HOMÉLIES SUR LA CROIX ET LE BON LARRON

 

 

 

PREMIÈRE HOMÉLIE. Du second avènement du Christ ; — de la nécessité de prier souvent pour ses ennemis. *

DEUXIÈME HOMÉLIE. *

HOMÉLIE SUR LA RÉSURRECTION DES MORTS (1). *

HOMÉLIE CONTRE CEUX QUI S'ENIVRENT ET SUR LA RÉSURRECTION. Prononcée le jour de Pâques. *

HOMÉLIE POUR LE JOUR DE L'ASCENSION. *

HOMÉLIES SUR LA PENTECOTE *

PREMIÈRE HOMÉLIE. Pourquoi il ne se fait plus de miracles, et sur cette pensée qu'il y a un livre où sont inscrites nos actions et nos pensées. *

DEUXIÈME HOMÉLIE (1). *

 

 

 

PREMIÈRE HOMÉLIE. Du second avènement du Christ ; — de la nécessité de prier souvent pour ses ennemis.

AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

Nous ferons ici les mêmes remarques que pour les homélies sur la trahison de Judas. Saint Jean Chrysostome prononça d'abord une de ces homélies un jour de vendredi saint, puis, quelques années plus tard, ayant à prêcher à pareil jour, il la donna de nouveau après l'avoir retouchée et un peu modifiée dans certains endroits, mais surtout au commencement. — Non-seulement on remarque la même disposition, mais le plus souvent les expressions ne sont pas changées et les passages de la sainte Ecriture sont cités dans le même ordre dans les deux homélies. Laquelle fut prononcée la première ? C'est ce que rien ne fait conjecturer. Celle que nous donnons ici en premier lieu, d'après Henri Savilius, est de beaucoup la plus courte. Autrement elles sont absolument semblables, à une seule exception prés. C'est un passage qu'on lit au paragraphe 5 et qui dans l'une est ainsi conçu : Imitons le Seigneur et prions pour nos ennemis; je vous répète la même exhortation et pour la cinquième fois je reviens sur le même sujet. Tandis que dans l'autre on lit : Imitons le Seigneur et prions pour nos ennemis; je vous répète aujourd'hui ce que je vous ai dit hier, à cause de l'importance du sujet.

Dans la première il parlait pour la cinquième fois de la prière pour ses ennemis; dans la seconde, c'était pour la seconde fois. Cette variété s'explique facilement par la différence des années où ces homélies furent prononcées. Remarquons aussi que ces paroles : Je vous répète aujourd'hui ce que je vous ai dit hier, ne prouvent nullement que le même sujet n'avait pas été traité les jours précédents.

Dans les deux discours sur la trahison de Judas, qui précédent d'un seul jour ceux sur la croix et le bon larron, saint Chrysostome s'exprime ainsi : C'est le quatrième jour que je vous entretiens de la prière pour nos ennemis, Or, ces deux discours furent prononcés le jeudi saint, mais à plusieurs années d'intervalle, comme nous l'avons dit dans l'avertissement qui les précède. Dans tous les deux il est dit que c'est pour la quatrième fois qu'on exhortait à prier pour ses ennemis, tandis que, dans les deux suivantes, c'était pour la cinquième fois. A moins qu'on ne prétende que l'homélie sur la croix, où il n'est fait mention que de l'exhortation de la veille, ne doive suivre ni l'une ni l'autre des homélies sur la trahison de Judas, auquel cas il faudrait la reporter à une autre année.

Mais nous n'oserions regarder comme certaine cette manière de juger. Pour le temps et l'année où ces deux homélies ont été prononcées il faut voir ce que nous avons dit à propos de celles sur la trahison de Judas.

1° Saint Jean Chrysostome fait voir l'excellence de la croix: elle a été l'autel où Notre-Seigneur a consommé son sacrifice, elle nous a ouvert le ciel. — 2° Tout notre bonheur vient donc de la croix, de ce nouvel autel où Jésus-Christ, prêtre selon l'esprit et victime selon la chair, s'est immolé pour nous, de cette clef, qui dès le jour même ouvrit le paradis, afin qu'un voleur y entrât le premier. — 3° Il s'étend beaucoup sur la conduite du bon larron dont il relève le courage et la foi.— 4° Il dit de la croix qu'elle paraîtra au dernier jour portée par les anges et les archanges et plus éclatante que le soleil.

5° Passant à la nécessité de prier pour ses ennemis il exhorte les chrétiens à imiter le Sauveur qui pria pour ses ennemis, et à se conformer à l'avertissement de saint Paul qui nous dit d'être ses imitateurs comme il l'est lui-même de Jésus-Christ. — Il y a plus; dans la loi ancienne où la grâce était moins abondante, Moïse, David et Samuel ont prié pour leurs ennemis. — Marchons donc sur leurs traces.

1. Aujourd'hui Notre-Seigneur Jésus-Christ est sur la croix, et nous sommes en fête pour vous apprendre que la croix est un sujet de fête et de réjouissance spirituelle. Autrefois, la croix était le symbole de la condamnation maintenant elle est devenue un signe d'hon rieur. Auparavant c'était un instrument de mort, aujourd'hui c'est la cause du salut. En effet, elle a été pour nous la source de biens innombrables : c'est elle qui nous a délivrés de l'erreur, qui nous a éclairés alors que nous étions dans les ténèbres; vaincus par le démon, elle nous a réconciliés avec Dieu; ennemis, elle nous a rendus amis; éloignés, elle nous a rapprochés. Elle est la destruction de l'inimitié, la garantie de la paix, et le trésor de tous les biens. (216) Grâce à elle, nous n'errons plus dans les déserts, car nous connaissons la véritable voie; nous n'habitons plus hors du royaume, nous avons trouvé la porte, nous ne craignons plus les traits enflammés du démon, nous avons aperçu une source rafraîchissante. Par la croix, nous ne sommes plus dans le veuvage, nous avons reçu l'Epoux, nous ne redoutons pas le loup, nous avons le bon Pasteur : Je suis le bon Pasteur, dit-il. (Jean, X, 11.) Par elle nous ne craignons pas le tyran, nous sommes à côté du roi, et voilà pourquoi nous sommes en fête en célébrant la mémoire de la croix. De même autrefois saint Paul ordonna de solenniser la fête de la croix : Célébrons celte fête, dit-il, non avec le vieux levain, mais avec les pains sans levain de la sincérité et de la vérité. (I Cor. V, 8.) Et pour donner les motifs de son exhortation il ajoute : Parce que le Christ, notre pâque, a été immolé pour nous. Voyez-vous pourquoi il ordonne de célébrer une fête à cause de la croix? C'est parce que le Christ a été immolé sur la croix; parce que là où est le sacrifice, là aussi se trouve l'abolition des péchés, là aussi la réconciliation avec le Seigneur, là enfin la fête et la joie : Le Christ, notre pâque, a été immolé pour nous. Où, je vous le demande, a-t-il été immolé? sur un gibet élevé. L'autel de ce sacrifice est nouveau, parce que le sacrifice lui-même est nouveau et prodigieux. Le même Christ était prêtre et victime : victime selon la chair, prêtre selon l'esprit. Il offrait et il était offert selon la chair.

Apprenez comment saint Paul annonce ces deux choses : Tout pontife, dit-il, est pris d'entre les hommes et est établi pour les hommes ; c'est pourquoi il est nécessaire qu'il ait quelque chose qu'il puisse offrir. Notre-Seigneur s'offre lui-même. (Héb. VI, 1 ; VIII, 3.) Ailleurs encore il dit : Jésus-Christ a été offert une fois pour effacer les péchés de plusieurs, et la seconde fois il apparaîtra pour le salut de ceux qui l'attendent. (Héb. IX, 28.) Il a été offert d'abord, puis il s'est offert. Voyez-vous comment il a été victime et prêtre, et comment la croix a été son autel? Et pourquoi, direz-vous, la victime est-elle offerte hors de la ville et des murailles et non dans le temple? C'était pour l'accomplissement de cette parole : Il a été mis au nombre des scélérats. (Isaïe, LIII, 12.) Pourquoi est-elle immolée sur un gibet élevé et non sous un toit? Pour purifier l'air : c'est la raison par laquelle il choisit un lieu élevé d'où il ne soit pas dominé par un toit, mais par le ciel seul. L'air était purifié, puisque l'agneau était immolé en haut lieu , la terre l'était également, car elle était arrosée par le sang qui coulait de son côté. Il ne voulut pas être sous un toit ni dans le temple des Juifs, dans la crainte que ces derniers ne s'appropriassent exclusivement cette victime, et qu'on ne crût qu'elle était offerte seulement pour leur nation. Ce fut en dehors de la ville et des murailles, pour nous apprendre que c'était un sacrifice universel, une oblation pour la terre entière; enfin, une purification générale et non particulière comme celle qui avait lieu chez les Juifs. Dieu ordonna aux Juifs de venir de tous les points de la terre pour lui offrir des victimes et des prières dans un seul lieu, parce que toute la terre était souillée par la fumée, l'odeur et toutes les autres impuretés des sacrifices des païens répandus à sa surface. Nous, au contraire, nous pouvons prier en tout lieu depuis que le Christ par sa venue a purifié l'univers. C'est pourquoi saint Paul exhortait en ces termes les fidèles à prier partout sans crainte : Je veux que les hommes prient en tout lieu, levant des mains pures. (I Tim. II, 8.) Comprenez-vous que l'univers a été purifié, puisqu'en tout lieu on peut lever des maint;., pures? que toute la terre a été sanctifiée, et rendue plus sainte que n'était l'intérieur des temples, puisqu'on n'y offrait qu'un animal, saris intelligence, tandis que nous avons une victime spirituelle. — Or, la sanctification est d'autant plus complète que le sacrifice est d'un plus grand prix.

De là la solennité de la croix.

2. Voulez-vous connaître un autre effet remarquable de la Croix? Elle nous a ouvert en ce jour le paradis fermé depuis cinq mille ans et plus : car c'est en ce jour, à cette heure, que Dieu y a introduit le bon larron, nous apprenant ainsi deux choses bien importantes, savoir, que le ciel était ouvert et qu'un larron y avait été reçu. Aujourd'hui le Seigneur nous a rendu notre antique patrie, aujourd'hui, il nous a ramenés dans la cité de nos pères et il a ouvert un asile à toute la nature humaine. Aujourd'hui, dit-il, tu seras avec moi en paradis. (Luc, XXIII, 43.) Que dites-vous, ô mon Sauveur? Vous êtes crucifié, attaché avec des clous, et vous promettez le paradis? Sans doute, nous répond-il, car je veux vous apprendre quelle puissance j'ai sur la croix. Pour vous (217) distraire du triste spectacle de la croix par la puissance du Crucifié, il opère sur la croix même ce miracle qui manifeste le plus sa vertu surnaturelle. Ce n'est pas en ressuscitant les morts, en commandant aux vents et à la mer, en mettant en fuite les démons, mais sur la croix, alors qu'il était percé de clous, couvert d'outrages, de crachats, d'insultes , accablé d'opprobres, qu'il peut changer l'âme perverse du larron ; et afin que de toutes parts éclatât sa puissance, il ébranlait en même temps la nature entière, il brisait les rochers, il attirait et glorifiait l'âme du bon larron plus dure que la pierre, car il lui dit : Aujourd'hui tu seras avec moi en paradis. — Sans doute les chérubins gardaient le paradis, mais il est le maître des chérubins; ils étaient armés d'un glaive de feu, mais il a tout pouvoir sur le feu et sur l'enfer, sur la vie et sur la mort. A-t-on jamais vu un roi permettre à un voleur ou à tout autre de ses serviteurs de s'asseoir à ses côtés pour entrer dans sa ville? Le Christ l'a fait et en entrant dans la Patrie sainte, il introduit un voleur à ses côtés. N'allez pas croire que par cet acte il ait méprisé le paradis, il l'ait déshonoré par les pas de ce voleur; au contraire, il l'a honoré, car c'est une gloire de plus pour le ciel d'appartenir à un Maître qui puisse rendre un voleur digne du bonheur qu'on y goûte. Et lorsqu'il introduisait les publicains et les femmes pécheresses dans le royaume des cieux, ce n'était point un déshonneur mais bien une gloire pour ce royaume, car il montrait ainsi que le Maître de ce royaume était si puissant qu'il pouvait changer les publicains et les femmes pécheresses au point de les rendre dignes d'une telle gloire et d'une telle récompense. Car, de même que nous admirons surtout un médecin lorsque nous le voyons rendre la santé à des hommes atteints de maladies incurables, ainsi est-il juste d'admirer Notre-Seigneur quand il guérit des blessures désespérées, quand il ramène le publicain et la femme pécheresse à un tel état de santé spirituelle qu'ils sont trouvés dignes du ciel.

Mais, me demandez-vous, qu'a donc fait de si grand le larron pour passer instantanément de la croix dans le ciel? Je vais vous démontrer en peu de mots son mérite. Tandis que Pierre reniait au pied de la. croix, lui confessait sur la croix, ce que je dis, non pour accuser saint Pierre, Dieu m'en garde ! mais pour vous donner une preuve de la vertu du larron. Le disciple ne résiste pas aux menaces d'une jeune fille sans importance, le voleur, au contraire, à la vue de tout le peuple qui l'environne en criant, en lançant les blasphèmes, les insultes, ne s'émeut pas, ne songe pas au déshonneur actuel du Crucifié, mais s'élevant plus haut avec les yeux de la foi, il ne fait nulle attention à ces vils obstacles, il reconnaît le Maître des cieux et se prosternant en esprit devant lui il disait: Souvenez-vous de moi, Seigneur, lorsque vous serez dans votre royaume. (Luc, XXIII, 42.) Ne nous hâtons pas trop de quitter ce voleur et ne rougissons pas de nous instruire à l'école de celui que Notre-Seigneur ne rougit pas d'introduire le premier dans le ciel. N'ayons pas honte de prendre pour maître celui qui avant toutes les autres créatures terrestres parut digne de la cité du ciel, mais faisons ressortir avec soin tous les détails de sa conduite, afin d'apprendre la vertu de la croix. Le Seigneur ne lui dit point comme à Pierre : Viens à ma suite et je te ferai pêcheur d'hommes. (Matth. IV 19.) Il ne lui dit pas comme aux douze : Vous serez assis sur douze trônes, jugeant les douze tribus d'Israël. (Matth. XIX, 28.) Il ne l'honora pas même d'une parole. Il ne lui montra pas de miracles, il ne lui fit pas voir les morts ressuscités, les démons mis en fuite, la mer soumise, il ne lui parla ni du royaume des cieux ni de l'enfer, et cependant il le confessa avant tous les autres, malgré les insultes de son compagnon. L'autre voleur, en effet, insultait le Sauveur , c'est qu'il y avait encore un voleur crucifié avec Notre-Seigneur, afin que fût accomplie cette parole : Il a été mis au rang des scélérats. (Is. LIII, 12.) Les Juifs voulaient ainsi obscurcir sa gloire et ils l'insultaient dans tout ce qu'ils faisaient, mais la vérité brillait de toutes parts et les obstacles ne servaient qu'à la rendre plus éclatante. Donc, l'autre voleur insultait. Voyez-vus ces deux voleurs? Tous deux sont sur la croix, tous deux pour leurs brigandages, tous deux pour leurs crimes. Mais tous deux n'atteignent pas la même fin. L'un a reçu en héritage le royaume des cieux, l'autre a été précipité en enfer. C'est ainsi qu'hier déjà nous distinguions le disciple et les disciples, Judas et les onze. Ces derniers disaient ; Où voulez-vous que nous préparions ce qu'il faut pour manger la pâque? Judas au contraire se disposait à trahir et disait : Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai. Les uns se (218) préparaient à servir et à être initiés aux saints mystères, l'autre avait hâte de trahir son Maître. De même aujourd'hui, nous voyons deux voleurs, mais l'un insulte, l'autre adore, le premier blasphème, celui-ci bénit et il reprend le blasphémateur en ces termes: Tu ne crains donc pas Dieu? Car nous souffrons la peine que nos crimes ont méritée. (Luc, XXIII, 40, 41.)

3. Avez-vous vu la foi du bon larron? Avez-vous remarqué sa foi sur la croix, sa sagesse dans le supplice, sa piété dans les tourments? Qui ne s'étonnerait de voir qu'il a conservé sa présence d'esprit, qu'il ne s'est pas évanoui étant percé de clous? Non-seulement il se possédait parfaitement, mais oubliant ses propres intérêts il s'occupait des affaires des autres, enseignant sur la croix et réprimandant en ces termes : Ne crains-tu donc pas Dieu. Ne t'arrête pas, dit-il à son compagnon, à ce tribunal de la terre, il est un autre juge invisible, un tribunal inaccessible à la corruption. Ne sois pas troublé de ce que cet homme a été condamné ici-bas, les jugements de Dieu diffèrent de ceux-ci. A ce tribunal terrestre, les justes sont quelquefois condamnés et les méchants échappent au châtiment, les coupables sont absous et les innocents dévoués au supplice. C'est que les juges ont beau faire, ils se trompent souvent, et souvent aussi, soit surprise et ignorance du bon droit, soit avec connaissance de cause, parce qu'ils étaient gagnés par argent, ils ont trahi la justice. Là haut, il n'en est pas ainsi, car Dieu est juste juge et son jugement paraîtra comme la lumière sans que les ténèbres ou l'ignorance puissent l'obscurcir. Ainsi, dans la crainte qu'il ne lui objectât la condamnation qui pesait sur le Sauveur, il le conduisit au tribunal du souverain juge, lui rappelant ce tribunal redoutable, comme s'il lui eût dit: "Regarde plus haut et tu ne seras pas ému par ce qui vient de se passer, tu ne seras plus ici-bas avec des juges corrompus; mais tu en appelleras avec confiance au jugement d'en-haut. " Quel raisonnement chez ce voleur? Quelle prudence ? Quelle sagesse? Aussitôt il passa de la croix dans le ciel. Puis, afin de fermer la bouche à son compagnon par un argument sans réplique, il lui disait : Ne crains-tu donc pas Dieu ? Car nous sommes sous le poids de la même condamnation. (Luc, XXIII, 40.) Comment cela? Nous sommes en effet livrés au même supplice. N'es-tu pas toi aussi sur la croix? Lors donc que tu l'insultes, c'est toi-même que tu attaques. De même que celui qui est en faute s'accuse le premier en accusant ceux qui sont dans le même cas que lui, ainsi celui qui est dans le malheur se condamne en faisant aux autres un crime de leur infortune. Car nous sommes sous le poids de la même condamnation. Et lui lit la loi de l'apôtre exprimée par ces paroles de l'Evangile : Ne jugez pas afin que vous ne soyez point jugés. (Matth. VII, 1.) Car nous sommes sous le poids de la même condamnation. Que fais-tu, ô larron ? En t'efforçant de plaider la cause du Sauveur ne te rends-tu pas complice des insultes de ton compagnon ? Non, nous répondil; ce qui suit ne laisse pas de doute à cet égard; car dans la crainte qu'on ne s'imagine que de la parité du supplice il conclut à la parité des fautes, il rectifie ainsi ses premières paroles : Nous du moins, nous sommes punis justement, puisque nous souffrons la peine que nos crimes ont méritée. (Luc, XXIII, 41.) Voyez-vous la confession parfaite ? Voyez-vous comment sur la croix il s'est déchargé de ses fautes? Car il est écrit : Commence par confesser toi-même tes fautes afin que tu sois justifié. (Is. XLIII, 26.) Personne ne l'a forcé, personne ne lui a fait violence, mais il s'est fait connaître volontairement en disant : Nous du moins nous sommes punis justement, puisque nous souffrons la peine que nos crimes ont méritée; mais lui n'a fait aucun mal (Luc, XXIII, 41, 42), et il ajoute ensuite : Souvenez-vous de moi, Seigneur, dans votre royaume. Il n'a pas osé dire : Souvenez-vous de moi dans votre royaume avant d'avoir déposé par la confession, le fardeau de ses péchés. Comprenez-vous maintenant le prix de la confession? Le larron se confessa et il ouvrit le ciel; il se confessa et il acquit une telle confiance qu'ayant à peine cessé d'être voleur il demanda le ciel. De quels biens la croix n'a-t-elle pas été pour nous la source? Vous prétendez à un royaume, mais qu'est-ce qui l'indique? Des clous, une croix, voilà ce qui nous apparaît; mais cette croix est désormais un signe de royauté. J'appelle Jésus-Christ roi, parce que je le vois crucifié car c'est le propre d'un roi de mourir pour ses sujets. Lui-même a dit : Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis (Jean, X, 11), donc aussi le bon roi donne sa vie pour ses sujets. Et parce qu'il a donné sa vie, je l'appelle roi. Souvenez-vous de moi, Seigneur, dans votre royaume.

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4. Voyez-vous comment la croix est le symbole de la royauté? En voulez-vous d'autres preuves? Le Sauveur ne la laissa pas sur la terre, mais il l'emporta avec lui et la plaça dans le ciel. D'où tirons-nous cette conclusion? De ce qu'il viendra avec elle dans son second et glorieux avènement pour nous apprendre combien la croix est honorable. C'est pourquoi il l'a appelée du nom de gloire. Mais voyons comment il viendra avec la croix, car il est nécessaire de vous l'expliquer. Si on vous dit: Voici le Christ dans le lieu le plus retiré de la maison, le voilà dans le désert, n'y allez pas (Matth. XXIV, 26), parlant ainsi de son second et glorieux avènement à cause des faux christs et des faux prophètes, à cause de l'antéchrist, de peur qu'on ne se laisse séduire par lui. Comme l'antéchrist doit venir avant le Christ, il ne faut pas qu'en cherchant le pasteur on tombe sur le loup, voilà pourquoi on vous donne un signe de (arrivée du pasteur. De ce que le premier avènement fut secret, il ne voulait pas nous laisser conclure qu'il en serait de même du second, c'est pourquoi il nous a donné ce signe. Ce fut avec raison que le premier avènement fut caché, car il s'agissait de rechercher ce qui avait péri : dans le second il n'y a rien de semblable. Comment, je vous prie? Comme la foudre part de l'Orient et apparaît en Occident, ainsi en sera-t-il de l'arrivée du Fils de l'homme. Sur-le-champ il apparaîtra aux yeux de tous et personne n'aura besoin de demander si le Christ est ici ou là? Quand la foudre brille il n'est pas nécessaire de s'informer si c'est bien elle, ainsi à l'arrivée du Christ il ne sera pas besoin de demander s'il est venu. Mais ce que nous voulons savoir, c'est si le Christ viendra avec sa croix, car nous n'avons pas oublié ce que nous avons promis de vous démontrer. Ecoutez donc ce qui suit: Alors, dit-il, alors, quand cela? Lorsque le Fils de l'homme viendra, le soleil s'obscurcira et la lune ne donnera plus sa clarté. Il y aura en effet une telle abondance de lumière que les étoiles les plus brillantes seront obscurcies. Alors les étoiles tomberont, alors l'étendard du Fils de l'homme apparaîtra dans le ciel. Quelle vertu de l'étendard de la croix! Le soleil sera obscurci et la lune ne paraîtra plus, mais la croix apparaît et brille pour nous apprendre qu'elle est plus éclatante que le soleil et que la lune. Et de même qu'à l'entrée d'un roi dans une ville, ses soldats marchent en avant portant sur leurs épaules ses étendards, pour annoncer qu'il s'avance, ainsi quand le Seigneur descendra des cieux il sera précédé par la multitude des anges et des archanges, portant, eux aussi sur leurs épaules, les étendards de leur roi et nous annonçant d'avance son approche : Alors les vertus des cieux seront ébranlées. Il s'agit des anges; ils seront saisis de frayeur et d'une grande crainte. Et pourquoi, je vous le demande? C'est que ce jugement sera terrible. Car toute la nature humaine doit être jugée et comparaître devant ce juge redoutable. Mais pourquoi cette crainte et cette terreur des anges, puisqu'ils ne doivent pas être jugés ! Quand un juge siège à son tribunal, non-seulement les coupables, mais les soldats qui lui font cortège, malgré leur innocence, sont saisis de crainte et d'effroi en présence de la Majesté du juge ; ainsi lorsque notre nature sera jugée, les anges, malgré leur pureté, craindront à cause de l'extrême frayeur qu'inspirera le juge. Mais pourquoi la croix apparaîtra-t-elle alors? Pourquoi Notre-Seigneur viendra-t-il avec elle? — Afin que ceux qui l'ont crucifié reconnaissent leur ingratitude et leur malice, il leur fournira la preuve de leur impudence. Et si vous doutez qu'il doive en être ainsi, écoutez le prophète: Alors les tribus de la terre pleureront en voyant leur accusateur et en reconnaissant leur péché. Et pourquoi s'étonner qu'il vienne avec sa croix, puisqu'il doit montrer alors ses blessures: car il est écrit: Ils verront celui qu'ils ont percé. (Zach. XII, 10.) De même que pour vaincre l'incrédulité de son disciple, il montra à Thomas la marque des clous et ses blessures en disant : Porte ici ta main et considère qu'un esprit n'a ni chair ni os (Jean, XX, 27 ; Luc, XXIV, 39) ; ainsi montrera-t-il alors ses blessures et sa croix pour prouver que c'est bien lui qui a été crucifié.

5. Ce n'est pas seulement la croix, mais les paroles prononcées sur cette croix, qui nous montrent une immense bonté. En effet, crucifié, bafoué, moqué, conspué, il disait : Père, pardonnez leur péché, car ils ne savent ce qu'ils font. (Luc, XXIII, 34.) Et crucifié il prie pour ses bourreaux, tandis qu'on lui répond : Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix et nous croirons en toi. (Matth. XXVII, 40 et 42.) Mais précisément parce qu'il est Fils de Dieu, il ne descendit pas de la croix et c'est pour cela (220) encore qu'il est venu afin d'être crucifié pour nous: Descends de la croix, lui disent-ils, et nous croirons en toi. — Vains prétextes d'incrédulité. Car il était beaucoup plus difficile de sortir d'un tombeau scellé par une pierre que de descendre de la croix; c'était beaucoup plus de tirer du sépulcre Lazare mort depuis quatre jours et enveloppé d'un linceul, que de descendre de la croix. — Ils disaient donc : Si tu es le Fils de Dieu, sauve-toi toi-même; mais il était tout entier au salut de ceux-là même qui le chargeaient d'insultes, et il disait : Pardonnez leur péché, car ils ne savent ce qu'ils font. (Luc, XXIII, 34.) Quoi donc? Les a-t-il absous de leur péché? Il l'aurait fait s'ils eussent voulu faire pénitence. La preuve, c'est que s'il n'eût pas pardonné leur péché, jamais Paul n'eût été apôtre. S'il n'eût pas pardonné leur péché, on n'en aurait pas vu et trois mille, et cinq mille et plusieurs milliers d'autres venir à la foi. Au sujet de ces milliers de Juifs qui ont cru, écoutez ce que les autres apôtres disent à Paul : Vous voyez, frère, combien de milliers de Juifs ont cru. (Act. XXI, 20.)

Imitons donc le Seigneur et prions pour nos ennemis. Je reviens à la même recommandation et c'est le cinquième jour que je vous entretiens du même sujet, non que je veuille vous accuser de désobéissance, Dieu m'en garde ! mais dans l'espérance que vous vous rendrez à mes avis. S'il y en a parmi vous qui soient durs, colères, rancuniers au point de n'avoir pas tenu compte jusqu'ici de ce que nous avons dit de la prière pour nos ennemis, nous espérons que, touchés du nombre de jours que nous avons employés à ce sujet, ils déposeront leurs inimitiés et leurs haines. Imitez le Seigneur. Il a été crucifié et il a invoqué son Père pour ceux qui le crucifiaient. Mais, direz-vous, comment puis-je imiter le Seigneur? Vous le pouvez, si vous voulez, car si la chose était au-dessus de vos forces il ne vous aurait pas dit : Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur. (Matth. XI, 29.) Si la chose était au-dessus de vos forces, saint Paul ne vous crierait pas : Soyez mes imitateurs, comme je suis celui du Christ. (I Cor. XI, 1.) Si vous ne voulez pas imiter le Seigneur, imitez au moins votre semblable, l'apôtre saint Etienne; car il a imité le Seigneur celui-là ! Et de même que le Christ au milieu de ses bourreaux, oubliant la croix, oubliant ses propres intérêts, priait son Père pour ceux qui le crucifiaient; ainsi le serviteur, entouré de ceux qui le lapidaient, attaqué de toutes parts, exposé aux pierres sans songer à la douleur dont il était accablé, disait : Seigneur, ne leur imputez pas ce péché. (Act. VII, 59.) Voyez-vous comment parle le Maître? comment prie le serviteur? Le premier dit : Père, pardonnez leur péché, car ils ne savent ce qu'ils font. (Luc, XXIII, 34.) Le second, de son côté : Ne leur imputez point ce péché. — Et pour nous convaincre de l'ardeur avec laquelle il prie, il n'est pas debout, quoique accablé de pierres, mais il se tient à genoux, avec componction et une grande compassion. Faut-il vous montrer un autre de vos frères souffrant des tourments encore bien plus graves que celui-là? Ecoutez Paul : Trois fois j'ai été battu de verges par les Juifs, j'ai été lapidé une fois, j'ai passé un jour et une nuit au fond de la mer. (II Cor. XI, 24, 25.) Et ensuite: Je souhaitais, continue-t-il, d'être anathème pour mes frères, mes parents selon la chair. (Rom. IX, 3.) Mais laissons le Nouveau Testament, et passons à l'Ancien. Les exemples qu'il nous fournit sont d'autant plus admirables qu'il n'y était pas ordonné d'aimer ses ennemis, mais qu'il était permis d'appliquer la maxime : Oeil pour oeil, dent pour dent (Exod. XXI, 24, 25), et ainsi de rendre le mal pour le mal. Nous y trouvons néanmoins une perfection qui égale celle des apôtres. Ecoutez Moïse si souvent lapidé et méprisé par les Juifs : Si vous leur pardonnez leur faute, faites-moi miséricorde, mais si vous ne leur pardonnez pas, effacez-moi de votre livre que vous avez écrit. (Ex. XXXII, 31, 32.) Voyez-vous comment ces justes préfèrent le salut des autres à leur propre salut. Ils n'ont pas péché et ils veulent partager le châtiment de leurs frères, parce que, disent-ils, le malheur des autres ne leur permet pas de jouir de leur prospérité. Ces exemples devraient suffire, mais afin que le grand nombre nous force à nous corriger, j'en produirai un autre qui est dans le même sens. David, cet homme heureux et bon, avait été abandonné par son armée, qui, sous la conduite de son fils Absalon, cherchait à le faire mourir. Le Seigneur, irrité de cet acte de révolte (qu'importe un autre motif?) envoie son ange armé d'un glaive vengeur pour infliger un châtiment céleste, et alors quand David voit ce malheureux succomber, il s'écrie : C'est moi le pasteur qui ai péché, c'est moi qui suis le coupable. Que votre main, (221) je vous en prie, se tourne contre moi et contre la maison de mon père. (II Rois, XXIV, 17.)

Voyez-vous ces actes de vertu de l'Ancien Testament si semblables à ceux du Nouveau? Vous faut-il un dernier exemple du même genre? Je ne serai pas embarrassé pour le trouver. Ce sera Samuel, ce prophète accablé d'outrages par les Juifs, haï, méprisé, au point que Dieu lui-même disait pour le consoler : Ce n'est pas toi, mais moi-même qu'ils ont méprisé. (I Rois, VIII, 7.) Que disait-il au milieu de ces mépris, de ces haines et de ces outrages? Dieu me préserve de commettre la faute de ne plus prier pour vous le Seigneur. (I Rois, IIII, 23.) Il regardait comme un péché de ne pas prier pour ses ennemis : Dieu me garde de faire la faute de ne plus prier pour vous. Le Christ dit : Père, pardonnez leur péché, car ils ne savent ce qu'ils font (Luc, XXIII, 34) ; Etienne : Seigneur ne leur imputez point ce péché (Act. VII, 59) ; Paul : Je souhaitais d'être anathème pour mes frères, mes parents selon la chair (Rom. IX, 3) ; Moïse : Si vous leur pardonnez leur faute, faites-moi miséricorde, sinon effacez-moi du livre que vous avez écrit (Ex. XXXII, 31, 33); David : Que votre main s'appesantisse sur moi et sur la maison de mon père (I Rois, XXIV, 17) ; Samuel : Dieu me garde de faire la faute de ne plus prier pour vous (I Rois, XII, 23.)

Quel pardon pourrons-nous donc espérer, si, après que le Seigneur et ses serviteurs, tant de l'Ancien que du Nouveau Testament, nous exhortent à prier pour nos ennemis , nous prions au contraire contre nos ennemis. N'agissons pas ainsi, mes Frères, je vous en conjure, car plus les exemples sont nombreux, plus nous serons punis si nous ne les suivons pas. Il est plus avantageux de prier pour ses ennemis que pour ses amis, cardans le second cas il y a moins à gagner que dans le premier : En effet, si vous chérissez seulement ceux qui vous aiment, vous ne faites rien de bien grand, car les publicains en font autant (Matth. V, 46.) Donc, si nous prions pour nos amis seulement, nous ne sommes pas encore au-dessus des païens et des publicains. Mais lorsque nous aimons nos ennemis, nous devenons , autant que notre nature nous le permet, semblables à Dieu : Qui fait luire son soleil sur les méchants et sur les bons, et qui répand sa rosée sur le champ du coupable comme sur celui du juste. (Matth. V, 45.) Soyons donc semblables au Père, car il nous dit lui-même d'être parfaits comme notre Père qui est dans les cieux, afin que nous méritions d'acquérir le royaume des cieux, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Dieu et Sauveur, Jésus-Christ à lui gloire et empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. l'abbé GAGEY, curé de Millery.

 

 

 

 

DEUXIÈME HOMÉLIE.

ANALYSE.

Dans cette homélie, l'orateur, après avoir détaillé rapidement tous les bienfaits de la croix, et montré pourquoi Jésus-Christ, victime de la nouvelle alliance, a été immolé hors des murs de Jérusalem , parle du bon larron, dont il exalte le mérite en commentant toutes ses paroles, et dont il vaille la confession généreuse pour motiver le prix glorieux dont Jésus-Christ la paye. — Il prouve que Jésus-Christ, dans les derniers jours, paraîtra avec sa croix; il exhorte, en finissant, les fidèles à pardonner à leurs ennemis ; il les y exhorte par l'exemple du Sauveur, et par celui de plusieurs saints tant de l'ancien que du Nouveau Testament. Cette homélie a dû être prononcée le vendredi saint même; le lendemain de celle sur la trahison de Judas.

1. Nous célébrons dans ce jour une fête solennelle, mes très-chers frères, dans ce jour où Notre-Seigneur est mort, attaché à la croix. Et ne soyez pas étonnés que nous nous réjouissions d'un événement qui semble aussi triste; les choses spirituelles sont toujours en contradiction avec nos idées charnelles. Pour vous convaincre de ce que je dis, la croix, qui auparavant était un titre de condamnation et de supplice , est devenue un objet précieux et désirable. La croix, qui auparavant était un sujet de honte et d'opprobre, est devenue une source de gloire et d'honneur. Jésus-Christ lui-même nous apprend que la croix est un titre de gloire : Mon Père, dit-il, glorifiez-moi, comme j'étais glorifié dans votre sein avant que le monde existât. (Jean, XVII, 5.) Il appelle la croix un titre de gloire. La croix est le principe de notre salut, la source d'une infinité de biens. Par elle, nous sommes admis au nombre des enfants, nous qui auparavant étions rejetés et avilis. Par elle, nous ne sommes plus livrés à l'erreur, mais nous connaissons la vérité. Par elle, nous qui adorions le bois et la pierre, nous reconnaissons le Maître et le Créateur du monde. Par elle, nous qui étions esclaves du

1. Traduction de l'abbé Auger, revue.

péché, nous sommes élevés à la liberté de la justice. Par elle, la terre désormais est devenue le ciel. La croix nous a affranchis de nos erreurs, elle nous a conduits à la vérité, elle a réconcilié l'homme avec Dieu, elle nous a arrachés de l'abîme du vice pour nous porter au comble de la vertu. Elle a détruit les ruses du serpent antique, et nous a ramenés de l'égarement où il nous avait jetés. Par elle, les temples ne sont plus remplis de la fumée et de l'odeur des victimes : on n'y voit plus couler le sang des animaux; mais partout domine un culte spirituel, partout retentissent des hymnes et des prières. Grâce à la croix, les démons sont mis en fuite. Grâce à la croix, la nature humaine le dispute à la condition angélique. Grâce à la croix, la virginité habite sur la terre; car depuis qu'un Dieu né d'une vierge a parti' dans le monde, l'homme a connu la pratique de cette vertu. Nous étions assis dans les ténèbres, la croix nous a éclairés; nous étions ennemis, elle nous a réconciliés; nous étions éloignés de Dieu, elle nous en a rapprochés; nous avions encouru sa haine, elle nous a rendu son amour; nous étions étrangers, elle nous a fait citoyens du ciel. Elle a fait cesser pour nous la guerre, et nous a assuré la paix. Par elle, nous (223) ne craignons plus les traits enflammés du démon, parce que nous avons trouvé la source de la vie. Par elle, nous ne gémissons plus dans une triste viduité, parce que nous avons recouvré l'Epoux. Par elle, nous n'appréhendons plus le loup cruel, parce que nous avons connu le bon Pasteur: Je suis, dit Jésus-Christ, le bon Pasteur. (Jean, X, 11.) Par elle, nous ne redoutons plus le tyran, parce que nous sommes accourus au Prince légitime. Vous voyez de quels biens la croix est pour nous le principe. C'est donc avec raison que nous célébrons ce jour comme un jour de fête. Et c'est à quoi nous exhorte l'apôtre saint Paul. Célébrons la fête, dit-il, non avec l'ancien levain, avec le levain de la perversité et de la malice, mais dans les azymes de la sincérité et de la vérité. (I Cor. V, 8.) Et pourquoi, bienheureux Paul, nous exhortez-vous à nous réjouir comme dans un jour de fête. Dites-nous-en la raison. C'est que le Fils de Dieu, notre pâque, a été immolé pour nous. Vous voyez une fête véritable dans le mystère de la croix : vous comprenez pourquoi l'Apôtre nous exhorte à en célébrer la fête. Jésus-Christ a été immolé sur la croix; or, partout où il y a sacrifice, il y a rémission des péchés, il y a réconciliation avec le Seigneur, il y a fête et allégresse.

Jésus-Christ, notre pâque, dit l'Apôtre, a été immolé pour nous. (I Cor. V, 7.) Et où a-t-il été immolé ? sur la croix. L'autel est extraordinaire et nouveau, parce que le sacrifice n'est pas ordinaire, et ne ressemble pas aux autres. Jésus-Christ était en même temps la victime et le prêtre; la victime selon la chair, le prêtre selon l'esprit. Il offrait en même temps, et il était offert. Ecoutez encore saint Paul qui dit : Tout pontife, pris parmi les hommes, intercède pour les hommes auprès de Dieu : il faut donc nécessairement qu'il ait de quoi lui offrir. (Héb. V, 3; VIII, 3.) Ici Jésus-Christ s'offre lui-même. Jésus-Christ, dit ailleurs le même apôtre, a été offert une fois pour expier le péché de plusieurs. (Héb. IX, 28.) Il dit donc qu'il a été offert, après avoir dit qu'il s'est offert lui-même. Vous avez vu comment Jésus-Christ était en même temps prêtre et victime, et que la croix était l'autel.

Mais il est nécessaire d'examiner pourquoi le sacrifice n'est pas offert dans un temple (je dis dans le temple des Juifs), mais hors de la ville, hors des murs. Jésus-Christ a été crucifié hors de la ville comme un scélérat condamné au supplice, afin que cette parole du prophète fût accomplie : Il a été confondu avec les scélérats. (Is. LIII, 12.) Pourquoi donc a-t-il été crucifié hors de la ville, dans un lieu élevé, et non dans un lieu enfermé? Cela ne s'est pas fait non plus sans cause; c'était afin de purifier la nature de l'air. Voilà pourquoi, dis-je, il est mort dans un lieu élevé, et non dans un lieu enfermé. Il est mort à la face du ciel, afin que tout le ciel fût purifié, la victime étant immolée dans un lieu élevé. Le ciel a donc été purifié; la terre l'a été aussi, puisque le sang du Sauveur a coulé de son côté sur la terre, et l'a purifiée de toutes ses souillures. Telle est donc la raison pour laquelle le sacrifice n'a pas été offert dans un lieu enfermé. Et pourquoi n'a-t-il pas été offert dans le temple même des Juifs? Cela ne s'est pas fait encore sans une raison particulière : c'est afin que les Juifs ne prétendissent pas s'approprier le sacrifice. 11 a été offert hors de la ville, hors des murs, afin qu'on ne crût pas qu'il fût propre à cette seule nation, afin que l'on sût qu'il était universel, afin que l'on sût que l'oblation était faite pour toute la terre, pour sanctifier toute la nature humaine. Dieu a ordonné aux Juifs de choisir dans toute la terre un lieu unique où on lui offrit des sacrifices, où on lui adressât des prières, parce que toute la terre alors était souillée par la fumée, par l'odeur, par le sang des victimes offertes aux idoles, et par les autres abominations des gentils. Voilà pourquoi il leur a marqué un lieu unique. Mais Jésus-Christ étant venu dans le monde, et ayant subi la mort hors de la ville, a purifié toute la terre, a rendu tous les lieux propres aux prières. Voulez-vous apprendre comment toute la terre est devenue désormais un temple, comment tous les lieux ont été rendus propres aux prières? écoutez encore le bienheureux Paul, qui dit : Elevant en tout lieu des mains pures, sans écouter la passion ni de faux raisonnements. (I Tim. II, 8.) Vous voyez comment Jésus-Christ a purifié le monde; vous voyez comment nous pouvons en tout lieu élever des mains pures. Oui, toute la terre est désormais devenue sainte, et même plus sainte que ce que les Juifs avaient de plus saint. Comment cela ? C'est que dans le temple des Juifs on n'immolait que les animaux déraisonnables, au lieu qu'ici une victime douée d'une raison supérieure a été immolée. Or, autant ce qui est doué de raison l'emporte sur ce qui en est (224) dépourvu, autant toute la terre a été plus sanctifiée que le temple des Juifs. C'est donc bien véritablement que le mystère de la croix est une fête.

2. Voulez-vous connaître un autre bienfait de la croix, bienfait insigne qui surpasse toutes les idées des hommes? Elle a ouvert aujourd'hui le ciel qui était fermé en y introduisant aujourd'hui un brigand. Ouvrir le ciel, y introduire un brigand, tels sont les deux miracles qu'elle opère. Elle a rendu à un brigand la céleste patrie, dont il s'était exclu par ses crimes, elle l'a introduit dans la cité d'où il tirait son origine : Vous serez, lui dit Jésus, vous serez aujourd'hui avec moi dans le ciel. (Luc, XXIII, 43.) Quoi donc ? vous êtes crucifié, vous êtes cloué sur une croix, et vous promettez le ciel ! comment pouvez-vous accorder cette faveur précieuse? Jésus-Christ, dit saint Paul, est mort par un effet de la faiblesse humaine. Ecoutons ce qui suit : Mais il vit, ajoute le même apôtre, par un prodige de la puissance divine. (II Cor. XIII, 4.) Ma puissance, dit-il encore ailleurs, se signale dans la faiblesse. (II Cor. XII, 9.) Si je promets maintenant sur la croix, c'est afin que vous connaissiez ma puissance par la croix. Comme par elle-même la croix est quelque chose de triste, afin que vous ne rougissiez pas en faisant attention à la nature de la croix, mais que vous soyez satisfaits et joyeux en considérant la puissance du Crucifié; voilà pourquoi Jésus-Christ montre toute sa force sur la croix. Non, ce n'est pas en ressuscitant les morts, en commandant à la mer, en menaçant les démons, mais crucifié, cloué, méprisé, injurié, outragé, bafoué, qu'il a pu fléchir et attirer à lui le coeur pervers d'un brigand. Voyez comme sa puissance éclate de toute part. Il a ébranlé les créatures inanimées; il a brisé les pierres, et le coeur d'un brigand, plus dur que la pierre; il l'a amolli, il l'a rendu plus souple que la cire : Vous serez aujourd'hui avec moi dans le ciel. Quoi donc ! les chérubins armés d'une épée flamboyante gardent la porte du ciel, et vous promettez à un brigand de l'y faire entrer ! Oui, sans doute, parce que je suis le maître des chérubins; que j'ai en mon pouvoir l'enfer et ses feux, la vie et la mort. Jésus-Christ dit donc: Vous serez aujourd'hui avec moi dans le ciel. Dès que les anges et les archanges verront leur Seigneur, ils se retireront aussitôt et se rangeront par respect. Un prince qui fait son entrée dans une ville, ne placerait jamais auprès de lui sur son char un brigand ni aucun de ses serviteurs. C'est ce que fait néanmoins le Fils de Dieu plein de bonté. En retournant dans sa patrie sainte, il y fait entrer avec lui un brigand, sans prétendre, oui, sans prétendre déshonorer le ciel, mais l'honorant davantage par cela même, puisque la gloire du ciel est d'avoir un maître assez puissant et assez bon pour avoir pu rendre un brigand digne du bonheur céleste. Ainsi lorsqu'il appelait au royaume des cieux les publicains et les courtisanes, loin de le déshonorer par là, il l'honorait surtout, en faisant voir que le Maître du royaume des cieux est capable de sanctifier les courtisanes et les publicains, de les rendre dignes des honneurs et des récompenses suprêmes. Comme donc nous admirons un médecin, lorsque nous le voyons guérir de leurs maux et rappeler à une santé parfaite des hommes affligés de maladies incurables : de même, mes très-chers frères, admirez Jésus-Christ, soyez frappés de sa puissance, parce que, trouvant des hommes affligés de maladies spirituelles, de maladies supérieures à tous les remèdes, il a pu les guérir de leurs vices, il a pu les rendre dignes de son royaume, quoiqu'ils fussent parvenus au comble de la perversité. Vous serez aujourd'hui avec moi dans le ciel. Honneur insigne, comble infini de bonté, excès inouï de miséricorde; car entrer dans le ciel avec le souverain Maître du ciel, est un plus grand honneur que d'y entrer simplement.

Qu'est-il donc arrivé , me direz-vous? et qu'est-ce que le brigand de l'Evangile a fait de si extraordinaire pour passer de dessus la croix dans le ciel? Je vais vous le dire en peu de mots, et vous faire comprendre toute sa vertu. Lorsque le chef des disciples, Pierre, le niait chez le grand prêtre, lui le confessait étant sur la croix. Ce n'est pas, non ce n'est pas pour injurier Pierre que je le dis, mais je veux montrer quel fut le courage et la sagesse peu commune du brigand crucifié. Tandis que Pierre ne pouvait soutenir les menaces d'une simple servante, lui qui voyait tout un peuple furieux environner la croix de Jésus, l'outrager par des défis insolents, ne considéra point Il insultes faites au divin compagnon de son supplice; mais, rompant tous les voiles avec ! yeux de la foi, passant par-dessus toutes marques extérieures de faiblesse et d'humiliation, il reconnut le Maître des cieux, et (225) prononça ces paroles précises qui le proclamaient digne du ciel : Souvenez-vous de moi dans votre royaume. (Luc, XXIII, 42.) Ne passons point légèrement sur ces paroles, et ne rougissons point de prendre pour maître un brigand que Notre-Seigneur n'a point rougi de faire entrer le premier dans le ciel. Ne rougissons point de prendre pour maître un homme qui a été jugé digne de jouir du bonheur céleste avant tous les autres humains. Pesons toutes ses paroles, afin de connaître aussi par là la vertu de la croix.

Jésus-Christ n'avait pas dit à ce brigand, ainsi qu'à Pierre et à André: Venez, et je vous ferai pêcheurs d'hommes. (Matth. IV, 19.) Il ne lui avait pas dit, ainsi qu'aux douze apôtres Vous serez assis sur douze trônes pour juger les douze tribus d'Israël. (Matth. XIX, 28.) Il ne lui avait pas adressé un seul mot. Le brigand n'avait pas vu les prodiges qu'il avait opérés, les morts ressuscités, les démons chassés, la mer obéissant à ses ordres; il ne l'avait pas entendu raisonner sur le royaume des cieux. Comment donc avait-il appris ce nom de royaume ? Connaissons sa rare intelligence. Un des deux brigands, dit l'Evangile, accablait Jésus-Christ d'injures; car il y avait un autre brigand crucifié avec lui, afin que l'on vît s'accomplir cette parole du Prophète : Il a été confondu avec les scélérats. (Isai. LIII, 12.) Les Juifs ingrats et insensés cherchaient tous les moyens d'obscurcir sa gloire, d'avilir sa puissance; mais la vérité perçait malgré eux, et tous leurs efforts pour l'étouffer ne faisaient que la montrer dans un plus grand éclat. Jésus-Christ était donc accablé d'injures par un des deux brigands, et même par tous les deux, suivant le témoignage d'un des évangélistes (Marc, xv, 32) ; ce qui est vrai, et ce qui manifeste surtout la vertu du brigand dont nous parlons; car il est probable que lui-même injuriait d'abord Jésus-Christ, mais qu'il ne tarda pas à changer de langage. Un des deux brigands accablait Jésus-Christ d'injures, dit l'Evangile. Vous voyez brigand et brigand : tous deux sur la croix, tous deux expiant les crimes d'une vie perverse ; mais n'éprouvant pas tous deux le même sort, puisque l'un a obtenu le royaume des cieux, et que l'autre a été précipité dans les enfers. Ainsi nous avons vu hier disciple et disciples. L'un se préparait à trahir son Maître, les autres se disposaient à le servir. L'un disait aux pharisiens : Que voulez-vous me donner, et je vous le livrerai ? Les autres approchant de Jésus, lui disaient: Où voulez-vous que nous vous préparions la pâque? (Matth. XXVI, 15 et 17.) De même ici l'on voit brigand et brigand l'un accablait Jésus d'injures, l'autre fermait la bouche à celui qui l'injuriait; l'un blasphémait contre lui, l'autre lui reprochait ses blasphèmes, et cela quoiqu'il vît Jésus condamné, crucifié; quoiqu'il vît le peuple l'attaquer par ses railleries outrageantes. Mais rien ne put l'ébranler, rien ne put changer ses sentiments, ni l'empêcher de faire à son compagnon de vifs reproches, et de lui dire : Est-ce que vous ne craignez pas Dieu? (Luc, XXIII, 40.)

3. Vous voyez la sainte liberté d'un brigand, vous voyez comment sur la croix, fidèle, pour ainsi dire, à son métier de brigand, il emporte de force par sa confession et ravit le royaume céleste. Est-ce que vous ne craignez pas Dieu? dit-il. Vous voyez sa liberté sur la croix, vous voyez sa sagesse, vous voyez sa modération. Toujours maître de lui-même, jouissant de toute sa raison, quoique percé de clous, quoiqu'essuyant au milieu de son supplice les douleurs les plus affreuses, ne mérite-t-il pas d'être admiré pour ses sentiments magnanimes? Quant à moi, je ne le trouve pas seulement admirable, mais je le trouve bienheureux. Insensible à ses propres douleurs, et s'oubliant lui-même, il s'occupait d'un autre, il cherchait à le détromper, à lui donner des leçons même sur la croix. Est-ce que vous ne craignez pas Dieu ? lui disait-il. Il semblait lui dire : Ne faites pas attention au tribunal des hommes, ne jugez point par ce que vous voyez, ne considérez point seulement ce qui se passe sous vos yeux. Il est un autre juge invisible, dont le tribunal suprême est inaccessible à la corruption et à la séduction. Ne pensez donc pas qu'il a été condamné par les hommes, mais songez aux jugements de Dieu qui sont bien différents. Ici-bas, dans les tribunaux humains, les innocents sont souvent condamnés, tandis que les coupables sont absous; les justes subissent la peine , tandis que les injustes y échappent. La plupart des hommes jugent mal ou par mauvaise volonté ou malgré eux. Ils trahissent la vérité et condamnent l'innocence, ou parce qu'on les trompe et qu'ils ignorent la justice, ou parce que,-corrompus par argent, ils agissent contre leurs propres lumières. Mais il n'en est pas ainsi de Dieu: C'est un juste juge, et ses jugements sont aussi purs, aussi (226) brillants que le soleil. Jamais obscurcis par les ténèbres, ils ne se cachent pas dans l'obscurité, et ne s'écartent pas de la voie droite. Afin donc que son compagnon ne pût pas lui dire: Il a été condamné par les hommes, pourquoi le défendez-vous ? il le rappelle aux jugements de Dieu, à ce tribunal redoutable et incorruptible, à ce juge que rien ne peut tromper et séduire; il le fait souvenir des arrêts formidables que ce Juge prononce. Regardez en haut, lui dit-il; et vous ne condamnerez pas Celui que le ciel absout, et, sans vous arrêter aux jugements humains, vous n'approuverez, vous n'adopterez que les jugements célestes. Est-ce que vous ne craignez pas Dieu? lui dit-il. Vous voyez la sagesse du brigand, vous voyez son intelligence, vous voyez : il instruit son compagnon, et comme de dessus la croix où son corps est attaché, son esprit s'envole dans le ciel. Oui, il remplit déjà la loi apostolique; peu occupé de lui-même, il ne s'étudie et ne travaille qu'à tirer son frère de l’erreur et à le ramener à la vérité. Après lui avoir dit : Est-ce que vous ne craignez pas Dieu ? il ajoute: Nous subissons la même sentence. Considérez combien cet aveu est parfait. Qu'est-ce à dire : Nous subissons la même sentence ? c'est-à-dire: nous sommes condamnés à la même peine, puisque nous sommes également sur la croix. Les reproches injurieux que vous lui faites tombent donc sur vous plus que sur lui. Et comme un pécheur qui condamne son semblable, se condamne plutôt lui-même; ainsi reprocher à un autre la disgrâce que soi-même on éprouve, c'est se faire plutôt un reproche à soi-même. Nous subissons, dit-il, la même sentence. Il présente à son compagnon la loi apostolique, formée de ces paroles de l'Evangile : Ne jugez pas, afin que vous ne soyez pas jugés. (Matth. VII, 1.) Nous subissons la même sentence. Quoi donc, pourrais-je lui dire ! prétendez-vous par-là associer Jésus-Christ à votre état de criminel? Non, dit-il, je corrige ces paroles par celles qui suivent : Mais nous, nous souffrons justement, et nous portons la peine de nos crimes. Car, de peur que ces paroles Nous subissons la même sentence, ne vous fassent croire qu'il associe Jésus-Christ à leurs forfaits, il ajoute cette correction : Mais nous, dit-il, nous souffrons justement, et nous portons la peine de nos crimes. Vous voyez sur la croix un parfait aveu, vous voyez comme par des paroles le brigand expie ses attentats, vous voyez comme il accomplit cet avis du Prophète: Confessez le premier vos iniquités, afin que vous soyez justifié. (Is. XLIII, 26.) Personne ne l'a accusé, personne ne l'a forcé, personne ne l'a pressé, et il devient lui-même son propre accusateur. Aussi par la suite n'a-t-il trouvé aucun accusateur, parce qu'il s'est hâté de s'accuser lui-même, qu'il s'est empressé de s'avouer coupable : Mais nous, dit-il, nous souffrons justement, et nous portons la peine de nos crimes; au lieu que celui-ci n'a rien fait de mal. Vous voyez quelle est sa grande modération. Ce n'est qu'après s'être accusé et s'être chargé lui-même, après avoir justifié le Sauveur du monde par ces paroles: Mais nous, nous souffrons justement, au lieu que celui-ci n'a rien fait de mal; ce n'est qu'après cela qu'il lui a adressé avec confiance cette prière : Souvenez-vous de moi, Seigneur, lorsque vous serez retourné dans votre royaume. Il n'a pas osé lui dire: Souvenez-vous de moi, avant de s'être lavé de la souillure de ses péchés par une confession sincère, avant de s'être justifié en se condamnant lui-même, avant de s'être déchargé de ses crimes par sa propre accusation.

Vous voyez quel est le pouvoir de la confession même sur la croix. Apprenez de là, mes très-chers frères, à ne point désespérer de vous-mêmes ; ne perdez jamais de vue la bonté infinie de Dieu, et hâtez-vous de corriger vos fautes. S'il a traité avec tant de distinction un brigand sur la croix, à plus forte raison encore nous fera-t-il éprouver les effets de sa grande miséricorde, si nous voulons faire l'aveu de nos péchés. Afin donc de ressentir ces effets, ne rougissons pas de faire cet aveu. Oui, la confession a beaucoup de force et de vertu. Le brigand a confessé ses crimes, et il a trouvé le paradis ouvert; il a confessé ses crimes, et malgré ses brigandages, il a osé demander le royaume céleste; demande qu'avant cela il n'avait osé faire. Et comment, lui dirai-je, parliez-vous de royaume? qu'avez-vous vu qui vous inspirât cette idée ? des clous, une croix, des reproches, des railleries; des injures, des outrages, voilà tout ce qui s'offre à vous. Eh bien! dit-il, c'est la croix même qui me parait le signe et la marque d'un royaume. C'est parce que je vois Jésus crucifié, que je l'appelle roi, puisqu'il est d'un roi de mourir pour ses sujets: Le bon pasteur, a-t-il dit lui-même, donne sa vie pour ses brebis, (Jean. X, 11.) Ainsi un bon roi donne sa vie pour ses sujets. Je l'appelle (227) donc roi parce qu'il a donné sa vie. Souvenez-vous de moi, Seigneur, lorsque vous, serez retourné dans votre royaume.

4. Voulez-vous savoir comment la croix est la marque et le signe d'un royaume, combien elle est auguste et vénérable ? c'est que Jésus-Christ ne l'a point laissée sur la terre, mais qu'il l'a transportée avec lui dans le ciel. Et qu'est-ce qui le prouve? il doit paraître avec elle dans son second avènement. Mais voyons comment il doit paraître avec elle ; écoutez Jésus-Christ lui-même, qui s'exprime ainsi : S'ils vous disent: le Christ est retiré à l'écart, il est dans le désert, ne sortez pas. (Matth. XXIV, 26.) Il parle de son second avènement, à cause des faux christs, des faux prophètes, de l'Antechrist, dans la crainte qu'on ne se trompe, et qu'on ne le prenne pour le Christ. Comme l'Antechrist doit paraître avant le Christ, de crainte qu'en cherchant le pasteur vous ne rencontriez le loup, je vous donne les marques certaines de l'avènement du Pasteur; car, si son premier avènement a été sans éclat, ne croyez pas que le second sera de même. Son premier avènement a dû être obscur, parce qu'il venait chercher ce qui était perdu ; mais il n'en sera pas de même du second. Dites-nous donc , apprenez-nous comment Jésus-Christ paraîtra. Comme l'éclair, dit l'Evangile, brille depuis l'orient jusqu'à l'occident, il en sera de même de l'avènement du Fils de l'Homme. Il paraîtra en même temps aux yeux de toute la terre , sans qu'il soit besoin de demander s'il est venu. Et comme il n'est pas besoin que l'on examine si l'éclair a paru lorsqu'il se montre, ainsi nous n'aurons pas besoin d'examiner si le Christ s'est montré, lorsqu'il se montrera réellement. Mais nous n'avons pas dit encore ce que nous voulons apprendre , s'il viendra avec sa croix. Ecoutez-le donc s'expliquer lui-même, en termes clairs et formels. Alors, dit-il, c'est-à-dire lorsque je viendrai, le soleil sera obscurci, la lune ne donnera pas sa lumière ; car la lumière sera tellement répandue partout, que les astres les plus brillants seront éclipsés. Les étoiles, dit l'Evangile, tomberont, et alors on verra paraître dans le ciel le signe die Fils de l'Homme. Vous voyez quelle est l'excellence de ce signe , quel est son éclat et sa splendeur. Le soleil est obscurci, la lune est sans lumière, les étoiles tombent, lui seul paraît, afin que vous appreniez qu'il est plus brillant que la lune, et plus éclatant que le soleil. Lorsqu'un roi fait son entrée, il est précédé d'une troupe de soldats qui portent devant lui des étendards, et qui annoncent l'entrée du prince. Ainsi, lorsque le Maître de l'univers descendra des cieux, il sera précédé d'une troupe d'anges et d'archanges, qui porteront devant lui l'étendard de la croix, et qui annonceront l'arrivée du Roi suprême. Alors, dit l'Evangile, les puissances des cieux seront ébranlées; il parle des anges, des archanges, de toutes les puissances invisibles, qui seront dans le tremblement, dans la crainte et dans la frayeur. Et pourquoi ces puissances seront-elles dans la frayeur? c'est, sans doute, qu'alors s'ouvrira ce tribunal redoutable devant lequel paraîtront tous les mortels pour être jugés et rendre compte de leurs oeuvres. Pourquoi donc les anges trembleront-ils alors? pourquoi ces puissances spirituelles seront-elles dans la crainte , puisque ce ne sont pas elles qui doivent être jugées? Lorsqu'assis sur son trône, un juge condamne les coupables, non-seulement les coupables, ceux mêmes qui assistent au jugement, qui n'ont à se reprocher aucun crime, sont tremblants, sont effrayés par la présence du juge : de même, lorsque le genre humain sera jugé et rendra compte de ses fautes, les anges qui n'auront rien à se reprocher, et toutes les puissances célestes, saisies de frayeur, trembleront en présence du Juge suprême. C'est une circonstance du dernier jugement, dont nous devons sentir la raison. Mais pourquoi Jésus-Christ viendra-t-il avec sa croix? apprenez-en la cause. C'est afin que ceux qui l'ont crucifié soient convaincus de leur ingratitude par le fait même; c'est pour cela qu'il leur montre l'objet qui dénonce et condamne leur folie. Et afin que vous sachiez que c'est pour les confondre qu'il leur présentera sa croix, écoutez encore l'Evangéliste, qui dit : Alors paraîtra le signe du Fils de l'Homme, et toutes les tribus de la terre seront dans la consternation en voyant leur accusateur, et en reconnaissant leurs fautes. Et pourquoi seriez-vous étonnés que Jésus-Christ vienne avec sa croix, puisqu'il viendra même avec ses plaies? Qu'est-ce qui prouve qu'il viendra avec ses plaies? écoutons le prophète: Ils verront, dit-il, celui qu'ils ont percé. (Zach. XII, l0.) Car, de même que lorsqu'il voulut guérir l'incrédulité de Thomas, son disciple, et lui apprendre que son maître était vraiment ressuscité, il lui montra les places des clous et les plaies mêmes, (228) en lui disant: Portez ici votre doigt et votre main, et voyez qu'un esprit n'a point, de chair et d'os (Jean, XX, 27) : ainsi, dans les derniers jours, il présentera aux Juifs ses plaies et sa croix, afin de leur apprendre que c'est lui-même qu'ils ont crucifié.

La croix est donc un grand, bien, c'est un objet utile et salutaire, un témoignage évident de la bonté divine.

5. Mais non-seulement la croix, les paroles mêmes que le Sauveur du monde prononce sur la croix, manifestent sa miséricorde infinie. Voici ces paroles : environné de ceux qui le crucifiaient , en butte à tous les outrages d'une multitude furieuse: Mon Père, disait-il, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. (Luc, XIII, 34.) Vous voyez la bonté du Seigneur, c'est lorsqu'il était crucifié, qu'il priait pour ceux mêmes qui le crucifiaient. Cependant ils lui adressaient alors leurs railleries insolentes : Si tu es le Fils de Dieu, lui disaient-ils d'un ton moqueur, descends de la croix. (Matth. XVII, 40 et 42.) Mais c'est parce qu'il était le Fils de Dieu qu'il n'est pas descendu de la croix, lui qui était venu afin d'être crucifié pour nous. Qu'il descende de la croix, disaient les Juifs, afin que nous puissions croire en lui. Entendez-vous le langage de l'endurcissement, et les prétextes de l'incrédulité! Il a fait quelque chose de plus que de descendre de la croix, sans qu'ils aient cru en lui; et ils disent maintenant : Qu'il descende de la croix, et nous croirons en lui. N'était-ce pas quelque chose de plus que de descendre de la croix, de faire sortir un mort de son tombeau, dont une pierre fermait l'entrée? n'était-ce pas quelque chose de plus que de descendre de la croix, de tirer de son sépulcre, avec le linceul dont il était enveloppé, Lazare mort depuis quatre jours? vous entendez le langage de l'extravagance, vous voyez l’excès de la folie ! Mais écoutez avec la plus grande attention, afin de connaître la bonté infinie de Dieu, et comment Jésus se sert de leur folie même, comme d'un motif pour leur pardonner : Mon Père, dit-il, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. C'est comme s'il disait : C'est parce qu'ils sont insensés, qu'ils ignorent ce qu'ils font. Les Juifs disaient à Jésus-Christ : Si tu es le Fils de Dieu, sauve-toi toi-même. Et Jésus-Christ s'empressait de sauver les Juifs, qui l'accablaient de reproches, de railleries et d'injures : Pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. Quoi donc! leur a-t-il pardonné? oui, il a pardonné à tous ceux qui ont voulu se repentir. S'il ne leur eût pas pardonné, Paul ne serait pas devenu apôtre; s'il ne leur eût pas pardonné, trois mille, cinq mille Juifs n'auraient pas cru en lui sur-le-champ, et tant de milliers par la suite. Ecoutez ce que saint Jacques dit à saint Paul dans Jérusalem : Vous voyez, mon frère, combien de milliers de Juifs croient en Jésus-Christ. (Act. XXI, 20.)

Imitez donc, je vous en conjure, imitez le Seigneur, et priez pour vos ennemis. Je vous y exhortais hier, je vous y exhorte encore aujourd'hui, parce que je sens toute l'importance de cette vertu. Imitez votre Maître. Il était crucifié, et il priait pour ceux qui le crucifiaient. Et comment, direz-vous, puis-je imiter le Seigneur : vous le pouvez, si vous le voulez . Si chose n'était pas possible, il n'aurait pas dit : Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur. (Matth. II, 29.) S'il n'était pas possible à l'homme d'imiter un Dieu, saint Paul n'aurait pas dit aux fidèles : Soyez mes imitateurs , comme je le suis de Jésus-Christ. (I Cor. II, 1.) Mais si vous ne voulez pas imiter le Seigneur, imitez au moins son disciple; je parle d'Étienne, qui, le premier, a ouvert les portes du martyre, et qui a marché sur les pas de son Maître. Le Maître, suspendu à la croix, au milieu des Juifs qui l'avaient crucifié, priait pour eux; le disciple, au milieu des Juifs qui le lapidaient, accablé d'une grêle de pierres qu'ils faisaient pleuvoir sur lui, sans penser aux douleurs de son supplice, s'écriait : Seigneur, ne leur imputez pas cette faute. (Act. VII, 59.) Vous entendez les paroles que prononcent le Maître et le disciple : l'un dit : Mon père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font; l'autre dit : Seigneur, ne leur imputez pas cette faute. Et afin que vous sachiez quel zèle animait Etienne, c'est qu'il ne priait pas froidement, avec indifférence, ni debout, mais les genoux en terre, avec l'intérêt le plus vif et la charité la plus ardente. Voulez-vous que je vous montre un autre disciple du Fils de Dieu, qui fait pour ses ennemis une prière encore plus généreuse? écoutez le bienheureux Paul. Après avoir rapporté tout ce qu'il a souffert, après avoir dit qu'il a reçu des Juifs mille mauvais traitements (II Cor. II , 23), qu'il a été trois fois battu de verges, une fois lapidé, qu'il a fait trois fois naufrage , après avoir détaillé toutes les persécutions qu'il éprouvait chaque jour de (229) leur part, il ajoute enfin: J'ai désiré d'être séparé de Jésus-Christ, et de devenir anathème pour mes frères, pour mes parents selon la chair, qui sont Israélites. (Rom. IX, 3 et 4.)

Voulez-vous voir encore d'autres exemples pareils, pris, non dans le Nouveau, mais dans l'Ancien Testament; car, ce qu'il y a de plus admirable, c'est que ceux à qui il n'était pas ordonné d'aimer leurs ennemis, mais de donner oeil pour mil, dent pour dent, de rendre le mal pour le mal, ceux-là mêmes ont devancé la perfection évangélique? Ecoutez donc ce que dit à Dieu Moïse si souvent outragé par les Juifs : Si vous leur pardonnez , faites-moi grâce à moi-même; sinon, effacez-moi du livre que vous avez écrit. (Exod. XXXII, 32.) Vous voyer, que tous les justes sont prêts à sacrifier leur propre salut pour le salut de leurs frères. Vous n'avez commis aucune faute, dirais-je à Moïse, et vous voulez avoir part à la punition ! ah! répond-il, c'est que je ne sens pas mon bonheur lorsque je vois les autres dans le malheur. On peut encore citer un autre saint, qui fait une prière semblable; car je multiplie les exemples, afin que nous soyons excités de plus en plus à nous corriger nous-mêmes, à nous délivrer de cette maladie de l'âme si dangereuse, de ce penchant qui nous porte à souhaiter du mal à nos ennemis. Ecoutez le bienheureux David. Dieu étant irrité et ayant envoyé son ange pour punir le peuple, que dit le prince, lorsqu'il voit l'ange faire étinceler son glaive, et se disposer à porter des coups funestes ? C'est moi qui suis le pasteur et qui ai fait le mal; ceux-ci, qui sont les brebis, qu'ont-ils fait? que votre bras s'étende sur moi et sur la maison de mon père. (II Rois, XXIV, 17. ) Vous voyez donc dans ce saint roi la vertu que je vous prêche. Voici encore un saint animé des mêmes sentiments. Le prophète Samuel avait été si fort méprisé, outragé, insulté par les Juifs, que pour le consoler Dieu lui dit : Ecoutez, mes frères, écoutez avec attention : C'est moi,lui dit Dieu, et non pas vous qu'ils ont méprisé. (I Rois, VIII, 7.) Et cet homme accablé de mépris, d'injures et d'outrages, que dit-il? A Dieu ne plaise que je commette la faute de manquer à prier le Seigneur pour vous ! Il regardait comme une faute de ne pas prier pour ses ennemis. A Dieu ne plaise, dit-il, que je commette la faute de manquer à prier pour vous. (I Rois, XII, 23.) Vous voyez combien tous les justes, marchant

sur les traces du Seigneur, se sont montrés jaloux de se signaler dans la vertu à laquelle je vous exhorte. Reprenons les paroles que nous venons de citer : Pardonnez-leur, dit le Fils de Dieu, car ils ne savent ce qu'ils font. Seigneur, s'écriait Etienne, ne leur imputez pas cette faute. J'ai désiré, dit saint Paul, d'être séparé de Jésus-Christ, et de devenir anathème pour mes frères, pour mes parents selon la chair. Si vous leur pardonnez, disait aussi Moïse, faites-moi grâce à moi-même, sinon, effacez-moi du livre que vous avez écrit. Que votre bras, dit David, s'étende sur moi et sur la maison de mon Père. A Dieu ne plaise, dit de même Samuel, que je commette la faute de manquer à prier pour vous !

Lors donc que tous les saints, tant du Nouveau que de l'Ancien Testament, nous excitent à prier pour nos ennemis, quel pardon obtiendrions-nous par la suite, si nous ne montrions le plus grand empressement pour pratiquer cette vertu ? Ne balançons point , mes frères; car plus nous avons d'exemples, plus nous serions sévèrement punis, si nous ne les imitions pas. Il est beaucoup plus important de prier pour ses ennemis que pour ses amis ; l'un nous est plus utile que l'autre. Ecoutez Jésus-Christ qui dit : Si vous aimez ceux qui vous aiment, quel sera votre mérite ?, les publicains ne le font-ils pas? (Matth. V, 46 .) Lors donc que nous prions pour nos amis, nous ne sommes pas meilleurs que les publicains, mais si nous aimons nos ennemis, si nous prions pour nos ennemis, nous devenons semblables à Dieu, autant qu'il est possible à l'homme. Soyez semblables, dit l'Evangile, â votre Père céleste, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, qui fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. (Matth. V, 45.) Puis donc que nous avons de si grands modèles, et dans le Seigneur et dans ses disciples, soyons jaloux de nous distinguer par une vertu dont ils nous ont donné l'exemple, afin que nous soyons jugés dignes de jouir du royaume des cieux, et qu'après avoir purifié notre âme, nous puissions approcher avec confiance de la table sacrée et redoutable, et obtenir les biens qui nous sont promis, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire, l'honneur et l'empire soient au Père et à l'Esprit-Saint, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

HOMÉLIE SUR LA RÉSURRECTION DES MORTS (1).

AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

Les homélies contre les Anoméens hérétiques qui rabaissaient la gloire et la dignité du Fils unique, furent prononcées au commencement de l'année 387. Or, c'est à ces homélies que saint Chrysostome fait évidemment allusion au début de la présente homélie, lorsqu'il dit : " Nous venons de traiter des questions dogmatiques, nous vous avons entretenus de la gloire du Fils unique, nous avons fermé la bouche à ceux qui ne craignent pas de rabaisser sa dignité, et de le dire étranger à son Père . " — Il s'ensuit que l'homélie sur la résurrection des morts est de la même époque. — Elle fut prononcée avant le carême de 387. — Les discours prononcés durant ce carême se rapportent tous à la sédition d'Antioche.

Le saint docteur donne lui-même dans son exorde l'argument de ce discours. — 1° II y traite de la résurrection des morts, dont il apporte, passim, plusieurs preuves. — Il soutient le dogme de la Providence. — 2° De la manière de régler sa vie selon Dieu ; des peines que doit faire braver aux chrétiens la vue des félicités éternelles. — 3° et 4° Des récompenses accordées parfois, dés cette vie, aux hommes vertueux, à saint Paul, par exemple (explication de plusieurs textes relatifs à cette vérité). — 5° De la fragilité des avantages temporels. — 6° 7° et 8° Des erreurs manichéennes qu'il réfute et contre lesquelles il établit que le corps humain et la nature humaine ne sont pas mauvais par eux-mêmes, et il démontre la vérité du dogme de la résurrection.

1. Ce sont les dogmes qui vous ont été, avant ce jour, proposés dans nos entretiens; c'est la gloire du Fils unique de Dieu, qui a fermé la bouche à ses détracteurs, à ceux qui le disent d'une autre nature que le Père de qui il est engendré: aujourd'hui, c'est à la morale que je veux donner la préférence; les pensées sur la vie pratique, les règles de conduite, rempliront ce discours destiné à vous exhorter; ou plutôt, ce discours ne sera pas seulement moral, mais dogmatique aussi, car je m'apprête à approfondir la résurrection considérée dans son sujet même; sujet varié, riche en réflexions qui dirigent notre foi, qui font régner l'harmonie dans notre manière de vivre, qui mettent la divine Providence au-dessus de toute accusation. Remarquez ici deux contraires : l'incrédulité en ce qui touche la résurrection, c'est le trouble dans notre vie, c'est notre vie livrée à des maux sans nombre, c'est un complet bouleversement; la foi à la résurrection rassemble, concilie les raisons de croire à la Providence, nous remplit d'ardeur pour la vertu, d'horreur pour le vice, fait régner en toutes choses la sérénité, la paix. Celui qui ne croit pas ressusciter un jour, celui

1. Edition Migne, tom. II, seconde partie, p. 417.

qui n'admet pas avoir un jour de comptes à rendre de ses actions d'ici-bas, celui qui estime que tout ce qui est de nous est renfermé dans les limites de la vie présente, que par delà il n'y a plus rien, celui-là ne se souciera pas de la vertu; à quoi bon, s'il ne peut attendre aucune récompense de ses efforts et de ses fatigues? il ne s'abstiendra pas de mal faire, puisqu'il ne s'attend à subir aucun châtiment de ses mauvaises actions; il s'abandonnera à ses désirs déréglés, à toute espèce de perversité. Mais l'homme qui croit dans son âme au jugement à venir, qui a toujours devant les yeux le redoutable tribunal, les comptes réclamés d'une voix inexorable, la sentence dont on n'appelle pas, celui-là mettra tous ses soins à la tempérance; il s'attachera à l'équité, à toutes les vertus; il voudra fuir l'immodestie, la brutalité de l'insolence, toute perversité; les accusateurs de la providence de Dieu trouveront, en cet homme-là, plus que la force nécessaire pour les réduire au silence.

Il y a des hommes qui ne peuvent supporter de voir, d'un côté, la modération, la tempérance, la justice tourmentées par la pauvreté; en proie aux outrages, aux calomnies; la vertu privée presque du nécessaire, et souvent (232) éprouvée, en outre, par la longueur des maladies, par toutes les souffrances du corps, et dépourvue de tout secours; d'un autre côté, des imposteurs, des êtres souillés, couverts d'infamie, vivant au sein des richesses, dans les délices, parés de brillants vêtements, traînant des essaims de domestiques, admirés, jouissant du pouvoir, en position de tout dire à l'empereur; et, comme conséquence de ce qu'on a vu, on attaque la providence de Dieu, on dit : Qu'est devenue cette providence? qu'est-elle devenue cette justice? A l'homme tempérant, modeste, le malheur; au déréglé, au corrompu, la prospérité; celui-ci, on l'admire; l'autre, on le méprise; celui-ci coule sa vie dans les délices qui l'inondent; l'autre la traîne dans la misère, dans les maux les plus affreux. Quand de telles paroles seront prononcées, celui qui doute de la vie à venir, gardera le silence, il ne répondra pas un seul mot; mais celui qui comprend la raison de la résurrection, réfutera facilement le blasphème, il répondra à ces querelleurs moroses: Cessez d'aiguiser votre langue contre le Dieu qui vous a faits. La vie présente ne renferme pas tout ce qui nous appartient; nous nous hâtons vers une autre vie, beaucoup plus longue, disons mieux, qui n'a pas de fin: et là, sans que rien y manque, ce pauvre qui vit dans la justice, recevra la récompense de ces peines qui vous occupent, et quant à ce déréglé, cet imposteur, il subira, de cette prospérité, de ces délices qu'il ne méritait pas, le châtiment mérité. Donc, ne nous bornons pas aux choses présentes pour porter notre jugement sur la providence de Dieu; tenons compte aussi des choses à venir. Vie présente, c'est dire lutte, lieu d'exercice, stade; vie à venir, cela signifie prix, couronnes, distribution de récompenses. Comme il faut que l'athlète, dans le lieu où il s'exerce, combatte inondé de sueur, couvert de poussière, haletant, fatigué, meurtri, de même le juste ici-bas doit supporter beaucoup d'épreuves et tout endurer avec un noble courage, s'il veut recevoir les brillantes couronnes de là-haut. Mais si les jours heureux des méchants sont, pour quelques personnes, un sujet de trouble, qu'elles fassent donc, sur leur prospérité, ce raisonnement les voleurs, les profanateurs de tombeaux, les meurtriers, les pirates, avant d'être conduits devant les juges, mènent une vie délicieuse, ils composent leur opulence des malheurs d'autrui; l'injustice les enrichit, les enivre chaque jour; mais une fois qu'ils sont frappés par la sentence des juges, ils expient tous les crimes passés; et de même, tous ces trafiquants de courtisanes, et ceux qui dressent des tables de sybarites, et ces insolents qui froncent les sourcils sur la place publique et déchirent les pauvres, quand paraîtra le Fils unique de Dieu au milieu de ses anges, quand il sera assis sur le trône devant lequel il citera la terre, on les verra tout nus, sans aucune pompe, sans personne pour les assister, pour les défendre, sans rémission, sans pitié, précipités dans les fleuves du feu éternel. Ne célèbre donc pas leur bonheur, leurs délices d'ici-bas, fais mieux, pleure le châtiment qui va venir; ne gémis pas sur le juste, ici-bas soumis à la pauvreté; fais mieux, célèbre la richesse de tous les biens, l'opulence qui va venir pour lui ; enracine dans ton âme la pensée de la résurrection, afin que, si tu es vertueux, dans les tentations tu te sentes plus fort, plus allègre, par les espérances de l'avenir; si le vice te possède, tu te détaches de la perversité, tu retournes, par la crainte du châtiment à venir, à la modération et à la sagesse.

2. Voilà pourquoi Paul, à chaque instant, nous répète des paroles comme celles qu'on vous a citées en ce jour sur la résurrection; vous avez entendu sa grande voix : Aussi nous savons que, si celte maison de terre, cette habitation, cette tente vient à être défaite, Dieu nous donne une maison, qu'aucune main n'a faite, éternelle demeure dans les cieux. (II Cor, V, 1.) Remontons plus haut, et voyons comment il est arrivé à parler de la résurrection. Ce n'est pas sans une secrète pensée, ce n'est pas au hasard qu'il reprend cet enseignement, il y revient toujours; c'est qu'il veut en même temps montrer l'avenir et fortifier les athlètes de la piété. Maintenant, sans doute, nous sommes heureux, en pleine paix, par la grâce de Dieu; les empereurs vivent dans la piété; ceux qui commandent connaissent la vérité; peuples, cités, nations, tous, affranchis de l'erreur, adorent le Christ; mais dans ces jours d'autrefois, de la première prédication, quand les semences de la piété ne faisaient que d'être répandues, la guerre était sur un grand nombre de points à la fois, variée, compliquée. Princes, empereurs, courtisans, parents des empereurs, tous faisaient la guerre aux fidèles, et la guerre étouffait jusqu'aux sentiments de la nature. Le père souvent livrait son fils, et la mère, sa (233) fille, et le maître, son serviteur. Ce n'étaient pas seulement les cités, les territoires, mais souvent les familles mêmes qui étaient intérieurement déchirées, bouleversement intérieur plus affreux alors que toute guerre civile. Tous les biens au pillage, la liberté supprimée, la vie même menacée, non par les incursions, par la brutalité des barbares; ceux mêmes qui se montraient les maîtres du pouvoir, de la souveraineté, étaient, pour les peuples assujettis à leur empire, plus cruels que tous les ennemis. Et c'est ce que saint Paul attestait par ces paroles : Vous avez soutenu de grands combats, diverses afflictions; d'une part, exposés devant tous aux injures et aux mauvais traitements; d'autre part, compagnons de ceux qui ont été ainsi tourmentés. Car vous avez compati à mon sort, quand j'étais dans les chaînes, et vous avez vu avec joie le pillage de vos biens. (Hébr. X, 32, 34.) Et aux Galates, il dit : Sera-ce donc en vain que vous avez tant souffert? si toutefois ce n'est qu'en vain. (Gal. III, 4.) Et à ceux de Thessalonique, à ceux de Philippe, en général à tous ceux à qui écrit l'Apôtre, un grand nombre de paroles semblables sont adressées. Et ce qu'il y avait d'affreux, ce n'était pas seulement la guerre extérieure, en tous lieux à la fois, guerre continuelle; c'étaient surtout, au sein même des fidèles, des scandales, des querelles, des disputes, des rivalités; ce que Paul attestait ainsi Combats au dehors, frayeurs au dedans. (II Cor. VII, 5.) Et cette guerre intestine était plus affreuse pour les maîtres et pour les disciples. Paul ne redoutait pas tant les machinations des ennemis, que les chutes dans l'intérieur de l'Eglise, et la violation de ses lois. A Corinthe vivait un infâme libertin, et Paul ne cessa pas, tout le temps que dura cette ignominie, de pleurer sur le malheureux, de se déchirer les entrailles, de pousser d'amers gémissements.

Une troisième cause d'épreuves n'était pas, pour les fidèles, moins féconde en affliction; c'était la nature même de la route à suivre, pleine de sueurs et de fatigues. Car elle n'était ni commode, ni facile, mais ardue, rude à gravir, demandant une âme zélée pour la sagesse, alerte, toujours vigilante. Aussi le Christ appelait-il cette voie, la voie étroite, escarpée. C'est qu'il n'était pas permis de vivre sans crainte, comme chez les Grecs, dans la honte, dans l'ivresse, dans la sensualité, dans les délices, dans la magnificence; au contraire, il fallait mettre un frein à ses désirs, maîtriser les passions désordonnées , mépriser les richesses, fouler aux pieds la gloire, s'élever au-dessus de la haine envieuse. Quel effort est nécessaire alors, c'est ce que savent les hommes chaque jour aux prises avec eux-mêmes. Car quel ennemi plus terrible, répondez-moi , qu'une passion effrénée, qui, à chaque instant, comme un chien que la rage possède, s'élance sur nous, trouble tous les instants de notre vie, et force notre âme à se tenir sans relâche en éveil? Et qu'est-il de plus amèrement triste que la colère? On trouvait de la douceur à se venger de celui qui avait fait l’injure, mais voici qu'on défendait la vengeance. Que dis-je, la vengeance? Il fallait faire du bien à ceux qui nous affligent; bénir ceux qui nous outragent; ne jamais proférer une parole amère; et la modération ne devait pas se restreindre à la conduite; il la fallait encore montrer dans la pensée. Car il ne suffit pas de s'abstenir de toute action immodeste, mais aussi de l'immodestie du simple regard, du plaisir de contempler la beauté des femmes, car une telle contemplation attire les derniers supplices. Ainsi, toutes les guerres du dehors, toutes les frayeurs du dedans, toutes les fatigues des combats où s'acquiert la vertu. Ajoutez un quatrième sujet d'épreuves et de labeurs, l'inexpérience des lutteurs appelés à ces grands combats. Ils n'avaient pas eu de pieux ancêtres pour les préparer, ces hommes que les apôtres avaient la mission d'instruire; ces disciples nouveaux avaient été élevés dans la mollesse, dans les délices, dans l'ivresse, dans les honteuses habitudes , dans l'intempérance. Circonstance qui ne contribuait pas médiocrement à grandir la difficulté du triomphe; ni les âges précédents, ni leurs pères, ne leur avaient frayé les voies de la sagesse; c'était, à cette heure, la première fois qu'ils dépouillaient leurs vêtements pour cette lutte.

3. Donc, en présence de difficultés si grandes, réservées aux combattants, l'Apôtre exhortant les courages, ne cessait pas de publier la résurrection. Et non content de cette pensée, de cette onction fortifiante qui retrempait les athlètes, il y joignait le récit de ses propres douleurs. Avant de retomber dans les discours sur la résurrection, il raconte ce qu'il a souffert, lui aussi; entendez-le : Toujours pressés, jamais accablés; traversés, non déconcertés; (234) persécutés, non abandonnés; précipités, mais non frappés de mort. (II Cor. IV, 8, 9.) Il montre, par ces paroles, les morts subies chaque jour, comme si chacun de ces jours voyait marcher à la mort des cadavres qui respirent. Donc, en présence de ces tourments, l'Apôtre proclamait la résurrection : Nous avons la foi, dit-il, que celui qui a réveillé d'entre les morts Notre-Seigneur Jésus-Christ, nous réveillera, nous aussi, par Jésus, et nous fera comparaître avec vous. C'est pourquoi nous ne succombons pas à nos maux, car nous avons dans nos combats, la plus puissante des exhortations, l'espérance de l'avenir. (II Cor. IV,14-16.) Et il ne leur dit pas: C'est pourquoi ne succombez pas à vos maux, mais que dit-il? C'est pourquoi nous ne succombons pas à nos maux, montrant par là qu'il est livré, lui aussi, à de continuels combats. Car voyez une différence : à Olympie l'athlète est dans l'enceinte; le gymnasiarque reste au loin, assis; permis à lui de secourir son lutteur par des paroles; l'assistance qu'il lui prête ne dépasse pas les efforts de sa voix; quant à se mettre auprès de lui, pour combattre comme auxiliaire, en personne, à ses côtés, c'est ce qu'aucun règlement ne lui permet. Il en est tout autrement pour les luttes de la piété; le même y est à la fois gymnasiarque et athlète; c'est pourquoi il ne reste pas hors de l'enceinte, assis, mais il va au milieu même des lutteurs, il frotte d'huile ses compagnons dans la lutte, voici comment : C'est pourquoi nous ne succombons pas à nos maux. Et il ne dit pas : C'est pourquoi je ne succombe pas à mes maux, mais, c'est pourquoi nous ne succombons pas à nos maux, dans la pensée de leur communiquer, en même temps que l'éloge, la fierté qui redresse. Mais encore que dans nous l'homme extérieur se détruise, néanmoins l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour. Voyez la prudence de l'Apôtre : il les a avertis de leurs souffrances par ces mots Toujours pressés, jamais accablés; il les a avertis de la résurrection de Jésus, en disant, celui qui a réveillé d'entre les morts Jésus, nous aussi, nous réveillera.

Et maintenant, autre motif d'exhortation, qu'il exprime encore. Vous savez bien qu'un grand nombre d'hommes ont l'âme étroite, faible, morose ; ils sont persuadés de la résurrection, mais ils négligent cette pensée; la longueur du temps à attendre leur donne le vertige, et ils retombent : voilà pourquoi l'Apôtre leur annonce, avant la résurrection, un autre salaire, une autre rétribution. Qu'est-ce à dire? Encore que dans nous l'homme extérieur se détruise, néanmoins l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour; l'homme extérieur, c'est le corps; l'intérieur, l'âme. Ce que dit l'Apôtre, revient à ceci : avant la résurrection, avant la jouissance de la gloire à venir, ici même, déjà tu as reçu, pour tes fatigues, une récompense qui a son prix; l'affliction même rajeunit l'âme qui s'enrichit de sagesse, de piété, de persévérance, qui devient plus robuste, qui sent se fortifier sa vigueur. Car, de même que les athlètes qui exercent leur corps, sans compter les couronnes, sans compter les récompenses publiques, remportent, du sein même de leur gymnase, par le seul fait de l'exercice qu'ils se donnent, une précieuse récompense, la santé du corps, la force des muscles, qu'ils se procurent par leurs fatigues de gymnase, l'avantage en outre d'échapper à toutes les maladies; de même, en ce qui concerne les luttes de la vertu, avant de nous ouvrir le ciel, avant de nous voir admis auprès du Fils de Dieu, avant de recevoir nos récompenses, ici même, nous recueillons notre salaire, une rétribution considérable, l'accroissement de la sagesse, qui prend possession de notre âme. Car, voyez, les marins qui ont été , mille fois ballottés par les flots, qui ont enduré force coups de vent; qui ont eu à lutter contre des monstres sans nombre, à supporter d'innombrables tempêtes, avant de toucher le profit de leur voyage, recueillent, du seul fait qu'ils reviennent d'une longue traversée, un profit qui n'est pas méprisable; ils ont acquis de la confiance, de l'intrépidité sur mer, et ils ont gagné de faire, sans crainte, avec plaisir, ces voyages maritimes ; il en est de même, croyez-le bien, de la vie présente; celui qui â supporté afflictions sur afflictions, douleurs sur douleurs, pour Jésus-Christ, a reçu même avant de conquérir le royaume des cieux, une grande récompense; il a conquis le droit de parler, d'ici-bas, librement à Dieu, sans plus attendre; il a élevé son âme à une hauteur, d'où il tourne désormais en dérision tout ce qui paraît grave sur la terre.

Un exemple rendra plus manifeste la vérité de mes paroles. Ce Paul, notre Paul lui-même, qui supporta tant et tant de maux, a reçu, même ici-bas, ses récompenses; insignes récompenses; la force qui se rit des tyrans ; qui (235) tient tête aux fureurs populaires; qui voit de haut tous les supplices; intrépide à l'aspect des bêtes féroces, à l'aspect des poignards, et des flots, et des précipices, et des séditions, et des perfides embûches, et, pour en finir, de tous les dangers; qui se pourrait comparer à ce courage? Celui qui n'a pas été exercé, qui n'a rien souffert, les premiers événements qui arrivent, suffisent d'ordinaire à le troubler; disons mieux, ce qui le trouble ce ne sont pas les choses mêmes, et rien que la réalité; une simple prévision? Il n'en faut pas davantage. Mais que dis-je, une simple prévision, des ombres suffisent pour l'effrayer, pour l'épouvanter. Au contraire, celui qui a dépouillé tous ses vêtements, qui s'est mêlé dans les combats, qui a supporté mille et mille coups terribles, c'en est fait, il est supérieur à tout; des geais qui criaillent, voilà ce que lui paraissent ceux qui le menacent, il en rit; ce n'est pas une vulgaire couronne, une récompense banale, que de pouvoir défier toutes les douleurs humaines; mépriser, laisser à d'autres les frayeurs; et quand les autres frissonnent, et restent stupéfaits, de rire de leur épouvante, d'atteindre aux sommets des anges, de s'y établir, au milieu des vertus célestes, par la constance, par la sagesse que l'on a développée en soi. Nous disons que le corps va bien, qui ne craint ni le froid, ni le chaud, ni la faim, ni les privations, ni les incommodités des voyages, ni toutes les autres fatigues : à bien plus forte raison, elle va bien, il faut le dire, l'âme forte et généreuse, qui résiste à tous les assauts, conservant hors de toute atteinte, en dépit de tout, sa liberté. L'homme qui porte une telle âme, est plus roi que ne le sont les rois. Car un roi de la terre peut redouter ses satellites, amis, ennemis, soit les trames secrètes, soit la haine qui se déclare Mais l'âme dont j'ai parlé défie rois, satellites, domestiques, amis, ennemis, jusqu'au démon même impuissant contre elle. Comment cela? Cette âme, qui a médité, comprend que les prétendus malheurs ne sont pas des malheurs.

4. Tel était le bienheureux Paul; aussi que disait-il ? Qui donc nous séparera de l'amour de Jésus-Christ? l'affliction, ou les angoisses, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou les périls, ou l'épée? Selon qu'il est écrit pour vous, nous sommes égorgés tous les jours, on nous a regardés comme des brebis destinées à la boucherie; mais dans tous ces maux, nous sommes vainqueurs par celui qui nous a aimés. (Rom. VIII, 35-37.) C'est ce qu'il insinuait par ces paroles : Encore que dans nous l'homme extérieur se détruise , néanmoins l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour. (Cor. IV, 16.) Le corps s'affaiblit, dit-il, mais l'âme se fortifie en puissance, en énergie, ses ailes grandissent. Et de même qu'un soldat chargé de lourdes armes, quelles que soient sa bravoure et son habitude de la guerre, inspire peu de terreur aux ennemis qui savent bien que la pesanteur des armes empêche la rapidité de la course et le maniement du fer; tandis que, légèrement armé, pourvu d'armes commodes, le soldat, comme un oiseau, fond sur l'ennemi: de même, celui dont la chair ne s'est appesantie ni dans l'ivresse, ni dans les complaisances de la sensualité, ni dans les délices, à qui les jeûnes, au contraire, et les prières , et la constance dans les afflictions ont fait un corps plus mince et plus léger, celui-là c'est un oiseau qui s'abat du haut des airs, se ruant, d'un vol impétueux, sur les phalanges des démons pour les terrasser, pour subjuguer ces puissances ennemies.

Ainsi Paul, après tant de souffrances, jeté en prison, attaché au poteau, voyait son corps s'affaiblir, épuisé par les fatigues; mais son âme, il la sentait énergique et robuste : l'énergie du prisonnier dans les fers était telle que le seul bruit de sa voix ébranlait les fondements de la prison, chargeait de liens le geôlier libre, et bientôt captif de celui qu'il devait garder; ses paroles suffisaient pour ouvrir, les portes fermées à clef. Paul ne nous a donc pas donné une petite consolation en nous disant que, même avant la résurrection, nous devenons, par les épreuves, et meilleurs et plus sages. C'est pourquoi il nous dit : l'affliction produit la patience; la patience, l'épreuve, et l'épreuve, l'espérance ; cette espérance n'est point trompeuse (Rom. V, 4, 5.) Ecoutez encore une parole qu'un autre a prononcée : Celui qui n'est pas tenté, n'a pas été éprouvé, et celui qui n'a pas été éprouvé, n'a aucune valeur. (Ecclés. XXXIV, 11.)

De sorte que nous ne recueillons pas de l'affliction un mince avantage, même avant la résurrection, l'avantage de posséder une âme plus éprouvée, plus sage, plus robuste, et affranchie de toute pusillanimité. Ce qui nous explique les paroles de Paul: Encore que dans nous l'homme extérieur se détruise, néanmoins (236) l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour. (II Cor. IV, 16.) Comment cela, je vous prie? L'âme répudie toute lâcheté, les désirs déréglés s'éteignent; avarice, vanité, en un mot toutes les pensées qui nous perdent, sont exterminées. Donc, de même que l'âme qui se livre à la paresse et à l'indolence, est la proie facile des affections de ce genre, de même celle qu'exercent sans relâche les luttes de la piété, n'a pas les loisirs d'y penser, les soucis de la lutte l'en préservent. De là ces paroles: Il se renouvelle de jour en jour. Autre consolation maintenant que l'Apôtre adresse encore aux âmes qui s'affligent, qui ne comprennent pas la sagesse; pour les relever par l'espérance de l'avenir, il leur dit: Car le moment si court et si léger de l'affliction, produit en nous le poids éternel d'une souveraine et incomparable gloire ; car nous ne considérons point les choses visibles, qui n'ont qu'un temps; mais les choses invisibles, éternelles. (II Cor. IV, 17, 18.) Ces paroles reviennent à ceci : grande utilité, même ici-bas, de l'affliction, qui rend notre âme plus sage et plus prudente, en outre, qui nous ménage d'incalculables biens pour l'avenir ; et ces biens ne seront pas seulement la compensation de nos peines, ils l'emporteront de beaucoup sur nos travaux et pour le nombre et pour l'excellence. Je dis que c'est là le double témoignage de Paul; il montre, il compare l'excès des dangers, l'inestimable prix des récompenses, et il oppose, à l'instant qui passe, l'éternité; à la légèreté, le poids réel; à l'affliction, la gloire. Car l'affliction n'a qu'un instant, dit-il, et elle est légère; mais le repos (je me trompe, il ne dit pas, le repos, mais la gloire, de beaucoup supérieure au repos), la gloire est éternelle, et sans interruption dans sa grandeur. Quant à ce qu'il entend ici par poids réel, ce n'est pas quelque chose qui fatigue, qui pèse; il exprime, en se conformant à l'usage du peuple, ce qui est magnifique, d'un grand prix, attendu que d'ordinaire on dit des matières précieuses qu'elles sont d'un grand poids. Ainsi, quand il dit, le poids de la gloire, il veut dire la grandeur de la gloire. Donc, ne te borne pas à considérer, dit-il, que tu es frappé de verges, expulsé, mais calcule aussi et les couronnes, et les récompenses d'une grandeur, d'un éclat si fort au-dessus des choses présentes, ces récompenses sans fin, que rien ne limitera. Mais c'est que, m'objecte celui-ci, les choses présentes, nous les éprouvons, les autres ne sont qu'en espérance ; et les unes sont visibles; les autres, on ne les voit pas, elles sont dans des hauteurs qui nous échappent; je réponds, quoiqu'on ne les voie pas, elles sont plus visibles que les choses visibles. Que dis-je, plus visibles? Toi-même tu peux les voir, mieux que tu ne vois les choses présentes: car celles-ci passent, les autres subsistaient. Aussi l'Apôtre ajoute : Car nous ne considérons point les choses visibles, qui n'ont qu'un temps; mais les choses invisibles, éternelles. (II Cor. IV, 17, 18.)

5. Mais si tu me dis : Et comment pourrais-je voir l'invisible, et ne pas voir le présent ? Des exemples de la vie ordinaire, si je réussis, vont te démontrer que cette foi est possible. Car en ce monde personne ne s'appliquerait à ces affaires du siècle qui passe, si l'on ne voyait pas l'invisible, avant d'apercevoir le visible. Par exemple : le marchand supporte un grand nombre de tempêtes, et les flots soulevés contre lui, et les naufrages, et d'incalculables fatigues, quant à jouir des ses richesses, il faut d'abord qu'il ait affronté les tempêtes, fait écouler ses marchandises, et qu'il se soit donné beaucoup de peines et de soucis. Les tempêtes d'abord ; la vente des marchandises, après; et la mer, et les flots sont choses visibles en sortant du port; mais le profit de la vente, invisible; car il n'existe qu'en espérance. Cependant, si le marchand ne voyait pas d'abord cette vente invisible, et qui n'est pas une chose présente, qui n'est pas en ses mains, et qui n'existe qu'en espérance, il ne tenterait pas ce présent visible. De même encore, le laboureur attelle ses boeufs, et traîne la charrue, et creuse profondément le sillon, et jette les semences, et tout ce qu'il a, il le dépense, et le froid, et la glace, et les pluies, et tant d'autres épreuves, il supporte tout, et ce n'est qu'après ces fatigues qu'il s'attend à voir ses blés aux riches épis, et sa grange pleine. Voyez-vous, dans cet exemple encore,-la peine d'abord, le salaire ensuite; le salaire incertain, la peine manifeste et visible; et celui-là n'est qu'en espérance, l'autre, dans les bras qui la sentent ? Et cependant le laboureur aussi, s'il ne voit pas d'abord la récompense qui ne se manifeste pas, le salaire invisible, qui n'apparaît pas aux yeux du corps, non-seulement il n'attellera passes boeufs, il ne traînera pas la charrue, il ne jettera pas les semences, mais il ne fera pas un mouvement hors de chez lui, pour un tel travail. Comment donc ne serait-il pas absurde, lorsque, dans la (237) vie ordinaire, on voit l'invisible avant le visible, lorsqu'avant tout salaire, on endure les fatigues; on commence par supporter tout ce qui est incommode et fâcheux, et ce n'est qu'ensuite qu'on attend les biens qu'on a mérités ; c'est l'espoir fondé sur l'invisible qui fait qu'on s'applique à ce qu'on voit ; lorsqu'il en est ainsi, quelle absurdité, en ce qui touche Dieu, de douter, d'hésiter , de réclamer, avant les fatigues, les récompenses , et de se montrer moins généreux que les laboureurs, que les marins ?

Car ce n'est pas seulement par notre répugnance à nous confier dans l'avenir, que nous montrons moins de ,sagesse qu'eux, il y a encore une autre raison, aussi considérable, qui les rend supérieurs à nous. Quelle est-elle? C'est que, quoiqu'ils n'aient pas absolument la certitude de voir leurs espérances satisfaites, ils n'en continuent pas moins à supporter les fatigues : mais toi, tu as pour t'assurer de tes couronnes, le plus sûr garant, et même avec cette caution, tu montres moins de constance. Car souvent le laboureur, les semailles faites, après avoir donné ses soins à la terre, et vu croître et mûrir une riche moisson, voit la grêle, ou la nielle, ou les sauterelles, ou d'autres fléaux quelconques lui arracher la récompense de ses labeurs, et, après tant de sueurs, il retourne chez lui les mains vides. Et le marchand à son tour, après avoir franchi les vastes mers, amenant avec lui un vaisseau bien rempli, souvent, à l'entrée même du port, le voilà saisi par les vents qui le brisent contre un écueil, c'est à peine s'il a pu se sauver tout nu. Et généralement pour toutes les affaires de la vie, souvent il arrive des catastrophes qui font perdre le résultat qu'on attendait. Mais, pour les combats qui te sont proposés, il n'en est pas de même ; nécessité absolue que celui qui a combattu , que celui qui a semé la piété, qui a supporté beaucoup de fatigues, obtienne son résultat. Car ni la mobilité irrégulière de l'atmosphère, ni les vents impétueux ne peuvent nous enlever les récompenses de ces fatigues ; Dieu ne l'a pas permis ; nos récompenses sont en réserve dans les trésors du ciel, à l'abri de toute déprédation. De là encore ce que Paul disait : L'affliction produit la patience, la patience l'épreuve, et l'épreuve l'espérance; cette espérance n'est point trompeuse. (Rom. V, 4, 5.) Ne dites donc point que les choses à venir sont invisibles : car si vous voulez les examiner avec attention, elles sont beaucoup plus visibles que ce que vous touchez de vos mains. C'est encore ce que nous montre Paul, quand il fait entendre ces mots : Les choses éternelles, qu'il oppose à celles qui n'ont qu'un temps: ce caractère qu'elles n'ont qu'un temps montre qu'elles sont périssables. Car avant de paraître, elles s'enfuient, elles s'envolent avant de s'être fixées, les vicissitudes en sont rapides, la possession mal assurée. Ce qui s'applique à la fortune, à la gloire, à la puissance, à la beauté du corps, à la force, en un mot, évidemment à toutes les choses de la vie. C'est pourquoi le prophète raillant, et ceux qui vivent dans les délices, et ceux que possède la fureur de s'enrichir, et tous les autres dérèglements de la folle pensée: Ils ont regardé, dit-il, comme stable, ce qui n'est que fugitif. (Amos, VI, 5.) Car, de même qu'on ne peut pas se saisir d'une ombre, ainsi des choses de la vie terrestre; les unes s'évanouissent au moment de la fin, les autres, même avant la fin, avec plus de rapidité que n'importe quel torrent. Pour les choses à venir, il n'en est pas de même; elles ne connaissent ni changement, ni vicissitudes, ni vieillesse, ni altération quelconque; ce sont des fleurs toujours vivantes d'une persistante beauté. De sorte que, s'il faut dire qu'il y a des choses invisibles, obscures, incertaines, il faut entendre par là les choses présentes, celles dont la possession n'est pas durable, qui changent de maîtres, qui, chaque jour, passent de l'un à l'autre, et, par un nouveau bond, retournent de celui-ci à celui-là. Après avoir montré, après nous avoir dit que les choses présentes n'ont qu'un temps, que les choses à venir sont éternelles, Paul commence à parler de la résurrection, en ces mots : Car nous savons que si cette maison de terre, cette habitation, cette tente vient à être défaite, Dieu nous donne une maison, qu'aucune main d'homme n'a faite, éternelle demeure dans les cieux. (II Cor. V, 1.)

6. Voyez encore, en cet endroit, la propriété des expressions dont il s'est servi, montrant par la seule puissance des mots la puissance des pensées. Car ce n'est pas sans intention qu'il appelle notre corps une tente, il veut faire voir que la vie présente n'a qu'un temps, il veut faire concevoir le changement qui s'opère en mieux. Il nous dit presque : Pourquoi tes gémissements, tes larmes, mon bien-aimé, parce qu'on te frappe, parce qu'on te chasse, parce (238) qu'on te jette en prison? pourquoi te lamenter sur ces afflictions particulières, quand tu sais que ton corps doit être un jour entièrement décomposé, ou plutôt que la corruption, qui est dans ton corps, doit disparaître? Car, pour faire voir que ces afflictions particulières, non-seulement ne doivent pas nous attrister, mais doivent être pour nous un sujet de joie, il montre que la consommation universelle et finale doit être notre désir, l'oeuvre de nos prières; il entend par là la dissolution que produit la mort. C'est encore dans cette pensée qu'il dit : Car nous gémissons dans cette tente, désirant nous voir revêtus, comme d'un second vêtement, de notre habitation céleste. (II Cor. V, 2.) Ces deux mots, habitation, tente, désignent le corps; supposons qu'il entende par là les maisons dans lesquelles nous habitons, les villes, c'est une figure de la vie présente. Et il ne dit pas simplement, je sais, mais. nous savons; il parle au nom de ceux qui l'écoutent. Je ne vous entretiens pas, dit-il, de choses douteuses ou inconnues, mais de choses que vous avez déjà acceptées par la foi; vous croyez en la résurrection du Seigneur. Voilà pourquoi nous appelons tentes, les corps de ceux qui ne sont plus. Et voyez la propriété de l'expression dont il s'est servi. Il ne dit pas, a été détruite, ou a disparu, mais: a été défaite, indiquant par là que l'habitation est défaite pour se relever plus brillante , plus éclatante. Ensuite , de même qu'au sujet des peines et des récompenses, il a fait une comparaison prise de la qualité, du temps, de la quantité, de même encore, en cette occasion ; notre corps caduc, il l'appelle tente; ce qui ressuscite, une maison; et non-seulement une maison, mais une demeure éternelle; et non-seulement éternelle, mais céleste; ainsi, et le temps, et le lieu lui servent à en montrer l'excellence. L'habitation présente est de terre, cette autre demeure est une demeure céleste; la première n'a qu'un temps, l'autre est éternelle. Et maintenant, il nous faut à la fois et un corps, et des maisons, à cause de la faiblesse de notre constitution; mais, un jour, le corps servira en même temps de corps et de logement, sans qu'il soit besoin, ni de toit, ni d'abri, ni de couvertures quelconques ; l'incorruptibilité suffira. Ensuite , pour montrer l'excellence des biens qui lui pont réservés, il dit : Car nous gémissons dans cette tente. Il ne dit pas, je gémis, mais il associe les autres à sa pensée. Car nous gémissons, dit-il; il veut les attirer à sa sagesse, les admettre à partager sa pensée. Car nous gémissons dans cette tente , désirant nous voir revêtus, comme d'un second vêtement, de notre habitation céleste. Il ne dit pas simplement revêtus, mais revêtus comme d'un second vêtement , et il ajoute : Si toutefois nous sommes trouvés vêtus, et non pas nus. (II Cor. V, 3.) Ce qui semble obscur, mais s'éclaircit bien vite par ce qui suit : Car, pendant que nous sommes dans notre tente, nous gémissons appesantis, parce que nous ne voulons pas être dépouillés, mais recevoir encore un vêtement. (Ibid. 4.)

Vous voyez comme il est fidèle à son langage; il n'appelle pas maison, ce corps que nous avons actuellement, il continue à l'appeler une tente. Pourquoi? dit-il, parce que nous ne voulons pas être dépouillés, mais recevoir encore un vêtement. Il porte ici un coup mortel à ceux qui calomnient notre corps, et qui accusent notre chair. En effet, aussitôt après avoir dit que nous gémissons et que nous ne voulons pas être dépouillés, pour qu'on ne s'imagine pas qu'il veut fuir le corps, qu'il le regarde comme quelque chose de mauvais, comme une cause de perversité, comme un ennemi, écoutez de quelle manière il prévient un soupçon injuste : il commence par dire que nous gémissons, désirant nous voir revêtus, comme d'un second vêtement, de notre habitation céleste : dans la réalité, celui qui se revêt d'un second vêtement, prend un autre vêtement qu'il ajoute au premier; il continue, en disant : Nous gémissons appesantis, parce que nous ne voulons pas être dépouillés, mais recevoir encore un vêtement. Ces paroles reviennent à ceci : nous ne voulons pas, dit-il, nous dévêtir de la chair, mais de la corruption, quitter notre corps, mais la mort. Le corps est une chose, et la mort, une autre; le corps est une chose, et la corruption une autre; ni le corps n'est la corruption, ni la corruption n'est le corps. Sans doute le corps se corrompt, mais le corps n'est pas la corruption; sans doute le corps est mortel, mais le corps n'est pas la mort; le corps est l'oeuvre de Dieu, mais la corruption et la mort ont été introduites par le péché. Donc je veux me dépouiller de ce qui m'est étranger, dit-il, et non de ce qui m'est propre; or ce qui est étranger, ce n'est pas le corps, mais la corruption. Voilà pourquoi il dit : Parce que nous ne voulons pas être dépouillés, cela veut dire, de notre corps, (239) mais recevoir encore un vêtement, ajouter, à notre corps, l'incorruptibilité. Le corps se trouve entre la corruption et l'incorruptibilité. Donc, l'homme se dépouille de la corruption et ajoute, au vêtement qui est son corps, le second vêtement, qui est l'incorruptibilité ; il met de côté ce qu'il a reçu du péché, et il s'empare de ce que lui a concédé la divine grâce. Comprenez bien que l'Apôtre ne dit pas être dépouillés, en parlant du corps, mais en parlant de la corruption et de la mort; voici ce qui le prouve, écoutez la suite de ses paroles. En disant : Nous ne voulons pas être dépouillés, mais recevoir encore un vêtement, il n'ajoute pas, afin que le corps soit absorbé par ce qui est incorporel, qu'ajoute-t-il donc? Afin que ce qu'il y a de mortel soit absorbé par la vie (II Cor. V, 4), c'est-à-dire pour que la mortalité s'évanouisse et soit détruite ; de sorte qu'il ne parle pas de la destruction du corps, mais de la destruction de la mort et de la corruption. Car la vie qui s'ajoute, ne fait pas disparaître le corps, elle ne le consume pas; elle détruit seulement ce qui est survenu au corps, la corruption et la mort. Donc, ces gémissements n'accusent pas le corps, mais la corruption qui s'y est attachée; en effet, si le corps est un fardeau pesant, importun, ce n'est pas par sa nature particulière, mais à cause de la mortalité qui s'est ajoutée au corps. Mais non, le corps n'est pas corruptible, le corps, au contraire, est incorruptible. Car telle est sa noblesse, qu'au sein même de la corruption, il manifeste sa dignité. On sait bien que les ombres des apôtres ont chassé les puissances incorporelles; leur poussière et leurs cendres ont vaincu les démons; les vêtements qui ont touché leurs corps ont mis en fuite les maladies, et ramené la santé.

7. Ne me parlez pas de flegmes, de bile, de sueurs, d'impuretés, de toutes les accusations qu'on dirige contre le corps; ce n'étaient pas là des propriétés essentielles de la nature des corps, ce sont des effets de la corruption ultérieurement survenue. Voulez-vous savoir ce que vaut le corps; voyez la composition de tous ses membres, sa figure, ses opérations, la concorde qui produit l'harmonie du tout; non , il n'est pas de cité bien réglée, ne contenant que des citoyens tous pleins de sagesse, qui présente une administration plus exacte, plus régulière que celle de nos membres. Si cet ordre merveilleux échappe à vos regards négligemment jetés de haut en bas, si vous ne voulez considérer que ce qu'il y a de corruptible et de mortel, eh bien ! à ce point de vue, nous ne serons pas encore à court de réponse. Nous vous dirons que, non-seulement il n'y a là aucun dommage, mais, qu'au contraire, un gain considérable en résulte pour la race humaine. En effet, tous les saints, vivant avec leur corps, ont fait paraître en eux la noble vie des anges , et le corps n'a en rien retardé leur course à la poursuite de la vertu; et ceux qui étaient portés à l'impiété, n'ont pas trouvé un petit obstacle dans la corruption même de ce corps qui les empêchait de s'enfoncer plus avant dans leur iniquité. En effet si, dans l'enveloppe de ce corps sujet à la corruption, à tant de douleurs, un grand nombre d'hommes se sont imaginé qu'ils égalaient Dieu, si, pour se revêtir d'une telle gloire, ils ont fait de grandes choses, supposez un moment qu'ils n'eussent pas eu un corps exposé aux douleurs , sujet à la corruption , quels esprits grossiers n'auraient-ils pas trompés? Ainsi, quand il est vrai de dire que le corps est un obstacle à cette impiété, qui est le dernier terme de la malice humaine; quand il est vrai, en même temps, qu'il fournit aux saints les moyens de montrer qu'ils portent une âme virile, quelle indulgence pourraient mériter ceux qui calomnient le corps et qui le déclarent une nature mauvaise ? Nous pourrions ne .pas nous borner à ces réflexions, mais ajouter que, par le corps, nous arrivons à la connaissance de Dieu. Car si les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles, depuis la création du monde, par la connaissance que ces créatures nous en donnent (Rom. I, 20), et si la foi vient de ce qu'on a entendu (Rom. X, 17), il est évident que les yeux et les oreilles conduisent l'âme pas à pas à la connaissance de celui qui l'a faite, à la connaissance de Dieu. Voilà pourquoi Paul aime le corps, et il proclame bien haut son amour, en disant: Nous ne voulons pas en être dépouillés, mais ajouter à notre corps un second vêtement, l'immortalité. (II Cor. V, 4.)

Ne me dites pas : comment le corps peut-il ressusciter et devenir incorruptible ? Car une fois que c'est la puissance de Dieu qui opère, le comment n'a plus de sens. Mais que dis-je de Dieu ? C'est toi-même qu'il a fait artisan de résurrection, exemple, les semailles; exemple, les divers arts; exemple, les métaux. En effet, (240) si les semences ne commencent pas par mourir, par la corruption, par la destruction, elles ne produisent pas l'épi. De même donc, ici-bas, qu'à la vue du grain qui se corrompt et se décompose, loin de douter de la résurrection, vous y voyiez au contraire la démonstration la plus manifeste, car si le grain subsistait sans se corrompre, sans être détruit, jamais il ne ressusciterait, raisonnez de même sur votre corps; c'est quand vous voyez la corruption, qu'il faut surtout comprendre la résurrection. Car la mort n'est pas autre chose que la corruption détruite pour toujours; car ce n'est pas simplement le corps, mais la corruption du corps que la mort détruit. Autre exemple fourni par ce que nous pouvons voir en ce qui concerne les métaux. Le minerai qui contient l'or, est reçu par des gens expérimentés; on le jette dans le fourneau, et l'on obtient l'or; avec du sable et d'autres substances mêlées, on fait le verre dont vous connaissez la pureté. Eh bien! maintenant, répondez-moi, le feu a ce pouvoir, et la grâce de Dieu ne l'aurait pas? Qui pourrait le soutenir parmi ceux qui ont conservé une ombre de raison ? Réfléchissez sur la manière dont Dieu vous a créés dès le principe, et ne doutez plus de la résurrection. Est-ce qu'il n'a pas pris de la terre, qu'il a façonnée? Eh bien ! quel est, ici, le plus difficile, faire, avec de la terre, de la chair, des veines, une peau, des os, des fibres, des nerfs, des artères, des corps organiques et des corps simples, des yeux, des oreilles, des nez, des pieds et des mains, et donner à chacun de ces organes son énergie particulière et en même temps l'énergie qui s'accorde, ou bien faire que ce qui est devenu corruptible soit immortel? Ne voyez-vous pas que la terre est uniforme, tandis que le corps est varié, multiforme, en ce qui concerne les opérations, les couleurs, la figure, les substances et tout le reste ? D'où vient donc votre doute sur les choses à venir, répondez-moi, et qu'est-il besoin de vous parler des corps? Car, voyons, les puissances infinies, les peuples des anges, les archanges, les troupes composées des vertus supérieures encore, comment les a-t-il faits ? répondez. Quant à moi, je ne puis rien vous dire, sinon qu'il lui a suffi de le vouloir. Eh bien, celui qui a pu faire tarit d'armées de puissances spirituelles, ne peut pas renouveler le corps de l'homme, attaqué par la corruption, et l'élever à une dignité plus haute? Quel homme assez dépourvu d'intelligence pourrait douter de ces choses et nier la résurrection? Sachez-le bien, sans la résurrection du corps, il n'est pas de résurrection pour l'homme, car l'homme n'est pas seulement une âme, c'est à la fois une âme et un corps. Si donc l'âme ressuscite seule, c'est la moitié de l'être vivant qui ressuscite, et non l'être tout entier : d'ailleurs, en ce qui concerne l'âme, le mot de résurrection n'aurait pas de propriété. Car il n'y a de résurrection que de ce qui est déchu et décomposé ; or, ce n'est pas l'âme qui se décompose, mais le corps. Que signifie cette parole: Si toutefois nous sommes trouvés vêtus, et non pas nus ? (II Cor. V, 3.) Mystère profond, ineffable, que l'Apôtre nous indique ici d'une manière énigmatique. Quel mystère? C'est ce qu'il dit dans l'épître aux Corinthiens : Tous, nous ressusciterons, chacun de nous en son rang. (I Cor. XV, 22, 23.) Or que signifie cette parole ? que le grec, le juif, l'hérétique, tout homme venu en ce monde, ressuscitera en ce jour. Ce qu'il montre par ces paroles : Nous ne dormirons pas tous, mais nous serons tous changés, en un moment, en un clin d'oeil, au son de la dernière trompette. (I Cor. XV, 51, 52.)

8. Mais maintenant, parce que la résurrection est universelle pour les hommes pieux, pour les impies, pour les méchants, pour les bons, n'allez pas en conclure l'injustice du jugement, gardez-vous de dire en vous-mêmes : Qu'est-ce que cela? Comment! moi qui fus plein de zèle, tant éprouvé, si malheureux, je ressuscite,, et le grec, et l'impie, et l'idolâtre, et celui qui a méconnu le Christ, tous ressuscitent également, ils jouissent du même honneur que moi? Pour prévenir ce trouble de vos pensées, écoutez ce que dit l'Apôtre : Si toutefois nous sommes trouvés vêtus, et non pas nus. (II Cor. V, 3.) Et comment peut-il dire que celui qui a revêtu l'incorruptibilité, l'immortalité, serait trouvé nu? Comment? II prévoit le cas où nous serions privés de la gloire, privés du droit de pouvoir raconter à Dieu toute notre vie. Car les corps des pécheurs ressuscitent incorruptibles et immortels; mais cet honneur n'est pour eux que la possibilité de subir le châtiment et les supplices : ils ressuscitent incorruptibles, pour brûler éternellement. Car le feu qui les attend est inextinguible, il faut par conséquent à ce feu des corps qui lui répondent, qui ne soient jamais consumés. De là ces paroles : Si toutefois nous sommes trouvés vêtus, (241) et non pas nus. Car il ne suffit pas que nous ressuscitions et que nous revêtions l'immortalité, mais il faut que ressuscités, et que revêtus d'immortalité, nous ne soyons pas trouvés nus de gloire et de confiance en Dieu, pour n'être pas livrés aux flammes. Voilà pourquoi l'Apôtre dit : Si toutefois nous sommes trouvés vêtus, et non pas nus. Ensuite ce sont d'autres paroles pour fortifier la croyance à la résurrection, et il dit, que ce qu'il y a de mortel doit être absorbé par la vie (II Cor. V, 4), puis il ajoute : Celui qui nous a formés pour cet état, c'est Dieu. (Ibid. V, 5.) Ce qui revient à dire : Dès le principe, Dieu a fait l'homme non pour qu'il fût détruit, mais pour qu'il tendît à l'incorruptibilité. Aussi quand il consentit à la mort, Dieu ne l'a permise, ô homme, qu'afin que devenu sage par la punition, devenu meilleur, tu pusses de nouveau ressaisir l'immortalité.

Voilà, dès le principe, la sublime pensée, la ferme résolution de Dieu, c'est avec cette pensée qu'il a formé le premier homme, et aussitôt il l'exprima par les signes qu'il donna aux premiers jours du monde. Car s'il n'eût pas voulu, dès le commencement, nous ouvrir les portes de la résurrection, il n'aurait pas souffert qu'Abel, orné de toutes les vertus, qu'Abel, qu'il aimait, éprouvât ce qu'il a éprouvé. Mais pour nous montrer que nous marchons vers une autre vie, qu'un autre âge a été réservé aux justes, qui doivent y trouver leurs récompenses et leurs couronnes, il a voulu que le premier juste, quittant la terre sans y avoir reçu le salaire de ses peines, nous criât par les blessures qu'il avait comme autant de voix entendues de tous, après la vie d'ici-bas, il y a une rémunération , un salaire, une récompense. Voilà pourquoi il a enlevé Enoch, ravi dans le ciel Elie, ces premières figures de la résurrection. Donc il suffit, pour que le raisonnement soit sans réplique, de la puissance du Créateur : toutefois si quelque esprit un peu faible veut encore une démonstration, ajoutée à ce qui précède, un gage de la résurrection à venir, Dieu nous l'a encore donné avec une grande libéralité, en nous prodiguant la grâce du Saint-Esprit. Aussi Paul, après avoir démontré la résurrection parla résurrection du Christ, parla puissance de Dieu qui nous a formés, ajoute cette parole: Il nous a donné pour arrhes, non des richesses, ni de l'or, ni de l'argent, mais pour arrhes l'Esprit. (II Cor. V, 5.) Or qui dit arrhes, dit partie d'un tout, et cette partie fait qu'on a confiance pour le tout. Car, de même que, dans les conventions, celui qui a reçu des arrhes, ne s'inquiète pas de tout le reste, et prend confiance, de même toi qui as reçu tes arrhes, je veux dire les dons de l'Esprit, tu ne dois plus être en doute des biens qui te sont réservés. Toi, qui ressuscites des cadavres, qui guéris les aveugles, qui chasses les démons, qui purifies les lépreux, qui enlèves les maladies, qui détruis la mort, qui as le pouvoir de faire tant et de si grandes choses, dans un corps fragile et mortel, quel pardon mériteras-tu, si tu doutes de la résurrection ? En effet, si, avant que le temps de la résurrection soit arrivé, lorsque la lutte dure encore, Dieu nous donne pour récompenses de si belles couronnes, concevez quels prix magnifiques il nous donnera quand viendra l'heure de la distribution. Mais on m'objecte : Nous ne voyons pas aujourd'hui ces merveilleux signes, nous n'avons pas un si grand pouvoir; voici ce que je réponds : qu'importe qu'ils paraissent maintenant, ou qu'ils aient paru auparavant? Qu'autrefois les apôtres aient donné des signes merveilleux , c'est ce que témoignent par toute la terre les Ecritures, les peuples, les cités , les nations qui sont accourues auprès de pauvres gens, de pauvres pêcheurs. Ils ne se seraient pas rendus maîtres de toute la terre, ces gens sans lettres, ces mendiants, ces pauvres, ces hommes dédaignés, s'ils n'avaient pas eu ces miracles pour les secourir. Mais toi-même tu n'as pas échappé à la grâce de l'Esprit; tu portes maintenant encore de nombreuses marques de cette munificence, elles sont restées en toi, et il faut dire que toutes celles que nous avons énumérées hors de toi , sont loin d'être aussi grandes, aussi admirables. Car il n'y a pas égalité de merveilles, à ressusciter un corps sans vie, et quand une âme a été frappée de mort par ses péchés, à l'affranchir d'une telle destruction : ce qui se fait par le baptême; il n'y a pas égalité de merveilles à guérir les maladies de la chair, et à déposer le fardeau des péchés; il n'y a pas égalité de merveilles à faire cesser la cécité du corps et à faire briller la lumière dans une âme obscurcie. Si nous n'avions pas pour arrhes , à présent même , l'Esprit, nous ne posséderions ni le baptême, ni la rémission des péchés; nous n'aurions ni la justice ni la sanctification ; nous ne connaîtrions pas l'adoption des (242) enfants de Dieu, nous ne jouirions pas des mystères; jamais nous n'aurions goûté ni le corps ni le sang mystique si la grâce de l'Esprit n'était sur nous; ni prêtres, ni ordinations n'étaient possibles sans la descente de l'Esprit. Mais qui pourrait dire tant d'autres marques de sa grâce? Ainsi toi-même tu portes en toi, tu as pour arrhes, l'Esprit; ton âme était morte , elle vit; la cécité des pensées n'est plus ton partage, et tu ne suis plus la route de l'impureté. Donc ne doutons plus des choses à venir, puisque nous avons reçu de tels gages : rassemblons de toutes parts les preuves de la résurrection, montrons une conduite digne de cette croyance, afin que nous obtenions les biens que nul pouvoir ne peut ravir, et qui surpassent toute parole, toute pensée humaine, et puissions-nous entrer tous tant que nous sommes en ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui est la gloire, qui appartient en même temps au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. PORTELETTE.

 

 

 

 

HOMÉLIE CONTRE CEUX QUI S'ENIVRENT ET SUR LA RÉSURRECTION. Prononcée le jour de Pâques.

AVERTISSEMENT ET ANALYSE

Cette homélie fut prononcée la même année que celle sur la trahison de Judas, le jour de la résurrection du Seigneur, après le carême durant lequel le saint docteur fit les trente-deux premières homélies sur la Genèse. — La même année encore saint Chrysostome prononça les cinq homélies sur le commencement des Actes, et les quatre homélies sur le changement des noms.

Saint Chrysostome s'exprime ainsi dans l'homélie première sur le commencement des Actes (num. 2) : Les richesses ne sont pas mauvaises par elles-mêmes, l'usage illégitime qu'on en fait, voilà le mal; dernièrement, parlant de l'ivrognerie, je n'accusais pas le vin, parce que toute créature de Dieu est bonne, lorsqu'on en use avec actions de grâces, mais j'accusais l'abus que les hommes font du vin, etc. — Ces paroles se rapportent évidemment à la présente homélie, elles font particulièrement allusion à ce passage : Ne nous enivrons pas, je ne dis pas : ne buvons pas de vin, mais ne nous enivrons pas. Le vin n'est pas la cause de l'ivresse : le vin est créature de Dieu : or, la créature de Dieu n'a rien en soi de mauvais, la volonté libre et pervertie est seule cause de l'ivresse, etc.

Ainsi les trente-deux premières homélies sur la Genèse, la seconde homélie sur la trahison de Judas prononcée le jour de la cène du Seigneur, celle-ci sur la résurrection contre ceux qui s'enivrent, les cinq sur le commencement des Actes, les quatre sur le changement des noms, puis la continuation des homélies sur la Genèse à partir de la trente-troisième, forment une grande série appartenant à la même année. — Quelle est cette année R c'est ce qu'il est difficile de déterminer d'une manière précise.

1° Le jeûne véritable consiste à s'abstenir de pécher. — Tout le monde peut ainsi jeûner, la faiblesse de la santé n'y met pas d'obstacle. —2° Portrait de l'homme ivre, il est pire qu'un démoniaque. — Nolite inebriari vina, in quo est luxuria, sed implemini Spiritu sancto (Ephés. V, 18). — Il y a donc aussi une ivresse spirituelle, heureux effet qu'elle produit. — 3° Le jour de la résurrection du Seigneur, la joie est générale au ciel et sur la terre; cette joie spirituelle, il n'est interdit à personne d'y prendre part; la participation aux mystères est accessible pour tous, elle est sans acception de personne. — Le genre humain mort en Adam est ressuscité en Jésus-Christ. — 4° Développement de l'idée précédente. — S'adressant aux nouveaux baptisés, saint Jean Chrysostome les exhorte à finir les choses mêmes qui étaient ou qui paraissaient indifférentes, comme les ris, les regards indiscrets et la bonne chère, qui conduisent peu à peu aux plus grands désordres.

1. Nous avons mis de côté le fardeau du jeûne, mais ne mettons pas de côté le fruit du jeûne ; car on peut abandonner le jeûne, et recueillir le fruit du jeûne. Il est passé le temps des luttes fatigantes, mais il n'est point passé le temps de rechercher avec zèle la perfection ; le jeûne est passé, mais il faut que la piété demeure ; disons mieux, le jeûne n'est point passé. Toutefois, rassurez-vous : ce que je viens de dire, ce n'est pas pour vous annoncer un second carême, mais pour vous prêcher toujours la même vertu : il est passé le jeûne du corps, mais il n'est point passé le jeûne de l'esprit; et celui-ci est meilleur que l'autre, car cet autre n'a lieu que pour produire le dernier. Quand vous jeûniez, je vous disais qu'il peut se faire que celui qui jeûne, ne jeûne pas; eh bien ! de même je vous dis aujourd'hui, a qu'il peut se faire que celui qui ne jeûne pas, jeûne. Peut-être cette parole vous semble-t-elle une énigme ; mais je veux joindre la solution à la question : comment se peut-il faire que celui qui jeûne ne jeûne pas ? C'est ce qui arrive, quand on s'abstient de la nourriture, sans s'abstenir du péché. Comment peut-il se faire que celui qui ne jeûne pas, jeûne ? C'est ce qui (244) arrive, quand on fait usage de la nourriture, sans goûter au péché. Ce jeûne vaut mieux que l'autre, et non-seulement il vaut mieux, mais il est aussi plus léger. A propos de cet autre jeûne, un grand nombre de personnes alléguaient la faiblesse de leur tempérament, des démangeaisons difficiles à supporter. Je suis plein de choses qui me démangent, dit l'un; je ne peux pas rester sans prendre de bains; je ne peux pas boire d'eau, l'eau me fait mal; je ne supporte pas les légumes. J'en ai assez entendu , alors, de ces discours : pour le jeûne de maintenant, on ne peut rien dire de pareil. Prenez des bains, mettez-vous à table, buvez du vin, modérément, et si vous voulez goûter aux viandes, personne ne vous le défend ; jouissez de toutes choses, seulement abstenez-vous du péché. Comprenez-vous combien il est facile pour tout le monde de jeûner ainsi ? La faiblesse du tempérament ne peut plus être alléguée; la pureté de l'âme suffit à l'accomplissement parfait. Il peut en outre se faire que, sans boire de vin, on s'enivre, et qu'en buvant du vin on se montre sage. Ce qui prouve que l'ivresse peut se produire sans le vin, c'est cette parole du prophète : Malheur à vous qui êtes ivres, sans avoir bu de vin ! ( Isai. XXVIII, 1. ) Comment peut-on s'enivrer sans vin? Quand on ne mêle pas au vin pur des passions les pieuses pensées. Il est possible de boire du vin sans tomber dans l'ivresse : autrement Paul n'aurait pas prescrit l'usage du vin à Timothée, en lui écrivant : Usez d'un peu devin, à cause de votre estomac et de vos fréquentes maladies. (II Tim. V, 23.) C'est que l'ivresse n'est pas autre chose qu'un trouble qui dérange la nature des pensées, le bouleversement de la raison, le vide de l'esprit, l'intelligence réduite à l'indigence. Et ces effets ne résultent pas seulement de l'ivresse par le vin, mais aussi de l'ivresse de la colère et des passions déréglées.

Car de même que la fièvre est produite par les veilles, produite par les fatigues, produite par le chagrin, produite par des humeurs viciées, par des causes différentes, mais que c'est toujours une seule et même affection maladive, il en est de même de ce qui nous occupe: le vin produit l'ivresse, et les passions aussi la produisent, et de même des humeurs viciées, les causes sont différentes, mais c'est toujours une seule et même affection, la même maladie. Abstenons-nous de l'ivresse: je ne dis pas abstenons-nous du vin, mais abstenons-nous de l'ivresse; ce n'est pas le vin qui produit l'ivresse; car le vin est un ouvrage de Dieu, et un ouvrage de Dieu n'a rien en soi de mauvais; c'est une volonté mauvaise qui produit l'ivresse. Voulez-vous entendre dire que l'ivresse n'est pas seulement l'effet du vin, écoutez ce que dit Paul: Ne vous enivrez pas avec le vin (Ephés. V, 18); il montre par là qu'il y a différentes espèces d'ivresse. Ne vous enivrez pas avec le vin, d'où naissent les dissolutions; admirable manière de renfermer dans une expression courte tout ce qui accuse l'ivresse. Qu'est-ce à dire? Ne vous enivrez pas avec le vin, d'où naissent les dissolutions. Nous appelons dissolus ceux d'entre les jeunes gens qui, après avoir reçu leur part de l'héritage paternel, gaspillent tout d'un seul coup, sans réfléchir à qui il convient de donner, quand il faut donner, dépensant vêtements, or, argent, indistinctement toutes les richesses reçues de leurs pères, et les distribuant à des courtisanes, à des compagnons de débauches. Voilà ce que fait l'ivresse . comme elle prend un jeune homme dissolu, elle saisit la pensée de ceux qui sont ivres, réduit la raison en servitude; elle nous force à répandre étourdiment, sans aucune espèce de précaution, tout ce que nous avons dans l'esprit. L'homme ivre ne sait ni ce qu'il faut dire, ni ce qu'il faut taire; sa bouche est toujours une ouverture sans porte , il n'y a ni verrou, ni porte sur ses lèvres; l'homme ivre ne sait ni ménager ses discours avec discernement, ni administrer les richesses de son intelligence, ni mettre en réserve telles ressources, dépenser les autres , il dépense tout, il gaspille tout. L'ivresse est un délire volontaire, une trahison des pensées ; l'ivresse est un malheur ridicule, une maladie qui attire les sarcasmes, un démon que l'on adopte par choix, l'ivresse est plus funeste que la démence.

2. Voulez-vous la preuve que l'homme ivre est au-dessous du démoniaque ? Nous avons tous pitié du démoniaque, mais l'homme ivre, nous le détestons; le démoniaque nous émeut de compassion, l'autre nous irrite et nous indigne; pourquoi? C'est que le premier subit un mal violent, l'autre ne souffre que par sa négligence; celui-là succombe sous la perfidie de ses ennemis, celui-ci sous la perfidie de ses propres pensées; et, maintenant, voici en quoi le démoniaque et l'homme ivre se ressemblent : (245) même démarche chancelante, même bouleversement d'esprit, même chute, même égarement des yeux, même manière de se débattre quand le corps est renversé par terre; l'écume sort de la bouche, même salive infecte, même insupportable exhalaison. Un homme de cette espèce est un objet de dégoût pour ses amis, de risée pour ses ennemis, de mépris pour ses serviteurs, d'ennui pour sa femme; insupportable à tous, il est plus à charge que les êtres mêmes dépourvus de raison. Les animaux ne boivent qu'autant qu'ils ont soif, la mesure du besoin règle leurs désirs; celui-ci, dans son intempérance, franchit toute mesure, plus dépourvu de raison que les êtres sans raison. Et, ce qu'il y a de plus triste, c'est qu'une maladie qui porte en soi tant de maux, escortée de tant de calamités, ne semble pas pouvoir être un sujet d'accusation : au contraire, aux tables des riches, c'est un combat, c'est un concours, en vue de cette ignominie, et l'on rivalise à qui sera plus ostensiblement infâme, à qui sera plus ridicule, à qui s'énervera le mieux, à qui saura le mieux ruiner ses forces, irriter le Seigneur, notre Maître, notre Dieu, et l'on voit ce stade, cette lutte où préside le démon. L'homme qui s'enivre est plus malheureux que les morts; le mort est gisant, privé de sentiment, incapable de tout bien comme de tout mal; mais celui-ci est prompt à faire toute action mauvaise, son corps est pour lui comme un tombeau où il a enseveli son âme, et il promène son corps qui n'est qu'un cadavre. Ne voyez-vous pas comme il est plus malheureux qu'un démoniaque? plus privé de sentiment que les morts ? Voulez-vous que j'ajoute ce qui est plus grave, plus triste que tout ce que je viens de dire? L'homme qui s'enivre, ne peut pas entrer dans le royaume des cieux. Qui le dit ? Paul. Ne vous y trompez pas : ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les impudiques, ni ceux qui pratiquent l'abomination, ni les voleurs, ni les avares, ni les ivrognes, ni les médisants, ni les ravisseurs, ne seront point héritiers dit royaume de Dieu. (I Cor. VI, 9, 10.) Voyez-vous au milieu de quel choeur il met celui qui s'enivre ? Avec les impudiques, les fornicateurs, les idolâtres, les adultères , les médisants, les avares, les ravisseurs. Que dit-il? S'enivrer et s'abandonner à l'impudicité , est-ce donc même désordre ? S'enivrer et s'abandonner à l'idolâtrie , ces égarements se ressemblent? Supprime, ô homme, ces objections; je viens de rappeler les lois divines, ne me demande rien de plus. Interroge Paul, c'est lui qui répond? Y a-t-il uniformité ou distinction dans le châtiment, je ne saurais le dire; mais que celui qui s'enivre soit, comme l'idolâtre, exclu du royaume des cieux, c'est ce que je soutiens en toute assurance ; ce point accordé , à quoi bon me demander des explications sur la mesure du péché? S'il est vrai qu'il reste en dehors des portes, qu'il est déchu de la royauté céleste, qu'il ne participe point au salut, qu'il est livré à l'éternel supplice, que fais-tu, toi, qui me viens parler de balances et de poids pour les péchés?

Croyez-moi, mes bien-aimés, c'est un grand fléau que l'ivresse , une vraie calamité. Ce n'est pas à vous que je m'adresse : loin de moi cette pensée; je suis bien persuadé que votre âme n'est pas souillée de cette maladie, et ce qui me prouve votre santé, c'est votre présence ici, votre zèle à vous réunir dans cette enceinte, votre attention à écouter la parole. Car aucun de ceux qui s'enivrent, ne peut désirer d'entendre la parole de Dieu. Ne vous enivrez pas avec le vin, d'où naissent les dissolutions, mais remplissez-vous du Saint-Esprit. (Ephés. V, 18.) Voilà l'ivresse qui est belle; assoupissez votre âme sous l'action de l'Esprit pour échapper à l'assoupissement produit par le vin; hâtez-vous de mettre le Saint-Esprit en possession de votre intelligence et de vos pensées, afin que le mal honteux ne trouve pas la place vide. Voilà pourquoi l'Apôtre ne dit pas : Participez à l'Esprit, mais : Remplissez-vous de l'Esprit. Votre âme doit être comme une coupe qu'il faut remplir de l'Esprit jusqu'aux bords, afin que le démon n'y puisse rien verser. Il ne suffit pas de participer à l'Esprit par ce qui reste d'une âme déjà plus ou moins pleine d'autres choses, c'est tout entière qu'il faut la remplir de l'Esprit par ces psaumes, ces hymnes, ces chants spirituels dont vous êtes remplis aujourd'hui. Voilà pourquoi je m'assure en votre tempérance. Nous avons une coupe où se boit une belle ivresse, l'ivresse de la tempérance, et non de la dissolution. Quelle est-elle cette coupe? C'est la coupe spirituelle, la coupe du breuvage sans mélange, la coupe où se boit le sang du Seigneur. Cette coupe-là ne produit pas la honteuse ivresse, cette coupe-là ne produit pas la dissolution; elle ne ruine pas la force, elle la réveille; elle ne jette pas les nerfs (246) dans l'atonie , elle retrempe la vigueur des nerfs; cette coupe-là donne la sobriété , coupe vénérée des anges, redoutée des démons, honorée des hommes, agréable au Seigneur. Entendez-vous ce que dit David de cette coupe spirituelle qu'on vous propose au banquet de ce jour ! Vous avez préparé une table devant moi contre ceux qui me persécutent, vous avez oint ma tête avec une huile, et la coupe qui me vient de vous me remplit comme d'une ivresse excellente. (Psaum. XXII, 5.) Pour que ce mot d'ivresse ne vous effraye pas, ne vous fasse pas concevoir que cette coupe ait rien de débilitant, il ajoute, excellente, ce qui veut dire fortifiante. Ivresse d'un genre nouveau, qui produit la force, qui donne la vigueur et la puissance; c'est qu'elle découle de la source spirituelle ; ce n'est pas le bouleversement des pensées, c'est l'abondance des pensées spirituelles.

2. Enivrons-nous de cette ivresse; quant à l'autre, tenons-nous-en bien loin ; ne déshonorons pas la fête de ce jour; car ce n'est pas seulement la fête de la terre, mais aussi la fête du ciel. Aujourd'hui, joie sur la terre; aujourd'hui, joie dans le ciel; car si pour un seul pécheur qui se repent, il y a joie sur la terre et dans le ciel, aujourd'hui que la terre entière est arrachée au démon, combien y aura-t-il plus de joie encore dans le ciel ! A cette heure les anges tressaillent d'allégresse, à cette heure la joie inonde les archanges; à cette heure chérubins et séraphins célèbrent avec nous la fête présente; ils ne rougissent pas de nous comme de compagnons d'esclavage, mais ils se réjouissent avec nous des biens qui nous sont faits. Car si c'est à nous que le Seigneur a communiqué ses grâces, notre joie, nous la partageons avec eux. Et que parlé-je de compagnons d'esclavage? Le Seigneur lui-même, leur Seigneur et le nôtre ne rougit pas de faire avec nous la fête. Et à quoi bon dire qu'il ne rougit pas? J’ai désiré, dit-il, d'un ardent désir, de manger cette pâque avec vous. (Luc, XXII, 15.) S'il a désiré de célébrer la pâque avec nous, il est évident qu'il en est de même pour la résurrection. Donc lorsque les anges se réjouissent avec les archanges, quand le Seigneur qui commande à toutes les puissances célestes, aujourd'hui, avec nous, célèbre la fête, quelle raison de découragement nous resterait encore?

Qu'aucun pauvre ne baisse le front, parce qu'il est pauvre ; car cette fête est une fête spirituelle ; qu'aucun riche ne se redresse, fier de ses trésors ; car toutes ses richesses ne lui fournissent rien qu'il puisse apporter à cette fête. C'est que, dans les fêtes du siècle, l'abondance des vins, des tables remplies et chargées de mets, l'immodestie, les ris, toute la pompe de Satan, font baisser le front au pauvre, et exaltent le riche ; pourquoi ? Parce que le riche dresse une table magnifique, savoure plus de délices; au contraire, le pauvre trouve dans sa pauvreté un obstacle qui l'empêche de montrer la même magnificence; nos fêtes à nous, n'ont rien de pareil; une seule et même table réunit le riche et le pauvre, et si riche qu'on soit, on ne peut rien ajouter à la table; et si pauvre qu'on soit, la pauvreté n'empêche en rien de participer aux mets servis pour tous : car c'est la grâce de Dieu qui les offre, et qu'y a-t-il d'étonnant d'y voir admis le riche et le pauvre? L'empereur même, qui a le diadème au front, qui est revêtu de la pourpre, qui porte en sa main le sceptre de la terre, cet empereur se met, à côté du pauvre, du mendiant, à la même table. Voilà de quelle nature sont les présents du Seigneur; il ne fait pas acception de dignité ni de rang, pour communiquer sa grâce, il ne considère que la volonté, que la pensée.

Quand vous voyez, dans une église, un pauvre à côté d'un riche, un particulier à côté d'un prince, un homme du peuple à côté d'un homme puissant, celui qui hors de l'église redoute cette puissance, la côtoyant, sans crainte, dans l'intérieur de l'église, méditez cette parole : Alors on verra le loup paître avec les agneaux. (Isai. XI, 6.) Le loup de l'Ecriture, c'est le riche ; l'agneau, c'est le pauvre. Et d'où vient que le loup entrera en partage avec l'agneau, comme le riche avec le pauvre? Faites bien attention. Souvent, le riche et le pauvre sont dans l'église; arrive l'heure des divins mystères; on chasse le riche, qui n'est pas initié, et le pauvre est introduit dans les tabernacles célestes, et le riche ne s'indigne pas; il sait qu'il est étranger aux divins mystères. Voyez, voyez, ô la grâce de Dieu ! Non seulement tous sont également honorés dans l'église à cause de la divine grâce, mais quand le riche et le pauvre se trouvent ensemble, souvent le pauvre l'emporte sur le riche par la piété, et la richesse ne sert de rien à qui n'a pas la piété, et la pauvreté ne cause aucun dommage au fidèle, qui s'approche du sanctuaire avec confiance. Ce que je dis, mes très-chers frères, (247) s'applique aux catéchumènes, et non simplement aux riches. Considérez, mes bien-aimés, comme le maître se retire de l'église, tandis que le fidèle, quoique n'étant qu'un serviteur, assiste aux mystères; la maîtresse se retire, et la servante reste. Car Dieu n'a point d'égard à la qualité des personnes. (Galates, II, 6.) Il n'y a donc, dans l'église, ni esclave, ni homme libre : l'Ecriture ne reconnaît pour esclave que l'homme asservi au péché. Car, dit l'Ecriture, celui qui fait le péché, est esclave du péché (Jean, VIII, 34) et elle reconnaît comme libre celui qui a été délivré par la grâce divine.

C'est avec la même confiance que l'empereur et le pauvre s'approchent de cette table, avec le même honneur, et souvent même le pauvre s'en approche avec plus d'honneur. Pourquoi? C'est que l'empereur, embarrassé de mille affaires, ressemble à un vaisseau sur lequel l'écume des flots jaillit de toutes parts, et les péchés font sur lui des taches nombreuses; mais le pauvre, qui n'a de souci que celui de la nourriture nécessaire, dont la vie, en dehors des affaires, se passe tranquille, est comme dans un port, et il s'approche avec une grande assurance de notre table. Voyez encore : dans les fêtes du siècle, le pauvre a le front bas, le- riche resplendit, fier non-seulement de sa table, mais de ses vêtements, car et l'aspect de la table et l'aspect des vêtements produisent même effet. Le pauvre, à la vue du riche recouvert d'une robe d'un grand prix, est frappé de tristesse, il se regarde comme le plus infortuné de tous les hommes. Ici, cette indigence disparaît; car tous n'ont qu'un seul et même vêtement, le bain qui procure le salut. Car, dit l'Apôtre, vous tous qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous avez été revêtus de Jésus-Christ. (Galat. III, 27.) Donc, ne déshonorons pas cette fête par l'ivresse; car Notre-Seigneur a également honoré les riches et les pauvres, les serviteurs et les maîtres; répondons à la bonté que le Seigneur nous a témoignée : la meilleure manière d'y répondre, c'est la pureté dans notre conduite, c'est la tempérance de notre âme. Cette fête, cette assemblée peut se passer de richesse, de frais dispendieux, mais il y faut l'excellence de la volonté, de la pensée. C'est le prix nécessaire de ce qui se trouve ici. Rien de corporel n'est ici en vente, qu'y vient-on chercher? les paroles que Dieu fait entendre, les prières des Pères, les bénédictions des prêtres, la concorde, la paix, l'harmonie, présents spirituels, qui se paient avec l'esprit.

Célébrons cette fête, la plus grande de toutes les fêtes, fête brillante, la résurrection du Seigneur; célébrons-la tous ensemble, avec joie, avec piété : car le Seigneur est ressuscité, et il a ressuscité la terre avec lui. Il est ressuscité, en rompant les liens de la mort. Adam a péché, Adam est mort; mais le Christ n'a point péché, et pourtant il est mort. Chose étrange et qui surprend notre esprit : celui-là a péché, il est mort; celui-ci n'a pas péché, et il est mort; pourquoi? C'est afin que celui qui est mort pour avoir péché, pût être affranchi par celui qui, sans avoir péché, mourut de tous les liens de la mort. On voit des faits analogues dans les affaires d'argent. Souvent un débiteur insolvable est retenu en prison; un autre, qui ne doit rien, mais qui peut payer, donne de l'argent et délivre le débiteur. C'est ce qui s'est passé à l'occasion d'Adam. Adam était débiteur, le démon le détenait en prison, Adam n'avait pas de quoi payer; le Christ ni ne devait rien, ni n'était détenu par le démon, mais il pouvait acquitter la dette. Il est venu, il a payé la dette de la mort pour celui qui était détenu par le démon, il a affranchi le débiteur.

4. Comprenez-vous les admirables effets de la résurrection? Nous avions subi une double mort, il nous faut donc attendre une double résurrection. La mort du Christ fut simple, voilà pourquoi sa résurrection a été simple aussi. Comment cela? Je m'explique : Adam est mort , et par le corps et par l'âme; il est mort et par le péché et par la nature : Le jour où vous mangerez du fruit de l'arbre, vous mourrez d'une vraie mort. (Gen. II,17.) Toutefois ce n'est pas en ce jour qu'Adam a subi la mort par la nature, mais, par le péché, il a été frappé de mort ; cette dernière mort, c'est la mort de l'âme; l'autre est la mort du corps. Mais maintenant ces mots, la mort de l'âme, ne veulent pas dire que l'âme meurt, car elle est immortelle; mais la mort de l'âme c'est le péché et le châtiment éternel. Delà ces paroles du Christ : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer l'âme; craignez plutôt celui qui peut perdre et l'âme et le corps dans l'enfer. (Matth. X, 28.) Ce qui est perdu subsiste, mais hors de la vue de celui qui l'a perdu. Donc, je vous disais que notre mort était double; par conséquent notre résurrection doit être double aussi.

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Quant au Christ, sa mort fut simple; car le Christ n'a point péché; mais même cette mort simple, il ne l'a subie qu'à cause de nous; car il n'était pas assujetti à la dette de la mort, lui; car il n'était pas comptable du péché, ni de la mort par conséquent; voilà pourquoi il est ressuscité de la mort simple; mais nous, frappés d'une mort qui est double, il nous faut une double résurrection. Jusqu'à présent, nous n'avons qu'une seule résurrection, celle qui nous relève du péché; car nous avons été ensevelis avec le Christ dans le baptême, et nous nous sommes réveillés avec lui par le baptême. Cette première résurrection nous a affranchis des péchés; la seconde résurrection est celle du corps: le Seigneur nous a donné la plus précieuse, attendez aussi celle qui l'est moins; car celle que nous avons déjà est bien plus précieuse que l'autre; c'est une faveur bien plus précieuse en effet d'être affranchis des péchés, que de voir un corps ressuscité. Le corps est tombé, par le péché; donc si le péché est le principe de la chute, le principe de la résurrection, c'est d'être affranchis du péché. Nous sommes dès à présent ressuscités par ce qu'il y a de meilleur dans la résurrection, nous avons rejeté loin de nous la mort terrible du péché, nous avons dépouillé le vieux vêtement; donc ne désespérons pas de la résurrection moins précieuse. La première nous a ressuscités il y a longtemps, quand nous avons été baptisés; ceux qui ont été hier soir jugés dignes du baptême , sont devenus des agneaux glorieux. Avant-hier, le Christ a été mis en croix, mais il est ressuscité la nuit dernière; ces nouveaux baptisés avant-hier étaient détenus par le péché, mais ils sont ressuscités avec le Christ. Il est mort, lui, par le corps, et c'est par le corps qu'il est ressuscité. Quant à eux, ils étaient morts par le péché, et, en ressuscitant, ils ont été délivrés des péchés. La terre, en ces jours d u printemps, produit les roses, les violettes et les autres fleurs; mais les eaux nous ont montré une plus belle prairie que la terre. Ne vous étonnez pas que ce soient les eaux qui aient développé les germes des fleurs; ce n'est pas par la nature qui lui est propre, c'est par l'ordre du Tout-Puissant que la terre a produit les germes; ce sont les eaux qui ont, dans le principe, fait paraître des animaux qui se mouvaient. Dieu dit, que les eaux, produisent des animaux vivants (Gen. I, 20), et son ordre s'accomplit, et cette substance sans âme produisit les êtres vivants avec une âme; disons de même aujourd'hui, que les eaux produisent, non plus des animaux vivants, mais les dons de l'Esprit. Les eaux montrèrent, aux premiers jours, des poissons sans raison et sans voix; aujourd'hui, elles ont fait paraître des poissons qu'illuminent la raison et l'esprit d'en-haut, des poissons que les apôtres ont pêchés. Venez, dit le Seigneur, et je ferai de vous des pêcheurs d'hommes. (Matth. IV, 19.) C'est la pêche de ce jour, que le Seigneur désignait alors. Pêche étrange, il faut le dire; les pêcheurs ordinaires font sortir des eaux, nous, au contraire, nous avons plongé dans les eaux, et c'est ainsi que nous avons pêché. Autrefois, les Juifs avaient une piscine; apprenez ce que c'était que cette piscine, si vous voulez comprendre l'indigence des Juifs et la richesse de l'Eglise. C'était une piscine d'eau, un ange y descendait et agitait l'eau; quand l'eau avait été agitée, un malade y entrait, et il était guéri; un seul malade, chaque année, était guéri, et aussitôt toute la vertu d'en-haut était dépensée, non à cause de l'indigence de celui qui la communiquait, mais à cause de l'infirmité de ceux qui la recevaient. L'ange descendait donc dans la piscine, et il agitait l'eau et un seul malade était guéri. Le Seigneur des anges est descendu dans le Jourdain, et il a agité l'eau, et la terre, la terre entière a été guérie. Chez les Juifs, après le premier malade, celui qui descendait le second dans la piscine, n'était pas guéri; c'est que les Juifs qui recevaient cette grâce, étaient infirmes, indigents; mais, chez nous, après le premier, le second; après le second, le troisième; après le troisième, le quatrième ; et dix, et vingt, et cent, et dix mille, et, si vous voulez, la terre entière plongée dans la piscine, n'en épuise pas la vertu; la grâce ne se perd pas; les eaux ne sont pas souillées. Mode nouveau de purification; c'est que ce n'est pas le corps qui est purifié; en effet, pour ce qui concerne les corps, plus est grand le nombre de ceux qui se plongent dans les eaux, plus les eaux se chargent de souillures; mais ici, plus il y en a qui se purifient, plus s'accroît leur pureté.

5. Comprends-tu la grandeur du présent? Conserve la grandeur de ce présent, ô homme. Il ne t'est pas permis de vivre dans l'indifférence; impose-toi à toi-même une loi que tu suivras avec la plus grande attention ; cette vie est une lutte, un combat; celui qui affronte les combats doit toujours savoir se maîtriser. Veux-tu (249) que je te donne une règle excellente, infaillible qui t'assure la vertu? Il y a des choses en apparence indifférentes, qui enfantent les péchés, rejetons-les loin de nous. Parmi les actions, les unes sont des péchés, les autres n'en sont pas, mais sont des causes de péchés ; par exemple, le rire n'est pas un péché de sa nature, mais il devient un péché, si on le pousse trop loin; car, du rire, viennent les plaisanteries; des plaisanteries, les mauvaises paroles; des mauvaises paroles, les mauvaises actions ; des mauvaises actions, les châtiments et les supplices. Commence donc par supprimer la racine, pour supprimer le mal tout entier; car si nous nous tenons sur nos gardes, à propos des actions indifférentes, nous ne tomberons jamais dans les actions qui ne sont pas permises. C'est ainsi que regarder les femmes, semble, à beaucoup de personnes, une action indifférente, mais de là viennent les désirs déréglés ; de ce déréglement, la fornication ; de la fornication, le châtiment et les supplices. De même vivre dans les délices, ne paraît avoir rien de grave, mais de là vient l'ivresse et les maux sans nombre qui en résultent. Supprimons donc de partout les causes des péchés. C'est pourquoi vous jouissez chaque jour, sans interruption, de l'enseignement qui vous est donné; c'est pourquoi, sept jours de suite nous nous réunissons, nous dressons devant vous la table spirituelle, nous vous faisons jouir des paroles divines, nous versons chaque jour l'huile sur vous, nous vous armons contre Satan : car maintenant il vous menace avec plus de fureur; plus grand est le don qui vous est fait, plus terrible est la guerre qui vous le dispute. Car si dans le paradis un seul homme a été pour lui un spectacle insupportable, comment pourrait-il supporter un si grand nombre d'hommes dans le ciel, répondez-moi. Vous avez exaspéré le monstre, mais ne craignez rien ; vous avez reçu une force supérieure, un glaive aiguisé ; avec ce glaive, percez le serpent. Si Dieu permet qu'il soit exaspéré contre vous, c'est pour vous ménager, par l'expérience qui vous attend, la conscience de votre force, de votre pouvoir. De même qu'un gymnasiarque excellent qui a reçu un athlète de mauvaise mine, un homme énervé, dédaigné, le frotte d'huile, l'exerce, lui rend de la chair et des muscles, et, dès ce moment, ne lui permet plus l'oisiveté, mais lui commande de se présenter dans les combats, afin que l'expérience lui prouve quelle force il lui a donnée, ainsi fait le Christ avec nous. Il pouvait certes exterminer l'ennemi; mais il veut que vous compreniez l'excellence de sa grâce, la grandeur de la force spirituelle que vous avez reçue par le baptême, et il vous envoie dans les luttes avec le démon, et il vous ménage de nombreuses occasions de mériter les couronnes. Voilà pourquoi, sept jours de suite, vous jouissez de l'enseignement divin; c'est pour apprendre exactement vos exercices. Voyez encore, c'est un mariage spirituel qui s'opère ici : or, dans les mariages, il y a sept jours de festins. Voilà pourquoi nous aussi pendant sept jours nous vous convions, en vertu de nos règles, aux festins sacrés. Mais voyez la différence : dans le monde, après sept jours, plus de fête; ici, au contraire, si vous voulez, vous pouvez toujours venir au festin sacré; dans les mariages du monde, l'épouse, après le premier ou le second mois, n'est pas aussi chère à l'époux; ici, il n'en est pas de même; plus le temps s'avance, plus brûlants deviennent les désirs de l'époux, plus suaves ses embrassements, plus spirituel son commerce, à la la condition pour nous de pratiquer la prudence. Voyez encore; pour ce qui est de notre chair, après la jeunesse, la vieillesse; ici, au contraire, après la vieillesse, la jeunesse, une jeunesse éternelle, cela dépend de nous. Nous avons reçu des grâces qui sont grandes, qui le seront plus encore, cela dépend de nous. Paul était grand quand il fut baptisé; mais il le devint ensuite beaucoup plus; quand il publiait la vérité, il remplissait les Juifs de confusion; plus tard il fut ravi dans le paradis, il monta jusqu'au troisième ciel. De sorte que nous aussi, cela dépend de nous, nous pouvons croître, agrandir la grâce qui nous a été donnée par le baptême; elle s'agrandit par les bonnes oeuvres, et elle devient plus brillante, et elle fait luire sur nous une plus resplendissante lumière. Et si ce bonheur nous arrive, nous irons, en toute confiance, nous réunir dans la chambre de l'Epoux, avec l'époux, et nous jouirons des biens réservés à ceux qui l'aiment; puissions-nous tous obtenir ces biens, par la grâce et par l'amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ à qui appartient, comme au Père et au Saint-Esprit, la gloire, l'adoration, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduction de M. C. PORTELETTE.

 

 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE POUR LE JOUR DE L'ASCENSION.

Prononcée dans le martyre de Romanésie, où les corps des martyrs, d'abord enterrés sous le pavé de l'église à côté des cadavres des hérétiques, furent ensuite levés de terre et déposés séparément dans un lieu plus élevé (1).

ANALYSE.

Cette homélie fut prononcée hors de la ville d'Antioche, dans un lieu consacré aux martyrs, au même endroit que l'homélie sur le mot coemeterium et sur la croix; mais on ne peut en fixer l'année. — Les martyrs avaient été enterrés sous le pavé de l'église, à côté des hérétiques; l'évêque Flavien les avait tirés de ce voisinage pour les placer ailleurs et les exposer à la vénération des fidèles.- L'orateur commence par louer le saint évêque de cette attention. — 1° Il montre ensuite quel est l'objet de la fête présente; 2° c'est la réconciliation de l'homme avec Dieu, réconciliation dont Jésus-Christ a été le médiateur, et qu'il a cimentée en offrant à Dieu son père, dans sa personne, les prémices de la nature humaine, qui ont été placées au plus haut des cieux. 3° Pour faire sentir quel est le bienfait d'avoir élevé si haut notre nature, il fait voir combien elle était avilie et dégradée. — 4° Il prouve que les anges ont été affligés de notre dégradation, par des conjectures, et parce qu'ils se sont réjouis avec nous, lorsque Jésus-Christ est né, lorsqu'il est ressuscité, enfin lorsqu'il est monté aux cieux. — 5° Deux anges se sont présentés pour consoler les disciples de la perte de leur maître qui s'élevait dans l'air et qui disparaissait à leur vue. Les fidèles, riches et pauvres, doivent tourner leurs regards vers le ciel, attendre le retour du Sauveur, et mériter par la pureté de leur vie d'être transportés avec Jésus-Christ quand il viendra juger les vivants et les morts.

1. Lorsque nous honorions la mémoire de la Croix, nous avons célébré cette fête hors de la ville; et maintenant que nous nous occupons de l'Ascension de Jésus crucifié, jour brillant et glorieux, nous célébrons encore cette fête hors de nos murs. Ce n'est pas que nous voulions faire honte à la ville, mais nous voudrions faire honneur aux martyrs. C'est dans la crainte qu'ils ne nous fassent de vifs reproches et ne nous disent : Est-ce que nous ne sommes pas dignes de voir un seul jour de Notre-Seigneur célébré dans nos tentes? nous avons répandu notre sang pour lui, nous lui avons fait le sacrifice de nos têtes; et nous n'aurions pas l'avantage de voir le jour de sa gloire célébré dans le lieu où reposent nos cendres ! C'est dans la crainte d'entendre ces reproches, que nous courons aux pieds des martyrs, pour nous justifier en ce jour auprès d'eux de tout le temps qui a précédé; car si nous devions courir à ces généreux athlètes de la religion, même lorsque leurs corps étaient cachés sous le pavé des temples, à plus forte

1. Traduction d'Auger, revue.

raison devons-nous le faire aujourd'hui que ces pierres précieuses sont mises à part, que les brebis ne sont plus auprès des loups, et due les vivants sont séparés des morts. Quant à eux, ils ne recevaient aucun préjudice d'une sépulture commune avec les hérétiques. Non, un pareil voisinage ne pouvait faire tort aux corps de ceux dont les âmes sont dans le ciel; les restes de ceux dont la plus noble portion est dans la main du Seigneur, ne pouvaient souffrir de telle ou de telle position. Mais s'ils ne recevaient même auparavant aucun préjudice, le peuple qui courait aux restes des martyrs, n'éprouvait pas un léger dommage du lieu où ces corps saints étaient placés. Il ne priait qu'avec embarras et inquiétude, parce qu'il ignorait quels étaient les tombeaux des saints, et où étaient déposés ces trésors véritables. En un mot, il arrivait le même inconvénient que si des troupeaux de brebis, conduits à des eaux pures et salutaires, en étaient repoussés par une odeur infecte qui s'exhalerait d'ailleurs: de même le peuple qui allait aux sources pures des martyrs, en était écarté, (252) pour ainsi dire, par l'infection voisine de l'hérésie.

Frappé de cet inconvénient, notre sage pasteur, notre maître commun, qui règle tout pour l'édification de l'église, ne souffrit pas longtemps ce dommage causé à son peuple. Que fait-il donc ? Admirez la sagesse de cet ardent zélateur des martyrs de notre foi. Il fait combler les ruisseaux troubles et fétides, et place dans un lieu pur les sources pures des martyrs. Et voyez quelle attention il a montré pour les morts, quelle déférence pour les martyrs, et quels soins pour le peuple. Il a montré son attention pour les morts, en ne remuant pas leurs cendres, mais en les laissant dans le lieu où elles étaient déposées; sa déférence pour les martyrs, en les délivrant d'un fâcheux voisinage; ses soins pour le peuple, en ne permettant pas que les fidèles fussent inquiets et embarrassés dans leurs prières. Voilà pourquoi il vous amène ici, afin que le concours soit plus brillant et le spectacle plus magnifique, l'assemblée étant composée non-seulement des hommes, mais encore des martyrs, non-seulement des martyrs, mais encore des anges; car les anges sont ici présents, et se joignent aujourd'hui aux martyrs pour embellir la fête. Que si vous voulez voir les martyrs et les anges réunis, ouvrez les yeux de la foi, et vous apercevrez ce spectacle. En effet, si l'air est rempli d'anges, à plus forte raison l'église, et principalement en ce jour consacré à l'Ascension glorieuse de leur Maître.

Mais pour preuve que l'air est rempli d'anges, écoutons ce que dit l'Apôtre en exhortant les femmes à se voiler la tête : Les femmes, dit-il, doivent avoir un voile sur la tête à cause des anges. (I Cor. XI, 10.) Ceux qui étaient renfermés avec les apôtres dans une maison, disaient à la servante Rhodé : C'est l'ange de Pierre. (Act. XII, 15.) L'ange, dit Jacob, qui m'a protégé dès ma jeunesse. (Gen. XLVIII, 16.) J'ai vu, dit ailleurs le même Jacob, j'ai vu des années d'anges. (Gen. XXXII, 2.) Et pourquoi a-t-il vu des armées d'anges sur la terre? De même qu'un prince place des troupes dans toutes les villes frontières, pour que ces villes ne soient pas assaillies par les incursions des barbares ; ainsi Dieu qui sait que les démons, ces êtres barbares et féroces, remplissent l'air qui nous environne, et qui voit ces ennemis de la paix toujours prêts à susciter la guerre; Dieu, dis-je, leur a opposé des armées d'anges qui puissent les réprimer par leur seule vue, et nous ménager sans cesse les avantages de la paix. Et afin que vous appreniez que les anges sont des ministres de paix, écoutez les diacres qui tous les jours dans les prières publiques, répètent ces paroles: Supplier l'ange de paix (1). Vous voyez que les anges et les martyrs sont ici réunis. Que je plains donc les fidèles qui sont aujourd'hui absents, et que j'applaudis au bonheur de ceux qui sont présents, qui jouissent de cette solennité ! Mais réservons à un autre temps à parler des anges, et occupons-nous à expliquer le sujet de la fête présente.

2. Quelle est donc la fête que nous célébrons? elle est grande et auguste , mes très-chers frères, elle est au-dessus de toutes les pensées des hommes, et vraiment digne de la munificence de Dieu, qui en est l'auteur. C'est aujourd'hui que Dieu s'est réconcilié avec le genre humain; c'est aujourd'hui qu'une inimitié ancienne et une longue guerre ont été terminées; c'est aujourd'hui qu'a été cimentée pour nous cette paix admirable que nous n'aurions jamais espérée. Eh ! qui jamais eût pensé qu'un Dieu dût se réconcilier avec l'homme? ce n'est pas que le Maître soit dur et cruel, mais c'est que le serviteur est lâche et rebelle. Voulez-vous savoir combien nous avons irrité un Maître plein de douceur et de bonté; car il faut que vous appreniez le sujet d'une inimitié ancienne, afin que, lorsque vous saurez les honneurs dont nous avons été comblés, quoique ennemis, et la grâce immense que le Seigneur vous a faite, vous ne cessiez de lui rendre des actions de grâces pour la grandeur de ses dons, vous admiriez la miséricorde du Dieu qui nous a honorés, sans attribuer un pareil changement à vos propres mérites? voulez- vous donc apprendre combien nous avions irrité un Maître bon, doux et miséricordieux, un Maître qui règle tout pour notre salut? Il avait pris la résolution de détruire entièrement notre race , et il était si irrité contre nous, qu'il voulait nous perdre avec nos femmes, nos enfants, les bêtes sauvages, les animaux domestiques, en un mot, avec toute la terre. Mais si vous voulez, je vais vous rapporter la sentence même prononcée par Dieu contre le genre humain: J'exterminerai, dit le Seigneur, j'exterminerai de dessus la terre, l'homme que j'ai créé, j'exterminerai avec lui

1 C'étaient les propres paroles de la liturgie.

253

les bêtes sauvages et les animaux domestiques; car je me repens d'avoir fait l'homme. (Gen. VI, 7.) Et afin que vous sachiez que ce n'était pas notre nature qu'il haïssait, mais notre perversité qu'il avait en horreur, après avoir prononcé cette sentence : J'exterminerai de dessus la terre l'homme que j'ai créé, il s'adresse à Noé et lui dit : La fin de tout homme est venue devant moi. (Gen. VI,13.) Or, s'il eût haï la nature humaine, il ne se fût jamais expliqué avec un homme. Vous voyez donc que, loin de vouloir exécuter sa menace, le Seigneur se justifie lui-même devant son esclave, qu'il s'entretient avec lui comme avec un ami et irn égal, et lui explique les raisons du châtiment sévère qu'il médite, non pour rendre compte à un homme de ses desseins, mais pour qu'avertissant les autres il les rende plus sages.

Mais, comme je le disais, notre race s'était trouvée d'abord dans un état si fâcheux, qu'elle courait même risque d'être exterminée de dessus la terre. Nous, cependant, qui étions jugés indignes de la terre, nous avons été transportés aujourd'hui dans le ciel; nous qui n'étions pas même dignes de la domination terrestre, nous avons été élevés au royaume céleste, nous avons pris place sur le trône du souverain Roi. Notre nature, à qui les chérubins avaient fermé l'entrée du paradis, est assise aujourd'hui au-dessus des chérubins. Mais comment s'est opéré ce merveilleux prodige? comment, nous qui avions offensé le Très-Haut, qui étions jugés indignes de la terre, qui étions déchus de la domination terrestre , sommes-nous montés à une si grande élévation? comment la guerre a-t-elle été terminée? comment la colère s'est-elle dissipée? Comment? Ce qu'il y a d'admirable, c'est que la paix s'est faite, non d'après les sollicitations de ceux qui s'étaient injustement soulevés contre le Seigneur, mais d'après les exhortations du Seigneur lui-même; qui était justement irrité. Nous remplissons, dit saint Paul, la fonction d'ambassadeur pour Jésus-Christ; et c'est Dieu lui-même qui vous exhorte par notre bouche. (II Cor. V, 20.) Quoi donc ! c'est lui qui a été outragé, et c'est lui qui nous exhorte ! Oui, sans doute, parce qu'il est Dieu, et qu'en conséquence il nous exhorte comme un père tendre. Et voyez ce qui arrive ! c'est le Fils de celui qui nous exhorte, qui devient notre médiateur : ce n'est pas un homme, ni un ange, ni un archange, en un mot aucune créature. Et que fait le Médiateur? l'office de médiateur. Lorsque deux personnes, animées l'une contre l'autre, refusent de se réconcilier, un tiers survient, qui, se plaçant entre les deux, apaise les deux parties irritées. Et c'est ce qu'a fait Jésus-Christ. Dieu était animé contre nous; nous nous étions éloignés de Dieu, de ce Maître plein de bonté : Jésus-Christ, se plaçant entre deux, a réconcilié la créature avec le Créateur. Et comment s'est-il placé entre deux? il a subi, de la part de son Père, la peine qui nous était due, et a supporté les outrages de la part des hommes. Voulez-vous apprendre comment il a rempli l'une et l'autre fonction? Jésus-Christ, dit l'Apôtre, nous a rachetés de la malédiction de la loi, en devenant pour nous malédiction. (Gal. III, 13.) Vous voyez comme il a subi la peine de la part de son Père, voyons comme il a supporté les outrages de la part des hommes : Les outrages de ceux qui étaient soulevés contre vous, dit l'Ecriture, sont tombés sur moi. (Ps. LXVIII, 10.) Vous voyez comme il a dissipé toute inimitié , comme il n'a point cessé de tout faire et de tout souffrir, jusqu'à ce qu'il eût ramené à Dieu, et rendu ami de Dieu l'homme, qui était son ennemi déclaré.

Or, c'est le jour que nous célébrons, qui est le principe de tous ces biens; c'est en ce jour que Jésus-Christ a remis à son Père les prémices de notre nature dont il s'était chargé. Et comme dans un champ couvert d'une riche moisson, on prend quelques épis, on en compose une gerbe qu'on offre à Dieu, et que par cette légère offrande on attire sa bénédiction sur le champ tout entier : de même Jésus-Christ, par la chair unique dont il s'était revêtu, et par les simples prémices de notre nature, a fait bénir toute notre race. Mais pourquoi n'a-t-il pas offert toute la nature humaine ? c'est que dans les prémices on n'offre pas le tout, mais qu'en offrant une petite partie, on fait bénir le tout par cette modique offrande. Mais, dira-t-on encore, si l'on offrait les prémices, il fallait offrir le premier homme lorsqu'il sortit des mains de Dieu; car les prémices sont ce qui est produit le premier, ce qui germe le premier. Non, mes frères, les prémices ne consistent pas à offrir le premier fruit s'il est mauvais et corruptible, mais à offrir le meilleur. Or, comme le premier fruit de la nature humaine était sujet au péché, voilà pourquoi on ne l'a pas offert, quoiqu'il (254) fût le premier. C'est là, en effet, ce qui constitue les prémices.

3. Et afin que vous sachiez que les prémices ne sont pas le premier fruit, mais le fruit de la meilleure espèce, celui qui parvient à sa maturité, je vais vous citer en témoignage les Ecritures : Lorsque vous serez entrés, dit Moïse au peuple, dans la terre de promission que Dieu vous donne, et que vous aurez planté des arbres fruitiers, les trois premières années vous regarderez le fruit comme impur, la quatrième année il sera sain et pourra être offert au Seigneur. (Lév. XIX, 22 et 24.) Toutefois si les prémices étaient ce qui est produit le premier, on aurait dû 'Offrir au Seigneur le fruit de la première année; mais, dit Moïse : Les trois premières années, vous regarderez le fruit comme impur, vous le laisserez, parce que l'arbre est encore faible, et que son fruit est trop précoce; celui de la quatrième année sera sain et pourra être offert au Seigneur. Et voyez la sagesse du législateur ! il n'a permis ni de manger le premier fruit, pour que l'homme ne le prît pas avant Dieu; ni de l'offrir au Seigneur, pour qu'on ne lui offrît pas un fruit vert et acide. Laissez-le, dit-il, parce qu'il est le premier; ne l'offrez pas, parce qu'il n'est pas digne de la majesté de celui auquel il serait offert. Vous voyez que les prémices ne sont point ce qui est produit le premier, mais ce qui est le meilleur.

Appliquons ce que nous venons de dire à la chair dont Jésus-Christ s'est revêtu, et qu'il a offerte pour nous. Il a offert à son Père les prémices de notre nature; et son père a tellement approuvé cette offrande, tant par égard pour la dignité de celui qui la présentait, qu'en considération de la pureté de l'offrande elle-même, qu'il l'a reçue de ses propres mains, et l'a placée à ses côtés, en lui disant : Asseyez-vous à ma droite. (Ps. CIX, 1.) A quelle nature Dieu a-t-il dit : Asseyez-vous à ma droite ? à celle qui avait entendu de sa bouche ces paroles : Vous êtes terre et vous retournerez en terre. (Gen. III, 19.) Ce n'était pas assez pour elle de s'élever au-dessus des cieux, d'être reçue parmi les anges : cet honneur, quoique ineffable, n'était pas assez magnifique. Elle s'est élevée au-dessus des anges et des archanges, au-dessus des chérubins et des séraphins, et passant au milieu de toutes les puissances et de toutes les dominations, elle ne s'est arrêtée que lorsqu'elle s'est vue assise sur le trône du Maître suprême. Ne voyez-vous point l'espace immense qui sépare le ciel de la terre? ou plutôt commençons de plus bas. Ne voyez-vous point quelle distance infinie il y a de l'enfer à la terre, de la terre au ciel, du ciel au ciel supérieur, et de là jusques aux anges, aux archanges, à toutes les dominations célestes, jusqu'au trône du Roi de l'univers? Jésus-Christ a fait franchir toute cette distance à notre nature, il l'a élevée à cette hauteur. Examinez dans quel abîme elle était descendue, et à quel comble de gloire elle est montée. Il est impossible de descendre plus bas qu'était descendu l'homme, ni de monter plus haut que Jésus-Christ l'a élevé. C'est ce que saint Paul voulait faire entendre en disant : Celui qui est descendu est le même qui est monté. (Ephés. IV, 10.) Où est-il descendu? dans les lieux les plus bas de la terre, et il est monté au plus haut de tous les cieux.

Apprenez qui est-ce qui est monté avec Jésus-Christ, quelle est la nature qu'il a élevée si haut, et ce qu'elle était auparavant. Je m'arrête volontiers à considérer toute la bassesse de l'homme, afin de mieux connaître l'honneur dont il s'est vu comblé par la bonté du souverain Maître. Nous étions cendre et poussière; mais ce reproche tombe moins sur nous que sur la faiblesse de notre nature. Nous étions plus insensés que les animaux déraisonnables : L'homme s'est rapproché de la brute et est devenu semblable à elle. (Ps. XLVIII, 21.) Or, être devenu semblable aux animaux dépourvus de raison, c'est être devenu pire que ces animaux. En effet, qu'un être naturellement déraisonnable reste dans son état de stupidité, c'est l'ouvrage de la nature; mais que celui qui a été doué d'intelligence se ravale jusqu'à la stupidité de la brute, c'est le crime de la volonté. Lors donc que le prophète dit que l'homme s'est rapproché des animaux déraisonnables, ne croyez pas qu'il dise simplement que l'homme est devenu l'égal de ces animaux, mais il veut faire voir qu'il est même devenu pire. Oui, nous sommes devenus plus stupides que la brute, non-seulement parce qu'étant hommes nous nous sommes ravalés jusqu'à elle, mais encore parce que nous avons montré en effet plus d'insensibilité. Et c'est ce qu'Isaïe fait entendre dans ce passage : Le boeuf reconnaît son possesseur, le mulet reconnaît l'étable de son maître; et Israël ne m'a point reconnu. (Is. I, 3.) Mais ne rougissons (255) point de notre état précédent, puisque la grâce a surabondé où avait abondé le péché. (Rom. V, 20.) Vous voyez comme nous sommes devenus plus déraisonnables que les bêtes de charges; apprenez que nous le sommes devenus même plus que les oiseaux de l'air : La tourterelle, l'hirondelle, les passereaux des champs, ont connu le temps de leur arrivée, et mon peuple n'a point connu mes jugements. (Jér. VIII, 7.) Nous sommes donc plus déraisonnables et plus stupides que le baeuf, que le mulet, que les oiseaux de l'air, l'hirondelle et la tourterelle. Voulez-vous apprendre, d'ailleurs, combien peu nous avons de raison? l'Écriture nous envoie à l'école de la fourmi; tant nous avons perdu notre sens naturel ! Allez, nous dit-elle, à la fourmi, et tâchez d'imiter sa prévoyance. (Prov. VI, 6.) Nous sommes devenus les disciples d'un vil insecte, nous qui sommes faits à l'image du Très-Haut. Mais ce n'est pas au Créateur que nous devons nous en prendre, c'est à nous-mêmes qui n'avons pas su conserver notre ressemblance divine. Et que parlé-je de la fourmi? nous sommes même devenus plus insensibles que les pierres, et je vais apporter en témoignage ces paroles d'un prophète : Écoutez, dit-il, écoutez, vallons et fondements de la terre, parce que le Seigneur va juger son peuple. (Mich. VI, 2.) Quoi donc! vous allez juger les hommes, et vous invoquez les fondements de la terre ! Oui, sans doute, puisque les hommes sont plus insensibles que les fondements de la terre. Cherchez-vous encore des traits plus frappants de toute notre perversité, lorsque nous sommes plus stupides que le mulet, plus déraisonnables que le boeuf, plus ignorants que la tourterelle et l'hirondelle, plus imprudents que la fourmi, plus insensibles que la pierre? nous sommes même devenus semblables aux serpents. Leur fureur, dit l'Écriture, ressemble à celle du serpent; le venin des aspics est sous leurs lèvres. (Ps. LVII, 5; CXXIX 4.) Et pourquoi parler de la stupidité de la brute, lorsque nous sommes appelés les enfants du démon? Vous êtes, dit l'Évangile, les enfants du démon. (Jean, VIII, 44.)

4. Nous, cependant, qui étions stupides, dépourvus de sens et de raison, plus insensibles que la pierre, nous qui étions vils et dégradés, au-dessous de toutes les créatures.... comment m'exprimerai-je? comment rendrai-je ma pensée? notre nature qui était avilie et au-dessous de tous les êtres, par le défaut de raison et de sentiment, s'est élevée aujourd'hui au-dessus de tous. Les anges et les archanges ont vu aujourd'hui ce qu'ils désiraient de voir il y a longtemps : notre nature assise sur le trône du souverain Roi, resplendissante de gloire et brillante d'une beauté immortelle. C'est là, oui, c'est là le prodige après lequel les anges et les archanges soupiraient depuis tant de siècles. Et quoique nous fussions plus honorés qu'ils ne l'étaient eux-mêmes, cependant ils se réjouissaient de notre élévation, eux qui s'étaient affligés de notre châtiment; car, lorsque les chérubins gardaient le paradis, ils ne le faisaient qu'à regret. Et de même qu'un esclave, chargé d'enfermer un de ses compagnons, le garde en prison par l'ordre de son maître, mais se sent touché du malheur de celui dont il partage la servitude : ainsi les chérubins, chargés de garder le paradis, remplissaient à regret ce ministère. Je vais prouver, par l'exemple des hommes, la peine qu'ils devaient ressentir. Lorsque vous voyez des hommes compatir aux maux de leurs semblables, pourriez-vous douter encore des sentiments des chérubins, de ces êtres supérieurs, qui sont beaucoup plus charitables que les hommes? Qui des justes ne s'est pas affligé, lorsque les hommes étaient punis justement, après avoir commis une infinité de péchés? car, mes frères, ce qu'il y a de plus surprenant, c'est qu'ils ont témoigné leur sensibilité pour des serviteurs dont ils connaissaient les fautes, et qu'ils savaient avoir offensé grièvement leur Maître. Moïse, après l'idolâtrie du peuple, pénétré de tristesse, disait : Si vous leur pardonnez leur faute, laissez-moi vivre : si vous ne leur pardonnez pas, effacez-moi du livre que vous avez écrit. (Exod. XXXII, 32.) Quoi donc? vous voyez leur impiété, et vous vous affligez de ce qu'ils sont punis ! Oui, je m'afflige de cela même qu'ils sont punis, et qu'ils ont donné sujet à un juste châtiment. Ezéchiel voyant l'ange qui frappait le peuple, s'écriait d'une voix lamentable : Hélas! Seigneur, allez-vous exterminer les restes d'Israel ? (Ezéch. IX, 8.) Corrigez-nous, Seigneur, disait Jérémie, mais que ce soit dans votre justice, et non dans votre fureur, pour que vous ne nous réduisiez pas à un petit nombre. (Jér. X, 24.) Comment, je vous prie, Moïse, Ezéchiel, Jérémie, se sont affligés pour leurs frères, et les puissances célestes n'auraient pris aucune part à nos maux ! cela est-il croyable? Pour vous convaincre que (256) nos infortunes leur sont propres, apprenez quelle joie ils ont témoignée lorsqu'ils ont vu notre Maître réconcilié avec nous. Mais s'ils ne s'étaient pas affligés de notre disgrâce, ils ne se seraient pas tant réjouis de notre réconciliation. Or, qu'ils se soient réjouis, j'en trouve la preuve dans ces paroles du Fils de Dieu : Il y aura une grande joie dans le ciel et sur la terre, pour un seul pécheur qui fait pénitence. (Luc. XV, 7.) Mais si les anges se réjouissent pour un seul pécheur qui fait pénitence, quelle vive satisfaction n'ont-ils pas dû éprouver, en voyant aujourd'hui notre nature placée au plus haut des cieux, dans la personne de celui qui en est les prémices?

Apprenez, d'ailleurs, la joie qu'ont témoignée les troupes célestes pour notre réconciliation. Lorsque Notre-Seigneur naquit selon la chair, les anges voyant qu'il était réconcilié avec les hommes (car il ne serait jamais descendu si bas s'il n'eût été réconcilié), voyant, dis-je, cette oeuvre consommée, ils formèrent des choeurs sur la terre, et ils s'écriaient dans leurs transports : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre, et bonne volonté aux hommes. (Luc, II, 14.) Et afin que vous sachiez qu'ils glorifient Dieu pour les biens qu'a reçus la terre, ils ajoutent la raison en disant : Et paix sur la terre, et bonne volonté aux hommes, aux hommes qui s'étaient montrés ingrats envers le Créateur , qui étaient ses ennemis déclarés. Vous voyez comme ils glorifient Dieu pour le bonheur d'autrui, ou plutôt pour leur bonheur propre, puisqu'ils regardent ce qui nous arrive d'heureux, comme leur étant personnel. Voulez-vous apprendre qu'ils se réjouissaient et qu'ils triomphaient lorsqu'ils devaient voir Jésus-Christ monter au ciel, écoutons-le lui-même : Vous verrez bientôt, dit Jésus-Christ, les cieux ouverts, et les anges de Dieu montant et descendant sur le Fils de l'Homme. (Jean, I, 51.) Les anges, dit-il, montaient et descendaient sans cesse; ce qui annonce combien ils désiraient de voir un spectacle merveilleux. C'est l'usage de ceux qui aiment de ne pas attendre le moment où arrivera l'objet aimé, mais de le prévenir par les transports de leur joie. Les anges descendent, parce qu'ils sont empressés de voir un spectacle nouveau et extraordinaire, la nature humaine placée dans le ciel. Voilà pourquoi les anges paraissent, et lorsque Jésus-Christ vient au monde, et lorsqu'il ressuscite, et aujourd'hui qu'il monte au ciel: Deux hommes, dit l'Evangile, parurent vêtus de blanc, annonçant leur joie par la blancheur de leurs habits, et ils dirent aux disciples : Hommes de Galilée, pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel? ce Jésus, qui, en vous quittant, s'est élevé dans le ciel, viendra de la même manière que vous l'y avez vu monter. (Act. I, 10 et 11.)

5. Suivez-moi, mes frères, avec attention Pourquoi tiennent-ils ce langage? est-ce que les disciples n'avaient pas d'yeux? est-ce qu'ils ne voyaient point ce qui se passait? l'Evangéliste ne dit-il pas qu'ils le virent s'élever au ciel? pourquoi donc des anges viennent-ils leur apprendre qu'il est monté au ciel? Pour deux raisons : la première, c'est que les disciples étaient continuellement affligés, quand ils pensaient qu'ils allaient être séparés de Jésus-Christ. Aucun, de vous, leur dit le Fils de Dieu dans l'Evangile (paroles qui confirment ce que j'avance), aucun de vous ne me demande ou Je vais; mais parce que je vous ai dit ces choses, votre coeur s'est rempli de tristesse. (Jean, XVI, 5 et 6.) Si nous ne nous séparons qu'avec peine de nos amis et de nos parents, comment les disciples, qui voyaient leur Sauveur, un Père doux et tendre, un Maître plein d'attention et de bonté, se séparer d'eux, comment n'auraient-ils pas été affligés; comment n'auraient-ils pas éprouvé la douleur la plus vive? Des anges paraissent pour les consoler d'une séparation pénible , par l'espoir d'un retour agréable : Ce Jésus, leur disent-ils, qui en vous quittant s'est élevé ait ciel, viendra comme il y est monté. Vous vous affligez parce qu'il s'est élevé au ciel; mais ne vous affligez plus, puisqu'il reviendra. Elisée voyant son maître quitter la terre, déchira ses vêtements, parce que, sans doute, il n'avait personne qui vînt lui dire qu'Elie reviendrait; afin donc que les disciples de Jésus ne s'affligent pas, à l'exemple de celui d'Elie, des anges viennent les consoler dans leur tristesse. Telle est la première raison pour laquelle les anges paraissent. La seconde, et qui n'est pas moins forte, est celle qui leur fait ajouter : Ce Jésus qui s'est élevé au ciel. Expliquons un peu cette raison. Il s'est élevé au ciel, et la distance étant infinie, la portée de leur vue ne pouvait suffire pour voir un corps s'élever jusqu'aux cieux. Mais comme un aigle qui vole en haut, plus il s'élève, plus il se dérobe à nos regards : de même, plus le corps de Jésus-Christ s'élevait, plus il se dérobait aux (257) yeux de ses disciples, dont la faiblesse ne pouvait franchir un espace immense. Les anges qui paraissent, leur apprennent donc qu'il est monté au ciel, pour qu'ils sachent qu'il y est monté véritablement, et qu'ils ne s'imaginent pas qu'il n'y est monté que comme Elie. Voilà pourquoi ils ajoutent : Ce Jésus qui en vous quittant s'est élevé au ciel, paroles dont ils ne se servent point au hasard. Elie, comme serviteur, n'a paru que s'élever au ciel; Jésus-Christ, comme Maître, s'y est élevé réellement. L'un est monté sur un char de feu, l'autre sur un nuage. Lorsqu'il fallait appeler le serviteur, on lui a envoyé un char; lorsqu'il faut appeler le Fils , on lui envoie le trône royal, ou plutôt le trône même du Père ; car Isaïe dit du Père : Le Seigneur est assis sur un nuage léger. (Is. XIX, 1.) Comme donc le Père est assis sur un nuage, c'est pourquoi il envoie un nuage à son Fils. Elie, en se retirant, a laissé tomber son manteau sur Elisée; Jésus-Christ en montant aux cieux, envoie à ses disciples des dons spirituels, qui n'enfantent pas un seul prophète , mais des milliers d'Elisées, plus grands et plus illustres que le premier.

Elevons- nous donc, mes très-chers frères, et tournons les yeux de notre esprit vers le retour de notre Sauveur : Dès que le signal aura été donné, dit saint Paul, par la voix de l'archange, le Seigneur lui-même descendra du ciel. Et nous autres, qui sommes vivants, qui serons demeurés ici-bas jusqu'alors, nous serons transportés dans les nues pour aller au-devant du Seigneur, au milieu des airs, mais non pas tous. Car, pour vous convaincre que nous ne serons pas tous transportés dans les nues, mais que les uns s'élèveront dans les airs, et que les autres resteront, écoutez ce que dit Jésus-Christ : Alors, de deux femmes qui moudront à un moulin, l'une sera prise et l'autre laissée; de deux hommes qui seront dans un même lit, l'un sera pris et l'autre laissé. (Matth. XXIX, 40 et 41.) Que signifie cette énigme? que veut dire ce mystère caché? Par le moulin, Jésus-Christ nous désigne tous ceux qui vivent dans la pauvreté et dans la peine; par le lit et le repos, il marque ceux qui sont dans les richesses et dans les honneurs : et voulant nous montrer que parmi les pauvres, les uns seront sauvés, les autres périront, il dit que de deux femmes qui moudront à un moulin, l'une sera prise et l'autre laissée. De deux hommes qui seront dans un même lit, l'un sera pris et l'autre laissé, dit-il encore, voulant faire entendre que les pécheurs seront laissés pour attendre leur punition, tandis que les justes seront transportés dans les nues. Lorsqu'un prince fait son entrée dans une ville, ceux qui sont constitués en honneurs et en dignités, ceux qui jouissent le plus de sa confiance, sortent de la ville pour aller à sa rencontre: tandis que les criminels, déjà condamnés par les tribunaux, restent enfermés dans les prisons publiques, pour attendre la sentence du prince : de même lorsque Jésus-Christ paraîtra, les justes qui ont sa confiance, iront au-devant de lui au milieu des airs; tandis que les pécheurs qui ont commis une infinité de crimes, resteront en bas pour attendre le souverain Juge. Alors, nous serons transportés nous-mêmes dans les nues. Quand je dis nous, je ne me mets point au nombre de ceux qui jouiront de ce glorieux avantage : je ne suis pas assez dépourvu de sens et de raison pour ignorer mes propres fautes; et si je ne craignais de troubler la joie de la fête présente, cette unique parole et le souvenir seul de mes péchés , me feraient verser un torrent de larmes. Mais comme je ne veux point mêler des idées tristes à la sainte allégresse que vous inspire cette fête, je termine ici mon instruction, en vous présentant une pensée qui rappellera sans cesse ce jour à votre mémoire.

Que le riche ne se réjouisse pas de ses richesses, que le pauvre ne s'afflige pas de sa pauvreté, mais que chacun s'afflige ou se réjouisse selon qu'il se sentira coupable ou innocent, car le riche n'est pas heureux, ni le pauvre misérable; mais celui qui sera jugé digne d'être transporté dans les nues, fût-il le plus indigent des hommes, est heureux et trois fois heureux; comme celui qui est déchu de la grâce, fût-il le plus opulent des mortels, en est aussi le plus misérable et le plus à plaindre. Je parle ainsi, afin que ceux qui vivent dans le péché se pleurent eux-mêmes, et que ceux qui sont pleins de bonnes oeuvres, prennent de l'assurance; ou plutôt, afin que les uns ne prennent pas seulement de l'assurance, mais qu'ils se confirment dans le bien; et que les autres ne se contentent pas de pleurer , mais qu'ils changent, puisque celui qui a vécu dans le vice peut y renoncer, revenir à la vertu, et jouir des mêmes priviléges que ceux qui ont toujours mené une vie (258) sage. Soyons donc nous-mêmes empressés à agir d'après ces principes. Que ceux d'entre nous qui peuvent se rendre le témoignage d'avoir pratiqué la piété,. y restent fidèles, qu'ils augmentent sans cesse ce trésor précieux, et ajoutent continuellement à leur confiance. Que ceux qui sont dans la crainte, parce qu'ils se sentent coupables d'une infinité de péchés, se convertissent, afin qu'étant remplis de la confiance des justes, nous recevions tous, d'un commun accord, le Roi des anges, avec toute la gloire qui lui est due, et que nous goûtions une joie bienheureuse en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui soient la gloire et l'empire, avec le Père et l'Esprit-Saint, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

HOMÉLIES SUR LA PENTECOTE

 

PREMIÈRE HOMÉLIE. Pourquoi il ne se fait plus de miracles, et sur cette pensée qu'il y a un livre où sont inscrites nos actions et nos pensées.

AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

Dans la cinquième homélie sur Anne, mère de Samuel, saint Chrysostome se plaint du peu de compte qu'on a tenu d'un avertissement donné par lui dans une précédente homélie prononcée le jour de la Pentecôte; il avait dit que ce n'était pas seulement les jours de grandes fêtes qu'il fallait fréquenter l'église, mais encore pendant toute l'année. Or, le saint docteur s'étend assez longuement sur ce sujet dans la première homélie sur la Pentecôte. — Nous serions tentés de conclure de là que l'homélie qu'on va lire est bien celle que saint Chrysostome prononça le jour de la Pentecôte de l'an 387, année à laquelle appartiennent les homélies sur Anne, mère de Samuel; par malheur, il y a quelque chose qui s'y oppose. Dans la même cinquième homélie sur Anne, mère de Samuel, nous lisons ce qui suit : En ce même jour de la Pentecôte, nous vous avons expliqué la parabole de ce prodigue, qui, après avoir dévoré son patrimoine, revint à la maison paternelle; nous vous avons fait la peinture de sa misère, de sa faim, de sa dégradation, de ses opprobres, et de tout ce qu'il endura chez l'étranger. Or, de tout cela pas un mot dans la présente homélie, dont il est impossible par conséquent de déterminer l'année.

Enumérant les principales fêtes des chrétiens, saint Chrysostome nomme l'Epiphanie, Pâques, et la Pentecôte. On se demande aussitôt pourquoi la Nativité du Seigneur est omise, pourquoi c'est l'Epiphanie qui figure en premier rang. — On ne peut pas dire que la Nativité et l'Epiphanie n'étaient qu'une seule et même fête; cela avait été la vérité, mais avait cessé de l'être à l'époque où parlait l'orateur; la Nativité se célébrait déjà à Antioche le 25 décembre et l'Epiphanie le ô janvier. — Saint Chrysostome lui-même distingue parfaitement ces deux fêtes dans les homélies sur la Nativité et sur l'Epiphanie. — tout cela semble contradictoire, cependant tout s'explique si l'on réfléchit que la célébration de la fête de la Nativité le 25 décembre était une innovation très-récemment empruntée à l'Occident, qu'autrefois l'on fêtait simultanément, le 6 janvier, sous le nom d'Epiphanie et la Nativité, et l'adoration des Mages, et le baptême de Notre-Seigneur, de sorte qu'en nommant l'Epiphanie et en omettant la Nativité l'orateur ne faisait que se conformer à l'ancienne coutume, à l'ancienne manière de parler.

1° C'est une fête continuelle qui devrait régner dans l'église. — C'était assez sous la loi ancienne de se montrer trois fois l'an devant le Seigneur Dieu; pour les chrétiens, c'est tous les jours que Dieu veut qu'ils soient devant lui; ceux qui ne paraissent dans l'église que les jours de grandes fêtes sont donc infidèles à leur vocation de chrétiens. — 2° Saint Paul nous apprend à quelle condition cette fête perpétuelle est possible : Célébrons, dit-il, une fête perpétuelle, non avec le vieux levain, ni avec le levain de la malice et de l'iniquité, mais avec les azymes de la sincérité et de la vérité. (I Cor. V, 8.) — 3° Le don de l'Esprit-Saint est un don de réconciliation. C'est pour cela qu'il n'est descendu qu'après que Jésus-Christ eut été glorifié, c'est-à-dire après qu'il eut effacé par sa passion les crimes qui empêchaient notre réconciliation. — 4° Il prouve la vérité de la réconciliation et celle de la descente du Saint-Esprit par les miracles que les apôtres opérèrent après l'avoir reçu. — Objection : Si les miracles sont la preuve de la présence du Saint-Esprit, il n'est donc plus maintenant dans l'Eglise, puisqu'on n'y voit plus de miracles. — Réponse : Si le Saint-Esprit n'était plus dans l'Eglise, il n'y aurait plus ni baptême, ni ministère pastoral, etc. — Si les miracles ne se voient plus, c'est parce qu'ils sont devenus inutiles, la foi des chrétiens étant suffisamment établie et affermie. — 5° et 6° L'orateur avait souhaité d'expliquer pourquoi le Saint-Esprit était descendu le jour de la Pentecôte, pourquoi en forme de langues de feu, et pourquoi dix jours après l'Ascension, mais craignant de trop prolonger son discours, il le finit en exhortant ses auditeurs à vivre de façon qu'ils puissent participer un jour à la gloire que Jésus-Christ est allé leur préparer.

1. Nouvelle fête, nouvelle assemblée, nouvelle joie pour l'Eglise, fière du grand nombre de ses enfants, nouvelle gloire pour cette mère féconde et pleine d'amour. Mais que fait cet amour à son bonheur, si ce n'est qu'aux jours de fête , si ce n'est pas continuellement qu'elle voit ses enfants chéris comme un beau vêtement dont il ne lui serait pas permis de se parer toujours? Le vêtement de l'Eglise, c'est la foule des fidèles, selon la parole du Prophète qui adressait à l'Eglise cette parole descendue du ciel : Vous les mettrez tous autour de vous comme une parure nuptiale, comme une robe d'épouse. (Isa. XLIX, 18.) Comme une femme (260) de moeurs honnêtes et de condition libre, dont la robe tombe jusque sur ses talons, paraît plus belle et plus sage, ainsi l'Eglise se montre plus brillante en ce jour où votre foule l'entoure comme une robe à longs plis. Car aujourd'hui on ne peut rien découvrir en elle qui soit resté à nu, comme dans les jours précédents. Mais à qui faut-il imputer cette nudité des autres jours ? à ceux qui viennent aujourd'hui seulement près de leur mère, qui ne restent pas toujours à ses côtés. Il n'y a pas un médiocre danger à négliger sa mère qu'on laisse ainsi à nu; rappelons-nous une vieille histoire , rappelons-nous ce fils qui vit son père nu, et qui fut puni pour l'avoir vu ainsi. (Gen. IX, 21 et seq.) Cependant ce n'était pas lui qui avait fait que son père était nu, il n'avait fait que le voir nu ; même dans cette circonstance, il n'échappa pas au châtiment; il n'avait fait que le voir, mais ceux qui sont aujourd'hui présents, qui, les jours passés, n'étaient pas présents, ceux-là ne voient pas seulement la nudité, ils font la nudité de leur mère. Eh bien ! si le fils qui a seulement vu la nudité n'a pas échappé au châtiment, quel pardon pourraient mériter ceux qui produisent la nudité ? Je ne veux blesser personne, mais fuyons le châtiment, fuyons la malédiction de Cham; imitons la piété de Sem et de Japhet, et nous aussi enveloppons toujours cette mère qui est notre mère. C'est l'esprit des Juifs de ne se montrer que trois fois dans l'année en la présence de Dieu. C'est à eux qu'il a été dit : Trois fois dans l'année, tu te présenteras au Seigneur ton Dieu (Exod. XXIII, 17); quant à nous, Dieu veut que nous nous présentions toujours devant lui. Pour les Juifs, c'étaient les distances des lieux qui réduisaient ainsi le nombre de leurs assemblées, car le culte d'alors était renfermé dans un seul lieu; voilà pourquoi ils ne pouvaient se réunir, paraître que dans des occasions dont le nombre était limité ; on ne pouvait adorer qu'à Jérusalem, ailleurs, défense expresse. Voilà pourquoi l'ordre était de se présenter trois fois l'an devant Dieu, la longueur du voyage servait d'excuse; pour nous, aucune excuse ne peut valoir. En outre, les Juifs étaient dispersés par toute la terre. Or il y avait dans Jérusalem des juifs pieux, de toutes les nations qui sont sous le ciel (Act. II, 5) ; nous, au contraire, nous habitons , tous tant que nous sommes, une seule et même ville, les mêmes murailles nous renferment, souvent même une ruelle ne nous sépare pas de l'église, et on dirait que de longs espaces de mers nous en tiennent écartés à voir combien sont rares nos apparitions dans cette sainte assemblée. Les Juifs encore ne reçurent d'ordre que pour la célébration de trois fêtes, mais vous avez, vous, l'ordre de Dieu de célébrer toujours la fête , car c'est pour nous toujours fête. Et pour vous montrer que notre fête est de tous les jours, je veux vous dire les sujets de fêtes et vous comprendrez que chaque jour est une fête pour nous. Eh bien ! chez nous, la première c'est l'Epiphanie (1). Quel en est le sujet? C'est que Dieu a paru sur la terre, et il a conversé avec les hommes (Baruch. III, 38); c'est que le Dieu, fils unique de Dieu, était avec nous; mais cela dure toujours : Car voici, dit-il, que je serai toujours avec vous, jusqu'à la consommation des siècles (Matth. XXVIII, 20); voilà pourquoi on peut tous les jours célébrer l'Epiphanie. Que signifie la fête de Pâques? quel en est le sujet? C'est la mort du Seigneur que nous annonçons alors; voilà la fête de Pâques, mais nous ne la célébrons pas dans un temps exclusivement déterminé. En effet, Paul voulant nous affranchir de la nécessité des temps, et nous montrer que l'on peut toujours célébrer la Pâque : Toutes les fois, dit-il, que vous mangerez ce pain, et que vous boirez ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur. (I Cor. XI, 26.) Donc si nous pouvons toujours annoncer la mort du Seigneur, nous pouvons toujours célébrer la Pâque. Voulez-vous savoir que la fête d'aujourd'hui peut chaque jour être accomplie, je dis plus, que c'est réellement la fête de tous les jours? Voyons quel est le sujet de la présente fête, et pourquoi la célébrons-nous? C'est que l'Esprit est venu à nous, car de même que le Fils unique de Dieu est avec les hommes fidèles, ainsi demeure avec eux l'Esprit de Dieu. Qui le prouve? Celui qui m'aime, dit le Seigneur, gardera mes commandements, et moi je prierai mon Père et il vous donnera un autre Consolateur, afin qu'il demeure éternellement avec vous, l'Esprit de vérité. (Jean, XIV, 15, 17.) Donc, comme le Christ a dit, en parlant de lui-même : Voici que je serai toujours avec vous, jusqu'à la consommation

1 Saint Chrysostome se conforme à l'usage antique de l'Orient, selon lequel l'Epiphanie était à la fois et la fête de la naissance de Jésus-Christ, et celle de son adoration par les Mages, et celle de son baptême. En d'autres endroits, notamment dans le panégyrique de saint Philogone, tom. II, pag. 136, il se conforme à l'usage récemment établi de célébrer à part la Nativité, et il nomme cette dernière fête la première de toutes les fêtes.

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des siècles, ce qui fait que nous pouvons toujours célébrer l'Epiphanie; ainsi, en parlant de l'Esprit, il dit : L'Esprit demeure éternellement avec vous, ce qui fait que nous pouvons toujours célébrer la Pentecôte.

2. Et ce qui prouve que nous pouvons toujours être en fête, qu'il n'y a pas de temps déterminé, qu'il n'y a pas de nécessité de temps où il se faille renfermer, écoutez ce que dit saint Paul : C'est pourquoi célébrons la fête. (I Cor. V, 8.) Quand il écrivait ces paroles, ce n'était ni Pâques, ni l'Epiphanie, ni la Pentecôte, mais l'Apôtre indiquait par là que ce n'est pas le temps qui constitue la fête, que c'est la pureté de la conscience; fête n'est pas autre chose que joie; la joie de l'intelligence, la joie de l'esprit réside uniquement dans la conscience des bonnes actions; celui qui a une bonne conscience et une bonne vie, peut toujours être en fête. Vérité que Paul démontre en ces mots : C'est pourquoi célébrons la fête, non avec le vieux levain, ni avec le levain de la malice et de la corruption, mais avec les pains sans levain de la sincérité et de la vérité. Voyez-vous comme il se garde bien de vous lier par une nécessité de temps, mais comme il vous exhorte à vous faire une conscience pure ? Je consacrerais volontiers tout cet entretien à cette pensée ; car lorsqu'au bout d'un long temps on tient certaines personnes entre ses mains, on ne les lâche pas facilement; il en est de même de vous après un an d'absence, nous vous avons pris dans nos filets, nous ne voulons pas vous lâcher aujourd'hui; mais il faut bien vous instruire de la présente fête, et par conséquent notre discours doit vous en parler. Des grâces abondantes souvent sont descendues dix ciel sur la terre pour le bonheur de tous les hommes, jamais présents célestes n'ont égalé autrefois ceux que nous recevons en ce jour. Apprenez les premiers dons, ceux d'aujourd'hui, et appréciez-en la différence. Dieu a fait pleuvoir la manne sur la terre, et il leur a donné le pain du ciel. (Psalm. LXXVII, 24.) L'homme a mangé le pain des anges; grande faveur et digne de l'amour de Dieu pour les hommes ! Plus tard, le feu est descendu du ciel, et il guidait la marche errante du peuple juif, et il a consumé le sacrifice sur l'autel. Autre prodige : la famine était générale et desséchait tout; la pluie tomba et produisit une grande abondance de fruits. (III Rois, XVXIX, 38.) Voilà de grandes merveilles, mais bien plus admirables sont celles de nos jours; ni la manne, ni le feu, ni la pluie ne sont tombés aujourd'hui, mais la rosée des grâces spirituelles : des nuages sont descendus, non pas pour réveiller la fécondité de la terre, mais pour tirer, de la nature humaine, par la persuasion, les fruits de vertu qui récompensent le cultivateur des âmes. Ceux qui en ont reçu la moindre goutte, ont aussitôt oublié leur nature, et voilà que tout à coup des anges ont rempli toute la terre ; non dans des anges célestes, mais dans des corps humains s'est montrée la vertu des puissances qui n'ont pas de corps. Ce ne sont pas les anges du ciel qui sont descendus, mais ce qui est plus admirable, les habitants de la terre se sont élevés à la vertu des puissances célestes ; ils n'ont pas été, dépouillant leur chair, de pures âmes, mais persistant dans leur nature, ils sont devenus des anges, par leur volonté. Et voici qui vous fera comprendre, que même l'ancien châtiment n'était pas un châtiment, lorsque Dieu dit : Vous êtes poudre, et vous retournerez en poudre (Gen. III, 19). Si Dieu vous a permis de rester sur la terre, c'est pour mieux faire éclater la puissance de l'Esprit, produisant de telles oeuvres par le moyen d'un corps fait de terre. En effet, on a pu voir une langue d'argile commander aux démons; une main d'argile guérir les maladies, ou plutôt ce n'était pas même une main d'argile qu'on voyait, c'était une merveille, plus admirable encore, les ombres de ces corps d'argile triomphaient de la mort et des puissances qui n'ont pas de corps, je veux dire des démons. Comme l'apparition du soleil chasse l'obscurité, fait rentrer les bêtes féroces dans leurs repaires, précipite les meurtriers, les brigands, les violateurs de tombeaux dans les montagnes dont les sommets les recèlent; ainsi, à la vue, à la voix de Pierre, les ténèbres de l'erreur étaient dissipées, le démon se retirait, les puissances de l'enfer prenaient la fuite, les maladies des corps disparaissaient, c'en était fait des maux qui affligent les âmes, de toute perversité, la vertu revenait sur la terre. Et, de même que si, dans les trésors des rois, où se trouvent de l'or et des pierreries, on prend si peu que ce soit de cette précieuse épargne, une seule pierre suffit à faire la fortune de celui qui la tient, de même pour ce qui tombait des bouches des apôtres; (262) leurs bouches étaient comme des trésors de rois où se trouvait une réserve de guérisons d'un prix inestimable; chaque parole qui s'échappait de leurs lèvres faisait tout un trésor spirituel. C'était vraiment alors qu'on pouvait voir que les paroles du Seigneur sont plus désirables que l'or et la grande quantité des pierres précieuses (Psalm. CXVIII, 11), car ce que ne pouvait faire ni l'or, ni aucune pierre précieuse, les paroles de Pierre l'opéraient. Combien aurait-il fallu de talents d'or pour faire marcher droit celui qui était boiteux de naissance?

La parole de Pierre suffit pour faire disparaître ce défaut de nature. Il lui dit: Au nom de Jésus-Christ, lève-toi et marche (Act. III, 6), et la parole devint une réalité. Comprenez-vous combien de telles paroles sont plus désirables que l'or et la grande quantité des pierres précieuses? Comprenez-vous comment leurs bouches étaient comme des trésors de rois? En réalité, ils étaient les médecins de la terre, et les agriculteurs et les pilotes; les médecins, puisqu'ils guérissaient les maladies ; les agriculteurs puisqu'ils semaient les paroles de la piété; les pilotes, puisqu'ils apaisaient la tempête de l'erreur. De là, ce qui est écrit : Allez, guérissez les malades (Matth. X, 8), comme on dit aux médecins. Quelquefois le Seigneur dit : Voici que je vous envoie moissonner, ce qui n'est pas venu par votre travail (Jean, IV, 38), comme s'il parlait à des agriculteurs; et ailleurs encore : Je ferai de vous des pêcheurs d'hommes (Matth. IV, 19); et à Pierre : Ne crains rien, dorénavant tu prendras des hommes (Luc, V, 10), comme s'il parlait à des pilotes et à des pêcheurs; et l'on voyait miracles sur miracles. Notre nature, il y a dix jours, s'est élevée jusqu'au trône du roi, et en ce jour l'Esprit-Saint est descendu sur notre nature; le Seigneur a porté nos prémices en haut, et il a fait descendre l'Esprit-Saint. C'est un autre Seigneur qui nous distribue ces présents; car l'Esprit est aussi Seigneur, et le Père, le Fils et le Saint-Esprit se sont partagés le soin de nous gouverner. Il n'y a pas dix jours que le Christ est remonté au ciel, et il nous a envoyé les grâces spirituelles, présents de la grande réconciliation. Car, pour que personne ne puisse douter, ni s'informer de ce qu'a fait le Christ de retour au ciel, s'il nous a réconciliés avec son Père, s'il nous l'a rendu propice, pour preuves manifestes de la réconciliation, il nous en a

bien vite envoyé les présents. Car lorsque des ennemis ne font plus qu'un même coeur, lorsqu'ils sont réconciliés, aussitôt après la réconciliation viennent les invitations , les festins, les présents. Nous avons donc envoyé au ciel notre foi, et nous avons reçu d'en-haut les présents; nous avons envoyé notre obéissance, et nous avons reçu la justice.

3. Il vous faut comprendre que le don de notre réconciliation avec Dieu, c'est l'Esprit-Saint. J'essayerai de vous en persuader par les saintes Ecritures; ma première preuve se fera par les contraires; je vous montrerai que Dieu retire à lui la grâce de l'Esprit, lorsqu'il est en colère contre nous; si vous acquérez la persuasion que la colère de Dieu se prouve par ce fait qu'on ne voit plus l'Esprit-Saint, l'apparition de l'Esprit, descendant de nouveau, vous fera comprendre que si Dieu n'était pas réconcilié avec nous il n'enverrait pas l'Esprit-Saint. D'où tirerons-nous nos preuves? Héli était ion vieillard, d'ailleurs juste et sage, mais ne sachant pas corriger ses enfants, et portant un amour exagéré aux fils sortis de lui. Ecoutez tous tant que vous êtes qui avez des enfants, apprenez à faire la juste part de l'affection et du devoir. Héli, par cette raison, irrita Dieu à tel point qu'il se détourna de tout le peuple. Eh bien ! celui qui écrit ces choses dit, pour montrer que Dieu s'était tout à fait détourné des Juifs: La parole du Seigneur était précieuse et il n'y avait plus de vision distincte. (I Rois, III, 1.) Ici, précieuse, veut dire rare; cette parole signifie que les prophéties étaient rares alors. Un autre maintenant se lamentant et gémissant à cause de la colère de Dieu, disait Et il n'y a dans ce temple ni prince, ni prophète (Dan. III, 38); de son côté l'Evangéliste dit : Le Saint-Esprit n'avait pas encore été donné, car Jésus n'avait pas encore été glorifié. (Jean, VII, 39.) Comme il n'avait pas encore été crucifié, dit-il, l'Esprit-Saint n'était pas encore un don accordé aux hommes; cette expression, n'avait pas encore été crucifié, correspond tout à fait à n'avait pas encore été glorifié. Car si, à ne considérer que le fait en lui-même, c'est une honte, comme cette honte n'a été subie que par amour, le Christ l'appelle une gloire. Et pourquoi, répondez-moi, l'Esprit n'a-t-il pas été accordé avant la mise en croix? C'est que la terre était dans le péché, dans les offenses, un objet de haine et d'ignominie, avant l'oblation de l'Agneau qui enlève (263) le péché du monde. Le Christ n'étant pas encore crucifié, la réconciliation n'était pas encore faite; or, la réconciliation n'étant pas encore faite, il était convenable que le Saint-Esprit ne fût pas envoyé, de telle sorte que ce qui prouve la réconciliation c'est l'envoi du Saint-Esprit. Voilà pourquoi le Christ dit encore : Il est avantageux pour vous que je m'en aille, car, si je ne m'en vais pas, celui-là ne viendra pas. (Jean, XVI, 7.) Si je ne m'en vais, et ne réconcilie le Père, dit-il, je ne vous enverrai point le Paraclet. Vous voyez par combien de textes je vous ai prouvé que c'est un signe de la colère de Dieu que l'absence du Saint-Esprit parmi les hommes : La parole de Dieu était précieuse et il n'y avait point de vision distincte; il n'y a dans ce peuple, ni prince, ni prophète; le Saint-Esprit n'avait pas encore été donné, car Jésus n'avait pas encore été glorifié; il est avantageux pour vous que je m'en aille, car si je ne m'en vais, celui-là ne viendra pas. C'est pourquoi l'absence du Saint-Esprit est un signe de la colère divine ; au contraire, quand vous voyez l'Esprit-Saint descendre en abondance, ne doutez plus de la réconciliation. Mais, dira-t-on, où est le Saint-Esprit maintenant? Sans doute, on en pouvait parler quand on en voyait des signes, quand des morts étaient ressuscités, quand tous les lépreux étaient purifiés; mais aujourd'hui qui nous montrera que le Saint-Esprit est présent au milieu de nous? Soyez sans crainte, car je vais vous démontrer qu'aujourd'hui encore le Saint-Esprit est en nous. Comment et de quelle manière? Si le Saint-Esprit n'est pas en nous, comment ceux que vous voyez qui, dans cette sainte nuit, ont été illuminés, ont-ils pu être affranchis de leurs péchés? Vous savez bien qu'il est impossible d'être affranchi des péchés sans l'opération de l'Esprit. Ecoutez ce que dit Paul: Car nous étions aussi nous-mêmes autrefois insensés, désobéissants, égarés, asservis aux diverses passions; mais depuis que la bonté de Dieu, notre Sauveur, et son amour pour les hommes a paru, il nous a sauvés, non à cause des oeuvres de justice que nous eussions faites, mais à- cause de sa miséricorde, par le baptême de la renaissance, et par le renouvellement du Saint-Esprit (Tit. III, 3-5) ; et encore ailleurs : Ne vous y trompez pas, ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les luxurieux, ni ceux qui pratiquent l'abomination, ni les voleurs, ni les avares, ni ceux qui s'enivrent, ni les médisants, ni les ravisseurs, ne posséderont point le royaume de Dieu. (I Cor. VI, 9-11.) Voyez-vous toutes les espèces de perversité ? C'est ce que quelques-uns de vous ont été autrefois, mais vous avez été lavés, vous avez été sanctifiés, vous avez été justifiés. Comment? car voilà ce que nous cherchons, si c'est par la grâce du Saint-Esprit que nous avons déposé notre perversité. Donc, écoutez : Mais vous avez été sanctifiés, mais vous avez été justifiés au nom de Notre-Seigneur Jésus, et dans l'Esprit de notre Dieu. Voyez-vous que c'est l'Esprit-Saint qui a fait disparaître toute cette perversité ?

4. Où sont-ils maintenant les blasphémateurs de l'Esprit? Car s'il ne remet pas les péchés, c'est en vain qu'on le reçoit dans le baptême ; si, au contraire, il les remet, c'est en vain que les hérétiques le blasphèment. Si le Saint-Esprit n'existait pas, nous ne pourrions pas dire que Jésus est Notre-Seigneur : Car nul ne peut dire que Jésus est Notre-Seigneur, sinon par le Saint-Esprit. (I Cor. XII, 3.) Si le Saint-Esprit n'existait pas, nous ne pourrions pas prier Dieu, nous fidèles; en effet, nous disons : Notre Père, qui êtes aux cieux. (Matth. VI, 9.) Or, de même que nous ne pourrions pas appeler Notre-Seigneur, de même nous ne pourrions pas appeler Dieu notre Père. Qui le prouve? L'Apôtre disant : Parce que vous êtes enfants, Dieu a envoyé dans vos coeurs l'Esprit de son Fils, qui crie Abba, mon Père. (Galat. IV, 6.) C'est pourquoi , quand vous invoquez le Père, rappelez-vous qu'il a fallu que l'Esprit ait touché votre âme pour que vous fussiez jugés dignes d'appeler Dieu de ce nom. Si le Saint-Esprit n'existait pas, les discours de la sagesse et de la science ne seraient pas dans l'Eglise : Car l'Esprit a donné à l’un de parler avec sagesse; à l'autre, de parler avec science. (I Cor. XII, 8.) Si le Saint-Esprit n'existait pas, il n'y aurait dans l'Eglise ni pasteurs, ni docteurs, car c'est l'Esprit qui les fait, selon ce que dit Paul: Sur lequel le Saint-Esprit vous a établis évêques et pasteurs. (Act. XX, 28.) Voyez-vous que cela encore se fait par l'opération de l'Esprit? Si l'Esprit-Saint n'existait pas en celui qui est notre commun Père et Docteur, quand tout à l'heure il est monté à cette tribune sainte, quand il vous a donné, à tous, la paix, vous ne lui auriez pas répondu, tous d'une commune voix : Et avec votre esprit; c'est pourquoi non-seulement quand il (264) monte à l'autel, ou qu'il s'entretient avec vous, ou qu'il prie pour vous, vous faites entendre cette parole ; mais encore quand il se tient auprès de cette table sainte, quand il est sur le point d'offrir ce sacrifice redoutable, c'est ce que savent bien les initiés; il ne touche pas les offrandes, avant d'avoir imploré pour vous la grâce du Seigneur, avant que vous lui ayez répondu : Et avec votre esprit, cette réponse même vous rappelant que celui qui est là ne fait rien par lui-même, que les dons qu'on attend ne sont nullement des ouvrages de l'homme ; que c'est la grâce présente de l'Esprit, descendue sur tout, qui accomplit seule ce sacrifice mystique. Sans doute il y a là un homme qui est présent, mais c'est Dieu qui agit au moyen de lui. Donc ne vous attachez pas à ce qui frappe vos yeux, mais concevez la grâce invisible. Il n'y a rien qui vienne de l'homme dans toutes les choses qui s'accomplissent au sanctuaire. Si l'Esprit n'était pas présent, l'Eglise ne formerait pas un tout bien consistant; la consistance de l'Eglise manifeste la présence de l'Esprit.

Mais pourquoi donc, me dira-t-on, n'y a-t-il plus aujourd'hui de signes miraculeux? Ici, accordez-moi toute votre attention; car un grand nombre de personnes me font cette question et la répètent sans cesse; pourquoi le don des langues était-il accordé autrefois aux baptisés, pourquoi ne l'ont-ils plus aujourd'hui? Comprenons bien d'abord ce que c'était que le don des langues, et nous expliquerons ensuite ce qui arrive. Qu'est-ce donc que le don des langues? Le nouveau baptisé parlait aussitôt la langue des Indiens, des Egyptiens, des Perses, des Scythes, des Thraces, et un seul homme devenait capable de se faire entendre en beaucoup de langues, et si nos baptisés d'aujourd'hui l'avaient été en ces temps-là, vous les auriez tout de suite entendus parler des langues différentes. Car Paul trouva, dit-il, quelques disciples qui avaient reçu le baptême de Jean, et il leur dit : Avez-vous reçu le Saint-Esprit depuis que vous avez embrassé la foi ? Ils lui répondirent: Nous n'avons pas seulement entendu dire qu'il y ait un Saint-Esprit. (Act. XIX, 2-6.) Et aussitôt, il les fit baptiser : Et après que Paul leur eut imposé les mains, le Saint-Esprit descendit sur eux, et ils parlaient diverses langues. Pourquoi donc cette grâce a-t-elle disparu, n'est-elle plus accordée aux hommes d'aujourd'hui? Ce n'est pas que Dieu nous fasse outrage, au contraire c'est qu'il a grande estime de nous. Comment cela? je vais le dire. Les hommes d'alors étaient d'un esprit grossier, à peine affranchis du culte des idoles; leur intelligence était épaisse et engourdie; ils n'étaient frappés de saisissement, d'admiration que pour les choses corporelles; impossible à eux de comprendre des biens qui n'ont pas de corps ; ils ne pouvaient concevoir la grâce spirituelle, visible seulement aux yeux de la foi; voilà pourquoi il y avait des signes. C'est qu'en effet, parmi les grâces spirituelles, les unes sont invisibles, la foi seule peut les comprendre; les autres sont accompagnées d'un signe sensible, pour convaincre les infidèles. Exemple : la rémission des péchés, affaire spirituelle, grâce invisible : car comment nos péchés sont-ils dissipés de manière à purger notre âme, c'est ce que nous ne voyons pas des yeux de la chair. Pourquoi ? c'est que c'est l'âme qui est purifiée; or l'âme n'est pas visible aux yeux du corps. Donc la purification des péchés est un présent spirituel, qui ne peut être sensible aux yeux du corps; mais le don des langues est aussi un effet de l'opération spirituelle de l'Esprit; et, en même temps, cette opération est accompagnée d'un signe sensible, que les infidèles mêmes peuvent apercevoir. Quand l'opération a lieu dans l'âme, je dis l'opération invisible, la langue que l'on entend au dehors, en est la manifestation et la preuve. De là ce que dit Paul : A chacun la manifestation de l'Esprit a été donnée pour l'utilité. (I Cor. XII, 7.) Donc aujourd'hui, moi du moins, je n'ai pas besoin de signes. Pourquoi? C'est que j'ai appris à avoir foi dans le Seigneur, indépendamment de tout signe. L'infidèle a besoin de garantie; mais moi qui suis un fidèle, je n'ai besoin ni de garantie ni de signe; bien que je ne parle pas une langue miraculeusement, je sais que j'ai été purifié de mes péchés. Les hommes d'alors n'auraient pas cru, s'ils n'avaient pas reçu un signe; voilà pourquoi des signes leur furent donnés comme garantie de la foi qu'on leur demandait. Pour prouver que ce n'était pas aux fidèles, mais aux infidèles que des signes étaient donnés, afin de les rendre fidèles, Paul dit : Les signes ne sont pas pour ceux qui croient, mais pour ceux qui ne croient pas. (I Cor. XIV, 22.) Comprenez-vous que Dieu ne nous fait pas outrage, que c'est, au contraire, par estime pour nous, qu'il a supprimé la manifestation des signes ? Il a voulu montrer que (265) notre foi est indépendante des garanties et des signes, voilà pourquoi Dieu a fait ce qu'il a fait: les hommes d'autrefois demandaient avant tout un signe, une garantie pour croire Dieu sur les choses invisibles; mais moi, indépendamment de tout cela, je montre une foi entière : voilà donc pourquoi il n'y a plus de signes aujourd'hui:

5. J'aurais voulu vous parler du sujet de cette fête, vous expliquer ce qu'est la Pentecôte, et pourquoi le Saint-Esprit a été donné en ce jour, et pourquoi il est descendu en langues de feu, et pourquoi au bout de dix jours; mais je vois que cet enseignement serait trop long ; je n'ajouterai donc que quelques mots et je terminerai ce discours. Quand les jours de la Pentecôte furent accomplis, les disciples virent paraître comme des langues de feu qui se partagèrent (Act. II, 13) ; non pas des langues de feu, mais, comme de feu, ceci afin que vous ne soupçonniez rien de sensible au sujet de l'Esprit. Car, de même que, sur le Jourdain, ce ne fut pas une colombe qui descendit, mais l'Esprit sous une forme de colombe, de même ici encore ce ne fut pas un feu, mais une forme de feu; et de même, dans le verset qui précède, il dit : On entendit comme un souffle violent, non pas un souffle violent, mais comme un souffle violent. Pourquoi donc Ezéchiel n'a-t-il pas reçu le don de prophétie sous forme de feu, mais par le moyen d'un livre, tandis que les apôtres reçoivent par le feu les grâces de l'Esprit? En ce qui touche Ezéchiel, l'Ecriture dit qu'on lui porta à la bouche un livre où étaient écrites des plaintes, avec des cantiques et des malédictions, et ce livre était écrit dedans et dehors, et il le mangea, et il devint doux à sa bouche comme le miel. (Ezéch. II, 9; III, 3.) Quant aux apôtres, il n'en est pas ainsi : mais, ils virent paraître comme des langues de feu. Pourquoi donc, d'un côté, un livre et des caractères écrits; de l'autre, une langue et du feu ? C'est que le prophète allait accuser les péchés, faire entendre des gémissements sur les malheurs des Juifs; les apôtres, au contraire, allaient dissiper les péchés de la terre : voilà pourquoi le prophète reçut un livre destiné à lui rappeler les malheurs à venir; les apôtres reçurent le feu qui devait brûler les péchés de la terre, et les détruire entièrement. Car, de même que le feu, tombant sur des épines, les détruit toutes facilement, de même la grâce de l'Esprit dissipait les péchés des hommes. Mais les Juifs, insensés, à la vue de ces prodiges qui auraient dû les frapper d'admiration et de crainte et les porter à adorer l'auteur de telles grâces, montrent encore l'aveuglement qui leur est propre, ils accusent d'ivresse les apôtres remplis de l'Esprit-Saint. Ces gens-là, disent-ils, sont ivres et pleins de vin doux. (Act. II, 13.) Remarquez l'aveuglement des hommes, et observez la sagesse des anges : les anges, en voyant nos prémices monter dans le ciel, se réjouissaient et disaient : Levez vos portes, ô princes; et vous, portes éternelles, levez-vous, et il entrera le roi de gloire (Psalm. XXIII, 7) ; mais les hommes, en voyant descendre jusqu'à nous la grâce de l'Esprit, disent que ceux qui ont reçu la grâce, sont des gens ivres, sans que la considération de la saison où l'on était, empêche un tel jugement; car ce n'est pas au printemps que l'on trouve du vin doux, et l'on était alors au printemps. Mais laissons de côté ces anciens hommes; appliquons-nous à considérer la rétribution que nous accorde la bonté de Dieu. Le Christ a reçu les prémices de notre nature, et il nous a donné en retour la grâce de l'Esprit; et de même qu'il arrive, après une longue guerre, quand les combats ont cessé, quand on fait la paix, que ceux qui se haïssaient mutuellement, se donnent réciproquement des garanties et des otages, ainsi est-il arrivé entre Dieu et la nature humaine; elle lui a envoyé, à titre de garanties et d'otages, les prémices que le Christ a emportées au ciel; Dieu, en retour, nous a envoyé à titre de garanties et d'otages l'Esprit-Saint. Or maintenant que ce soient là des garanties et des otages, en voici la preuve : il faut que ceux qui servent de garanties et d'otages soient de race royale : voilà pourquoi il a envoyé du ciel vers nous le Saint-Esprit comme étant, au plus haut degré, d'une essence royale; celui qui était auprès de nous et qui s'est élevé au ciel, était bien aussi de race royale, car il était du sang de David. Voilà pourquoi je suis désormais sans crainte, nos prémices siègent là-haut; voilà pourquoi, quand on m'objecterait le ver qui ne meurt pas, le feu qui ne s'éteint pas, les autres châtiments et supplices, je suis désormais sans épouvante; ou plutôt, je suis toujours plein d'épouvante, mais je ne désespère pas de mon salut. Car si Dieu n'avait pas résolu de nous accorder de grands biens, il n'aurait pas reçu nos prémices dans le ciel. Auparavant quand nos regards s'y portaient, quand nos (266) pensées concevaient les puissances qui n'ont pas de corps, notre bassesse nous paraissait plus évidente; c'était là l'effet de la comparaison (lue nous faisions de nous avec les puissances d'en-haut; mais maintenant, quand nous voudrons nous convaincre de notre noblesse, nous élèverons nos regards jusqu'au ciel ; plus haut, jusqu'au trône royal, car c'est là que siègent nos prémices. C'est de là que viendra le Fils de Dieu, descendant du ciel, pour nous juger. Apprêtons-nous donc, afin de ne pas déchoir de cette gloire. Car il n'en faut pas douter, il viendra, et il ne se fera pas attendre celui qui est notre commun Maître ; il viendra, escorté de ses bataillons, de ses légions d'anges, de ses troupes d'archanges, de ses compagnies de martyrs, de ses choeurs de justes, de ses tribus de prophètes et d'apôtres, et au milieu de ces armées spirituelles il apparaîtra, lui, le roi, resplendissant d'une gloire ineffable, qu'aucune parole ne saurait exprimer.

6. Donc faisons tout ce qu'il faut faire pour ne pas déchoir d'une telle gloire. Voulez-vous que je vous dise aussi des pensées qui inspirent l'épouvante? Je ne veux pas vous attrister, mais il faut que je vous établisse dans le droit chemin. Alors un fleuve de feu jaillit devant ce tribunal de Dieu (Dan. VII, 10) ; alors des livres s'ouvrent ; le jugement a lieu, terrible, plein d'épouvante. C'est un jugement où l'on rappelle, où on lit toutes les actions de notre vie, et les prophètes parlent souvent des livres où se fera cette lecture. Ainsi Moïse dit : Si vous leur remettez leur péché, remettez: si non, effacez-moi aussi du livre que vous avez écrit (Ex. XXXII, 31, 32) ; et le Christ disait aussi à ses disciples : Ne vous réjouissez pas de ce que les esprits impurs vous sont soumis, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans le ciel (Luc, X, 20) ; et David, de son côté : Dans votre livre, tous seront, écrits, les jours y seront formés, et personne dans ces livres.... (Psalm. CXXXVIII, 16.) Autre passage encore : Qu'ils soient effacés du livre des vivants, et ne soient pas inscrits avec les justes. (Psalm. LXVIII, 28.) Voyez-vous comme les uns sont effacés, les autres, inscrits? Voulez-vous avoir la preuve que les justes ne sont pas seuls inscrits dans ces livres du jugement, mais que nos péchés aussi sont inscrits là? C'est aujourd'hui jour de fête, apprenons les oeuvres par lesquelles nous pouvons nous préserver du châtiment. Discours terrible, mais utile et profitable, s'il nous préserve de l'expérience et de la réalité des supplices; apprenons donc que les péchés sont inscrits, que tout ce que nous aurons dit ici-bas, se trouve aussitôt porté là-haut et s'inscrit. Comment en ferons-nous la preuve? car il ne suffit pas en si grave matière d'une pure affirmation. Michée dit aux Juifs : Malheur à vous qui provoquez le Seigneur. Et comment, disent-ils, l'avons-nous provoqué? En disant Tout homme qui fait le mal, est bon en présence du Seigneur (Michée, par erreur : Malach. II, 17) ; paroles de méchants serviteurs; ils disaient, et ces personnes sont agréables au Seigneur; ils entendaient par ces personnes des hommes perdus qui ne s'assujettissent pas à la loi de Dieu. Voici que nous avons gardé ses commandements, et nous célébrons le bonheur des autres (1). (Malach. III, 14, 1.5.) Ce qui veut dire, tous les jours nous servons, et le bonheur est pour les autres. On entend souvent les serviteurs parler ainsi de leurs maîtres ; mais qu'un homme en parlant d'un homme tienne ce langage, il n'y a pas là un si grand mal, quoique pourtant il y ait du mal ; mais parler ainsi au sujet du souverain Maître du inonde, du Dieu de miséricorde et de bonté, voilà ce qui mérite toute espèce de châtiment, et les derniers supplices. Eh bien! sachez que de telles paroles sont inscrites, écoutez ce que dit le prophète : Voici que toutes ces paroles ont été écrites dans le livre des vivants pour servir à Dieu de monument en sa présence (2). (Ibid. verset 16.) Ces paroles sont écrites, non que Dieu tienne à se rappeler le jour, ni à fournir une preuve à l'appui de l'accusation, le tout consigné dans le livre. Peut-être ai-je épouvanté vos esprits ; non les vôtres seulement, mais le mien tout d'abord: Eh bien ! je veux mettre un terme à ce discours, ou plutôt à nos terreurs; je ne veux pas les dissiper, mais les calmer; qu'elles demeurent en nous pour purifier nos

1 Le saint orateur, après avoir nommé Michée an lieu de Malachie, fait encore ici une espèce de confusion, en ce sens qu'il exprime plutôt la pensée qu'il ne reproduit le texte de Malachie, III, 14, 15.

2. Il est, très-important de reproduire ici la traduction du passage de Malachie, auquel le saint orateur fait une allusion qui en change la pensée.

Mais ceux qui craignent le Seigneur ont tenu dans leurs entretiens un autre langage : aussi le Seigneur s'est rendu attentif à leurs paroles : il les a écoutés, et il a fait écrire un livre qui doit lui servir de monument en faveur de ceux qui craignent le Seigneur, et qui s'occupent de la grandeur de son nom. (Malachie, in, 16, traduct. de Lemaîstre de Sacy.) Les paroles que saint Jean Chrysostome ajoute, après sa citation, semblent montrer qu'il se doute que sa mémoire lui fait défaut.

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pensées; mais retranchons ce qu'elles ont d'excessif. Comment faire ce retranchement? en montrant que les péchés ne sont pas seulement écrits, mais qu'ils peuvent aussi être effacés. Dans un procès ordinaire, tout ce que petit dire celui qui est en cause, est écrit tout au long, et rien ne peut plus l'effacer, mais dans ce livre du ciel quelles que soient les mauvaises paroles que vous ayez dites, il dépend de vous de les effacer. Comment le savons-nous? par l'Écriture. Détournez votre face, dit le saint pénitent, de dessus mes péchés, et effacez toutes mes iniquités. (Psalm. L, 9.) Mais personne ne peut effacer ce qui n'est pas écrit; c'est donc parce que les péchés étaient écrits qu'il demande à les voir effacés. Or en voici un autre qui nous enseigne comment on les efface. C'est par la miséricorde et par la foi que les péchés se purifient; non-seulement, s'effacent, mais se purifient (Prov. XV, 27), de telle sorte qu'il ne reste pas la moindre trace de souillure. Et ce n'est pas seulement ce qui a été écrit après le baptême, qui est effacé, mais aussi ce qui était écrit avant cette purification; l'eau du baptême et la croix de Jésus-Christ effacent tout, selon ce que dit Paul : Il a effacé la cédule qui était contre nous, il l'a abolie en l'attachant à sa croix. (Colons. II, 14.) Voyez-vous comme cette cédule a été effacée, et non-seulement effacée, mais déchirée par les clous de la croix, de manière à devenir inutile. Oui, l'ancienne faute, par la grâce, par la bonté, par les mérites de Jésus mis en croix, a été entièrement effacée; quant à ce qui a suivi le baptême, il faut beaucoup de zèle pour que cela soit effacé encore; il n'y a pas de seconde ablution ; par conséquent nos larmes sont nécessaires, et le repentir, et la confession, et l'aumône, et les prières et tous les autres exercices de la piété; ainsi, même après le baptême, les péchés sont purifiés à la condition, il est vrai, de beaucoup de peines et de fatigues. Montrons donc le plus grand zèle pour les effacer d'ici même, afin de ne pas avoir à subir la honte et le châtiment là-bas. Quand nos péchés seraient innombrables, il dépend de nous de nous décharger du fardeau de tous ces péchés. Sachons donc le vouloir, car il vaut bien mieux souffrir un peu ici-bas, et n'avoir pas à craindre l'implacable châtiment, que de vivre un temps bien court dans l'indolence pour tomber dans les supplices qui ne finiront jamais. Il ne nous reste plus qu'à résumer ce que nous avons dit. Nous avons reproché à ceux qui ne viennent ici qu'une fois l'an, de négliger leur mère qu'ils laissent sans vêtement; nous leur avons rappelé une vieille histoire, une malédiction, une bénédiction ; nous avons parlé des fêtes des Juifs, et nous avons expliqué pourquoi l'ordre leur fut donné de paraître trois fois l'an devant Dieu; nous avons dit que l'on pouvait célébrer en tout temps la Pentecôte, la Pâque et l'Épiphanie; nous avons dit qu'une fête consistait dans la pureté de la conscience, et non dans un quantième, dans une saison quelconque; ensuite nous avons fait une digression au sujet des présents que nous avons reçus d'en-haut; nous avons dit que ces présents sont un signe de réconciliation; nous avons prouvé la présence de l'Esprit-Saint par la rémission des péchés, par la réponse que nous faisons à notre pasteur, par les paroles de la sagesse et de la science, par les ordinations, par le sacrifice mystique; nous avons dit que nous avons des garanties, des otages échangés réciproquement; nous avons ajouté à nos réflexions pourquoi les signes miraculeux ont disparu aujourd'hui du milieu de nous; ensuite nous avons rappelé le redoutable jugement, les livres qu'on y ouvre, et nous avons dit que tous nos péchés y sont inscrits; nous avons démontré qu'on peut les effacer, que cela dépend de nous. Retenez toutes ces pensées dans votre mémoire; si vous ne pouvez tout vous rappeler, souvenez-vous principalement de ce qui vous a été dit sur les livres; toutes les fois que vous ferez entendre une réponse, figurez-vous qu'il y a, auprès de vous, quelqu'un, qui est là à vos côtés; et qui écrit vos paroles; soyez donc circonspects dans vos entretiens, et conservez toujours frais dans votre mémoire le discours- que vous venez d'entendre, afin que, parmi vous, les uns augmentent par leurs bonnes couvres le nombre des justes inscrits dans le livre ; les autres, ayant beaucoup de péchés inscrits, les effacent d'ici-même, et qu'ainsi nous n'ayons pas à redouter une terrible publication. Car il est possible, nous vous l'avons montré, par le zèle, par la prière, par la persévérance dans la piété, d'effacer les péchés écrits là-haut, de les effacer tous. Que ce soit donc là notre étude tous les jours de notre vie, afin qu'étant partis d'ici-bas, nous puissions obtenir quelque indulgence, et tous échapper aux inexorables châtiments; et puissions-nous tous, affranchis de ces tourments, être jugés dignes du royaume (268) des cieux, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ à qui appartient, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. C. PORTELETTE.

 

 

 

DEUXIÈME HOMÉLIE (1).

ANALYSE.

1° Dans cette homélie, dont on ne peut pas fixer l'année, saint Jean Chrysostome exhorte les fidèles à se réjouir, parce que la fête qu'ils célèbrent est la principale ou, comme il dit, la Métropole de toutes les fêtes; qu'elle en est le complément, parce qu'en ce jour nous recevons les fruits des promesses du Fils de Dieu. — 2° Il prouve que toutes les grâces nous viennent par l'Esprit-Saint; il établit sa divinité contre les hérétiques macédoniens qui l'attaquaient ; il examine pourquoi Jésus-Christ n'a pas envoyé le Saint-Esprit à ses disciples aussitôt après son ascension, pourquoi le Saint-Esprit est descendu sur eux en forme de langues. — 3° Il engage ses auditeurs à décorer leurs âmes de toutes les vertus pour recueillir les fruits que l'Esprit-Saint leur apporte, dont le principal est la charité, qui exclut l'envie ; il attaque avec force ce vice, et finit par adresser la parole à ceux qui étaient nouvellement baptisés, pour qu'ils travaillent à conserver la grâce qu'ils viennent de recevoir.

1. Qu'elles sont excellentes, mes très-chers frères, et au-dessus de toute expression ,les grâces dont nous comble aujourd'hui un Dieu plein de bonté ! Ainsi réjouissons-nous tous, et, dans les transports de notre joie, rendons hommage à notre divin Maître, puisque ce jour nous ramène une fête solennelle qui rassemble tout le peuple. Comme, dans la nature les saisons se succèdent les unes aux autres, de même, dans l’Eglise, les fêtes qui se remplacent nous occupent successivement des différents mystères. Après avoir célébré la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, sa passion, sa résurrection, son ascension glorieuse, nous sommes enfin arrivés aujourd'hui au comble de tous les biens, à la principale de toutes les fêtes, au fruit des promesses du Fils de Dieu

1. Traduction de l'abbé Auger, revue.

Si je m'en vais, dit-il, je vous enverrai le Consolateur, et je ne vous laisserai pas orphelins. (Jean, XVl, 7. ) Voyez-vous l'attention de ce divin Maître et sa bonté infinie ! Avant ces jours, il s'est élevé au ciel, il est remonté sur son trône royal, et a repris sa place à la droite de son Père; aujourd'hui il fait descendre pour nous l'Esprit-Saint, et nous envoie avec lui du ciel des biens sans nombre.

Car, je vous le demande, parmi toutes les grâces qui opèrent notre salut, en est-il une seule qui ne nous soit dispensée par ce divin Esprit? par lui nous sommes affranchis de la servitude, appelés à la liberté, honorés d'une adoption divine; nous sommes formés de nouveau , pour ainsi dire; nous déposons le fardeau pesant et odieux de nos péchés. C'est par l'Esprit-Saint que nous voyons des assemblées (269) de prêtres, que nous avons des ordres de docteurs. De cette source découlent les révélations, les remèdes salutaires de nos âmes; enfin de là viennent tous les avantages qui décorent l'Eglise du Seigneur. Aussi saint Paul s'écrie-t-il : C'est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons suivant qu'il lui plaît. (I Cor. XII, 2.) Il dit suivant qu'il lui plaît, et non suivant qu'on le lui ordonne. Il dit encore distribuant et non distribué, c'est-à-dire agissant de son autorité propre et non par une autorité étrangère à laquelle il obéisse. En un mot, saint Paul attribue à l'Esprit-Saint la même puissance qui, d'après son témoignage, convient au Père; et comme il dit de celui-ci : C'est Dieu qui opère toutes choses dans tous les hommes (I Cor. XII, 6) ; il dit de l'Esprit-Saint : C'est un seul même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant ses dons à chacun suivant qu'il lui plaît. Ne voyez-vous pas dans l'Esprit-Saint une puissance parfaite , égale à celle du Père? Des êtres qui ont une même nature, ont sans doute une même autorité; des êtres qui ont une dignité pareille, doivent avoir la même puissance. C'est par l'Esprit-Saint que nous avons trouvé la délivrance de nos péchés; c'est par lui que nous avons été lavés de toutes nos taches; c'est par l'efficacité de sa présence et en participant à la grâce, que nous sommes devenus anges, d'hommes que nous étions. Ce n'est pas que notre nature ait été changée; mais ce qui est beaucoup plus admirable, quoique conservant la nature humaine nous montrons en nous une vie angélique. Tel est le pouvoir de l'Esprit-Saint; et comme le feu ordinaire fait un vase solide d'une molle argile, de même le feu de l'Esprit divin, lorsqu'il trouve une âme bien préparée, quoique plus molle que l'argile, il la rend plus ferme que l'airain; et celui qui, peu auparavant, était souillé de la lie du péché, il le rend tout à coup plus brillant que le soleil. C'est ce que nous apprend le bienheureux Paul, lorsqu'il s'écrie : Ne vous y trompez pas; ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les impudiques, ni les abominables, ni les ambitieux, ni les avares, ni les voleurs, ni les hommes adonnés au vin, ni les ravisseurs du bien d'autrui, ne seront héritiers du royaume de Dieu. (I Cor. VI, 9 et 10.) Après avoir parcouru presque toutes les espèces de vices et montré que tous ceux qui sont sujets à ces désordres, ne sont pas faits pour le royaume céleste, il ajoute aussitôt : C'est là ce que furent autrefois quelques-uns de vous; mais vous avez été lavés, vous avez été sanctifiés, vous avez été justifiés..... comment et de quelle manière ? dites-nous-le, grand apôtre ; c'est là ce que nous cherchons: Au nom, dit-il, de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et par l'Esprit de notre Dieu. Voyez-vous, mes très-chers frères, la puissance de l'Esprit-Saint? voyez-vous comme le divin Esprit a fait disparaître tous les vices, et a élevé tout à coup à des honneurs suprêmes ceux que le péché avait dégradés?

2. Qui pourrait donc assez déplorer les blasphèmes de ces hommes qui entreprennent d'attaquer la divinité de l'Esprit-Saint, et qui, comme des furieux, ne pouvant être détournés d'une erreur coupable par la grandeur de ses bienfaits, osent agir contre leur propre salut, dépouillent un Dieu, autant qu'il est en leur pouvoir, de la majesté divine, et le font descendre à la condition de simple créature? Je leur dirais volontiers: Pourquoi, je vous prie, déclarez-vous une telle guerre à la divinité de l'Esprit-Saint, ou plutôt à votre propre salut? pourquoi ne daignez-vous point vous rappeler ces paroles du Sauveur à ses disciples: Allez, enseignez toutes les nations, en les baptisant au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit? (Matth. XXVI, 19.) Ne voyez-vous pas une dignité pareille? ne voyez-vous pas une ressemblance parfaite? ne voyez-vous pas une Trinité indivisible? une des trois personnes offre-t-elle quelque différence, quelque changement, ou quelque diminution? osez-vous ajouter vos commandements aux commandements du divin Maître? ne savez-vous pas que parmi les hommes celui qui porterait l'audace jusqu'à entreprendre d'ajouter ou de retrancher quelques mots aux dépêches du prince, qui cependant a la même origine et la même nature que nous, subirait le dernier supplice,sans que rien pût le sauver de la punition? Si donc on a tant à craindre de la part d'un homme, quel pardon peuvent espérer des hommes qui entreprennent d'altérer les paroles du Sauveur commun, et qui refusent d'écouter le digne organe du Fils de Dieu dont il annonce les oracles, saint Paul, qui leur crie d'une voix éclatante: L'oeil n'a pas vu, l'oreille n'a pas entendu, l'esprit de l'homme n'a pas conçu ce que Dieu prépare pour ceux qui l'aiment ? (I Cor. II, 9.) Mais si (270) l'oeil n'a pas vu, si l'oreille n'a pas entendu, si l'esprit de l'homme ne peut concevoir ce que Dieu prépare pour ceux qui l'aiment, d'où pouvons-nous, bienheureux Paul, en avoir la connaissance? Attendez un moment, et vous allez entendre cet apôtre qui s'explique en termes clairs: Mais Dieu, dit-il, nous l'a révélé par son Esprit. Et il ne s'arrête point là; mais afin de montrer la grande puissance de cet Esprit divin, et qu'il est de même nature que le Père et le Fils, il continue: Parce que l'Esprit pénètre tout, et même les profondeurs de Dieu. Ensuite, voulant nous instruire plus exactement encore par des exemples humains, il ajoute : Car qui des hommes connaît ce qui est en l'homme, sinon l'esprit de l'homme, qui est en lui ? Ainsi nul ne connaît ce qui est en Dieu, sinon l'Esprit de Dieu. Voyez-vous une doctrine parfaite ? Comme il n'est pas possible, dit-il, qu'un autre connaisse ce qui est dans la pensée d'un homme, si ce n'est lui-même; ainsi personne ne connaît les choses de Dieu, sinon l'Esprit de Dieu; ce qui est la plus forte preuve, la preuve la plus propre à établir la divinité de l'Esprit-Saint. Dans l'exemple qu'apporte saint Paul, il semble dire: Il n'est pas possible qu'un homme ignore jamais ce qui est dans sa pensée. Eh bien ! dit-il, l'Esprit-Saint connaît aussi parfaitement les choses de Dieu. N'est-il donc pas clair que dans ce passage le bienheureux apôtre confond ceux qui, prévenus eux-mêmes contre leur propre salut, déclarent la guerre à la divinité de l'Esprit-Saint, et, le dépouillant, autant qu'il est en eux, de la dignité de Seigneur et de Maître, le rabaissent à la simple condition des êtres créés et mortels? Mais si, par un vain esprit de dispute, ces hommes combattent ouvertement les paroles de là divine Ecriture, nous, du moins, qui regardons les dogmes sacrés qu'elle renferme comme des oracles venus d'en-haut, renvoyons à Dieu la gloire qui lui est due, et montrons en nous, avec la droiture de la foi, l'exactitude de la vérité.

Je n'en dirai pas davantage contre ceux qui ont la hardiesse d'attaquer, dans leurs enseignements, les oracles de l'Esprit divin. Il est nécessaire de vous expliquer pourquoi le Seigneur n'a pas accordé à ses disciples, aussitôt après son ascension, tous les biens qu'il leur avait promis; pourquoi il ne leur a envoyé la grâce de l'Esprit-Saint qu'après la leur avoir fait attendre quelques jours, et les avoir abandonnés à eux-mêmes. Ce n'est pas au hasard et sans cause qu'il a tenu cette conduite. Il savait, sans doute, que les hommes n'estiment, comme ils le doivent, les biens, qu'en les comparant aux maux; qu'ils n'apprécient, comme elle le mérite, la position la plus douce et la plus heureuse que quand ils ont éprouvé une situation contraire. Par exemple, car c'est une vérité qu'il faut démontrer clairement, un homme qui jouit de la santé la plus florissante, ne peut en bien connaître tout le prix, à moins qu'une maladie survenue ne lui ait fait éprouver un état contraire. Pour apprécier à sa valeur le bienfait de la lumière du jour, il faut sortir de l'obscurité de la nuit. L'expérience du contraire est donc toujours le meilleur maître pour nous apprendre et nous faire sentir toute l'importance des avantages dont nous jouissons. Voilà pourquoi lorsque les disciples eurent joui d'une infinité de biens, par la présence de leur divin Maître , et trouvé en sa compagnie le bonheur et la gloire (car tous les habitants de la Palestine regardaient comme des astres bienfaisants, des hommes qui ressuscitaient les morts, chassaient les démons, guérissaient la lèpre et toutes les maladies , qui enfin opéraient une infinité de prodiges, ils étaient donc connus et même célèbres). Voilà, dis-je, pourquoi Dieu a permis qu'ils fussent séparés quelque temps de la puissance de Celui qui les soutenait, afin qu'étant laissés à eux seuls, ils sentissent mieux tout l'avantage de la présence d'un Maître plein de bonté, et que le sentiment des biens passés leur fît recevoir, avec plus de reconnaissance, le don dé l'Esprit consolateur. Ils étaient tristes, affligés, découragés, abattus par la séparation de leur Maître; l'Esprit-Saint les a consolés, il a ranimé leur courage, dissipé le nuage de tristesse qui les enveloppait, il les a éclairés de sa lumière, et les a tirés de leur embarras. Ils avaient entendu cette parole du Sauveur: Allez, enseignez les nations; mais chacun d'eux flottait incertain, et ne savait de quel côté il devait tourner ses pas; dans quelle partie de la terre il devait aller prêcher la parole: l'Esprit-Saint venant à eux en forme de langues, leur distribue les régions de la terre qu'ils doivent instruire , et par la langue de feu, sous la figure de laquelle il repose sur chaque disciple, il écrit dans l'âme de chacun , comme dans un livre , l'autorité qu'il lui confie; il lui marque la partie du (271) monde qu'il doit éclairer de ses instructions.

Voilà pourquoi l'Esprit-Saint est venu les visiter en forme de langues ; c'était aussi pour nous rappeler le souvenir d'une ancienne histoire. Comme dans les premiers âges du monde, les hommes, entraînés par l'orgueil, avaient voulu construire une tour qui s'élevât jusqu'au ciel , mais que Dieu , par la division des langues , avait dissipé leur criminel complot, l'Esprit-Saint descend aujourd'hui sous la forme de langues de feu, afin de réunir le monde divisé, et, par une opération nouvelle et extraordinaire, au lieu qu'autrefois les langues avaient divisé la terre et rompu une ligue coupable, les langues, aujourd'hui, réunissent la terre, et ramènent l'union où régnait la discorde. Voilà donc pourquoi l'Esprit-Saint se montre sous la forme de langues; il emprunte des langues de feu, à cause de l'abondance des épines que le péché avait fait croître en nous. Quelque gras et quelque fertile que soit un champ par lui-même, s'il n'est point labouré, il se couvre et se hérisse partout de buissons et d'épines ainsi notre âme, quoique sortie bonne des mains du Créateur, quoique propre par elle-même à produire des fruits de vertu, ne recevant pas la culture de la piété, ni la semence de la connaissance de Dieu, a produit comme une forêt d'épines et de plantes inutiles, que l'impiété a fait croître en elle. Et semblable à la terre, dont la face est souvent cachée sous la multitude des épines et des mauvaises herbes, la pureté et la dignité de la plus noble portion de nous-mêmes étaient comme étouffées et ne paraissaient pas, jusqu'à ce que le divin Cultivateur de la nature humaine l'eût purifiée par le feu de son Esprit, et l'eût rendue propre à recevoir les semences célestes.

3. Tels sont les biens, et de plus grands encore, que ce jour nous a procurés. Célébrons-le donc, ce jour, d'une manière qui réponde aux grâces qu'il nous apporte, célébrons-le en décorant nos âmes de toutes les vertus, plutôt qu'en ornant de fleurs l'entrée de nos maisons, et en revêtant nos murs de tapis superbes , afin que nous puissions recevoir la grâce de l'Esprit-Saint, et recueillir les fruits qui en proviennent. Et quels sont ces fruits? écoutons le bienheureux Paul: Les fruits de l'Esprit, dit-il, sont la charité, la joie, la paix. (Gal. V, 22.) Voyez quelle est l'exactitude du langage, et la suite naturelle des idées ! Il met la charité à la tête; et après cela il parle des biens qui doivent suivre; c'est après avoir planté la racine qu'il montre les fruits qui doivent naître; c'est après avoir posé le fondement, qu'il bâtit dessus l'édifice; c'est après être remonté à la source qu'il descend aux ruisseaux qui en découlent. Car la joie ne peut entrer dans nos âmes avant que nous ne regardions la prospérité d'autrui comme la nôtre, avant que le bien qui arrive à notre prochain ne nous soit aussi agréable que s'il nous arrivait à nous-mêmes. Or, nous ne parviendrons jamais à ce point de perfection, à moins qu'une charité supérieure ne domine chez nous avec empire, la charité, qui est la racine, la source, la mère de tous les biens spirituels. Comme une racine, elle produit mille branches de vertu; comme une source, elle fait jaillir des eaux abondantes; comme une mère, elle reçoit dans son sein et embrasse tous ceux qui ont recours à elle. Pénétré de cette vérité, saint Paul dit, dans une de ses épîtres, que la charité est le fruit de l'esprit. Il lui accorde dans une autre la glorieuse prérogative d'être l'accomplissement de la loi : La charité, dit-il, est l'accomplissement de la loi. (Rom. XIII, I0.) Lorsque le Sauveur du monde établit la règle certaine et la marque sûre à laquelle on reconnaîtra ses disciples, il ne propose point d'autre règle, d'autre marque que la charité: Tous les hommes, dit-il, connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de ! a charité les uns pour les autres. (Jean, XIII, 35.) Ainsi, recourons tous à la charité, embrassons-la avec ardeur, et décorons-nous de cette vertu pour célébrer la fête présente. Où est la charité, tous les défauts disparaissent; où est la charité, tous les appétits déraisonnables se répriment. La charité, dit saint Paul, n'agit point à contre-temps, elle ne s'enfle point, elle n'est point ambitieuse. (I Cor. XIII, 4.) La charité ne fait point de mal à son prochain. Où la charité domine, il n'y a pas de Caïn qui tue son frère. Retranchez l'envie, et vous avez retranché la source de tous les maux; coupez la racine, et vous avez supprimé le fruit. C'est moins dans l'intérêt de ceux qui sont en butte à l'envie, que je parle, que pour l'avantage de ceux qui éprouvent cette passion, puisque ces derniers se causent les plus grands préjudices, et se portent les coups les plus mortels, tandis que les persécutions de l'envie peuvent valoir aux autres, s'ils le veulent, des prix et des couronnes. Voyez comme le juste Abel est chanté (272) et célébré tous les jours, et comme la mort violente qu'il a essuyée a été pour lui une source de gloire: étendu sans vie et sans mouvement, il ne parle qu'avec plus de force; son sang, après la mort, élève la voix, et accuse hautement le malheureux fratricide; celui-ci n'a survécu que pour recevoir la punition de son attentat, pour parcourir la terre toujours gémissant et tremblant. Et comme le crime de l'un l'a condamné à une vie plus triste que la mort même, ainsi la vertu de l'autre l'a rendu plus glorieux et plus brillant même après le trépas.

Nous donc, mes frères, afin que nous puissions acquérir plus de confiance, et dans ce monde et dans l'autre, afin que nous puissions recueillir plus de joie de cette fête, dépouillons-nous de tous les vices qui souillent et défigurent notre âme, et surtout de l'envie; parce que, sans doute, eussions-nous fait une infinité de bonnes oeuvres, nous en perdrions tout le mérite si nous étions dominés par cette passion basse et cruelle. Puissions-nous tous éviter ce fléau de toutes les vertus, et principalement ceux qui ont reçu aujourd'hui la grâce de la régénération. qui ont dépouillé les anciens vêtements du péché, et qui peuvent briller avec le même éclat que les rayons du soleil! Vous donc (1) qui en ce jour avez été mis au nombre des enfants, conservez avec soin la blancheur éclatante des habits dont vous êtes maintenant revêtus, fermez de toute part l'entrée au démon, afin que recevant une grâce plus abondante du divin Esprit, vous puissiez produire des fruits au centuple, vous soyez jugés dignes de paraître avec confiance devant le Roi des cieux, lorsqu'il viendra juger le monde, et distribuer des biens ineffables à ceux qui auront terminé leur vie dans la vertu, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui soient la gloire et l'empire, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

1. Les nouveaux baptisés.