QUESTIONS SUR L' HEPTATEUQUE

 

 

 

Cette traduction est l'oeuvre de M. l'abbé POGNON

In Oeuvres complètes de Saint Augustin, Tome Quatrième, p. 375-589, Bar-Le-Duc, 1866

 

 

 

 

 

LIVRE SIXIÈME. *

QUESTIONS SUR JOSUÉ *

LIVRE SEPTIÈME. *

QUESTIONS SUR LES JUGES. *

ANNOTATIONS SUR LE LIVRE DE JOB *

ANNOTATIONS SUR LE LIVRE DE JOB (1). *

CHAPITRE PREMIER. — Prospérité de Job; tentation du démon ; premières épreuves. *

CHAPITRE II — Nouveaux malheurs ; résignation. *

CHAPITRE III. — Cris arrachés, par la douleur: vanité des grandeurs humaines. *

CHAPITRE IV. — Eliphaz de Théman reproche à Job son peu de fermeté et l'injure qu'il fait à Dieu. *

CHAPITRE V. — Suite du discours précédent: Dieu punit les méchants. *

CHAPITRE VI. — Paroles de Job ; sa justification. *

CHAPITRE VII. — Nouvelles preuves de l'innocence de Job. — Grandeur de ses maux. *

CHAPITRE VIII. — Job doit confesser ses fautes. — Paroles de Baldad de Sueh. *

CHAPITRE IX. — Réponse de Job. *

CHAPITRE X.. — Plaintes et prière de Job. *

CHAPITRE XI. — Reproches outrageants. Paroles de Sophar le Minéen. *

CHAPITRE XII. — Paroles de Job *

CHAPITRE XIII. — Faux raisonnements des accusateurs de Job. *

CHAPITRE XIV. — Brièveté et misères de la vie humaine ; espoir de la résurrection. *

CHAPITRE XV. — Job accusé de blasphème. — Paroles d'Éliphaz de Théman. *

CHAPITRE XVI. — Reproches de Job à ses consolateurs importuns; il est innocent. — Paroles de Job. *

CHAPITREXVII. — Exhortations à ses faux amis; la mort est l'objet de son désir *

CHAPITRE XVIII. — Nouveaux reproches de Baldad : les maux ne sont infligés qu'aux méchants. Paroles de Baldad de Sueh. *

CHAPITRE XIX. — Job veut exciter ses accusateurs à la compassion et les convaincre de son innocence. — Paroles de Job. *

CHAPITRE XX. — Sophar sur le point d'être persuadé de l'innocence de Job retombe dans ses invectives. — Paroles de Sophar le Minéen *

CHAPITREXXI. — La conduite de Dieu étonne Job, mais ne saurait prouver sa cupabilité. — Paroles de Job. *

CHAPITRE XXII. — Injures et calomnies d'Eliphax à ce sujet. — Paroles d'Eliphaz de Théman. *

CHAPITRE XXIII. — Dieu seul connaît le coeur et les sentiments de Job. — Paroles de Job. *

CHAPITRE XXIV. — Jugements de Dieu cachés aux hommes. *

CHAPITRE XXV. — Baldad taxe d'orgueil Job qui se dit pur aux deux du Seigneur. — Paroles de Baldad le Sueh. *

CHAPITRE XXVI. — Job connaît la grandeur de Dieu; ce n'est ni à lui ni à Baldad à donner des conseils au Tout-Puissant. — Paroles de Job. *

CHAPITRE XXVII. — Grandes leçons de Job. *

CHAPITRE XXVIII. — L'homme méconnaît la vraie sagesse, elle réside en Dieu. *

CHAPITREXXIX. — Retour sur sa vie passée. *

CHAPITRE XXX. — Changement de fortune; la vue de ses malheurs attendrira le Seigneur. *

CHAPITRE XXXI. — Job a observé toute la Loi. *

CHAPITRE XXXII. — Indignation d'Eliu deBuz, en entendant la justification de Job. — Paroles d'Eliu de Buz. *

CHAPITRE XXXIII. — Autres reproches d'Eliu; il excité Job à l'humilité et à l'aveu de ses fautes. *

CHAPITRE XXXIV. — Eliu indigné continue d'insulter Job ; il prie Dieu de ne le point épargner. *

CHAPITRE XXXV. — Leçons d'Eliu à Job blasphémateur et impie. *

CHAPITRE XXXVI. — Exhortations d'Eliu de Buz, pour amener Job à des sentiments de pénitence. *

CHAPITRE XXXVII. — Description de la sagesse, de la grandeur et de la puissance de Dieu par Eliu de Buz. *

CHAPITRE XXXVIII. — Le Seigneur reproche à Job ses discours inconsidérés. *

CHAPITRE XXXIX. — Interrogations du Seigneur à Job sur la nature et les propiétés de certains animaux. *

 

 

LIVRE SIXIÈME.

QUESTIONS SUR JOSUÉ

PREMIÈRE QUESTION (JOSUÉ, I, 5.) Dieu punit en ce monde certaines fautes légères qu'il trouve dans les saints. — Le Seigneur dit à Jésus, fils de Navé : " Je serai avec toi, comme j'étais avec Moise. " Ce n'est pas là le seul témoignage décerné à Moise après sa mort ; mais le Deutéronome atteste fréquemment qu'il fut un serviteur agréable à Dieu : toutefois la vengeance divine s'accomplit sur lui, puisqu'il n'entra point dans la terre promise (1). Cela nous donne à entendre que Dieu, quand il a quelque sujet de mécontentement contre ses fidèles serviteurs, les châtie dans le temps présent,et néanmoins les met au nombre de ceux qui

1 Deut. XXXII, 48-52; XXXIV, 4, 5.

sont " des instruments honorables et utiles dans sa maison (1), " et participent aux promesses des saints.

II. (Ib. I,11 ; III 7.) Dans la conduite du peuple, Dieu laissa certaines choses à l'initiative de Moïse et de Josué. — On demande comment, après que le Seigneur eût parlé à Jésus, fils de Navé, pour l'exhorter, l'affermir et lui assurer qu'il serait toujours avec lui, ce même Jésus commanda au peuple, par l'intermédiaire des officiers, de préparer des vivres, parce que dans trois jours on devait passer le Jourdain, qui ne l'ut passé en réalité que longtemps après (2). En effet, quand Josué eût donné cet ordre, il envoya des espions à Jéricho, par-

1 II Tim. II, 21. — 2 Jos. II,1.

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ce que cette ville était située sur le bord opposé du fleuve: ces espions allèrent loger dans la maison de Raab, la femme débauchée; ils furent cachés par elle, et ils échappèrent aux recherches du roi, grâce à cette même femme, qui les fit descendre par une fenêtre, et leur conseilla de demeurer trois jours cachés dans les montagnes (1). Or, quatre jours s'écoulèrent dans ces démarches; puis, quand ils eurent raconté ce qui leur était arrivé, Josué décampa dès le matin avec tout le peuple (2); étant venu ensuite jusqu'au Jourdain il y fit halte: c'est alors que le peuple fut averti pour la seconde fois, de se tenir prêt à passer le Jourdain dans trois jours à la suite de l'Arche du Seigneur. On voit donc une disposition toute personnelle de Josué dans l'avis qu'il donne au peuple de préparer des vivres, comme si le passage du fleuve devait s'opérer effectivement dans trois jours. Humainement parlant, il pouvait compter le faire, si les espions revenaient promptement. On voit, malgré le silence de l'Écriture à cet égard, que le reste s'accomplit suivant les dispositions de bien, afin que Josué commençât à être glorifié devant le peuple et qu'on rocou mit que le Seigneur était avec lui comme avec Moise. C'est, en effet, suivant le texte sacré, ce qui lui fut révélé, au moment où il allait passer le Jourdain : " Alors le Seigneur dit à Josué: Je commencerai à t'élever aujourd'hui devant tous les enfants d'Israël, afin que l'on sache que je suis avec toi, comme j'ai été avec Moise (3). " Il ne doit pas d'ailleurs paraître incroyable que Dieu ait voulu laisser quelque chose à l'initiative personnelle des hommes à qui il daignait adresser la parole, pourvu qu'ils se missent avec confiance sous sa conduite; ni que leurs dispositions aient été parfois modifiées par la providence de Celui qui les dirigeait. C'est ainsi que Moise lui-même avait assurément suivi une inspiration tout humaine, quand il crut pouvoir rendre la justice au peuple, et entreprendre, sans inconvénient pour lui ni pour les autres, une tâche aussi considérable (4) : résolution qu'il dut abandonner sur un ordre d'en-haut, quand son beau-père lui eut donné à ce sujet un conseil qui fut approuvé de Dieu.

III. (Ib. III, 3, 4,15.) Sur le passage du Jourdain. — Les officiers publics dirent au peuple: " Lorsque vous verrez l'arche de l'alliance du Seigneur notre Dieu, et nos prêtres et nos Lévites qui la porteront, mettez-vous en marche et suivez-la;

1 Ib. III, 1. — 2 Ib. . — 3 Jos. III, 7. — 1 Ex. XVIII, 14-26 etc.

mais il y aura un long intervalle entre elle et vous, vous vous tiendrez à la distance de deux mille coudées, afin de ne pas en approcher et de savoir le chemin que vous parcourez à sa suite. Car vous n'avez jamais passé par ce chemin. " Il faut que l'arche soit portée à une longue distance en avant, pour qu'elle soit visible à tout le peuple. En effet, une multitude aussi considérable n'aurait pu l'apercevoir ni la suivre, si ses rangs s'étaient trop pressés derrière elle. Il y a lieu de conclure de ce fait, que la colonne de nuée, qui naguère donnait le signal du départ et éclairait la marche, avait cessé de paraître (1): de là cet ordre, inspiré par une prévision tout humaine, de se tenir prêt à partir dans trois jours (2). Maintenant donc que la nuée, qui tenait lieu, pour ainsi dire, d'étendard, a disparu, le peuple, guidé par Josué, suit l'arche du Seigneur. " Or le Jourdain était à pleins bords, comme aux jours de la moisson du froment (3). " Ceci ne parait pas croyable, eu égard à ce qu'on voit dans nos pays. Mais dans ces contrées, de l'aveu des savants, les froments se récoltent au commencement du printemps, et à cette époque de l'année, les eaux du fleuve grossissent plus même que pendant l'hiver.

IV. (Ib. IV, 7.) Comment le monument, qui rappellera de passage du Jourdain, sera-t-il éternel ? — " Ces pierres seront pour les enfants d'Israël un monument éternel. " Comment éternel, puisque " le ciel et la terre passeront (4) ? " Est-ce parce que ce qu'elles signifient tient en quelque chose de l'éternité, puisqu'elles-mêmes ne peuvent durer toujours ? Il est possible toutefois de traduire le grec, eos tou aionos, par usque in saeculum, jusqu'à la fin des siècles, ce qui ne veut pas dire nécessairement : pendant toute l'éternité.

V. (Ib. IV, 15, 46.) L'ancien Testament, gage du Nouveau. — "Le Seigneur dit ensuite à Josué: Ordonne aux prêtres qui portent l'Arche de l'Alliance du témoignage. " L'Écriture dit ordinairement l'Arche de l'Alliance, ou l'Arche du témoignage ; mais ici elle l'appelle : l'Arche de l'Alliance du Témoignage, afin que l'Alliance elle-même soit qualifiée de la même manière que l'Arche. Ce qui fait dire à l'Apôtre : " Maintenant, sans la Loi, la justice de Dieu s'est manifestée, étant attestée par la Loi et par les Prophètes (5). " Ce que nous appelons le Vieux

1 Ex. XII, 21. — 2 Ci-dessus Quest. précéd. — 3 Jos. III, 15. — 4 Matt, XXIV. 35. — 5 Rom. III, 21.

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Testament avait été donné effectivement comme gage d'un autre Testament à venir.

VI. (Ib. V, 2-7.) L'ordre de circoncire de nouveau les Israëlites n'autorise pas l'erreur des rebaptisants. — " Le Seigneur dit ensuite à Josué : Fais-toi avec la pierre des couteaux aiguisés " ou, selon le texte grec, " des couteaux avec la pierre aigue,et arrête-toi pour circoncire de nouveau les enfants d'Israël. " On demande pourquoi cette circoncision nouvelle ? Car un homme ne devait pas être circoncis deux fois ; mais le texte emploie cette expression : de nouveau, parce que le commandement s'adresse pour la seconde fois à tout le peuple, dans lequel plusieurs étaient circoncis tandis que d'autres ne l'étaient pas; mais nul ne subit la circoncision une seconde fois. Au reste, la suite le fait voir ; tel est en effet, le langage de l'Ecriture : " Josué se fit des couteaux de pierre aiguisés, et circoncit les enfants d'Israël au lieu qui s'appelle la Colline de la Circoncision. Or, voici comment Josué circoncit les enfants d'Israël : tous ceux qui avaient été autrefois dans le chemin et étaient sortis d'Egypte sans avoir reçu la circoncision, il les circoncit. Car Israël demeura dans le désert de Mabdarite pendant quarante deux ans; c'est pourquoi un grand nombre de guerriers étaient circoncis parmi ceux qui sortirent d'Egypte, et qui, pour avoir désobéi au commandements du Seigneur, furent condamnés à ne point voir cette terre où coulaient le lait et le miel, et que Dieu avait juré de donner à leurs pères. Il leur substitua donc leurs enfants, que Josué circoncit, parce qu'ils étaient restés incirconcis pendant le chemin. " On voit que tous n'avaient pas reçu la circoncision, mais plusieurs seulement. Il y avait dans le peuple un certain nombre d'enfants demeurés incirconcis, et dont les pères étaient sortis d'Egypte ; ce sont ceux-là que Josué circoncit ; ils étaient venus au monde dans le désert, et leurs pères avaient, par désobéissance à la Loi de Dieu, négligé de les circoncire. Les hérétiques, qui prétendent qu'on doit rebaptiser ceux qui ont reçu le sacrement du baptême chrétien, ne peuvent donc appuyer leur thèse sur ce passage de la Loi car nul Israëlite ne fut circoncis deux fois, mais seulement le peuple, parmi lequel plusieurs avaient reçu la circoncision, plusieurs ne l'avaient point reçue. Et quand même on pourrait admettre que Dieu eût ordonné une seconde circoncision, pour chaque homme en particulier, est-ce qu'on peut dire que Dieu fit ce commandement, soit parce que la première circoncision leur avait été donnée par les Egyptiens, soit parce qu'ils l'avaient reçue de sociétés hérétiques séparées d'Israël ? Dès-là que la raison du commandement divin se montre ici d'une manière évidente, ces hérétiques ne peuvent appuyer leur erreur sur le passage en question.

VII. (Ib. V,13-15.) Sur l'apparition d'un ange à Josué. — Josué, ayant vu un homme qui se tenait debout devant lui, l'épée nue à la main, et ayant appris par sa réponse qu'il était le prince de l'armée du Seigneur, se prosterna à terre et dit: " Que commandez-vous à votre serviteur? " On peut demander, à ce sujet, s'il se prosterna devant l'Ange et l'appela son Seigneur, ou plutôt, si, reconnaissant la mission de l'ange, il adressa directement au Seigneur lui-même et ses paroles et l'hommage de son adoration. Or, suivant l'Ecriture, Josué était alors "à Jéricho ; " c'est-à-dire sur le territoire de cette ville, comme le marque expressément la version faite sur l'hébreu ; il n'était pas, à coup sûr, dans Jéricho même, puisque les murs de cette ville qui devaient s'écrouler bientôt n'étaient pas encore tombés pour livrer passage aux Israëlites.

VIII. (Ib. VII.) Sur le châtiment infligé au peuple, à cause de l'avarice d'Achar. — Achar, de la tribu de Juda, ayant, contrairement à la défense du Seigneur; dérobé quelque chose de l'anathème parmi les dépouilles de Jéricho, Dieu permit, en punition de son péché, que trois mille hommes envoyés contre Gaï tournassent le dos à l'ennemi et que trente-six des leurs fussent tués . La terreur s'étant alors répandue parmi le peuple, Josué se prosterna devant le Seigneur avec les anciens, et il lui fut répondu que cette défaite était une punition des péchés du peuple ; Dieu les menaça aussi de ne plus être avec eux à l'avenir, s'ils ne faisaient disparaître l'anathème du milieu d'eux ; enfin le coupable fut découvert et ne fut pas seul mis à mort, mais encore tous les siens avec lui. — On demande ordinairement ici comment il peut être conforme à la justice, que le châtiment dû aux fautes d'un homme, s'étende à d'autres hommes, surtout quand on se rappelle ce que le Seigneur déclare dans la Loi : " Que les parents ne seront point punis pour les péchés des enfants, ni les enfants pour les péchés des parents (1). " Ce précepte qui défend de punir quelqu'un pour un autre, ne

1 Deut. XXIV, 16.

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concernerait-il pas exclusivement les juges de la terre ; et Dieu, quand il juge, ne suivrait-il pas une autre Loi, Lui qui, dans ses desseins profonds et impénétrables, sait jusqu'où doit aller la punition des hommes en ce monde, et la terreur salutaire qu'il doit leur inspirer ? En ce qui concerne le. gouvernement du monde, la mort est-elle, en effet, un châtiment si cruel pour des créatures qui y sont destinées ? Et cependant, pour ceux qui la craignent, elle est la sanction de la Loi ; elle apprend aux hommes qu'ils ne doivent pas se considérer comme des êtres isolés au milieu de leur peuple, mais avoir, soin les uns des autres et comme les membres d'un même corps et d'un même homme, être pleins d'une sollicitude mutuelle. Il ne faut pourtant pas appliquer cette réflexion aux peines de l'autre vie, et croire qu'un homme peut être damné pour un autre : la punition infligée dans ce cas ne peut que mettre fin d'une manière différente à un bien qui aurait dû toujours finir. On voit aussi par là quelle solidarité étroite unit tout un peuple, oit chacun doit se regarder, non pas isolément, mais comme la partie d'un tout. A la suite de cette mort infligée à plusieurs, en punition du péché d'un seul, le peuple fut donc averti de rechercher la faute commise, pour ainsi dire, par le corps tout entier. Il lui fut également donné à entendre quel grand malheur ce serait pour la société, si elle se rendait coupable en masse, puisque le châtiment mérité par un seul coupable ne put mettre à l'abri tous les autres.

Mais, dira-t-on, si Achar, surpris par tin autre dans la perpétration de son crime, avait été déféré au tribunal de Josué, il est hors de doute que le juge n'eût pas puni, pour lui ou avec lui, quiconque n'aurait pas été son complice. Car il ne pouvait, lui, homme autorisé à juger un autre homme, dépasser les termes de la loi donnée aux . hommes, et condamner arbitrairement quelqu'un pour un autre. Mais la justice de Dieu est beaucoup plus profonde, et, même au-delà de la mort, il peut faire ce qui est impossible à l'homme, c'est-à-dire, délivrer ou perdre à jamais. Donc, lors même qu'il châtie quelqu'un à cause des péchés des autres, Dieu connaît, dans le secret de sa providence, en quelle juste mesure et à qui il envoie les afflictions visibles ou la mort, parce que ces peines peuvent être ou utiles ou nuisibles aux hommes. Mais les châtiments invisibles, qui ne peuvent être que nuisibles et jamais profitables, personne n'est condamné par Dieu à les subir pour les péchés des autres, de même que nul ne doit être condamné par son semblable à souffrir des peines visibles, si ce n'est en punition de ses propres fautes. Car Dieu veut que les juges de la terre suivent, dans les châtiments qu'ils ont le droit d'infliger, la loi qu'il suit lui-même, quand il exercé son sublime et incommunicable pouvoir de juger.

IX.(Ib. VII, 15,25.) 4. Sur la punition d'Achar. — Le Seigneur avait ordonné qu'on livrât aux flammes celui qui serait trouvé coupable d'avoir dérobé l'anathème; pourquoi, demande-t-on avec raison, Josué le fit-il donc lapider par le peuple? Ne fallait-il pas s'en tenir, pour déterminer le genre de mort, à la manière dont Josué, plus rapproché du Seigneur, entendit l'ordre divin? Nul, en effet, n'était plus capable que lui d'interpréter les ordres d'en haut. Et au lieu de croire Josué capable d'avoir contrevenu aux ordres du Seigneur, ne vaut-il pas mieux examiner pourquoi Dieu donne le nom de feu à la lapidation? Personne n'eut plus de sagesse que Josué pour comprendre les paroles divines, ni plus d'obéissance pour les mettre à exécution. Aussi, l'Ecriture atteste-t-elle dans le livre du Deutéronome, qu'un châtiment peut très-bien se comparer au feu; voici en effet ce que dit Moïse aux enfants d'Israël: "Il vous a tirés de l'Egypte comme d'une fournaise où l'on fond le fer (1), " image sous laquelle il a voulu évidemment dépeindre une dure tribulation.

2. Pourquoi Achar ne fut point livré aux flammes, mais lapidé. — Il se présente à mon esprit deux raisons qui expliquent, non pas toutes deux, mais l'une ou l'autre, pourquoi Achar n'a pas été jeté avec les siens dans un feu sensible. Ou bien le Seigneur n'a pas jugé sa faute tellement grave qu'elle méritât d'être expiée par un supplice éternel; alors son châtiment peut très-bien s'appeler la peine du feu, en raison de l'expiation et de la purification qui en aurait été la suite. Si le coupable avait été livré aux flammes d'un feu visible, personne n'aurait la pensée de chercher cette interprétation; on s'en tiendrait à ce qu'on verrait clairement exprimé, et l'on n'irait pas plus loin; mais après avoir comparé la sentence de Dieu avec la conduite 'de Josué, incapable de l'enfreindre, nous savons qu'on peut fort bien désigner la lapidation sous le nom de peine du feu; il faut donc reconnaître ici, une manière élégante

1 Deut. IV, 20.

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de dire que ce châtiment a purifié le coupable et l'a préservé de la perte éternelle. Le Lévitique ordonne aussi de purifier par le feu les vases sacrés : et ce commandement n'a pas une signification différente. Ou bien la faute était tellement grave, que l'enfer devait recevoir le coupable après cette vie; alors Josué le condamna au supplice de la lapidation, afin de donner à entendre que ces paroles du Seigneur : "il sera brûlé au feu, " ne marquaient pas la conduite que le peuple avait à tenir, mais celle que tiendrait Dieu lui-même. On ne pourrait adopter ce sens, si le Seigneur avait dit : Vous le livrerez aux flammes, lui et tous ses biens; mais, à en juger par la forme du discours, ses paroles sont moins un commandement qu'une prédiction. Josué, ce grand Prophète, comprit les paroles divines et agit même en cette circonstance d'une manière prophétique; aussi ne pouvait-il mieux faire que de soumettre le coupable à la lapidation; car s'il l'avait livré au feu, on aurait pu voir dans ce dernier supplice l'accomplissement des ordres célestes, qui devaient être entendus dans un autre sens.

3. Achar puni avec tout ce qu'il possédait. — On ne doit pas se préoccuper d'ailleurs de ce que Dieu commande de livrer aux flammes, non seulement le coupable, mais encore tout ce qui est à lui. Car voici ses paroles : " Il sera brûlé et tout ce qui lui appartient . " On peut, en effet, par tout ce qui est à lui, entendre toutes ses œuvres, qui doivent, suivant l'ordre divin, être jetées au feu avec lui; non pas, il est vrai, dans le sens de l'Apôtre, quand il dit de certaines oeuvres qu'elles seront consumées parle feu, mais que leur auteur sera sauvé (1). Car, ces paroles ne peuvent trouver leur application dans le cas où l'on verrait ici un péché digne du feu éternel. En punissant Achar, le peuple amassa donc aussi un monceau de pierres sur ses fils et ses filles, ses troupeaux et tout ce qu'il avait; Josué cependant ne suivit point en cette circonstance une inspiration humaine, mais une inspiration prophétique. soit que, en infligeant la peine de la lapidation à la place de celle du feu, il crût que les enfants d'A.char ne dûssent pas être exceptés de tout ce qui était à lui; soit que à ses yeux, les enfants de cet homme, aussi bien que tout le reste, dussent signifier ses pauvres, destinées aux flammes après sa mort.

4. Justice et Sagesse de Dieu dans les châtiments qu'il inflige. — Il ne faut pas croire cependant que

1 I Cor. III, 15.

les enfants doivent, pour le péché d'un père dont ils sont innocents, souffrir après la mort le tourment du feu de l'enfer. En effet, quoique la mort, qui nous est réservée à tous, soit la conséquence du premier péché, comme nous sommes nés pour mourir, elle peut être un bien pour plusieurs, quand elle est devancée. C'est pourquoi l'Ecriture. applique ces paroles à un juste : " Il a été enlevé, de peur que la malice ne changeât son esprit (1). " Par quel juste jugement ou par quelle miséricorde de Dieu, la mort atteignit-t-elle donc les enfants d'Achar et les trente guerriers, quoiqu'ils fussent étrangers à sa faute? c'est un secret de Celui en qui l'injustice n'habite point (2). Mais il y eut un résultat évident c'est que le peuple consterné dut s'enquérir de la faute qui avait été commise ; tous les autres alors craignirent d'autant plus d'imiter la conduite du coupable, que la faiblesse humaine répugne à attirer sur soi de la part de tout un peuple, une haine à la fois si terrible et si méritée, et à voir mourir avec soi, pour son péché, des enfants par qui on espérait donner à la famille une postérité.

X. (Ib. VIII, 2. ) Quand la guerre est-elle juste ? — L'ordre donné par Dieu à Josué d'établir une embuscade par derrière, c'est-à-dire de placer des guerriers qui dresseraient des embûches à l'ennemi, nous fait voir que cette tactique n'est pas défendue dans les guerres légitimes : l'homme juste doit donc avant tout se préoccuper de faire la guerre uniquement pour la justice, et contre celui à qui il lui est permis de la faire ; car cela n'est pas permis contre tout le monde. Or, lorsqu'on entreprend une guerre juste, peu importe, au point de vue de la justice, qu'on remporte la victoire en bataille rangée ou par une ruse heureuse. On définit ordinairement les guerres justes, celles qui ont pour objet de venger des injures, soit glie la ville ou la nation qu'on attaque, ait négligé de réparer les injustices commises par les siens, soit qu'elle n'ait pas rendu ce qui a été pris injustement. Il est évident qu'on doit aussi considérer comme une guerre juste, celle que Dieu commande : car il n'y a pas d'iniquité en lui, et il sait ce qu'il convient de faire à chacun (3). Dans une guerre de ce genre, le chef de l'armée et le peuple lui-même sont moins les auteurs de la guerre que les exécuteurs des desseins de Dieu.

XI. ( Ib. VIII. 4-8. ) Toute volonté de tromper constitue-t-elle un mensonge ? — Josué en

1 Sag. IV, 11. — 2 Rom. IX. 14. — 3 Ib.

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envoyant trente mille guerriers prendre la ville de Gaï, s'adresse à eux en ces termes : " Vous dresserez une embuscade derrière la ville, et vous ne vous éloignerez pas beaucoup de la ville, et vous vous tiendrez tout prêts ; et moi, et tout le peuple avec moi, nous nous approcherons de la ville. Et lorsque les habitants de Gaï sortiront pour venir à notre rencontre, comme auparavant, nous fuirons devant eux. Et quand ils nous poursuivront, nous les attirerons de la ville, et ils diront : Ceux-ci fuient devant nous, comme auparavant. Vous sortirez alors de votre embuscade, et vous entrerez dans la ville. Vous agirez suivant ces paroles. Tel est l'ordre que je vous donne. " Il faut voir si toute volonté de tromper doit être considérée comme un mensonge ; et dans le cas où il en serait ainsi, s'il est permis de mentir, quand celui qu'on trompe mérite d'être trompé. Si, même alors, le mensonge ; n'est pas permis, il reste à chercher quelque raison mystérieuse qui excuse de mensonge cette ruse de guerre.

XII. (Ib. IX, 3-13.) Explication de quelques variantes. — Dans le passage où il est rapporté que les Gabaonites vinrent à Josué avec des pains vieillis et des sacs, afin de passer,. comme ils en avaient l'intention, pour venir d'un pays lointain et se faire épargner à ce titre : car le Seigneur avait défendu aux Israëlites de faire grâce à aucun des peuples habitant les pays où ils entraient plusieurs exemplaires grecs et latins portent " Ils mirent de vieux sacs sur leurs épaules ; " d'autres, plus croyables, portent: " sur leurs ânes, " au lieu de " sur leurs épaules. " La similitude des mots dans le Grec a pu causer facilement cette erreur, de là aussi les variantes du texte latin En effet omois qui signifie " épaules " ne diffère guère, pour la consonance, de " onois " qui signifie " ânes. " Mais il est plus vraisemblable de s'en tenir à ce dernier mot, car les Gabaonites se donnèrent pour des hommes envoyés d'un pays lointain : ils étaient donc apparemment députés par leur nation, et durent dès lors mettre plutôt sur leurs ânes que sur leurs épaules les objets nécessaires au voyage : ils ne pouvaient, en effet, être nombreux, et de plus, au témoignage de l'Ecriture, ils portaient non seulement des sacs, mais encore des outres.

XIII. (Ib. IX, 19. ) Sur le serment fait aux Gabaonites. — On peut demander comment les Hébreux, trompés par les Gabaonites,. crurent devoir observer à leur égard le serment qu'ils leur avaient fait, comme si ces hommes étaient venus en réalité d'un pays lointain. Ceux-ci savaient qu'ils seraient subjugés, si les Hébreux venaient à apprendre qu'ils habitaient la terre promise, et ils n'ignoraient pas que le peuple de, Dieu s'en rendrait maître par l'extermination de tous ceux qui l'occupaient. Les Israélites s'engagèrent envers eux par un serment, sur cette affirmation mensongère qu'ils étaient venus d'une contrée lointaine. Et quand ils surent que ce peuple demeurait dans le pays dont ils devaient tuer tous les habitants qu'ils trouveraient, ils ne voulurent point cependant trahir la foi jurée; même après avoir appris le mensonge dont ils avaient été dupes, ils aimèrent mieux faire grâce, pour rester fidèles à leur parole ; ils pouvaient déclarer cependant qu'en engageant leur parole, ils pensaient n'être pas trompés et que, après avoir découvert le mensonge, ils étaient tenus d'accomplir le commandement de Dieu et d'exterminer ce peuple comme les autres. Mais Dieu approuva leur conduite, et ne s'irrita point contre eux, quoiqu'ils ne l'eussent pas interrogé pour savoir qui étaient ces Gabaonites et qu'ils se fussent ainsi laissé tromper. Aussi bien peut-on croire qua les Gabaonites, tout en usant de feinte pour avoir la vie sauve,. craignaient très-sérieusement, et Dieu et son peuple : voilà pourquoi le Seigneur ne se montra irrité ni du serment des Hébreux, ni de la grâce qu'ils accordèrent aux Gabaonites, à tel point que dans la suite, comme on le voit dans l'histoire des Rois, il vengea ceux-ci contre la maison de Saül, de la même manière que s'ils eussent été des hommes de son peuple (1). Et Dieu ne trouva pas mauvais que la fidélité au serment eût fait pencher son peuple vers la clémence, quoique ce fût au profit d'hommes coupables de mensonge. Au contraire, si après avoir juré de faire mourir quelques uns des Gabaonites, les croyant habitants de la terre promise, ils avaient appris dans la suite que ces hommes étaient étrangers à ce pays et venus de loin, rien ne porte à croire qu'ils les auraient combattus, pour être fidèles à leur serment: car le saint roi David, inspiré par une pensée de clémence, aima mieux épargner Nabal que de tenir un serment terrible, même après avoir juré sérieusement de le faire mourir, sachant bien sur qui tombait sa colère (2) ; il crut se rendre plus agréable à Dieu, en manquant à sa parole

1 II Rois, XXI, 1-9. — 2 I Rois. XXV, 22, 33.

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qu'en tenant un serment fait contre quelqu'un, dans le trouble de l'indignation.

XIV. (Ib. X, 7, 8.) Encore sur le même sujet. — L'Ecriture, après avoir rapporté que les Gabaonites, assiégés par les rois des Amorrhéens, avaient envoyé des députés vers Josué, pour lui demander du secours, ajoute ces réflexions : " Josué partit donc de Galgala, et avec lui tous les guerriers de son peuple, qui étaient tous forts et vaillants. Et le Seigneur dit à Josué : Ne les crains pas ; car je les ai livrés entre tes mains et nul d'eux ne résistera devant vous. " Ainsi Josué ne consulta point le Seigneur en cette circonstance pour savoir s'il était toujours le même à l'égard de son peuple; mais Dieu, trouvant son peuple disposé à prêter son secours dans une cause juste, lui donna l'assurance de la victoire. Il pouvait donc, même sans avoir été consulté, lui faire connaître ce qu'étaient les Gabaonites, qui se donnaient pour venir de loin, s'il n'avait eu pour agréable le serment qui détermina les siens à épargner un peuple soumis. Les Israëlites avaient eu confiance en Dieu, et dans la promesse qu'il leur avait faite de renverser les nations et de leur donner le pays qu'elles habitaient; aussi, Dieu ne les abandonna-t-il pas : et ce fut en quelque sorte la récompense de leur confiance en lui.

XV. (Ib. X, 5, 6.) Les Amorrhéens, nom générique des nations que les Hébreux devaient exterminer. — On demande comment le roi de Jérusalem, Adonibézec, et les quatre autres rois qui assiégèrent avec lui Gabaon, sont désignés, dans les Septante, d'abord sous le nom de roi des Jébuséens, quand ils se réunissent pour faire le siège; puis sous le nom de rois des Amorrhéens, de la part des Gabaonites eux-mêmes, quand ceux-ci députent vers Josué, pour lui demander d'accourir à leur délivrance. Or, autant que nous avons pu nous en rendre compte, la version faite sur l'hébreu les appelle toujours rois des Amorrhéens : il est constant d'ailleurs que le roi des Jébuséens n'était autre que le roi de Jérusalem, car cette ville, capitale de tout ce royaume, s'appelle aussi Jébus ; il est constant, d'un autre côté, que l'Ecriture nomme très-souvent les sept nations, que le Seigneur a promis d'exterminer sous les yeux de son peuple, et la nation Amorrhéenne est un des sept. Peut-être cependant, ce nom est-il le nom générique appliqué à toutes, ou du moins à la majeure partie, en sorte que ce ne fut pas une seule, mais plusieurs de ces nations qui portaient le même nom; ce qui n'empêchait pas que l'une d'entre elles s'appelât proprement la nation des Amorrhéens c'est ainsi que la Libye, qui n'est dans le sens propre qu'une portion de l'Afrique, désigne cependant l'Afrique tout entière; c'est ainsi encore que l'Asie, qui n'est à proprement parler, qu'une petite région, sert à désigner la moitié, suivant les uns, le tiers, suivant les autres, du monde entier. Il est certain aussi que les Chananéens sont au nombre des sept nations citées dans l'Ecriture; et cependant le pays tout entier fut appelé d'abord terre de Chanaan.

XVI. (Ib. XI, 14, 15.) Dieu justifié du reproche de cruauté envers les Chananéens. — " Josué ne laissa dans cette ville aucun être vivant; les ordres que le Seigneur donna à Moïse, son serviteur, sont les mêmes que Moïse donna à Josué ; et Josué les accomplit tous; il ne manqua d'exécuter aucune de toutes les choses que le Seigneur avait commandées à Moïse. " Que Josué n'ait laissé aucun être vivant dans les villes dont il s'empara, on ne peut lui en faire aucun reproche de cruauté, puisque Dieu lui en avait donné l’ordre. Quant à ceux qui rejettent ce reproche sur Dieu et se refusent var conséquent à reconnaître le vrai Dieu pour auteur de l'ancien Testament, ils jugent d'une manière aussi extravagante les oeuvres de Dieu que les péchés des hommes, ignorant la part de souffrances qui est le châtiment mérité de chacun, et considérant comme un grand mal que ce qui doit périr, périsse, et que ce qui doit mourir, subisse la mort.

XVII. (Ib. XI, 19.) Aucune ville de la terre promise ne se rendit aux Hébreux sans combat. — " Et il n'y avait aucune ville qui ne se rendit " aux enfants d'Israël. n On demande comment ce récit est conforme à la vérité, puisque, dans la suite, ni au temps des Juges, ni même au temps des Rois, les Hébreux n'avaient pu encore s'em parer de toutes les villes des sept nations. Mais il faut l'entendre en ce sens que Josué n'attaqua aucune ville qu'il ne s'en rendit maître; ou bien qu'il n'y en eut aucune qui ne fût prise, parmi celles qui étaient situées dans les régions dénommées précédemment. Car l'Ecriture énumère les contrées où étaient les villes dont il est dit sous forme de conclusion : " Et il les prit toutes en combattant. "

XVIII. (Ib. XI, 20.) Dieu voulut que son peuple ne fit grâce à aucune des nations révoltées. — " Car (558) ce fut la volonté du Seigneur que leurs coeurs s'affermissent, qu'ils combattissent contre Israël, qu'ils fussent défaits, et ne méritassent aucune clémence ; mais qu'ils fussent exterminés, suivant la parole du Seigneur à Moïse. " Il est dit de ces peuples, comme de Pharaon, que Dieu affermit leurs coeurs, en d'autres termes, qu'il les endurcit (1) : or quand Dieu abandonne et traite en ennemi, il est absolument hors de doute que sa conduite est juste et inspirée par un dessein profond de sa sagesse: c'est l'interprétation qu'il faut admettre ici comme dans le cas précité. Mais il se présente maintenant une autre question : comment l'Ecriture dit-elle que le coeur des Chananéens fut affermi, afin qu'ils combattissent contre Israël, et qu'ils ne méritassent, pour cette raison, aucune clémence ? Ne semblerait-il pas qu'ils auraient eu droit à cette clémence, s'ils n'avaient pas pris les armes ? Cependant Dieu avait défendu d'en épargner un seul, et si les Gabaonites trouvèrent grâce, ce fut parce que les Israëlites voulurent mettre à exécution le serment obtenu par un subterfuge. Comme les Israëlites se permirent de montrer de l'indulgence envers quelques uns, malgré la défense divine, il faut interpréter ce passage en ce sens que le Chananéens se battirent, de manière à se rendre indignes du pardon, et n'inclinèrent pas leurs vainqueurs à enfreindre le commandement de Dieu par un acte de clémence. Jamais, on doit le croire, une telle transgression n'aurait été commise sous la conduite de Josué, le fidèle observateur de tous les ordres divins. Lui-même, cependant, n'eût pas exterminé si rapidement les ennemis, s'ils ne s'étaient élevés contre lui dans une ligue aussi compacte; n'ayant pas été vaincus par cet homme, fidèle à accomplir les volontés de Dieu, ils auraient pu se maintenir dans leur pays, jusqu'au temps qui suivit la mort de Josué, où des hommes moins zélés que lui auraient pu leur faire grâce. En effet, du vivant même de Josué, ces hourdes épargnèrent quelques peuples, se contentant de les réduire en esclavage; il y en eut d'autres dont ils ne purent triompher. Mais cela n'eut pas lieu sous sa conduite; la vieillesse l'éloignait alors de la guerre, et il ne s'occupait plus que de faire le partage du pays : pendant ce temps-là, Israël prenait possession des territoires divisés et laissés libres par l'ennemi, ou bien s'emparait

1 Ex. VII, 3, 22; VIII, 19.

des autres positions, les armes à là main. Quant à l'impossibilité où ils furent réduits de vaincre quelques peuples, on verra, en son temps, par certains endroits de l'Ecriture, que ce fut par une disposition spéciale de la divine Providence.

XIX. (Ib. XVI,10.) Addition faite par les Septante, dont l'autorité est comparée à celle des Prophètes. — "Ephrem n'extermina pas le Chananéen qui habitait dans Gaza; mais le Chananéen a habité au milieu d'Ephrem jusqu'aujourd'hui, que Pharaon, roi d'Egypte, est venu, a pris la ville et l'a brûlée ;puis, a passé au fil de l'épée les Chananéens,les Phéréséens et ceux qui habitaient Gazer, et a donné cette ville en dot à sa fille. " Je n'admets pas volontiers que nous soyons tenus de voir un prophétie, dans ce trait relatif au roi Pharaon; car on croit que cette histoire fut écrite à une époque rapprochée des événements dont il est ici question. Qu'y a-t-il d'ailleurs de si important dans l'annonce prophétique de ce fait, tandis que des événements futurs plus importants, et même nécessaires, sont passés sous silence? Il faut donc plutôt voir dans ce passage une addition faite par les Septante, dont l'autorité, fondée sur leur accord admirable, est comparée à celle des Prophètes; leur dessein n'a pas été de mettre ici une prédiction de choses à venir, mais d'insérer le récit d'un fait qu'ils avaient lu dans les livres des Rois (1), et qui leur était présent à la mémoire. Cet événement arriva, en effet, au temps dis rois. Ce qui rend à nos yeux ce sentiment plus plausible, c'est que ayant eu recours à là version faite sur l'hébreu, nous n'y avons point trouvé ce passage, non plus que celui où il est rapporté que Hoza encourrut la malédiction prononcée par Josué, pour avoir relevé les ruines de Jéricho. Voici en effet le texte : " En ce jour-là, Josué fit cette imprécation: Maudit soit l'homme qui relèvera et rebâtira cette ville ! Son premier-né mourra lorsqu'il en jettera les fondements, et le dernier de ses enfants, lorsqu'il " en mettra les portes (2). " Jusque là, la version faite sur l'hébreu est identique ; mais on n'y lit pas ce qui suit : " Ainsi agit Hoza, qui était de Béthel ; il perdit Abiron, son premier-né, quand il jeta les fondements nouveaux de Jéricho; et le plus jeune de ses fils, quand il en posa les portes (3). " Il faut donc voir ici une interposition, due aux Septante, qui savaient cet événement.

1 III Rois, IV, 34 suiv. les sept; IX, 16 Suiv. la Vulg. — 2 Jos. VI, 26. — 3 III Rois, XVI, 34.

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XX. ( Ib, XIX, 47 suivant les Septante.) Motif pour lequel Dieu endurcit le coeur des Chananéens. — " L'Amorrhéen continua de demeurer à Elom et à Salamin, et la main d'Ephrem s'appesantit sur eux, et ils devinrent ses tributaires. " Cette faiblesse était déjà une infraction aux ordres du Seigneur, et cependant Josué vivait encore; mais, à raison de sa vieillesse, il n'était plus à la tête des armées du peuple dans les combats. C'est pour cela que Dieu, suivant ce qui est écrit (1), affermit le coeur des Chananéens et voulut que ces peuples se liguassent ensemble pour combattre Josué, de peur qu'ils n'obtinssent; eux aussi, leur grâce, en dépit même des ordres de Dieu, s'ils n'étaient pas vaincus par les armes, et que sur le déclin des jours ou après la mort de Josué, ils ne fussent laissés en paix par les enfants d'Israël : ceux-ci en effet auraient pu alors faire grâce à leurs ennemis, contrairement à la défense du Seigneur; et Josué n'était pas capable de cette faiblesse.

XXI. (Ib. XXI, 41, 42, 43.) 1. Les Israëlites possédèrent-ils réellement toute la terre promise? — A la mort de Josué, et même dans la suite, les Israélites n'avaient pas exterminé entièrement les nations qui possédaient la terre promise; ils étaient seulement établis dans la portion de cet héritage dont ils avaient chassé les habitants. C'est donc avec raison qu'on demande quel sens il faut donner à ces paroles : " Le Seigneur donna à Israël tout le pays qu'il avait juré de donner à leurs pères; et ils l'eurent en héritage et l'habitèrent. — Le Seigneur leur donna le reposa aux alentours, comme il en avait fait le serment à leurs pères ; de tous leurs ennemis, nul n'osa leur résister en face ; le Seigneur livra tous leurs ennemis entre leurs mains. De toutes les bonnes paroles que le Seigneur adressa aux enfants d'Israël, il n'y en eut pas une seule sans effet, elles s'accomplirent toutes. "

2. La terre promise comprenait les pays habités par sept peuples nommés dans l'Ecriture. — Il faut donc examiner attentivement tous les points de cette affirmation. Et d'abord, il faut voir combien de nations comprenait la terre promise aux Israélites. Or, l'Ecriture en nomme constamment sept, ainsi qu'on le voit dans l'Exode : " Le Seigneur dit ensuite à Moïse: Va, sors de ce lieu, toi et ton peuple, que tu as tiré d'Egypte, pour entrer dans la terre que j'ai promise avec serment

1 Jos. XXI, 29.

à Abraham, à Isaac et à Jacob, en disant : Je la donnerai à ta postérité ; et j'enverrai en même " temps devant toi mon Ange, et il chassera l'Amorrhéen, le Cetthéen, le Phéréséen, le Gergéséen , l'Évéen , le Jébuséen et le Chananéen (1). " C'est donc la terre de ces sept peuples que Dieu a promise aux Patriarches. Mais le Deutéronome parle encore d'une manière plus expressive : " Quand tu approcheras d'une ville pour l'assiéger, et que tu lui auras offert la paix, si l'on te donne une réponse pacifique, et que tous les peuples qui se trouvent dans la ville t'ouvrent les portes, ils seront tes tributaires et t'obéiront; mais s'ils ne t'obéissent pas et combattent contre toi, tu l'assiégeras, et le Seigneur la livrera entre tes mains, et tu feras passer tous les mâles au fil de l'épée, en réservant les femmes, les meubles, et les troupeaux et tout ce qui sera dans la ville, et tu prendras pour toi tout le butin, et tu te nourrirais de toutes les dépouilles de tes ennemis, que le Seigneur ton Dieu t'a données. C'est ainsi que tu en useras à l'égard de toutes les villes qui sont très-éloignées de toi, et qui ne sont pas de celles qui appartiennent à ces nations. Mais quant à,ces villes dont le Seigneur ton Dieu doit te donner la terre en héritage, tu ne laisseras la vie à aucun de leurs habitants; tu les anathématiseras tous : le Cetthéen, l’Amorrhéen, le Chananéen, le Phéréséen, l'Evéen, le Jébuséen et le Gergéséen, comme le Seigneur ton Dieu te l'a commandé (2). " Ici encore, il est dit clairement que la terre de ces sept nations est promise en héritage aux Israélites, et qu'il la possèderont quand ils auront vaincu et totalement exterminé ces nations. Quant aux autres qui sont fort éloignées, Dieu veut qu'elles deviennent les tributaires de son peuple; si elles n'opposent point de résistance; mais si elles résistent, elles doivent être entièrement ruinées, à l'exception des troupeaux et de ce qui peut entrer dans le butin. On lit encore dans un autre endroit du Deutéronome : " Lorsque le Seigneur ton Dieu t'aura fait entrer dans cette terre où tu entres pour la posséder, et qu'il aura exterminé devant toi des nations grandes et populeuses, le Cetthéen, le Gergéséen, l'Amorrhéen, le Phéréséen, le Chananéen, l'Evéen et le Jébuséen, sept nations grandes, populeuses et plus fortes que vous; le Seigneur ton Dieu les livrera entre tes mains, tu les frapperas, et tu

1 Ex. XXXIII, 1, 2. — 2 Deut. XX, 10-17.

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les extermineras entièrement. Tu ne feras point d'alliance avec eux, et tu n'auras aucune compassion d'eux; tu ne contracteras pas non plus de mariage avec eux; tu ne donneras

point tes filles à leurs fils, et tu ne feras pas épouser leurs filles à tes fils etc (1). "

3. La Genèse nomme onze nations, au lieu de sept; mais ce n'est qu'au temps de Salomon que fut réalisée la promesse. — Il ressort donc de ces différents endroits de I'Ecriture, que les enfants d'Israël reçurent en héritage les pays de ces sept nations; non point pour les occuper en commun avec elles, mais pour les occuper à leur place. Cependant, au livre de la Genèse, ce ne sont pas ces sept nations seulement, mais onze, qui sont promises à la postérité d'Abraham. Voici, en effet, ce qu'on y lit: " En ce jour-là, le Seigneur Dieu fit alliance avec Abraham, disant : Je donnerai ce pays à ta race, depuis le fleuve d'Egypte jusqu'au grand fleuve, le fleuve d'Euphrate, les Cénéens, les Cénéséens, les Cetmonéens, les Cetthéens, les Phéréséens, les Raphahim, les Amorrhéens, les Chananéens, les Evéens, les Gergéséens et les Jébuséens (2). " On résout la question, en appliquant cette prophétie à Salomon, qui étendit les limites de son royaume jusque sur les confins de ces peuples, suivant ce qui est écrit de lui : " Il vint à bout de tout ce qu'il lui plut d'édifier dans Jérusalem, sur le Liban et dans toute l'étendue de son royaume. Quant à tout ce qui était resté de peuple, du Cetthéen, de l'Amorrhéen, du Phéréséen , de l'Évéen et du Jébuséen, qui n'étaient point des enfants d'Israël, Salomon rendit tributaires, comme ils le sont encore aujourd'hui, leurs enfants qui étaient demeurés dans le pays, et que les enfants d'Israël n'avaient pas exterminés (3). " Voilà donc ce qui reste des peuples qui devaient être, suivant l'ordre de Dieu, battus et entièrement exterminés, soumis à un tribut par Salomon ; pour se conformer au commandement divin, ce prince aurait dû certainement les faire périr; soumis en qualité des tributaires, ils devinrent cependant ses esclaves. Nous lisons un peu plus loin: " Et Salomon dominait sur tous les rois depuis le fleuve jusqu'au pays des Philistins et jusqu'aux frontières d'Egypte (4). " C'est ici qu'on voit l'accomplissement de la promesse de Dieu à Abraham dans la Genèse. " Depuis le fleuve, " c'est-à-dire, depuis

1 Deut. VII, 1-3. — 2 Gen. XXV, 18-21. — 3 III Rois X, 22 suivant les Sept. et IX, 19-21, suiv. la Vulg. — 4 Ib. X, 26 d'après les Sept. et IV, 21, d'après la Vulg.

l'Euphrate : car on peut, à défaut même du nom propre, entendre qu'il s'agit du grand fleuve. Il ne peut être question du Jourdain, car les Israëlites avaient pris possession des pays situés en deçà et au-delà, même avant le règne de Salomon. L'Ecriture affirme donc, au livre des Rois, que le royaume de Salomon s'étendait depuis l'Euphrate, du côté oriental, jusqu'aux frontières de l'Egypte, à l'occident. Il s'ensuit qu’il tenait sous son sceptre une région plus considérable que celles qu'occupaient les sept nations citées précédemment; il y avait onze nations, au lieu de sept, soumises à son empire. Entre ces paroles au livre des Rois: " depuis le fleuve jusqu'aux frontières d'Egypte, " qui ont pour objet de déterminer quelle extension le royaume avait prise de l'Orient à l'Occident; et celles-ci de la Genèse: " depuis le fleuve d'Egypte jusqu'au fleuve, le grand fleuve de l'Euphrate, " qui précisaient à l'avance ses limites à l'Orient, et à l'Occident, il y a, en effet, parfaite identité. Ce fleuve d'Egypte, qui forme la frontière entre le royaume d'Israël et l'Egypte elle-même, n'est pas le Nil, mais un fleuve de moindre importance, qui traverse la ville de Rhinocorure, où commence, en remontant vers l'Orient, la limite de la terre promise. Les enfants d'Israël avaient donc reçu l'ordre de s'emparer des pays de sept nations, qu'ils devaient auparavant exterminer et ruiner complètement; quant aux autres, qui habitaient jusque sur les bords de l'Euphrate, ils devaient régner sur elles et les assujettir à un tribut. Et quoiqu'ils eussent enfreint ce commandement, en réduisant en servitude plusieurs des peuples qu'ils auraient dû exterminer, Dieu cependant rait le sceau à sa promesse au temps de Salomon.

4. Les Israëlites étaient maîtres de tout le pays; mais Dieu permit, pour le bien de son peuple, que ses ennemis se maintinssent encore sur différents points. — Maintenant donc, où est la vérité dans ce passage du livre de Josué, que nous avons entrepris d'examiner : " Dieu donna à Israël tout le pays qu'il avait juré de donner à leurs pères, et ils l'eurent en héritage (1)? " Comment leur donna-t-il tout ce pays du vivant de Josué, puisqu'ils n'avaient pas encore triomphé du reste des sept nations? Ce qui suit est vrai : " et ils l'eurent en héritage; " car ils étaient là et habitaient ensemble la contrée. Les paroles

1 Jos. XXI, 41.

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suivantes: " Et le Seigneur donna le repos aux alentours, comme il en avait fait le serment à leurs pères, " sont également vraies : car, du vivant même de Josué, les restes des sept nations ne s'éloignaient pas, il est vrai, mais nulle d'elles n'osait en appeler au combat, sur les territoires où ils habitaient ensemble. C'est pour cela que l'Ecriture ajoute : " De tous leurs ennemis, nul n'osa leur résister en face. " Quant aux expressions qui suivent : " Mais le Seigneur livra tous leurs ennemis entre leurs mains, " elles désignent ceux de leurs ennemis qui osèrent les défier, au combat. Enfin ces derniers mots. " De toutes les bonnes paroles que le Seigneur adressa aux enfants d'Israël, il n'y en eut pas une seule sans effet ; elles s'accomplirent toutes, " signifient que malgré la désobéissance dont ils se rendirent coupables envers Dieu, quand ils épargnèrent quelques unes des sept nations et se contentèrent de les soumettre, ils vécurent cependant à l'abri de tout péril au milieu d'elles. L'Ecriture dit: " de toutes les bonnes paroles, " parce que, à cette époque, les malédictions prononcées contre les contempteurs et les transgresseurs de la Loi n'avaient pas encore eu leur accomplissement. Il ne reste donc plus à expliquer que ce texte : " Le Seigneur donna à Israël tout le pays qu'il avait juré de donner à leurs pères : " or, voici comment il faut l'entendre. Sans doute, il y avait encore des débris des peuples voués à l'extermination et à la ruine; il restait aussi jusqu'à l'Euphrate, des nations à subjuguer, si elles n'opposaient pas de résistance, ou à détruire entièrement, si elles résistaient; cependant, Dieu permit que ces peuples se maintinssent pour servir d'exercice aux Israëlites, dans la crainte que ceux-ci, cédant aux affections et aux désirs charnels, ne fussent incapables de supporter avec sagesse et modération le poids d'une. prospérité temporelle si rapide, et né fussent dans leur orgueil précipités bientôt vers leur ruine, ainsi que nous aurons lieu de le démontrer ailleurs. Les Israëlites étaient donc maîtres de tout le pays, car la partie dont ils n'avaient pas encore pris possession leur avait été donnée pour leur servir en quelque sorte d'une épreuve salutaire.

XXII. (Ib. XXI, 42.) De quelle manière peut-on dire que nul ennemi n'osa résister aux Israëlites? — " De tous leurs ennemis, nul n'osa leur résister en face. " On peut demander comment ces paroles sont vraies, puisqu'il est rapporté précédemment que les ennemis ne permirent pas à la tribu de Dan de descendre dans la vallée, et qu'ils remportèrent la victoire sur elle dans les montagnes (1). Mais il faut user ici du mode d'interprétation dont nous nous sommes servi pour le passage où l'Ecriture cite les noms des douze enfants de Jacob, nés dans la Mésopotamie, quoique Benjamin ne soit pas venu au mondé dans cette contrée (2). Les onze tribus représentent le peuplé tout entier, suivant la règle suffisamment connue, appliquée par nous-mêmes à d'autres endroits des saintes Ecritures. Si l'on demande la raison pour laquelle cette tribu ne reçut pas assez de terres en partage, et, souffrit du voisinage de ceux qui les occupaient, on doit croire que Dieu le permit dans un dessein mystérieux. Cependant lorsque Jacob bénissait ses fils, il prononçait sur Dan des paroles qui donnent lieu de penser que l'Antéchrist sortira un jour de cette tribu (3). Nous ne voulons pas en dire davantage, puisqu'il est possible de résoudre l'objection de la manière suivante : " De tous leurs ennemis, nul n'osa résister en face, " c'est-à-dire, tant qu'ils firent la guerre ensemble sous le commandement. d'un seul chef, avant que les partages fussent déterminés et confiés à la garde de chaque tribu.

XXIII. (Ib. XXII, 23.) Il n'y a qu'un Sauveur, qui est Jésus-Christ. — " Et pour les sacrifices de nos saluts. " Sacrifices étant mis au pluriel, saluts est aussi mis au même nombre. Il faut bien observer, sur ce passage, en quel sens on dit ordinairement : le sacrifice du salut; car, si nous avons reçu le Christ, qui est appelé " le salut de Dieu (4), " on ne voit pas quel sens on peut donner à ce mot, mis au pluriel. " Nous n'avons, en effet, qu'un seul Seigneur, qui est Jésus-Christ (5): " quoique plusieurs soient nommés Christs, par grâce, suivant ce passage des Psaumes : " Gardez-vous de toucher à mes Christs (6). " Mais peut-on dire : des saluts ou salutaires? La question n'est pas facile à résoudre : car Jésus-Christ est lui-même le seul Sauveur de son corps.

XXIV. (Ib. XXIII, 14.) Ce que c'est que mourir. — Quand Josué parle de sa fin prochaine, il dit : " Je retourne par le chemin que suivent tous ceux qui sont sur la terre.; " nous trouvons dans la version faite sur l'hébreu cet autre mot : " J'entre dans le chemin. " L'expression des Septante " je retourne par le chemin, " si l'on entend

1 Jos. XIX, 48. suiv. les Sept. — 2 Gen. Quest. CXVII. — 3 Cen. XLIX, 17. — 4 Luc, 11, 30. — 5 I Cor. VIII, 6. — 6 Ps. CIV, 16.

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parler seulement du corps, doit se prendre dans le sens de ces paroles de Dieu à l'homme : " Jusqu'à ce que tu retournes dans la terre, dont tu es sorti (1). " Mais si l'appliquant à l'âme, nous voulons adopter le sens de ces paroles de l'Ecclésiaste : " L'esprit retournera à Dieu qui l'avait donné (2), " j'estime qu'elle ne convient pas à tous indistinctement, mais à ceux qui ont vécu de manière à mériter de retourner à Dieu, comme à leur Créateur et à l'auteur de leur existence. Elle ne saurait convenablement s'appliquer à ces hommes dont il est dit, qu'ils ne sont qu'un " souffle qui passe et ne revient point (3). " Si Josué, fils de Navé, ce saint personnage, n'avait pas ajouté : " que suivent tous ceux qui sont sur la terre, " il n'y aurait pas matière à discussion; car nous ne pouvons admettre, à son sujet, aucune supposition qui ne soit digne de lui ; mais, comme il a complété ainsi sa phrase, je m'étonne que le traducteur latin n'ait pas mis " je parcours " ou " je descends, " au lieu de " je retourne par le chemin, " si le grec " apotrekho " , est susceptible de ce sens. En effet, tous les hommes parcourent ou descendent ce chemin de la vie, quand ils approchent du terme. Mais comme nous trouvons le même mot, quand les parents de Rébecca disent au serviteur d'Abraham " Voici Rébecca: prends-la et retourne, afin qu'elle soit la femme de ton maître (4); " il faut lui donner ici la même signification.

XXV. (Ib. XXIV, 3.) Toute la terre a été promise à Jésus-Christ et à l'Église. — Là où la version des Septante porte : " J'ai tiré Abraham, votre père, d'au-delà du fleuve, et je l'ai conduit dans toute la terre, " la version faite sur l'hébreu contient cette variante : " et je l'ai conduit dans la terre de Chanaan. " Il serait étonnant que par ces mots " toute la terre, " les Septante eussent voulu désigner le pays de Chanaan ; peut-être dans un esprit prophétique ont-ils donné, comme un fait accompli, la réalisation infaillible de la promesse de Dieu en Jésus-Christ et dans son Eglise, qui est la véritable postérité d'Abraham ; et ainsi ces paroles se rapporteraient aux enfants de la promesse, et non aux enfants de la chair.

XXVI. (Ib. XXIV, 11.) En se retranchant derrière leurs remparts, les habitants de Jéricho firent réellement la guerre aux Israëlites. — " Ceux qui habitent Jéricho firent la guerre contre vous. " On peut demander comment la vérité s'accommode

1 Gen. III,19. — 2 Ecclé.XII, 7. — 1 Ps. LXXVII, 39. — 4 Gen. XXIV, 51.

de ces paroles, puisque les habitants de Jéricho se contentèrent de fermer leurs portes et de se retrancher derrière leurs murailles. Mais il n'y a rien que de vrai dans ces paroles : car fermer les portes à l'ennemi, est un acte d'hostilité. Ils ne députèrent, en effet, personne pour demander la paix. Si l'Écriture avait dit : ils ont livré bataille contre vous, elle aurait avancé une erreur. Mais la guerre ne se compose pas de combats incessants; tantôt les engagements sont fréquents , tantôt rares ; tantôt même il n'y en a pas du tout. La guerre a lieu, quand il existe d'une manière quelconque un différend à main armée.

XXVII. (Ib. XXIV, 12.) Des guêpes envoyées par Dieu contre les ennemis d'Israël. — Que veut dire Josué, quand, rappelant aux Israëlites les merveilles accomplies par Dieu en leur faveur, il dit entre autres choses : " Il a envoyé devant vous des guêpes, et il les a chassées devant vous?" Nous lisons la même chose dans le livre de la Sagesse (1), et cependant nulle part on ne trouve le récit de cet événement. Peut-être Josué a-t-il voulu par là désigner métaphoriquement les traits acérés de la peur, que la rumeur leur apportait sur ses ailes, et qui les mettaient en fuite; ou bien ces esprits invisibles de l'air, que le Psalmiste appelle les mauvais anges (2). On peut dire encore que l'Écriture n'a pas consigné tout ce qui s'est fait, et admettre que Dieu a envoyé de véritables guêpes.

XXVIII. (Ib. XXIV, 19.) Les Israëlites présumèrent d’eux-mêmes plutôt que de la miséricorde de Dieu. — Que signifient ces paroles de Josué au peuple : " Vous ne pouvez servir le Seigneur, parce que c'est un Dieu saint? " Veut-il dire que la fragilité humaine ne peut monter, pour ainsi parler, au niveau de la Sainteté divine par une fidélité irréprochable? Après avoir entendu Dieu, les Israëlites auraient dû non-seulement choisir son service, mais encore mettre toute leur confiance dans son secours et sa miséricorde : il était bien pénétré du besoin de cette miséricorde, celui qui s'exprime ainsi dans les psaumes : " N'entrez pas en jugement avec votre serviteur, parce " que nul être vivant ne sera trouvé juste en votre présence (3). " Mais les Israëlites aimèrent mieux présumer d'eux-mêmes et croire qu'ils pouvaient demeurer irréprochables dans le service de Dieu ; ils commencèrent dès lors à vérifier cette parole de l'Apôtre qui les peint: " Ne connaissant point la justice de Dieu, et s'et

1 Sag. XII, 8. — 2 Ps. LXXVII, 49. — 3 Ib. XLII. 2.

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forçant d'établir la leur propre, ils ne se sont " point soumis à la justice de Dieu (1). " Ainsi la Loi survenait déjà, pour eux, afin de donner lieu à l'abondance du péché, et ensuite à la surabondance de la grâce par Jésus-Christ, qui est la fin de la Loi pour la justification de tous ceux qui croient en lui (2).

XXIX. (Ib. XXIV, 23.) Défense de conserver les idoles. — Que signifient encore ces autres pales de Josué au peuple : " Maintenant donc ôtez les dieux étrangers qui sont parmi vous, et tournez vos coeurs vers le Seigneur Dieu d'Israël? " Il ne faut pas croire que les Israëlites aient conservé parmi eux quelque idole des nations, puisque Josué vient de faire l'éloge de leur obéissance; et s'ils en avaient eus encore, après les menaces effrayantes de la Loi, qu'ils auraient été favorisés de tant de bienfaits; puisque le larcin, commis par un d'entre eux dans les dépouilles livrées à l'anathème, attira sur le peuple un châtiment si terrible. Jacob tint le même langage à ceux qui vinrent avec lui de la Mésopotamie, où le culte des idoles était tellement en vigueur, que Rachel déroba celles de son père (3); mais quand Jacob eut parlé, chacun lui donna celles qu'il possédait (4) : voyant bien par ses paroles que le patriarche n'ignorait pas qu'ils en avaient. Au contraire nul Israëlite n'en porta après l'avertissement de Josué. On ne doit pourtant pas croire que son commandement fût inutile ; car il ne dit point : s'il y a des dieux étrangers parmi vous, faites les disparaître ; mais avec toute l'autorité que donne une science certaine : " Otez, dit-il, les idoles qui sont parmi vous. " Le saint Prophète discernait par conséquent dans leurs coeurs des pensées peu convenables sur Dieu, et il les avertissait de les en arracher. Car quiconque s'imagine Dieu tel qu'il n'est pas, porte assurément dans son coeur un Dieu faux et étranger. Or, quel est celui qui s'imagine Dieu tel qu'il est? C'est donc un devoir pour les fidèles, tant qu'ils sont éloignés du Seigneur (5), d'arracher de leurs coeurs les vains fantômes qui s'y pressent et leur représentent Dieu avec des imperfections qui ne peuvent lui être attribuées; ils doivent encore avoir soin de tourner leurs coeurs vers lui, afin qu'il se fasse connaître à eux par son Esprit, dans la mesure et de la manière qu'il sait nous convenir, jusqu'à ce que toute erreur disparaisse, car il est écrit : " Tout homme est sujet

1 Rom. X,3. — 2 Ib. V,20,21; X, 4. — 3 Gen, XXXI,19. — 4 Ib. XXIV, 2, 4. — 1 II Cor. V, 6.

à l'erreur (1), " et non-seulement, jusqu'à ce que toute erreur impie disparaisse, mais même les apparences et les énigmes, et qu'il nous soit ainsi donné de le.connaître face à.face, comme nous sommes connus de lui; ce sont les expressions de l'Apôtre: " Nous voyons maintenant, dit-il, comme en un miroir et en énigme, mais alors nous le verrons face à face: je le connais maintenant d'une manière imparfaite; mais alors je le connaîtrai comme je suis connu de lui (2). "

XXX. (Ib. XXIV, 25, 26, 27.) 4. Significations mystérieuses de la pierre placée par Josué sous un térébinthe. — " Josué fit alliance avec le peuple en ce jour-là, et lui donna la Loi et la justice à Silo, devant le tabernacle du Seigneur Dieu d'Israël. Et il écrivit ces paroles dans le livre de la Loi de Dieu; et il prit une grande pierre qu'il plaça sous un térébinthe en présence du Seigneur. Et il dit au peuple : Voilà que cette pierre vous servira de témoignage, parce qu'elle a entendu toutes les paroles que le Seigneur vous a dites aujourd'hui, et elle. vous servira de témoignage jusqu'aux jours les plus reculés, quand vous mentirez au Seigneur votre Dieu. " Quiconque entend ces ;expressions, non point d'une manière superficielle, mais en allant plus à fond, doit croire que ce grand homme ne fut pas assez inepte pour imaginer qu'une pierre inanimée pût entendre les paroles de Dieu à son peuple; lors-même que le ciseau de l'ouvrier lui eût donné la forme d'un homme, elle n'aurait mérité que d'être rangée parmi ces idoles dont le Psalmiste a dit : " Elles ont des oreilles et n'entendent point (3). " Pour être de pierre, les idoles des nations n'entendent pas plus que si elles étaient d'or ou d'argent. Mais cette pierre figure certainement " la pierre de scandale, celle contre laquelle se sont heurtés les Juifs incrédules (4): " pierre mystérieuse " que les architectes ont rejetée, mais qui est " devenue la pierre capitale de l'angle (5). " Elle fut également signifiée par ce rocher d'où jaillit, d'un coup de verge, l'eau qui désaltéra le peuples (6): or parlant de cette eau du rocher, l'Apôtre a dit : " Nos pères buvaient à cette pierre spirituelle qui les accompagnait, et cette pierre était Jésus-Christ (7). " C'est pour la même raison que cet illustre chef du peuple hébreu prit des couteaux de pierre pour la circoncision,

1 Ps. CXV, 11. — 2 I Cor. XIII. 43. — 3 Ps. CXIII, 6. — 4 I Pierre, II, 6. — 5 Ps. CXVII, 22. — 6 Ex. XVII, 6. — 7 I Cor. X, 4.

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et ces couteaux furent ensevelis avec lui dans son tombeau, comme un symbole mystérieux des biens réservés à la postérité. Ce qui est dit de cette pierre visible, placée sous un arbre par Josué, doit donc s'entendre dans le sens spirituel, et c'est ainsi qu'il témoignera à l'avenir contre ces Juifs infidèles, c'est-à-dire, menteurs, dont parle le Psalmiste : " Les ennemis de Dieu lui on rendu un culte menteur (1). " — Quoique Moïse, le serviteur de Dieu, ou plutôt Dieu lui-même par son intermédiaire, eût déjà donné au peuple l'Alliance qui était placée dans l'arche, appelée pour cette raison l'Arche d'Alliance, et dans les livres de la Loi, si pleins de mystères et de prescriptions; cependant ce n'est pas sans raison que nous lisons dans ce passage : " Josué fit alliance avec le peuple en ce jour-là. " Cette nouvelle alliance symbolise, en effet, le nouveau Testament; nous trouvons le même symbole dans le Deutéronome, qui veut dire Seconde Loi, et dans les secondes tables qui remplacèrent les premières (2). Ainsi nous voyons figuré par plusieurs types ce qui n'a été accompli que d'une seule manière. Quant au térébinthe, sous lequel fut placée la pierre, il signifie la même chose que la verge appliquée au rocher, pour en faire sortir de l'eau : ici en effet, nous retrouvons encore le bois avec la pierre. Or, la pierre a été placée dessous, parce que Notre-Seigneur n'aurait pas été élevé sur la Croix, s'il ne s'était soumis et abaissé; ou parce que le mystère était encore voilé, quand Josué accomplissait cette oeuvre symbolique. Enfin le térébinthe, cet arbre que désignent ici les Septante, quoique, selon d'autres interprètes, ce fût un chêne, distille des larmes médicinales.

2. Ce n'est point par malice, mais par, faiblesse, que les Israëlites n'observèrent point strictement le commandement au Seigneur. — Il est étonnant, sans doute, que Josué, cet homme de Dieu, n'ait pas, du moins dans les dernières paroles qu'il adressa au peuple, fait un reproche aux Israëlites d'avoir épargné les nations, condamnées par Dieu à l'anathème et à l'extermination. Voici en effet

1 Is. LXXX, 16. — 2 Exod. XXIV, 3 etc.

ce qui est écrit : " Lorsque les enfants d'Israël se furent fortifiés, ils soumirent ces Chananéens à leur obéissance, mais ils ne les exterminèrent pas entièrement (1). " L'Ecriture, il est vrai, atteste qu'ils en furent incapables d'abord; mais dans la suite, quand ils purent se les rendre tributaires, ils désobéirent certainement au Seigneur en ne les exterminant pas : faute dont Josué ne se rendit jamais coupable, tant qu'il fut à la tête de l'armée. Pourquoi donc dans le dernier discours qu'il leur adressa omit-il de leur en faire un reproche? Comme l'Ecriture dit qu'ils rien étaient point capables auparavant, c'est-à-dire, tant qu'ils ne furent pas en force, ne doit-on pas croire qu'ils craignirent, même après s'être fortifiés, de soulever contre eux, par une rigueur intempestive, et de pousser au désespoir, des nations disposées à se soumettre, et dont ils n'auraient pu triompher? Le Seigneur ne voulut donc point leur faire un crime de cette crainte humaine dans laquelle se trahit un certain manque de foi ; si cette foi avait été plus forte, la guerre aurait eu alors les mêmes conséquences qu'au temps où Josué commandait. Mais, comme elle ne fut pas aussi grande, même après qu'ils furent devenus supérieurs en force à l'ennemi, ils n'osèrent, gagnés par la peur, entreprendre contre eux une guerre d'extermination. Cette peur inspirée, non par la méchanceté, ni par l'orgueil ou le mépris du commandement divin, mais par une faiblesse de volonté, Dieu, ainsi que je l'ai dit, ne voulut pas la leur imputer, lorsqu'il leur donna d'entendre Josué pour la dernière fois. L'Apôtre s'est inspiré de la conduite de Dieu, quand il a dit : " Alexandre, l'ouvrier en cuivre, m'a fait beaucoup de mal : le Seigneur lui rendra selon ses oeuvres (2). " Puis, venant à ceux qui l'avaient abandonné dans le péril, non par malice mais par crainte : " La première fois, dit-il, que j'ai défendu ma cause, nul ne m'a assisté, mais tous m'ont abandonné : que cela ne leur soit point imputé (3). "

1 Jos. XVII, 13. — 2 II Tim. IV, 14. — 3 Ib. 16.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LIVRE SEPTIÈME.

QUESTIONS SUR LES JUGES.

Cette traduction est l'oeuvre de M. l'abbé POGNON

PREMIÈRE QUESTION. (Juges. I. ) Introduction. — Vers la fin du livre de Josué, l'histoire poursuit succinctement son récit jusqu'au temps où les enfants d'Israël tombèrent dans l'idolâtrie. Dans le livre des Juges, on reprend l'ordre et le détail des événements qui suivirent la mort de Josué. Ce livre ne commence donc pas à l'époque de la chute des Israëlites dans l'idolâtrie, mais à une époque antérieure, dans le cours de laquelle s'accomplirent les évènements qui précédèrent cette défection.

II. (Ib. I, 1-3 ) La tribu de Juda et la tribu de Siméon marchent seules contre les Chananéens. — " Et ceci: arriva après la mort de Josué les enfants d'Israël interrogeaient le Seigneur, disant qui marchera avec nous comme chef de guerre pour combattre le Chananéen ? Et le Seigneur dit : Juda marchera, voici que j'ai livré le pays en ses mains. " Ici on demande si c'est un homme en particulier qui est appelé Juda, ou si c'est la tribu qui est, suivant l'usage, désignée par ce nom. Ceux qui consultaient le Seigneur après la mort de Josué demandaient un chef; ce qui fait penser qu'il serait question d'un homme : mais comme l'Ecriture n'est pas dans l'usage de désigner les chefs nouvellement établis sans rappeler en même temps leur origine et leurs ancêtres, et qu'on sait d'ailleurs qu'après la mort de Josué, le peuple d'Israël eut des chefs dont le premier fut Othoniel fils de Cénez, on est plus fondé à voir ici sous le nom de Juda, la tribu de Juda. Le Seigneur voulut que cette tribu commençât l'extermination des Chananéens, et comme le peuple demandait un chef, Dieu par sa réponse fit comprendre qu'il ne voulait pas que la nation en masse prit les armes contre les Chananéens; c'est pourquoi il dit: " Juda marchera. " L'Ecriture poursuit en ces termes : " Et Juda dit à Siméon son frère, " c'est-à-dire, la tribu de Juda à la tribu de Siméon. A cette époque en effet les deux enfants de Jacob, connus parmi leurs frères sous les noms de Juda et de Siméon, n'étaient plus en vie ; c'est la tribu de Juda qui dit à la tribu de Siméon : " Marche avec moi à la conquête de ce qui m'est échu par le sort, et nous ferons la guerre aux Chananéens, et moi je marcherai également avec toi pour te mettre en possession du pays que le sort la donné." Il est évident que la tribu de Juda a réclamé l'appui d'une autre tribu, promettant à celle-ci de lui rendre le même service, quand elle en aurait besoin, pour sa prise de possession.

III. (Ib. I, 9-12.) Evénements racontés par anticipation. — " Et Caleb dit : A celui qui attaquera la Cité des lettres et s'en emparera je donnerai ma fille Axa pour épouse. " Ce fait a été mentionné déjà au livre de Josué (1) ; mais on demande avec raison s'il arriva du vivant de Josué et se trouve rappelé ici par mode de récapitulation; ou bien s'il eut lieu après la mort de ce chef, quand Dieu eut dit : " Juda marchera, " et que Juda en effet eut entrepris la guerre contre les Chananéens, guerre dans laquelle l'événement est placé parle récit. Il est plus probable que les choses se passèrent après la mort de Josué, et qu'elles ont été, comme d'autres, rapportées d'abord par anticipation. En effet, on expose ici les combats livrés aux Chananéens par la tribu de Juda. Parmi les autres exploits de cette tribu, dont après la mort de Josué le Seigneur avait dit : " Juda marchera ; " le récit renferme ce qui suit : " Et ensuite les enfants de Juda descendirent pour combattre les Chananéens qui habitaient dans le pays des montagnes, vers le midi et dans la plaine. Et Juda s'avança contre le Chananéen qui habitait à Hébron, et le Chananéen sortit d'Hébron à sa rencontre. Or, le nom d'Hébron était Chariat Harbo Sepher. Et il défit Sésaï, et Achiman et Cholmi enfants d'Enac, et de là on marcha contre les habitants de Dabir. Or, Dabir était autrefois le nom de la Cité des lettres. Et Caleb dit : A celui qui attaquera la Cité des lettres, et s'en emparera, je donnerai ma fille pour épouse. " L'ensemble de ce récit montre avec évidence que ces événements arrivèrent

1 Jos. XV, 16.

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après la mort de Josué. Mais en rapportant que ces villes furent données à Caleb, l'historien devançant l'avenir expose par occasion ce qui arriva ensuite. Cependant je pense que l'Écriture a en quelque raison de rapporter à deux reprises que la fille de Caleb fut donnée en récompense au vainqueur.

IV. (Ib. 1, 14, 15.) Récits concordants dit livre de Josué et du livre des Juges. — A propos de la fille de Caleb on soulève une autre question. Au livre de Josué, il est ainsi parlé d'elle: " Et comme elle se mettait en chemin, elle tint conseil avec lui, (son mari Othoniel) disant : " Je demanderai un champ à mon père. Et de dessus son âne, elle éleva la voix " elle reste ; elle demande à son père un champ, et l'obtient (1). Ici, au livre des Juges, il est dit : " Et comme il (son mari) se mettait en chemin, Othoniel l'avertit de demander un champ à son père. " Là il est dit : " Comme elle se mettait en chemin; " Ici : " comme il se mettait en chemin; " mais il n'y a pas contradiction : l'un et l'autre s'étaient mis en route en même temps. Là, au livre de Josué, il est dit : " elle tint conseil avec lui " c'est-à-dire, avec son mari, " disant : Je demanderai un champ à mon père ; et de dessus son âne elle éleva la voix et demanda. " Dans le conseil qu'elle tint elle reçut l'avis de demander. Là il est fait mention du conseil tenu ; ici de l'avis qui fut donné. C'est comme si. l'on disait : Elle tint conseil avec lui, disant : je demanderai un champ à mon père, et lui l'ayant conseillée, elle cria de dessus son âne. Mais dans Josué il est dit qu'elle demanda un champ, et le nom de ce champ est même désigné; et ici on voit qu'avertie par son époux de demander un champ, elle demanda non pas un champ, mais " le rachat de l'eau, " parce que le lieu où elle était mariée était au midi. Il est dit dans Josué qu'elle éleva la voix de dessus l'âne qu'elle montait; ici on dit : " élevant la voix de dessus l'animal accoutumé au joug. " L'Écriture ajoute : " Et Caleb lui donna suivant " ses désirs le rachat des lieux élevés, et le rachat des lieux bas. " Tout ceci est obscur. Peut être demanda-t-elle un champ dont le revenu devait servir à acheter des eaux qui manquaient dans la contrée où elle se trouvait établie par son mariage. " Et Caleb lui donna le rachat des lieux élevés, et le rachat des lieux bas. " Je ne vois pas ce qui est sous-entendu ici, sinon

1 Jos. XV, 18, 19.

ce mot : Les cours d'eau, c'est-à-dire les cours d'eau sur les lieux élevés, dans les montagnes, les cours d'eau dans les lieux bas, dans les planés où les vallées.

V. (Ib. 1, 18, 19.) Dieu éprouve les siens pour les préserver de l'orgueil. — " Et Juda ne posséda point Gaza et sa frontière, ni Ascalon et sa frontière, ni Azoth et les pays environnants. Et le Seigneur était avec Juda, et il occupa la montagne, n'ayant pu se rendre maître des habitants de la vallée, parce que Réchab s'opposa à eux, et qu'il avait des chariots de fer. " Expliquant dans le livre de Josué le passage où il est dit : " Et le Seigneur donna à Israël toute " la terre, " bien que les Israëlites n'en possédassent point encore une grande étendue ; toute la terre, ai je dit, a été donnée en ce sens que ce qui n'était point occupé servait à exercer le peuple de Dieu (1). C'est ce qui apparaît ici avec une plus grande évidence. On énumère les villes que Juda ne posséda point, et on dit : " Et le Seigneur était avec Juda, et il occupa la montagne, n'ayant pu se rendre maître des habitants de la vallée. " Qui ne comprend que cela même est la conséquence de ce que le Seigneur était avec Juda? Car, si celui-ci s'était emparé de tout le pays sans coup férir, ne pouvait-on pas craindre qu'il ne s’enflât d'orgueil? L'Écriture ajoute : " parce que Réchab s'opposa à eux, et qu'il avait des chariots de fer ; " non que ces chariots aient inspiré de l’épouvante au Seigneur lui-même qui était avec Juda ; mais ce fut Juda que la crainte saisit. Pourquoi eut-il peur, Dieu étant avec lui ? Voici la réponse que suggère à cette question une réflexion prudente Dieu dans sa miséricorde pour les siens réprime dans leurs coeurs l'enflure qui naît de l'excès de la prospérité : il leur fait tirer profit de leurs ennemis, non-seulement quand ils en triomphent, mais encore quand ils les redoutent : sa bonté est rendue sensible dans un cas, et dans l'autre l'orgueil est réprimé. L'ange de Satan est assurément l'ennemi des Saints, et l'Apôtre néanmoins assure que cet ange lui a été donné pour le souffleter, de peur qu'il ne s'enorgueillisse de la grandeur de ses révélations (2).

VI. (Ib 1, 20.) Récapitulation. — " Et on donna à Caleb Chébron, comme Moïse l'avait déterminé, et il obtint de là trois villes des enfants d'Énac, et il extermina trois fils d'Enac. " Ceci a été déjà rapporté au livre de Josué (3) comme

1 Ci-dessus, Jos. Quest. XXI. — 2 II Cor. XII, 7. — 3 Jos. XV,13,14.

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ayant eu lieu du vivant de Josué. Le même fait est rappelé ici par mode de récapitulation, parce que l'Écriture raconte ce qui concerné la tribu de Juda, dont Caleb faisait partie.

VII. (Ib. 1, 21, 8.) Les anciens habitants de Jérusalem ne furent pas tous détruits. — On demande pourquoi il est dit que les enfants de Benjamin " ne s'emparèrent pas du Jébuséen habitant à Jérusalem, et " que " le Jébuséen habita avec les enfants de Benjamin à Jérusalem, jusqu'à ce jour, " puisqu'on dit plus haut que cette même ville fut prise par Juda, livrée aux flammes, et les Jébuséens qui l'habitaient exterminés. — Il faut savoir que les deux tribus de Juda et de Benjamin eurent cette ville en commun, comme on le voit dans le partagé même du pays qui fut fait par Josué (1). Or cette ville de Jébus est la même que Jérusalem. Aussi, les deux tribus restèrent-elles auprès du temple du Seigneur, quand les autres, â l'exception de la tribu sacerdotale de Lévi, qui n'eut point de terres dans le partage, se séparèrent avec Jéroboam du royaume de Juda. — Il faut donc penser que, à la vérité, la ville fut prise et incendiée par Juda, et que tous les Jébuséens qui s'y trouvaient furent exterminés; mais non pas que tous les Jébuséens absolument aient été détruits, soit qu'il, y en ait eu hors de la ville, soit qu'ils aient pu s'enfuir. Ce furent ces restes, de la nation des Jébuséens que les enfants de Benjamin laissèrent habiter avec eux dans la ville qui leur était commune avec Juda C'est pourquoi, quand il est dit que " les enfants de Benjamin ne s'emparèrent pas du Jébuséen, " cela veut dire qu'ils ne purent ou ne voulurent pas rendre les Jébuséens tributaires; cette parole " Il ne s'empara pas du Jébuséen, " signifie, en tout,cas, que Benjamin n'occupa point le pays à l'exclusion du peuple qui en était possesseur.

VIII. (Ib. I, 27.) Comment les Scythes ont-ils pu bâtir une ville en Palestine? — " Et Manassès n'obtint pas Bethsan, qui est une ville des Scythes. " C'est, dit-on, cette ville qui porte aujourd'hui le nom de Scythopolis. On pourra s'étonner que dans ces contrés si éloignées de la Scythes, il ait pu se trouver une ville de Scythes. Mais on pourrait s'étonner pareillement qu'Alexandre de Macédoine ait fondé une ville d'Alexandrie, si loin de la Macédoine, ce qu'il fil pourtant après avoir porté la guerre au loin de tout côté. Les Scythes ont pu de même créer cette ville, dans leurs lointaines expéditions. On lit en effet dans

1 Jos. I, 63; XVIII, 28.

l'histoire profane que l'Asie presque tout entière fut un certain temps au pouvoir des Scythes, quand ils marchèrent contre un roi d'Égypte qui leur avait spontanément déclaré la guerre, et qui, saisi de terreur à leur arrivée, regagna ses états.

IX. (Ib. 1, 27.) Les villes fondées par une métropole en sont appelées les filles. — " Et Manassès n'obtint pas Bethsan, qui est une ville des Scythes, ni ses filles. " L'écrivain appelle " filles " de Bethsan, les autres villes fondées par cette métropole.

X. (Ib. I, 28.) Un même fait raconté dans deux livres différents. — ". Et quand Israël l'eut emporté, il soumit le Chananéen au tribut, et il ne l'extermina pas. " Déjà quelque chose de semblable a été rapporté au livre de Josué, presque dans les mêmes termes (1). C'est donc ici un résumé, ou bien c'était alors une anticipation, c'est-à-dire, ici on récapitule, ou bien alors ou racontait à l'avance.

XI. (Ib. I, 34.) Encore un fait raconté deux fois. — "Et l'Amorhéen inquiéta les fils de Dan sur la montagne, et il ne les laissa pas descendre dans la plaine. " Ce fait a été pareillement raconté au livre de Josué par anticipation (2), ou bien c'est encore ici une récapitulation.

XII. (Ib. II, 1.) Dieu reproche aux Israëlites de n'avoir pas exterminé les Chananéens. — " Et l'Ange du Seigneur parut sur le mont des Pleurs. " L'Auteur de ce livre appelle ainsi le lieu de l'apparition, parce qu'il écrivait après l'événement; car lorsque l'ange du Seigneur parut sur la montagne, celle-ci ne portait pas encore ce nom. Elle fut appelée, à cause des pleurs qu'on y versa, d'un nom qui en grec signifie pleurs : klauthmos. C'est là en effet que le peuple fondit en larmes en entendant de la bouche de l'Ange l'annonce de la vengeance de Dieu contre lui, à cause de sa désobéissance: il n'avait pas détruit les peuples vaincus, comme le Seigneur l'avait ordonné : il avait préféré leur imposer un tribut plutôt que de les anéantir, comme le Seigneur l'avait prescrit.

Que le peuple ait agi par mépris pour les ordres de Dieu; qu'il ait agi par crainte, appréhendant qu'un ennemi réduit à combattre pour sa conservation, n'opposât une résistance plus opiniâtre que pour échapper au tribut, il y a eu péché de la part du peuple certainement, soit par mépris des ordres du ciel, soit par défiance, comme

1 Jos. XVII, 18. — 2 Ib. XIX, 48. selon les Sept.

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si celui qui commandait était impuissant à secourir. Dieu voulait reprocher cette désobéissance à tout le peuple parle ministère d'un Ange ; c'est pourquoi il n'en chargea pas Josué. Du temps de Josué, tout le peuple n'avait pu se rendre coupable de cette désobéissance; quelques uns peut-être avaient commencé à désobéir, si toutefois ils avaient commencé,et si cette faute, commise depuis la mort de Josué, n'a pas été racontée par anticipation. Il est plus vraisemblable, en effet, que rien de pareil n'eut lieu pendant la vie de Josué, et que les Israëlites alors n'occupèrent que la portion du pays nécessaire à leur établissement ; mais il restait dans la part qui leur était échue d'autres ennemis à détruire, quand ils se seraient eux-mêmes multipliés et auraient accru leurs forces. Seulement après la mort de Josué, lorsque leurs succès les mirent à même d'accomplir leur mission, ils préférèrent suivre leurs inspirations personnelles et soumettre les vaincus à un tribut, plutôt que d'écouter la volonté de Dieu et de tout détruire. C'est pourquoi un ange leur est envoyé pour les réprimander. Ceci a été raconté dans le livre de Josué (1), je pense que c'est par anticipation. Si Josué est lui-même l'auteur du livre qui porte son nom, il a connu par l'esprit de prophétie ce qui devait arriver après sa mort. Si ce livre est d'un autre auteur, celui-ci savait que tout cela était arrivé après la mort de Josué, et en faisait le récit dans ce livre par anticipation.

XIII. (Ib. II, 3.) Certains péchés se commettent par un effet de la colère divine. — Pourquoi l'ange du Seigneur, au milieu d'autres menaces de la vengeance divine, dit-il: "Je ne permettrai point que ce peuple que j'ai ordonné de détruire, périsse. " Je ne les ôterai pas de devant votre face, ils seront votre angoisse, et leurs dieux vous seront une cause de scandale ? " N'est-ce pas pour nous faire comprendre que certains péchés arrivent par un effet de la colère divine? Dieu annonce avec menace et indignation que les dieux de ces nations, avec lesquelles les Israélites ont voulu habiter au lieu de les détruire, leur seront un scandale, c'est-à-dire, les feront pécher contre le leur Dieu, et vivre dans cette offense, ce qui est manifestement un grand péché.

XIV. (Ib. II, 6, 8.) Nouvelle récapitulation. — " Et Jésus renvoya le peuple, et les enfants d'Israël s'en allaient chacun dans sa maison, chacun dans son héritage, occuper la terre. " Il n'y

1 Jos. XIII, 51, 3.

a pas le moindre doute que tout ceci soit dit par récapitulation (1). La mort de Josué lui-même est rapportée dans ce livre. C'est comme le point de départ d'un abrégé rapide des événements accomplis depuis que le Seigneur a donné le pays à son peuple, de la vie que le peuple a menée sous les Juges, de ce qu'il a souffert. On reprend ensuite la suite des Juges eux-mêmes, en commençant par le premier qui fut établi.

XV. (Ib, II, 10.) Dieu se fait connaître par des prodiges. — " Et il s'éleva une nouvelle génération après eux, laquelle ne connut point le Seigneur et les oeuvres qu'il fit en Israël. " L'Ecriture explique en quel sens elle dit qu'ils " ne connurent pas le Seigneur, " c'est-à-dire, dans ces merveilles et ces prodiges accomplis auparavant devant Israël, pour lui faire connaître le Seigneur.

XVI. (Ib. II, 13.) Baal et les Astarté ne diffèrent pas de Jupiter et des idoles de Junon. — " Et ils servirent Baal et les Astarté. " On dit que chez les peuples de ces contrées, Baal est le nom de Jupiter, et Astarté celui de Junon, et on pense en trouver la preuve dans la langue punique. Dans cette langue, en effet, Baal paraît signifier le Seigneur; de là Baalsamen, pour dire le Seigneur du ciel; car Samen signifie les Cieux. Quant à Junon, sans aucun doute, son nom dans cette langue, est Astarté. Comme il y a une grande conformité entre la langue panique et celle de l'Ecriture, on croit avec raison que 1'Ecriture, en disant que les enfants d'Israël adorèrent Baal et Astarté, a voulu parler de Jupiter et de Junon. Ce n'est pas une difficulté lue le nom d'Astarté, c'est-à-dire de Junon, ne soit pas au singulier, mais au pluriel, comme s'il y avait plusieurs Junon. L'Ecriture a en vue la multitude des idoles représentant cette déesse; chacune de ces idoles portait le nom de Junon : il y avait donc, suivant l'Ecriture, autant de Junons qu'il y avait de ces idoles. Je pense que si le nom de Jupiter est au singulier, et celui de Junon an pluriel, c'est uniquement une variété de style. On aurait pu également désigner plusieurs Jupiter, à cause de la multitude ides idoles de ce dieu. Les exemplaires grecs des Septante portent le nom de Junon au pluriel; dans les versions latines ce nom est au singulier. Dans une de ces versions faite, non sur les Septante, mais sur le texte hébreu, nous lisons Astaroth, et au lieu de Baal, Baalim. Si par hasard, ces noms ont une autre signification dans la

1 Jos. XXIV. 28, 29.

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langue hébraïque ou syriaque, ils n'en désignent pas moins des divinités fausses et. étrangères qu'Israël n'aurait pas dû servir.

XVII. (Ib. II,10, 23; III, 1, 4.) Les Israëlites vendus à leurs ennemis et rachetés par le sang de Jésus-Christ. — " Et il les vendit dans la main de leurs ennemis, qui les entouraient. " On demande pourquoi cette expression: " il les vendit, " comme s'il fallait entendre qu'il y eut un prix soldé. Mais on lit dans un Psaume : " Vous avez vendu votre peuple, sans prix (1); " et dans un Prophète : " Vous avez été vendus gratuitement et vous ne serez point rachetés avec l'argent (2). " Pourquoi donc sont-ils vendus, si c'est gratuitement, sans prix? et pourquoi ne sont-ils pas plutôt donnés? Peut-être est-ce là une manière de parler employée par l'Ecriture, qui appliquerait ainsi l'expression de vendu à ce qui est donné. Voici le sens le meilleur de ces paroles : " Vous avez été vendus gratuitement, " et: "Vous avez vendu votre peuple sans prix. " Comme ceux à qui vous avez livré votre peuple étaient des impies, en n'adorant pas Dieu ils ont mérité que ce peuple leur fût abandonné,de manière que leur culte idolâtrique fût en quelque sorte le prix du peuple. Quant à cette parole: " Vous ne serez pas rachetés avec l'argent, " on ne dit pas : sans prix, en échange, mais non pas avec l'argent, afin que nous entendions qu'il y a un prix de rédemption, celui dont parle l'apôtre saint Pierre (3) : " Vous avez été rachetés non avec l'argent et l'or, mais avec le précieux sang de l'Agneau sans tache. " Par l'argent le prophète a entendu toute espèce de monnaie, quand il a dit: " Vous ne serez pas rachetés avec l'argent, " car c'est par le prix du sang de Jésus-Christ et non par une compensation pécuniaire, qu'ils devaient être rachetés.

2. Dieu se sert des nations épargnées, pour éprouver son peuple. — Le Seigneur dit : " Et moi je me garderai d'ôter de leur présence un seul homme des nations que Jésus fils de Navé a laissées, qu'il a laissées pour éprouver Israël, et montrer s'ils observent, ou non, la voie du Seigneur comme leurs pères l'ont suivie : et le Seigneur a laissé ces nations, afin de ne pas les détruire alors, et il ne les a pas livrées dans la main de Josué. " Ici on découvre la raison pour laquelle ces nations n'ont pas été détruites dans les guerres de Josué : si elles l'eussent été, elles n'auraient point servi a éprouver les enfants d'Israël. Or, elles pouvaient leur être utiles,

1. Ps. XLIII, 13. — 2 Is. LII, 3. — 3 I Pierre I, 18, 19.

à la condition que cette épreuve n'aboutit pas à leur réprobation, et elles auraient disparu devant eux, si eux-mêmes se fussent conduits comme Dieu l'avait prescrit, s'il eussent vécu de manière à n'avoir pas besoin d'être éprouvés par la guerre; car voici encore les paroles du Seigneur qu'il faut lire : " Parce que cette nombreuse nation a délaissé mon testament, que j'avais confié à leurs pères, et parce qu'ils n'ont pas obéi à ma voix, moi, à mon tour, je me garderai de faire disparaître de devant eux un seul homme; " c'est-à-dire un seul de leurs ennemis. L'écrivain sacré prend ensuite la parole lui-même, afin d'expliquer pourquoi le Seigneur a dit qu'il ne ferait pas disparaître un seul homme du milieu des nations que Jésus fils de Navé a laissées vivre. Puis il ajoute la raison pour laquelle Josué ne les a point détruites : " Il les a laissées, dit-il, pour tenter Israël, et montrer s'ils observent ou non la voie du Seigneur, comme leur pères l'ont suivie. " Ces dernières paroles font voir que pendant la vie de Josué, leurs frères qui furent sous sa conduite suivirent la voie du Seigneur. L'Ecriture a rapporté plus haut, en effet, qu'une nouvelle génération surgit après ceux qui vécurent avec Josué, qu'elle commença ces transgressions dont le Seigneur fut offensé, et que ce fut pour la tenter, c'est-à-dire pour la mettre à l'épreuve, que les nations ennemies restèrent et ne furent pas détruites par Josué.

3. Ce n'est pas Josué mais Dieu lui-même qui a éprouvé les Israëlites par la guerre. — L'Ecriture veut écarter la supposition que Josué aurait agi de lui-même et par un conseil tout humain, en laissant subsister ces peuples; c'est pourquoi elle ajoute : " Et le Seigneur laissa ces peuples, et ne les détruisit pas immédiatement, et il ne tes livra pas dans la main de Josué. " Viennent ensuite ces paroles: " Telles sont les races que laissa Josué pour qu'elles servissent à tenter Israël, et tous ceux qui ne connurent point toutes les guerres de Chanaan : " elles furent laissées " pour enseigner la guerre aux générations d'Israël. " Le but de l'épreuve des enfants d'Israël fut donc de leur apprendre à faire la guerre, c'est-à-dire, à la faire avec toute la piété et l'obéissance à la loi de Dieu, montrées par leurs prières, qui plurent au Seigneur, même au milieu des combats. Ce n'est pas que la guerre soit quelque chose de désirable : mais la piété dans le guerre mérite des éloges. Ce qui suit : " Mais ceux qui avant eux ne les ont point connues, " (570) peut-il signifier autre chose, sinon que ces races infidèles, réservées pour la tentation, c'est-à-dire, pour l'épreuve des Israëlites, n'avaient point été connues dans les combats par leurs ancêtres? L’Ecriture les énumérant ensuite : " Ce sont, dit-elle, les cinq satrapies des nations étrangères : " au livre des Rois elle les fait connaître plus explicitement (1). On appelle satrapies des espèces de petits royaumes à la tête desquels étaient des satrapes : ce nom est ou a été en honneur dans ces contrées : " Ce sont tous les Chananéens, les Sidoniens, les Hévéens qui habitent le Liban devant le mont Hermon jusque Caboëmath ; et il arriva que par eux Israël fut tenté. " C'est comme si l'Écriture disait: Ceci arriva, afin que par eux Israël fût mis à l'épreuve pour " savoir s'ils écouteront les commandements du Seigneur, " non pour que le Seigneur l'apprît, lui qui connaît tout, même les choses futures, mais pour qu'ils l'apprissent eux-mêmes, et que leur conscience leur rendit un bon ou mauvais témoignage touchant l'observation des commandements que le Seigneur " imposa à leurs pères dans les mains de Moïse. " Or, comme ils virent à n'en pas douter qu'ils n'avaient point obéi à Dieu au milieu des nations laissées pour les tenter, c'est-à-dire, pour les exercer et les éprouver, le Seigneur leur adressa en conséquence et ce reproche que l'ange, son messager, leur fit hautement et expressément, et ces autres paroles rapportées un peu auparavant : " Parce que cette nombreuse nation a délaissé mon testament que j'avais confié à leurs pères, et parce qu'ils n'ont pas obéi à ma voix; moi, à mon tour, je me garderai de faire disparaître de devant eux un seul homme. "

4. Dieu ne veut détruire que peu à peu les ennemis de son peuple. Les bêtes sauvages, symbole des passions. — Au Deutéronome, Dieu, parlant de ces nations ennemies, dit : " Je ne les chasserai pas dans une seule. année, de peur que la terre ne devienne déserte, et que les bêtes sauvages ne se multiplient chez toi . Je les chasserai peu à peu, jusqu'à ce que vous soyez multipliés, que vous ayez pris de l'accroissement, et que vous occupiez le pays (2). Dieu pouvait exécuter cette promesse en faveur d'un peuple obéissant; la destruction des races ennemies se fût accomplie progressivement à mesure que les enfants d'Israël se seraient multipliés, et quand leur accroissement aurait permis de ne

1 I Rois VI, 5, 16. — 2 Ex. XXIII, 29, 30.

pas laisser désertes les terres dont les habitants, leurs ennemis, auraient été anéantis. Quant à cette parole : " De peur que les bêtes sauvages ne se multiplient chez toi, " je serais étonné si par ces bêtes sauvages l'Écriture n'avait pas voulu désigner les convoitises et les passions de la bête, qui naissent ordinairement au sein d'une prospérité terrestre rapidement .obtenue. Dieu pouvait-il en effet exterminer les hommes, et se trouver impuissant pour détruire les bêtes sauvages, ou les nourrir?

XVIII. (Ib. III, 9. ) Interversion. — " Et le. Seigneur suscita un Sauveur à Israël et il les sauva; " et comme si l'on demandait quel est ce Sauveur, " Gothoniel, dit-il, fils . de Cénez. " Ce nom, Gothoniel, doit être pris ici comme étant à l'accusatif. Il faut remarquer que l'Écriture donne le nom de Sauveur même à un homme qui est l'instrument de Dieu pour sauver le peuple. " Les " enfants d'Israël crièrent au Seigneur, et le Seigneur suscita un sauveur à Israël et il les sauva, " Gothoniel, fils de Cénez, frère puîné de Caleb, et il les exauça. " Il y a ici une sorte d'inversion peu commune, celle que les Grecs appellent : interversion du discours. Si on met en avant ces paroles qui viennent ensuite : " Et il les exauça, " le récit devient clair. En voici l'ordre: " Et les enfants d'Israël crièrent vers le Seigneur, et il les exauça, et le Seigneur suscita à Israël un Sauveur, Gothoniel, fils de Cénez, et il les sauva. " Il les sauva : si on rejette à la fin cette phrase intercalée dans le texte entre un Sauveur et Gothoniel, à l'accusatif, tout s'explique aisément.

XIX. (Ib. III, 11.) Longue paix en Israël. — L'Ecriture assure que pendant quarante ans la terre promise se reposa des guerres sous la judicature de Gothoniel. C'est tout ce que l'empire romain dans ces commencements put avoir de temps de paix, et seulement. sous le roi Numa Pompilius.

XX. (Ib. III, 19, 20. ) Une parole à double sens est-elle un mensonge? — On peut demander s'il y eut mensonge de la part d'Aod, juge d'Israël, quand il tua Eglon, roi de Moab. En effet, comme il cherchait à le surprendre seul à seul, pour le frapper, il lui dit : " J'ai une parole secrète pour vous, ô roi, " afin que le roi renvoyât tous ceux qui étaient avec lui; quand cela fut fait, Aod dit de nouveau : " J'ai une parole de Dieu pour vous, ô roi. " Mais il se peut qu'il n'y ait point ici de mensonge : quelque fois l’Écriture donne le nom de parole à une action; (571) et c'était le cas donc cette circonstance. Quant à ce qui est dit que c'est une " parole de Dieu, " on doit admettre que Dieu, ayant suscité un sauveur à son peuple, lui donna l'ordre de tuer Églon; car dans ces temps il fallait que le Ciel donnât de tels ordres.

XXI. (Ib. III, 17. ) Antiphrase. — On cherche avec raison comment il a pu se faire que " le roi Eglon étant extrêmement grêlé, sa graisse recouvrit sa blessure, " après qu'il eut reçu le coup mortel. Mais il faut voir ici une antiphrase, manière de parler qui signifie le contraire de ce qu'elle énonce : c'est ainsi qu'on appelle lucus, le bois sacré, où il n'y a pas de lumière, lux, et qu'on exprime le défaut parle terme d'abondance ; c'est ainsi encore qu'au livre des Rois il est écrit de Nabuth qu'il bénit le roi, pour marquer qu'il le maudit (1). Toutefois nous lisons dans la Vulgate, traduite non sur les Septante mais sur l'hébreu : " Or, Eglon était d'un excessif embonpoint.

XXII. (Ib. III, 23. ) Encore une interversion. — " Et Aod sortit dehors et terrassa les gardes, et il ferma les portes de la chambre haute sur soi, et il ferma solidement. " Ces dernières paroles qui avaient d'abord été omises doivent se rattacher à ce qui a été dit précédemment. Car les portes furent d'abord fermées, et seulement alors, Aod descendit et traversa les gardes.

XXIII. (Ib. III, 25:) Comment put-on ouvrir avec une clef une porte qui n'avait pas été fermée à la clef. — On pourra se demander comment les serviteurs du roi Eglon ont pu ouvrir avec une clef la porte qu'Aod n'avait point fermée à la clef; ou s'il avait fermé à la clef, comment n'avait-il pas emporté cette clef, afin d'empêcher qu'on ouvrît ? On prit une autre clef, ou bien les portes en question pouvaient se fermer, mais non s'ouvrir sans clefs. Il y a des appartements qui ferment de cette manière, ceux par exemple qui ont des verrous.

XXIV. ( Ib. III, 30.) Très-longue paix. — Sous. la judicature d'Aod, Israël jouit de la paix dans la terre promise l'espace de quatre-vingts ans, ce qui est le double de la durée de cette paix fameuse du peuple romain sous le roi Numa Pompilius.

XXV. (Ib. III, 31. ) Sur la victoire de Samgar. — " Et après lui parut Samgar fils d'Aneath, et il tua aux étrangers six cents hommes, sans compter les jeunes boeufs, et il sauva Israël. " On peut demander comment après Aod, Samgar a combattu pour Israël, et comment il l'a délivré,

1 III Rois, XXI. 10,13.

car Israël n'avait pas été réduit de nouveau en captivité, ni soumis à la servitude. Comprenons que cette parole : " il sauva, " rappelle non que l'ennemi fit du tort, mais qu'il ne lui fut pas permis d'en faire : il faut croire qu'il essaya de la guerre, mais qu'il fut repoussé par les armes victorieuses du nouveau Juge. Pourquoi ajouter : " sans compter les jeunes bœufs ? " c'est obscur. Peut-être Samgar en combattant fit-il un carnage des bœufs ; et pour cette raison l'Ecriture dirait qu'il a tué six cents hommes, sans compter les bœufs mis à mort. Mais pourquoi dire: de jeunes boeufs ? Serait-ce que dans la langue grecque l'usage est de donner le nom de veaux à, des bœufs déjà forts? Il paraît que, en Egypte, cette locution est usitée, de même que chez nous on appelle poussins, les poules de tout âge. La version faite sur l'Hébreu ne porte pas celles-ci : " sans compter les jeunes boeufs, " comme la version faite sur les Septante : mais en revanche, cette version faite sur l'hébreu porte celles-ci que n'a point la nôtre : " six-cents hommes tués, avec un soc de charrue. "

XXVI. (Ib. IV, 8.) Sur le secours des anges. — Quel est le sens de cette réponse de Barac à Débora : " Si tu vas, j'irai; si tu ne viens pas avec moi, je n'irai point, car j'ignore en quel jour le Seigneur favorise son ange avec moi ? " Barac ne pouvait-il pas connaître par la prophétesse ce jour favorable ? Mais celle-ci ne le lui révèle pas elle marche avec lui. Puis, quel est le sens de ces paroles : " Le Seigneur favorisé son ange avec moi? " Ceci montre-t-il que les anges eux-mêmes ne réussissent dans leurs entreprises que par l'appui du Seigneur ? Est-ce seulement une manière de parler ; et ces mots: " Le Seigneur favorise son ange avec moi, " signifieraient-ils : Le Seigneur me donne le succès par le ministère de son ange ?

XXVII. (Ib. IV, 15. ) Dieu dirige les événements, en agissant sur les cœurs. — " Et le Seigneur épouvanta Sisara et tous ses chariots. " C'est ainsi que l'Ecriture nous montre Dieu agissant sur les coeurs, et donnant aux évènements l'issue qu'il a déterminée. Il épouvante, il stupéfie Sisara, c'est indubitablement pour le livrer.

XXVIII. ( Ib. IV, 22. ) Sens de ces mots : Il entra auprès d'elle. — Jahel, cette femme qui mit à mort Sisara, ayant parlé à Barac qui cherchait Sisara, l’Ecriture dit que Barac " entra auprès d'elle. " Sur cela il faut observer que quand l'Ecriture dit d'un homme qu'il entra auprès (572) d'une femme, la conséquence à tirer n'est pas qu'il ait eu commerce avec elle. A la vérité ces expressions : " il entra auprès d'elle, " n'expriment pas ordinairement autre chose ; mais ici ces paroles doivent être prises dans leur sen naturel : " il entra auprès d'elle, " c'est-à-dire il entra dans sa maison. Elle ne signifient pas le commerce charnel.

XXIX. (Ib. V, 7, 8.) Phrase rendue obscure par une inversion. — Dans le cantique de Débora il est dit: " Les habitants en Israël défaillirent, ils défaillirent jusqu'à ce que surgit Débora, jusqu'à ce que surgit une mère en Israël, ils choisirent de nouveaux dieux, comme on prend un pain d'orge : alors ils s'emparèrent des villes des princes. " Dans ce passage l'ordre des paroles interverti crée de l'obscurité, et soulève une question. Comment comprendre qu'ils " choisirent de nouveaux dieux comme on prend un pain d'orge, " et que alors, ils " s'emparèrent des villes des princes? " comme si Dieu les avait favorisés pour.prendre ces villes, quand ils choisissaient de nouveaux dieux, préférant un pain d'orge au pain de froment? Mais nous avons appris dans d'autres passages de l'Ecriture comment il y a fréquemment des inversions. Si d'après cette donnée, on rétablit l'ordre dans les termes, le sens devient clair. Voici donc l'ordre véritable : " Les habitants en Israël défaillirent, ils défaillirent et se choisirent de nouveaux dieux, comme on prend un pain d'orge, jusqu'à ce que surgit Débôra, jusqu'à ce que surgit une mère en Israël. ; alors ils s'emparèrent des villes des princes. "

XXX. (Ib. V, 8.) Sur la comparaison des faux dieux au pain d'orge. — On peut demander comment il est dit qu'ils " choisirent de nouveaux " dieux comme un pain d'orge. " Comparé au pain de froment, le pain d'orge doit être, à la vérité, laissé de côté : cependant il nourrit, c'est un aliment qui entretient la vie, tandis que les dieux nouveaux dont firent choix ceux qui s'éloignèrent du Dieu vivant, ces dieux ne purent fournir d'aliment à l'âme, mais furent plutôt un poison. Peut-être cette comparaison ne. doit-elle être prise que sous un seul point de vue, et n'a-t-elle d'autre but que d'exprimer cette pensée de même que le dégoût a ordinairement pour effet de porter à rejeter ce qu'il faudrait choisir et à trouver du plaisir dans ce qu'il faudrait repousser ; ainsi par le vice de leur volonté dépravée, atteinte de langueur, et dégoûtée du vrai Dieu, qui était leur Dieu, ils cherchèrent dans les faux dieux la nouveauté seule, après avoir méprisé la vérité ;ils prirent de la sorte un aliment mortel comme si t'eût été un pain d'orge, sans penser qu'ils s'empoisonnaient, mais croyant puiser la vie dans une nourriture saine quoique plus grossière. La comparaison serait donc basée sur l'opinion des Israëlites infidèles et leurs dispositions de langueur spirituelle, et non sur la vérité ; car ces dieux nouveaux ne peuvent aucunement être comparés à des aliments qui vivifient.

XXXI. (Ib. VI, 8, 11.) Le nom d'homme et de prophète , donné à un ange. — Quand les Israëlites " crièrent vers le Seigneur, à cause de Madian, le Seigneur envoya un homme, un prophète aux enfants d'Israël, et il leur dit . " Pourquoi, contrairement à l'usage constant des Ecritures, ce prophète n'est-il point désigné par son nom? La cause, pour être cachée, n'en existe pas moins, je crois. En effet, après les paroles par lesquelles ce prophète reproche au peuple sa désobéissance, l'Ecriture poursuit en ces mots : " Et l'ange du Seigneur vint, et il s'assit sous le chêne qui était à Ephra : " de là on conjecture, non sans vraisemblance, que c'est un ange quia été désigné ici sous le nom d'homme ; après avoir prononcé les paroles en question, il sera venu près du chêne indiqué, et il se sera assis. On sait que l'Ecriture a l'usage de donner aux Anges des noms d'homme (1). On ne voit pas aisément, sans doute, ni évidemment pourquoi un ange serait appelé un prophète; mais on lit qu'un prophète fut appelé ange (2). Mais si les anges ont prononcé des paroles prophétiques, c'est-à-dire, s'ils ont prédit les choses futures, pourquoi le nom de prophète ne pourrait-il pas être donné à un ange ? Toutefois, je l'ai dit, nous n'avons sur ce point aucun témoignage formel et péremptoire.

XXXII. (Ib. VI, 12.) Explication grammaticale. — Dans cette parole de l'ange à Gédéon : " Le Seigneur est avec toi, puissant dans la force, " les expressions "puissant dans la force, " sont au nominatif et non au vocatif; c'est-à-dire, le " Seigneur puissant est avec toi, " et non : avec toi, puissant.

XXXIII. (Ib. VI,14.) L'ange parle comme tenant la place de Dieu. — Remarquez que l'ange, parlant à Gédéon, lui dit comme tenant la place de Dieu " N'est-ce point moi qui t'ai envoyé? " Qui a envoyé Gédéon, sinon Celui quia député un ange

1 Gen. XIX, 10. — 2 Matt. XI, 10.

573

vers lui? Débora, au contraire, parlant à Barac dit: " Le Seigneur, Dieu d'Israël, ne t'a-t-il point donné l'ordre (1)? " Ici on ne dit pas : Le Seigneur ne t'a-t-il pas envoyé? mais : " N'est-ce point moi qui t'ai envoyé ?"

XXXIV. (Ib. VI, 15.) Gédéon était-il un des Chiliarques? — Gédéon répond à l'ange : " A moi, Seigneur! " c'est-à-dire :Venez à mon aide: " Avec quoi sauverai-je Israël? Voilà que mes mille hommes sont les plus faibles dans Manassé. " Faut-il entendre qu'il était à la tête de mille hommes, qu'il était un de ceux que l'Écriture appelle en grec : chiliarques? Est-ce autre chose ?

XXXV. (Ib. VI, 18-2.) Gédéon n'offre pas son sacrifice à l'ange; mais en sa présence et avec son aide. — Il faut remarquer que Gédéon ne dit point à l'ange : Je vous offrirai un sacrifice, mais : " J'offrirai mon sacrifice;" et je le " mettrai en votre présence, " ce qui l'ait comprendre qu'il a voulu offrir le sacrifice, non pas à l'ange, mais parle ministère de l'ange. C'est ce que l'ange lui-même fait voir clairement, car il n'accepte point pour lui le sacrifice de Gédéon, mais il dit à celui-ci. "Prends les chairs et les azymes, et dépose-les sur cette pierre, et répands le jus. Et lorsque Gédéon eut fait cela, l'ange du Seigneur étendit l'extrémité de la verge qu'il tenait en sa main, et il toucha les chairs et les azymes, et le feu jaillit de la pierre et consuma les chairs et les azymes . " Ainsi, l'ange lui-même dans le sacrifice offert par Gédéon remplit l'office de ministre. En effet, le feu qui eût été allumé sans miracle par l'homme faisant l'office de ministre, et agissant comme homme, fut allumé miraculeusement par l'intervention angélique. A ce moment Gédéon reconnut que ce personnage était l'ange du Seigneur, car l'Ecriture ajoute immédiatement : " Et Gédéon vit que c'est l'ange du Seigneur." Auparavant donc il parlait à l'ange croyant qu'il était un homme, mais un homme Dieu, puisqu'il voulait offrir le sacrifice en sa présence; afin que la présence d'un saint lui vînt en aide.

XXXVI. (Ib. VI, 20.) Dieu tolérait qu'on lui offrit des sacrifices ailleurs que dans le tabernacle. L'eau et le feu, symboles de l'Esprit-Saint. — On peut se demander comment Gédéon n'a pas craint d'offrir le sacrifice à Dieu hors du lieu que le Seigneur avait désigné. Dieu avait détendu qu'on lui offrît des sacrifices ailleurs que dans son tabernacle (2), remplacé dans la suite par le temple.

1 Jug. IV, 6. — 2 Deut. XII, 13.

Or, du temps de Gédéon le tabernacle était à Silo ; c'était donc là seulement que le sacrifice pouvait être offert légitimement. Mais on doit considérer que Gédéon avait d'abord pris l'ange pour un prophète, qu'il avait consulté le Seigneur en sa personne pour offrir le sacrifice, et qu'il ne l'eût point offert si l'ange lui en eût fait la défense. Comme l'ange approuva le sacrifice, et consentit qu'il fût offert, Gédéon suivit l'ordre de Dieu en sacrifiant. Dieu certainement a établi des lois légitimes, mais ces lois, c'est aux hommes qu'il les a imposées, et non à lui. Tout ce qu'il a prescrit en dehors de cet ordre commun, n'a pas rendu prévaricateurs ceux qui l'ont exécuté, mais ils ont été pieux et soumis : ainsi Abraham immolant son fils (1). Pour convaincre les prêtres des idoles, Elie sacrifia aussi hors du tabernacle (2). Il le fit, nous devons le comprendre, en vertu d'un ordre du Seigneur qui lui fut communiqué en sa qualité de prophète par révélation, et inspiration. Cependant, la coutume de sacrifier hors du tabernacle était devenue si générale que Salomon lui-même sacrifia sur les hauts lieux, et on ne voit point que son sacrifice ait été réprouvé (3). Il est vrai que l'Écriture signale les rois qui, ayant fait des oeuvres dignes d'éloge, n'ont pas détruit ces hauts lieux où le peuple était dans l'usage de sacrifier contrairement à la Loi de Dieu, et qu'elle donne de plus grandes louanges à celui qui les a détruits. Dieu tolérait donc, plutôt qu'il ne défendait, cette coutume de son peuple de sacrifier hors du tabernacle, non pas aux dieux étrangers, mais à lui le Seigneur leur Dieu, et même il exauçait ceux qui offraient ces sacrifices. Quant à ce que fit Gédéon, qui ne reconnaît un dessein prophétique dans l'action de l'Ange : la glorification prophétique de la pierre du sacrifice? Ce ne fut point à la pierre, sans doute, que le sacrifice l'ut offert, mais le feu qui consuma le sacrifice sortit de la pierre. Le don du Saint-Esprit, répandu sur nous très-abondamment par Jésus-Christ Notre-Seigneur, est figuré et par l'eau qui jaillit dans la désert de la pierre frappée de la verge (4), et par le feu. Dans l'Évangile en effet, le don du Saint-Esprit est signifié par l'eau quand le Seigneur dit lui-même: " Si quelqu'un a soif, qu'il vienne et qu'il boive. Celui qui croit en moi, comme dit l'Écriture, des fleuves d'eau vive sortiront " de ses entrailles; " et l'Évangéliste ajoute: " Or il disait cela de l'Esprit que recevraient ceux qui

1 Gen. XXII, 2. — 2 III Rois, XVIII, 30 - 38. — 3 Ib. III, 4-15. — 4 Nomb. XX, 2.

574

qui croiraient en lui (1)." Le feu qui descendit sur les disciples réunis exprima pareillement ce don du Saint-Esprit. On lit : " Ils virent comme des langues de feu divisées qui se reposèrent sur chacun deux (2). " Et le Seigneur lui même dit " Je suis venu apporter le feu sur la terre (3). "

XXXVII (Ib. VII, 6.) Les trois cents hommes de Gédéon, figure des fidèles. — " Et le nombre de ceux qui burent dans leur main, avec la langue, fut de trois cents hommes. " La plupart des exemplaires latins n'ont pas ces mots: " dans leur main, " mais ceux-ci seulement : " avec la langue ; " ils ont cru rendre suffisamment par ces expressions ce qui est dit plus haut

" comme des chiens. " Le texte grec porte les deux termes : " dans leurs mains, " et " avec la langue " afin d'exprimer que les soldats de Gédéon employaient les mains pour porter à la bouche l'eau puisée à la hâte et qu'ils imitaient les chiens en buvant. Les chiens ne puisent pas à longs traits comme font les boeufs, avec le mufle, mais avec la langue ils attirent l'eau. C'est ainsi que burent ces trois cents hommes de Gédéon; cependant ils portaient à la bouche avec la main l'eau que la langue recevait. La version faite sur l'hébreu explique cela clairement, voici ses paroles : " Le nombre des hommes qui de la main jetant l'eau dans leur bouche, la prirent avec la langue, fut de trois cents. " Les hommes en effet ne boivent pas en puisant l'eau avec la langue, comme les chiens, sans employer le secours de la main. L'ordre avait été donné aux soldats de Gédéon de faire ainsi ; mais lorsqu'ils vinrent auprès de l'eau pour boire, beaucoup burent à genoux, ce qui était plus commode, et demandait peu d'effort. Le plus petit nombre d'entre eux se courbèrent sans fléchir le genou et burent à la manière des chiens, jetant l'eau dans la bouche avec la main. Ils furent trois cents. Ce nombre figure la, croix, car son signe est la lettre grecque T laquelle de plus symbolise d'autant mieux les nations qui devaient croire au crucifié, que c'est une lettre grecque. Par les Grecs, en effet, l'Apôtre comprend toutes les nations, quand il dit : " Au Juif d'abord et au Grec (4), " et encore : " aux Juifs et aux Grecs (5). " Il désigne fréquemment par ces mots, la circoncision et le prépuce : parce que la langue grecque a une si grande prééminence sur toutes les autres langues des nations,

1 Jean, VII, 37-39. — 2 Act. II, 3. — 3 Luc, XII, 49. — 4 Rom. II, 9, 30. — 5 I Cor. 1, 24,

que l'on peut sous son nom les désigner toutes. Il faut remarquer que ce nombre de trois cents est celui des serviteurs d'Abraham, quand avec leur concours il délivra son neveu des mains des ennemis, et qu'il reçut la grande et mystérieuse bénédiction de Melchisédech. L'Ecriture rapporte qu'ils étaient trois cents dix-huit (1). Cet excédent : dix-huit, marque, à mon avis, l'époque du règne futur de la grâce, c'est-à-dire, la troisième époque. La première est le temps qui précède la Loi, la deuxième est le temps de la Loi, et la troisième le temps de la grâce. Chacun de ces temps est figuré par le nombre six à cause de sa perfection. Ce nombre répété trois fois forme dix-huit. Aussi cette femme que le Sauveur trouva courbée et qu'il redressa, et comme l'Evangile le dit, qu'il délivra des liens du diable (2), était depuis dix-huit ans dans sou infirmité. Quant à ces hommes d'élite avec lesquels Gédéon remporta la victoire ; en comparant la manière dont ils se désaltérèrent à celle des chiens, on montre que Dieu a choisi ce qui est méprisable et sans renom (3). Le chien est, en effet, l'expression du mépris; c'est pourquoi Jésus dit : " Il n'est pas bon de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens (4); " et David pour s'abaisser, et paraître méprisable, se donne à lui-même, en parlant à Saül, le nom de chien (5).

XXXVIII. (Ib. VII, 11.) Variantes. — Quel est le sens de cette parole : " Gédéon descendit lui-même " avec son serviteur vers le côté des cinquante " qui étaient dans le camp; " ce que certains exemplaires latins rendent ainsi : " vers le côté " du camp où se trouvaient les cinquante sentinelles, " et d'autres de cette manière : " vers " le cinquantième côté du camp? " L'obscurité du texte a fait naître plusieurs interprétations. Il est question de la partie du camp qui était gardée par cinquante sentinelles, ou bien, s'il faut entendre que des compagnies de cinquante hommes étaient de garde tout autour du camp, Gédéon et son serviteur vinrent sur un point du camp que gardaient cinquante sentinelles.

XXXIX. (Ib. VII, 13.) Le pain d'orge, symbole du choix que Dieu fait des petits pour confondre les superbes. — Un homme du camp racontait à son compagnon qu'il avait vu en songe un pain d'orge, durci,. qui roulait dans le camp, poussait et renversait les tentes de Madian ;

1 Gen. XIV, 14-20. — 2 Luc, XIII, 11-13. — 3 II Cor. I, 28 — 4 Matt, XV, 26. — 5 I Rois, XXIV,15.

575

Gédéon l'entendit et fut assuré de la victoire. Ce pain d'orge, comme la comparaison des chiens, signifiait que le Sauveur confondrait les superbes avec ce qui est méprisable selon le monde.

XL. (Ib. VII, 20.) Cri de guerre des soldats de Gédéon. — Gédégn ordonna à ses trois cents hommes de crier : " Le glaive du Seigneur, est à Gédéon, " (Gédéon, au datif.) Ce cri signifie que le glaive accomplirait le bon plaisir de Dieu et de Gédéon.

XLI. (Ib. VIII, 26, 27.) L'éphod que fit faire Gédéon était-il un vêtement? — On demande ce que c'est que l'éphod, ou l'éphud. Si, comme le disent la plupart des interprètes, c'est un vêtement sacerdotal ou plutôt un vêtement que l'on met par dessus les autres, appelé en grec: epeduma, manteau ou epomis, mantelet, et en latin : superhumerale, vêtement qui recouvre les épaules, on peut se demander avec raison comment Gédéon a employé une si grande quantité d'or à la confection de ce vêtement. En effet, il est écrit : " Les pendants d'oreilles que Gédéon avait demandés se trouvèrent peser mille sept cents sicles d'or, sans compter les bracelets, les colliers, les vêtements de pourpre que portaient les rois de Madian, sans compter les colliers qui entouraient le cou des chameaux eux-mêmes ; et Gédéon en fit un éphod et le dressa dans sa cité à Ephra, et là tout Israël tomba dans la fornication de l'idolâtrie à cause de cet éphod, et il fut pour Gédéon et sa maison un objet de scandale. " Comment une telle quantité d'or put-elle être employée à ce vêtement ? Nous lisons que la mère de Samuel fit à son fils, en le présentant au Seigneur pour être élevé dans son temple, un éphod le lin, car c'est ainsi que plusieurs interprètent ces paroles : Ephud-bard (1) : cela montre avec évidence que l'éphod est une sorte de vêtement. Ces expressions : " Il le dressa dans sa cité, " n'auraient-elles point pour but d'indiquer qu'il fut tout en or? L'Écriture dit en effet non qu'il le mit, mais qu'il le dressa parce qu'il était solide et ferme, pouvant être dressé et se tenir debout.

2. L'empressement des Israëlites autour de l'Ephod de Gédéon était une sorte d'idolâtrie. — Gédéon ayant donc fait illicitement cet éphod, " tout Israël tomba dans la fornication de l'idolâtrie à cause de cela," c'est-à-dire en courant à cet éphod contrairement à la Loi de Dieu. Ici une, question naturelle se présente : Comment

1 I Rois, II, 18,

l'Écriture accuse-t-elle d'idolâtrie le culte et le concours du peuple autour de cet éphod, puisque ce n'était pas là une idole, un simulacre de fausse divinité, mais un des objets sacrés du tabernacle, un vêtement sacerdotal? C'est qu'en dehors du tabernacle renfermant tous ces objets que Dieu avait commandés, il était défendu d'en faire aucun autre semblable. C'est pourquoi l'Écriture poursuit en ces termes : " Et cet éphod devint pour Gédéon et sa maison un sujet de scandale, " c'est-à-dire, d'offense et d'éloignement du Seigneur. C'était comme une espèce d'idolâtrie d'adorer, à la place de Dieu, hors du tabernacle, un ouvrage de main d'homme quelconque, quand ceux que Dieu avait fait exécuter dans l'intérieur de son tabernacle servaient à son culte, bien loin qu'aucun d'eux reçût le culte soit comme Dieu, soit comme image de Dieu.

3. Gédéon ne fit pas seulement un éphod, mais aussi tous les autres objets qui servaient au culte divin. — Par l'éphod ou l'éphud, si l'on prend la partie pour le tout, on peut encore entendre tout ce que Gédéon érigea dans la ville à la ressemblance du tabernacle, comme pour rendre un culte à Dieu : l'éphod en effet, comme l'Écriture le rappelle souvent, est la marque insigne de la dignité sacerdotale Le péché de Gédéon serait donc d'avoir érigé hors du tabernacle une espèce de nouveau tabernacle où l'on vint adorer Dieu. Il n'aurait point construit d'or massif un éphod, pour qu'on l'adorât, mais avec l'or faisant partie du butin, il aurait fabriqué tous les ornements et les ouvrages du. sanctuaire, lesquels seraient désignés par l'éphod, à cause de l'insigne prééminence de ce vêtement sacerdotal, comme je l'ai expliqué. L'éphod, si c'est l'ornement qui couvre les épaules sur les vêtements sacerdotaux, n'était point fait d'or exclusivement, bien que l'or y fût employé. Dieu avait ordonné qu'il fût composé d'or, d'hyacinthe, de pourpre, d'écarlate et de fin lin. Mais comme les Septante, après avoir énuméré les dépouilles remportées par Gédéon, ajoutent : " Et Gédéon en fit un éphod, " ils paraissent vouloir faire entendre que tout a été employé à cet objet. On peut voir ici, cependant, une figure de langage désignant la partie pour le tout. Ces paroles: " Il en fit un éphod, " signifieraient : il fit de cela un éphod, ou bien, avec les dépouilles il fit un éphod, non en employant tout à cet usage, mais en prenant tout ce qui était nécessaire. On lit, en effet, dans la version faite sur l'hébreu ; " avec (576) cela Gédéon fit un éphod ; " ou, comme écrivent les Septante, un éphod, changeant ainsi le mot qu'on dit être employé en hébreu. Tous les prêtres ne portaient point cet éphod tissu d'or, d'hyacinthe, de pourpre, d'écarlate et de fin lin; mais le grand-prêtre seulement. Aussi, l'éphod que Samuel reçut de sa mère, et dont nous avons parlé, n'était-il point ce riche ornement; car Samuel n'était pas souverain Pontife, c'était un enfant qui était offert pour être élevé dans le temple. Cet éphod de Samuel est appelé éphudbar, ou plutôt, à-ce que disent ceux qui connaissent la langue hébraïque, éphud-bat, ce qui signifie un éphod de lin. — Je pense que l'éphod fabriqué par Gédéon fut ce vêtement somptueux, principal ornement du Grand-Prêtre, et que, sous sa dénomination,se trouvent compris tous les autres ouvrages sacrés qu'il fit construire hors du tabernacle du Seigneur, dans sa propre ville. Tel fut le péché qui devint un sujet de scandale pour Gédéon et sa famille, et causa la perte d'un si grand nombre de ses fils, comme l'Écriture le raconte ensuite (1).

XLII. (Ib. VIII, 27, 28.) Est-ce après le péché de Gédéon que le peuple jouit de quarante années de paix ? — Une question qui ne doit pas être omise, c'est de savoir comment pendant les jours de Gédéon la terre a été en repos quarante ans, puisque après la victoire qui affranchit la nation, Gédéon fit avec l'or des dépouilles un idole que tout Israël adora, et qui devint pour lui-même et toute sa maison une cause de ruine. Comment après une telle prévarication, dont Gédéon et le peuple se rendirent coupables, la terre tutelle en repos pendant quarante ans? L'Écriture nous montre constamment qu'au lieu d'obtenir la paix, le peuple l'a perdue quand il est devenu infidèle au Seigneur son Dieu, et qu'au lieu d'être mis à l'abri des incursions de ses ennemis, il a passé sous leur joug. Mais il y a ici, suivant l'usage de l'Écriture, un récit anticipé : l'histoire de l'éphod confectionné par Gédéon, contrairement à la Loi de Dieu, avec l'or provenant des ennemis vaincus et désarmés, est une histoire rapportée à l'avance, l'Écriture voulant joindre dans le même récit ce qui regarde l’origine de cet or et l'emploi que l'on en fit. Ce lut plus tard, vers latin des jours de Gédéon, que ce péché fut commis, quand vinrent les maux dont l'Écriture fait la narration après avoir mentionné les années de paix dont la terre jouit au temps de

1 Jug. IX, 5.

Gédéon. En rappelant ces années de paix, l'Écriture fait un résumé, c'est-à-dire qu'elle reprend la suite des événements qu'elle avait interrompue en intercalant le récit du scandale arrivé plus tard.

XLIII. (Ib. VIII, 33.) Après la mort de Gédéon le peuple tombe dans l'idolâtrie. — " Et il arriva, après la mort de Gédéon, que les enfants d'Israël s'égarèrent et tombèrent dans la fornication à la suite des Baalim, et ils prirent Baalbérith pour leur Testament, afin qu'il fût leur Dieu. " Baalim et, Baalbérith sont des idoles. La prévarication du peuple, son idolâtrie fut plus énorme après la mort de Gédéon, qu'elle n'avait été de son vivant à l'occasion de l'éphod; car l'éphod, bien que la confection en eût été illicite, était un des objets sacrés du tabernacle, tandis que cette dernière fornication de l'idolâtrie ne put pas même s'autoriser du prétexte qu'on suivait la religion de ses pères. Si l'éphod fut fait, non à la fin de la vie de Gédéon, mais auparavant, Dieu usa de patience, et permit que la paix ne fût point ôtée à la terre, parce que bien que l'on eût transgressé son précepte, on ne s'était pas entièrement éloigné de lui, en exécutant un ouvrage semblable à celui que lui-même avait prescrit en son honneur dans son tabernacle. Mais le Seigneur ne voulut pas laisser impunies ces dernières iniquités plus graves, cette manifeste idolâtrie de son peuple.

XLIV. (Ib. IX, 14, 15.) Allégorie. — Ici nous trouvons une allégorie : Le buisson, espèce d'épine, convié par les autres arbres à être leur roi, dit ces paroles : " Si en vérité vous me constituez pour votre roi, venez, confiez-vous à ma protection; et si non, que le feu sorte du buisson et dévore les cèdres de Liban. " Le sens de ce passage st obscur, mais on l'éclaircit à l'aide d'une distinction. Il ne faut pas lire : " Et si le feu ne sort pas du buisson, " mais il faut placer la virgule après ces mots: " et si non, " puis ajouter: " que le feu sorte du buisson, " c'est-à-dire: si vous ne me choisissez pas véritablement pour votre roi " que le feu sorte du buisson, et qu'il consume les cèdres de Liban. " Ces paroles expriment la menace de ce qu'il pourra faire, si on n'accepte pas sa royauté. Mais comme il ne dit pas : le feu sortira du buisson, et consumera les cèdres du Liban, et qu'il dit " que le feu sorte et consume, " la distinction qui était sous-entendue ne suffit pas à éclaircir le sens. Quand quelqu'un dit par exemple : si tu ne veux pas faire ce que j'exige, que ma colère tombe sur toi, c'est-à-dire,

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qu'elle tombe a l'instant; à quoi tient-il qu'elle n'éclate? la menace à quelque chose de plus véhément, sa puissance paraît plus efficace, plus présente, que si l'on disait, en menaçant d'une vengeance à venir : ma colère sévira.

XLV, (Ib. IX, 23.) Dieu envoie-t-il ou laisse-t-il seulement aller l'esprit mauvais? — " Et le Seigneur envoya un esprit malin entre Abimélech et des hommes de Sichem. " Ces paroles expriment-elles un ordre, ou seulement une permission de la part du Seigneur ? c'est ce qui n'est point facile à décider. Le terme employé ici est : emisit, il envoya, et dans le grec on lit aussi : il envoya, exapesteilen, comme dans le Psaume " Envoyez votre lumière (1). " Il est vrai que dans certains endroits, nos interprètes rendent le mot grec exapesteilen, non par: il envoya, mais par il laissa partir. On peut donc entendre que Dieu a laissé partir un esprit mauvais qui voulait aller au milieu d'eux, en d'autres termes, qu'il lui a donné le pouvoir de troubler la paix parmi eux. Il paraît d'ailleurs si peu impossible que Dieu envoie un esprit mauvais pour exercer sa juste vengeance, que certains interprètes ont même été .jusqu'à rendre l'expression : exapesteilen, par : il mit au-dedans d'eux.

XLVI. (Ib. IX, 32, 33.) Le matin et le lever du soleil sont des termes identiques. — Zébul, gouverneur de la ville de Sichem, fait dire aux émissaires d'Abimélech ces paroles: " Et maintenant lève-toi pendant la nuit, toi, et ton peuple avec toi, et dresse des embuscades dans la campagne. Et le matin, lorsque le soleil se lève, tu te hâteras, et tu te précipiteras sur la ville. " Là on les exemplaires latins portent : tu te hâteras, maturabis, ou, selon quelques uns : manicabis; le texte grec porte, ce que l'on ne peut rendre par un seul mot : " tu te lèveras au point du jour. " Peut-être l'expression latine maturabis, tu te hâteras, dérive-t-elle du mot matutinum, matin, bien qu'elle soit prise pour exprimer la rapidité dans l'exécution d'une chose, en quelque temps que.ce soit. Quant à l'expression : manicabis, je ne vois pas de terme latin qui lui corresponde. Mais comment après avoir dit : " aussitôt que le soleil se lève, " ajoute-t-il : " tu te lèveras au point du jour? " Le point du jour, en grec orthros, marque le temps qui précède le lever du soleil, ou ce que, dans le langage usuel, on appelle les premiers rayons de l'aube. Quand donc l'auteur sacré dit: "le matin, " cela doit

1 Ps. XLII, 3.

s'entendre du point du jour, et s'il ajoute : " aussitôt que le soleil se lève, " c'est pour exprimer que l'avis doit être exécuté, non après le soleil levé, mais aussitôt que ses premiers rayons paraissent à l'orient. La blancheur de l'aube n'a point, en effet, d'autre cause que le retour des premiers rayons du soleil qui viennent frapper l'orient. C'est pourquoi le même événement rapporté par deux évangélistes est placé par l'un au grand matin, quand les ténèbres n'étaient point encore dissipées, et par l'autre au lever du soleil , parce que la lumière de l'aube, si faible qu'elle fût, provenait du lever du soleil, c'est-à-dire, de son approche vers l'horizon et de l'éclat projeté par sa présence. Quelques ignorants ont imaginé que cette lumière de l'aube n'était point celle du soleil, mais la lumière primitive créée avant le soleil, que Dieu fit au quatrième jour.

XLVII. (Ib. X, 1.) Discussion grammaticale et généalogique. — " Après Abimélech, ce fut Thola " qui s'éleva pour sauver Israël, Thola fils de Phua fils du frère du père d'Abimélech filius patris fratris homme d'Issachor. " L'Ecriture semble appeler Thola, qui est fils de l'oncle d'Abimélech, fils du père de son frère, filius patris fratris, quand il faudrait pour parler régulièrement dire conformément à l'usage : filius fratris patris, fils du frère de son père, ce qui serait plus clair. Thola, en effet, comme on le voit avec la dernière évidence dans la version faite sur l'hébreu, était fils de l'oncle d'Abimélech. Des deux noms : du frère et du père, tous deux au génitif, c'est frère qui est sujet: et père qui est régime : le frère du père, c'est-à-dire l'oncle, et non pas : le père du frère. Les deux noms sont au génitif, quelque soit celui que l'on prenne pour sujet. Mais une autre question s'élève. Comment un " homme d'Issachor, " c'est-à-dire de la tribu d'Issachor, put-il être oncle paternel d'Abimélech, qui était fils de Gédéon, de la tribu de Manassé ? Comment Phua et Gédéon furent-ils frères, de manière que Phua put être oncle paternel d'Abimélech, et avoir pour fils Thola, qui fut, selon le récit de l'Ecrîture, successeur d'Ahimélech ? Gédéon et Phua purent avoir la même mère, quoique nés de pères différents; ils furent ainsi frères de mère et non de père. Il n'était point rare que les femmes épousassent des hommes de tribus diverses. Saül, qui était de la tribu de Benjamin, donna sa fille à David, qui était de la tribu de Juda (2). Le pré-

1 Marc, XVI, 2 Jean, XX, 1. — 2 I Rois, XVIII, 27.

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prêtre Joïada, qui était certainement de la tribu de Lévi, épousa une fille du roi Joram, qui était de la tribu de Juda (1) . Nous voyons dans l'Evangile que Marie et Elisabeth étaient parentes (2); Élisabeth était cependant de la famille d'Aaron, ce qui fait voir qu'il y eut une femme de la tribu de Lévi et de la famille d'Aaron qui entra dans la tribu de Juda, et fut le principe de la parenté d'Élisabeth et de Marie. Ainsi, Notre-Seigneur fut selon la chair issu de la race royale, et du sang d'Aaron.

XLVIII. (Ib. XI, 24.) Le Dieu des Ammonéens était-il réellement capable de posséder quelque chose? — Jephté fait dire entre autres choses au roi des enfants d'Ammon par ses embassadeurs, les paroles que voici: " Ne posséderas-tu pas tout ce que Chamos ton Dieu a hérité, pour toi? et ce que le Seigneur notre Dieu a pris en votre présence, ne le posséderions-nous pas? " Certains interprètes latins traduisent ainsi : " Ne possèderas-tu pas tout ce que, Chamos ton dieu t'a donné en héritage ? " Suivant cette explication, Jephté paraîtrait reconnaître que ce dieu appelé Chamos a pu donner quelque chose en héritage à ses adorateurs. D'autres exemplaires portent : " Ne posséderas-tu pas tout ce que " Chamos ton dieu a possédé ? " ce qui signifie que ce dieu aurait pu posséder quelque chose. Cette parole ferait-elle allusion à la tutelle exercée sur les nations par les Anges, comme Moïse serviteur de Dieu l'a chanté (3)? L'Ange protecteur des enfants d'Ammon aurait-il eu ce nom de Chamos ? Qui oserait l'affirmer, quand il y aune autre interprétation que voici : Le roi des Ammonites croyait que son dieu était possesseur des terres en question, ou qu'il lui en avait donné le domaine. Ce sens ressort avec plus de clarté du texte grec : " Ne posséderas-tu pas tout ce que, pour toi, Chamos ton Dieu a possédé ? " Ces mots pour toi, signifieraient: comme il te paraît ; ton dieu a hérité, selon toi, tu as cette croyance cela ne veut pas dire qu'il puisse réellement posséder quelque chose. Dans ce qui suit : " Tout ce que le Seigneur votre Dieu a pris, " il n'est point ajouté: pour nous, c'est-à-dire comme si cela nous paraissait ainsi ; mais il a pris véritablement " en votre présence, " car il a; enlevé aux anciens possesseurs et il nous a donné ces terres " nous posséderons cet héritage. "

XLIX. (Ib. XI.) Du voeu de Jephté. — 1. C'est une question considérable, extrêmement difficile

1 II Paralip. XXII, 11. — 2 Luc, I, 36. — 3 Deut, XXXII, 8. Sept.

à résoudre que celle de la fille de Jephté, offerte à Dieu en holocauste par son père. Dans la guerre, Jephté avait fait voeu, s'il obtenait la victoire, d'offrir en holocauste le premier venu qui, sortant de la maison, se présenterait à sa rencontre. Ce voeu émis, Jephté fut vainqueur; sa fille se présenta à sa rencontre; il exécuta son voeu. Comment faut-il entendre ceci ?Les uns désirant le savoir, le cherchent avec soumission : d'autres, par une piété ignorante et ennemie de nos saintes Écritures, s'appuient principalement sur ce fait, criminel à leurs yeux, pour accuser le Dieu de la Loi et des Prophètes d'avoir pris goût aux sacrifices humains eux-mêmes. Aux attaques calomnieuses de ces derniers nous répondons d'abord que le Dieu de la Loi et des Prophètes, et pour parler plus explicitement, que le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob n'a point mis sa complaisance dans les sacrifices où l'on offrait les animaux en holocauste. Figures et ombres des choses futures, ces sacrifices avaient pour objet de rendre vénérable à nos yeux la réalité des mystères dont ils étaient le symbole. L'utilité de leur changement est manifeste : ils ont dû cesser d'être obligatoires et même être défendus, de peur qu'on n'imaginât que Dieu trouvait à ces sortes d'offrandes un plaisir grossier et tout charnel.

2. Mais a-t-il fallu que la réalité des mystères de l'avenir fût symbolisée par des sacrifices humains? On le demande avec raison. Ce n'est pas que l'immolation, pour ce motif, de victimes humaines, destinées en tout cas à la mort, devrait nous inspirer de l'horreur et de l'effroi, si ces victimes volontairement dévouées eussent été agréées de Dieu pour recevoir une éternelle récompense. Mais si cela était ainsi, de tels sacrifices ne déplairaient point au Seigneur; or, l'Écriture atteste avec assez d'évidence , que ces offrandes lui sont odieuses. Dieu veut et prescrit que tous les premiers-nés lui soient consacrés et lui appartiennent; il ordonne cependant qu'on rachète les premiers-nés des hommes (1), de peur qu'on ne croie qu'il faille les lui immoler. Pour montrer plus ouvertement que de pareils holocaustes lui déplaisent, il les proscrit, témoigne l'horreur qu'ils lui inspirent chez les nations étrangères, et défend à son peuple d'oser suivre de tels exemples. " Si le Seigneur ton Dieu ex" termine les nations chez lesquelles tu vas pénétrer pour occuper le pays qu'ils habitent

1 Ex. XIII, 2, 12. 13.

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sous tes yeux, si tu les soumets, si tu occupes leur pays; sois attentif sur toi-même, ne cherche pas à les imiter, après qu'ils auront été exterminés de devant ta face; ne recherche pas leurs dieux, disant : Comme les nations se conduisent envers leurs dieux, je me conduirai moi-même; tu ne feras pas ainsi envers le Seigneur ton Dieu. Car les abominations que le Seigneur hait, ils les ont faites pour leurs dieux, ils brûlent dans le feu leurs fils et leurs filles, en l'honneur de leurs dieux (1). "

3. Peut-on démontrer plus évidemment qu'on le fait par ces témoignages de la Sainte Écriture sans parler des autres du même genre, que Dieu, dont le genre humain a reçu le don de l'Écriture, non-seulement ne se plait pas aux sacrifices humains, mais qu'il les a en horreur? Il aime, à la vérité, il couronne les victimes humaines, quand le juste, souffrant par les mains de l'iniquité, comtat jusqu'à la mort pour la vérité quand des ennemis qu'il a offensés pour la justice versent son sang, et qu'il leur rend le bien pour le mal, l'amour pour la haine. C'est là le sang du juste.répandu, depuis le sang d'Abel jusqu'au sang de Zacharie, dont parle Notre-Seigneur (2). Ce que Dieu agrée surtout, c'est le sang que Jésus à lui-même versé pour nous, le sacrifice par lequel il s'est offert lui-même à la Divinité. Il s'est offert; mais ses ennemis le mirent à mort, pour la justice. A son exemple des milliers de martyrs ont combattu jusqu'à la mort pour la vérité, et ont été immolés parla cruauté de leurs ennemis. Parlant d'eux, l'Écriture dit " Ils les a éprouvés, comme l'or dans la fournaise; il les a agréés, comme l'hostie de l'holocauste (3). " De là ce cri, de l'Apôtre : " Déjà je suis moi-même immolé (4). "

4. Mais ce n'est point de cette manière que Jephté offrit sa fille en holocauste au Seigneur. Il l'offrit suivant le rite prescrit pour les sacrifices d'animaux, interdit par rapport aux hommes. Ce qui paraît ressembler davantage à cette action, c'est ce que fit Abraham d'après un commandement spécial du Seigneur (5); car jamais le Seigneur n'a prescrit de tels sacrifices par une loi générale, et même il les a absolument défendus. Mais entre la conduite de Jephté et celle d'Abraham il y a cette différence, que celui-ci offrit son fils, sur un ordre reçu, et que Jephté sans

1 Deut. XII, 29, 31. — 2 Matt. XXIII, 35. — 3 Sag. III, 6. — 4 II Tim. IV, 6. — 5 Gen. XXII.

avoir eu de commandement spécial, fit ce qui était défendu par la Loi. Du reste, Dieu fit voir que de pareilles offrandes ne lui agréaient point, non-seulement par la Loi, dans la suite; mais au moment même du sacrifice d'Abraham; car après avoir mis à l'épreuve, par son commandement, la foi du père, il l'empêcha de mettre à mort son fils, et substitua un bélier, afin que le sacrifice fût accompli légitimement suivant la coutume des anciens , convenable pour cette époque.

5. Mais, puisque de telles offrandes ne peuvent être légitimement présentées au Seigneur, comment, dira-t-on; Abraham a-t-il pu croire religieusement se rendre, par là, agréable à Dieu? Jephté pour la même raison, n'a-t-il pas pu très-légitimement penser qu'un pareil sacrifice lui serait agréable ? Il faut considérer qu'autre chose est d'obéir à un commandement que l'on reçoit, autre chose, de s'engager spontanément par un voeu. Si le serviteur, à qui son maître à prescrit quelque chose qui s'écarte de l'ordre habituel de la maison, mérite des éloges par son obéissance, cela ne veut pas dire qu'en faisant les mêmes choses de son propre mouvement et sur une téméraire présomption, il ne serait pas digne de châtiment. Abraham du reste se croyant obligé d'immoler son fils pour obéir à l'ordre de Dieu, pouvait en même temps penser que de semblables victimes ne lui étaient pas agréables et qu'il avait commandé ce sacrifice pour ressusciter la victime, et faire éclater ainsi sa sagesse. C'est en effet ce qui est dit d'Abraham dans l'Épître aux Hébreux : sa foi est louée, parce qu'il a cru que Dieu pouvait ressusciter son fils (1). Quant à Jéphté il a de lui-même voué un sacrifice humain, sans que Dieu l'ait commandé, ni demandé, et contrairement à son légitime précepte. Il est écrit en effet : " Jephté fit un voeu au Seigneur, et dit : "Si vous livrez en mes mains les enfants d'Ammon, quiconque sortira des portes de ma maison à ma rencontre, au retour du triomphe sur les enfants d'Ammon, celui-là je l'offrirai au Seigneur en holocauste. "

6. Ce qui est voué par ces paroles, assurément ce n'est pas un des animaux qui pouvaient, suivant la Loi, être offerts en holocauste au Seigneur. L'usage n'est point et n'a jamais été que les animaux viennent au devant des capitaines victorieux, à leur

1 Hébr. IX, 17-19.

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retour de la guerre. Parmi les animaux, les chiens courent au devant de leurs maîtres pour les caresser et les flatter: mais Jephté ne pouvait en faisant son vœu les avoir en vue : il eût paru faire outrage à Dieu en lui dévouant ce qui était, non-seulement illicite, mais méprisable et impur suivant la Loi. Il ne dit point d'ailleurs : Tout ce qui sortira des portes de ma maison je l'offrirai en holocauste, mais : " Quiconque sortira je l'offrirai; " ce qui montre, sans aucun doute, que dans son esprit il est exclusivement question d'une personne humaine, quoique non pas peut-être de sa fille unique; et toutefois qui pouvait la devancer pour aller à la rencontre d'un père couvert de tant de gloire ? Qui ? si ce n'est peut être une épouse ? Il n'importe, en effet, qu'il ait dit, employant le genre masculin: " Quiconque, quicumque, sortira des portes de ma maison " au lieu de: celle qui ; l’Ecriture à l'usage de se servir du genre masculin pour désigner les deux sexes : c'est ainsi qu'il est dit d'Abraham : " se levant d'auprès du mort (l), " bien qu'il soit question de la mort de sa femme.

7. L'Écriture paraît éviter de porter un jugement sur ce voeu et son accomplissement. Elle juge très-ouvertement le sacrifice d'obéissance d'Abraham; mais pour le fait de Jephté, elle se borne à le rapporter, laissant aux lecteurs à l'apprécier. C'est ainsi qu'elle raconte sans blâme n approbation l'action de Juda, fils de Jacob, ayant commerce avec sa bru sans la connaître (2), ce qui fut seulement de sa part une fornication, parce qu'il prenait cette femme pour une prostituée elle laisse ainsi le jugement de cet acte à la conscience éclairée par la justice et la loi de Dieu. Or, dès là que l'Écriture ne juge pas le fait de Jephté, ni dans un sens, ni dans l'autre, mais en laisse l'appréciation à l'exercice de notre intelligence, nous pourrions déjà dire que ce vœu a déplu à Dieu, qui permit pour punir Jephté que sa propre fille unique vint la première au devant de son père. Celui-ci, en effet, s'il avait compté sur cette rencontre, et qu'elle eût été dans son intention, n'aurait point déchiré ses vêtements à la vue de son enfant, et ne se serait point écrié : " Malheureux que je suis ! hélas ! ma fille, vous êtes devenue un piège pour moi; votre présence à mes yeux fait mon malheur. " Ajoutez qu'un long délai de soixante jours fut laissé à cette fille unique, si chérie, et que Dieu n'empêcha point le malheureux père de l'immoler,

1 Gen. XXIII, 3. — 2 Ib XXXV, II, 15.

comme il avait empêché Abraham, mais qu'il le laissa accomplir son voeu, et se frapper lui-même par cette perte douloureuse, sans que cette immolation d'une créature humaine pût apaiser le Seigneur; ainsi ce père fut châtié, et l'exemple de pareils voeux ne resta pas impuni, pour que les hommes apprennent que de vouer à Dieu comme victimes, leurs semblables, et ce qui est plus horrible, leurs enfants, c'est un vœu extrêmement grave, et aussi pour montrer que de tels voeux n'étaient point sincères, mais plutôt simulés, puisque leurs auteurs, appuyés sur l'exemple d'Abraham, espéraient que Dieu en empêcherait l'accomplissement.

8. Voilà ce que nous pourrions dire, si notre conviction n'était ébranlée par deux témoignages surtout des saintes Écritures, ce qui exige qu'un fait de cette gravité, rapporté dans des livres d'une autorité si grande, soit examiné avec l'aide de Dieu, plus soigneusement encore et plus attentivement, de peur qu'on ne juge avec témérité dans un sens ou dans un autre. Dans l'Epître aux Hébreux, Jephté est compté au rang des saints personnages, ce qui doit nous faire appréhender d'incriminer sa conduite. Nous lisons " Que dirai-je encore? Le temps me manque pour raconter ce qu'ont fait Gédéon, Barac, Samson,.et Jephté, et David, et Samuel, et les Prophètes ; par la foi ils ont triomphé des royaumes ; opérant la justice, ils ont obtenu les promesses (1). " Voilà le premier témoignage voici le second : quand l'Écriture raconte le vœu de Jephté et son accomplissement, elle fait précéder ce récit des paroles suivantes : " Et l'Esprit du Seigneur fut sur Jephté ; et il passa à travers Galaad et Manassé, il traversa les grottes de Galaad, et des grottes de Galaad il alla au-delà des fils d'Ammon, et Jephté fit voeu au Seigneur " et le reste qui concerne ce voeu. Par où il semble que tout ce que fit Jephté, après que l'Esprit du Seigneur fut sur lui, est l'oeuvre de ce même Esprit. Car deux témoignages nous obligent à rechercher quelle fut la cause du fait en question, plutôt que de le condamner précipitamment.

6. Premièrement, quant au passage de l'Epître aux Hébreux que j'ai rapporté; ce n'est pas seulement Jephté qui est mis au rang des personnages dignes d'éloge, mais encore Gédéon, dont l'Écriture dit pareillement : " L'Esprit du

1 Hébr. XI, 32.

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Seigneur fortifia Gédéon (1); " et cependant nous ne pouvons pas l'approuver et même nous devons le blâmer sans hésitation, puisque l'Ecriture s'explique très-ouvertement là dessus, d'avoir fabriqué, avec l'or du butin un éphod qui fit tomber Israël dans la fornication de l'idolâtrie, et qui devint un scandale pour sa maison (2). On ne fait point injure pour cela au Saint-Esprit qui lui donna la force de dompter si facilement les ennemis de son peuple. Pourquoi donc est-il mis au rang de ceux " qui, par la foi ont dompté les royaumes, opérant la justice, " sinon, parce que l'Ecriture sainte en donnant à la foi et a la justice de certains hommes des éloges mérités, n'a point pour cela perdu le droit de signaler également leurs fautes avec vérité, si elle en reconnaît quelques unes, et qu'elle croie nécessaire de les signaler ? Je ne sais pas, en effet, si ce même Gédéon en demandant un prodige, quand il fit, selon ses propres paroles, l'épreuve de la toison (3), ne pécha, point, contre le précepte : " Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu (4); " cependant, même dans cette tentative, le Seigneur découvrit des mystères qu'il voulait faire connaître à l'avance, ainsi, la toison mouillée, quand l'aire était entièrement sèche à l'entour, figurait l'ancien peuple d'Israël où étaient les saints inondés de la grâce céleste comme d'une pluie spirituelle; l'aire mouillée ensuite, quand la toison était sèche, figurait l'Eglise répandue par toute la terre, et possédant la grâce céleste non plus enveloppée, comme dans la toison, mais à découvert, tandis que le peuple ancien privé de la rosée de cette même grâce était, pour ainsi dire, desséché. Ce n'est point sans raison néanmoins que l'Epître aux Hébreux met Gédéon au nombre des hommes fidèles et opérant la justice : sa vie fidèle et vertueuse, et, sans doute aussi, sa sainte mort lui ont mérité cet éloge.

10. Parce qu'il est écrit : " L'Esprit du Seigneur, fut sur Jephté," faut-il attribuer à l'Esprit du Seigneur tout ce qui arriva, ensuite, le voeu de Jephté, la victoire qu'il remporta, l'exécution de son voeu, et regarder même ce sacrifice comme prescrit par Dieu à l'exemple de celui d'Abraham ? Je n'oserais le dire. Il est vrai qu'on peut signaler une différence entré sa conduite et celle de Gédéon. Quand Gédéon eut péché en faisant un éphod qui entraîna tout le peuple dans la prévarication, l'Ecriture ne mentionne

1 Jug. VI, 31. — 2 Ib. VIII, 27. — 3 Ib, VI, 39. — 4 Deut. VI, 16.

plus aucun succès obtenu par ses arrhes ; quand Jephté, au contraire, eut fait voeu, il remporta une insigne victoire : il avait fait vœu pour l'obtenir; l'ayant obtenue il accomplit son voeu. Remarquons cependant que Gédéon aussi délivra son peuple par une grande victoire, accompagnée d'un affreux carnage de.l'ennemi ; non sans doute après avoir fait l'éphod, mais après avoir tenté le Seigneur, ce qui est assurément un péché. — Nous lisons, en effet : " Et Gédéon dit au Seigneur: Que votre indignation ne s'allume pas contre moi, je parlerai encore une fois, et une fois encore je ferai une épreuve sur la toison etc. " Il craignait la colère de Dieu, parce qu'il savait qu'en faisant une épreuve, il péchait, Dieu ayant défendu cela très-clairement dans la Loi. Cette faute cependant fut suivie d'un prodige éclatant, et significatif d'une grande victoire et de la délivrance du peuple. C'est que Dieu avait résolu de venir en aide à son peuple affligé, faisant également servir a ses desseins, soit pour figurer l'avenir, soit pour accomplir sa.parole, la fidélité et la religion, les fautes et les défaillances du chef qu'il avait choisi pour l'exécution de l'entreprise.

11. Ce n'est pas seulement, en effet, par ceux qui sont comptés, malgré leurs péchés, au nombre des justes, que Dieu agit en faveur de son peuple. Il employa de la sorte Saül, Saül même, entièrement rejeté. L'Esprit de Dieu tomba sur Saül, et celui-ci prophétisa; non quand il agissait suivant la justice, mais lorsqu'il. persécutait David, un innocent, un saint (1). L'Esprit du Seigneur agit pour l'exécution des desseins qu'il a conçus et arrêtés, employant les bons et les méchants, des instruments éclairés et des instruments aveugles. Caïphe, persécuteur violent du Christ, fit, ignorant ce qu'il disait, cette prophétie remarquable, qu'il fallait que le Christ mourût pour la nation (2). Quand Gédéon voulut tenter le Seigneur, et ne crut pas, malgré la parole de Dieu, qu'il délivrerait son peuple, n'était-ce point l'Esprit du Seigneur qui, dans le dessein d'annoncer l'avenir, inspira, à ce juge d'Israël l'idée de la toison d'abord mouillée, puis sèche, et de l'aire, d'abord sèche, puis arrosée ? Que sa foi ait éprouvé une défaillance, c'est le fait de l’infirmité de l'homme, c'est sa faute; mais que Dieu ait fait servir cette faiblesse pour annoncer au genre humain ce qu'il fallait lui révéler, c'est l'oeuvre, nous devons

1 I Rois, XIX, 20-24. — 2 Jean, XI, 49-51.

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le comprendre, de sa miséricorde, de son admirable Providence.

12. Si quelqu'un dit que Gédeon, en tout ceci, a parlé et agi avec une pleine science, par une révélation prophétique, comme instrument de la manifestation des signes de l'avenir, que sa foi n'a point défailli, qu'il a cru à ce que le Seigneur lui avait promis déjà, que l'épreuve de la toison était pour lui une action prophétique, exempte de faute, par la même, comme le stratagème de Jacob (1); qu'en disant à Dieu : " Que votre indignation ne s'allume pas contre moi, " il n'était point dominé par la crainte de la colère divine, mais rempli de la confiance que le Seigneur ne s'irriterait point, sentant qu'il agissait comme prophète sous l'inspiration de son Esprit ; je ne m'y oppose pas. Mais, quant au fait de l'éphod que l'Ecriture elle-même a condamné, qu'on n'entreprenne pas, quelle qu'en soit la signification mystérieuse, de l'excuser de péché. Lorsque, par son ordre, trois-cents hommes, (ce nombre même est un signe symbolique de la croix,) prirent des vases d'argile, dans lesquels des torches ardentes furent renfermées, et qu'ayant tout-à-coup brisé ces vases, la lumière brillante de tous ces flambeaux jeta l'épouvante dans la multitude innombrable des ennemis (2), Gédéon parait avoir agi de son propre mouvement, car l'Ecriture ne dit point que le Seigneur le lui ait conseillé. Cependant cette action était grandement prophétique ; qui en avait inspiré le dessein à Gédéon, si ce n'est Dieu? Dieu figurait à l'avance ses saints qui porteraient le trésor de la lumière évangélique dans des vases d'argile, selon cette parole de l'Apôtre

" Nous portons ce trésor dans des vases d'argile (3). " Ces vaisseaux étant brisés parle martyre, leur gloire parut avec plus d'éclat, et par eux la lumière soudaine de Jésus-Christ vainquit les adversaires impies de la prédication de l'Evangile.

13. L'Esprit du Seigneur, dans les temps prophétiques, symbolisa donc et prédit les choses futures, soit par des hommes qui connaissaient ses desseins, soit par des hommes qui les ignoraient. Les fautes commises par ces hommes n'en étaient pas moins des fautes, quoique Dieu, qui de nos maux sait tirer le bien, s'en fût servi pour signifier ce qu'il voulait. Si le sacrifiée d'une victime humaine quelconque, ou même d'un enfant par son père, si un tel sacrifice voué ou accompli n'était

1 Gen. XXVII, 15,16. — 2 Jug. VII, 16-22. — 3 II Cor. IV, 7.

point un péché parce qu'il aurait une haute signification spirituelle,, ce serait en vain que Dieu aurait défendu de pareilles offrandes et témoigné l'horreur qu'il en éprouve; car les sacrifices qu'il a ordonnés ont aussi ils sûrement une signification spirituelle et figurent de grands mystères. Pourquoi donc ceux-là seraient-ils interdits, quand la même signification spirituelle qui autorise ceux-ci pourrait également rendre les autres légitimes ? Pourquoi ? sinon parce que les sacrifices humains, fussent-ils figure de ce qu'il convient de croire, déplaisent à Dieu, quand l'homme est immolé pour l'homme comme une hostie de choix, ainsi qu'on immole les animaux, quand ce ne sont pas des ennemis qui mettent à mort l'homme juste pour le punir de ce qu'il veut vivre suivant la ,justice; ou refuse de pécher.

14. On dira que les victimes d'animaux étant d'un lisage quotidien, les hommes spirituels en comprenaient, sans doute, la signification mystique, mais que la coutume rendait les esprits moi ils attentifs à la recherche du grand mystère du Christ et de l'Eglise ; et que Dieu pour réveiller par quelque chose d'extraordinaire et d'imprévu, les âmes endormies, voulut qu'un sacrifice humain lui fût offert, précisément parce qu'il avait jusque-là défendu ces sortes de sacrifices; de la sorte, l'étonnement devait faire naître une grande question, laquelle provoquerait les âmes religieuses à sonder avec zèle un grand mystère : enfin l'esprit humain, scrutant les mystères de la prophétie, tirerait des profondeurs de l'Ecriture, comme du fond de la mer, avec l'hameçon, le poisson divin, Jésus-Christ Notre-Seigneur. A ces raisons, à ces considérations, nous n'objecterons rien. Mais autre est la question de la conscience de l’homme qui fit ce voeu, autre celle de la Providence de Dieu tirant de cet acte humain, quelle qu'en soit la valeur morale, un bien de premier ordre.

Si l'Esprit du Seigneur qui fut sur Jephté, lui prescrivit absolument ce voeu, ce que l'Ecriture ne nous dit pas; si Celui-là dont il n'est pas permis de mépriser les ordres, en fit un commandement, il n'y a plus alors un acte de folie à flétrir, mais un acte d'obéissance à louer. Que l'homme attente même sur sa vie; s'il agit de sa propre autorité, par inspiration personnelle, c'est un crime; mais s'il a reçu un ordre de Dieu, cet homme obéit, il n'est plus criminel. Nous avons suffisamment discuté cette question au premier livre (583) de la Cité de Dieu (1). Si par une erreur humaine, Jephté a pensé devoir vouer un sacrifice humain, sa faute a été justement punie dans la personne de sa fille unique; lui-même nous le montre suffisamment quand il déchire ses vêtements et s'écrie: " Malheureux que je suis! hélas ! ma fille, vous êtes devenue un piège pour moi; votre présence à mes yeux fait mon malheur. " Son erreur toutefois eut un certain mérite de foi religieuse : ce fut la crainte de Dieu qui lui fit accomplir son voeu, et ne lui permit pas de se soustraire à l'arrêt que la justice divine avait porté contre lui, soit qu'il espérât que Dieu empêcherait son sacrifice comme celui d'Abraham; soit qu'il fût résolu d'obéir à la volonté divine, au lieu de la mépriser, si elle se manifestait, en n'arrêtant pas son bras.

15. On peut, il est vrai, demander avec raison, s'il n'est pas plus vraisemblable que Dieu ne voulait point un pareil sacrifice, et si on ne lui aurait pas mieux obéi en ne l'offrant point, après qu'il avait manifesté sa volonté à cet égard et dans le sacrifice d'Isaac, et dans la défense formelle de la Loi. Mais si Jephté n'avait pas immolé sa fille unique, il aurait plutôt paru s'épargner lui-même, que suivre la volonté de Dieu. Sa fille venant à sa rencontre, il reconnut dans ce fait la main d'un Dieu vengeur, et se soumit avec fidélité à un juste châtiment, craignant d'en encourir un plus rigoureux, s'il essayait de l'éluder. Il croyait aussi que sa fille étant vertueuse et vierge, son immolation serait agréée, parce qu'elle ne s'était point vouée elle-même pour être immolée, mais qu'elle s'était soumise au voeu et à la volonté de son père, et qu'elle avait obéi au jugement de Dieu. Car s'il n'est permis à personne de se donner la mort à soi-même, ou de la donner à autrui de son propre mouvement; quand Dieu l'envoie, Dieu qui a voulu nous y soumettre tous, il ne faut pas la refuser. Quiconque d'ailleurs se défend contre elle, travaille à la retarder, non à l'éviter absolument. Mais je me hâte; ce que j’ai dit me paraît suffisant sur le point de cette question que j'ai discuté dans tous les sens.

16. Recherchons maintenant avec l'aide de Dieu, et considérons brièvement ce que l'Esprit du Seigneur a prophétiquement figuré dans cet événement, soit que Jephté ait connu ce mystère, soit qu'il l'ait ignoré, soit qu'il ait agi par témérité, ou par obéissance, avec offense de Dieu, ou

1 Cité de Dieu, l. I, ch. 21.

avec foi. Dans cet endroit des Saintes Ecritures nous sommes excités et comme pressés de reporter notre pensée sur quelque personnage d'une grande puissance. Tel est Jephté, dont le nom signifie : Celui qui ouvre.

Or, Notre-Seigneur Jésus-Christ, comme l'indique l'Evangile, " ouvrit le sens, " à ses disciples, " afin qu'ils comprissent les Ecritures (1). " Jephté fut rejeté par ses frères qui le chassèrent de la maison paternelle, lui reprochant d'être le fils d'une concubine, tandis qu'ils étaient, eux, les enfants de l'épouse légitime. Ainsi agirent contre Notre- Seigneur les princes des prêtres, les Scribes, et les Pharisiens. qui se glorifiaient de l'observance de la Loi, tandis que Notre-Seigneur aurait violé la Loi, et n'aurait point été, par conséquent, un fils légitime. Il est né sans doute de la Sainte Vierge, les fidèles ne l'ignorent pas; comme membre de la nation cependant, on peut dire que la synagogue Judaïque est sa mère. Que l'on parcoure les livres Prophétiques, et l'on verra combien de fois, et en quels termes sévères et indignés, le Seigneur reproche à cette nation, comme à une femme impudique, ses fornications. Nous venons de le voir dans ce livre même, soit quand il est dit qu'Israël s'est livré à la fornication, après que Gédéon eut fait un éphod, soit quand il est dit qu'ils suivirent les dieux des nations qui les entouraient. C'est pour cela que la colère divine s'est allumée contre eux, et que pendant dix-huit ans ils ont été écrasés par les enfants d'Ammon (2). Mais n'étaient-ils pas eux-mêmes de cette nation d'Israël, ces prêtres, ces Scribes, ces Pharisiens figurés, disions-nous, dans ceux qui chassèrent Jephté et le persécutèrent comme enfant illégitime; ce qu'ils firent, eux aussi, contre Notre-Seigneur Jésus-Christ. La vérité de la figure consiste en ce que les Pharisiens ont cru chasser justement, eux les observateurs de la Loi, Celui qui paraissait ne point observer la Loi, comme les enfants légitimes chassent un enfant illégitime. La fornication dont le peuple d'Israël est accusé consistait, en effet, à ne point observer les préceptes de la Loi, et à violer la fidélité promise à Dieu comme à un époux.

17. II est écrit de Jephté: " Et les fils de l'épouse grandirent et ils chassèrent Jephté. " Cette parole : " grandirent, " signifie au sens figuré prévalurent: elle reçut son accomplissement en la personne des Juifs qui prévalurent sur l’infirmité

1 Luc, XXIV, 45, 27. — 2 Jug. VIII, 27; X, 6, 6.

du Christ lui-même le voulant ainsi, afin d'endurer ce qu'il devait souffrir de leur part. C'est ainsi qu'en figure du même mystère, Jacob triompha dans sa lutte prophétique contre un ange (1). Les frères de Jephté lui dirent donc: " Tu n'auras pas d'héritage dans la maison de notre " père, car tu es un enfant de fornication. " Les Juifs aussi dirent, comme on le voit dans l'Evangile : " Non, cet homme qui viole ainsi le sabbat, n'est point de Dieu (2), " se vantant eux-mêmes d'être les fils légitimes : " Nous ne sommes pas nés de la fornication, disent-ils à Notre-Seigneur, nous n'avons qu'un seul père, c'est Dieu (3). — Et Jephté s'enfuit de la présence de ses frères et il habita dans la terre de Tob. " Le Christ s'enfuit, car il se cacha, dérobant sa grandeur; il s'enfuit, car ses bourreaux ne le connurent point : " S'ils l'avaient connu, jamais ils n'auraient crucifié le Seigneur de la gloire (4). " Il s'enfuit, car ses ennemis virent sa faiblesse dans la mort, et ils ne furent pas témoins de sa puissance dans la résurrection. Il habita dans une terre heureuse, ou, pour être plus précis , dans une terre excellente; car tel est le sens de l'expression grecque agathon en hébreu : Tob. Ceci me paraît désigner la résurrection du Christ d'entre les morts. Quelle terre plus heureuse qu'un corps terrestre devenu incorruptible, revêtu de la gloire de l'immortalité?

18. Quand Jephté eut fui la présence de ses frères et fixé sa demeure dans la terre de Tob, il est dit que des brigands ses réunirent autour de lui, marchant à ses côtés. On reprochait déjà à Notre-Seigneur, avant sa passion, de manger avec des publicains et des pécheurs, quand il répondit que le médecin est nécessaire non à ceux qui sont en santé mais aux malades (5): il fut mis au nombre des criminels (6), quand on le crucifia entre deux larrons et qu'il fit passer l'un d'entre eux de la croix au paradis (7). Mais après sa résurrection même, quand il eut commencé d'être, comme nous venons de l'expliquer, dans la terre de Tob, on vit se réunir à lui des hommes souillés de crimes, pour obtenir la rémission des péchés: ces hommes marchaient avec lui, c'est-à-dire , qu'ils vivaient selon ses préceptes. Ceci dure encore maintenant et durera tant que les coupables recourront à lui pour obtenir qu'il justifie les impies qui se convertissent à lui, et que les pécheurs apprennent à connaître ses voies (8).

1 Gen. XXXIII, 24-48. — 2 Jean, IX, 16. — 3 Ib. VIII, 41. — 4 I Cor. II, 8. — 5 Matt. IX, 11, 12. — 6 Isaïe, LIII, 12. — 7 Luc, XXII, 33, 43. — 8 Ps. L, 16.

10. Ceux qui avaient chassé Jephté, car il était du pays de Galaad, se tournèrent vers lui et implorèrent son secours pour qu'il tes délivrât de leurs ennemis. Quelle figure plus claire de ceux qui ont rejeté le Christ et qui, se convertissant à lui, trouvent le salut? Tels, ceux qui furent touchés de componction dans leur tueur, quand l'apôtre saint Pierre leur reprochait leur crime, comme on le voit aux Actes des Apôtres, et les exhortait à se tourner vers Celui qu'ils avaient persécuté, ils implorèrent leur salut de Celui-là même qu'ils avaient repoussé comme étranger; or, la délivrance des ennemis n'est-ce point la rémission des péchés? Aussi l'Apôtre leur dit-il: " Faites pénitence, que chacun de vous soit baptisé au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et vos péchés vous seront remis (1); " telle plutôt encore la multitude d'Israël, ont la vocation est attendue à la fin des siècles. C'est plutôt; en effet, ce dernier événement que paraissent désigner ces paroles : " Et il arriva après des jours, " ce qui signifie : à la fin des temps, et fait entendre, non ce qui eut lieu peu après la passion du Seigneur, mais ce qui doit arriver dans la suite. La même chose semble résulter de ce que les anciens de Galaad vinrent trouver Jephté: l'ancienneté d'âge figure les temps éloignés, les derniers temps. Galaad signifie: Celui qui rejette, ou bien encore : Révélation. Ces deux significations conviennent à l'événement: les Juifs rejetèrent d'abord le Christ Notre-Seigneur; il leur sera ensuite révélé.

20. C'est pour combattre contre les enfants d'Ammon, les vaincre et s'affranchir de leur joug, qu'on supplie Jephté de prendre en main le commandement.: Ammon signifie : Fils de mon peuple, ou bien encore : Peuple d'affliction. C'est ici la figure prophétique de-.ceux de la nation juive qui persévéreront dam l'infidélité et l'inimitié du Christ, ou bien de tors ceux qui sont prédestinés à la géhenne, là où il y aura pleur et grincement de dents (2) . c'est là le peuple d'affliction. On peut aussi très-bien entendre par le peuple d'affliction le diable et ses anges, soit parce qu'ils plongent dans la misère éternelle ceux qu'ils parviennent à tromper, soit parce qu'eux mêmes sont voués à l'éternelle misère.

21. La réponse de Jephté aux anciens de Galaad exprime la prophétie très-heureusement et avec beaucoup de clarté: " Ne m'avez-vous pas eu en haine ? ne m'avez-vous pas chassé de la maison

1 Act. II, 22-38. — 2 Matt. XXV, 30.

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de mon père et du milieu de vous? Comment, venez-vous à moi quand vous m'avez fait essuyer la tribulation? " Nous voyons une figure semblable dans Joseph, vendu et chassé par ses frères (1), qui se tournèrent vers lui implorant sa clémence et son appui, quand la famine les éprouva (2). Mais ici la signification prophétique de l'avenir brille avec beaucoup plus d'éclat. Ce ne sont pas les frères eux-mêmes de Jephté qui vinrent le trouver, après l'avoir chassé, mais les anciens de Galaad qui l'implorèrent pour tout ce peuple. Ainsi c'est la même nation d'Israël qui dans la personne des contemporains du Christ le rejeta, et qui plus tard se tourna vers lui avec ceux qui implorèrent son secours. C'est a ce peuple ennemi du Christ, et dans ses père, et dans les générations qui vinrent ensuite, traînant comme une longue chaîne le lourd héritage de cette haine; c'est à ce peuple, enfin converti en ceux de ses membres qui doivent venin au Christ, que cette parole est adressée: " Ne m'avez-vous pas eu en haine, ne m'avez-vous pas chassé de la maison de mon père? " Ceux en effet qui ont persécuté le Christ ont cru le chasser de la maison de David, dans laquelle son règne n'aura point de fin (3).

22. " Et les anciens de Galaad dirent à Jephté : " Ce n'est pas de cette manière que maintenant nous venons vers toi. " C'est ainsi que les Juifs convertis diront au Christ: Alors nous sommes venus pour persécuter, maintenant nous venons pour obéir. — Ils proclament qu`il sera leur chef contre leurs ennemis. Lui répond qu'il sera leur prince s'il remporte la victoire. Gédéon avait refusé cet honneur, que les Israëlites voulaient lui faire, il avait répondu: " Le Seigneur sera votre prince (4). " Ce nom de prince signifiait un Roi; au temps des Juges, la nation n'en avait pas encore. Saül fut le premier (5), et il ut des successeurs dont l'histoire se lit aux livres des Rois. Car, dans le Deutéronome, quand Dieu fait connaître au peuple ce que doit être le roi qu'il aura, s'il lui plait d'en avoir un (6), le roi, en cet endroit, est appelé prince. Mais, comme Jephté était la figure de Celui qui est le vrai roi, dont la royauté fut proclamée au sommet de la croix dans une inscription que Pilate n'osa ni effacer, ni corriger (7), il, faut croire que ce fut pour cette raison que, Jephté répondit : " Je serai votre prince. " Les gens de Galaad avaient dit : " Tu seras à notre tête ; "

1 Gen. XXXVII, 28 — 2 Ib. XLII-XLIV. — 3 Luc, I, 83. — 4 Jug. VIII, 22, 23. — 5 I Rois, X, I. — 6 Deut. XVII, 14. — 7 Jean., XIX, 19-22.

le chef de l'homme est le Christ, (1) ; le Christ est la tête du corps de l’Eglise (2). Quand Jephté eut délivré les siens de tous leurs ennemis, il ne devint pas leur roi, afin que nous comprenions que ce qui avait été dit à cet égard était une prophétie concernant le Christ, et ne s'appliquait pas à Jephté lui-même, dont l'Ecriture termine l'histoire en ces termes : " Et Jephté jugea Israël pendant six ans, et Jephté de Galaad mourut et il fut inhumé dans sa ville de Galaad (3). " II jugea donc Israël comme les autres Juges, et ne régna pas, comme les princes dont l'histoire est contenue dans les livres des Rois.

13. Jepheté placé à la tête de ses compatriotes envoie aux ennemis des ambassadeurs portant des paroles de paix. Ici nous voyons accompli ce que dit l'Apôtre servant d'organe au Christ : " S'il est possible, en ce qui dépend de vous, ayez la paix avec tous les hommes (4). " Quant aux paroles que Jephté fit porter, il serait trop long de les étudier en détail, notre course est pressée. Toutefois, en tant qu'elles touchent à la signification des choses futures, il me semble qu'on doit y remarquer la doctrine de Jésus-Christ qui nous enseigne comment nous devons nous conduire, c'est-à-dire, quelle vie nous devons mener au milieu de ceux qui n'ont point été appelés selon le décret de Dieu; car le Seigneur connaît ceux qui sont à lui (5).

24. Lorsque Jephté se prépara à livrer bataille aux ennemis, l'Esprit du Seigneur fut sur lui . Cela figure le don du Saint Esprit confié aux membres de Jésus-Christ.

25. " Il passa au-delà de Galaad et de Manassé, il franchit les hauteurs de Galaad, et des hauteurs de Galaad il s’élança au-delà des enfants d'Aramon. " Ici sont représentés les membres de Jésus-Christ qui marchent pour remporter la victoire sur leurs ennemis. Galaad signifie : Celui qui rejette, et Manassé : Nécessité. Il faut, pour le progrès en Jésus-Christ, s'élever au-dessus des rebuts, c’est-à-dire, des mépris des hommes; il faut s'élever au-dessus de la nécessité elle-même, de peur qu'après avoir surmonté les mépris, on ne cède à la terreur. Il faut franchir les hauteurs de Galaad. Galaad signifie : révélation. Les hauteurs sont des lieux d'où l'on voit au loin, d'où l'on regarde en bas, c'est-à-dire, d'où l'on méprise. Les hauteurs de Galaad me paraissent donc figurer très-bien

1 I Cor. XI, 3. — 2 Eph. V, 21. — 3 Jug. XII, 7. — 4 Rom. XII, 18. — 5 II Tim. II, 19.

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l’orgueil inspiré par les révélations; c'est pourquoi l'Apôtre dit: " de peur que je ne m'élève dans la grandeur des révélations. " Il faut aller au-delà de ces hauteurs, c'est-à-dire, ne point s'y arrêter à cause du péril de tomber. Tous ces obstacles franchis, on triomphe aisément des ennemis. C'est ce qu'expriment ces paroles : " Et des hauteurs de Galaad il s'élança au-delà des enfants d'Ammon, " ennemis dont il a été question plus haut.

27. " Et Jephté fit un voeu et dit : Si vous livrez en mes mains les enfants d'Ammon, quiconque sortira du seuil de ma maison pour venir à ma rencontre au retour du triomphe " remporté sur les enfants d'Ammon, celui-là sera " au Seigneur, je l'offrirai en holocauste. " Qui que ce soit que Jephté ait eu en vue, en cette circonstance, dans sa pensée d'homme, il ne paraît pas qu'il ait songé à sa fille unique ; autrement il n'aurait point dit en la voyant se présenter à lui : " Malheureux que je suis! Hélas! ma fille, vous m'avez arrêté, vous êtes devenue un piège à mes yeux. " En disant: "Vous m'avez arrêté, " c'est comme s'il faisait entendre qu'elle l'a empêché d'accomplir ce qu'il avait dans l'esprit. Mais quelle autre personne devait-il s'attendre à rencontrer la première, lui qui n'avait pas d'autres enfants? Eut-il en vue son épouse? et Dieu empêcha-t-il qu'une telle pensée s'accomplit, et en même temps qu'un voeu semblable restât impuni, de peur que d'autres, dans la suite, n'osassent le renouveler? Voulût-il par un trait merveilleux de sa providence figurer dans cet événement le mystère de l'Eglise? Cette figure prophétique résulterait donc de ces deux choses, savoir : de l'objet que Jephté eut en vue en faisant son veau, et de ce qui arriva en réalité, contrairement à son dessein. — S'il eut en vue son épouse, l'Eglise est l'épouse du Christ. " C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à son épouse, et ils seront deux dans une même chair. Ce mystère est grand, s'écrie l'Apôtre, je dis, en Jésus-Christ et en l'Eglise (1). " Mais comme il n'était pas possible que cette épouse de Jephté fût une vierge, il arriva que sa fille venant elle-même à la rencontre de son père, la témérité qui avait voué un sacrifice défendu, fut punie, et la virginité de l'Eglise figurée. Rien ne s'oppose à ce que l’Eglise soit désignée sous ce nom de fille : n'était-

1 Eph. V, 31, 32.

ce point l'Eglise que représentait cette femme qui, ayant été guérie après avoir touché la frange de la robe de Notre-Seigneur, entendit cette parole : " Ma fille, aie confiance, ta foi t’a sauvée, va en paix (1). " Et assurément nul ne met en doute que Notre-Seigneur ait appelé ses disciples les fils de l'époux? montrant très-clairement qu'il est lui-même l'époux : " Les fils de l'époux, dit-il, ne peuvent jeûner tout le temps que l'époux est avec eux; viendront les jours ou l'époux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront (2). " L'Eglise, que le bienheureux Apôtre appelle " une chaste vierge (3), " sera donc un holocauste quand s'accomplira dans l'universelle résurrection des morts cette parole de l'Ecriture : " La mort a été engloutie dans sa " victoire. " Alors Jésus-Christ remettra son royaume aux mains de Dieu son Père (4). Ce royaume, c'est l'Eglise elle-même ; le roi, c'est celui dont Jephté est la figure. Mais parce que ceci arrivera quand le sixième âge du monde sera écoulé, un délai de soixante jours a été demandé pour la virginité de la fille de Jephté. L'Eglise est rassemblée de tous les âges. D'Adam au déluge, c'est le premier .âge; du déluge, c'est-à-dire de Noé, à Abraham, c'est le deuxième âgé ; le troisième, d'Abraham à David; le quatrième, depuis David jusqu'à la captivité de Babylone; le cinquième, de la captivité de Babylone jusqu'à l'enfantement de la Vierge; le sixième, depuis cette dernière époque jusqu'à la fin du siècle Ces six âges sont comme les soixante jours de deuil pendant lesquels la sainte Eglise pleure sa virginité : car quoique vierge elle a des fautes à déplorer, ces fautes pour lesquelles chaque jour, dans le monde entier, elle répète : " Pardonnez-nous nos offenses (5). " Les soixante jours sont exprimés par deux mois; l'écrivain sacré l'a préféré ainsi, je pense, à cause des deux Adam, l'un par qui la mort est venue, l'autre par qui se féra la résurrection des morts : c'est pour cela aussi qu'il y a deux Testaments.

28. " Il arriva que ce fut un précepte en Israël qu'on s'assemblât chaque année pour pleurer pendant quatre jours, la fille de Jephté de Gaaad. " Je ne pense pas qu'il faille voir ici, dans ce qui arriva après la consommation du sacrifice, une figure de ce qui aura lieu élans la vie éternelle, mais plutôt une image des temps écoulés du pèlerinage, de l'Eglise, pendant les

1 Matt. IX, 20-22. — 2 Ib. 15. — 3 II Cor. X,1, 2. — 4 I Cor. XV, 54, 24. — 5 Matt. VI, 12.

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quels les élus ont été dans les pleurs. Les quatre jours figurent l'universalité de l'Eglise, à cause des quatre parties du monde où elle est répandue. Au point de vue de la réalité historique, les israëlites ont, je pense, institué cet usage de pleurer la fille de Jephté, parce qu'ils ont vu dans un pareil événement le jugement de Dieu qui se montrait surtout dans la punition d'un père, afin que personne, dans la suite, n'eût la témérité de vouer de semblables sacrifices. Pourquoi en effet aurait-on ordonné par décret public un deuil et des pleurs, si ce voeu eût été une cause de réjouissance ?

20. Le peuple d'Ephrem fut battu ensuite par Jephté : si cet événement doit être rapporté au jugement de Dieu qui se fera à la fin du siècle, suivant ce que dit le Seigneur lui-même : " Amenez-moi et mettez à mort tous ceux qui n'ont pas voulu que je règne sur eux (1); " il faut reconnaître une signification dans ce nombre de quarante-deux mille qui est le nombre de ceux qui succombèrent dans cette guerre (2). De meule que les deux mois, à cause des soixante jours dont ils se composent, désignent le nombre des six âges; de même le nombre sept répété six fois, et appliqué au même objet, figure également les six âges du inonde : six fois sept font quarante-deux. Ce n'est point sans motif non plus que Jephté exerça sur le peuple la judicature pendant six ans.

L. (Ib. XIII, 4) Recommandation de l'ange à la mère de Samson. — On peut chercher pourquoi, annonçant un fils à la mère de Samson, qui était stérile, l'ange lui dit : " Et maintenant garde-toi de boire ni vin ni bière, et de manger rien d'impur. " Pourquoi rien d'impur? si ce n'est peut-être que le relâchement de la discipline qui avait commencé en Israël, en était venu même au point qu'on mangeait les animaux défendus (3)? Comment le peuple n'aurait-il pas été fortement enclin à ces violations, lui qui prévariquait au point d'adorer les idoles ?

LI. (Ib. XIII, 6.) Sur les questions que la mère de Samson fit à l'ange. — La mère de Samson, racontant à son mari comment l'Ange lui avait annoncé la naissance d'un fils, dit : " Et je lui demandais d'où il était, et il ne me dit pas son nom; " sur quoi on peut demander si elle parlait suivant la vérité, car on ne lit rien de semblable dans le discours que l'ange lui tint. Mais il faut comprendre. que l'Ecriture supplée

1 Luc, XIX, 27. — 2 Jug. XII, 4, 6. — 3 Deut. XIV, 3-19.

dans un endroit ce qu'elle a tu dans un autre. Elle ne dit pas : Je lui ai demandé son nom, et il ne me la point fait connaître, mais: Je lui ai demandé " d'où il était, " ce qui ne paraît pas s'accorder avec ce quelle ajoute: " Et il ne m'a point fait connaître son nom. " En effet, elle n'avait point demandé son nom à celui qu'elle prenait pour un homme, mais son endroit ou sa ville. Elle l'appela un homme de Dieu, semblable à un ange, il est vrai, par son extérieur, son maintien, à cause de l'éclat qu'elle lui vit, ainsi qu'elle le raconta. Mais si on ponctue la phrase de cette sorte : " Je lui demandais d'où il était, et son nom " (sous entendu : je lui demandais) et qu'ensuite on ajoute : " il ne me le fit pas connaître, " alors il n'y a plus de difficulté : cette parole : " il ne me le fit pas connaître, " se rapporte aux deux objets de la question ; c'est-à-dire : il ne me fit connaître ni son nom, ni d'où il était.

LII. (Ib. XIII, 7, 5.) Samson, appelé Nazaréen. — On ne lit pas non plus que l'Ange ait prononcé cette parole que cette même femme rapporte lui avoir été dite par lui: " Cet enfant sera Nazaréen de Dieu, depuis sa naissance jusqu'au jour de sa mort. " Et d'un autre côté, elle ne rapporte pas ces autres paroles que l'Ecriture cite comme lui ayant été dites : " Il commencera la délivrance d'Israël des mains des Philistins. " Ainsi elle supprime quelque chose de ce qu'elle a entendu; et cependant il ne faut pas croire quelle ait rapporté ce quine lui aurait point été dit; mais plutôt que l'Ecriture n'a point rapporté toutes les paroles de l'Ange en racontant son entretien avec la mère de Samson. Il est dit que cet enfant sera Nazaréen " depuis sa naissance jusqu'au jour de sa mort, " parce que ceux qui faisaient un voeu temporaire, conformément aux prescriptions de l'Ecriture données par Moïse (1), étaient dans la Loi, appelés Nazaréens. C'est pourquoi il est ordonné touchant celui-ci, que le fer ne passera point sur sa tète, et qu'il ne boira ni vin ni liqueur fermentée. En effet Samson garda toute sa vie cette observance, que ceux qui portaient le nom de Nazaréens gardaient à certains jours pour acquitter leur voeu.

LIII. (Ib. XIII, 16, 15, 1.). Sur l'entretien de Manué avec l'ange. — Cette parole de l'Ecriture " Parce que Manué ne connut point que c'était un Ange de Dieu, " montre que l'épouse de

1 Nomb. VI, 2-21.

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Manué prit elle-même cet ange pour un homme. Quand donc il lui dit : " Souffre que nous te fassions violence, et que nous offrions en la présence un chevreau des chèvres, " il l'invite comme s'il était un homme, mais il l'invite à participer avec lui à la victime d'un sacrifice. Cette expression : offrir un chevreau des chèvres, ne s'emploie, en effet, que pour désigner un sacrifice. L'Ange répond: " Si tu me fais violence, je ne mangerai point de tes pains, " ce qui montre qu'il avait été invite à un repas. Il ajouté ensuite : " Et si tu fais un holocauste, tu l'offriras au Seigneur. " Cette parole : " Si tu fais un holocauste, " répond évidemment à ce que Manué avait dit : " Souffre qu’en ta présence nous offrions un chevreau des chèvres. " Toute espèce de sacrifice n'était point un holocauste : on ne mangeait point de l'holocauste ; il était entièrement consumé par le feu; c'est pour cela qu'on l'appelait holocauste. L'Ange, qui ne pouvait manger, conseilla qu'on fit plutôt un sacrifiée d'holocauste, non à lui toutefois, mais au Seigneur, surtout, parce que le peuple d'Israël, en ce temps là, était dans l'usage de sacrifier à tous les faux dieux, et avait mérité par cette offense que te Seigneur le livrât à ses ennemis pendant quarante ans.

LIV. (Ib. XIII, 16-23.) Manué prit-il l'ange pour Dieu lui-même? — Lorsque l'ange se fut fait connaître à Manué et à son épouse, après l'entretien qu'il eut avec eux, Manué dit à sa femme : " Nous mourrons de mort, parce que nous avons vu le Seigneur; " selon ce qui est écrit dans la Loi : " Personne ne peut voir ma face et vivre ? (1) ". Comment entendre ces paroles? — Ils croyaient . donc avoir vu Dieu avec leurs yeux mortels; quand par un grand miracle celui qui venait de leur parler sous la forme d'un homme, avait paru debout au milieu du feu du sacrifice. Mais est-ce Dieu qu'ils reconnaissaient dans là personne d'un Ange; où bien regardaient-ils l'ange comme étant Dieu lui-même? Voici, en effet, le récit de l'Ecriture : " Et Manué prit un chevreau des chèvres, et fit un sacrifice : il l'offrit sur une pierre au Seigneur opérant des merveilles, et Manué et son épouse étaient dans l'attente. Et pendant que la flamme s'élevait au-dessus de l'autel vers le ciel, l'Ange du Seigneur s'éleva dans la flamme. Et Manué et son épouse étaient dans l'attente : et ils tombèrent la face contre terre. Et l'Ange du Seigneur

1 Ex. XXXIII, 20.

cessa d'apparaître à Manué et à son épouse. Alors Manué connut que c'était l'Ange du Seigneur. Et Manué dit à son épouse : Nous mourrons de mort parce que nous avons vu Dieu. " Comme il ne dit pas : Nous mourrons parce que nous avons vu l'Ange du Seigneur mais parce que " nous avons vu Dieu, " la question est de savoir s'ils reconnaissaient Dieu agissant dans un ange, ou s’ils appelaient Dieu l'Ange lui-même. — Cette dernière supposition, qu'ils auraient cru Dieu celui qui était un Ange, n'est pas admissible; l'Ecriture dit très-ouvertement : " Alors Manué connut que c'était l'ange du Seigneur. " Mais pourquoi craignait-il la mort? L'Ecriture n'avait point dit dans l'Exode Quiconque aura vu la face d’un ange ne pourra vivre; biais Dieu parlant lui-même avait dit : " ma face. " Manué ayant reconnu Dieu dans la personne de l'ange avait-il été troublé jusqu'à redouter la mort ? Quant à la réponse que lui fit son épouse: " Si le, Seigneur avait voulu nous faire mourir, il n'aurait point agréé de notre main le sacrifice et l'holocauste, il ne nous aurait pas manifesté toutes ces choses, il ne nous aurait pas fait entendre tous ces secrets, " dit-elle que selon eux l’ange lui-même agréait le sacrifice, parce qu'ils le virent debout au milieu des flammes de l'autel? ou bien comprirent-ils par là que le Seigneur agréait l'holocauste, l'ange agissant de la sorte pour faire voir qu'il était un ange? — Quoiqu'il en soit, ce messager céleste avait dit auparavant : " Si vous faites un holocauste, vous l'offrirez au Seigneur; " c'est-à-dire : non pas à moi, mais au Seigneur. L'Ange donc se tenant debout au milieu de la flamme de l'autel signifiait que l'Ange du grand conseil ayant pris la forme de l'esclave (1); c'est-à-dire, l'humanité, ne recevrait point le sacrifice, mais serait lui-même la victime.

LV. (Ib. XV. 8, 45.) Sens de ces paroles : la jambe sur la cuisse. — Pourquoi est-il dit que : " Samson frappa les étrangers, la jambe sur la cuisse ? " Oui à la jambe sur la cuisse? la jambe n'est au-dessous de la cuisse que depuis le genou jusqu'au talon. Si l'Ecriture a voulu marquer l'endroit du corps où ils furent frappés par Samson, pense-t-on que tous ceux qui furent blessés le furent au même endroit ? Si cela était vraisemblable peut-être pourrions-nous supposer que Samson s'était servi de la jambe de quelque animal en guise de bâton, et qu'il les

1 Is. IX, 6.

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aurait frappés sur les cuisses, comme il est écrit qu'il tua mille hommes avec une mâchoire d'âne. Mais on ne peut croire que dans la lutte il se soit essayé à ne les frapper qu'au même endroit. L'Ecriture ne dit pas du reste qu'il les frappa sur la cuisse avec un tibia, mais qu'il les frappa " la jambe sur la cuisse. " L'obscurité du sens provient de l'emploi d'une locution inusitée. Cette façon de parler signifie qu'il les frappa d'une manière tout à fait étonnante; c'est-à-dire, que saisis d'étonnement et de stupeur ils mirent la jambe sur la cuisse, ou une jambe sur l'autre, comme font ceux qui sont frappés d'une grande stupeur. C'est comme si l'on disait: il les frappa la main à la mâchoire, c'est-à-dire, d'une si grande plaie que dans leur étonnement ils réfléchissaient tristement la joue appuyée sur la main. C'est le sens qui ressort de la version faite sur l'hébreu ; on y lit: "Il les frappa d'une grande plaie, tellement que saisis d'étonnement ils mirent la jambe sur la cuisse. " C'est comme si l'on disait : le tibia sur la cuisse : le tibia ou la jambe, c'est la même chose.

LVI. (Ib. XV, 12.) L'usage seul peut apprendre le sens d'une locution. — Quel est le sens de cette parole de Samson aux hommes de Juda " Faites-moi serment que vous ne me tuerez pas, et livrez-moi à eux, de peur que vous ne veniez à ma rencontre ? " Quelques uns ont interprété ainsi cette locution: de peur que vous ne veniez contre-moi. Samson leur demandait par là qu'ils ne le tuassent point ; ce sens ressort de ce qu'on lit au livre des Rois . Salomon ordonne qu'un homme soit mis à mort et il dit : " Va, cours à sa rencontre (1). " Ce qui fait que nous ne comprenons pas, c'est que cette locution n'est pas en usage parmi nous. Ainsi les autorités militaires disent : va, allège-le, ce qui signifie mets-le à mort. Mais qui pourrait comprendre le sens de cette locution, si l'usage n'en avait donné la connaissance? C'est ainsi que vulgairement on dit parmi nous : il l'a raccourci, ce qui signifie: il l'a mis à mort. Personne ne comprend, sinon celui à qui l'usage a révélé le sens de cette façon de dire. Ainsi en est-il de toutes les locutions : elles ont une énergie qui ne peut être comprise, comme les langues elles-mêmes, qu'en les entendant, ou en les étudiant.

1 III Rois, II, 29.

Cette traduction est l'oeuvre de M. l'abbé POGNON.

 

 

 

 

 

 

 

 

ANNOTATIONS SUR LE LIVRE DE JOB

Cette traduction est due à M. l'abbé JOYEUX.

In Oeuvres complètes de Saint Augustin, Tome Quatrième, p.590-641, Bar-Le-Duc, 1866

 

ANNOTATIONS SUR LE LIVRE DE JOB (1).

CHAPITRE PREMIER. — Prospérité de Job; tentation du démon ; premières épreuves.

3. " Ses " travaux étaient grands sur la terre : " car il s'occupait de perfectionner ses travaux mêmes.

4. " Chaque jour, à tour de rôle, ils se donnaient un festin, " signe de charité.

5. " Il offrait pour chacun d'eux des victimes. " Les aveux de chacun d'eux étaient comme autant de victimes particulières et différaient des sacrifices généraux présentés pour les péchés de tous; c'est ce qu'il fait entendre, en disant : " Peut-être mes enfants ont-ils péché et maudit Dieu dans leur coeur. " Il a raison de dire : " peut-être, " car il ne fait que redouter ce malheur.

6. " Et voici que les anges de Dieu vinrent pour se présenter devant le Seigneur. " L'amour de l’âme pour la vérité ne peut s'exprimer qu'en faisant connaître de quelque manière le temps et le lieu. " Et le démon vint aussi avec eux. " Est-ce par ce qu'il ne pouvait entendre que par leur intermédiaire, qu'il est dit : " avec eux ? "

7. " Et le Seigneur dit au démon :D'où viens-tu ? " La réponse à cette question, c'est le rapprochement de et qu'il a fait et de la permission qui lui est donnée d'agir ensuite. La question elle-même est la puissance divine, qui ne permet pas de faire ce que l'on veut, car " l'impie sera questionné sur ses pensées (2), " pour nous le faire connaître.

11. "Mais étendez la main, et touchez à ce qu'il possède. " Donnez-en le pouvoir. "S'il ne vous bénit en face. " Suspension qui signifie: S'il ne vous bénit en face, quand vous aurez touché à ses biens, qu'ordonnerez-vous ? Ce dernier mot est sous-entendu.

12. " Et le démon s'éloigna de devant le " Seigneur. " Il va du conseil à l'action.

15. " Les ennemis vinrent et s'en saisirent ; "

1 Voir II Rétr. ch. 1(3). — 2 Sag.I, 9.

conformément, à cette parole : " Il agit maintenant dans les enfants de la défiance (1), " il excita également ces ennemis. Remarquez comment il exercé sa puissance sur les hommes et sur les éléments : mais il la tient de Dieu.

21. " Je suis sorti nu du sein de ma mère." Notez combien ce langage est consolant, quoique d'ailleurs Job s'abandonne à la douleur, selon l'usage.

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CHAPITRE II — Nouveaux malheurs ; résignation.

6. "Je te l'abandonne, respecte seulement son âme, " c'était pour qu'il ne se crût pas autorisé à lui ôter la vie.

8. " Il se saisit des débris d'un vase, afin d'enlever le pus de ses plaies. " Figure de la Passion du Seigneur; par elle les péchés sont effacés à ceux qui les confessent.

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CHAPITRE III. — Cris arrachés, par la douleur: vanité des grandeurs humaines.

3. " Et la nuit dans laquelle on a dit : Un homme est conçu. " Ce sont quelques puissances supérieures qui ont tenu ce langage, car elles ont pu avoir connaissance de ce fait.

4. " Que cette nuit soit ténèbres : " pour que Job n'ait plus à souffrir ce qu'il a souffert. " Que cette nuit soit ténèbres, " c'est-à-dire, livrée à l'oubli. " Que d'en haut le Seigneur ne la recherche pas. " Qu'elle ne soit point reproduite dans l'immortalité, c'est-à-dire qu'elle périsse avec tout ce qui est mortel. " Que la lumière ne l'éclaire point; " la lumière du souvenir.

5. " Mais qu'elle entre dans les ténèbres et les ombres de la mort, " cette vie qui est l'ombre des châtiments futurs. Le sens serait donc: que le ,juste, qui est la vraie lumière, ne la voie point, mais plutôt les ténèbres, c'est-à-dire les pécheurs et les tribulations charnelles issues de cette vie. " Que le trouble lui vienne comme les

1 Eph. II,16.

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amertumes du jour. " Ces amertumes sont les préceptes d'une sainte vie ou le jour du jugement, qui épouvantent les hommes charnels.

6. " Que cette nuit entre dans les ténèbres, " éternelles. " Qu'elle ne compte plus parmi les jours de l'année, " pour les justes devenus spirituels qui jouissent du soleil et sont plus élevés, que les autres. .

7. " Mais qu'elle soit douleur; " parce qu'elle apporte la douleur à ceux qui l'aiment. " Qu'elle ne compte plus dans les jours des mois, " pour ces justes qui, représentés dans l'Eglise par l'astre des nuits, sont inférieurs aux autres ; c'est à eux que s'adressent ces paroles : " Pour moi, mes frères, je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels (1). " Saint Paul alors serait au nombre des jours de l'année.

8. " Que celui-là la maudisse, qui maudira le jour. " C'est-à-dire le Seigneur, qui maudit les amateurs des plaisirs charnels.

9. " Que les astres de cette nuit s'obscurcissent; " les hommes les plus avancés dans le péché. " Qu'elle reste et ne vienne point à la lumière ; " parce qu'ils ne se convertiront point ; c'est une prophétie.

10. " Parce qu'elle n'a point fermé le sein de ma mère ; " de la cité terrestre que figure Babylone. Elle serait fermée si on ne louait point le pécheur dans les désirs de son âme (2). "Pourquoi ne suis-je point mort dans le sein maternel ? " Avant de me signaler en votre présence par quelqu'action, car la conception n'est qu'une espérance. " Que n'ai-je péri en sortant de son sein ? " Voyez dans ces mots la figure d'un homme qui aurait vieilli dans la concupiscence.

12. " Pourquoi mes genoux se sont-ils fortifiés, " afin de m'affermir ? " Pourquoi ai je sucé le lait, " de la doctrine qui prépare au péché ?

13. " Maintenant je me reposerais dans mon sommeil ; " en mourant pour ce monde.

14. " Avec les rois que la terre a mis en honneur, " dans l'Eglise. " Qui se glorifiaient dans leur épée ; " dans " le glaive de l'Esprit, c'est-à-dire, la parole de Dieu (3). " Ou avec les princes qui possèdent beaucoup d'or; " beaucoup de sagesse. " Qui ont rempli leur palais d'argent; " de la parole de Dieu.

16. " Comme un avorton échappé du sein de sa mère ; " et qui n'a pas été remarqué. "Ou

1 II Cor. III, 1. — 2 Ps. IX, 2,4. — 3 Eph. VI, 17.

comme les enfants qui n'ont pas vu la lumière ; " qui ne sont parvenus à aucun rang distingué.

17. " Là les impies ont déposé leur fureur ; " en mourant à ce monde. " Là reposent les forts épuisés de fatigue ; " fatigués dans leur corps, et non dans leur âme ; ou après avoir accompli la destinée des créatures périssables.

18. " Ils n'ont point entendu la voix de l'exacteur. " De là cette parole : " Le juge te livrera à l'exacteur (1); " c'est-à-dire que leurs péchés leurs sont pardonnés : il parlait des impies.

19. " Là sont le grand et le petit. " On peut bien ici ne voir qu'un seul homme, conformément à cette sentence : " Celui qui s'humilie sera glorifié (2). — Et le serviteur qui ne redoute " point son maître ; " dans le sens de ce passage " Veux-tu ne pas craindre la puissance ? fais le bien (3); " ou de cet autre : " L'amour parfait chasse la crainte (4). "

20. " Pourquoi la lumière est-elle donnée à ceux qui sont dans le chagrin ? " C'est l'honneur accordé aux méchants. " Et la vie aux âmes qui sont dans la douleur ? " Dans ce qui produit la douleur, c'est-à-dire dans le péché.

21. " Qui désirent la mort, et elle ne vient point. " Ils ne recueillent point de fruit du péché. 23. " La mort est un repos pour l'homme dont la vie est cachée. " Parce qu'elle n'est vue que de Dieu, ou connue que d'un petit nombre. Cela s'entend de cette mort qui nous fait mourir au monde; en l'autre il n'y a point de repos. " Dieu l'a enfermé de toutes parts ; " en ne l'abandonnant pas aux désirs de son coeur.

24. "Avant de prendre ma nourriture, le gémissement est sur mes lèvres. " Avant la joie de la nourriture céleste, arrivent les tribulations. " Et je pleure dans les angoisses;" envoyant que je ne puis éviter ce que je redouté.

25. " Car la crainte queue redoutais est venue jusqu'à moi. " L'adversité qui nous vient de la miséricorde divine pour notre amendement.

26. " Je n'ai été ni dans la paix, ni dans le silence, ni dans le repos. " Car ce n'était que de faux biens dont il redoutait la perte. "Et la colère es venue jusqu'à moi. " La vengeance devant laquelle le juste à peine sera sauvé (5).

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CHAPITRE IV. — Eliphaz de Théman reproche à Job son peu de fermeté et l'injure qu'il fait à Dieu.

3. " Qui soutiendra le poids de tes

1 Luc, XII, 58. — 2 Ib. XIV, 11. — 3 Rom. XIII, (3). — 4 I Jean, IV, 18. — 5 I Pierre IV, 18.

592

paroles ? " Eliphaz se croit donc contraint de parler, parce qu'il ne peut supporter les paroles de Job.

6. " Ta crainte n'est-elle pas insensée ? " Si tu étais sincère en conseillant les autres, tu devais t'attendre à ce qui t'arrive. Tu t'effraies sans raison de ces maux, n'as-tu pas dit: "La crainte que je redoutais est venue jusqu'à moi (1) ? Et ton espérance, et la simplicité de ta vie ne sont-elles pas comme la sottise, " celle qui fait croire que ces biens sont véritables ?

10. " Le rugissement du lion et le cri de la lionne; " c'est-à-dire le démon lui-même, et la cité orgueilleuse, souvent décrite parles prophètes sous les traits de la bête. " Et la joie du dragon sera anéantie; " celle des orgueilleux et des traîtres.

11. " Le myrmicoléon a péri, parce qu'il n'a plus de proie; " parce qu'au dernier jour le démon n'en pourra plus séduire pour les dévorer, car les bons seront séparés des méchants.Eliphaz se trompe en appliquant à Job les paroles prophétiques qui doivent s'entendre du démon. Celui-ci doit être ainsi appelé (fourmi-lion), soit parce que les traits de ces deux bêtes sont en lui

cet animal pille et enlève secrètement le froment, et l'empêche de produire, en détruisant son germe; soit encore parce que le démon est le maître des avares et de ceux qui thésaurisent; soit enfin parce qu'il tourmente les justes, lesquels, semblables aux fourmis, rassemblent en été les provisions de l'hiver; mais il ne pourra les dévorer, car alors les bons seront séparés des méchants. " Et les petits du lion ont été dispersés. " Les princes issus de l'alliance de cette cité avec le démon avaient formé une ligue qui a été dissipé, ou bien, ils se sont détruits les uns les autres, selon cette parole : " Une nation s'élèvera contre un autre nation (2). "

12. "Aucun de ces maux ne te serait arrivé; " soit ces pertes, ces privations, ces plaies saignantes, soit les tristesses qui ont accablé ton esprit. Tu aurais su te consoler, si tes discours avaient été sincères.

13. " Ne m'a-t-il pas fait entendre de magnifiques accents ? " Il annonce ici que ses paroles lui sont inspirées d'en haut.

15. " Et un esprit vint se placer devant moi. " Il veut nous faire entendre qu'un souffle l'a touché, et l'on voit, par ce qu'il ajoute, que ce n'était pas selon lui un vain fantôme. Rappelons-nous

1 Job. III, 25. — 2 Marc, XIII, 8.

que l'Esprit-Saint descendit de cette manière sur les Apôtres.

17. " Eh quoi ! l'homme sera-t-il jamais pur devant Dieu ? " Il veut dire ou qu'il a entendu énoncer cette pensée, ou qu'il a été saisi d'effroi en voyant que personne n'est pur devant Dieu, ou qu'il a eu ce genre de vision, parce que nul n'est assez pur pour voir Dieu tel qu'il est. Ici le mot pur signifie une pureté parfaite plus haut il s'entendait d'un pureté relative, et en ce sens il a pu dire que l'homme ne périrait pas.

18. " S'il ne croit pas le mal contre ses serviteurs. " C'est ce qui arriva lorsqu'Elie disait: " Seigneur, ils ont tué vos prophètes ; " il lui fut répondu : " Je me suis réservé sept mille hommes (1). " Non pas que ces sept mille hommes fussent déjà purs. Cela était dit des anges'et des prophètes. " Et dans ses anges même il a trouvé " le mal; " ou parce que le mal a été dit contre eux, ou parce qu'ils l'ont dit eux-mêmes. Ceci peut s'entendre même des bons anges.

19. " Ceux qui habitent des maisons de boue, " dont la conversation n'est pas dans le ciel. " Il les a frappés comme s'ils étaient rongés par les vers. " Ou bien quelque maladie les a rongés comme les vers; ou Dieu lui-même les a condamnés à être mangés par les vers, ou. enfin leurs coupables voluptés ont fait naître en eux-mêmes un germe de corruption qui les a rongés peu-à-peu ; c'est parce qu'ils habitaient une maison de boue.

20. " Nés le matin, le soir ils ne sont plus. " Cela veut dire qu'ils ne sont plus rien après cette vie, ou qu'ils arrivent promptement de la prospérité à 1a tribulation ; car le châtiment les a suivis de près. " Et parce qu'il n'ont pu s'aider, ils ont péri, " c'est qu'ils ont mis en eux leur espérance.

21. " Ils ont péri, parce qu'ils n'avaient pas la sagesse, "la sagesse de ne pas se confier en eux-mêmes.

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CHAPITRE V. — Suite du discours précédent: Dieu punit les méchants.

1. " Appelle à ton secours; peut-être quelqu'un répondra-t-il. " Dieu répond à ceux qui son purs à ses yeux.

2. " Car la colère tue l'insensé. " L'indignation qui le saisit à la vue de son malheur, comme s'il lui arrivait injustement : il oublie que les souillures de son âme, connues de Dieu, empêchent les Anges de répondre à sa prière, ou de

1 III Rois, XIX, 14, 18.

593

se montrer à lui ; car n'ayant pas ces pensées, il est insensé, et son injuste colère le fait mourir. Ou bien encore l'insensé ne peut voir ni entendre les anges, parce qu'il est battu par sa colère, anéanti par ses emportements. " Et l'envie fait mourir celui qui se trompe, " quand il veut imiter les pécheurs.

3. " J'ai vu les insensés comme affermis par de profondes racines. " Les insensés sont ici les impies; et la sagesse de l'homme signifie sa piété, comme la suite nous le fera voir.

4. " Et qu'ils soient écrasés à la porte des faibles, " c'est-à-dire des humbles, lorsque ceux-ci seront reçus dans la chambre de l'époux et que les insensés seront laissés dehors (1).

5. "Le juste se nourrira de ce qu'il aura amassé. " Ceci peut s'appliquer aux Juifs, qui ont recueilli les prophéties, mieux reçues ensuite parles Gentils, ou bien à ceux qui nourrissent leur âme en faisant ce que d'autres prescrivent sans l'accomplir. " Pour eux, ils ne seront point délivrés de leurs péchés, " quoiqu'ils enseignent ce qu'il faut éviter. " Et que leur force soit anéantie ; " quand ils se prévalent contre le faible; qu'elle soit épuisée et qu'ils connaissent les fatigues.

6. " Car ce n'est point la terre qui produit la douleur. " Ils n'ont point à se plaindre des créatures, mais d'eux-mêmes.

7. " L'homme est né dans le travail." On dit ici : " Il est né, " en ce sens que l'homme quitte un état de repos pour une vie laborieuse. " Et "les petits du vautour s'élèvent très-haut dans " leur vol. " Le vautour, c'est le Seigneur qui, des hauteurs de la Prophétie, voit notre condition mortelle : il vient s'en revêtir et nous changer en son corps. Les petits du vautour sont. les petits de l'époux; leur vol est très-élevé, puisque leur conversation est dans le ciel (2); aussi sont-ils délivrés du travail dans lequel l'homme vient au monde. Ils ont obéi à celte voix: " Venez à moi, vous tous qui travaillez (3). " Par les petits du vautour, on peut encore entendre, en mauvaise part, les puissances de l'air, à qui la mort, c'est-à-dire le péché, sert de pâture. Parce que ces anges prévaricateurs n'ont pas été abaissés à notre condition mortelle, condamnés à nos fatigues, ils s'en prévalent à l'excès : ils s'élèvent très-haut dans leur vol.

10. " Il répand la pluie sur la terre. " Il fait miséricorde à ceux qui s'avouent coupables.

1 Matt.XXV. — 2 Phil. III, 20. — 3 Matt. XI, 28.

12. " Afin que leur main n'accomplisse pas ce qu'ils ont médité; " qu'ils ne fassent pas ce qu'ils ont promis, quand ils ont menacé d'écraser le faible.

14. " Pendant le jour ils seront environnés de ténèbres ; " comme les Juifs qui n'ont pas connu le Seigneur. " Au milieu du jour ils tâtonneront comme pendant la nuit : " En voyant les miracles les uns disent . " Est-ce un prophète ? " les autres: " Il séduit le peuple (1). " Ils n'ont point voulu ouvrir les yeux à la lumière.

15. " Qu'ils périssent dans la lutte ; " dans les tentations. — " Que le faible échappe aux mains du fort; " à celles du démon. " Que l'espérance soit au coeur du faible ; " car ces forts cherchent ici la réalité même.

17. " Bienheureux l'homme que le Seigneur reprend. " Ici Eliphaz se trompe, il croit que Job souffre à cause de ses péchés : au contraire Job est bienheureux; parce que s'il est condamné en cette vie, il peut se purifier.

19. " Et le septième jour le mal ne pourra t'atteindre. " Désignation mystérieuse du sabbat.

20. " Au temps de la famine, il te préservera de la mort. " Par sa parole il nourrit et rend fort contre la tentation. " Au jour du combat il te délivrera de la main de fer; " de la puissance des chaînes.

21. " Il te dérobera aux morsures de la langue : " pour que tu ne ressentes pas les outrages, et non pour les détourner de toi.

22. " Tu te riras de l'injuste et du méchant; " comme il est dit que la sagesse se rira de la perte des méchants (2). " Tu n'auras plus à craindre les " bêtes cruelles, " c'est-à-dire, tu ne craindras plus les Juifs, car les gentils seront dociles à ta voix. Ceci doit s'entendre de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Eliphaz se trompe ici en attribuant à Job ce qui lui est révélé ; tout doit s'appliquer au Sauveur.

23. " Parce que tu as fait alliance avec les pierres des champs. " Ces pierres des champs sont les Gentils. La Loi ne fut point promulguée parmi eux; ils étaient comme les pierres qu'on assemble pour l'édifice. " Les animaux féroces s'apprivoiseront devant toi. " On peut appliquer ceci aux Juifs comme aux Gentils.

24. " Tu verras ensuite reposer en paix ta maison; " c'est-à-dire l'Eglise.

1 Jean, VII, 40, 12. — 2 Prov. I, 26.

594

25. " Et tes enfants seront comme l'herbe des champs ; " préservés de la sécheresse.

26. " Et tu viendras dans le tombeau comme le froment bien mûr. " Après ta passion.

27. " Voilà ce que nous avons attentivement " médité. " Ces paroles confirment l'autorité de cette prophétie. " Pour toi, sache bien te connaître toi-même et ce que tu as fait. " Car Dieu n'a pas permis que ceci t'arrive injustement.

CHAPITRE VI. — Paroles de Job ; sa justification.

3. " Il te semble donc que mes paroles sont mauvaises. " Job n'a point parlé pour se plaindre des coups de l'adversité ; il n'a fait qu'exprimer sa douleur, moins la sienne propre que celle que lui fait éprouver le sort du genre humain tout entier.

4. " Les flèches du Seigneur se sont fixées sur moi. " C'est la parole de Dieu qui transperce l'âme en lui faisant confesser ses fautes. " Leur fureur s'est abreuvée de mon sang; " car elles enlèvent le péché. " Dès que je veux parler, elles m'aiguillonnent. " Elles m'imposent ce que je dois dire.

5. " Eh quoi ! N'est-ce pas quand il a faim que l'onagre pousse de vaines clameurs ?" S'il souffre de la faim, c'est qu'il a voulu être libre. " Le boeuf mugira-t-il, quand il aura devant lui sa nourriture? " Le travail du boeuf préparé à l'âne sa nourriture. Ainsi fut-elle préparée aux Gentils parles Prophètes et les Apôtres, qui étaient Juifs. Ces paroles expriment donc le désir de manger; c'est-à-dire d'être secouru, et non l'impatience de souffrir.

6. " Le pain peut-il sans sel être mangé? " Comme si on lui disait: Pourquoi donc parles-tu ainsi en figures? Il répond que ces choses exprimées au propre seraient sans saveur. " Quelle " douceur y a-t-il dans les discours insensées ? " Il appelle insensés les discours des hommes ; la parole de Dieu est le vrai pain, mais le pain céleste. " Voilà pourquoi mon esprit ne peut se taire. " De même que sans le sel on ne peut goûter le pain, ainsi je me dois tout entier à la parole de Dieu, selon ce qui est écrit : " Comment entendront-ils, si personne ne les prêche (1) ? "

7. " Je le vois, ma nourriture est devenue fétide comme l'odeur du lion. " Mes paroles sont fétides comme le lion : ou parce que dans leur orgueil ils se sont prévalus de leurs pensées,

1 Rom. X, 14.

ou parce que s'attachant aux plaisirs charnels, ils ont répandu l'odeur du lion, eux qui se glorifient en leurs discours.

8. " S'il plaît au Seigneur que ma demande arrive. " Il appelle demande la chose même qu'il sollicite. " Et qu'il réponde à mes espérances. " L'épreuve est bonne pour celui qui a l'espérance d'être consolé après la tribulation,, Le mot espérance est ici bien choisi, car après avoir obtenu ce qu'il attend, l'homme n'a plus besoin d'être éprouvé.

10. " Que la cité dont je franchissais les murailles soit pour moi un sépulcre. " Il veut que la cité impie de Babylone soit pour lui un sépulcre, non pour qu'elle le couvre de ses ruines, mais afin qu'elle sache qu'elle ne renferme que des morts, elle où il se vantait de trouver son appui et sa défense. " Je serai sans pitié ; car je n'ai point dit le mensonge; mes paroles sont les paroles saintes de mon Dieu. " Il a seulement dit ce que le Seigneur lui a inspiré; savoir que l'humanité en général a besoin de se, cours pour le louer.

11. " Quelle est ma force pour tout supporter? " Voilà la blessure. " Combien de temps encore " mon âme doit-elle souffrir? " Aux approches de la mort les hommes sont pressés de se convertir et de faire à Dieu l'aveu de leurs péchés les plus honteux ; et cette considération l'a forcé à se reconnaître coupable.

12. " Ai-je la force des pierres ?" Il désigne les endurcis, que les traits de la parole divine ne peuvent pénétrer, que rien ne touche et ne détermine à confesser leurs péchés.

13. " Ai-je refusé de me confier en lui dans ma prospérité? " quand, à l'image de Dieu, j'étais immortel. " Et il m'a retiré son appui. " Je suis devenu mortel en voulant me confier en moi . " Dieu m'a visité et m'a dédaigné ; " selon ce, qui est écrit : " Qu'est-ce que le fils de l'homme; " pour que vous le visitiez (1) ?"

16. " Mes proches ont refusé de me voir. " J'ai fait horreur aux anges. " Comme le torrent qui s'écoule. " J'ai été comme inondé par la miséricorde; tout s'est desséché, et il n'y a plus de source pour me désaltérer. " Ils sont passés devant moi comme les flots . " Les consolations étaient donc pour lui comme un breuvage. "Ceux qui me craignaient sont venus fondre sur moi. A Le démon avec ses anges. " C'en est fait de moi, je suis exilé de ma propre maison ; " il veut

1 Ps. VIII, 5.

595

parler de la demeure éternelle ou de sa propre conscience : c'est pourquoi il était assis devant. sa porte,.

19. " Voyez les chemins de Théman, les sentiers de Saba. " Il désigne ici ceux qui n'aiment que les biens de ce monde, sur lesquels il assure ne pas s'appuyer lui-même, ou mieux l'humanité qu'il représente.

20. " Et vous aussi, vous vous êtes impitoyablement élevés contre moi, " pensant que l'homme est heureux s'il regorge des biens de ce monde. Ils l'insultaient en effet plutôt qu'ils ne compatissaient à ses maux.

21. "Mais voyez mes blessures et craignez ; " comprenez ce qu'elles signifient et craignez les châtiments à venir.

22. " Eh quoi? que vous ai-je demandé et qu'ai-je besoin de votre force ? " car il souffre en la présence de Celui qui peut le guérir.

24. " Instruisez-moi, et je garde le silence. " Ils devaient être attentifs à ses enseignements, puisqu'ils ne pouvaient l'instruire.

25. " Mais je le vois, les paroles de l'homme véridique ont été en petit nombre sur vos lèvres. " Il appelle l'homme véridique celui qui par sa conversion est devenu un vrai modèle de pénitence, et dont ses amis. imitaient peu le langage.

26. "Je n'implore point votre secours. " L'homme véritable n'implore que le secours de Dieu, et cet homme véridique aussi est celui qui avoue ses péchés :delà cette parole : " Celui qui pratique la vérité vient à la lumière (1). — Je ne supporterai plus désormais les excès de votre langage ; " c'est la parole de Dieu qu'il veut seule accepter, c'est-elle qui doit le guider

27. " Et cependant vous vous attaquez à l'orphelin " voilà votre rôle : vous voulez m'injurier sans comprendre. ce que tout ceci signifie. Ils n'auraient pas dû insulter Job qui était en leur présence ; aussi dit-il: " Et cependant. "

28. " Maintenant, que vous me voyez, laissez-moi en repos ; " puisque vous ne pouvez m'instruire.

29 . " Et recherchez désormais la justice. " Il leur avait d'abord semblé que le bon droit les faisait parler

30. " Car l'iniquité n'est point sur mes lèvres, et mon coeur n'a-t-il point médité la sagesse ? " Il n'a point accusé Dieu, dit-il, mais il a fait parler un homme qui s'accusait lui-même, comme

Jean, III, 21.

déjà il nous l'a fait comprendre dans ses autres paroles. C'est ainsi qu'il a médité la sagesse.

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CHAPITRE VII. — Nouvelles preuves de l'innocence de Job. — Grandeur de ses maux.

1. " La vie de l'homme sur la terre n'est-elle pas une épreuve? " Il dit ici plus clairement ce qu'il représentait plus haut dans son langage. La tentation pour lui est comme l'arène du combat, où l'homme doit être vainqueur ou vaincu. " Et son existence comme celle du mercenaire à la journée, " qui attend de ce monde son salaire. Par conséquent ceux qui attendent en l'autre vie la récompense de leurs vertus ne vivent plus sur la terre.

2. " Comme l'esclave qui redoute son maître et qui court à l'ombre. " Ceci rappelle la fuite d'Adam pour éviter la présence du Seigneur et le feuillage dont il se couvrit: il n'eut que l'ombre de ce feuillage, après avoir abandonné le Seigneur. " Ou comme le mercenaire qui attend le salaire de son travail. " Celui-ci diffère du précédent en ce que le premier possède les biens temporels, tandis que lui les désire.

3. " Ainsi ai-je eu des mois d'une attente stérile. " Il les a appelés stériles, parce qu'il y recherchait ou l'ombre, des biens temporels. " Et des nuits de douleurs m'ont été données. " Ce sont celles où l'on perd la lumière de la sagesse, et où on se prépare des châtiments pour l'avenir.

4. " Si je m'endors, je demande quand luira le jour; si je veille, je cherche aussi quand viendra le soir. " C'est bien là le désir du travail qui tourmente l'homme dans le repos, et celui du repos qui le tourmente dans le travail. " Du soir au matin je suis rempli d'amertume. " Voilà ou il est arrivé en se séparant de Dieu. Aussi Dieu s'avançant vers le soir, les chassa (1). Ce qui signifie que les malheureux n'ont d'espoir de soulagement que le matin, selon ce qui est écrit : " Le matin je me présenterai devant vous (2); " c'est-à-dire, quand après le jugement, Dieu, le véritable matin, se révèlera aux justes. C'est pourquoi Notre-Seigneur est enseveli le soir et ressuscite le matin (3). On peut donc comparer cette vie à l'étoile du matin.

5. " Mon corps est formé de la pourriture des vers: " d'un nombre infini de vers. " Et la terre s'est abreuvée de la souillure de mes plaies. " Tels sont les désirs et les soucis des méchants, quand ils racontent avec joie leurs péchés. Ils se

1 Gen. III, 7, 8. — 2 Ps. V, 5. — 3 Jean, XIX, XX.

596

font une occasion de péché, de ce qui excite les autres au repentir, ce sont des chiens qui viennent lécher les plaies de Lazare (1).

6. " Et ma vie s'envole plus vite que la parole. " J'agis encore moins que je ne parle.

7. " Rappelez-vous donc que ma vie est un souffle, " c'est-à-dire qu'elle souffre une faim spirituelle. " Et que je ne puis retourner aux choses visibles. "

8. " Celui qui me voit ne me connaîtra plus. " Parce que je changerai. Par celui " qui me voit " il faut entendre le démon qui nous regarde avec envie. "Vos yeux sont tournés vers moi, et je ne subsiste plus. " Vous avez anéanti en moi la vie charnelle, qui l'a fait régner sur moi.

9. " Comme une nuée chassée du ciel, " ou dissipée dans le ciel; comme on dit, chassée par le fer. Il enseigne ici qu'il a été secouru parle ciel pour purifier son âme, ou qu'il n'y a plus pour lui de nuée, parce qu'elle a été réduite en un air sans mélange, purifiée par les rayons du soleil, et ainsi l'obscurité de la chair et du sang n'est plus dans le ciel. Car la chair et le sang; ne possèderont point le royaume du ciel, après que ce corps mortel aura revêtu l'incorruptibilité, et que la mort aura été anéantie dans sa victoire (2). " Si l'homme descend aux enfers, il n'en remontera point. " Souviens-toi de ceci pour n'y point descendre.

10. " Et il ne reviendra plus dans sa maison; " c'est-à-dire, il ne retrouvera plus son premier repos.

11. " C'est pourquoi je ne retiendrai pas mes paroles: " j'avouerai mes fautes puisqu'il en est temps.

12. " Suis-je comme la nier ou le dragon ? " Car vous ne m'avez pas repoussé comme vous . repoussez les impies ou le démon. " Vous avez chargé de veiller sur moi; " afin que je ne sois point agité comme les rivages de la mer.

13. " Je m'étais dit : Mon lit me consolera: " les jouissances charnelles où il se reposait. " Et " sur ma couche j'apporterai l'adoucissement à mes maux: " Et cependant je dois vous attribuer toute ma consolation.

14. " Vous m'épouvanterez dans mon sommeil, et vous me troublerez par d'horribles visions. " Par les tribulations delà vie présente, véritables songes aussi bien que sa prospérité.

15. " Vous délivrerez mon âme de ce genre de vie; " à cause de ces épouvantables visions

1 Luc, XVI. 21. — 2 I Cor. XV, 60, 63, 64.

dont sera délivrée toute âme craignant de les recevoir " Et j'ai de mes os repoussé la mort. " Ils allaient être saisis par la mort, si dans mon effroi je n'eusse montré plus de courage et de patience; ce qui est leur force.

16. " Je ne vivrai point toujours, pour toujours être patient. " La brièveté de la vie et la crainte de la mort ont servi à me corriger. Aussi le démon ne peut se convertir parce qu'il ne meurt point, et que son jugement est prononcé. De là cette parole : " La crainte est le commencement de la sagesse (1). — Retirez-vous de moi, ma vie " n'est que vanité; " parce que je n'en puis supporter les épreuves.

17. " Ou pour que vous étendiez jusqu'à lui votre esprit. " Parce qu'il est doué de raison et qu'il est dit : " Nous avons l'Esprit du Seigneur (2). " Or, le propre de la raison est de développer l'intelligence.

18. " Et vous le jugerez dans le repos: " cligne de repos.

19. " Jusques à quand me tiendrez vous enchaîné ? " dans les liens de la tribulation. "Ne m'abandonnerez-vous pas, que je puisse respirer ? " afin qu'instruit par la tribulation, je puisse contenir et absorber, dans les douleurs de mon supplice , le flot des voluptés charnelles.

20. " Si j'ai péché, que puis-je faire pour vous? Cela veut dire; si j'ai péché, je ne puis rien faire pour vous. Est-ce que les hommes vous importunent par leurs discours? Vous qui connaissez sa pensée, auriez-vous donc formé l'homme pour que ses discours se tournent contre vous; soient pour vous un fardeau ? Et si le péché de l'homme, soit en parole, soit. en action, ne peut vous atteindre, pourquoi ne l’oubliez-vous pas? pourquoi pari fiez-vous celui qui l'a commis ? N'est-ce pas qu'il faut rapporter à votre bonté ce qui est dit plus haut: "Qu'est-ce que l'homme pour que vous l'exaltiez ? " Parce qu'ils ne comprenaient pas ceci, les amis de Job pensèrent qu'il avait accusé Dieu. Si les épreuves auxquelles vous me soumettez ne doivent point contenir en moi les mouvements désordonnés, si vous ne veillez point ainsi sur moi, quel autre motif avez,vous de châtier l'homme? Son péché ne peut vous nuire. Ou bien si vous voyez qu'il parle contre vous, puisque vous connaissez ses plus secrètes pensées, vous ne deviez pas établir ce qui est contre vous.

21. " Et pourquoi n'avez-vous pas oublié mon

1 Eccli. I, 16. — 21 Cor. II, 16.

597

iniquité? " Si mes épreuves ne doivent point m'être utiles et que tout, le châtiment même, ne me vienne pas de votre miséricorde ? " Maintenant je retournerai dans la terre. " Tout purifié que je serai de mes péchés, il faudra que je meure et que mon corps soit mis en terre. " Je me lèverai et l'on ne me verra plus, " dans cette terre.

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CHAPITRE VIII. — Job doit confesser ses fautes. — Paroles de Baldad de Sueh.

4. " Il a pris en " main leurs iniquités. " Il les a pris en main eux-mêmes ou pour les châtier, ou pour les supputer et les trouver ainsi ses débiteurs, parce qu'ils avaient péché.

6. " Il te rétablira dans la vie de la justice, " dans la vie qui est due à la justice, c'est-à-dire dans la vie bienheureuse.

7. " Et ta première prospérité paraîtra sans éclat, " en comparaison des biens à venir qui sont infinis.

10. " Ceux-ci ne pourront-ils pas t'instruire et te parler sagement ? " L'autorité de plusieurs est toujours plus grande : il va donc dire ce qui lui a été révélé du Christ, comme déjà Eliphaz a répété ce qu'il avait appris par inspiration.

11. " Est-ce que le jonc peut croître sans eau? , " Ainsi se dessècheront les impies loin de la divine miséricorde.

12. " Il s'arrête au moment de croître et personne ne vient le cueillir, " puisqu'il est sans eau. " Avant d'être arrosée l'herbe ne se dessèche-t-elle pas? " si elle n'est arrosée; jamais en effet l'impie n'a pu croître.

14. " Les araignées rempliront sa demeure. " Ce sont les oeuvres inutiles. Il semble parler ici des Juifs et de Notre-Seigneur.

15. " S'il veut étayer sa maison, elle s'écroulera. " L’étayer ou sur les saintes Ecritures, ou sur l'espérance des divines promesses : n'est-il pas ici question du royaume de Dieu ? " S'il commente, il ne pourra persévérer, " à suivre Dieu. C'est ce qui est arrivé aux Juifs, qui ne l'ont point suivi jusqu'à la fin.

16. " Il est humide devant le soleil. " Ils se corrompent sous le flot des passions humaines. Il dit : " devant le soleil, " sous le poids des tribulations. Devant, peut signifier sous; ainsi nous disons; fais cela devant moi, sous mes yeux. " Et en pourrissant il fait croître son germe. " S'ils n'avaient pas été si pervertis, la passion n'aurait pas élevé celui qui était né d'eux selon la chair (1).

1 Rom. IX, 5.

17. " Il s'endort sur des monceaux de pierres. " Ce sont ceux qui l'ont crucifié. " Et il vivra au milieu des cailloux; " au milieu des humbles, parmi lesquels étaient les Apôtres.

18. " Si on le fait disparaître, le lieu qu'il occupait ne le reconnaîtra plus. " S'il ne montre pas qu'il est le Fils de Dieu, on dira qu'il ne l'est point: il faut donc qu'il le déclare lui-même, car où il se trouve, on ne veut pas reconnaître les oeuvres de Dieu.

19. " Et un autre sortira de terre; " ou Notre-Seigneur en ressuscitant, ou une autre race de justes, celle des Chrétiens.

20. "le Seigneur ne mettra pas à l'épreuve " son innocence. " Dominos non probabit innocentem. Faut-il traduire : Le Seigneur ne réprouvera pas l’homme innocent? ou bien, ne trouvera pas innocent l'impie? " Aucun présent, " les sacrifices crue lui offraient les Juifs.

21. " Il mettra la joie aux lèvres des hommes sincères; " de ceux qui s'avouent coupables. " Et tente ne l'impie ne pourra se tenir debout; " ou leur temple, ou leur royaume.

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CHAPITRE IX. — Réponse de Job.

" Je sais qu'il en est ainsi. " C'est-à-dire, qu'il m'a accablé de ces maux; à cause de mes iniquités, mais ce n'est point comme vous l'avez pensé, c'est plutôt parce qu'aucun homme n'est juste devant lui.

3. " De mille accusations on ne pourra répondre à une seule. " En toutes il prouvera qu'ils sont coupables.

5. " Il fait vieillir les montagnes et elles l'ignorent. " Il les affaiblit peu à peu, comme il est dit : " J'ai vieilli au milieu de mes ennemis (1). — " Il les renverse dans sa colère. " Lorsqu'il est irrité contr'eux, il les renverse, pour qu'ils ne trouvent point ce qu'ils avaient cherché, puisque celui qui s'élève sera abaissé (2).

6. " Il ébranle le monde dans ses fondements; " ainsi quand il a appelé les hommes à lui, il a ébranlé ceux qui étaient au premier rang. " Et ses colonnes chancèleront. "

7. " Il commande et le soleil ne se lève point. " Ou la sagesse ne sera point connue, ou ceux qui écrivent rie seront point compris, selon cette parole: " Scelle le livre (3). "

8. " C'est lui seul qui étend les cieux; " l'Eglise siège, de sa puissance, qu'il répand par tout le monde. " C'est lui seul, " dit-il, pour exprimer

1 Ps. VI, 8. — 2 Luc, XIV, 11. — 3 Dan. XII, 4.

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l'unité de la Trinité, car tout a été fait par le Fils, dans le Saint-Esprit. " Il s'avance sur les flots comme sur la terre. " Sur la terre, c'est-à-dire en affermissant son Eglise sur de fermes appuis au milieu des agitations du monde, ou bien en soumettant à sa puissance les pécheurs qui ne peuvent l'engloutir; jamais il ne fléchit devant leurs efforts.

11. " S'il passe devant moi, je ne le verrai point. S'il est plus élevé que moi et qu'il m'étourdisse par la rapidité de sa course, je ne le connaîtrai pas. " Il faut donc qu'il compatisse à ma faiblesse et ne m'abandonne pas.

12. " S'il livre à la mort, qui pourra l'éditer? " Il livre à la mort, quand il passe avec dédain, ou sans être connu; et c'est bien la mort. — Pour l’âme que de ne pas connaître Dieu.

13. " Nul ne peut éviter les coups de sa colère. " Celle d'un autre peut être évitée par un plus puissant. " Il a assujetti tout ce qui est sous le ciel. " Il faut en excepter le ciel, c'est-à-dire la créature douée de raison, parce que si celle-ci s'était soumis à elle-même toutes les autres, jamais elle n'aurait pu être châtiée par les êtres qu'elle aurait soumis à sa puissance: mais comme c'est Dieu qui les lui a subordonnés, elle trouve en eux son châtiment, quand elle offense celui qui les lui a assujettis.

15. " Quand même je. serais juste, il ne m'exaucera pas ; " si, en le priant je; m'appuie sur ma sainteté. Car s'il compare mes mérites avec les saints qui sont près de lui immortels et immuables, il rejettera ma prière comme celle d'un criminel. Il est donc vrai que sa miséricorde m'est nécessaire. " J'implorerai son jugement, " parce que je ne puis me croire juste moi-même, selon cette parole : " Je ne me juge point c'est le Seigneur qui est mon juge (1). "

16. " Si je l’invoque et qu'il ne m'exauce point, je ne croirai pas qu'il ait entendu ma voix. " Lorsque je réclame son jugement, s'il ne m'exauce point, je ne croirai pas qu'il m'ait jamais exaucé, mais qu'il a prêté l'oreille à mes paroles pour des motifs secrets et non à cause de l'excellence de ma prière. Ou bien : je ne crois pas qu'il ne m'exauce point maintenant, puisqu'il m'a quelquefois exaucé. Voici encore une autre explication : S'il m'accorde ce que je demande, je croirai qu'il m'a exaucé, car si je ne le crois pas, bien que j'aie ce que j'ai demandé, je ne

1 I Cor. IV, 3, 4.

suis point exaucé; ainsi la foi de celui qui prie serait le signe qu'il a été exaucé.

17. " De peur que je ne sois brisé dans la tempête: " aussi ai-je réclamé son jugement, de peur qu'il ne me brise dans la tempête. " Il a multiplié sur moi les tribulations, sans motif; " je n'ai pu en connaître le motif. Voilà.. bien le langage d'un homme qui avoue que les châtiments de Dieu ne l'ont point changé, et qu'il peut être englouti par la tempête, c'est-à-dire, frappé d'un châtiment encore plus rigoureux.

18. " Il me laisse à peine respirer; " tant est grand le nombre de mes afflictions.

19. " Parce qu'il est le Tout-Puissant, il l'emporte. " Il m'a vaincu, afin que je fasse sa volonté et non la Arienne. " Quand même je serais juste, l'impiété serait encore sur mes lèvres : " si je me croyais juste.

21. " Néanmoins la vie me sera ôtée. " Quand même j'ignorerais si j'ai agi avec impiété, on m'ôtera la vie ; on me condamnera à souffrir ce que je redoute, et à ne pas faire ce que je désire.

22. " Je n'ai dit qu'une seule chose : la colère brise le fort et le puissant. " C'est-à-dire, sis les hommes sont affligés, c'est afin que nul d'entre eux ne s'appuie sur ses propres foras, pour se croire puissant et redoutable.

23. " Car une longue mort. est le partage du méchant; " et non une mort courte, comme celle du juste, lorsqu'il est dans la peine et tourné en dérision par les impies.

24. " La terre a été livrée aux mains de l'impie. " Les saints dans leur corps et non dans leur âme lui sont livrés, quand il les persécute, ou qu'il peut leur imposer ses volontés. On peut voir encore ici le pécheur tombant aux mains du démon dans sa nature mortelle. " Il prononce son jugement et ne le lui fait point connaître. " Le jugement du juste comme celui de l'impie n'est point connu en cette vie. Ou bien, il lui fait son jugement, il le punit en tenant pour lui cachés les décrets de sa. Providence, selon cette parole : " Dans l'excès de sa colère, il l'abandonnera (1). " Ou bien encore : il venge le juste en cachant à son persécuteur les décrets de sa justice, c'est-à-dire ceux de sa Providence, afin que l'impunité le conduise plus avant dans les pièges de son péché. " Et si ce n'est point lui, quel autre est-ce donc? " Tout ce ceci peut s'entendre de Notre-Seigneur, qui fut tourné en dérision, et

1 Ps. IX, 26.

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dont la terre, c'est-à-dire le corps, fut livré aux mains des Juifs;. et c'est quand son jugement fut rendu, que sa majesté demeura inconnue. " Et si ce n'est point lui, quel autre donc " pour,rait montrer plus de puissance? Ou bien encore Site n'est point Dieu qui juge le juste et l'impie, quel autre pourrait le faire?

25. " Ma vie est plus rapide qu'un coursier. " Il regarde comme des fugitifs, ceux qui s'éloignent de la sainteté, pareils au jeune prodigue qui partit pour un pays lointain (1).

26. " Ou de l'aigle abaissant son vol et cherchant sa proie. " De ce rang élevé, où les créatures douées de raison goûtent le bonheur mérité par leurs actes de vertu, ils se sont abaissés jusqu'aux voluptés charnelles.

27. " Si je veux élever la voix, j'oublie à mesure que je parle. " De même que la parole ne s'adresse qu'aux objets extérieurs, ainsi l'âme se produisant au dehors, et séduite par les appâts de la créature, oublie son Créateur au dedans d'elle-même. " Je baisse la tête, et n'ai plus qu'à gémir. " Ces chutes en effet son suivies de douleurs.

28. " Tous mes membres frémissent. " C'est la crainte qui prépare la conversion.

29. " Si je suis un impie, pourquoi ne suis-je point mort, plutôt que de souffrir? " Je le sais, tu l'entends, toi-même. Il veut dire peut-être encore qu'il souffre, parce qu'il n'est point mort à l'impiété.

30. " Et je serai purifié par des mains pures. " Par celles de Dieu ou les siennes, c'est-à-dire par les bonnes oeuvres après son retour à la grâce.

31. " Vous m'avez couvert de souillures; " jeté au milieu de cette vie mortelle. " Et mon vêtement m'a maudit : " celui de l'immortalité, dont nous voulons être revêtus (2). Mais parce que nous ne le pouvons dans cette vie de péché, il ajoute : " Et mon vêtement m'a maudit. "

32. " Vous n'êtes point un homme semblable à moi, que je puisse contredire. " Devant un homme je pourrais proclamer ma justice, mais à votre tribunal, je ne suis qu'un pécheur.

33. " Qu'un autre soit juge entre vous et moi! " Ce serait un blasphème, si on ne savait qu'il appelle ici le Médiateur de Dieu et des hommes (3), pour présenter ses prières. Placé entre l'un et l'autre, ce médiateur écoute l'homme pour le reprendre, car le Fils a reçu du Père le pouvoir

1 Luc, XV, 13. — 2 II Cor. V, 4. — 3 I Tim. II, 5.

de tout juger (1). " Qu'il m'accuse et se prononce entre nous deux! "

34. " Qu'il détourne de moi sa verge : " que la crainte de la Loi disparaisse, et que je lui sois uni par la liberté de l'adoption et l'amour.

35. " Car ainsi je ne suis point maître de mes pensées; " parce que je suis attaché aux objets extérieurs.

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CHAPITRE X.. — Plaintes et prière de Job.

1. " Je parlerai contre moi. " C'est un humble aveu.

2. " Et je dirai au Seigneur : Ne m'enseignez pas à devenir impie. " Ne m'éprouvez pas au-delà de mes forces, et lie laissez point venir à moi ce qui m'entraînerait à l'impiété:

3. " Vous semble-t-il bon que .j'aie commis l'iniquité? " Vous n'approuvez pas, assurément, que je l'aie commise; vous n'avez donc pas été injuste, en disposant ainsi de moi. " Puisque vous méprisez l'ouvrage de vos mains; " si néanmoins vous méprisez après l'ouvrage de vos mains. " Considérez-vous les desseins des impies? " Il n'est point question de l'impiété qui se montre aux hommes. Ces mots : " Considérez-vous les desseins des impies? " ne signifient pas que Dieu se plait à les voir commettre l'iniquité.

4. " Regardez-vous comme l'homme regarde? " Evidemment vous ne voyez point comme l'homme. C'est pourquoi vous avez considéré les projets des impies; je veux parler de l'impiété connue de vous seul, et que les hommes ne peuvent voir.

5. " Ou votre vie est-elle la vie de l'homme? " , c'est-à-dire de peu de durée, de manière à ne pouvoir juger de ce qui est éternel.

6. " Vous avez sondé mes iniquités. " Car on ne peut vous cacher ce que l'on cache aux hommes.

7. " Vous savez que je ne suis pas un impie." Jamais devant les hommes je n'ai agi avec impiété. " Mais qui peut s'échapper de vos mains? " lorsque vous jugez, car vous jugez en Dieu, vous voyez des impiétés que l'homme ne peut découvrir.

8. " Mais ensuite changeant vos desseins, vous m'avez frappé. " C'est lui et non pas Dieu qui a changé : mais l'homme, en se pervertissant, croit que Dieu change à son tour, pareil aux yeux longtemps habitués aux ténèbres et pour qui le soleil semble ensuite être changé.

9. " Souvenez-vous donc que vous m'avez pétri

Jean, V, 22.

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d'argile. " Ainsi j'ai besoin de votre miséricorde. " Et que vous me ferez retourner en terre, " par la mort qui est la peine du péché.

10. " N'avez-vous pas épaissi ma substance comme le lait? " C'est que Dieu témoigne sa miséricorde aux mortels, dès le moment même où il les forme de la substance informe de leurs parents.

13. " Vous contenez tous ces trésors en vous-même, et vous pouvez tout. " Telle est leur bonté, qu'ils produisent les principes vivants de la chair.

14. " Si je commets le péché, vous me protégez encore, " soit pour ne point me perdre, soit pour ne point me laisser ignorer mon péché.

15. " Et si je suis juste, à peine osè-je respirer, " devant les autres hommes: car vous découvrez des péchés qu'ils ne peuvent connaître. " Je suis couvert de confusion, " en votre présente.

16. " Je suis pris comme le lion que l'on conduit à la mort. " C'est le péché d'orgueil que les hommes ne voient point, et qui peut se glisser même dans les actions dignes de louanges. " Et " vous avez changé de nouveau pour me tourmenter cruellement. " Après.la peine du péché qui a soumis l'homme à la mort. Il parle ici des maux que les hommes ont à souffrir ici-bas : la plupart nous arrivent subitement, et troublent le repos que donnent à la vie présente la santé et la paisible possession des biens temporels, qu'on reçoit de la bonté divine.

17. " Ranimant contre moi mon supplice. " Car c'est déjà une peine que d'être sujet à la mort, et cette peine produit les autres tribulations.

18. " Pourquoi donc m'avez-vous tiré du sein de ma mère? " D'une condition obscure à un rang illustre; ce rang est à lui seul la source d'une misère plus grand, quand. on en est précipité. Il a déjà plus haut rappelé cette naissance.

19. " J'eusse été comme n'étant point, " complètement ignoré. De là cette parole : " Il appelle ce qui n'est pas, comme ce qui est (1), " au point de vue de la réputation.

20. " Est-ce que ma vie n'est point de courte durée? " Si je ne suis point mort, ce n'est pas que ma vie soit longue, car elle est assurément peu de chose. " Laissez-moi donc me reposer quelques instants; " après la bonté que vous

1 Rom. IV, 17.

m'avez témoignée en me formant de l'argile, en me condamnant à mourir quand je me suis corrompu, en me consolant après cette condamnation même et en m'éprouvant' ensuite par les afflictions. Souffrez donc que je me repose en vous.

21. " Avant d'aller dans ces lieux de tourments d'où l'on ne peut revenir. " On peut échapper à ces. autres peines dont il a été question, si l'on revient à Dieu. Il veut donc se reposer avant d'endurer les supplices éternels, c'est-à-dire, pour ne pas les endurer. Comme si l'on disait à quelqu'un corrige-toi avant d'être puni, évidemment, s'il se corrige, il ne sera point puni.

22. " Terre sans lumière, où l'on ne peut voir la vie de l'homme. " Cette vie de l'homme est là seulement où est la vraie lumière qui éclaire tous les hommes (1). Ici donc est la terre des vivants, et là la terre des mourants.

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CHAPITRE XI. — Reproches outrageants. Paroles de Sophar le Minéen.

2. " Suffira-t-il de bien parler, pour paraître juste? " Sophar croit que Job est plus riche en paroles qu'en oeuvres. " Bienheureux l'homme né pour peu de jours. " Il répète ce que l'autre vient de dire, pour lui montrer que ce n'est qu'une maxime vaine et insensée.

3. " Puisque personne ne te contredit. " Quand il parlait, personne ne le contredisait effectivement.

5. " Et comment Dieu lui-même pourrait-il te parler? " Dis plutôt ce qui peut attirer sur toi sa miséricorde.

6. " Il se fera sentir à toi doublement : " par ses châtiments,, par ses consolations. " Et tu le verras, le Seigneur n'a fait retomber sur toi que la juste punition de ton péché. " Après son châtiment, tu recevras ses lumières.

7. " As-tu pénétré dans le sanctuaire de la divinité? " pour oser la condamner.

8. " Le ciel se perd dans les hauteurs ; que pourras tu faire ? " pour en découvrir les secrets. Tu ne dois donc pas condamner Celui dont tu ne peux comprendre les oeuvres.

10. " Qui peut lui dire: Qu'avez-vous fait? " En vérité, tout est bien, si c'est Dieu qui l'a fait il ne peut faire que ce qui est bien.

11. " Il connaît les oeuvres des méchants : " sans rien faire de méchant. Il veut faire comprendre combien Job, qu'il croit mauvais, a été insensé d'accuser Dieu : c'est ainsi qu'il interprète ses paroles.

1 Jean, I, 9.

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12. " L'homme au contraire hésite toujours en ses discours : " Tour-à-tour il aime Dieu et le condamne : quoique Dieu ne change pas. " L'homme, né de la femme, est comme l'onagre au désert : " avide de liberté, ne voulant être ni dominé ni dompté.

13. " Tu lèves vers lui des mains suppliantes, " afin qu'il accepte tes oeuvres.

14. " Si en tes mains il y a quelque souillure. " Il reprend les deux mêmes idées, mais dans un ordre différent. " Que l'iniquité n'habite point en ta maison. " Il veut dire dans son coeur.

15. " Alors ton visage resplendira comme une eau limpide. " Sa conscience sera pure.

16. " Comme le flot qui s'arrête, et tu ne seras plus effrayé; " à moins que Dieu ne frappe tous les vivants.

17. " Et ta prière s'élèvera brillante comme Lucifer. " Elle marchera avant la grande lumière. On dirait que tout ce qui précède lui a été révélé ou inspiré comme aux autres amis de Job, dans un sens prophétique, relatif à la cité sainte ou au peuple de Dieu.

19. " Et beaucoup viendront t'implorer. " Tout ceci,se rapporte à l'Église.

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CHAPITRE XII. — Paroles de Job

4. " Mais l'homme juste et saint est tourné en dérision. " Cet homme juste est Notre-Seigneur, et voici le sens : il n'est donc pas étonnant si moi aussi je suis tourné en dérision.

5. " Sa demeure dévastée parles méchants. " C'est l’Eglise aux mains des persécuteurs. " Mais que nul dans sa méchanceté ne se flatte de rester impuni. " Car le jugement commence par la maison de Dieu (1).

6. " Comme s'ils ne devaient pas subir un sévère examen : " qu'ils ne soient point rassurés.

7. " Interroge les animaux des champs et ils te répondront. " Dans sa justice il recherche les oeuvres des méchants, parce qu'ils ont pu reconnaître le Créateur dans ses oeuvres et le servir. Ce n'était point aux créatures à les instruire, puisque la raison dont ils étaient doués devait les amener à cette connaissance.

10. " A moins que tous les êtres vivants ne soient point sous sa puissance. " On peut donc savoir qu'il a tout créé, puisqu'il tient en ses mains la vie de tout ce qui respire. " Et le souffle qui anime le corps. de l'homme, " tout

1 I Pierre, IV, 17.

corps humain ; ce souffle, l'âme raisonnable.

11. " L'oreille discerne les paroles. " De même que les objets sensibles tombent sous nos sens, ainsi les choses spirituelles sont aperçues de l'esprit. L'esprit doit donc connaître les oeuvres de Dieu, puisqu'il est sous sa main.

12. " La sagesse vient après un long temps : " non après un long temps, mais elle est près de Dieu à qu'il faut la demander.

14. " S'il détruit, qui pourra rebâtir ? " Sa puissance a détruit, sa sagesse a fermé l'entrée, pour qu'on n'arrive point jusqu'à elle.

15. " S'il retient les eaux, la terre sera desséchée. " L'eau, c'est la sagesse, et la terre, c'est l'homme. " S'il leur livre passage, elles bouleverseront. " Quand beaucoup deviennent sages, les pécheurs se troublent.

17. " Il retient captifs les conseillers. " Il subjugue ceux qui ne prennent conseil que d'eux-mêmes. " Il jette l'effroi parmi les juges de la terre. " Ce sont les Juifs ou Pilate, ou ceux qui jugent selon les maximes du monde.

18. " Il place les rois sur leur trône, " ce sont les Apôtres ; " et les ceint du baudrier, " des austérités de la continence.

19. " Il laisse enchaîner ses Pontifes, " pour qu'ils soient menés par les hommes : il désigne ici les Juifs.

20. " Il change les lèvres de ses fidèles serviteurs. " Il les change pour le bien, afin que ceux-ci s'appuient, non sur leur sainteté, mais sur sa grâce. " Il connaît l'expérience des vieillards. " Il s'y complaît. D'où cette parole : " Vous êtes connus de Dieu (1); " et cette autre, tout-à-fait, contraire : " Je ne vous connais point (2). " C'est ainsi qu'il nous conduit sagement de la foi à l'expérience des vieillards.

22. " Il découvre les profondeurs des ténèbres, " en expliquant les prophéties. " Il produit à la lumière les ombres de la mort. " C'est-à-dire, il fait connaître ce que vaut la vie présente : ce n'est que l'ombre de la mort.

23. " Il trompe les nations et les abandonne. " Elles croyaient perdre l'Église ; elles se sont perdues elles-mêmes : ceci s'applique aux impies. " Il renverse les peuples, puis les dirige; " pour les humilier, comme l'âne dont il est parlé.

24. " Il a réconcilié les coeurs des princes de la terre. " Il s'est réconcilié les Juifs ou les rois de la terre, qui d'abord avaient persécuté son Eglise. " Il les a conduits sur une route nouvelle

1 Gal. IV, 9. — 2 Matt. XXV,12.

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qu'ils ne connaissaient point : " en abrogeant la Loi il n'a parlé qu'à leur intelligence; aussi l'ont-ils regardé comme un pécheur.

25. " Ils se sont égarés en ces ténèbres comme un homme ivre. "

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CHAPITRE XIII. — Faux raisonnements des accusateurs de Job.

3. " Et s'il le veut, j'accuserai en sa présence; " c'est pour s'accuser lui-même : c'est encore un aveu.

4. " Tous vous n'êtes que les médecins des méchants. "Vous ne pouvez apporter de consolations aux justes.

6. " Ecoutez donc les reproches de mes lèvres, " contre vous.

7. " Et vous ne dites que mensonge en sa présence; " lorsque, sans être justes, vous voulez le paraître.

8. " Prétendez-vous ne plus vouloir juger? " Pouvez-vous encore dissimuler, et ne pas convenir que j'ai parlé de vous selon la vérité?

9. " Et quand vous avez tout accompli, vous lui êtes encore redevables ; " c'est-à-dire, quand même vous observeriez tous ses commandements, il trouverait encore en vous de quoi vous condamner ; car personne n'est juste devant lui.

10. " Quand même vous admireriez les personnages ; " eux-mêmes, en se justifiant à leur propres yeux comme devant les hommes.

12. " Votre corps est de boue ; " sachez donc craindre en considérant votre néant.

14. " Et mes dents ont déchiré mes chairs. " Je ne veux point m'épargner, m'accusant comme je vous accuse. " Je prendrai mon âme dans ma main, " pour la regarder, pour ne rien cacher et compter le nombre de mes fautes.

15. " Si le Tout-Puissant me fait mourir, comme il a commencé; " s'il fait mourir mes péchés. " Je parlerai et me condamnerai devant lui. " Je ne me justifierai point en cachant mes fautes.

18. " Me voici près de mon jugement: , je dois me juger moi-même. C'est un acte de justice de ne pas s'épargner en avouant ses fautes.

20. " Je ne fuirai point votre présence, " à l'exemple des pécheurs.

21. " Retirez de moi votre main; " que rien en moi ne mérite plus vos châtiments, et que j'aie votre amour. " Et ne m'accablez plus de vos terreurs. "

23. " Quelles sont mes iniquités? " Ce qui fait voir que c'est pour les compter qu'il a dit : " Je prendrai mon âme dans ma main. "

24. " Pourquoi me croyez-vous révolté contre vous? " Je suis si faible 1 Croyez-vous que ma justification me rende votre égal, moi qui suis comme la feuille ? Il y a donc une autre cause cachée de votre colère, car ce n'est point celle-ci.

26. " Vous m'avez accablé des péchés de ma jeunesse. " S'il n'a point connu ses péchés, c'est qu'il a écouté l'orgueil, le péché de sa jeunesse.

27. " Vous avez mis des entraves à mes pieds; " les liens de la mort. " Vous avez suivi la trace de mes pas : " observé mes désirs coupables.

28. " Je suis comme une outre vieillie : " qui ne peut contenir le vin nouveau. " Ou comme le vêtement rongé par les insectes, " rattaché à une étoffe nouvelle.

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CHAPITRE XIV. — Brièveté et misères de la vie humaine ; espoir de la résurrection.

1. " L'homme né de la femme vit peu de jours, et il les passe dans la colère, " dans la douleur.

3. " Et vous l'appelez en votre présence pour le juger. " Malgré sa fragile existence, il a encore à vous rendre compte de sa vie. On exige de lui ce qu'il peut, quoique ce soit bien peu.

5. " Vous avez compté le nombre de ses mois. " Cette existence si limitée est la preuve de son péché, car vous l'avez créé immortel.

6. " Retirez-vous de lui, laissez-le, qu'il se repose. " Ainsi raisonne l'homme charnel; esclave de ses sens, qui place son bonheur dans la vie présente. Il demande qu'on l'épargne afin d'en jouir.

7. " L'arbre n'est pas sans espérance. " Il faut prononcer d'un ton ironique, car c'est l'homme surtout qui doit espérer, mais les hommes charnels ne peuvent le croire.

10. " L'homme meurt et ne revient pas: " nouvelle ironie.

11. " La mer diminue pour un temps et se remplit bientôt. " En parlant du flux et du reflux de la mer, il veut dire ou que sur tous les rivages, quand ce phénomène a lieu, l'eau décroît et augmente insensiblement, à des instants fixés par le mouvement de la lune, ou bien que pour nous, ou pour d'autres régions, l'eau s'élève jusqu'au milieu du jour, puis redescend.

12. " Tant que le ciel subsistera, un autre ne sera point créé, " ne sera point ajouté au premier.

13. " Que ne m'avez-vous conservé dans le tombeau? " Telles sont mes espérances de résurrection, que je voudrais n'être plus en proie aux incertitudes de cette vie. " Pourquoi ne (603) m'avez-vous point caché, jusqu'à ce que votre colère soit apaisée ? " De là cette parole: " Cache-toi jusqu'à ce que la colère de Dieu soit passée (1) ; " c'est-à-dire jusqu'à ce que finisse cette vie mortelle, et qu'arrive la résurrection.

14. " Car si l'homme meurt, il vivra : " cette vie n'est point la vraie vie. " Quand tous ses jours seront finis, " alors il vivra.

15. " Si vous m'appelez, je vous répondrai: " je vous obéirai, sans être arrêté par la mort.

17. " Vous avez scellé dans un sac mes iniquités, " afin de me les rendre. " Vous avez pris note de celles que l'ignorance ma fait commettre: "oui, même de celles-là. Ces égarements involontaires sont la peine du péché.

18. " La montagne s'affaisse, et disparaît. " Ainsi l'homme tombe, si haut placé, si ferme qu'il soit. " Et le rocher s'en va vieillissant, au lieu même qu'il occupe. " Comme l'homme dans sa famille, dans le rang où il est.

19. " Par le débordement de ses nombreux abîmes. " Ainsi l'homme est-il réduit à la misère, lorsqu'il est miné par les débordements continuels de ses désirs. " Vous avez confondu les espérances de l'homme . " Il y a ici gradation de la montagne au rocher, du rocher aux pierres, des pierres au grain de sable ; les hommes charnels subissent en effet toutes ces vicissitudes; et c'est avec raison qu'il est dit : " Vous avez confondu. "

20. " Vous l'avez ébranlé pour toujours, " afin qu'il périsse . pour anéantir ces espérances qui réjouissent l'homme charnel. " Vous avez changé son visage et l'avez éloigné de vous. " L'image de Dieu a été détruite en lui.

21. " Ses fils sont nombreux, mais il l'ignore. " Il meurt pendant que sa postérité augmente. 22. " Sa chair a frémi de douleur. " L'esclave de la chair déplore son sort, il en gémit comme l'animal; l'homme spirituel, au contraire, sait bien que si l'extérieur se détruit, l'intérieur se renouvelle de jour en jour (2) : il l'éprouve en lui-même.

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CHAPITRE XV. — Job accusé de blasphème. — Paroles d'Éliphaz de Théman.

2. " Il a multiplié les douleurs en mes entrailles. " L'esprit de science allège plutôt par ses consolations le poids de la douleur, mais toi qui remplis de douleurs les entrailles, ce n'est point l'esprit de science qui t'inspire.

4. " N'as-tu pas repoussé la crainte? " Tu n'avais pas la crainte de Dieu, en lui adressant ces reproches.

1 Is. XXVI, 20. — 2 II Cor. IV, 16.

5. " Et tu as préféré le langage des méchants; "celui de la malédiction.

7. " Eh quoi ! serais-tu le premier appelé à la vie? " Puisque tu es si superbe. " As-tu été formé avant les collines? " Par les collines, il faut aussi entendre les montagnes : c'est donc dire, avant toutes les Vertus et les Puissances.

10. " Nous avons aussi des vieillards, des hommes chargés d'années. " Il en est parmi nous qui savent ce que nous ne savons pas.

12. " Quelle n'a pas été la fierté de ton coeur, l'audace de ton regard? "Que n'espérait-il pas? 14. " Qu'est-ce que l'homme pour qu'il soit innocent ? " Tu l'as dit toi-même.

15. " Si la fidélité n'est pas dans ses saints même. " L'avenir est si incertain ! il nous trompe, et nous annonçons beaucoup de projets sans les accomplir. " Le ciel n'est point pur devant lui : " il veut parler de ceux qui habitent le ciel, ou des saints eux-mêmes, parce que Dieu habite en eux.

18. " Ce que les sages ont dit, et ce qu'ils ont appris à leurs pères. " Car les Apôtres ont annoncé la vérité aux Juifs eux-mêmes.

19. " A eux seuls la terre a été donnée, " pour qu'ils l'habitent. " Parmi eux n'est venu aucun étranger, " aucun saint, ni même aucun ange; ils y seront dans une profonde sécurité.

21. " Lorsqu'ils se croiront en paix. " On dirait que selon lui Job s'est cru dans cet état.

22. " Il n'espère point sortir des ténèbres : " il n'espère pas sortir du péché.

23. " Il a été donné en pâture aux vautours. " Aux puissances aériennes qui se repaissent de la mort des pécheurs.

24. " Pareil au général qui succombe au premier choc. " Il est plein d'audace, mais il succombe devant la tentation.

25. " C'est par là qu'il a levé le bras contre Dieu. Qua elevavit. " N'est-ce pas plutôt " Quia elavit, parce qu'il a levé? "

26. " Il l'a poursuivi de ses outrages : " faisant le contraire de ce qu'il lui avait prescrit. " Confiant dans l'épaisseur de son bouclier : " Se croyant assez fort pour se défendre.

27. " Il a caché dans sa graisse la face de Dieu. " La graisse est cet orgueil triomphant qui a détourné Dieu de lui. " Il a placé une muselière sur sa cuisse. " Ses passions l'enchaînent et le traînent comme un captif à la mort.

28. " Car d'autres enlèveront ce qu'eux ont amassé. " La souveraine puissance elle-même,

604

comme toute autre espérance temporelle, sera avec le monde entier le partage du juste.

29. " Il ne pourra s'enrichir, ni même conserver ce qu'il possède. " C'est-à-dire, l'impie. " Il ne répandra aucune ombre. " Il ne prospérera pas.

30. " Le vent dessèchera sa racine," Le vent de la tentation.

32. " Il sera coupé avant l'heure, et périra, " avant de pouvoir espérer.

33. " Qu'il tombe comme la fleur de l'olivier . " Qu'il perde la paix; ou bien encore: une situation meilleure s'établira après eux, comme le fruit après la fleur.

34. " Le témoignage de l'impie, c'est la mort. " Le signe de son impiété. " Et le feu consumera la demeure de ceux qui reçoivent des présents. " — Ce sont les impies qui préfèrent à la justice les faveurs temporelles.

35. " Elle concevra en son sein les gémissements. " L'objet de ses espérances sera l'instrument de son supplice.

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CHAPITRE XVI. — Reproches de Job à ses consolateurs importuns; il est innocent. — Paroles de Job.

2. " Déjà j'ai entendu beaucoup de ces discours; " d'autres encore que ceux que vous tenez. "Consolateurs des méchants. " Vous pouvez consoler les méchants, puisqu'ils sont vos imitateurs, mais non les justes. Je n'ai entendu de vous aucune parole sage.

3. " Eh quoi! est-ce que la beauté des discours est l'esprit? " d'orgueil. " Et qui pourra t'importuner?" quoique tu n'aimes point ce que tu as dit.

4. " Moi aussi je parle comme vous. " Je tiens un langage digne de vous. " Si votre âme prenait la place de la mienne; " si vous souffriez les tourments que j'endure, je vous parlerais sans vous faire des reproches; que son des paroles contraires aux actions ?

7. " Si j'élève la voix, je ne me plains pas de ma blessure. " Vous n'avez été prudents ni dans vos discours, ni dans votre silence. En effet si le sage veut parler, c'est pour prendre en pitié le malheureux et le consoler; s'il parle de lui-même, c'est pour pleurer sur ses blessures; et s'il se tait, il se tait à propos.

8. " Il m'a épuisé de fatigue, il a égaré mon esprit et m'a réduit en poussière. " Afin que je n'élève point la voix contre vous, Dieu a brisé mon orgueil; il veut que ma folie devienne sagesse.

9. " Vous m'avez saisi, et j'ai rendu témoignage. " Vous m'avez convaincu de mes péchés, et je suis devenu mon accusateur. " Et mon mensonge s'est élevé contre moi; " lorsque je me croyais juste. " Je m'élèverai contre moi-même. " De là cette parole: " Je t'exposerai à tes propres regards (1). "

10. " Il a pris la colère pour me rejeter. " C'est bien dit : " Il a pris la colère, " car il n'en subit pas les excès. Il a rejeté, comme il rejette l'orgueilleux. " Il a grincé les dents contre moi. " Il m'a accablé de ses reproches; les dents, ce sont ici les paroles. " Les flèches de ses pirates sont venues me frapper. " Ce sont les puissances de l'air : instruments à qui Dieu permet d'éprouver les justes et de châtier les méchants elles sont appelées des pirates, car elles nous harcèlent dans notre course sur la mer de ce monde.

11. " Il m'a percé de son regard. " Loin d'atténuer mes péchés, il a ordonné de me châtier. Il est comme le trait de lumière qui, découvre aux ministres de ses vengeances ceux qu'ils doivent punir; son regard a été ma condamnation. Voici un autre sens : Il m'a fait voir mon péché auparavant je ne l'avais pas aussi vivement ressenti. " Il m'a violemment frappé aux genoux, et tous sont accourus sur moi. " Dès que Dieu l'eut frappé, près de lui accoururent les anges de Satan.

13. " Lorsque j'étais en paix, il m'a brisé. Il m'a ravi à mon repos, ou à moi-même; j'ai été déchiré par mes. ennemis, ceux mêmes qui se déchiraient entr'eux. " Il a saisi et arraché ma chevelure; " à cause de mes péchés, il a mis la division en moi. " Il m'a choisi comme le but de leurs flèches, " pour qu'ils les lançassent sur moi. Comme on place un but auquel doit viser l'archer qui lance ses flèches.

14. " Ils m'ont assailli de leurs lances, m'ont percé les reins et ont été pour moi sans pitié. En punition des désirs charnels dont il se voit tout pénétré, et que lui suggèrent les tentations des mauvais anges. Ils ont répandu mon fiel à terre, " afin que la vue des biens temporels excitât mon envie contre ceux qui les possèdent.

15. " Ils m'ont entraîné à des chutes énormes: " n'entendons point ici les chutes de son corps.

16. " Ils ont cousu un cilice sur ma peau. " Ce sont les péchés intérieurs qui lui rappellent son ancien bonheur.

1 Ps. XLIX, 2

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17. " Et sur ma paupière est venue l'ombre de la mort. " Je veux arriver à la lumière, et je me sens arrêté par les habitudes coupables.

19. " Que la terre ne recouvre pas le sang de mes veines. " C'est-à-dire, si ma prière n'a pas été pure, à cause de mes désirs charnels, que la terre amoncelée ne recouvre pas le lien de ma mortalité; c'est ce qu'il désigne par le mot " sang, " comme s'il disait : qu'un malheur plus grand que ces désirs coupables, celui d'un péché volontaire, ne tombe pas sur moi : ce péché nous porte la nature condamnée à mort. " Et que mes cris soient étouffés. " Que ma prière demeure privée de mérites.

20. " Et maintenant j'ai dans le ciel un témoin. " Il semble parler de Notre-Seigneur, qui n'était pas encore descendu sur la terre. " Et au plus haut des cieux celui qui connaît mon " coeur, " parce qu'il doit partager ma condition mortelle.

22. " Que l'homme entre en jugement avec son Dieu. " Que le Seigneur vienne, et que l'homme lui soit comparé, comme saint Jean avec le Christ. Une telle comparaison fera clairement ressortir toute la différence entre l'homme le plus parfait et le Dieu fait homme. " Comme le fils de l'homme vers son semblable : " comme le Seigneur dans son humanité vers celui qui était tombé entre les mains des voleurs (1).

23. " Les années qui m'avaient été comptée me sont arrivées . " Et le Christ me secourra à la plénitude des temps (2). " Et j'entre dans une voie par laquelle jamais je ne reviendrai. " Celle du renoncement au monde.

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CHAPITREXVII. — Exhortations à ses faux amis; la mort est l'objet de son désir

1. " Defeci agitatus spiritu. " Voici l'ordre de cette phrase : l'esprit en moi s'est éteint : Defeci spiritu; brisé que j'étais parle travail, laboribus concussus. — " Je désire être mis au tombeau, et je ne suis point exaucé; " afin que la mort soit anéantie par la vie. Nous gémissons sous le poids de ce corps, ne voulant pas en être dépouilles, mais recevoir par dessus un nouveau vêtement (3) : c'est-à-dire nous préférons changer plutôt que de mourir; mais l'homme éprouve en vain ce désir, la mort est pour lui une dette à laquelle le péché l'a condamné.

2. " J'unis la prière au travail, et qu'ai-je fait? " J'ai fait quelque chose, puisque j'ai été exaucé.

1 Luc, X, 30. — 2 Gal. IV, 4. — 3 II Cor. V, 4.

" Les étrangers m'ont dépouillé de mes biens. " L'immortalité dont il fut dépouillé est figurée par celui que les voleurs laissèrent à demi-mort.

3. " Quel est-il? " Celui qui doit me secourir; il veut parler de notre Seigneur : et il dit : " Quel est-il? " Car il sera tellement confondu avec les autres hommes, qu'à peine on pourra le reconnaître. " Qu'à ma main il soit attaché, " par le lien de la charité; qu'il me protège et me conduise où il lui plaît.

4. " Vous avez fermé leur coeur à la sagesse; " vous les avez empêchés de le reconnaître. " C'est pourquoi vous ne les glorifierez point. " Ils ne se sont point humiliés, c'est la cause de leur aveuglement, et ils mont pu,être exaltés dans l'humilité du Christ.

5. " Une partie a reçu les maux en partage. " Une partie en .Israël a été frappée d'aveuglement (1); c'est. ou bien parce qui le regardaient comme mauvais ce que le Christ leur avait annoncé, au point de dire : " Il séduit la multitude (2);" ou bien parce que les prophéties, qui prédirent à Israël son aveuglement, ne s'accomplirent point dans tout le peuple, mais seulement en une partie. " Et les yeux de ses enfants se sont obscurcis. " Ceux que les prodiges confondaient, et à qui il fut dit : " Si c'est au nom de Béelzébud que je chasse les démons, au nom de qui vos enfants les chassent-ils (3). "

6. " Vous m'avez rendu fameux parmi les nations : " l'homme que vous avez racheté, c'est-à-dire l'Eglise, dont devaient parler les nations, ou qui devait elle-même leur parler. " Je suis devenu leur fouet; " ou celui des Gentils qui devaient l'insulter; ou celui des Juifs qui en parlaient aux Gentils.

7. " La colère obscurcit mes yeuix. " Les yeux de l'Eglise, c'est-à-dire les Apôtres, sont comme obscurcis lorsqu'ils ne sont point compris de ceux qui ont mérité ce châtiment. " Et je suis vivement pressé de toutes parts. " En effet, et Juifs et Gentils, tous ont fait la guerre à l'Eglise.

8. " Les amis de la vérité ont été stupéfaits; " ou de ce que les impies ont pu attaquer l'Eglise, ou de ce qu'ils n'ont point connu l'Évangile. " Mais que, le juste s'élève au-dessus de son ennemi : " s'il succombe pour un temps sous les coups de la persécution, il dominera ensuite les infidèles.

1 Rom. XI, 25. — 2 Jean, VII, 12. — 3 Matt. XI, 27.

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9. " Et que l'homme dont les mains sont pures s'arme de hardiesse, " de celle que donne l'espérance pour confesser Jésus-Christ, même dans la.persécution.

10. " Car il n'a point en vous trouvé la vérité. " A tous la grâce est nécessaire , non-seulement aux Juifs, mais encore aux autres peuples.

11. " Toutes les fibres de mon âme ont été vivement secouées, " parce que je ne dissimule point mes péchés.

12. " Ils ont pris la nuit pour le jour, " les impies. C’est pourquoi il est dit : " Malheur à ceux qui appellent mal ce qui est bien, et bien ce qui est mal ; qui changent la lumière en ténèbres, et les ténèbres en lumière (1). "

13. " Si je soutiens encore, l'enfer sera ma demeure. " Si je porte le poids de mes péchés, pour ne point les avouer.

14. " J'ai appelé le trépas mon père. " Je ne serai point fils de la vie. Le Seigneur pourtant l'a appelé ainsi. " La pourriture, ma mère et ma soeur. " Entre la mort et la pourriture, il y a l'union d'une étroite parenté.

15. " Quelle est désormais mon espérance? " Il faut sous-entendre : Si je continue à porter le poids de mes péchés. " Pourrai-je jouir de mes biens d'autrefois ? " du bonheur qui l'a séduit, qui l'a retenu dans son péché, et qui a retardé sa conversion.

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CHAPITRE XVIII. — Nouveaux reproches de Baldad : les maux ne sont infligés qu'aux méchants. Paroles de Baldad de Sueh.

"Et le flambeau des impies s'éteindra. " Ne sois donc pas étonné si ton flambeau s'éteint comme celui de l'impie.

6. " Les ténèbres ont éclairé sa maison. " Elle a été éclairée par le diable ou l'antéchrist. " Et son flambeau s'est éteint sur lui ; " c'était le faible éclat d'une lumière terrestre.

7. " Que sa fortune soit donnée aux derniers des hommes, " Que les humbles possèdent ce qu'il a voulu posséder.

8. " Son pied s'est engagé dans le piège. "Il a été lui-même saisi en faisant la guerre au Seigneur.

9. " Celui qui a soif s'est affermi contre lui. " Il est vaincu par ceux qui ont faim et soif de la justice.

10. " Son héritage a été caché sur la terre, " pour le perdre. Son héritage est ce qui lui est comme accordé. " Et il a été saisi dans le chemin, " qu'il suivait,

1 Is. V, 20.

11. " Que les douleurs l'entourent et le perdent;" qu'elles lui arrivent de tous côtés. " Que beaucoup se jettent sur lui, "

12. " Dans les angoisses de la faim. " Soit ceux qui le suivent, soit ceux qui lui obéissent.

13. " Que les traces de ses pieds soient dévorées, " celles de ses enseignements, partout où il va.

14. " Qu'en sa demeure la santé soit à jamais ruinée ; " la tranquillité de la vie. " Et qu'il soutienne le poids d'une accusation royale. " Châtié en temps opportun, il procure la gloire de Dieu ; c'est pourquoi on l'abandonne quelque temps à ses désirs. Il a dit : une accusation royale, de lèse-majesté, parce qu'il s'est vanté d'être le Christ.

15. " Qu'il soit dans sa tente environné de la nuit. " Le tourment de cette accusation agitera sa conscience; son désir de dominer le dévore. " De la nuit, " du supplice de son aveuglement, après sa condamnation. "Que sa beauté soit couverte de souffre. " Il s'y complaisait; qu'elle soit la proie d'une flamme impure.

16. " Qu'il soit d'en haut subitement moissonné : " par Dieu.

17. " Et que son nom soit oublié sur les places publiques où il était connu. " Que le peuple n'en garde aucun souvenir.

19. " Qu'il ne soit plus reconnu parmi son " peuple. " Qu'il descende à un tel degré d'abjection, que les siens ne puissent le reconnaître. " Et que sa maison ne reparaisse plus sur la terre : " car il y en a qui reparaîtront.

20. " Que d'autres vivent parmi son peuple. " Que son peuple subisse une domination étrangère.

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CHAPITRE XIX. — Job veut exciter ses accusateurs à la compassion et les convaincre de son innocence. — Paroles de Job.

2. " Vous m'anéantissez par vos discours: " vous me découragez, vous qui devriez me consoler. " Sachez que c'est Dieu qui m'a ainsi traité. " C'est en sa présence que je dois être convaincu de péché, et non devant les hommes.

6. " Et qu'il a fermé son rempart autour de moi. " C'est le fossé qui entoure les murs. Aussi suis-je contraint de m'avouer coupable.

7. " Je me ris des opprobres et je reste muet. ". Il reconnaît l'utilité de ses aveux; car s'il voulait se rire de son péché et ne pas l'avouer, il prierait sans être exaucé.

8. " Il m'a obscurci le visage. " Il m'a enlevé la splendeur de mon visage : c'est le sort de ceux qui se détournent de lui.

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9. " Il a dépouillé ma tête de sa couronne; " de l'éclat surnaturel que lui donne la sagesse.

10. " Il m'a détruit de part en part, et j'ai disparu. " Je possédais tout, il m'a tout ravi. Sa peine est qu'il aurait pu tout conserver.

11. " Il m'a traité comme son ennemi. " Il m'a cru capable de lui nuire, comme si j'étais son égal. " Et ils ont cerné ma demeure; " mon coeur et ma conscience.

13. " Mes frères se sont éloignés. " C'était pour me corriger, parce qu'ils sont mes frères. Toutefois ils ont dédaigné d'abord de me reprendre, à l'exemple de ceux qui ont suivi des conseils étrangers, de mauvais conseils. " Et mes amis ont été pour. moi sans entrailles. " Dans les afflictions spirituelles ils ne consolent point leurs amis, ils ne savent que les tourner en dérision ; jamais il ne le feraient pour les afflictions charnelles.

14. " Ceux qui répétaient mon nom m'ont oublié. " Ils ne me connaissent plus, tant je suis changé.

15. " Mes voisins, mes servantes elles-mêmes. " Ceux à qui je confiais mes secrets, c'est-à-dire, les flatteurs qui abandonnent celui qui s'humilie devant Dieu; car on dit des flatteurs qu'ils sont serviles

16. " J'ai appelé mon serviteur; il ne m'a point répondu. " C'est son corps, ou ceux qui voulaient lui faire faire le mal. " Ma voix le suppliait.

17. " Et je conjurais mon épouse; " comme s'il disait: " Pourquoi être triste, ô mon âme, et a pourquoi me troubler (1) ? " car il voulait son assentiment. " J'ai adressé de tendres prières à mes propres enfants. " Ceux qu'il avait engendrés en leur inspirant les espérances de ce monde.

19. " Et ceux que j'avais aimés, se sont soulevés contre moi, " dans ma vie passée.

20. " Mes chairs en ma peau se sont corrompues. ". L'attachement aux objets extérieurs a corrompu l'intérieur de mon âme. Ce serait trop peu d'entendre ce passage à la lettre d'une maladie de peau. " Et dans ma bouche ne sont plus que mes os. " Ma fermeté et mon courage sont plus dans mes paroles que dans mes actes.

21. " Ayez pitié de moi, ayez pitié de moi, ô mes n amis. " Il semble invoquer les Anges, afin qu'ils demandent grâce pour lui, ou assurément les saints pour qu'ils unissent leur prière à sa pénitence.

1 Ps. XLI, 12.

" Car la main du Seigneur m'a touché. " Il se dit touché par la,main du Seigneur, qui veut lui faire sentir une blessure qu'il ne ressentait pas d'abord.

22. " Pourquoi me persécutez-vous comme le Seigneur? " Vous me détestez : je suis pour vous comme pour Dieu un objet d'horreur; ou bien, vous m'adressez vos reproches, quoique je me reconnaisse coupable. " Et n'êtes vous point rassasiés de ma chair ? " Vous ne seriez point réjouis, si je vivais selon la chair.

24. " Avec un stylet de fer, et sur le plomb. " De même que le plomb se laisse graver par le stylet de fer, ainsi le coeur de l' homme doit se laisser impressionner par mes discours. " Ou que comme un souvenir ils soient gravés sur la pierre, " afin qu'ils soient connus de ceux qui annoncent la vérité sans jamais faiblir.

25. " Car je le sais, il est éternel, Celui qui doit opérer ma délivrance. " Il peut réparer ma nature.

27. " Ils sont présents à mes pensées, " parce que je les ai mérités. " C'est mon oeil et, non celui d'un autre qui les a vus. " C'est-à-dire " Nul ne sait ce qui se passe en l'homme, sinon l'esprit qui est en lui (1). — Et toutes ces choses se sont accomplies en mon coeur, " dans le secret de mon âme, où personne ne peut voir, dans ma conscience.

28. " Peut-être direz-vous : quelle accusation " élever contre lui ? " C'est dans ce sens qu'il est dit aux spirituels : " Refléchissant sur toi-même, de peur d'être aussi tenté (2). — Nous trouverons en lui le principe de ses discours. " Pour lui en montrée la témérité.

29. " Car la colère viendra sur les méchants. " Il appelle méchants, ceux qui s'élèvent au-dessus des pécheurs, et se croient incapables de devenir eux-mêmes pécheurs.

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CHAPITRE XX. — Sophar sur le point d'être persuadé de l'innocence de Job retombe dans ses invectives. — Paroles de Sophar le Minéen

2. " Vous ne comprenez pas mieux que moi. " Il se tourne vers ces autres qui avec lui cherchaient à consoler Job.

3. " J'écouterai les enseignements qui doivent me confondre. " Il veut indirectement amener Job à écouter ce qui doit le confondre : car il pourrait acquérir ainsi l'esprit de la sagesse. C'est une locution distinguée, analogue à celle-ci : Il est bon que je sois sur mes gardes, afin qu'il ne m'arrive pas de mal ; quand, nous parlons

1 I Cor, II, 11. — 2 Gal. VI, 1.

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ainsi pour que les autres se mettent sur leurs gardes.

4. " As-tu connu ceci dès le commencement? " Le connais-tu dès le commencement des siècles? Il croit que Job l'ignore, comme impie.

9. " L'oeil verra, et ne cherchera plus " à voir. On ne le verra plus.

10. " Que l'impie disperse ses enfants. " Ceux qui l'ont suivi, ou ceux qu'il a séduits. " Et que le feu de la douleur consume ses mains. " Qu'elles souffrent de ses oeuvres.

11. " Le feu de la jeunesse a pénétré ses os. " Il est fier de sa force.

12. " Il ta cachera sous sa langue. " Dans sa ruse, il saura ne point la faire paraître, afin de mieux en jouir secrètement.

13. "Il la ménage et ne cesse de la goûter. " Plein d'attachement pour elle et ne voulant point en être privé, il ne la tourmente point en lui. Ou bien, le Seigneur l'épargnera, et fort de cette impunité, il ne voudra point s'en séparer. " Et il l'a retenue au fond de sa bouche: " parce qu'elle fait son bonheur.

14. " Mais il ne pourra se mettre à l'abri du danger. " Il n'accomplira point sa délivrance. " C'est le fiel de l'aspic dans ses entrailles. " Dans son intérieur, dans le secret de son coeur, il cache ses projets coupables.

15. " Il faut vomir les richesses injustement acquises, " avec l'inquiétude au fond de l'âme, le tourment dans le coeur. " L'ange l'entraînera à hors de sa maison, " lorsque les tribulations feront connaître ce qu'il avait dissimulé.

16. " Il fera éclater en lui la fureur du dragon. " Il a su d'abord se cacher; mais désormais, trahi par la tribulation, il fera éclater aux yeux de tous la fureur du dragon. " Que la langue de la vipère le fasse mourir. " Que le démoule séduise.

17. " Qu'il ne recueille jamais le lait de ses troupeaux. " Le produit des troupeaux, ce sont les actes de justice; qu'il ne les accomplisse point, afin qu'il apprécie mieux le bienfait de la rédemption. " Ni le miel ni le beurre : " les bonnes oeuvres conçues dans la charité et dans la joie du coeur et généreusement accomplies car le beurre est comme la graisse du lait.

18. " C'est donc en vain qu'il s'est fatigué. " En agissant ainsi il n'a point voulu faire des oeuvres de miséricorde; ainsi est-il dit que le Seigneur se nourrit de beurre et de miel (1), et ces

1 Is. VII, 15.

aliments lui sont donnés par ses humbles fidèles. " Ils ont fait quelque chose de dur; " quel que chose quine se peut ni mâcher ni manger. Que représente cela ? L'iniquité, peut-être, ou l'orgueil.

20. " Ses désirs ne l'ont point sauvé; parce qu'ils étaient injustes.

21. " Il n'a rien laissé de sa nourriture. " Ses convoitises n'on fait que passer.

22. " Il croira être rassasié et sera dans les étreintes. " Ses passions assouvies lui ont donné moins de contentement que d'inquiétudes,

23. " Pourra-t-il même contenter son appétit ? " Il tombera dans une telle misère, qu'il ne saura plus s'il pourra contenter son appétit. et cependant on ne recherche ces aliments que pour apaiser la faim. Ce langage signifie donc que plus l’homme possède, plus il désire. " Et il fera descendre sur lui le feu de sa colère : " parce qu'il ne lui a point vu accomplir de bonnes oeuvres.

24. " Qu'il soit blessé d'une flèche d'airain. " qui demeure toujours dans la plaie.

25. " Que le trait le perce de part en part. " Que la tentation pénètre en lui de telle sorte qu'il soit blessé et dans ce qu'il espère, et dans ce qu'il perd et comme percé de devant en arrière. " Que les éclairs soient dans sa tente. " Que l'épouvante vienne subitement troubler ; ses pensées.

26. " Que l'étranger ébranle sa maison. " Le démon qui vient du dehors pour nous tenter; car chacun a aussi ses tentations propres.

27. " Et que le ciel découvre ses iniquités; " le jugement qui vient du ciel.

29. " Et qu'il tienne ses biens de Celui qui veille sur ses actions. " C'est ce que Dieu lui réserve.

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CHAPITREXXI. — La conduite de Dieu étonne Job, mais ne saurait prouver sa cupabilité. — Paroles de Job.

2. " Que je n'aie point de vous cette consolation, " qui vous fait.mettre le bonheur dans les biens temporels, communs pourtant aux impies et aux justes, et dire que si quelqu'un était méchant, il en serait puni. Job dit au contraire que les impies conservent ces biens temporels jusqu'à la mort et que conséquemment ils ne sont point punis dans ce monde.

4, " Eh quoi ! mon châtiment m'est-il infligé par les hommes ? " C'est Dieu qui me châtie, lui aussi peut. me consoler et non pas vous. " Pourquoi ne serais-je pas irrité ? " Ne me donnez (609) donc pas ces consolations, car j'y vois le bonheur des impies.

5. " Jetez les yeux sur moi et soyez étonnés, " âmes vains discours.

6. " Car si je rappelle mes souvenirs, je suis dans le trouble. " Il avoue ici les misères de la vie humaine, en comparant ses dispositions actuelles, avec celles du passé. " Et ma chair est saisie par la douleur . " Je m'afflige d'une manière charnelle.

7. " Pourquoi vivent les impies ? " Il fait cette question parce que les autres affirmaient que les impies étaient punis ici-bas.

11. " Et leurs troupeaux subsistent, autant que le permet la vieillesse. " Autant que le permet la vieillesse, car ils ne seront pas toujours.

16. " Et ils possédaient de grands biens. " Il ne leur a pas enlevé leurs biens, quand ils parlaient ainsi.

17. " Et même le flambeau de l'impie s'éteindra. " Leur célébrité acquise dans le monde, quoique ce ne soit point dans le même sens que ceux-ci l'entendaient.

19. " Que jamais ses fils ne recueillent ses biens. " Ceux qu'il leur a fait aimer, les biens de ce mondé, ceux de l'antéchrist ou du démon.

20. " Que ses yeux se voient mourir. " Il veut dire que cette prospérité n'est point appréciée même de ceux dont elle fait le bonheur, et que dans l'avenir elle fera souffrir les impies.

21. " Après lui nul ne commandera dans sa maison. " Car, au sein de la tribulation, ils n'ont point trouvé le Seigneur dans leur conscience. " Quoique la moitié de ses mois ait été retranchée. " Quoiqu'il ait reconnu la présence de Dieu, il n'a point espéré le bonheur à venir, ce qui eût été pour lui la plénitude des années.

22. " Lui-même juge les homicides. " Parce que les impies excitent à l’impiété par les joies charnelles qu'elle procure, ils tuent pour la vie éternelle. Ce ne sont point les hommes qui jugent de tels homicides ; c'est Dieu seul.

23. " Celui-ci mourra dans la force de sa simplicité. " Il semble ici désigner les homicides secrets, rappelant que l'un est prodigue, l'autre avare ; car les hommes dans l'abondance sont réputés bons et généreux.

24. " Ses entrailles sont chargées de graisse, " il est dans la joie. " Et la moelle y est surabondamment répandue, " dans les entrailles. Il retient et ne cache pas en luises trésors, mais il les rend utiles soit à lui-même soit aux autres.

27. " Aussi je le sais, vous vous êtes audacieusement élevés contre moi. " Vous ne parlez point avec mesure.

28. " Car vous dites : qu'est devenue la maison du prince ? " Celle des impies ou celle de l'orgueilleux. Ils pensaient que les biens étaient enlevés ici-bas, quoique la plupart meurent avec tous leurs biens, et doivent y trouver leur propre châtiment. " Où est le voile étendu sur la tente des impies ? " leur honneur.

29. " Interrogez ceux qui passent sur le chemin. " Ceux qui ne s'y amusent pas, mais le franchissent sans s'y arrêter. " Et vous saurez à quels signes les reconnaître. " Ce sont ou les traits d'impiété signales par ceux qui passent en prédisant aux impies leur destinée, ou les signes auxquels on reconnaît ces impies.

31. " Qui, en sa présence, publiera ses voies ?" Nul autre que Dieu n'ose devant les impies redire l'impiété de leurs voies, car ceux-ci peuvent répondre.

32. " Et cependant le Seigneur lui-même est conduit au tombeau, " tant il est vrai qu'il n'y a point ici-bas de récompense à espérer pour la piété. " Et il s'éveillera sur la masse des cadavres. " Il est en effet ressuscité avant tous ceux qu'il doit faire sortir du tombeau.

32. " Les pierres du torrent lui ont été douces; " celles que, le monde n'a point fait rouler ; ses disciples. " Après lui tout homme le suit et beaucoup marchaient avant lui : " ou bien, dans ce passage, tout homme, a le même sens que, un homme, le premier homme, et " beaucoup " désigne ceux qui depuis ont pris rang parmi les hommes. Ou bien encore, après lui la foule des croyants, avant lui les Patriarches et les Prophètes.

34. " Comment donc me donnez-vous de si vaines consolations ? " en dirigeant mes pensées sur les biens ou les maux présents.

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CHAPITRE XXII. — Injures et calomnies d'Eliphax à ce sujet. — Paroles d'Eliphaz de Théman.

" N'est-ce pas le Seigneur qui donne l'intelligence et la sagesse? " Comme si Job avait dit que ses jugements n'étaient point droits: assurément il ne peut être jugé que par l'intelligence, et sous ce rapport il l'emporte sur l'homme qui tient de lui ce qu'il en a.

4. " Et qu'il entre en jugement avec toi. " Pour que tu lui sois comparé.

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11. " Ta lumière s'est changée en ténèbres ; " ta dignité. "Et pendant ton sommeil les eaux t'ont recouvert. " La tribulation, qui vient inonder celui qui est en paix.

13. " Où peut-il distinguer au milieu des brouillards ? " comme s'il ne pouvait voir à travers les brouillards.

14. " La nuée est sa retraité, nul ne peut l'y découvrir. " Il ne fait rien de ce qui est sur la terre. " Et sa course embrasse l'orbite des cieux ; " et non pas la terre ; stylé figuré.

15. " Veux-tu donc suivre la route des siècles?" Comme si Job croyait que Dieu ne s'occupe pas des choses de ce monde?

16. " Ils ont été emportés avant le temps. " Avant le temps, selon leur manière de voir, car ils croyaient demeurer éternellement. Ou mieux, avant de parvenir à la vraie sagesse. Les amis de Job avaient entendu répéter ceci, mais ils ne le pensaient point.

18. " Loin de lui est la pensée des impies : il a comblé de biens leur maison. " La pensée de l'impie est loin de lui; car il n'agit point selon les espérances du méchant, qui voudrait que Dieu se plût dans son impiété, ou qu'il ne pût la voir.

19. " Ceux qui verront seront plus justes. " Ceux qui comprendront: ceux-ci n'avaient point; compris ; ils croyaient que justice est faite ici aux impies. " Et l'homme sans tache se rira d'eux ; " des impies.

21. " Sois dur, si tu peux supporter patiemment, " les amertumes.

23 . " Et tu éloigneras de ta maison d’iniquité : " ta conduite ou ta vie coupable. Toutefois ils disent ceci avec leurs vues charnelles.

24. " Tu la poseras sur la pierre, au haut de la " muraille. " C'est le contraire de ce qu'il a dit : " Un fleuve coulant au pied de leurs murailles. "

26. " Car il s'est humilié. " La lumière elle-même s'est humiliée. " Et tu diras ; il s'est élevé contre l'orgueil : " contre les orgueilleux.

30. " Délivre l'innocent, et la pureté de tes mains sera ton salut; " ne cesse point d'accomplir les bonnes oeuvres, car Dieu s'occupe de nos actions.

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CHAPITRE XXIII. — Dieu seul connaît le coeur et les sentiments de Job. — Paroles de Job.

2 " Je le sais, sur mes mains tombe le reproché; " sur " mes péchés. Ma main s'est appesantie sous le poids de mes gémissements. " Vous m'avez frappé afin que je me repente.

3 . " Et arriver jusqu'à son trône. " Que je sois assez saint pour prendre place parmi ses trônes. Alors je pourrai dire la vérité et l'entendre. Aussi les cieux sont-ils appelés saints.

5. " Afin que je sache ce qu'il pourrait me répondre : " qu'elles preuves il me donnerait de l'équité de ses jugements. " Et que j'aie l'intelligence de toutes ses paroles : " étant rapproché de lui.

6. " Viendrait-il avec beaucoup de force discuter avec moi? " Pour m'accabler par sa puissance? Nullement. " Néanmoins qu'il n'abuse point contre moi de mes terreurs. " A cause de mes péchés qui m'inspirent ces terreurs, qu'il ne me traite pas ans pitié. " Et lorsque je viendrai à lui ; " en possession de cette liberté qui m'associera à la gloire de son trône, j'aimerai tout, et sa puissance ne me résistera plus, quoique maintenant il puisse me traiter sans pitié à cause de mes péchés. C'est-à-dire, qu'il agisse à mon égard, au gré de sa volonté, dût-il me châtier, c'est juste.

7. " La vérité accompagne le reproche de sa bouche. " Il ne condamne jamais injustement. " Et il juge ma cause tout entière. " Si maintenant il châtie, plus tard il fera tout connaître,

8. " Si je veux marcher le premier, bientôt je ne serai plus. " Que j'espère sans présomption, que le désespoir ne me rende pas infidèle; c'est-à-dire que je ne m'écarte ni à droite, ni à gauche. De là cette parole : " Si je monte vers les cieux, vous y êtes (1). " Qui pourra m'en chasser? etc.

9. " Que fait-il ? à gauche, je ne puis le savoir. " Il reprend ce qu'il a dit plus haut. Il ne peut rien connaître en restant à gauche attaché aux choses de ce monde. " Il se tournera à droite, et je ne " le verrai point. " Je ne dois donc pas me placer à gauche. Il est dit " qu'il se tournera, " parce qu'avec lui sont les biens spirituels dont je me suis écarté en me plaçant à gauche.

10. " Il connaît lui-même la voie que je suis, " afin de me faire marcher après lui, lorsqu'il me conduit par les tribulations. " Il m'a éprouvé comme l'or, " au sein de ces tribulations.

11. " Je sortirai, dans ses commandements. " Je sortirai de mes ténèbres, mais fidèle à ses commandements.

13. " S'il l'a ainsi résolu, " de m'éprouver comme l'or par les tribulations.

14. " Ainsi me suis-je hâté de venir à lui ; "

1 Ps. CXXXVIII, 8.

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parce qu'il ma affligé, j'ai négligé tous mes intérêts temporels, pour accourir vers lui. " Et ses avertissements ont ramené vers lui mes pensées. " Ces châtiments, éprouvés en ma chair, m'ont fait éviter les supplices éternels.

15. " C'est pourquoi je me troublerai en sa présence. " Peu importe que je sois troublé, pourvu que mes pensées me mettent en garde contre le jugement à venir, où tout sera manifesté devant lui.

16. " Le Seigneur amollit mon coeur. " Et cette crainte elle-même, qui lui fait éviter les peines à venir, est à ses yeux un bienfait de la miséricorde divine : les maux qu'il endure ne pourraient lui faire pressentir les peines et les ténèbres de l'autre vie, si le Seigneur n'adoucissait son coeur parles tribulations de la vie présente : dans un autre sens il est dit que Dieu endurcit le coeur de Pharaon (1).

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CHAPITRE XXIV. — Jugements de Dieu cachés aux hommes.

1. " Pourquoi le Seigneur a-t-il connu les heures ? " Pourquoi? ou, c'est pourquoi.

2. " Ils ont franchi la limite : " le Christ.

4. " Ils détournent les pauvres de la bonne voie, " afin que ceux-ci marchent sur leurs traces, ou qu'ils ne croient plus désormais au jugement de Dieu, en voyant impunie la malice de ceux qui les persécutent au mépris de la justice. " Et ils ont fait disparaître les hommes doux de la terre. " Ces derniers ont été confondus avec ceux qui s'étaient écartés de la bonne voie, afin qu'aucun secours ne me soit donné. Car il y a trois sortes d'hommes dans l'Eglise, au jour de la persécution.. Les uns l'autorisent, les autres la fuient, et d'autres en endurent les rigueurs. Job est la figure de ces derniers.

5. " Ils se sont élancés sur moi dans la campagne, comme des ânes en furie. " Les insensés et les insoumis, que leurs vices rendent orgueilleux, se sont précipités sur moi tandis que je confessais votre nom, c'est-à-dire sur l'Eglise. " Ils accomplissaient leur oeuvre. " C'est leur oeuvre de se précipiter sur moi ; c'est-à-dire, ils en ont reçu de Dieu la mission. " Le pain lui a été doux contre les jeunes gens. " là appelle un pain doux pour l'impie et le persécuteur, cette persécution à laquelle il se livre plus volontiers quand il la dirige contre les jeunes gens. Entendons ici par jeunes gens ou ceux qui aiment les voluptés charnelles, parce que la jeunesse s'y

1 Exod. VII, 3.

abandonne plus facilement, ou bien ceux, qui, dans l'Eglise, à peine sortis de l'enfance spirituelle, ne possèdent pas encore cette force virile qui brave le persécuteur.

6. " Ils ont moissonné prématurément le champ qui n'est point à eux. " Ou il désigne ce genre de persécution qui menace de la confiscation des biens; ou par ce champ il faut entendre l'Eglise,que la persécution veut moissonner avant le temps, c'est-à-dire avant que l'ivraie n'ait grandi pour être séparée à l’époque de la moisson (1).

8. " Ils seront mouilles de la pluie des montagnes ; " lorsque, dépouilles de leurs vêtements ils s'abriteront dans les cavernes où l'eau coule à travers le rocher.

9. " Ils ont dépouillé l'orphelin à la mamelle. " Les orphelins et les veuves désignent ordinairement l'Eglise : c'est le peuple persécuté. — " Et ils ont humilié celui qui était tombé " ; soit que Dieu l'ait abandonné, on que tout autre secours lui ait manqué : c'est une extrême dureté de ne pas ménager de telles infortunes.

11. " Ils ont injustement tende leurs pièges à ceux qui étaient dans les angoisses; ", dans le besoin.

12. " Ils étaient chassés de la ville et de leurs maisons. " D'autres étaient chassés par eux. " L'âme des petits a eu beaucoup à gémir.

13. " Dieu en a pas eu pitié, " des impies en les abandonnant aujourd'hui, il les expose à désespérer des jugements divins ; car ils commettaient le mal impunément.

14. " C'est pourquoi il les a livrés aux ténèbres. " Il leur a laissé ignorer le jugement de Dieu. " Et tout à coup comme un voleur : " ce jour les saisira.

15. " Les yeux de l'adultère épient les ténèbres. " Il veut ici montrer dans quelles ténèbres l'impureté jette les impies : ce n'est point en celles que recherchent les adultères et tout les autres pécheurs, celles de la nuit, pour ne pas être vus pendant le jour mais en ces ténèbres que le matin n'a point dissipées.

16. " Il perce les maisons dans les ténèbres. " Il rappelle ici d'autres actions coupables. "Pendant le jour ils se sont voiles, " pour se cacher. " Ils n'ont point connu la lumière. "

17. " Parce que toujours l'ombre de la mort habite en eux. " Quand la nuit se retire, l'ombre de la mort ne les abandonne point.

1 Matt, XIII, 29, 30.

612

18. " Il est léger à la;surface de l'eau : " c'est, opposer ici, aux hommes purement terrestres, les hommes spirituels que pénètre la lumière et une céleste agilité, et sur lesquels la mort, à laquelle ils sont condamnés par la nature viciée de leur corps, détend que des ombres légères. On pourrait dire aussi que ces mots : " Il est léger à la surface de l’eau, " s'entendent de ceux qui confessent la foi en recevant le baptême. " Que leur part soit maudite ; " que ce qu'ils ont recherché soit à jamais stérile.

19. " Ils ont ravi ce qui était déposé dans le sein de l'orphelin. " Par de coupables insinuations ils ont enlevé au coeur du faible la parole qui le soutenait.

20. " Bientôt leur péché a été recherché, " lorsqu'ils le croyaient complètement oublié. " Qu'on brise le méchant comme l'arbre qui dépérit, " et qu'on ne peut rajeunir.

21. " Il a maltraité la femme stérile ; " celle que des enfants ne consoleront point.

22. " Il s'est levé, ne se confiant point en sa propre vie " Cette vie ne le rassure point, car il sait que pour lui elle est mauvaise. C'est pourquoi il a dû se lever.

23. " Qu'il n'espère point guérir dans ses " maladies ; " dans ses afflictions. " Qu'il aille s'affaiblissant chaque jour. " L'impie au sein de l'adversité recherche parmi les consolations, celles qui l'accablent davantage.

24. " Sa grandeur s'est affaissée comme la mauve sous le poids de la chaleur. " Il n'a pu supporter le poids de la tribulation : la mauve indique sa faiblesse. " Ou comme l'épi qui tombe sans secousse de la tige." Le matin, il était au faite de la grandeur : il s'est choisi les consolations qui ont rendu sa chute plus honteuse.

25. " Autrement qui pourra m'accuser de mensonge ? " S'ils sont autrement.

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CHAPITRE XXV. — Baldad taxe d'orgueil Job qui se dit pur aux deux du Seigneur. — Paroles de Baldad le Sueh.

2. " Quel autre commencement que la crainte de son nom? " Cette interpellation paraît se rapporter aux paroles suivantes de Job " Je me troublerai en sa présence, je considérerai, et je serai saisi de crainte (1). "

3. " Que personne ne croie retarder les pirates. " Quand Dieu le permet, ils attaquent sans délai. " Contre ceux qui n'ont pas tendu leurs embûches? " lorsqu'il l'a permis. Par embûches il entend les tentations.

1 Job. XXIII, 15.

4. " Comment l'homme devant le Seigneur pourra-t-il être juste? " Il permet donc sans injustice la tentation contre lui. " Ou comment pourra se purifier celui qui est né d'une femme? " Il sera impur, tant, que Dieu ne l'aura pas purifié.

5. " S'il le commande, la lune est sans lumière. " Si l'ordre établi par sa divine Providence exige que la lune ne luise point, il le lui commandera, et elle sera sans lumière. Et pourquoi? Est-ce pour dire seulement que la lune est sans clarté devant lui, dès qu'il lui défend de briller? Ou ne pourrait-on pas voir ici une figure de l'âme raisonnable, éclairée par ce soleil de l'intelligence qui éclaire tous les hommes (1) ? La lune répand sur la terre une lumière d'autant plus grande, qu'elle s'éloigne davantage du soleil: dès qu'elle s'en rapproche, elle disparaît complètement à nos regards. Comprenons par là ce que Dieu veut pour notre âme : qu'elle s'élève au-dessus de notre nature terrestre et mortelle, où sa beauté ne se révèle qu'aux impressions de la chair, qu'elle recherche la sagesse, qu'elle s'en approche et accepte son joug; alors .remplie d'une joie secrète en face de cette lumière, elle évitera d'accomplir les oeuvres de justice devant les hommes, pour ne point être vue par eux (2). Si elle se glorifie, que ce soit dans le Seigneur (3). Car en se montrant aux hommes, elle ne recherche que le don du Créateur. " Ni les étoiles ne sont pures devant lui; " comparées à lui.

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CHAPITRE XXVI. — Job connaît la grandeur de Dieu; ce n'est ni à lui ni à Baldad à donner des conseils au Tout-Puissant. — Paroles de Job.

2. " Pour qui viens-tu, et à qui veux-tu porter secours? " Les croyant injustes, il s'indignait contr'eux et voulait que Dieu les punît; mais réfléchissant en lui-même, il revient à de meilleures pensées et laisse à Dieu le soin de les juger. Il ne prétend point l'aider ni lui porter secours, comme s'il était trop faible pour arrêter à punir les coupables ; il ne veut point non plus lui tracer sa conduite à son égard, ni le suivre et rechercher pourquoi il laisse vivre les trompeurs; car les secrets de sa puissance sont impénétrables à toutes les recherches de notre intelligence. Il veut encore moins lui apprendre ce que sont ces hommes, car c'estde lui que l'homme tient le souffle, lorsqu'il exprime quelque pensée.

5. " Les géants seront-ils anéantis ? " Ne nous étonnons point si Dieu épargne ceux-ci, puisqu'il

1 Jean, I, 9. — 2 Matt. VI, 1. — 3 I Cor. I, 31.

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n'a pas anéanti les géants. Et pour qu'on ne lui objecte pas qu'ils sont' précipités en enfer, il ajoute que Dieu voit les enfers. Cependant il leur a assigné cette place qu'ils occupent selon leurs mérites; connu e il établit les justes, soit où ils sont aujourd'hui, soit où ils doivent- être un jour. Mais jamais il ne les éloigne de sa présence, car à ses yeux tout est à découvert. Il faut donc ici entendre dans le même sens, et les géants dont il vient de parler, et les orgueilleux consolateurs. " Sous les eaux aussi ceux qui leur ressemblent; " après ces mots, " sous les eaux, " faut-il sous-entendre : sont retenus, ou quelqu'autre expression analogue?

6. " Et la perdition n'est point pour lui voilée. Même ce qui se perd n'échappe point à son regard.

7. " Il lance l'aquilon dans le vide. " L'aquilon peut signifier ici le démon, et la terre le pécheur, car ni pour l’un ni pour l'autre il n'y a aucune solide, espérance. " Il suspend la terre sur le néant ; " dans l'air.

8. " Il retient les eaux dans ses nuées. " Ce sont les obscurités des prophéties. " Et les nuées ne se sont point divisées sous sa main. " La vérité contenue dans la nuée n'a point échappé à ceux qui out l'intelligence des Écritures. Il n'y a en elles aucune contradiction, comme le prétendent ceux qui n'en ont point l'intelligence.

9. " Il tient cachée la face du soleil (1). " Pour que les impies ne connaissent point le soleil de justice. " Et il étend sur lui sa nuée; " la chair qu'a revêtue Notre-Seigneur.

10. " Il a partout répandu sa loi sur la surface des eaux. " Parmi les peuples. " Jusqu'où finit la lumière; " jusqu'à la fin de cette vie, c'est-à-dire, jusqu'à la fin du monde, ou jusqu'à ce que soient consommés, c'est-à-dire perfectionnés ceux à qui il a été dit : " Vous étiez autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur (2). "

11. " Les colonnes du ciel ont tremblé; elles se sont ébranlées au bruit de ses menaces. " Ce qui est arrivé à Pierre par la voix de Paul (3).

12. " Sa puissance a calmé la fureur des flots. " Il a mis fin dans le monde à l’acharnement des persécuteurs contre l'Eglise. Ces mots : " Les colonnes du ciel ont tremblé au bruit de ses menaces, " peuvent signifier : Les plus courageux

1. Le manuscrit à saint Augustin était sans doute fautif,car le Grec porte thronu, solii, du trône, et non pas solis, du soleil. — 2 Eph. V, 8. — 3 Gal. II, 11.

dans l'Église ont tremblé pour les plus faibles, quand Dieu a permis les épreuves de la persécution. Une de ces colonnes s'écriait : " Qui est faible, sans que je sois faible avec lui ? Qui est scandalisé, sans que je brûle (1)? — Sa main habile a blessé la baleine. " C'est la douleur qui blesse au vif le démon, quand les justes lui ont résisté.

13. " Et les secrets du ciel l'art redouté. " Ce sont les anges, ou ceux qui tiennent les clefs du royaume des cieux. " Il a commandé, et soudain est tombé le. dragon apostat. " Il en a dit autant de la baleine, mais ici il montre comment , celui-ci a été blessé ; c'est quand on l'abandonne et qu'on accepte les divins commandements.

14. " Tout ceci n'est qu'une partie de la route, " qui conduit à Dieu. " Et qui connaîtra la puissance de son tonnerre, quand il le fera gronder? " Son tonnerre est la voix qui retentira au jour des manifestations, ou bien encore cette parole qu'il nous a révélée par le fils du tonnerre " Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu" (2) ; de sorte que ordre de la phrase serait celui-ci : " Quand il fera entendre soit tonnerre, " quelqu'un pourra-t-il " en connaître la puissance ? "

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CHAPITRE XXVII. — Grandes leçons de Job.

3. " Et dans mes narines le souffle de Dieu. " Il montre ici que tontes ses paroles lui sont inspirées d'en haut, et que cette lumière divine lui découvre la mauvaise foi de ses consolateurs.

5. " Que Dieu me garde jusqu'à mon dernier soupir de croire à votre justice! " Quand même vous me persécuteriez jusqu'à la mort, à cause de ma liberté à vous condamner. " Et jamais je " ne cesserai de soutenir mon innocence. " Je ne soutiendrai pas la vôtre.

6. " Car je ne sens en moi le reproche d'aucun crime. " Ordinairement on pardonne beaucoup aux autres, quand on craint pour soi-même quelque reproche mérité.

8. " Quelles sont les espérances de l'impie ? C'est qu'il attend. " De peur qu'on ne l'accuse, de faire contre ses ennemis de coupables imprécations, il nous découvre l'intention qui le fait ici parler. Il veut que leur impiété soit confondue, et leur orgueil anéanti, ce qui arrive, quand une âme enchaînée, par son crime est enfin

1 II Cor. V, 29. — 2 Jean, I, 1.

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délivrée des liens de l'impiété : ces liens sont brisés par l'aveu de l’homme repentant et la grâce du Dieu qui pardonne. Donc, demande-t-il, " quelles sont les espérances de l'impie ? " Il répond : " C'est qu'il attend : il met sa confiance en Dieu, afin d'être délivré. "

9. " Et que le Seigneur exauce sa prière. " On peut encore donner un autre sens à ces paroles; mais il.s'accordé moins avec l'ensemble du livre et les principes de la foi. Il consiste à dire que le désespoir est la seule,cause que l'impie vît sans espérance; or le contraire est écrit danse passage : " Si quelqu'un croit en Celui qui justifie le pécheur, sa foi lui est imputée à justice (1). " Par conséquent ce qui suit paraît s'appliquer à la grâce divine " Ou il se trouve pressé par la nécessité. " Nous devons donc attendre la grâce de Celui qui pardonne. Est-ce que dans la nécessité, c'est-à-dire dans la tentation, il a mis sa confiance en des mérites acquis devant Dieu.?

10. " Ou s'il l'invoque, sera-t-il exaucé? " Puisqu'il a mis sa confiance en ses oeuvres qui ne sont rien.

11. " C'est pourquoi je vous dirai ce que Dieu tient réservé en ses mains; " ce qu'il prépare.

12. " Vous le savez tous désormais, vous avez " inutilement tenu de vains discours. " C'est pour cela qu'il faut implorer votre pardon. Comment pourra-t-il présenter les mérites de ses actions, celui qui ne dit que des choses vaines

13. " Et par la volonté du Tout-Puissant, ils sont devenus le partage des forts; " pour être au pouvoir des forts, du démon et de ses anges. Il les appelle les forts, parce qu'en suivant la vanité, les autres se sont affaiblis et laissé dominer par les, chefs et les princes de la vanité :le Seigneur aussi ne parle du fort armé (2), que parce qu'il tient les faibles enchaînés.,

14. " Si ses fils sont nombreux, ils seront mis à mort. " Il appelle ses fils ceux qui l'imitent, et cherchent à séduire, en propageant les faux enseignements de la perdition. " Et s'ils grandissent, ce sera dans la misère, " c'est-à-dire, sils s'affermissent dans l'erreur, ils seront malheureux ; et leur vanité ne pourra les rassasier.

15. " Et tous ceux qui l'entourent auront la mort en partage. Ses plus fidèles imitateurs dans la voie de la séduction. " Nul n'aura pitié de leurs veuves. " Ce sont les populations séduites comme eux, et laissées sans secours comme

1 Rom. IV, 5. — 2 Luc, XI, 21.

me les:femmes qui ont perdu leur mari; car ils avaient cimenté entr'eux, dans ces promesses de l'erreur, une fidélité semblable à celle des époux.

16. " S'il amasse l'argent comme la poussière. " Si les prudents et les sages, encore semblables à la terre et à la boue, à cause de leurs rêveries insensées, suivent ses conseils, plus tard éclairés par leur châtiment, ils se tourneront vers les justes.

18. " Leur maison sera pareille à celle du ver, ou de l'araignée qui a su conserver. " C'est leur coeur ou leur conscience; ou bien il appelle . leur maison les retranchements derrière lesquels ils s'abritent; ils sont habilement élevés et pleins de détours, mais excessivement fragiles, pareils à l'enveloppe où se cache le ver-à-soie, au trou où s'enferme l'araignée, après l'avoir fermé de toutes parts. " Qui a su conserver; "; se conserver elle-même dans cette retraite , car toutes les araignées ne le font point. On fait ici allusion à la corruption si subite et si profonde des pensées coupables, et aux oeuvres inutiles que l'impie se plaît à conserver dans sa demeure.

19. " Le riche dormira sans rien ajouter. " Après sa mort, il ne pourra ajouter les richesses à son impiété. " Il a ouvert les yeux et il n'est plus. " A la résurrection il ne se verra plus au sein des richesses, comme il se l'était promis. " Ce vent l'emportera et il disparaîtra. " Ce mot désigne ou l'agitation des flots de la mer, c'est-à-dire les inquiétudes de ce monde, ou bien ce vent brûlant qui dessèche les herbes dénuées de racines profondes. " Il le jettera loin de sa place; " loin de ses espérances, ou bien Dieu le vannera, pour qu'il n'occupe plus sa place parmi le peuple où Dieu a daigné habiter.

22. " Dieu frappera sur lui à coups redoubles et sans aucune pitié. " Tous les maux tomberont sur lui.

23, " Il applaudira à son supplice, " comme il est écrit : " Et moi je rirai de leur ruine (1); " car il ne déplorera point la perte des impies.

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CHAPITRE XXVIII. — L'homme méconnaît la vraie sagesse, elle réside en Dieu.

1. " Il est un lieu qui produit l'argent. " Ce sont les prudents, ceux de la vie active: " Il en est un autre où l'or s'épure. " Ce sont les sages, plus adonnés à la contemplation.

2. " Car le fer est le produit de la terre." Ces différents métaux doivent être indistinctement

1 Prov.I, 26.

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pris dans un sens favorable. Si le fer est ici désigné, c'est qu'il importe peu qu'il l'ait été plus haut ; quoiqu'il puisse figurer tes forts. La sagesse est la même chez tous les hommes ; elle s'y trouve seulement à des degrés,différents. " L'airain en est extrait comme la pierre, " parce qu'il est purifié de tout mélange avec la terre. Il veut montrer que les bons ne sont mêles aux méchants que pour un temps : ils en sont séparés, ils sont même purifiés par leur contact, comme les métaux nécessaires aux arts aux constructions. Ils ont besoin d'être confondus et formés avec la terre, dont ils doivent ensuite être séparés ; alors la terre, ainsi dégagée, occupe la place et le rang qui lui sont assignés ; les impies sont réprouvés également d'après la perversité de leurs actes.

3. " Il a lui-même découvert la fin de toutes choses : "le terme où il devait conduire chacune d'elles. "Il a découvert, " est mis pour il a établi. " La pierre des ténèbres, et l'ombre de la

mort. " La pierre, c'est-à-dire, l'ancien Testament a été donné aux ténèbres et aux ombres de la mort, au peuple qui recherchait les biens charnels, tout en les espérant du vrai Dieu. Aussi ces superbes ne divisaient point les eaux du torrent, ils .ne pouvaient parvenir à rien de durable en s'élançant au-delà des biens temporels; mais ils étaient entraînés par les flots.

4. " Et le torrent a été séparé par la cendre: " par celui qui avoue ses péchés, et ne se confie as au mérite de ses actions. C'est l'effet produit par la grâce du nouveau Testament. " Le torrent séparé par la cendre, " séparé par les hommes. " Ils ont été ébranles par les hommes, " par les flatteurs, sans que Dieu les reprit, alors que pour ces biens temporels qui leur étaient promis, ils perdaient le premier rang.

5. La terre d'où est venu le pain. " Comme s'il y avait : Je dis que seront ébranles ceux mêmes du milieu desquels est sorti, comme d'une terre féconde, le pain du Seigneur. ". Et il doit la livrer aux flammes; " y livrer l'infidèle au jour du jugement.

6. " Parmi ses pierres se trouve le saphir; " il est là, et il désigne ces âmes pures qui sont nécessaires pour former l'édifice de la sainte cité. " Et l'or pour lui s'est amoncelé. " Il h'est point pour lui en petite quantité, il en a de véritables monceaux.

7. " Son sentier que n'a point connu l'oiseau. " C'est l'humilité de Notre-Seigneur. " Que n'a point aperçu le regard du vautour; " celui du démon.

8. " Le lion n'y passe point; " celui que la force enflé d'orgueil.

9. " Il a étendu sa main sur le roc le plus dur. " La puissance divine peut, des pierres mêmes, susciter des enfants à Abraham (1).

10. " Il a détruit la rive des. fleuves, " pour tout submerger. Les fleuves sont ici les prédicateur de sa parole. Ils voulaient d'abord se contenir dans leurs rives et ne prêcher qu'aux circoncis. "Et mon regard a découvert tout ce qu'il y a de précieux ; " mon regard humain, celui du Verbe fait chair. " Il a découvert la profondeur des fleuves. " Le courage nécessaire pour supporter les souffrances du martyre est caché dans les profondeurs de l'âme, jusqu'à ce que l'épreuve de la. persécution le fasse connaître. " Il fait paraître au grand jour sa puissance; " dans ceux à qui il a été dit : " Vous êtes la lumière du monde (2) : " et dont le ministère a servi à convertir beaucoup de Juifs mêmes.

14. " L'abîme a dit : Elle n'est point en moi. " C'est pourquoi ries hommes plongés dans l'abîme ne pourront la trouver, puisqu'elle n'est point en lui.

15. " Elle ne se donne point en échange de à l'or enfermé avec soin; " pour des trésors.

16. " Elle n'est point inférieure à l'or d'Ophir. " Comme s'il disait : Cherchez-la comme l'or d'Ophir, puisqu'elle ne lui est point inférieure.

17. " L'or et le verre ne sauraient lui être comparés. " Il faut entendre ceci d'un verre d'une beauté parfaite : ou bien l'auteur veut dire qu'il y a des hommes qui préfèrent l'éclat du verre à la beauté de la sagesse. " Et les vases d'or donnés en échange. " C'est-à-dire : Ne sont point " donnés en échange. "

18 " Pour elle on oubliera le Gabis et ce qu'il y a de plus exquis. " Tout cela comparé à la sagesse sera mis de côté. Ou bien encore: le Gabis et ce qu'il y a de plus exquis, image des orgueilleux, sont complètement oubliés, afin de tirer la sagesse de l'obscurité, par l'humilité.

20. " D'où vient donc la sagesse? " L'homme en effet ne peut la trouver qu'avec le secours de la grâce, aussi son coeur doit se tourner vers Dieu.

21. " Elle se dérobe aux regards de tous. " Elle n'est pas pour les indifférents.

22. " La perdition et la mort ont dit : " les

1 Matt.III, 9. — 2 Ib. V, 14.

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hommes livrés à la perdition et à la mort, en vivant dans les délices.

23. " C'est le Seigneur qui lui a tracé sa voie. " L'humilité, qui est cachée aux oiseaux du ciel. " Et il connaît son séjour. " Quel est le siège de la sagesse, sinon le Père? Car il est écrit

" Je suis en lui, et lui en moi (1). " Ils sont l'un pour l'autre comme une demeure réciproque.

24." Il a vu tout ce qui est sous le ciel. " Il connaît tout, comme il a tout créé, d'une manière invisible.

25. " Le mouvement des vents et la mesure des eaux (2). " Il désigne sous un de ses aspects la création tout entière. N'est-il pas écrit que tout a été fait avec nombre, poids et mesure (3 ) ? A ces traits nous reconnaissons le Créateur.

26. " En créant, il a compté comme il a vu. " Pour créer, il n'a point regardé au-dehors, mais en lui- même, comme le véritable architecte. " Et la voie au bruit des tempêtes. " Les tempêtes désignent ici les tentations, et les tentations, ceux qui sont éprouvés par elles; comme on dirait les cris du naufrage, pour les cris des naufragés.

27. " Alors il l'a vue, et l'a manifestée. " Dieu en prédestinant les hommes a vu dans quelle voie ils s'engageraient au moment de la tentation. " Il l'a préparée et recherchée; " en prédestinant et non en agissant.

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CHAPITREXXIX. — Retour sur sa vie passée.

2. " Qui me ramènera aux mois de mes premiers jours ? " Ceci parait s'appliquer à l'Eglise unie à Jésus-Christ son chef; comme si elle se trouvait au temps où abondent les tribulations et les épreuves, en ces jours annoncés par le Seigneur en ces termes : " Les jours viendront où vous désirerez voir un des jours du Seigneur, et vous ne le verrez point (4). " En effet quand le Sauveur était sur la terre, nulle inquiétude ne venait trouer le peuple chrétien naissant : il se composait des premiers croyants, parmi lesquels plus de cinq cents frères, à qui, d'après le témoignage de l'Apôtre, le Seigneur daigna apparaître après sa résurrection (5). On n'avait point alors à redouter de voir l'Eglise mal gouvernée, ni divisée par les trahisons de l'hérésie ou du schisme. Elle n'avait pas non plus à souffrir les persécutions extérieures : il n'y avait encore pour elle aucune épreuve ni au dedans,

1 Jean, X; 38. — 2 Le texte de saint Augustin porte le mouvement des vents et leur mesure: en Grec on lit: a emon stathmon udatos metra, 57 — 3 Sag. XI, 21. — 4 Luc, XVII, 22. — 5 I Cor. XV, 6.

ni au dehors. Job parle donc ici au nom de l'humanité, c'est-à-dire du peuple du nouveau Testament, désirant revoir ces jours, comme le lui avait prédit le Sauveur. Il les appelle des mois et non pas des années, parce que depuis le moment où le Christ choisit ses disciples, jusqu'à sa mort, on ne peut guère compter que des mois, et non pas des années.

3. " Lorsque sa lumière brillait au-dessus de ma tête. " C'est le Seigneur visible en sa chair, ou sa parole rendue sensible par cette présence corporelle.

4. " Pendant que 1a parole de Dieu gardait ma maison, " pour en conserver pure la conduite.

5. " Et que mes serviteurs autour de moi. " Ceux qui, humbles et soumis, savaient pourvoir à tous mes besoins,

6. "Pendant que le beurre coulait le long de mes voies. " Mes moeurs faisaient éclater ma foi et mes bonnes oeuvres. " Et que pour moi le lait coulait en abondance des montagnes. " Que les prophètes étaient parfaitement compris des petits.

7. " Lorsque le matin je parcourais la ville. " Ou bien lorsque la lumière chassait les ténèbres de la crainte, ou bien veut-il dire qu'au berceau de son Eglise il n'était ni assez caché, ni assez connu? " Et sur la placé publique un siège m'était préparé. " La multitude me donnait l'autorité pour instruire.

8. " A ma vue les jeunes hommes se cachaient : " ceux qui suivaient leurs mauvais désirs. " Mais les vieillards se levaient, " les prudents.

9. " Et les puissants cessaient de parler : " ceux qui se prévalaient d'une vaine science.

11. " L'oreille qui m'a entendu m'a proclamé bienheureux. " Un peuple que je n'ai point connu, m'a servi, il a prêté une oreille attentive à ma voix (1). " Et l'oeil qui me voyait s'est détourné. " Celui des Juifs qui n’ont point voulu croire.

13. " Et la langue de la veuve a proclamé mes louanges. " L'âme qui a renoncé à l'alliance du démon. Voilà qu'on sortait un mort, fils unique d'une mère qui était veuve (2).

14. " Je me suis vêtu de la justice, comme d'un manteau. " Lorsque tu préfères aux actions

1 Ps. XVII, 45. — 2 Luc, VII, 12 .

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charnelles les oeuvres spirituelles, que ta main gauche ignore ce que fait ta droite (1), qu'elle ignore l'intention qui t'a dirigé. La main gauche demeure fermée sous le manteau, la droite reste ouverte; ainsi agissons-nous, lorsque nous savons à. qui il faut rapporter nos actions.

16. " J'ai médité avant de juger ce que j'ignorais. " Voilà que nous avons tout quitté pour vous suivre; qu'y aura-t-il pour nous (2) ? Il se croit heureux d'avoir pu interroger quelqu'un sur le jugement à venir.

17.. " J'ai brisé la mâchoire des méchants, " afin qu'ils cessent de dévorer le peuple qui était devenu leur pâture.

18. " Je parviendrai à la vieillesse, et comme le palmier je vivrai de longues années. " Ma vie sera prolongée, je serai toujours en honneur comme le palmier, justement admiré pour ma droiture et mon élévation.

19. " Et la rosée reposera sur mes moissons. " On appelle moisson ce qui croit dans un. champ depuis qu'il est ensemencé.

20. " Et ma gloire me sera conservée toujours nouvelle; " celle du nouveau Testament. " Et mon arc en mes mains continuera son oeuvre. " J'accomplirai ce que je commande.

22. " Ils n'ont rien ajouté à mes discours. " Il désigne ici la perfection de l'Evangile. La Loi donnée à la Synagogue dut être complétée. " Mais ils se réjouissaient de m'entendre. " La Loi ancienne inspirait la crainte; la Loi nouvelle, l'amour.

24. "Si je souriais devant eux, ils ne le croyaient point. " Il disait en paraboles des choses qui n'étaient point comprises, et dans lesquelles pourtant on entrevoyait plus de grandeur qu'il n'en paraissait. C'est le rire de Sara (3) ; il indiquait que tout ce qui se passait avait un sens prophétique. Ainsi en est-il, quand on parle en figures.

25. " J'ai choisi leurs voies, et je me suis assis à la première place. " Ou en me faisant homme, ou en mangeant avec les publicains et les pécheurs; mais toujours j'étais au premier rang pour leur salut. " Et j'étais comme un roi entouré de ses vaillants défenseurs; " de ceux qui ont tout quitté pour me suivre. " Et je consolais ceux qui étaient tristes. " Il parle de ceux à qui l'espérance donnait de la joie, au milieu des tristesses de la vie présente, comme il est écrit : " Bienheureux ceux qui pleurent (4), "

1 Matt. VI, (3). — 2 Ib. XIX, 27. — 3 Gen. XVIII, 10. — 4 Matt. V, 5.

et ailleurs : " Nous paraissons tristes, mais toujours nous sommes dans la joie (1). " Ils ne peuvent encore atteindre cette haute perfection dont il est dit : " Celui qui pratiquera et enseignera, sera appelé grand dans le royaume des cieux (2). "

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CHAPITRE XXX. — Changement de fortune; la vue de ses malheurs attendrira le Seigneur.

1. " Et maintenant les plus faibles me tournent en dérision ; les plus jeunes me reprennent de mes fautes. " C'est que dans la suite l'Eglise eut de tels enfants; ils font peu de progrès. " Ils me reprennent, " est-il dit; car revêtus des honneurs de l'Église, ils ont reçu le pouvoir de prêcher au peuple ce qu'ils ne font point eux-mêmes. " Ceux dont je méprisais les pères. " Il leur donne pour pères ceux dont ils sont les fils par imitation, et à qui il a été dit : " Malheur à vous, Scribes et Pharisiens hypocrites (3)."

2. " Et la force de leur bras n'était rien pour moi, " la puissance de leurs pères, qui alors ont pu crucifier le Seigneur . " En eux la vie s'en allait tout entière. " Car jusqu'à la fin ils refusèrent de se convertir.

8. " Sans cesse en proie à la faim et à la misère, " tourmentés par une foule d'insatiables désirs. " Hier encore ils fuyaient dans le désert, " cherchant sans cesse à éluder la Loi qu'ils ne voulaient point entendre avec droiture. " Fuyant hier dans le désert, " parce qu'ils l'avaient reçue dans le désert. Si aujourd'hui s'applique au nouveau Testament, hier s'applique à l'Ancien. C'est du Nouveau qu'il est dit: " Aujourd'hui, si vous entendez sa voix, n'endurcissez pas vos coeurs (4); " et ailleurs : " Vous êtes mon fils, je vous ai engendre aujourd'hui (5). "

4. " Ils rongeaient l'écorce des arbres. " Ils avaient pour nourriture les figures de la Loi qui en voilaient les réalités. " La racine des plantes était leur nourriture; " les mystères qu'ils devaient célébrer d'une manière charnelle, quine paraissaient pas s'élever de terre :toutefois une intelligence droite pouvait en tirer des fruits de salut, et s'élever de terre, vers la vraie liberté, mais eux n'ont pu y parvenir. " Sans honneur, sans considération, et privés de tout bien. " L'honneur du premier rang était perdu pour eux, avec les espérances de la promesse. Ils ont par leur propre faute perdu les bénédictions temporelles, et le royaume des cieux n'est point à eux. " Pressés

1 II Cor. VI, 10. — 2 Matt. V, 19. — 3 Ib. XXIII, 13. — 4 Ps. XCIV, 8. — 5. Ib. 11, 7

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ses par la famine, ils dévoraient la racine des arbres. " Ce qui est dit de la racine des plantes pour le froment, il faut l'appliquer à la racine des arbres pour le vin et l'huile. Car ces produits s'entendent des biens spirituels de l'Eglise. Leurs racines plantées en terre étaient les rits sacrés que les Juifs devaient extérieurement célébrer, tels que le sabbat, la circoncision, les sacrifices et tous les autres actes destinés à alimenter la piété.

5. " Les voleurs se sont levés contre moi. " Ceux qui par la fraude et le mensonge obtiennent injustement les honneurs réservés aux justes:

6. " Leurs habitations étaient les antres des rochers. " Ils voulaient justifier leurs coupables désirs par les passages obscurs des Livres saints.

7. " Ils criaient parmi les arbres. " Leurs péchés paraissaient au grand jour, malgré leurs efforts pour les cacher sous les obscurités des Ecritures, comme sous le feuillage des forêts. Aussi est-il écrit : " Les cris des habitants de Sodome sont montés jusqu'à moi (1). " En plusieurs endroits, l'Ecriture parle des clameurs du péché, pour en signifier la publicité. En ce sens la parole est la pensée coupable conçue au fond du coeur, le cri est l'action extérieure. " Ils s'abritaient sous les tiges dans la terre : " ceux qui accomplissent la Loi d'une manière charnelle, s'abritent non pas seulement sous les tiges, mais sous les, tiges les plus basses. Ces tiges onces troncs d'arbres ne sont point les fruits eux-mêmes, mais c'est sur eux ,que poussent les branches à fruits, soit des plantes, soit des arbres, si toutefois il s'agit d'arbres fruitiers, puisque les arbres qui ne portent pas de fruits ont aussi des tiges.

8. " Enfants d'hommes insensés, et vulgaires. " Des Juifs, que plus haut il leur a donnés pour pères, parce qu'ils les ont imités : car eux aussi se glorifient du nom d'un Dieu qu'ils ne servent point. Il appelle les Juifs insensés et vulgaires eux au contraire se vantent non-seulement d'être les guides des aveugles, mais encore d'être les fils d'Abraham, et tirent vanité de cette noble origine. Dans ces paroles : " Ils sont aveugles, et guides d'aveugles (2), " ils voient leur sottise démasquée ; et ces autres : " Si vous êtes fils d'Abraham, faites les oeuvres d'Abraham (3), " les montrent dégénérés et avilis. " Leur nom et

1 Gen. XVIII, 20. — 2 Matt. XV, 14. — 3 Jean, VIII, 39.

leur honneur ont disparu de la terre. " Ils existaient, mais ils ont disparu.

9. " Et maintenant je suis l'objet de leurs chants, " de ce derniers, dont les autres sont les pères; ma voix retentissait à leurs oreilles, elle ne touchait point leurs coeurs. " Ils me tournent en dérision; " s'ils partent de moi, s'ils entendent mes enseignements, leurs discours, leur attention sont inutiles et complètement perdus.

10. " Ils m'ont en horreur, et fuient loin de moi. " Ils se sont éloignés de la sainteté, en commettant l'iniquité et en repoussant de leurs coeurs corrompus les préceptes de la sagesse. " Ils ont osé me cracher au visage. " Ils maudissent réellement le visage du Christ, ceux qui repoussent avec méprisses commandements; ou bien leur vie dépravée a empêché que je fusse bien connu.

11. " Il a ouvert son carquois pour me percer; " les secrets de la nature, sources de tentations. " Et ils ont mis un frein à ma bouche, " afin que malgré moi je les approuve, que je les porte où il leur plaît de me conduire, vers l'objet de leurs honteuses passions.

12. " Ils ont grandi en s'élevant à ma droite. " Pour contenter leurs désirs ils sont venus, la bonté sur les lèvres, la douceur dans les paroles, sans recourir a la violence. " Ils ont retenu mes pieds par des entraves : " par les dignités ecclésiastiques qui les empêchaient de fuir.

13. " Mes sentiers sont rompus ; " on veut qu'ils ne soient plus connus des,justes qui savent y marcher sans rechercher leurs intérêts, mais ceux de Jésus-Christ (1). " Il m'a dépouillé de ma robe ; " de mon ancienne autorité, devant laquelle tout doit plier. C'est ce qui arrive, quand les péchés sont devenus trop nombreux, et sont passés en habitude. " Il m'a blessé de ses traits," de ses préceptes qui me découvrent l'iniquité, sans que je puisse l'arrêter.

14. " Il m'a traité au gré de ses caprices. " Dieu fait servir, comme il l'a voulu, mon malheur et ma misère au triomphe de la justice. " Je suis enveloppé de douleurs : " je souffre en moi et dans autrui; au-dehors les combats, les terreurs au-dedans (2) ; qui languit, sans que je languisse moi-même (3) ?

15. " Mes douleurs sont sans relâche, et mon espérance a été emportée comme le souffle. " Uniquement occupés des espérances du temps,

1 Philip. II, 20. — 2 II Cor. VI, 5. — 3 Ib. XI, 29.

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ils tiennent pour rien ce que je promets. " Et mon bonheur a passé comme un nuage. " L'attachement au bonheur présent les a détournés des promesses de celui de l'éternité.

16. " Mon âme se répandra au-dessus de moi, " par la prière.

17. " La nuit mes os ont été brisés. " Il enseigne que sa force d'autrefois lui a été ravie. " Et mes nerfs se sont affaiblis : " ses actions passées.

18. " Il a saisi avec force ma robe : " pour manifester sa puissance, il m'affligeait, puis me soutenait. " Il m'a entouré comme les bords de mon vêtement. " Il m'a laissé un peu de mon autorité.

19. " Mon partage est dans la poussière et la cendre. " Dans la pénitence, parce que c'est la fin de ma vie.

20. " Ils se sont arrêtés, pour mieux me considérer. " Devant mon humiliation les orgueilleux se sont arrêtés, cherchant à me condamner.

22. " Et vous m'avez enlevé tout espoir de salut. " Il plaint ceux qui n'espèrent plus être régénérés.

23. " La terre est la demeure de ce qui est mortel. " Il craint la mort, parce que sa conversation ne serait pas dans le ciel (1) ; comme celle des méchants, qui dans l'Eglise mènent une vie toute charnelle.

24. " Que ne puis-je donc me faire mourir! " Que je meure à ce monde ! " Ou conjurer un autre de me donner la mort ! " un ange meilleur que moi, ou Dieu pour me rendre meilleur.

26. " J'espérais les biens. " Il s'afflige parce que ces maux lui sont arrivés subitement.

27. " Un feu dévore mes entrailles, et ne peut s'éteindre : " l'intérieur de son âme, ou sa mémoire qui lui rappelle et son passé et l'affliction qui le fait gémir.

28. " Je me suis arrêté en criant au milieu de l'assemblée. " Car on ne l'entendait pas dans la foule de ceux qui ne voulaient point devenir meilleurs.

30. " Ma peau a été toute noircie, " à cause de mes maux extérieurs.

31. " Ma harpe n'a chanté que le deuil ; " la harpe désigne les bonnes oeuvres qui me faisaient louer Dieu avec joie.

1 Philipp. III, 20.

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CHAPITRE XXXI. — Job a observé toute la Loi.

1. " J'ai fait un pacte avec mes yeux. " Ai-je jamais espéré en ce monde visible ? " Pour ne point arrêter mes pensées sur une vierge. " Comme s'il disait : que cela ne m'arrive jamais. Ici il commence à retracer le triomphe de l'Eglise, en ceux qui persévèrent jusqu'à la fin, malgré les plus grandes tentations, pendant que l'iniquité abonde, et que la charité d'un grand nombre se refroidit (1). " Et je n'arrêterai pas mes pensées sur une vierge, " conduit par une sagesse et une sainteté incorruptibles.

2. " Quelle autre part pourrai-je attendre du " Très-Haut? " Il faut sous-entendre : je n'y penserai point; ou bien, quelle part, si ce n'est celle-ci ?

5. " Si donc j'ai fréquenté d'impies railleurs. " Il est bien difficile aux justes dans l'Eglise de ne point vivre avec eux. " Si j'ai hâté mes pas vers la fraude. " C'est l'hypocrisie.

8. " Que je sème, et que d'autres recueillent les fruits. " Ainsi qu'il est arrivé aux Juifs. Ils ont enseigné ce que d'autres ont mieux accompli. " Que je sois sans postérité : " que je sois rapidement desséché. Celui-là est ici-bas fermement établi sur la pierre, qui rend sa vie conforme à ses discours.

9. " Si les attraits d'une femme ont séduit mon coeur. " S'il a voulu chercher parmi le peuple de Dieu, à qui seul est due toute gloire. " Ou si j'ai veillé à sa porte; " si j'ai. habilement exploité les désirs de son peuple ou ses craintes, pour le porter à m'obéir plutôt qu'à Dieu.

10. " Que ma femme aussi soit séduite par un autre: " que mon honneur appartienne au démon, à qui nous sommes agréables en offensant Dieu, car il se réjouit de notre malheur. " Et que mes enfants soient méprisés de tous; " mes actions ou mes imitateurs.

11. " Il y a dans mon coeur une passion indomptable, qui me pousse à corrompre la femme d'un autre, " et de la garder près de moi.

13. " Si j'ai refusé de rendre justice à mon serviteur ou à ma servante, lorsqu'ils étaient jugés en ma présence, " selon cette parole " Si vous avez des procès pour les intérêts de ce " monde (2). " Il appelle ses serviteurs, ceux du peuple encore attachés aux biens temporels.

14. " S'il vient me visiter, que lui répondrai-je? " Dans la tribulation que me dira ma conscience, puisque j'ai méprisé ces avertissements?

15. " Est-ce qu'ils n'ont pas été conçus comme

1 Matt. XXIV, 12, 13. — 2 I Cor. VI, 4.

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moi dans le sein d'une mère? " enfantés par les sacrements : tous ont reçu les mêmes enseignements, c'est la même foi pour tous. " Tous, n'avons-nous pas été formés de la même manière ? " L'un ne renonce pas au péché autrement que l'autre, quand c'est pour servir Dieu sans partage.

18. " Et dès le sein de ma mère j'ai été leur guide. " Dès son berceau l'Eglise a opéré ces merveilles.

19. " Si j'ai laissé sans le vêtir, l'homme nu près d'expirer. " Si je n'ai point inspiré la confiance en la rémission des péchés, et que je n'en- aie point couvert comme d'un vêtement la honteuse nudité du pécheur près de périr. Car la multitude de ses péchés le conduit au désespoir. De là cette parole : " Et dont les péchés ont été couverts (1). "

20. " Si les épaules. du malade ne me bénissent point. " L'espérance de l'immortalité les a couverts comme un manteau; mais de peur que la confiance produite par le pardon des péchés ne leur fasse oublier les peines passées, et, ne les porte à désirer les biens temporels, il ajoute: " La toison de mes brebis les a réchauffés. " Les espérances du monde n'attiédiront plus leur âme, si ces réflexions les conduisent à mépriser les biens temporels, à l'exemple des brebis dépouillées de leur toison (2).

21. " Si j'ai levé le bras contre l'orphelin, " qui ne rencontrant plus son père, pouvait suivre un homme ou une créature quelconque. " Fier de la puissance dont j'étais environné ; " voulant m'élever au-dessus de tous.

22. " Que mon épaule tombe séparée de mon corps. " Ainsi arrive-t-il à ceux qui se.séparent de l'Eglise. Pendant qu'ils veulent s'imposer au peuple, ils sont eux-mêmes retranchés. L'épaule ou le bras désigne ici les actions.

23. " La crainte m'a retenu, " pour ne point lever le bras contre l'orphelin. " Et je ne pourrais en soutenir le poids, " si je voulais opprimer l'orphelin. .

24. " Si j'ai placé dans l'or ma puissance ai-je présumé de la science ou de la sagesse de Dieu? " Si j'ai mis ma confiance en.mes pierreries, " c'est-à-dire en mes œuvres.

25. " Si j'étais au comble de la joie, en voyant s'accroître mes revenus; " comme si tout venait de moi, car celui qui se glorifie doit se glorifier dans le Seigneur (3). " Si j'ai fait reposer le

1 Ps. XXX, 1. — 2 Cant. IV, 2. — 3 II Cor. X, 17.

bonheur de mon âme en mes innombrables richesses; " parce que j'étais aimé de tous. Après ces quatre membres de phrases, il faut sous-entendre: " que mon épaule tombe séparée de mon corps. "

27. " De secrètes déceptions ont affligé mon coeur. " Voici l'ordre de la phrase : " Si j'ai fait reposer le bonheur de mon âme en mes innombrables richesses, de secrètes déceptions ont aussi affligé mon coeur. " Si j'ai écouté les pensées d'une aussi coupable présomption. " Si j'ai porté la main à la bouche, pour la baiser : " si j'ai mis toute ma complaisance en mes propres.actions.

29. " Si j'ai triomphé de la ruine de mon ennemi. "Ainsi les ennemis de l'Eglise se réjouissent de ses malheurs.

30. " Que mon oreille entende les malédictions prononcées contre moi . " Que ces malédictions me pénètrent de douleur. " Que je sois un objet de mépris parmi mon peuple:" parmi le peuple saint qu'il en soit séparé avec dérision.

31. " Si mes servantes ont souvent répété: " les flatteurs. " Qui nous rassasiera de ses chairs? tant j'étais bon! " lis enviaient cette prospérité temporelle qu'ils voyaient en moi. On ne doit pas toutefois me rendre responsable de leur langage; car ce n'était point pour le leur inspirer que je me montrais bon.

32. " L'étranger ne restait point mouillé à ma porte: " je recevais celui qui était étranger dans le monde.

33. " Si après avoir. péché volontairement, j'ai caché mon péché. " Nos péchés sont volontaires depuis que nous avons connu la vérité (1).

34. " Ou si j'ai laissé sortir le pauvre les mains vides de ma maison: " s'il est sorti de ma maison, parce que rien n'a été déposé dans ses mains.

35. " Qui me donnera quelqu'un :pour m'entendre? " Qui pourra me faire écouter ? " Si je n'ai pas redouté la main du Seigneur : " celle qui a écrit : " Si vous ne pardonnez pas, votre Père ne vous pardonnera pas (2). — Si j'ai ma sentence écrite : " Voici l'ordre : " Si j'ai ma sentence écrite;

36. " Et si je ne l'arrache point au-dessus de mes épaules, elle sera ma couronne, et je la lirai en l'élevant au-dessus de mes épailles : " j'en serai couronné et je la lirai publiquement, c'est-à-dire contre moi-même. " Je t'exposerai à tes propres yeux (3). " Je serai confondu par le

1 Héb. X, 25. — 2 Matt. VII, 15. — 3 Ps. XLIX, 21.

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peuple qui m'entoure, parée que je n'ai point accompli le précepte du Seigneur, comme je l'avais annoncé : j'ai d'abord refusé d'entendre la sentence qui m'a depuis été mise sous les yeux.

38. " Si jamais la terre a gémi sous mes pas : " les serviteurs de l'Église, parce que je suis mauvais. " Si avec elle pleurent les sillons, " où est répandue la semence, et où naissent les moissons, parce que je suis mauvais et que j'ai répandu de mauvaises semences; voilà pourquoi il est dit : " avec elle. "

39." Si j'ai seul épuisé les ressources, sans rien donner, " sans avoir cette bonté avec laquelle celui qui est instruit donne de ses biens à celui qui l'instruit (1). " Seul, " c'est-à-dire, ne laissant rien à celui qui donne. " Si j'ai par cette dureté contrasté le Maître de la terre : " en ne me rendant pas digne des souffrances de Celui qui pour moi a donné sa vie. Ne contrastez pas en vous l'Esprit-Saint (2).

40. " Qu'elle produise pour moi des orties au lieu de froment. " Au lieu de ces docteurs inspirés de Dieu, que j'aie pour maîtres d'indignes flatteurs, dont les disputes pernicieuses révèlent la corruption de leurs coeurs, et leur éloignement pour la vérité (3). " Et des épines pour de l'orge. " A la place des hommes charnels qui m'étaient soumis, que j'aie à combattre des pécheurs opiniâtres. " Job était juste à ses yeux; " dans sa conscience.

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CHAPITRE XXXII. — Indignation d'Eliu deBuz, en entendant la justification de Job. — Paroles d'Eliu de Buz.

13. "C'est Dieu qui l'a rejeté, et non pas l'homme; " je veux indiquer ainsi la cause véritable de leur silence.

14. " Et je ne lui répondrai point en répétant vos discours. " Ce que je vais dire l'empêchera de me répondre comme à vous.

16. " J'ai attendu, et ils n'ont point parlé ;" il paraît se tourner vers Job en disant ceci.

19. " Ma poitrine est comme l'outre remplie de vin. " L'Écriture représente Eliu comme devant prophétiser. " Ou comme le soufflet brisé du forgeron. " Pour vaincre son obstination, je parle avec violence, aussi paraît-il irrité. Je n'auras point dû prendre la parole, si vous aviez su lui répondre.

22. " Autrement je serai rongé par les vers; " comme vous, ou comme tous ceux qui considèrent les personnes.

1 Gal. VI, 6. — 2 Eph, IV, 30. — 3 I Tim. VI, 5.

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CHAPITRE XXXIII. — Autres reproches d'Eliu; il excité Job à l'humilité et à l'aveu de ses fautes.

3. " Mes discours ont laissé mon coeur pur: " sans fausseté.

4. " L'Esprit divin qui m'a créé : " sous-entends, est celui, comme s'il y avait " : L'Esprit divin est celui qui m'a créé. "

12. " Comment oses-tu dire: Je suis juste, et vous ne m'avez pas exaucé ? " C'est Job qui aurait parlé ainsi à son ennemi:

14. " Dieu parle une seule fois. " Dieu, semble-t-il dire, n'a appelé qu'une seule fois tous les justes, et dans le temps, sa divine Providence renouvelle pour chacun d'eux cette vocation.

15. " Pendant le sommeil, dans les visions de la nuit. " Par ignorance, ou au temps de la tribulation. " Lorsqu'un terrible effroi s'empare de l'homme endormi sur sa couche, " se croyant en sûreté.

17. " Et que son corps échappe à la corruption, " comme ses os, dans un sens figuré.

18. " Il a préservé son âme de la mort, " quand il l'a converti, il lui pardonne. " La guerre approche ",

19. " Et dans sa faiblesse, sur son lit, il lui adresse encore ses reproches; " il l'éprouve encore après sa conversion, pour qu'il ne se confie point en lui-même. " Et tous ses os se sont desséchés, " la confiance qu'il avait en lui-même.

20. " Il ne pourra prendre aucune nourriture. " Aucune consolation dans les biens temporels.

24. " Tout son corps sera renouvelé comme le crépi d'une muraille: " dans un sens métaphorique ; ceci s'entend d'un changement de vie, le peuple est comparé à un édifice.

25. " Il amollira ses chairs comme celles d'un enfant, " afin que l'orgueil n'endurcisse pas son coeur, comme Eliu croit voir celui de Job, qui est éprouvé dans son humilité pour se perfectionner.

26. " Il s'est annoncé, le visage rayonnant de joie, " prêt à soutenir la tentation.

28. " Sauvez mon âme, afin qu'elle ne tombe point dans la corruption : " dans la tentation qui la ferait mourir.

29. " A trois reprises contre l'homme, " la conversion, l'épreuve et la mort.

30. " Mais il a préservé mon âme de la mort. " Il ne lui reste plus que le passage de la mort. " Afin qu'au sein de la lumière mon âme publie ses louanges; " alors il n'y aura plus de supplications, parce qu'il,n'y aura plus de misères,

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CHAPITRE XXXIV. — Eliu indigné continue d'insulter Job ; il prie Dieu de ne le point épargner.

1. " Eliu répondit encore: " comme il est dit ailleurs: Il continua.

2. " Vous qui possédez la sagesse, prêtez l’oreille à mes paroles: " l'oreille qui entend les vérités surnaturelles.

3., " Car l'oreille discerne les discours, " l'oreille charnelle.

4. " Qu'y a-t-il de bon ?

5. " Car-Job a dit : Je suis juste. " Qu'a-t-il dit de bon en disant cela?

6. " Le mensonge est dans la sentence qu'il a portée contre moi. " C'est pourquoi il disait " J'espérais les biens (1). " Mais cette espérance n'était pas fondée; aussi y avait-il mensonge.

7. " Qui est semblable à Job? " Voici toujours ses paroles.

9. " Il a dit : Celui qui marche en présence de Dieu ne sera point visité. " Il le croit trompé, parce qu'il suppose qu'il accomplissait toutes ses oeuvres dans cette espérance; ou qu'il pensait que Dieu n'éprouve point pour le récompenser, celui qui marche en sa présence.

10. " Loin de Dieu l'impiété, " qui refuserait la récompense à celui qui marche en sa présence; et s'il le visitait par la tentation, il n'y aurait encore ni impiété ni injustice.

18. " Il est impie, celui qui dit au roi : Tu agis injustement. " Tu ne dois pas, toi, parler ainsi, parce que tu n'es pas un impie. Remarquez, " celui qui dit, " et non pas celui qui a dit; il ne suffirait pas, pour être impie, d'avoir dit en passant; on est vraiment responsable quand on agit. habituellement. " Et aux princes : Vous agissez de la manière la plus impie. " Comme s'il disait aux Anges : Excepté Michel votre chef, vous agissez tous de la manière la plus impie. Et si l'on accuse de tant. d'impiété les princes, à plus forte raison le roi en sera-t-il accusé:

20. " Ils ont agi avec méchanceté, lorsque leur faiblesse les a fait chasser. " Leur exclusion les a étrangement aveugles, quand, à cause de leur faiblesse, ils ont été privés de cette vision qui découvre avec quelle sagesse Dieu conduit tout, et dispose de tout. Ils se sont égarés en leurs pensées, au point de croire que Dieu oubliait ses créatures. Aussi le vide s'est fait dans leur âme, quand au milieu de leurs épreuves ils ont imploré le secours des hommes au lieu de prier Dieu.

22. " Aussi aucun lieu, pas même l'ombre de

1 Job, XXX, 26

la mort, ne pourra cacher ces coupables: " l'ombre de la mort n'est point faite pour les cacher. C'est comme il est dit : " Les vieillards n'ont point la sagesse (1); " parce que la vieillesse n'apporte point nécessairement la sagesse. Et ailleurs: " Ne salue point l'hérétique (2) : " ce n'est point pour cela qu'il est hérétique.

25. " Ils soulèvera la nuit, et ils seront humiliés . " Qu'au-dessus d'eux soit ce qui était au-dessous ; c'est-à-dire qu'ils soient accables parce qui était à leurs pieds.

26. " Il a anéanti les impies qui se croyaient brillants de gloire.

27. "Ils n'ont point connu la justice de ses décrets. " Voici le bien que Dieu a su tirer de leur méchanceté.

28. " Afin que les plaintes du pauvre montent jusqu'à lui.

29. " C'est lui qui donnera le repos ; qui pourra le troubler ? " Ce repos n'est point comme celui que les hommes recherchent, et que trouble l'affliction. " Si Dieu justifie, qui peut condamner (3). — Et en même temps contre l'homme contre les Juifs et les Gentils.

30. " Il laisse dominer l'hypocrite à cause de " la perversité du peuple : " C'est à lui qu'il est dit : " Tu instruis les autres, et tu ne t'instruis pas toi-même (4). "

32. " Je ne verrai point ce qui se passe en moi, tu me le feras connaître. " En t'accusant, peut-être ne verrai je point ce qui doit être condamné en moi? C'est une interrogation. " Si j'ai commis l'iniquité, je me tairai, " devant tes accusations.

33. " T'en demandera-t-il compte, puisque tu l'as repoussé ? " parce que tu l'as accusé.

31. " Le sage entendra ma voix: " il saura que Dieu prend soin de tout.

35. " Job n'a point parlé avec sagesse, " lorsqu'il a dit que Dieu l'avait injustement éprouvé.

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CHAPITRE XXXV. — Leçons d'Eliu à Job blasphémateur et impie.

2. " Pourquoi as-tu voulu l'établir ainsi en tes jugements ? " Pourquoi as-tu ainsi jugé ? " Qui es-tu pour dire : Je suis juste devant Dieu? " En présence de Dieu, tu as dit : Je suis juste. De deux manières l'homme se rend ici coupable: d'abord, s'il le dit avec orgueil, ou sans avoir même cette justice vulgaire en honneur parmi les hommes; puis, jamais il n'est permis à l'homme de se proclamer juste devant Dieu, puisqu'en sa présence tous les hommes sont pécheurs.

1 Job XXXII, 9. — 2 Tit, III, 10. — 3 Rom. VIII, 33, 34. — 4 Ib. II, 2l,

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3. " Tu dis encore: A quoi te sert-il, ou que ferai-je, si j'ai péché? " Il croit que Job a tenu ce langage, soit pour marquer que son péché pouvait être utile à Dieu, comme moyen de le porter par la douleur à l'impiété dont il dit : " Ne m'enseignez pas à devenir impie : vous plairiez-vous peut-être à me voir pécher (1) ? " soit pour faire entendre que le péché nuit à Dieu, et que conséquemment Dieu le poursuit et l'accable comme son ennemi, pour éviter ses atteintes; car auparavant il avait dit aussi: " Si j'ai péché, que puis-je faire contre vous (2) ? Quelle que soit sa pensée, Eliu y répond par ce qui suit :

4. " Je vais donc te répondre, ainsi qu'à mes " trois amis.

5. " Lève les yeux vers le ciel, et regarde. Vois " combien les nuées sont élevées au-dessus de toi. "

6. " Si tu as péché, qu'as-tu obtenu ? " C'est répéter ce que Job a déjà dit : " Si j'ai péché, que puis-je faire contre vous ? Et si tu as commis beaucoup d'iniquités, que peux-tu faire ? " Si tuas commis beaucoup d'iniquités : il y a ici gradation. Auparavant il avait dit: "Si tu as péché." Que pourras-tu faire contre Dieu, puisque tu ne peux même toucher les nuées?

7. " Si tu es juste, que lui donneras-tu ? " Si donc ta justice ne peut lui être utile, sache-le bien, ton péché ne saurait l'atteindre non plus. " Ou que pourra-t-il recevoir de ta main ? " Quand même tu voudrais le lui offrir. Ainsi les insensés pensent que Dieu recherche nos sacrifices, comme s'ils lui étaient nécessaires.

8. " Que ton impiété soit pour l'homme semblable à toi, et que ta justice soit pour le fils de l'homme . " C'est alors que l'une est nuisible, et l'autre utile. Loin de réfuter, il confirme de nouveau par ces paroles cette pensée de Job : " Si j'ai péché, que puis-je faire contre vous ?" Il doit donc montrer pourquoi en cette vie les hommes sont en butte aux injustices des méchants, parmi lesquels il faut compter le diable avec ses anges, le véritable auteur de toutes les injustices et de toutes les iniquités. Puisque les pécheurs ne peuvent nuire à Dieu, pourquoi leur fait-il subir l'épreuve de tant de misères ? La réponse est dans ce qui suit

9. " Leurs lamentations s'élèvent du milieu de leurs ennemis, leurs cris déchirants, sous les coups de leurs nombreux persécuteurs.

1 Job. X, 23. — 2 Ib. VII, 20.

10. " Et nul ne dit : Où est le Dieu qui m'a créé ? " Voilà donc pourquoi ils souffrent, afin de chercher Dieu sans pousser de plaintes inutiles. Ces mots : " Celui qui m'a créé, " sont une preuve qu'il n'abandonne pas sa créature, quand celle-ci le recherche. " Qui ordonne les "veilles de la nuit. " Les différentes époques de cette vie sont soumises à des puissances qu'il a désignées. Celui qui a fait l'homme ne peut le laisser sans guide dans la nuit de l'erreur.

11. " Il m'a distingué des animaux sans raison, et m'a: donné plus de sagesse qu'aux oiseaux du ciel. " Ainsi devons-nous chercher le Seigneur dans les afflictions de cette vie, non pour lui demander les biens temporels, car avant de les recevoir, nous sommes déjà supérieurs aux animaux.

12. " Là ils crieront et vous ne les entendrez point. " , dit-il, dans la multitude de ceux qui crient au sein de l'affliction, sous les coups de leurs nombreux ennemis. Ou bien ce mot : là, ibi, veut dire : à cause de cela, comme en ce passage " Là sont tombés ceux qui commettent l'iniquité (1). " S'il ajoute : " Et vous ne les entendrez point, " c'est toujours de Dieu qu'il veut parler. " A cause de insultes des méchants : " il faut sous-entendre : ils crieront.

13. " Dieu ne petit point voir les vanités insensées. " Il ne peut secourir ceux qui les lui demandent, et qui ne crient point dans la tribulation pour obtenir lesbiens éternels. C'est pour jouir de ces biens qu'ils sont distingués des animaux sans raison, et qu'ils ont reçu plus de sagesse que les oiseaux du ciel. Ils gémissent au contraire, parce qu'ils ne trouvent point le bonheur dans l'iniquité de ce monde.

14. " Le Tout-Puissant distingue ceux qui accomplissent la justice ; il me sauvera. " S'il voit le fond des coeurs et tonnait toutes nos actions, il saura aussi nous sauver et nous mettre en possession de ce. que seul il peut voir ; car l'oeil de l'homme n'a point vu, son oreille n'a point entendu et son coeur n'a point compris ce que Dieu prépare à ceux qui l'aiment (2). Aussi quand toutes les espérances de salut semblent renversées en lui, le Père, qui voit tout dans le secret, sait le secourir dans la tribulation (3). " C'est donc lui qui juge, si tu peux le louer selon ses perfections. " Job a paru le dire dans ce passage : " Puisse-t-il être notre arbitre (4) ! "

15. " Maintenant il n'exerce point toutes ses

1 Ps. XXXV, 13. — 2 II Cor. II, 9. — 3 Matt. VI, 4. — 4 Job. IX, 33.

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vengeances, et ne recherche point les crimes avec sévérité. " Il les connaît néanmoins pour les punir; de là ces mots : " Parce que je connais mon iniquité. " Et plus loin : " Détournez vos yeux de mes crimes (1). " Il a donc connu nos péchés; telle est la cause de nos tribulations en ce monde : mais elles n'y sont point sans limites. Après que nous avons été punis, il y a encore place pour le repentir.

16. " C'est donc en vain que Job a élevé la voix, et son ignorance lui a fait multiplier les paroles. "

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CHAPITRE XXXVI. — Exhortations d'Eliu de Buz, pour amener Job à des sentiments de pénitence.

2. " Ecoute-moi un instant, que je t'instruise; j'ai encore à te parler.

3. " Et je reprendrai mon discours de loin. " Tant que nous vivons en ce corps, nous sommes séparés du Seigneur (2).

4. " Je parlerai selon la sainteté de mes oeuvres; " afin qu'on ne lui dise pas, comme Dieu dira au pécheur. " Pourquoi annonces-tu mes justices, et pourquoi ta bouche répète-t-elle ma loi? Tu hais la vraie science (3). " Il faut donc ici parler d'après ses oeuvres. La science apprise de loin n'est connue qu'en partie, le reste est en énigme ; mais lorsque ce qui est parfait sera venu, ce qui n'est qu'en partie disparaîtra (4); et Dieu ne parlera pas toujours de loin, car nous le verrons un jour tel qu'il est (5). " C'est la vérité, et tu n'entendras pas injustement de sa part des paroles injustes. " Tous les maux qu'endure Job, Eliu les appelle des paroles de Dieu pleines de vérité et de justice; mais il lui semble que Job les croit injustes, puisqu'il se plaint de souffrir sans l'avoir mérité, comme s'il n'était pas dit des épreuves des justes : " Voici le temps où Dieu va commencer son jugement par sa propre maison (6). "

5. " Sache que Dieu ne repousse pas l'innocent ; " quoiqu'il châtie celui qu'il aime, et qu'il fouette l'enfant qu'il reçoit dans sa miséricorde (7).

6. " Il a le coeur fort ; et il ne fait point vivre l'impie : " quoiqu'il paraisse l'épargner pour un temps. Il dit avec raison: " Il a le coeur fort; " car il ne fera point vivre l'impie, quand celui-ci cherchera en pleurant, mais sans la trouver, une pénitence tardive, et qu'il ne pourra plus implorer la miséricorde d'un juge irrité, dont il méprisait naguère les tendres avertissements. " Il donnera le jugement aux pauvres; " eux-mêmes

1 Ps. L,5, 11. — 2 II Cor. V, 6. — 3 Ps. XLIX, 16. 17. — 4 I Cor XIII, 12 . — 5 Jean, III, 2. — 6 Pierre, IV 17. — 7 Hébr. XII, 6.

jugeront les auteurs des injustices qu'ils ont endurées. Remarquez ce mot : les pauvres; c'est ainsi que plus haut il fallait, par impie, entendre le riche, c'est-à-dire l'orgueilleux.

7. " Il ne privera point le juste de ses yeux. " Même lorsqu'il lui fait subir, comme dans une fournaise; l'épreuve de la tribulation (1), il ne prive point son esprit de cette lumière qui lui fait connaître Dieu pour l'adorer. Il montre suffisamment que l'aveuglement est le châtiment de l'impie, même lorsque Dieu semble l'épargner. " Et avec les rois sur leur trône : " il faut ici sous-entendre : " Il les fait asseoir, " c'est-à-dire les justes; il appelle rois ceux qui savent commander à la chair; d'où cette parole : " Quel est le roi qui veut combattre un autre roi (2) ? etc. Il les fera asseoir pour toujours, et ils seront exaltés. " Ici il faut ajouter ce qui précède " avec les rois sur leur trône. " Ils seront exaltés, est-il dit, parce qu'ils ont été humiliés.

8. " Ils ont les pieds enchaînés, " par ces liens dont saint Paul souhaite d'être délivré pour être avec Jésus-Christ (3), c'est-à-dire ces entraves de la vie présente, où le corps en se corrompant devient un fardeau pour l'âme(4). " Ils seront entourés des liens de la pauvreté; " saisis et retenus par l'habitude invétérée des jouissances sensuelles, excitées par la pauvreté même des biens qui soutiennent et conduisent l'homme en cette vie.

9. " Il leur fait connaître leurs oeuvres , " non pas les bonnes actions. Ce sont ou ces impressions de la concupiscence dont il est dit: " Je sais qu'il n'y a rien de bon en ma chair (5), " et dont nous ne sommes jamais exempts, quand même nous ne serions pas victimes de leurs coupables exigences : ou bien les tristesses produites en l'homme par le péché d'origine. " Et leurs iniquités, lorsqu'ils seront fortifiés. " Ce sont les oeuvres dont nous venons de parler. On ne peut aisément les faire connaître, c'est-à-dire les découvrir aux faibles; mais à ceux qui ont déjà fait assez de, progrès dans la vertu pour n'être plus esclaves des débauches et des crimes trop publics.

10. " Mais il exaucera le juste, " celui qui vit de la foi (6); afin qu'il attribue à la grâce, et non à ses propres mérites, non-seulement le degré de justice qu'il pratique actuellement, mais encore tout. ce qui lui reste à pratiquer pour être entièrement

1 Eccli. XXVII, 6. — 2 Luc, XIV, 31. — 3 Philip. I, 23. — 4 Sag. IX, 16. — 5 Rom VII, 18. — 6 Habac. II, 4.

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délivré de tout mal issu du péché; de ce, mal qu'enseigne la vérité aux fidèles affermis dans la foi, lorsqu'ils sont enveloppés dans les filets de la misère; car ils sont retenus dans ces entraves, avant d'être exaltés et de s'asseoir pour toujours sur leurs trônes avec les rois. " Il a dit : Ils se détourneront de l'iniquité. " Il a dit, il faut sous-entendre, Dieu.

11. " S'ils écoutent et observent ma loi, ils passeront leurs jours dans la joie et leurs années dans la gloire. " En l'homme il n'y aura plus alors de péché, parce qu'il n'y aura plus à lutter contre la mort. On ne sera plus condamné à mourir à cause du péché, car il est écrit : " Où est, ô mort, ton ardeur à combattre (1) ? "

12. " Il ne sauvera point-les impies, car ils n'ont point voulu reconnaître le Seigneur. " Ceci paraît surtout s'appliquer aux Gentils. " Ils sont restés sourds à ses avertissements. " Ces autres paroles s'entendent des Juifs et de tous ceux qui par leur révolte les ont imités, même au sein de l'Eglise.

13. " Les coeurs hypocrites déposeront leur méchanceté, " qui a crucifié Notre-Seigneur. " Ils ne crieront point, car il les a enchaînés, " par la gloire de son nom, qui s'élève au-dessus de toutes les nations.

14. " Que leur âme meure dès la jeunesse : " avec cet orgueil avec lequel ils s'attribuaient le mérite de leurs bonnes actions. " Et que leur vie soit frappée de mort par les anges. " On ne peut mieux appliquer ces paroles qu'aux prédicateurs de la vérité, qui sont pour les uns une odeur de vie pour la vie, et pour les autres une odeur de mort pour la mort (2).

15. " Ils ont tourmenté le faible et l'infirme. " Ce qui est faiblesse en Dieu, est plus fort que les hommes (3). " Mais il rendra justice aux pacifiques. ", Le Seigneur, pour manifester sa douceur, diffère de venger ses imitateurs, mais il les vengera sûrement.

16. " Et parce que l'abîme vous a trompé par la bouche de.votre ennemi. " La malice profonde de ce monde a trompé Jésus-Christ par la bouche des faux témoins; ainsi l'ont cru ses persécuteurs. C'est en effet à Notre-Seigneur même qu'il s'adresse maintenant. " Ceux qui sont tombés au fond; " il faut sous-entendre vous ont trompé; entraînés par les passions de la vie présente, ils sont. tombés au fond de l'abîme.

1 I cor. XV, 66. — 2 II Cor. 11, 16. — 3 I Cor. I, 25.

" Et vous avez préparé sur votre table un festin abondant. " Le Sacrement de son corps et de son sang, le vrai pain descendu des cieux (1).

17. " Le jugement ne trompera pas les justes. " Quoique les pauvres mangent et soient rassasiés, et que la plénitude de la charité les prépare à renouveler en eux les souffrants du Sauveur, il ne s'ensuit pas que Dieu ne doive leur rendre bientôt justice.

18. " La colère descendra sur les impies, à cause des présents qui ont été pour eux le prix de l'iniquité. " Par ces présents il désigne tous les avantages temporels pour lesquels ils commettent leurs injustices..

19. " Ne détournez point votre volonté. " Ce n'est pas ici un avertissement donné au Seigneur, ni un ordre qui lui soit imposé. C'est une manière de parler à l'impératif, usitée chez les prophètes pour prédire l'avenir, comme dans ce passage: " Ceignez-vous de votre glaive, ô Tout-Puissant (2). — De la prière des faibles, " qui crient vers vous du sein de leurs misères: " Malheureux que je suis! qui me délivrera du corps de cette mort (3)? — Et tous ceux qui sont revêtus de force, " qui se confient en leurs oeuvres, s'efforcent d'établir leur propre justice (4).

20. " Ne les enlevez point pendant la nuit. " Montrez que vous séparez de votre peuple, soit ces orgueilleux qui se sont détachés de l'olivier, soit ces sarments retranchés de la vigne, qui produisent les hérésies et les schismes. " Afin de susciter à leur place de nouveaux peuples. " Afin de greffer ce qu'il y a de plus faible en ce monde, en confondant ce qu'il y a de plus de fort (5); car celui qui s'humilie sera élevé, et celui qui s'élève sera abaissé (6).

21. " Ayez soin de ne rien faire d'inconvenant; " de peur que le nom et la doctrine du Seigneur ne soient blasphémés, comme ils le sont, quand ceux dont le raisonnement est logique disent . " Faisons le mal pour qu'il en arrive du bien (7). — Vous avez préféré cela à la pauvreté. " Non-seulement vous avez choisi la pauvreté, mais vous lui avez encore préféré une vie sainte, des moeurs pures, afin que tout professe avec honneur la doctrine du salut.

22. " Et Dieu dans sa puissance se consolera, ou se fortifiera. " Car s'il a été crucifié dans sa faiblesse , il est vivant par la puissance de Dieu (8).

1 Jean. VI, 50. — 2 Ps. XLIV, 4. — 3 Rom. VII, 24. — 4 Ib. X, 3. — 5 I Cor. I, 27. — 6 Luc, XIV, 11. — 7 Rom. III, 8. — 8 II Cor. XIII, 14.

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23. " Qui l'égale en puissance, ou qui peut discuter ses oeuvres? " Le juger, tandis qu'il est le juge des vivants et des morts? " Qui osera dire qu'il a commis l'injustice?

24. " Souviens-toi que ses oeuvres sont grandes, et que les hommes en ont célébré la gloire : " les Evangélistes, les prédicateurs de sa parole, qui rendaient leur vie conforme à leur mission.

25. " Tous ont les yeux fixés sur lui, " n'oubliant point leur faiblesse humaine. " Tous les hommes sont dans la peine, " pénétrés de regret, à cause de leurs péchés.

26. " Dieu est riche et nous l'ignorons. " Riche, multus, car là où le péché abonde, là a surabondé la grâce (1). " Nous l'ignorons. " Ce mot s'entend de ceux dont une partie sont tombés dans l'aveuglement, jusqu'à ce que la plénitude des nations soit entrée (2). " Le nombre de ses années est infini. " Pour dire qu'il est éternel.

27. " Il a pu compter les gouttes de rosée. " En faisant prêcher son Evangile par les ministres, il les a comptés jusqu'à la consommation des siècles, lorsque finira la science imparfaite, et que ce qui est parfait le verra face-à-face (3). " La pluie se répand en ses sentiers: " les machinations des méchants ne pourront le surprendre.

28. " Les nuages s'écouleront, et leur ombre obscurcira une grande multitude. " Si l'Evangile est obscur, il ne l'est que pour ceux qui périssent. " Il a donné son heure à l'animal, qui connaît l'instant de son repos. " Le boeuf a " connu son maître, l'âne son étable (4). — En tout " ceci son esprit ne s'est point troublé; " la crainte de Dieu est le commencement de la sagesse (5). " Et la chair n'a point changé ton coeur, " qui doit s'élever de terre vers le Seigneur.

29. " S'il a voulu étendre sa nuée, " pour que ceux qui voient soient aveugles (6). " Il lui donne la même mesure qu'à son pavillon, " il habite en sa chair mortelle comme dans une tente: ses bourreaux ne l'y ont point reconnu, quand il la leur a abandonnée, et qu'il l'a étendue sur la croix.

30. " Voilà qu'il répand sur tous sa lumière: " il l'avait cachée, et quand une partie d'Israël

1 Rom., VI, 20. — 2 Ib. XI, 25. — 3 I Cor. XIII, 12. — 4 Is. I, 3. — 5 Ps. CX, 10. — 6 Jean, IX, 39.

tomba dans l'aveuglement, il la répandit sur toutes les nations. " Il a couvert les profondeurs de la mer. " Il a confondu l'insatiabilité de ce monde, car la lumière se montre, non pour obscurcir, mais pour éclairer. Il a jugé les nations, en leur montrant leurs iniquités au flambeau de la vérité.

31. " Il a donné à beaucoup leur nourriture, " à ceux qui reconnaissent et confessent leurs péchés, à ceux qui ont faim et soif de la justice.

32. " Il a dans ses mains, in manibus (1), caché la lumière. " Si on veut lire immanibus, de immanes, les cruels, cela s'entend de ceux qui ne pardonnent pas aux hommes, tandis qu'ils réclament de Dieu leur pardon. Si on veut lire in manibus, de manus, les mains, cela s'entend de ceux qui se glorifient dans leurs mains, c'est-à-dire dans leurs oeuvres, et veulent y trouver leur justification. " Il leur a dérobé la lumière; " pour dire qu'ils ne le verront point, parce que leur coeur insensé a été endurci (2). " Il lui commande de reparaître au point opposé. " Ceux qui agissent selon la vérité, soit en pardonnant pour être pardonnés, soit en avouant leurs misères, pour être secourus par la grâce divine, ceux-là viendront à la lumière, afin que leurs couvres soient mises au grand jour, parce qu'ils les ont accomplies en Dieu (3), et non pour eux-mêmes. Car l'opposé du ciel est l'homme miséricordieux, l'opposé de l'orgueilleux est le coeur humble.

33. " Afin de la faire connaître à son ami. " Cette même lumière qu'il a tenue cachée pour la dérober à la vue des hommes cruels et sans reconnaissance, il l'annonce, la fait voir à celui qui n'est plus esclave sous la Loi, mais s'est réconcilié parla grâce. " A son ami : " à son imitateur ; car le fils de l'homme n'est point venu pour être servi, mais pour servir (4). " Ceux qui s'efforcent de s'élever en face de lui la possèderont. " Ils jouiront de cette lumière, ceux qui s'élèvent au-dessus des biens de la terre. Elle leur est annoncée, tandis qu'ils travaillent encore à s'élever, car lorsqu'ils seront montés ils la verront face à face, sans qu'il soit besoin de les y appeler. Il est dit qu'ils s'efforcent de " s'élever en " face de lui, contra eum, " non pas pour l'attaquer, mais pour aller à sa rencontre, comme le

1 Autrefois on conservait la consonne N dans les mots composés où l'euphonie, nous l'a fait changer. Ainsi on lit dans les anciens manuscrits : inmensus, inbutus, inlatus, etc. pour immensus, imbutus, illatus, etc. Mais le texte grec tranche ici la difficulté, car il porte : epi kheiron in manibus. — 2 Rom. I, 21. — 3 Jean, III, 21. — 4 Matt, XXII, 28.

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dit l'Apôtre : " Au devant de Jésus-Christ (1). "

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CHAPITRE XXXVII. — Description de la sagesse, de la grandeur et de la puissance de Dieu par Eliu de Buz.

1 "Et mon coeur en a été saisi, " d'admiration. " Il est comme sorti de lui-même ; "

des affections terrestres qui le charmaient, afin de s'élever vers le Seigneur.

2. " Ecoutez ses accents terribles, sa voix de tonnerre. " Il est ici évidemment inspiré. En effet il explique pourquoi son coeur est sorti de lui-même; c'est qu'il est soumis à l'autorité de l'Évangile, criant avec force dans le monde entier : " Faites pénitence; car le royaume de Dieu est proche (2). — Le bruit de sa voix se répand en tout lieu : " et va jusqu'à ceux qui sont dehors, plongés dans les sensualités de la vie présente.

3. " Il parcourt l'étendue des cieux, il envoie sa lumière jusqu'aux extrémités du monde : " lorsque l'Église s'est répandue chez toutes les nations.

4. " Après lui on a entendu une voix frémir. " Après son premier avènement, la trompette du dernier jour retentira dans les clartés de son second avènement (3). " Ce sera la voix de son orgueil. " Par son orgueil il désigne sa grandeur, car il fut humble dans son premier avènement. "Et quand cette voix se sera fait entendre, tout sera fini sans retour. " Maintenant donc, cherchons le Seigneur, tandis qu'on peut le trouver (4); c'est-à-dire le posséder par une foi réelle et sincère. On ne le pourra plus, lorsqu'il viendra nous juger, et qu'on entendra de lui cette parole : " Allez au feu éternel (5). " La pénitence des infidèles sera alors trop tardive et sans fruit.

5. " Le Tout-Puissant fera ainsi éclater son tonnerre. " Ce n'était point sa puissance, mais notre faiblesse communiquée à sa vie mortelle qui s'annonçait dans son premier avènement. C'est de lui qu'il est écrit : " Ce qui est faible en Dieu est plus fort que les hommes (6). — Il a " accompli des prodiges que nous avons ignorés : " ceux de son premier avènement. Aussi pour nous demander compte de ses dons il viendra nous juger. " Que nous avons ignorés. " Ceci s'applique à ceux qui n'ont point connu la divinité de Notre-Seigneur ; ils ne le voyaient que dans l'infirmité de la chair.

6. " Il a dit à la nuée : Descends sur la terre. " il l'a dit à sa chair, que nous devons recevoir

1 Thess. IV, 16. — 2 Matt. III, 2. — 3 I Cor. XV, 52 ; I Thess. IV, 15. — 4 Is. IV, 6. — 5 Matt. XXV, 41. — 6 I Cor. I, 25.

dans le Sacrement, en mémoire de Lui (1), pour imiter son humilité, et établir en nous sa charité. " Les pluies abondantes, et les tempêtes excitées par sa puissance. " La nuée est à la vérité sur la terre; mais ce n'est point à nous, c'est à sa toute-puissance d'en faire sortir la rosée et la pluie de la parole, qui donnera à nos coeurs l'intelligence des mystères.

7. " Il met comme un sceau sur la main des hommes : " il leur fait comprendre par leurs actes combien ils sont coupables, afin qu'ils reconnaissent leur faiblesse, et, s'écrient : " Malheureux que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort 2? "

8. " Les bêtes sauvages trouvent un abri, et se reposent dans leurs tanières. " Les pécheurs conduits par la grâce ont trouvé cet abri, et leur conscience a été en repos, après le pardon de leurs fautes.

9. "La tempête s'est élevée du fond de leur retraite. " La tentation lui est venue par des voies tout-à-fait mystérieuses. " Le froid est sorti des hauteurs. " Le jugement est secrètement venu sur ceux qui n'ont point persévéré: leur charité s'est refroidie, à cause de l'abondance de leurs iniquités (3). Châtiment bien mérité, puisqu'ils ont mis leur espoir non en Dieu, mais en l'homme.

10. " La glace se forme au souffle de Dieu. " Non seulement l'abondance de l'iniquité attiédit ceux qui mettent en l'homme leurs espérances, mailles bonnes oeuvres elles-mêmes de ceux qui ont l'esprit de Dieu endurcissent les coeurs glacés par l'envie : pour eux saint Paul est une odeur de mort pour la mort (4). Et qui saura comprendre comment la glace se forme au souffle du Seigneur? De même que les hommes charnels, qui louent leurs semblables, se refroidissent et se laissent aller au désespoir, en face de l'iniquité; de même ceux qui désirent être loués, s'endurcissent et s'abandonnent à l'envie, si la justice des hommes leur refuse ce tribut de louanges. " Il conduit l'eau comme il lui plait ; " faisant tomber la pluie sur une ville et non pas sur l'autre (5) ; ce qui doit s'entendre de la rosée de la grâce, qu'il répand dans les âmes selon qu'elles sont soumises ou ne le sont pas.

11. " Et la nuée a arrosé le froment : " soyons ce froment, si nous voulons être arrosés. " Elle a répandu la lumière. " La bonne nouvelle de son Incarnation.

1 Luc, XXII, 19, 20. — 2 Rom. VII, 24. — 3 Matt. XXIV, 12, 13. — 4 II Cor. II, 16. — 5 Amos, IV, 7.

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12. " Elle tourne dans le cercle qui lui est tracé : " elle parcourt l'univers tout entier. " Prête à exécuter ce que lui commandera le Maître suprême. " Ces commandement; qui dirigent la nuée, sont les prédicateurs qui gouvernent l'Église pour faire accomplir les préceptes divins.

13. " Ainsi en a-t-il disposé sur la terre : " Notre-Seigneur. " Soit dans sa tribu, soit dans sa patrie. " D'abord dans la tribu de Juda, d'où il est né selon la chair, pour souffrir, ressusciter et monter, au ciel : de cette tribu étaient les Apôtres et beaucoup de frères qu'il trouva près de lui, et qui furent alors sauvés. D'autres furent encore appelés par lui avant sa passion, ou après son ascension, par les Apôtres, tant à Jérusalem, que dans les Églises de la Judée attachées au Sauveur, selon cette parole de l'apôtre saint Paul : " A cause de la vérité divine, pour confirmer les promesses faites à nos pères (1). — " Soit qu'il ait voulu la trouver dans sa miséricorde. " Il a voulu que la miséricorde apportât cette nuée aux Gentils qui croiraient en lui, car saint Paul ajoute : " Que les Gentils glorifient Dieu à cause de sa miséricorde (2). "

14. " Écoute et retiens ceci, ô Job. " Il veut réveiller l'attention, car il va parler de la vocation des Gentils. " Arrête-toi pour considérer la puissance de Dieu. " Ne sois pas inquiet en ton esprit, et ne t'attribue rien.

15. " Nous savons comment Dieu accomplit ses oeuvres, " en condamnant ceux qui se glorifient dans leurs actions " Quand il fit sortir des ténèbres la lumière:" quand il justifia les impies. Vous avez été autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur (3).

16. " Il connaît les routes différentes des nuées : " des prédicateurs de son Evangile ; les uns ont cru eu lui avant sa Passion, les autres après. " Et les chutes immenses des méchants. " Il n'est pas ici question de ceux qui l'on crucifié et qui depuis ont fait pénitence, ont été baptisés en son nom : mais de ceux qui ne se sont point relevés de leurs chutes, et ont persévéré dans leur haine contre l'Église. Leur chute en effet ne fut point légère, mais des plus énormes.

17. " Ton vêtement est solide (4): " ton allure annonce l'orgueil ; il parle ainsi contre celui qui ose se vanter de ses actes.

1 Rom. XV, 8, 9. — 2 Ib. XV, 9. — 3 Eph. V,8. — 4 En grec therme chaud.

18. "Tandis que la terre du midi est en repos, est-ce toi qui affermiras avec lui les cieux, et leur feras répandre partout la lumière dans la même mesure ? " La terre du midi s'entend parfaitement ici de ceux d'entre les Juifs qui ont cru en Jésus-Christ. Le soleil en effet semble plus éloigné des régions septentrionales et se rapprocher davantage des pays méridionaux. Voilà pourquoi ceux qua saint Paul dit plus rapprochés,de la lumière de l'Évangile (1), sont ici appelés avec raison la terre du midi. De plus, si nous appelons cieux les Evangélistes, comme dans ces mots : " Les cieux racontent la gloire de Dieu, " car c'est d'eux qu'il est dit : " Par tout l'univers ont retenti leurs accents : leur parole est allée jusqu'aux extrémités de la terre (2); " ainsi pouvons-nous désigner sous le nom de terre, les multitudes à qui fut apportée la bonne nouvelle. Quoique les peuples de la Judée qui crurent au Christ soient entrés dans leur repos en sortant de ce monde, l'autorité des prédicateurs de l'Évangile ne s'en affermit pas moins dans les Eglises issues de la Gentilité ; ce fut donc par la miséricorde divine et non par l'autorité de l'Eglise chrétienne de Judée. Aussi faut-il voir une interrogation dans le passage que nous expliquons, et l'entendre en ce sens : Quand la terre du midi fut en repos, c'est-à-dire lorsqu'il n'y eut plus en ce monde de société chrétienne parmi les Juifs, est-ce toi qui avec lui affermissais les prédicateurs de l'Evangile, établissais l'autorité des divines Écritures, dont Dieu dans sa miséricorde répandait les lumières également parmi les Juifs et parmi les Gentils? Il attribue ce bienfait à la grâce et à la bonté de Dieu, afin que personne ne se glorifie de ses mérites et ne tombe dans ce triste orgueil qui perdit les Juifs.

19. " Dis-moi donc ce qu'il faut lui répondre pour terminer nos longs discours. " Que lui dire en voyant que nous sommes par nous-mêmes dépouillés de tout,mérite, et que nous ne pouvons rien sans sa bonté ?

20. " Es-tu pour moi un livre ou un secrétaire ? et est-ce moi qui impose le silence à l'homme? " Pourquoi ne dis-tu rien, si tu sais que répondre ? Tu n'es pas chargé de recueillir ma parole, sans parler toi-même. Nous conversons tous deux.

21. " Tous ne peuvent voir la lumière qui " brille. dans les nues. " Il reprend ce qu'il a dit

1 Eph. II17. — 2 Ps. XVIII, 2, 5.

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de l’espérance du pardon pour le pécheur et de la grâce que la divine miséricorde fait briller dans son âme. C'est la lumière qui reluit dans la nuée. Les nuages n'ont point essentiellement cette propriété; leur éclat leur vient d'ailleurs. Autre chose est de briller de sa propre lumière, autre chose de refléter l'éclat d'une lumière étrangère: mais tous ne font pas cette distinction, et beaucoup s'imaginent que les âmes brillent de leur propre lumière, lorsque la sagesse est en elles. Aussi est-il écrit qu'il en est qui se disent sages et sont devenus insensés (1). ".L'esprit passe et les purifie : " c'est l'esprit dont il est dit: "A votre menace, au souffle, de votre colère (2); " et ailleurs : " Où irai-je pour échapper à votre esprit (3) ? " L'épreuve des tentations révèle aux hommes ce qu'ils valent ; elle leur apprend que par leurs péchés ils ne sont que ténèbres, et ont besoin de la gloire de Dieu (4). Qu'ils cherchent donc à refléter sa lumière, et lui en attribuent tout l'honneur, jamais à eux-mêmes; et désormais, ayant déposé tout orgueil; ils seront purifiés du plus grand péché ; car l'esprit de sanctification ne passe pas, mais demeure.

22. " De l'aquilon vient la nuée aux couleurs d'or. " C'est en quittant l'impiété la plus coupable la plus éloignée de Dieu, qu'ils arrivent changés, purifiés, éclairés par la sagesse. Comment le sont-ils, si ce n'est par la grâce qui remet les péchés sans peser les mérites ? Aussi quand le Psalmiste voulait recevoir son pardon, il disait : " Que j'enseigne vos voies aux méchants, et que les impies se tournent vers vous (5); " comme les nuées venant de l'Orient ou de l'aquilon, lorsque leur obscurité à disparu aux couleurs du soleil. " Elle publie la gloire et l'honneur du Tout-Puissant. " Il y a plus d'amour, là où plus de péchés sont pardonnés : car le Tout-Puissant peut justifier l'impie.

23. " Et nul autre ne saurait égaler sa puissance : " seul il n'a point commis le péché, et jamais le mensonge n'a été sur ses lèvres (6) ; car Dieu seul est vérité et tout homme est menteur (7). Aussi le Dieu fait homme fut-il vainqueur, même quand on le jugeait. " Puisque ses jugements sont justes, crois-tu qu'il n'exaucera pas la prière? " Que l'homme n'ajoute donc point péchés à péchés en désespérant de son salut, comme s'il était condamné sans ressource, parce que Dieu est juste et ne peut le laisser impuni. Il

1 Rom. I, 22. — 2 Ps. XVII, 16. — 3 Ib. CXXXVIII, 7. — 4 Rom. III, 22. — 5 Ps L, 15. — 6 I Pierre, II, 22.

est juste dans ses jugements, mais sans laisser d'exaucer celui qui implore son pardon ; plus même sa justice est rigoureuse, plus il .se montre généreux en pardonnant; car ce ne serait pas justice que de confondre l'humble repentir avec l'orgueil qui refuse de s'humilier et de faire pénitence.

24. " C'est pourquoi tous les hommes le redouteront; " s'ils se souviennent qu'ils sont hommes. " Et les sages eux-mêmes le redouteront ; " pour ne devenir pas insensés, en se glorifiant de ce qu'ils ont reçu et en se vantant de leur sagesse : car on peut enlever aux orgueilleux ce qui est donné- aux humbles. Donc que les sages, dont la sagesse est un rayonnement intérieur de la grâce, et n'éclate pas en vains discours, que les rois qui jugent selon les lumières de l'esprit et ne sont jugés par personne (1), servent Dieu avec crainte et qu'ils se réjouissent avec tremblement, pour ne point périr hors de la voie droite (2) ; car c'est Dieu qui opère en eux et le vouloir et le faire, selon sa bonne volonté (3).

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CHAPITRE XXXVIII. — Le Seigneur reproche à Job ses discours inconsidérés.

1. " Et quand Eliu eut cessé de parler, Dieu dit à Job du milieu d'un tourbillon. " Si cette voix se fit entendre alors comme autrefois à Moïse, ou bien comme aux trois disciples le jour où le Seigneur se manifesta à eux sur la montagne (4); il n'est point dit simplement que ce fut du milieu de la nuée, mais du milieu d'un tourbillon de nuée. Cela signifie que Job fut interrogé, c'est-à-dire tenté, non dans sa chair saine et vigoureuse, mais au milieu des afflictions qui accablaient cette chair.

2. " Qui prétend me dérober le secret de ses pensées, les cacher au fond de son coeur, et veut croire que je les ignore? " Personne ne doit se croire frappé par le malheur sans l'avoir mérité. Si ce n'est point en action, c'est en paroles qu'il a péché : si ce n'est point en paroles, au moins y a-t-il eu trop de présomption en son coeur, en ses pensées trop de témérité.; et puisque rien n'échappe à Dieu, que nul ne se plaigne des coups de l'adversité, comme si elle ne pouvait lui être profitable. Sachons-le bien, si au commencement de ce livre, Dieu a fait au démon l'éloge de Job, si à la fin il le renouvelle en présence de ses trois amis, ce n'est pas qu'il ignore

1 I Cor II, 15. — 2 Ps. II, 11.12. — 3 Philip. II, 13. — 4 Matt. XVIII, 1-5.

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combien il manque à sa perfection, à cette perfection vers laquelle des hommes dignes de louanges en ce monde et agréables au cœur de Dieu, sont conduits par les coups de sa main paternelle. L'Apôtre lui-même n'en fut pas exempt, car il lui fut dit : " Ma grâce te suffit, la vertu se fortifie dans la faiblesse (1). "

3. " Ceins tes reins comme un homme vaillant. " C'est-à-dire, que les serviteurs de Dieu supportent de lourdes peines, d'amers chagrins, afin de détacher leur coeur de toute affection aux plaisirs sensuels et d'en réprimer tous les égarements. " Je t’interrogerai, réponds-moi.

4. " Où étais-tu quand je jetais les fondements de la terre? " Ici on voit qu'il exalte la souveraine perfection de Notre-Seigneur Jésus-Christ. C'est lui qui est venu guérir tous ceux que le venin du serpent avait frappés de mort, et nul ne doit vouloir trouver en soi-même son salut. Ce Dieu n'est point comme ceux dont il est dit : " Vous êtes des Dieux et les Fils du Très-Haut (2). — " Il n'a point usurpé, en se proclamant l'égal de son Père (3). " Il n'est point fils des hommes comme les enfants des hommes en qui il n'y a point de salut, mais il est au-dessus de tous ceux dont il est devenu l'égal (4). Il n'est point saint comme Job, comme Paul, comme l'Eglise; il sanctifie les autres, car il est le Fils unique du Père, rempli de grâce et de vérité (5). Afin donc d'établir ce qui distingue là divine humanité de Celui en qui le prince de ce monde n'a rien trouvé (6), car il payait dans sa passion ce qu'il n'avait point dérobé (7); afin d'enseigner aussi que la rémission des péchés opère la justification des saints et que ceux-ci réunis en un seul corps forment, l'Eglise, dont Job, dans le sens historique, n'est qu'une faible partie depuis qu'il est justifié, mais qu'il représente tout entière dans le sens prophétique ; il commence par ces mots : " Où étais-tu quand je jetais les fondements de la terre ? " Est-ce parce qu'il n'existait pas encore ou parce qu'elle n'a pas été fondée par lui comme par le Fils unique ? Est-ce la terre, ou l'Eglise elle-même? Car c'est l'Eglise qui a reçu la pierre angulaire dont il va être question (8). " Dis-le moi, si tu en as l'intelligence. " Tout ce que Dieu a fait pour nous dans le temps est l'objet de notre science.

5. " Sais-tu qui a établi ses mesures? " qui a distribué les dons spirituels. " Le grâce a été

1 I Cor. XII, 9. — 2 PS. LXXXI, 6. — 3 Philip, II, 6. — 4 Ps. XLIV, 8. — 5 Jean, I, 14. — 6 Ib. XIV, 30. — 7 Ps. LXVIII, 5. — 8 Eph. II, 20.

accordée à chacun de nous, selon la mesure du don de Jésus-Christ. C'est pourquoi il est dit qu'en montant au ciel, il a conduit une foule de captifs et a répandu ses dons sur les hommes (1); " car si tout le corps était oeil, où serait l'ouïe (2)? Selon la fonction propre à chaque membre le corps prend son accroissement et se développe dans la charité (3). " Ou qui a étendu sur elle le cordeau? " afin d'en faire son partage, la séparant de ceux à qui il est dit : " Je ne vous sonnais point (4); " car. le Seigneur connaît ceux qui sont à lui (5).

6. " Qui retient ses anneaux?" Les livres sacrés qui reposent sur Dieu même et qui préservent de la dissolution. Quiconque, sans le Seigneur, veut, les comprendre, est condamné au doute et à l'erreur. " Qui a posé sa pierre angulaire? " Cette pierre que des constructeurs ont mise au rebut (6).

7. " Quand les astres furent crées au même instant. " Tant de milliers d'hommes baptisés avec la parole de vie, et brillants de gloire parmi les pécheurs comme au milieu des ténèbres. " Tous mes anges ont publié à haute voix mes louanges. " Les prédicateurs de l'Evangile.

8. " J'ai renfermé la mer entre ses portes. " Les peuples dont la fadeur s'attache à la terre. Pourquoi : " Dans ses portes? " Est-ce d'abord afin qu'elle sache s'arrêter quand elle persécute les justes? Est-ce aussi afin que les justes puissent en sortir? " Lorsqu'elle frémissait comme l'enfant qui veut s'échapper du sein maternel. " Lorsque dans les assemblées de cette Babylone souillée par toutes les voluptés de la vie, elle voulait, en frémissant de colère, persécuter et anéantir ceux dont il est écrit : " Je ne vous demande pas de les enlever de ce monde, mais de les préserver du mal (7). "

9. " Je l'ai enveloppée de nuées comme d'un vêtement. " Ce ne sont pas seulement les bons, mais encore une foule de pécheurs attachés aux biens de ce monde que retient le mystère du corps de Jésus-Christ. Son autorité les empêche de persécuter les saints. " Je l'ai entourée de brouillards; " ceux de l'ignorance qui leur fait aimer les biens de ce monde, en redouter les misères. Aussi craignent-ils les bons, qu'ils persécuteraient s'il n'en était pas ainsi. Car il n'est pas seulement écrit : " Les pauvres mangeront et seront rassasiés; ceux qui recherchent le

1 Eph. IV, 7, 8. — 2 I Cor. XII, 17. — 3 Eph. IV, 16. — 4 Matt. VII, 23. — 5 II Tim. II, 19. — 6 Ps. CXVII, 22. — 7 Jean, XVII, 15.

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Seigneur célèbreront ses louanges ; " mais encore : " Tous les grands de la terre mangeront et adoreront (1). — Je lui ai fixé ses limites, j'y ai mis des barrières et des portes. " Ses limites, pour arrêter sa fureur; elle exercera ses ravages, mais dans une enceinte déterminée. " Des " barrières, " pour empêcher les méchants de s'avancer plus loin. " Des portes, " pour que les justes puissent s'en séparer.

10. " Et je lui ai dit : Tu viendras jusqu'ici, pas au delà. " Il a été dit au démon jusqu'où il devait frapper Job. Ainsi a-t-il été dit à la mer jusqu'où elle peut persécuter l'Eglise. " Et dans ton sein se brisera la fureur de tes flots : " au sein des discordes civiles ou dans le tumulte des combats.

12. " Est-ce avec toi que j'ai fait paraître la lumière du matin? " M'as-tu aidé de tes conseils pour fixer d'avance le jour de la résurrection? " Ou que j'ai tracé sa route à l'étoile du matin? " sous-entendu : Est-ce avec toi? Il donne à Notre-Seigneur le nom d'étoile du matin, Lucifer, à cause du lever de la résurrection qui se fit au matin. Car c'est à lui seul que s'appliquent ces paroles : " Jusqu'à ce que l'étoile du matin, Lucifer, se lève dans vos coeurs (2). " Il a connu sa route, pour devenir les prémices de ceux qui dorment, le premier-né d'entre les morts (3), le chef de l'Eglise, dont le corps doit le suivre à la future résurrection des saints.

13. " Pour saisir les ailes de la terre. " Ailleurs il est écrit : " Si je prends mes ailes pour m'élever (4): " Ce sont les vertus surnaturelles des, justes qui les élèvent au-dessus des séductions de ce monde. " Et en secouer les impies. " S'il est ressuscité le premier, connaissant d'avance la route à suivre, c'était afin d'établir la foi en sa résurrection. Puis il a été annoncé en tout lieu par les ailes de l'Eglise, c'est-à-dire par ses ministres, aussi rapides que l'oiseau dans son vol. Enfin il les a chargés de juger les douze tribus d'Israël, lorsqu'il viendra secouer, chasser les impies de son Eglise, où ils se trouvent confondus avec les fidèles jusqu'au jour du jugement.

14. " Est-ce toi qui avec un peu de boue, créas le corps vivant ? " Il faut appliquer ceci ou à la création d'Adam au sixième jour, ou bien à ce qui se passe maintenant au sixième âge du monde, quand tiré de la multitude des pécheurs, comme du limon de la terre, l'homme est formé à

1 Ps. XXI, 27, 30. — 2 II Pierre, I, 19. — 3 I Cor. XV, 20. — 4 Ps. CXXXVIII, 9.

l'image de Celui qui l'a créé (1). Ce n'est point l'œuvre de l'Eglise, mais elle-même a été créée; pour recevoir cette grâce par Celui qui a tout créé, par le Verbe incarné au temps favorable (2). " Et publier son nom par toute la terre. " Ce caractère désigne plutôt l'homme du sixième âge que l'homme du sixième jour créé avant que ceux de sa race ne puissant le faire connaître, à moins toutefois que l'on rie dise que c'est surtout au sixième âge que son nom s'est ainsi répandu.

15. " As-tu ravi la lumière à l'impie ? " comme celui qui est venu, afin que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles (3). " As-tu brisé le bras des superbes ? " leur vaine puissance, à l'exemple de celui qui a choisi ce qu'il y avait de plus faible pour confondre ce qui était le plus fort (4).

16. " Es-tu allé aux sources de la mer ? " comme celui qui en revenant parmi nous a découvert tous les secrets du coeur des impies; lesquels, en les avouant et en croyant en lui, ont été justifiés. Que pourrions-nous plus exactement appeler les sources de la mer, que cette malice secrète d'où s'échappe une noire impiété, dont les actes mauvais roulent dans le monde comme les eaux d'un fleuve immense ? Les hommes en voient la malice extérieure, mais ils ne peuvent apercevoir la source secrète qui les produit. "As-tu marché sur les traces des abîmes! " " L'abîme désigne ici la vie charnelle tout entière, plongée dans le mal, où le pécheur une fois qu'il y est, descendu, s'abandonne au mépris (5). Car une fois rentrés en grâce avec Dieu par le pardon de leurs fautes, les pécheurs les plus désespérés se sont élevés en quelque sorte au dessus de cet abîme et ont reçu le Christ; ils l'ont reçu non pas pour se replonger dans l'abîme où ils gémissaient, mais pour le suivre lui-même, ayant pour hôte glorieux Celui qui les pressait de son aiguillon. " Sur les traces des abîmes ; " les souvenirs de leurs anciens péchés : car en se rappelant ce qu'ils ont été, ils aiment davantage Celui qu'ils ont reçu et qui leur a tout pardonné (6).

17. " Les portes de la mort se sont-elles ouvertes avec effroi devant toi ? " Devant tous ceux qui meurent s'ouvrent les portes de la mort; mais ce n'est point avec crainte, comme devant Celui-là seul qui est mort pour détruire l'empire

1 Gen. I, 27; II, 7. — 2 Jean, I, 3. — 3 Ib. IX, 39. — 4 I Cor. I, 27. — 5 Prov. XVIII, 3. — 6 Luc, VII, 41-47.

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de la mort: ou veut-il dire qu'elles s'ouvriront sûrement pour la résurrection ? " A ta vue les gardiens de l'enfer ont-ils tremblé? " comme à la vue de Celui en qui le prince de ce monde n'a rien trouvé qui méritât la mort. Ils n'avaient point demandé sa mort, ils le rendirent promptement à la vie. Par les gardiens de l'enfer il faut entendre quelques puissances inférieures chargées de veiller sur la mort.

18. " As-tu mesuré tout ce que les cieux entourent? "comme Celui qui a répandu partout son Eglise. " Dis-moi donc ce que sont toutes ces choses. " Qui peut le savoir, si Lui ne l'a pas enseigné?

19. " En quelles régions habite la lumière? " C'est encore Lui qui l'enseigne, car sa parole répand la lumière, et donne l'intelligence aux petits enfants (1). " Quelle est la demeure des ténèbres ?" Nous le savons aussi de Celui gui a dit : " Approchez-vous de lui et vous serez éclairés (2). " C'est nous apprendre qu'on devient ténèbres quand on s'éloigne de lui en refusant d'être comme les petits enfants. Car le commencement de l'orgueil de l'homme, c'est de se séparer de Dieu (3). Aussi ceux qui ne l'ont point glorifié, et ne lui ont pas rendu grâces, se sont perdus dans la vanité de leurs pensées, et leur coeur insensé s'est obscurci (4); ils sont devenus l'habitation des ténèbres. Peut-être faut-il entendre encore par demeure des ténèbres le lieu où tombent les pécheurs obstinés : ceux-ci seraient alors les ténèbres et ils habiteraient un séjour réellement inconnu de tous les hommes. Pareillement le séjour de la lumière serait cette terre des vivants ; la félicité donnée en partage à ceux qui persévèrent dans la foi, l'espérance et la charité ; qui étaient autrefois ténèbres et qui sont maintenant lumière dans le Seigneur (5).

20. " Me conduiras-tu à leurs limites ? " jusqu'au terme où arrivent ces pécheurs. Qu'y a-t-il où ne pénètre pas la sagesse de Dieu, qui atteint avec force d'une extrémité à l'autre et dispose tout avec douceur (6) ? Aussi nul homme ne peut lui être comparé. " Si tu as connu les traces de leur passage; "

21. " Savais-tu que tu devais naître ? Connaissais-tu le nombre de tes années ? " Tu as pu connaître la route suivie par les impies qui sont ténèbres, ou demeure des ténèbres, parce que ceux qui se sont attachés à Dieu ont d'abord suivi

1 Ps. CXVIII, 130. — 2 Ib. XXXIII, 6. — 3 Eccli. X, 14. — 4 Rom. I, 21. — 5 Eph. V, s. — 6 Sap. VIII, 1.

vi ces sentiers de l'impiété avant de recevoir la grâce divine, source de leur justification : mais as-tu pu savoir quel motif il y avait de t'appeler à la vie périssable de ce monde, alors que nos premiers parents entraient déjà dans ces sentiers par l'impiété de leur désobéissance, et que, de leurs mains et de leurs lèvres coupables, ils appelaient la mort qui nous a tous fait mourir en Adam ? Ce n'est donc point à partir de notre naissance, qu'il faut compter le nombre si restreint de nos années, mais à partir du jour où parut au monde le premier qui devait mourir. Ainsi par exemple, lorsque Abraham vint au monde, en lui naquirent tous les Hébreux. Le nombre de nos années est donc grand, si on part du jour où la mort commença dans les sentiers de l'impiété. Or, qui se souvient d'avoir été à ce moment? qui se rappelle d'avoir existé réellement dans le sang de ses aïeux ? Car nul ne se rappelle l'époque même de sa propre naissance; et cependant il est certain qu'alors il avait l'être, la vie et le sentiment. Mais toutes ces choses sont connues de la Sagesse éternelle, qui a tout créé, non-seulement ce qui vit dans le ciel; mais encore ce qui est sujet à la mort. Or le Christ est la Force de- Dieu et la Sagesse de Dieu (1); il connaît donc tous ces mystères. Il est né pour mourir, non parce qu'il y était condamné, mais, libre parmi les captifs de la mort, il en eut pitié et brisa leurs chaînes.

22. "As-tu pénétré dans les trésors de la neige? " As-tu possédé la science de Celui qui connaissait les causes secrètes et cachées, mais nécessaires, des scandales dont le monde était menacé ? Il les appelle des trésors, parce qu'ils doivent éprouver le tueur des saints, exercer leur patience. " Malheur au monde, est-il dit, à cause des scandales! Il est nécessaire qu'il y ait des scandales, mais malheur à l'homme par qui ils arrivent (2) ! " " Enflés d'orgueil, ils vont comme la neige se congeler dans les hauteurs, d'où ils retombent bientôt, et l'abondance de leurs iniquités refroidit la charité d'un grand nombre. Vous qui attendez le Seigneur avec un courage inébranlable (3), et dans la ferveur de l'esprit (4), persévérez jusqu'à la fin et vous serez sauvés (5). " Où as-tu vu ceux de la grêle ? " La grêle, ce sont les pécheurs qui, non contents de languir loin de la ferveur, la poursuivent sans relâche et cherchent à l'anéantir.

1 Cor. I, 24. — 2 Matt. XVIII, 7. — 3 Ps. XXVI, 14. — 4 Rom. XII, 21. — 5 Matt. XXIV, 13.

633

23. " Qui te sont réservés pour le temps de tes ennemis, pour les jours de guerre et de combat. " Comment ne pas voir quel est ici le rôle prophétique de Job ? Ce n'est point effectivement en vue de lui seul que tout cela est tenu en réserve pour le temps des ennemis, pour les jours de guerre et de combat, mais plutôt pour le peuple de Dieu. Le temps des ennemis est celui pendant lequel l'iniquité suit son cours : plus elle abonde, plus vivement doivent être soutenus les combats et les luttes contre le démon, pour que la charité de ceux qui persévèrent ne se refroidisse pas.

24. " D'où vient le givre des frimas ? " Comment le connaître, si ce n'est en le considérant comme le commencement des douleurs ? Car le givre est une espèce de grêle extrêmement fine. " Par quelle voie le vent du midi se répand sous le ciel ? " Quoi que ce vent tienne nos corps appesantis, il n'est, je crois, aucun passage des Livres saints où il soit l'image du mal, comme jamais l'aquilon n'y est la figure du bien. La. raison en est, que celui-là vient des régions où apparaît la lumière, celui-ci des pays dont elle est plus éloignée. " Il se répand sous le ciel; " image des secours que Dieu nous accorde contre toutes ces calamités, tant que nous vivons, non pas au ciel mais sous le ciel.

25. " Qui a tracé, aux pluies impétueuses, le lit d'un fleuve, livré passage aux cris des tempêtes ? " Voyons ici avec quelle brièveté le Seigneur énumère en trois mots tout ce que doivent mépriser dans la tentation ceux qui bâtissent sur le roc, ce que doivent redouter, au contraire, ceux qui bâtissent sur le sable (1). Il nomme la pluie, le lit du fleuve, la voix de la tempête ou le souffle du vent. Être tenté par la pluie, c'est s'exposer au péché, en comprenant mal ce qu'il y a de plus relevé dans les saintes Ecritures ; si par exemple à l'occasion de ce passage : " Celui à qui il est moins pardonné aime moins (2), " quelqu'un s'avisait de dire : " Faisons le mal, afin qu'il en arrive du bien (3), et qu'il demeurât dans le péché afin de faire abonder la grâce (4). Il y a une foule d'autres passages où les téméraires interprètent mal la parole de Dieu, et se perdent en se promettant l'impunité, sous le prétexte que les Ecritures exaltent sans cesse la bonté divine. Être tenté par le fleuve, c'est suivre les auteurs de ces funestes interprétations. Il appelle fleuve le torrent

1 Matt. Tb. VII, 24, 27. — 2 Luc, VII, 42, 43. — 3 Rom. III, 8. — 4 Ib. V, 20.

formé des eaux de la pluie . " Qui a tracé, dit-il, le lit d'un fleuve aux pluies impétueuses, " c'est-à-dire le lit où elles se rassemblent et s'écoulent ? Il y a donc des vases de colère préparés pour la perdition (1), qui entendent les Ecritures comme nous venons de le dire. Ils donnent libre cours aux flots de leurs pernicieux enseignements, que néanmoins les champs fertiles savent repousser; ils agitent renversent et entraînent tout ce qui est sans consistance avec d'autant plus d'impétuosité, qu'ils paraissent conduits par l'autorité de Dieu. Être tenté par les vents, c'est prêter l'oreille à la voix des orgueilleux dont les discours vides de sens n'ont d'autre appui que leur faible raison. Lorsqu'un homme, en résistant aux préceptes divins, a préparé sa condamnation au jugement de Dieu, et bâti sur le sable, il ne pourra résister au souffle de ces vents, et sa chute livre passage, aux voix de la tempête. Je crois que ces mots: " pluies impétueuses, " désignent lest passages difficiles à fixer, à comprendre.

26. " Afin qu'il pleuve où n'habite aucun homme. " Sous-entendez ce qui précède. Par l'homme il faut entendre ici la Loi donnée aux Juifs ; et sur les Gentils serait tombée la pluie de l'Evangile. " Dans le désert entièrement inhabité. " Chez les gentils, où nul ne possédait assez d'autorité pour faire connaître Dieu.

27. " Pour désaltérer les terres arides et désertes, et y faire germer l'herbe de la prairie. " L'épouse abandonnée a plus d'enfants que celle qui a un époux (2). Dans ces quatre phrases, il faut sous-entendre . " qui a préparé " etc.

28. " Qui est le père de la pluie ? " comme l'Epoux qui envoya ses fils féconder les campagnes par la prédication de l'Evangile. " Et qui " fait naître les glèbes de rosée ? " Ceux qui ont bien reçu cette prédication. On dit glèbes de rosée, comme on appelle vases de vin ceux qui sont destinés à recevoir le vin.

29. " De quel sein est sortie la glace ? " Faut-il prendre le mot glace en bonne part, à cause de sa solide consistance ? alors cette phrase : De " quel sein est sortie la glace? " serait comme cette autre : " qui est le père de la pluie ? " Le mot sein ne signifie-t-il pas ce qui est secret ? alors il serait dit que le glace est sortie de son sein, comme il est dit que Dieu les a livrés à un sens réprouvé (3). Ou plutôt encore, la glace n'est-elle pas sortie du sein de celui qui répandant

1 Rom. IX, 22. — 2 Is. LIV, 1. — 3 Rom. I, 28.

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partout l'impiété qui déborde en lui, refroidit et endurcit les coeurs qui n'ont plus la ferveur de la charité ? Et qui l'a bien connu, si ce n'est Celui qui a dit aux adversaires obstinés de son Évangile : " Vous avez le démon pour père (1)? "

30. " Et qui produit dans l'air la gelée ? Elle descend comme les eaux d'un fleuve. " Il faut prendre le mot gelée dans le dernier sens que nous avons donné à la glace. C'est avec raison qu'il est dit : " dans l'air, " car ces paroles s'appliquent aux coryphées de l'impiété, qui imitent les prédicateurs de la vérité et se transforment en ministres de la justice (2). Voilà pourquoi il dit ensuite : " Qui descend comme les eaux d'un fleuve. Ou qui a fait sécher le visage de l'impie ? " l'a couvert de confusion ; quel est-il, si ce n'est Celui qui a glorifié ceux qu'il a justifiés (3) ?

31. " Est-ce toi qui as su distinguer les liens des Pleïades, ouvrir le cercle des étoiles de l'Orion ;

32. " Faire lever Mazuroth au temps fixé, et amener l'étoile du soir au lieu qui lui fut préparé ? " Pour comprendre ce passage, faut-il étudier, dans l'astronomie, les propriétés de toutes ces étoiles ? Je serais étonné que cela fût nécessaire : ce serait d'ailleurs un long travail, nous ne nous y arrêterons pas. Ne doit-on pas plutôt, sous le nom de quelques étoiles, comprendre tous les astres, en prenant la partie pour le tout ? Je suppose que Mazuroth est une étoile, car il n'y a point de mot en Grec qui lui corresponde; on voit assez que c'est une expression hébraïque. Dans le passage suivant : " Je t'ai engendré avant Lucifer (4), " la partie est également prise pour le tout. Lucifer n'a pas été la première de toutes les créatures, et avant Lucifer ne signifie pas avant toute créature. Mais Lucifer désigne ici tous les astres; c'est, je le répète, la partie pour le tout, et par tous les astres, il faut entendre tous les temps ; car c'est des astres qu'il est dit : " Ils serviront de signes pour marquer les temps (5). " Par conséquent le Seigneur est né avant tous les temps, et non dans le temps ; ainsi est-il coéternel au Père. Nommer seulement les Pléïades, l'Orion, Mazuroth et l'étoile du soir, c'est donc citer tous les astres par le nom de quelques-uns. Puisqu'ailleurs avec Lucifer on les désigne tous, à plus forte raison pouvons-nous le faire ici, où tant

1 Jean, VIII, 44. — 2 II Cor. XI, 16. — 3 Rom. VIII. 30. — 4 Ps. CIX, 3. — 5 Gen. I, 4.

d'étoiles sont nommées. Mais pourquoi est-il dit des unes : " distinguer les liens, " des autres " ouvrir, disperser ; " de celle-ci : " faire lever au temps fixé ; " de celle-là : " amener au lieu qui lui fut préparé ? " Ces expressions sont-elles exclusivement propres aux astres qu'elles distinguent? Ne pourrait-on pas dire : As-tu, avant le cercle des Pléïades, distingué les liens des étoiles de l'Orlon ? On peut quelquefois changer les mots de deux phrases ; par exemple dans ce passage des Psaumes : " Celui qui habite dans les cieux se rira d'eux, le Seigneuries tournera en dérision, " la pensée resterait absolument la même si l'on disait : Celui qui habite dans les cieux les tournera en dérision, le Seigneur se rira d'eux; car le Seigneur est le même que celui qui habite dans les cieux. Par une raison semblable le nom des Pléïades a ici la même signification que celui de l'Orlon, parce que l'un et l’autre désignent tous les astres, et les étoiles que nous venons de nommer nous représentent dans les mêmes rapports les fidèles de l'Eglise dont la conversation est dans le ciel (1). Leurs liens consistent à s'attacher les uns aux autres et à Dieu, pour ne point tomber. Or la charité ne tombe jamais (2). Qui la connaîtrait, si elle n'avait été enseignée par Celui qui a dit: " Je vous donne un commandement nouveau, c'est que vous vous aimiez les uns les autres (3); " et encore : " Celui qui m'a aimé est , aimé de mon Père (4) ? " Le cercle qui les enferme est celui des divines Ecritures, d'où ils ne sortent point. Qui a pu l'ouvrir si ce n'est celui qui fait tomber le voile quand on s'attache à lui ? Le temps arrivera d'ouvrir ces livres, c'est-à-dire de manifester la vérité, lorsque le Seigneur viendra éclairer les secrets des ténèbres, découvrir les pensées les plus intimes du coeur. Alors chacun recevra de Dieu la louange qui lui est due (5). Lui seul accomplira ces mystères en son temps : lorsqu'il apparaîtra, lui qui est notre vie, nous apparaîtrons aussi avec lui dans la gloire (6). Il les conduira au lieu qui leur fut préparé, quand il les mettra en possession de la demeure bâtie par leurs mérites. " Celui qui aura bâti sur ce fondement des oeuvres qui subsistent, en aura la récompense (7). "

33. " Connais-tu les changements du ciel ? " Faut-il prendre ce passage en mauvaise part, et l'appliquer à ceux qui ont connu Dieu, et ne l'ont point glorifié comme Dieu ? Ils n'ont point voulu

1 Philip. III, 20. — 2 I Cor. XIII, 8. — 3 Jean, XIII, 34. — 4 Ib. XIV, 21 — 5 I Cor. IV, 5. — 6 Col. III, 4. — 7 I Cor. III, 14.

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le faire habiter en eux; ils ont été changés, et se sont évanouis en la vanité de leurs pensées (1). Lui donnerons-nous une signification meilleure? Car tous nous ressusciterons, mais nous ne serons pas tous changés. Il y en aura qui changeront, puisqu'il est dit : " Et nous changerons (2). " Quand les justes changeront, ce sera le ciel qui subira un changement. Le ciel en effet est le trône de Dieu (3); de plus la Sagesse est le Verbe de Dieu, et le Verbe était Dieu :or, le trône de la sagesse, c'est l'âme du juste. Peut-être vaut-il mieux adopter les deux explications, car il n'est point dit : le changement, mais les changements du ciel. " Ou ceux qui s'accomplissent de la même manière sur la terre ? " De même que les changements du ciel lotit sentir leur influence sur tout ce qui est ici-bas; ainsi les justes, lorsqu'ils changent soit en mal, soit en bien, produisent sur les hommes charnels la même impression de bien ou de mal.

34. " Appelleras-tu la nuée ? " soit dans ta pensée, soit à haute voix, lui disant : " Suis-Moi (4); " ou bien : " Saul, Saul, pourquoi me persécuter (5)? — Et les grandes eaux saisies d'effroi " t'obéiront elles?" Les peuples puissants, quand ils entendront cette voix de Dieu : " Faites votre " salut avec crainte et tremblement ; car c'est " Dieu qui produit en nous la volonté et, l'action selon son bon plaisir (6). "

35. " Donneras-tu aux fleuves leur impétuosité, et ils iront ? " Des fleuves d'eau vive couleront de son sein (7). Cette impétuosité, c'est la confiance avec laquelle ils ont affronté les persécuteurs. Ceux qui combattent avec ce courage enlèvent d'assaut le royaume des cieux (8). " Et ils te diront: " Qu'y a-t-il? " Chercheront-ils à savoir comment exécuter tes ordres, comme Saul quand il disait: " Seigneur, que voulez-vous que je fasse (9) ? " ou quelle récompense ils ont à espérer de toi, comme d'autres quand ils s'écriaient : " Nous avons tout abandonné pour vous suivre, qu'y aura-t-il pour nous (10)? "

36. " Qui a enseigné à la femme l'art de former les tissus, l'habileté à les enrichir des couleurs les plus variées ? " Salomon parle aussi d'une femme qui sut tisser des vêtements à son mari (11). Il faut appliquer ceci aux Eglises qui travaillent à la gloire de Dieu. Les faibles sont comme la trame d'une laine délicate :

1 Rom. 1, 21. — 2 I Cor, XV, 51, 52. — 3 Matt. V, 34. — 4 Jean, XXI, 19. — 5 Act. IX, 4. — 6 Philip. II, 12,13. — 7 Jean, VIII, 38. — 8 Matt. XI, 12. — 9 Act. IX, 6. — 10 Matt. XIX, 27. — 11 Prov. XXXI, 10-24.

les frères affermis dans la grâce sont comme le fils de la chaîne destinée à resserrer le tissu. C'est là le travail le plus précieux des Eglises. Elles y mettent la variété des couleurs d'une riche broderie, sans que jamais cette variété détruise l'unité du travail. Les fidèles, malgré la variétés des dons faits à chacun, savent s'unir sans j aurais exciter aucune envie : tous se supportent les uns les autres avec charité, et travaillent à conserver l'unité d'un même esprit dans le lien de la paix (1).

37. " Qui sera assez instruit pour compter les " nuages? " Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui (2), mais quel homme possède la même science ? " Qui fait descendre les voix du ciel sur la terre? " Les anges du ciel qui annoncent les divins oracles. Ils n'ont point été précipités contre le premier des rebelles, mais l'attrait de l'obéissance les a fait descendre jusqu'à nous, surtout aux jours du Sauveur : " Les anges le servaient, " dit l'Evangile (3).

38. " La cendre a été dispersée comme la terre ; il l'a attachée comme la nourriture à la pierre. " Partout au loin a été prêchée l'humilité . c'est pourquoi le Seigneur qui résiste aux superbes, et donne sa grâce aux humbles (4), en se faisant homme, s'est étroitement attaché les hommes par le lien de la charité; est devenu médiateur entre Dieu et les hommes (5), s'est donné à eux pour nourriture dans le Sacrement de son corps et de son sang, et a choisi comme pierre de l'édifice ce qui est insensé dans le monde, pour confondre les sages (6). Comme Verbe de Dieu, demeurant en Dieu, il est la nourriture des Anges; mais pour être la nourriture des pierres, le Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous (7). Il s'unira donc étroitement avec les hommes, quand la pénitence les y aura préparés, comme si la cendre était répandue pour lui tracer la route. Et quand il s'écriait: " Faites donc de dignes fruits de pénitence, et ne dites pas : Nous avons pour père Abraham ; " car Dieu est assez puissant pour faire sortir, de ces pierres, des enfants d'Abraham (8), " il montrait avec quelles pierres il voulait s'unir comme nourriture. Mais si l'humilité du repentir n'y prépare point, jamais cette union ne pourra s'accomplir, car il regarde de loin ceux qui s'élèvent (9).

1 Eph. IV, 2, 3.— 2 II Tim. II, 19. — 3 Matt. IV, 11. — 4 I Pierre, V, 5. — 5 I Tim. II, 5. — 6 I Cor. I, 27. — 7 Jean, I, 14. — 8 Matt. III, 8, 9. — 9 Ps. CXXXVII, 6.

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39. " Trouveras-tu au lion sa pâture, apaiseras-tu la faim du dragon ? " Ceci s'applique au démon. " Tu fouleras aux pieds le lion et le dragon (1), " à cause de ses perfidies et de sa rage. Tous ses anges sont donc comparés au lion et au dragon. Celui-là trouve leur pâture et apaise leur faim, qui livre à leur puissance tous les hommes convaincus d'impiété. Ceux-ci voudraient sans doute qu'on ignorât leur vie impie; mais en paraissant devant Dieu, ils ne peuvent plus échapper au pouvoir du démon et de ses anges, dont ils ont suivi les pernicieux conseils.

40. " Ils tremblent dans leurs cavernes, " pendant qu'ils préparent secrètement leurs embûches : s'ils ne tremblaient pas, qui pourrait leur résister ? Ils redoutent la puissance de Celui à qui ils disaient : " Pourquoi êtes-vous venu nous perdre avant le temps " ? Et s'il est vrai que jamais, sans sa permission, ils ne fussent entrés dans le corps des pourceaux (2), il est également certain que sans cette permission, ils ne pourraient nous faire aucun mal. Celui qui dispose de tout dans sa justice leur a donné ce pouvoir, pour nous éprouver, pour se venger, nous faire expier nos fautes, ou nous en faire subir le châtiment éternel. " Ils guettent leur proie, cachés au fond des forêts. " Jamais en eux l'amour du mal n'est en repos, même lorsque Dieu arrête leur malice. Les occasions charnelles sont comme la forêt ténébreuse où sont tendus leurs pièges ; ils épient ceux qui se laissent prendre à la loi de Dieu, ceux qui ne peuvent nier leurs péchés, et il les réclament comme leur pâture.

41. " Qui a préparé au corbeau sa nourriture, pendant que ses petits errent çà et là, et que cherchant à manger ils crient vers le Seigneur ? " C'est exactement la pensée contenue dans ces paroles d'un Psaume : " Les petits du corbeau poussent des cris vers lui (3)." Ce passage ne peut être pris en mauvaise part, puisqu'ils invoquent le Seigneur. Ils sont noirs, représentent les . pécheurs quine sont pas blanchis encore par la rémission des péchés; petits, parce qu'ils sont humbles; errants çà et là, ils ne connaissent pas encore la vérité qu'ils cherchent avec piété puisqu'ils crient vers le Seigneur. La nourriture peut être prépa rée au corbeau lui-même, car la prescience divine peut découvrir la conversion future de celui qui. ne s'humilie pas encore; mais ce sont les petits, c'est-à-dire les humbles, qui crient vers le Seigneur.

1 Ps. XC,13. — 2 Marc, I, 24; V, 11-13. — 3 Ps. CXLVI, 9.

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CHAPITRE XXXIX. — Interrogations du Seigneur à Job sur la nature et les propiétés de certains animaux.

1 " Sais-tu quand enfantent sur les rochers les chèvres sauvages, Tragelaphi ? " Ce mot vient de tragos, bouc, et de elaphos, cerf. Le tragélaphe est donc un animal qui tient du bouc et du cerf : il figure l'âme qui obéit à la loi de Dieu dans son coeur, mais qui sous l'impression des passions dont le bouc est l'image, sent encore dans ses membres une autre loi qui s’élève contre la loi de son esprit et qui la tient captive sous la loi du péché (1). Il enfante sur les rochers au temps marqué, s'il appuie ses actes de vertu sur les saintes Ecritures. C'est ainsi que vivent tranquilles au sein de l'espérance ceux dont la chair lutte contre l'esprit, et l'esprit contre la chair, jusqu'à ce qu'enfin, avec la rapidité du cerf, ils échappent aux ruses du serpent, vivent de l'esprit et obéissent à ses lois (2). Désormais le péché, dont le bouc est la figure, ne règne plus dans leur corps mortel, parce qu'ils n'en suivent plus les désirs déréglés (3). " As-tu observé l'enfantement des biches ? " Ce sont les sociétés des hommes vraiment spirituels, qui nous proposent avec un soin tout maternel l'imitation de leurs vertus. Ils n'ont point à craindre les captieuses doctrines du serpent, parce qu'ils s'appuient pour s'en défendre, sur Dieu et non sur eux-mêmes.

2. " As-tu compté les mois qu'elles portent leur fruit ? " Si les Eglises enfantent à la grâce, c'est par l'Evangile, que prêcha le Seigneur, pendant les mois destinés à sa mission de docteur, depuis son baptême jusqu'à sa Passion et son Ascension. " As-tu fait cesser leurs douleurs ?" C'était dans la douleur qu'on s'écriait " Mes bien-aimés, que j'enfante de nouveau jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous (4). " Ces douleurs sont apaisées après l'enfantement, c'est-à-dire quand ceux qui font ainsi gémir ont reçu la vérité en suivant l'impulsion donnée à leur conscience par la parole de Dieu.

3. " As-tu nourri leurs jeunes faons sans leur inspirer de crainte ? " nourri du lait des sacrements, les disciples exempts de l'esprit de frayeur? Car ils n'ont point reçu l'esprit de servitude pour secondaire par la crainte (5). " As- tu séparé d'elles leurs petits? " pour les abandonner en liberté dans les gras pâturages de la vie spirituelle.

1 Rom. VII, 22, 23. — 2 Gal. V, 17, 18. — 3 Rom. VI, 12. — 4 Gal. IV, 19.— 5 Rom. VIII, 15.

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4. " Leurs petits se sont échappés. " Ils ont bris, les liens de la concupiscence. " Ils grandiront en se nourrissant de froment ; " en recevant les leçons d'une sagesse plus parfaite, après le lait des premiers enseignements. " Ils s'en " iront et ne reviendront plus vers elles. " Ils sortiront des limites étroites de l'enseignement donné par les hommes à ceux qui débutent. Ils ne reviendront plus vers leurs mères, parce qu'ils n'auront plus besoin du lait de la doctrine des enseignements de leurs maîtres. Evidemment ces trois phrases ne doivent pas être sous forme d'interrogation.

5. " Quel est celui qui adonné à l'âne sauvage sa liberté ?" Je m'étonnerais que l'âne sauvage ne figurât point ici le petit nombre de ceux qui s'affranchissent du soin de toute affaire pour servir Dieu. " Qui a brisé ses entraves ? " les liens des affections charnelles et vulgaires.

6. " Je lui ai donné pour demeure le désert, et pour retraite les plaines arides. " C'est pour quoi il s'écrie : " Mon âme a soif de vous (1). "

7. " Il dédaigne le tumulte de la ville," que l'Ecriture appelle Babylone, et qui marche par la voie large de la perdition (2). " Et n'entend point les cris de l'exacteur. " Il ne doit rien à personne.

8. " Il contemple les montagnes où sont ses pâturages : " les beautés de la Révélation. " Et recherche les collines verdoyantes : " tout ce qui dure éternellement.

9. " Est-ce-toi que la licorne veut servir ? " celui qui s'enorgueillit ici-bas de son rang élevé? Le Christ a su soumettre de tels hommes à sa puissance, il les a établis ministres de son Eglise. Le mot grec employé, monokeros, signifie bien "Qui n'a qu'une corne; " il désigne les orgueilleux. " Viendra-t-il reposer dans son étable? " Comme on se repose sur l'humilité de Celui qui fut en naissant déposé dans une étable (3). On y est heureux du pardon de ses péchés, on y oublie les inquiétudes d'une conscience en désordre.

10. " Attachera-t-il son joug par des courroies? " Le joug doux à porter est attaché par des courroies, c'est-à-dire, il est annoncé par ceux qui domptent et mortifient la chair. C'est pourquoi Jean portait une ceinture de cuir (4), et non le fouet sanglant dont se frappent les pécheurs. " Et tracera-t-il les sillons dans ton champ ? " Il ouvrira le coeur du peuple docile

1 Ps. LXII, 2. — 2 Matt. VII, 18. — 3 Luc, n, 7. — 4 Matt. III, 4.

pour le mettre en possession du royaume de Dieu.

11. "Est-ce toi qui as mis ta confiance en lui, parce que sa force a été changée ? " Parce qu'il ne recherche pas dans l'Eglise ce qu'il avait recherché dans le monde, les vains honneurs et les louanges des hommes. " Lui confieras-tu tes travaux ? " Comme les lui confie celui dont l'Apôtre se dit l'ambassadeur, quand il exhorte au nom du Christ à se réconcilier avec Dieu (1).

12. " Crois-tu qu'il te rendra tes semailles ? " Il ne réclame rien au profit de sa puissance. Le mot semailles signifie ici l'action d'ensemencer. " Et qu'il les apportera dans ton aire ? " Il sera au nombre de ceux que le Seigneur chargea de prier le maître des récoltes pour envoyer des ouvriers à sa moisson (2). Il ne voudra point construire d'aire pour lui comme le chef des hérésies et des schismes, et tous ceux qui ne recherchent point la gloire de Dieu, mais leur propre gloire. Il serait bien difficile de conduire ainsi le rhinocéros; mais cette merveille s'accomplit dans le coeur des hommes par l'auteur de toutes les merveilles (3), par celui qui détruit tout raisonnement humain, toute hauteur élevée contre la science de Dieu, par celui qui réduit tous les esprits sous le joug de son obéissance (4).

13. " Le plumage de l'autruche se mêle aux ailes du héron et de l'épervier. " L'autruche, qui ne peut voler, est la figure des esprits lents. Ceux-ci néanmoins ont reçu assez de grâces de Celui qui a choisi les insensés de ce monde (5), afin qu'ils puissent marcher avec une vitesse égale à celle des plus belles intelligences, figurées par les deux autres espèces d'oiseaux. Tel est le sens de, ce passage.

14. " Elle abandonne ses veufs sur la terre. " Il commence par l'autruche, ou plutôt il parle de celui dont cet oiseau est la figure. Il ne pourrait avec ses lourdes ailes imiter le vol rapide des plus agiles, s'il ne laissait sur terre les premières espérances figurées par les oeufs. " Ils s'échauffent dans la poussière. " Quoiqu'il méprise désormais ce qu'autrefois il recherchait dans le monde, ce qu'il dédaigne prospère souvent à la faveur des amis du monde, comparés ici à la poussière.

15. " Elle oublie que le passant les dispersera ; que l'animal les foulera aux pieds. " Si l'envie de ses rivaux, ou la malice du siècle vient troubler et confondre ses espérances qui sont pour

1 II Cor, V, 60. — 2 Luc, X, 2. — 3 Ps. LXXI, 18. — 4 II Cor. X, 4, 6. — 5 I Cor. I, 27.

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lui comme les oeufs laissés à terre, il n'en a aucun souci, et reste insensible à la perte de ce qu'il a oublié.

16. " Elle se montre dure envers ses petits, comme s'ils n'étaient pas les siens. " Si , au lieu de ces espérances, désignées par les oeufs, il possède la réalité figurée par les petits éclos ; c'est-à-dire si la prospérité temporelle lui arrive, il méprise courageusement et repousse cette prétendue félicité, ne voulant pour lui que la véritable. " Et rend son travail inutile, sans aucune inquiétude. " Ceci a lieu avant sa conversion : alors il travaille avec l'espérance du siècle, sans rien recueillir, et ce qui est plus insensé encore, sans rien craindre, en se promettant l'incertain.

17. " Parce que Dieu lui a refusé la sagesse " et ne lui a pas donné l'intelligence. " Quoi de plus insensé que de mettre sa confiance dans la vanité et de travailler a acquérir des biens périssables, sans craindre de les perdre ? Tel est cependant le vice de beaucoup d'hommes habitués aux faveurs de la fortune, surtout si cette prospérité remonte à plusieurs générations : il leur paraît impossible d'arriver subitement à la misère. Ils occupent un rang distingué dans le monde; mais comme ils ne peuvent aller sur les ailes de leurs vertus converser dans le ciel, on ne saurait même les comparer qu'à l'autruche ; mais notez ce qui suit

18. " Au temps marqué, elle s'élèvera dans les airs, et se rira du cheval et de son cavalier. " Quand viendra la plénitude des temps (1), où il sera ordonné aux riches de n'être point orgueilleux, de ne point mettre leur confiance en des richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant (2), ils élèveront leur coeur au Seigneur, dédaigneront les tyrans superbes que Dieu aura précipités dans la mer. Alors les plumes de l'autruche se mêleront, en s'élevant vers le ciel, à celles des oiseaux plus agiles, et tout ce qui est dit de cet animal aura son accomplissement.

19. " As-tu donné la force au cheval? " On dirait ici le portrait du martyr, intrépide et ardent témoin de la foi qui nous sauve : sa force pourtant ne vient point de lui, c'est le Seigneur qui l'en a revêtu. " Lui as-tu appris à pousser ses hennissements ? " Revêtez-vous de toutes les armes de Dieu, afin de vous défendre au jour mauvais (3).

1 Gal. VI, 4. — 2 I Tim. XV, I7. — 3 Eph. VI, 11.

20. "L'audace est la gloire de son poitrail, " L'audace qui faisait parler et agir Isaïe (1). Notre gloire , c'est notre, conscience (2), quand elle trouve bonnes nos actions, afin que chacun ait de quoi se glorifier en lui-même et non dans un autre (3).

21. " Il s'avance avec orgueil dans la plaine. " Il marche au flambeau de la liberté; tressaillant de joie, parce que tes voies larges de la charité lui ont rendu le bien facile à accomplir. " Il marche plein de courage au combat. " Contre les épreuves de l'adversité,

22. " Il affronte les traits de l'ennemi. " Parmi ses armes est le bouclier de la foi, où viennent s'éteindre tous les traits enflammés de l'ennemi (4). " Et n'évite point le glaive. " Ou la mort visible elle-même, ou bien ces hommes opiniâtres à repousser la vérité, ardents à la persécuter. Il ne s'en détourne point, parce qu il lui est ordonne de les aimer.

23. " Sur lui l'arc et l'épée sont dans la joie. " Sa profession de foi annonce les châtiments encore invisibles dont Dieu menace de loin le pécheur; elle rend témoignage à la parole qui de près renverse toutes les erreurs. Il y a donc ici deux idées bien distinctes : la menace qui découvre dans l'avenir les châtiments du pécheur, c'est le trait que l'arc lance au loin; la parole qui dompte les passions du moment, c'est le glaive avec lequel on repousse de la main. " Effrayés à l'aspect de la lance et du javelot. " Comment se fait-il qu'effrayés par la lance et le javelot, l'arc et le glaive soient dans la joie? N'est-ce point parce que, s'il ne tremble, s'il ne redoute la mort éternelle dont frappe la justice divine, le martyr ne pourra affronter celle dont il est menacé par le tyran, ni confesser hardiment sa foi, ni prêcher avec confiance les vérités auxquelles ne pourront résister les ennemis? C'est ainsi que la parole de Dieu en lui se réjouit; il la publie en toute liberté, et pour annoncer aux impies la triste fin dont ils sont menacés, et pour condamner leurs iniquités présentes. Si les joies de l'espérance ne s'unissaient point en nous aux craintes de la damnation, elles dégénéreraient bientôt en une coupable sécurité, en une présomption téméraire, et il ne nous serait point dit par le Psalmiste : " Réjouissez-vous en lui avec tremblement (5). " Il s'indigne contre lui-même; il veut détruire les ardeurs de la concupiscence, et

1 Is. LXV, 1 ; Rom. X, 20. — 2 II Cor. I, 12. — 3 Gal, VI, 4. — 4 Eph. VI,16. — 5 Ps. II, 11.

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les craintes de la chair, qui nous font repousser les souffrances et les combats. C'est probablement en ce sens qu'il est dit: " Entrez en colère et ne péchez point (1). " C'est avec une salutaire indignation, qu'il doit se condamner lui-même et se dire : " Pourquoi es-tu triste, ô mon âme, et pourquoi me troubles-tu ? Espère en Dieu, car je veux le louer encore; " puis qu'il faut confesser de bouche pour obtenir le salut (2) . Puis le Psalmiste ajoute : " C'est mon Sauveur, c'est mon Dieu (3). — Il reste immobile en entendant le signal de la trompette. " Avant quel la tentation n'arrive, même lorsqu'il s'est affermi contre les défaillances de la nature,. il attend , car il ne faut pas s'engager facilement, à moins que le jour de l'épreuve ne l'ait dit.

25. " Mais lorsque la trompette a sonné la charge, il dit : Allons. " Lorsque le temps de la tentation arrivera, il sera content de lui-même, s'il se glorifie au sein de la tribulation, parce que la tribulation produit la patience , la patience, la pureté et d'espérance (4). Désormais il ne dira plus à son âme, en repoussant le mal : " Pourquoi me troubles-tu? " Mais heureux de sa victoire. il s'écriera : " O mon âme, loue le Seigneur (5). — De loin il flaire le combat. " Il n'a pas en vue,les persécuteurs; qu'il a sous les yeux; mais il flaire de loin ceux que son oeil ne pourrait découvrir; car il le sait, " Nous n'avons point à lutter contre la chair et le sang, mais contre les principautés et les puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits de malice répandus dans l'air (6). " Voilà le sens donné à ces mots

" De loin. " Il est dit: " Il flaire, " expression bien choisie, à cause du prince de la puissance répandue dans l'air. L'odorat perçoit toutes les odeurs bonnes ou mauvaises. Il flaire donc le combat, celui qui s'aperçoit que le prince des puissances de l'air agit sur les fils de la défiance 7. S'ils le poursuivent de leur haine ou veulent le faire tomber dans leurs pièges, il attend ces esprits méchants, les combat avec les armes spirituelles, et non avec les armes qui protègent le corps, car il ne lutte pas contre la chair et le sang, c'est-à-dire contre les hommes méchants et corrompus que son oeil peut apercevoir. " Le tonnerre et les clameurs des chefs. " Il faut sous-entendre : " il flaire. " Le tonnerre, je pense, est ici nommé, à cause de l'air où sont répandus

1 Ps. IV, 5. — 2 Rom. X, 10. — 3 Ps. XLI, 6,7. — 4 Rom. V, 3, 4. — Ps. CLV, 2. — 6 Eph. VI, 12. — 7 Ib. II, 2.

les esprits méchants. Ces esprits ne sont point appeles les maîtres du monde, comme s'ils gouvernaient le ciel et la terre; mais dans le sens indiqué par l'Apôtre. Afin qu'on n'entende point ainsi sa pensée, il explique aussitôt en quoi ils sont les maîtres du monde . " De ce monde de " ténèbres," c'est-à-dire des impies. A ceux d'entre eux qui s'étaient convertis au Seigneur il écrivait : " Vous étiez autrefois ténèbres, vous êtes " maintenant lumière dans le Seigneur (1). " Il dépend donc de chacun de nous d'être ou ténèbres ou lumière : toutefois l'homme est ténèbres par lui-même, par les péchés qu'il commet; tandis. qu'ils est lumière, non en lui-même mais dans le Seigneur, qui a répandu en lui une si vive lumière, que ses ténèbres. dit Isaïe, sont comme l'éclat du midi (2). Le Psalmiste dit aussi : " Vous éclairerez mes ténèbres, (3). " Ceux donc que l'Apôtre appelle les maîtres du monde, rectores, sont en ce passage appelés les chefs, duces. C'est sous leur conduite que les ténèbres, c'est-à-dire les impies, persécutent les justes, ceux qui souffrent persécution pour la justice, non ceux qui recueillent dans la souffrance les fruits de leur impiété ou de leur malice. Le martyr flaire les cris de ces chefs, non pas comme s'ils retentissaient à ses oreilles; c'est la foi qui les fait vibrer au fond de son coeur, et lui révèle toutes les manoeuvres secrètes du démon et de ses anges contre les serviteurs de Dieu. D'où cette parole de l'Apôtre : " Nous n'ignorons pas sa malice (4). " Mais à ces cris des chefs sont toujours fermées les oreilles des infidèles.

26. " Est-ce ta sagesse qui a donné à l'épervier son plumage? " comme la sagesse de Dieu, qui est le Christ, forme peu à peu en nous l'homme nouveau qui doit avoir sa conversation dans les cieux? " Il reste immobile, les ailes étendues, et les yeux fixés vers le midi. " La charité dégagée de tout bien charnel, s'attache à son double objet : il demeure inébranlable dans la foi, et loin de se confier en lui-même, il met en Dieu toutes ses espérances, rapportant tout à Celui dont l'amour embrase son coeur ; afin de conserver en lui tout son courage (5), il s'écrie : " Ne seras-tu pas soumise au Seigneur, ô mon âme? Il est mon refuge, oui, le Seigneur est mon refuge et m'on appui : je ne serai point ébranlé (6). "

21. " Est-ce à ton commandement que l'aigle

1 Ephés. V, 8. — 2 Is. LVIII, 10. — 3 Ps. XVII, 29. — 4 II Cor. II,11. — 5 Ps.LVIII,10. — 6. Ib.LXI, 2, 3.

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s'élèvera dans les nuées? " Comme le lui a commandé Celui qui a dit : " Et quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tout à moi (1). " Il allait mourir pour nous, et après sa résurrection monter au ciel : " Partout où sera le corps, dit-il, là se rassembleront les aigles (2). " Car il a rassasié de biens surnaturels celui dont la jeunesse se renouvellera comme celle de l'aigle (3). L'élévation de l'aigle peut se rapporter aussi à ce passage de saint Paul : " Si nous sommes " emportés comme hors de nous-même, c'est pour " Dieu; " comme le passage suivant relatif au vautour se rapporte à cet autre du même l'Apôtre " Si nous sommes plus retenus, c'est pour vous (4). " Le voici : " Et que le vautour attendra près de son nid perché sur les rochers? " Il n'exprime plus l'état d'une âme qui s'élève dans les contemplations d'un saint ravissement, mais le dévouement de celle qui, en des voies moins élevées, s'occupe avec patience du salut des hommes et qui veut que les impies morts à la grâce soient justifiés parla parole, comme dévorés par elle, pour entrer dans le corps de l'Eglise. On sait que le vautour se nourrit de cadavres. C'est pourquoi il est près de son nid où il dépose ses veufs, figure des oeuvres qu'il faut accomplir en cette vie. Il est " sur le rocher; " car après avoir dit : " Si nous sommes plus retenus, " c'est pour vous, " l'Apôtre ajoute immédiatement : " Car la charité du Christ nous presse (5). " " Or, la pierre était le Christ (6). — Il attendra immobile. " C'est bien la même pensée que dans ce passage : " Je me sens pressé des deux côtés je voudrais mourir et être avec Jésus-Christ, ce qui est sans contredit le meilleur, " et se rapporte à l'élévation de l'aigle. D'un autre côté, comme le vautour attendant près de son nid " Je veux vivre encore, ce qui est nécessaire pour vous (7). " Or, comme la pierre désigne encore l'Eglise tout entière, la pointe du rocher, c'est le chef de l'Eglise. Voilà pourquoi Simon fut appelé Pierre par Notre-Seigneur (8). Les expressions qui suivent expriment cette pensée

28. " Dans les cavités, sur la pointe des rochers. " La pointe désigne notre chef, le creux du rocher signifie la vie cachée en Dieu avec Jésus-Christ (9). " Et là il cherche sa proie, " selon ce qui fut dit à Pierre : " Tue et mange (10); " afin d'incorporer à l'Eglise ceux d'entre les Gentils qui devaient croire.

1 Jean, XII, 32. — 2 Matt. XXIV, 28. — 3 Ps. CII, 5. — 4 II Cor. V, 13. — 5 Ib. V, 13, 14. — 6 I Cor. X, 14. — 7 Philip. I, 23, 24. — 8 Marc, III, 16. — 9 Colos. III, 3. — 10 Act. XI, 7,

29. " Son regard plonge dans le lointain;

30. " Et ses petits roulent dans le sang, " L'espérance d'une vie immortelle dans le séjour de l'éternité dirige au loirs son intention, quoique ses actes extérieurs semblent se traîner dans les défaillances de la nature : le doute vient quelquefois l'agiter; l'ignorance, inhérente à l'esprit humain, l'empêche de voir le mérite réel que. Dieu attache à son dévouement et à son zèle; mais comme son regard découvre dans le lointain le salut éternel, il sait toujours agir avec une charité entièrement désintéressée. Et s'il a donné ses soins, distribué ses trésors à des hommes qui, en renonçant au démon, sont complètement morts au monde, il s'empresse autour d'eux par le ministère de la parole et multipliant ses discours, il unit au corps de l’Eglise ces hommes si bien disposés. Aussi est-il dit encore : " Ils apparaissent soudain, là où gisent les cadavres. "

31. " Alors le Seigneur répondit, et dit. " Si le Seigneur semble se répéter en parlant, c'est que Job, saisi de crainte à ces discours, est reste muet, et n'a osé rien répondre. Dans les deux versets qui suivent, Dieu l'engage à parler.

32. " Celui qui discute avec le Très-Haut sera-t-il en repos? " C'est-à-dire : Pourquoi gardes-tu le silence en discutant avec le Tout-Puissant ? " Celui qui osait reprendre Dieu lui répondra-t-il ainsi ? " C'est bien une interrogation, et voici le sens : Reprend-il Dieu, celui qui en discutant sait lui répondre ? On peut discuter avec le Tout-Puissant, en lui adressant ses questions, sans l'attaquer ni le réfuter. Ce n'est point parce qu'il est Tout-Puissant qu'il faut éviter toute discussion avec lui. On ne l'accuse pas non plus, si dans cette discussion on l'interroge comme la vérité même. Quant à ces paroles " Celui qui discute avec le Seigneur sera-t-il en repos ? " en voici donc le sens : puisque celui qui discute avec le Seigneur n'est pas en repos, il ne faut pas entrer en discussion avec lui pour se mettre en repos ensuite. Ordinairement celui qui discute propose quelques objections : or, celui qui en fait à Dieu ne peut être en repos, il ne peut trouver aucun repos, qu'en conformant ses pensées à la volonté de Dieu, sans rien contredire. Car "celui qui reprend Dieu lui répondra ainsi : " c'est-à-dire, s'il répond en discutant avec lui, c'est pour le reprendre, et il ne peut être en repos. D'où cette parole : " O (641) homme, qui es-tu, pour contester avec Dieu (1) ? " Toutefois Job avait-il agi ainsi ? Dieu ne l'avait point considéré comme un contradicteur, ainsi que l'avaient fait ses amis sans le comprendre, et il lui rend ce témoignage au commencement et à la fin du livre. Si donc il lui a adressé ces paroles, n'est ce point à cause du rôle tout spécial qu'il joue ici ? Il est la figure du corps de Jésus-Christ, de son Eglise, dont un grand nombre de membres sont faibles, et quoiqu'ils ne désespèrent point, ils sont sans cesse exposés à tomber. A peine osent-ils avancer : leurs pas sont peu multipliés, et la tranquillité du pécheur excite leur envie. Ils disent : " Dieu les voit-il? " le Très-Haut en a-t-il connaissance ? Voilà que " ces impies, ces heureux du siècle accroissent " leurs richesses. C'est donc en vain que j'ai purifié mon coeur, et lavé mes mains dans l'innocence : j'ai été flagellé durant tout le ,jour et " condamné dès le matin (2). " De là cette réponse de Job dans les deux versets suivants.

33. " Job alors répondit :

34. " Pourquoi donc être jugé, après avoir entendu ces avertissements et ces reproches du Seigneur, puisque je ne suis rien ? " C'est-à-dire, pourquoi demanderais-je à être jugé, puisque le Seigneur m'arrête et me condamne, si, je veux le contredire ? " Après avoir entendu ces reproches. " C'est-à-dire, j'ai compris

1 Rom. IX, 20. — 2 Ps. LXXII, 2-14

combien il a été envers moi juste et miséricordieux, puisque par moi-même je ne suis que néant. "Que lui répondrai je ? " Que pourrai-je opposer à la vérité ? " Je porterai ma main à ma bouche ; " je saurai me contenir et m'empêcher de parler.

. 35. " Je n'ai parlé qu'une seule fois ; je n'ajouterai plus rien. " S'il n'y a pas un. sens caché dans cette phrase, comment Job peut-il dire qu'il n'a parlé qu'une seule fois, puisque tant de fois il a pris la parole ? Comment dit-il qu'il ne la reprendra plus, puisqu'il va encore parler? La parole doit ici s'entendre de la disposition de l’âme qui, recherchant les objets extérieurs, abandonne son Dieu et ose lui résister. Et quand elle s'y précipite avec plus d'ardeur, l'Ecriture appelle son action un cri. Ainsi le Seigneur dit que le cri de Sodome est monté vers lui (1). A cette parole, à ce cri est opposé le saint et pieux silence dont il est dit : Il sera dans le silence, exempt de toute crainte, loin de tout péché. Job a donc raison de dire qu'il n'a parlé qu'une seule fois, toujours le même langage dans toute sa vie de vieil homme, alors qu'il n'était qu'un souffle qui va et ne revient plus (2). Maintenant qu'il met la main à la bouche pour ne plus parler, il promet de ne rien ajouter à ce langage d'autrefois, pour ne plus se séparer de Dieu. Ainsi-soit-il.

1 Gen. XVIII, 20. — 2 Ps. LXXVII, 39.

Cette traduction est due à M. l'abbé JOYEUX.

FIN DU TOME QUATRIÈME.