en effet : " Car Dieu a dit : Honore ton père et ta mère; et : Quiconque maudira son père ou sa mère, mourra de mort. Mais vous, vous dites : Quiconque dit à son père ou à sa mère: Tout don que j'offre tournera à votre profit, satisfait à la loi " ; et cependant " il n'honore point son père ; et vous avez détruit le commandement de Dieu pour votre tradition (1) ". Voyez que d'enseignements il nous donne en cela, et comme il est loin de détourner les Juifs de leur Dieu; comment, au lieu de violer lui-même les commandements, il blâme ceux qui les violaient et leur rappelle que c'est Dieu même qui les a donnés par l'organe de Moïse.

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CHAPITRE XXV. MOÏSE A EU EN VUE LE VRAI CHRIST ET CONDAMNÉ D'AVANCE L'ERREUR DE MANÈS.

Nous croyons donc que tout ce que Moïse a écrit, il l'a écrit en vue du Christ. Nous ne pouvons en donner la démonstration dans cet ouvrage. Mais comme nous nous sommes engagé à traiter les points que Fauste lui-même a choisis dans ses écrits pour les réfuter ou les blâmer, on est en droit d'exiger que nous nous expliquions sur la sentence de mort prononcée par Moïse contre tout prophète ou chef qui tenterait de détourner le peuple de son Dieu ou de violer quelque commandement, et que nous démontrions que son but est de maintenir la foi enseignée dans l'Eglise du Christ. En effet, éclairé par l'Esprit prophétique et par Dieu même qui lui parlait, Moïse prévoyait qu'un jour de nombreux hérétiques se lèveraient pour enseigner diverses erreurs opposées à la doctrine du Christ, et prêcher

1. Matt. XV, 3-6.

254

un Christ quine serait point le vrai Christ Car celui-là est le véritable, qui a été annoncé d'avance par les prophéties de ce même Moïse et des autres saints personnages de cette nation. Or, Moïse condamnait à mort quiconque en prêcherait un autre. Et que fait maintenant la langue de l'Eglise catholique? Ne frappe-t-elle pas du glaive spirituel, de l'épée à deux tranchants des deux Testaments, tous ceux qui veulent nous détourner de notre Dieu ou violer quelqu'un des commandements ? Et parmi eux se trouve au premier rang Manès lui-même, puisque la loi et les Prophètes accablent de leur incontestable vérité l'erreur par laquelle il voudrait nous détourner de notre Dieu, du Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, que le Christ présente à nos hommages, et violer les préceptes de la loi où nous reconnaissons que le Christ est prophétisé sous le voile des figures.

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CHAPITRE XXVI. ON PEUT PRODUIRE D'AUTRES TÉMOIGNAGES DE MOÏSE RELATIVEMENT AU CHRIST.

Je ne sais si je dois attribuer ce système à une extrême stupidité, ou à une astuce portée à l'excès, car Fauste avait du talent : ce qui me fait croire qu'il a plutôt cherché à jeter des nuages dans l'esprit du lecteur inattentif qu'il n'a manqué d'apercevoir ce que j'expose. Il dit en effet : " Si Moïse n'a pas écrit cela du Christ, ou tu produiras d'autres témoignages, ou il n'y en a pas ". Cette proposition est vraie ; mais il fallait prouver et que Moïse n'avait pas écrit ces témoignages en vue du Christ, et qu'on n'en pouvait produire d'autres. Or, il. n'a fait ni l'un ni l'autre d'une part, nous avons montré comment les passages qu'il cite peuvent s'entendre du Christ, et de plus, nous en avons produit beaucoup d'autres qui ne peuvent s'interpréter dans un autre sens. Tu n'as donc, Fauste, aucune raison de conclure que Moïse n'a rien écrit du Christ. Car, fais bien attention à ce que tu dis : " Si Moïse n'a pas écrit cela du Christ, ou vous produirez d'autres témoignages, ou il n'y en a pas ". Tu dis vrai. Donc, puisque nous t'avons fait voir que Moïse a écrit cela du Christ ou à cause du Christ, et que nous avons produit beaucoup d'autres témoignages, ton argumentation tombe à faux. Et bien que tu n'aies pas gagné sur les points que tu citais, tu t'es du moins efforcé de prouver qu'ils n'ont point été écrits e pour le Christ. Quant à ce que tu ajoutes : " Ou vous produirez d'autres témoignages, ou il n'y en a point ", tu aurais d'abord dû, démontrer que nous n'en pouvons pas produire d'autres, pour conclure en toute confiance qu'il n'y en a point: mais comme si ton livre n'eût dû rencontrer que des auditeurs sourds ou des lecteurs aveugles, et que personne ne dût en remarquer les lacunes, tu t'empresses de dire : " S'il n'y en a pas, le Christ n'a pas pu affirmer ce qui n'est pas; et si le Christ n'a: pas affirmé cela, il est donc évident que le chapitre est faux". O homme qui ne penses qu'à ce que tu dis et ne songes pas qu'on peut te contredire ! Où est la pointe de ton esprit ? Est-ce que, avocat d'une mauvaise cause, tu ne pouvais faire autrement? Sans doute ta mauvaise cause te force à dire des absurdités : mais personne ne t'oblige à l'embrasser. Que diras-tu, si nous te produisons d'autres témoignages ? S'il y en a quelques-uns, tu ne diras plus qu'il n'y en a pas. Et s'il y en a quelques-uns, le Christ a pu dire ce qu'il a dit. Et si le Christ a pu le dire, donc ce chapitre de l'Evangile n'est pas faux. Reviens donc à ta proposition : " Ou vous produirez d'autres témoignages, ou il n'y en a pas ", et vois que tu n'as pas prouvé que nous n'en produirions pas d'autres. Vois aussi combien nous en avons déjà cité d'autres plus haut, et fais attention à ce qu'il faut en conclure, à savoir : que ces paroles du Christ dans l'Evangile : " Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez sans doute aussi : car c'est de moi qu'il a écrit ", que ces paroles, dis-je, ne sont pas fausses. Et l'autorité de l'Evangile est si élevée, si solidement établie, que quand même, par défaut d'intelligence, nous ne trouverions dans les écrits de Moïse aucun passage écrit pour le Christ, nous devrions encore croire, non-seulement qu'il y en a quelques-uns, mais même que tous les livres de Moïse ont été écrits en vue du Christ ; puisque le Sauveur ne dit pas : Il a écrit aussi de moi, mais : " C'est de moi qu'il a écrit ". De plus, quand même il faudrait (ce qu'à Dieu ne plaise) douter de ce chapitre de l'Evangile, on trouve dans les écrits de Moïse tant d'autres témoignages touchant le Christ, que ce doute devrait aussitôt disparaître; et comme on ne peut douter de ce chapitre de l'Evangile, il (255) faudrait encore croire que ces autres témoignages existent, quand même on ne les découvrirait pas.

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CHAPITRE XXVII. LES JUIFS AURAIENT PU FAIRE CE QU'A FAIT LE MONDE ENTIER.

Mais tu n'aurais pas ajouté : " Que la tradition du Christ diffère de celle de Moïse; qu'il n'est donc pas vraisemblable que si les Juifs eussent cru à Moïse, ils eussent aussi cru au Christ; qu'on doit plutôt dire, au contraire, que, en croyant à l'un des deux, ils rejetaient nécessairement l'autre " ; non, tu n'aurais pas dit cela, si tu avais un peu élevé les yeux de ton âme, et considéré, en dehors des nuages de l'esprit d'aveugle dispute, l'univers entier croyant en même temps à Moïse et au Christ, dans la personne des savants et des ignorants, des Grecs et des Barbares, des sages et des simples, auxquels l'Apôtre se disait redevable (1). Si donc il n'était pas vraisemblable que les Juifs eussent cru tout à la fois à Moïse et au Christ, il l'est beaucoup moins que le monde entier croie également à l'un et à l'autre. Mais comme nous voyons toutes les nations croire à tous les deux, tenir d'une foi inébranlable et solennelle à la prophétie de l'un comme s'accordant avec l'Evangile de l'autre, ce n'était pas exiger de la nation juive une chose impossible, que de lui dire : " Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez sans doute aussi ". Il faut plutôt s'étonner et se plaindre vivement de la dureté des Juifs, qui n'ont pas fait ce que le monde entier fait sous nos yeux.

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CHAPITRE XXVIII. LE SABBAT ÉTAIT UNE FIGURE. QUESTION IRONIQUE ADRESSÉE AUX MANICHÉENS.

Quant à ce que tu dis, à propos du sabbat; de la circoncision, de la distinction des aliments, que la tradition de Moïse différait de l'enseignement donné par le Christ à ses disciples, je t'ai déjà démontré que, suivant la parole de l'Apôtre, " toutes ces choses ont été des figures de ce qui nous regarde (2)". La doctrine n'est donc point différente; mais les temps seuls ne sont pas les mêmes. Autre, en effet, le temps où il fallait que ces choses

1. Rom. I, 14. — 2. I Cor. X, 6.

fussent annoncées en figures par les prophéties, autre celui où elles ont dû être accomplies par la vérité révélée et rendue au monde. Mais qu'y a-t-il d'étonnant à ce que les Juifs, ayant l'idée charnelle du Sabbat, aient repoussé le Christ qui leur en donnait le sens spirituel ? Réponds, si tu le peux, à l'Apôtre gui atteste que le repos de ce jour était l'ombre de l'avenir (1). Mais si les Juifs ont résisté au Christ, faute de comprendre le vrai sabbat, ne lui résistez pas, vous, et comprenez ce que c'est que la vraie innocence. Car, dans ce même endroit, où Jésus paraît surtout avoir voulu détruire le sabbat, ses disciples, passant à travers des moissons et pressés par la faim, arrachèrent des épis pour manger. Le Sauveur les déclara innocents, en répondant aux Juifs : " Si vous compreniez ce que signifie : Je veux la miséricorde et non le sacrifice, vous n'eussiez jamais condamné des innocents (2)". En effet, ils auraient dû avoir pitié de gens pressés parla faim et ne cédant qu'à la nécessité. Mais chez vous, tout homme qui arrache des épis, est regardé comme homicide, non d'après la tradition du Christ qui déclare cet acte innocent, mais d'après celle de Manès. Ou bien les Apôtres auraient-ils fait preuve de miséricorde envers ces épis, en se proposant de purifier, en les mangeant, les membres de votre dieu, conformément à vos rêveries ? Vous êtes donc cruels, vous qui ne faites pas cela. Mais Fauste a sa manière de détruire le sabbat, lui qui sait que la vertu de Dieu opère toujours et sans se lasser. Permis de dire cela à ceux qui comprennent que Dieu crée tous les temps, sans qu'il y ait succession dans sa volonté. Mais c'est difficile pour vous qui nous représentez votre dieu comme arraché à son repos par la révolte du peuple des ténèbres et troublé par une subite attaque des ennemis. Ou bien, prévoyant ces faits de toute éternité, n'a-t-il jamais goûté le repos, n'ayant point de sécurité, et préoccupé de la guerre terrible qu'il devait soutenir au risque de voir endommagés et détruits un si grand nombre de ses membres ?

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CHAPITRE XXIX. LA CIRCONCISION AVAIT UN SENS PROPHÉTIQUE. DÉTAILS A CE SUJET.

Du reste, si ce sabbat, dont votre ignorance

1. Col. II, 16,17. — 2. Matt. XII, 7.

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et votre impiété se raillent, n'avait pas aussi sa signification parmi les prophéties qui ont été écrites du Christ, le Christ lui-même ne lui aurait pas rendu de tels témoignages. En effet, souffrant par sa propre volonté, comme tu le dis toi-même à sa louange, et ayant à sa disposition le moment de sa passion et de sa résurrection, il a fait en sorte que sa chair se reposât de tous ses travaux dans le sépulcre au jour du sabbat; puis ressuscitant le troisième jour (que nous appelons dimanche, et qui est le huitième jour, puisqu'il suit le sabbat), il a fait voir que la circoncision, fixée au huitième jour, était encore pour lui un signe prophétique. Que signifie en effet la circoncision de la chair? Qu'indique-telle, sinon le dépouillement de la chair que nous tenons de notre naissance mortelle? C'est pour cela que l'Apôtre dit : " En se dépouillant de la chair, il a dépouillé les principautés et les puissances; avec une noble fierté, il a triomphé d'elles en lui-même (1) ". Par cette chair qu'il a dépouillée, nous entendons la mortalité de la chair qui fait donner ce nom au corps. Et cette mortalité prend proprement le nom de chair, parce qu'elle disparaîtra dans l'immortalité de la résurrection : d'où vient qu'il est écrit : " La chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu ". A l'occasion de ces paroles, vous calomniez la foi en vertu de laquelle nous croyons à cette future résurrection dont le Seigneur lui-même nous adonné l'exemple; mais vous dissimulez la suite des textes où l'Apôtre explique clairement sa pensée. Voulant, en effet, vous faire voir ce qu'il entend par chair, il ajoute immédiatement : " Et la corruption ne possédera pas l'incorruption". Car il dit que ce corps, appelé proprement chair à cause de sa mortalité, sera transformé à la résurrection, de manière à cesser d'être corruptible et mortel. Et pour que vous ne croyiez pas que c'est ici notre interprétation, consultez la suite du texte : " Voici que je vais vous dire un mystère : Nous ressusciterons bien tous, mais nous ne serons pas tous changés. En un moment, en un clin d'oeil, au son de la dernière trompette, car la trompette sonnera, et les morts ressusciteront incorruptibles, et nous, nous serons changés. Car il faut que ce corps corruptible revête l'incorruptibilité, et que ce corps

1. Col. II, 15.

mortel revête l'immortalité (1) ". Il est donc dépouillé de la mortalité, pour revêtir l'immortalité : c'est là le mystère de la circoncision, qui devait se faire le huitième jour (2), et qui a été accompli en vérité par le Seigneur le huitième jour, c'est-à-dire le dimanche, lendemain du sabbat. Ce qui fait dire à l’Apôtre : " En se dépouillant de la chair il a donné un exemple aux principautés et aux puissances ". En effet, au moyen de cette mortalité, les puissances diaboliques, mues par la jalousie, nous dominaient; et il est dit que le Christ leur a donné un exemple, parce qu'il a donné en sa personne, comme étant notre chef, un exemple qui se reproduira, à la dernière résurrection, dans tout son corps, c'est-à-dire dans l'Eglise qui doit être délivrée de la puissance du démon. Voilà notre foi. Et comme, suivant la parole du Prophète, citée par Paul : " Le juste vit de foi (3) ", c'est aussi notre justification. Les païens aussi croient que le Christ est mort; mais la foi à sa résurrection est le propre du chrétien. " Car ", dit l'Apôtre, " si vous confessez de bouche que Jésus est le Seigneur, et si en votre coeur vous croyez que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, vous serez sauvés (4) ". Et c'est parce que la foi à cette résurrection nous justifie, que l'Apôtre dit, en parlant du Christ : " Qu'il est mort pour nos péchés et qu'il est ressuscité pour notre justification (5) ". Et c'est parce que cette résurrection, dont la croyance nous justifie, a été figurée par la circoncision du huitième jour, que l'Apôtre dit d'Abraham, à qui celle-ci fut donnée en premier lieu: "Et il reçut la marque de la circoncision comme sceau de la justice de la foi (6) ". Ainsi Moïse, dont le Christ dit: " C'est de moi qu'il a écrit ", avait encore le Christ en vue, en mentionnant la circoncision parmi d'autres figures prophétiques. Quant à ces paroles du Sauveur : " Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui parcourez la mer et la terre pour faire un prosélyte, et qui, quand il est fait, faites de lui un fils de la géhenne deux fois plus que vous ", elles ne doivent pas s'entendre en ce sens que ce prosélyte est circoncis, mais en ce sens qu'il imite la conduite de ceux que le Sauveur défend d'imiter, en disant : " C'est sur la chaire de Moïse que sont assis les scribes et les

1. I Cor. XV, 50-53. — 2. Gen. XVII, 12. — 3. Rom. I, 17; Hab, II, 4. — 4. Rom. X, 9. — 5. Id. IV, 25. — 6. Id. 11.

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Pharisiens : faites ce qu'ils disent, mais ne faites pas ce qu'ils font : car ils disent et ne font pas (1) ". Dans ces paroles du Seigneur, deux choses sont à remarquer : l'honneur fait à la doctrine de Moïse, puisque les méchants mêmes assis sur sa chaire étaient forcés d'enseigner le bien; et ensuite que le prosélyte ne devenait pas fils de la géhenne pour écouter les Pharisiens exposant la loi, mais parce qu'il imitait leurs actions. On aurait donc pu dire au prosélyte circoncis ce que disait Paul : " A la vérité la circoncision est utile, si vous observez la loi (2) ". Or, comme le prosélyte imitait les Pharisiens dans la violation de la loi, il devenait fils de la géhenne ; et deux fois plus qu'eux, parce que, je pense, n'étant pas Juif de naissance, mais par choix, il négligeait d'accomplir ce qu'il avait volontairement embrassé.

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CHAPITRE XXX. SENS PROPHÉTIQUE DE LA DISTINCTION DES ALIMENTS.

Mais qu'entends-tu quand tu dis, d'un ton irrespectueux et par manière d'injure, que " Moïse se fait juge à la façon d'un gourmand, et veut que certains aliments soient mondes et puissent être mangés, et que les autres soient tenus pour immondes et ne soient pas même touchés ? " D'abord le propre du gourmand est plutôt de ne rien distinguer, ou, s'il distingue, de choisir ce qu'il y a de plus délicat au goût. Ou bien, dis-tu cela pour que les ignorants admirent en toi un homme mortifié dès le berceau, qui ne sait pas, ou qui oublie, combien la chair de porc est plus agréable à manger que celle de mouton ? Mais comme Moïse, ici encore, écrit des figures prophétiques en vue du Christ, distinguant, sous les chairs des animaux, les fidèles qui devront faire partie du corps du Christ, c'est-à-dire de l'Eglise, et ceux qui en devront être exclus; il vous a aussi rangés parmi les animaux immondes, vous qui êtes en désaccord avec la foi catholique, parce que vous ne ruminez pas la parole de la sagesse, et que, ne discernant pas la concordance de l'Ancien et du Nouveau Testament, vous n'avez pas, pour ainsi dire, le pied fourchu. Mais qui te pardonnera de n'avoir pas rougi de la fourberie de votre Adimantus?

1. Matt. XXIII, 15, 2, 3. — 2. Rom. II, 15.

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CHAPITRE XXXI. LE CHRIST NE L'A PAS MAINTENUE NI OBSERVÉE LUI-MÈNE. CE N'EST PAS CE QUI ENTRE DANS LA BOUCHE QUI SOUILLE L'HOMME, MAIS CE QUI EN SORT.

Tu dis encore que " le Christ a enseigné que tous les aliments sont indifférents, de manière cependant à interdire à ses disciples l'usage de toute espèce de viande, mais à permettre aux gens du peuple tout ce qui peut se manger; qu'il a déclaré que rien de ce qui entre dans la bouche ne peut les souiller, parce que les choses mauvaises qui sortent de la bouche peuvent seules souiller l'homme (1) ". Voilà tes paroles, d'autant plus impudentes, qu'elles sont plus clairement et plus ouvertement mensongères. Et d'abord, si, selon la doctrine du Christ, rien ne souille l'homme que les choses mauvaises qui sortent de sa bouche, pourquoi ne s'en est-on pas tenu là aussi avec les disciples du Christ, et a-t-il fallu leur interdire l'usage des viandes, comme si elles étaient immondes ? N'est-il pas vrai que les gens du siècle ne sont point souillés par ce qui entre dans la bouche, mais seulement par ce qui en sort ? Ils sont donc mieux garantis contre l'impureté que les saints, puisque ceux-ci peuvent être souillés par ce qui entre dans la bouche et par ce qui en sort. Mais je voudrais bien que nos adversaires me disent ce qua mangeait et buvait le Christ, lui qui se dit mangeant et buvant, en comparaison de Jean qui ne mangeait ni ne buvait ? En effet, condamnant la malice des hommes qui cherchaient à les calomnier tous deux, il s'exprime ainsi : " Jean est venu, ne mangeant ni ne buvant, et ils disent : Il est démoniaque; le Fils de l'homme est venu mangeant et buvant, et ils disent : " Voilà un homme de bonne chère et adonné au vin, ami des publicains et des pécheurs (2) ". Du reste nous savons ce que Jean mangeait et buvait; car on ne dit pas qu'il ne bût absolument rien, mais seulement qu'il ne buvait ni vin ni bière (3); il buvait donc de l'eau. Il ne s'abstenait point non plus de toute nourriture; mais il mangeait des sauterelles et du miel sauvage a. Pourquoi donc dit-on de lui : " Ne mangeant ni ne buvant ", sinon parce qu'il s'abstenait des aliments en usage chez les Juifs ? Mais si le Seigneur s'en était aussi

1. Matt. XI, 18, 19. — 2. Luc, I, 25. — 3. Matt. III, 4.

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abstenu, il ne se fût point dit " mangeant et buvant", en comparaison de Jean. Serait-ce, par hasard, parce que le Seigneur usait de pain et de légumes, dont Jean s'abstenait? Je m'étonnerais alors qu'on dit " ne mangeant pas ", d'un homme qui mange des sauterelles et du miel; et qu'on appelât " mangeant " celui qui se contente de pain et de légumes. Du reste pensez de la nourriture ce que bon vous semblera; mais certainement on n'eût point appelé le Christ " buvant et adonné au vin ", s'il n'eût pas bu de vin; pourquoi donc déclarez-vous le vin immonde? Car ce n'est pas par un motif de pénitence et de mortification corporelle que vous défendez ces choses, mais parce qu'elles sont immondes; vous les regardez, en effet, comme des ordures, comme le fiel du peuple des ténèbres, contre l'avis de l'Apôtre, qui nous dit : " Tout est pur pour ceux qui sont purs (1) ". Et voilà les gens qui osent dire que le Christ, tout en déclarant les aliments indifférents, a cependant défendu à ses disciples ceux qu'ils regardent comme immondes ! Imposteurs, méchants que vous êtes, mais aveuglés parla providence du Dieu vengeur, jusqu'à nous fournir des arguments pour vous confondre, montrez-nous donc où le Seigneur a interdit ces aliments à ses disciples. Je souffrirai violence en moi-même, tant que je n'aurai pas cité et examiné en entier tout le chapitre que Fauste a essayé d'opposer à Moïse, afin de démontrer la fausseté de ce qu'Adimantus le premier, et Fauste après lui, ont avancé, à savoir: que le Seigneur Jésus a interdit à ses disciples l'usage de la viande, et l'a permis indistinctement aux gens du monde (2). Après avoir répondu aux Juifs, qui incriminaient ses disciples pour avoir mangé sans se laver les mains, le Sauveur continue : " Puis ayant appelé à lui le peuple, il leur dit : Ecoutez et comprenez. Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme ; mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui souille l'homme. Alors ses disciples s'approchant lui dirent: Savez-vous que les Pharisiens, en entendant cette parole, se sont scandalisés? " Interpellé ainsi par ses disciples, il a sans doute dû, comme le veulent les Manichéens, leur déclarer formellement qu'ils devaient s'abstenir de toute viande, pour paraître confirmer ce qu'il avait dit plus haut à la foule : " Ce n'est pas ce qui

1. Tit. I, 15. — 2. Voyez le livre contre Adimantus, ch. XV.

entre dans la bouche qui souille l'homme, mais ce qui sort de la bouche". Que l'évangéliste continue donc et nous dise ce que le Seigneur a répondu, non plus à la foule, mais à ses disciples: " Mais lui, répondant, leur dit : Toute plante que mon Père céleste n'a point plantée, sera arrachée. Laissez-les; ils sont aveugles et conducteurs d'aveugles. Or, si un aveugle conduit un aveugle, ils tombent tous deux dans une fosse ". Et cela certainement parce que, voulant maintenir leurs traditions, ils ne comprenaient pas les commandements de Dieu. Mais, jusque-là, les Apôtres n'avaient pas encore demandé à leur Maître comment ils devaient entendre ce qu'il avait dit à la foule. Ils le font; et l'évangéliste poursuit son récit : " Prenant alors la parole, Pierre lui dit : Expliquez-nous cette parabole ". Par là nous voyons que Pierre était convaincu que le Seigneur n'avait point parlé dans le sens propre ni expliqué clairement sa pensée, quand il disait : " Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme, mais ce qui sort de la bouche " ; mais qu'il avait voulu, selon son usage, insinuer quelque chose sous le voile de la parabole. Voyons donc, si, interrogé en particulier par ses disciples, il leur répondra dans le sens des Manichéens, que toute chair est immonde, et qu'ils ne doivent toucher à aucune. Mais quoi? il leur reproche de n'avoir pas saisi la signification si claire de ses paroles et d'avoir pris pour une parabole ce qui devait s'entendre dans le sens propre. Car voici la suite du texte: " Mais il leur répondit : Et vous aussi, êtes-vous encore sans intelligence ? ne comprenez-vous point que tout ce qui entre dans la bouche va au ventre et est rejeté en un lieu secret; mais que ce qui sort de la bouche vient du coeur, et que c'est là ce qui souille l'homme? Car du coeur viennent les mauvaises pensées, les homicides, les adultères, les fornications, les vols, les faux témoignages, les blasphèmes : c'est là ce qui souille l'homme; mais manger sans s'être lavé les mains ne souille point l'homme (1) ".

1. Matt. XV, 10-20.

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CHAPITRE XXXII. LES CHRÉTIENS SONT LES VRAIS OBSERVATEURS DE LA LOI DE MOISE, QUE LES JUIFS TRANSGRESSAIENT.

Ici, évidemment, le mensonge est à (259) découvert; il est parfaitement prouvé que le Christ n'a pas donné un enseignement à la foule et un autre à ses disciples; il est hors de doute qu'il faut accuser de mensonge et d'imposture les Manichéens plutôt que Moïse, plutôt que le Christ, plutôt que la doctrine des deux Testaments, figurée dans l'un, révélée dans l'autre, prophétisée dans le premier, réalisée dans le second. Comment donc prétendent-ils que les chrétiens n'observent rien de ce que Moïse a écrit, quand ils observent tout, non plus en figures, mais dans les réalités mêmes que les figures annonçaient prophétiquement? Autrement quand l'écriture et la lecture auraient lieu en des temps différents, on pourrait dire que le lecteur ne lirait pas, puisqu'il ne formerait pas lui-même les caractères : ces caractères étant les figures des sons; et lui, lecteur, produisant les sons, par une simple attention à voir les figures, mais non à les former. Or les Juifs ne croyaient point au Christ, parce qu'ils n'observaient pas même ce que Moïse avait prescrit ouvertement et sans le voile des figures. Aussi le Sauveur leur dit-il : " Vous payez la dime de l'aneth et du cumin, et vous négligez les choses les plus a graves de la loi; vous employez un filtre pour le moucheron et vous avalez le chameau ; il fallait faire ceci et ne point omettre cela (1) ". De là venait qu'ils enseignaient par leurs traditions la manière de transgresser le précepte du Seigneur, qui exigeait qu'on honorât ses parents : orgueil et injustice qui leur ont attiré l'aveuglement qui les empêchait de comprendre le reste, parce que dans leur impiété ils méprisaient ce qu'ils comprenaient.

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CHAPITRE XXXIII. DILEMME A FAUSTE A L'OCCASION DES CICATRICES DU CHRIST.

Vois-tu donc que je n'ai pas besoin de dire : Si tu es chrétien, crois au Christ, quand il dit que c'est de lui que Moïse a écrit, et si tu n'y crois pas, tu n'es pas chrétien ? Du

1. Matt. XXIII, 23, 24.

reste, juge-toi toi-même, toi qui demandes qu'on t'instruise sur le Christ comme on le ferait avec un païen ou un juif. Je n'ai pas reculé devant la tâche; je t'ai, autant que j'ai pu, fermé toutes les issues de l'erreur. J'ai même bouché le précipice où vous vous jetez en aveugles quand vous traitez de faussetés tous les passages de l'Evangile qui gênent votre hérésie : en sorte qu'il ne vous reste aucune voie de retour, aucun moyen de croire au Christ, où l'on ne puisse vous opposer votre objection meurtrière. Bien plus, tu veux qu'on t'éclaire comme le chrétien Thomas, " dont le Christ (ce sont tes paroles) n'a pas dédaigné de dissiper les doutes, mais à qui il a montré les cicatrices de son corps pour remédier aux plaies de son âme ". Tu demandes à être instruit de cette façon : c'est heureux. Combien j'avais peur encore que tu ne visses une falsification dans ce trait de l'Evangile ! Crois donc aux cicatrices du Christ : car si elles étaient vraies, les blessures aussi l'avaient été, et les blessures n'auraient pu être véritables, s'il n'avait eu une véritable chair pour les subir: ce qui sape votre erreur par la base. Or, si le Christ a montré à son disciple hésitant de fausses cicatrices, tu dis, par là même, que le Christ, en donnant cette preuve, était un imposteur; par conséquent tu demandes à être trompé par ton maître. Or, comme personne ne demande à être trompé, mais que beaucoup cherchent à tromper, je crois que tu vises plutôt à enseigner l'erreur en t'appuyant sur l'exemple du Christ, qu'à te voir trompé à l'exemple de Thomas. Si donc tu crois que le Christ a trompé son disciple hésitant en lui montrant de fausses cicatrices, qui voudra ajouter foi à ses enseignements, ou plutôt ne se mettra pas en garde contre eux? Mais si cet apôtre a touché des cicatrices réelles sur le corps du Christ, tu es forcé de convenir que la chair du Christ était véritable. Tu cesseras donc d'être manichéen, si tu crois comme Thomas; et tu resteras manichéen, si tu ne crois pas même comme lui (1).

1. Jean, XX, 27, 28.

 

 

 

 

LIVRE DIX-SEPTIÈME. LA LOI ET LES PROPHÈTES EN FACE DU CHRIST.

Explication de ce texte de saint Matthieu : " Je ne suis pas venu abolir la loi et les Prophètes, mais les accomplir ".

 

 

CHAPITRE PREMIER. FAUSTE NIE L'AUTHENTICITÉ DE CE TEXTE DE SAINT MATTHIEU : " JE NE SUIS PAS VENU ABOLIR LA LOI ET LES PROPHÈTES, MAIS LES ACCOMPLIR ".

Fauste. Pourquoi ne recevez-vous pas la loi et les Prophètes, quand le Christ dit qu'il n'est pas venu les abolir, mais les accomplir (1) ? — Qui nous assure que Jésus a dit cela? Matthieu. Où l'a-t-il dit? Sur la montagne. En présence de qui? De Pierre, d'André, de Jacques et de Jean : car il n'avait pas encore choisi ses autres Apôtres, pas même Matthieu. Et un seul de ces quatre, Jean, a écrit un évangile? Oui. Et parle-t-il de cela? Nulle part. Comment donc ce que Jean, qui était sur la montagne, n'atteste pas, Matthieu l'écrit-il, lui qui n'a suivi Jésus que longtemps après qu'il était descendu de la montagne ? Première raison de douter que Jésus ait dit cela : le témoin le plus croyable n'en dit rien, le moins admissible en parle. Nous pouvons d'abord supposer que Matthieu se joue de nous, en attendant que nous prouvions que ce n'est pas même lui qui a écrit cela, mais je ne sais qui sous son nom : comme nous pouvons le conclure du récit en style indirect de ce même Matthieu. Comment s'exprime-t-il en effet? " Et comme Jésus passait, il vit un homme nommé Matthieu assis au bureau des impôts, et il l'appela; et se levant aussitôt, il le suivit (2) ". Quel est l'homme qui écrira, en parlant de lui-même : " Il vit un homme, et il l'appela, et il le suivit? " Qui ne dira pas plutôt : Il me vit, il m'appela et je le suivis? Il est donc clair que ce n'est point Matthieu qui a écrit cela, mais je ne sais qui sous son nom. Or, si ce serait une fausseté quand même Matthieu l'aurait écrite, puisqu'il n'était pas là quand Jésus parlait sur la montagne; à combien plus forte raison n'y faudrait-il pas croire, puisque ce n'est point Matthieu qui a écrit cela, mais quelque autre sous les noms de Jésus et de Matthieu.

1. Matt. V, 17. — 2. Id. V, 9.

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CHAPITRE II. JÉSUS A DÉTRUIT LA LOI. NI LA LOI NI LES PROPHÈTES N'AVAIENT BESOIN D'ACCOMPLISSEMENT.

Mais que dira-t-on, si du discours même où Jésus défend de croire qu'il est venu abolir la loi, on doit surtout conclure qu'il a aboli la loi? En effet, s'il n'eût rien fait dans ce sens, les Juifs n'eussent pas conçu de soupçons. Mais il leur dit : " Ne pensez pas que je sois venu abolir la loi ". Eh bien ! si les Juifs lui eussent répondu : Pourquoi faites-vous donc des choses qui nous induisent à le soupçonner? Est-ce parce que vous vous raillez de la circoncision, que vous violez le sabbat, que vous rejetez les sacrifices, que vous déclarez tous les aliments indifférents? C'est pour cela que vous nous dites : " Ne pensez pas ". Mais que pouvait-on faire de plus grave, de plus évident pour détruire la loi et les Prophètes? Si c'est là accomplir la loi, qu'est-ce donc que l'abolir? D'ailleurs, ni la loi ni les Prophètes ne désirent d'être accomplis; ils se trouvent complets et parfaits, jusque-là que leur auteur et père ne s'indigne pas moins contre les additions que contre les retranchements qu'on pourra leur faire, puisqu'il est écrit dans le Deutéronome : " Tu observeras, Israël, les commandements que je te donne aujourd'hui; prends garde de t'en écarter ni à gauche ni à droite; n'y ajoute rien, ni n'en retranche rien; mais persévères-y, afin que ton Dieu te bénisse (1) ". Ainsi donc, si pour accomplir la loi et les Prophètes, Jésus y a ajouté quelque chose, il s'est écarté à droite; s'il en a retranché quelque chose pour les détruire, il s'est écarté à gauche; et dans les deux cas, il outrage l'auteur de la loi. Donc, ou ces paroles ont un autre sens, ou elles sont fausses.

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CHAPITRE III. RÉPONSE D'AUGUSTIN. POURQUOI LE TÉMOIGNAGE DE SAINT MATTHIEU DOIT ÊTRE ACCEPTÉ.

Augustin. O étonnante folie ! défendre

1. Deut. V, 32, XII, 32.

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de croire à Matthieu racontant quelque chose du Christ, et ordonner de croire à Manès ! Si Matthieu n'était pas là quand le Christ disait: " Je ne suis pas venu abolir la loi et les Prophètes, mais les accomplir (1) ", et que pour cela il faille rejeter son témoignage ; Manès y était-il, ou même était-il déjà né, quand le Christ a paru parmi les hommes? Donc, d'après votre règle de foi, vous ne deviez point accepter son témoignage touchant le Christ. Pour nous, ce n'est pas parce que Manès n'a pas été témoin des paroles et des actions du Christ, ni parce qu'il est né longtemps après, que nous disons qu'on ne doit pas croire à sa parole; mais parce qu'il parle du Christ contre les disciples du Christ et contre l'évangile établi sur leur autorité. Nous avons là-dessus la parole de l'Apôtre qui prévoyait, dans l'Esprit-Saint, qu'un jour naîtraient de tels contradicteurs. Il disait donc aux fidèles : " Si quelqu'un vous prêche un autre évangile que celui que vous avez reçu, qu'il soit anathème ! (2) " Si en effet personne ne peut dire du Christ des choses vraies, à moins de l'avoir vu et entendu, personne n'en dit rien de vrai aujourd'hui. Or, si aujourd'hui encore, on peut dire aux fidèles des vérités sur le Christ, parce qu'elles proviennent de témoins oculaires et auriculaires, qui les ont répandues parla prédication ou par l'écriture pourquoi Matthieu n'aurait-il pas pu apprendre des vérités sur le Christ, de la bouche de Je au, son frère dans l'apostolat, qui a été témoin quand il ne l'était pas lui-même, alors que nous pouvons, nous qui sommes nés si longtemps après, alors que nos descendants pourront dire des vérités du Christ d'après le livre même de Jean? C'est ainsi que non-seulement l'évangile de Matthieu, mais aussi ceux de Luc et de Marc, qui ont suivi les mêmes Apôtres, ont été reçus et jouissent d'une égale autorité. Outre que le Seigneur lui-même a bien pu raconter à Matthieu ce qu'il avait fait, avant de l'appeler, avec ceux dont la vocation avait précédé la sienne, — Mais, dira-t-on, Jean n'aurait-il pas dû mentionner cela dans son évangile, lui qui était présent et qui avait entendu, si toutefois le Seigneur l'a dit? — Comme si, dans l'impossibilité d'écrire tout ce qu'il avait entendu de la bouche du Seigneur, il n'avait pas pu omettre ce point entre tant d'autres qu'il a

1. Matt. V, 17. — 2. Gal. I, 9.

omis, son attention étant fixée sur d'autres sujets ! N'est-ce pas lui qui termine ainsi son évangile : " Il y a encore beaucoup d'autres choses que Jésus a faites; si elles étaient écrites en détail, je ne pense pas que le monde entier pût contenir les livres qu'il faudrait écrire (1) ". Evidemment il fait voir par là qu'il a omis sciemment bien des choses. Mais si c'est le témoignage de Jean que vous recherchez sur la loi et les Prophètes, croyez donc à Jean rendant témoignage à la loi et aux Prophètes. C'est lui qui a écrit qu'Isaïe a vu la gloire du Christ (2). C'est dans son évangile que vous trouverez le passage que j'ai exposé un peu plus haut : " Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez sans doute aussi : car c'est de moi qu'il a écrit (3) ". Vous avez beau tergiverser : tout vous confond. Dites sans détour que vous ne croyez pas à l'Evangile du Christ : car en admettant dans l'Evangile ce qui vous plait, en en rejetant ce qui ne vous convient pas, ce n'est plus à l'Evangile, mais à vous, que vous croyez.

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CHAPITRE IV. LES HISTORIENS PARLENT D'EUX-MÊMES À LA TROISIÈME PERSONNE. LE CHRIST AUSSI L'A FAIT.

Mais quelle jolie chose Fauste s'imagine avoir dite ! Il ne faut pas croire Matthieu parce que, en parlant de sa vocation, il ne dit pas : Jésus me vit et me dit : Suis-moi, mais : " Jésus vit Matthieu et lui dit : Suis-moi (4) ! " Je ne sais s'il faut accuser ici la maladresse de l'ignorance ou l'astuce ordinaire. Cependant je ne puis supposer que l'ignorance de Fauste aille jusqu'à n'avoir jamais lu ou entendu dire que quand les historiens ont à mettre leur propre personne en scène, ils ne parlent d'eux que comme s'ils parlaient d'un autre. J'aime mieux croire que ce n'est pas ignorance chez lui, mais qu'il a voulu jeter de la.poussière aux yeux des ignorants dans l'espoir d'en séduire un plus grand nombre qui ne seraient pas au gourant de ces matières. On trouve en effet des exemples de ce genre de récit dans les historiens profanes. Mais je n'ai pas besoin de recourir à la littérature étrangère pour éclairer nos fidèles ou réfuter mon adversaire. Il a lui-même cité tout à l'heure des passages des livres de

1. Jean, XXI, 25. — 2. Id. XII, 41. — 3. Id. V, 46. — 4. Matt. IX, 9.

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Moïse, non pour contester que Moïse en soit l'auteur (il en est convenu, au contraire), mais pour nier qu'ils se rapportent au Christ. Qu'il cherche donc dans ces livres si Moïse dit, en parlant de lui : j'ai dit ou fait ceci ou cela; s'il ne dit pas : " Moïse dit (1) ; Moïse fit (2); et encore, si Moïse dit : Le Seigneur m'appela, le Seigneur me dit, et non : " Le Seigneur appela Moïse (3) ; le Seigneur dit à Moïse (4) "; et tout le reste de la même manière. C'est ainsi que Matthieu parle de lui comme d'un autre; et Jean aussi, ainsi qu'on peut le voir à la fin de son livre, où il dit : " Pierre s'étant retourné, vit le disciple que Jésus aimait, qui s'était aussi reposé pendant la cène sur son sein, et avait dit au Seigneur: Qui est celui qui vous trahira? " Dit-il : Pierre, s'étant retourné, me vit? Les Manichéens pensent-ils pour cela qu'il n'est pas l'auteur de son Evangile ? Mais peu après il reprend : " C'est ce même disciple qui rend témoignage de Jésus et qui a écrit ces choses; et nous savons que son témoignage est vrai (5) ". Dit-il : Je suis le disciple qui rends témoignage de Jésus et qui ai écrit ces choses, et je sais que mon témoignage est vrai ? Il est de toute évidence que c'est là le genre des historiens. Et qui pourrait compter les passages où le Seigneur même parle de lui à la troisième personne? "Quand le fils de l'homme viendra ", nous dit-il, " pensez-vous qu'il trouvera de la foi sur la terre (6)? " Il ne dit pas: Quand je viendrai, pensez-vous que je trouverai ? Et ailleurs : " Le Fils de l'homme est venu, mangeant et buvant (7) ". Il ne dit pas: Je suis venu. Et encore: "Une heure viendra, et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'auront entendue, vivront (8) ". Il ne dit pas : Ma voix. Et ainsi dans beaucoup d'autres passages. Mais en voilà assez, je pense, et pour éclairer les fidèles et pour confondre les calomniateurs.

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CHAPITRE V. DANS QUEL SENS LE CHRIST A PU DIRE : " JE NE SUIS PAS VENU ABOLIR, ETC. "

Qui ne voit combien est faible cette autre assertion, que le Seigneur n'aurait pu dire : " Ne pensez pas que je sois venu abolir la loi

1. Exod. III, 3. — 2. Id. VII, 6. — 3. Lev. I, 1. — 4. Exod. IV, 19. — 5. Jean, XXI, 20, 21. — 6. Luc, XVIII, 8. — 7. Matt. XI, 19. — 8. Jean, V, 25.

et les Prophètes ; je ne suis pas venu les abolir, mais les accomplir ", s'il n'eût déjà agi de manière à faire naître ce soupçon ? Comme si nous niions qu'aux yeux des Juifs sans intelligence le Christ ait pu passer pour destructeur de la loi et des Prophètes ! Mais c'est précisément la raison pour laquelle, étant véridique, étant la vérité même, quand il disait qu'il n'était point venu abolir la loi et les Prophètes, il n'a pu parler d'autre loi et d'autres prophètes, que de ceux qu'on le soupçonnait de vouloir détruire. C'est ce que prouve assez la suite même de ses paroles : " En vérité, en vérité, je vous le dis, jusqu'à ce que le ciel et la terre passent, un seul iota ou un seul point de la loi ne passera pas, que tout ne soit accompli. Celui donc qui violera l'un de ces moindres commandements, et enseignera ainsi aux hommes, sera appelé très-petit dans le royaume des cieux ; mais celui qui fera et enseignera ainsi, celui-là sera appelé grand dans le royaume des cieux ". Car, en disant cela, il songeait aux Pharisiens, qui violaient la loi par leur conduite et l'enseignaient en paroles. C'est d'eux qu'il dit ailleurs: " Faites ce qu'ils disent, mais ne faites pas ce qu'ils font: car ils disent et ne font pas (1) ". C'est pour cela encore qu'il ajoute ici : " Car je vous dis que si votre justice n'est plus abondante que celle des scribes et des Pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux (2) ", c'est-à-dire si vous ne faites pas et n'enseignez pas ce qu'ils ne font pas, bien qu'ils l'enseignent, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux. Or, cette loi que les Pharisiens enseignaient sans l'accomplir, le Christ dit qu'il est venu, non l'abolir, mais l'accomplir; parce qu'elle appartient à la chaire de Moïse, dans laquelle sont assis les Pharisiens, qui disent et ne font pas, qu'il faut écouter et non imiter.

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CHAPITRE VI. COMMENT LA LOI ET LES PROPHÈTES PEUVENT S'ACCOMPLIR.

Fauste ne comprend pas, ou feint de ne pas comprendre, ce que c'est qu'accomplir la loi, puisqu'il parle d'addition de paroles, et rappelle qu'il est écrit qu'on ne doit rien ajouter à la divine Ecriture, ni rien en retrancher (3) ; ce qui lui fait dire qu'elle n'a pas

1. Matt. XXIII, 3. — 2. Id. V, 17, 20. — 3. Deut. XII, 32.

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dû être accomplie, puisqu'on la donne comme tellement parfaite qu'il n'y a rien à y ajouter, rien à en retrancher. Ils ne savent donc pas comment celui qui vit selon la loi, accomplit la loi. " Car ", comme dit l'Apôtre, " l'amour est la plénitude de la loi (1) ". Or, cet amour, le Seigneur a daigné en offrir le modèle et le donner, en envoyant l'Esprit-Saint à ses fidèles. Ce qui fait dire au même Apôtre : " La charité de Dieu est répandue en nos coeurs par l'Esprit-Saint qui nous a été donné (2) ". Et le Seigneur lui-même nous dit : " C'est en cela que tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres (3) ". La loi s'accomplit donc, soit quand ses commandements sont exécutés, soit quand ses prophéties

1. Rom. XIII, 10. — 2. Id. V, 5. — 3. Jean, XIII, 35.

se réalisent. Car la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ (1). La loi elle-même, en s'accomplissant, est devenue la grâce et la vérité. La grâce appartient à la plénitude de l'amour, la vérité à l'accomplissement des prophéties. Et comme l'un et l'autre ont eu lieu par le Christ, c'est pour cela qu'il n'est pas venu abolir la loi et les Prophètes, mais les accomplir ; non en ajoutant à la loi quelque chose qui lui manquait, mais en réalisant ce qui y est écrit ; comme ses paroles mêmes l'attestent : car il ne dit pas : "Un iota ou un seul point de la loi ne passera pas " jusqu'à ce qu'on y ait ajouté ce qui y manque, mais : " jusqu'à ce que tout soit accompli ".

1. Jean, I, 17.

 

 

 

LIVRE DIX-HUITIÈME. LA LOI ET LES PROPHÈTES ACCOMPLIS.

Comment la loi et les Prophètes ont pu être accomplis. — Détails sur le sabbat, sur les noms païens des jours et des mois, sur les sacrifices. — Quel usage les chrétiens font de leur raison.

 

 

CHAPITRE PREMIER. ON NE PEUT ÊTRE CHRÉTIEN, DIT FAUSTE, SANS SUPPOSER LA LOI ABOLIE.

Fauste. " Je ne suis pas venu abolir la loi, mais l'accomplir (1) ". Eh bien ! sache que tu ne dois pas être moins que moi contrarié de croire que le Christ ait prononcé ces paroles, à moins qu'elles n'aient un autre sens. Car nous sommes tous les deux chrétiens dans la conviction que le Christ est venu pour détruire la loi et les Prophètes. Si tu ne veux pas en convenir en paroles, tu le manifestes assez par tes actions. C'est en effet à cause de cela que tu rejettes avec mépris les préceptes de la loi et des Prophètes ; à cause de cela que nous reconnaissons tous les deux Jésus comme l'auteur du Nouveau Testament : et que confessons-nous par là, sinon que l'Ancien Testament est détruit ? Cela étant, comment croirons-nous que le Christ ait dit cela, sans taxer d'abord de folie notre croyance passée, sans en éprouver des regrets, sans montrer une obéissance parfaite à la loi et aux Prophètes et nous mettre en devoir de pratiquer tous leurs commandements, quels qu'ils soient ? quand nous en serons là, c'est alors que nous croirons véritablement que Jésus n'est pas venu abolir la loi, mais l'accomplir. Jusque-là cela sera faux ; car tu n'y crois pas plus que moi, bien que tu n'accuses que moi.

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CHAPITRE II. SI LA LOI N'EST PAS ABOLIE, IL FAUT DONC OBSERVER TOUTES SES PRESCRIPTIONS?

Soit : admettons que tu n'es pas coupable de t'être trompé jusqu'ici. Mais que feras-tu désormais ? Te replaceras-tu sous l'empire de la loi, puisque le Christ l'a accomplie, plutôt qu'abolie ? Te feras-tu circoncire, c'est-à-dire imprimera-t-on une marque honteuse sur tes parties honteuses, et penseras-tu honorer Dieu par de telles cérémonies ? Observeras-tu

1. Matt. V, 17.

le repos du sabbat, et mettras-tu tes mains aux chaînes de Saturne ? Pour satisfaire l'appétit vorace du démon des Juifs (car il ne s'agit pas de Dieu ici), égorgeras-tu des taureaux, des béliers, des boucs, pour ne pas dire des hommes, et ce qui nous a fait détester les idoles, le reproduiras-tu avec plus de cruauté sous la loi et les Prophètes? Parmi les chairs d'animaux, en estimeras-tu quelques-unes mondes, et d'autres immondes et souillées, comme la loi et les Prophètes le disent surtout de la chair de porc? Assurément, tu diras que nous ne devons rien faire de cela, si nous voulons rester ce que nous sommes; d'autant plus que tu entends le Christ dire que celui qui sera circoncis deviendra doublement fils de la géhenne (1). Tu ne vois pas d'ailleurs qu'il ait lui-même observé le sabbat, ni recommandé qu'on l'observât. D'autre part tu l'entends affirmer, à propos des aliments, que ce n'est point ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme, mais plutôt ce qui en sort (2). Pour ce qui regarde les sacrifices, nous l'entendons répéter souvent que Dieu veut la miséricorde et non le sacrifice (3). Or, s'il en est ainsi, où est donc l'assertion : qu'il n'est pas venu abolir la loi et les Prophètes, mais les accomplir ? S'il l'a dit, ou il l'a dit dans un autre sens, ou il a menti en le disant (ce qu'à Dieu ne plaise), ou il ne l'a pas dit du tout. Mais personne, pourvu qu'il soit chrétien, n'osera dire que Jésus ait menti ; donc ou il a dit cela dans un autre sens, ou il ne l'a pas dit du tout.

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CHAPITRE III. NÉCESSITÉ DE TRIER DANS L'ÉVANGILE POUR NE PAS SE TROUVER DANS L'EMBARRAS.

Mais j'ai été dispensé de la nécessité d'admettre ce chapitre par la foi manichéenne qui m'a appris dès l'abord à ne pas croire sans examen tout ce qui a été écrit au nom du Sauveur, mais à examiner si cela est vrai,

1. Matt. XXIII, 15. — 2. Id. XV, 11. — 3. Id. IX, 13, XII, 7.

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sain, non altéré; car il y a dans presque toutes les Ecritures, beaucoup de zizanie qu'un certain rôdeur de nuit y a semée pour y gâter la bonne semence (1). C'est pourquoi je ne me laisse pas intimider par ces paroles, malgré le respect dû au nom sous lequel on les écrit; vu qu'il m'est toujours permis de m'assurer si elles sont d'un semeur probe et travaillant de jour, ou de cet ennemi pervers qui n'opère que de nuit: Mais toi qui admets tout au hasard; qui condamnes dans les hommes la raison, ce bienfait de la nature; qui te fais scrupule de juger entre le vrai et le faux; qui te fais un épouvantail d'enfant de discerner le bien du mal : que feras-tu, dans l'extrême embarras où va te jeter ce chapitre? Je suppose un Juif, ou quelque autre connaissant ce texte et te demandant pourquoi tu n'observes pas les préceptes de la loi et des Prophètes, quand le Christ dit qu'il n'est pas venu pour les abolir, mais pour les accomplir? Tu seras évidemment obligé, ou de te livrer à une vaine superstition, ou de reconnaître que le chapitre est faux, ou de renoncer à être le disciple du Christ.

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CHAPITRE IV. C'EST EN DISPARAISSANT QUE LA LOI ET LES PROPHÈTES ONT ÉTÉ ACCOMPLIS.

Augustin. Puisque tu reviens sur des objections tant de fois réfutées et démontrées fausses, nous ne craindrons pas de répéter les arguments par lesquels nous les avons combattues. Ce que les chrétiens n'observent pas dans la loi et dans les Prophètes, c'est ce qui n'était que le symbole de ce qu'ils pratiquent aujourd'hui. C'étaient, en effet, des figures de l'avenir qui devaient être détruites par les réalités mêmes révélées et présentées par le Christ, afin que, par leur propre disparition, la loi et les. Prophètes fussent accomplis. Car là même il était écrit que Dieu donnerait un Nouveau Testament, " différent ", disait-il, " de celui que j'ai donné à leurs pères (2) ". En effet, ce peuple, à cause de son cœur de pierre, avait reçu des commandements adaptés à sa nature plutôt qu'ils n'étaient bons, qui étaient cependant la figure et la prophétie de l'avenir ; seulement ils étaient alors pratiqués par des gens sans intelligence. Mais depuis que les choses qu'ils

1. Matt. XIII, 25. — 2. Jer. XXXI, 32.

figuraient se sont accomplies et ont été révélées, on n'est plus obligé de les observer, on se contente de les lire pour en comprendre le sens. Et c'est à l'occasion de ces faits à venir, qu'il a été dit : " Je leur ôterai leur coeur de pierre, et je leur donnerai un cœur de chair (1) "; c'est-à-dire un cœur intelligent et non un cœur sans intelligence. D'où l'Apôtre a emprunté ces expressions : " Non sur des tables de pierre, mais sur les tables charnelles du coeur (2) ". Car n'est-ce pas la même chose que " le cœur de chair ? " Et précisément parce que cela était prédit, si ces rites n'avaient pas disparu de notre culte, la loi et les Prophètes ne seraient pas accomplis ; parce que l'événement n'aurait pas justifié la prédiction ; mais comme il la justifie, nous voyous la loi et les Prophètes accomplis, précisément par la raison même qui vous fait dire qu'ils ne le sont pas.

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CHAPITRE V. SUR LE SABBAT. DÉNOMINATION PAÏENNE DES JOURS ET DES MOIS.

Quand tu appelles le repos du sabbat chaînes de Saturne, c'est une insulte qui ne- nous fait pas peur : car elle est sotte et sans fondement, et elle ne te serait pas venue à l'esprit, si vous n'adoriez le soleil au jour qui porte son nom. Mais comme nous appelons ce jour le jour du Seigneur, et que nous y célébrons, non pas le soleil matériel, mais la résurrection du Seigneur; de même nos pères observèrent le repos du sabbat, tant qu'il le fallut, et sans songer à Saturne : car le sabbat était l'ombre de l'avenir, comme l'atteste l'Apôtre (3). Il est vrai que les gentils ont donné les noms de leurs dieux aux sept jours dont le cercle forme la semaine. Et c'est d'eux que l'Apôtre a dit : " Qu'ils ont adoré et servi la créature au lieu du Créateur (4) ". En quoi vous les imitez, sauf que vous n'adorez avec eux que les deux astres les plus brillants à l'exclusion des autres. Mais ils ont aussi donné aux mois les noms de leurs dieux. En effet, en l'honneur de Romulus, qu'ils croyaient fils de Mars, ils ont consacré à Mars le premier mois et lui ont donné le nom de ce dieu. Le second mois ne porte le nom d'aucun dieu; ils l'ont nommé Avril d'après la nature des choses, c'est-à-dire " qui ouvre ", parce qu'alors s'ouvrent la plupart

1. Ez. XI, 19. — 2. II Cor. III, 3. — 3. Col. II, 17. — 4. Rom. I, 25.

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part des fleurs. Le troisième s'appelle Mai, parce qu'on y honore la déesse Maïa, mère de Mercure. Le quatrième, Juin, a pris son nom de Junon. Puis tous les autres, Jusqu'à Décembre, portent le nom du rang qu'ils occupent. Seulement le cinquième et le sixième (Juillet et Août), ont pris les noms de deux hommes à qui les honneurs divins ont été décernés, Jules (César) et Auguste; car, comme je l'ai dit, Septembre et les suivants jusqu'à Décembre, ne portent que leur numéro d'ordre. Puis Janvier emprunte son nom de Janus, et Février des " Fébrues (1) " ou sacrifices expiatoires offerts par les prêtres de Pan et de Faune. Voulez-vous donc qu'on dise que vous adorez aussi Mars au mois de Mars? Car c'est en ce mois que vous célébrez votre Béma avec la plus grande solennité (2). Or, si vous prétendez pouvoir célébrer au mois de Mars autre chose que le dieu Mars : pourquoi essayez-vous d'introduire le nom de Saturne dans les divines Ecritures, à l'occasion du septième jour, appelé sabbat, ce qui veut dire repos, et cela, parce que les païens ont donné à ce jour le nom de Saturne? Voyez donc jusqu'où vous portez le délire de l'impiété !

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CHAPITRE VI. LES SACRIFICES D'ANIMAUX ÉTAIENT DES FIGURES DU CHRIST.

Quant aux sacrifices d'animaux, qui de nous ignore qu'ils étaient plutôt imposés à un peuple pervers à raison de son caractère, qu'agréables au Dieu à qui on les offrait? Et cependant ils étaient encore la figure de ce qui nous arrive : car nous ne saurions être purifiés, ni Dieu apaisé, sans effusion de sang. Mais le Christ est la réalité de ces figures, lui dont le sang nous a rachetés et purifiés. En effet, dans le langage figuré des saints livres, il est appelé taureau à cause de la vertu de la croix, avec les bras (cornibus) de laquelle il a dispersé les impies; bélier, à cause du premier rang que lui assigne son innocence, bouc, pour avoir pris une chair semblable à celle du péché, afin de condamner le péché dans la chair par le péché même (3). Nomme-moi tout autre genre de sacrifice, le plus exprès, le plus formel, et je te

1. Je hasarde le mot, qui ne saurait se rendre sans périphrase. — 2. Voyez le livre contre la Lettre du Fondement, ch. VIII. — 3. Rom. VIII, 3.

démontrerai qu'il renferme une prophétie relative au Christ. C'est pourquoi la circoncision, le sabbat, la distinction établie entre les aliments, l'immolation des victimes, tout cela était des figures et des prophéties qui nous regardaient; et le Christ est venu, non les abolir, mais les accomplir, en réalisant ce qu'elles annonçaient. Et vois qui tu combats: l'Apôtre lui-même, car c'est d'après lui que je parle : " Toutes ces choses ont été des figures de ce qui nous regarde (1) ".

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CHAPITRE VII. USAGE QUE LES VRAIS CHRÉTIENS FONT DE LA RAISON.

De même que Manès t'a appris la méthode perverse et impie de prendre dans l'Evaugile ce qui s'accommode à ton hérésie, et d'en rejeter ce qui la gêne; ainsi l'Apôtre nous a appris, dans sa sage prévoyance, à dire anathème à quiconque nous annoncerait un autre Evangile que celui que nous avons reçu (2), Aussi les chrétiens catholiques vous regardent-ils comme de la zizanie : vu que le Seigneur leur a expliqué ce que c'est que la zizanie, non pas, comme tu le dis, quelques mensonges mêlés aux vérités de l'Ecriture, mais les hommes enfants du malin esprit, c'est-à-dire les imitateurs de la fourberie du démon (3). Et ils ne croient pas tous au hasard; par conséquent ils ne croient point à Manès ni aux autres hérétiques. Ils ne condamnent point la raison humaine; mais ce que vous appelez raison, eux prouvent que c'est l'erreur. Ils ne regardent point comme une impiété de juger entre le vrai et le faux : c'est pourquoi ils jugent votre secte comme très fausse, et la foi catholique comme très-vraie. Ils n'ont pas peur de séparer le bien du mal; mais ils entendent que le mal est contre la nature, et non point la nature, ni je ne sais quel peuple de ténèbres, qui naît et se révolte aussitôt contre l'autorité de Dieu, et qui cause réellement à votre dieu plus de terreur que les épouvantails aux enfants, puisque vous prétendez qu'il a dû s'abriter derrière un voile, pour ne pas voir ses membres saisis et maltraités par cet impétueux ennemi. Ce chapitre ne les met donc en aucune façon dans l'embarras, parce que, en un sens, ils ne pratiquent pas les préceptes de la loi et des

1. I Cor. X, 6. — 2. Gal. I, 8, 9. — 3. Matt. XIII, 39.

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Prophètes : vu que, par la grâce du Christ, ils ont le véritable amour de Dieu et du prochain, et qu'à ces deux commandements se rattachent toute la loi et les Prophètes (1) : et ils savent que tout ce qui a été figuré et prophétisé là, soit en actes, soit en cérémonies du culte, soit en formules de langage, s'est accompli dans le Christ et dans l'Eglise. Par conséquent ni nous ne nous livrons à une

1. Matt. XXII, 40.

vaine superstition, ni nous ne reconnaissons que ce chapitre de l'Evangile soit faux, ni nous ne renonçons à être les disciples du Christ; parce que par le principe même de vérité que j'ai tant de fois exposé selon la mesure de mes forces, la loi et les Prophètes que le Christ est venu, non abolir, mais accomplir, sont les mêmes que ceux que maintient l'autorité catholique.

 

 

 

 

 

LIVRE DIX-NEUVIÈME. LA LOI PERFECTIONNÉE.

Fauste objectant que les chrétiens ont cependant aboli la loi juive, Augustin montre ce qu'ils en ont rejeté comme accompli et ce qu'ils en ont conservé comme perfectionné. — Longs détails. — Les perfectionnements de la loi nouvelle étaient déjà contenus en germe dans la loi ancienne. — Sur la loi des anciens justes. — Le royaume des cieux.

 

 

CHAPITRE PREMIER. QUEL SENS LE CHRIST A-T-IL ATTACHÉ A CES PAROLES : " JE NE SUIS PAS VENU ABOLIR, ETC. "

Fauste. " Je ne suis pas venu abolir la loi et les Prophètes, mais les accomplir ". Cela a été dit : soit, j'y consens. Il n'en reste pas moins à chercher pourquoi Jésus a fait cela : si c'était pour apaiser la fureur des Juifs qui s'indignaient de le voir fouler aux pieds ce qu'ils avaient de plus sacré; qui le considéraient comme un homme impie, aux doctrines malsaines, qu'on devait non-seulement ne pas suivre, mais pas même écouter; ou si c'était pour nous faire la leçon, à nous païens convertis à la foi, et nous apprendre à supporter avec patience et docilité le joug imposé par la loi et les Prophètes des Juifs. Pour ceci, je suis convaincu que vous ne l'admettez pas; vous ne croyez pas que Jésus ait prononcé ces paroles pour nous livrer à la loi et aux Prophètes des Juifs. Or, si ce n'est pas cette dernière raison qui l'a déterminé à tenir ce langage, c'est donc la première que j'ai dite plus haut. Car personne n'ignore que les Juifs ont constamment et violemment attaqué le Christ, soit dans ses paroles, soit dans ses actions. Comme les unes et les autres leur faisaient supposer qu'il abolissait leur loi et leurs Prophètes, ils devaient nécessairement s'en irriter; aussi était-il à propos, pour apaiser leur colère, qu'il leur dît de ne pas penser qu'il fût venu pour abolir la loi, mais bien pour l'accomplir. Et en cela il ne m'entait pas, il ne les trompait pas : car il parle de loi, sans distinction et d'une manière absolue.

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CHAPITRE II. TROIS ESPÈCES DE LOIS, SELON FRUSTE.

Or, il y a trois espèces de lois. La première est celle des Hébreux, que Paul appelle loi de péché et de mort (1). Il y a ensuite la loi des

1. Rom. VIII, 2.

Gentils, que le même Paul nomme naturelle: " En effet ", dit-il, " les Gentils font naturellement ce qui est selon la loi, et n'ayant pas de loi de ce genre, ils sont à eux-mêmes la loi : montrant ainsi l'oeuvre de la loi écrite en leurs coeurs (1) ". La troisième espèce de loi est la vérité, que l'Apôtre désigne également quand il dit: " Car la loi de l'esprit de vie, qui est dans le Christ Jésus, m'a affranchi de la loi du péché et de la mort (2) ". Or, puisqu'il y a trois lois, quand Jésus nous affirme qu'il n'est pas venu abolir la loi, mais l'accomplir : il ne faut pas une médiocre attention ni une médiocre habileté pour savoir de laquelle il parle. Il y a également des prophètes hébreux, des prophètes païens et des prophètes de la vérité. Les premiers ne sont pas en question, chacun les connaît. Quant aux prophètes païens, celui qui doute de leur existence n'a qu'à écouter Paul écrivant à Tite à propos des Crétois : " Un d'entre eux, leur propre prophète, a dit : Les Crétois sont toujours menteurs, méchantes bêtes, ventres paresseux (3) ". On ne peut donc pas, d'après cela, douter que les Gentils n'aient aussi leurs prophètes. Mais que la vérité ait les siens, Paul et même Jésus nous l'apprennent. Jésus dit en effet : " Voici que je vous envoie des sages et des Prophètes, et vous en tuerez dans divers lieux (4) " : et Paul : " Le Seigneur lui-même a établi d'abord des Apôtres, et ensuite des Prophètes (5) ".

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CHAPITRE III. CES PAROLES : " JE NE SUIS PAS VENU, ETC.", S'APPLIQUENT A LA LOI ET AUX PROPHÈTES DE LA VÉRITÉ.

Donc, puisqu'il y a trois espèces de lois et trois espèces de prophètes, et qu'on ne voit pas clairement desquels Jésus a voulu parler, il est cependant permis de le conjecturer

1. Rom. II, 14, 15. — 2. Id. VIII, 2. — 3. Tit. I, 12. — 4. Matt. XXIII, 34. — 5. I Cor. XII, 28 ; Eph. IV, 11.

269

d'après ce qui s'est passé ensuite. En effet, s'il avait tout d'abord nommé la circoncision, le sabbat, les sacrifices et les autres rites propres aux Hébreux, et qu'il eût parlé de quelque chose tendant à les accomplir, on ne pourrait pas douter qu'il eût vraiment en vue la loi et les Prophètes des Juifs, quand il disait qu'il était venu, non pour les abolir, mais pour les accomplir. Mais comme il n'en fait aucune mention, qu'il se contente de rappeler les plus anciens commandements : " Tu ne tueras point, tu ne commettras point d'adultère, tu ne te parjureras pas ", et que ces commandements étaient de toute antiquité connus chez les nations, ainsi qu'il est facile de le prouver, puisqu'ils ont été promulgués par Enoch, Seth et les autres justes de cette espèce à qui les principaux des anges les avaient fait connaître pour adoucir les moeurs sauvages des hommes : cela étant, dis-je, qui ne voit que le Christ a parlé ici de la loi et des Prophètes de la vérité ? Ensuite il est également facile de prouver que l'accomplissement se trouve précisément dans ce que le Christ a ajouté. Que dit-il, en effet ? " Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens: Tu ne tueras point ; mais moi je vous dis de ne pas même vous fâcher " : voilà l'accomplissement. " Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens : Tu ne commettras point d'adultère ; mais moi je vous dis de ne pas même convoiter " : voilà l'accomplissement. " Il a été dit : Tu ne te parjureras pas; et moi je vous dis de ne pas même jurer " : voilà encore l'accomplissement. Par là, il confirme le passé et ajoute ce qui lui manquait. Mais s'il a quelquefois semblé parler de ce qui était propre aux Juifs, ce n'était pas pour le compléter, mais pour le détruire par des prescriptions contraires. Que dit-il en effet à la suite? " Vous avez entendu qu'il a été dit : Oeil pour oeil et dent pour dent; et moi je vous dis : Si quelqu'un vous frappe sur la joue droite, présentez-lui encore l'autre ". Voilà déjà une abrogation. " Il a été dit : Tu aimeras ton ami et tu haïras ton ennemi ; mais moi je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent ". C'est encore une abrogation. " Il a été dit : Que celui qui renvoie sa femme, lui donne un acte de répudiation ; et moi je vous dis que quiconque renvoie sa femme, hors le cas d'adultère, la rend adultère, et devient lui-même adultère, s'il en épouse ensuite une autre (1) " . Evidemment, ce sont là des commandements de Moïse, et, pour cela, ils sont abolis ; les autres étaient ceux des anciens justes, et, à cause de cela, ils sont complétés. Si tu adoptes cette interprétation, tu comprendras l'à-propos avec lequel Jésus a dit qu'il est venu, non abolir la loi, mais l'accomplir. Que si cette explication ne te convient pas, cherches-en une autre. Seulement, ne te mets pas dans la nécessité de dire ou que Jésus a menti, ou que tu es obligé de te faire juif, pour cesser de détruire la loi qu'il n'a point abolie lui-même.

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CHAPITRE IV. CERTAINS JUIFS POURRAIENT SEULS TENIR LE LANGAGE QUE TIENT AUGUSTIN.

Si seulement c'était un de ces Nazaréens, que d'autres appellent Symmaques, qui m'objectât que Jésus a déclaré qu'il n'était point venu abolir la loi, je serais un peu embarrassé de lui répondre. Et ce ne serait pas sans raison : car cet homme viendrait à moi, enveloppé pour ainsi dire de la loi et des Prophètes. En effet, ces Symmaques, tout en faisant profession de christianisme, portent la marque de la circoncision, observent le sabbat, s'abstiennent de la chair de porc et des autres aliments interdits par la loi : trompés, à ce qu'il paraît, par ce même chapitre qui te trompe toi-même, où le Christ affirme qu'il n'est point venu abolir la loi, mais l'accomplir. Avec ceux-là, je le répète, j'aurais un rude combat à soutenir pour me dégager des difficultés que présente ce chapitre; mais je ne crains pas d'engager la bataille avec toi, qui n'as point de confiance en tes forces, qui ne me provoques guère que par impudence, plutôt pour m'éprouver, je pense, que polir m'obliger à croire que le Christ a réellement dit ce que je sais que tu ne crois pas toi-même. En effet, en m'objectant ce chapitre, tu ne produis aucun argument pour démontrer que la loi et les Prophètes ne sont pas abolis, mais accomplis ; seulement, tu en prends occasion de me traiter de lâche et de prévaricateur. Serait-ce que tu te glorifierais de porter la marque impure de la circoncision, comme le juif ou le nazaréen? Es-tu fier d'observer 1e sabbat ? Ta conscience te rend-elle le doux témoignage que tu t'abstiens

1. Matt. V, 21-44.

270

tiens de la chair de porc? Triomphes-tu d'aise d'avoir saturé le dieu des Juifs du sang des victimes et de la fumée des holocaustes? Si non, à quoi bon tant d'efforts pour prouver que le Christ n'est pas venu abolir la loi, mais l'accomplir?

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CHAPITRE V. GRACE A LA DOCTRINE DE MANÈS, FAUSTE NE S'EST PAS FAIT JUIF.

C'est pourquoi je rends d'incessantes actions de grâces à mon maître, de m'avoir retenu sur cette pente, en sorte qu'aujourd'hui je suis chrétien. Car moi aussi, en lisant comme toi ce chapitre en aveugle, j'avais presque formé le dessein de me faire juif. Et ce n'était pas sans raison : car si le Christ est venu accomplir la loi et non l'abolir, comme le mot remplir ne s'applique pas à un vase vide, mais à un vase demi plein, l'israélite seul me semblait capable de devenir chrétien, lui qui, déjà plus qu'à moitié rempli par la loi et les Prophètes, viendrait au Christ pour recevoir un complément dont il paraîtrait d'autant plus susceptible; à condition cependant de ne pas se dégager des premières observances ; car autrement ce ne serait plus complément, mais épuisement qu'il faudrait dire. Quant à moi, sorti du sein de la gentilité, je me figurais faussement être venu au Christ, puisque je n'apportais rien qui pût recevoir un complément de sa part. En cherchant donc en moi la première moitié de la mesure, je ne trouvais que le vide : sabbat, circoncision, sacrifices, néoménies, ablutions, azymes, distinction entre les aliments, boissons, vêtements, et une foule d'autres choses qu'il serait long de détailler, tout avait disparu. Je pensais donc que c'était cela, et non autre.chose que le Christ déclarait être venu non abolir, mais accomplir. Et je raisonnais juste : car qu'est-ce que la loi sans les commandements ? Qu'est-ce que les Prophètes sans les prophéties? De plus, je retrouvais ici les malédictions amères lancées contre ceux qui ne persévéreraient pas dans l'observation de ce qui est écrit dans le livre de la loi (1). Ainsi, craignant, d'un côté, une malédiction quasi divine; entendant, de l'autre, le Christ, le Fils de Dieu, affirmer qu'il n'est pas venu abolir toutes ces choses, mais les accomplir vois toi-même si rien pouvait m'empêcher

1. Deut. XXVII, 26.

de me faire juif. Mais le vénérable symbole de Manès m'a sauvé de ce péril.

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CHAPITRE VI. SI LE CHRIST N'EST PAS VENU ABOLIR LA LOI, POURQUOI LES CATHOLIQUES L'ABOLISSENT-ILS EN PRATIQUE ?

Cependant je voudrais bien savoir sur quoi tu t'appuies pour m'objecter ce passage, ou pourquoi tu t'imagines qu'il ne combat que moi, tandis qu'il ne t'est pas moins contraire. Si ce n'est pas l'affaire du Christ d'abolir la loi et les Prophètes, ce n'est certainement pas non plus celle des chrétiens. Pourquoi donc les abolissez-vous? Est-ce un aveu tacite que vous n'êtes pas chrétiens ? Pourquoi profanez-vous par toute sorte de travaux ce jour du sabbat, si saint aux yeux de la loi et de tous les Prophètes, ce jour où ils attestent que Dieu même, l'architecte du monde, s'est reposé (1); et cela sans vous soucier de la peine de mort établie contre les profanateurs, sans redouter l'infamie attachée à la malédiction? Pourquoi écartez-vous de votre corps ce signe honteux de la circoncision, en si grand honneur dans la loi et chez les Prophètes, notamment aux yeux d'Abraham après la prétendue épreuve de sa foi: surtout quand Dieu lui-même ordonne d'exterminer du milieu de son peuple, quiconque ne porte pas ce sceau d'ignominie (2) ? Pourquoi négligez-vous ces sacrifices légaux, que Moïse et les Prophètes sous l'empire de la loi, qu'Abraham lui-même, guidé par sa simple foi, plaçaient au premier rang des devoirs ? Pourquoi souillez-vous votre âme en usant sans distinction de toute espèce d'aliments, puisque le Christ est venu non pour abolir, mais pour accomplir tout cela ? Pourquoi ce mépris impie pour l'usage annuel des azymes, et pour l'immolation de l'agneau pascal, quand la loi et les Prophètes veulent qu'on les observe à perpétuité ? Et ces néoménies, ces ablutions, cette fêle des tabernacles et les autres observances charnelles prescrites par la loi et les Prophètes, pourquoi les battez-vous, pour ainsi dire, en brèche, si le Christ ne leur a pas porté la plus légère atteinte ? J'ai donc raison de dire que si vous voulez rendre raison de ce mépris, vous êtes forcés ou de renoncer à vous dire disciples du Christ, ou d'avouer qu'il a été le

1. Gen. II, 2. — 2. Id. XVII, 9-14.

271

premier à détruire tout cela. Et la conséquence de cet aveu sera que vous conveniez, ou que le chapitre où il est écrit que le Christ a dit n'être pas venu pour abolir la loi, mais pour l'accomplir, est faux; ou que ces paroles ont un je ne sais quel autre sens, fort éloigné de celui que vous y attachez.

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CHAPITRE VII. C'EST LA LOI MOSAÏQUE QUE LE CHRIST EST VENU, NON ABOLIR, MAIS ACCOMPLIR.

Augustin. Dès que tu conviens que le Christ a dit : " Je ne suis pas venu abolir a la loi ou les Prophètes, mais les accomplir (1) " (et il te semblerait dur de repousser l'autorité de l'Evangile : ne trouve donc pas moins dur de contredire l'Apôtre qui nous dit: " Toutes ces choses ont été des figures de ce qui nous regarde (2) ", et encore, à propos du Christ: " Il n'y a pas eu a en lui oui et non, mais oui : en effet, toutes a les promesses de Dieu sont en lui le oui (3) ", c'est-à-dire sont réalisées, accomplies en lui) : dès lors, dis-je, tu verras clairement quelle est la loi qu'il a accomplie et comment il l'a accomplie. Tu seras dispensé de te promener à travers trois espèces de lois et trois espèces de Prophètes, en cherchant une issue pour sortir, sans la trouver. Car il est manifeste, et le Nouveau Testament lui-même nous l'atteste souvent en termes plus clairs que la lumière du soleil, quelle est la loi, quels sont les Prophètes que le Christ est venu, non abolir, mais accomplir. C'est la loi même qui, donnée par Moïse, est devenue la grâce et la vérité par Jésus-Christ (4). C'est, dis-je, la loi donnée par Moïse, duquel le Christ a dit " Car c'est de moi qu'il a écrit (5) ". C'est certainement cette loi qui est survenue pour que le péché abondât (6): ce que vous avez l'habitude de lui reprocher, dans votre inintelligence. Lisez donc ce passage et voyez que c'est d'elle qu'on dit : " Ainsi la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon. Ainsi ce qui est bon est donc devenu pour moi la mort? Loin de là. Mais le péché, pour paraître péché, a, par une chose bonne, opéré pour moi la mort (7) ". Car la loi ne commandait pas le péché, pour que, elle survenant, le péché abondât; mais la promulgation

1. Matt. V, 17. — 2. I Cor. X, 6. — 3. II Cor. I, 20, 21. — 4. Jean, I, 17. — 5. Id. V, 46. — 6. Rom. V, 20. — 7. Id. VII, 12, 13.

du commandement saint, juste et bon, avait rendu coupables de rébellion des orgueilleux qui présumaient beaucoup d'eux-mêmes ; afin que, humiliés par là, ils apprissent â recourir à la grâce par la foi, pour n'être plus soumis à la loi par la prévarication, mais associés à la loi par la justice. En effet, le même Apôtre dit: " Avant que la foi vînt, nous étions sous la garde de la loi, réservés pour cette foi qui a été révélée ensuite. Ainsi ", ajoute-t-il, " la loi a été notre pédagogue dans le Christ Jésus; mais la foi étant venue, nous ne sommes plus sous le pédagogue (1) " ; parce que, étant affranchis par la grâce, nous ne sommes plus liés par la prévarication de la loi. En effet, avant que nous fussions humiliés et reçussions la grâce spirituelle, la lettre, en nous commandant ce que nous ne pouvions exécuter, ne faisait que nous donner la mort. C'est pourquoi le même Apôtre dit : " La lettre tue, mais l'esprit vivifie (2) ". Et encore : " Car si une loi eût été donnée qui pût vivifier, la justice viendrait vraiment de la loi; mais l'Ecriture a tout renfermé dans le péché, afin que la promesse fût accomplie par la foi en Jésus-Christ en faveur des croyants (3) ". Il dit encore: " Car ce qui était impossible à la loi, parce qu'elle était affaiblie par la chair, Dieu, en envoyant son Fils dans une chair semblable à celle du péché, a condamné le péché dans la chair par le péché même, afin que la justice de la loi s'accomplît en nous, qui ne marchons point selon la chair, mais selon l'esprit (4) ". Voilà ce que signifie : " Je ne suis pas venu abolir la loi, mais l'accomplir ". Car comme la loi, en aggravant le péché, rendait les hommes orgueilleux coupables du crime de rébellion, parce qu'elle leur commandait ce qu'ils ne pouvaient exécuter, la justice de la loi elle-même s'est accomplie chez ceux qui apprennent à être doux et humbles de coeur, par la grâce de l'esprit du Christ qui est venu non abolir la loi, mais l'accomplir. Et comme il est difficile en cette vie mortelle, à ceux mêmes qui sont sous l'empire de la grâce, d'accomplir en tout sens ce qui est écrit dans la loi : " Tu ne convoiteras pas (5)", le Christ, devenu prêtre par le sacrifice de sa chair, nous obtient l'indulgence et, en cela même, accomplit

1. Gal. III, 23-25. — 2. II Cor. III, 6. — 3. Gal. III, 21, 22. — 4. Rom. VIII, 3, 4. — 5. Ex. XX, 17.

272

encore la loi; afin que ce qui nous est difficile à cause de notre faiblesse, nous soit accordé par la perfection de celui qui est notre chef et dont nous sommes les membres. Ce qui fait dire à Jean: " Mes petits enfants, je vous écris ceci pour que vous ne péchiez point; cependant, si quelqu'un pèche, nous avons pour avocat auprès du Père, Jésus-Christ le juste; et il est lui-même expiation pour nos péchés (1) ".

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CHAPITRE VIII. LES RITES PROPHÉTIQUES CESSENT D'ÊTRE OBSERVÉS, PARCE QUE LEUR BUT EST REMPLI.

Or, il a accompli les prophéties, parce qu'en lui les promesses de Dieu se sont réalisées. J'ai déjà rappelé plus haut le mot de l'Apôtre " Car toutes les promesses de Dieu sont en lui le oui ". Le même dit encore: " Car je dis que le Christ a été le ministre de la circoncision pour justifier la véracité de Dieu, et confirmer les promesses faites à nos pères (2) ". Donc, tout ce qui a été promis dans les Prophètes, soit ouvertement, soit en figures, soit en paroles, soit en actions, s'est accompli en celui qui est venu, non abolir la loi et les Prophètes, mais les accomplir. Or, ce que vous ne comprenez pas, c'est que, si les chrétiens observaient encore certains rites, certaines cérémonies qui étaient la figure de l'avenir, cela signifierait simplement que les choses prédites par ces figures ne seraient pas encore arrivées. En effet, ce qu'on annonce comme à venir, n'est pas encore arrivé, ou, si c'est arrivé, l'annonce qu'on en fait est inutile ou mensongère. Ainsi donc ce qui vous fait croire que le Christ n'a pas accompli les Prophètes, à savoir parce que les chrétiens n'observent plus certains rites imposés aux Hébreux par les Prophètes, c'est précisément ce qui prouve qu'il les a accomplis. En effet, ce que ces figures prophétisaient est si bien accompli, qu'elles ont cessé d'être des prophéties. C'est ce que le Sauveur exprime quand il dit : " La loi et les Prophètes ont duré jusqu'à Jean (3) ". Car la loi qui renfermait les prévaricateurs sous l'abondance du péché en vue de la foi qui a été révélée ensuite, est devenue la grâce par Jésus-Christ, par qui la grâce a surabondé; et ainsi la grâce qui affranchit, a accompli ce que n'accomplissait

1. I Jean, II, 1, 2. — 2. Rom. XV, 8. — 3. Luc, XVIII, 16.

pas la lettre qui commandait. De même toute prophétie renfermée dans la loi, et qui promettait l'arrivée du Sauveur, non-seulement en paroles, mais aussi en actions figuratives, est devenue la vérité par Jésus-Christ. Car " la loi a été donnée par Moïse; mais la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ (1) ". C'est depuis son avènement que le royaume de Dieu a commencé à être annoncé; parce que " la loi et les Prophètes ont duré jusqu’à Jean " ; la loi pour faire des coupables qui soupirassent après le salut ; les Prophètes pour promettre le Sauveur. Du reste, qui ne sait qu'il y a encore eu d'autres Prophètes dans l'Eglise après l'ascension du Christ? C'est de ceux-ci que Paul dit: " Ainsi Dieu a établi dans l'Eglise premièrement des Apôtres, secondement des Prophètes, troisièmement des Docteurs (2)", et ainsi du reste. Ce n'est pas d'eux qu'il est dit: " La loi et les Prophètes ont duré jusqu'à Jean ", mais de ceux qui ont prophétisé le premier avènement du Christ : lequel avènement ayant eu lieu, ne peut évidemment plus être prophétisé.

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CHAPITRE IX. POURQUOI LE CHRÉTIEN N'OBSERVE PLUS LA CIRCONCISION NI LE SABBAT.

Par conséquent, quand tu demandes pourquoi le chrétien ne se circoncit pas dans sa chair, puisque le Christ n'est pas venu abolir la loi, mais l'accomplir, je réponds : Le chrétien ne se circoncit plus précisément parce que le Christ a accompli ce que la circoncision prophétisait. En effet, le dépouillement de la génération charnelle, dont cette opération était la figure, a été accompli par la résurrection du Christ, et le sacrement de Baptême nous est un gage qu'il en sera de même dans notre résurrection. Car le sacrement de la vie nouvelle n'a pas dû tout à fait disparaître, parce que la résurrection des morts est encore pour nous un événement à venir: et cependant il a dû faire place à quelque chose de mieux quand le baptême est venu, parce qu'alors il s'est passé un fait qui n'avait pas encore eu lieu : c'est que la résurrection du Christ nous a offert un modèle de ce que sera la vie éternelle. Quand tu demandes pourquoi le chrétien n'observe pas le repos du sabbat, puisque le Christ n'est pas venu abolir

1. Jean, I, 17. — 2. I Cor. XII, 28.

273

la loi, mais l'accomplir, je te réponds que le chrétien n'observe pas le repos du sabbat précisément parce que le Christ a accompli ce que cette figure prophétisait. Car nous trouvons le sabbat (le repos) en celui qui a dit : " Venez à moi, vous tous qui prenez de a la peine et qui êtes chargés, et je vous soulagerai; prenez mon joug sur vous, et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez du repos pour vos âmes (1) ".

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CHAPITRE X. POURQUOI LE CHRÉTIEN N'OBSERVE PLUS LA DISTINCTION ENTRE LES ALIMENTS, LES SACRIFICES D'ANIMAUX, LA PAQUE, ETC....

Quand tu demandes pourquoi le chrétien n'observe pas la distinction établie par la loi entre les aliments, puisque le Christ n'est pas venu abolir la loi, mais l'accomplir, je réponds que le chrétien n'observe pas cette distinction, parce que le but même de cette figure prophétique est déjà rempli par le Christ, qui n'admet point dans son corps, qu'il a prédestiné à la vie éternelle dans ses saints, tout ce que les animaux immondes figuraient par avance dans la conduite des hommes. Quand tu me demandes pourquoi le chrétien n'offre point à Dieu par l'immolation des animaux, des sacrifices de chair et de sang, puisque le Christ n'est pas venu abolir la loi, mais l'accomplir, je réponds : que le chrétien doit surtout s'abstenir désormais de sacrifices de ce genre, parce que le Christ a accompli, par l'immolation de sa chair et de son sang, tout ce que prophétisaient ces figures en action. Quand tu demandes pourquoi le chrétien ne conserve pas l'usage des azymes, puisque le Christ n'est pas venu abolir la loi, mais l'accomplir, je réponds: que c'est parce que le Christ a rempli le but même de cette figure prophétique, en purifiant du vieux levain et en faisant apparaître une vie nouvelle (2). Quand tu demandes pourquoi le chrétien ne célèbre plus la pâque avec la chair d'un agneau, puisque le Christ n'est pas venu abolir la loi, mais l'accomplir, je réponds : que le chrétien ne célèbre plus cette espèce de pâque, parce que le Christ, Agneau sans tache, a accompli par sa passion ce que cette figure prophétisait. Quand tu demandes pourquoi le chrétien ne célèbre plus les

1. Matt. XI, 28, 2°. — 2. I Cor. V, 7.

néoménies prescrites par la loi, puisque le Christ n'est pas venu abolir la loi, mais l'accomplir, je réponds: que le chrétien ne les célèbre plus, parce que le Christ a rempli le but prophétique pour lequel on les célébrait. Car la fête de la nouvelle lune figurait par avance la nouvelle vie, dont l'Apôtre dit : " Si donc il est a une créature nouvelle dans le Christ, les a choses anciennes ont passé : voilà que tout est devenu nouveau (1) ". Quand tu demandes pourquoi le chrétien ne pratique pas les ablutions prescrites par la loi pour diverses espèces d'impuretés, puisque le Christ n'est pas venu abolir la loi, mais l'accomplir, je réponds que le chrétien ne les observe plus, précisément parce qu'elles étaient les figures de l'avenir et que le Christ les a accomplies. Car il est venu nous ensevelir avec lui dans le baptême, nous y faire mourir, afin que, comme le Christ est ressuscité des morte, nous aussi nous marchions dans une nouveauté de vie (2). Quand tu demandes pourquoi la fête des Tabernacles n'est pas solennisée par les chrétiens, puisque la loi a été, non abolie, mais accomplie par le Christ, je réponds : que le tabernacle de Dieu, ce sont les fidèles, unis et en quelque sorte resserrés tsar la charité, dans lesquels il daigne habiter; et que la raison pour laquelle les chrétiens ne célèbrent plus cette fête, c'est que le Christ a accompli dans son Église ce que promettait cette figure prophétique.

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CHAPITRE XI. L'AVÈNEMENT DU CHRIST A MIS FIN A TOUS LES RITES QUI L'ANNONÇAIENT.

Nous avons traité ces questions, d'après notre plan, le plus brièvement possible, et pour ne pas les passer absolument sous silence. Du reste on les a discutées en détail et article par article dans des livres considérables et nombreux, qui démontrent que le Christ était l'unique objet de ces prophéties. De là il résulte que, tandis que vous vous imaginez que tous ces rites prescrits dans l'Écriture ne sont plus observés par les chrétiens, et que le Christ les a abolis, ils ne le sont plus justement parce qu'il les a tous accomplis. En effet, l'observation de ces symboles était l'annonce du Christ. Qu'y a-t-il donc d'étonnant, qu'y a-t-il d'absurde, ou plutôt quelle raison et quelle convenance n'y a-t-il pas, à ce que tout

1. II Cor. V, 17. — 2. Rom. VI, 4.

274

ce qui se pratiquait pour annoncer l'avènement du Christ, cesse après cet avènement ? Il ne faut donc pas s'imaginer que, parce que depuis l'avènement du Christ on ne pratique plus ces rites figuratifs, prophéties de cet avènement, ils n'ont pas été accomplis par le Christ; c'est que, tout au contraire, s'ils n'avaient pas été accomplis par l'avènement du Christ, on les observerait encore. Or, les hommes ne sauraient être unis en, un corps de religion vraie ou fausse, sans être liés par une communauté de signes ou de sacrements visibles sacrements dont la puissance est inexprimable et dont le mépris fait les sacrilèges. Car on ne méprise pas sans impiété ce qui est nécessaire pour former la piété.

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CHAPITRE XII. LES IMPIES PARTICIPENT AUX SACREMENTS, MAIS N'ONT POINT LA CHARITÉ.

Cependant comme les impies peuvent participer aux sacrements visibles destinés à former la piété, puisque nous lisons que Simon le Magicien lui-même avait reçu le saint baptême (1), il faut alors les ranger parmi ceux dont parle l'Apôtre : " Ayant, une apparence de piété, mais en repoussant la réalité (2) ". Or, la réalité de la piété est le but même du précepte, c'est-à-dire là charité qui vient d'un coeur pur, d'une bonne conscience et d'une foi non feinte (3). C'est pourquoi l'apôtre Pierre parlant du sacrement de l'Arche dans laquelle la famille de Noé fut sauvée du déluge, dit : " Ce qui vous sauve vous-mêmes, c'est un baptême semblable ". Et pour que les fidèles ne crussent pas que c'était assez du sacrement visible qui leur donnait l'apparence de la piété et qu'ils n'en repoussassent pas la réalité par une vie coupable et des moeurs corrompues, il ajoute aussitôt : " Non pas une purification des souillures de la chair, mais l'engagement d'une bonne conscience (4) "

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CHAPITRE XIII. SACREMENTS DE LA LOI NOUVELLE SUBSTITUÉS A CEUX DE L'ANCIENNE.

Par conséquent, les premiers sacrements qui étaient observés et célébrés d'après la loi, étaient des prophéties annonçant la venue du Christ ; le Christ les ayant accomplis par son

1. Matt. VIII, 13. — 2. II Tim. III, 5. — 3. I Tim. I, 5. — 4. I Pet. III, 21.

avènement, ils ont disparu, et ils ont disparu parce qu'ils étaient accomplis ; car le Christ n'est pas venu abolir la loi, mais l'accomplir et d'autres ont été institués, d'une vertu plus efficace, d'une utilité plus grande, plus faciles à pratiquer, d'un nombre moins considérable, qui sont comme la justification de la foi révélée, et destinés aux enfants de Dieu qui ont été appelés à la liberté et délivrés du joug de la servitude (1), lequel convenait à un peuple indocile et livré à la chair.

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CHAPITRE XIV. SI LES ANCIENS JUSTES ONT SOUFFERT POUR LEUR LOI, A PLUS FORTE RAISON DOIT-ON SOUFFRIR POUR LA NOUVELLE. LA PROMESSE DE LA VIE ÉTERNELLE DÉJÀ RÉALISÉE DANS LE CHRIST.

Cependant si les anciens justes, qui savaient que ces sacrements étaient l'annonce prophétique de la foi qui devait être un jour révélée, - vivaient de cette foi même, laquelle, bien qu'obscure et cachée, était néanmoins sensible pour leur piété (car personne ici-bas ne peut être juste, sans vivre de la foi (2)); si, dis-je, ces justes étaient prêts à souffrir et ont même, pour la plupart, souffert les tourments les plus durs et les plus affreux, pour ces sacrements prophétiques, figures d'événements non encore accomplis ; si nous exaltons les trois enfants et Daniel, parce qu'ils n'ont pas voulu se souiller en mangeant des mets de la table du roi (3), ce qui était contraire au sacrement de ce temps-là ; si nous professons la plus grande admiration pour les Machabées, parce qu'ils n'ont pas voulu toucher à des viandes dont l'usage est aujourd'hui permis aux chrétiens (4), parce que cela était défendu à cette époque toute prophétique : à combien plus forte raison un chrétien doit-il être prêt à tout souffrir pour le baptême du Christ, pour l'Eucharistie du Christ, pour le signe du Christ, quand, d'un côté, il n'y avait que des promesses d'avenir, et que, de l'autre, ce sont des preuves que les promesses sont accomplies ? Car ce qui est encore promis à l’Église, c'est-à-dire au corps du Christ, est annoncé comme déjà manifesté, et est certainement déjà accompli dans le chef même et le Sauveur du corps, c'est-à-dire dans Jésus-Christ homme, médiateur entre Dieu et les hommes (5). Que

1. Gal. V, 13. — 2. Rom. I,17. — 3. Dan. I, 8. — 4. II Mac, VII. — 5. I Tim. II, V.

275

promet-on, en effet, sinon la vie éternelle après la résurrection des morts ? Or, cela est déjà accompli dans cette chair, qui a été le Verbe fait chair et qui a habité parmi nous (1). Alors donc la foi était occulte : car tous les justes et les saints de ce temps-là croyaient les mêmes choses et espéraient les mêmes choses ; et tous leurs sacrements et tous leurs rites sacrés n'étaient que des promesses. Mais maintenant la foi a été révélée, la foi dans laquelle le peuple était renfermé quand il était sous la garde de la loi (2): et ce qui est promis aux fidèles pour le jour du jugement, est déjà accompli de fait, dans la personne de Celui qui est venu, non abolir la loi et les Prophètes, mais les accomplir.

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CHAPITRE XV. QUESTIONS DIVERSES. CE N'EST POINT LE MOMENT DE LES TRAITER.

Ceux qui approfondissent les saintes Ecritures demandent, à cette occasion, si la foi au Christ devant souffrir et ressusciter un jour, était aussi utile aux anciens justes qui la puisaient dans quelques révélations ou dans les livres des Prophètes, que l'est aux fidèles d'aujourd'hui la foi au Christ qui a souffert et qui est ressuscité ; si l'effusion du sang de l'Agneau qui a eu lieu, comme il le dit lui-même, " pour un grand nombre en rémission des péchés (3) ", a servi à quelque chose, a rendu purs ou plus purs ceux qui y croyaient comme à une chose à venir et sont sortis de cette vie avant qu'elle fût accomplie; et si la mort du Sauveur a étendu ses bienfaits jusqu'à ces justes au tombeau. Mais traiter maintenant cette question, la discuter, y démêler les éléments vrais et les étayer de preuves, serait un travail de longue haleine et qui n'est point nécessaire pour l'objet présent.

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CHAPITRE XVI. IL A FALLU DES RITES DIFFÉRENTS, UN AUTRE LANGAGE FOUR PROPHÉTISER CE QUI DEVAIT ARRIVER, ET INDIQUER CE QUI EST ACCOMPLI.

En attendant, qu'il nous suffise de réfuter les calomnies que Fauste a avancées dans son ignorance, de démontrer l'extravagante erreur de ceux qui croient que, les signes et les sacrements étant changés; les choses promises par le rite prophétique ne sont pas celles qui

1. Jean, I, 14. — 2. Gal. III, 23. — 3. Matt. XXVI, 28.

sont accomplies par 1e rite évangélique ; ou qui pensent que, si les choses sont les mêmes, on devrait, quand elles sont accomplies, les annoncer au moyen des mêmes sacrements qui servaient à les prophétiser avant leur accomplissement. Car si les sons des mots qui forment le langage, varient selon le temps ; si on exprime différemment la même chose quand elle est à faire ou quand elle est faite ; si ces deux mots mêmes : " devant être fait", et " fait " , n'ont pas la même quantité, les mêmes lettres, les mêmes syllabes ni un même nombre : qu'y a-t-il d'étonnant qu'on ait employé des signes et des rites différents pour promettre la passion et la résurrection futures du Christ, et pour indiquer qu'elles étaient accomplies : puisque les mots mêmes " futur " et " fait ", " devant souffrir " et " ayant souffert ", " devant ressusciter " et " ressuscité ", n'ont pu avoir la même longueur ni se produire par les mêmes sons? Que sont au fond les sacrements matériels, sinon des paroles rendues visibles, très-saintes il est vrai, mais néanmoins sujettes à changement et dépendantes du temps ? Car Dieu est éternel, et cependant l'eau et toutes les cérémonies qui se rattachent au baptême, se font, passent, et ne sont pas éternelles ; et, là encore, ces syllabes passagères, ces sons rapides qui forment le mot " Deus, Dieu ", ne produisent point l'effet sacré, si elles ne sont pas prononcées.Tout cela se fait et passe, tout cela bruit et passe ; et cependant la puissance qui opère en cela, demeure éternellement, et le feu spirituel communiqué par là est aussi éternel. Ainsi donc, celui qui dit: Si le Christ n'avait pas aboli la loi et les Prophètes, les sacrements prescrits par la loi et les Prophètes subsisteraient et se célébreraient encore dans les assemblées chrétiennes; celui-là peut dire aussi : Si le Christ n'avait pas aboli la loi et les Prophètes, on annoncerait encore qu'il naîtra, qu'il souffrira, qu'il ressuscitera; tandis que ce qui prouve qu'il n'est pas venu abolir tout cela, mais l'accomplir, c'est qu'on ne promet plus qu'il naîtra, qu'il souffrira, qu'il ressuscitera, ainsi que les anciens sacrements le signifiaient; mais qu'on annonce qu'il est né, qu'il a souffert, qu'il est ressuscité, comme l'indiquent les sacrements célébrés chez les chrétiens. Celui donc qui est venu, non abolir, mais accomplir la loi et les Prophètes, a aboli, par cet accomplissement même, ce qui n'était que (276) la promesse et le gage de l'accomplissement de ce qui est certainement accompli. C'est comme s'il faisait disparaître ces mots : Il naîtra, il souffrira, il ressuscitera, qui étaient justes quand il s'agissait du futur, et y substituait ceux-ci : Il est né, il a souffert, il est ressuscité, qui sont maintenant les seuls vrais, puisque les autres sont accomplis et ont, pour cela même, disparu.

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CHAPITRE XVII. A QUI, PARMI LES PREMIERS CHRÉTIENS, LE JUDAÏSME ÉTAIT ENCORE PERMIS, A QUI IL ÉTAIT DÉFENDU.

Ainsi donc, comme ces paroles, les sacrements de l'ancien peuple ont dû disparaître et se transformer, parce qu'ils avaient leur accomplissement dans celui qui n'est pas venu abolir la loi et les Prophètes, irais les accomplir. Et pour donner aux premiers chrétiens, convertis du judaïsme, le temps de s'en convaincre peu à peu et d'en avoir une parfaite intelligence, contrairement à une longue habitude, aux préjugés de la naissance et de l'éducation, les Apôtres leur permirent de conserver les rites et les traditions des ancêtres, et en prévinrent ceux à qui cela était nécessaire, afin de s'accommoder à la lenteur de leur caractère et à leurs habitudes. Voilà comment l'Apôtre circoncit lui-même Timothée, né d'une mère juive et d'un père grec, à cause de ceux chez qui il venait avec lui et qui se trouvaient dans le même cas (1); et il tint cette conduite au milieu d'eux, non par dissimulation et pour tromper, mais par esprit de précaution et de prudence. En effet, pour des hommes nés et élevés dans de telles conditions, ces rites étaient sans danger, bien qu'ils ne fussent plus nécessaires pour annoncer l'avenir. Il eût été bien plus dangereux de les défendre comme coupables à ceux jusqu'au temps de qui ils devaient durer; parce que le Christ, qui était venu accomplir toutes ces prophéties, les y avait trouvés ainsi initiés ; et, d'autre part, pour que ceux qui n'étaient point liés par de telles habitudes, mais qui venaient, comme d'un mur opposé, c'est-à-dire du milieu des incirconcis, à la pierre angulaire qui est le Christ (2), ne fussent pas astreints à de telles obligations. Si donc ceux qui venaient de la circoncision et qui étaient encore

1. Act. XVI, 1-3. — 2. Eph. II, 14, 20.

dans l'usage de ces sacrements, voulaient, comme Timothée, y rester fidèles, on ne les en empêchait point; mais s'ils s'imaginaient que leur espérance et leur salut reposassent sur ces oeuvres de la loi, on devait les en éloigner comme d'une mort assurée. C'est ce qui faisait dire à l'Apôtre: " Voici que moi, Paul, je vous dis que si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien (1) ". " Si vous vous faites circoncire", bien entendu, comme ils le voulaient, comme des gens à qui des esprits pervers avaient persuadé qu'ils ne pourraient être sauvés sans les oeuvres de la loi (2). En effet, comme les Gentils venaient à la foi du Christ (surtout par la prédication de l'apôtre Paul), ainsi qu'ils devaient y venir, sans être surchargés d'observances de ce genre; comme ces rites auxquels ils n'étaient point habitués, et surtout la circoncision, eussent détourné de la foi ceux qui étaient déjà avancés en âge; que leur naissance ne les disposait pas à pratiquer ces sacrements, en se faisant prosélytes à l'ancienne manière, comme si ces rites mystérieux fussent encore chargés d'annoncer le futur avènement du Christ; comme, dis-je, ils venaient à la foi ainsi que des Gentils devaient y venir ; ceux qui venaient de la circoncision ne comprenant pas pourquoi on ne leur imposait pas les observances qu'on tolérait chez eux, commençaient à troubler l'Eglise par certaines séditions charnelles, sous prétexte que les Gentils, en prenant place parmi le peuple de Dieu, n'étaient pas d'abord devenus prosélytes par la pratique solennelle de la circoncision de la chair et des autres observances de ce genre prescrites par la loi. Or, parmi ces gentils; il en était qui demandaient vivement à embrasser ces rites, parce qu'ils craignaient les Juifs au milieu desquels ils vivaient. C'est contre ceux-là que Paul s'élève en beaucoup d'endroits de ses écrits : et Pierre même s'étant laissé aller à user en ce point de dissimulation, il lui adressa une correction fraternelle (3). Mais après que les Apôtres réunis ensemble eurent décidé dans leur prudence qu'il ne fallait pas obliger les Gentils aux oeuvres de la loi (4), cette mesure déplut à certains Juifs devenus chrétiens, qui ne savaient pas voir qu'on ne pouvait tolérer ces rites que chez ceux que la foi, actuellement révélée, y avait trouvés adonnés, afin que l'opération prophétique se consommât

1. Gal. V, 2. — 2. Act. XV, 1. — 3. Gal. II, 14. — 4. Act. XV, 6-11.

277

en ceux qui la pratiquaient déjà avant l'accomplissement même de la prophétie, et de peur que, si on la leur interdisait, ils ne la crussent plutôt désapprouvée qu'arrivée à terme ; tandis que, si on en faisait une loi aux Gentils, on pourrait croire ou qu'elle n'avait pas été instituée en vue du Christ promis, ou qu'elle continuait à être une promesse du Christ à venir. Ainsi donc le premier peuple de Dieu, avant que le Christ vînt accomplir la loi et les Prophètes, avait ordre d'observer tolet ce qui était l'annonce prophétique de son avènement : libre dans ceux qui connaissaient le but où tout cela tendait, esclave dans ceux qui ne le comprenaient pas. Mais le peuple nouveau, recevant la foi qui annonçait que le Christ était venu, qu'il avait souffert, qu'il était ressuscité, n'était ni obligé ni empêché d'observer ces sacrements, dans la personne de ceux qui les pratiquaient avant d'embrasser cette foi : mais il en était empêché dans ceux qui, au moment où ils venaient à la foi, ne connaissaient point ces pratiques, et n'y étaient tenus ni par naissance, ni par habitude, ni par convenance ; afin que par eux on commentât à voir que toutes ces œuvres avaient été instituées en vue de la promesse du Christ, et qu'elles devaient disparaître du moment que le Christ était venu et avait accompli les promesses. Mais cette prudence et ces sages ménagements, inspirés aux Apôtres par l'Esprit-Saint, ayant déplu à certains Juifs devenus croyants, qui ne les comprenaient pas:, ils persévérèrent dans la coupable pensée de forcer les Gentils à pratiquer le judaïsme. Ce sont ceux-là que Fauste mentionne sous le nom de Symmaques ou de Nazaréens. On en trouve encore de nos jours, quoiqu'en très-petit nombre.

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CHAPITRE XVIII. CE QUE LES CHRÉTIENS ONT GARDÉ DE LA LOI ANCIENNE.

Pourquoi donc ces sectaires calomnient-ils la loi et les Prophètes, sous prétexte que le Christ est venu les abolir plutôt que les accomplir, et accusent-ils les chrétiens de ne pas observer ce qui y est prescrit, quand les chrétiens n'en omettent que ce qui était une promesse du Christ et l'omettent précisément parce que le Christ a accompli les promesses, que ce qui est accompli ne se promet plus, et que tous ces signes prophétiques devaient trouver leur terme en ceux mêmes qui en étaient pénétrés, quand ils sont venus à la foi du Christ qui a tout accompli? Est-ce que les chrétiens ne maintiennent pas ce qui est écrit : " Ecoute, Israël : le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu (1) ; tu ne te fabriqueras point d'idoles ", et tant d'autres choses de ce genre? Est-ce que les chrétiens n'observent pas la défense : " Tu ne prendras pas le nom du Seigneur ton Dieu en vain ? " Est-ce que les chrétiens n'observent pas le sabbat, établi comme symbole du véritable repos? Est-ce qu'ils ne s'abstiennent pas de la fornication, de l'homicide, du vol, du faux témoignage, de la convoitise de la femme ou du bien d'autrui : toutes choses prescrites dans la loi (2) ? Ici ce sont des préceptes moraux, et là des rites renfermant des promesses; les uns s'accomplissent avec l'aide de la grâce, les autres par la manifestation de la vérité : mais les uns et les autres par le Christ, qui donne toujours cette grâce et la manifeste mainte nant ; qui promettait alors cette vérité et maintenant la fait connaître : puisque " la loi a été donnée par Moïse, mais que la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ (3) ". Enfin, ces préceptes, fidèlement conservés par une conscience droite, sont accomplis par la foi qui agit par la charité; mais ces rites, qui ne renfermaient qu'une promesse, ont passé, quand les faits promis ont eu lieu. Ils ne sont donc pas abolis, mais accomplis; parce que le Christ, en accomplissant la promesse qu'ils renfermaient, a démontré qu'ils n'étaient ni inutiles, ni mensongers.

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CHAPITRE XIX. ERREUR DE FAUSTE SUR CE POINT.

Fauste se trompe donc quand il affirme que le Seigneur Jésus a accompli certaines choses qui avaient été dites aux anciens justes avant la loi de Moïse, comme par exemple

" Tu ne tueras pas " : (précepte que le Christ est loin de rejeter, puisqu'il le confirme, en défendant la colère et toute parole injurieuse (4) ) ; mais qu'il en a aboli d'autres, qui semblaient plus proprement appartenir à la loi des Hébreux, comme par exemple : " Oeil pour oeil, dent pour dent ", qu'il semble avoir plutôt aboli que confirmé en disant :

1. Deut. VI, 4. — 2. Ex. XX, 4-17. — 3. Jean, I, 17. — 4. Ex. IX, 18; Matt. V, 21, 22.

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" Et moi je vous dis de ne point résister aux mauvais traitements; mais si quelqu'un vous frappe sur la joue droite, présentez-lui encore l'autre (1) ". Car nous disons que ce que les Manichéens croient aboli par le Christ qui aurait établi des principes contraires, a été autrefois sagement institué pour le temps, et est maintenant, non aboli, mais accompli par le Christ.

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CHAPITRE XX. CE N'EST POINT LA LOI DES ANCIENS JUSTES, QUE LE CHRIST EST VENU ACCOMPLIR.

Et d'abord, je demande aux Manichéens si ces anciens justes, Enoch et Seth (ce sont ceux que Fauste se plait surtout à citer) et tous ceux qui ont pu exister, non-seulement avant Moïse, mais même avant Abraham, se sont fâchés sans raison contre leur frère ou lui ont dit : " Fou? " Sils ne font pas dit, pourquoi n'ont-ils pas donné des enseignements, en conséquence? Et s’ils en ont donné, je demande comment le Christ a complété leur justice et leur doctrine, en ajoutant : " Et moi je vous dis que quiconque se met en colère contre son frère, ou lui dit: Rata, ou lui dit: Fou, sera soumis au jugement, ou au conseil, ou à la géhenne du feu (1) ", puisque ces justes se réglaient d'après ces principes, et enseignaient qu'il fallait-les suivre? Ces justes ignoraient-ils qu'il faut réprimer sa colère; ne point provoquer un frère par des paroles injurieuses et insolentes; ou, s'ils le savaient, ne pouvaient-ils s'abstenir de ces fautes? Ils étaient donc soumis à la géhenne mais alors, comment étaient-ils justes? Tu n'oses certainement pas dire que, dans leur justice, ils étaient ignorants de leurs devoirs, ou incapables de se modérer, au point d'être soumis à la géhenne. Pourquoi donc le Christ ajouterait-il à la loi selon laquelle ces justes vivaient, et l'accomplirait- il, puisque, sans ces principes; ils ne pouvaient pas même être justes? Diras-tu que la -violence 'de la colère et l'insolence du langage ne sont devenues des péchés que depuis l'avènement du Christ, et qu'auparavant il n'y avait pas de mal à se livrer à ces désordres du cœur ou de la bouche; Comme nous voyons qu'en certaines institutions accommodées aux temps, une chose est d'abord permise et ensuite

1. Ex. XXI, 24; Matt. V, 38, 39. — 2. Matt. V, 22.

défendue, ou une autre défendue et ensuite permise? Tu ne porteras pas la folie jusque-là. Mais quand tu le dirais, on te répondrait que, d'après cette manière de voir, le Christ ne serait plus venu combler les lacunes de la loi ancienne, mais créer une nouvelle loi; puisqu'il eût été permis au temps des anciens justes, de dire " Fou " à son frère, tandis que le Christ veut que ce soit une injustice telle que quiconque prononce ce mot soit soumis à la géhenne. Par conséquent, tu n'as pas encore trouvé la loi à laquelle ces préceptes aient fait défaut et que le Christ sait venu accomplir en les y ajoutant.

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CHAPITRE XXI. LA LOI QUI DÉFEND L'ADULTÈRE ÉTAIT DÉJÀ COMPLÈTE CHEZ LES ANCIENS JUSTES.

Est-ce par Hagard la loi qui défend l'adultère qui aurait été incomplète chez les anciens justes, jusqu'à ce que, pour la compléter, le Seigneur soit venu défendre de porter sur une femme même un regard de convoitise? Car c'est en ce sens que tu as rappelé ce passage : " Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu ne commettras pas d'adultère; mais je vous dis de ne pas même convoiter ". " C'est un complément ", dis-tu. Explique clairement ces paroles mêmes de l'Evangile, n'y mêle pas les tiennes pour les affaiblir, et cois ce que tu penses de ces justes de l'antiquité la plus reculée. " Vous avez entendu, dit le Sauveur, qu'il a été dit: Tu ne commettras pas d'adultère; mais moi je vous dis que quiconque aura regardé une femme pour la convoiter, a déjà commis l'adultère dans son cœur (1) ". Est-ce que ces justes, Seth ou Enoch, ou d'autres semblables, commettaient l'adultère en leur coeur? Leur cœur n'était-il pas le temple de Dieu, ou commettaient-ils l'adultère dans le temple de Dieu? Tu n'oses pas le dire. Comment le Christ aurait-il complété sur ce point par son avènement une loi qui était déjà complète chez eux ?

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CHAPITRE XXII. ET AUSSI CELLE QUI DÉFEND DE JURER. LE NOM DE MANÈS TRANSFORMÉ PAR LES MANICHÉENS.

Quant à la défense de jurer (2), autre point sur lequel tu prétends que le Christ a aussi

1. Ex. XX, 14; Matt. V, 27,28. — 2. Ex. XX, 7 ; Matt. V, 33-37.

279

accompli leur loi, je ne puis affirmer que les anciens justes ne juraient pas : car nous voyons que Paul lui-même a juré (1). Or, le jurement est sans cesse dans votre bouche ; vous jurez par la lumière, que vous aimez aussi bien que les mouches, sans songer le moins du monde à cette lumière des intelligences qui éclaire tout homme venant en ce monde (2) ;vous jurez par votre maître Manichée, qu'an appelle Manès dans la langue de sa patrie ; mais pour éviter de passer pour fous chez les Grecs, vous déclinez son nom, vous l'allongez, et y ajoutez l'idée de répandre, afin de faire une plus lourde chute. En effet, un des vôtres m'a expliqué qu'on l'appelle Manichée, pour lui donner, dans la langue grecque, l'air de quelqu'un qui répand de la manne, vu qu'en grec Xesin signifie répandre (3). Et en cela je ne sais ce que vous avez fait, si ce n'est de mieux faire ressortir les rêves de votre folie. Car vous avez oublié d'ajouter une lettre dans la première partie du mot, afin qu'on y pût reconnaître la manne ; et dans la seconde partie vous ajoutez deux syllabes, de manière à faire Manichée et non Mannichée : en sorte que d'après la valeur du mot, il ne vous aurait versé que la folie (la manie) dans ses longs et vains discours. Vous jurez très-souvent aussi par le Paraclet, non pas celui que le Christ a promis et envoyé à ses Apôtres (4), mais ce même verseur de folie, pour traduire son nom en latin. Puis donc que vous ne cessez de jurer, je voudrais bien savoir comment vous entendez cette partie de la loi (très-ancienne, selon vous) surtout à cause des serments de l'Apôtre. Car qu'est-ce que votre autorité, je ne dis pas pour moi, ou pour tout autre homme, mais pour vous-mêmes? Il me semble qu'on voit clairement combien est différent le sens qu'il faut attacher à ces paroles du Christ : " Je ne suis pas a venu abolir la loi, mais l'accomplir ". Quant aux additions qu'il y a faites, elles ne touchent point essentiellement à l'accomplissement de la loi, mais c'est une explication des anciennes maximes dont il était question, ou qui étaient pratiquées par les anciens justes.

1. Rom.I, 9; Phi1.I, 8; II Cor. I, 23. — 2. Jean, I, 9. — 3. Le texte porte être répandu, ce qui n'est pas exact, Xeo étant un verbe actif. — 4. Jean, XIV,16, 26, XVI; Act. II, 2; 4.

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CHAPITRE XXIII. LA LOI QUI DÉFEND LE PARJURE N'A POINT ÉTÉ ABOLIE.

En effet, comme, pour les Juifs, il n'y avait d'homicide que dans l'acte violent qui prive de vie un corps humain, le Seigneur a déclaré qu'il fallait considérer comme une espèce d'homicide tout mouvement coupable qui porte à nuire à un frère. C'est pourquoi Jean a dit : " Celui qui hait son frère, est un homicide (1) ". Et comme pour eux encore, il n'y avait d'adultère que dans le commerce charnel illicite avec une femme, le Maître leur a démontré que la simple convoitise était aussi un adultère. De même comme le parjure est un péché grave, tandis que ne pas jurer ou jurer la vérité n'est pas un mal, et que celui qui n'a pas l'habitude de jurer est beaucoup plus éloigné du parjure que celui qui est enclin à jurer la vérité : le Seigneur aime mieux que nous nous éloignions du parjure en ne jurant pas, que de nous en rapprocher en jurant la vérité. C'est pourquoi l'Apôtre n'a jamais juré dans les discours qu'on rapporte de lui, de peur que l'habitude de jurer ne l'entraînât au parjure, même sans qu'il s'en doutât. Mais dans ses écrits, là où la réflexion est plus grande, et plus facile, nous. voyons qu'il a juré plusieurs fois, pour qu'on ne crût pas qu'il y a du mal à jurer la vérité, mais que l'on comprît que s'abstenir de tout serment est, pour la fragilité humaine, le plus sûr moyen de se préserver du parjure. Tout cela bien pesé, nous ne voyons pas, comme Fauste le pense, que ces points mêmes qu'il croit tenir plus particulièrement à la loi de Moïse, aient été abolis.

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CHAPITRE XXIV. COMMENT ON PEUT TOUT A LA FOIS HAÏR ET AIMER SON ENNEMI. SYSTEME EXTRAVAGANT DES MANICHÉENS.

Et ici je demande aux Manichéens pourquoi ils rattachent exclusivement à la loi de Moïse ce qui a été dit aux anciens : " Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi (2) ". Est-ce que l'apôtre Paul n'a pas appelé certains hommes : " Haïs de Dieu (3) ? " Et d'autre part, dans ce même sermon, le Seigneur lui-même nous exhorte à imiter

1. I Jean, III, 15. — 2. Lev. XIX, 18. — 3. Rom. I, 30.

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Dieu : " Afin ", nous dit-il, " que vous soyez les enfants de votre Père qui est dans les cieux, qui fait lever son soleil sur les bons et sur tes méchants, et pleuvoir sur les justes et les injustes ". Il faut donc chercher en quel sens on doit haïr ses ennemis à l'exemple de Dieu, de qui, suivant Paul, certains hommes sont haïs, et aussi aimer ces mêmes ennemis à l'exemple de Dieu, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et les injustes. Par là, on verra que le Seigneur a voulu redresser l'erreur de ceux qui comprenaient mal ces paroles : " Tu haïras ton ennemi ", et leur apprendre, ce qu'ils ignoraient absolument, à aimer leurs ennemis. Mais comment observer l'un et l'autre point? C'est une question qui serait longue à traiter. En attendant, nous avons un moyen de fermer la bouche aux Manichéens qui ne peuvent en général admettre l'idée qu'un homme haïsse son ennemi : c'est de leur demander si leur dieu aime le peuple des ténèbres ; et, si nous devons aimer nos ennemis parce qu'ils ont une partie bonne, pourquoi nous ne devrions pas les haïr parce qu'ils ont une partie mauvaise. Mais il y a une règle qui résout la difficulté, et nous fait voir qu'il n'y a pas de contradiction entre ces paroles de l'ancienne Ecriture : " Tu haïras ton ennemi ", et celles-ci de l'Evangile : " Aimez vos ennemis (1) " c'est qu'il faut haïr tout homme méchant en tant qu'il est méchant, et l'aimer en tant qu'il est homme, de manière à condamner en lui ce que nous avons raison d'y haïr, c'est-à-dire le vice, afin que ce que nous avons raison d'aimer en lui, c'est-à-dire la nature humaine, puisse se corriger du mal et s'en affranchir. Voilà, dis-je, la règle en vertu de laquelle nous haïssons un ennemi à cause de ce qu'il y a de mauvais en lui, c'est-à-dire de l'iniquité, et nous aimons ce même ennemi à cause de ce qu'il y a de bon en lui, c'est-à-dire parce qu'il est une créature faite pour la société et douée de raison, tout en restant convaincus qu'il est mauvais, non par sa propre nature ou celle d'un autre, mais par sa mauvaise volonté personnelle. Quant à nos adversaires, ils pensent que l'homme est, mauvais par la nature du peuple des ténèbres, que leur dieu lui-même, suivant eux, craignait de toute son étendue, avant d'être vaincu en

1. Matt. V, 43, 45.

partie; et il a été si bien vaincu par elle dans cette partie, qu'il n'a pu être affranchi tout entier. Les hommes donc, entendant, mais ne comprenant pas ce qui a été dit aux anciens: " Tu haïras ton ennemi ", étaient. portés à haïr l'homme, quand ils ne devaient haïr que le vice; et le Seigneur les corrige en disant " Aimez vos ennemis " ; en sorte que celui qui avait dit : " Je ne suis pas venu abolir la loi, mais l'accomplir ", qui par conséquent n'effaçait point les paroles écrites dans la loi sur la haine des ennemis, nous obligeait, en nous commandant positivement d'aimer nos ennemis, à comprendre comment nous pourrions tout à la fois haïr le même homme à cause de son iniquité et l'aimer à cause de sa nature. Mais, pour les esprits égarés des Manichéens, cela est difficile à comprendre. Il faut seulement les pousser à bout eu les forçant, autant que le permet leur raison pervertie par un culte menteur, ou plutôt leur folie, à défendre leur propre dieu en qui ils ne peuvent reconnaître de l'amour pour le peuple des ténèbres ; par conséquent, ils ne sauraient s'appuyer sur son exemple pour exhorter quelqu'un à aimer son ennemi. Ce serait au peuple même des ténèbres, plutôt qu'à leur dieu, qu'ils pourraient attribuer l'amour d'un ennemi. Car, si on en croit leurs extravagantes rêveries, ce peuple se serait épris de la lumière voisine de son séjour, aurait voulu en jouir, et pour cela aurait imaginé d'y faire irruption. Et en cela il n'y avait pas de mal, puisque c'était désirer le vrai bien, la source du bonheur. Aussi le Seigneur dit-il : " Le royaume des cieux souffre violence, et ce sont les violents qui le ravissent (1) ". Et voilà que, selon ces vaines doctrines, le peuple des ténèbres a voulu employer la violence et ravir le bien qu'il aimait, et dont la clarté et la beauté l'avaient séduit; mais, en revanche, le dieu ne put aimer ce peuple envahisseur, qui voulait jouir de lui et, le poursuivant de sa haine, il s'efforça d'en détruire jusqu'au dernier vestige. Or, si les méchants aiment le bien pour en jouir, et si les bons haïssent le mal pour ne pas s'en souiller, dites-nous; Manichéens, lesquels d'entre eux accomplissent l'ordre du Seigneur : " Aimez vos ennemis? " Que si ces deux principes vous paraissent devoir être séparés et se trouver contradictoires entre eux, voilà que votre

1. Matt. XI, 12.

281

dieu a accompli ce qui est écrit dans la loi de Moïse. " Tu haïras ton ennemi "; et le peuple des ténèbres, ce qui est écrit dans l'Evangile : " Aimez vos ennemis ". D'autre part votre imagination elle-même n'a pu trouver moyen de trancher la question entre les mouches qui cherchent la lumière, et les mites qui la fuient : car vous prétendez que ces deux espèces d'insectes appartiennent au peuple des ténèbres. Pourquoi donc les unes aiment-elles la lumière qui leur est étrangère, et les autres ont-elles de l'aversion pour cette même lumière et restent-elles plutôt fidèles à leur origine? Serait-ce que les mouches naissent plus pures dans de fétides cloaques que les mites dans d'obscurs cabinets?

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CHAPITRE XXV. LA LOI DU TALION EN FACE DE LA DOCTRINE ÉVANGÉLIQUE.

Maintenant, quelle contradiction y a-t-il entre ce qui a été dit aux anciens : " Oeil pour oeil, dent pour dent ", et ce que dit le Seigneur : " Et moi je vous dis de ne point résister aux mauvais traitements; mais si quelqu'un vous frappe sur la joue droite, présentez-lui encore l'autre (1) ", et le reste? Le précepte donné aux anciens avait pour but de réprimer l'ardeur de la haine, de mettre un frein à une fureur immodérée. Car quel est l'homme qui se contente de se venger dans la juste proportion de l'injure qu'il a reçue ? Ne voyons-nous pas des hommes, légèrement offensés, méditer le meurtre, avoir soif de sang, et se montrer insatiables des maux de leur ennemi ? Quel est l'homme qui, ayant reçu un coup de poing, ne cite pas en justice celui qui l'a frappé pour le faire condamner; ou s'il veut se faire lui-même justice, n'accable pas son adversaire de coups de poing et de coups de pied du haut en bas, à supposer encore qu'il ne se trouve pas une arme sous sa main pour l'en percer ? C'était donc pour fixer une juste mesure à cette vengeance immodérée, et par là même injuste, que la loi avait établi la peine du talion, c'est-à-dire réglé que la punition serait telle que l'injure. Par conséquent le principe : " Oeil pour oeil, dent pour dent ", n'avait pas pour but d'exciter la colère, mais de lui donner une borne; ni de rallumer une flamme éteinte, mais de contenir les ravages

1. Ex. XXI, 21; Matt. V, 30

de l'incendie allumé. Car enfin il existe une vengeance juste, un droit équitable en faveur de celui quia reçu une injure; d'où vient que quand nous pardonnons, nous cédons en quelque sorte de notre droit. Aussi sont-ce des dettes que l'Oraison dominicale nous engage à remettre aux hommes, afin que les nôtres nous soient reluises de la part de Dieu (1). Or, il n'y a pas d'injustice à réclamer une dette, bien qu'il soit généreux de la remettre. Mais de même que, en fait de serinent, celui qui jure la vérité se rapproche du parjure, tandis que celui qui ne jure pas du tout s'en éloigne, et que, bien que celui qui jure la vérifié ne pèche pas, celui qui ne jure pas du tout est plus éloigné du péché, en sorte que nous engager à ne pas jurer c'est nous préserver du péché de parjure : ainsi, comme celui qui veut se venger immodérément se rend coupable, et que celui qui ne veut qu'une juste vengeance ne pèche pas, cependant celui qui ne veut en aucune façon se venger est à une plus grande distance du péché de vengeance injuste. En effet, celui qui exige plus qu'il ne lui est dû est coupable ; tandis que celui qui n'exige que sa dette ne l'est pas : mais celui-là est bien mieux garanti du péché d'une injuste exaction, qui n'exige en aucune façon sa dette, surtout pour n'être pas forcé de payer sa propre dette à celui qui n'a pas de dettes. Je pourrais donc dire : Il a été dit aux anciens Tu ne te vengeras pas injustement; mais moi, je vous dis: Ne vous vengez pas même : voilà le complément; absolument comme Fauste a dit : " Il a été dit : Tu ne te parjureras pas; et moi je vous dis: Ne jurez pas même : voilà encore un complément ". Oui, je pourrais dire cela si je voyais, dans les paroles du Christ, une addition faite à la loi, pour combler une lacune, et non plutôt le but même que la loi voulait atteindre, à savoir qu'on ne se venge pas du tout pour mieux se préserver du péché de la vengeance injuste: de même que son but était de sauver plus sûrement du péché de parjure, en engageant à ne pas jurer du tout. Car s'il y a contradiction entre: " Oeil pour oeil ", et : " Si quelqu'un vous frappe sur une joue, présentez-lui encore l'autre ", pourquoi n'y en aurait-il pas aussi entre : " Remplissez le serment que vous avez fait au Seigneur ", et: " Ne jurez en aucune façon (2) ? " Et cependant, là, Fauste ne voit qu'un complément, et

1. Matt. VI, 12. — 2. Ex. XX, 7 ; Matt. V, 33-37.

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non une abolition; il aurait donc dû en voir aussi un ici. Car si : Jure la vérité, est complété par : Ne jure pas ; pourquoi : Tire une juste vengeance, ne serait-il pas complété par : Ne te venge pas ? Pour moi, je vois dans l'un et dans l'autre un préservatif contre le péché de faux serment ou de vengeance injuste; et, de plus, la remise complète de l'injure a cet avantage que, en remettant ce qui nous est dû, nous méritons que nos propres dettes nous soient remises. Mais à un peuple difficile il fallait d'abord fixer une mesure pour lui apprendre à ne rien exiger au-delà de la justice ; afin que, devenu maître de là colère qui entraîne à une vengeance immodérée, l'homme calmé pût, s'il le voulait, réfléchir à ses dettes, examiner ce qu'il aimerait à se voir, remettre par le Seigneur, et que cette considération le déterminât à remettre lui-même à son frère tout ce que celui-ci, pourrait lui devoir.

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CHAPITRE XXVI. LE DIVORCE. L'ACTE DE RÉPUDIATION.

Quand à la défense faite par le Seigneur de renvoyer une femme, après qu'il a été dit aux anciens: " Que celui qui renvoie sa femme, lui donne un acte de répudiation (1) ", nous verrons, en y regardant de près, qu'il n'y a là aucune contradiction. En effet, le Seigneur a d'abord exposé ce que veut la loi : elle ordonne que celui qui renvoie, sa femme sans raison lui donne un acte de répudiation. Elle ne dit pas : Que celui qui veut renvoyer, renvoie ce serait le contraire de ne pas, renvoyer mais évidemment son espoir, était qu'une femme ne serait pas renvoyée par le mari. quand celui-ci aurait, à l'aide du retard nécessaire pour écrire un acte de répudiation, laissé tomber le premier mouvement qui le poussait au divorce et réfléchi au mal qu'il y a à renvoyer une femme : cela était d'autant plus probable que, chez les Hébreux, dit-on, personne n'avait le droit d'écrire les lettres hébraïques que les scribes, lesquels faisaient profession d'une, plus haute sagesse, et dont quelques-uns, doués de dignité et de piété, non-seulement professaient cette sagesse, mais la pratiquaient. C'était donc à ces hommes, qui devaient être des interprètes justes et éclairés de la loi, et détourner du divorce, que la loi adressait celui qui voulait renvoyer sa

1. Ex. XXIV, 1 ; Matt. V, 31, 32.

femme et de qui elle exigeait un acte de répudiation. Et cet acte ne pouvait être écrit que par eux. Nécessité qui leur remettait en quelque sorte cet homme en main, les autorisait à lui donner de bons conseils, et à intervenir pacifiquement pour rétablir entre les deux époux l'amour et la concorde. Mais si l'aversion était tellement forte qu'elle ne pût être guérie ni diminuée, alors l'acte de répudiation s'écrivait : on supposait qu'un homme avait de justes raisons de renvoyer une femme qu'il haïssait au point de ne pouvoir être ramené à l'affection conjugale par les conseils d'hommes prudents. En effet, si on n'aime pas une femme, il faut la renvoyer; mais comme on ne doit pas la renvoyer, donc il faut l'aimer, Or l'amour peut être réveillé par des avis, par des moyens persuasifs, mais non imposé par la force. Voilà ce que devait faire un scribe juste, sage, tel que le requérait sa profession. C'était pour forcer le mari à aller à lui qu'il avait reçu commission d'écrire l'acte; et un homme de bien, un homme prudent, n'écrit un tel acte, que quand les conseils pacifiques sont sans effet sur une âme trop méchante ou trop égarée par la haine. En attendant, je vous demande pourquoi, d'après vos vaines et sacrilèges erreurs, vous trouvez mauvais qu'un homme renvoie sa femme qui n'est, selon vous, qu'un instrument de coupable libertinage et non une compagne liée par la foi conjugale? En effet, le mot même de mariage (matrimonium) indique qu'une femme ne se marie que pour devenir mère : ce que vous repoussez avec horreur. Car vous pensez que, par là, une partie de votre dieu, déjà vaincue et prise dans le combat contre le peuple des ténèbres, se trouve de plus enchaînée par les liens de la chair.

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CHAPITRE XXVII. QUEL EST LE VÉRITABLE SENS DE CES PAROLES: " JE NE SUIS PAS VENU ABOLIR LA LOI, MAIS L'ACCOMPLIR ".

Mais, pour revenir à notre sujet: si le Christ en ajoutant à quelques anciennes prescriptions ces paroles: " Mais moi, je vous dis ", n'a pas complété, par cette addition, la loi donnée aux premiers hommes, et n'a point détruit, par des ordres contradictoires; celle qui a été donnée par Moïse ; si, au contraire, il a confirmé tout ce qu'il a cité de la loi des Hébreux, de telle sorte que tout ce qu'il a dit en son (283) propre nom n'avait pour but que d'éclaircir ce que la loi avait laissé d'obscur, ou de garantir plus efficacement les mesures qu'elle avait prises : si, dis-je, il en est ainsi, tu vois qu'il faut interpréter bien autrement ces paroles : " Je ne suis pas venu abolir la loi, mais l'accomplir", et les entendre, non en ce sens que le Christ ait rempli par ces mots une mesure à demi pleine, mais en ce sens que ce que la loi n'avait pu au moyen de la lettre et à raison de la présomption de l'orgueil, la grâce l’accomplit, à cause de l'humilité de la confession, et non par une simple addition de paroles, mais par celle des oeuvres. Car " la foi ", comme dit l'Apôtre, " agit par la charité ". Et encore: " Qui aime le prochain, a accompli la loi (1) ". Et c'est parce que le Christ a manifestement donné, par l'Esprit-Saint qu'il avait promis et qu'il a envoyé, cette charité qui petit seule accomplir la justice de la loi, c'est pour cela qu'il a dit : " Je ne suis pas venu abolir la loi, mais l'accomplir". Et c'est là ce Nouveau Testament, qui promet à cette charité l'héritage du royaume des cieux, mais qui était voilé sous les figures de l'Ancien Testament à raison de la nécessité des temps. Aussi a-t-il dit : " Je vous donne un commandement nouveau, c'est que vous vous aimiez les uns les autres (2) ".

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CHAPITRE XXVIII. L'ANCIEN TESTAMENT CONTENAIT DÉJA LES PERFECTIONNEMENTS INTRODUITS PAR LE CHRIST.

Ainsi donc tout, ou à peu près tout ce que le Christ a donné de conseils ou de préceptes quand il ajoutait: " Mais moi, je vous dis ", se trouve aussi dans les livres de l'Ancien Testament. Là on disait contre la colère : " Mes yeux sont troublés par la colère (3) ", et encore : " Celui qui dompte sa colère l'emporte sur celui qui prend une ville (4) ". Là on dit contre les paroles injurieuses : " Un coup de fouet laisse une trace livide, mais un coup de langue brise les os (5) ". Contre l'adultère du coeur : " Ne convoite point la femme de ton prochain (6) "; non pas : Ne commets pas d'adultère, mais : " Ne convoite pas ". Ce qui fait dire à l'Apôtre, en citant ce passage de la loi : " Car je ne connaîtrais

1. Rom. XIII, 8. — 2. Jean, XIII, 34. — 3. Ps. VI, 8. — 4. Prov. XVI, 32. — 5. Eccli. XXVIII, 21. — 6. Ex. XX, 17.

pas la concupiscence, si la loi n'eût dit. Tu ne convoiteras pas (1) ". Là, à l'honneur de la patience qui ne sait pas résister, on loue l'homme qui présente sa joue à celui qui le frappe et est rassasié d'opprobres (2). Là on dit, à propos de l'amour des ennemis : " Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger; s'il a soif, donne-lui à boire (3) " ; paroles que l'Apôtre cite lui-même (4). On lit encore dans les Psaumes : " J'étais pacifique avec ceux qui haïssaient la paix (5) ", et beaucoup d'autres choses de ce genre. Or, que s'abstenir de la vengeance et aimer même les méchants, ce soit imiter Dieu, vous en trouverez la preuve dans un long passage où l'on nous fait voir Dieu agissant ainsi : on y lit : " Car la souveraine puissance est à vous seul à jamais, et qui résistera à la vertu de votre bras? Comme ce grain qui fait pencher la balance, et comme une goutte de la rosée du matin qui descend sur la terre, ainsi l'univers est devant vous ; mais vous avez pitié de tous les hommes, parce que vous pouvez tout, et vous dissimulez les péchés des hommes à cause du repentir. Car vous aimez tout ce qui est, et vous ne haïssez rien de ce que vous avez fait; et vous n'avez rien établi avec haine. Comment quelque être pourrait-il subsister, si vous ne l'aviez voulu, ou se conserver, si vous ne l'aviez appelé? Mais vous êtes indulgent envers tous, parce que tout est à vous, ô Seigneur, qui aimez les âmes ! Car votre esprit est bon en toutes choses; c'est pourquoi vous châtiez peu à peu ceux qui s'égarent; vous les avertissez, vous les reprenez de leurs fautes afin que, renonçant au mal, ils croient en vous, Seigneur (6) ". C'est cette indulgente patience du Dieu qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et les injustes, que le Christ nous exhorte à imiter, afin que nous nous abstenions de venger les injures que nous avons reçues et que nous fassions du bien à ceux qui nous haïssent, pour être parfaits comme notre Père céleste est parfait (7). Or, que la remise que nous faisons du droit de vengeance, nous obtienne le pardon de nos péchés, et qu'il faille prendre garde que ce pardon ne soit refusé même à nos prières, si nous le refusons à un autre, c'est ce qui est encore écrit dans ces anciens livres en ces

1. Rom. VII, 7. — 2. Thren. III, 30. — 3. Prov. XXV, 21. — 4. Rom. XII, 20. — 5. Ps. CXIX, 7. — 6. Sag. XI, 22 ; XII, 2. — 7. Matt. V, 44-48.

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termes : " Celui qui veut se venger, rencontrera la vengeance de la part de Dieu, et le Seigneur consolidera la dette de ses péchés. Pardonne à ton prochain le tort qu'il te fait, et quand tu prieras, tes péchés te seront remis. L'homme garde sa colère contre l'homme, et il demande à Dieu sa guérison? Il n'a pas pitié d'un homme semblable à lui, et il prie le Seigneur pour ses propres péchés? Lui qui n'est que chair, garde sa colère, et il implore la clémence de Dieu ? Qui priera pour ses péchés (1)? "

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CHAPITRE XXIX. LA LOI PRIMITIVE DU MARIAGE. BÉVUE DE MANÈS. POURQUOI MOÏSE PERMETTAIT LE DIVORCE.

Quant à la défense de renvoyer sa femme, pourrais-je citer de ces livres autre chose ou quelque chose de plus convenable que ce que le Seigneur lui-même répondit aux Juifs qui l'interrogeaient là-dessus? En effet, ceux-ci lui demandant s'il était permis de renvoyer sa femme pour quelque cause que ce fût, il leur dit : " N'avez-vous pas lu que celui qui fit l'homme au commencement, les fit mâle et femelle, et qu'il dit : A cause de cela, l'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme, et ils seront deux en une seule chair. Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Ce que Dieu donc a uni, que l'homme ne le sépare point ". Voilà que les livres de Moïse prouvent aux Juifs qu'il ne faut pas renvoyer sa femme, et ils croyaient, en la renvoyant, obéir aux ordres de Moïse. Ce passage nous apprend en même temps, d'après le témoignage du Christ, que Dieu a créé et uni les deux sexes, mâle et femelle : ce que les Manichéens nient et réprouvent, contrairement, non plus aux livres de Moïse, mais â l'Evangile du Christ. Or, si ce qu'ils pensent et prêchent est vrai, à savoir que c'est le diable qui a créé et uni-les deux sexes, par quel tour de force diabolique Fauste blâme-t-il Moïse d'avoir brisé le noeud du mariage au moyen d'un acte de répudiation, et loue-t-il le Christ d'avoir resserré ce noeud par le précepte évangélique, alors qu'il aurait dû évidemment, suivant sa folle et sacrilège opinion, louer Moïse d'avoir séparé ce que le diable avait fait et uni, et blâmer le Christ d'avoir consolidé l'oeuvre et le lien créés par le

1. Eccli. XXVIII, 1-5.

démon? Mais comment le bon Maître explique-t-il pourquoi Moïse, qui, dans le livre qu'il vient de citer, à l'occasion de l'union primitive des deux sexes, a proclamé la chasteté conjugale dont le noeud est indissoluble, pourquoi Moïse a permis ensuite de renvoyer sa femme? Comme les Juifs lui répliquaient " Pourquoi donc Moïse a-t-il commandé de lui donner un acte de répudiation et de la renvoyer? il leur répondit : C'est à cause de la dureté de vos coeurs, que Moïse vous a permis de renvoyer vos femmes (1) ". C'est ce que nous avons expliqué un peu plus haut (2). Et combien était grande la dureté que l'intervalle nécessaire pour formuler l'acte de répudiation et les conseils d'hommes justes et prudents qui avaient lieu à cette occasion, ne pouvaient adoucir ni amener ou ramener â l'affection conjugale ! Ainsi le Seigneur a fait voir, parle témoignage même de la loi, ce que la loi: prescrivait aux hommes de bien et ce qu'elle permettait aux hommes d'un caractère difficile, en nous rappelant, d'une part, qu'on ne doit point renvoyer sa femme, selon l'Ecriture et par suite de l'union de l'homme et de la femme qui y est mentionnée et qui y est fondée sur l'autorité divine elle-même; d'autre part, en nous montrant qu'on pouvait donner un acte de répudiation par égard pour un caractère à dompter ou incapable d'être dompté.

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CHAPITRE XXX. POURQUOI LE CHRIST EST VENU ACCOMPLIRLA LOI. LES ANCIENS JUSTES EN VOYAIENT LE BUT.

Mais puisque tous ces excellents préceptes du Seigneur, que Fauste voulait opposer aux anciens livres des Hébreux, se trouvent dans ces mêmes livres : pourquoi le Seigneur est-il venu, non abolir, mais accomplir la loi, sinon pour que, à l'exception des figures qui n'étaient que des promesses et que la manifestation de la réalité a accomplies et fait disparaître, ces mêmes préceptes, qui rendaient la loi sainte, juste et bonne (3), s'accomplissent en nous, non pas selon la vétusté de la lettre qui commandait et aggravait les péchés de l'orgueil par le crime de rébellion, mais dans la nouveauté de l'esprit qui aide et qui affranchit par la grâce du salut les humbles qui confessent leur impuissance? Au fond, si ces préceptes sublimes sont contenus dans les anciens

1. Matt. XIX, 4, 8. — 2. Chap. XXVI. — 3. Rom. VII, 12.

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livres, le but auquel ils se rapportent y reste caché; et pourtant c'était en vue de ce but que vivaient les saints; ils en prévoyaient la future manifestation, et, suivant les besoins des temps, ou ils le voilaient sous la forme prophétique, ou ils le comprenaient sagement sous le voile même de la prophétie.

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CHAPITRE XXXI. LE MOT DE " ROYAUME DES CIEUX " NE SE TROUVE PAS DANS L'ANCIEN TESTAMENT, OU NÉANMOINS LA FOI A LA VIE ÉTERNELLE EST EXPRIMÉE.

Enfin, je ne sais si je me hasarde en disant qu'on ne trouvera pas dans ces livres le nom du royaume des cieux, que le Seigneur répète si souvent. On y dit, il est vrai : " Aimez la sagesse, pour régner à jamais (1) ". Et si on n'y eût parlé clairement de la vie éternelle, le Seigneur n'aurait pas dit aux méchants Juifs : " Scrutez les Ecritures, puisque vous pensez avoir en elles la vie éternelle; car ce sont elles qui rendent témoignage de moi (2)". Peut-on, en effet, trouver un autre sens dans ces passages : " Je ne mourrai pas, mais je vivrai, et je raconterai les oeuvres du Seigneur (3); éclairez mes yeux, pour que je ne m'endorme pas dans la mort (4) : les âmes des justes sont dans la main de Dieu et le supplice ne les atteindra pas", et peu après : Mais ils sont en paix; et si, devant les hommes, ils ont souffert des tourments, leur espérance est pleine d'immortalité; leur affliction a été légère et leur bonheur sera grand (5) " ; et ailleurs : " Mais les justes vivront à jamais; près du Seigneur est leur récompense et leur pensée près du Très-Haut; c'est pourquoi ils recevront le royaume d'honneur et le diadème de gloire de la main de

1. Sag. VI, 22. — 2. Jean, V, 39. — 3. Ps. CXVII, 17. — 4. Id. XII, 4. — 5. Sag. III, 1-5.

Dieu (1) ? " Ces passages et beaucoup d'autres, ou très-clairs, ou quelque peu obscurs, qu'on trouve dans ces livres, sont des témoignages de la vie éternelle. Les Prophètes ont même parlé de la résurrection du corps ; aussi les Pharisiens combattaient-ils vivement les Sadducéens qui n'y croyaient pas, c'est ce que nous voyons clairement, non-seulement dans le livre canonique des Actes des Apôtres, que les Manichéens rejettent pour ne pas être forcés d'admettre la descente du vrai Paraclet que le Seigneur a promis (2); mais même dans l'Evangile, où les Sadducéens demandent au Sauveur à qui, lors de la résurrection, appartiendra une femme qui avait épousé successivement sept frères, morts les uns après les autres. Ainsi l'ancienne Ecriture abonde en témoignages sur la vie éternelle et la résurrection des morts; mais je ne me souviens pas d'y avoir rencontré nulle part ce mot de royaume des cieux. Il appartient effectivement en propre à la révélation du Nouveau Testament, parce que les corps qui auront d'abord été terrestres, en vertu du changement dont Paul parle en termes exprès, deviendront spirituels lors de la résurrection (3) et par là même célestes, afin que nous possédions mieux le royaume des cieux. Et ce nom restait réservé pour la bouche de Celui que toute la pompe déployée dans l'Ancien Testament : générations, actes, paroles, sacrifices, observances, solennités, éloges et louanges, faits accomplis, objets figurés, que tout, dis-je, enfantait et annonçait comme le roi destiné à gouverner, le prêtre chargé de sanctifier un jour ses fidèles; Celui qui, plein de grâce et de vérité, aidant par sa grâce à exécuter les commandements, veillant par la vérité à la réalisation des promesses, est venu, non abolir la loi, mais l'accomplir.

1. Sag. V, 16, 17. — 2. Act. XXII, 6-9. — 3. I Cor. XV, 42-44.

 

 

 

 

LIVRE VINGTIÈME. LES MANICHÉENS ET LES PAÏENS.

Fauste repoussant le reproche d'être idolâtre. — Le manichéisme est au-dessous même du paganisme. — Détails à ce sujet. — Ridicules et contradictions de la secte, notamment sur Jésus. — Ilylé, ou la matière. — Sacrifice et prière du manichéen.Unité de Dieu. — Le sacrifice eucharistique; mémorial de la Croix. — Le païen adore un être quelconque ; le manichéen adore ce qui n'est pas

 

 

CHAPITRE. PREMIER. FAUSTE SE PROPOSE DE RÉPONDRE AU REPROCHE D'ADORER LE SOLEIL ET D'ÊTRE PAÏEN.

Fauste. Pourquoi adorez-vous le soleil, si ce n'est parce que vous êtes des païens, un schisme de la gentilité, et non une secte? Il n'est donc pas hors de propos d'examiner aussi cette question, pour savoir plus clairement à qui de nous ce nom doit être appliqué. Si je t'exposais simplement une croyance, comme je le ferais avec des amis, peut-être aurais-je l'air de feindre pour m'excuser, ou (ce qu'à Dieu ne plaise !) de rougir de recevoir les lumières divines. Cependant prends tout ceci dans quel sens tu voudras : pour moi, je ne me repentirai pas d'avoir parlé, ne fût-ce que pour instruire quelques ignorants et leur apprendre que notre religion n'a rien de commun avec le paganisme.

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CHAPITRE II. FAUSTE FAIT SA PROFESSION DE FOI.

Nous adorons donc une seule et même divinité sous la triple invocation du Père, Dieu tout-puissant, du Christ son Fils et du Saint-Esprit; mais nous croyons que le Père habite la lumière la plus élevée, la lumière principale, celle que Paul lui-même appelle inaccessible (1); que le Fils réside dans notre lumière secondaire et visible, et comme il est lui-même double, selon que l'Apôtre le reconnaît en disant que le Christ est la vertu de Dieu et la sagesse de Dieu (2), nous croyons que sa vertu habite dans le soleil et sa sagesse dans la lune. Nous croyons aussi que l'atmosphère est le siège et l'habitation du Saint-Esprit qui est la troisième majesté, et que la terre, fécondée par ses forces et par son influence spirituelle, conçoit et enfante Jésus, sujet à la souffrance, lequel, suspendu à tout

1. I Tim. VI, 16. — 2. I Cor. I, 24.

bois, est la vie et le salut des hommes. C'est pourquoi nous avons pour tout l'univers le même culte que vous pour le pain et le vin, bien que vous poursuiviez d'une haine implacable ceux qui les produisent. Voilà notre foi; voilà ce que tu pourras en apprendre, enfeu informant ailleurs. Et ce n'est pas un mince argument en sa faveur que, si on te demande, à toi ou à tout autre, où vous pensez qu'habite votre dieu, vous répondiez sans hésiter: dans la lumière. D'où il résulte que mon culte est appuyé sur un consentement à peu près universel.

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CHAPITRE III. DIFFÉRENCE ENTRE SA DOCTRINE ET CELLE DES PAÏENS.

Maintenant venons à ce que tu dis, que nous ne sommes pas une secte, mais un schisme de la gentilité. Le schisme, si je ne me trompe, consiste à avoir les mêmes croyances et le même rite que les autres, mais à se séparer volontairement de leur communauté. Une secte au contraire est loin de partager les opinions des autres, et rend aussi à la divinité un culte tout à fait différent. Or, s'il en est ainsi, et mes opinions et mon culte diffèrent entièrement de ceux des païens. Nous nous occuperons des tiens plus tard. Les païens enseignent que le bien et le mal, l'obscurité et la lumière, ce qui dure toujours et ce qui passe, ce qui change et ce qui est immuable, le matériel et le divin procèdent du même principe. Moi, je pense tout l'opposé. Je reconnais Dieu comme le principe de tous lesbiens, et Hylé comme le principe de tous les maux: car c'est ainsi que notre théologien appelle le principe et la nature du mal. Ensuite les païens croient qu'il faut honorer Dieu par des autels, des temples, des images, des victimes et de l'encens. Je suis encore sur ce point à une distance infinie d'eux, moi qui me regarde, si toutefois j'en suis digne, comme le (287) temple raisonnable de Dieu; qui considère le Christ son Fils, comme la vivante image de sa majesté vivante; moi qui ne vois d'autre autel qu'une âme instruite dans les arts utiles et formée aux bonnes doctrines, d'autres honneurs divins et d'autres sacrifices que les oraisons pures et simples. Comment donc suis-je un schisme de la gentilité?

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CHAPITRE IV. CE N'EST POINT LE MANICHÉISME, MAIS LE CATHOLICISME ET LE JUDAÏSME, QUI SONT DES SCHISMES DE LA GENTILITÉ.

Tu aurais pu jusqu'à un certain point m'appeler un schisme du judaïsme, puisque j'adore le Dieu tout-puissant (ce que tout Juif prétend aussi dans son audace), pourvu toutefois que tu ne fisses pas attention à la différence des rites par lesquels les Juifs et moi adorons le Tout-Puissant, si tant est que les Juifs l’adorent réellement. Mais il ne s'agit pour le moment que de l'erreur qui a entraîné les païens au culte du soleil et les Juifs au culte du Tout-Puissant. Si tu disais que je suis un schisme de votre religion, tu te tromperais encore, bien que je vénère et adore le Christ; mais avec un autre rite et une autre foi que les vôtres. Or, un schisme ne doit rien changer à la religion dont il se sépare, ou n'y changer que peu de chose : comme vous, par exemple, qui, en vous séparant des Gentils, avez d'abord emporté avec vous l'idée de l'unité monarchique, c'est-à-dire la foi que tout vient de Dieu; puis qui avez converti leurs sacrifices en agapes, leurs idoles en martyrs à qui vous offrez les mêmes hommages; qui apaisez les ombres des morts avec du vin et des aliments, célébrez les mêmes fêtes que les Gentils, comme les calendes et les solstices par exemple, mais qui n'avez certainement rien changé à la manière de vivre. Vous êtes évidemment un schisme, qui ne différez du culte d'origine que par vos réunions à part. Dit reste les Juifs, vos prédécesseurs, en se séparant ainsi des Gentils, ne leur avaient laissé que les figures taillées; mais les temples, les immolations, les autels, le sacerdoce, tout le ministère sacré, ils les avaient conservés avec le même rite et plus de superstitions encore que les Gentils. Quant à l'idée de l'unité monarchique, ils sont encore là-dessus parfaitement d'accord avec les païens; d'où il résulte que vous et les Juifs n'êtes que des schismes de la gentilité, que vous en avez la foi et les rites quoique légèrement modifiés, et que vous n'avez d'autres raisons que vos réunions à part pour vous regarder comme des sectes. Or, si vous cherchez quelles sont les sectes, vous n'en trouverez pas plus de deux: celle des Gentils et la nôtre, qui a des opinions si éloignées des leurs. Nous sommes opposés les uns aux autres, comme la vérité et le mensonge, le jour et la nuit, la pauvreté et la richesse, la maladie et la santé. Mais vous, vous n'êtes une secte ni de l'erreur, ni de la vérité, mais un simple schisme, et un schisme de l'erreur encore, et non de la vérité.

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CHAPITRE V. RÉPONSE D'AUGUSTIN. LE MANICHÉISME EST AU-DESSOUS MÊME DU PAGANISME.

Augustin. O peste de l’ignorance ! O vanité trompeuse ! pourquoi te faire des objections que ne te fera jamais quiconque sait à qui il a affaire ? Nous ne vous appelons ni païens, ni schisme de païens; nous disons seulement que vous avez certains rapports avec eux, puisque vous adorez beaucoup de dieux. Mais nous ajoutons que vous êtes bien au-dessous d'eux, parce que ce qu'ils adorent existe, bien qu'indigne de toute adoration car ce sont au moins des idoles, quoique impuissantes pour le salut. En effet, celui qui honore un arbre, non en le cultivant, mais en l'adorant, n'honore pas un être imaginaire, mais seulement un être qu'on ne doit pas adorer. Et les démons mêmes, à propos desquels l'Apôtre dit : " Ce qu'immolent les Gentils, ils l'immolent aux démons et non à Dieu (1) ", les démons, dis-je, existent certainement, puisque l'Apôtre dit que les païens leur immolent et qu'il nous défend d'avoir aucune société avec eux. D'autre part le ciel et la terre, la mer et l'air, le soleil, ta lune et les autres astres, apparaissent manifestement à nos yeux et tombent sous nos sens. Les païens, en les honorant comme dieux, ou comme des parties d'un grand dieu unique (car quelques-uns d'entre eux regardent l'univers comme le plus grand des dieux), honorent des êtres réels. Et quand nous discutons avec eux pour les dissuader de les adorer, nous ne leur disons pas que ces êtres

1. I Cor. X, 20.

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n'existent point, mais qu'il ne faut pas les adorer : nous les engageons à adorer le Dieu invisible, qui a créé tout cela et dont la possession peut seule rendre l'homme heureux ; ce que tous désirent, cela est hors de doute. Quelques-uns d'entre eux adorent aussi une substance invisible et incorporelle, qui est l'âme et l'intelligence humaine; mais comme la jouissance de cette créature ne saurait encore donner le bonheur à l’homme, il faut donc adorer le Dieu, non-seulement invisible, mais immuable, c'est-à-dire le vrai Dieu ; parce qu'on ne doit adorer que celui dont la jouissance a seule le pouvoir de rendre heureux celui qui l'adore, et dont la privation rend toute âme misérable, quelque bien qu'elle possède d'ailleurs. Mais vous, qui n'adorez que des êtres purement imaginaires, des fictions et des fables trompeuses, vous seriez moins éloignés de la vraie piété et de la vraie religion, si vous étiez au moins païens, ou du nombre de ceux qui adorent des corps, qu'il ne faut pas adorer, il est vrai, mais qui sont du moins réels. Il serait donc plus vrai de dire que vous n'adorez pas même ce soleil matériel; que votre prière suit dans son cours.

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CHAPITRE VI. OBSCÈNES RÊVERIES DES MANICHÉENS SUR LE SOLEIL.

Car vous dites de lui des choses si fausses, si abominables, que s'il pouvait venger ses injures, il vous consumerait tout vivants. D'abord vous en faites une espèce de vaisseau ; en sorte que vous ne vous égarez pas seulement, comme l'on dit, de toute la hauteur du ciel, mais que vous y naviguez. Ensuite, bien qu'il paraisse rond aux yeux de tout le monde, et que cette forme soit en rapport parfait avec le rang et la position qu'il occupe, vous prétendez qu'il est triangulaire, c'est-à-dire que sa lumière éclaire le monde est la terre en passant par une espèce de fenêtre ouverte en triangle. C'est ce qui fait que vous courbez le dos, il est vrai, et que vous inclinez la tête devant cet astre, mais qu'au lieu d'un soleil rond, un globe si lumineux, vous adorez je ne sais quel vaisseau, produit de vos rêves, d'où la lumière s'échappe à travers une ouverture triangulaire. Ce vaisseau, votre fabriquant ne l'eût pas construit, si, comme on achète du bois pour former l'assemblage d'un navire, il eût fallu aussi acheter des paroles pour composer des fables d'hérétiques. Cependant on peut encore supporter ce qu'il y a ici de ridicule ou de déplorable; mais ce qui est intolérable et criminel au plus haut degré, c'est que vous prétendez que sur ce navire sont exposés de belles jeunes filles et de beaux jeunes hommes, dont les éblouissants attraits enflamment les princes des ténèbres, mâles pour femelles, et femelles pour mâles, afin que, dans l'ardeur de la passion et l'avidité de la jouissance, les membres de votre dieu soient dégagés de leurs membres comme des liens odieux et impurs qui les enchaînent. Et c'est avec ces éléments obscènes que vous essayez de former l'ineffable Trinité, disant que le Père habite dans une certaine lumière à part; que la vertu du Fils réside dans le soleil, sa sagesse dans la lune, et l'Esprit-Saint dans l'air !

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CHAPITRE VII. LA LUMIÈRE MATÉRIELLE. LA LUMIÈRE DE LA RAISON. LA LUMIÈRE DIVINE.

A propos de cette fable, en trois ou plutôt en quatre parties, que vous dirai-je de la lumière secrète du Père, sinon que vous n'êtes pas capables d'imaginer une autre lumière que celle qui frippe vos yeux? En voyant cette lumière visible pour toute chair, non-seulement d'hommes, mais même d'animaux et d'insectes, cette lumière si universellement connue, vous en formez ce rêve de votre coeur, vous la dilatez à l'infini et vous dites que c'est en elle que le Père habite avec ses sujets. Quand, en effet, avez-vous jamais distingué la lumière matérielle de la lumière intellectuelle, puisque, pour vous, comprendre la vérité n'a jamais signifié autre chose que se figurer des formes corporelles, soit limitées, soit illimitées sous certains côtés : vains fantômes dont vous ne voyez pas le néant? Par conséquent, autant il y a de différence entre la pensée qui me fait songer à votre région de lumière qui n'existe nulle part, et la pensée qui me fait songera Alexandrie que je n'ai jamais vue, mais qui existe, autant encore il y a de différence entre la pensée qui me fait songer à Alexandrie que je ne connais pas, et celle qui me porte vers Carthage que je connais : autant et incomparablement plus grande est la distance entre la pensée qui me représente des corps réels et connus, et celle par laquelle je (289) comprends la justice, la chasteté, la foi, la vérité, la charité, la bonté, et toute autre chose de ce genre. Dites-moi donc, si vous le pouvez, quelle espèce de lumière est cette dernière pensée : lumière qui fait discerner entre elles toutes les choses qui ne sont pas elle, et voir clairement combien elles en diffèrent ? Et cependant cette lumière n'est pas encore la lumière qui est Dieu : car l'une est créature, et l'autre est le créateur ; l'une est l'ouvrage, l'autre l'ouvrier ; l'une enfin sujette à changement, voulant ce qu'elle ne voulait pas, apprenant ce qu'elle ne savait pas, se souvenant de ce qu'elle avait oublié, tandis que l'autre subsiste par une volonté immuable, par la vérité, par l'éternité ; que d'elle procèdent le principe de notre existence, la raison de nos connaissances, la loi de nos affections : qu'elle a donné à tous les animaux privés de raison la nature qui les fait vivre, la vigueur qui les fait sentir, le mouvement qui forme leurs appétits; qu'elle a aussi donné à tous les corps la mesure qui les fait subsister, le nombre qui fait leur beauté et le poids qui détermine leur ordre. Or, cette lumière, indivisible Trinité, est le Dieu unique ; et cette substance qui n'a aucun corps, qui est par elle-même incorporelle, spirituelle, immuable, vous la partagez entre les parties de l'espace, vous n'assignez pas même seulement trois places à la Trinité, mais quatre : au Père une, c'est-à-dire la lumière inaccessible, que vous ne comprenez en aucune façon ; au Fils deux, le soleil et la lune ; et au Saint-Esprit une, c'est-à-dire l'atmosphère ambiante. Je n'ai parlé jusqu'ici que de la lumière inaccessible du Père ; mais, pour les vrais croyants, le Fils et le Saint-Esprit n'en sont point séparés.

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CHAPITRE VIII. RIDICULES CONTRADICTIONS DE LA DOCTRINE MANICHÉENNE SUR LE FILS DE DIEU.

Quelle idée avez-vous eue, dans votre vain système, de faire résider la vertu du Fils dans le soleil, et sa sagesse dans la lune ? Puisque le Fils est dans le Père même et en est inséparable, comment sa sagesse peut-elle être séparée de sa vertu, en sorte que l'une soit dans le soleil et l'autre dans la lune, puisque les corps seuls peuvent être divisés et séparés par des distances locales ? Si vous l'aviez su, vous vous seriez épargné la peine de composer un tel tissu de rêveries folles et de fables absurdes. Mais au milieu de ces fourberies et de ces mensonges, avec quel défaut de justesse, avec quel égarement d'esprit, vous nous dites que le siège de la sagesse est moins lumineux que celui de la vertu ! Car à la vertu se rattache la faculté d'opérer et de produire, et à la sagesse la fonction d'instruire et de faire voir. Par conséquent, si la chaleur eût été prédominante dans le soleil et la lumière dans la lune, tes rêveries auraient pris la forme d'un brouillard propre à tromper les hommes charnels et animaux, qui ne peuvent s'imaginer qu'il y ait autre chose que des corps : car la vive opération de la chaleur tend à produire le mouvement, ce qui devrait être le propre de la vertu, tandis que le brillant éclat de la lumière sert à faire voir, ce qu'on devrait attribuer à la sagesse. Mais comme la lumière est beaucoup plus éclatante dans le soleil, comment y place-t-on la vertu, tandis qu'on fait résider la sagesse là où il y a infiniment moins de lumière ? O sacrilège stupidité ! Et puisqu'il n'y a qu'un seul Christ, vertu de Dieu et sagesse de Dieu (1), et que l'Esprit-Saint n'est pas le Christ, comment séparer le Christ de lui-même, quand l'Esprit-Saint n'en est pas séparé ? En effet, l'air que votre système fabuleux assigne pour demeure au Saint-Esprit, remplit selon vous, toute l'étendue du monde. Aussi le soleil et la lune sont-ils toujours avec lui dans leurs cours. Or, la lune s'éloigne du soleil, puis s'en rapproche, par conséquent, d'après votre enseignement, ou plutôt vos mensonges, la sagesse s'éloigne de la vertu pendant la moitié de la durée du parcours et s'en rapproche pendant l'autre moitié ; quand la lune est pleine, la sagesse est loin de la vertu : cartes deux astres sont à une telle distance l'un de l'autre que, quand le soleil décline vers l'Occident, la lune se lève à l'Orient : d'où il résulte que, comme tout ce que la vertu abandonne s'affaiblit, la sagesse est d'autant plus faible que la lune est plus pleine. Mais si, comme la vérité le veut, la sagesse de Dieu a toujours la même vertu, et la vertu de Dieu toujours la même sagesse, pourquoi établissez-vous entre ces deux choses un tel dualisme, que vous leur assigniez des demeures différentes et les sépariez par des distances locales, tout en affirmant que leurs demeures sont de même substance ? O hommes à l'esprit aveugle et insensé, qui

1. I Cor. I, 24.

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ne pouvez sortir de vos rêves matériels et qui êtes dénués de vertu et de sagesse au point de ne rien comprendre avec force et de ne rien pouvoir avec sagesse ! Quoi ! le Christ, ô folie abominable et digne de tout anathème ! le Christ tiraillé entre le soleil et la lune, habitant ici par sa vertu, là par sa sagesse, imparfait et incomplet ici et là, sans sagesse dans le soleil, sans puissance dans la lune, le Christ suborne ici et là de beaux jeunes hommes, de belles jeunes filles pour les livrer à l'impure convoitise des princesses et des princes des ténèbres ! Vous lisez cela, vous croyez cela, vous enseignez cela, vous vivez de cette foi et de cette doctrine : et vous vous étonnez de l'horreur que vous inspirez ?

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CHAPITRE IX. CE QUE LES PAÏENS ADORENT, EXISTE : CE QUE LES MANICHÉENS ADORENT, EST PUR NÉANT.

Mais quand vous vous trompez si grossièrement à propos de ces astres si distingués et si connus, au point d'adorer en eux, non ce qu'ils sont, mais ce qu'y suppose votre extrême folie, que dirai-je de vos autres fables ? Qu'est-ce, en effet, que ce Porte-lumière qui tient le monde suspendu et cet Atlas qui le supporte avec lui ? Ces êtres et une foule d'autres, produits de votre imagination en délire, n'existent en aucune façon; et vous les adorez. Voilà pourquoi nous vous `disons au-dessous des païens; vous leur ressemblez en ce point que vous adorez beaucoup de dieux ; vous en différez et vous descendez au-dessous d'eux en ce sens qu'ils adorent comme dieux ce qui n'est pas dieu mais qui existe, tandis que vous adorez non-seulement ce qui n'est pas Dieu, mais ce qui n'est rien, ce qui n'existe en aucune façon. Sans doute ils ont aussi des inventions fabuleuses, mais ils savent que ce sont des fables : ils affirment que les poètes les ont imaginées pour amuser, ou ils tâchent d'y trouver un sens conforme à la nature des choses ou aux moeurs de l'humanité. Ainsi ils nous peignent Vulcain boiteux, parce que telle est la nature des tremblements de terre, causés par le feu; la fortune aveugle, à cause de l'incertitude des événements appelés fortuits ; les trois Parques filant les destinées humaines avec de la laine et tenant, l'une la quenouille, l'autre le fuseau et la troisième le fil, emblème des trois divisions du temps (le passé, qui est déjà filé et enroulé autour du fuseau, le pré. sent qui passe actuellement entre les doigts de la fileuse, l'avenir encore attaché à la quenouille et qui doit passer par les doigts, c'est-à-dire glisser du présent dans le passé) : ils nous parlent de Vénus, épouse de Vulcain,, parce que la chaleur produit naturellement la volupté, et adultère de Mars, parce que les guerriers s'accommodent peu de l'amour; de Cupidon, enfant ailé et armé de flèches, parce que l'amour déraisonnable et inconstant blesse le coeur de ses malheureuses victimes, et ainsi de beaucoup d'autres. Et voilà pourquoi nous nous moquons d'eux: parce qu'ils adorent en connaissance de cause ce qu'ils seraient encore coupables, quoique excusables, d'adorer, s'ils ne le comprenaient pas. Leurs propres interprétations leur démontrent qu'ils n'adorent pas le Dieu dont la jouissance fait seule le bonheur, mais une créature, oeuvre de ses mains; et qu'ils ne se bornent pas à adorer les vertus de cette créature (comme ils le font pour Minerve, par exemple, que la fable représente sortie de la tête de Jupiter et qui est pour eux le symbole de la prudence, attribut propre de la raison, dont Platon place le siège dans la tête) ; mais qu'ils adorent même ses vices, comme nous l'avons remarqué de Cupidon. Ce qui a fait dire à un de leurs auteurs tragiques :

Une passion honteuse et amie du vice a fait un Dieu de l'amour, (Sénèque, Hippolyte, act. I, sc. II, vers. 194,195,)

Les Romains ont même consacré des statues aux infirmités du corps, comme à la Pâleur et à la Fièvre. Ainsi, pour ne pas parler des sentiments que les adorateurs d'idoles éprouvent pour ces statues mêmes, au point de les redouter comme des dieux, en les voyant élevées dans des places d'honneur et objet de tant d'hommages; nous avons de plus justes motifs d'accuser les interprétations mêmes, à l'aide desquelles on cherche à défendre ces signes muets, sourds, aveugles, inanimés. Néanmoins ils existent d'une manière quelconque, bien qu'inutiles au salut ou à quoi que ce soit, comme je l'ai déjà dit, et le sens qu'on y attache se retrouve dans les réalités de la vie. Mais votre premier homme luttant avec cinq éléments ; votre esprit puissant fabriquant le monde avec les corps captifs du peuple des ténèbres, ou plutôt avec les membres de votre dieu, subjugués et vaincus; votre (291) Porte-lumière tenant en sa main les restes de ces mêmes membres de votre dieu, et frappant tous les autres qui ont été pris, écrasés, souillés; votre gigantesque Atlas en soutenant avec lui le poids sur ses épaules, de peur que la fatigue ne l'oblige à tout lâcher, et que votre fable ne puisse se prolonger jusqu'au jour où le manteau, comme une toile de théâtre, doit couvrir les restes du globe : ces absurdités, ces folies et une multitude d'autres, vous ne les peignez pas, vous ne.les sculptez pas, vous ne les interprétez pas : elles n'existent en aucune façon, et vous y croyez et vous les adorez ; et, de plus, vous insultez les chrétiens en traitant de folle crédulité la foi non feinte avec laquelle ils purifient les pieuses affections de leurs cœurs. Pour passer sous silence une foule d'arguments qui démontrent que tout cela est pur néant (car un traité détaillé et digne sur la création du monde ne me serait pas difficile mais m'entraînerait trop loin), je me contente de dire que, si tout cela est vrai, la substance de Dieu est sujette au changement, à la corruption, à la souillure. Or, c'est l'excès d'une folie sacrilège que de le croire. Donc tout cela est vain, faux, nul. Par conséquent vous êtes pires que les païens, tels qu'ils sont connus, tels qu'ils l'ont été dans l'antiquité et qui aujourd'hui rougissent, dans leurs restes; vous êtes au-dessous d'eux, parce qu'ils adorent des choses qui ne sont pas dieux, et que vous adorez des choses qui ne sont pas.

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CHAPITRE X. DIFFÉRENCES ENTRE LES DIVERSES RELIGIONS, SUIVANT LE POINT DE VUE OU L'ON SE PLACE.

Si donc vous pensez être dans la vérité, parce que votre erreur diffère beaucoup de celle des païens, et si vous croyez que nous sommes dans l'erreur, parce que nous sommes peut-être plus éloignés de vous que des païens : il faudra dire qu'un mort est en bonne santé, parce qu'il n'est plus malade, et plaindre celui qui se porte bien, parce qu'il est plus rapproché de la maladie que de la mort. Ou s'il faut regarder la plupart des païens non plus comme malades, mais comme morts, il faudra mettre la poussière du sépulcre qui a perdu la forme de cadavre, au dessus du corps vivant qui est plus rapproché du cadavre que de la poussière. C'est ainsi que nos adversaires nous accusent d'être plus voisins du cadavre du paganisme que de la cendre du manichéisme. Du reste, pour discerner des objets quelconques, on établit ordinairement entre eux des divisions fondées sur telles ou telles différences : et en changeant de différences, il arrive que ce qui était d'un côté se trouve rejeté de l'autre où il n'était pas d'abord. Ainsi, par exemple, si on divise toute chair en deux espèces : les êtres qui volent et ceux qui ne peuvent voler, les quadrupèdes se trouveront, à ce point de vue, plus rapprochés de l'homme que des oiseaux : car ni les quadrupèdes ni l'homme ne peuvent voler. Mais si on adopte une autre division, par exemple : les êtres doués de raison et ceux qui en sont privés, les quadrupèdes se trouveront plus rapprochés des oiseaux que de l'homme, puisque quadrupèdes et oiseaux sont également privés de raison. C'est à quoi Fauste ne songeait pas, quand il disait : " Or, si vous cherchez quelles sont les sectes, vous n'en trouverez pas plus de deux : celle des Gentils et la nôtre, qui a des opinions si éloignées des leurs ". Et cette si grande différence, il l'avait exprimée plus haut en disant que les Gentils s'éloignent surtout des Manichéens en ce qu'ils prétendent que tout provient d'un seul principe, ce que les Manichéens rejettent, eux qui admettent de plus le principe du peuple des ténèbres. En ce point, il faut l'avouer, la plupart des païens sont d'accord avec nous; mais Fauste n'a pas vu qu'en prenant un autre point de division, en distinguant, par exemple, parmi ceux qui ont une religion, ceux qui n'admettent qu'un Dieu, et ceux qui en admettent plusieurs, par cette différence, les païens se trouvent rejetés loin de nous et les Manichéens avec eux, tandis que nous nous rencontrons avec les Juifs. Sous ce rapport, on peut dire qu'il n'y a que deux sectes. Peut-être direz-vous que vous prétendez que tous vos dieux sont de la même substance, comme si les païens n'en disaient pas autant des leurs, bien qu'ils leur attribuent des fonctions, des opérations et des pouvoirs différents; comme chez vous, l'un combat le peuple des ténèbres, l'autre fabrique le monde avec ce peuple prisonnier; celui-ci fient l'univers suspendu, celui-là le supporte par dessous ; l'un tourne en bas les roues des feux, des vents et des eaux; l'autre, enveloppant le ciel de ses rayons, recueille jusqu'au fond des cloaques les membres de votre dieu. Et qui pourrait compter toutes les fonctions de vos (292) dieux, fables qui ne reposent sur aucune vérité, que ne représente aucun symbole ? Mais si, adoptant une autre division, on partage les hommes entre ceux qui croient que Dieu s'occupe des choses humaines, et ceux quine le croient pas, nous nous trouverons d'un côté avec les païens, les juifs, vous et tous les hérétiques qui portent, d'une façon ou de l'autre, le nom de chrétiens, et de l'autre côté on verra les Epicuriens et ceux qui ont pu penser comme eux. Est-ce là une petite différence ? Pourquoi donc ne pas vous placer à ce point de vue, pour dire qu'il n'y a que deux sectes, afin que nous nous trouvions ensemble dans l'une d'elles ? Oserez-vous, ici, vous séparer de nous qui enseignons que Dieu s'occupe des choses humaines, et vous ranger avec les Epicuriens qui le nient? Or, en les répudiant, vous venez évidemment à nous. C'est ainsi que, d'après telle ou telle autre différence, on se trouve tantôt ici, tantôt là ; tantôt réunis, tantôt séparés; tous à tour tous sont avec nous et nous avec tous, puis personne n'est avec nous et nous ne sommes avec personne. Si Fauste y avait songé, il eût mis moins d'art à débiter ses folies.

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CHAPITRE XI. QUESTIONS AUX MANICHÉENS SUR JÉSUS PASSIBLE. ABSURDITÉS DE LEUR DOCTRINE.

Mais que dire de ceci : " La terre fécondée par la force du Saint-Esprit et par son influence spirituelle, conçoit et enfante Jésus sujet à la souffrance, qui, supendu à tout bois, est " la vie et le salut des hommes ? " O insensé ! quoi ! (pour ne pas entrer maintenant en discussion sur cette absurdité) quoi ! la terre fécondée par l'Esprit-Saint a pu concevoir Jésus sujet à la souffrance, et la vierge Marie ne l'a pas pu ? Compare, si tu l'oses, les entrailles d'une vierge, si chastes, si saintes, avec tous les lieux de la terre, capables de produire des arbres et des plantes. Cette femme, ce sein consacré à la pudeur, t'inspirent-ils donc une si grande horreur, vraie ou feinte? Et tu n'en /éprouves aucune à penser que Jésus a pu être enfanté par des eaux d'égouts dans tous les jardins qui entourent nos villes? Quelles sont, en effet, les eaux fangeuses qui ne produisent et ne développent d'innombrables végétaux ? Et c'est de là, selon vous, qu'est né ce Jésus passible, que l'on ne peut, selon vous encore, sans indignité faire naître d'une vierge ? Si vous regardez la chair comme immonde, pourquoi ne trouvez- vous pas plus immonde encore ce qu'elle rejette naturellement pour se maintenir saine ? Quoi ! la chair est immonde et ses excréments ne le sont pas? Ne faites-vous donc pas attention, ne voyez-vous pas comme les campagnes se trouvent bien du fumier qui les fertilise et les féconde? Car votre folie revient à dire que cet Esprit-Saint qui a, dites-vous, dédaigné les entrailles d'une vierge, féconde la terre d'autant plus richement, d'autant plus généreusement, qu'elle a été mieux engraissée par les ordures sorties de la chair. Pour justifier ces conséquences, direz-vous que l'Esprit-Saint, présent partout, ne contracte aucune souillure? On vous répond : Pourquoi excepter le sein d'une vierge ? Mais passons sur la conception et voyons l'enfantement: vous dites que la terre, ayant conçu du Saint-Esprit, enfante Jésus passible ; mais ce Jésus, vous le dites souillé et suspendu à tout bois, dans les fruits, de manière à être encore souillé davantage par les chairs des innombrables animaux qui se nourrissent de ces fruits, et à ne pouvoir être purifié que dans la partie où votre appétit vient à son aide. Ainsi donc, nous croyons de coeur, nous confessons débouche le Christ Fils de Dieu, Verbe de Dieu, revêtu d'une chair sans souillure, parce que la chair ne peut souiller une substance que rien ne saurait souiller ; et vous, vous prétendez dans vos rêves que Jésus suspendu à l'arbre est déjà souillé avant même d'entrer dans la chair de celui qui mange le fruit : car, s'il n'était pas souillé, comment le purifieriez-vous en mangeant ? Ensuite comme vous prétendez que tout arbre est sa croix, puisque Fauste le dit " suspendu à tout bois ", pourquoi, à l'exemple de Joseph d'Arimathie qui fit la bonne oeuvre de descendre de la croix le vrai Jésus pour l'ensevelir (1), pourquoi ne cueillez-vous pas les fruits des arbres, pour ensevelir dans votre estomac Jésus descendu de la croix? Comment est-ce un acte de piété de mettre Jésus au sépulcre, et un acte d'impiété de le descendre du bois? Serait-ce pour qu'on vous applique les paroles que l'Apôtre emprunte au prophète : " Leur gosier est un sépulcre ouvert (2)", que vous attendez, bouche béante, qu'on vous introduise le Christ dans la

1. Jean, XIX, 38. — 2. Ps. V, 11; Rom. III, 13.

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gorge comme dans le tombeau le plus digne? Enfin, dites-nous combien vous prétendez qu'il

y a de christs. Ce Christ passible que la terre conçoit du Saint-Esprit, qui n'est pas seulement suspendu à tout bois, mais étendu même sur l'herbe, est-il différent de celui que les Juifs ont crucifié sous Ponce-Pilate ? Y en a-t-il un troisième partagé entre le soleil et la lune? Ou bien est-ce le même, un Christ unique, en partie enchaîné dans les arbres, en partie libre, et venant, par la partie libre, en aide à la partie captive et enchaînée ? S'il en est ainsi, comme vous prétendez que celui qui a souffert sous Ponce-Pilate (il a existé, vous en convenez) n'avait pas de chair, sans m'occuper encore de savoir comment il a pu, sans chair, subir une pareille mort, je vous demande seulement à qui il a laissé ces vaisseaux, avant d'en descendre pour souffrir des traitements qui ne peuvent avoir lieu que dans un corps quelconque? Comme esprit, il ne pouvait en aucune façon les endurer ; comme corps, il ne pouvait être tout à la fois dans le soleil, dans la lune et sur la croix. Par conséquent, s'il n'a pas eu de corps, il n'a pas été crucifié; et s'il en a eu un, je demande où il l'a pris, puisque vous prétendez que tous les corps proviennent du peuple des ténèbres, bien que vous ne puissiez concevoir la nature divine que comme une substance matérielle. Vous êtes donc forcés ou de dire qu'il a été crucifié sans corps, ce qui est le comble de l'absurdité et de la démence ; ou de dire qu'on a vu un fantôme sur la croix, plutôt qu'un vrai crucifié, ce qui est l'excès de l'impiété ; ou que tous les corps ne proviennent pas du peuple des ténèbres, mais que la divine substance est un corps qui n'est pas immortel, mais qui peut être crucifié et mis à mort, ce qui n'est pas moins insensé ; ou que le Christ a reçu un corps mortel du peuple des ténèbres, en sorte que vous ne redoutiez pas de le voir tenir des démons ce que vous redoutez de lui voir prendre dans le sein de Marie, la Vierge Mère. Enfin, puisque selon la pensée de Fauste résumant en ce peu de mots l'interminable fatras de vos rêveries : " La terre conçoit du Saint-Esprit et enfante Jésus sujet à la souffrance, qui, suspendu à tout bois, est la vie et le salut des hommes ", pourquoi ce Sauveur est-il suspendu comme doit l'être tout ce qui est suspendu et ne naît-il pas comme doit naître tout ce qui naît ? Mais si vous dites que Jésus est dans les arbres, que Jésus a été crucifié sous Ponce-Pilate, que Jésus est partagé entre le soleil et la lune, parce que tout cela ne forme qu'une seule et même substance pourquoi n'enfermez-vous pas vos milliers de dieux sous cette unique dénomination ? Pourquoi le Porte-lumière, l'Atlas, le roi de l'honneur, l'esprit puissant, le premier homme, tous ces êtres sans nombre à qui vous assignez des noms et des offices différents, ne sont-ils pas aussi Jésus ?

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CHAPITRE XII. POURQUOI, D'APRÈS LES MANICHÉENS, LE CHRIST N'EST-IL PAS MULTIPLE ? POURQUOI N'EST-IL PAS TOUT ?

Enfin, pourquoi le Saint-Esprit est-il donné comme la troisième personne, puisqu'il fait partie d'une multitude innombrable ? Pourquoi n'est-il pas aussi Jésus ? Que signifie, dans les écrits de Fauste, ce tissu de paroles menteuses, où il cherche à ménager les vrais chrétiens, dont il est bien trop éloigné. " Nous adorons donc une seule et même divinité sous la triple invocation du Père, Dieu tout-puissant, du Christ son Fils et du Saint-Esprit ". Pourquoi une invocation triple et non multiple, non-seulement en paroles, mais en réalité, puisqu'il y a autant de personnes que de noms ? Il n'en est pas ici comme, par exemple, dans les armes où trois mots: épée, tranchant, glaive, expriment une seule et même chose, ni comme quand parles mots de lune, de vaisseau moindre, de flambeau nocturne, vous entendez désigner le même objet ; vous ne pouvez pas dire que le premier homme, l'esprit puissant, le Porte-lumière, le colossal Atlas soient le même être; l'un n'est pas l'autre, ni celui-ci celui-là, et vous ne donnez à aucun le nom de Christ. D'ailleurs comment n'y aurait-il qu'une seule divinité, si les oeuvres sont différentes ? Ou pourquoi le Christ n'est-il pas tout à la fois si, à raison de l'unité de substance, il est en même temps Christ dans les arbres, Christ dans la persécution des Juifs, Christ dans le soleil et dans la lune? Vos rêveries sont en dehors de toutes les voies ; ce ne sont que des songes d'hommes en délire.

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CHAPITRE XIII. LE PAIN ET LE VIN. COMBIEN LES CATHOLIQUES ET LES MANICHÉENS PENSENT DIFFÉREMMENT LA-DESSUS.

Je ne sais comment Fauste s'est imaginé que nous avons le même culte pour le pain et le vin, quand goûter le vin est pour les Manichéens, non un acte de piété, mais un sacrilége. En effet, ils reconnaissent leur dieu dans le raisin, mais non dans la coupe, comme si, quand il a été foulé et enfermé, il les blessait en quelque chose. Pour nous, au ton, traire, le pain et le vin (non pas tout pain et tout vin, ni parce que le Christ est enchaîné dans les épis et dans les ceps, comme les Manichéens le disent dans leur folie), le pain et le vin, dis-je, deviennent pour nous le Christ en vertu d'une certaine consécration; mais le Christ n'y naît pas. En dehors de cela, le pain et le vin sont- des aliments destinés à nous soutenir, mais non un sacrement religieux, bien que nous les bénissions, et que nous rendions grâces au Seigneur pour tous ses dons, non-seulement spirituels, mais aussi corporels. Quant à vous, d'après vos fables, on vous sert le Christ enchaîné dans tous les aliments, pour être enchaîné de nouveau dans vos entrailles, puis dégagé par vos rots. Car quand vous mangez, vous vous restaurez aux dépens de votre dieu, et quand vous digérez, il se refait à vos propres dépens. En effet, quand il vous remplit, votre réfection est pour lui un poids : ce qui serait de sa part un acte de miséricorde, puisqu'il souffrirait quelque chose en vous à cause de vous, s'il ne vous laissait bientôt vides en fuyant pour se dégager de sa prison. Comment donc oses-tu,comparer à cela notre pain et notre vin, et mets-tu au niveau de notre culte une erreur .si éloignée de la vérité ? Tu es plus absurde, en cela, que ceux qui nous accusent, à l'occasion du pain et du vin, d'adorer Cérès et Bacchus. Et si je rappelle ceci, c'est pour vous faire voir combien est peu fondée cette autre opinion que vous avancez à l'occasion du sabbat, à savoir que nos pères étaient consacrés à Saturne. Autant nous sommes loin de Cérès et de Bacchus, ces dieux païens, bien que nous vénérions, parmi nos rites, le sacrement du pain et du vin, que vous louez vous-mêmes jusqu'à vouloir le partager avec nous; autant nos pères étaient loin des chaînes de Saturne, quoiqu'ils aient observé le repos du sabbat, parce qu'ils vivaient dans un temps prophétique.

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CHAPITRE XIV. ERREURS DES MANICHÉENS SUR HYLÉ OU LA MATIÈRE.

Mais pourquoi ne réclamez-vous pas aussi une communauté de culte avec les païens, à cause de cette Hylé, si souvent mentionnée dans quelques-uns de leurs livres? Loin de là vous prétendez au contraire que cette Hylé est bien inférieure à la vôtre et bien différente d'elle, puisque c'est le nom que votre théologien donne au principe et à la nature du mal. En quoi vous faites preuve d'une extrême ignorance : car vous ne savez pas même ce que c'est que Hylé, et affectant un air de science, vous prononcez pompeusement ce mot dont vous ne connaissez pas la signification. Quand les Grecs parlent de la nature, ils donnent le nom de Hylé à une certaine matière des choses, qui n'a absolument aucune forme, mais qui est susceptible de recevoir toutes les formes du corps. Elle se reconnaît à la propriété de changer quant aux mêmes corps; car par elle,-même elle ne peut être ni sentie ni comprise. Mais quelques païens se trompent en la faisant coéternelle et en l'unissant à Dieu, de telle sorte qu'elle ne viendrait pas de Dieu, bien qu'elle en recevrait sa formé : opinion dont la Vérité elle-même nous enseigne la fausseté. Et voilà que vous vous trouvez d'accord avec ces païens sur cette Hylé, puisque vous prétendez aussi qu'elle a son principe en elle et qu'elle ne vient pas de Dieu. Pourtant vous affirmiez que vous vous sépariez d'eux sur ce point, mais vous ne saviez pas ce que vous disiez. En tant qu'ils prétendent que cette Hylé n'a pas de forme propre et qu'elle n'en peut recevoir que de Dieu, ils sont dans le vrai et d'accord avec nous, mais en opposition avec votre erreur : car ne sachant ce que c'est que Hylé, c'est-à-dire la matière des corps, vous l'appelez peuple des ténèbres, et vous y placez non-seulement des formes corporelles sans Nombre et divisées en cinq espèces, mais encore l'esprit qui donne ces formes aux corps; et pour comble d'ignorance ou plutôt de démence, vous appelez Hylé ce même esprit qui, selon vous, donne les formes sales en recevoir lui-même. Mais s'il y avait là un esprit (295) formateur et des éléments matériels à former, il faudrait appeler ces éléments Hylé, c'est-à-dire matière apte à être formée par ce même esprit dont vous faites le principe du mal. Si vous disiez cela, vous ne seriez pas loin de la vérité au sujet de cette Hylé, sauf que les éléments eux-mêmes, quoique destinés à recevoir d'autres formes, par le fait qu'ils seraient éléments et déjà distingués en espèces particulières, ne seraient plus proprement Hylé, puisque Hylé est absolument informe. Néanmoins votre ignorance serait tolérable, puisque vous appelleriez Hylé ce qui reçoit la forme, et non ce qui la donne. Et encore seriez-vous regardés comme absurdes et sacrilèges, parce que, ne sachant pas que toute mesure dans les natures, tout nombre dans les formes, toute quantité dans les poids ne peuvent venir que du Père et du Fils et du Saint-Esprit, vous attribueriez un aussi grand bien au principe du mal. Mais maintenant que vous ne savez pas même ce que c'est que Hylé, pas même ce que c'est que le mal, oh ! que ne puis-je vous décider à vous contenir et à ne plus tromper les ignorants !

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CHAPITRE XV. COMMENT UN MANICHÉEN S'IMAGINE ÊTRE LE TEMPLE DE DIEU.

Mais qui ne rira, en vous entendant dire que vous valez mieux que les païens, parce qu'ils pensent qu'on doit honorer Dieu par des autels, des temples, des statues, des victimes et de l'encens, et que vous ne faites rien de tout cela ? Comme s'il n'était pas meilleur de dresser un autel même à une pierre qui, après tout, existe, et de lui offrir des victimes, que d'adorer, dans l'égarement de sa folie, ce qui n'existe absolument pas. Mais toi qui te dis le temple raisonnable de Dieu, comment l'entends-tu? Trouves-tu bon que Dieu ait un temple construit en partie par le démon? N'est-ce pas vous qui prétendez que tous vos membres, que tout votre corps a été formé par le méchant esprit que vous appelez Hylé, et qu'une partie de cette Hylé y habite avec une partie de votre dieu ? Et comme celle-ci y est, dites-vous, enfermée et enchaînée, faudra-t-il dire temple de Dieu ou prison de Dieu? A moins que tu ne places le temple de Dieu dans ton âme, que tu crois tenir de la terre de lumière. Mais cette partie même de votre être, vous avez coutume de l'appeler partie ou membre de Dieu, et non temple de Dieu. Il ne te reste donc d'autre ressource que de te croire temple de Dieu par le corps seulement, lequel, selon toi, est l'oeuvre du démon. Et voilà comment vous blasphémez le temple de Dieu, non-seulement jusqu'à dire qu'il n'est pas saint, mais jusqu'à l'appeler oeuvre du démon et prison de Dieu ! Et cependant l'Apôtre dit : " Car le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple ". Et pour que tu ne penses pas qu'il s'agit seulement de l'âme, écoute ces autres paroles plus expresses : " Ne savez-vous pas que vos corps sont le temple de l'Esprit-Saint, qui est en vous, que vous avez " reçu de Dieu (1) ? " Et vous, vous appelez le temple de Dieu oeuvre des démons, et là, comme dit Fauste, vous placez " le Christ, Fils de Dieu, vivante image de la majesté vivante ". Soit : que votre Christ chimérique habite dans un tel temple de vanité sacrilège. On peut l'appeler simulacre, en tirant ce mot de " simulation " et non de " similitude".

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CHAPITRE XVI. LE SACRIFICE INTÉRIEUR SELON LA DOCTRINE DES MANICHÉENS.

Ainsi tu fais de ton âme un autel, mais de qui? On le voit assez par les arts et les doctrines, dont tu la dis pénétrée. Ces arts et ces doctrines défendent de donner du pain à un mendiant, afin que la cruauté se mêle au sacrifice offert sur votre autel, autel que le Seigneur renverse, en rappelant, d'après la loi, quel est le parfum qu'il goûte : " J'aime mieux la miséricorde, que le sacrifice (2) ". Or, faites attention à la circonstance où le Seigneur cite ce passage : c'est au moment où il traversait des moissons, et que ses disciples cueillaient des épis pour satisfaire à leur faim. Or, selon la doctrine dont vous pénétrez votre âme, c'était là un homicide. Votre âme est donc l'autel, non de Dieu, mais des démons menteurs, dont les doctrines cautérisent la conscience pervertie (3), laquelle donne le nom d'homicide à un acte que la Vérité déclare innocent. Voilà pourquoi le Seigneur, vous frappant et vous réfutant d'avance dans la personne des Juifs, a dit : " Si vous

1. I Cor. III, 17 ; VI, 19. — 2. Os. VI, 5. — 3. I Tim. IV, 2.

296

compreniez ce que signifie : J'aime mieux la miséricorde que le sacrifice, vous n'auriez jamais condamné des innocents (1) ".

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CHAPITRE XVII. CE QUE C'EST QUE LA PRIÈRE CHEZ LE MANICHÉEN.

Mais quelles oraisons simples et pures pouvez-vous offrir à Dieu comme hommages et comme sacrifices, quand vous avez, de la nature même et de la substance divine, des idées si indignes, si honteuses, que non-seulement vos sacrifices ne sauraient rendre propice le vrai Dieu, mais que votre dieu même est immolé dans les sacrifices des païens? Car vous le dites enchaîné de liens qui le déshonorent et qui le souillent, non-seulement dans les arbres, dans les plantes ou dans les membres humains, mais aussi dans les chairs des animaux. Et votre âme elle-même, à quel dieu adressera-t-elle ses louanges, quand elle se proclame une partie de ce dieu, captive et enchaînée chez le peuple des ténèbres ? Fait-elle autre chose que de blâmer ce dieu qui n'a pu (elle l'atteste elle-même) se défendre contre ses ennemis qu'en livrant ses parties à une si grande corruption, à une si honteuse captivité? Les prières que vous lui adresseriez ne pourraient donc être que des sentiments de rancune, et non des actes de religion. Car quel mal lui aviez-vous fait pour encourir un tel châtiment et être réduits à lui adresser vos plaintes, vous qui ne l'avez pas abandonné volontairement et par le péché, mais qu'il a lui-même livrés à ses ennemis pour procurer la paix à son royaume, et livrés, non pas comme des otages que l'on doit conserver honorablement? Il n'est pas non plus comme un berger qui tend des piéges pour prendre une bête sauvage: car c'est une pièce de son bétail, et non ses membres, qu'il emploie pour amorce, et encore de façon à ce que la bête soit prise avant que l'amorce soit entamée. Mais vous, membres de votre dieu, vous êtes abandonnés aux ennemis; vous ne pouvez garantir votre dieu de leur férocité, sans vous souiller de leur immondice, et cela, sans faute personnelle, mais par l'effet du poison ennemi qui vous mine. Ce qui fait que vous ne pouvez dire dans vos prières : " Seigneur, pour la

1. Matt. XII, 7.

gloire de votre nom, délivrez-nous; pour votre nom, pardonnez-nous nos péchés (1) " ; mais que vous lui dites : Tâchez de nous délivrer, car c'est pour vous procurer la faculté de pleurer en paix dans votre royaume que nous sommes oppressés, déchirés, souillés. Or, c'est là une accusation, et non une prière. Vous ne pouvez pas dire non plus ce que le Maître de la vérité nous a appris à dire : " Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons nous-mêmes à ceux qui nous doivent (2) ". Car quels sont vos débiteurs, ceux qui ont eu des torts à votre égard? Si c'est le peuple des ténèbres, lui remettez-vous ses dettes, à lui qui est extirpé à fond et que vous tenez enfermé dans une prison éternelle? Et quelles dettes votre dieu peut-il vous remettre, puisqu'il est plutôt votre débiteur, pour vous avoir envoyés où vous êtes, que vous n'êtes les siens, pour avoir obéi à ses ordres? Ou s'il n'est pas coupable, parce qu'il a été forcé d'agir, vous êtes encore bien moins libres qu'il ne l'était avant que vous livrassiez combat, puisque vous avez été vaincus dans ce combat et que vous êtes couchés à terre. Car vous subissez le mélange du mal, et il ne le subissait pas, lui, alors même qu'il était déjà forcé d'agir, par exemple, de vous envoyer où vous êtes. Ainsi donc, ou il est votre débiteur et c'est à vous à lui remettre sa dette; ou il ne l'est pas, et vous l'êtes encore bien moins envers lui. Que sont donc vos sacrifices, vos oraisons simples et pures, sinon des mensonges et d'impurs blasphèmes ?

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CHAPITRE XVIII. DIVERSES ESPÈCES DE SACRIFICES. SACRIFICE DU CHRIST. SACRIFICE DES MANICHÉENS.

Néanmoins, je voudrais bien que vous me dissiez pourquoi vous donnez les noms de temple, d'autel, de sacrifice à ces choses que vous louez en vous. Car si ces véritables hommages ne sont pas dus au vrai Dieu, pourquoi les recommande-t-on, pourquoi en fait-on l'éloge dans la vraie religion ? Mais si on doit au Dieu véritable un véritable sacrifice (ce qu'on appelle à juste titre : honneurs divins) les autres ne sont appelés sacrifices que par analogie à celui-là. Or, les uns sont des imitations suggérées par des dieux faux et menteurs, c'est-à-dire par les démons, qui

1. Ps. LXXVIII, 9. — 2. Matt. VI, 12.

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exigent par orgueil les honneurs divins de la part de leurs dupes; tels sont ou tels étaient tous ceux qu'on offrait aux idoles dans les temples païens. Les autres étaient des figures du seul et très-réel sacrifice, qui devait être offert dans la suite pour les péchés de tous les croyants; tels étaient ceux prescrits par Dieu aux anciens pères, où se trouvait même l'onction mystique, emblème prophétique de celle du Christ qui lui a même emprunté son nom. Or, ce vrai sacrifice, dû au seul vrai Dieu, et que le Christ seul a accompli sur son autel, les démons s'en attribuent arrogamment la figure dans l'immolation des victimes. Ce qui fait dire à l'Apôtre : " Ce qu'immolent les Gentils, ils l'immolent aux démons et non à Dieu (1) " : blâmant par là non ce qui était offert, mais le but pour lequel on l'offrait. Quant aux Hébreux, dans les sacrifices d'animaux qu'ils offraient à Dieu sous des formes nombreuses et variées, comme le sujet le méritait, ils honoraient prophétiquement le futur sacrifice que le Christ a consommé. Ensuite les chrétiens célèbrent à leur tour la mémoire du sacrifice accompli, par la très-sainte oblation et la réception du corps et du sang du Christ. Mais les Manichéens ignorant ce qu'il faut condamner dans les sacrifices des Gentils, ce qu'il faut entendre dans les sacrifices des Hébreux, et ce qu'il faut croire et observer dans le sacrifice des chrétiens, offrent leur folie en sacrifice au démon qui les a trompés, s'éloignant de la foi pour se livrer à des esprits séducteurs et aux doctrines des démons hypocrites et menteurs.

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CHAPITRE XIX. LES PAÏENS ONT EU L'IDÉE D'UN POUVOIR DIVIN UNIQUE, LES MANICHÉENS NE L'ONT PAS.

Que Fauste, ou plutôt ceux qui goûtent ses écrits, apprennent donc que l'idée d'un pouvoir unique ne nous vient point des Gentils, mais que les Gentils ne sont pas tombés assez bas dans l'idolâtrie pour perdre la notion d'un seul vrai Dieu auteur de toute espèce d'être. Leurs sages (parce que, dit l'Apôtre, " les perfections invisibles de Dieu, rendues compréhensibles depuis la création du monde, sont devenues visibles, aussi bien que sa puissance éternelle et sa divinité, de sorte qu'ils sont inexcusables") leurs sages, dis je,

1. I Cor. X, 20.

" connaissant Dieu, ne l'ont point glorifié comme Dieu, ou ne lui ont point rendu grâces; mais ils se sont perdus dans leurs pensées, et leur coeur insensé a été obscurci ; ainsi, en disant qu'ils étaient sages, ils sont devenus insensés et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une image représentant un homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes et des serpents ". Telles sont les idoles des Gentils; il est impossible d'y voir autre chose qu'un culte rendu à la créature que Dieu a tirée du néant; de telle sorte que, dans cette interprétation même, dont les plus habiles d'entre eux ont coutume de se vanter et de se pavaner, il leur arrive ce que l'Apôtre dit un peu plus bas : " Ils ont adoré et servi la créature au lieu du Créateur qui est béni dans les siècles (1) ". Mais vous, dans tous les points où vous vous rapprochez d'eux, vous déraisonnez ; et dans les points où vous vous en éloignez, vous êtes au-dessous d'eux. En effet, vous n'admettez pas avec eux l'idée d'un pouvoir unique, qu'ils ont raison d'admettre, et vous croyez à une substance divine unique, mais qui peut être vaincue et qui est sujette à corruption, ce qui est une impiété absurde ; d'autre part, en adorant plusieurs dieux ils se sont laissé entraîner, par les démons menteurs, à adresser leurs hommages à des idoles, comme vous à d'innombrables chimères.

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CHAPITRE XX. CE NE SONT PAS LES AGAPES CHRÉTIENNES, MAIS LES SACRIFICES DES MANICHÉENS, QUI RESSEMBLENT A CEUX DES PAÏENS.

Nous n'avons pas converti en agapes les sacrifices des païens; mais nous nous en tenons au sacrifice dont j'ai parlé tout à l'heure, sur cette parole du Seigneur : " J'aime mieux la miséricorde que le sacrifice ". Nos agapes nourrissent les pauvres ou de fruits, ou de chair. Ainsi une créature de Dieu est nourrie d'une autre créature de Dieu propre à servir d'aliment à l'homme. Mais vous, comme les démons menteurs vous ont persuadé, non pour dominer la chair, mais pour pratiquer le blasphème, " de vous abstenir des aliments que Dieu a créés pour être reçus avec actions de grâces par les fidèles et par ceux qui ont connu la vérité; car toute créature de Dieu

1. Rom. I, 20-25.

298

est bonne et on ne doit rien rejeter de ce qui se prend avec actions de grâces (1) " ; vous, dis-je, ingrats envers le Créateur, et ne lui rendant, pour ses généreux bienfaits, que des injures sacrilèges, parce que l'on donne ordinairement de la viande aux pauvres dans les agapes, vous assimilez la charité des chrétiens aux sacrifices des païens, à quelques-uns desquels vous ressemblez en cela même. En effet, tuer des troupeaux vous semble un crime, parce que vous croyez que les âmes humaines passent dans les animaux : doctrine qu'on retrouve dans les livres de quelques philosophes païens, bien que plus tard, dit-on, on l'ait entendu autrement. Mais sur ce point encore, votre erreur est bien plus détestable que la leur : car, en tuant un animal, ils craignaient seulement de donner la mort à un de leurs semblables, et vous, vous craignez de tuer votre dieu dont vous pensez que les âmes mêmes des animaux sont les membres.

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CHAPITRE XXI. CULTE DES MARTYRS DIFFÉRENT DU CULTE DE LATRIE QUI N'EST DU QU'A DIEU. LE SACRIFICE EUCHARISTIQUE, MÉMORIAL DE CELUI DE LA CROIX.

Pour ce qui est de l'accusation calomnieuse de Fauste, qui prétend que le culte que nous rendons aux martyrs n'est qu'une idolâtrie retournée, je n'y attache d'intérêt que pour montrer qu'entraîné par le besoin de calomnier, Fauste lui-même a essayé de sortir du cercle des folies de Manès, et que, par je ne sais quelle maladresse, il est tombé dans l'opinion vulgaire et poétique des païens, tout en voulant paraître à une immense distance d'eux. En effet, après avoir dit que nous avons changé les idoles en martyrs, il ajoute : " Vous leur offrez les mêmes hommages, vous apaisez les ombres des morts avec du vin et des aliments ". Quoi ! y a-t-il des ombres de morts? Nous n'avons jamais rien entendu de cela dans vos discours, rien lu de cela dans vos livres: bien plus, vous dites ordinairement tout le contraire, en affirmant que les âmes des morts, coupables ou trop peu purifiées, subissent des métamorphoses, ou d'autres peines plus graves; que celles des bons sont embarquées, voguent dans le ciel et passent de là dans le séjour imaginaire de la terre de

1. I Tim. IV, 2, 4.

lumière, pour laquelle elles ont combattu et trouvé la mort; par conséquent, qu'aucune âme n'est retenue autour du tombeau où son corps a été enseveli. D'où viennent donc ces ombres de morts? Quelle est leur substance? où est leur séjour? Mais Fauste, dominé par la passion de l'injure, a oublié la doctrine qu'il professait; ou peut-être a-t-il écrit ce mot ombre en dormant ou en rêvant, et a-t-il relu sa page sans être éveillé. Le peuple chrétien célèbre avec une religieuse solennité la mémoire des martyrs, pour exciter les fidèles à les imiter, pour s'associer à leurs mérites et s'aider de leurs, prières, de manière cependant à n'élever d'autels qu'au:Dieu même des martyrs, et non à aucun martyr, bien que ce soit en leur mémoire. Car quel est le pontife qui, célébrant le sacrifice à l'autel, dans les lieux où reposent les corps saints, a jamais dit: Nous l'offrons à vous, Pierre, ou Paul, ou Cyprien ? Non, ce qui est offert, est offert au Dieu qui a couronné les martyrs, près des autels de ceux qu'il a couronnés, afin que les lieux mêmes enflamment la piété, excitent à aimer et ceux que nous pouvons imiter et celui qui nous aide à le pouvoir. Nous honorons donc les martyrs d'un culte d'amour et ; de fraternité, semblable aux sentiments que nous éprouvons en cette vie pour les saints, pour les hommes de Dieu, que nous savons prêts à supporter de tels tourments pour la vérité évangélique. Et notre culte est d'autant plus fervent que ceux qui en sont l'objet sont plus en sécurité, après tant de combats suivis de la victoire, et nous en faisons l'éloge avec plus de confiance, depuis qu'ils jouissent du triomphe dans une vie plus heureuse, que s'ils combattaient encore dans cette vie mortelle. Quant au culte que les Grecs appellent latreia et qui ne peut s'exprimer en latin par un seul mot, comme il consiste en un hommage qui appartient en propre à la divinité, nous ne le rendons, et nous enseignons qu'on ne peut le rendre qu'à Dieu seul. Et comme l'oblation du sacrifice fait partie de ce culte, ce qui fait qu'on appelle idolâtrie le sacrifice fait aux idoles, nous n'offrons rien, nous défendons d'offrir rien de ce genre à un martyr, à une âme sainte, ou à un ange ; et quiconque tombe dans cette erreur, est repris et ramené à la saine doctrine, pour qu'il se corrige ou se tienne en garde. D'ailleurs les saints eux-mêmes, soit hommes, soit anges, refusent de (299) tels hommages qu'ils savent n'être dus qu'à Dieu. On l'a vu par l'exemple de Paul et de Barnabé, au moment où les Lycaoniens, frappés des prodiges qu'ils opéraient, voulaient leur sacrifier comme à des dieux; ils déchirèrent leurs vêtements, protestèrent et prouvèrent qu'ils n'étaient point des dieux, et défendirent qu'on les traitât comme tels (1). On l'a vu aussi pour les anges : car nous lisons dans l’Apocalypse que l'un d'entre eux défendit qu'on l'adorât, et dit à celui qui voulait le faire: " Je suis serviteur comme vous et comme vos frères (2) ". Or, il est connu que les esprits orgueilleux, le démon et ses, anges exigent ces hommages, comme cela se voit par tous les temples et tous les sacrifices des Gentils. Et même certains hommes, aveuglés par l'orgueil, imitent leur exemple, comme l'histoire nous le raconte de quelques rois de Babylone. Ce fut ce qui attira au saint homme Daniel des accusations et des persécutions, parce que, nonobstant l'édit du roi qui défendait d'invoquer d'autre dieu que lui, on le surprit à adorer et à prier son Dieu, c'est-à-dire le seul vrai Dieu (3). Quant à ceux qui s'enivrent aux tombeaux des martyrs, comment pourrions-nous les approuver, puisque la saine doctrine condamne même ceux qui s'enivrent chez eux ? Mais autre chose est ce que nous enseignons, autre chose ce que nous tolérons; autre chose est ce que nous avons mission de commander, autre chose ce que nous avons ordre de corriger et que nous sommes forcés de supporter en attendant. Autre chose est la discipline chrétienne, autre chose la débauche des hommes adonnés au vin ou l'erreur des infirmes. Et encore y a-t-il une grande distance entre la faute des ivrognes et celle des sacrilèges. Car il est infiniment moins coupable de revenir ivre des tombeaux des martyrs, que de sacrifier, même à jeun, aux martyrs. J'ai dit : Sacrifier aux martyrs, et non Sacrifier à Dieu sur les tombeaux des martyrs : ce que nous faisons très-souvent, mais selon le rite que Dieu lui-même a prescrit pour le sacrifice par la révélation du Nouveau Testament: rite qui fait partie du culte appelé latrie et qu'on ne doit qu'à Dieu seul. Mais que faire ? Et comment faire sentir à ces hérétiques si aveugles, la force de ces paroles du Psalmiste: " Le sacrifice de louange est le culte qui m'honore; c'est par là que je lui

1. Act. XIV, 7-17. — 2. Apoc. XIX, 10, XXII, 8, 9. — 3. Dan. VI.

manifesterai mon salut (1) ". La chair et le sang, matière de ce sacrifice, étaient figurés prophétiquement par des victimes, avant l'arrivée du Christ; dans sa Passion ils furent réellement immolés ; depuis l'Ascension du Sauveur, on célèbre le sacrifice en mémoire de lui ; par conséquent, il y a autant de différence entre les sacrifices des païens et ceux des Hébreux, qu'il y en a entre une imitation erronée, et un symbole prophétique. De même donc qu'il ne faut pas mépriser ni avoir en horreur la virginité des religieuses, parce que les Vestales étaient vierges ; ainsi il ne faut pas blâmer les sacrifices de nos pères, parce que les Gentils ont aussi leurs sacrifices. En effet, comme il y a une grande distance entre ces deux espèces de virginité, bien que cette distance ne soit autre que celle même qui sépare les êtres à qui elles étaient consacrées ; ainsi en est-il des sacrifices des païens et des Hébreux, qui diffèrent essentiellement par la nature même de ceux à qui on les offrait : à savoir, d'un côté, à l'orgueil impie des démons qui s'arrogeaient les honneurs divins, puisque le sacrifice n'est dû qu'à Dieu ; et, de l'autre, au seul vrai Dieu, à qui on offrait des sacrifices, emblèmes du véritable sacrifice qui devait lui être offert en réalité par l'immolation du corps et du sang du Christ.

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CHAPITRE XXII. LES SACRIFICES DES JUIFS DIFFÉRENTS DE CEUX DES PAÏENS. LES DÉMONS SE REPAISSENT DES ERREURS HUMAINES.

Il est faux que, comme le dit Fauste, les Juifs qui nous ont précédés, étant séparés des Gentils et ayant temple, sacrifices, autels, sacerdoce, n'aient renoncé qu'aux images taillées, c'est-à-dire aux idoles: car ils pouvaient, comme quelques gentils, n'avoir point d'idoles sculptées et sacrifier aux arbres, aux montagnes et finalement au soleil, à la lune et aux autres astres. S'ils l'eussent fait par le culte dit de latrie, comme ils auraient servi la créature au lieu du Créateur, et auraient été atteints de la grave erreur d'une superstition impie, les démons se seraient également prêtés à les tenir dans l'illusion et auraient accepté leurs sacrifices. Car ce n'est pas, comme quelques-uns le pensent, d'odeurs et de fumée, mais des erreurs humaines que ces

1. Ps. XLIX, 23.

300

esprits orgueilleux se repaissent: ce qui les charme, ce n'est point le plaisir de manger, mais une complaisance malveillante dans le succès d'une imposture quelconque, ou la fastueuse satisfaction d'une fausse grandeur quand ils peuvent se vanter de recevoir les honneurs divins. Nos pères n'ont donc pas seulement laissé là les idoles : mais ils n'ont sacrifié ni à la terre, ni à rien de terrestre, ni à la mer, ni au ciel, ni à la milice du ciel; ils ont offert au Dieu unique, créateur de toutes choses, les victimes qu'il a lui-même exigées nous promettant par ces figures le véritable sacrifice, au moyen duquel il nous a réconciliés avec lui, par la rémission de nos péchés, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, chef du corps que composent les fidèles, ainsi que Paul le leur dit en ces termes : " Je vous conjure donc, mes frères, parla miséricorde de Dieu, d'offrir vos corps en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu (1) ". Mais les Manichéens prétendent que les corps humains sont l'oeuvre du peuple des ténèbres, et des prisons où leur dieu vaincu est enfermé; ainsi bien différentes sont la doctrine de Fauste et celle de Paul. Mais puisqu'il est écrit : " Si quelqu'un vous annonce un autre Evangile que celui que vous avez reçu, qu'il soit anathème (2) " : le Christ dit la vérité par la bouche de Paul; que Manès soit donc anathème dans la personne de Fauste !

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CHAPITRE XXIII. DANS L'USAGE DES CHOSES ORDINAIRES DE LA VIE, LES MANICHÉENS DIFFÉRENT BEAUCOUP DES CATHOLIQUES ET SONT AU-DESSOUS MÉME DES PAÏENS.

Fauste, ne sachant ce qu'il dit, prétend encore que nous n'avons rien changé aux moeurs des Gentils. Mais comme le juste vit de foi (3); que la fin du précepte est la charité qui vient d'un coeur pur, d'une bonne conscience et d'une foi non feinte (4) ; que, pour former la conscience des fidèles, ces trois choses demeurent : la foi, l'espérance et la charité (5) : comment celui qui n'a pas ces trois choses pourrait-il avoir les mêmes moeurs que celui qui les possède ? Car nécessairement celui qui croit, espère, aime autre chose, doit vivre différemment. Si nous paraissons avoir en commun avec les Gentils l'usage de certaines choses, comme la nourriture et la boisson,

1. Rom. XII, 1. — 2. Gal. I, 9. — 3. Rom. I, 17. — 4. I Tim. I, 5. — 5. I Cor. XIII, 13.

les maisons, les vêtements, les bains; et, pour ceux d'entre nous qui sont mariés, des femmes à épouser et à conserver, des enfants à mettre au monde, à nourrir, à laisser pour héritiers : bien différente cependant est la manière d'user de ces choses chez celui qui en rapporte l'usage à une autre fin, et chez celui qui en rend grâces à Dieu sans avoir de lui aucune idée mauvaise ou erronée. Car bien que, au sein de votre erreur, vous mangiez le même pain que les autres hommes, que vous viviez de fruits et de l'eau des fontaines, que vous soyez vêtus de laine et de lin tissés de la même manière, vous ne menez cependant point la même conduite, non précisément en mangeant, en buvant ou en vous habillant autrement que les autres, mais parce que vous avez d'autres sentiments, d'autres croyances, et que vous rapportez toutes ces choses à une autre fin, à savoir à vos erreurs et à votre vanité. De même, quoique nous usions de ces choses et d'autres encore de la même manière que les païens, nous ne vivons cependant pas comme les païens, parce que nous ne les rapportons pas à la même fin, mais à la fin du précepte légitime et divin, à savoir la charité qui vient d'un coeur pur, d'une bonne conscience et d'une foi non feinte. Quelques-uns, pour s'en être écartés, se sont égarés en de vains discours. Parmi ceux-là vous tenez évidemment le premier rang, vous qui ne voyez pas, qui ne réfléchissez pas que la différence de foi entraîne aussi une différence de conduite dans la possession et l'usage des mêmes choses, tellement que, quand vos auditeurs ont des femmes, ont des enfants quoique malgré eux, leur amassent ou leur conservent un patrimoine, mangent de la viande, boivent du vin, vont aux bains, moissonnent, vendangent, font un négoce, exercent les fonctions publiques, vous les regardez comme vos disciples et non comme des païens, quoique leur conduite semble plus se rapprocher de celle des païens que de la vôtre. En effet, le genre de vie de certains païens ressemble plus au vôtre qu'à celui de quelques-uns de vos auditeurs, puisque, dans leurs cérémonies sacrilèges, ils s'abstiennent du vin, de la chair et des femmes; néanmoins, bien qu'ils fassent ce que vous faites, vous admettez, plutôt qu'eux, dans vos rangs des auditeurs qui usent de toutes ces choses et en cela s'éloignent de vous ; et vous regardez plutôt comme membre de votre (301) secte une femme qui met au monde des enfants, pourvu qu'elle croie à Manès, qu'une Sibylle qui ne se marie même pas. Mais, dites-vous, il y a beaucoup de chrétiens appelés catholiques qui sont adultères, ravisseurs, avares, ivrognes, ou entachés de tout autre vice condamné par la saine doctrine. Eh ! dans votre petit, dans votre très-petit nombre, la plupart ne sont-ils pas tels, et n'y en a-t-il pas quelques-uns parmi les païens qui ne le sont pas? Dites-vous pour cela que ces païens valent mieux que vous ? Et cependant, à raison de ces vaines et sacrilèges erreurs de votre secte, ceux d'entre vous qui n'ont point de ces vices sont au-dessous des païens qui les ont. Il est donc clair que la saine doctrine, qui est la seule catholique, reste tout entière, bien qu'un grand nombre prétendent lui appartenir et ne veulent point être guéris par elle. Car il faut bien admettre ce petit nombre d'élus, que le Seigneur indique en particulier au milieu de cette vaste, de cette immense multitude répandue dans le monde entier (1) : cependant ce petit nombre de saints et de fidèles (il faut souvent le répéter), cette quantité de grains si petite par comparaison à l'énorme quantité de paille, forme par elle-même une telle abondance de froment qu'elle l'emporte sans comparaison sur tous vos justes et vos réprouvés, les uns et les autres également réprouvés de la vérité. Nous ne sommes donc pas un schisme des Gentils, dont nous différons beaucoup en mieux; vous n'en êtes pas un non plus, parce que vous en différez beaucoup en pire.

1. Matt. XX, 16.

 

 

 

 

LIVRE VINGT-UNIÈME. CONTRE FAUSTE, LE MANICHÉEN.

Fauste nie qu'il admette deux dieux. — Dieu est impénétrable dans ses voies, admirable dans toutes ses oeuvres. — La Loi de conservation. — Harmonie du corps humain d'après saint Paul. — Dieu a fait le corps humain. — Opinion manichéenne sur les animaux. — Contradictions et fables absurdes de ces sectaires. — Les deux natures et absurdités qui en découlent.

 

 

CHAPITRE PREMIER. FAUSTE VEUT PROUVER QU'IL N'ADMET PAS DEUX DIEUX.

Fauste. N'y a-t-il qu'un Dieu ou y en a-t-il deux? – Evidemment il n'y en a qu'un. — Comment donc affirmez-vous qu'il y en a deux? — Jamais il n'a été question de deux dieux dans nos assertions. Je voudrais savoir ce qui a pu te le faire soupçonner. — Parce que vous admettez deux principes, celui du bien et celui du mal. — Soit: nous admettons deux principes, mais nous n'appelons Dieu que l'un des deux, et nous nommons l'autre Hylé ou démon, pour parler le langage ordinaire. Si tu penses que ce soit, là, admettre deux dieux, tu pourras dire aussi qu'un médecin qui discute sur la maladie et la santé, admet deux santés; que celui qui nomme le bien et le mal, admet deux biens; et en entendant parler de richesse et de pauvreté, tu pourras croire que cela signifie deux richesses. Et si je discute sur le blanc et le noir, le froid et le chaud, le doux et l'amer, et que tu prétendes que je parle de deux blancheurs, de deux chaleurs, de deux douceurs, ne passeras-tu pas pour un fou, pour un cerveau fêlé? Ainsi, quand je parle de deux principes, Dieu et Hylé, tu ne dois pas t'imaginer que je veuille dire deux dieux. Parce que nous attribuons à Hylé tout pouvoir de faire le mal et à Dieu tout pouvoir de faire le bien, comme cela doit être, diras-tu pour cela qu'il importe peu que nous les appelions dieu l'un et l'autre, indifféremment? S'il en est ainsi, quand on parlera de poison et d'antidote, tu pourras dire qu'on peut indifféremment les appeler tous les deux antidotes, parce qu'ils ont chacun leur propriété, que tous les deux opèrent et produisent leur effet; quand on parlera d'un médecin et d'un empoisonneur, tu pourras donner à tous les deux le nom de médecins; quand on parlera d'un juste et d'un injuste, tu pourras les appeler justes tous les deux, parce que tous les deux font quelque chose. Or, si cela est absurde, combien ne l'est-il pas plus de regarder comme deux dieux, Dieu et Hylé, parce que l'un et l'autre agissent ? C'est donc une sotte et pauvre argumentation que la tienne, quand n'ayant rien à me répondre sur le fond, tu me fais une méchante querelle sur les mots. Du reste, je ne disconviens pas que quelquefois nous donnons le nom de dieu à la nature ennemie; en cela nous n'entendons pas exprimer notre foi, mais nous conformer au langage de ceux qui l'honorent et en font un dieu dans leur ignorance ; comme nous entendons l'Apôtre dire : " Le dieu de ce siècle a aveuglé les esprits des infidèles (2) " ; l'appelant dieu, parce que les siens l'appelaient ainsi; mais ajoutant qu'il aveugle les esprits, pour faire comprendre qu'il n'est pas le vrai Dieu.

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CHAPITRE II. COMMENT DIEU PEUT AVEUGLER LES ESPRITS.

Augustin. Nous entendons ordinairement parler de deux dieux dans vos discussions. Après l'avoir d'abord nié, tu as fini par: en convenir un moment après, et comme pour justifier ce langage, tu cites ce mot de l'Apôtre : " Le Dieu de ce siècle a aveuglé les esprits des infidèles ". Mais ce passage, la plupart d'entre nous l'entendent en ce sens que c'est le vrai Dieu qui a aveuglé les esprits des infidèles. Après avoir lu : " En quoi Dieu ", ils suspendent la prononciation, puis ils continuent : " De ce siècle a aveuglé les esprits des infidèles ". Si tu n'admets pas cette manière de lire, et que, pour expliquer ce passage, tu changes ainsi l'ordre des mots : " En quoi Dieu a aveuglé les esprits des infidèles de ce siècle ", tu retrouveras le même sens que dans l'autre manière de lire. Car l'opération en vertu de laquelle les esprits des infidèles

1. II Cor. IV, 4.

303

sont aveuglés, peut, sous certain, rapport, s'attribuer au vrai Dieu. Il agit alors par justice et non par méchanceté, comme le même Paul le dit ailleurs : " Dieu est-il injuste d'envoyer sa colère (1)? " Et en un autre endroit " Que dirons-nous donc? Y a-t-il en Dieu de l'injustice? Nullement. Car il dit à Moïse : J'aurai pitié de qui j'aurai pitié, et je ferai miséricorde à qui je ferai miséricorde ". Après avoir d'abord posé ce principe incontestable qu'il n'y a point d'injustice en Dieu, faites attention à ce qu'il dit peu après: " Que si Dieu voulant manifester sa colère et signaler sa puissance, a supporté avec une patience extrême les vases de colère propres à être détruits, afin de manifester les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde qu'il a préparés pour la gloire, etc. (2) " Certes, il est impossible ici de dire que le Dieu qui manifeste sa colère et signale sa puissance sur les vases propres à être détruits, est autre que celui qui manifeste ses richesses sur les vases de miséricorde. L'enseignement de l'Apôtre prouve donc que c'est le seul et même Dieu qui agit dans ces deux cas. C'est ce qui lui fait dire encore : " Aussi Dieu les a livrés aux désirs de leurs coeurs, à l'impureté, en sorte qu'ils ont déshonoré leurs propres corps en eux-mêmes " ; puis peu après : " Et comme ils n'ont pas montré qu'ils avaient la connaissance de Dieu, Dieu les a livrés à un sens réprouvé (3) ". Voilà comment le Dieu vrai et juste aveugle les esprits des infidèles. Jamais, dans ces textes de l'Apôtre que je viens de rapporter, on n'a vu un autre Dieu que celui qui a envoyé son Fils, lequel Fils nous dit: "C'est pour juger que je suis venu dans ce monde, afin que ceux qui ne voient pas voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles (4) ". Ici les esprits des fidèles voient assez comment Dieu aveugle les esprits des infidèles. Il se passe d'abord quelque chose de secret dans le mystère, sur quoi Dieu exerce son jugement souverainement juste, pour aveugler les esprits des uns et éclairer ceux des autres : car c'est de lui qu'on a dit avec la plus parfaite vérité : " Vos jugements sont un profond abîme (5) ". Et c'est devant ces impénétrables profondeurs que l'Apôtre frappé d'étonnement s'écrie : " O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de

1. Rom. III, 5. — 2. Id. IX, 14, 15, 22, 23. — 3. Id. I, 24, 26, 28. — 4. Jean, IX, 39. — 5. Ps. XXXV, 7.

Dieu ! que ses jugements sont incompréhensibles ! etc. (1) "

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CHAPITRE III. DIEU CONDAMNE ET JUSTIFIE PAR DES VOIES IMPÉNÉTRABLES.

Mais vous, vous ne savez pas discerner ce que Dieu fait par bonté de ce qu'il fait par justice, parce que, bien loin de votre coeur et de vos lèvres est notre psautier où on lit

" Je chanterai votre miséricorde et votre justice, Seigneur (2) " ; tout à fait étrangers au bon plaisir et au jugement du vrai Dieu, vous avez, pour tout ce qui vous blesse dans l'infirmité de notre condition mortelle, un autre dieu tout prêt, un dieu méchant, que la vérité ne vous a point révélé, mais que votre folie a imaginé, auquel vous attribuez non-seulement tout ce que vous faites injustement, mais encore tout ce que vous souffrez justement; vous laissez ainsi à Dieu la distribution des bienfaits, mais vous lui ôtez celle des châtiments : comme si celui dont le Christ a dit qu'il â préparé un feu éternel pour les méchants (3), était autre que celui qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants et pleuvoir sur les justes et les injustes (4). Pourquoi ne comprenez-vous pas qu'une si grande bonté ici, et, là, une si grande sévérité appartiennent au seul et même Dieu, sinon parce que vous ne savez pas chanter la miséricorde et la justice? N'est-ce pas le même Dieu qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et les injustes, qui brise aussi les rameaux naturels, et ente, contre nature, l'olivier sauvage ? N'est-ce pas du même que l'Apôtre dit : " Tu vois donc la bonté et la sévérité de Dieu; sa sévérité envers ceux qui ont été brisés ; et sa bonté envers toi, si tu demeures ferme dans cette bonté (5) ". Vous entendez, vous remarquez, comme il n'ôte point à Dieu la sévérité du juge, ni à l'homme son libre arbitre. C'est un mystère, c'est un abîme, c'est un secret impénétrable à la pensée humaine, comment Dieu condamne un impie et justifie un impie : car la Vérité, dans les saintes Ecritures, affirme de lui l'un et l'autre. Quoi ! faudra-t-il donc murmurer contre les jugements divins, parce qu'ils sont inscrutables?

1. Rom. XI, 33. — 2. Ps. C, 1. — 3. Matt. XXV, 41. — 4. Id. V, 45. — 5. Rom. XI, 17, 24.

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Combien il est plus convenable, combien il est plus en rapport avec notre faiblesse, de trembler où Paul tremblait et de nous écrier : " O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! que ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impénétrables ! " Combien il vaut mieux admirer ce que tu ne peux pénétrer, plutôt que d'inventer un autre dieu, un Dieu méchant, parce que tu ne peux comprendre le dieu bon ! car ce n'est pas du mot qu'il s'agit, mais de la chose.

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CHAPITRE IV. QUOI QU'IL EN DISE, FAUSTE ADMET DEUX DIEUX.

Fauste se presse trop de se croire justifié, pour avoir dit : " Nous n'admettons pas deux dieux, mais Dieu et Hylé ". Car demandez-lui ce que c'est que Hylé, et vous aurez bientôt la définition d'un autre dieu. Si, en effet, à l'exemple des anciens, les Manichéens donnaient le nom de Hylé à la matière encore informe, mais susceptible de recevoir les formes corporelles, personne de nous ne les accuserait d'en faire un dieu. Mais quelle erreur, quelle folie, ou d'appeler la matière des corps créatrice des corps, ou de nier que Dieu ait créé les corps ? Mais comme vous attribuez à je ne sais quel autre ce que le vrai Dieu a fait, c'est-à-dire les qualités et les formes des corps, des éléments, des animaux, ce qui les fait corps, éléments, animaux ; quel que soit le nom que vous donniez à cet être, nous avons raison de vous accuser d'erreur et de dire que vous créez un second dieu. Sur le même point vous commettez deux erreurs sacrilèges : la première, en attribuant l'oeuvre de Dieu à un être que vous rougissez d'appeler dieu : mais vous ne pourrez jamais lui ôter ce titre qu'en lui refusant le pouvoir de faire ce que Dieu seul peut faire ; la seconde, en prétendant que le bien que fait le dieu bon est produit par le dieu mauvais et devient un mal; entraînés que vous êtes par une puérile horreur pour tout ce qui afflige et gêne notre faiblesse mortelle, et épris de ce qui lui plaît. Ainsi vous appelez mauvais celui qui a créé le serpent, et le soleil qui nous éclaire vous paraît un si grand bien que vous ne le regardez pas comme créé par Dieu, mais comme mis en évidence ou envoyé. Or, le vrai Dieu en qui, à mon extrême regret, vous ne croyez pas encore, a créé le serpent parmi les êtres inférieurs et le soleil parmi les êtres supérieurs ; et dans des sphères célestes plus élevées, mais déjà spirituelles et non plus corporelles, il a encore fait des êtres beaucoup meilleurs que notre lumière, et que l'homme charnel ne comprend pas, à plus forte raison : vous qui, en détestant la chair, détestez votre propre doctrine, la règle d'après laquelle vous mesurez le bien et le mal. Car il ne peut y avoir d'autre mal pour vous que celui qui blesse le sens charnel, ni d'autre bien que celui qui flatte la vue charnelle.

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CHAPITRE V. DIEU ADMIRABLE DANS SES OEUVRES GRANDES ET PETITES. TOUT ANIMAL AIME SA PROPRE CHAIR, ILLUSION DES MANICHÉENS SUR CE POINT.

Pour moi, quand je considère au degré le plus bas de l'échelle des êtres, ces oeuvres de Dieu, terrestres, faibles, mortelles, mais ses oeuvres pourtant, je me sens irrésistiblement entraîné à louer leur créateur, qui sait se montrer grand dans les grandes choses, sans cesser de l'être dans les plus petites. Car l'art divin, qui produit les choses célestes et les choses terrestres, au milieu des différences qui les séparent, reste en tout semblable à lui-même, parce qu'en créant chaque être parfait en sols genre, il est lui-même parfait partout. En effet, il ne crée pas dans chaque être un univers, mais en créant chaque être pour l'ensemble de l'univers, il se montre universel même dans les détails, il façonne et arrange chaque chose pour son lieu et pour son rang, proportionnant tout dans le détail et dans l'ensemble. Et voyez dans ces bas-fonds, pour ainsi dire, de toute la création, ces animaux qui volent, qui nagent, qui marchent ou rampent. Ils sont mortels en effet : leur vie, comme il est écrit, " est une vapeur qui paraît pour un peu de temps (1) ". Mais la petite mesure que le Créateur leur a départie dans son excellente bonté, ils la mettent en quelque sorte en commun pour compléter, chacun pour sa part, l'ensemble de l'univers, afin que leur petitesse contribue à la perfection de ce même ensemble où se trouvent, dans les sphères supérieures, d'autres êtres meilleurs qu'eux. Mais examinez et montrez-moi un seul de ces plus vils animaux qui haïsse sa chair, qui ne la nourrisse pas,

1. Jac. IV, 15.

305

qui ne l'entretienne pas, qui ne lui imprime pas le mouvement qui fait la vie, qui ne la gouverne pas, qui n'administre pas en quelque sorte son petit univers suivant les étroites proportions de son espèce, en employant tous les moyens qui sont à sa disposition pour se conserver sain et sauf. Quant à l'âme raisonnable, en châtiant son corps et le réduisant en servitude de peur que l'appétit immodéré des jouissances terrestres ne l'empêche de recevoir la sagesse, elle fait encore preuve d'amour pour sa chair, puisqu'elle la met à sa place, la soumet à son propre empire et exige d'elle une obéissance légitime. Mais, vous, bien que, dans votre erreur charnelle, vous fassiez mine de détester votre chair, au fond vous ne pouvez aimer qu'elle, que veiller à sa santé, pourvoir à ses besoins, éviter tous les coups, les chutes, les intempéries qui pourraient lui maire, désirer les garanties, les conditions de salubrité qui tendent à sa conservation ; et par là vous faites assez voir que la loi de la nature prévaut contre vos opinions et vos erreurs.

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CHAPITRE VI. L'OUVRIER SUPRÊME DÉMONTRÉ PAR SES OEUVRES.

Quoi ! ces entrailles qui vivent dans la chair, ces formes si bien proportionnées, ces membres destinés à agir, ces organes adaptés pour sentir, tous distincts et en rapport avec la place qu'ils occupent et les fonctions qu'ils exercent, tous disposés dans une harmonie parfaite, réglés dans leurs mesures, égalisés dans leurs nombres, combinés dans leurs poids : quoi ! tout cela n'indique pas le suprême ouvrier, le vrai Dieu, celui dont on a dit avec tant de vérité : " Vous avez réglé toutes choses avec mesure, avec nombre et avec poids (1) ? " Si votre coeur n'était pas perverti et gâté par de vaines chimères, vous comprendriez et apercevriez ses perfections invisibles par ces êtres créés dans ce monde faible et charnel (2). Car de qui tiennent-ils tout ce que je viens de rappeler, sinon de celui dont l'unité détermine toute mesure, dont la sagesse produit toute beauté, dont la volonté établit tout ordre ? Et si vous n'avez pas d'yeux pour voir cela, croyez du moins à la parole de l'Apôtre.

1. Sag. XI, 21. — 2. Rom. I, 20.

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CHAPITRE VII. LA LOI DE LA CONSERVATION EST UNIVERSELLE.

En effet, en prescrivant l'amour chaste, tel que le mari doit l'avoir pour sa femme, l'Apôtre en cherche le modèle dans l'amour que l'homme se porte à lui-même : " Celui ", dit-il, " qui aime sa femme s'aime lui-même ; car personne n'a jamais haï sa chair, mais on la nourrit et on la soigne, comme le Christ l'Eglise (1) ". Mais quoi ! vous avez sous les yeux toute substance charnelle : voyez comme la nature tient à maintenir cette loi de l'union et de la conservation chez tous les animaux, et fait que chacun aime sa chair. Et cela n'existe pas seulement chez les hommes, qui, quand ils vivent en règle, né se contentent pas de pourvoir à la santé de leur corps, mais en répriment les mouvements charnels et les assujétissent à l'empire de la raison; es animaux eux-mêmes fuient la douleur, craignent la mort : tout ce qui pourrait détruire l'harmonie de leurs membres, briser le lien qui unit leur âme à leur corps, ils l'évitent avec toute l'agilité possible, et nourrissent et soignent leur chair. " Car ", dit l'Apôtre, " personne ne hait sa chair, mais on la nourrit et on la soigne, comme le Christ l'Eglise ". Considérez les choses du point de vue où Paul s'est placé ; voyez, Si vous le pouvez, quelle force la création tire du Créateur, à commencer par ces magnificences célestes et en descendant jusqu'à la chair et au sang, où elle se complète et se termine, embellie par la variété de ses formes et réglée par les espèces différentes des êtres qui la composent.

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CHAPITRE VIII. SUBLIME HARMONIE DU CORPS HUMAIN, D'APRÉS SAINT PAUL.

D'un autre côté, l'Apôtre, en parlant des diverses fonctions de l'ordre spirituel, qui cependant rentrent toutes dans l'unité et nous enseignent un mystère évidemment sublime et divin, emploie une comparaison tirée de notre propre chair, et ne manque pas de dire, à cette occasion, que Dieu même en est l'auteur. Comme le passage est très-important, je le cite ici en entier, malgré sa longueur il est pris dans la première Epître aux Corinthiens : " Quant aux dons spirituels, je ne veux pas, mes frères, que vous soyez dans l'ignorance.

1. Eph. V, 28, 29.

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Or, vous savez que quand vous étiez gentils, vous couriez aux idoles muettes, selon qu'on vous y conduisait. Je vous déclare donc que personne, parlant dans l'Esprit de Dieu, ne dit anathème à Jésus; et personne ne peut dire Seigneur Jésus, que par l'Esprit-Saint. A la vérité, il y a des grâces diverses, mais c'est le même Esprit; il y a diversité de ministères, mais c'est le même Seigneur; et il y a des opérations diverses, mais c'est le même Dieu qui opère tout en nous. Or, à chacun est donnée la manifestation de l'Esprit pour l'utilité; car à l'un est donnée par l'Esprit la parole de sagesse ; à un autre, la parole de science selon le même Esprit; à un autre, la foi par le même Esprit; à un autre, la grâce de guérir par le même Esprit; à un autre, la vertu d'opérer des miracles; à un autre, la prophétie ; à un autre, le discernement des esprits; à un autre, le don des langues diverses ; à un autre, l'interprétation des discours ; or, tous ces dons, c'est le seul -et même Esprit qui les opère, les distribuant à chacun comme il veut. Car comme le corps est un, quoique ayant beaucoup de membres, et que tous les membres du corps, bien que nombreux, ne sont cependant qu'un seul corps; ainsi est le Christ. Car nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit, pour former un seul corps, soit juifs, soit gentils, soit esclaves, soit libres; et tous nous avons été abreuvés d'un seul Esprit. En effet, le corps n'est pas un seul membre, mais beaucoup. Si le pied disait : Puisque je ne suis pas main, je ne suis pas du corps; ne serait-il point pour cela du corps? Et si l'oreille disait : Puisque je ne suis pas oeil, je ne suis pas du corps; ne serait-elle point pour cela du corps ? Si tout le corps était oeil, où serait l'ouïe ? S'il était tout ouïe, où serait l'odorat? Mais Dieu a placé dans le corps chacun des membres où il a voulu. Que si tous n'étaient qu'un seul membre, où serait le corps? Il y a donc beaucoup de membres, mais un seul corps. L'oeil ne peut pas dire à la main : Je n'ai pas besoin de ton office; ni la tête dire aux pieds : Vous ne m'êtes pas nécessaires; mais, au contraire, les membres du corps, qui paraissent les plus faibles, sont le plus nécessaires ; et les membres du corps que nous regardons comme plus vils, nous les revêtons avec plus de soin, et ceux qui sont honteux, nous les traitons avec plus de respect ; nos parties honnêtes n'en ont pas besoin ; mais; Dieu a réglé le corps de manière à accorder plus d'honneur à celle qui n'en avait pas en elle-même, afin qu'il n'y ait point de scission dans le corps, mais que tous les membres aient les mêmes soins les uns pour les autres. Aussi dès qu'un membre souffre, tous les autres souffrent avec lui ; ou si un membre est glorifié, tous les autres se réjouissent avec lui (1) ". S'il vous reste, je ne dis pas un peu de foi chrétienne, pour croire: à l'Apôtre, mais une ombre de sens humain pour saisir l'évidence, que chacun voie et considère en lui-même combien cela est vrai, combien cela est certain, quelle grandeur dans la petitesse, quelle utilité dans l'objet le plus infime; puisque l'Apôtre dit tout cela par manière d'éloge; afin que, par ces humbles êtres matériels.qui se voient, notre intelligence s'élève plus facilement aux sublimes objets spirituels qui ne se voient pas.

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CHAPITRE IX. C'EST DIEU, ET NON LE DÉMON, QUI EST L'AUTEUR DU CORPS HUMAIN.

Or, quiconque nie que Dieu soit l'auteur de nos membres et de notre corps, que l'Apôtre vante et loue si fort, est en contradiction, vous voyez avec qui, et vous annonce une autre doctrine que celle que nous avons reçue (2). Est-il besoin que je le réfute ? ne doit-il pas plutôt être anathématisé par tous les chrétiens ? L'Apôtre dit : " Dieu a réglé le corps "; Fauste dit : Ce n'est pas Dieu, mais Hylé. Qu'y a-t-il de plus clair que ces contradictions hostiles qu'il faut anathématiser plutôt que réfuter ? Est-ce que l'Apôtre en disant: " Dieu ", a ajouté : " de ce siècle (3) ? " Pourtant si on entend dire que le démon aveugle les esprits des infidèles, par des suggestions coupables ; nous ne le nierons pas; et ceux qui y cèdent, perdent la lumière de la justice par une juste punition de Dieu. Nous lisons tout cela dans les saintes Ecritures : car voici un texte qui s'applique à la séduction venant du dehors : " Je crains que comme le serpent séduisit Eve par son astuce, ainsi vos esprits ne se corrompent et ne dégénèrent de la simplicité et de la chasteté qui sont dans le Christ (4) "

1. I Cor. XII, 1-26. — 2. Gal. I, 9. — 3. II Cor. IV, 4. — 4. Id. XI, 3.

307

puis cet autre du même genre: " Les mauvais entretiens corrompent les bonnes moeurs (1) "; puis un encore où chacun est représenté comme son propre séducteur : " Car si quelqu'un s'estime être quelque chose, comme il n'est rien, il s'abuse lui-même (2) " ; et enfin cet autre sur la vengeance divine, que j'ai déjà cité plus haut : " Dieu les a livrés à un sens réprouvé, en sorte qu'ils ont fait les choses qui ne conviennent pas (3) ". De même, dans les anciens livres, après avoir d'abord dit : " Dieu n'a pas fait la mort et ne se réjouit pas de la perte des vivants (4) ", le sage ajoute peu après : " C'est par la jalousie du démon que la mort est entrée dans le monde (5) ". Et encore, à propos de la mort, de peur que les hommes ne se croient innocents, il dit : " Les impies l'ont appelée par leurs actions et par leurs paroles, et la regardant comme une amie, ils ont défailli (6)". Mais ailleurs il dit : " Les biens et les maux, la vie et la mort, les richesses et la pauvreté viennent du Seigneur Dieu (7) ". Ici les hommes troublés ne comprennent pas que dans une seule et même mauvaise action (non par l'effet d'une vengeance postérieure et manifeste, mais par une certaine vengeance qui s'y attache immédiatement) il y a une part à attribuer à la ruse de celui qui conseille, une part à la malice de celui qui veut, et une troisième à la justice de celui qui punit : en effet, le démon suggère, l'homme consent, Dieu se retire. Ainsi, dans une oeuvre mauvaise, par exemple dans l'aveuglement des infidèles, si par ces mots : " Le Dieu de ce siècle ", on entend le démon comme perfide conseiller, je ne trouve point le sens absurde. Car on ne dit pas " Dieu " simplement, puisqu'on ajoute : " de ce siècle ", c'est-à-dire des impies, des hommes qui ne veulent prospérer que dans ce siècle, qu'on appelle aussi siècle mauvais, comme il est écrit : " Afin de nous arracher à ce siècle mauvais (8) ". C'est ainsi que dans ce passage : " Dont le dieu est le ventre (9), s'il n'y avait le mot : " Dont ", on ne dirait pas : " Le dieu est le ventre ". Et dans le Psaume, on n'appellerait pas dieux les démons, si on n'y ajoutait, des nations, car le texte porte : " Parce que les dieux des nations sont des démons (10) ". Mais ici il ne s'agit ni de : " Le

1. I Cor. XV, 33. — 2. Gal. VI, 3. — 3. Rom. I, 28. — 4. Sag. I, 13. . — 5. Id. II, 24. — 6. Sag. I, 16. — 7. Eccli. XI, 14. — 8. Gal. I, 4. — 9. Phil. III, 19. — 10. Ps. XCV, 5.

dieu de ce siècle", ni de : " Dont le dieu est le ventre ", ni de : " Les dieux des nations sont des démons "; mais on dit simplement : " Dieu a réglé le corps " ; et par Dieu on ne peut entendre ici que le vrai Dieu, créateur de toutes choses. Là, en effet, c'est le langage du blâme, ici, c'est celui de l'éloge. A moins que Fauste n'entende que Dieu a réglé le corps, non en disposant ses membres, c'est-à-dire en le formant et en le construisant, mais en y mêlant sa lumière; en sorte qu'un autre aurait créé les membres, les aurait destinés à leur usage propre et mis chacun à sa place, et que Dieu, en y mêlant sa bonté, mirait corrigé le vice de la construction, car c'est par de telles fables qu'ils abrutissent les âmes faibles. Mais Dieu, qui vient en aide aux petits par la bouche de ses saints, ne leur permet pas même de tenir ce langage. Car tu lis un peu plus haut : " Mais Dieu a placé dans le corps chacun des membres comme il l'a voulu ". Qui ne conclura de là que Dieu est l'ordonnateur du corps, qu'il a composé de beaucoup de membres, dont les diverses fonctions se maintiennent dans l'ensemble pour concourir à l'unité ?

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CHAPITRE X. RÉFUTATION IRONIQUE DE L'OPINION MANICHÉENNE SUR LES ANIMAUX.

Que les Manichéens nous disent donc si les animaux formés par Hylé, suivant leurs rêveries, n'avaient pas, avant que Dieu y mêlât sa lumière, cette harmonie des membres que l'Apôtre loue; si alors la tête disait aux pieds, ou l'oeil à la main : " Je n'ai pas besoin de ton office ". Jamais ils n'ont dit cela, jamais ils n'ont pu le dire ; car ils leur attribuent les actes, les fonctions qui leur sont propres : ces animaux rampaient, marchaient, nageaient, volaient, chacun selon son espèce; ils voyaient, ils entendaient, ils sentaient par les autres sens, ils nourrissaient, ils soignaient leurs corps par des aliments et des précautions convenables : aussi leur union était féconde, car les Manichéens conviennent qu'ils s'accouplaient. Et certainement toutes ces fonctions, que Manès blâme comme oeuvres de Hylé, ne peuvent s'exécuter sans l'accord des membres, que l'Apôtre loue et attribue à Dieu. Douterez-vous encore lequel des deux (de Paul ou de Manès) doit être écouté, lequel doit être (308) anathématisé ? Mais bien plus: il y avait alors des animaux qui parlaient ; et tous, reptiles, quadrupèdes, oiseaux, poissons, écoutaient ces discours, les comprenaient, les goûtaient ! Eloquence merveilleuse et vraiment divine ! Et ces orateurs n'avaient eu aucune leçon de grammaire ni de rhétorique, ils n'avaient pas reçu d'instruction en pleurant sous les coups de la férule et de la verge. Mais Fauste lui-même, pour nous débiter ces sornettes avec art, s'est initié tard aux ressources de l'éloquence ; et malgré la vivacité de son esprit, il s'est brisé la poitrine à force d'études, en sorte que sa parole faisait peu de conquêtes. Infortuné, qui est né au sein de notre lumière, et non au milieu de ces ténèbres ! En ce temps-là, en prêchant contre la lumière, il aurait vu tous les bipèdes, tous les quadrupèdes, voire même tous les reptiles depuis le dragon jusqu'à l'escargot, l'écouter avec plaisir, lui obéir avec joie; tandis que plus tard, en disputant contre les ténèbres, il s'est vu traiter par plusieurs d'éloquent plutôt que de savant, et par un grand nombre, de séducteur profondément pervers. Et parmi le petit nombre des Manichéens qui l'applaudissaient comme un maître distingué, pas un seul animal ne lui donnait son suffrage, son cheval même ne savait rien de sa doctrine, comme si une partie de la divinité ne s'était fixée dans tous les animaux que pour les rendre stupides ! Qu'est-ce que cela, je vous le demande? Sortez donc enfin de votre sommeil, misérables, et comparez, d'après vos fables, tous les animaux d'alors avec ceux d'aujourd'hui : alors sur leur terre, aujourd'hui dans ce monde; alors pleins de force, aujourd'hui faibles; alors munis d'une vue perçante pourvoir le séjour de dieu, et goûter le plaisir de l'envahir, aujourd'hui avec le regard si émoussé qu'il se détourne des rayons du soleil ; alors possédant une intelligence étendue, capable de comprendre le sermon d'un prédicateur, aujourd'hui frappés de stupidité et privés de toute faculté de ce genre ; alors doués naturellement d'une si grande et d'une si puissante éloquence, maintenant si rétrécis dans leurs goûts, si bornés dans leurs travaux ! Oh ! quels grands avantages le peuple des ténèbres a perdus par le mélange du bien !

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CHAPITRE XI. LE BLANC ET LE NOIR, LE CHAUD ET LE FROID. CONTRADICTIONS MANICHÉENNES.

Fauste, dans le passage même auquel je réponds maintenant, a élégamment rapproché! des contraires : la santé et la maladie, la richesse et la pauvreté, le blanc et le noir, le chaud et le froid, le doux et l'amer. Je n'ai rien à dire du blanc et du noir. Cependant, si la question des couleurs a quelque importance au point de vue du bien et du mal; si, comme les Manichéens le prétendent, le blanc appartient à Dieu et le noir à Hylé; si Hylé, suivant eux, a créé toutes les espèces d'oiseaux, et que Dieu ait mis la couleur blanche à leur plumage, je demanderai où se cachaient les corbeaux, pendant qu'on blanchissait les cygnes ? Il n'est pas besoin non plus de parler du chaud et du froid; car tous les deux sont utiles, s'ils sont sagement tempérés, et deviennent nuisibles quand ils passent la mesure. Voyons le reste. Fauste parle ici de bien et de mal. C'était la première distinction à établir entre les contraires; mais il l'a fait d'une manière générale et de façon à laisser entendre que la santé, la richesse, le blanc, le chaud, le doux appartiennent au bien; et la maladie, la pauvreté, le noir, le froid, l'amer, au mal. Ce qu'il y a d'ignorance et d'irréflexion dans ce jugement, le verra qui pourra. Quant à moi, pour ne pas avoir l'air de chercher querelle à cet homme, je ne fais aucune observation sur le blanc et le noir, le chaud et 1e froid, le doux et l'amer, la santé; et la maladie. Cependant, si le blanc et le doue ! sont deux biens, et le noir et l'amer deux maux, comment se fait-il que souvent le raisin, et toujours l'olive, deviennent doux en noircissant, deviennent meilleurs à mesure qu'ils reçoivent plus die mal? De même si la chaleur et la santé sont deux biens, et le froid et la maladie deux maux, pourquoi en s'échauffant les corps deviennent-ils malades? Est-ce que par hasard un corps sain a la fièvre? Mais je passe sur ces objections. Fauste n'y a pas pensé, ou peut-être, en mentionnant ces choses, a-t-il plutôt songé à former des contrastes qu'à indiquer des biens et des maux; vu, surtout, que les Manichéens n'ont jamais dit que le feu du peuple des ténèbres fût froid, bien que sa chaleur, selon eux, soit certainement un mal.

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CHAPITRE XII. AUTRES CONTRADICTIONS DU MANICHÉISME. FABLES ABSURDES.

Mais pour ne pas insister sur ces points, venons-en à ceux de ces contraires que Fauste appelle des biens hors de toute contestation à savoir la santé, la richesse, la douceur. Il était donc dépourvu de la santé du corps, le peuple au milieu duquel ces animaux ont pu naître, croître, engendrer et vivre, tellement que quelques-uns d'entre eux (suivant ces rêveries insensées), ayant été pris et liés dans le ciel, leur portée, mise bas avant terme, tomba de ces prodigieuses hauteurs sur la terre, et put y vivre, y croître et produire ces êtres vivants, aujourd'hui innombrables ? II n'y avait donc pas de richesse dans ces lieux où les arbres pouvaient naître, non-seulement dans les eaux et dans les vents, mais même dans le feu et dans la fumée, et posséder une telle fécondité que de leurs fruits naissaient des animaux de toute espèce, vivant et se nourrissant de cette fécondité même, et donnant, par leur nombreuse progéniture, une preuve certaine de leur situation prospère? Chose d'autant plus remarquable qu'il n'y avait là aucun travail agricole, aucune intempérie d'été ni d'hiver, puisque le soleil n'y parcourait point son cercle, pour déterminer le cours des saisons de l'année. Par conséquent, la fertilité des arbres n'éprouvait aucune interruption ; l'élément et l'aliment propres à chaque espèce et qui les avaient fait croître, ne cessaient jamais de les rendre féconds et ne les laissaient pas manquer de fruits; comme nous voyons les citronniers porter toute l'année des fleurs et des fruits, si on a soin de les arroser toujours. Il y avait donc là une grande richesse, et que l'on pouvait posséder en toute sécurité : car on n'avait pas même à craindre la grêle là où il n'y avait point de ces collecteurs de lumière, que le tonnerre met en mouvement, d'après vos fables.

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CHAPITRE XIII. SUR LES ALIMENTS, LE POISON, L'ANTIDOTE; BÉVUES DE FAUSTE A CE SUJET.

Si les aliments n'avaient pas de douceur ni de goût agréable, ils n'exciteraient pas l'appétit, on ne les prendrait pas pour entretenir la vie du corps. Eu égard au tempérament de chacun, il faut en effet que la nourriture plaise où déplaise. Si elle plaît, on l'appelle douce ou agréable au goût; si elle déplaît, on la dit amère, âpre, repoussante par quelque qualité désagréable. Ne sommes-nous pas, nous hommes, ainsi constitués, que l'un aime un aliment que l'autre écarte avec horreur, soit penchant naturel, soit effet de l'habitude ou raison de santé ? A combien plus forte raison les animaux, dont la constitution physique est si différente de la nôtre, peuvent-ils trouver agréable ce que nous trouvons amer? Autrement, les chèvres grimperaient-elles pour ronger l'olivier sauvage? Car de même que, par l'effet de certaine maladie, l'homme trouve le miel amer, ainsi cette espèce d'animal trouve doux l'olivier sauvage. Voilà comment un sage observateur apprécie la valeur de l'ordre, quand chaque être rencontre ce qui lui convient; par là, il voit que tout est bon, depuis le bas jusqu'au dessus, depuis les êtres corporels jusqu'aux êtres spirituels. Ainsi donc, dans le peuple des ténèbres, quand un animal de tel ou tel élément mangeait la nourriture qui naissait dans cet élément, sans aucun doute ce rapport de convenance la lui rendait douce; mais s'il eût rencontré une nourriture empruntée à un autre élément, ce défaut de convenance eût blessé son goût. Or, si ce défaut de convenance, qu'on l'appelle amertume, âpreté, insipidité oit autrement, est porté à un tel point qu'il détruise violemment la structure ou l'harmonie du corps, et qu'il lui ôte la vie ou les forces, il prend le nom de poison, uniquement à cause du défaut de convenance, puisque la convenance se retrouve pour une autre espèce : comme par exemple, le pain, qui fait notre nourriture quotidienne, tue l'épervier qui en mange, et nous sommes tués par l'hellébore que la plupart des animaux mangent impunément. Néanmoins cette plante, employée dans une certaine mesure, est pour nous un médicament. Si Fauste savait cela ou y faisait attention, il ne donnerait pas le poison et l'antidote pour exemple dans la question des deux natures du bien et du mal, comme si Dieu était l'antidote et Hylé le poison : puisque la même chose, la même nature, prise ou employée à propos ou mal à propos, est utile ou nuisible. Par conséquent, d'après les fables des Manichéens, on pourrait dire que leur Dieu a été un poison pour le (310) peuple des ténèbres, puisqu'il y a tellement gâté les corps que, de très-fermes, il les a rendus très-faibles. Mais comme la lumière elle-même a été prise, opprimée, corrompue, ils sont devenus un poison l'un pour l'autre.

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CHAPITRE XIV. RAISONNEMENTS SUR LA DOCTRINE DES DEUX PRINCIPES.

Pourquoi donc n'appelez-vous pas ces deux choses ou deux biens ou deux maux, ou plutôt deux biens et deux maux : deux biens en eux-mêmes, deux maux l'un pour l'autre ? Plus tard nous examinerons, s'il le faut, lequel est le meilleur ou le pire. En attendant, admettons que c'étaient deux biens en eux-mêmes et voyons : Dieu régnait sur sa terre et Hylé sur la sienne. Les deux rois jouissaient de la santé ici et là; ici et là, abondance de fruits; des deux côtés, nombreuse progéniture ; chez les uns comme chez les autres, douces voluptés en rapport avec leurs natures. Mais, nous dit-on, outre que le peuple des ténèbres était ennemi de la lumière voisine, il était encore mauvais par lui-même. Cependant, j'ai déjà énuméré beaucoup de biens qu'il possédait; si vous pouvez me faire connaître ses maux, il s'ensuivra qu'il y avait deux royaumes bons, sauf que l'un était meilleur que l'autre. Mais pouvez-vous me dire quels étaient ces maux? Ils se ravageaient entre eux, dites-vous, ils se blessaient, ils se tuaient, ils se détruisaient. Si c'était là leur unique occupation, comment s'engendraient, se nourrissaient, s'élevaient de si grandes multitudes? Il y avait donc aussi, là, du repos et de la paix. Cependant, accordons que le royaume exempt de discorde était le meilleur : il est néanmoins bien plus juste d'appeler bons ces deux royaumes, que de dire l'un bon et l'autre mauvais : celui-là meilleur, où personne ne nuisait à soi-même ni aux autres; celui-ci moins bon, où, malgré une guerre intestine, chaque animal pourvoyait à sa vie, à sa santé, aux besoins de sa nature. Au fond on peut, sans trop grande disproportion, comparer à votre dieu ce prince des ténèbres, à qui personne ne résistait, au sceptre duquel tout se soumettait, dont les prédications ont attiré tout le monde toutes choses qui ne peuvent se faire sans une grande paix et une vraie concorde. Car les empires heureux sont ceux où tous sont d'accord pour obéir au souverain. Ajoutons que ce prince régnait non-seulement sur ceux de son espèce, c'est-à-dire sur les bipèdes, que vous déclarez pères des hommes, mais encore sur toute autre espèce d'animaux, lesquels obéissaient à ses moindres signes, exécutaient ses ordres, ajoutaient foi à sa parole. En débitant tout cela, vous croyez les hommes assez stupides pour attendre que vous donniez le nom de Dieu à cet autre dieu si clairement et si ouvertement dépeint. En effet, si ce prince pouvait réellement tout cela, son pouvoir était grand; s'il était ainsi honoré, sa, gloire était magnifique ; si on l'aimait, la concorde était parfaite; si on le craignait, l'ordre s était admirable. Que s'il y avait quelques maux au milieu de tous ces biens, on ne peut néanmoins appeler cela la nature du mal, à moins de ne savoir ce que l'on dit. En effet, si vous pensez que cette nature était celle du mal, parce que non-seulement elle était ennemie de l'autre nature, mais parce qu'elle contenait le mal en elle-même, ne regardez-vous donc pas comme un mal la dure nécessité où était votre dieu avant le mélange de la nature contraire, de combattre contre elle, et d'introduire dans sa gorge ses propres membres pour y être oppressés, de manière à ne pouvoir être entièrement purifié lui-même? Il y avait donc du mal dans sa nature de dieu, avant qu'il s'y mêlât quelque chose de ce que vous appelez le seul mal. En effet, ou il ne pouvait être attiré ni corrompu par le peuple des ténèbres, et alors c'était folie de sa part de subir de telles nécessités ; ou sa substance pouvait se gâter, et alors vous n'adorez pas le Dieu incorruptible que l'Apôtre prêche (1). Quoi ! cette nature qui n'était pas encore corrompue, pouvait être corrompue, et cette corruptibilité ne vous paraît pas un mal dans votre dieu !

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CHAPITRE XV. DÉFAUT DE PRESCIENCE ET DE SÉCURITÉ DANS LE DIEU DES MANICHÉENS.

D'ailleurs, qui ne voit que là, ou il n'y avait pas de prescience (et c'est à vous a voir si ce n'est pas un défaut en Dieu de n'avoir pas de prescience, et d'ignorer absolument ce qui le menace) ; ou, s'il y en avait, on manquait de

1. I Tim. I, 17.

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sécurité, on vivait dans une crainte éternelle mal énorme, vous en conviendrez sans doute. Votre dieu ne craignait-il pas de voir venir le temps où ses membres seraient tellement ravagés et souillés dans ce combat, que malgré tant d'efforts, il ne viendrait pas à bout de les délivrer et de les purifier entièrement ? Que si cela ne le regardait pas (voilà un mot bien dur, vous le sentez vous-mêmes), au moins ses membres redoutaient-ils les maux si grands qu'ils devaient souffrir dans ce monde. Ignoraient-ils donc aussi l'avenir ? Il n'y avait donc de prescience dans aucune partie de la substance de votre dieu. Comptez alors les maux qui sont dans votre souverain bien. Ou bien, ne craignaient-ils pas, parce qu'ils prévoyaient aussi que leur délivrance et le triomphe devaient s'ensuivre ? Mais du moins ils craignaient pour leurs compagnons, qu'ils savaient condamnés à être exclus de leur royaume et éternellement enchaînés sur ce globe.

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CHAPITRE XVI. LES DEUX NATURES DES MANICHÉENS SONT OU DEUX BIENS OU DEUX MAUX. DÉMONSTRATION PAR L'ABSURDE.

La charité y manquait-elle au point qu'on n'éprouvait aucun sentiment de pitié fraternelle pour ceux qui étaient menacés de supplices éternels sans les avoir mérités par aucune faute antérieure ? Quoi ! ces âmes, qui devaient être enchaînées sur ce globe, n'étaient-elles pas aussi des membres de votre dieu ? Tout au moins celles-là, dans la prévision de leur éternelle captivité, étaient en proie à la crainte, à la douleur. Ou si elles ignoraient ce point de l'avenir, il y avait donc en votre dieu une partie qui prévoyait et une partie qui ne prévoyait pas : comment cela ne formait-il qu'une seule et même substance ? Mais puisqu'il y avait, là, tant de maux, avant le mélange d'un mal étranger, pourquoi vanter dans votre dieu le bien pur, simple, souverain ? Vous êtes donc forcés de reconnaître que ces deux natures étaient en elles-mêmes ou deux biens, ou deux maux. Si vous convenez que c'étaient deux maux, nous vous permettrons de désigner celle que vous voudrez pour le plus grand mal; si au contraire vous voulez que ce fussent deux biens, dites lequel vous paraît préférable; ce sera le sujet d'une étude plus approfondie; mais qu'au moins vous renonciez à l'erreur qui vous fait dire que ces deux principes étaient deux natures, l'une bonne, l'autre mauvaise; par conséquent deux dieux, l'un bon, l'autre mauvais. Que si une chose est mauvaise parce qu'elle nuit à une autre, ces deux natures se sont nui réciproquement; l'une d'elles sera plus méchante, pour avoir la première désiré le bien d'autrui. L'une a donc fait le mal la première, et (autre a rendu le mal pour le mal non pas selon la loi du talion, oeil pour oeil (1), que vous condamnez étourdiment, mais d'une façon beaucoup plus grave. Choisissez par conséquent celle des deux qui vous paraîtra la pire : ou celle qui a voulu nuire la première, ou celle qui a voulu et pu nuire davantage. L'une, en effet, a désiré, dans la mesure de ses petites facultés, jouir de la lumière; l'autre a détruit sa rivale de fond en comble. Si celle-là eût atteint l'objet de ses désirs, elle n'en eût certes point souffert; celle-ci pour repousser à jamais l'assaut ennemi, a causé à une partie de sa propre substance un dommage considérable. C'est l'application de ce mot si connu, mentionné par l'histoire et dicté par la fureur : " Que nos amis périssent, pourvu que nos ennemis tombent en même temps (2) ". En effet, une partie de votre dieu a été condamnée à une souillure ineffaçable, afin qu'il y eût de quoi couvrir le globe où l'ennemi doit être à jamais enseveli tout vivant: car, quoique vaincu, quoique enfermé, il inspirera encore une telle crainte, une telle épouvante, qu'il faudra l'éternelle misère d'une partie du dieu pour procurer une sécurité quelconque au reste du dieu. O bonté merveilleusement innocente 1 Voilà que votre dieu, ce dieu à l'occasion duquel vous accusez si durement le peuple des ténèbres, se fait du mal à lui-même et en fait aux autres 1 C'est le reproche qui s'élève contre lui de ce globe reculé où son ennemi est enfermé, et une partie des siens clouée. Bien plus, la partie que vous appelez dieu, l'emporte en malice, puisqu'elle nuit et aux étrangers et aux siens. En effet, Hylé n'a point cherché à détruire le royaume d'autrui, mais seulement à s'en emparer; et si elle tuait quelques-uns des siens par le moyen d'autres qui lui appartenaient également, au moins elle les métamorphosait, afin qu'en mourant et en renaissant

1. Ex. XXI, 24. — 2. Cicer. pro Dejotaro.

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ils jouissent par intervalles du bonheur de vivre; tandis que Dieu, que vous dépeignez tout-puissant et tout bon, détruit les étrangers et condamne les siens pour l'éternité : et, croyance plus folle et plus étonnante encore ! Hylé blesse ses animaux dans le combat qu'elle livre, et Dieu punit ses membres dans sa propre victoire. Qu'est-ce que cela, ô hommes insensés ! Vous vous rappelez sans doute que Fauste a présenté Dieu comme un antidote, et Hylé comme un poison : et voilà que votre antidote fait plus de mal que le poison. Est-ce que Hylé enfermerait Dieu à jamais dans un globe si horrible, ou y fixerait ses propres entrailles ? Et, ce qui est plus criminel encore, calomnie-t-elle ces mêmes restes, de peur de paraître en défaut pour n'avoir pas pu les purifier? Car Manès dit dans la lettre du Fondement, que ces âmes ont mérité ce supplice parce qu'elles se sont laissées égarer loin de leur première nature lumineuse et qu'elles sont devenues ennemies de la sainte lumière, tandis que c'est Dieu lui-même qui les a poussées à s'égarer ainsi, afin que la lumière devînt ennemie de la lumière; injuste, s'il les y force malgré elles; ingrat, si elles y consentent et qu'il les condamne ensuite. Pour elles, si elles ont pu prévoir qu'elles démentiraient ainsi leur origine, tourmentées par la crainte avant la guerre, irrémédiablement souillées dans la guerre, éternellement condamnées après la guerre, elles n'ont jamais été heureuses. Si elles n'ont pas pu le prévoir, imprévoyantes avant la guerre, impuissantes dans la guerre, misérables après la guerre, elles n'ont jamais été divines. Or, évidemment Dieu était ce qu'elles étaient, d'après l'unité de substance. Pouvons-nous croire que vous compreniez la monstruosité de ces blasphèmes? Et cependant voulant justifier quelque peu la bonté de Dieu, vous prétendez qu'il communique un peu de bien à Hylé, de peur que, dans sa prison, elle ne tourne sa fureur contre elle-même. Hylé aura donc un peu de bien, alors qu'elle est sans mélange de bien? Serait-ce que comme Dieu, avant la guerre et sans mélange de mal, subissait le mal de la nécessité ; ainsi Hylé, après (la guerre et sans mélange de bien, jouira du bien du repos? Dites donc qu'il y a deux maux, dont l'un est pire que l'autre ; ou qu'il y a deux biens non souverains, dont l'un vaut mieux que l'autre, de telle sorte cependant que le meilleur soit le plus misérable. Car si cette grande guerre doit aboutir à ceci : que Hylé étant vaincue et les membres de Dieu étant attachés au globe, un peu de bien soit accordé aux ennemis, et beaucoup de mal infligé aux amis, voyez de quel côté est la victoire. Evidemment Hy1é est un poison, elle qui a pu former, fortifier, nourrir, entretenir ses animaux; et l'antidote c'est Dieu, qui a pu condamner et non guérir ses membres. Insensés, cette Hylé n'existe pas, ni ce dieu non plus. Ainsi rêvent ceux qui, ne supportant pas la saine doctrine, se tournent vers les fables (1).

1. II Tim. IV, 3.

 

 

 

LIVRE VINGT-DEUXIÈME. LE DIEU DE L’ÉCRITURE.

Le Dieu de l'Ecriture, d'après Fauste. — Crimes attribués aux Patriarches et aux Prophètes. — Augustin rétablit l'idée de Dieu, contre les reproches Manichéens. — Notions sur le péché. — Justification d'Abraham, de Sara, de Loth, d'Isaac, de Jacob, de Lia, de Rachel. — Sens mystique à saisir dans ces deux femmes et dans leurs servantes, Bala et Zelpha. — La Mandragore. — L'inceste de Juda et de Thamar. — Bénédiction de Juda. — Bons et méchants. — David. — Eloge de Moïse, de Paul, de Pierre. — Dépouillement des Egyptiens. — Sacrifice d'Abraham. — La guerre. — Moise justifié du reproche de cruauté. — Osée. — Salomon. — Sens prophétique de certaines actions même coupables, du dépouillement des Egyptiens, du veau d'or. — L'Ecriture irréprochable en tout. — apostrophe aux Manichéens.

 

 

 

CHAPITRE PREMIER. SELON FAUSTE, OU LES PATRIARCHES ET LES PROPHÈTES ONT ÉTÉ CRIMINELS OÙ LES ÉCRIVAINS SACRÉS SONT DES FAUSSAIRES.

Fauste. Pourquoi blasphémez-vous la loi et les Prophètes? - Nous n'avons aucune intention hostile, nous ne sommes nullement les ennemis de la loi ni des Prophètes, ni de personne au monde; à tel point que si vous y consentez, nous déclarerons faux tout ce qui a été écrit sur eux et nous les a rendus odieux. Mais vous n'y consentez pas, et en acceptant les dires de vos écrivains, vous accusez peut-être des Prophètes innocents, vous diffamez les Patriarches, vous déshonorez la loi, et, ce qu'il y a de plus insensé encore, vous prétendez d'une part que vos écrivains ne sont cependant pas menteurs, et, de l'autre, vous tenez pour hommes religieux et saints ceux dont ils ont raconté les crimes et la coupable conduite. Or, ces deux choses ne peuvent se concilier à la fois, il faut ou que ceux-ci aient été méchants, ou que ceux-là aient été des menteurs et des faussaires.

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CHAPITRE II. FAUSTE DISTINGUE, DANS LA LOI, LES PRÉCEPTES MORAUX ET LES RITES QU'ON Y A ATTACHÉS.

Condamnons ensemble, si cela vous plait, les écrivains et entreprenons de défendre la loi et les Prophètes. Je parle pour le moment de la loi, et non de la circoncision, ni du sabbat, ni des sacrifices, ni des autres rites judaïques, mais de ce qui forme proprement la loi, c'est-à-dire des commandements : " Tu ne tueras pas; tu ne commettras point d'adultère ; tu ne te parjureras pas (1) " et le reste. Comme cette loi était répandue chez les

1. Ex. XX, 13, 14, 16.

nations, c'est-à-dire existait depuis le commencement du monde, des écrivains hébreux se sont en quelque sorte rués sur elle, et y ont attaché une sorte de lèpre et de teigne, en y mêlant leurs abominables et infâmes prescriptions touchant la circoncision et les sacrifices. Si donc tu es vraiment ami de la loi, condamne avec moi ceux qui ont osé la souiller par un mélange de préceptes en désaccord avec elle : préceptes que vous savez parfaitement n'être ni la loi, ni une partie de la loi, autrement vous les observeriez fidèlement même après avoir embrassé la justice, ou vous avoueriez hautement que vous n'êtes point justes. Mais, tout au contraire, quand vous voulez mener une bonne conduite, vous mettez le plus grand soin à éviter les crimes défendus par les commandements, et vous ne vous inquiétez en rien de ce qui regarde les Juifs : comment vous en excuser, s'il n'est pas constant que ce n'est plus la même loi ? En résumé, si tu te fâchais quand on t'accuse d'être incirconcis, de ne pas observer le sabbat, comme tu t'irrites et te crois gravement insulté quand on t'accuse de ne pas tenir compte du commandement: " Tu ne tueras pas ", ou : " Tu ne commettras pas d'adultère " ; on verrait alors clairement qu'il y a, ici et là, précepte et loi de Dieu. Mais maintenant, tu te vantes et te glorifies de l'observation des uns, et tu ne redoutes nullement l'infraction des autres, puisque tu les condamnes. Il est donc évident, que, comme je l'ai dit, ces rites ne sont pas la loi, mais la tache et la teigne de la loi, et si nous les condamnons, c'est comme faux et non comme légitimes. Et cela n'outrage ni la loi, ni l'auteur de la loi; mais l'origine remonte à ceux qui ont inscrit le nom de l'un et de l'autre en tête de leurs prescriptions criminelles. Et si parfois notre blâme atteint le nom révéré de la loi, quand nous (314) combattons les préceptes judaïques, la faute en est à vous qui n'admettez aucune distinction entre les institutions hébraïques et la loi. Rendez donc à la loi sa dignité propre, détachez-en les turpitudes judaïques comme on coupe des verrues, rejetez sur les écrivains le crime de l'avoir déformée, et vous verrez aussitôt que nous sommes les ennemis du judaïsme et non de la loi. C'est ce mot de loi qui vous trompe, parce que vous ne savez pas précisément à quoi vous devez l'attribuer.

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CHAPITRE III. LES ÉCRIVAINS DE L'ANCIEN TESTAMENT ONT SOUILLÉ LA MÉMOIRE DES PATRIARCHES ET DES PROPHÈTES.

Je ne vois pas non plus pourquoi vous vous figurez que nous blasphémons vos Prophètes et vos Patriarches. Si nous avions écrit ou dicté tout ce que nous lisons d'eux en fait de crimes, votre accusation serait raisonnable; mais quand ce sont eux-mêmes qui ont outragé dans leurs écrits l'honnêteté des moeurs, qui ont cherché à se glorifier du vice, ou quand ces écrits proviennent de leurs pairs et compagnons, de quoi nous accuse-t-on ? Nous détestons et condamnons des actes injustes dont les auteurs se reconnaissent coupables, de leur plein gré, sans qu'on les interroge; ou si ce sont là des inventions d'écrivains méchants et jaloux, qu'on condamne ces écrivains, qu'on proscrive leurs livres, qu'on lave la mémoire des Prophètes d'une odieuse calomnie, qu'on rétablisse la grave et imposante autorité des Patriarches.

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CHAPITRE IV. DIEU, TEL QUE CES ÉCRIVAINS L'ONT DÉPEINT, SELON FAUSTE.

Assurément, il a bien pu se faire que des hommes capables de forger tant de fictions impudentes sur Dieu, de nous le montrer, tantôt vivant dans des ténèbres éternelles, puis frappé d'admiration à l'aspect de la lumière; tantôt ignorant l'avenir au point de donner à Adam un commandement que celui-ci ne devait pas garder; tantôt ayant la vue courte jusqu'à ne pas voir ce même Adam qui; honteux de sa nudité, s'était caché dans un coin du paradis; tantôt envieux, et craignant que l'homme ne vive éternellement, s'il vient à manger du fruit de l'arbre de vie; tantôt avide du sang et de la graisse de toutes sortes de victimes, et jaloux si on en offre à d'autres qu'à lui ; tantôt irrité alternativement contre les étrangers, ou contre les siens ; tantôt tuant des milliers d'hommes pour des fautes légères ou nulles; tantôt menaçant de venir armé du glaive et de n'épargner personne, ni juste ni pécheur ; il a bien pu se faire, dis-je, que des écrivains capables de débiter tant d'insolences contre Dieu, aient aussi forgé des mensonges sur le compte des hommes de Dieu.

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CHAPITRE V. CRIMES ATTRIBUÉS A ABRAHAM, A ISAAC, A JACOB, A JUDA, A DAVID, A SALOMON, A OSÉE, A MOÏSE, PAR LES ÉCRIVAINS SACRÉS.

Du reste, ce n'est pas nous qui avons écrit d'Abraham que, brûlant d'un désir insensé d'avoir des enfants, et ne se fiant point à Dieu qui lui en avait promis de Sara, son épouse, il se vautra dans la fange avec une concubine, au su (ce qu'il y a de plus affreux) de sa propre femme (1). Ce n'est pas nous qui avons écrit que, par la plus infâme des spéculations, par avarice et par gourmandise, il livra à deux rois, Abimélech et Pharaon, en des temps différents, en qualité de concubine, cette même Sara sa femme, qui était très-belle, après l'avoir fait passer pour sa soeur (2); ni que Loth, son frère, délivré de Sodome, eut un commerce charnel avec ses deux filles sur la montagne (3); et mieux eût valu pour lui mourir du feu du ciel dans Sodome que de brûler de la flamme impure sur la montagne. Ce n'est pas nous qui avons écrit qu'Isaac fit la même chose que son père à l'égard de Rébecca, son épouse, en, disant qu'elle était sa soeur, pour conserver par là ignominieusement sa vie (4); ni que Jacob, son fils, entre Rachel et Lia, deux soeurs, puis entre leurs deux servantes, mari de quatre femmes, passait de Tune à l'autre comme un bouc; en sorte que c'était, entre ces quatre femmes perdues, un débat quotidien à qui partagerait son lit quand il rentrerait de la campagne, et que quelquefois elles se le cédaient pour une nuit, à prix convenu (5) ; ni que Juda, son fils, eut un commerce impur avec Thamar sa bru, et veuve de ses deux premiers enfants, trompé,

1. Gen. XVI, 2-4. — 2. Id. XX, 2 ; XII, 13. — 3. Id. XIX, 33, 35. — 4. Id. XXVI, 7. — 5. Id. XXIX, XXX.

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raconte-t-on, par l'habit de prostituée dont elle s'était revêtue (1), parce qu'elle savait parfaitement que son beau-père était en rapport habituel avec des femmes de cette espèce; ni que David, ayant déjà tant de femmes, commit l'adultère avec celle d'Urie, un de ses soldats, qu'il fit périr dans le combat (2) ; ni que Salomon, son fils, eut trois cents femmes, sept cents concubines et des filles de rois sans nombre (3); ni que Osée, le premier des Prophètes, eut des enfants d'une prostituée, et que (chose plus abominable ! ) c'est Dieu qu'on accuse de lui avoir conseillé cette infamie (4); ni que Moïse commît un homicide (5), qu'il dépouilla l'Egypte, qu'il fit des guerres, qu'il commanda et exerça beaucoup de cruautés (6), et ne se contenta pas, lui non plus, d'une seule femme. Ces faits, dis-je, et d'autres semblables, mentionnés dans les divers livres des Juifs, ce n'est pas nous qui les avons écrits, ce n'est pas nous qui les avons dictés ; mais ce sont ou des calomnies de vos écrivains, ou de véritables crimes commis par vos pères, choisissez. Pour nous, nous sommes forcés de détester également ou les uns ou les autres ; car nous ne haïssons pas moins les méchants et les libertins que les faussaires.

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CHAPITRE VI. LES MANICHÉENS NE COMPRENNENT PAS QU'UNE PARTIE DE LA LOI DEVAIT SUBSISTER ET L'AUTRE DISPARAÎTRE.

Augustin. Vous ne comprenez ni les sacrements de la loi, ni les actions des Prophètes, parce que vous n'avez aucune notion de la sainteté ni de la justice. Mais nous avons déjà parlé plus d'une fois et bien au long des préceptes et des sacrements de l'Ancien Testament, nous attachant à faire comprendre qu'il y avait en eux deux parties : l'une qui devait s'accomplir en réalité par la grâce du Nouveau Testament, l'autre qui devait se montrer accomplie et disparaître devant la manifestation de la vérité. Ainsi, par exemple, le précepte de l'amour de Dieu et du prochain était pris de la loi pour être perfectionné, tandis que la circoncision et les autres sacrements de ce genre démontraient, par leur suppression, que les promesses de la loi étaient remplies. En effet, le précepte faisait

1. Gen. XXXVIII. — 2. II Rois, XI, 4, 15. — 3. III Rois, XI, 1-3. — 4. Os. I, 2, 3. — 5. Ex. II, 12. — 6. Id. XVII, 9, etc.

des coupables afin de leur inspirer le désir du salut, et la promesse donnait de la solennité aux figures pour tenir dans l'attente du Sauveur ; ainsi, par l'avènement du Nouveau Testament, la grâce devait délivrer les coupables, et la manifestation de la vérité faire disparaître les figures. La loi qui a été donnée par Moïse est devenue la grâce et la vérité par Jésus-Christ (1) : la grâce, afin que, les péchés étant remis, les commandements fussent observés par le don de Dieu ; la vérité, pour que, les observances symboliques ayant cessé, ce qui avait été promis sur la parole de Dieu même, apparût enfin.

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CHAPITRE VII. LEUR ININTELLIGENCE COMPARÉE A CELLE DU SOURD ET DE L'AVEUGLE.

Par conséquent ceux qui, blâmant ce qu'ils ne comprennent pas, appellent lèpre, teigne, verrues, les promesses données en figures par la loi, ressemblent à des hommes qui dédaignent ce dont ils ne connaissent pas l'utilité : à un sourd, par exemple, qui voyant les mouvements de lèvres de ceux qui parlent, les critiquerait comme inutiles ou comme difformes; ou à un aveugle qui, entendant vanter une maison, voudrait, en la palpant, s'assurer de ce qu'on dit, en trouverait les murs unis, puis, rencontrant les fenêtres, les blâmerait comme une solution de continuité et les considérerait comme des brèches ruineuses.

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CHAPITRE VIII. LUMIÈRE INCRÉÉE, LUMIÈRE CRÉÉE.

Mais comment prouver que les actions des Prophètes ont été elles-mêmes prophétiques et mystérieuses, et le faire comprendre à des hommes assez insensés pour s'imaginer que nous croyons que notre Dieu a été un jour dans les ténèbres, parce qu'il est écrit : " Les ténèbres couvraient la face de l'abîme (2) ", comme si pour nous Dieu eût été cet abîme où les ténèbres régnaient, parce que la lumière n'y était pas avant que Dieu l'eût créée d'un mot? Mais comme ils ne distinguent pas la lumière qui est Dieu lui-même de la lumière que Dieu a faite, ils s'imaginent qu'il était lui-même dans les ténèbres avant de créer la lumière, parce que les ténèbres trouvaient

1. Jean, I, 17. — 2. Gen. I, 2.

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l’abîme avant qu'il eût dit: " Que la lumière soit, et la lumière fut (1) ". Pourtant, comme dans le Nouveau Testament, on dit l'un et l'autre de Dieu : puisque d'un côté nous y lisons : " Dieu est lumière et en lui il n'y a point de ténèbres (2) ", et de l'autre: " Ce Dieu qui commanda que des ténèbres jaillît la lumière, a lui dans nos coeurs (3) "; de même, dans l'Ancien Testament, on dit, d'une part, de la sagesse de Dieu qui certainement n'a point été faite, puisque tout a été fait par elle (4) : " Elle est la splendeur de la lumière éternelle (5) " ; et, d'autre part, en parlant d'une certaine lumière qui ne peut provenir que d'elle : " Vous ferez luire le flambeau qui m'éclaire; mon Dieu, vous illuminerez mes ténèbres (6) "; absolument comme quand Dieu disait au commencement, alors que les ténèbres régnaient sur l'abîme: " Que la lumière soit, et la lumière fut " ; lumière que pouvait seule créer la lumière source de lumière, qui est Dieu.

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CHAPITRE IX. DIEU EST LUMIÈRE ET SOURCE DE TOUTE LUMIÈRE.

Car de même que Dieu suffit à se rendre éternellement heureux et peut faire des heureux de l'abondance de son bonheur, ainsi il est à lui-même son éternelle lumière et, de l'abondance de sa lumière, il peut éclairer : ne désirant point le bien d'un autre, puisque toute bonne volonté jouit de lui ; ne craignant point le mal d'un autre, puisque toute mauvaise volonté est abandonnée par lui; en sorte que celui qui est heureux par l'effet de sa bonté, ne lui procure aucun surcroît, et que celui qui est malheureux par suite de son jugement, ne lui cause aucune terreur. Ce Dieu, Manichéens, vous ne l'adorez pas; vous êtes bien loin de lui, occupés à poursuivre vos fantômes, produits nombreux et variés de votre coeur présomptueux et vagabond, qui ne reçoit que la lumière des astres matériels par les yeux du corps. Cette lumière, quoique créée par Dieu, ne peut en aucune façon être comparée à cette autre lumière dont Dieu éclaire les âmes pieuses, pour qui il fait jaillir la lumière du sein des ténèbres comme la justice du milieu de l'impiété : mais à combien plus forte raison est-elle au-dessous de la lumière inaccessible, qui a créé tout cela?

1. Gen. I, 3. — 2. I Jean, I, 5. — 3. II Cor. IV, 6. — 4. Jean, I, 5. — 5. Sag. VII, 26. — 6. Ps. XVII, 29.

Et pourtant elle n'est point inaccessible pour tous : Car " Heureux les miséricordieux, parce qu'ils verront Dieu (1) ". Or, " Dieu est lumière, et en lui il n'y a point de ténèbres"; mais, selon Isaïe, les impies ne verront pas la lumière (2). C'est donc pour eux qu'est inaccessible cette lumière source de lumière, qui a créé, non-seulement la lumière spirituelle dans les âmes des saints, mais aussi la lumière corporelle, dont il n'interdit pas la jouissance aux méchants, puisqu'il la fait lever sur les bons et sur les méchants (3).

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CHAPITRE X. QUELLE EST LA LUMIÈRE QUE DIEU A CRÉÉE? QUESTION CONTROVERSÉE.

Comme donc les ténèbres couvraient la face de l'abîme, celui qui était la lumière dit: " Que la lumière soit ! " Quelle est la lumière qui a créé la lumière, on n’en peut douter; car il est positivement écrit : " Dieu dit "; mais quelle est la lumière qu'il a créée, cela n'est pas aussi clair. Est-ce celle qui est dans les esprits des Anges, c'est-à-dire Dieu a-t-il alors créé ces esprits raisonnables? Ou bien est-ce une certaine lumière matérielle, placée, bien loin de nos regards, dans les parties les plus élevées de ce monde? C'est une question paisiblement controversée entre ceux qui s'appliquent à l'étude des divines Ecritures, Car c'est le quatrième jour que Dieu a créé ces brillants flambeaux du ciel. De plus, ont-ils été créés avec leur lumière? Où ont-ils été allumés à la lumière déjà créée? C'est encore une question. Assurément une lumière quelconque a été faite quand, les ténèbres couvrant la face de l'abîme, Dieu dit : Que la " lumière soit ! " Mais quiconque lit les saintes lettres avec la piété qui rend digne de les comprendre, ne peut douter que la lumière créée soit l'oeuvre de la lumière créatrice.

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CHAPITRE XI. DIEU N'A JAMAIS ÉTÉ DANS LES TÉNÈBRES.

Il ne faut pas s'imaginer que Dieu, avant de créer la lumière, habitait dans les ténèbres, parce que " l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux (4) ", après qu'on avait d'abord dit: " Les ténèbres couvraient la face de l'abîme". Par abîme, on entend une immense

1. Matt. V, 8. — 2. Is. LIX, 9, 10. — 3. Matt. V, 45. — 4. Gen. I, 2.

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profondeur d'eau. C'est ce qui peut donner occasion à la sagesse charnelle de supposer que l'Esprit de Dieu, dont on dit : " Il reposait sur les eaux ", habitait dans les ténèbres qui couvraient la face de l'abîme : cette sagesse ne comprenant pas comment la lumière luit dans les ténèbres sans que les ténèbres la comprennent (1), à moins que les ténèbres ne deviennent lumière par la parole de Dieu et qu'on ne leur dise : " Autrefois vous étiez ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur (2) ". Or, si des intelligences raisonnables, aveuglées par une volonté impie, ne peuvent comprendre la lumière de la sagesse de Dieu qui est présente partout, éloignées qu'elles en sont par l'affection et non par l'espace : qu'y a-t-il d'étonnant à ce que l'Esprit de Dieu qui était porté sur les eaux, fût aussi porté sur les ténèbres des eaux, à une distance immense, mais de substance et non d'espace?

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CHAPITRE XII. COMMENT DIEU A TROUVÉ SES OEUVRES BONNES, CE QUE NE PEUT FAIRE LE DIEU DES MANICHÉENS.

Je sais bien que je chante ici pour des sourds. Cependant je ne désespère pas que mes chants rencontrent une oreille docile, ouverte par le Seigneur, de qui tout ce que nous disons tient son caractère de vérité. Mais quels juges des divines Ecritures, que des hommes qui trouvent mauvais que Dieu ait jugé bons ses ouvrages, et qui le critiquent comme ayant été frappé d'admiration à l'aspect de la lumière à laquelle il n'était point habitué; tout cela parce qu'il est écrit: " Dieu vit que la lumière était bonne (3) ? " Dieu approuve ses ouvrages, parce qu'ils lui plaisent, et c'est là voir qu'ils sont bons : car il n'est point forcé d'agir contre son gré, de manière à faire ce qui ne lui plaît pas; pas plus qu'il n'agit par imprévoyance et par méprise, de manière à être mécontent d'avoir agi. Mais comment les Manichéens ne trouveraient-ils pas mauvais que notre Dieu ait vu que son oeuvre était bonne, quand le leur, après avoir précipité ses propres membres dans les ténèbres, s'est mis un voile devant les yeux? Il n'a pas vu que son oeuvre était bonne; mais il n'a pas voulu la voir, parce qu'elle était mauvaise.

1. Jean, I, 5. — 2. Eph, V, 3. — 3. Gen. I, 4.

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CHAPITRE XIII. DIEU A APPROUVÉ SON OEUVRE ET NE L'A POINT ADMIRÉE. JÉSUS-CHRIST A ÉPROUVÉ DE L'ADMIRATION.

Fauste dit positivement que notre Dieu fut frappé d'admiration, et cela n'est pas écrit car, parce qu'on voit que son oeuvre est bonne, il ne s'ensuit pas nécessairement qu'on l'admire. Nous voyons, en effet, bien des choses bonnes, sans les admirer comme si elles étaient contre toute attente ; mais seulement nous les approuvons, parce qu'elles sont ce qu'elles doivent être. Du reste, nous prouvons à nos adversaires, non par l'Ancien Testament, qu'ils dénigrent méchamment, mais par le Nouveau, qu'ils admettent, pour tromper les ignorants, que Dieu a éprouvé de l'admiration. En effet, ils reconnaissent que le Christ est Dieu : doucereuse amorce qu'ils mettent dans leur filet, pour y attirer les âmes vouées au Christ. Or, le Christ a admiré, donc Dieu a admiré : car il est écrit que le Christ, voyant la foi du centurion, " fut dans l'admiration et dit à ses disciples : En vérité, je vous le dis, je n'ai pas trouvé une si grande foi dans Israël (1) ". Nous avons expliqué du mieux que nous avons pu ces paroles : " Dieu " vit que c'était bon " ; d'autres pourront faire mieux encore : mais que les Manichéens nous expliquent à leur tour pourquoi Jésus a admiré une chose qu'il avait prévue avant qu'elle arrivât, et qu'il connaissait avant de l'entendre. Du reste, bien qu'il y ait une différence entre voir qu'une chose est bonne et l'admirer, cependant, il y a entre ces, deux affections une certaine analogie, puisque Jésus a admiré la lumière de la foi qu'il avait lui-même créée dans le coeur de ce centurion : lui qui est la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde (2).

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CHAPITRE XIV. UN PAÏEN POURRAIT RETOURNER CONTRE LE NOUVEAU TESTAMENT LES OBJECTIONS QUE FAUSTE FAIT CONTRE L'ANCIEN.

Un païen impie pourrait certainement calomnier et critiquer le Christ dans l'Evangile, comme Fauste l'a fait pour Dieu dans l'Ancien Testament. Il pourrait, en effet, accuser le Christ d'imprévoyance, non-seulement pour

1. Matt. VIII, 10. — 2. Jean, I, 9.

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avoir admiré la foi du centurion, mais aussi pour avoir choisi entre ses disciples Judas, qui ne devait point observer ses commandements (1) : comme Fauste blâme Dieu d'avoir donné à l'homme dans le paradis un précepte que celui-ci ne devait point garder (2). Le païen pourrait encore ajouter que le Christ n'a pas su deviner qui l'avait touché, quand la femme affligée d'un flux de sang toucha le bord de son vêtement, comme Fauste accuse Dieu de n'avoir pas su où se cachait Adam. Il me semble que Dieu a dit : " Adam, où es-tu (3)? " comme le Christ a dit : " Qui m'a touché (4)? " Le païen appellerait également le Christ envieux et dirait que lui aussi a eu peur que si les cinq vierges folles entraient dans son royaume, elles ne vécussent éternellement, puisqu'il leur ferma si sévèrement la porte qu'il n'ouvrit pas même quand elles frappaient (5), comme s'il eût oublié cette promesse faite par lui : " Frappez, et on vous ouvrira (6) "; absolument comme Fauste accuse Dieu de jalousie et de crainte, parce qu'il n'a point admis le pécheur à la vie éternelle. Il l'accuserait aussi d'être avide, non du sang des animaux, mais de celui de l'homme, puisqu'il a dit : " Quiconque aura perdu son âme à cause de moi, la retrouvera pour la vie éternelle (7)", comme il a plu à Fauste de calomnier Dieu à l'occasion des sacrifices qui promettaient, en figure, le sacrifice du sang qui nous a rachetés. Il blâmerait aussi le zèle du Sauveur, parce que l'Evangéliste, à l'occasion de la circonstance où il chassa du temple à coups de fouet les acheteurs et les vendeurs, rappelle que c'est de lui qu'il a été écrit : " Le zèle de votre maison me dévore (8) " ; comme Fauste blâme le zèle que Dieu mettait à défendre qu'on offrit des sacrifices à d'autres qu'à lui. Il dirait que le Christ s'est irrité contre les siens et contre les étrangers : contre les siens, puisqu'il a dit : " Le serviteur qui connaît la volonté de son maître et ne fait pas ce qu'il doit faire, recevra un grand nombre de coups (9) "; contre les étrangers, puisqu'il a dit : " Lorsque quelqu'un ne vous recevra point, secouez sur lui la poussière de vos chaussures; en vérité, je vous le dis : il y aura moins à souffrir pour Sodome au jour du jugement que pour cette ville (10) "; comme

1. Jean, V, 71. — 2. Gen. II, 16, 17, III, 6 . — 3. Gen. III, 9. — 4. Luc VIII, 44, 45. — 5. Matt. XXV, 11, 12. — 6. Ibid. VII, 7. — 7. Id. X, 29. — 8. Jean, II, 15, 17. — 9. Matt. X, 14, 15. — 10. Ibid.

Fauste accuse Dieu de se fâcher, tantôt contre les étrangers, tantôt contre les siens : ce que l'Apôtre confirme des uns et des autres, en disant : " Car tous ceux qui ont péché sans la loi, périront sans la loi; et tous ceux qui ont péché dans la loi, seront jugés par la loi (1) ". Le païen accuserait encore le Christ d'être meurtrier, de répandre le sang d'un grand nombre pour des fautes légères ou nulles: car ce serait pour lui une faute légère ou nulle d'être entré dans la salle du festin sans la robe nuptiale (et cependant, pour cela, notre roi, d'après l'Evangile, fait jeter un homme, pieds et poings liés, dans les ténèbres extérieures (2)) ; ou de ne pas reconnaître le Christ pour roi, péché dont il est dit : " Et pour ceux qui n'ont pas voulu que je régnasse sur eux, amenez-les et tuez-les devant moi (3) " ; de même que Fauste accuse Dieu dans l'Ancien Testament, et trouve qu'il a tué des milliers d'hommes pour des fautes légères ou nulles. Quant au reproche que ce même Fauste fait à Dieu d'avoir menacé de venir, le glaive à la main, et de n'épargner ni juste ni pécheur, comment le païen ne le ferait-il pas en entendant Paul dire : " Parce qu'il n'a pas épargné son Fils, mais qu'il l'a livré pour nous tous (4) "; en entendant Pierre parler des grandes tribulations et du meurtre des saints, et dire, pour nous exhorter à souffrir : " Voici le temps où doit commencer le jugement par la maison de Dieu ; et s'il commence par nous, quelle sera la fin de ceux qui ne croient pas à l'Evangile du Seigneur ? Et si le juste est à peine sauvé, l'impie et le pécheur, où se présenteront-ils (5) ? " Car quoi de plus juste que le Fils unique ? Et cependant le Seigneur ne l'a point épargné. Et que Dieu n'épargne point les justes, mais les purifie par diverses tribulations, est-il rien de plus évident, puisqu'il est dit ouvertement : " Et si le juste est à peine sauvé? " Car on ne lit pas seulement dans l'Ancien Testament : " Dieu corrige celui qu'il aime et il châtie l'enfant qu'il reçoit (6) "; et encore : " Si nous avons reçu les " biens de la main du Seigneur, pourquoi n'en recevrions-nous pas les maux (7)? " mais on lit aussi dans le Nouveau : " Pour moi, je reprends et je châtie celui que j'aime (8) " ; et ailleurs : " Que si nous nous jugions nous-

1. Rom. II, 12. — 2. Matt. XXII, 11-13. — 3. Luc, XIX, 27. — 4. Rom. VIII, 32. — 5. I Pier. IV, 17, 18. — 6. Prov. III, 12. — 7. Job, II, 10. — 8. Apoc. III, 19.

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mêmes, nous ne serions point jugés par le " Seigneur; et lorsque nous sommes jugés, " c'est par le Seigneur que nous sommes re" pris, afin que nous ne soyons pas condamnés avec le monde (1) ". Et cependant, si le païen blâmait dans le Nouveau Testament ce que les Manichéens blâment dans l'Ancien, ceux-ci n'en prendraient-ils pas la défense? Et s'ils en venaient à bout, pourquoi critiquer d'un côté ce qu'ils défendraient de l'autre? Et s'ils n'en pouvaient venir à bout, pourquoi ne pas permettre, pour l'un comme pour l'autre Testament, que ce que les impies y trouvent de mauvais sans le comprendre, les hommes pieux, sans le comprendre davantage, le trouvent bon quoique mystérieux?