LETTRES DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME
TOME 4
LETTRES DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME *
LETTRES A OLYMPIADE.
*LETTRE PREMIÈRE.
*LETTRE II.
*LETTRE III.
*LETTRE IV.
*LETTRE V.
*LETTRE VI.
*LETTRE VII.
*LETTRE VIII.
*LETTRE IX.
*LETTRE X.
*LETTRE XI.
*LETTRE XII.
*LETTRE XIII.
*LETTRE XIV.
*LETTRE XV.
*LETTRE XVI.
*LETTRE XVII.
*LETTRES DIVERSES.
*LETTRE XVIII. A CARTÉRIE.
*LETTRE XIX. A MARCIEN ET A MARCELLIN.
*LETTRE XX. A AGAPET.
*LETTRE XXI. A ALPHIUS.
*LETTRE XXII. AUX PRÊTRES D’ANTIOCHE, CASTUS, VALÉRIUS, DIOPHANTE ET CYRIAQUE.
*LETTRE XXIII. AU PRÊTRE ROMAIN.
*LETTRE XXIV. A HÉSYCHIUS.
*LETTRE XXV A L'ÉVÊQUE ELPIDIUS
*LETTRE XXVI. A L'ÉVÊQUE MAGNUS.
*LETTRE XXVII. A L'ÉVÊQUE DOMINUS.
*LETTRE XXVIII. AU PRÊTRE BASILE.
*LETTRE XXIX. A CHALCIDIE ET A ASYNCRITIE.
*LETTRE XXX. A L'ÉVÉQUE HEORTIUS.
*LETTRE XXXI. A MARCELLIN.
*LETTRE XXXII. A EULALIE.
*LETTRE XXXIII. A ADOLIA.
*LETTRE XXXIV. A CARTÉRIE.
*LETTRE XXXV. A ALPHIUS.
*LETTRE XXXVI. A MARON, PRÊTRE ET MOINE.
*LETTRE XXXIX. A L'ÉVÊQUE TRANQUILINUS.
*LETTRE XXXVIII. AU MÉDECIN HYMNÉTIUS.
*LETTRE XXXVII. A CHALCIDIE.
*LETTRE XL. A ASYNCRITIE.
*LETTRE XLI. A VALENTIN.
*LETTRE XLII. A CANDIDIEN.
*LETTRE XLIII. A BASSIANA.
*LETTRE XLIV. AU DIACRE THÉODOSE.
*LETTRE XLV. AU PRÊTRE SYMMAQUE.
*LETTRE XLVI. A RUFFIN.
*LETTRE. XLVII. A NAMOEA.
*LETTRE XLVIII. A ARABIUS.
*LETTRE XLIX. A ALPHIUS.
*LETTRE L. A DIOGÈNE.
*LETTRE LI. AU MÊME.
*LETTRE LII. A ADOLIE.
*LETTRE LIII. AU PRÊTRE NICOLAS.
*LETTRE LIV. AU PRÊTRE GÉRONCE.
*LETTRE LV. AUX PRÊTRES SIMÉON ET MARIS, ET AUX MOINES D'APAMÉE.
*LETTRE LVI. AUX MOINES ROMULUS ET BYZUS.
*LETTRE LVII. A ADOLIE.
*LETTRE LVIII. AU DUC THÉODOSE.
*LETTRE LIX. AU DIACRE THÉODOTE.
*LETTRE LX. A CHALCIDIE ET A ASYNCRITIE.
*LETTRE LXI. A L'EX-CONSULAIRE THÉODOTE.
*LETTRE LXII. AUX PRÊTRES D'ANTIOCHE, CASTUS, DIOPHANTE, VALÉRIUS ET CYRIAQUE.
*LETTRE LXIII. A TRANQUILLINUS.
*LETTRE LXIV. A L'ÉVÊQUE CYRIAQUE.
*LETTRE LXV. A MARCIEN ET MARCELLIN.
*LETTRE LXVI. AUX PRÊTRES D'ANTIOCHE, CASTUS, VALÉRIUS, DIOPHANTE ET CYRIAQUE.
*LETTRE LXVII. AU DIACRE THÉODOTE.
*LETTRE LXVIII.
*LETTRE LXIX. AU PRÊTRE NICOLAS.
*LETTRE LXX. AUX PRÊTRES MOINES APHTHONIUS, THÉODOTE ET CHÉRÉAS.
*LETTRE LXXI. A MALCHUS.
*LETTRE LXXII. A ALPHIUS.
*LETTRE LXXIII. A AGAPET.
*LETTRE LXXIV. A HÉSYCHIUS.
*LETTRE LXXV. A ARMATIUS.
*LETTRE LXXVI (1). A CHALCIDIE.
*LETTRE LXXVII. A ASYNCRITIE.
*LETTRE LXXVIII. AU PRÊTRE ROMAIN.
*LETTRE LXXIX. A GEMELLUS.
*LETTRE LXXX. A FIRMIN.
*LETTRE LXXXI. AU PREMIER MÉDECIN HYMNÉTIUS.
*LETTRE LXXXII. A CYTHÉRIUS.
*LETTRE LXXXIII. A LÉONTIUS.
*LETTRE LXXXIV. A FAUSTIN.
*LETTRE LXXXV. A LUCIUS, ÉVÊQUE.
*LETTRE LXXXVI. A MARÈS, ÉVÊQUE.
*LXXXVII. A EULOGIUS, ÉVÊQUE.
*LETTRE LXXXVIII. A JEAN , ÉVÊQUE DE JÉRUSALEM.
*LETTRE LXXXIX. A THÉODOSIUS, ÉVÊQUE DE SCYTHOPOLIS.
*LETTRE XC. A MOÏSE, ÉVÊQUE.
*LETTRE XCI. AU PRÊTRE ROMAIN.
*LETTRE XCII. A MOÏSE, PRÊTRE.
*LETTRE XCIII. A APHTHONIUS, THÉODOTE, CHÉRÉAS, PRÊTRES ET MOINES, ET A TOUTE LEUR COMMUNAUTÉ.
*LETTRE XCIV. A PENTADIE, DIACONESSE.
*LETTRE XCV. A PAEANIUS.
*LETTRE XCVI. A AMPRUCLA, DIACONESSE, ET A CELLES QUI VIVENT AVEC ELLE.
*LETTRE XCVII. A HYPATIUS, PRÊTRE.
*LETTRE XCVIII. A CHALCIDIE.
*LETTRE XCIX. A ASYNCRITIE.
*LETTRE C. A MARCIEN ET MARCELI.IN.
*LETTRE CI. A SÉVÈRE, PRÊTRE.
*LETTRE CIII. A THÉODOTE. LECTEUR.
*LETTRE CII. A AMPRUCLA, DIACONESSE, ET A CELLES QUI VIVENT AVEC ELLE.
*LETTRE CIV. A PENTADIE, DIACONESSE.
*LETTRE CV. A CHALCIDIE.
*LETTRE CVI. A ASYNCRITIE ET A SES COMPAGNES.
*LETTRE CVII. A CASTAS, VALÈRE, DIOPHANTE ET CYRIAQUE, PRÊTRES
*LETTRE CVIII. A URBICIUS, ÉVÊQUE.
*LETTRE CIX. A RUFIN , ÉVÊQUE.
*LETTRE CX. A BASSUS, ÉVÊQUE.
*LETTRE CXI. A ANATOLIUS. ÉVÊQUE D'ADANA.
*LETTRE CXII. A THÉODORE, ÉVÊQUE.
*LETTRE. CXIII. A PALLADIUS. ÉVÊQUE.
*LETTRE CXIV. A ELPIDIUS, ÉVÊQUE DE LAODICÉE.
*LETTRE CXV. A THÉOPHILE, PRÊTRE.
*LETTRE CXVI. A VALENTIN.
*LETTRE CXVII. A THÉODORA.
*LETTRE CXVIII. AUX ÉVÊQUES ET AUX PRÉTRES RETENUS DANS LA PRISON.
*LETTRE CXIX. AU PRÊTRE THÉOPHILE.
*LETTRE CXX. A THÉODORA.
*LETTRE CXXI. A ARABIUS.
*LETTRE CXXII. A MARCIEN.
*LETTRE CXXIII. AUX PRÊTRES ET AUX MOINES DE LA PHÉNICIE, CHARGES DE L'INSTRUCTION DES CATÉCHUMÈNES.
*LETTRE CXXIV. A GÉMELLUS.
*LETTRE CXXV. A L'ÉVÈQUE CYRIAQUE EXILÉ AUSSI LUI-MÊME (1).
*LETTRE CXXVI. AU PRÊTRE RUFIN.
*LETTRE CXXVII. A POLYBE.
*LETTRE CXXVIII. A MARINIEN.
*LETTRE CXXIX. A MARCIEN ET A MARCELLIN.
*LETTRE CXXX. A CASTUS, VALÈRE, DIOPHANTE, CYRIAQUE, PRÊTRES D'ANTIOCHE.
*LETTRE CXXXI. A L'ÉVÊQUE ELPIDIUS.
*LETTRE CXXXII. A GÉMELLUS.
*LETTRE CXXXIII. A ADOLIE.
*LETTRE CXXXIV. A DIOGÈNE.
*LETTRE CXXXV. AU DIACRE THÉODOTE.
*LETTRE CXXXVI. AU LECTEUR THÉODOTE.
*LETTRE CXXXVII. AU DIACRE THÉODOTE.
*LETTRE CXXXVIII. A L'ÉVÊQUE ELPIDIUS.
*LETTRE CXXXIX. A THÉODORE, CONSULAIRE DE SYRIE.
*LETTRE CXL. AU DIACRE THÉODORE.
*LETTRE CXLI. A THÉODOTE, EX-CONSULAIRE.
*LETTRE CXLII. A L'ÉVÊQUE ELPIDIUS.
*LETTRE CXLIII. A POLYBE.
*LETTRE CXLIV. A DIOGÈNE.
*LETTRE CXLV. AU PRÊTRE NICOLAS.
*LETTRE CXLVI. A THÉODOTE, NICOLAS, CHAERÉAS, PRÊTRES ET MOINES.
*LETTRE CXLVII. A ANTHÉMIUS.
*LETTRE CXLVIII. AUX ÉVÈQUES CYRIAQUE, DÉMÉTRIUS, PALIADIU, EULYSIUS.
*LETTRE CXLIX. A AURÉLIUS, ÉVÊQUE DE CARTHAGE.
*LETTRE CL. A L'ÉVÊQUE MAXIME.
*LETTRE CLI. A L'EVÊQUE ASELLUS.
*LETTRE CLII. AUX ÉVÊQUES.
*LETTRE CLIV. AUX MÊMES.
*LETTRE CLIV. AUX MÊMES.
*LETTRE CLV. A CHROMATIUS, ÉVÊQUE D'AQUILÉE.
*LETTRE CLVI. AUX ÉVÊQUES.
*LETTRE CLVII. AUX ÉVÊQUES VENUS D'OCCIDENT.
*LETTRE CLVIII. AUX MÊMES.
*LETTRE CLIX. AUX MÊMES.
*LETTRE CLX. A UN ÉVÊQUE VENU D'OCCIDENT.
*LETTRE CLXI. AUX PRÊTRES DE ROME QUI ÉTAIENT VENUS AVEC LES ÉVÊQUES.
*LETTRE CLXII. A ANYSIUS, ÉVÊQUE DE THESSALONIQUE.
*LETTRE CLXIII. A ANYSIUS, NUMÉRIUS, THÉODOSE, EUTROPE, EUSTACHE, MARCELLUS, EUSÈBE, MAXIMILIEN, EUGÉNE, GERONTIUS, THYRSUS, ET A TOUS LES ÉVÊQUES ORTHODOXES DE MACÉDOINE.
*LETTRE CLXIV. A ALEXANDRE, ÉVÊQUE DE CORINTHE.
*LETTRE CLXV. AUX ÉVÊQUES VENUS AVEC CEUX D'OCCIDENT.
*LETTRE CLXVI. AUX ÉVÊQUES VENUS AVEC CEUX D'OCCIDENT.
*LETTRE CLXVII. AUX MÊMES.
*LETTRE CLXVIII. A PROBA, MATRONE ROMAINE.
*LETTRE CLXIX. A JULIENNE ET AUX PERSONNES PE SON ENTOURAGE.
*LETTRE CLXX. A ITALIQUE.
*LETTRE CLXXI. A MONTIUS.
*LETTRE CLXXII. A HELLADIUS.
*LETTRE CLXXIII. A ÉVÉTHIUS.
*LETTRE CLXXIV. AUX ÉVÊQUES, PRÊTRES ET DIACRES, EMPRISONNÉS A CHALCÉDOINE.
*LETTRE CLXXV. A AGAPET.
*LETTRE CLXXVI. A HÉSYCHIUS.
*LETTRE CLXXVIII. A EUTHALIE.
*LETTRE CLXXVII. A ARTIMIDORE
*LETTRE CLXXIX. A ADOLIE.
*LETTRE CLXXX. AU PRÊTRE HYPATIUS.
*LETTRE CLXXXI. A DES ÉVÊQUES.
*LETTRE CLXXXII. A VÉNÉRIUS, ÉVÊQUE DE MÉDIOLANUM.
*LETTRE CLXXXIII. A HÉSYCHIUS, ÉVÊQUE DE SALONE.
*LETTRE CLXXXIV. A GAUDENCE, ÉVÊQUE DE BRESCIA.
*LETTRE CLXXXV. A LA DIACONESSE PENTADIE.
*LETTRE CLXXXVI. A ALYPE.
*LETTRE CLXXXVII. A PROCOPE.
*LETTRE CLXXXVIII. A MARCELLIN.
*LETTRE CLXXXIX. A ANTIOCHUS.
*LETTRE CXC. A BRISON.
*LETTRE A LA DIACONESSE AMPRUCLE.
*LETTRE CXCII. A ONÉSICRATIE.
*LETTRE CXCIII. A PAENIUS.
*LETTRE CXCIV. GÉMELLUS.
*LETTRE CXCV. A CLAUDIEN
*LETTRE CXCVI. A AÉTIUS
*LETTRE CXCVII. A STUDIUS, PRÉFET DE LA VILLE.
*LETTRE CXCVIII. A HÉSYCHIUS.
*LETTRE CXCIX. AU PRÊTRE DANIEL.
*LETTRE CC. A CALLISTRATE, ÉVÊQUE D'ISAURIE.
*LETTRE CCI. A HERCULIUS.
*LETTRE CCII. A L'ÉVÊQUE CYRIAQUE.
*LETTRE CCIII. AU PRÊTRE SALLUSTE.
*LETTRE CCIV. A PAENIUS
*LETTRE CCV. A ANATOLIE, EX-PRÉFET.
*LETTRE CCVI. AU DIACRE THÉODULE.
*LETTRE. CCVII. AUX MOINES GOTHS DU PAYS DE PROMOTE.
*LETTRE CCVIII. AU PRÊTRE ACACIUS
*LETTRE CCIX. A SALVION.
*LETTRE CCX. A THÉODORE.
*LETTRE CCXI. AU PRÊTRE TIMOTHÉE.
*LETTRE CCXII. AU PRÊTRE THÉOPHILE.
*LETTRE CCXIII. AU PRÊTRE PHILIPPE.
*LETTRE CCXIV. AU PRÊTRE SÉBASTIEN.
*LETTRE CCXV. PRÊTRE PÉLAGE.
*LETTRE CCXVI. A MUSONIUS.
*LETTRE CCXVII. A VALENTIN.
*LETTRE CCXVIII. AU PRETRE EUTHYMIUS.
*LETTRE CCXIX. A SÉVÉRINE ET A ROMULE.
*LETTRE CCXX. A PAEANIUS.
*LETTRE CCXXI. AU PRÊTRE CONSTANCE.
*LETTRE CCXXII. A CASTUS, VALÉRIUS, DIOPHANTE, CYRIAQUE, PRÊTRES D'ANTIOCHE.
*LETTRE CCXXIII. A HÉSYCHIUS.
*LETTRE CCXXIV. A MARCIEN ET A MARCELLIN.
*LETTRE CCXXV. AU PRÊTRE CONSTANCE.
*LETTRE CCXXVI. A MARCIEN ET A MARCELLIN.
*LETTRE CCXXVII. A CARTÉRIE.
*LETTRE CCXXVIII. AU MÉDECIN THÉODORE.
*LETTRE CCXXIX. A SÉVÈRE.
*LETTRE CCXXX. A l’EVÊQUE ELPIDIUS.
*LETTRE CCXXXI. A ADOLIE.
*LETTRE CCXXXII. A CARTÉRIE.
*LETTRE CCXXXIII. A L'ÉVÊQUE D'ANTIOCHE.
*LETTRE CCXXXIV. A BRISON.
*LETTRE CCXXXV. A PORPHYRE, ÉVÉQUE DE RHOSE.
*LETTRE CCXXXVI. AU PRÉFET CARTÉRIUS.
*
On n'a pu retrouver l'ordre chronologique des lettres de saint Chrysostome. Les bénédictins ont conservé l'ordre suivi dans les précédentes éditions.
Cet ensemble doit être compté parmi les plus beaux monuments ecclésiastiques. Il nous fournit, en effet, de précieux renseignements sur ce grand schisme de l'Eglise d'Orient et sur l'exil du saint évêque.
Les dix-sept lettres à Olympiade sont de toutes les plus longues, les plus belles et les plus utiles, nous dit Photius. Les unes offrent à cette pieuse veuve les consolations et les encouragements dont elle a besoin : ce sont de véritables homélies; les autres nous racontent ses tribulations. Voici quelques détails sur Olympiade.
Elle était fille du comte Anysius. Son père la donna en mariage au préfet Nébride (probablement Vannée 384.) Saint Grégoire de Nazianze, invité aux noces, s'excusa de ne pouvoir y assister, et adressa à la jeune épouse un épithalame ou plutôt un discours parénétique. Olympiade ne fut mariée que vingt mois. Devenue veuve à la fleur de son âge, elle voulut demeurer veuve et rien ne put ébranler cette résolution Théodose eut vainement recours aux prières et aux menaces pour lui faire épouser l'espagnol Elpidius, son parent. Ce refus irrita l'empereur, qui, avant de marcher contre Maxime, enjoignit au préfet de la ville de séquestrer tous ses biens jusqu'à ce qu'elle eût atteint l'âge de trente ans. Elle supporta, dit-on, cet acte odieux avec tant de courage qu'elle semblait heureuse d'être dépouillée de sa fortune. A son retour, Théodose comprit que rien ne pourrait vaincre cette résistance, et lui fit rendre ses biens Dés lors, sa maison flat ouverte aux évêques, aux moines, aux prêtres et aux autres clercs qui venaient à Constantinople. L'évêque Nectaire la fit diaconesse; et ce fut elle qui lui ferma les yeux. Les lettres à Olympiade nous disent assez combien elle fut chère à saint Chrysostome. Après l'exil du Saint, elle fut traînée devant les tribunaux, accusée avec les autres amis du Pontife d'avoir mis le feu au temple de Sainte-Sophie. Malgré la fermeté de ses réponses, on la condamna à une forte amende; elle quitta ensuite Constantinople pour se retirer à Cyzique où elle attendit des temps meilleurs. Saint Grégoire de Nazianze, Palladius, Sozomène, Ammien, et d'autres biographes nous ont transmis de nombreux détails sur cette vertueuse femme.
Cucuse, en 404.
1. Il ne faut craindre que le péché. — 2. L'adversité nous vaut de grandes récompenses, et c'est pourquoi Dieu permet qu'elle nous afflige. Les trois enfants dans la fournaise. — 3-4. De tout temps le Seigneur a permis qu'il y eût des scandales et des persécutions, afin de mieux manifester sa puissance et sa sagesse. — 5. Conclusion : Olympiade doit bannir de son âme cette tristesse que lui causent les désordres actuels.
A LA VÉNÉRABLE ET TRÈS-PIEUSE DIACONESSE OLYMPIADE , JEAN , ÉVÊQUE , SALUT DANS LE SEIGNEUR.
1. Je vais donc essayer d'adoucir la plaie de votre tristesse et de dissiper ces pensées qui ont amoncelé dans votre âme de si épais nuages. Pourquoi êtes-vous troublée? Pourquoi tant d'affliction et de douleur? Ah ! c'est qu'une violente , une affreuse tempête s'est abattue sur les Eglises, et a répandu sur elles une nuit ténébreuse; elle s'accroît de jour en jour, elle enfante d'horribles naufrages, et l'univers est menacé de périr. Ces calamités, je ne les ignore pas: qui pourrait donc les nier? Bien plus, cette horrible tragédie, je veux la rendre plus sensible encore, en vous la représentant dans un énergique tableau. Nous voyons une mer agitée jusque dans ses profondeurs, les matelots morts et nageant au-dessus des flots, ou bien s'abîmant dans les ondes, les sis du navire dispersés, les voiles déchirées, les mâts rompus, les rames échappées aux mains des rameurs, :es pilotes, loin du gouvernail, assis sur quelques débris du vaisseau, pressant leurs genoux dans leurs mains, et à bout de ressources, réduits à verser des larmes et à pousser des gémissements. Ils ne voient plus ni ciel ni mer, autour d'eux s'étendent d'affreuses ténèbres, une profonde nuit, qui ne leur permet pas même d'entrevoir leurs proches. Les flots mugissent, et de leurs seins les monstres marins se précipitent de toute part sur les passagers: Mais pourquoi me consumer en efforts inutiles? J'ai beau chercher quelque image des maux présents; ils sont au-dessus de toute expression, et je me sens vaincu par leur immensité. Au reste, malgré tant d'horreur, je ne perds pas l'espoir d'un meilleur avenir, quand je songe à cette Providence , qui n'a pas besoin des ressources de l'art pour triompher de la tempête, mais qui d'un signe peut en briser la violence. Elle ne se hâte point, il est vrai, le plus (400) souvent, au contraire, elle ne dissipe point sur-le-champ les maux qui se produisent; elle les laisse s'accroître, et quand ils ont atteint leur développement, quand tout espoir de salut disparaît, elle se révèle par un miracle qui frappe d'étonnement, et ainsi tour à tour elle manifeste sa puissance et exerce la patience de ses serviteurs. Ne vous laissez donc pas abattre, ô Olympiade ! La seule chose qu'il faille redouter, la seule tribulation qui soit à craindre, c'est le péché. N'est-ce pas là ce que je n'ai cessé de vous dire? Tout le reste, embûches, inimitiés, fraudes, calomnies, outrages, accusations, confiscations, exils, glaives acérés, flots soulevés par la tempête, assauts livrés par l'univers conjuré, tout cela ne mérite pas qu'on s'en inquiète. Eh ! tout cela n'est-il pas temporaire, éphémère ? Tout cela ne regarde-t-il point ce corps sujet à mourir, et peut-il causer quelque dommage à une âme qui sait être circonspecte? Aussi, l'apôtre saint Paul voulant nous montrer toute la fragilité des biens et des maux de la vie présente, n'a besoin que d'une seule parole : Tout ce qui se voit , est temporel (Il Cor. IV, 18 ) , nous dit-il. Quoi donc , vous redouteriez ce qui est temporel, ce qui s'écoule avec la rapidité d'un fleuve ? Cette image, vous pouvez l'appliquer à tous les événements de cette vie, qu'ils soient joyeux, qu'ils soient tristes. Un autre prophète compare le bonheur de l'homme, non pas à l'herbe des champs, mais à quelque chose de moins durable encore ; toute cette félicité, dit-il, c'est comme la fleur de l'herbe. Il ne s'agit pas seulement d'une partie de ce bonheur, comme la richesse, la volupté, la puissance, les honneurs : non, mais il appelle du nom de gloire tout ce qui jette quelque éclat sur notre vie, et cette gloire il la compare ensuite à l'herbe des champs : Toute la gloire humaine, dit-il, ressemble à la fleur de l'herbe. (Isa. XL, 6.)
2. Mais, direz-vous , l'adversité est un lourd, un insupportable fardeau. Entendez cette autre comparaison, bien capable à son tour de vous faire mépriser l'adversité. Le prophète compare les injures, les outrages, les opprobres, les railleries, les piéges auxquels nous sommes exposés de la part de nos ennemis à un vêtement usé, à la laine rongée par les vers. Voici ses expressions : Ne craignez pas les outrages des hommes; ni leurs mépris. Les vers les dévoreront, comme un vêtement; et la teigne les rongera, comme elle ronge la laine, (Isa. LI, 7, 8.) Ne vous troublez donc point des maux qui surviennent ; n'allez pas implorer celui-ci ou celui-là , ne poursuivez pas des ombres fugitives (c'est une ombre en effet que l'appui d'un homme) ; mais ne vous lassez pas de prier Jésus que vous adorez; qu'il fasse un signe, et à l'instant toutes vos craintes seront dissipées. Vous avez prié, et cependant les maux n'ont point cessé. Ainsi que je le disais tout à l'heure, c'est la conduite ordinaire de la Providence, de ne pas dissiper sur-le-champ les maux qui nous accablent. Elle les laisse s'amonceler autour de nous, et quand nos ennemis ont, pour ainsi dire, consommé toute leur malice, soudain, il ramène un calme et un ordre auxquels on était loin de s'attendre. Non content de nous envoyer les biens que nous attendons et que nous espérons, il se plaît à nous en envoyer de plus nombreux et de plus grands , et c'est pourquoi saint Paul disait: A celui qui peut nous faire du bien avec surabondance, et nous accorder plus que nous ne lui demandons ou que nous ne pouvons espérer. (Eph. III, 20.)
Ne pouvait-il pas préserver les trois jeunes Hébreux de la tentation? Il ne le fit pas, afin de leur ménager de grandes récompenses. Et c'est pourquoi il les laissa tomber aux mains des barbares; c'est pourquoi il permit qu'on allumât pour eux cette fournaise d'une horrible profondeur, et que dans l'âme du roi s'allumât aussi une colère plus ardente que le, feu de la fournaise; qu'on leur liât ensuite les mains et les pieds, et qu'on les précipitât au milieu des flammes. Mais, lorsque tous les spectateurs les croyaient réduits en cendres, on vit éclater soudain et contre toute attente la merveilleuse puissance du Dieu très-haut,: le feu était enchaîné, et ceux qui avaient été chargés de fers se voyaient délivrés; la fournaise était devenue un temple, une fontaine rafraîchissante; nul palais n'offre tant de magnificence et de splendeur. Cet élément destructeur, plus puissant que le fer ou la pierre, des cheveux en avaient triomphé ! Là, on voyait debout le choeur harmonieux de ces saints, invitant le ciel et la terre à se joindre à leur concert, et leurs chants de reconnaissance s'élevaient jusqu'au Seigneur: ils le remerciaient d'avoir permis qu'ils fussent chargés de chaînes, jetés dans, les flammes par leurs ennemis, entraînés loin de leur patrie; ils le remerciaient d'avoir (401) permis cette captivité où ils vivaient privés de toute liberté, loirs de leur ville, loin de, leurs familles, sur une terre étrangère et barbare. Voilà les sentiments d'une âme reconnaissante. Mais, quand leurs ennemis eurent assouvi leur rage (que pouvaient-ils entreprendre, après avoir essayé de les faire mourir?), quand les athlètes eurent déployé toute leur vigueur, quand ils eurent mérité la couronne et les autres récompenses, quand rien ne manqua plus à leur gloire, alors tous les dangers disparurent, et le prince qui avait allumé la fournaise pour les y précipiter se prit à célébrer la gloire des généreux athlètes, à publier le miracle accompli par Dieu, à envoyer par tout l'univers le récit de ces événements, proclamant avec enthousiasme les merveilles du Très-Haut. C'était un ennemi qui envoyait cette lettre : comment n'y eût-on pas ajouté foi, même chez des ennemis?
3. Ne voyez-vous pas l'habileté, la sagesse, la merveilleuse puissance du Seigneur? Ne voyez-vous pas tout ce qu'il y a en lui de miséricorde et de bonté? Ne vous effrayez donc point, ne vous troublez point; en toute circonstance, remerciez-le, louez-le, priez-le, conjurez-le. Eussiez-vous devant les yeux le plus horrible tumulte, les plus affreux bouleversements, ne vous inquiétez point. Le Seigneur, en effet, n'est jamais réduit à l'impuissance, quelque funeste que soit la situation, quelque grands que soient les dangers. Il peut relever ceux qui tombent, ramener dans le chemin ceux qui s'égarent, redresser !ceux qui chancellent, délivrer ceux qui sont plongés dans un abîme de péchés et les rendre justes; il peut ressusciter les morts, restaurer un édifice et en accroître la splendeur, rajeunir ce que la vieillesse a terni de son souffle. Ne fait-il pas sortir la créature du néant? Ne communique-t-il pas l'être à ce qui ne l'avait point? A plus forte raison rétablira-t-il ce qui existait déjà, ce qui était l'oeuvre de sa puissance. — Mais combien il en est qui périssent! combien d'autres sont scandalisés! - Que de fois n'a-t-on pas vu de semblables malheurs, auxquels le Seigneur ensuite appliqua le remède capable de les guérir! Si, une fois le danger passé, plusieurs s'obstinèrent, c'est à eux qu'il faut reprocher la persistance de leur mal. Pourquoi vous troubler, pourquoi vous désoler de voir l'un repoussé et l'autre introduit? On menait le Christ au supplice, on demandait la liberté pour Barabbas, et un peuple corrompu s'écriait qu'il fallait préférer un homicide au Sauveur des hommes, à l'auteur de tant de bienfaits. Combien n'y en eut-il pas qui tombèrent et qui périrent? Mais reprenons les choses de plus haut. Ce divin Crucifié ne fut-il pas, des sa naissance, obligé de s'exiler, de fuir, encore au berceau, sur une terre étrangère avec toute sa famille; de se réfugier avec elle dans un pays barbare, si éloigné de sa patrie? Ensuite, que de sang répandu, que de meurtres, quel carnage! De tendres enfants étaient massacrés comme sur un champ de bataille; on les arrachait aux mamelles qui les allaitaient, et cette gorge encore arrosée du lait de leurs mères, on y enfonçait un glaive acéré ! Y a-t-il tragédie plus horrible? Et l'auteur de ces crimes, c'était celui qui cherchait Jésus pour le faire mourir. Dieu cependant, ce Dieu si plein de bonté, en présence de ces crimes, en présence de ces flots de sang, se taisait; il se taisait, quand il aurait pu tout empêcher; et c'était par un secret mystère de son ineffable sagesse qu'il manifestait cette merveilleuse douceur.
Quand Jésus fut revenu de l'Egypte et qu'il eut grandi, de toutes parts on s'arma contre lui. Et d'abord, c'étaient les disciples rte Jean, que la jalousie dévorait, qui s'affligeaient de ses succès, malgré le respect de leur maître pour Jésus, et qui lui disaient : Celui qui était avec toi au delà du Jourdain, voici qu'il baptise, et tout le monde vient à lui. (Jean, III, 26.) N'est-ce pas le langage d'hommes qu'a pénétrés l'aiguillon de l'envie et que ronge cette passion coupable? N'est-ce pas à ce sujet aussi que l'un de ceux-là entama avec un juif une vive discussion sur les purifications, et mit en parallèle le baptême de Jean avec celui des disciples du Sauveur? Les disciples de Jean, dit l'Evangile, eurent une dispute avec un juif sur la purification. (Jean, III, 25.) Pour ses miracles, que de calomnies ne lui suscitèrent-ils pas? Les uns l'appelaient Samaritain et possédé du démon. Tu es un, Samaritain, lui disaient-ils, et tu es possédé du démon. (Jean, VIII, 48.) Les autres l'appelaient imposteur, et disaient : Il ne vient pas de la part de Dieu, mais il séduit le peuple. (Jean, VII, 12.) D'autres l'appelaient magicien : C'est par Béelzébub, prince des démons, qu'il chasse les démons. (Matth. IX, 34.) Voilà ce que sans cesse ils répétaient. Ils le traitaient, en outre, d'ennemi de Dieu, de débauché; lui reprochaient de s'adonner au vin (402) et d'être l'ami des méchants et des hommes dissolus. Le Fils de l'homme est venu, mangeant et buvant, et vous dites: C'est un homme qui fait bonze chère et qui s'enivre, qui est l'amides publicains et des pécheurs. (Luc, VII, 34.) Un jour même qu'il s'entretenait avec une pécheresse, ils le traitaient de faux prophète : Si c'était un prophète, disaient-ils, il saurait quelle est cette femme qui lui adresse la parole. (Luc, VII, 39.) Chaque jour enfin ils aiguisaient leurs dents contre lui. Mais ce n'étaient pas seulement les Juifs qui le harcelaient de la sorte : ceux que l'on disait être ses frères lui manquaient d'égards, et ses proches lui faisaient une guerre acharnée. Vous pouvez voir, par les paroles de l'Evangéliste, jusqu'à quel point ils étaient corrompus eux-mêmes. Ses frères, dit-il, ne croyaient pas en lui. (Jean, VII, 5.)
4. Vous me parlez de chrétiens scandalisés et détournés du droit chemin. Eh ! combien n'y eut-il pas de disciples qui furent scandalisés au temps de la Passion? L'un d'eux trahit son maître, d'autres prirent la fuite, un autre le renia. Tous l'abandonnèrent, et il demeura seul entre les mains de ses ennemis. Parmi ces hommes qui avaient été témoins de ses merveilles, qui l'avaient vu ressusciter les morts, guérir des lépreux, chasser les démons, multiplier les pains, opérer tant d'autres miracles, et qui ensuite le virent abandonné de tous, enchaîné, entraîné par une vile soldatesque, suivi de la foule tumultueuse des prêtres juifs, entouré d'ennemis qui l'accablaient de: menaces, en face de ce traître qui s'enorgueillissait de son action, parmi ces hommes, dis-je, combien n'y en eut-il pas de scandalisés? Que d'autres se scandalisèrent quand ils le virent flageller ! Il y avait là sans doute une multitude infinie de spectateurs, C'était un jour de fête, et tous les Juifs se trouvaient à Jérusalem ; c'était dans cette capitale que se passaient ces scènes tragiques, et tous ces excès se commettaient- en plein midi. Quel ne devait pas être le nombre des spectateurs, et en le voyant ainsi enchaîné, battu de verges, inondé de sang, interrogé par Pilate, abandonné de tous ses disciples, quels sentiments ne durent-ils pas éprouver ? Nul outrage ne lui fut épargné. On lui enfonça dans la tête une couronne d'épines, on le revêtit d'un manteau de pourpre, on lui mit un roseau dans la main, on se prosterna devant lui, en un mot, il fut le jouet de ses ennemis.
Que dire de ces soufflets qu'on lui appliqua sur la joue, de ces paroles injurieuses qu'on lui adressa : Prophétise, ô Christ, et dis-nous quel est celui qui t'a frappé ? (Matth. XXVI, 68.) Et ils le conduisaient çà et là, toute la journée, il dut subir leurs paroles injurieuses, leurs outrages et leurs sarcasmes. Le serviteur du grand-prêtre le souffleta, les soldats se partagèrent ses vêtements. Tout nu, les épaules meurtries de coups, on le mena au supplice et on le cloua sur une croix. Rien ne put amollir ces coeurs farouches ; au contraire, ils redoublèrent de fureur, c'était un spectacle de plus en plus horrible, des injures de plus en plus grossières. Les uns disaient: Toi qui détruis le temple de Dieu et qui le rebâtis en trois jours; d'autres lui criaient : Il a sauvé les autres et il ne peut se sauver lui-même; d'autres enfin : Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix et nous croirons en toi. (Matth. XXVII, 40, 42.)
Pour mettre le comble à l'insolence, ils lui donnèrent à boire du fiel et du vinaigre. Les voleurs aux-mêmes le chargeaient d'opprobres, ses bourreaux poussèrent leur criminelle insolence jusqu'à s'écrier qu'ils lui préféraient ce scélérat, cet auteur de tant de vols et d'assassinats , et quand Pilate leur eut donné le choix, ils choisirent Barabbas, voulant ainsi non-seulement crucifier Jésus-Christ, mais flétrir sa renommée. Ils prétendaient prouver par là que Jésus était pire qu'un voleur, et telle. ment chargé de crimes que ni la pitié, ni la solennité du jour ne pouvaient le sauver. Flétrir sa renommée, c'était là le but de toutes leurs démarches, et c'est aussi pour cette raison qu'ils le crucifièrent entre deux larrons. Mais, loin d'obscurcir la vérité, ils ne firent qu'en augmenter l'éclat. Ils l'accusaient aussi d'aspirer à la royauté : Quiconque se fait passer pour roi, disaient-ils, ne peut être l'ami de César. (Jean, IX, 12.) Oui, ils accusaient de la sorte Celui qui n'avait pas où reposer sa tête. Ils lui reprochaient aussi d'avoir blasphémé. Le pontife déchira ses vêtements en disant: Il a blasphémé, qu'avons-nous encore besoin de témoins ? (Matth. XXVI, 65.) Et sa mort, peut-il y en avoir de plus violente? N'était-ce pas mourir comme un criminel, comme un homme digne d'exécration ? N'était-ce pas la plus honteuse des morts, la mort de ceux qui se sont souillés des crimes les plus abominables et quine sont pas même dignes de rendre sur la terre leur dernier soupir? Si on lui donne (403) la sépulture, n'est-ce pas comme un bienfait, comme une grâce qu'on lui accorde? On va trouver Pilate et on lui demande le corps de Jésus. Il n'y avait pour l'ensevelir aucun de ses proches, aucun de, ceux qui avaient reçu ses faveurs, aucun de ses disciples, aucun de ceux qui avaient joui de sa confiance et de ses grâces : tous avaient disparu, tous l'avaient abandonné. Et ensuite ce bruit que l'on fit courir après sa résurrection : ses disciples sont venus et ont dérobé son corps (Matth. XXVIII, 13) , ne fut-il pas pour un grand nombre un sujet de scandale et de chute? Ce bruit, en effet, si controuvé qu'il fût, et bien qu'on eût donné de l'argent pour le répandre, n'en eut pas moins accès auprès de plusieurs. Oui, plusieurs y crurent, malgré les sceaux apposés au sépulcre, malgré l'évidence du miracle. Le peuple en effet ignorait ce que Jésus-Christ avait dit de sa résurrection; ses disciples mêmes l'avaient oublié. Ses disciples ne savaient pas, dit l'Evangéliste, qu'il fallait que Jésus ressuscitât d'entre les morts. (Jean, XX, 9). Combien n'y eut-il donc pas de gens scandalisés dans ces circonstances! Dieu, dans sa bonté, le permit, et conduisit toutes choses avec une divine et ineffable sagesse.
5. Ses disciples ensuite se cachèrent, s'enfuirent tremblants de frayeur, changeant à tout moment de domicile; et lorsque, cinquante jours après, ils osèrent reparaître, et commencèrent à leur tour à opérer des miracles, ils furent loin d'être en pleine sécurité. Oui, même après tant de miracles, ils furent souvent une occasion de scandale pour les faibles. On les frappait de verges, on jetait le trouble dans l'Eglise, on chassait les apôtres ; souvent leurs ennemis triomphaient et répandaient la terreur dans les âmes. Quand par leurs miracles ils eurent acquis une grande puissance sur le peuple, la mort d'Etienne souleva une persécution qui dispersa les disciples, et jeta de nouveau la consternation dans l'Eglise. De nouveau les disciples furent plongés dans les angoisses, de nouveau ils se virent obligés de fuir, de nouveau ils furent exposés à tous les dangers. Néanmoins l'Eglise faisait des progrès : car les miracles la soutenaient, et sa racine était pleine de vigueur. L'un était descendu par une fenêtre et ainsi échappait aux mains du préfet; d'autres étaient délivrés par un ange qui brisait leurs liens; d'autres que tourmentaient les riches et les puissants se voyaient accueillis par des hommes du peuple, par des ouvriers de toute condition, par des femmes occupées à teindre la pourpre, par des faiseurs de tentes, par des corroyeurs, qui habitaient dans les faubourgs et près du rivage de la mer. Souvent même ils n'osaient se montrer au milieu des villes; ou bien s'ils avaient cette hardiesse, leurs hôtes n'osaient les y recevoir. Et c'est ainsi qu'à travers les épreuves et les consolations s'avançaient les progrès de l'Evangile ; ceux qui naguère avaient été scandalisés, se trouvaient guéris; ceux qui s'étaient égarés, revenaient dans le droit chemin; et ce qui avait été renversé se trouvait relevé et environné d'un nouvel éclat.
En vain l'apôtre saint Paul conjura-t-il le Seigneur d'accorder la paix et la sécurité aux prédicateurs de son Evangile : Dieu ne l'exauça point; il ne céda point à ses instantes prières, et lui répondit: Ma grâce te suffit; car la vertu se perfectionne dans l'adversité. (II Cor. XII, 9.) Si donc maintenant vous voulez mettre en regard de tant de calamités les événements capables de nous réjouir, vous apercevrez, sinon de nombreux miracles, au moins mille circonstances qui ressemblent à des miracles et qui sont autant d'éclatants témoignages de la Providence et du secours de Dieu. Mais pour ne pas vous épargner toute espèce de travail, je vous abandonne le soin de recueillir tous ces faits pleins de consolations et de les mettre en regard de nos malheurs. Votre âme appliquée à cette noble occupation se dérobera à la tristesse et aux inquiétudes qui l'assiégent, et y trouvera de puissants motifs d'encouragement. Saluez mille fois de ma part votre famille bénie. Portez-vous bien. et dans votre corps et dans votre âme, vénérable et pieuse Olympiade.
Si vous voulez m'écrire une longue lettre, apprenez-moi, mais sans me tromper, que vous avez banni de votre- âme toute espèce d'inquiétude et que vous vivez dans un calme parfait. Car tout ce que je me suis proposé dans cette lettre, ç'a été de ranimer votre courage. Je vous écrirai fréquemment. Quand vous m'écrirez, ne me dites pas que vous avez puisé dans ma lettre beaucoup de consolations. Je le sais bien. Dites-moi que vous êtes consolée autant que je le désire; c'est-à-dire que vous n'êtes plus dans le trouble, que vous ne versez plus de larmes, mais qu'au contraire vous êtes calme et joyeuse.
Ecrite à Cucuse, en 404.
1. Il est dangereux de se laisser abattre par le chagrin. — 2. Exemple : Saint Paul, après avoir excommunié le Corinthien incestueux, le réconcilie ensuite avec l'Eglise, pour l'empêcher de tomber dans le désespoir. — 3. C'est la pensée des peines de l'enfer, on plutôt du bonheur céleste qui doit occuper l'âme d'Olympiade. — 4. Que de consolations elle puisera dans le souvenir de ses actions vertueuses, et dans l'espoir des récompenses éternelles! — 5-6. Bel éloge de la sobriété, de la patience, de la modestie et des autres vertus d'Olympiade. — 7. Eloge de la virginité. — 8-10. Digression sur Job et ses malheurs. Retour au sujet. — 14-13. Il console Olympiade qui s'affligeait de son absence.
A OLYMPIADE.
1. Sans doute la lettre que je vous ai écrite, suffirait pour calmer 3-a vivacité de votre douleur. Toutefois vous étiez si abattue, si affligée que j'ai cru nécessaire de vous écrire `encore pour répandre dans votre coeur les plus abondantes consolations et raffermir votre santé. Je vais donc secouer de nouveau cette poussière de la tristesse qui recouvre votre âme. Cet ulcère, cette tumeur, se sont, je crois, changés en poussière. Ce n'est pas une raison pour mettre de côté les précautions: La poussière, en effet, si l'on n'a pas soin de la secouer, met en péril le plus précieux de nos organes; elle s'attache à la prunelle de l’oeil, dont elle trouble la sérénité, et qu'elle couvre comme d'un voile. C'est un malheur que nous devons éviter; et ce reste de maladie, il ne faut rien épargner pour le faire disparaître. Mais levez-vous vous-même, et tendez-nous la main. Voyez ce qui se passe chez les malades. Le médecin a beau prêter le secours de son art; si le malade se montre négligent, il ne recouvre point la santé : Ainsi en est-il de ceux qui souffrent dans leur âme. Faites qu'il en arrive autrement, secondez nos efforts avec toute la prudence dont vous êtes capable, afin que de part et d'autre vous receviez du secours. Mais direz-vous, c'est ce que je désire, seulement je ne puis rien, je fais tout ce que je puis, sans réussir à dissiper ce nuage épais et noir de la tristesse. Vaines excuses, vains prétextes. Je connais la noblesse de votre âme, l'énergie de votre piété, l'étendue de votre prudence et de votre sagesse, et je sais qu'il vous suffit de vouloir commander aux flots de la tristesse, pour qu'aussitôt ils s'apaisent. Mais vous arriverez plus vite encore à ce résultat, si nous vous apportons nous-même quelque secours. Comment donc bannirez-vous cette tristesse de votre coeur? C'est en méditant tout ce que nous vous avons dit dans notre première lettre, car elle renferme bien des motifs de consolation; c'est ensuite en faisant ce que j'exige de vous. Qu'est-ce donc? Quand vous entendrez dire: Une Eglise a péri, une autre est agitée par la tempête, une autre est abîmée dans les flots, une autre est en proie à toutes les calamités, une autre encore est dévorée par un loup ravisseur, au lieu d'être régie par un pasteur; celle-ci est au pouvoir d'un pirate au lieu d'être conduite par un habile pilote, celle-là est aux mains d'un bourreau au lieu d'être traitée par un médecin, il y a certes lieu pour vous de vous affliger. Qui pourrait alors ne pas éprouver une vive douleur? Oui, affligez-vous, mais cependant mettez des bornes à votre chagrin. Si, lorsque nous avons commis nous-mêmes des fautes dont il nous faudra rendre compte, il n'est ni nécessaire, ni prudent, mais il est au contraire funeste et pernicieux de s'affliger outre mesure, à plus forte raison, quand il s'agit des crimes d'autrui, est-il inutile et superflu, satanique et dangereux pour l'âme de se laisser tomber dans la mollesse et le désespoir.
2. Pour vous montrer qu'il en doit être ainsi, je veux vous raconter une vieille histoire. Un corinthien, qui avait reçu le saint baptême, qui avait été admis à la table sacrée, qui en un mot avait participé à tous les mystères de notre religion, qui de plus, à ce que beaucoup disent, avait été chargé d'instruire les autres, après avoir reçu de si grands bienfaits, après avoir été élevé aux plus liantes dignités dans l'Eglise, tomba dans une faute très-grave. il porta des regards criminels sur l'épouse de son père; il ne s'en tint pas à ces désirs impudiques; mais il réalisa son infâme intention. Ce n'était pas seulement une impudicité, c'était un adultère et le plus affreux de tous les adultères. Aussi, quand saint Paul en eût été informé, ne trouva-t-il pas de nom qui pût convenir à ce crime, et pour en faire concevoir toute l'énormité, il employa ces paroles: On dit que chez vous se commettent des impudicités, et de telles impudicités, qu'il n'y a pas de nom pour les exprimer même chez les gentils. (I Cor. V, 1.) 11 ne dit point : telles qu'il, ne s'en commet point de pareilles, mais telles (405) qu'il n'y a pas de nom polir les exprimer, voulant ainsi désigner une faute d'une incroyable gravité.
Il le livre au démon, et le retranche de l'Eglise; il ne permet à personne de l'admettre à sa table. Avec cet homme on ne doit prendre aucune nourriture. Il s'emporte contre lui, il le condamne au dernier supplice, et le bourreau qui doit l'exécuter, qui doit déchirer sa chair, c'est Satan lui-même. Et cependant cet apôtre qui l'avait excommunié, qui défendait à tous les chrétiens de l'admettre à leurs repas, qui faisait prendre à tous le deuil à son sujet: Vous êtes tous enflés d'orgueil, leur disait-il, et vous n'êtes point plongés dans la douleur, et vous n'avez point retranché du milieu de vous celui qui a commis ce crime (I Cor. V, 2), cet apôtre, dis-je, qui le bannissait de toute réunion, comme un pestiféré, qui le chassait de toutes les maisons, qui le livrait à Satan, qui le condamnait au dernier supplice , ne l'eut pas plus tôt vu plongé dans la douleur, regrettant amèrement son crime, revenant à la pratique des bonnes couvres, qu'il enjoignit aux Corinthiens tout le contraire de ce qu'il leur avait naguère prescrit. Il leur avait dit Retranchez-le, chassez-le, pleurez, que le démon s'empare de lui : Et maintenant, que leur dit-il ? Ayez à son égard une ardente charité, de peur qu'il ne soit comme absorbé par une trop grande tristesse , et que Satan ne triomphe de nous : car nous n'ignorons pas ses artifices. (II Cor. II, 7.) Ne voyez-vous pas que Satan cherche lui-même à nous plonger dans l'excès de la douleur, que cette tristesse exagérée est un piège qu'il nous tend, afin de changer en poison ce qui eût été pour nous un remède salutaire. Oui , la tristesse dégénère en poison, quand elle est excessive, et elle livre l'homme à Satan. C'est pourquoi saint Paul disait : De peur que Satan ne nous dresse des embûches. C'est comme s'il eût dit : cette brebis était atteinte d'un mal contagieux, on l'a séparée du troupeau, chassée loin de l'Eglise ; mais voici que le mal est guéri, la brebis est redevenue ce qu'elle était auparavant. Telle a été la vertu de la pénitence. Elle est donc rentrée dans le troupeau. Attirons-la vers nous, tendons-lui les bras, embrassons-la, couvrons-la de nos baisers, témoignons-lui en un mot toute notre affection. Si nous ne sommes résolus à le faire, Satan triomphe de nous; il prend, non pas ce qui lui appartient, mais celui qui est devenu notre propriété ; il s'en empare, grâce à notre lâcheté; il le plonge dans l'abîme de la tristesse, et désormais ne l'abandonne plus. C'est pourquoi l'Apôtre ajoute ces paroles: Car nous n'ignorons pas ses artifices (II Cor. II, 11), c'est-à-dire, les choses mêmes qui nous seraient utiles, du moment où elles se font autrement qu'il ne faudrait, le démon sait en profiter pour renverser celui qui manque de prudence.
3. Ainsi donc pour un tel crime, pour un crime si énorme, l'apôtre saint Paul ne veut point que ce corinthien se laisse abattre par la tristesse ; au contraire il s'empresse, il se hâte, il s'efforce de prévenir le découragement, et assure que toute tristesse excessive est une victoire remportée par Satan, l'oeuvre de sa méchanceté et de ses perfides desseins. N'est-ce donc pas une folie que de s'affliger si vivement, que de se tourmenter ainsi pour des fautes commises par d'autres , fautes dont leurs auteurs rendront un compte rigoureux Faut-il, pour cette raison, jeter son âme dans ces épaisses ténèbres de la tristesse , dans ce trouble, dans cette agitation, dans cette violente tempête de la douleur ? Si vous dites encore une fois, je voudrais, mais je' ne puis; je vous répondrai de nouveau , ce sont de vaines excuses et de purs prétextes. Je connais en effet toute la sagesse, toute la force de votre âme. Mais voici encore un autre moyen qui pourra vous aider à combattre et à vaincre ce funeste, ce mortel chagrin. Suivez le conseil que je vais vous donner. Si vous entendez parler de ces calamités, écartez de votre esprit les souvenirs que ce récit vous rappelle, et transportez-vous par la pensée au jour terrible du' jugement, songez à ce redoutable tribunal, à ce juge incorruptible, à ces fleuves de feu qui coulent devant le tribunal et où bouillonne une flamme pleine d'ardeur, à ces glaives acérés, à ces supplices affreux, à ces tourments éternels, aux ténèbres extérieures, à ce ver plein de venin, à ces chaînes qu'on ne peut briser, à ces grincements de dents, à ces pleurs intarissables , à ces innombrables spectateurs , venus du ciel et de la terre. Les Vertus du ciel seront émues (Matth. XXIV, 29), dit le Christ. Sans doute elles n'ont rien à se reprocher, et ce n'est pas elles que l'on jugera; toutefois à la vue du genre humain rassemblé et de tant de nations citées à ce tribunal, elles ne pourront se défendre d'un sentiment de crainte, tant ce (406) spectacle inspirera d'effroi. Oui, songez à ce jour terrible, à cette sentence à laquelle il est impossible d'échapper. Le souverain Juge n'aura pas besoin d'entendre les accusateurs et les témoins; il n'aura pas besoin de preuves ni de démonstrations, mais il produira devant toute cette multitude et mettra sous les yeux des coupables leurs fautes et les circonstances qui les ont accompagnées. Personne ne se présentera pour arracher au supplice, ni le père, ni le fils, ni la fille, ni la mère, ni un proche , ni un voisin , ni un ami, ni un avocat. Personne ne pourra compter ni sur les présents, ni sur ses richesses , ni sur son crédit, ni sur sa puissance. Tout cela aura disparu, comme la poussière que les pieds ont secouée ; et il ne restera que l'accusé et ses oeuvres qui le feront absoudre ou condamner. Personne ne sera jugé pour les fautes d'autrui , mais bien pour les siennes propres. Voilà les pensées qu'il vous faut entretenir dans votre âme , la terreur qu'elle doit ressentir, qu'elle doit opposer à cette tristesse inspirée par Satan et toujours si nuisible : armez-vous ainsi contre lui, et vous n'aurez qu'à vous montrer pour dissiper, pour faire disparaître tousses artifices. Cette tristesse, non-seulement elle est vaine et superflue, mais elle est dangereuse, elle est pernicieuse. Cette crainte du jugement, au contraire, n'est-elle pas nécessaire et utile, n'offre-t-elle pas les plus grands avantages? Mais je me suis laissé entraîner trop loin, et tout ce que je viens de vous dire, ne semble point vous regarder. C'est à moi-même et à ceux qui comme moi sont plongés dans toute sorte de péchés, qu'il faudrait tenir ce langage, bien capable à la fois d'effrayer et d'exciter au bien. Mais vous qui êtes ornée de tant de vertus, qui déjà touchez à la porte des cieux, vous ne pouvez en éprouver le moindre mouvement de crainte. Je vais donc chercher un autre instrument, et toucher une autre corde, puisque la pensée du jugement ne peut produire en vous plus d'effroi que dans les anges. Tournons-nous donc d'un autre côté. Suivez-nous et songez maintenant à vos bonnes actions, aux brillantes récompenses qui leur sont réservées, à ces splendides couronnes, aux choeurs des vierges , à ces portiques sacrés, à cette chambre nuptiale, à la compagnie des anges, à ces entretiens si doux avec l'Epoux céleste, à ces splendeurs merveilleuses , à tous ces blé , en un mot , qui surpassent tout ce que l'on peut exprimer et concevoir.
4. Ne vous étonnez pas de m'entendre vous introduire parmi les choeurs des vierges. Vous êtes veuve , il est vrai. Mais ne m'avez-vous point souvent entendu dire, soit dans des entretiens particuliers, soit dans des discours publics, où je traitais de la virginité; me m'avez-vous pas entendu prétendre, dis-je, que rien ne s'opposait à ce que l'on admît dans le chśur des vierges, celle qui dans les autres vertus avait fait preuve d'une grande sagesse; qu'elle surpassait même de beaucoup les vierges en mérite. L'apôtre saint Paul, parlant de la virginité, n'at-il pas donné le nom de vierges, non-seulement à celles qui n'ont pas été mariées, mais à celles même qui ont servi le Seigneur avec zèle. La charité envers les pauvres, cette vertu qui vous est si chère, dans la pratique de laquelle vous n'avez point d'égale, Jésus-Christ ne l'élève-t-il pas bien au-dessus de la virginité? N'a-t-il pas chassé du chśur des vierges celles qui y étaient entrées sans posséder cette vertu , ou plutôt parce qu'elles ne la possédaient pas assez pleinement? (car elles avaient de l'huile, mais en trop petite quantité.) Au contraire ceux qui n'avaient plus la virginité en partage, mais dont les coeurs étaient ornés par la charité, ne tes reçoit-il pas avec honneur, ne les appelle-t-il pas les bénis de son Père, ne les fait-il pas approcher de sa personne, ne les met-il pas en possession de son héritage, et ne publie-t-il pas leurs vertus en face de l'univers entier? Oui, en présence des anges et de tout le genre humain rassemblé, il les proclame ses nourriciers et ses hôtes. Voilà les paroles que vous entendrez à votre tour. Voilà la récompense que vous recevrez. Oui , votre seule charité envers les pauvres vous vaudra cette récompense, cette couronne, cet éclat merveilleux, cette gloire immense. Que serait-ce donc, si je passais en revue toutes vos autres vertus? Dès maintenant donc vous devriez couler vos jours dans une fête continuelle, tressaillir d'allégresse , former des choeurs et couronner votre tête. Peut-on vous pardonner de vous consumer de chagrin, parce que celui-ci s'est laissé égarer par la fureur, parce que cet autre s'est lancé dans le précipice ? Peut-on vous excuser de donner au démon cet accès dans votre âme, quand jusqu'ici vous n'avez cessé de lui porter des coups toujours victorieux? Rappellerai-je cette patience dont nous avons eu tant de preuves ? Un discours, un (407) volume ne suffirait pas à redire les souffrances que vous avez supportées depuis votre enfance. Vos amis et vos ennemis, vos proches et les étrangers, les puissants et les faibles, les magistrats et les simples particuliers, les clercs eux-mêmes, ne vous ont-ils pas souvent offert l'occasion de souffrir? Une seule de leurs injustices composerait un long récit, pour peu qu'on veuille la développer. Mais si l'on se rappelle en outre ces afflictions, que vous vous êtes ménagées vous-même, si l'on veut les examiner par le détail, on verra que vous avez toujours triomphé ; ni la pierre , ni le fer, ni le diamant n'ont pu résister à votre énergie. Vous aviez une nature tendre et délicate, habituée à toutes les délices; vous l'avez accablée sous les coups de la douleur, et aujourd'hui elle se trouve, pour ainsi dire, en un état de mort. Vous avez appelé tout l'essaim des maladies, et désormais l'art des médecins, la force des remèdes, les traitements de toute espèce seraient impuissants à les guérir; vous vivez dans de continuelles souffrances.
5. Comment redire encore votre sobriété, votre patience dans les veilles? Ou plutôt n'appelons plus des noms de sobriété et de patience des vertus dignes de noms plus relevés. Nous appelons patient et courageux l'homme qui, tourmenté de quelque passion , finit par la vaincre. Pour vous, quelle passion n'avez-vous point vaincue? Dès le principe vous vous êtes lancée contre votre chair avec une telle ardeur, que vous en avez éteint tous les appétits. Ce n'est pas seulement un frein que vous avez mis au coursier, ce sont des entraves, vous l'avez terrassé, vous l'avez rendu immobile. Alors vous aviez la force en partage, maintenant c'est le calme le plus parfait qui règne dans votre âme. Vous n'avez plus à lutter contre la soif des délices, vous n'avez plus d'efforts à faire pour en triompher. Vous l'avez détruite, vous lui avez fermé tout accès, vous avez appris à votre estomac à ne recevoir de nourriture que ce qu'il faut pour ne pas mourir et pour continuer à faire pénitence. Et c'est pourquoi je ne puis appeler cela du nom de jeûne ou d'abstinence; il faut un nom plus relevé. Vos veilles ne sont pas moins dignes d'admiration ; cette soif des jouissances une fois éteinte, le désir du sommeil a cessé lui-même de se faire sentir. N'est-ce pas, en effet, la nourriture qui entretient le sommeil? Mais ce second besoin, vous en avez triomphé d'une autre manière encore ; dès le principe vous avez surmonté la nature, en passant des nuits entières sans dormir; et l'habitude maintenant est pour vous une seconde nature. Si chez les autres le sommeil est un besoin, chez vous c'est le contraire : la veille vous est devenue indispensable. Toutes ces vertus, considérées en elles-mêmes, ont de quoi ravir d'admiration et frapper d'étonnement. Mais si l'on songe que vous vous imposiez toutes ces privations dans un âge encore tendre, sans être dirigée par aucun maître, n'ayant autour de vous que des scandales; si l'on songe que vous êtes sortie d'une maison impie pour embrasser la vérité, que la faiblesse naturelle à votre sexe était accrue encore par les délicatesses d'une demeure opulente, quel océan de merveilles s'offre alors aux regards ! A quoi bon parler de votre humilité, de votre charité et de tant d'autres vertus? A leur souvenir, mon âme ouvre devant moi mille autres sources, et me force à ne mentionner que les espèces, que les titres, pour ainsi dire : autrement il faudrait un discours infini. Mais je ne veux pas m'écarter de mon dessein ni me laisser entraîner dans cet océan sans rivage. Si je ne me proposais d'arracher de votre coeur cette tristesse qui le ronge, je m'arrêterais volontiers à ce récit, et je m'embarquerais sur cet océan, ou plutôt sur ces océans immenses. Oui, chacune de vos vertus serait comme une route qui ouvrirait devant moi comme un nouvel océan, qu'il s'agisse de votre patience; ,ou de votre humilité, ou de votre miséricorde inépuisable, qui se répand jusqu'aux extrémités du monde , ou de cette charité plus ardente que les flammes d'une fournaise, ou de votre prudence ornée de tant de grâces et vraiment au-dessus de la nature. Mais vouloir énumérer les fruits que ces vertus ont produits, c'est vouloir compter les flots de ta mer.
6. Ne nous lançons donc point dans de si vastes espaces, et contentons-nous de montrer, comme on dit, le lion par ses griffes. C'est de votre vêtement, de ces habits dont vous recouvrez si négligemment votre corps, que je veux dire quelques mots. Cette vertu , sans doute, semble le céder aux autres, toutefois, en bien examinant, on lui trouvera beaucoup de grandeur, on la jugera digne d'une âme vraiment sage, d'une âme qui foule aux pieds toutes les choses de ce monde et prend son essor vers les cieux. Aussi n'est-ce point (408) seulement dans le Nouveau Testament, mais dans l'Ancien lui-même que le Seigneur défend avec sévérité toute recherche dans les vêtements. Et cependant Dieu instruisait alors le genre humain par des ombres et des figures; la vie était réglée par des lois moins parfaites; il n'y était jamais question des choses célestes, des biens à venir, la sagesse que nous professons y était à peine indiquée, et les lois données aux Hébreux étaient bien plus grossières, bien plus charnelles que les nôtres. Voici donc ce que dit le Seigneur par la bouche du Prophète : Voici ce que dit le Seigneur au sujet des princesses de Sion : Parce qu'elles se sont enflées d'orgueil, parce qu'elles ont marché la tête haute, en faisant signe des yeux, parce qu'elles se sont avancées traînant des tuniques flottantes et étudiant leurs démarches; le Seigneur abaissera les princesses de Sion, il les dépouillera de leur magnificence, leur enlèvera ces vêtements superbes. Leurs parfums seront changés en poussière, leur ceinture en une corde; ces têtes, chargées d'ornements, il les rendra chauves, à cause de leurs oeuvres; et au lieu des tuniques de pourpre, il les revêtira de sacs. Tels seront désormais leurs ornements. (Isaïe, III, 16, 18, 24.) Peut-on parler un langage plus indigné?quel châtiment! quel supplice ! quelle affreuse captivité ! Vous pouvez par là même apprécier la gravité de la faute. Un Dieu si miséricordieux n'eût certes pas infligé des peines si graves, si le péché n'eût été bien plus grave encore. Si le luxe des vêtements est un crime, quel ne sera pas le mérite de la vertu contraire? Aussi l'apôtre saint Paul, s'adressant à ces femmes qui ont embrassé la vie du monde, non-seulement leur conseille de ne point porter d'ornements d'or, mais il ne leur permet pas même de se vêtir d'habits somptueux. (I Tim. II, 9.) Ah ! il savait bien, il savait bien que le goût de la parure est une maladie grave et difficile à guérir, que c'est le signe manifeste d'une âme corrompue, et qu'il lui faut un médecin plein de prudence et d'habileté. Et n'en sont-elles pas la preuve, ces femmes du monde, ces femmes mariées, qui ne peuvent suivre aucun conseil sur ce point? N'en sont-elles pas la preuve, celles même qui paraissent sages et qui font partie du choeur dés vierges? Combien d'entre elles font violence à la nature, fournissent leur course sans jamais porter la moindre atteinte à, leur vertu, mènent dès ici-bas la vie des anges, et dans un corps mortel préludent à cette vie qui suivra la résurrection ! (dans le siècle futur, nous dit Jésus-Christ, ni on n'épousera, ni on ne sera épousé. Luc, XX, 35.) Combien rivalisent de pureté avec les esprits célestes, et revêtues d'un corps périssable engagent la lutte avec ces esprits immortels! Combien accomplissent des conseils que beaucoup ne peuvent même entendre , repoussent la volupté comme un chien furieux qui sans cesse revient les attaquer, apaisent les flots de cette mer irritée et y naviguent tranquillement portées sur ces vagues furieuses vers le terme de leurs désirs! Combien demeurent debout dans cette fournaise des passions, -ans éprouver aucun dommage , et foulent aux pieds ces charbons ardents, comme ils fouleraient de la boue! Et cependant elles se laissent prendre honteusement à cet amour de la parure, et, après avoir surmonté tant d'obstacles plus difficiles, elles succombent devant celui-ci.
7. Voyez la grandeur de la virginité, l'énergie qu'elle suppose ! Le Christ, descendu des cieux pour faire de nous des anges, pour nous initier à une vie toute céleste, n'a pas osé nous ordonner la virginité, ni faire une loi de cette vertu. Il a fait une loi de mourir (qu'y a-t-il de plus rude cependant?), il a fait une loi de porter constamment sa croix, de faire du bien à ses ennemis; il n'a pas fait une loi de la virginité. Sur ce point, il a laissé libres ceux auxquels il s'adressait, et leur a dit : Celui qui peut suivre ce conseil, qu'il le suive. (Matth. XIX,12.) Oui, grande est la difficulté, rude est le combat ! que de sueurs à répandre ! que le chemin est escarpé ! et ne le voyons-nous point par ces hommes qui, dans l'ancienne loi, pratiquèrent tant de vertus ? Ce Moïse, si grand, ce chef dés prophètes, cet ami si cher à Dieu, qui possédait toute sa confiance, qui avait assez de crédit auprès de lui pour arracher six cent mille coupables au châtiment venu du ciel, cet homme si puissant, qui commandait à la mer, qui en divisait les flots, qui brisait les rochers, qui changeait la nature de l'air , (lui changeait en sang les eaux du Nil, qui opposait à Pharaon une armée de grenouilles et de sauterelles, qui transformait tous les éléments, qui opéra tarit de miracles et pratiqua tant de vertus, cet homme, dis-je, ne put même envisager ce combat. Mais il se maria, il rechercha la société d'une épouse, comme s'il n'eût pu s'en passer, et il n'osa se confier à (409) cet océan de la virginité, dont il redoutait les flots. Cet autre patriarche qui fut sur le point d'immoler son fils, put bien fouler aux pieds les sentiments les plus vifs de la nature, il put bien vouer à la mort cet Isaac, qui était à la fleur de son âge et dans toute la vigueur de la jeunesse, cet Isaac, son fils unique, son fils bien-aimé, qui lui avait été donné contre toute espérance , seul appui de son extrême vieillesse, orné de toutes les vertus; il put gravir avec lui cette montagne où devait s'accomplir le sacrifice, élever l'autel, disposer le bûcher, étendre la victime, saisir le glaive et l'approcher de la gorge d'Isaac. Oui, il en vint jusque là, et il fut sur le point de teindre ce glaive du sang de son fils, cet homme plus dur que l'airain. Car il est dans la nature de l'airain d'être dur, mais c'est par l'énergie de sa volonté qu'Abraham put acquérir cette invincible fermeté, et déployer ce calme, cette tranquillité digne des anges. Eh bien ! cet homme qui put soutenir un pareil combat, cet homme qui franchit les bornes de la nature, n'osa se risquer aux luttes de la virginité. Lui aussi, il craignit de descendre dans la lice, et rechercha les consolations du mariage.
8. Voyez Job lui-même, cet homme juste, cet homme ami de la vérité, cet homme si pieux, qui s'abstenait de toute action coupable. Il fit au démon de terribles blessures; sans cesse attaqué, n'attaquant jamais lui-même, il vida le carquois de son ennemi. Que de flèches lancées sur lui ! Il soutint tous ces assauts avec une force merveilleuse. Que semble-t-il y avoir, qu'y a-t-il en effet de plus pénible dans la vie? N'est-ce pas la pauvreté, la maladie, la mort des enfants, les attaques des ennemis, l'ingratitude des amis, la faim, les douleurs corporelles, les insultes, les calomnies, la mauvaise réputation? Or, tous ces maux vinrent fondre sur Job, sur son corps, sur son âme; et, pour surcroît de peine, au moment où il s'y attendait le moins. Comprenez bien ma pensée. Un homme, né de parents pauvres, élevé dans leur maison, supporte aisément une pauvreté à laquelle il est habitué depuis longtemps. Mais celui qui est plongé dans les richesses, qui possède de nombreux trésors, et qui soudain s'en voit dépouillé, pourra-t-il facilement souffrir un tel changement de fortune? Moins il s'y attend, plus ce changement lui semblera cruel. Ou bien encore : l'homme obscur et né de parents obscurs, l'homme qui vit entouré de mépris, les outrages, les injures ne le troublent guère. Mais celui qui, après avoir été dans une position brillante, après s'être vu entouré des hommages de tous , s'être entendu célébrer par toutes les bouches , tombe ensuite dans le mépris et dans l'infamie, ne ressent-il pas le même chagrin que celui qui, riche tout à l'heure , se voit maintenant abîmé dans la misère ? De même encore celui qui se voit privé de ses enfants, qui les perd tous, il est vrai, mais à des époques différentes , trouve dans ceux qui survivent quelque consolation à sa douleur, son chagrin s'apaise, et si, quelque temps après, un autre vient à mourir, ce malheur lui paraît , moins cruel : car la première blessure a eu le temps de se fermer et de se guérir, et la seconde est moins cuisante. Pour Job, en un instant il vit mourir ses nombreux fils, et de la mort la plus cruelle. Ils mouraient de mort violente et dans la force de l'âge, et le temps et le lieu rendaient encore ce malheur plus épouvantable. C'était pendant un festin, dans une maison ouverte aux hôtes, et cette maison leur servait de tombeau. Quelle est après cela cette faim d'un nouveau genre, et que nulle parole ne peut exprimer? Non, je ne sais quel mot employer, quel nom donner à une calamité si étrange ! En vain lui offrait-on de la nourriture, il ne touchait pas aux mets servis devant lui. L'horrible odeur qui s'exhalait de ses blessures lui ôtait tout appétit, et toute nourriture lui devenait insupportable. Ce qu'il faisait bien comprendre en disant : La puanteur est devenue ma nourriture. (Job, VI, 7.)
La violence de la faim le contraignait, sans doute, à goûter les mets qu'on lui servait. Mais la puanteur qu'exhalaient ses ulcères l'emportait bientôt sur la faim qui le tourmentait. Aussi, vous l'ai-je dit, cette faim, je ne sais de quel nom l'appeler. Dirai-je qu'elle était volontaire? Mais il désirait prendre de la nourriture. Dirai -je qu'elle était involontaire ? Mais les mets étaient devant lui, et personne ne lui défendait d'en user. Comment rappeler maintenant ses horribles souffrances, ces vers qui pullulaient sur sa chair, ce pus qui en découlait, ces outrages dont ses amis l'accablaient, ce mépris qu'avait pour lui ses serviteurs ? Mes serviteurs eux-mêmes ne m'ont pas épargné, dit-il; ils m'ont craché au visage. (Job, XXX, 10.) D'autres l'insultèrent dans son malheur, (410) et le poursuivirent de leurs sarcasmes. Ceux que je ne daignais pas mettre au rang des chiens qui gardaient mes troupeaux se sont élancés contre moi, et ces hommes si méprisables viennent me donner des conseils. (Job, XXX, 4.) Tout cela ne vous semble-t-il pas bien cruel? Oui, sans doute. Et cependant voici qui l'est encore davantage; voici qui met le comble à ses souffrances, ce qui domine tout le reste. Il était comme suffoqué par cette tempête qui agitait son âme : la pureté de sa conscience soulevait ses flots tumultueux, enveloppait sa raison de ténèbres épaisses, et y répandait le trouble. Ceux qui se sentent coupables de crimes nombreux trouvent au moins dans leurs péchés la cause des maux qui leur arrivent, et ils n'éprouvent point ce trouble, conséquence de l'incertitude. Mais ceux qui n'ont conscience d'aucun crime, dont les âmes, ornées de toutes les vertus, trouvent dans le dogme de la résurrection, dans l'espérance des biens futurs un soulagement aux souffrances qu'ils endurent, et ces combats qu'ils soutiennent, ils les envisagent comme l'occasion de couronnes sans nombre. Mais Job, cet homme de bien, ne savait rien du dogme de la résurrection, et ce qui le tourmentait surtout, c'était d'ignorer la cause de ses maux; le doute, cette anxiété, étaient plus cruels pour lui que les vers et'les douleurs du corps. C'est l'exacte vérité. Quand le Dieu miséricordieux eut daigné lui faire connaître la cause de tant de combats, et que Job eut appris que tout cela avait été permis afin de manifester sa justice, ne commença-t-il pas dès lors à respirer, comme s'il n'avait rien souffert, et ses paroles ne nous le disent-elles pas assez? Cependant s'il souffrait cruellement avant de connaître la cause de ses douleurs, il ne perdit pas un instant courage, et prononça ces admirables paroles : Le Seigneur m'a donné, le Seigneur m'a ôté. Tout a été fait selon le bon plaisir de Dieu : que le nom du Seigneur soit béni clans tous les siècles! (Job. I, 21.)
9. Le désir de parler de Job m'a écarté de mon sujet. Encore quelques mots, et j'y reviens. Ce grand homme, cet homme si vertueux, qui foula aux pieds toutes les jouissances de la nature, n'osa point non plus soutenir ces combats de la virginité; il eut une épouse qui lui donna de nombreux enfants. Elle est donc bien pénible cette vertu ! ses combats sont donc bien méritoires et bien sublimes ! Que de sueurs elle exige, et quelle fermeté d'âme elle suppose! Et cependant combien de femmes, après avoir engagé cette lutte généreuse, n'ont pu triompher de leur amour pour le luxe des vêtements, mais au contraire s'y sont livrées avec plus d'ardeur même que les femmes du monde ! Ne venez pas me dire qu'elles ne portent point d'ornements d'or, ni de vêtements de soie, brodés d'or, ni de colliers de pierres précieuses. Elles font pis encore, elles révèlent mieux encore le mal qui les ronge, la passion qui les tyrannise; elles s'étudient, elles s'appliquent de tout leur pouvoir à l'emporter par la simplicité même de leurs vêtements, sur celles qui emploient l'or et les soieries, et à paraître plus aimables qu'elles. Il n'y a, ce leur semble, aucun mal à cela; et cependant, à bien examiner, quoi de plus pernicieux, dé plus dangereux, de plus près de l'abîme? Ne faudrait-il donc pas avoir mille langues pour célébrer les louanges que vous méritez à ce sujet? Voilà un vice dont peuvent à peine triompher les vierges; et vous qui êtes veuve, vous le surmontez avec facilité , avec promptitude, comme le montre votre conduite. Ce que j'admire, ce n'est pas seulement la simplicité de vos vêtements, plus pauvres que ceux des mendiants; c'est encore cette absence de tout apprêt, de toute recherche dans vos habits, dans vos chaussures, dans votre démarche. Ce sont là comme autant de couleurs qui peignent aux regards les vertus cachées dans votre âme. Les vêtements, dit le Sage, le rire, la démarche de l'homme manifestent son âme. (Eccl. XIX, 27.) Il faut en effet que vous ayez terrassé, que vous ayez foulé aux pieds toutes les vanités de ce inonde, pour les mépriser comme vous le faites, pour avoir banni de votre âme ce vice si coupable, après en avoir auparavant courageusement triomphé. Que personne ne me taxe d'exagération, quand j'appelle ce vice un vice très-coupable. Voyez en effet quels châtiments il valut à ces femmes du inonde, chez les Hébreux, sous la loi ancienne! Eh bien! celles dont la conversation doit être dans le ciel, qui doivent mener la vie des anges, qui vivent sous la loi de grâce, pensez-vous que Dieu puisse leur pardonner, quand elles tombent dans ce désordre? cette vierge, qu'enveloppent d'amples vêtements , qui porte une tunique flottante, dont la démarche respire la mollesse, dont la voix, les yeux, tout l'extérieur est un poison pour les cśurs impudiques, qui (411) creuse chaque jour un précipice sous les pieds des passants, qui ne cesse de tendre des piéges, pouvez-vous l'appeler encore du nom de vierge, et ne la rangerez-vous point parmi les courtisanes? mais les courtisanes ont moins d'appâts, et secouent moins les ailes de la volupté ! Oui, nous vous félicitons, nous vous admirons, nous vous louons d'avoir rejeté loin de vous ces charmes funestes, de vous être mortifiée encore sur ce point, non pour orner votre sacrifice, mais pour faire preuve de courage, non pour y trouver plus de beauté, mais pour vous en faire une arme puissante.
10. Je viens de montrer, pour ainsi dire, les griffes du lion, et encore je ne les ai montrées qu'en partie. Comment en effet célébrer tant de vertu? Je le disais tout à l'heure; je tremble de m'embarquer sur l'océan de vos mérites. Au surplus, ce que je me suis proposé, ce n'est pas de faire l'éloge de votre sainteté, mais de verser dans votre âme le baume de la consolation. Je reviens donc à ce que je disais plus haut. Que disais-je donc? Je vous disais de ne plus vous préoccuper des péchés de celui-ci, ou des crimes de celui-là, mais de songer à votre patience, à votre constance, à vos jeûnes, à vos veilles, à votre tempérance, à votre miséricorde, à votre charité, à toutes ces vertus où il faut soutenir des luttes si multipliées, si variées, si terribles. Rappelez-vous que depuis votre jeunesse, vous n'avez cessé d'apaiser la faim de Jésus-Christ, d'apaiser sa soif, de lui donner des vêtements, de le recevoir dans votre maison, de le soigner dans ses maladies, de le visiter dans les prisons. Rappelez-vous l'océan de votre charité, cet océan si vaste, cet océan qui a roulé ses flots impétueux jusqu'à l'extrémité du monde. Non-seulement votre maison est ouverte à tous ceux qui veulent y entrer; mais partout, sur terre et sur mer, que d'étrangers ont joui de vos généreuses libéralités! Rassemblez toutes ces vertus, réjouissez-vous, tressaillez d'allégresse à la vue de ces couronnes et de ces palmes qu'elles vous assurent. Si vous voulez voir punir ces hommes criminels, sanguinaires , chargés des crimes les plus affreux, vous serez satisfaite aussi en ce jour du jugement. Lazare ne vit-il pas le mauvais riche plongé dans les flammes? La différence de leur vie leur avait mérité des places éloignées l'une de l'autre; un abîme les séparait, puisque l'un se trouvait dans le sein d'Abraham, et l'autre dans une horrible fournaise. Néanmoins Lazare vit le mauvais riche, il entendit sa voix et lui répondit. Il en sera de même pour vous. Si pour avoir méprisé un seul homme, le mauvais riche est ainsi tourmenté; si, pour avoir scandalisé un seul de ses semblables, il vaudrait mieux être précipité dans la mer, une meule au cou; quel sera le sort de ceux qui ont scandalisé le monde entier, qui ont renversé tant d'églises, qui ont répandu partout le désordre et le trouble, dont la barbarie, dont la cruauté surpasse celle des pirates et des barbares, auxquels le diable, leur chef, et les démons leurs alliés, ont inspiré assez de fureur pour exposer à la risée des juifs et des gentils une doctrine si vénérable, si sainte, vraiment digne de son auteur? quel sera le sort de ces hommes qui ont submergé tant d'âmes, causé tant de naufrages par tout l'univers, allumé un si effroyable incendie, déchiré le corps du Christ et dispersé ses membres? Vous êtes, nous dit l'Apôtre, le corps du Christ, et vous en êtes tes membres. (I Cor. XII, 27.) Mais pourquoi vouloir essayer de peindre une fureur que rien ne peut exprimer? Oui, quels châtiments sont réservés à ces hommes cruels et sanguinaires? si, pour avoir refusé de la nourriture au Sauveur, on est jeté dans les flammes éternelles pour y brûler avec le démon, quels supplices ne méritent point, croyez-vous, ces hommes qui ont fait mourir de faim, tant de moines, tant de vierges, qui les ont dépouillés de leurs vêtements, qui, loin de recueillir les étrangers, les ont chassés, qui; loin de soigner les malades, ont redoublé leurs souffrances, qui, au lieu de se rendre auprès des captifs, ont fait jeter en prison ceux qui étaient libres? quels supplices ne méritent-ils point? Ah ! vous les verrez dévorés par les flammes, chargés de chaînes , grinçant les dents, poussant de vaines lamentations, se consumant dans une douleur inutile, et, comme le mauvais riche, éprouvant un repentir sans effet. Eux aussi, ils vous verront au sein du bonheur et du repos, une couronne sur la tête, formant des choeurs avec les anges, régnant avec le Christ; ils pousseront de grands cris et de grands gémissements, ils se repentiront des outrages dont ils vous accablaient, ils vous adresseront leurs prières, ils se rappelleront votre miséricorde et votre charité. Mais que leur en reviendra-t-il?
11. Occupez donc sans cesse votre âme de ces pensées, et ainsi, vous pourrez secouer (412) cette poussière de la tristesse. Mais il y a, je crois, un autre motif de votre affliction. Je veux y porter remède et par ce que j'ai dit, et par ce que je vais dire encore. Ce qui vous afflige, il me semble, c'est aussi d'être loin de nous, qui sommes pourtant si peu de chose. Vous vous en désolez, et vous dites à tout le monde Nous n'entendons plus sa parole, nous ne recevons plus ses enseignements, la faim nous dévore, et ces menaces que Dieu faisait aux Hébreux se réalisent à notre égard; ce qui nous manque, ce n'est point le pain matériel, ce n'est point l'eau matérielle, c'est le pain de la doctrine sacrée. Quelle doit être notre réponse? La voici : même en notre absence, vous pouvez lire nos livres. De notre côté, toutes les fois que nous en trouverons l'occasion, nous nous empresserons de vous adresser de longues lettres. Si vous souhaitez de recevoir de notre bouche les divins enseignements, peut-être un jour aurez-vous ce bonheur, et Dieu permettra que vous nous revoyiez; peut-être, c'est trop peu dire; certainement, vous nous reverrez; n'en doutez pas. Ne croyez pas que nous parlions légèrement , sans être sûr de ce que nous disons : Oui, un jour vous nous entendrez vous exposer de vive voix ce qu'aujourd'hui vous apprenez par nos lettres. S'il vous est pénible d'attendre, rappelez-vous que ce délai ne sera point sans profit pour vous, que votre patience sera généreusement récompensée, si vous savez ne point murmurer, si vous en prenez occasion de louer Dieu, comme vous le louez en toute circonstance. Ce n'est pas sans lutter vivement, sans déployer beaucoup de sagesse et de courage, que l'on peut supporter d'être éloigné d'une âme que l'on aime. Qui est-ce qui vous tient ce langage ? Quiconque aime sincèrement et connaît la force de la charité, comprend ce que je viens de dire.
Sans nous donner la peine de chercher çà et là ces hommes, trop rares, hélas ! qui ont ressenti une affection sincère, adressons-nous au bienheureux apôtre Paul. Il nous dira tout ce qu'il faut d'énergie et de courage pour supporter une telle séparation. Il s'était dépouillé de l'homme charnel, il avait comme répudié son corps; son âme seule parcourait, pour ainsi dire, le monde; son coeur était vide de passion et aussi calme que les esprits célestes; la terre était pour lui le ciel, il vivait avec les chérubins et assistait à leurs mystérieux concerts; loua les maux il les supportait, comme si ce n'eût pas été lui qui les eût soufferts, soit qu'on le jetât en prison, qu'on l'enchaînât, qu'on l'envoyât en exil, qu'on l'accablât de menaces, qu'on voulût le faire mourir, ou le lapider, ou le jeter à la mer, ou lui infliger tout autre supplice. Eh bien ! saint Paul, séparé d'une âme qu'il aimait tendrement, fut saisi d'un trouble si violent, qu'il sortit aussitôt de cette ville où il n'avait point rencontré cet ami qu'il espérait revoir. Troas était cette ville qu'il abandonna sur-le-champ, parce qu'elle ne put lui montrer son cher disciple. Comme j'étais venu à Troas pour y annoncer l'Evangile, et comme la porte de cette ville m'avait été ouverte par le Seigneur, je sentis aussitôt mon esprit tout troublé, parce que je n'y trouvai point mort frère Tite. Je pris congé des habitants et je partis pour la Macédoine. (II Cor. II, 12, 13.) Que dites-vous, ô Paul? On vous met des entraves, on vous jette dans les fers, les coups s'impriment dans votre chair, le sang ruisselle sur vos membres, vous instruisez, vous baptisez, vous offrez les saints mystères, et vous ne dédaignez pas de vous inquiéter du salut d'une âme. Voici que vous arrivez à Troas, le terrain est bien purifié, tout prêt à recevoir la semence, l'aire est bien remplie et vous offre toutes les chances de succès : vous le savez et vous laissez échapper tous ces avantages. C'est pour cela que vous y êtes venu (comme j'étais venu à Troas, dit-il, afin d'y annoncer l'Evangile) personne ne songeait a vous résister; (la porte m'en était ouverte, dit-il encore.) Et cependant vous en sortez aussitôt! Oui, sans doute, répond-il : car une violente tristesse s'empara de mon âme, la jeta dans le trouble, en triompha; l'absence de Tite me força de quitter cette ville. Que la tristesse en ait été cause, ce n'est point de notre part une conjecture; lui-même nous le fait assez entendre. Ne nous dit-il pas, en effet : Le trouble s'empara de mon âme, parce que je ne rencontrai point Tite. Alors, prenant congé des habitants, je sortis de la ville?
12. Voyez-vous comme il est difficile de supporter sans se plaindre l'éloignement d'un ami ! Combien cette séparation est amère et douloureuse ! Combien, pour l'endurer, il faut de magnanimité et de courage ! L'épreuve, pour vous, se prolonge. Mais, plus elle est grande, plus aussi la couronne sera brillante, plus les récompenses seront magnifiques ! Que ce soit là votre consolation; songez, que lors de mon (413) retour, je vous reverrai enrichie de ces récompenses, ornée de cette couronné et de cet éclat. Quand on s'aime , ce n'est pas assez que les âmes soient unies par les liens de l'affection; la joie n'est pas complète tant qu'on demeure loin l'un de l'autre; elle est bien diminuée par cette séparation. Si nous interrogeons encore le disciple de la charité, il nous répond qu'il en est ainsi. Ne dit-il pas, en effet, dans sa lettre aux Thessaloniciens : Mes frères, ayant été pour un. peu de temps séparé de vous, de corps , non d'esprit ni de cśur, nous avons désiré avec d'autant plus d’ardeur et d'empressement de vous revoir. C'est pourquoi j'ai eu plus d'une fois le dessein d'aller vous trouver mais Satan y a mis obstacle. Aussi, pour apaiser ma douleur, ai-je mieux aimé rester seul à Athènes et vous envoyer Timothée? (I Thess. II, 17, 18; et III, 1, 2.) O quelle énergie dans chaque expression ! Comme elles révèlent, toutes, cette flamme qui brûle son coeur ! Il ne dit pas séparé de vous, emmené du milieu de vous, éloigné de vous, absent... mais, privé de vous et comme orphelin. Il lui fallait ce mot pour manifester toute sa douleur. Il était pour eux comme un père, et cependant il emploie l'expression dont se servent les enfants qui, encore en bas-âge, ont perdu leur père, afin de faire mieux sentir l'excès de sa tristesse. Qu'y a-t-il de plus cruel que d'être orphelin de bonne heure? L'orphelin ne peut se suffire à cause de son âge; personne ne s'empresse de lui venir en aide, et combien, au contraire, sont tout prêts, ou du moins se préparent à lui nuire c'est comme un agneau laissé au milieu des loups, qui le tuent et le dévorent. Nulle expression ne peut dire l'étendue de ce malheur. Aussi l'Apôtre, après avoir cherché de toute part un mot capable de bien exprimer la solitude et l'abandon, et de montrer combien il souffrait de se voir séparé de ses chers Thessaloniciens, s'est-il arrêté à celui-là et l'a-t-il développé par ceux qui suivent. Nous sommes comme un orphelin, dit-il, non pas depuis longtemps, mais depuis une heure; non pas d'esprit et de coeur, mais de corps seulement; et néanmoins nous en ressentons une insupportable douleur. Cependant, quoi de plus consolant que de savoir nos âmes étroitement unies , que de vous porter tous dans notre coeur, que de vous avoir v u hier et avant-hier rien de tout cela ne peut calmer noire chagrin. Que voulez-vous donc ! dites-moi, que désirez-vous donc si vivement? Ah ! ce que je désire, c'est de voir vos visages. C'est pourquoi, dit-il, nous souhaitons avec tant d'ardeur et d'empressement de vous revoir. (I Thess. II,17.) Que dites-vous, ô grand, ô sublime apôtre? Le monde n'est-il pas crucifié pour vous, et n'êtes-vous point crucifié au monde, n'avez-vous point renoncé à toute jouissance charnelle, ne vous êtes-vous point, pour ainsi dire, dépouillé de votre corps? Et voilà que l'affection vous captive au point de vous contraindre à rechercher la chair, la boue, ce qui tombe sous les sens, en un mot ! Oui, certes, répond-il, et je ne rougis point de le dire, au contraire, je m'en fais gloire. La charité, cette mère de tous les biens, ruisselle dans mon âme, et c'est elle qui m'y porte. Ce qu'il désire, ce n'est point simplement leur présence, c'est encore. de voir leurs visages. Nous avons désiré avec d'autant plus d'empressement de voir vos visages, dit-il. Vous désirez donc, vous désirez de les voir, de contempler leurs visages ! Oui, répond-il, oui, je le désire, et vivement. Car c'est là que sont rassemblés tous les sens. L'âme toute seule unie à une autre âme ne peut rien dire ni rien entendre. liais si je puis jouir de leur présence, je leur parlerai, je les entendrai. C'est pourquoi je désire contempler votre visage , où se trouve cette langue qui rend des sons et manifeste les sentiments intérieurs, où se trouve cette oreille qui les perçoit, où se trouvent ces yeux qui peignent les mouvements de l'âme : ce sont autant de moyens de jouir plus pleinement du commerce d'une âmes que l'on aime.
13. Voyez quelle est l'ardeur de son désir! Il ne se contente pas de dire: Nous avons souhaite avec empressement, il ajoute : avec ardeur. Puis, lassé de se confondre avec d'autres, et pour montrer que son amour l'emporte sur celui des autres, après avoir dit : Nous avons souhaité avec empressement, avec ardeur d'aller vous trouver, il se sépare des autres, il parle maintenant en son nom, et il ajoute : Moi, Paul, j'ai désiré à plusieurs reprises. Ne veut-il pas faire comprendre que son désir est plus ardent que le leur? Ensuite, comme il ne peut le réaliser, il ne se contente pas d'écrire aux Thessaloniciens, il leur envoie son disciple Timothée : il tiendra lieu d'une lettre, et il ajoute : Nous éprouvons la plus vive douleur. O noble expression ! ô parole énergique et bien propre à manifester cette charité, que nul frein (414) ne peut comprimer, que nulle patience ne peut arrêter l Un homme que le feu dévore met tout en mouvement pour soulager sa douleur ; l'Apôtre aussi, brûlé intérieurement, suffoqué, enflammé, cherche un moyen de calmer sa douleur : Ne pouvant supporter cette douleur, nous vous envoyons Timothée, ministre de l'Evangile, notre compagnon et notre auxiliaire. (I Thess. III, 1.) C'est un membre bien nécessaire que nous enlevons à notre compagnie, c'est un chagrin qui succède à un autre. Oui, l'absence de Timothée lui était bien pénible, et cette peine, il se l'imposait pour les chrétiens de Thessalonique. C'est ce qu'il nous fait entendre par ces paroles : il nous a plu de rester seul. Son âme ne s'est-elle pas changée tout entière en charité ? Il est séparé d'un seul de ses frères; et il nous dit qu'il est seul, quand il en a tant d'autres avec lui. Voilà ce que sans cesse vous devez méditer, et plus la séparation vous causera de peine, plus aussi votre patience à la supporter vous méritera de récompenses. Ce ne sont pas seulement les souffrances du corps, mais aussi celles de l'âme, qui gagnent ces couronnes, dont nul langage ne peut dire la magnificence : ce sont surtout les souffrances de l'âme, quand on les accepte avec reconnaissance. Si on déchirait, si on flagellait votre corps, vous souffririez généreusement, vous en glorifieriez le Seigneur, et vous seriez magnifiquement récompensée : attendez-vous donc à de grandes récompenses pour les maux que vous endurez dans votre âme. Attendez-vous aussi à nous revoir, à être délivrée de cette douleur, qui alors, qui dès maintenant, sera pour vous si avantageuse. C'en est assez pour vous consoler, non-seulement vous, mais toute autre personne, eût-elle un coeur plus dur que la pierre. Mais, avec votre prudence, votre vive piété, votre sagesse si élevée , avec cette âme qui foule aux pieds les vanités de ce monde, comment ne seriez-vous point promptement consolée? Montrez-nous que vous nous aimez, en obéissant à nos lettres, comme vous nous obéiriez à nous-même, si nous étions près de vous. Nous aurons la preuve de votre affection, si nous apprenons que cette lettre a produit quelque effet, ou plutôt tout l'effet que nous désirons. Or, nous désirons que vous recouvriez cette sérénité que nous remarquions en vous, quand nous étions près de vous. S'il en est ainsi, nous ressentirons une grande joie dans le désert où nous vivons. Voulez-vous que notre âme goûte plus de calme? (Je sais que vous le souhaitez et que vous n'avez rien plus à coeur.) Faites-nous savoir que vous avez secoué cette poussière de la tristesse, que votre âme est sans trouble; et récompensez-nous ainsi de notre affection pour vous. Vous savez bien, oh oui ! vous savez bien quelle joie vous nous causeriez en recouvrant la paix de l'âme, et en nous informant par une lettre que vous l'avez enfin recouvrée.
Ecrite à Cucuse en 404
.La tristesse est le plus affreux de tous les maux. — C'est un mal pins terrible que la mort même. — Saint Chrysostome le fait voir dans plusieurs exemples. — Les souffrances sont plus méritoires que les bonnes couvres. — Eloquentes réflexions sur les souffrances de Job, de saint Paul et de Joseph.
A OLYMPIADE.
1. Le corps a-t-il lutté contre les ardeurs de la fièvre, la ruer a-t-elle été agitée par la violence des vents; ce n'est pas tout d'un coup, c'est peu à peu que disparaissent les suites de la maladie, et que cesse l'agitation des flots. Une fois la fièvre guérie, il faut beaucoup de temps au corps pour recouvrer la santé, et cette vigueur enlevée par la maladie. Quand les vents sont apaisés, les ondes longtemps encore s'agitent, se poussent en tous sens, et le calme ne renaît point sur-le-champ. Ce n'est pas sans motif que j'use de ce préambule : j'ai voulu vous faire comprendre qu'il m'a semblé nécessaire de vous écrire. Nous avons, il est vrai, triomphé de ce chagrin qui vous tyrannisait ; nous avons, pour ainsi dire, renversé la citadelle du tyran; mais il ne faut point nous lasser de parler, si nous voulons ramener dans votre âme une paix profonde, effacer jusqu'au souvenir de ces troubles produits par la tristesse, et vous ren dre cette sérénité , ce calme, cette joie que vous avez perdue. Oui, mon désir, ce n'est pas seulement de bannir le chagrin, c'est encore de vous remplir d'une joie abondante et continuelle. Il m'est possible de le réaliser, si vous le voulez. Nous ne pouvons pas changer, nous ne pouvons pas renverser les lois de la nature; ce que nous pouvons modérer au gré de nos désirs, ce sont les mouvements de notre (415) volonté; et c'est d'eux que dépend le bon état de notre âme. Vous le savez bien vous-même, vous devez vous rappeler ces conversations longues et fréquentes que nous avions naguère encore sur ce sujet. Je vous en donnais des exemples pris de l'histoire. Non, ce n'est point la nature, mais la volonté qui donne à l'âme sa tranquillité. Combien n'en voyons-nous pas qui nagent dans les richesses, et regardent cependant la vie comme insupportable! Combien d'autres au contraire coulent au sein de la pauvreté des jours calmes et heureux ! Que de princes maudissent leur existence, malgré cette garde qui les escorte, malgré cette gloire et ces honneurs dont ils jouissent ! Que d'hommes obscurs par leur naissance, inconnus du monde, s'estiment néanmoins plus heureux que beaucoup d'autres ! Oui, je le répète, et je veux le répéter sans cesse, la volonté, et non pas la nature, voilà la source de la paix et du bonheur. Ne vous laissez pas abattre, ma chère soeur, tenez-vous ferme, tendez-moi la main; c'est un secours puissant et qui m'est nécessaire pour vous tirer de cette dure captivité de l'inquiétude. Si vous n'y mettez autant de zèle que nous-même, c'est en vain que nous essayerons de vous guérir. N'en soyez pas étonnée. Lorsque Dieu, le souverain Maître de toutes choses, donne quelque avertissement, adresse quelque exhortation, si l'homme ne veut pas obéir, qu'arrive-t-il ? il s'attire un châtiment plus rigoureux, à raison même de sa désobéissance. C'est ce que disait Jésus-Christ : Si je n'étais pas venu et que je ne leur eusse point parlé, ils ne seraient point coupables : mais aujourd'hui, ils ne peuvent trouver, aucune excuse. pour leurs péchés. (Jean, XV , 22.) C'était là encore ce qui le faisait pleurer sur Jérusalem, et exhaler ces soupirs : Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés ! combien de fois j'ai voulu rassembler tes enfants, et tu t'y es refusée! Voici que les demeures vont être désertes! (Matth., XXIII, 37, 38.)
2. Eh bien donc! ô pieuse Olympiade, travaillez, faites-vous violence, aidez-vous de nos réflexions pour repousser avec énergie, pour chasser de votre âme ces pensées qui la troublent, qui la remuent et la bouleversent. Oui, vous le ferez, oui, vous obéirez à nos conseils qui pourrait en douter? Nous allons vous procurer glaives et javelots, arcs et flèches, cuirasses, boucliers, cnémides; armure qui vous protégera, qui renversera, qui blessera, qui tuera ces funestes pensées. Et où prendrons-nous ces machines, ces frondes, qui non-seulement arrêteront l'ennemi et l'empêcheront d'avancer, mais qui le repousseront bien loin et avec la plus grandi; facilité? C'est dans la tristesse elle-même, c'est en vous disant tout ce qu'elle a de pénible et d'odieux. La tristesse est pour l'âme un affreux tourment, une indicible douleur, un supplice au-dessus de tous les supplices. C'est un ver dont le venin ronge non la chair, mais l'âme même; une teigne qui s'attaque; non point aux os, mais à l'esprit; c'est un bourreau qui sans cesse déchire, non point les flancs, mais la volonté dont il brise les forces. C'est une nuit continuelle, de noires ténèbres, une tempête violente, une fièvre cachée, plus ardente que la flamme; une guerre sans aucune trêve, une maladie qui obscurcit la vue et l'empêche de rien discerner. Le soleil lui-même , cet éclat qu'il répand dans l'atmosphère, ennuie une âme affligée; et la splendeur du midi ressemble pour elle à une nuit profonde. Aussi le Prophète disait-il admirablement : En plein midi le soleil sera couché pour eux. (Amos, VIII, 9.) Sans doute l'astre ne se couche point, son cours n'est pas interrompu. 1liais au milieu de l'éclat du jour, une , âme affligée se croit plongée dans les ténèbres. Les ténèbres de la nuit ne sont rien en comparaison des ténèbres que produit la tristesse. Celles-ci ne sont pas l'effet des lois de la nature, mais bien de l'obscurcissement des pensées; ténèbres horribles, insupportables, effroyables à voir, plus cruelles que tous les tyrans. En vain essaie-t-on de les dissiper elles résistent; une fois en possession d'une âme, elles la chargent comme d'une chaîne d'airain, à moins qu'elle ne déploie beaucoup de sagesse.
3. Ai-je besoin d'entrer dans de plus longs développements, quand je puis vous donner des exemples et par là vous faire sentir toute la force de ce mal ? Toutefois, si vous le permettez, avant d'en venir aux exemples, je vais vous fournir une seconde preuve des douleurs que cause la tristesse. Adam, après ce péché si grave, qui entraîna la perte du genre humain tout entier, s'entendit condamner au travail. Eve était plus coupable; sa faute était si énorme, que celle d'Adam n'était rien, pour ainsi dire, en comparaison; Adam, dit en effet l'Ecriture, ne fut point séduit; c'est la (416) femme qui se laissa séduire et viola la défense du Seigneur. (I Tim. II, 14.) Eve s'était donc laissé tromper, elle avait violé la loi de Dieu, elle avait préparé pour elle et pour son époux la coupe empoisonnée. Aussi Dieu la condamna-t-il à la tristesse, qui de sa nature est plus accablante que le travail. Je multiplierai, dit le Seigneur, oui, je multiplierai tes douleurs et tes gémissements. Tu enfanteras les fils dans la douleur. (Gen. III, 16.) Pour Eve, point de travail, point de sueurs, point de fatigues; mais la tristesse, les gémissements, les tourments qui en résultent, aussi terribles, plus terribles mille fois que la mort.
Qu'y a-t-il cependant de plus terrible que la mort? N'est-ce pas le plus effrayant des maux? un mal horrible, insupportable, digne d'un torrent de larmes? N'est-ce pas, selon saint Paul, la peine que le Seigneur inflige au plus énorme de tous les crimes? Ceux qui s'approchent indignement des saints mystères , qui viennent s'asseoir indignement à ce festin redoutable, subissent la mort comme châtiment de leur crime : C'est pourquoi, dit-il, beaucoup parmi vous sont faibles et infirmes. Il y en a même beaucoup qui dorment. (I Cor. II, 30.) N'est-ce pas le supplice qu'infligent les législateurs à ceux qui ont commis de grands crimes? N'est-ce pas aussi la peine portée par là loi de Dieu contre ceux qui tombent dans de grandes fautes? Quelle frayeur la mort ne produisit-elle pas dans l'âme d'Abraham ? Elle étouffa les cris de la nature, et le détermina à livrer son épouse aux passions des barbares, et à la tyrannie des Egyptiens, à imaginer ce drame si injurieux pour Sara, et à la prier de jouer elle-même son rôle dans cette tragédie. Il ne rougit pas de dire le motif qui le porte à faire usage d'un pareil moyen : Quand les Egyptiens te verront, dit-il à Sara, quand ils verront ta beauté et les charmes de ton visage, ils me feront mourir pour te garder. Dis que tu es ma soeur, afin que l'on m'épargne, et qu'on me laisse la vie à cause de toi. (Gen. XII, 12, 13.) Voyez-vous comme la crainte et l'effroi remuent cette âme sage et élevée? Voyez-vous cette âme d'airain vaincue dans ce combat? Il dément son origine, il impose à sa femme un 'rôle étrange, c'est une brebis qu'il expose à la fureur des loups. Qu'y a-t-il de plus insupportable pour un homme que de voir sa femme outragée? un simple soupçon l'indigne. Pour Abraham, ce n'est pas un soupçon, mais une certitude; et ces outrages, non-seulement il les connaît, mais il les provoque lui-même; et néanmoins il s'y résigne et les supporte. C'est une passion qui triomphe en lui d'une autre passion; c'est une passion plus vive, la crainte de la mort, qui l'emporte sur une passion moins vive, la crainte de la honte et du déshonneur.
Le grand Elie lui-même craint la mort, et s'enfuit devant les menaces d'une prostituée. Il avait fermé le ciel, il avait fait tant de miracles, et quelques mots suffirent pour le glacer de terreur. Cette âme vraiment céleste éprouve tant d'effroi, que le prophète abandonne sa patrie, ce peuple si nombreux, pour lequel il avait couru de si grands dangers. Oui le prophète s'exile, il voyage seul pendant quarante jours et se rend dans le désert; et cependant que d'assurance, quelle hardiesse de langage, que de courage il avait déployé ! La mort est un mal vraiment affreux; chaque jour elle se précipite sur le genre humain, et chacune de ses victimes nous trouble, nous consterne, comme si c'était la première. Rien ne peut nous rassurer, ni la pensée du peu de temps que nous avons à vivre, ni la contemplation, ni la méditation habituelle de la mort. La série des siècles n'a pu faire vieillir cette tristesse et cet effroi : ces sentiments sont toujours nouveaux , toujours forts , et chaque jour ils remplissent nos âmes d'une nouvelle crainte. Eh ! peut-il en être autrement? Qui ne serait troublé, qui ne serait consterné quand il voit immobile, muet comme une pierre, cet homme qui hier encore ou peu de jours avant, se promenait, traitait ses mille affaires, s'occupait de son épouse, de ses enfants, de ses serviteurs, de cités entières ; menaçait, terrifiait, remettait une peine, en infligeait une autre, faisait mille travaux dans sa ville ou dans le pays qu'il habitait ? Tous le regrettent, ses amis fondent en larmes, son épouse est éperdue de chagrin, elle se meurtrit le visage et s'arrache les cheveux; autour d'elle ses innombrables servantes poussent des cris de douleur, et lui il ne remarque rien de tout cela ! Encore une fois, qui ne serait effrayé à cette pensée que tout a disparu, raison, talent, âme, grâce et beauté du visage, mouvement des membres ; et qu'à tous ces avantages succède ce qu'il y a de plus rebutant, le silence, l'insensibilité, la corruption, les vers, la cendre, la poussière, la puanteur, une complète dissolution, jusqu'à ce que le (417) cadavre soit réduit à quelques os informes et hideux.
4. Et cependant cette mort si effrayante (sa nature et la crainte qu'elle inspire aux saints, vous l'ont assez montré), n'est rien en comparaison de la tristesse. Si je suis entré dans ces développements, c'est pour vous faire bien comprendre la rigueur de la peine que vous supportez,et vous exciter à attendre une récompense, je ne dis pas proportionnée, mais bien supérieure aux maux que vous endurez. Je veux vous le prouver par l'exemple de ceux qui, comme vous, ont ressenti de la tristesse; c'était du reste mon dessein dès le début de cette lettre.
Quand Moïse vint annoncer aux Hébreux leur délivrance et la fin de leur captivité, ils ne voulaient pas même l'entendre. Et Moïse nous apprend la cause de cette conduite : Moïse parla au peuple; et le peuple, par pusillanimité, ne voulut point l'entendre. (Exod. VI, 9.) Bien plus, quand le Seigneur menace les Juifs des plus rigoureux châtiments s'ils violent sa loi, la tristesse vient après toutes les autres peines : il les menace de la captivité, de l'exil, de l'esclavage, de la famine, de la peste; il les menace de les réduire à manger la chair des hommes, et il ajoute : Je leur donnerai un coeur affligé, des yeux défaillants, une âme languissante. (Deut. 28-65.) Mais pourquoi rappeler les Juifs, ce peuple ingrat et indiscipliné, esclave de la chair, dépourvu de sagesse, quand je puis invoquer l'exemple d'hommes admirables par la grandeur et l'élévation de leurs âmes ? Les apôtres avaient passé trois ans dans la compagnie du Sauveur; ils avaient reçu de sa bouche les plus sublimes enseignements sur l'immortalité et d'autres mystères, ils avaient opéré de merveilleux prodiges, ils avaient mangé, conversé avec lui dans de délicieux entretiens, ils s'étaient instruits à son école; ils le retenaient au milieu d'eux, ils s'attachaient à lui comme des enfants s'attachent au sein de leur mère; ils ne cessaient de lui demander : où allez-vous? Et cependant dès qu'il les eut contristés par quelques-unes de ses paroles, le chagrin s'empara d'eux avec tant de violence, ils éprouvèrent des angoisses telles, qu'ils cessèrent de l’interroger. Jésus-Christ le leur reprocha en leur disant : Vous m'avez entendu vous dire que je retourne à Celui qui m'a envoyé et personne de vous ne me demande : où allez-vous ? Depuis que je vous ai dit ces choses, la tristesse s'est emparée de vos coeurs. (Jean, XVI, 5-6.) Voyez-vous comme la tristesse avec sa violence enveloppe leur amour d'épaisses ténèbres, comment elle les captive, comment elle se les assujettit? Voyez aussi le prophète Elie (car je ne veux point le laisser encore) : Il s'enfuit, il quitte la Palestine, cédant à la violence de sa tristesse ; cette tristesse si violente, l'auteur de son histoire, nous la redit dans ces paroles: Il s'en alla pour obéir à son âme; entendez maintenant ce qu'il demande au Seigneur: C'est assez, Seigneur, dit-il. Prenez ma vie; car je ne suis pas meilleur que mes pères. (III Rois, XIX, 34.) Ce qu'il demande, n'est-ce pas le plus terrible des maux, le plus grand des supplices, la peine infligée aux grands crimes, et ne regarde-t-il point la mort comme un bienfait? Tant il est vrai que la tristesse est plus pénible que la mort. C'est pour échapper à la tristesse, que le prophète souhaite de mourir.
5. Ici je veux répondre à une objection. Je sais que vous aimez ces sortes de réponses. Quelle est donc cette objection? la voici : Si la mort, aux yeux du Prophète, était moins pénible que la tristesse, pourquoi donc voulait-il éviter la mort en quittant sa patrie et ses concitoyens ? pourquoi, voulant naguère y échapper, la souhaite-t-il aujourd'hui? - mais c'est afin que vous compreniez mieux combien la tristesse est plus cruelle que la mort. Quand la crainte de mourir possédait seule son âme, il faisait tout ce qu'il pouvait pour échapper à la mort. Mais quand une fois la tristesse eut pénétré dans son coeur, et lui eut fait sentir sa violence, le rongeant, le consumant, le déchirant, lui faisant endurer des tourments horribles, alors elle lui sembla plus affreuse que le plus affreux des supplices. — Jonas, lui aussi, appelait la mort pour se soustraire à la tristesse : il la demandait à Dieu en ces termes : Prenez ma vie, disait-il, la mort pour moi est préférable à la vie. (Jon. IV, 3:) David à son tour, soit qu'il parle en son nom, ou au nom d'une autre personne plongée dans l'affliction, exprime le même désir : Le pécheur, dit-il, s'est élevé contre moi; alors je me suis tu, j'ai été humilié, j'ai été privé de toits les biens, et ma douleur a été renouvelée. Mon coeur brûlait au dedans de moi, et mes pensées y allumaient une flamme ardente. (Ps. XXXVIII, 2-4.) Cette flamme, c'est la tristesse plus dévorante que toute espèce de flammes. Il ne peut plus en (418) supporter les ardeurs ni les souffrances, et il s'écrie : Ma langue a laissé échapper les désirs de mon coeur. Quels sont donc vos désirs? dites-le-nous, ô David ! Ce qu'il souhaite , c'est la mort. Faites-moi connaître ma fin, dit-il, et le nombre de mes jours, afin que je sache combien de temps encore il me reste à vivre. (Ibid. 5.) Elie ne s'exprime point dans les mêmes termes; mais ses paroles ont le même sens. Quand il dit : Je ne suis pas meilleur que mes pères, n'est-ce pas comme s'il disait : Faites-moi connaître le terme de mes jours, afin que je sache tombiez de temps encore il me reste à vivre ? c'est-à-dire: Pourquoi me laisser sur la terre? pourquoi m'en retirer si tard? tant d'autres l'ont déjà quittée, et moi je traîne ici une longue existence. Telle est la force de son désir, du sien, dis-je, ou de ceux au nom desquels il parle, qu'en attendant l'arrivée de la mort, il voudrait savoir le moment où elle viendra. Faites-moi savoir la fin de mes jours , et j'en éprouverai la plus grande joie. Ainsi donc, un mal si horrible devient désirable, grâce aux intolérables souffrances de la tristesse et de cette ardeur qui dévore l'âme. Mes pensées, dit-il, allument en mon coeur une flamme ardente.
C'est donc un bien grand supplice que celui que vous endurez; espérez aussi de grandes récompenses, des palmes brillantes, d'ineffables jouissances, des couronnes composées des plus belles fleurs. Ce n'est pas seulement en faisant le bien, c'est aussi en souffrant le mal avec patience que l'on se rend digne de ces récompenses magnifiques. — Je vais maintenant vous tenir un langage plein d'utilité pour vous et pour tout le monde, bien propre à porter les âmes à la patience, et à les empêcher de faiblir en présence des combats qu'elles ont à soutenir contre l'adversité.
6. Que la tristesse soit le plus horrible des maux, qu'elle les surpasse -tous par les souffrances qu'elle procure, nous l'avons assez fait voir. Il nous reste maintenant à comparer entre elles les vertus et les douleurs, pour vous faire bien comprendre que Dieu ne récompense pas seulement les vertus, mais aussi les souffrances, qu'il les récompense magnifiquement, aussi magnifiquement, plus magnifiquement même que les vertus. Je vais, si vous le permettez, faire paraître devant vous un modèle admirable de patience, un athlète, célèbre à la fois par ses vertus et par ses souffrances, cette âme d'airain, cette âme ferme comme le roc, qui habita le pays d'Ausitide, et remplit tout l'univers de l'éclat de ses vertus. Je vais donc vous exposer ses vertus et ses souffrances, afin que vous puissiez les comparer ensemble. Quelles étaient donc ses vertus ? Ma maison, dit-il, a été ouverte à tout le monde; c'était comme un port ouvert à tous les voyageurs. (Job, 31, 32.) Tout ce qu'il possédait, il le possédait moins pour lui que pour les pauvres. J'étais, dit-il, j'étais l'oeil de l'aveugle et le pied du boiteux. (Job, XXIX,15-17.) Je servais de père à quiconque était faible; j'examinais avec soin les différends dont j'étais l'arbitre; je brisais les dents des hommes injustes, et je leur arrachais leur proie. Le faible qui avait besoin de quelque secours, n'éprouvait jamais de refus, et personne ne sortait de chez moi sans avoir rien reçu. (Job, XXXI, 16, 34.) Comme la charité de Job se multiplier comme sa compassion sait venir en aide à tous les besoins ! il soulage les pauvres, il soutient les veuves, il défend ceux que l'on outrage, il se montre terrible contre ceux qui commettent l'injustice. Son zèle ne se bornait pas à protéger, à porter secours, comme c'est la coutume de tant d'autres, il voulait voir l'oeuvre couronnée de succès, et il y mettait toute son ardeur. Oui, dit-il, je brisais les dents des hommes injustes (Job, XXIX,17), ma prudence était comme nu rein part dressé contre leur méchanceté. Non-seulement les injustes entreprises des hommes, mais les dangers venant de la nature trouvaient un obstacle dans sa sollicitude : il savait tes écarter à force de vigilance et de soins. S'il ne pouvait rendre les membres perdus, c'est-à-dire, les yeux aux aveugles, les pieds aux boiteux, il leur tenait lieu de ces membres. Grâce à lui, les aveugles voyaient, les boiteux marchaient. Y a-t-il rien de comparable à cette humanité? quant à ses autres vertus, vous les connaissez : inutile de vous redire son affabilité, sa douceur, sa sagesse, sa modération ; autant il s'indignait contre ceux qui outrageaient le prochain , autant on le voyait plein de douceur et de mansuétude à l'égard de tous les autres, à l'égard de ses serviteurs eux-mêmes, qui témoignaient la vivacité de leur amour en s'écriant : Qui nous donnera de nous rassasier de sa chair? (Job, XXXI, 31.) Si telle était l'affection des serviteurs, s'il se montrait si plein de douceur à l'égard de gens qu'il faut souvent faire (419) trembler, quelle ne devait pas être sa bonté envers les autres hommes ?
7. Telles et plus nombreuses encore étaient les vertus de Job. Passons maintenant en revue les souffrances qu'il endura, comparons-les avec ses vertus, et voyons à quelle époque il s'acquit le plus de mérites. Est-ce au temps où il pratiquait ces vertus, ou bien quand il endurait ces souffrances si cuisantes, quand il ressentait l'amertume de la tristesse? Quand est-ce donc que Job parut surtout admirable? Est-ce quand il ouvrait sa porte à tout le monde, ou bien quand, après la ruine de sa maison, il ne fit entendre aucun murmure, et se prit au contraire à bénir Dieu ? Dans le premier cas il pratiquait une vertu, dans le second il endurait une peine. A quel moment se montra-t-il plus digne d'admiration, dites-moi? Est-ce quand il offrait des sacrifices pour ses fils, et les exhortait à la concorde, ou bien quand, après les avoir su écrasés sous les ruines de sa maison, enlevés ainsi par un trépas si lamentable, il souffrit patiemment cet horrible mal lieur? Etait-il plus admirable quand il réchauffait les épaules du pauvre avec les toisons de ses brebis, ou bien quand, à la nouvelle ce que le feu du ciel était tombé sur ses troupeaux, et les avait consumés eux et les bergers, il supporta cette perte sans murmure, sans plainte et sana trouble? Y avait-il plus de gloire à se servir de sa santé pour venir en aide à ceux que l'on outrageait, à broyer les dents des hommes injustes, à leur arracher leur proie, à être comme le refuge des opprimés, qu'à voir son propre corps, naguère le rempart (les opprimés, rongé maintenant par les vers, étendu sur un fumier, couvert d'ulcères , qu'il nettoyait avec un coquillage? J'amollis les mottes de terre, disait-il, en nettoyant mes plaies. (Job, VII, 5.) Autrefois c'étaient des actes de vertu ; maintenant ce sont des souffrances, et ces souffrances lui ont valu plus de gloire que ces vertus. C’était en effet la partie la plus rude du combat, celle qui exigeait le plus de courage, le plus de fermeté, le plus de sagesse et le plus d'amour de Dieu. Au temps des vertus de Job, le démon osait, (sans doute avec une rare impudence et une rare méchanceté), mais enfin il osait l'accuser, et il disait : Est-ce avec désintéressement que Job honore Dieu? ( Job, I, 9.) Mais quand il le vit plongé dans le malheur, il s'enfuit, couvert de confusion, il s'éloigna, sans que son impudence pût trouver matière à la moindre objection. Job avait mérité la plus belle des couronnes, il avait atteint le sommet de la vertu, donné de son courage une preuve évidente, déployé la plus admirable sagesse. Ce saint homme voulant montrer aussi combien la tristesse est plus à craindre que la mort, appelait la mort un repos. La mort, disait-il, est un repos pour l'homme. (Job, III, 123.) Et il la demandait comme un bienfait, afin d'être délivré de sa tristesse : Qui me donnera, disait-il, de voir se réaliser ma prière! Puisse le Seigneur m'accorder ce que je désire! Il a commencé, ah! qu'il achève, qu'il m'écrase et me fasse mourir! Que cette ville sur les murs de laquelle je dansais, soit enfin mon sépulcre ! (Job, VI, 8.) Ainsi donc rien de plus accablant que la tristesse; aussi reçoit-elle de plus grandes récompenses.
8. Comprenez bien l'avantage qui revient des souffrances. Quand même on ne souffrirait pas à cause de Dieu (ce n'est pas une exagération de ma part), on a beaucoup de mérite si l'on souffre avec courage et sans se plaindre. Job ignorait qu'il souffrît pour Dieu, et cependant il obtint la couronne du vainqueur, parce que sans savoir la cause de ses souffrances, il les supportait généreusement. Lazare tomba malade (certes, ce n'était point là souffrir à cause de Dieu) ; cependant il souffrait, il montrait de la patience, il ne recevait de soins de personne; il était rongé par ses ulcères, par la faim qu'il endurait; riche le traitait avec mépris et cruauté souffrit avec courage, aussi vous savez qu’ elles couronnes lui valurent ses souffrances. Peut-on citer une seule bonne oeuvre qu’il ait faite ? Eut-il pitié des pauvres, vint-il en aide aux opprimés , fit-il aucune action de ce genre? Non; mais il gisait à la porte du riche, il était malade; les chiens venaient lécher ses blessures, le riche le dédaignait , et tout cela lai causait d'horribles souffrances. Et cependant sans s'être distingué par aucun acte de générosité, pour avoir supporté courageusement tous ses maux, il eut les mêmes récompenses que le saint patriarche. Je vais plus loin, et ce que je vais ajouter, peut paraître étrange; mais cependant rien de plus vrai : accomplirait-on quelque action grande et généreuse, la récompense sera médiocre, si elle n'a exigé ni fatigues, ni dangers, ni souffrances ; Chacun en effet recevra sa récompense en proportion de son travail (I Cor. III, 8); non pas en proportion de la grandeur de l'acte accompli, mais en proportion des souffrances (420) qu’il a endurées. Aussi l'apôtre saint Paul se glorifie-t-il non pas du bien qu'il a fait, mais des grandes actions qu'il a exécutées, mais de l'excès des maux qu'il a soufferts. Après avoir dit en effet. Ils sont ministres du Christ; je le dirai, dussé-je passer pour imprudent, je le suis plus qu'eux (II Cor. XI, 23) ; il s'applique à montrer ce qui le rend supérieur aux autres. Il ne dit pas : J'ai prêché l'Evangile à tant et tara de peuples. Non, il laisse de côté ses actions pour ne parler que de ses souffrances, et il les énumère en ces termes : J'ai été accablé de fatigues, couvert de blessures, jeté souvent en prison, souvent aussi exposé à la mort, j'ai reçu des Juifs deux cents coups, j'ai été trois fois battu de verges, lapidé une fois, j'ai fait trois fois naufrage, un jour et une nuit j'ai été dans les profondeurs de la mer. Sans cesse en voyage, sans cesse en danger de périr, les tempêtes, les voleurs, ma nation, les autres peuples, les villes, les déserts, l'océan, les faux frères me font courir des dangers. Je suis accablé de travaux, de fatigues, de veilles, de faim, de soif, de pauvreté. En outre, les choses du dehors me pressent continuellement. (II Cor. XI, 23-28.)
9. Voyez-vous comme il énumère ses souffrances ; comme il y trouve matière à se glorifier ! Il rappelle ensuite les vertus qu'il a pratiquées, et encore leur mérite vient-il moins de l'acte lui-même que des souffrances endurées pour l'accomplir. Après avoir dit : Ces conjurations de chaque jour formées contre moi, c'est-à-dire : ces emprisonnements, ces tumultes, ces embûches (car telle est la force du mot employé par l'Apôtre), il ajoute : La sollicitude de toutes les Eglises. (Ib. XXVIII.) Il ne dit pas, la réforme, mais la sollicitude, expression qui désigne la souffrance plutôt qu'une action vertueuse. Il en est de même pour ce qui suit : Qui est malade, sans que je le sois aussi? Il ne dit pas, sans que je cherche à le guérir, mais bien, sans que je sois aussi malade. Et encore : Qui est scandalisé, sans que je brûle au dedans de moi? (Ibid. XXIX.) Il ne dit pas : Sans que je l'aie délivre du scandale; mais sans que j'aie partagé sa tristesse, Voulant ensuite montrer qu'il est surtout récompensé pour avoir souffert, il dit : S'il faut me glorifier, je me glorifierai de mes infirmités. (Ibid. XXX.) A tout ce qui précède il ajoute une autre circonstance de même nature, et rappelle qu'il sortit de prison par une fenêtre, au moyen d'une corbeille glissant le long des murs; n'était-ce pas là encore souffrir? Si donc les souffrances sont magnifiquement récompensées, s'il n'est point de souffrance plus grande que la tristesse, voyez quelles récompenses lui sont réservées ! Je ne cesserai de vous le redire; et comme je vous l'ai promis en commençant, c'est dans la tristesse même que je puiserai des motifs de consolation.
Soyez de plus en plus convaincue que la soi souffrance donne du prix aux belles actions, et qu'elles en ont beaucoup moins, si la souffrance ne s'y trouve jointe. Ce Nabuchodonosor, roi de Babylone, dont la main portait un sceptre et la tête une couronne, remplit un jour une mission, pour ainsi dire, évangélique. Après le miracle de la fournaise, il fit entendre ses prédications par tout l'univers; il ne se contenta point d'élever lui-même la voix, mais il envoya dans toutes les parties de la terre une lettre qui disait : Nabuchodonosor à tous les peuples, tribus et langues, qui habitent dans le monde entier, paix et bonheur ! Il m'a semblé bon de vous faire connaître les miracles et les prodiges que le Dieu Très-Haut vient d'accomplir parmi nous. Il a fait éclater sa grandeur et sa force; son règne est éternel, et sa puissance s'étend de génération en génération. (Dan. III, 98, 100.) Et il publia un décret portant que tout peuple, toute tribu, toute langue qui prononcerait une parole contre le Dieu de Sidrac, de Misach et d'Abdénago, serait mis à mort, et que la maison du coupable serait livrée au pillage. Il ajoutait: Il n'y a pas d'autre Dieu qui puisse ainsi sauver de la mort. (Ibid. 96.) Que de menaces dans cette lettre! N'est-elle pas vraiment terrible? Nabuchodonosor n'est-il pas un prédicateur sublime, et sa lettre ne se répand-elle pas dans tout l'univers? Or, dites-le moi, sera-t-il récompensé comme les apôtres, pour avoir publié la puissance de Dieu, pour avoir. déployé tant de zèle et d'activité pour la proclamer jusqu'aux extrémités du monde? Non, certes, il s'en faut bien. Cependant sa mission ressemble à la leur. Mais il la remplit sans éprouver de fatigues ni de souffrances, et voilà ce qui en diminue le mérite. Le roi de Babylone fait usage de sa souveraine puissance et ne court aucun danger; les apôtres, au contraire, on s'oppose à leurs efforts, ou les chasse, on les accable de coups; ils vivent dans l'indigence, ils sont précipités du haut des édifices, jetés à la mer, tourmentés par la faim ; ils meurent chaque (421) jour, et à toutes ces souffrances, s'ajoutent les douleurs de l'âme, ils sont faibles avec les faibles, un feu intérieur les dévore, quand un de leurs frères est scandalisé. Voilà les souffrances, voilà surtout la tristesse qui leur vaut de si belles récompenses. Chacun, dit saint Paul, recevra une récompense proportionnée à ses travaux. (I Cor. III, 8.) C'est ce que je ne cesserai moi-même ale vous répéter. Paul demanda souvent au Dieu miséricordieux d'être délivré de ses maux et de sa tristesse , de tant de douleur et de tant de périls, mais il ne fut point exaucé. Trois fois, je fis cette prière au Seigneur (II Cor. XII, 8), nous dit-il, et je n'obtins point ce que je désirais. Et comment, en effet, pouvait-il mériter une ample récompense? Etait-ce en prêchant sans fatigue, en vivant clans les délices, et le repos? Etait-ce en demeurant assis dans sa maison, n'ayant d'autre peine que celle d'ouvrir la bouche et de remuer les lèvres ? Rien de plus facile que tout cela, et rien qui s'accorde mieux avec la mollesse et la délicatesse de la vie. Ce que Dieu récompensera dans l'Apôtre, ce sont ces blessures, ces morts de tous les instants, ces courses sur terre et sur mer, cette tristesse, ces larmes, ces douleurs; ces récompenses, ces couronnes, il les recevra avec cette assurance que donne le mérite : Durant trois jours et trois nuits, dit-il, je n'ai pas cessé d'avertir chacun de vous, les larmes aux yeux. (Act. XX, 31.)
10. Méditez toutes ces choses, songez aux récompenses que promet une vie passée dans le travail et la douleur, et soyez transportée de joie. Oui, dès votre enfance vous avez mené une vie riche de mérites, et digne de couronnes sans nombre, une vie toute remplie de continuelles souffrances. Des maladies de toute sorte, des maladies mille fois plus cruelles que la mort ont sans cesse assiégé votre corps ; puis les insultes, les outrages, les calomnies n'ont cessé de fondre sur vous. Enfin, que de chagrins, que de larmes, ont fatigué votre âme, sans lui laisser un instant de repos ! Chacun de ces maux n'est-il pas pour celui qui les endure, la source des plus grands avantages Lazare, pour avoir été malade, jouit du même bonheur que le patriarche; quelques outrages valurent au publicain une justice bien supérieure à celle du pharisien, qui l'insultait; le prince des apôtres effaça par ses larmes cette faute qui venait de faire à son âme une si cruelle blessure. Une seule de ces souffrances, vous le voyez, fut magnifiquement récompensée dans chacun d'eux; quelles récompenses ne recevrez-vous donc pas, vous qui les avez endurées toutes ensemble, au plus haut degré et à tous les instants de votre vie? Ce qui surtout comble de gloire, ce qui ravit le plus d'admiration, ce qui vaut les plus grands avantages, ce sont les tentations fréquentes, les dangers nombreux, les fatigues, les chagrins, les embûches dressées par ceux qui à aucun titre ne devaient le faire , si on souffre tout cela avec patience. Savez-vous ce qui rendit surtout illustre et heureux le fils de Jacob? Ce fut cette calomnie imaginée contre lui, cette prison, ces chaînes et les souffrances qui en résultèrent. Oui, sa chasteté le couvrait de gloire, puisqu'elle triompha de la passion de l'égyptienne, et repoussa cette misérable qui voulait le séduire; et cependant ses souffrances lui furent plus méritoires encore. Quelle gloire y a-t-il, je vous le demande, à ne point commettre d'adultère, à ne point outrager un époux, à ne point souiller une couche nuptiale à laquelle on n'a aucun droit, à ne point faire injure à celui dont on a reçu des bienfaits, à ne point plonger la maison de son maître dans l'opprobre et l'infamie? Mais ce qui était glorieux pour lui, c'était le danger qu'il courait, c'étaient ces embûches qui lui étaient tendues, c'était la fureur de cette femme ivre de passion, la violence qu'elle lui faisait; c'était cette prison que l'adultère lui avait apprêtée dans la chambre nuptiale elle-même, ces filets qui l'enlaçaient de toute part, cette accusation, ces calomnies, cette captivité qui en résulta; c'était de se voir injustement condamné après un combat qui devait lui valoir une couronne, de se voir jeté dans les fers comme un criminel, de partager le sort des grands coupables, et d'être plongé avec eux dans les horreurs d'un cachot. A mes yeux, il brille d'un plus vif éclat, que dans ce temps où, sur le trône d'Egypte, il distribue du blé à ceux qui en demandent, met un terme à la famine, et se présente comme un port où tous se réfugient. Oui, je le . trouve plus illustre, les pieds et les mains enchaînés, qu'avec ses magnifiques vêtements et son immense pouvoir. Le temps de sa captivité, c'était le temps du négoce et du gain; le temps de sa puissance, c'était le temps du luxe, du repos, des honneurs , temps de jouissance, il est vrai, mais presque sans profit et sans bénéfice. Oui, je l'admire moins, lorsque son (422) père lui rend hommage, qu'à ce moment où 'l'envie de ses frères le persécute, où il trouve des ennemis jusque dans sa famille. Dès son enfance, ils s'acharnent contre lui, et sans avoir aucun motif de haine; ce qui les chagrinait, ce qui les enflammait de dépit, c'était cette bienveillance particulière dont Jacob le favorisait. Or Moïse, le législateur des Hébreux, nous dit que cette bienveillance avait sa cause ,non dans la vertu de l'enfant, mais dans l'époque où Joseph était venu au monde. Il était né longtemps après les autres, alors que Jacob avait atteint la vieillesse, et c'est pourquoi il l'aimait d'un amour plus tendre. Car les en1ants nés dans ces circonstances sont plus chers que les autres, puisqu'ils sont nés contre toute espérance. Son père l'aimait tendrement, dit la Genèse, parce qu'il l'avait engendré dans sa vieillesse. (Gen. XXXVIII, 3.)
11. Ces paroles de Moïse nous disent, je crois, non la véritable cause de cette bienveillance spéciale, mais plutôt le prétexte mis en avant par Jacob. Il voyait ce jeune homme en butte a la haine de ses frères, et pour essayer de remédier au mal, il imagina ce motif de sa bienveillante, qui ne pouvait exciter une bien vive ,jalousie. La vraie cause de cette tendresse, c'était la vertu toujours croissante et prématurée de Joseph; et la conduite de Jacob envers Benjamin nous le montre clairement; si l'ordre de la naissance eût déterminé la préférence de Jacob, il aurait aimé plus tendrement encore Benjamin qui était le plus jeune. Benjamin naquit après Joseph, et Jacob était plus âgé , quand il l'engendra. C'était donc, comme je l'ai dit, un prétexte inventé pour apaiser cette animosité des frères de Joseph contre lui. Mais il n'y put réussir; la flamme n'en fut que plus ardente. Pour le moment ils ne pouvaient lui nuire autrement qu'en faisant peser sur lui quelque accusation pleine de noirceur; ils lui reprochèrent donc un crime honteux, devançant ainsi cette misérable barbare, et montrant pires qu'elle, puisqu'ils étaient les frères de leur victime. C'était à un étranger qu'elle s'attaquait : pour eux ils exerçaient leur méchanceté contre leur frère.
Là ne se borna point leur cruauté : chaque jour c'étaient de nouvelles attaques: dans le désert, loin de la vue des hommes, ils résolurent de le faire mourir, ils le vendirent, le réduisirent à la condition d'esclave, et jamais servitude ne fut plus affreuse. Ils livrèrent Joseph non pas à des hommes de leur nation, mais à des barbares, qui s'en allaient dans un pays lointain. Dieu, qui voulait le couvrir de gloire, ne s'opposa pas à leurs desseins: il laissa les périls succéder aux périls, sans faire éclater sa colère. La jalousie, la calomnie fit place à un complot homicide, le complot à une servitude plus horrible que la mort. Ne vous contentez point d'effleurer ces réflexions : arrêtez-vous-y. C'est un jeune homme, plein de noblesse, élevé dans la maison paternelle, jouissant d'une entière liberté, tendrement aimé de son père, et le voilà soudain vendu par des frères qui n'avaient rien à lui reprocher, vendu à des barbares qui parlent une langue étrangère, à des hommes cruels, livré à des bêtes sauvages plutôt qu'à des hommes; le voilà, banni de son pays, exilé, esclave, forcé de vivre sur un sol étranger, après avoir joui de la liberté; le voilà réduit à la dernière infortune, après avoir vécu au sein du bonheur; il n'a jamais eu de maître, et il lui faut maintenant obéir à des maîtres cruels, dans un pays barbare et lointain. Mais ce n'est pas encore le terme de ses maux : les embûches succèdent aux embûches! que nous sommes loin de ces songes qui lui prédisaient une si prodigieuse élévation, qui lui annonçaient qu'il serait adoré par ses frères! Les marchands qui l'avaient acheté ne le gardèrent point, mais le vendirent à d'autres barbares plus méchants qu'eux-mêmes. Vous le savez, changer de maître dans de telles conditions, c'est un bien grand malheur. La servitude est bien plus insupportable encore, lorsqu'on tombe de nouveau aux mains d'étrangers plus cruels que les premiers. Le voilà en Egypte au milieu de ce peuple insensé, toujours en guerre avec le Seigneur, sans cesse lançant contre lui l'insulte et le blasphème; le voilà dans cette Egypte , où il suffit d'un homme pour bannir et chasser en exil l'illustre Moïse. Joseph put toutefois y respirer un instant: car ce Dieu miséricordieux dont la providence opère des miracles, avait changé en brebis cette bête féroce qui l'avait acheté. Mais bientôt l'arène s'ouvrit de nouveau, le stade fut de nouveau préparé; bientôt recommencèrent les luttes, les combats, les fatigues, et avec plus de violence que jamais ! L'épouse de Putiphar porta sur lui des regards criminels, elle se laissa captiver par la beauté de son visage, et la violence de la passion fit de cette femme une lionne furieuse. Cette fois encore, (423) c'est un ennemi domestique, mais animé d'autres intentions que ceux d'autrefois. Ceux-là étaient dévorés de haine, et c'est pourquoi ils exilèrent leur frère; celle-ci l'amour l'enflamme, et voici une double, une triple guerre, mille guerres du même coup. Il s'élança par-dessus les filets, il est vrai, en un instant il les eut mis en pièces; mais ne croyez pas qu'il n'eut besoin d'aucun effort. Au contraire il dut éprouver les plus grandes fatigues.
12. Pour vous en convaincre, demandez-vous ce que c'est que la jeunesse, ce que c'est que cette fleur de l'âge. Joseph était alors à la fleur de son âge. N'est-ce pas le moment où la flamme de la nature a le plus de violence, où se déchaînent toutes les tempêtes des passions, où enfin la raison a le moins de force? Les jeunes gens n'ont point d'ordinaire une bien grande prudence pour se soutenir, ni beaucoup d'ardeur pour la vertu; mais l'orage des passions gronde avec fureur, et la raison qui les modère et les gouverne, a trop de faiblesse pour les calmer alors. A tout cela joignez l'incontinence excessive de cette femme. Les Perses entretenaient avec soin les flammes de la fournaise, ils les alimentaient sans cesse en y jetant des matières combustibles. Eh bien ! cette misérable, cette impudique, entretenait une flamme plus ardente, plus dangereuse que celle de la fournaise : elle inondait sa tête de parfum, se couvrait les joues de fard, se peignait les yeux; la mollesse de sa voix, de ses mouvements, de sa, démarche, le luxe de ses vêtements, l'éclat de l'or, mille autres charmes, mille autres attraits pouvaient séduire le jeune hébreu. Un chasseur habile, qui veut prendre un animal difficile à saisir, met en mouvement tous les instruments de son art : elle aussi,qui connaissait la chasteté de son esclave (comment ne l'aurait-elle pas connue après le long séjour de Joseph dans sa maison ?) crut avoir besoin de grands apprêts pour s'emparer de lui, et elle mit cri jeu tous les artifices de la passion. Ce n'était pas assez ; elle sut choisir le temps et le lieu les plus favorables pour tomber sur sa proie. Elle se garda bien de l'attaquer, dès le jour où elle se sentit éprise d'amour pour lui : elle attendit longtemps encore, elle entretint en elle le feu de sa passion, et se prépara avec soin , craignant que trop de promptitude, trop de bruit dans l'attaque, ne mît en fuite sa proie. Mais un jour elle le rencontre seul, occupé à son travail ordinaire : alors elle creuse une fosse plus profonde, elle déploie de toutes parts les ailes de la volupté, comme si déjà elle tenait dans ses filets le jeune esclave : elle se glisse lentement,
et se trouve seule avec lui Non, elle n’était pas seule, car elle avait avec elle la jeunesse de Joseph, la nature, et les artifices qu’elle avait apprêtés : désormais elle emploie la violence pour entraîner au crime cette âme généreuse.
Quoi de plus terrible que cette tentation? peut-il y avoir une fournaise plus ardente, une flamme plus vive et plus impétueuse? Un jeune homme plein de vigueur, esclave, abandonné de tous, sans patrie, étranger, exilé, se voit attaqué par une maîtresse passionnée jusqu'à la fureur, par une maîtresse riche et puissante, dans un lieu solitaire (circonstance bien favorable à la séduction); il est attiré par toutes sortes de charmes, entraîné vers le lit de son maître ; et cela après avoir couru déjà de si grands dangers, après s'être vu dresser des piéges si nombreux? Vous le savez, ceux que le malheur et la peine ont accablés, s'empressent d'accourir dès qu'on les invite à jouir, à se reposer, à mener une vie dissolue. Il n'en fut pas ainsi de Joseph ; mais il montra toujours la même fermeté. Cet attentat de la femme de Putiphar, je n'hésite pas, à le comparer à la fournaise de Babylone, à la. fosse aux lions où fut plongé Daniel, au ventre de la baleine où fut englouti Jonas : je le trouve plus terrible encore. Alors c'était la vie du corps qui était menacée ; ici c'était l'âme même qui était exposée à une mort éternelle; c'était un malheur irrémédiable. Voyez à combien. de titres ce lac était dangereux et funeste ; à la violence, aux artifices, se joignait une; passion effrénée, un feu violent, qui brûlait; non le corps, mais l'âme elle-même. Salomon va nous le redire, lui qui savait tout ce qu'il y avait de dangers à s'entretenir avec une femme unie à un homme par le rnariage. Voici donc ses paroles: Peut-on déposer des charbons sur son sein, sans que les vêtements s'enflamment ? Peut-on marcher sur des charbons ardents, sans se brûler les pieds ? De même si l'on entre vers la femme de son prochain, on peut demeurer pur une fois qu'on l'a touchée. (Prov. VI, 27, 29.) Or voici le sens qu’il a en vue : de même qu'il est impossible de se familiariser avec les femmes sans être consumé d’une flamme intérieure. Mais la situation de Joseph était bien plus effrayante encore. Il ne la toucha point : c'est (424) elle qui se jeta sur lui, et ils étaient seuls ! Et de plus, il avait enduré tant de malheurs, il avait soutenu tant d'assauts , il soupirait si vivement après le repos et la sécurité !
13. Que de filets, que d'attaques pour s'emparer de son âme ! comme elle le déchire de toutes parts ! Ce sont ses mains qui l'arrêtent; c'est le son de sa voix , c'est le fard et les parfums, ce sont les plus riches ornements, les plus riches vêtements, c'est la passion, la mollesse des paroles, une parure efféminée, une solitude qui promettait la sécurité ; ce sont les richesses et la puissance. De plus elle a pour auxiliaires l'âge, la nature, l'esclavage, le séjour en pays étranger. Eh bien ! Joseph triomphe de tout cela. Cette tentation, je n'hésite pas à la proclamer plus cruelle que la haine de ses frères et de ses proches , que cette servitude soufferte sous des maîtres barbares, que ces longs voyages, que ce séjour à l'étranger, que cette prison, ces chaînes, ces maux innombrables qu'il endura si longtemps. Après qu'il eut remporté ce triomphe, il souffla dans ce lieu comme un frais zéphyr, le zéphyr de la grâce de Dieu et de la vertu du jeune homme. Telle était sa tranquillité, telle était sa chasteté , qu'il essaya d'apaiser et d'éteindre la passion de cette femme. Le voilà donc sorti intact du milieu des flammes, comme autrefois ces jeunes hébreux sortirent intacts de la fournaise de Babylone : On ne sentait point en eux l'odeur du feu, dit le Prophète. (Dan. III, 38.) Le voilà cet illustre athlète de la chasteté, aussi ferme que l'airain. Qu'arriva-t-il ensuite et quelle fut la récompense de sa victoire ? Encore des embûches, encore des précipices , encore la mort, les dangers, la calomnie, des haines injustes et stupides. Cette misérable femme, en effet, se console par la fureur de la déception qu'elle vient d'avoir : elle entasse passion sur passion, et à cet amour impudique elle joint une colère criminelle; d'adultère elle devient homicide. Ne respirant plus que cruauté, lançant des regards sanguinaires, elle dresse un tribunal, y place un juge corrompu, le maître lui-même, son époux, un barbare, un Egyptien; et elle y dénonce un crime dont personne ne peut témoigner. L'accusé n'est même pu admis à comparaître ; elle est sûre de la sentence , puisqu'elle s'appuie sur la sottise et la bienveillance du juge, sur la foi de son propre témoignage, sur la servitude de l'accusé. Disant tout le contraire de ce qui avait eu lieu, elle triompha du juge, fit rendre la sentence qu'elle désirait. L'innocent est condamné, on lui inflige une peine terrible, on le charge de fers, on le jette en prison. Ainsi cet homme admirable fut condamné, sans même qu'il eût vu le juge. Ce qui est plus étrange, il fut condamné comme adultère , comme ayant attenté à la couche nuptiale , comme ayant porté les mains sur l'épouse de son maître, comme ayant été pris sur le fait et convaincu. Le juge, l'accusatrice, la peine infligée donnaient du crédit à l'imposture auprès de la multitude qui ignorait la vérité. Mais rien ne put ébranler son âme. Il ne dit pas : Est-ce donc ainsi que se réalisent mes songes ? Est-ce donc là ce que m'annonçaient mes visions ? Voilà donc la récompense de ma chasteté l Un jugement insensé, une injuste sentence, une mauvaise opinion sur ma conduite. On m'a chassé de la maison paternelle comme un débauché, maintenant voici qu'on me traite d'adultère, qu'on m'accuse d'avoir fait violence à la pudeur d'une femme, qu'on me jette en prison , et que tous me regardent comme un criminel. Mes frères , qui devaient m'adorer (c'est ce que prédisaient mes songes), vivent libres, tranquilles, heureux dans leur patrie et dans la maison de leur père; et moi, qui devais régner sur eux, je suis enchaîné avec les violateurs des sépulcres, avec les scélérats, avec les voleurs. Une fois éloigné de ma patrie, me voici plongé dans de nouveaux troubles, dans de nouveaux embarras; même en pays étranger, de nouveaux gouffres se sont ouverts devant moi, de nouveaux poignards ont été aiguisés contre moi. Cette femme, dont les calomnies m'ont attiré tous ces maux, par son double crime est digne du dernier supplice, et cependant elle danse , elle est ivre de joie , elle jouit de ses trophées et porte sur sa tête la couronne du triomphe ; moi, au contraire, moi qui suis innocent, on m'inflige les plus terribles peines. Non il ne dit rien de semblable , il ne pensa rien de semblable; mais, comme un athlète qui va de victoire en victoire, il était calme et joyeux, et ne conservait de ressentiment ni contre ses frères, ni contre cette femme criminelle. Et quelle preuve en avons-nous? Rappelez-vous ce qu'il disait à l'un de ceux qui se trouvaient enchaînés avec lui. Bien loin d'être lui-même plongé dans le désespoir, il dissipait la tristesse des autres. Il en vit dont l'âme était troublée , accablée (425) par le chagrin; aussitôt il s'approcha d'eux pour savoir la cause de leur désespoir. Lorsqu'il eut appris qu'il provenait de certains songes, il s'empressa de les leur expliquer. Ensuite il demande à l'un d'eux de se souvenir de lui auprès du roi : malgré son admirable générosité , il était homme cependant, et ne voulait point se consumer dans les angoisses. Il l'invite donc à se souvenir de lui auprès du roi, à demander sa mise en liberté. Il était forcé de dire la cause pour laquelle on l'avait jeté en prison, afin que l'intercesseur pût alléguer un motif plausible en faveur de son protégé. Or il ne dit pas un mot des injustices qu'il avait souffertes : il déclara son innocence, mais n'alla pas plus loin, et ne parla point de ceux qui l'avaient traité si injustement. On m'a enlevé, dit-il, du pays des Hébreux, et on m'a jeté dans cette prison, sans que j'aie commis aucun crime. (Gen. XL, 15.) Pourquoi donc ne dites-vous rien de cette prostituée, de cette adultère, de vos frères, de leur haine, de leur infâme trafic, de la passion de votre maîtresse, de son attentat, de son intempérance, des piéges qu'elle vous tendit, de ses artifices, de ses calomnies, de la sentence injuste qu'elle fit rendre contre vous, du juge qu'elle corrompit, de cette condamnation portée sans aucun fondement? Pourquoi taire, pourquoi cacher tout cela? Ah! je ne connais point le ressentiment, répond-il; toutes ces injustices me valent autant de couronnes et de palmes; elles sont pour moi d'un profit immense.
14. Quelle sagesse ! que cette âme est au-dessus de la colère, supérieure à l'adversité ! comme elle domine tous les dangers ! Vous le voyez, il déplore plutôt le sort de ses ennemis qu'il ne garde le souvenir des injures. Pour ne point nommer ses frères ni cette femme homicide : On m'a enlevé furtivement, dit-il, du pays des Hébreux, et je ne suis coupable d'aucun crime. Il ne désigne personne, il ne parle ni de la citerne, ni des Ismaélites, ni de qui que ce soit. Mais voici qu'une nouvelle et violente tentation se présente encore ; cet homme que Joseph avait consolé, qui selon sa prédication, s'était vu délivrer de ses chaînes , et rétablir dans son ancienne charge, oublie et le bienfait qu'il avait reçu et la demande que l'homme juste lui avait adressée. Lui , dans le palais du roi, il avait désormais en partage toutes les jouissances; pour Joseph, qui brillait comme le soleil dont la vertu lançait de tous côtés ses rayons éblouissants, il habitait encore une prison, et personne ne songeait à demander au roi sa délivrance. Ce n'était pas encore assez de couronnes ; pas encore assez de palmes : le stade s’agrandissait devant lui, et offrait un plus grand espace à parcourir. Dieu permettait que la lutte se prolongeât; sans abandonner l’athlète, il laissait ses adversaires déployer tous leurs moyens, de manière que l'athlète ne succombât point et que cependant ses ennemis ne missent point de terme à leurs attaques. Il permit qu'il fût jeté dans une citerne, que ses habits fussent teints de sang; mais il ne voulut pas que ses frères le fissent mourir. Sans doute un des frères donna aux autres le conseil de ne pas le faire mourir : mais c'était la providence divine qui disposait toutes choses. Il en fut de même en ce qui concerne la femme de Putiphar. Pourquoi, je vous le demande , cet homme si ardent, si emporté (car vous le savez, tel est le tempérament des Egyptiens) ; cet homme emporté jusqu'à la fureur (la colère, en effet, exerce sur les Egyptiens un empire incroyable), pourquoi, dis-je , n'a-t-il pas fait mourir par le glaive ou jeté dans les flammes cet esclave qu'il regardait comme un adultère, qu'il condamnait comme ayant fait violence à son épouse? Pourquoi malgré cette impudence qui le portait à rendre une sentence, sans avoir entendu les deux parties, sans donner à l'accusé la liberté de parler, montra-t-il tant de clémence au moment du supplice, et cela, quand il était témoin de la fureur et de la rage de son épouse, quand elle se plaignait amèrement de la violence qui lui avait été faite, quand elle montrait les vêtements déchirés , quand redoublaient et sa fureur et ses cris et ses lamentations? Rien de tout cela cependant ne put l'amener à faire mourir Joseph. Pourquoi donc, je vous le demande? N'est-il pas évident que ce Dieu qui mit, pour ainsi dire, un frein à la fureur des lions, qui éteignit, pour ainsi dire, les flammes de la fournaise, contint aussi le courroux sauvage de cet homme, réprima cette colère inouïe pour rendre le supplice moins rigoureux? Dans la prison, c'est encore la même conduite de la Providence. Dieu permet, il est vrai, qu'on le jette dans les fers, au milieu des scélérats; mais il le soustrait aux mauvais traitements du geôlier. Vous n'ignorez pas ce que c'est qu'un (426) geôlier. Eh bien ! le geôlier se montra plein de douceur envers Joseph; non-seulement il ne lui imposa pas de rudes travaux, mais il lui donna autorité sur les autres, et il l'avait reçu comme un criminel, comme un infâme adultère. Ce n'était pas, en effet, à une femme de basse condition, mais à une femme environnée d'éclat et d'honneurs qu'il était censé avoir fait violence. Toutefois rien ne put effrayer le geôlier ni le faire agir cruellement à l'égard de Joseph. Ainsi donc en même temps les afflictions tressaient des couronnes pour l'homme juste, et Dieu l'environnait de secours abondants.
J'aurais voulu vous écrire plus longuement. Mais j'ai déjà dépassé de beaucoup la mesure ordinaire d'une lettre. Je m'arrête donc , et je vous exhorte , comme je l'ai toujours fait, à bannir de votre âme la tristesse qui la remplit encore, à louer Dieu , comme vous l'avez toujours fait et comme vous continuez à le faire, à lui rendre grâces à l'occasion de tant de calamités et de douleurs. Vous recueillerez des fruits abondants, vous ferez au démon de mortelles blessures, vous nous remplirez de consolations; vous n'aurez pas de peine à dissiper cette nuée de chagrins qui voile votre front et à jouir d'une tranquillité parfaite. Arrière donc toute mollesse : sortez, retirez-vous de cette fumée (car cette tristesse vous la dissiperez aussi facilement que la fumée.) Ecrivez-nous que vous avez suivi notre conseil ; et ainsi, même loin de vous, nous trouverons dans vos lettres de quoi réjouir notre coeur.
Peut-être en 407.
Saint Jean Chrysostome apprend à Olympiade que, malgré la rigueur de l'hiver, il se porte bien. — Il l'engage à ne rien négliger pour se guérir. — Avantages des souffrances causées par la maladie. — Exemple de Job, de Lazare, de Timothée. — Il l'exhorte à bannir de son âme là tristesse qui l'accable.
A OLYMPIADE.
1. La rigueur de l'hiver, la faiblesse de notre estomac, les incursions des Isauriens, ne doivent point vous causer d'inquiétude, vous accabler de soucis. L'hiver s'est fait, comme il se fait d'ordinaire en Arménie; voilà tout, et nous n’en avons pas été fort incommodé. Nous nous attendions à ses rigueurs, et nous n'avons rien négligé pour les diminuer. Nous faisons sans cesse du feu, nous fermons bien la chambre où nous restons, nous mettons plusieurs manteaux et nous ne sortons jamais. C'est assez pénible, sans doute, mais nous y trouvons notre avantage et nous patientons. Tant que nous sommes chez nous, le froid ne nous tourmente guère; s'il nous faut sortir, et nous tenir en plein air, nous nous sentons fort incommodé. Aussi, je vous en conjure, je vous le demande comme une grande grâce, faites tout ce qui dépend de vous pour fortifier votre corps. La maladie en effet est une conséquence de la tristesse quand une fois le corps, épuisé par la fatigue, exténué par la maladie, manque des soins nécessaires ; quand il n'a pour se rétablir ni l'art des médecins, ni une température convenable, et les autres ressources indispensables, ah ! il est bien à craindre qu'il ne succombe. Appelez donc, je vous en prie, appelez plusieurs médecins habiles, employez les remèdes propres à rétablir votre santé. Il y a quelques jours, l'état de l'atmosphère nous fatiguait l'estomac et nous donnait des envies de vomir; nous avons fait usage de plusieurs remèdes, entre autres d'une potion que nous a envoyée la vénérable Synclétium, et il nous a suffi de trois jours pour nous guérir. Faites donc vous-même usage de ce remède et dites qu'on vous le procure de nouveau. Chaque fois que nous avons éprouvé ces douleurs d'estomac, nous l'avons employé et elles se sont apaisées. Il calme l'inflammation, il met à la porte les humeurs; il ne manque pas d'une certaine chaleur qui donne des forces et excite l'appétit : en peu de temps nous avons ressenti tous ces heureux effets. Priez donc le vénérable Théophile de nous préparer de nouveau ce même médicament et de nous l'envoyer. Ne vous chagrinez pas de nous voir passer l'hiver en ce pays. Nous nous portons bien mieux que l'année dernière ; et vous aussi , si vous vouliez vous soigner comme il faut, vous jouiriez d'une meilleure santé. C'est la tristesse, dites-vous, qui est cause de vos maladies. Pourquoi réclamez-vous encore une lettre, puisque les précédentes n'ont pu vous rendre le calme, et que, tout au contraire, vous vous plongez dans ces flots de la tristesse, au point de désirer mourir? Ne savez-vous donc pas les récompenses que la maladie mérite à celui qui sait rendre grâces au Seigneur ? Ne vous l'ai-je. (427) pas assez dit, soit de vive voix, soit par lettres? Mais puisque les affaires, ou la maladie, ou les adversités ne vous permettent pas de vous rappeler sans cesse mes réflexions, écoutez encore les mêmes conseils, afin de fermer les plaies creusées par le chagrin. Je ne me lasserai point, dit l'Apôtre, de vous écrire les mêmes choses, et vous y trouverez votre profit. (Philipp. III, 1.)
2. Que vous dirai-je donc aujourd'hui? Il n'est rien de plus glorieux, ô Olympiade, que la patience dans la douleur. La patience est la reine des vertus, c'est la plus belle de toutes les couronnes. Si la patience en général l'emporte sur les autres vertus, la patience dans la douleur l'emporte sur les autres espèces de patience. Il y a peut-être quelque obscurité dans mes paroles; je vais les expliquer. Quelle est donc ma pensée ? Que de patience ne faut-il pas pour supporter avec courage de se voir dépouiller de ses richesses, surtout quand on s'en voit dépouiller complètement, supporter d'être privé de toutes ses dignités, chassé de sa patrie, emmené en exil, accablé de toute sorte de travaux, jeté en prison, chargé de fers, couvert d'opprobres, d'injures et de railleries ! Pour nous en convaincre, il nous suffit de songer à Jérémie, cet homme si parfait, qui ne put cependant rester calme en face de ces épreuves. Eh bien ! ni ces afflictions, ni tant d'autres, comme la perte d'enfants chéris, fussent-ils enlevés tous par une mort imprévue, comme encore les attaques multipliées d'un ennemi cruel, et la mort elle-même, le plus grand des maux, sont moins effrayantes, moins horribles, moins funestes qu'une mauvaise santé. J'en prends à témoin cet admirable modèle de patience, qui, une fois saisi par la maladie, regardait la mort comme le seul remède aux maux qu'il souffrait. Que d'autres souffrances n'endurait-il pas ! Mais il ne les sentait, pour ainsi dire point, malgré les attaques qui se succédaient sans relâche, malgré cette dernière attaque qui semblait devoir être mortelle. Etudiez-en les circonstances: quelle méchanceté, quel artifice de la part de son ennemi! Ce n'est pas tout d'abord, ce n'est pas au début de la lutte, mais c'est quand il le voit accablé déjà sous une multitude de traits, que le démon lui porte ce coup mortel, en faisant mourir ses enfants. Et voyez av ec quelle cruauté ! Ses fils, ses filles étaient dans la vigueur de l'âge : le démon les fait mourir tous ensemble d'une mort violente, et d'une mort qui leur improvise un tombeau. Job ne les vit point étendus sur leurs lits, il ne baisa point leurs mains, il n'entendit point leurs dernières paroles, ne put toucher ni leurs pieds, ni leurs genoux, il ne rapprocha point leurs lèvres, il ne leur ferma point les yeux : toutes choses qui consolent un père au moment, où il se voit privé de ses enfants. Si du moins, après avoir accompagné les uns à leur dernière demeure, il en trouvait d'autres à son retour qui pussent le consoler ! Mais non : on vient lui annoncer que pendant le festin, et c'était un festin, respirant la charité et non la débauche, on vient lui annoncer, dis-je, qu'assis fraternellement à une table frugale ils ont été tous écrasés, engloutis sous les ruines, qu'ensemble se sont trouvés confondus, le sang, les murailles, les coupes, le toit, la table, la poussière et les membres de ses fils. Voilà ce qu'on vint lui annoncer. Que d'autres malheurs n'avait-il pas appris déjà! Ses troupeaux, ses bêtes de somme ou bien avaient été tués par le feu du ciel, ou bien avaient été emmenés par ses ennemis, ou bien avaient été mis en pièces avec leurs gardiens : voilà ce que venait lui apprendre le cruel qui s'était chargé d'un tel message. Or, au milieu de ces désastres, après avoir appris à si peu d'intervalle le ravage de ses champs, la ruine de sa maison, la perte de ses troupeaux, 'la mort de ses fils, à la vue de ces flots s'entassant les uns sur les autres, de ces écueils, de ces profondes ténèbres; de cette affreuse tempête, il n'est point découragé, il semble ne pas s'en apercevoir, et, s'il ne peut comprimer absolument sa douleur, c'est qu'il est homme, c'est qu'il est père. Mais dès qu'il se sent en proie à la maladie, rongé par les ulcères, il désire la mort, il pleure et se lamente. Vous le voyez donc, la maladie est le plus insupportable de tous les maux, et c'est en la supportant, que l'on fait surtout preuve de patience. Le démon ne l'ignorait pas. Quand il eut tout mis en oeuvre et qu'il vit le généreux athlète demeurer calme en présence du malheur, il lui livra ce dernier assaut comme le plus formidable qu'il pût imaginer, convaincu que tout le reste était supportable, mort des enfants, perte des biens ou de tout autre avantage (car c'est là le sens de ce mot Peau pour peau, Job, II, 4), mais que la maladie du corps était une plaie vraiment mortelle. Vaincu dans ce dernier combat, il dut se taire honteusement, au lieu que tout à l'heure (428) il déployait tout son audace et toute son impudence. Mais alors il ne put rien inventer de plus, et se retira couvert de confusion.
3. Si vous souhaitez de mourir, ne dites pas que Job aussi, vaincu par la violence de la douleur, fut réduit à demander la mort. Songez au temps où il vivait, aux circonstances dans lesquelles il se trouvait: la loi n'avait pas encore été donnée aux Juifs, les prophètes n'avaient pas encore paru, la grâce n'avait pas encore été répandue avec abondance, et son âme n'avait point reçu les conseils de la sagesse. Oui, on exige de nous plus qu'on n'exigeait de Job et de ses contemporains, nous avons de plus grands combats à livrer. Ecoutez ce que dit Jésus-Christ : Si votre justice n'est pas plus abondante que celle des Scribes et des Pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux. (Matth. V, 20.) Ainsi donc ne croyez pas qu'il n'y ait point de mal aujourd'hui à désirer la mort; vous savez ce que dit saint Paul : Il vaudrait mieux pour moi mourir et vivre avec Jésus-Christ; mais à cause de vous, il est nécessaire que je demeure ici-bas. (Phil. I, 23, 24.) Plus l'affliction redouble, plus aussi se multiplient les couronnes ; plus l'or a été mis dans la fournaise, plus il a de pureté ; plus le marchand parcourt les mers, plus il amasse de marchandises. Ne vous imaginez donc pas avoir à soutenir un facile combat; non, cette maladie dont vous êtes atteinte, est le plus rude des combats que vous ayez jamais soutenus. N'est-ce pas ce qui valut à Lazare le salut éternel ? (Je vous ai souvent cité cet exemple : rien n'empêche que je ne vous le cite encore.) N'est-ce pas ce qui lui mérita d'être transporté dans le sein d'Abraham, de ce patriarche, qui tenait sa maison ouverte à tous les passants, qui, pour obéir à Dieu, se condamna à un exil perpétuel, se résigna à immoler son fils, son fils unique, un fils qu'il avait eu dans une vieillesse avancée ? Lazare pourtant n'avait rien fait de tout cela : il souffrit patiemment la pauvreté, la maladie, la privation de toute espèce de protecteurs. Quel avantage pour ceux qui endurent patiemment ces douleurs ! Eussent-ils commis les plus grandes fautes, c'est pour eux un moyen d'en secouer le fardeau : sont-ils justes, ils ajoutent par là de grands mérites à leurs autres mérites. Pour les justes c'est l'occasion d'obtenir la couronne dont l'éclat surpasse l'éclat du soleil; pour les pécheurs c'est un moyen d'expier leurs péchés. C'est pourquoi l'apôtre saint Paul livre à la mort de la chair cet homme qui avait outragé l'épouse de son père, et souillé la couche nuptiale; il voulait ainsi lui faire expier son crime. Oui, ces mortifications pouvaient le purifier d'une si abominable souillure. Ecoutez l'Apôtre : C'est afin, dit-il, que l'esprit soit sauvé au jour oit paraîtra Notre-Seigneur Jésus-Christ. (I Cor. V, 5.) A d'autres il reproche un crime horrible, la profanation de la table sainte et de nos sacrés mystères, il leur dit que le profanateur est en quelque sorte homicide du Corps et du Sang du Seigneur. Or voyez ce qui, suivant l'Apôtre, les lave de cette tache affreuse : C'est pourquoi, leur dit-il, il y a parmi vous tant d'infirmes et de malades. (Ibid. I, 5.) II veut leur faire comprendre que ces maladies ne sont pas seulement une punition, mais encore un avantage, en ce qu'elles servent à l'expiation du crime, et c'est pourquoi il ajoute : Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés. En nous jugeant, Dieu nous châtie, pour que nous ne soyons point condamnés avec le monde. (Ibid. XXXI, 32.) Que les justes eux-mêmes trouvent de grands avantages dans la maladie, on le voit assez par l'exemple de Job qui en retire tant de splendeur, par celui de Timothée, cet homme si vertueux, si actif dans le saint ministère dont il était chargé, ce disciple qui, avec l'apôtre saint Paul , vola jusqu'aux extrémités du monde, et qui cependant fut en proie à de violentes maladies, non pas deux ou trois jours, non pas dix jours, ni vingt, ni cent, mais bien plus longtemps encore, et, on peut le dire, presque continuellement : Buvez un peu de vin, lui écrivait l'Apôtre, à cause de votre estomac, et de vos continuelles souffrances. (I Tim. V, 23.) Celui qui ressuscitait les morts ne le guérit point de ses infirmités, il le laissa plongé dans la fournaise de la maladie, pour accroître le nombre de ses mérites. Tout ce qu'il avait reçu du Seigneur, tout ce qu'il avait appris de suri divin Maître , il l'enseignait à son disciple. Il n'était pas malade lui-même, il est vrai, mais les tentations ne le tourmentaient pas moins vivement que ne l'eût fait la maladie, et lui causaient de grandes douleurs dans la chair : J'ai en moi, dit-il, cet aiguillon de la chair, ce messager de satan, qui sans cesse me torture. (II Cor. XII, 7.) II veut parler de ses entraves, de ses chaînes, de (429) ses prisons; il veut dire que ses ennemis l'entraînent, lui déchirent le corps et le battent de verges. Ces douleurs qu'il ressentait dans sa chair lui étaient insupportables, et il disait encore : Trois fois (c'est-à-dire souvent) j'ai prié le Seigneur d'en être délivré. (Ibid. VIII.) Il ne fut point exaucé, mais il comprit toute l'utilité de ces souffrances, et le calme se fit dans son âme, et il se réjouissait de toutes ces persécutions. Vous aussi, bien que vous soyez contrainte dé rester chez vous et de tenir le lit, ne vous imaginez pas que vous menez une vie oisive. Oui, ceux que les bourreaux entraînent, déchirent, torturent, livrent aux plus cruels supplices, souffrent moins que vous ne souffrez : votre bourreau, ce sont les excessives douleurs de cette maladie qui ne vous quitte point.
4. Puisqu'il en est ainsi, gardez-vous bien de souhaiter la mort, et ne négligez point votre corps. Cette négligence serait elle-même coupable. Aussi l'apôtre saint Paul conseille-t-il à Timothée de soigner sa santé. Mais c'en est assez sur ce point. Si vous vous désolez d'être séparée de nous, avez bon espoir, cette séparation aura un terme. Ce n'est point pour vous consoler que je vous le dis; je suis sûr que cela arrivera. Sans parler en effet de tout ce que j'ai souffert à Constantinople, vous pouvez vous faire une idée de tout ce que j'ai enduré, depuis mon départ, pendant ce long et pénible voyage où j'étais sans cesse menacé de mourir; vous pouvez vous imaginer tout ce que j'ai souffert depuis mon arrivée dans ce pays, depuis mon départ de Cucuse; après mon séjour à Arabisse. Eh bien ! nous avons échappé à tant de périls ; nous jouissons à l'heure qu'il est, d'une santé parfaite, et nous sommes complètement rassuré. Les Arméniens s'étonnent qu'avec un corps si faible et si maigre je puisse supporter la violence du froid, respirer encore , quand ceux même qui sont habitués à ces rigueurs, s'en trouvent si fort incommodés. Or jusqu'à ce jour nous n'avons éprouvé aucun accident : nous avons échappé aux mains des brigands, qui souvent se sont jetés sur nous, nous manquons des choses les plus nécessaires, nous ne pouvons pas même prendre de bains. A Constantinople, nous ne pouvions nous en passer : maintenant nous nous trouvons si fort que nous n'en sentons pas même le besoin; notre santé ne semble plus réclamer cet auxiliaire. Rien n'a pu nous abattre, ni l'intempérie de l'air, ni la solitude des lieux, ni le manque de provisions et de serviteurs, ni l'ignorance des médecins. Nous ne prenons pas de bains, nous sommes sans cesse enfermé dans une chambre, comme si nous étions en prison; nous ne sortons jamais, et la promenade nous était si nécessaire autrefois. Nous sommes sans cesse à côté du feu, inondé de fumée, nous avons à craindre les voleurs qui toujours nous assiègent, et malgré tout cela, malgré bien d'autres inconvénients, nous nous portons mieux qu'à Constantinople où nous étions si bien soigné. Songez à ce que je viens de vous dire; bannissez toute tristesse à mon sujet, et ne vous infligez pas de peines si fâcheuses et si superflues. Je vous envoie un livre que je viens d'écrire, et dont voici le titre : Personne n'est blessé que par lui-même. C'est là ce que prétend démontrer l'ouvrage que je vous adresse. Parcourez-le souvent, et même si votre santé vous le permet, lisez-le à haute voix. Ce remède vous suffit, si vous le voulez bien. Mais si vous vous obstinez, si vous ne voulez pas vous traiter vous-même, si malgré tant d'avertissements et d'exhortations, vous ne voulez pas sortir de ce nuage de tristesse; à notre tour nous ne vous écouterons plus, et nous cesserons de vous écrire si souvent ces longues lettres, dont vous ne savez point profiter pour retrouver le calme. Comment verrons-nous donc que vous êtes consolée ? Sera-ce par votre témoignage? Non, mais par les effets; car vous venez de nous le dire, c'est la tristesse qui vous a rendue malade. Grâce à cet aveu, nous croirons que votre tristesse a cessé, si vous recouvrez la santé. Puisqu'en effet, d'après vous, la tristesse est la cause de votre maladie, une fois la tristesse bannie, la maladie certainement disparaîtra, et la racine une fois arrachée, les branches périront. Tant que celles-ci fleuriront, se porteront bien , se couvriront de ces malheureux fruits, nous ne pourrons nous persuader que vous aurez enlevé la racine. Donc plus de paroles, mais des effets : si vous recouvrez la santé, vous recevrez encore des lettres plus longues que ne le seraient des discours. N'est-ce pas un grand motif de consolation pour vous que nous vivions, que nous nous portions bien, qu'au milieu de tant d'ennuis , nous ne soyons ni malade ni infirme? Ah ! nos ennemis s'en attristent et en ressentent une vive douleur. Vous devrez donc de votre côté (430) y puiser une abondante consolation, votre principale consolation. Non, ne dites point due vos amis sont abandonnés : les souffrances qu'ils endurent inscrivent leurs noms dans les cieux. J'ai éprouvé un bien grand chagrin au sujet du moine Pélage. Songez aux couronnes que méritent ceux qui combattent généreusement, quand vous voyez des hommes si pieux, si saints, si patients, se laisser entraîner ainsi dans l'erreur.
Ecrite, à ce que l'on croit, l'an 406.
Saint Chrysostome félicite Olympiade de sa patience. — Il l'exhorte à ne point perdre courage. — Le juste est puissant et heureux, même au sein des persécutions. — Le méchant est faible et malheureux, même au temps de ses succès. — Abel et Caïn en sont la preuve.
A LA MÊME.
1. Votre affliction s'est accrue ! Le stade s'ouvre plus profond devant vous, vous avez une longue course à fournir; la colère de vos ennemis s'enflamme de plus en plus. Cependant ne vous troublez point, ne vous découragez point; réjouissez-vous plutôt, tressaillez d'allégresse , couronnez vos têtes et formez des choeurs. Si vous n'aviez déjà porté au démon des coups mortels, le monstre n'aurait pas accru sa fureur; il n'aurait osé s'avancer plus loin. C'est donc une preuve de votre courage, un gage de triomphe, et une marque de sa défaite, s'il s'élance, s'il se précipite aujourd'hui sur vous avec rage, s'il redouble d'impudence, s'il répand son venin avec plus d'abondance. Quand Job, après avoir perdu ses biens et ses enfants, eut triomphé de ses attaques, le démon ne dévoilait-il pas ses propres blessures, en l'accablant du plus horrible de tous les maux, en assiégeant sa chair, en y faisant pulluler les vers, en la couvrant de mille ulcères? Ces ulcères, c'était comme un choeur, comme une couronne, comme un essaim d'innombrables victoires. Là ne se borna pas sa cruauté : il avait mis en mouvement, il est vrai, sa meilleure machine de guerre (c'était en effet un mal dont l'horreur ne pouvait être surpassée), mais il lui en restait d'autres encore : il arma l'épouse de Job, il excita ses amis contre lui, il remplit ses serviteurs de colère, en un mot, il n'omit rien pour irriter encore ses blessures. Le démon est toujours le même mais tous ses coups retombent sur sa tête: au contraire chaque jour augmente l'éclat de votre gloire, l'étendue de vos richesses et de vos ressources, chaque jour multiplie pour vous les couronnes. Votre courage s'accroît avec les dangers; les attaques de vos ennemis sont comme t'huile qui fortifie votre patience. Telle est en effet la nature de l'affliction; elle élève au-dessus des dangers ceux qui la supportent avec résignation et avec générosité, elle les rend inaccessibles aux traits du démon, et leur fait mépriser toutes ses attaques. Voyez les arbres! s'ils grandissent à l'ombre, ils s'amollissent et ne peuvent produire de fruits; mais s'ils subissent les variations de l'atmosphère, s'ils résistent à l'impétuosité des vents, s'ils reçoivent les ardeurs du soleil, ils prennent plus de force, ils se couvrent de feuillage et de fruits. Il en est de même de ceux qui voyagent sur mer, Est-ce la première fois qu'ils s'embarquent? malgré tout leur courage, ils se troublent, ils s'effrayent, ils sont pris de vertige. Mais s'ils ont souvent parcouru les mers, s'ils ont essuyé de fréquentes tempêtes , s'ils ont rencontré des écueils cachés sous les flots, des rochers, des monstres marins, s'ils ont été attaqués par les pirates , désormais ils ont plus d'assurance que s'ils voyageaient sur le continent, ils s'asseyent, non pas seulement à l'intérieur du navire, sur la carène, mais aussi sur les flancs eux-mêmes; et ils se tiennent debout, soit à la proue, soit à la poupe , sans éprouver la moindre frayeur. Ces marins, que l'on voyait naguère transis d'effroi, une fois qu'ils ont été longtemps exposés à la tempête, on les voit tirer les cordages, déployer les voiles, prendre en main les rames, et courir çà et là sur le vaisseau. Ne vous laissez donc pas abattre par les maux qui fondent sur vous. Nos ennemis, bien malgré eux, sans doute, nous ont réduits à ne pouvoir plus être maltraités, puisqu'ils ont épuisé sur nous tous leurs traits; et tout ce qu'ils ont gagné, ç'a été de se couvrir de honte, de se faire mépriser, d'être regardés comme les ennemis du monde entier. Voilà les récompenses de leurs attaques, voilà le terme de la guerre qu'ils vous font. Oh ! que la vertu est une grande chose, puisqu'elle nous fait mépriser les maux de cette vie ! Les attaques lui sont avantageuses, ses ennemis lui (431) tressent des couronnes, ceux qui la maltraitent augmentent son éclat. Chercher à renverser les hommes vertueux, c'est les rendre plus fermes, plias sublimes, invincibles, inexpugnables; et pour se défendre ils n'ont besoin ni de lances, ni de murailles, ni de retranchements, ni de tours, ni d'argent, ni d'armées, il leur suffit d'une volonté ferme et d'une âme énergique. La vertu, en un mot, triomphe de toutes les attaques des hommes.
2. Voilà, ô très-pieuse Olympiade, ce due vous devez sans cesse vous redire à vous-même et redire à celles qui soutiennent avec vous ce généreux combat. Ranimez ainsi leur courage, rangez votre armée en bataille, et méritez par là une double, une triple couronne, un grand nombre de couronnes, d'abord pour avoir souffert vous-même avec patience, ensuite pour avoir exhorté les autres à vous imiter, à tout endurer sans se plaindre, à mépriser de vains fantômes, des songes trompeurs, à fouler aux pieds cet amas de boue, à ne faire aucun compte de cette fumée, à ne pas regarder comme un péril ces toiles d'araignées, et à ne pas s'attacher à cette herbe sujette à se faner et à se corrompre. Ce sont autant d'images de la vaine félicité d'ici-bas. Elle a moins de prix encore, et je ne sais à quoi l'on pourrait l'assimiler. Ce n'est pas seulement au néant : elle est très-funeste à ceux qui soupirent après elle, non-seulement dans le siècle futur, mais aussi dans la vie présente, dans le temps même où elle semble le plus féconde en délices. Si la vertu tressaille, fleurit, brille du plus vif éclat, lors même qu'on lui fait la guerre; le vice, à son tour, même entouré d'honneurs et de flatteries , montre toute sa faiblesse, provoque le rire, et paraît plus ridicule que ne le sont les personnages de comédie. Qu'y a-t-il de plus misérable que Caïn, au moment même où il semblait triompher de son frère, où il semblait avoir assouvi ce courroux, cette injuste et exécrable colère? Qu'y a-t-il de plus affreux que cette main, chargée, ce semble, des palmes de la victoire, cette main qui vient de frapper le coup mortel et accomplir le fratricide ? Qu'y a-t-il de plus hideux que cette langue, après cet abominable artifice qu'elle vient d'imaginer, après ces piéges qu'elle vient de tendre ? Et que dire des membres qui ont exécuté le meurtre ! Il était tourmenté dans tout son être, en proie à de perpétuels gémissements, à une perpétuelle frayeur. O spectacle inouï, victoire étrange, trophée d'un genre tout nouveau ! Celui qui venait d'être égorgé, celui qui était là gisant, se voyait couronner et célébrer comme un vainqueur; celui qui avait triomphé, qui s'était retiré victorieux, non-seulement se voyait privé de la couronne, mais encore sa victoire même lui causait d'horribles tourments et le condamnait à d'insupportables supplices. Celui qui pouvait se mouvoir, celui qui était plein de vie , était accusé par sa victime plongée dans la mort; celui qui pouvait parler trouvait un accusateur dans sa victime réduite au silence. Que dis-je? ce n'était point le mort lui-même, c'était son sang, son sang séparé de son corps, qui se chargeait de ce rôle. Telle est donc la puissance des justes, même après leur mort ! Tel est donc le malheur des méchants, même durant leur vie ! Si telles sont les palmes décernées pendant la lutte, quelle ne sera point la récompense après le combat, alors que la piété sera récompensée, et recevra ce bonheur qui est au-dessus de toute expression? Les afflictions, quelles qu'elles soient, viennent des hommes, et elles en ont la faiblesse. Les dons et les récompenses viennent de Dieu, et ils sont dignes de l'ineffable munificence qui les distribue. Réjouissez-vous donc, et tressaillez d'allégresse; ornez votre front d'une couronne, et formez des choeurs; foulez aux pieds les aiguillons de vos ennemis avec plus d'aisance que les autres ne foulent aux pieds la boue. Rassurez-nous le plus souvent possible au sujet de votre santé, afin de répandre la joie dans notre cśur. Ce sera, vous n'en doutez pas, un grand sujet de consolation pour nous, au milieu de la solitude où nous vivons, que d'apprendre souvent que vous vous portez bien. Adieu.
Magnifique éloge du courage d'Olympiade. — Il s'accroît avec les persécutions. — La pensée de tant de mérites doit l'inonder de joie et de bonheur.
A LA MÊME.
1. Je reviens des portes de la mort, et je suis bien aise que vos serviteurs ne soient arrivés ici qu'au moment où j'atteignais déjà le port. II ne m'aurait pas été facile de vous tromper, et de vous donner de joyeuses nouvelles au lieu de tristes, s'ils s'étaient présentés au moment où j'étais comme sur une mer agitée, en proie aux flots irrités de la maladie. L'hiver a été plus rigoureux que de coutume; il a porté le trouble dans mon estomac, et la mort m'eût semblé moins pénible que les douleurs que. j'ai éprouvées depuis deux mois. Je ne vivais en effet que pour sentir les maux qui m'assiégeaient; tout était pour moi ténèbres, le jour, le matin, le midi; j'étais comme perpétuellement cloué sur mon lit; j'avais beau recourir à tous les moyens possibles, je ne pouvais guérir cette maladie que le froid m'avait fait contracter. J'allumais du feu, j'étais suffoqué par la fumée, je me tenais renfermé dans une chambre, j'étais chargé de vêtements, je n'osais franchir le seuil de ma demeure et néanmoins je souffrais horriblement. C'étaient des vomissements, des douleurs de tête, le manque d'appétit, de perpétuelles insomnies. La nuit se passant ainsi sans dormir, me semblait un océan à traverser. Mais pourquoi troubler votre âme en insistant sur tous ces ennuis? Grâce à Dieu, nous en sommes délivrés. Dès le retour du printemps, dès que la température se fut un peu adoucie, toutes ces douleurs s'évanouirent d'elles-mêmes. Cependant il me faut prendre encore bien des précautions; je ne donne que peu de nourriture à mon estomac, afin qu'il puisse aisément la digérer. Mais c'est avec un amer chagrin que nous avons appris que vous aviez été sur le point de mourir. L'attachement que nous avons pour vous, l'intérêt que nous prenons à tout ce qui vous concerne, ne nous avaient pas permis de demeurer dans cette grave anxiété jusqu'à l'arrivée de votre lettre; à plusieurs reprises, des gens qui venaient de Constantinople nous avaient donné de bonnes nouvelles de votre santé.
Ce qui me réjouit surtout, ce n'est pas de vous savoir guérie, c'est de vous voir supporter avec courage tous les maux de la vie et de vous entendre les comparer à une fable. Vous appelez de ce nom même les maladies corporelles, et c'est le signe d'une âme énergique et qui porte des fruits abondants de patience et de courage. Oui, supporter courageusement l'adversité, bien plus, ne pas même. en ressentir les atteintes, les mépriser, mettre sur son front cette couronne de la patience avec tant de facilité, sans travailler, sans se couvrir de sueur, sans éprouver d'embarras, sans en donner aux autres, mais comme en se jouant et en courant, c'est la preuve d'une sagesse accomplie. Aussi je me réjouis, je tressaille d'une allégresse qui me donne, pour ainsi dire, des ailes; je ne songe ni à ma solitude, ni à mes autres ennuis; mais le bonheur inonde mon coeur; je suis fier de votre grandeur d'âme et de vos nombreux triomphes, non-seulement à cause de vous, mais à cause de cette grande et populeuse cité, dont vous êtes comme la tour, le port et le rempart. Votre conduite, votre patience, c'est une voix puissante qui apprend aux deux sexes à se tenir prêts pour le combat, à descendre avec courage dans l'arène, et à supporter de bon coeur toutes les fatigues de la lutte. Chose admirable ! vous n'allez point sur la place publique, vous ne vous avancez pas au milieu de la ville; non, vous êtes dans une chambre étroite, assise sur votre lit, et là, vous, fortifiez, vous excitez ceux qui vous entourent.
La mer est furieuse, les flots s'amoncellent, vous naviguez au milieu des récifs et des rochers, exposée aux monstres marins, au sein des plus profondes ténèbres; et vous vous avancez comme si tout était calme, comme si vous aviez le vent en poupe, grâce aux voiles de la patience que vous déployez; non-seulement la tempête n'engloutit pas votre navire, l'eau même n'y entre point, et je n'en suis pas surpris; la vertu tient le gouvernail avec tant d'habileté ! Les marchands, les pilotes, les matelots, les nautonniers, quand ils voient les nuages s'amonceler, quand ils entendent les vents mugir en se déchaînant sur les mers, quand ils voient les flots se soulever et se couvrir d'écume, se gardent bien de sortir du port. S'ils sont surpris par la tempête au milieu de l'océan, ils mettent tout en oeuvre pour aborder à quelque rivage ou dans une île. Mais vous, quand tous les vents se déchaînent, (433) quand de toute part les flots se brisent les uns contre les autres, quand la mer est remuée jusque dans ses profondeurs, quand les uns s'abîment sous les vagues, et que les autres, déjà morts, flottent au-dessus des ondes, quand d'autres sans vêtements flottent sur quelque débris, vous vous élancez au sein de cet océan de souffrances, que vous appelez une fable, et vous naviguez, poussée par un vent favorable. Je n'en suis point surpris. Le pilote, quelle que soit son habileté, n'en a pas assez cependant pour faire toujours face à la tempête, et c'est - pourquoi souvent il évite de se mesurer avec les flots. Mais vous, nulle tempête ne vous trouve en défaut, grâce à cette sagesse, à cette force bien meilleure que celle d'une armée, plus puissante que celle des armes, plus sûre qu'une tour ou des murailles. Les armes, les murailles, les tours mettent les corps en sûreté, et encore pas toujours, pas en tout temps; parfois on en triomphe, et tout espoir de salut disparaît aux yeux de ceux qui comptaient sur leur appui. Les armes que vous employez n'ont point brisé les traits des barbares, ni les machines des ennemis, elles n'ont point repoussé leurs assauts, ni déjoué leurs artifices. mais elles ont terrassé les nécessités de la nature, elles ont renversé sa tyrannie, elles en ont détruit la forteresse. Dans vos luttes contre les démons, que de palmes vous avez conquises, sans recevoir aucune blessure ! Ils faisaient pleuvoir sur vous une grêle de traits; ils n'ont pu vous abattre; bien mieux, vous avez retourné contre eux les traits qu'ils vous lançaient! Quelle sagesse, quelle habileté! On veut vous accabler, et c'est vous qui terrassez; on vous dresse des embûches, et ce sont vos ennemis qui y tombent; leur méchanceté ne sert qu'à vous fournir une ample moisson de mérites et de gloire. Vous le savez, vous en avez fait l'expérience, vous n'avez donc pas tort d'appeler tout cela une fable. Et comment ne le feriez-vous pas? Vous êtes revêtue d'un corps mortel, et vous méprisez la mort, comme ceux qui ont hâte de quitter une terre étrangère pour retourner dans leur patrie. En proie à une cruelle maladie, vous êtes plus joyeuse que ceux dont le corps est robuste et vigoureux; ni les outrages ne vous abattent, ni les honneurs et la gloire ne vous enflent d'orgueil; et que d'autres cependant y ont trouvé leur perte ! que de prêtres, même après avoir jeté de l'éclat, après être arrivés à une extrême vieillesse, sont tombés, malgré leurs cheveux blancs, et sont devenus la fable de tous! Malgré votre sexe, malgré la faiblesse de votre corps, vous avez résisté à toutes ces attaques; non-seulement vous n'avez point succombé, mais vous avez soutenu les autres.
Ceux dont je parlais tout à l'heure ont à peiné engagé le combat; c'est dès le début, c'est au seuil même de la carrière qu'ils ont succombé; vous, que de fois n'avez-vous point atteint la limite, gagnant une palme à chacune de vos courses! quelle espèce de combats n'avez-vous point soutenus ! C'est que ni l'âge, ni le corps -ne donnent la victoire; mais l'âme et la volonté. C'est ainsi que des femmes ont mérité la couronne, et que des hommes ont été vaincus; c'est ainsi que des enfants ont été proclamés vainqueurs, et que des vieillards ont été couverts de confusion. Ah ! admirons ceux qui recherchent la vertu, et quand tant d'autres la négligent, félicitons ceux qui l'embrassent avec ardeur. C'est à ce titre qu'il convient de vous décerner de vifs éloges. Tant d'hommes, tant de femmes, tant de vieillards renommés pour leur vertu, ont tourné le dos, sont tombés, se sont laissé vaincre aux yeux de tous, sans que l'attaque fût impétueuse, sans que l'ennemi fût terrible, avant le combat, avant la mêlée; vous au contraire, après tant de combats, après tant de mêlées, non-seulement vous n'êtes pas affaiblie, épuisée par cette légion de souffrances, vous n'en avez que plus de vigueur, et plus les combats se multiplient, plus aussi grandit votre courage. Le souvenir de vos glorieuses actions vous remplit de joie, de volupté, d'ardeur. C'est pourquoi, nous nous réjouissons, nous tressaillons, nous sommes heureux; c'est ce que je ne puis me lasser de redire; partout ce motif de joie me poursuit, et si notre absence vous chagrine, du moins devez-vous trouver de grandes consolations dans la pensée de vos vertus, puisque nous-même, séparé de vous par une si longue distance, votre courage nous cause tant de bonheur.
Le méchant ne peut échapper au jugement de sa conscience. Exemple de Juda, frère de Joseph; exemple de Judas, l'Iscariote. — La vertu mérite un bonheur éternel; et dès ici-bas elle est récompensée. — Voilà ce qui doit consoler Olympiade au milieu des persécutions qu'elle endure.
A LA MÊME.
1. Eh bien ! n'avez-vous pas élevé un trophée? n'avez-vous pas obtenu une brillante victoire, n'avez-vous pas mis sur votre front une couronne toujours verdoyante? n'est-ce pas ce que dit le monde entier, qui célèbre hautement vos vertus? Vous n'avez lutté que dans une seule arène, vous avez combattu dans un seul et même lieu ; c'est là que l'on vous a vu fournir si noblement votre carrière, vous couvrir, non de sueur, mais de sang : et toutefois , la gloire de vos exploits, votre, renommée s'est répandue jusqu'aux extrémités du monde. Vous avez voulu l'accroître encore, vous avez voulu multiplier vos palmes, et ajouter à vos autres couronnes celles que donne l'humilité, en soutenant qu'il n'y a pars plus de rapport entre vous et ces. trophées, qu'entre la vie et la mort. Que ce soit l'humilité qui vous inspire ce langage, les faits suffisent pour le démontrer. On vous a chassée de votre patrie, de votre maison; on, vous a éloignée de vos amis et de vos proches; on vous a exilée, en un mot : vous mouriez chaque jour, et si la nature était faible, vous aviez pour la soutenir la force de la volonté et l'énergie de votre courage.
Il est impossible de mourir plusieurs fois vous avez su le rendre possible par votre intrépide fermeté. Bien plus, au milieu de ces maux et dans l'attente de ceux qui devaient survenir ensuite, vous n'avez cessé de rendre gloire à Dieu, qui permettait ces persécutions, et de porter au démon des coups mortels. Oui, il a reçu de mortelles blessures, et ce gxli le prouve, c'est qu'il a eu recours à des armes plus terribles : aussi les souffrances s'accroissaient-elles de jour en jour. Le scorpion, le serpent, ont- ils reçu quelque blessure profonde, on les voit se dresser contre celui qui les a blessés, lancer contre lui leur aiguillon, et manifester ainsi la vivacité de leur souffrance par la vivacité de leur élan. C'est aussi de la sorte qu'agit ce monstre, plein d'impudence. Votre âme intrépide et sublime lui a fait de profondes blessures, et il s'est élancé sur vous pour vous accabler de tentations. Oui c'est lui qui vous en accable, ce n'est pas le Seigneur. Dieu les a permises pour accroître vos richesses, pour multiplier vos mérites, et vous ménager de plus amples récompenses. Aussi ne devez-vous ni vous troubler ni vous effrayer. Peut-on se lasser d'être riche? Peut-on vivre dans le trouble, quand on s'est élevé aux plus grands honneurs? Voyez ceux qui sont revêtus des dignités humaines, si éphémères, fugitives comme une ombre, aussi vite flétries que la fleur des champs : ils s'agitent, ils dansent, la joie leur donne des ailes. Et quelle joie ! une joie qui, à peine sentie, s'écoule aussi rapidement que l'eau d'un fleuve. Ne devez-vous pas, à plus forte raison , trouver de grands motifs de joie dans les circonstances présentes, après avoir ressenti tant de tristesse auparavant.
Ce trésor que vous avez amassé, on ne peut vous le dérober désormais; cet honneur, que vous ont valu tant de souffrances, rien ne peut vous en dépouiller, rien ne peut y mettre un terme, rien ne peut l'affaiblir, ni les difficultés du temps, ni les piéges des hommes, ni les attaques du démon., ni même la mort. Si vous voulez pleurer, ah ! pleurez sur les auteurs de ces crimes, sur leurs complices, qui se sont attiré de si grands châtiments pour l'avenir, et qui, dès ici-bas, ont enduré les derniers supplices, c'est-à-dire, ont encouru la haine des hommes, ont été regardés par tous comme des ennemis, chargés de malédictions et de condamnations. Peut-être sont-ils insensibles à tout cela; ils n'en sont que plus malheureux, que plus dignes de vos larmes; ils ressemblent à ces frénétiques qui lancent des coups de pied à tous ceux qu'ils rencontrent, souvent même à leurs bienfaiteurs et à leurs amis, sans s'apercevoir de la fureur qui les possède. Atteints d'un mal incurable, ils ne peuvent souffrir ni les médecins ni leurs remèdes ; au contraire, ils accablent de mauvais traitements ceux qui veulent les traiter et leur faire du bien. C'est donc un grand malheur pour eux que de n'avoir pas même le sentiment de leur méchanceté. Il peut leur être indifférent de se voir condamner par les hommes; mais ils ne peu. veut échapper au jugement de leur conscience, ils ne peuvent la corrompre, ni l'ébranler par (435) la terreur, ni par la flatterie, ni par des largesses, et le temps ne peut diminuer ses reproches.
2. Ce fils de Jacob qui disait à son père qu'une bête cruelle avait dévoré Joseph, giri jouait cette indigne comédie, et qui cherchait à voiler de ce masque odieux le meurtre d'un frère, put bien; il est vrai, tromper le malheureux père, ruais il ne put tromper sa propre conscience, ni la contraindre à se calmer. Sans cesse elle s'élevait contre lui, sans cesse elle poussait de grands cris que rien ne pouvait apaiser. Bien longtemps après, l'auteur de ce mensonge infâme vit sa liberté, sa vie même, en péril. Personne ne connaissait son crime, personne ne songeait à l'accuser, à le convaincre, à le poursuivre, à lui remettre en mémoire la fable qu'il avait imaginée ; mais, après tant d'années, la conscience criait encore; ses reproches n'avaient pu être étouffés : entendez, en effet, ce qu'il dit : Oui, nous sommes coupables à cause de notre frère quand il nous suppliait, nous avons méprisé son affliction et la douleur de son âme, et voici qu'on nous redemande le sang de Joseph. (Gen. XLII, 21.)
Il s'agissait cependant alors d'un tout autre crime; on accusait Juda de vol, on lui reprochait d'avoir dérobé une coupe d'or. Il ne se sentait point coupable d'une semblable action; ce n'était point là ce qu'il se reprochait; ses souffrances, il ne "les attribuait pas au motif pour lequel on le traduisait en justice et on le jetait dans les fers; mais il les attribuait à ce que personne ne songeait à lui reprocher, à un crime dont personne ne songeait à le punir, pour lequel personne ne songeait à le traîner devant les tribunaux : oui, il s'avouait coupable, il s'accusait d'un crime qu'il n'avait pas même consommé. Sa conscience le tourmentait; et cet homme, qui eût versé le sang de son frère d'une main ferme et intrépide, sans éprouver aucun sentiment de tristesse, voilà qu'il se lamente au sujet de Joseph, voilà qu'il accuse ses nombreux complices, qu'il rappelle leur cruauté dans un langage plein d'énergie : Tandis qu'il nous suppliait, nous avons méprisé son affliction et la douleur de son âme. Comme s'il disait : N'était-ce pas assez de la nature pour amollir nos coeurs et les remplir de compassion? Mais Joseph fondait en larmes, il nous adressait de touchantes prières; et il ne put nous fléchir , mais nous avons méprisé son affliction et la douleur de son âme.
Telle est la cause du jugement que nous subissons, du danger où nous sommes de perdre la vie : nous avons péché contre la vie de notre frère. C'est ainsi que le traître Judas lui-même, vaincu par les remords de sa conscience, courut se pendre et mettre fin à ses jours. Quand il osa conclure ce pacte horrible avec les ennemis du Sauveur, il leur disait : Que voulez-vous me donner, et je vous le livrerai? (Matth. XXVI, 15) ; il ne rougissait pas, lui, disciple de Jésus, il ne rougissait pas de commettre un tel crime contre son Maître ; les jours suivants il n'éprouva aucun remords ; ivre du plaisir que lui causait son avarice, il n'entendait point les reproches de sa conscience. Mais une fois le crime consommé, une fois l'argent reçu , une fois son avarice assouvie, l'aiguillon du remords se fit sentir, et sans que personne l'eût accusé, ou contraint, ou exhorté, il s'en alla, de son propre mouvement, jeter la somme d'argent aux pieds de ceux qui la lui avaient donnée, et confessa bien haut son crime : J'ai péché, en livrant le sang du Juste. (Matth. XXVI, 4.) Il ne pouvait plus supporter les reproches de sa conscience. Telle est, en effet, la nature du péché : avant qu'il soit commis il cause dans l'homme une sorte d'ivresse. Une fois qu'il est accompli , une fois qu'il est consommé , le plaisir disparaît et s'éteint, et il ne reste plus que le remords; la conscience est comme un bourreau qui déchire le pécheur, lui inflige les plus cruels supplices et l'accable d'un poids. plus lourd que le plomb.
3. Voilà pour les supplices de la vie présente; et vous savez quels rigoureux supplices sont réservés aux criminels dans la vie future. Il faut donc verser des larmes sur leur sort et se lamenter à leur sujet. N'est-ce pas ce que fait l'apôtre saint Paul? Ceux qui luttent, qui combattent, qui sont accablés de maux, il les félicite ; mais il pleure sur ceux qui se rendent coupables. Voici ses paroles: Quand je viendrai parmi vous, je tremble que Dieu ne m'humilie, je crains d'avoir à pleurer sur un grand nombre de pécheurs, sur des pécheurs qui n'auront point fait pénitence de leur impureté et de leurs fornications. (II Cor. XII, 21.) Mais à ceux qui combattent : Je me réjouis, leur dit-il, et je vous adresse à tous des félicitations. (Philip. II, 17.) Ne vous troublez donc ni de vos maux passés, ni de ceux qui vous menacent. Est-ce (436) que les flots peuvent abattre le rocher? Plus ils ont d'impétuosité, plus vite ils se brisent et disparaissent. C'est ce qui est arrivé pour vous, c'est ce qui arrivera toujours. Que dis-je? Les flots se contentent de ne pas ébranler le rocher; pour vous, non-seulement vos ennemis ne vous ébranlent pas, mais encore ils vous affermissent. Tel est, en effet, le sort de la méchanceté; tel est le sort de la vertu. La première déclare la guerre, et elle est écrasée; la seconde soutient le choc, et elle n'en a que plus de splendeur. Elle n'attend pas la fin du combat pour remporter la palme de la victoire; elle triomphe durant le combat lui-même, qui déjà est pour elle une récompense. La méchanceté, dans son triomphe, est couverte de confusion, punie, accablée de déshonneur, et, en attendant les supplices qu'elle mérite, elle se voit tourmentée même durant son action, et non pas seulement après qu'elle a terminé son oeuvre. Si vous ne m'en croyez, entendez le bienheureux Paul établir cette même distinction.
Dans son épître aux Romains il retrace la vie débauchée de certains hommes, il montre que, même avant d'être châtiés, ils trouvent leur supplice dans leurs oeuvres mêmes; il rappelle ces actes scandaleux par lesquels des femmes, des hommes, violant les lois prescrites par la nature, assouvissent une passion effrénée, et voici en quels termes il s'exprime : Leurs femmes , dit-il , ont changé l'usage naturel contre un usage opposé à la nature. De même aussi les hommes, cessant de recourir à la femme, ainsi que la nature le prescrit, se sont enflammés de désirs coupables les uns à l'égard des autres; des hommes accomplissent sur des hommes de honteuses actions, et reçoivent en eux-mêmes le châtiment que méritent leurs crimes. (Rom. I, 20, 27.) Que voulez-vous dire, ô Paul ! Ne se plongent-ils pas dans la volupté, ceux qui commettent ces actions, et qui satisfont leur passion dans cette union criminelle? Pourquoi dites-vous donc que cela même est pour eux un châtiment? Ce n'est pas, répondit, ce n'est pas d'après la volupté de ces insensés, c'est d'après la nature même des choses, que je prononce cette sentence.
L'adultère, avant de recevoir son châtiment, n'est-il point puni dans l'acte même qu'il accomplit? Au moment où il croit jouir, il se rend digne de mépris. Et l'homicide, même avant d'être traduit devant les tribunaux , avant de voir les glaives dirigés contre lui, avant de subir la peine de son crime, ne se fait-il pas mourir lui-même, en commettant un meurtre, puisque ce crime le rend méprisable? La maladie, la fièvre, l'hydropisie donnent la mort au corps; la rouille dévore le fer, la teigne ronge la laine, et le ver ronge le bois et la corne; le vice n'est pas moins nuisible à l'âme. Il l'asservit, il lui enlève toute liberté. Que dis-je? il en fait une âme semblable à celle des brutes, à celle du loup, à celle du chien, du serpent, de la vipère. Les prophètes nous font bien voir ce changement opéré par le vice. Ce sont des chiens muets, qui n'ont pas la force d'aboyer (Is. LVI, 40), nous dit Isaïe, comparant à des chiens dévorés par la rage, ces hommes perfides qui dressent en secret des embûches. Les chiens qui sont en proie à cette maladie ne se précipitent point sur l'homme en aboyant; mais ils s'approchent en silence, et blessent plus grièvement que ceux qui aboient. Un autre compare certains hommes à la corneille. (Jér. III, 2.) Un troisième dit encore : L'homme qui était entouré de tant de gloire, ne l'a pas compris. Il s'est conduit comme les bêtes privées de raison, et il leur est devenu semblable. (Ps. XLVIII, 43.) Celui enfin qui est plus qu'un prophète, le fils de la femme stérile, prêchant sur les bords du Jourdain, appelait les Juifs prévaricateurs, serpents et race de vipères. Peut-il y avoir un plus grand supplice que celui-là? l'homme fait à l'image de Dieu, comblé de tant d'honneur, cet animal raisonnable et plein de douceur, descend par ses crimes, au niveau de la brute !
4. Vous venez de voir comment la méchanceté trouve en elle-même son châtiment, même avant d'être punie. Voulez-vous voir maintenant comment la vertu trouve en elle-même sa récompense , même avant d'être récompensée ? Quand il s'agit du corps (rien n'empêche que nous n'employions cet exemple parfaitement clair), quand, dis-je, il s'agit du corps, celui qui se porte bien, qui est robuste, qui n'a aucune infirmité, trouve son bonheur dans cette santé, même en l'absence de toute autre joie; la joie est comme le partage de la santé, et ni les variations de température, ni le chaud, ni le froid, ni la simplicité des mets, rien en un mot ne peut nuire à cet homme; la santé dont il jouit suffit pour parer à tous ces dangers ; ainsi en est-il ordinairement de l'âme. Et c'est pourquoi l'apôtre saint Paul, battu de verges, tourmenté, accablé de toute (437) sorte de maux, se réjouissait et disait : Je suis plein de joie dans les souffrances que j'endure pour vous. (Col. I, 24.) Ce n'est pas seulement dans le royaume des cieux, mais au sein des tribulations , que la vertu trouve sa récompense. Et n'est-ce pas déjà une bien grande récompense que de souffrir quelque chose pour la vérité ? c'est pourquoi les apôtres s'en retournaient pleins de joie de devant le conseil des Juifs, non-seulement à cause du royaume des cieux, mais parce qu'ils avaient été jugés dignes d'endurer quelque outrage pour le nom de Jésus. (Act. V, 41.) Oui, c'est là un immense honneur, une brillante couronne, une palme glorieuse, et le sujet d'une joie. continuelle. Réjouissez-vous donc et tressaillez d'allégresse. Il est grand le combat que vous soutenez, ce combat que vous livre la calomnie; oui, il est grand, puisqu'il s'agit d'une si étrange accusation, d'une si noire calomnie, puisqu'ils osent devant un tribunal public nous traiter d'incendiaires (1) ? Voici comment Salomon nous dépeint ce qu'il y a de rude clans une pareille épreuve : J'ai vu, dit-il, les calomnies qui ont lieu sous le soleil; j'ai vit les larmes de ceux qu'elles attaquaient, et il n'y avait personne pour les consoler. (Eccl. IV, 1.) Si la lutte est si terrible, n'est-il pas évident que la couronne brillera de l'éclat le plus vif? Aussi le Christ invite-t-il à la joie et à l'allégresse ceux qui savent résister avec patience. Réjouissez-vous, dit-il, et tressaillez d'allégresse , quand ils lanceront contre vous toutes sortes de calomnies, à cause de moi: car vous serez abondamment récompensés dans les cieux. (Matth. V,11,12.) Voyez-vous que de joie, que de récompenses, que de bonheur nous vaudront nos ennemis? loin de vous pouvoir faire du mal, ils vous font du bien; et c'est vous-même qui vous obstinez à vous tourmenter. Comprenez-moi bien. Ils n'ont pu ébranler votre constance, ils vous ont fourni l'occasion d'un bonheur et d'une joie perpétuelle; c'est vous-même qui vous plongez dans la tristesse, qui vous infligez ces tourments, qui laissez le trouble et le chagrin envahir votre âme. Ah ! ne serait-ce pas à eux d'éprouver ce trouble, s'ils voulaient enfin reconnaître leur propre malheur? oui, ils devraient s'affliger, pousser des gémissements, rougir de honte, se voiler le visage, se cacher dans les entrailles de la terre, ils devraient ne pas oser regarder le soleil, s'enfermer dans les ténèbres
1. Allusion à l'incendie de sainte Sophie, voy. tome Ier, pas. 434.
pour y pleurer leur funeste état, et cette désolation où ils ont jeté un si grand nombre d'églises ! A vous la joie, à vous l'allégresse du triomphe , parce que vous avez pratiqué la plus noble de toutes les vertus. Car, vous n'en doutez point, il n'est rien d'aussi beau que la patience, c'est la reine des vertus, c'est le fondement des grandes actions, c'est un port à l'abri des tempêtes, c'est la paix au sein de la guerre, le calme au milieu des orages, la sécurité dans les embûches. Elle donne à l'âme une force invincible, que ne peuvent renverser les armes les plus terribles, ni les armées rangées en bataille, ni les machines de guerre, ni les flèches, ni les lances, ni la troupe des démons, ni les redoutables phalanges des puissances ennemies, ni satan avec tous ses bataillons et tous ses artifices. Pourquoi donc vous effrayer? pourquoi vous tourmenter, puisque votre âme s'est habituée à mépriser la mort même, si elle se présentait? Vous désirez voir la fin des maux qui vous accablent. Vous la verrez, et bientôt, grâce à Dieu. Réjouissez-vous donc, et que la pensée de vos vertus ramène la paix dans votre coeur. Ne désespérez pas de nous revoir, et de nous entendre vous rappeler ce que nous venons de vous dire.
Ecrite lorsqu'il se rendait à Cucuse en 404.
Saint Chrysostome propose à Olympiade plusieurs motifs de consolation. — Partout on compatit à leurs souffrances. — Qu'elle songe aux récompenses de l'autre vie. — Les méchants seuls sont à plaindre.
A LA MÊME.
Même après avoir quitté Constantinople, je devais donc trouver encore cet empressement qui m'émeut jusqu'au fond de l'âme. Tous ceux qui nous rencontrent, soit Orientaux, soit Arméniens, fondent en larmes dès qu'ils nous aperçoivent, poussent des gémissements et nous suivent en déplorant notre sort. Vous le voyez donc, vous n'êtes pas seule à vous affliger à cause de moi : et c'est là pour vous un puissant motif de consolation. Ecoutez le Prophète déplorer un mal vraiment affreux et insupportable : J'attendais, s'écrie-t-il, que l’on s'attristât avec moi; et personne ne s'est présenté; j'attendais des consolations, et personne (438) n'est venu me consoler. (Ps. LXVIII, 21.) N'est-ce donc pas une consolation bien grande que de voir tout l'univers s'associer à notre tristesse? s'il vous faut quelque chose de plus, je vous dirai : Après avoir tant souffert, nous nous portons bien, nous ne sommes nullement inquiété; dans le plus parfait repos, nous passons en revue nos souffrances, nos continuelles afflictions, les attaques dont nous avons été l'objet, et ce souvenir nous remplit sans cesse de joie. Que cette pensée chasse loin de vous cette tristesse qui couvre votre âme comme d'un nuage, et donnez-nous souvent des nouvelles de votre santé. Quand on m'a remis la lettre de mon très-cher seigneur Arabius, j'ai été surpris de ne rien recevoir de vous : car sa femme, je le sais, vous est très-attachée. Rappelez-vous bien aussi due tout passe icibas, la joie comme la tristesse. Si la porte est étroite, si le chemin est resserré, ce n'en est pas moins un chemin , c'est un mot que je vous ai souvent répété. Si la porte est large, si le chemin est spacieux, ce n'en est-pas moins encore un chemin.
Séparez-vous donc de cette terre, brisez ce lien charnel qui vous retient attachée , secouez les ailes de votre sagesse, et ne les laissez point s'appesantir sous cette ombre et cette fumée. Les choses de ce monde, en effet, ne sont-elles pas ombre et fumée? bien plus, quand vous voyez ces hommes qui ont agi si cruellement envers nous , rester dans leur pays, chargés d'honneurs et environnés d'un nombreux cortége, dites-vous à vous-même : Elle est large la porte, elle est spacieuse la voie qui mène à la perdition (Matth. VII, 13), et alors déplorez leur sort, versez des larmes sur eux. Le criminel qui, au lieu d'être châtié dans ce monde, se voit comblé d'honneurs de la part des hommes, trouvera dans ces honneurs mêmes, après cette vie, la matière des plus horribles supplices. Si le riche de l'Evangile endura de si affreux tourments, ce ne fut pas seulement à cause de sa cruauté envers Lazare, mais aussi à raison de cette prospérité dont il ne cessa de jouir, malgré sa cruauté, et sans revenir à de meilleurs sentiments. C'est là ce que nous n'avons cessé de vous redire. Entretenez-vous de ces pensées et d'autres semblables, pieuse Olympiade; et déposez ce lourd fardeau de la tristesse. Mandez-moi que vous avez réussi ; alors, comme je vous l'écrivais, j'emploierai plus fréquemment le remède, une fois persuadé que mes lettres peuvent quelque chose pour consoler votre âme.
Haut du documentEcrite pendant qu'il se rendait à Cucuse en 404.
Il faut souffrir avec patience.
A LA MÊME.
Quand je vois le long des routes, dans les bourgades, dans les villes, le peuple, hommes et femmes se précipiter pour nous voir, et fondre en larmes en notre présence, je songe à la douleur qui vous accable. C'est la première fois que ces gens nous aperçoivent, et telle est pourtant leur affliction qu'ils ne peuvent la supporter. En vain les prions-nous d'être plus calmes, en vain cherchons-nous à les consoler, à les rassurer : leurs larmes ne font que redoubler. Quelle ne doit donc pas être l'agitation de votre âme ? Mais plus la tempête a de violence, plus aussi la palme aura d'éclat, si vous savez rendre grâce au sein de la tourmente, si vous savez résister avec courage. C'est du reste ce que vous faites. Que le pilote, sur une mer orageuse , déploie outre mesure les voiles du navire, tout est perdu. Qu'il dirige au contraire le navire avec prudence , il ne court aucun danger. Ainsi donc, dame très-pieuse, ne vous abandonnez pas à la tyrannie de la tristesse; mais sachez triompher de la tempête à force de raison. Vous le pouvez; votre sagesse peut dominer l'orage. Mandez-nous qu'il en est ainsi; et même en pays étranger, nous ressentirons une grande joie, en apprenant que vous supportez cette affliction avec sagesse et intelligence, C'est des environs de Césarée que je vous écris.
Haut du documentEcrite à Nicée sur la route de Cucuse en 404.
Saint Chrysostome reproche à Olympiade de ne pas lui écrire assez souvent.
A LA MÊME.
Secouez cette crainte que vous cause notre voyage. Je vous l'ai déjà dit, je me sens plus (439)
de santé et de vigueur. L'air nous est favorable, et ceux qui sont chargés de nous mener en exil mettent tous leurs soins, s'appliquent de toutes leurs forces à nous procurer du repos et du soulagement, au delà même de nos désirs. J'allais partir de Nicée quand je vous ai écrit, le troisième jour de juillet. Donnez-nous donc souvent des nouvelles de votre santé. Vous le pouvez par l'entremise de Pergamius, en qui j'ai toute confiance. Ne nous rassurez pas seulement sur votre santé; dites-nous aussi que vous avez dissipé ce nuage de tristesse qui enveloppait votre âme. S'il en est ainsi , nous vous écrirons plus souvent, puisque nos lettres ne seront pas inutiles. Si vous voulez que nous vous écrivions fréquemment, mandez-nous que vous en retirez quelque avantage. Alors, soyez-en sûre, nous nous montrerons,prodigue.. Il est venu tant de voyageurs qui pouvaient nous apporter de vos lettres ! Il nous a été pénible de ne rien recevoir.
Haut du documentÉcrite sur la route de Cucuse en 404.
Calme de saint Chrysostome au milieu de ses souffrances. — II demande à Olympiade de lui écrire plus souvent.
A LA MÊME.
Plus l'épreuve s'accroît, plus aussi nous recevons de consolation, plus nous avons d'espoir dans l'avenir. Tout nous réussit à souhait, et vraiment nous naviguons à pleines voiles. A-t-on jamais vu, jamais entendu rien de semblable ? Que de bancs de sable! que de rochers ! que de tourbillons et de tempêtes ! C'est une nuit affreuse, ce sont d'horribles gouffres, des écueils sans nombre; et cependant nous voguons sur cette mer, comme si nous étions dans le port. Que cette pensée, ô très-pieuse Olympiade, vous aide à dominer le trouble et l'agitation de votre âme. Daignez me rassurer sur votre santé; pour nous, tout va bien, le corps et l'âme. Notre corps s'est fortifié, nous respirons un air pur, et les soldats qui nous escortent nous comblent de bons offices. Nous n'avons pas besoin de domestiques; eux-mêmes nous en tiennent lieu. L'amour qu'ils nous portent en est cause. C'est comme une garde rangée autour de nous, et chacun s'estime heureux de nous être utile. Notre seule peine est de ne pas savoir si vous vous portez bien. Dites-le nous donc, pour nous combler de joie ! Que je saurai de gré à notre cher fils Pergamius ! S'il vous plaît de nous écrire, usez pour cela de ses services. C'est un ami sincère, qui nous est tout dévoué, qui fait le plus grand cas de votre modestie et votre piété.
Haut du documentÉcrite à Césarée en Cappadoce en 404.
Saint Chrysostome est arrivé à Césarée, II a recouvré la santé, et se loue des soins empressés qu'on lui prodigue.
A LA MÊME.
C'est après avoir échappé à cette maladie qui m'a surpris en route et dont j'ai porté les restes jusqu'à Césarée, c'est après avoir pleinement recouvré la santé, que je vous écris de Césarée même. Les soins m'ont été prodigués, par d'excellents, par d'illustres médecins, dont la sympathie et l'affection m'ont fait plus de bien que tous les remèdes. L'un d'eux a même promis de partir avec nous; plusieurs éminents personnages nous ont fait la même promesse. Nous vous tenons au courant de toutes nos affaires, et vous ne nous rendez guère la pareille. C'est un reproche que je ne cesse de vous faire. N'accusez que votre négligence,, et nullement le manque d'occasion. Le frère de l'évêque Maxime est venu ici il y a trois jours; j'attendais une lettre de vous, et il m'a dit que vous n'aviez pas voulu lui en remettre. Le prêtre Tigrius a fait comme vous. N'oubliez pas de le lui reprocher, à lui qui nous porte un amour si vif et si sincère et à tous ceux qui entourent l'évêque Cyriaque. Ne blâmez ni Tigrius, ni personne de ne m'avoir pas suivi dans mon exil. C'est une faveur qui nous était réservée. Peut-être auraient-ils voulu partir avec nous, sans pouvoir réaliser leur désir. Gloire à Dieu pour toutes choses! Ce sera toujours ma maxime dans toutes les circonstances de la vie. Qu'ils n'aient pu me suivre, je le veux bien; mais du moins ne pouvaient-ils pas m'écrire ? Quant aux soeurs du vénérable évêque Pergamius, qui montrent tant de zèle pour nos intérêts, remerciez-les eu ir on nom. Elles ont inspiré au duc, son gendre, tant de bienveillance à notre égard, qu'il souhaite vivement de nous voir. Donnez-nous souvent des nouvelles de votre santé et dé la santé de nos amis. Mais soyez sans inquiétude à notre sujet; car nous nous portons bien, nous avons l'âme tranquille et joyeuse, et nous goûtons un parfait repos. Nous voudrions savoir si l'on a mis en liberté ceux qui accompagnaient l'évêque Cyriaque. On ne nous a rien dit de bien clair à ce sujet. Renseignez-nous donc vous-même , et dites à l'évêque Cyriaque que la tristesse m'a empêché de lui écrire.
Haut du documentEcrite à Cucuse en 404.
Saint Chrysostome raconte à Olympiade tout ce qu'il a souffert avant d'arriver à Cucuse. — Il parle ensuite des sympathies qu'il rencontre dans ce pays, et des soins dont il est sans cesse l'objet.
A LA MÊME.
Enfin nous respirons maintenant que nous sommes à Cucuse, et c'est de cette ville que nous vous écrivons. Enfin nous revoyons la lumière, après avoir été plongé dans cette fumée, dans ce nuage de souffrances qui sont venues fondre sur nous pendant le voyage. Maintenant que la douleur est passée, je vais vous raconter tout ce que nous avons souffert. Je n'ai pas voulu le faire plus tôt pour ne pas vous causer trop de chagrin. Pendant plus de trente jours j'ai été sans cesse brûlé par une fièvre ardente. Ajoutez la longueur et les difficultés du chemin, et ces cruelles douleurs d'estomac qui ne me donnaient aucune trêve. Et là, point de médecins, point de bains, pas même les choses nécessaires à la vie : aucun soulagement enfin. Les Isauriens pouvaient à chaque instant survenir. Nous étions en butte à toutes les peines qu'engendrent des routes presque impraticables, le souci, l'inquiétude, l'ennui, et cette pensée qu'il n'y avait près de nous personne pour prendre soin de nous. Mais tout cela maintenant est passé. Une fois arrivé à Cucuse, nous avons vu disparaître les moindres traces de la maladie; notre santé est aujourd'hui florissante; nous n'avons plus à craindre les Isauriens ; il y a ici bon nombre de soldats, tout disposés à se mesurer avec eux. Tout nous arrive en abondance, bien que nous soyons dans un vrai désert; tous se montrent bienveillants à notre égard. Dioscore s'est trouvé ici par hasard, et il vient de m'envoyer à Césarée un de ses serviteurs pour me prier et me supplier de ne préférer, aucune maison à la sienne. Beaucoup d'autres m'ont fait la même prière. J'ai donné la préférence à Dioscore, et c'est chez lui que je suis logé. Il nous est tout dévoué; et nous ne cessons de lui reprocher tant de libéralité, tant de bons offices. A cause de nous il a quitté la ville pour venir à la campagne, afin de nous entourer de toute sorte de soins ; il nous fait construire une maison pour nous protéger contre les rigueurs de l'hiver, et il se donne à cet effet beaucoup de peines : en un mot il n'est rien qu'il ne fasse pour nous être utile. Ajoutez que beaucoup d'intendants et d'économes, sur une lettre de leurs maîtres, s'empressent continuellement de nous venir en aide.
Si je vous ai rappelé tout cela, si j'ai déploré devant vous les maux que j'ai soufferts, si je vous ai ensuite exposé les heureuses circonstances qui ont suivi, c'est afin que personne ne s'avise de m'éloigner d'ici. Si ceux qui nous favorisent nous laissent libres de choisir le lieu que nous désirerons, et qu'ils ne veuillent pas nous assigner ensuite tel ou tel lieu, selon leur bon plaisir, c'est une faveur que. vous devrez accepter. Mais s'ils veulent nous faire passer d'ici dans un autre pays, et qu'il nous faille voyager de nouveau, cela nous serait fort pénible. D'abord ils pourraient nous envoyer dans une contrée bien plus éloignée et bien plus désavantageuse; ensuite, les fatigues du voyage nous sont mille fois plus à charge que l'exil. Le voyage que je viens de faire ne m'a-t-il pas conduit aux portes de la mort?
Maintenant, à Cucuse, nous avons retrouvé un séjour fixe et le repos; et ces os brisés, ce corps accablé par les fatigues, nous pouvons, grâce au repos, leur rendre leur première vigueur. Le jour même de mon. arrivée, j'ai rencontré la pieuse diaconesse Sabinienne, elle-même aussi brisée, accablée. Elle est dans un âge où l'on supporte difficilement les voyages ; mais elle a toute l'ardeur de la jeunesse, et ne sent point les coups de l'adversité. Elle était toute prête, disait-elle, à m'accompagner en Scythie, quand le bruit courait que je serais emmené dans ce pays. Elle est bien résolue,. dit-elle encore, à ne pas s'en retourner; elle veut être partout où je serai. Les chrétiens l'ont accueillie avec empressement et (441) bienveillante. Constantius, ce prêtre si pieux, devrait se trouver ici depuis longtemps. Il m'a écrit de lui permettre de venir me rejoindre. Car, disait-il, malgré son grand-désir, il n'oserait se mettre en route, sans avoir reçu mes conseils. Il ajoutait qu'il ne pouvait rester à Constantinople ; il se cache, il vit dans la retraite, tant il se voit accablé sous le poids de l'adversité. Suivez mes instructions au sujet du lieu de ma demeure. Si vous jugez à propos de sonder leurs intentions, ne dites rien de vous-même, cherchez seulement à pénétrer leur dessein, toujours avec prudence, et vous le pouvez. Et si vous voyez qu'il s'agisse de quelque ville voisine de la mer, comme Cyzique, et peu éloignée de Nicomédie, acceptez cette proposition. Si, au contraire, il est question d'un pays éloigné, plus éloigné ou aussi éloigné que celui-ci, gardez-vous bien d'accepter. C'est ce qu'il y aurait de plus fâcheux et de plus ennuyeux pour moi. Ici je goûte un profond repos, et il m'a suffi de deux jours pour chasser tous les ennuis de ce pénible voyage.
Haut du documentEcrite à Cucuse en 404. Pour bien comprendre toutes les allusions contenues dans cette lettre, lire les chapitres 38, 39 et 40 du tome Ier.
Il lui raconte ce qui lui est arrivé à Césarée.
A LA MÊME.
1. Pourquoi pleurer? Pourquoi vous attrister? pourquoi vous infliger un supplice que vos ennemis eux-mêmes n'ont pu vous faire subir? Le chagrin continue à tyranniser votre âme, témoin cette lettre que Patricius nous a remise et qui nous dévoile les blessures de votre coeur. Ce qui m'afflige, ce qui me tourmente , c'est de vous voir chercher de tous côtés des sujets de douleur, quand vous devriez faire tous vos efforts pour calmer votre chagrin. Vous allez jusqu'à vous forger des illusions (ne me l'avez-vous pas dit?) sans aucune raison, sans aucun motif, vous faites à votre âme des blessures qui lui sont très-funestes. A quoi bort vous tourmenter de n'avoir pu nous faire sortir de Cucuse? N'avez-vous pas fait tout ce qui vous a été possible? n'avez-vous pas tout remué, tout essayé? Si vous n'avez pu réussir, est-ce une raison de vous affliger ? Peut-être Dieu a-t-il voulu rouvrir devant nous une carrière plus longue à parcourir, pour nous donner lieu de mériter une couronne plus glorieuse: Pourquoi donc vous attrister de ce qui fait nôtre gloire? Il faudrait au contraire vous réjouir, et tressaillir d'allégresse, vous couronner de fleurs, puisque la divine miséricorde nous récompense bien au delà de nos mérites.
Mais c'est la solitude où nous sommes qui vous cause du chagrin. — En vérité, qu'y at-il de plus agréable que le séjour de Cucuse? C'est une solitude profonde, une tranquillité, un repos continuel; nous nous y portons à merveille. La ville, il est vrai, n'a point de marché; on n'y vend, on n'y achète rien. Mais qu'importe ? Tout m'arrive en abondance, comme d'une source féconde. L'évêque de cette ville et Dioscore semblent n'avoir d'autre occupation que de me soulager. L'excellent Patricius vous dira notre bonne humeur, notre joie, les soins dont nous sommes entouré. Voilà pour Cucuse.
Si vous vous désolez de ce qui nous est arrivé à Césarée, vous avez tort aussi. Car là encore nous avons remporté de brillantes couronnes; on nous loue, on nous vante, on nous admire jusqu'à l'enthousiasme, depuis que nous avons été accablé d'outrages et chassé de cette villes Mais je vous en prie, ne le dites à personne, bien que le bruit s'en répande de toute part. Paeanius m'a fait savoir qu'il y a ici des prêtres de Pharétrices, qui se disent en communion avec nous, qui prétendent n'avoir rien de commun avec nos ennemis, et n'avoir jamais eu avec eux aucune espèce de relations. C'est pour ne pas les troubler, que je vous prie de ne rien dire; car on nous a fait subir les plus cruels traitements. N'eusse-je rien enduré auparavant, il suffisait bien de ces outrages pour obtenir des palmes glorieuses, tant j'ai couru de dangers. Sachez donc garder le silence; je vais tout vous raconter en peu de mots, non pour vous affliger, mais au contraire pour vous réjouir. Tout cela est une occasion de profit pour moi; c'est là ma richesse; j'expie mes fautes en traversant toutes ces épreuves, qui se succèdent sans relâche et me sont suscitées par ceux que j'en aurais le moins crus capables. Nous étions sur le point de passer en Cappadoce; nous étions délivré de ce Galate, qui n'avait pas craint de nous menacer de mort, (442) lorsque pendant le voyage nous rencontrâmes nombre de gens qui nous dirent: " Pharétrius vous attend, il est sans cesse en route, tant il craint de ne pas vous rencontrer; il veut à toute force vous voir, vous embrasser, vous témoigner son affection; il a mis en mouvement tous les monastères, soit d'hommes, soit de femmes. " Je me gardai bien d'en rien croire; je me figurais précisément tout le contraire, sans en rien dire toutefois à ceux qui m'exprimaient ces désirs de l'évêque.
2. Enfin je suis arrivé à Césarée, accablé de fatigues, affreusement amaigri, dévoré par les ardeurs de la fièvre, succombant de faiblesse, éprouvant en un mot les plus vives souffrances. J'ai trouvé un logement à l'extrémité de la ville, et je me suis hâté de voir les médecins, pour éteindre cette fournaise qui me brûlait; c'était la fièvre tierce dont je souffrais. Joignez à cette maladie la misère, les fatigues du voyage, l'accablement, le manque de soins, la privation des choses les plus nécessaires. En outre il n'y avait là aucun médecin, j'étais épuisé de lassitude; la chaleur, les veilles m'avaient abattu, et enfin je suis arrivé presque mort à Césarée. Alors je me vis entouré du clergé, du peuple, des moines, des religieuses, des médecins; et tous s'empressèrent de me soigner, de me servir, de me fournir tout ce dont je pouvais avoir besoin. Néanmoins dévoré par cette fièvre brûlante, j'étais en danger de mort. Peu à peu la maladie se calma et disparut. Cependant je ne voyais pas Pharétrius; c'est qu'il attendait mon départ, je ne sais pourquoi. Quand je me sentis à peu près guéri, je songeai à quitter Césarée, pour me rendre à Cucuse, et me reposer un peu des fatigues de la route. Nous en étions là, quand on nous annonça qu'une immense multitude d'Isauriens ravageaient les environs de Césarée, qu'ils avaient réduit en cendres un bourg considérable, qu'en un mot ils se livraient aux derniers excès. Aussitôt le tribun marcha sur eux avec ses soldats. On craignait qu'ils ne vinssent attaquer Césarée elle-même; tous étaient saisis de terreur à la pensée des dangers que courait leur patrie. Les vieillards mêmes se tenaient tout armés sur les murailles.
Voilà que vers le matin, une cohorte de moines (je ne trouve pas d'autre nom pour exprimer leur fureur), se précipitèrent sur la maison où nous résidions, nous menaçant de la livrer aux flammes et de nous faire mourir, si nous ne partions au plus vite. Ni l'approche des Isauriens, ni la pensée de la maladie qui nous accablait, rien ne put les adoucir; telle était leur colère, telle était leur fureur, que les soldats eux-mêmes étaient effrayés. Ils les menaçaient de se jeter sur eux, et ils se vantaient d'avoir déjà accablé de coups bon nombre de prétoriens. Ainsi menacés, les soldats vinrent nous trouver, nous prièrent et nous supplièrent de les délivrer de ces monstres, dussions-nous tomber entre lés mains des Isauriens. Le préfet, averti de ce qui se passait, arriva lui-même pour nous porter secours. Ses prières ne touchèrent pas les moines, et il ne put non plus rien obtenir. Après ces vains efforts, il n'osait nous conseiller de sortir; car c'était nous envoyer à une mort certaine , il n'osait non plus nous conseiller de rester, vu la fureur des moines. Il fit donc prier Pharétrius de nous accorder quelques jours en considération de notre maladie et des dangers que nous cou. rions. Cette démarche n'eut pas plus de succès. Au contraire le lendemain les moines revinrent à la charge avec plus de violence encore; et pas un prêtre n'osait résister et nous secourir; mais rougissant de honte (car tout cela, disaient-ils, se faisait par ordre de Pharétrius), ils se tenaient cachés; et quand nous les mandions, ils n'obéissaient pas.
A quoi bon vous en dire davantage? Environné de tant de périls, ayant la mort devant moi, dévoré par la fièvre (car je n'étais pas encore guéri), sur le midi, je me jetai dans une litière, et on m'emporta, au milieu des gémissements, des lamentations du peuple entier qui maudissait l'auteur de ces violences; tous poussaient des sanglots et versaient des larmes. Quand je fus sorti de la ville, quelques clercs en sortirent aussi sans rien dire, et m'accompagnèrent en se lamentant. Plusieurs disaient : Pourquoi l'emmener ainsi à une mort certaine ? Un de ceux qui m'aimaient le plus tendrement me disait : " Partez, je vous en prie; tombez plutôt aux mains des Isauriens que de rester ici. Partout où vous irez, vous serez en sûreté, si vous pouvez vous tirer de nos mains. " Entendant tout cela, et témoin de tout ce guise passait, une vertueuse dame, Séleucie, l'épouse de Rufin (il n'est pas de bons offices qu'elle ne nous ait rendus), me pria d'accepter l'offre qu'elle me faisait de sa maison de campagne, située à cinq milles de Césarée; elle (443) y envoya un certain nombre d'hommes, et nous nous y rendîmes nous-même.
3. Mais là ne devaient pas s'arrêter les menées de nos ennemis. Dès que Pharétrius en fut averti, il lui fit toute sorte de menaces. Moi ; j'étais à sa maison de campagne sans me douter de quoi que ce fût. Elle vint me voir, sans rien me dire; mais elle informa son intendant du danger que je courais, et lui enjoignit de veiller à tous mes besoins, et dans le cas où les moines viendraient renouveler leurs outrages, de réunir les laboureurs de ses autres maisons de campagne , et d'en venir aux mains avec les moines. Bien plus elle m'invitait à me réfugier dans sa maison , qui était fortifiée et inexpugnable, et de me soustraire ainsi aux mains de l'évêque et des moines. Mais elle ne put m'y déterminer. Je restai à la campagne sans rien savoir de ce que l'on préparait ensuite contre moi. Mais cela ne suffît pas pour apaiser leur fureur.
Au milieu de la nuit, sans que je pusse m'y attendre ( Pharétrius l'accablait de ses menaces, voulant la contraindre à me chasser de sa maison de campagne), cette femme, à bout de patience, m'annonça que les barbares arrivaient; elle n'osait avouer la contrainte qu'elle subissait. Donc au milieu de la nuit, le prêtre Evéthius vint me trouver, me réveilla et se prit à crier: " Levez-vous, je vous prie, voici les barbares; ils sont tout près d’ici. " Je vous laisse à penser quelle fut alors mon émotion. Que faut-il faire ? lui demandai-je ; nous ne pouvons retourner dans la ville , où nous courrions plus de dangers qu'ici au milieu des barbares. Le seul parti à prendre, c'est de fuir. Il était minuit, pas de lune; mais au contraire partout d'épaisses ténèbres; et nous voici de nouveau dans un étrange embarras. Personne pour nous venir en aide. Tous nous avaient abandonné. Saisi de crainte, n'attendant que la mort, accablé de toute sorte de maux, je me levai et je fis allumer des torches. Mais le prêtre les fit éteindre, de peur qu'attirés par cette lumière, les barbares ne se précipitassent sur la maison. On éteignit donc les torches; et nous partîmes.
Le chemin était escarpé et pierreux. Le mulet qui portait notre litière, tomba sur ses genoux, me renversa avec la litière, et peu s'en fallut que je ne périsse. Je me relevai et m'acheminai péniblement. Le prêtre Evéthius, qui était descendu de cheval, me prit par la main: et ainsi conduit, ou plutôt traîné, je continuai ma route.. Les chemins étaient si difficiles, les montagnes si rudes à gravir, la nuit si profonde, que j'avançais .à peine songez à ce que je dus souffrir, accablé que j'étais de tant de maux, en proie à la fièvre, ne sachant rien . de ce que l'on avait ourdi contre moi, ne craignant, ne redoutant que les barbares, et m'attendant bien à tomber dans leurs mains. N'eussé-je jamais rien souffert auparavant, n'était-ce pas assez souffrir, je vous le demande, pour expier mes péchés et pour obtenir une gloire brillante ? Or voici, je crois, la cause de toutes ces souffrances. A mon arrivée à Césarée, tous les magistrats, les anciens vicaires ou présidents devenus sophistes, les anciens tribuns, les gens du peuple venaient me voir, m'assistaient, ne me perdaient pas de vue un seul instant. Pharétrius, je crois, en fut blessé; et cette jalousie qui nous a fait chasser de Constantinople, continue jusqu'en ces lieux à s'acharner contre nous. Je n'affirme rien cependant; c'est une simple conjecture de ma part. Et qui pourrait dire tout ce que nous eûmes à souffrir durant le voyage? Que de frayeurs ! que de périls ! Tous les jours ils me reviennent à l'esprit, ils s'offrent à mon souvenir pour me combler de joie et me faire tressaillir de bonheur. N'est-ce pas comme un magnifique trésor que je possède maintenant? Voilà mes sentiments et mes dispositions. Je vous invite donc, à. vous en réjouir avec moi; oui, je vous invite à bondir de joie, et à bénir le. Seigneur de nous avoir jugé digne de, tant de souffrances. Mais gardez pour vous tous ces détails et ne les dites à personne, bien que les soldats puissent les répandre dans la ville : car, eux aussi, ils ont couru risque de perdre la vie.
4. Au reste, que personne ne les sache par vous; tâchez même d'imposer silence à ceux qui les voudraient raconter. Si vous vous affligez des conséquences de tant de souffrances, sachez bien que maintenant tout est fini, que je me porte beaucoup mieux qu'à Césarée. Ne craignez pas que je. souffre du froid. On nous a préparé une demeure fort commode, et Dioscore ne néglige rien pour que nous ne sentions pas la moindre fraîcheur. A en juger par le début, ce climat ressemble à celui de l'Orient, tout autant que celui d'Antioche. C'est la même chaleur, la même température. Vous m'avez fait beaucoup de peine (444) en me disant: a Peut-être êtes-vous fâché, et " trouvez-vous que j'ai été négligente. " — Ne vous ai-je pas écrit, il y a longtemps déjà, pour vous prier de ne pas me faire sortir d'ici (1)? Je pouvais m'imaginer qu'il vous faudrait tout un discours et une peine infinie pour vous justifier au sujet d'une telle parole. Peut-être vous en êtes-vous en partie justifiée en disant : " Chaque fois que j'y songe, je sens s'accroître a mes douleurs. " Je ne puis, à mon tour, m'empêcher de vous reprocher bien vivement d'entretenir à dessein votre chagrin par vos réflexions. Au lieu de faire tous vos efforts pour dissiper votre affliction, vous secondez les vues du démon, en développant en vous le découragement et la tristesse. Oubliez-vous tout ce qu'il y a de fâcheux dans la tristesse? N'ayez plus aucune crainte au sujet des Isauriens : ils se sont retirés dans leur pays; et le préfet n'a rien négligé pour les y contraindre. Je suis beaucoup plus tranquille ici qu'à Césarée. Il est peu de gens que je redoute autant que les évêques. Quant aux Isauriens, rassurez-vous. Ils ont disparu, l'hiver les force à se tenir chez eux; peut-être reviendront-ils après la Pentecôte.
Comment se fait-il que vous ne receviez pas de lettre? Je vous ai envoyé trois lettres, la première, par les soldats, la seconde, par Antoine, et la troisième par Anatole, votre serviteur, toutes trois fort longues. Les deux dernières surtout sont bien propres à relever le courage, à taire cesser tout scandale, à rendre à l'âme une parfaite tranquillité. Quand donc vous les aurez reçues, ne vous lassez point de les lire; vous en verrez l'efficacité, vous y trouverez un remède salutaire et vous nous direz que vous en avez retiré de grands avantages. J'en avais écrit une troisième sur le même sujet, que je n'ai pas voulu vous envoyer tout de suite; je souffre trop de vous entendre dire que vous entassez les réflexions pénibles, que vous vous forgez mille chimères. Tout cela est indigne de vous, et je ne puis moi-même qu'en rougir de honte. Lisez donc ces lettres, et vous n'oserez plus tenir ce langage, quand même vous vous obstineriez à vous plonger dans la tristesse. Pour ce que vous me dites de l'évêque Héraclide, libre à lui, s'il le veut, de poursuivre devant les tribunaux, et de sortir ainsi de ses ennuis : il n'y a que ce moyen... Bien que je n'obtinsse aucun
1 Voir tome Ier, pag. 404.
résultat, j'ai prié Pentadia de faire en sorte de trouver quelque remède au mal. Vous me dites que c'est sur l'ordre de cet évêque, que vous avez osé m'avertir de ces calamités. Vous êtes vraiment bien hardie. Je n'ai jamais cessé, je ne cesserai jamais de dire que le seul mal, c'est le péché; tout le reste n'est que cendre et fumée. Est-ce un mal que d'être en prison, que d'être chargé de chaînes'? Est-ce un mal que de souffrir, puisque la souffrance amène tant de richesses? Est-ce un mal que l'exil, que la confiscation des biens? Ce sont des noms moins vides de sens, des noms qui ne désignent pas un malheur réel. La mort, c'est une dette qu'il faut payer à la nature, quand même personne ne nous fera mourir; l'exil, qu'est-ce autre chose que voir d'autres pays et visiter un grand nombre de villes? La confiscation des biens, c'est la liberté, c'est l'indépendance.
5. Ne vous lassez point d'entourer de vos. bons offices l'évêque Maruthas, pour le tirer de l'abîme, si vous le pouvez. Car j'ai bien besoin de lui pour les affaires de Perse. Tâchez d'apprendre de lui ce qu'il a pu réformer dans ce pays, le motif qui l'amène à Constantinople, et dites-nous aussi si vous lui avez remis les deux lettres que je vous ai envoyées à son adresse. S'il veut bien m'écrire, je lui répondrai. S'il ne le veut pas, priez-le de vous (lire les résultats qu'il a obtenus et ceux qu'il espère obtenir à son retour. C'est là ce qui me faisait tant désirer de le voir. Faites en un mot tout ce que vous pourrez, remplissez votre devoir, quoique tous se jettent tête baissée dans l'abîme. Car vous recevrez une récompense magnifique. Soyez donc à son égard aussi empressée que possible. N'oubliez pas non plus ce que je vais dire; je fais appel à votre zèle. Les moines Marses et Goths, chez qui l'évêque Sérapion se tenait caché, m'ont dit avoir vu le diacre Moduarius : il leur a appris la mort d'Unilas, cet évêque admirable que j'ai ordonné il n'y a pas longtemps, et que j'ai envoyé dans le pays des Goths. .Il a fait beaucoup de bien durant son épiscopat. Moduarius apporte une lettre du roi des Goths, qui demande un autre évêque. Au malheur dont nous sommes menacé, je ne vois d'autre remède que les délais. Ils ne peuvent maintenant gagner le Bosphore, ni se rendre dans cette contrée; et faites en sorte de les retenir en alléguant la mauvaise saison. Ne (445) négligez rien pour cela : j'y attache la plus grande importance. Il y a deux choses que je redoute et que je prie Dieu d'empêcher. Je ne voudrais pas que cet évêque fût ordonné par les auteurs de tant de maux ; ils n'ont aucun pouvoir pour cela; je ne voudrais pas non plus que l'on prît le premier venu. Vous savez bien qu'ils ne s'empresseront pas de choisir un homme de bien; et vous n'ignorez pas quelles seront les conséquences de leur choix.
Mettez donc tout votre zèle à prévenir un pareil malheur. Ce qu'il y aurait de mieux, ce serait que Moduarius pût venir en secret et sans bruit jusqu'à nous. S'il ne le peut, faites tout ce qu'il sera possible de faire. Il en est des soins à donner à une affaire, comme d'une offrande pécuniaire. Rappelez-vous cette veuve de l'Évangile. Elle donna deux oboles, et en cela, elle se montra plus généreuse que d'autres qui avaient offert des sommes considérables. Car elle avait donné tout ce qu'elle possédait. De même ceux qui donnent à une affaire tous les soins dont ils sont capables, n'ont rien à se reprocher et méritent d'être pleinement récompensés. Je remercie du fond du coeur l'évêque Hilaire. Il m'a écrit pour me demander de lui permettre de retourner dans son église, me promettant de revenir, aussitôt qu'il aurait tout arrangé. Sa présence nous est fort utile. Car c'est un homme rempli de piété, de constance et de zèle. Aussi l'ai-je exhorté à revenir promptement. Faites-lui donc tenir, dès que vous pourrez, et par une personne de confiance, la lettre que nous lui écrivons; prenez bien garde qu'elle ne se perde. Il nous supplie avec beaucoup d'instance de lui écrire, et d'ailleurs sa présence nous offre de grands avantages. Ayez donc bien soin de cette lettre; et si vous n'avez pas sous la main le prêtre Helladius, ne la confiez qu'à un homme prudent et de tête.
Haut du documentÉcrite d'Arabisse en 408.
Il exhorte Olympiade à ne point s'effrayer des persécutions, et lui apprend qu'il n'est pas encore parfaitement guéri.
A LA MÊME.
Dès votre bas âge vous avez donné des preuves de sagesse, vous avez foulé aux pieds l'orgueil humain, et vous espériez mener une vie sans trouble et sans luttes ! C'était impossible quand les hommes sont en lutte les uns contre les autres, soit dans les palestres, soit dans les guerres, que de blessures ne reçoivent-ils pas? Et vous qui vous êtes armée contre les principautés et contre les puissances, contre ceux qui règnent sur les ténèbres de ce siècle, contre les malins esprits eux-mêmes, vous qui avez déployé tant de bravoure, élevé tant de trophées, qui avez inquiété de tant de manières ce démon si féroce et si dangereux, comment pouviez-vous espérer mener une vie paisible et sans troubles? Ne vous effrayez donc point de toutes ces guerres, de ce tumulte qui surgit de toute part. C'est le contraire qui eût dû vous surprendre; il eût fallu vous étonner de ne rien voir arriver de semblable. Non, la vertu ne va jamais sans le travail et le danger. Vous le saviez bien depuis longtemps, et il n'est pas besoin que d'autres vous l'apprennent. Ce n'est pas pour vous tirer de l'ignorance que nous vous écrivons. Nous savons bien que ni l'exil, ni la confiscation des biens, toujours si pénibles aux hommes, ni les outrages, ni aucune autre affliction ne sont capables de vous troubler. S'il faut ambitionner 1e sort de ceux qui compatissent aux souffrances d'autrui, que dire de ceux qui souffrent eux-mêmes tous ces maux?
Et c'est pourquoi l'apôtre saint Paul adresse tant de louanges aux Hébreux convertis à la religion chrétienne : Rappelez-vous ces jours, déjà éloignés, où, éclairés de la lumière de la foi, vous avez supporté si généreusement tant de souffrances, tour à tour chargés d'opprobres, rassasiés d'affliction, donnés, pour ainsi dire, en spectacle aux hommes, ou bien compatissant, aux douleurs de vos frères. (Hébr. X, 32, 33.} A quoi bon vous écrire une longue lettre? On ne s'approche point du guerrier victorieux et (446) fier de ses trophées pour lui venir en aide, mais pour le combler d'éloges et célébrer son courage. Nous, qui savons tout ce que vous avez montré de sagesse au sein du malheur, nous vous félicitons et nous vous admirons, soit pour votre patience, soit pour les récompenses qui vous sont réservées. Vous voulez maintenant avoir de nos nouvelles; car nous avons gardé un long silence. Eh bien l nous avons échappé à une maladie dangereuse, mais nous en éprouvons encore les suites. Nous avons ici d'excellents médecins; malheureusement, le secours de la médecine est paralysé par le manque des choses les plus nécessaires non-seulement il n'y a ni médicaments, ni rien de ce qui peut contribuer à la guérison du corps, mais nous sommes menacé de famine et de peste. La cause de tant de maux, ce sont les perpétuelles incursions des brigands, qui assiègent tous les chemins, ferment le passage aux voyageurs et leur font courir les plus grands périls. Andronique, à ce qu'il dit, est tombé dans leurs mains; ils l'ont dépouillé et l'ont ensuite laissé libre. Je vous en prie donc, n'envoyez désormais personne dans ce pays'; autrement, celui que vous enverriez courrait risque d'être égorgé. Si cela arrivait, vous n'ignorez pas quelle serait notre douleur. Mais, si vous trouvez un homme en qui vous ayez confiance et qui vienne ici pour d'autres affaires, donnez-nous des nouvelles de votre santé; seulement, que personne ne vienne ici pour notre; utilité personnelle: je vous l'ai dit, nous craindrions pour ses jours.
Haut du documentFonte à Cucuse en 405.
Dieu ménage aux hommes pieux des joies et des souffrances.
A LA MÊME.
Dieu vous montre son ineffable miséricorde, soit en permettant les épreuves si multipliées et si rudes que vous traversez, et qui vous méritent de si splendides couronnes, soit en se hâtant de vous en délivrer, de peur que leur trop longue durée ne finisse par accabler votre âme. N'est-ce pas ainsi qu'il s'est conduit à l'égard des apôtres et des prophètes, ces hommes si pleins de courage? N'a-t-il pas tantôt permis aux flots de se soulever, tantôt imposé silence aux eaux de l'adversité et changé en un calme profond les plus horribles tempêtes? Ne pleurez donc plus, ne vous laissez donc plus aller à la tristesse, n'ayez donc plus sans cesse devant les yeux ces sujets d'affliction si nombreux, ou plutôt. si continuels; mais songez aussi qu'ils sont bientôt dissipés et qu'ils vous ont mérité une récompense au-dessus de toute expression. Comparez ces peines aux récompenses qui vous sont réservées : ne sont-elles pas comme une toile d'araignée, comme une vaine fumée, moins encore, s'il est possible? Qu'est-ce donc que l'exil? Qu'est-ce que passer d'un pays dans un autre? Peut-on s'en plaindre? Peut-on se plaindre d'être persécuté, d'être proscrit, d'être traîné devant les tribunaux, emmené de vive force par les soldats; d'être maltraité par ceux à qui l'on a fait du bien, tourmenté par ses serviteurs et par ses enfants, puisque ainsi l'on mérite le ciel et ces biens si purs, ces biens ineffables, éternels, qui font goûter à l'âme de perpétuelles délices? Ces embûches, ces mauvais traitements, la perte des biens, ces changements de lieux, ce séjour à l'étranger, n'y songez plus; foulez aux pieds ces biens aussi méprisables que la boue, et considérez ces trésors que méritent les souffrances, ce gain qui ne s'épuise ni ne se consume jamais, ces richesses dont on ne peut vous dépouiller.
Mais la peine et l'adversité vous ont rendue malade; les piéges de vos ennemis ont accablé votre corps. — N'est-ce pas là encore l'occasion de grands, d'ineffables mérites? Vous savez, oui, vous savez bien quelle gloire il y a à supporter généreusement et avec un coeur reconnaissant les maladies du corps. Je vous l'ai souvent répété : c'est là ce qui valut à Lazare sa couronne; c'est là ce qui couvrit Satan de confusion quand il se fut mesuré avec Job, et ce qui couvrit de gloire cet athlète invincible. Oui, il aimait la pauvreté, il méprisait les richesses, il avait perdu ses fils, il s'était vu dresser mille embûches : tout cela lui valut moins de gloire que la maladie; la maladie, plus que tout le reste, ferma la bouche à ce démon si plein d'impudence. Réfléchissez donc à ce que je viens de vous dire; réjouissez-vous, tressaillez d'allégresse : vous êtes sortie d'un rude combat, et, ce qu'il y a de plus difficile, vous l'avez soutenu avec patience, en rendant gloire au Dieu miséricordieux qui dissipe tous les maux, qui leur permet aussi de se produire (447) pour vous offrir l'occasion de mériter plus de récompenses. Et voilà pourquoi nous ne cessons de vous proclamer bienheureuse. Nous nous réjouissons pareillement de vous voir délivrée de tant d'affaires et de tant de procès; vous en êtes sortie avec une véritable dignité : on ne peut. vous reprocher ni négligence, ni opiniâtreté; vous ne vous êtes point lancée dans les tribunaux, ni exposée aux maux qui en résultent. Vous avez su retrouver cette liberté dont vous aviez besoin; en toutes choses on a reconnu votre prudence, votre courage, votre patience, et cette intelligence qui ne peut se laisser surprendre par les ruses d'un ennemi.
Haut du documentEcrite en 404 ou en 405.
Saint Chrysostome félicite Olympiade de son courage et de sa résignation
A LA MÊME.
Non, vous n'avez rien éprouvé de fâcheux au contraire, ces épreuves continuelles ont tendu les ressorts de votre âme, et en ont accru l'ardeur et la force; elle combattra désormais avec une nouvelle énergie, et sortira de la lutte toute remplie de joie. Tels sont les effets de l'adversité, quand elle rencontre une âme ardente et généreuse. De même que le feu éprouve l'or, de même aussi, quand l'affliction tombe sur un coeur d'or, elle en redouble l'éclat et la pureté. C'est pourquoi saint Paul disait : La tribulation produit la patience, et la patience l'épreuve. (Rom. V, 3, 4.) Aussi tressaillons-nous d'allégresse, et sommes-nous inondé de joie; et dans le désert où nous vivons, votre courage nous remplit de consolations. Oui, fussiez-vous entourée de loups , d'une multitude de méchants, nous ne redoutons quoi que ce soit à votre sujet. Toutefois nous prions le Seigneur de mettre un terme aux afflictions présentes, de ne pas permettre que d'autres surviennent, et en cela nous accomplissons le précepte de l'Evangile qui nous ordonne de demander que nous n'entrions pas en tentation. Que si Dieu les permet de nouveau, nous nous rassurons en pensant à votre âme aussi pure que l'or, à ces trésors qu'elle en saura retirer. Quelle terreur pourraient-ils vous inspirer, ces hommes qui ne cessent de travailler à leur'propre perte? Vous feront-ils craindre la perte de vos biens ? Mais ces biens, vous les regardez comme une vile poussière, ils ont à vos yeux moins de prix que la boue. Vous enlèveront-ils votre patrie et votre maison ? Mais que vous importe d'habiter une grande ville, une ville populeuse, ou bien un désert? N'avez-vous point passé toute votre vie loin de l'agitation du siècle et dans le calme, n'avez-vous pas toujours mis sous vos pieds toutes les pompes du monde? Ils vous feront mourir? Mais vous avez prévenu leurs menaces, et vous n'avez cessé de méditer sur la mort; s'ils vous traînent au lieu du supplice, ils n'y traîneront qu'un cadavre.
Que dirai-je encore ? On ne pourra vous menacer d'un seul mal que vous n'ayez depuis longtemps souffert avec patience. C'est par la voie étroite que vous avez toujours marché; et de la sorte un long exercice vous a donné l'habitude de souffrir avec une généreuse résignation. Cette science admirable, vous l'avez apprise, pour ainsi parler, dans le stade ; et elle vient de vous rendre illustre dans les combats. Les maux qui vous arrivent ne troublent point votre âme; elle conserve toute son activité, toute sa joie, toute son allégresse. Oui, vous êtes merveilleusement exercée au combat, vous engagez la lutte avec une étonnante facilité, nonobstant la faiblesse naturelle à votre sexe, et ce corps plus délicat qu'une toile d'araignée; vous foulez aux pieds comme en vous jouant ces hommes si vigoureux, et qui grincent les dents de fureur. Vous êtes toute prête à soutenir plus de maux qu'ils n'en préparent contre vous. Vous êtes bienheureuse, trois fois bienheureuse, vous qui méritez de si brillantes couronnes; que dis-je ? vous êtes bienheureuse, vous qui soutenez de si glorieux combats. Telle est en effet la nature de ces combats que, même avant de remporter la victoire, on est récompensé dans l'arène par ce plaisir dont jouit une âme courageuse et patiente. Ainsi aguerrie, elle se sent invincible, imprenable, supérieure à tous les dangers. Non, personne ne pourra vous nuire, car au sein de cette tempête, vous êtes assise sur le roc; vous voguez tranquillement sur cette mer irritée. Voilà quelles sont, avant le bonheur céleste, les récompenses de l'adversité dans la vie présente. Je le sais, oui, je le sais bien, vous vous considérez comme déjà dépouillée de votre (448) corps la joie vous donne, pour ainsi dire, des ailes, et si les circonstances l'exigent, vous vous dépouillerez de ce corps mortel avec plus de facilité que d'autres ne se dépouillent de leurs vêtements. Réjouissez-vous donc, soyez heureuse, et à votre sujet, et au sujet de ceux qui sont morts d'une mort glorieuse, non dans leurs lits, ni dans leurs maisons, mais dans les prisons, dans les fers, au milieu des supplices. Déplorez au contraire le sort des auteurs de tant de crimes, versez des larmes sur leur. conduite. Cela convient à votre sagesse. Vous voulez avoir des nouvelles de notre santé. Eh bien ! nous voici délivré de cette maladie qui nous causait de si grandes souffrances , et maintenant nous nous portons mieux. Puisse l'hiver ne pas faire de mal à notre estomac qui est si délicat! Quant aux Isauriens, nous n'avons rien à craindre de leur part.
AVERTISSEMENT.
Dans les lettres qui suivent, saint Chrysostome témoigne son affection aux personnes auxquelles il écrit, et les prie de lui donner de leurs nouvelles. — Le coeur de l'ami et du saint s'épanche tout entier dans ses lettres, généralement courtes et conçues dans le style le plus simple et le plus familier. — Il en est plusieurs toutefois où saint Chrysostome traite d'affaires importantes. Celles-là nous en donnerons des analyses spéciales
Cucuse, 404.
Que vous nous écriviez souvent, que vous nous écriviez rarement, nous aurons toujours de votre charité l'idée que nous en avons eue dès le principe. Nous le savons en effet, soit que vous nous écriviez, soit que vous gardiez le silence, vos sentiments à notre égard ne changent pas. Daigne le Seigneur vous accorder un prompt rétablissement et vous délivrer de votre maladie ! Nous avons été fort inquiet en apprenant que vous étiez malade. Aussi nous vous prions de nous donner de vos nouvelles toutes les fois que vous le pourrez, et de nous dire si vous vous portez mieux. Vous n'ignorez pas combien nous nous affligeons de vous savoir malade, quelle joie nous éprouvons au contraire, de quel plaisir nous sommes rempli, quand nous vous savons bien portante. Puisqu'il en est ainsi, noble et généreuse dame, toutes les fois que vous le pourrez, n'hésitez pas à nous écrire, et dites-nous dans quel état de santé vous vous trouvez. Vos lettres, croyez-le bien, nous feront toujours le plus sensible plaisir.
404 ou 405.
Notre plus vif désir serait de vous voir, vous qui nous aimez si tendrement. Mais nous ne le
Pouvons point; la distance, l'hiver, la crainte des brigands sont autant d'obstacles qui s'y opposent. Nous voudrions au moins trouver de fréquentes occasions de vous écrire, pour satisfaire pleinement le besoin que nous avons de nous entretenir avec vous. Mais nous habitons un désert, éloigné de toute grande route, et nous sommes privé même de la consolation de vous écrire souvent. Vous nous pardonnerez donc. Mais soit que nous vous écrivions, soit que nous gardions le silence, soyez persuadés de notre bienveillance envers vous. Imputez notre silence prolongé au désert que nous habitons, et nullement à notre indifférence à votre égard.
Cucuse, 404.
Je connais votre affection sincère, ardente et franche pour notre personne ; je sais que rien ne peut l'affaiblir, ni les préoccupations, ni le temps, ni la distance; je sais combien vous souhaitez de nous voir et de nous entretenir. Mais puisque la longueur du chemin, la rigueur de la saison, les Isauriens ne le permettent pas, réjouissez notre coeur par vos lettres, donnez-nous de vos nouvelles et des nouvelles de votre maison. Si vous nous écrivez souvent, nous en éprouverons beaucoup de joie et notre âme sera heureuse, même dans ce désert où nous vivons. Vous n'ignorez pas en effet, illustre et (450) vénéré seigneur, les voeux que nous formons pour votre santé.
Peut-être 405.
Heureux, trois fois heureux, mille fois heureux, vous qui, vous appliquez à des travaux, à des affaires, qui vous mériteront une grande récompense, un riche trésor dans les cieux. Oui, vous nous avez comblé de joie, en nous apprenant que vous avez fait tous vos efforts pour déterminer le prêtre Jean à se rendre en Phénicie. Vous ne nous dites pas que vous lui avez donné de l’or ; votre piété vous imposait silence; mais cet acte de générosité, et tant d'autres encore n'ont pas nous rester inconnus. C'est pourquoi nous ne cessons de vous admirer :et nous vous, félicitons, d'amasser ces richesses qui: sont les seules véritables richesses, et nous vous conjurons, de nous écrire fréquemment. Nous achèterions bien, cher le plaisir de vous voir, si cela, était. possible. Aloïs puisque nous sommes privé de ce bonheur , écrivez-nous de temps en temps, pour nous donner des nouvelles de votre santé et de la santé de toute votre famille. Nous aurons toujours beaucoup de plaisir à apprendre que vous vous portez bien. Vous en êtes persuadé, et c'est pourquoi vous ne voudrez pas nous priver de cette joie.
Cucuse. 405.
Je ne suis pas surpris que vous appeliez brève une lettre pourtant si longue. C'est en effet le propre de ceux qui aiment de ne pouvoir être rassasiés. Plus ils reçoivent de ceux qu'ils aiment, plus leur désir s'accroît. Nous vous aurions adressé une lettre dix fors plus longues que vous l'auriez encore appelée courte; non-seulement vous l'auriez ainsi appelée, mais en réalité , vous l'eussiez trouvée trop courte. Nous aussi, quel que soit le degré de votre affection, nous ne le trouverons jamais assez élevé, nous souhaiterons toujours qu'elle augmente encore : l'amour est une dette que l'on paye sans cesse, et que l'on doit toujours. Ne vous devez jamais rien les uns aux autres, sinon un amour mutuel. (Rom. XIII, 8.) Cette dette, nous ne cessons d'en réclamer le paiement : vous vous acquittez abondamment, il est vrai, et cependant nous ne croyons jamais être complètement payé. Ah ! je vous en conjure, cette dette précieuse, qui produit tant de charmes, ne vous lassez point de l'acquitter. De part et d'autre on goûte un égal bonheur, soit en acquittant cette dette, soit en recevant le paiement : car de part et d'autre on s'enrichit.
Il n'en est pas ainsi des dettes pécuniaires celui qui les acquitte devient plus pauvre; celui qui reçoit le paiement devient plus riche. Bien de semblable dans ce contrat de l'affection mutuelle. Quand il s'agit d'argent, le débiteur n'a plus rien en sortant de chez son créancier. Mais l'âme n'est jamais vide, quand elle a soldé la dette de l'affection : au contraire elle s'est enrichie. Puisqu'il en est ainsi, pieux et vénérés seigneurs, ne cessez de montrer ces dispositions à mon égard. Sans doute vous n'avez pas besoin de cette exhortation ; mais nous vous aimons trop pour ne pas attirer sur ce point votre attention et pour ne pas vous recommander de nous écrire souvent et de nous donner de vos nouvelles. Oui, votre santé nous est trop chère pour que nous cessions de vous faire cette demande, qui , je l'avoue, n'est lias absolument nécessaire. Il ne vous est pas facile, il est vrai, de nous écrire la rigueur de la saison, la difficulté des chemins, la pénurie des messagers .s'y opposent. Vu tant d'obstacles, écrivez-nous du moins le plus souvent que vous le pourrez : nous pros. sons votre charité de nous accorder cette grâce. Sur votre demande, nous avons écrit à notre pieux seigneur, le prêtre Romain; et nous vous savons beaucoup de gré de nous y avoir invité. C'est la vivacité de votre affection pour nous qui vous a portés à nous donner, avec tant d'empressement, ce conseil de nous unir plus étroitement avec ces hommes si distingués. Quand vous aurez reçu la lettre que nous lui avons écrite, nous vous prions de la lui remettre. Avant même de l'avoir reçue, saluez-le de notre part. Il y a longtemps que nous ressentons pour lui beaucoup d'affection. Je souhaite que vous lui disiez vous-mêmes que cette affection ne s'est pas affaiblie, et que c'est pour nous un vrai bonheur de l'entretenir dans notre âme. Dites-lui que, si nous ne lui avons pas écrit, ce n'est pas négligence de notre part; c'est que nous attendions une lettre de lui. Il nous a prié de lui écrire le premier; nous le faisons, et nous le prions à notre tour de nous écrire souvent.
Curse, 405.
Très-pieux et très-vénéré seigneur, vous savez quels sont. nos sentiments à votre égard , et quel lieu étroit la charité a formé entre nous. Nous admirons la douceur de vos moeurs, nous sommes ravi de l'éclat de cette vertu, qui vous gagne les coeurs de tous ceux qui vous approchent. C'est pourquoi; malgré la distance qui nous sépare; vous occupez sans cesse notre pensée ; et dans quelque désert qu'on nous entraîne, nous ne pourrons oublier votre charité. Mais nous vous voyons , comme si vous étiez ici ; nous nous représentons vos traits par les yeux de la charité ; ou plutôt nous vous contemplons vous-même et nous faisons partout l'éloge de votre piété. Nous vous demandons â notre tour de vous souvenir de nous , d'entretenir dans votre coeur cette vive affection que vous nous avez toujours témoigne ; de prier avec ardeur pour notre humilité, enfin de nous écrire et de nous donner des nouvelles de votre santé. Ce sera pour nous une grande consolation dans la solitude où nous sommes, que de jouir, même à une si grande distance, du secours de vos prières.
Cucuse, 404.
Vous me demandez pardon de n'être pas venu me trouver, et vous me dites que la maladie vous en a empêché. Je vous loue de votre bonne volonté, et je vous en félicite. Vous êtes venu autant qu'il dépendait de vous, et vous n'occupez point dans notre coeur moins de place que ceux qui nous ont visité de leur personne. Dieu vous délivrera, je l'espère, de votre maladie, rétablira votre santé, et nous aurons le bonheur de vous voir et de jouir de votre présence. Nous désirons vivement vous voir, vous embrasser et baiser votre tête chérie. Tant que votre maladie et le mauvais temps nous priveront de ce bonheur, nous ne cesserons de vous écrire et de puiser dans cette expression de nos sentiments une joie véritable.
Cucuse , 404.
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Nous voudrions vous écrire bien souvent, et vous n'en doutez pas, très-vénéré seigneur. Mais nous sommes privés de ce bonheur, parce que rarement on vient jusqu'ici; c'est un pays désert que nous habitons; ce qui le rend plus désert encore, c'est la crainte des voleurs, et la mauvaise saison; Cucuse est pour ainsi dire inaccessible. Toutes les fois que nous rencontrons un voyageur, nous satisfaisons notre désir, et c'est pour nous une bien grande joie. Cette lettre, nous vous l'envoyons par des prêtres, nos vénérés seigneurs, pour offrir à votre piété nos salutations empressées, et vous prier de nous écrire et de nous donner des nouvelles de votre santé aussi souvent. que vous le pourrez. Vous n'ignorez pas, en effet, trèspieux et très-vénéré seigneur, combien nous serons heureux d'en recevoir. Bien que retiré aux extrémités du monde, nous ne pouvons cependant oublier votre sincère etardente charité. Mais quelque part que nous allions, elle nous y suivra pour répandre la consolation dans notre coeur.
Haut du documentCucuse, 404.
Vous ne nous avez pas envoyé de lettres par les prêtres qui sont venus ici. Toutefois, en (452)
souvenir de notre ancienne amitié, plein d'admiration pour la douceur de vos moeurs et la fermeté de votre âme, profondément touché de votre amour pour nous, nous nous empressons de vous écrire le premier, pour vous remercier de votre bienveillance à notre égard; car, malgré la distance qui nous sépare, cette bienveillance nous est connue. Nous vous prions de nous écrire aussi souvent que vous le pourrez et de nous donner des nouvelles de votre santé. C'est pour nous une grande consolation de savoir en bonne santé ceux qui nous aiment et qui s'occupent des Eglises avec vigilance et avec ardeur. Informé de tout cela, très-pieux et très-vénéré seigneur, ne craignez pas de nous importuner par vos lettres, quand même on nous entraînerait aux extrémités du monde, ce sera pour nous un grand soulagement à nos peines que de recevoir de vos nouvelles.
Cucuse, 404.
Nous remercions votre piété , très-vénéré seigneur, de nous avoir envoyé ce digne prêtre et de nous avoir écrit. C'est une double preuve de votre charité sincère et de votre ardente affection pour nous. Aussi, au fond de cette solitude, avons-nous éprouvé la plus vive consolation. Se sentir aimé par des hommes tels que vous, ce n'est pas une faible jouissance. Je souhaiterais beaucoup de vous voir, et de me rassasier de votre bienveillante tendresse. Mais cela n'est point possible; nous, cela ne nous est point permis; pour vous, il vous est difficile de venir ici, à raison des soins que réclame votre Eglise. Nous sommes donc forcé de nous contenter de cette joie que vos lettres nous procurent. Une lettre où respire une affection sincère, contribue puissamment à consoler d'une longue séparation. Daignez donc nous écrire et nous informer de votre santé, aussi souvent que vous le pourrez. Votre amitié, nous la regardons comme un trésor abondant, comme la source d'un bonheur ineffable. Faites que nous en jouissions fréquemment. Nous ne nous croirons plus dans un désert, quand nous recevrons de vos lettres, tant nous en éprouverons de joie.
Cucuse, environ 404.
Nous n'avons pas eu le bonheur de vous voir, mais nous avons entendu parler de vos vertus, du zèle que vous mettez à renverser les erreurs des gentils, à les convertir à la vraie religion, et c'est pourquoi nous vous estimons, nous vous vénérons comme si nous vous avions vu, comme si nous avions longtemps vécu dans votre familiarité. Nous nous empressons donc de vous écrire, pour vous féliciter des succès que vous obtenez, pour vous témoigner toute notre admiration et vous prier de nous écrire, dès que vous le pourrez. Nous sommes loin de vous par le corps, mais nous sommes unis ensemble par les liens de la charité, quand nous songeons à votre piété. Bien persuadé de nos dispositions, écrivez-nous de temps en temps, faites-nous connaître vos succès, et apportez ainsi quelque soulagement aux maux que nous endurons dans ce désert.
Cucuse, 405.
Ne vous laissez pas abattre par les afflictions qui vous surviennent; que les flots si multipliés des affaires ne jettent point le trouble dans vos âmes. Telle est en effet cette voie étroite et resserrée dont parle l'Evangile; elle n'offre que difficultés, sueurs et fatigues. Mais tout cela passe et s'écoule avec la vie présente. Sans doute c'est une voie étroite, mais cependant c'est une voie. Supporter ces maux avec résignation et générosité, c'est mériter des palmes immortelles, digne récompense des fatigues passées. Envisagez d'une part le peu de consistance , la brièveté de l'affliction , d'autre part la perpétuité, la durée infinie des récompenses, et supportez avec courage la tribulation, sans vous laisser troubler par aucun (453) événement fâcheux. Il n'y a vraiment rien de fâcheux que le péché. Tout le reste, exil, confiscation des biens, prisons, embûches, c'est une ombre, une fumée, une toile d'araignée, moins encore. Par le passé vous vous êtes habituées à supporter de nombreuses épreuves, montrez encore aujourd'hui la même patience. Elle aura pour effet de vous établir dans une grande sécurité, dans un calme parfait, et de vous combler de gloire. Ecrivez-nous par l'entremise de ceux que leurs affaires amènent jusqu'ici, et informez-nous de l'état de votre santé. Vous savez tout l'intérêt que nous y prenons, et combien nous souhaitons d'en avoir des nouvelles.
Cucuse, 404.
J'aurais voulu recevoir une lettre me donnant des nouvelles de votre santé. Vous savez en effet, très-vénéré seigneur, quelles ont toujours été mes dispositions à votre égard. Vous n'avez sans doute pas trouvé de messagers que vous pussiez charger de vos lettres. Pour nous, plus heureux en cela, nous pouvons vous écrire, et vous prier de nous écrire à votre tour et de nous donner de -,os nouvelles. Dans ce pays, le plus désert qu'il y ait, nous avons sans cesse à redouter les voleurs, et à souffrir mille douleurs , inévitables en pays étranger, dans un désert comme celui-ci. Cependant si vous nous écrivez souvent, vous qui nous êtes si cher, pour nous informer de votre santé, malgré tant d'ennuis, nous nous sentirons consolé. Vous savez en effet quelle est la puissance de l'amour; vous savez que ce n'est pas seulement la vue des amis, mais aussi leurs lettres qui sont remplies de consolations. Puisqu'il en est ainsi, donnez-nous bien souvent ce plaisir, et faites-nous parvenir de vos nouvelles. Rien de plus agréable pour nous que de savoir que vous vous portez bien.
Cucuse, 405.
Nous avons tous deux, il est vrai, gardé longtemps le silence. Toutefois nous n'avons point perdu le souvenir de cette vieille et sincère amitié qui nous unit. Votre amour est toujours vivant et plein de force dans notre coeur, et, quelque part que nous allions, il nous suit et nous console dans nos maux. Aussi, comme nous avons rencontré des voyageurs qui se rendent dans votre pays, nous en avons profité pour vous adresser nos salutations. Fussions-nous emmené aux extrémités du monde, votre souvenir demeurera profondément gravé dans notre âme. Avec de pareils sentiments, on est heureux non-seulement d'écrire à ceux que l'on aime, mais aussi de recevoir de leurs nouvelles. Accordez-nous donc cette seconde joie, vénéré seigneur. Toutes les fois que vous le pourrez , écrivez-nous et informez-nous de l'état de votre santé. Vous savez quel intérêt nous y prenons, et quelle joie c'est pour nous, dans le désert où nous sommes, d'apprendre que vous vous portez bien.
Cucuse, 404.
Je reçois de vous moins de lettres que je ne vous en envoie. Néanmoins je continue à vous écrire. Je me satisfais moi-même en m'adressant à une âme qui me porte une affection si ardente et si sincère. Mais comme je suis très-désireux de connaître l'état de vos affaires, je voudrais recevoir de vos lettres, et apprendre ce que je souhaite de savoir, c'est-à-dire, que votre coeur est calme et sans inquiétude. S'il en est ainsi, je ne doute pas que vous ne donniez tous vos soins à votre âme, et que méprisant les choses temporelles vous ne marchiez dans la route des cieux, car la noblesse de votre âme nous est- connue : elle sait bien s'affranchir du tumulte des affaires et des pensées mondaines. Dites-vous donc que vous nous (454) faites plaisir, chaque fois que vous nous écrivez, et écrivez-nous aussi souvent que vous le pourrez. Donnez-nous cette consolation au milieu de ce désert que nous habitons. Oui, en nous écrivant, en nous informant de votre santé de la santé d'une personne qui nous aime, vous nous causerez beaucoup de joie ; et la vivacité de cette; joie nous empêchera de penser à ce désert où nous passons notre vie.
Cucuse, 404 ou 405.
Nous avons une preuve de votre sincère et vive affection dans ces nombreuses lettres que vous nous adressez, malgré le mauvais état de votre santé. Nous souhaitons ardemment de vous voir rétablie et de jouir ici de votre présence, dès que cela sera possible. Vous-en êtes bien persuadée, pieuse et vertueuse Adolia, comme je vous l'écrivais, noirs sommes plein d'inquiétude à votre sujet, car par vos. lettres nous conjecturons assez la granité de votre maladie. Aussi dès que vous vous trouverez mieux, hâtez-vous de nous en faire part et (le nous rassurer. Vous n'ignorez pas combien votre maladie nous préoccupe. Ne négligez donc pas de satisfaire à notre demande. A quoi bon d'ailleurs tant vous exhorter ? Je suis sûr que vous nous écrirez toutes les fois que vous en trouverez l'occasion.
Cucuse, 404.
C'est une preuve de votre affection, de votre sollicitude, de votre bienveillance pour nous, que ce baume que vous nous avez envoyé en y joignant l'huile de nard et d'olive pour l'adoucir et nous en faciliter l'usage, car un trajet si long ne pouvait manquer de le dessécher. Vous l'avez préparé vous-même, saris vous décharger de ce soin sur d'autres; vous avez tenu moins à me le faire rapidement parvenir, qu'à m'en assurer les avantages; et en cela j'admire votre-bienveillance à mon égard. Nous vous en remercions, et nous ne vous reprochons qu'une chose, c'est de ne nous avoir pas dit que vous vous portiez bien; ce que nous désirions tant apprendre. Nous sommes donc vivement inquiet de ne pas savoir où en est votre maladie ; et nous éprouverons une grande joie, si vous nous mandez promptement que vous êtes tout à fait guérie. Informée ainsi de notre désir, procurez-nous, je vous en prie, cette joie qui nous consolera dans notre exil et notre infortune.
(Cucuse, 405.)
Puisse le Seigneur vous récompenser et maintenant et après cette vie de cette affection si franche, si ardente, si pure, si constante que vous nous portez! Vous nous en avez donné de nombreux, d'éclatants témoignages, malgré la distance qui nous sépare, très-noble et très-vénéré seigneur. Nous vous en remercions, et nous voudrions vous écrire bien souvent. Nous ne pouvons-vous écrire aussi fréquemment que nous le souhaiterions; nous vous écrivons du moins aussi souvent que possible. Vous savez combien l’hiver et tes brigands rendent les chemins difficiles. C'est pourquoi, si nous gardons longtemps le silence, ne l'imputez pas à la négligence , mais uniquement au manque d'occasions. S'il nous eût été possible de vous écrire plus souvent, nous n'aurions pas omis de le faire. C'est un granit bon lieur pour nous que de pouvoir vous adresser nos salutations. Ecrivez-nous clone souvent vous-même, et informez-nous de l'état de votre santé. Personne ne nous a remis ce que vous dites m'avoir envoyé : celui qui nous l'apportait, a eu peur des brigands, et n'est pas venu jusqu'ici. Au reste si vous m'aimez, ne m'envoyez rien; ne vous créez point tant de peines et d'embarras. Le plus beau présent que vous puissiez nous faire, c'est une affection sincère et ardente. Nous la possédons, et cette pensée suffit pour nous rendre heureux.
455
Cucuse, de 404 à 407.
Nous nous sommes unis par les liens de la charité et de la bienveillance, et nous vous contemplons, comme si vous étiez en notre présence. Tels sont en effet les yeux de la charité; leurs regards franchissent toutes les distances, et le temps ne saurait les affaiblir. Nous souhaiterions de vous écrire plus souvent ; mais cela nous est difficile, soit à cause des chemins, soit à cause de la rareté des voyageurs. Nous vous adressons donc nos salutations, toutes les fois que cela nous est possible ; et nous vous assurons que sans cesse vous êtes présent à notre mémoire; et que nous portons votre souvenir dans notre âme partent où nous nous trouvons. Empressez-vous à votre tour de flous informer souvent de l'état de votre santé. Séparé de vous parie corps, nous nous réjouirons de recevoir de temps en temps de vos nouvelles, et au fond de ce désert nous ressentirons beaucoup de consolation. C'est un véritable bonheur pour nous que de vous savoir en bonne santé. Mais surtout ne négligez point de prier Dieu pour nous.
Cucuse, 401 ou 405.
Notre vénéré seigneur, l'évêque Séleucus, désireux de nous revoir, a quitté sa ville épiscopale et s'est rend jusqu'ici. C'est par amour pour vous qu'il nous a laissé pour retourner chez lui. L'affection qu'il vous porte lui a fait mépriser l'hiver, la difficulté des chemins, les infirmités même les plus graves. Louez-le donc de tant d'amour et de tant de zèle, vénéré seigneur, et en récompense de tant de fatigues, témoignez-lui, comme de coutume, la plies vive affection. Nous l'avons envoyé dans vos bras, comme dans nu port tranquille : car nous connaissons votre douceur, votre charité sincère, ardente, et toujours ferme. Si vous trouvez une occasion, donnez-nous de vos nouvelles. Eupsychius n'est pas encore venu nous trouver: nous ne savons donc rien de ce qu'il devait nous dire de votre part. Nous ne l'avons rencontré nulle spart. Instruit que vous êtes, faites-nous savoir d'une autre manière ce qu'il devait nous apprendre, ajoutez-y ce que vous croirez utile que nous sachions, et donnez-nous des nouvelles de votre. santé, qui nous est si chère, qui mous préoccupe si vivement et dont nous désirons être informé.
Cucuse, probablement 405.
Bien que nous vous écrivions rarement, vous êtes sans cesse présent à notre mémoire. N'avons-nous :pas eu ces jours derniers un grand témoignage de votre vive, ardente et sincère amitié ? C'est pourquoi nous envoyons entre vos bras, comme dans un port excellent, notre vénéré seigneur, l'évêque Séleucus. Il est atteint d'une toux fort grave, que la mauvaise saison ne fait qu'augmenter encore et rendre plus pénible. Maintenant que vous savez la nature du mal, vénéré seigneur, efforcez-vous de calmer ses douleurs, opposez à son infirmité la puissance de votre art, qui a si souvent sauvé du naufrage tant d'hommes exposés à la violence des mêmes flots.
Cususe, 404 ou 405.
Je sais quelle est depuis longtemps votre affection pour nous. Loin de s'affaiblir, elle ne fait que s'accroître la séparation, le temps, au lieu de la diminuer, la fortifient. Je sais aussi quel plaisir vous causent nos lettres. Pour vous, soit que vous vous écriviez, soit que vous gardiez le silence , vous persistez dans vos dispositions envers nous. Combien de fois n'en avons-nous pas fait l'expérience, dans les circonstances les plus variées? Je vous prie donc de nous conserver toujours les mêmes sentiments : nous avons eu tant de gages , (156) tant de témoignages de votre sincère attachement ! Votre image est comme gravée au fond de notre âme; jamais l'oubli ne pourra l'effacer, bien que les occasions nous manquent pour vous écrire souvent. Soyez bien persuadée de tout ce que je viens de vous dire, et donnez-nous de temps en temps des nouvelles de votre santé. Sans doute, à défaut de lettres, nous interrogeons ceux qui viennent de chez vous ; néanmoins nous désirons d'apprendre souvent par vos lettres comment vous vous portez.
Cucuse, 404.
Je sais que vous êtes plongée dans une grande affliction. Mais je sais aussi que vous recevrez en retour de grandes récompenses; aux souffrances succédera la joie et le bonheur. La tristesse procure à l'âme de grands avantages, et lui mérite de nombreuses palmes. Que ces réflexions servent à répandre dans votre âme d'abondantes consolations. Ne voyez pas seulement les douleurs causées par l'adversité, voyez aussi l'utilité qui en résulte; et ne cessez pas de nous informer de votre santé. C'est pour nous un grand chagrin de vous savoir malade. Aussi désirons-nous apprendre bientôt que la gravité du mal a diminué, pour que nous soyons délivré de toute inquiétude.
Cucuse, 404.
C'est la troisième fois que je vous écris, sans que vous m'ayez écrit vous-même. Mais vous avez reçu mes lettres avec bonheur, vous avez honorablement accueilli celui qui vous les a remises; vous avez fait ce qui dépendait de vous pour mener à bonne fin une couvre où votre puissance était nécessaire. Nous savons tout cela. Toutefois vous ne nous écrivez pas. S'il s'agissait d'une âme moins généreuse que la vôtre, nous croirions, après un silence si prolongé, que cette multitude d'affaires peut l'excuser. Mais votre grandeur d'âme et votre charité si ardente, si sincère, si pure, si constante, nous est trop bien connue pour que nous nous contentions d'une pareille excuse. Ne dites pas non plus que vous n'habitez plus le même pays. Nous ne l'ignorons pas. Une seule chose peut nous consoler de votre long silence, c'est qu'il vous plaise de nous en dédommager, en nous écrivant souvent de longues lettres dans ce style aussi doux que le miel. Informez-nous d'une manière précise de votre état de santé. Même au milieu de ce désert, et assiégé de tant de douleurs, nous ne cessons cependant de nous inquiéter à votre sujet, et chaque jour nous demandons comment vous vous portez. Ecrivez-nous donc; c'est de votre bienveillance que nous voulons apprendre que vous vous portez bien, et non par une autre voie. Nous serons au comble de nos voeux, si nous recevons une lettre qui nous donne cette heureuse nouvelle.
Cucuse, 404.
Une grande distance nous sépare et depuis bien longtemps. Que de causes de souffrances pour moi! Je vis dans un désert affreux, sans cesse assiégé, sans cesse entouré d'embûches, sans cesse inquiété par les incursions des brigands, et de plus, en proie à la maladie. Rien de tout cela pourtant n'affaiblit mon amour pour vous; au contraire, il conserve toute son énergie et toute sa force, et quelque part que nous soyons, nous vous wons présent à l'esprit et à la pensée; nous ne vous oublierons jamais. Oui, la noblesse de votre âme, sa sincérité, la fermeté et la constance de votre charité et de votre bienveillance demeureront gravées dans notre coeur. Telle est ici notre vie; c'est pour nous une très-grande consolation que le souvenir de vos vertus. Ecrivez-nous de temps en temps, admirable et magnanime seigneur, et donnez-nous des nouvelles de votre santé. Vous savez combien elle nous intéresse , et combien nous souhaitons d'en être informé. Vous nous procurerez un double plaisir, celui de recevoir votre lettre, et celui d'apprendre que vous vous portez bien.
Cucuse, 405.
Vous avez trop longtemps gardé le silence. Car le vénérable et pieux diacre Théodote pouvait vous dire quels étaient ceux qui venaient ici. Nous n'en concluons point cependant que votre affection pour nous se soit affaiblie. Nous la connaissons trop bien; nous savons combien elle est vive, sincère, inébranlable. Aussi, que vous nous écriviez ou que vous gardiez le silence, nos dispositions à votre égard restent les mêmes, et nous ne pouvons douter de la sincérité de votre bienveillance. Toutefois, écrivez-nous souvent pour nous donner de vos nouvelles et des nouvelles de toute votre maison. Puissent-elles nous apprendre ce que nous désirons savoir. Votre société, vous en êtes persuadée, nous est très-chère. Ainsi donc, très-pieuse et très-noble dame, accordez-nous cette faveur. Vous le pouvez facilement; ce n'est pas trop exiger de voies, et, dans le désert où nous sommes, nous éprouverons une grande consolation.
Cucuse, 405.
Je sais bien que vous ne nous écririez pas, si vous pouviez venir vous-même. Mais vous mettriez tout de côté pour venir ici , sans la mauvaise saison, la triste situation des affaires, et. la solitude de jour en jour plus affreuse qui règne en ces lieux. Je n'ai pas besoin que vous me le disiez. L'amour que vous avez pour moi m'en est un sûr garant. Quand même vous ne m'en auriez pas fait souvenir, j'aurais écrit à tout le monde. Nous n'en avons pas moins admiré votre affection, qui vous a porté à nous donner ce conseil dans votre dernière lettre. C'est le conseil d'une âme vivement inquiète à notre sujet et toute pleine d'une affection sincère. Aussi n'ai-je oublié personne; j'avais écrit la veille à la pieuse Cartérie, et j'ai appris qu'elle n'était plus chez elle; mais qu'elle venait d'entreprendre un long voyage. Si nos lettres peuvent lui être transmises, je m'en remets sur vous de ce soin; si c'est chose impossible, allez du moins trouver le noble et vénéré Marcellien, et dites-lui de m'excuser auprès d'elle , s'il lui écrit. Qu'elle sache bien que mon silence ne vient point de la négligence, mais de son absence prolongée; que cette absence seule m'a empêché de lui écrire fréquemment.
De 404 à 407.
Est-il étonnant d'être accablé de douleurs, quand on marche dans la voie étroite? La vertu de sa nature amène les fatigues, les sueurs, les embûches et les périls. Voilà ce que l'on rencontre sur le chemin ; mais viennent ensuite les couronnes , les palmes , les biens mystérieux de l'éternité. Consolez-vous par cette pensée ; ici-bas les biens et les maux s'écoulent avec la vie, ils finissent avec elle. Ne vous laissez donc ni enfler par les uns, ni abattre par les autres. Un habile pilote ne se néglige point, quand la mer est calme , il ne se trouble point non plus au fort de la tempête. Ce sont là vos sentiments, trouvez-y de quoi vous consoler , et vous soutenir dans votre affliction; et donnez-nous de bonnes nouvelles de votre santé. Car si nous sommes loin l'un de l'autre , et depuis si longtemps, la charité nous rassemble. Elle nous suivra partout, toujours énergique; car telle est la nature de cette affection.
De 404 è 407.
J'aurais voulu vous écrire plus souvent, très-pieux et très-vénéré seigneur, parce que je vous aime d'un bien vif amour; vous le savez bien. Il dépend de nous de vous aimer, il ne dépend pas de nous de vous écrire. Oui, nous sommes libre de vous aimer; nous ne (458) sommes pas libre de vous écrire, tant à cause des chemins si difficiles, qu'à cause de la saison où nous sommes. Nous ne ,cessons~de vous aimer, il ne nous est pas toujours permis de vous écrire. Que dis-je? mais nous vous écrivons sans cesse, non pas, il est vrai , avec de l'encre et du papier, mais par notre volonté et notre coeur; c'est le propre du véritable amour.
Cucuse, 405.
Pourquoi chercher une excuse dans un acte que nous aimons à louer et à célébrer? Nous vous savons gré de nous avoir écrit; mais nous pourrions vous reprocher de l'avoir fait un peu tard. Si vous croyez avoir fait preuve de hardiesse en nous écrivant, oubliez ce mérite, et songez à vous disculper du retard que vous y avez mis. Car plus vous nous ,direz que vous nous aimez, loin de nous comme près de nous, plus votre faute sera grave. Si vous nous aimiez, comme tant d'autres nous aiment, votre silence ne nous eût point surpris. Mais quand vous protestez de la sincérité et de la vivacité de votre affection, quand vous mous dites que le mauvais état des chemins, que la crainte des brigands ne vous eût pas empêché de venir nous voir, que la maladie seule,s'y est opposée, vous n'avez plus qu'un moyen de nous satisfaire, c'est de nous écrire un millier de lettres pour expier votre faute; faites-le donc, et nous ne vous demanderons plus rien. Cette lettre si tardive que nous venons de recevoir, par la vive affection qu'elle respirait, a payé la dette du passé. Que les autres n'imitent point la lenteur de celle-ci. Nous serons convaincu que ce n'est point la paresse, mais une crainte sans fondement, comme vous le dites, qui l'a retardée, si les autres nous arrivent promptement et fréquemment.
Je sais quelle est votre affection; pour moi, combien elle est sincère, vive et persévérante; je sais que ni les embarras, ni les soucis, ni l'adversité, ni le temps, ni la distance ne pourront l'affaiblir. C'est pourquoi je désire recevoir souvent de vos lettres et apprendre que vous vous portez bien. Si vous voyez dans ces paroles quelque reproche, ne croyez pas que nous vous accusions de négligence; nous demandons seulement que vous nous écriviez souvent des lettres semblables à la précédente. Faites-nous ce plaisir, très-noble et très-vénéré seigneur. Rien de plus aisé pour vous; rien ne peut nous être plus agréable dans le désert où nous sommes.
Haut du documentProbablement 405.
J'aurais voulu vous écrire plus souvent; mais le manque de messagers ne m'a point permis de réaliser ce désir. La solitude de ce lieu, la crainte des Isauriens, la rigueur de l'hiver n'engagent guère à venir souvent dans ce pays. Néanmoins, soit que nous vous écrivions, soit que nous gardions le silence, nos dispositions envers vous ne changent point; oui, nous savons quel est votre zèle pour les intérêts de votre âme, quel est votre empressement pour tous ceux qui vivent dans la piété, avec quelle ardeur vous vous acquittez de cette noble tâche. Donnez-nous donc souvent, noble et vénéré seigneur, des nouvelles de votre santé, et de la santé de toute votre maison. Ainsi, même dans ce désert, vous nous ferez éprouver une vive joie.
Cucuse, 403.
Nous savions la sincérité de l'affection que vous nous portez; elle nous est encore mieux connue aujourd'hui que, au sein d'une si violente tempête, vous vous êtes montré plus empressé, plus affectueux que jamais. Nous vous admirons donc, et nous ne cessons de vous bénir. Sans doute vous recevrez une ineffable (459) récompense de ce Dieu qui rend au centuple tout le bien que l'on fait par ses actions ou par ses paroles. Nous aussi, nous vous récompensons comme nous pouvons, en vous admirant, en vous louant, en vous félicitant sans cesse, en vous aimant, en vous vénérant, en vous portant continuellement dans notre pensée, en nous tenant uni à vous par le lien si fort de l'affection. Que noirs soyons du nombre de ceux qui vous aiment le plus vivement, vous n'en doutez pas, très-pieux et très-vénéré seigneur; aussi ne soyez pas mécontent de nous, à l'occasion de ces présents que vous nous avez envoyés. Nous en avons exprimé, nous en avons recueilli tout l'honneur qu'ils contenaient, et nous vous les avons renvoyés, non par mépris ni par défiance, mais parce que nous n'en avons aucun besoin. Nous avons tenu la même conduite à J'égard de beaucoup d'autres. Beaucoup d'autres, en effet, non moins nobles que vous, non moins remplis d'amour à notre égard, comme vous pouvez le savoir, nous ont fuit parvenir aussi quel(lti(s présents, et aulx+ès d'eux, il nous a suffi des excuses que nous vous présentons en ce moment. Si nous nous trouvions dans le besoin, c'est avec la plus grande liberté que nous vous demanderions quelque secours, comme si vos biens étaient les nôtres. Reprenez donc aujourd'hui vos présents, gardez-les avec soin, afin que, dans l'occasion, nous puissions vous les redemander en toute liberté.
Cucuse, 406.
Après vous avoir écrit une première lettre, j'ai vu le vénérable et pieux Aphraate , qui nous est si étroitement uni. Il ne voulait point nous quitter, il nous menaçait même de ne vouloir pas recevoir nos lettres , si nous ne consentions à accepter vos présents. Nous avons mis à cette affaire un sceau qui vous réjouira, nous n'en doutons point, et que vous agréerez certainement. Quand il vous aura fait part de mon dessein, chargez-le lui-même de le mettre à exécution. Vous n'ignorez pas tout l'avantage que la Phénicie retirera de sa présence et de votre libéralité. Vous serez doublement récompensé, et pour vous être montré si généreux à l'égard de ceux qui évangélisent les gentils de ce pays, et pour leur avoir envoyé untel homme en vue de les consoler; maintenant surtout, qu'ils sont en face de tant, de difficultés et en butte à tant d'attaques. Considérez la grandeur de celte action, n'apportez pas de délai à son départ; qu'il se mette en route immédiatement. C'est ainsi, très-vénéré seigneur, c'est par ce noble empressement, que vous vous ménagerez de grandes récompenses auprès du Dieu miséricordieux.
Ecrite, à ce que l'on pense, à Cucuse, 404.
Nous avons appris que vous avez fait une fort dangereuse maladie, et que vous avez été sur le point de mourir, mais nous savons aussi que vous allez mieux, et que désormais hors de danger, vous êtes en voie de recouvrer la santé. Votre lettre n'en parle pas; c'est par d'autres que je l'ai su; j'aurais voulu l'apprendre de vous-même. Il suffit d'ailleurs, pour nous consoler, que vous ayez échappé à cette maladie. Toutefois, nous ne sommes pas content de votre long silence. Nous voudrions, vous le savez bien, vous voir ici de nos yeux. Sans la maladie, rien ne s'y opposait; car l'hiver de ce pays ressemble assez à un doux printemps, et l'Arménie n'est pas inquiétée par les Isauriens. Cependant nous ne voulons pas vous contraindre, vous forcer à venir ici- malgré vous. Mais ni la crainte des Isauriens, ni la rigueur de l'hiver, ni la difficulté des chemins, ne peuvent vous empêcher de nous écrire, et c'est ce que nous vous demandons. Vous nous portez une vive, une sincère affection; écrivez-nous donc bien souvent. Si vous nous informez souvent de votre santé, de la joie de votre âme, ce sera pour nous une grande consolation. Puisque vous savez tout le plaisir que vous nous causerez, n'hésitez donc pas -à nous écrire souvent. Vous savez combien nous vous chérissons, et quel intérêt vous nous avez toujours inspiré.
Cucuse, 404.
Vous nous avez rendu le courage et nous avez rempli de joie, en nous mandant que vous vous occupez beaucoup de la Phénicie, malgré la distance qui vous en sépare, et que par vos lettres vous exhortez à la piété ceux de ce pays. C'est un zèle vraiment apostolique que vous avez déployé. Aussi rie cessons-nous de vous admirer et de vous féliciter, d'y avoir envoyé des moines, et de ne les avoir pas rappelés, malgré les difficultés de leur situation, bien mieux, de les avoir obligés à y demeurer. Ainsi, vous avez rempli le devoir d'un bon pilote et d'un bon médecin. Plus les flots se soulèvent, plus le pilote montre d'activité; plus la fièvre brûle le malade, plus le médecin déploie de science et d'habileté. Vous aussi, noble et pieux seigneur, vous avez agi comme il convenait à votre vertu. Quand vous avez vil l'état des affaires empirer, le trouble s'élever partout, vous n'avez pas permis à ceux que vous avez envoyés, d'abandonner leur poste, vous leur avez enjoint d'y rester, et d'y remplir leur mission. Ne vous lassez point d'en agir de la sorte, et dès qu'il sera guéri, et que la santé lui sera rendue, envoyez-y, je vous prie, le vénérable prêtre Géronce. Nous souhaitons beaucoup de le voir ici, près de nous : cependant, comme les affaires de ce pays demandent de la promptitude et une grande vigilance, il ne faut point consacrer trop de temps au voyage, il faut faire en sorte que l'hiver ne le surprenne point et ne retarde pas son arrivée en Phénicie. C'est pourquoi, dès qu'il sera guéri, il faut le presser de se mettre en route. Donnez-lui pour compagnon de voyage le prêtre Jean, cet homme si doux et qui m'est si cher. Vous le savez, les affaires de la Phénicie ont d'autant plus besoin qu'on s'en occupe, que le mal s'y est accru davantage. Songez à tout cela, songez à l'importance du salut éternel, songez aux heureux résultats que vous avez obtenus par votre zèle et votre vigilance, et soit par vous-même, soit par d'autres que vous pourrez trouver, assurez la durée des réformes accomplies, faites en de plus belles encore. Vous ne nous avez pas fait moins de plaisir que ceux qui sont venus nous visiter; vous y êtes venu par l'intention et par la volonté. Bien que loin de vous par le corps, nous vous voyons chaque jour par les yeux de la charité, et vous êtes partout présent à notre pensée. Peut-être pourrons-nous un jour nous voir, si les circonstances le permettent. Car, dans l'était où sont les affaires, malgré notre vif désir de vous voir et de vous serrer dans nos bras, nous vous croyons nécessaire où vous êtes. Nous sommes sûr que vous rie négligerez rien pour remplir la Phénicie d'hommes généreux, pour exciter de plus en plus ceux qui s'y trouvent, à ne pas abandonner ce qu'ils ont entrepris; cherchez d'autres auxiliaires autour de vous, et hâtez-vous de les envoyer. Procurez ainsi les plus grands avantages, et à ceux qui vivent près de vous, et à ceux qui sont loin de vous; imitez en cela les parfums qui répandent leur odeur non-seulement dans le lieu qu'ils occupent, mais qui embaument au loin les airs.
Cucuse, 405.
Je vous ai déjà adressé une lettre, vous croyant en Phénicie. Je vous écris aujourd'hui ce que je vous écrivais alors. Il ne vous faut rien négliger, il vous faut tout endurer pour ne pas laisser stérile ce champ que vous cultivez, pour ne pas laisser périr le bien que vous avez fait. Voyez les bergers : quand un animal menace le troupeau, ils redoublent de zèle et de vigilance; ils s'arment dune fronde, ils mettent. tout en oeuvre pour l'éloigner. Jacob, chargé de garder un troupeau de brebis, passa quatorze ans à souffrir le chaud et le froid, à veiller des nuits entières, et il s'acquittait des devoirs d'un vil mercenaire : que ne doivent donc pas faire et souffrir ceux qui sont préposés à la garde de ces brebis douées de raison, pour empêcher qu'une seule ne se perde? Je vous en conjure donc : plus la tempête a de violence, plus le mal s'accroît, plus les obstacles s'amoncellent, plus les ennemis sont nombreux, plus aussi vous devez montrer de vigilance et exhorter les autres à partager ce soin avec vous et à presser leur départ pour la (461) Phénicie. Vous serez magnifiquement récompensé pour avoir entrepris un tel voyage; à plus forte raison, vos oeuvres et votre ardeur vous mériteront de glorieuses récompenses. Oui, il vaut mieux pour vous, il vous est plus avantageux de vous exiler ainsi, que de rester dans votre pays. En Phénicie, vous trouverez ce que vous avez maintenant, le jeûne, les veilles et les autres exercices de la piété chrétienne. Mais dans votre pays, vous ne pouvez trouver les mêmes avantages que dans la Phénicie, c'est-à-dire le salut de tant d'âmes, la récompense que méritent de nombreux dangers, et le zèle ardent de l'Apôtre. A la pensée des couronnes que vous allez conquérir, ne différez point, ne remettez point; au contraire, dès que vous serez guéri , hâtez-vous de partir, sans vous inquiéter de ce qui vous sera nécessaire. J'ai chargé le pieux et vénéré prêtre Constantius de ne rien épargner pour vous, de vous fournir, avec plus d'abondance même que par le passé, tout ce dont vous aurez besoin pour vos maisons et pour venir en aide à vos frères. Puisque vous pouvez compter sur de telles ressources, et que vous ferez une chose si agréable à Dieu, bannissez toute hésitation, partez au plus vite, et écrivez-nous de la Phénicie : ce sera pour nous dans ce désert une grande consolation. Si en effet nous apprenons que vous êtes parti avec ces dispositions, prêt à faire et à souffrir toutes choses pour le salut des âmes, nous en éprouverons tant. de joie, que nous ne croirons plus habiter un désert. Nous souhaitons vivement de vous voir ici; mais votre présence en Phénicie est plus nécessaire qu'ici, et il serait à craindre que l'hiver ne vous empêchât d'y arriver. C'est pourquoi nous vous pressons, nous vous conjurons de partir sur-le-champ.
Cucuse, 405.
Nous sommes bien loin de vous, nous vivons dans un affreux désert : cependant votre vertu, votre sagesse qui éclaire de ses lumières tous ceux qui vous approchent, nous ont rempli d'affection pour vous. La rigueur de l'hiver, la longueur du chemin, ne nous permettent point de jouir de votre présence; et c'est pourquoi nous nous empressons d'aller vous trouver par nos lettres, vous demandant d'adresser à Dieu de ferventes prières pour obtenir de lui la fin des maux qui remplissent l'univers. Excitez aussi les autres à prier avec une sainte ardeur, et donnez-nous le plus souvent que vous pourrez des nouvelles de votre santé. Même loin de vous, relégué aux extrémités du monde, ce sera pour nous une grande joie que d'apprendre. que vous vous portez bien. Nous avons été très-heureux de savoir que le prêtre Jean, cet homme si doux et qui nous est si cher, se soit résolu, dans des circonstances si difficiles, à partir pour la Phénicie. Je vous en conjure, pénétrez-vous bien de la grandeur d'une telle action; et si vous trouvez des hommes généreux, qui veulent bien lui prêter leur concours pour de si grandes choses, empressez-vous de les envoyer, et songez aux magnifiques récompenses que vous leur ménagerez.
Cucuse, 405.
Je voudrais que vous vinssiez ici, je voudrais vous voir de mes yeux. Ce que j'ai entendu dire de votre piété m'a rempli d'amour pour vous, et je vous contemple parles yeux de la charité. Puisque la distance, la rigueur de la saison, la crainte des Isauriens vous empêchent de venir, j'ai hâte de vous entretenir par une lettre et de vous faire connaître mes dispositions à votre égard : on peut aimer ceux même qui sont éloignés et que l'on n'a jamais vus. Telle est, en effet, la puissance de la charité : ni la distance ne peut la détruire, ni le temps ne peut l'affaiblir, ni l'épreuve n'en peut triompher; c'est elle au contraire qui triomphe de tout cela, en s'élevant à des hauteurs vraiment sublimes. Aussi nos bonnes dispositions envers vous ne permettent pas à notre affection de se refroidir; mais nous vous écrivons et nous vous prions de nous donner des nouvelles de votre santé. Ainsi, même dans le désert où nous vivons, nous ressentirons une grande joie, en apprenant que vous vous portez bien, vous qui êtes entrés dans la voie étroite et resserrée.
462
Cucuse, 401.
Bien que vous nous écriviez rarement, nous ne cesserons cependant pas de vous écrire, chaque fois que nous rencontrerons des voyageurs qui se rendent dans votre pays. Nous voudrions vous voir ici de nos yeux, nous le désirons vivement. Mais il vous semble impossible de venir, bien qu'il n'y ait. plus lieu de redouter les Isauriens ; et c'est pourquoi nous ne cessons de nous donner cette consolation de vous écrire, consolation pour nous toujours si grande... Oui, chaque fois que nous rencontrons un messager, nous éprouvons une vive joie de vous adresser une lettre. Vous en êtes bien persuadée, dame très-pieuse et très-vénérée ; empressez-vous donc, vous aussi, de nous écrire souvent, pour nous informer de votre santé, et du calme dont vous jouissez. Nous ne vous blâmons point de n'être pas venue : ce voyage vous a paru si difficile à réaliser ! mais nous vous reprochons d'avoir si longtemps gardé le silence, car nous désirons vivement savoir comment vous vous portez, vous et toute votre famille.
De 404 à 407.
Vos lettres ont la douceur du miel; que dis-je? elles sont plus douces que le miel. Le miel, pour ceux qui, y sont habitués, perd de sa douceur : la satiété l'empêche d'être aussi agréable. Mais quand vous nous donnez de bonnes nouvelles de votre santé, vos lettres, loin de produire cet effet, augmentent au contraire la joie causée par les précédentes. Vous avez couvert notre, lettre de vos baisers, dites-vous; pour moi, c'est vous-même, vous, l'auteur de cette lettre, que j'ai embrassé, c'est à votre cou que je nie suis suspendu, c'est votre tête chérie que j'ai inondée de mes baisers. Que de joie j'ai éprouvée! lime semblait, non pas lire votre lettre, mais vous voir et converser avec voua. Telle a été la puissance de cette lettre que vous m'avez adressée. C'est là en effet la nature de la véritable affection : elle s'épanche dans une lettre, et il semble que la source même de la lettre est présente sous les yeux; c'est ce que nous avons éprouvé. Ni le temps, ni la distance, ni les circonstances difficiles, rien en un mot, n'a pu nous priver de ce bon heur. Ainsi donc, seigneur très-vénéré, informez-nous souvent de votre santé, de celle de votre maison, du contentement de votre âme. Vous savez quel intérêt nous prenons à tout cela.
Cucuse, 405.
Vous nous avez oublié bien vite, et à ce chagrin que nous a causé votre départ, vous en ajoutez un autre par votre silence prolongé. Vous ne pouvez prétexter que vous êtes parti. depuis trop peu de temps : il y a bien assez longtemps en effet, pour qu'un voyageur ait pu venir jusqu'ici. Nous ne voulons pas non plus que vous alléguiez la crainte des Isauriens nous vous aimons trop pour vous supposer un pareil prétexte. Depuis que vous êtes parti, en effet, que de gens sont venus clans ce pays ! Quelle est donc la cause de votre silence? C'est la négligence et la paresse. Nous voulons cependant bien vous pardonner, pourvu qu'à l'avenir vous répariez votre faute en nous écrivant fréquemment. Vous savez combien vous nous ferez plaisir en nous disant souvent que vous vous portez bien.
Cucuse, 404.
Je ne l'ignore pas, ces épreuves qui sont venues fondre successivement sur ce prêtre si pieux et si vénéré, ont porté le trouble dans votre âme. Ne vous troublez point cependant. Quand on souffre pour Dieu, plus on souffre, plus aussi on remporte de couronnes. Consolez-vous donc, supportez avec générosité tous ces revers; rendez grâces à Dieu, et louez-le dans (463) cette circonstance. Ainsi partagerez-vous les récompenses et les couronnes qui lui sont réservées si vous savez souffrir vous-mêmes avec générosité et avec résignation. Vous le savez, la vie présente est un chemin : tout y est éphémère, la joie comme la douleur, et c'est par les tribulations que nous entrerons un jour dans le royaume des cieux ; elle est étroite, elle est resserrée, la voie qui conduit à la vie. Cette pensée et la présence du saint prêtre devront vous consoler; vous dissiperez ce nuage de tristesse, et vous vous réjouirez de toutes ses souffrances. Il en retirera une récompense ineffable et sans aucun mélange d'amertume.
406.
Un père doit non-seulement ne pas craindre de voir son fils pratiquer la véritable sagesse, il doit encore l'en féliciter et ne rien négliger pour qu'il en atteigne la perfection. Non-seulement il ne doit point s'affliger de le savoir loin de sa patrie, de sa maison, de ses yeux, mais le croire d'autant plus près de lui qu'il fait de plus rapides progrès dans la vertu. C'est pourquoi nous vous remercions, nous vous admirons de nous avoir fait un si beau présent en nous donnant votre fils, sans parler des autres présents par lesquels vous avez daigné nous honorer. Pour nous, tout eu acceptant l'honneur qui nous revient de ces dons, nous vous renvoyons les objets que vous nous adressez. Ce n'est point par mépris; vous nous portez trop d'affection. Mais ces objets sont pour nous un superflu dont nous pouvons aisément nous passer. Sans doute nous aurions vivement désiré garder près de nous cet excellent lecteur,. votre fils Théodote; mais ici on n'entend parler que de meurtres, de troubles, de sang répandu et d'incendies. Les Isauriens mettent tout à feu et à sang, et nous changeons de lieu tous les jours. Nuits avons donc cru nécessaire de le renvoyer, en recommandant à notre pieux seigneur, le diacre Théodote, de prendre bien soin de lui, et de l'entourer de toute sa sollicitude. Travaillez de votre côté à procurer cette attention à votre fils; vous nous louerez de ce conseil, et vous nous saurez gré de vous l'avoir donné.
Haut du documentCucuse, 405.
Je regrette vivement que mon pieux et vénéré seigneur, le prêtre Constantius m'ait quitté, mais aussi je me réjouis qu'il soit retourné près de vous; et cette joie est d'autant plus vives que j'éprouve plus de chagrin de ne l'avoir plus auprès de moi. Il abordera, je le sais, à un port sans orage, au port de votre charité. Les vents mugiraient-ils autour de vous, les flots se soulèveraient-ils avec violence, que votre courage, votre charité, votre affection toujours invariable vous feraient demeurer calmes au sein de la tempête. Quand vous le posséderez, ne le laissez manquer de rien, je vous en prie. Vous n'ignorez pas quelle récompense vous mériterez par vos bons offices, envers un homme si injustement maltraité. Ce que nous vous demandons, c'est qu'il ne soit pas iniquement tourmenté, traîné sans raison çà et là, cité devant les tribunaux pour des actes dignes d'être célébrés et récompensés. Voilà ce que nous demandons pour lui; maintenant nous vous demandons pour nous, que vous nous écriviez fréquemment, et que vous nous informiez de l'état de votre santé. Si une longue distance nous sépare, cependant vous êtes sans cesse présents à notre pensée, nous sommes sans cesse au milieu de vous. La charité produit cet effet chez ceux qui savent aimer véritablement. Vous n'en cloutez pas, vous qui nous aimez d'une affection si sincère.
De 404 à 407.
Le temps emporte toutes choses; tout s'use et vieillit, les corps, les maisons, les prairies, les jardins; tout ce que produit la terre. La charité seule ne vieillit pas; le temps ne peut la flétrir, ni la mort l'interrompre. Et c'est pourquoi, bien que nous soyons loin de vous depuis si longtemps, nous continuons à vous aimer d'une si vive affection. Aujourd'hui nous vous la témoignons par nos paroles; mais elle règne toujours dans notre coeur. C'est la raison qui nous porte à vous écrire si souvent. Mais nous voudrions aussi que vous nous donniez des nouvelles de votre santé vous savez combien nous nous y intéressons. Si donc vous le pouvez , si vous trouvez un messager qui puisse nous apporter une lettre , écrivez-nous, comme c'est votre devoir; le porteur de cette lettre dira à votre charité si ardente, si sincère, ce que nous faisons, ce qui se passe en Arménie et en Thrace.
Sopater, préfet de cette Arménie où nous sommes confiné, l'administre comme un père, et nous rend plus de services qu'on ne pourrait en exiger d'un père. Désireux de lui témoigner ma reconnaissance, je crois avoir trouvé pour cela le meilleur moyen, votre coeur lui-même, par l'entremise duquel je veux lui rendre grâces. Comment cela? Son fils est chez vous depuis longtemps déjà : il y est allé pour des renseignements. Si vous vous empressez de le voir, si vous l'entourez de votre affection, si vous voulez lui accorder quelque bienfait, nous nous serons pleinement acquitté envers son père. Faites-le donc, et mettez-le en relation avec les magistrats, avec vos amis, avec ceux qui peuvent lui rendre le séjour en pays étranger plus agréable même que le séjour de la patrie. Ainsi vous lui ferez plaisir, et à moi et à vous-même; vous aiderez, dans la personne de son fils, un homme de bien, un homme miséricordieux et plein de charité pour les pauvres.
Haut du documentCucuse, probablement 404.
Vous êtes plongés dans un profond chagrin, me dites-vous; mais vous avez pour vous consoler la sagesse et l'élévation de votre âme, l'invariable fermeté de votre affection. L'homme qui vit dans le luxe et la mollesse, ne peut trouver le calme même au sein du bonheur; au contraire, l'homme ferme, énergique, plein de vigilance, loin d'être ébranlé par la tempête, n'en est rendu que plus admirable et plus illustre. L'épreuve n'a-t-elle pas, en effet, le privilège de mériter de grandes récompenses, de brillantes couronnes, à celui qui sait la supporter avec courage? Vous le savez, nobles et vénérés seigneurs, et c'est pour vous, dans le malheur, une source inépuisable de consolations. Ne vous laissez donc point troubler par les maux qui surviennent, et écrivez-nous souvent. Nous voudrions vous voir et vous embrasser. Mais puisque nous ne le pouvons, et que tant d'obstacles s'y opposent, écrivez-nous de fréquentes lettres et donnez-nous des nouvelles de votre santé. Vous savez que vous nous serez agréables et que vous nous comblerez de joie.
Vous avez rarement reçu de mes lettres; et j'ai souvent, bien souvent eu la volonté de vous écrire. Ne comptez donc pas seulement les lettres que nous vous avons écrites sur le papier et avec de l'encre, mais aussi celles que nous aurions voulu vous écrire. Si telle est votre manière de compter, vous aurez reçu une infinité de lettres. Si nous ne trouvons point de messagers, ce n'est pas notre faute, mais celle des circonstances. Ainsi donc, soit que nous vous écrivions, soit que nous gardions le silence, ayez toujours la même opinion de notre affection pour vous. Pour nous, quelque part que nous soyons, nous portons votre souvenir profondément gravé dans notre âme. Et maintenant nous vous savons beaucoup de gré d'avoir fait si bon accueil à cet excellent moine et d'avoir apaisé ceux qui voulaient l'inquiéter si mal à propos. Ce n'était donc point sans motif, ni pour vous flatter, que je vous disais quand même les flots se soulèveraient de toute part contre vous, vos âmes demeureraient tranquilles. Puisque vous préservez les autres du naufrage, il faut que vous soyez vous-mêmes bien loin des tempêtes. Donnez-nous bien souvent des nouvelles de votre santé. Vous savez quel est notre désir d'en recevoir. Quand nous apprenons que vous êtes bien (465) portants, au milieu de nos tribulations, de tant de guerres et de troubles, de tant de menaces de mort, nous tressaillons d'allégresse et nous sommes inondé de consolation. Le véritable amour possède, en effet, la vertu de réjouir et de rendre heureux ceux dont les corps sont séparés par une grande distance.
Haut du documentArabisse, en 406, à ce que l'on croit.
Pour vous du moins, très-pieux et très-vénéré seigneur, vous êtes à l'abri des maux qui accablent l'Arménie; nous, sans parler de ces troubles, de ces meurtres journaliers dont nous sommes témoin, nous souffrons beaucoup d'être séparé d'un homme si doux et qui nous porte une affection si vive et si sincère. Ce qui met le comble à notre chagrin, c'est votre silence prolongé. Depuis votre départ, en effet, vous ne nous avez écrit que deux fois seulement Ce n'est point pour vous le reprocher que je le rappelle; c'est à cause du chagrin que j'éprouve. Tout le monde sait bien que ces chemins sont fermés aux voyageurs. C'est une excuse pour vous, mais ce ne saurait être pour nous une consolation; au contraire, notre peine redouble, quand nous nous voyons privé de l'unique chose qui pouvait nous consoler de votre départ et de votre absence. C'est un embarras d'où il nous est impossible de sortir pour le moment; chaque jour le danger s'accroît. Cherchez donc à diminuer cette tristesse que votre long silence a produite dans mon âme, en ne cessant de vous souvenir de moi, en m'écrivant de plus longues lettres, quand vous le pourrez, en me donnant beaucoup de détails sur votre santé, sur la tranquillité et la sécurité de votre âme. Ainsi vous pourrez suppléer au nombre des lettres par leur étendue.
Arabisse, 406.
Vous nous avez témoigné toute l'ardeur , toute la vivacité de votre amour. Après avoir lu votre première lettre, nous avons reçu la seconde, toutes les deux le même jour, et nous en avons éprouvé beaucoup de joie. La seconde avait quelque chose de plus que la première
ce n'était pas seulement votre parole, c'était votre écriture. Pour nous, quel surcroît de bonheur! nous y avons trouvé non-seulement l'image de votre âme, mais encore celle de votre main. Faites souvent de même, et donnez-nous souvent cette consolation, que vous vous êtes plu à nous donner alors. Nous n'osons plus vous presser de venir ici : l'Arménie est tellement désolée ! une autre tempête vient de s'élever dans son sein. Quelque part que l'on aille, on y voit des torrents de sang, des monceaux de cadavres, des maisons en ruine, des villes saccagées. Pour nous, qui semblons être à l'abri du danger, renfermé que nous sommes dans ce château, comme dans une horrible prison, cependant, la crainte où nous vivons perpétuellement, ces nouvelles qui nous apprennent chaque jour de nouveaux meurtres, cette continuelle attente de l'invasion des Isauriens, enfin la faiblesse de notre corps, faiblesse qui ne cesse de nous faire souffrir, nous empêchent d'être tranquille et sans inquiétudes. Cependant, même au milieu de ces calamités, c'est pour nous une grande consolation de recevoir des lettres qui nous informent du bon état de votre santé.
Arabisse, 406.
C'est la preuve d'une ardente et sincère affection, que cette préoccupation au sujet de notre santé, malgré la distance qui nous sépare. Dernièrement, au milieu même de l'hiver, nous changions à chaque instant de demeure, et nous habitions tour à tour des villes, des vallées sauvages et des forêts; c'étaient les Isauriens qui nous chassaient ainsi de pays en pays. Enfin leurs ravages ont cessé, et voici qu'abandonnant le désert, nous nous sommes réfugié à Arabisse. Nous trouvons plus de sûreté dans la forteresse de cette ville que partout ailleurs : nous ne restons pas dans la ville même, mais bien dans le château; c'est un logement plus affreux qu'une prison. Non-seulement en effet, nous avons pour ainsi dire, (466) chaque jour la mort à nos portes, car les Isauriens portent partout le ravage, mettent tout à feu et à sang, et renversent les édifices; mais encore le peu d'étendue de cette contrée, et la multitude de ceux qui se retirent dans Arabisse nous font craindre une famine. De plus l'hiver et ces courses perpétuelles nous ont rendu malade, et si la violence de la maladie a cédé, nous en avons cependant encore les restes. Ce qui nous console au milieu de tant de maux et d'ennuis, c'est la sincère et vive affection que vous nous portez. Puisque vos lettres ont tant de charme pour nous, daignez donc nous écrire le plus souvent que vous le pourrez. Nous sommes bien loin de vous, il est vrai; mais la charité nous unit étroitement. Nous vous savons beaucoup de gré de vous être occupé des affaires de la Phénicie, malgré les troubles au sein desquels vous êtes. S'il vous vient des nouvelles de ce pays, n'hésitez pas à nous les transmettre. Personne n'ose venir jusqu'ici, parce que tous les chemins qui y conduisent. sont fermés. Si donc il est difficile de nous adresser des lettres, faites-le du moins aussi souvent qu'il vous sera possible. Dites-nous ce qui se passe en Phénicie, et donnez-nous des nouvelles de votre santé. Elle nous préoccupe vivement.
Arabisse, 406.
Je voudrais vous voir ici : mais puisque tant d'obstacles s'y opposent, j'ose vous demander, vous supplier de me prêter le secours de vos prières, toujours si efficaces. C'est un secours que le temps ne peut affaiblir, que la distance ne. peut empêcher; partout où se trouve un homme qui, comme vous, soit plein de confiance en Dieu, il lui est possible devenir puissamment en aide à ceux qui vivent loin de lui. Ne vous contentez pas de prier pour nous, donnez-nous aussi fréquemment des nouvelles de votre santé. Les flots sont de toute part soulevés contre nous, nous habitons un désert, nous sommes comme perpétuellement assiégé, sans cesse exposé aux coups des Isauriens , sans cesse menacé de mort : oui, chaque jour la mort nous menace, renfermé que nous sommes dans une forteresse semblable à une prison et épuisé de faiblesse : toutefois, malgré tant de circonstances pénibles, nous sommes consolé par votre ardente affection. Nous n'avons, il est vrai, vécu que peu de temps avec vous, mais assez pour apprécier la sincérité, la vivacité, la douceur, la fermeté, la solidité de cette affection que vous nous témoignez de loin comme de près. Aussi, bien qu'éloigné de vous et en proie à une telle affliction, nous nous reposons dans le souvenir de votre charité, comme dans un port à l'abri des orages. Votre affection, nous la regardons comme un précieux trésor. Depuis que l'hiver est passé, et que le printemps a reparu, la violence de la maladie a cessé; mais nous en avons encore les restes, qu'augmentent les troubles excités par les Isauriens. Instruits de tout cela, pensez souvent à nous, et quand vous le pourrez, écrivez-nous pour nous apprendre que vous vous portez bien.
De 404 à 407.
Ne vous laissez pas abattre, et n'imputez pas à vos péchés le décès de votre bienheureuse fille. Elle vient d'aborder à un port calme et sûr, elle vient d'entrer dans cette vie qui n'aura pas de fin; arrachée aux flots de la vie présente, la voilà désormais debout sur le roc, et tous les biens qu'elle a recueillis, sont comme renfermés dans un trésor à l'abri de tout danger. Réjouissez-vous donc, tressaillez d'allégresse, soyez heureux , d'avoir offert au souverain Maître du monde l'âme de votre fille, comme un laboureur, un fruit bien mûr. Tel est le remède que vous devez employer, vous et votre vénérable épouse, sa mère, pour accroître la récompense que vous avez déjà mérité. L'excellente éducation que vous lui avez donnée, la résignation avec laquelle vous avez supporté sa mort , si belle et si touchante , vous obtiendront les plus magnifiques récompenses.
Cucuse, 404.
Malgré la distance qui nous sépare, nous nous réjouissons , nous tressaillons d'allégresse , en apprenant vos belles actions et cette grandeur d'âme que vous montrez envers tous ceux qui ont besoin de vos services. Nous voudrions vous voir de nos yeux et vous remercier de vive voix. Mais cela n'est point possible à cause des Isauriens qui ferment tous les chemins. Je sais bien que sans cela vous seriez ici, et que vous n'auriez rien négligé pour vous y rendre. Encore une fois, cela n'est point possible; et c'est pourquoi nous vous écrivons pour vous saluer et vous inviter à nous écrire chaque fois que vous le pourrez. Donnez-nous de bonnes nouvelles de votre santé et de celle de toute votre famille. Car, ici même, c'est pour nous une grande joie de recevoir de vos lettres.
Cucuse,404.
Il y a longtemps que nous vous avons quitté, une longue distance nous sépare; mais la charité nous rapproche, nous sommes voisins l'un de l'autre, ou plutôt vous vivez dans notre pensée, et nous suivez partout où nous allons. Cette affection sincère, vive, ardente, que vous éprouvez pour nous, reste gravée profondément dans notre coeur. Nous aussi, nous ne laissons point s'affaiblir dans notre âme la bienveillance que nous vous portons : ni le temps, ni la distance ne peut la diminuer. Je vous invite donc à nous écrire aussi souvent que vous le pourrez pour nous donner des nouvelles de votre santé. Vous savez quel intérêt nous y prenons, et quelle est notre joie, quand nous recevons de vos lettres.
Cucuse, 404.
Je désirais vous voir; et la crainte des Isauriens ne m'en aurait pas empêché, non plus que la mauvaise santé, s'il m'eût été permis d'aller où j'aurais voulu. Quant à vous, bien que vous soyez maître de vos actes, je ne vous, presse pas de quitter votre demeure pour nous venir voir. Sans doute la saison le permettrait, et d'ailleurs ce voyage n'exigerait pas un temps bien considérable. Mais je n'oserais vous dire de venir, à cause des Isauriens. Je vous prie donc de me donner souvent des nouvelles de votre santé; les incursions des brigands rie peuvent en effet y mettre obstacle. Procurez-nous donc cette joie, je vous prie : cela ne vous est pas difficile, et vous nous ferez le plus grand plaisir. Vous n'ignorez pas en effet combien nous vous serons reconnaissant de cette bonté et de cette bienveillance à notre égard.
Cucuse, 404.
Quoi donc? vous nous permettez d'exiger de vos subordonnés tout ce dont nous pouvons avoir besoin ; et ce que nous désirons pardessus tout, vous nous le refusez; vous ne nous écrivez pas, quand nous souhaitons si vivement d'avoir de vos nouvelles ! Ne savez-vous pas que c'est là le désir de tous ceux qui aiment véritablement, comme c'est aussi le nôtre ? Si donc vous voulez nous faire plaisir, seigneur très-vénéré, cessez, je vous en prie, d'enjoindre à vos hommes de nous obéir en ce qui regarde les besoins du corps; nous pouvons très-bien nous passer de tout ce qu'ils pourraient nous fournir. Car tout nous arrive en abondance et comme de source; mais procurez-nous vous-même ce plaisir que nous réclamons de vous; il vous suffit pour cela d'un peu d'encre et de papier. Donnez-nous, s'il vous plaît, de vos nouvelles et des nouvelles de toute votre maison. S'il eût été possible de (468) nous rencontrer, je vous aurais pressé de venir ici; et je vous aurais demandé comme une grande faveur, à vous qui nous aimez tant, de vous montrer à nos regards. Puisque les Isauriens s'y opposent, consolez-nous du moins en nous écrivant; et c'est tout ce que nous exigerons de votre part.
Cucuse, 404.
Je souhaite fort, à la vérité, que mon seigneur le très-révérend prêtre demeure avec nous. Si, cependant, vous croyez avantageux qu'il se rende là-bas, j'aime mieux son absence et son éloignement des troubles au milieu desquels nous vivons que sa présence ici. Ne pensez donc pas qu'il y ait obstacle de notre part, si lui-même veut partir. Nous l'avons gardé jusqu'à ce jour, parce que la nature même de l'affaire ne nous paraissait pas exiger qu'il y fût, et que , d'autre part, nous aurions craint de le voir tomber entre les mains des Isauriens. Mais puisqu'il est tellement indispensable qu'il soit là-bas, nous l'exhortons à préparer son départ et nous le disposons à entreprendre ce voyage. Car, bien que séparés de corps, nous n'en serons pas moins étroitement unis par les liens de la charité. Pour ce qui vous concerne, je vous exhorte à ne point vous laisser aller au trouble au milieu des difficultés présentes. Plus les circonstances sont difficiles, plus aussi sera grand votre gain, plus seront grands le prix et la récompense que vous recevrez d'un Dieu plein d'amour pour nous, si vous supportez ce qui arrive avec courage et actions de grâces. Car, c'est ainsi que toutes ces choses deviendront plus faciles à surmonter et que le fruit acquis par votre patience sera abondant dans le ciel, en même temps que bien supérieur à toutes les souffrances endurées.
Les lettres qui précèdent ont été traduites par M. l'abbé E. JOLY.
Déjà, antérieurement, j'ai fait savoir à votre révérence que nous vous comptons parmi ceux qui sont venus de coeur jusqu'ici, et maintenant nous vous répétons que vous êtes venue par l'intention et par la pensée. Car, si la faiblesse de votre corps vous a retenue au loin, aussi bien que les troubles qui ont envahi l'Arménie, nous qui connaissons vos désirs et votre volonté, nous continuons de porter le même jugement qu'auparavant sur vos dispositions. C'est pourquoi, ne négligez point de nous écrire fréquemment, de nous marquer si la maladie vous a quittée, et tout ce qui intéresse votre santé. Nous avons été fort affligé d'apprendre que vous étiez souffrante. Faites-nous donc savoir au plus vite si vous avez passé de la maladie à la santé, afin que nous soyons délivré de nos inquiétudes sur ce point.
Haut du documentCucuse, 405.
Ce n'est pas jusque dans l'Arménie seulement, ou dans la Cappadoce, mais jusque dans les régions les plus éloignées, qu'est parvenu le bruit de la charité et de la bienveillance que vous ne cessez de témoigner à notre égard, et le retentissement en a été plus éclatant que celui de la trompette. Aussi, nous nous glorifions de cette disposition de votre piété envers nous et nous ne cessons devons louer. Mais nous avons besoin que vous nous teniez au courant de votre santé. Car, bien que nous vivions dans ce désert où nous sommes si éloigné de vous, nous ne vous sommes pas moins uni par les liens de la charité, gardant pour votre révérence ces mêmes dispositions dont nous avons fait preuve dès le commencement, mais devenues plus vives et plus chaleureuses. A cet égard, ni le temps ni la distance n'ont pu nous rendre oublieux; ils ont produit l'effet tout contraire. Sachant cela, très-pieux et très-révérend maître, et songeant aux plaisirs que nous causeront vos lettres (469) fréquentes, écrivez-nous des nouvelles de votre santé. Mais, avant tout, souvenez-vous de nous dans vos saintes prières afin que, même séparé de vous par de si longues distances, nous ressentions ici l'effet puissant de votre participation dans nos combats.
Cucuse, 404 ou 405.
Comment se fait-il donc, lorsqu'une si grande et si illustre cité voit chacun de ses jours devenus des jours de fêtes, — car c'est ainsi que j'appelle le temps de votre magistrature, — nous seul soyons plongé dans une tristesse plus grande, causée par ce long silence dans lequel vous vous renfermez? Si quelqu'un de ceux qui appartiennent à la foule eût agi de la sorte, j'en eusse peut-être facilement trouvé la raison; mais ici je la cherche. La plupart des hommes ont coutume , lorsqu'ils parviennent à une position plus élevée, de concevoir un nouveau sentiment d'orgueil; mais pour vous, que la grandeur n'empêche point de considérer toutes choses avec philosophie, qui connaissez parfaitement la nature fragile et instable des choses humaines, qui n'êtes point déçu par le dehors et les apparences, qui jugez tout selon la réalité pure, je ne puis trouver la cause de ce silence. Car, je sais que vous nous aimez présentement autant que par le passé, plus même que par le passé. Pourquoi donc, étant ainsi disposé, êtes-vous demeuré muet pendant un temps si long? C'est ce que je ne puis dire, et mes incertitudes s'augmentent précisément en raison de cela. Donnez-moi par une lettre l'explication de cette énigme, si cette explication ne vous est pas trop difficile ou désagréable. Et, avant toute lettre de votre part, dites aux porteurs de celle-ci, je veux dire à mon maître, le prêtre très-vénérable et très-pieux, et à ceux qui l'accompagnent, ce dont nous sommes persuadé, savoir qu'il n'y a rien dans ce silence qu'on doive imputer à votre négligence. Cette parole suffira pour qu'ils soient assurés du bienveillant accueil de votre magnificence.
Cucuse, 404.
Votre manque de santé nous a causé grand dommage, puisqu'il nous a privé de votre présence; mais il n'a eu absolument aucun pouvoir sur notre affection. Car, il vous a suffi d'être venu une fois près de nous pour nous inspirer aussitôt le plus vif attachement. C'est ce qu'il ne faut attribuer qu’à vous-même qui, dès le début, vous êtes montré si fort affectionné et l'avez été sans mesure, ne nous laissant pas même le temps de délibérer; vous à qui il a suffi de vous présenter pour nous captiver et pour nous attacher à vous par les liens les plus puissants. Nous vous écrivons donc, et nous voulons vous apprendre ce que vous désirez surtout nous entendre dire. Quelles sont ces choses que vous voulez savoir? Notre santé est bonne. Nous avons accompli notre voyage avec sécurité. Nous vivons ici dans la paix et dans le plus grand calme. Nous jouissons de la bienveillance de tous, et nous goûtons une indicible consolation. Personne ne nous suscite de troubles; nul ne soulève d'embarras. Pouvez-vous être étonné que notre séjour dans cette ville soit si tranquille, après que notre route elle-même s'est achevée si heureusement? Mais à votre tour, instruisez- nous de ce qui vous concerne, afin qu'après vous avoir réjoui par nos récits, nous nous réjouissions aussi en recevant des nouvelles de votre santé. Car , vous n'ignorez pas quel grand bonheur éprouvent ceux qui aiment lorsqu'ils peuvent apprendre quelque chose d'heureux concernant ceux qu'ils chérissent.
Cucuse, 404.
Nous ne cesserons jamais de vous louer devant tout le monde comme un homme excellent, comme le médecin le plus habile, et comme sachant aimer sincèrement. Car, toutes les fois que l'on vient à parler ici de ma (470) mauvaise santé, vous vous trouvez mêlé nécessairement à nos discours, et parce que nous avons fait l'épreuve de votre science et de votre bienveillance, nous ne pouvons taire vos oeuvres merveilleuses, nous nous en faisons le héraut, avec un grand plaisir pour nous-même. Vous nous avez, en effet, inspiré un tel sentiment d'amitié que, bien que nous jouissions d'une bonne santé, nous donnerions encore beaucoup pour vous attirer ici, dans le seul but de vous voir. Mais, puisque cela est impossible, tant par suite des difficultés de la route que par la crainte des Isauriens, nous ne voulons pas quant à présent insister plus longtemps sur ce point. Nous vous demandons seulement de nous écrire souvent. Vous pourrez, par vos lettres fréquentes, nous procurer la joie que nous donnerait votre présence, en les imprégnant de cette douceur du miel qui est dans vos moeurs.
Cucuse, 404.
Votre présence ici, près de nous, a été courte et, cependant, l'affection que nous avons conçue pour vous est grande, forte et profonde. Pour ceux qui savent ce qu'est l'amitié vraie, il n'y a pas besoin de la longueur du temps, et il est possible d'arriver au but dans un bref délai. C'est ce qui s'est rencontré pour nous puisque nous sommes aussi amis que si nous l'étions depuis fort longtemps. C'est pour cela que nous vous écrivons ce qui nous concerne, vous faisant savoir que nous avons santé, paix et tranquillité. Nous sommes persuadé que nous vous serons agréable, en vous écrivant ces choses. En retour, nous attendons de vous des lettres qui nous apportent la même joie. Ne craignez pas de nous écrire souvent et de nous donner de bonnes nouvelles de votre santé. De la sorte, vous nous réjouirez beaucoup, nous adressant sur cette terre étrangère les nouvelles que nous désirons recevoir souvent.
Cucuse, 404
Nous sommes exilé de votre cité, mais non de votre charité. L'une de ces choses était en notre pouvoir;. il était au pouvoir d'autrui que nous pussions demeurer ou qu'il nous fallût partir. Personne ne pourra nous priver du droit d'emporter, en quelque lieu que nous allions, le miel de votre charité. Nous nourrissons notre mémoire du souvenir de votre grande âme, réunissant votre zèle affectueux, votre prudence , votre bienveillance , votre hospitalité et toutes vos diverses qualités pour cri former une image qui soit celle de votre vertu. Mais, puisque vous nous avez, ainsi gagné et subjugué, et que, désirant votre présence, nous ne pouvons l'obtenir en ce moment, accordez-nous la consolation de vos lettres. Car votre esprit ingénieux pourra faire que , par la fréquence de vos lettres, nous croirons éprouver la joie de votre présence.
Cucuse, 404.
Nous sommes arrivé à Cucuse en bonne santé, — car nous commencerons cette lettre par où vous souhaitez de nous la voir commencer, — et nous avons trouvé le pays exempt de tout trouble, plein de loisirs et de paix, et personne qui nous soit ennemi ou qui gêne notre repos. Et il n'y a rien d'étonnant si notre situation. est. telle dans cette ville, puisque nous avons traversé la route la plus déserte, la moins sûre, la plus suspecte qui conduit en ce lieu, sans difficulté et sans terreur, jouissant d'une sécurité plus grande qu'au milieu des villes les mieux policées. Pour ces bonnes nouvelles que nous vous envoyons, donnez-nous;, à titre de récompense, des lettres fréquentes concernant votre santé; car, au milieu de notre profonde tranquillité, nous nous rappelons saris cesse la noblesse de votre esprit, votre loyauté, votre haine du mal, la franchise de vos discours, enfin toutes ces vertus qui (471) forment comme une prairie émaillée, et nous gardons ce souvenir, le portant avec nous en quelque endroit que nous allions, animé pour vous d'une affection qui dépasse toute limite. Aussi, désirons-nous que vous veniez ici et que nous puissions vous voir; mais, puisque cela est impossible, nous tournerons d'un autre côté notre voile, en vous demandant la consolation de vos lettres. Ce sera pour notre esprit un grand soulagement, si nous recevons de vous de fréquentes lettres et de bonnes nouvelles de votre santé.
404.
Bien que nous soyons séparé par de longues distances de votre piété, nous n'avons pas cependant ignoré l'aversion que vous avez montrée pour les aeuvres des méchants, ni combien vous avez gémi sur ceux qui sont les auteurs de si grandes énorrnités et qui ont rempli la terre de tarit de scandales. C'est pourquoi nous vous rendons des actions de grâces et nous ne cessons de vous féliciter et dé vous glorifier, parce que, au milieu de si grandes infamies des méchants, lorsque tant d'autres se laissaient entraîner au précipice ou briser contre les écueils, vous n'avez jamais cessé de marcher dans le droit sentier, blâmant le mal qui se faisait et vous séparant de ceux qui les commettaient, ainsi qu'il était convenable. Nous vous exhortons donc à persévérer dans cette louable ardeur, et même à donner un accroissement à votre zèle; car vous savez combien est grand le salaire , quelles sont les récompenses et quelles sont les couronnes réservées à ceux qui, malgré les agitations, ont gardé la droiture et se sont efforcés de corriger les maux présents. Et, bien qu'en petit nombre, si vous avez résolu de demeurer fermes, vous vaincrez, sans nul doute, le grand nombre de ceux qui se glorifient dans leur malice. Il n'est rien de plus fort que la vertu et la disposition où vous êtes de chercher cela seul qui affermit les Eglises. Ayant donc déjà une disposition d'esprit propre à vous attirer le puissant secours de Dieu, faites encore appel à votre propre énergie, et, pour la fermeté de votre sentiment, vous serez un rempart très-fort pour toutes les Eglises de la terre.
404.
Lorsque commença cette tempête, qui a jeté le trouble dans l'Eglise, votre intégrité et votre constance ne nous ont point échappé, et maintenant que le mal s'est accru, nous savons que votre piété persévère dans les mêmes voies. A cause de cela, séparé par une si grande distance, nous vous adressons en retour le tribut de salutations qui vous est dû; nous vous louons et nous vous félicitons, parce que, la plupart ayant échoué contre les écueils au temps où toute justice était violée à l'égard des Eglises, vous avez suivi une voie opposée à celle du grand nombre, en vous éloignant des audacieux et gardant une liberté digne. Considérant la grandeur de cette conduite courageuse, qui vous écarte des méchants, et sachant que votre fermeté et votre constance sont le prélude du redressement des pervers autant que le moyen d'y parvenir, nous vous exhortons à vous montrer fort, ainsi qu'il vous convient, et à fortifier les autres autant qu'il est en vous. De la sorte, votre attitude nous viendra en aide dans la lutte; car Dieu lui-même, qui vous a donné une volonté droite lorsque tout était confusion autour de vous, vous accordera également la force qui vient de lui.
404.
Bien que nous soyons parvenu aux extrémités les plus reculées de la terre habitable, nous ne pouvons oublier votre charité; nous l'emportons avec nous en quelque endroit que nous allions. Vous nous avez tellement gagné et captivé, très-pieux et très-vénéré maître, que, relégué maintenant à Cucuse, dans le lieu le plus désert de toute la terre, nous ne cessons de faire mention de votre excellence, de votre douceur, de vos moeurs aimables, de la (472) franchise de votre esprit, de votre ardeur, de votre véhémence, de votre zèle plus brûlant que le feu, de toutes vos autres vertus, et, repassant tout cela dans notre mémoire, nous publions devant tous la fermeté de vos résolutions, la constance que vous avez montrée contre les ennemis des Eglises, qui ont rempli toute la terre de tant de scandales. Toutefois, il n'est pas besoin ici de nos paroles, puisque vous-même vous avez parlé par vos couvres à tous ceux qui habitent l'Orient et à ceux qui vivent dans les contrées les plus lointaines, d'une voix plus éclatante que le son de la trompette. Aussi, nous vous rendons grâces pour cela, nous vous glorifions, nous vous félicitons, et nous vous exhortons à demeurer dans ces mêmes dispositions de zèle; car la louange n'est pas égale pour celui qui reste dans le droit chemin, en des circonstances où les affaires suivent leur cours ordinaire, et pour celui que rien ne peut faire dévier, qui se montre inébranlable, malgré le nombre de ceux qui entreprennent de bouleverser les Eglises, en s'éloignant d'eux avec une fermeté virile et digne. Et ce n'est pas là un faible moyen, mais un très-puissant moyen de corriger le mal. Que si votre piété persévère dans ces sentiments, tous nos seigneurs très-vénérés et très-pieux les évêques de la Palestine s'attacheront à vos pas, je ne puis en douter. Et je suis convaincu que dans ce retour au bien, de même que le corps suit la tête, ainsi vous les attacherez, vous les enchaînerez par la douceur de votre charité, ce qui sera la preuve la plus grande de votre vertu.
Nous sommes exilé à Cucuse, mais nous ne sommes pas exilé de votre charité. L'une de ces choses était au pouvoir d'autrui, l'autre en .notre pouvoir. C'est pourquoi, vivant ici à une si grande distance de vous, nous vous écrivons pour vous exhorter de garder cette "même piété et ce même courage que vous avez montrés dès le commencement en rejetant ceux qui ont rempli les Eglises de tant de troubles, et afin que la fin soit digne du commencement, ou plutôt afin qu'elle soit encore beaucoup plus glorieuse. Car, ce n'est pas une légère récompense qui vous attend si, comme il convient, vous rejetez ceux qui ont déchaîné une si grande tempête et qui ont rempli de tant de scandales la terre presque entière, si vous n'avez avec eux rien qui vous soit. commun. Là est la sécurité des Eglises, leur rempart assuré; là est votre récompense et le prix du combat. Donc, sachant toutes ces choses, Maître très-vénéré et très-pieux, efforcez-vous de consolider les Eglises en attendant la récompense la plus riche, et souvenez-vous continuellement de nous qui aimons de toutes nos forces votre piété et qui attendons tout de votre bienveillance, parce que nous avons appris par vos couvres elles-mêmes de quelle grande charité vous êtes animé pour nous.
Haut du documentCucuse, 404.
Si l'on considère la distance qui nous sépare de vous, nous sommes bien éloigné; mais par la charité nous sommes tout proche et voisin, et notre âme elle-même est unie à la vôtre. Car, il en est ainsi pour ceux qui aiment le lieu n'est point un obstacle, la longue distance n'est pas un empêchement, mais la charité parcourt de son. vol toute la terre pour vivre avec ceux qui sont aimés. C'est ce dont nous faisons maintenant l'expérience , emportant partout dans notre esprit la pensée de votre personne. Et aussi, nous vous exhortons à agir comme vous l'avez fait jusqu'à ce jour, et comme vous le faites maintenant encore, consolidant les Eglises et augmentant tarit à la fois votre gloire , repoussant avec une énergie digne de vous ceux qui ont suscité tant de troubles dans toute la terre et qui ont bouleversé les Eglises. Quand vous, et tous ceux que la contagion n'a pas atteints, vous résisterez à ceux qui ont commis de tels forfaits et refuserez d'avoir avec eux rien de commun, alors nous commencerons à voir s'éloigner l'orage, alors la paix sera rendue aux Eglises, alors viendra le remède de tous les maux présents. Considérez donc la récompense et les couronnes qui vous sont réservées, efforcez-vous de déployer la fermeté qui convient en de telles circonstances et souvenez-vous sans (473) cesse que nous vous aimons. De la sorte vous nous réjouirez grandement.
404.
Je sais qu'il n'est pas besoin de vous écrire pour vous exhorter à faire preuve d'une fermeté digne et à fuir ceux qui ont commis tant d'iniquités contre les Eglises en remplissant de troubles toute la terre ; vous l'avez montré par vos oeuvres. Mais parce que , de tout temps, et en toute circonstance je me suis empressé de vous offrir mes salutations, maintenant aussi je vous exhorterai à vous armer de la fermeté nécessaire pour repousser ceux qui ont commis de tels excès et pour exhorter les autres à vous imiter. Car, la récompense sera grande si vous savez, comme il convient, vous détourner de ceux qui ont soulevé une si grande tempête et rempli le monde de milliers de scandales, et ce sera par là que l'état des affaires recevra la plus grande amélioration. Souvenez-vous toujours que nous vous aimons beaucoup. Vous savez quelles ont toujours été et quelles sont encore nos dispositions à l'égard de votre piété.
Cucuse, 404.
Il était digne de vous, de votre esprit noble, élevé et sage, de ne point oublier notre amitié au milieu d'un tel bouleversement, mais de rester inébranlable et de nous garder une affection constante. Car c'est là ce que nous avons appris clairement de ceux qui sont venus jusqu'ici, ce que nous n'ignorions pas avant de l'apprendre des autres. Nous connaissons la fermeté et la constance de votre esprit, la fixité et la solidité de vos résolutions. C'est pourquoi, nous rendons de grandes actions de grâces à votre religion et nous encourageons votre piété, vous demandant comme une faveur signalée de nous écrire souvent, lorsque vous en aurez la possibilité, puisque vous savez quelle grande consolation nous éprouvons sur cette terre étrangère lorsque nous recevons des lettres qui nous annoncent de bonnes nouvelles de votre santé. Nous désirons vivement que votre religion conserve sa santé et sa vigueur, puisque votre santé est pour plusieurs le bâton de secours, l'appui, le port du salut, et la première cause de mille bonnes actions.
404 à 40.
L'excès des louanges contenues dans les lettres de votre révérence surpasse de beaucoup notre néant. C'est pourquoi, laissant de côté ces choses, je vous demande de ne point cesser de prier pour le bien général des Eglises et pour notre bassesse auprès d'un Dieu plein d'amour pour les hommes , afin qu'il mette un terme aux maux qui ont envahi la terre. Car la situation présente réclame seulement des prières, et surtout les vôtres qui ont un grand crédit devant Dieu; ne négligez pas de les renouveler assidûment, et ne craignez pas de nous écrire souvent, lorsque vous en aurez la liberté, puisque la route n'est pas longue jusqu'ici. Nous désirons vivement des nouvelles de votre santé, parce que cette santé est la force et la consolation de plusieurs. La durée de votre vie serait nécessaire en tout temps , mais elle l'est surtout maintenant dans une telle tempête et de si épaisses ténèbres, afin que, comme un phare brillant, vous éclairiez ceux qui sont ballottés par l'orage et par les flots. Réjouissez aussi notre coeur en nous envoyant de fréquentes lettres et des nouvelles de votre santé ; ce ne sera pas pour nous une médiocre consolation d'être sans cesse informé de tout ce qui concerne votre révérence.
La présence de ceux qui sont aimés est pour ceux qui aiment un grand soulagement dans (474) leurs douleurs. Le bienheureux Paul, qui portait souvent ou plutôt toujours dans sa pensée toutes les contrées habitées par les fidèles, qui ne voulait se décharger de ce fardeau ni dans les liens, ni dans les entraves, ni dans le temps même où il paraissait devant ses juges, ce qu'il témoigne lorsqu'il dit: Parce que je vous porte dans mou coeur, et dans mes liens, et dans la défense et dans la confirmation de l'Evangile, (Philip. I, 7), cependant désirait avec ardeur la présence de corps, puisqu'il parle ainsi : Eloigné de vous pour ion temps, non de coeur, mais de corps, nous désirons avec plus de force de voir votre face. (I Thess. II, 17.) Nous éprouvons ces mêmes sentiments, et nous souhaitons ardemment la présence de ceux que nous avons déjà vus, et celle de ceux que nous n'avons pas encore vus. Mais, puisque ce désir ne peut être satisfait présentement à cause de la longueur de la route, de la saison, de la crainte des voleurs, et aussi parce qu'il ne nous est pas facile de sortir de notre demeure pour entreprendre de longues pérégrinations, nous nous contentons de vous envoyer les salutations qui vous sont dues, vous sollicitant d'abord et vous demandant, à titre de grâce singulière, de vous souvenir de prier continuellement pour nous, de vous- prosterner devant le Dieu des miséricorde, avec ferveur et avec larmes, pour notre humilité. Vous qui avez fui les flots agités des affaires humaines, qui avez échappé au tourbillon des maux présents et à l'obscurité qu'ils engendrent, qui avez abrité vos âmes dans le port de la vraie philosophie comme dans un lieu sûr et exempt de l'agitation des mers, qui avez fait de la nuit le jour par vos veilles sacrées, et un jour plus éclatant que celui auquel les autres donnent ce nom; accordez-nous dans nos combats le secours de vos prières, ainsi qu'il est juste. Placé à de si grandes distances nous pourrons néanmoins en ressentir l'efficacité; ni le lieu, ni le temps ne nous priveront de cet appui. Combattez donc avec nous et tendez-nous la main à l'aide de vos prières. C'est la manière la plus puissante d'exercer la charité. En même temps que vous prierez pour nous, ne craignez pas de nous transmettre des nouvelles de votre santé; nous y trouverons une grande consolation , nourrissant notre esprit du souvenir de votre charité et vous ayant en quelque sorte devant les yeux, comme si vous étiez présents. Car l'amour véritable peut ainsi retracer les traits des absents. Et de la sorte, même dans ce désert aride où nous vivons, nous éprouverons une grande joie.
Haut du documentDe 404 à 405.
Je connaissais déjà votre charité pour nous, l'ayant apprise par vos oeuvres ; mais elle est devenue aujourd'hui plus manifeste par tout ce que vous m'avez écrit. Nous vous louons grandement,, non pour cela seul que vous nous avez écrit; Tuais parce que vous nous avez mandé tout ce qui était arrivé. Vous avez prouvé que vous avez confiance en nous, et que vous avez souci de nos affaires. C'est pourquoi nous avons tressailli, nous nous réjouissons, et notre esprit est dans l'allégresse; nous éprouvons une très-grande consolation, même au milieu de ce désert, à cause de votre force, de votre constance, de votre fermeté inébranlable, de votre prudence, de la liberté de votre parole, de votre confiance sublime qui a couvert de confusion nos adversaires et causé au démon une plaie mortelle. Vous avez fortifié ceux .-qui combattaient pour la vérité; comme un guerrier généreux, vous avez élevé sur le champ de bataille un glorieux trophée; vous avez moissonné une victoire éclatante, et vous nous avez rempli d'une joie si grande, que nous ne pensions plus habiter un pays étranger, une terre étrangère, un désert; mais qu'il nous semblait être là, être avec vous et nous rassasier auprès de vous de la vertu de votre âme.
Réjouissez-vous donc et soyez dans l'allégresse d'avoir remporté une telle victoire, dompté si facilement la rage de ces bêtes farouches, mis un frein à ces langues impudentes, et fermé ces bouches furieuses. La vérité pour laquelle vous avez combattu , pour laquelle vous avez été immolée, triomphe de la calomnie avec un petit nombre de paroles ; mais le mensonge qui s'enveloppe dans les mille détours du langage, succombe et disparaît, n'ayant pas plus de consistance que la toile de l'araignée. Réjouissez-vous donc et soyez dans l'allégresse, — car je ne cesserai pas de répéter ces mêmes paroles, — prenez courage et ranimez vos (475) forces, et vous vous rirez de toutes les embûches qui vous sont tendues par de tels adversaires. Car, plus leurs coups sont cruels, plus ils se font à eux-mêmes des blessures profondes, tandis que leurs injustices ne vous atteignent pas. Comme les flots se brisent contre le rocher, ainsi se brise contre votre fermeté leur rage impuissante, et cependant ils accumulent sur leurs têtes des châtiments épouvantables. Ne craignez donc pas leurs menaces, ni leurs grincements de dents, ni l'ivresse de leurs colères, ni leurs regards qui respirent le meurtre depuis que la perversité leur a donné la cruauté des bêtes sauvages. Celui qui jusqu'à ce jour vous a délivrée de leurs nombreuses embûches, vous établira encore dans une sécurité plus grande, parce que vous vous serez montrée vaillante, et vous direz aussi : Les flèches des méchants sont devenues la cause de leurs plaies, et la puissance de leur langue s'est tournée contre eux. (Ps. LXIII, 8.) C'est ce qui est arrivé et ce qui arrivera de nouveau, afin que vous receviez une récompense plus grande, que vous remportiez une couronne plus brillante, et qu'eux-mêmes, éloignés du repentir, se préparent un châtiment plus redoutable. Quel genre d'embûches ont-ils omis ? quelle sorte de machinations n'ont-ils pas employées lorsqu'ils ont entrepris d'ébranler votre fermeté, votre fidélité à Dieu, lorsqu'ils ont attaqué votre âme généreuse et forte ? Ils vous ont conduite sur la place publique, vous qui ne connaissiez que l'église et le secret de votre demeure, de la place publique au tribunal, du tribunal à la prison. Ils ont aiguisé la langue des faux témoins, ils ont forgé des calomnies impudentes, ils ont perpétré des meurtres, ils ont fait couler le sang à flots, ils ont fait périr de jeunes hommes par le fer et par le feu, ils ont couvert de plaies, d'outrages et de tortures diverses des citoyens nombreux et considérables par le rang, ils ont tout osé pour arriver à vous forcer et à vous contraindre par la terreur de, dire le contraire de ce que vous aviez vu. Comme l'aigle qui s'élève dans les airs, vous avez rompu leurs filets, vous élevant vers les hauteurs de la liberté, ne vous laissant point circonvenir, mais dévoilant les sycophantes au sujet de cette accusation d'incendie sur laquelle les misérables et les insensés fondaient leur espoir. Rappelez-vous donc tout ce passé, ces flots, cette tempête soulevée contre vous, cette mer agitée et furieuse au milieu de laquelle vous avez navigué avec calme, et attendez dans un bref délai le port et les couronnes. Et, puisque vous voulez aussi que nous vous parlions de nous, sachez que nous sommes vivant, que nous sommes en bonne santé, que - nous sommes exempt de toute maladie. Si nous étions malade , nous n'aurions pas besoin d'autre remède pour nous rendre la santé que votre piété et votre charité sincère, ardente, ferme, inébranlable ! Mais, parce que nous aimons à apprendre fréquemment des nouvelles de votre santé et de votre sécurité pont tout ce qui vous concerne, nous vous exhortons, ainsi que vous avec coutume de le faire, sans attendre nos exhortations, à nous écrire très-souvent sur votre santé, sur toute votre maison, sur tout ce qui vous touche. Vous savez combien est grand notre souci pour vous et pour votre maison bénie.
Les événements survenus sont déplorables; il ne faut pas pleurer sur ceux qui en ont été les victimes et qui ont souffert avec courage, mais sur ceux qui en sont les auteurs. De même que les animaux sauvages les plus difficiles à percer du trait mortel, emportés par leur impétuosité et tombant sur la pointe du glaive, en font pénétrer le tranchant jusqu'au plus profond de leurs entrailles, de même ceux dont l'audace accomplit de tels forfaits attirent sur leur tête les rudes tourments de la géhenne. S'ils se glorifient de ce qu'ils ont fait, ils sont d'autant plus misérables et dignes de plus de larmes, parce que de la sorte ils se préparent des châtiments plus grands. Ce sont ceux-là qu'il faut pleurer sans cesse; mais on doit se réjouir avec ceux qu'ils ont immolés et qu'attendent dans le ciel les couronnes et le prix du combat, on donnera ainsi la preuve la plus grande et la plus manifeste du coup mortel porté au démon. Et s'il n'avait pas reçu ce coup mortel, il n'aurait pas poussé de si grands cris par la bouche de ceux qui lui obéissent. Envisageant toutes ces choses, mon maître vénéré. vous en tirerez une grande consolation. Ecrivez-nous souvent touchant votre santé. Nous aurions le désir de voir et d'embrasser (476) votre tête chérie, mais puisque cela ne nous est pas permis, nous attendons de vos bons sentiments que vous nous écrirez souvent concernant votre santé, et que sur ce point, vous vous montrerez bienveillant pour ceux qui nous aiment.
Haut du documentCucuse, 404.
Les flots se précipitant contre les rochers ne peuvent les ébranler, même légèrement, mais ils se brisent par la violence du choc et disparaissent. C'est ce qui s'est accompli à votre égard et à l'égard de ceux qui vous tendent des embûches vainement et sans succès. Car vous avez acquis auprès de Dieu un grand crédit, devant les hommes une grande gloire; sur eux, au contraire, sont venus la condamnation, la honte et l'opprobre. Telle est la nature de la vertu et du vice; celle-là, lorsqu'elle est combattue, prospère davantage ; celui-ci, lorsqu'il entame la lutte, devient plus faible et plus facile à renverser. Puis donc que les événements survenus vous ont fourni un grand sujet de vous consoler, réjouissez-vous, soyez dans l'allégresse et prenez courage. Vous savez quelles récompenses sont proposées à votre vertu pour ce combat dans lequel vous êtes engagées et quels biens vous attendent si vous supportez avec force et actions de grâces tout ce qui petit vous arriver, je veux dire ces biens que 1'śil de l'homme n'a point vus, que son oreille n'a pas ouïs, ni son coeur ressentis. Les tribulations passeront et disparaîtront avec la vie, la récompense sera immortelle. Et, avant même que vous obteniez la récompense, vous goûterez ici-bas une grande joie, vous nourrissant de l'espoir d'une bonne conscience et de l'attente des couronnes qui vous sont réservées. Tout cela, vous n'aviez pas besoin de nos lettres pour vous l'apprendre; mais en vous l'écrivant nous avons donné plus de longueur à cette épître, et nous savons que vous désirez fort de recevoir nos lettres, que vous les souhaitez par-dessus tout, et que vous me reprochez toujours de ne pas vous écrire assez. Nous ne pourrions rassasier votre désir, alors même que nous vous écririons tous les jours, tant vous semblez ne vivre que par nos lettres. Que Dieu vous accorde en cette vie et en l'autre le prix et la récompense d'une si grande charité pour nous ! De notre côté, nous ne cesserons point de vous envoyer nos lettres toutes les fois que nous en aurons la possibilité; et ce sera pour nous un grand bonheur de vous adresser souvent par écrit nos salutations. Car, nous gardons sans cesse pour vous ce même sentiment de charité que vous avez su nous inspirer d'abord, et qui est devenu encore plus vif. Et si nous demeurions encore éloigné de vous pendant un temps plus long, ce sentiment ne pourrait s'affaiblir; nous vous portons partout dans notre pensée, admirant votre courage et la fermeté de votre esprit. Ecrivez-nous fréquemment des nouvelles de votre santé et de toute votre maison, afin que nous en éprouvions ici une grande consolation.
Cucuse, 401.
Vous n'ignorez pas, mon seigneur très-vénéré, quelles grandes récompenses nous vaudront les souffrances endurées pour Dieu, quelles palmes et quelles couronnes ! Que rien donc ne vous trouble dans tout ce qui peut arriver, puisque les pleurs conviennent seulement à ceux qui font le mal, eux qui attirent sur leurs têtes des châtiments sans nombre. Pour vous, comme il sied à votre caractère, armez-vous de force et vous détruirez leurs embûches et leurs machinations plus facilement que la toile de l'araignée. Ecrivez-nous fréquemment pour nous donner de bonnes nouvelles de votre santé, car nous recevrons une grande consolation , vivant dans cette terre étrangère, si nous obtenons quelques lignes de votre révérence.
Cucuse, 404.
J'ai éprouvé une douleur bien vive en apprenant que vous êtes dans un si mauvais état (477) de santé. Car vous savez, très-noble et très-pieuse dame, combien nous sommes préoccupé de ce sujet. C'est pourquoi, afin de nous enlever le tourment de l'inquiétude, ayez soin de nous faire savoir par la première personne qui viendra ici si la maladie vous a quittée et si vous êtes revenue à une entière santé, puisque, dans ce lieu désert, nous ressentons une joie peu commune lorsque nous recevons des nouvelles de votre santé, de votre tranquillité d'esprit, de vous qui nous aimez avec tant de sincérité. Sachant donc quel bonheur nous causera votre lettre, ne tardez pas, n'apportez aucun délai, mettez-vous aussitôt à l'oeuvre, et de même que vous nous avez jeté dans la tristesse en nous annonçant votre maladie, de même vous nous remplirez d'allégresse en nous annonçant votre retour à la santé.
Cucuse, à ce que l'on croit, en 405.
Je n'ai rien tant à coeur que de vous écrire souvent. Je n'ai point oublié votre bienveillance, ni l'honneur et le respect que vous m'avez toujours témoignés; en quelque endroit que j'aille, j'en emporte partout le souvenir, qui se ravive sans cesse. Si je ne vous écris pas aussi souvent que je le voudrais, et seulement à de rares intervalles, ne l'imputez pas à ma négligence, mais à des circonstances impérieuses et à l'état des routes présentement impraticables pour les voyageurs. Sachant donc qu'il en est ainsi, daine très-noble et très-distinguée, soit que nous vous écrivions, soit que nous gardions le silence, soyez toujours persuadée de la persévérance de nos bonnes dispositions à votre égard.
Cucuse, à ce que l'on croit, en 404.
La même cause qui vous a fait garder un long silence nous a fait observer un silence pareil, de bouche non de pensée. Par la pensée nous vous écrivons, nous adressons sans cesse nos salutations à vos esprits si nobles et si suaves, et gravant vos traits dans notre âme, nous emportons partout votre image ; tel est le propre d'une amitié sincère. Sachant cela, seigneurs très-chers et très-honorés, adressez-nous, lorsque vous le pourrez, des nouvelles de votre santé et soyez assurés que, malgré votre silence, nous porterons le même jugement sur votre charité que si vous nous aviez écrit, ne. tenant compte que de votre intention et de votre désir.
De l'an 404 à 407.
Bien que nous habitions dans le lieu le plus désert, nous avons souvent écrit à votre suavité, et nous ne cessons de demander à ceux qui viennent ici des nouvelles de votre santé. Pour vous, je ne sais pourquoi vous demeurez si longtemps dans le silence, vous qui nous aimez jusqu'à l'excès et qui pourriez profiter, du bon vouloir de ceux qui viennent jusqu'à nous. Toutefois, nous nous l'appelons l'ardeur, la franchise, la sincérité des dispositions que vous avez toujours montrées à notre égard et nous trouvons dans ce souvenir un grand soulagement, malgré ce silence obstiné. Quoi qu'il en soit, nous voulons aussi jouir des lettres fréquentes que vous nous enverrez concernant votre santé, et apprendre de votre bouche et de votre main ce que nous apprenons seulement par d'autres. Donnez-nous donc cette satisfaction, maître très - vénéré, puisque vous n'ignorez pas quelle grande joie vous nous procurerez. Mais, soit que nous vous écrivions, soit que nous ne vous écrivions pas, nous nous rappellerons toujours, en quelque lieu que nous soyons, la charité dont nous avons fait preuve en tout temps pour votre piété, car ce souvenir est pour nous-même une cause de joie très-grande.
478
Peut-être en 406.
Que dites-vous? Est-ce que la fureur des flots a dépassé votre attente et que, pour ce motif, vous êtes dans la douleur? Tout au contraire, il faut pour cette raison vous réjouir et témoigner votre allégresse, ainsi que faisait le bienheureux Paul lorsqu'il disait: Et non-seulement cela, mais nous nous glorifions dans nos tribulations (Rom, V, 3) ; ou bien encore Je me réjouis dans mes souffrances. (Coloss. I, 24.) Plus la tempête sera grande et terrible , plus aussi le gain sera abondant, plus seront brillantes les couronnes accordées à la patience et magnifiques les prix du combat. Pour vous j'ai confiance en vous, parce que e connais votre fermeté, votre constance, votre solidité. Mais vos persécuteurs me font beaucoup de peine, je ne puis voir sans pleurer que des gens qui devraient vous consoler se conduisent à votre égard en ennemis. Une' chose pourtant m'afflige en ce qui vous concerne, c'est le mauvais état de vos yeux dont je vous engage à prendre le plus grand soin, parlez-en aux médecins et ne négligez rien de votre côté. Car, je l'ai dit, pour les tribulations qui fondent sur vous, il faut vous réjouir et je me réjouis avec vous, parce que je n'ignore pas quel fruit vous retirerez de la patience. Que rien donc de ce qui arrive ne vous décourage et ne vous trouble: le péché seul est un mal véritable, et tout le reste, pour celui qui veille et demeure dans la sobriété, est une occasion de gain qui vous vaudra les biens ineffables et surabondants du ciel. Ayant tous les jours entre les mains une telle source de richesses, réjouissez-vous donc, soyez dans l'allégresse, et ne craignez point de nous écrire souvent. Nous souhaiterions que vous fussiez avec nous; mais la saison d'hiver, aussi bien que la saison d'été, vous seraient funestes, et nous craindrions de vous exposer aux intempéries de l'air, surtout à cause de vos yeux malades. Employez tous vos soins pour les guérir et faites-nous savoir, en nous écrivant fréquemment, si leur état s'améliore un peu, afin qu'éloigné de vous par une si grande distance nous éprouvions ici quelque joie en apprenant ces nouvelles.
Cucuse, 404.
Bien que je sois séparé de vous par une grande distance, je n'en suis pas moins instruit de vos actions illustres et pleines de courage, aussi bien que ceux qui sont présents, et je vous félicite grandement de cette force, de cette patience, de cette fermeté inébranlable, de votre volonté qui a la résistance du diamant, de votre hardiesse et de la liberté de vos paroles. C'est pourquoi, je ne cesse de vous proclamer bienheureuse pour le temps présent et pour les biens qui vous sont réservés dans le siècle futur, biens ineffables qui surpassent toute pensée et tout langage humains. Mais vous nous avez contristé parce que, dans cet éloignement où nous nous trouvons, vous n'avez pas daigné nous écrire. Cependant, je sais que ce n'est point l'effet de la négligence et je connais, soit que vous écriviez soit que vous gardiez le silence, votre charité ardente et sincère, forte et solide, exempte de tromperies et de ruse. Je sais qu'il vous aura manqué quelqu'un pour écrire; mais vous pouviez le faire dans la langue de votre pays et de votre propre main. Vous n'ignorez pas combien nous désirons recevoir de votre piété des lettres fréquentes, nous souhaiterions d'avoir chaque jour des nouvelles de votre santé, ce serait pour nous une précieuse consolation dans ce désert, au milieu de ces vicissitudes présentes. Or, puisque vous savez, très-noble et très-religieuse dame, quel est notre désir, ne négligez pas de nous accorder cette grâce singulière. De nombreux visiteurs sont venus ici, partis de divers lieux ; mais je ne vous fais pas un reproche de ce qu'ils ne nous ont pas apporté de lettres de votre révérence, puisqu'il est vraisemblable qu'ils étaient inconnus de votre piété. Maintenant que vous avez toute facilité pour écrire, nous désirons vivement, après ce qui est arrivé, recevoir de vos lettres. Ayez donc soin de réparer ce qui a manqué dans le passé et de nous faire oublier votre long silence en nous écrivant souvent , en nous accablant d'une pluie de lettres.
479
404 ou 405.
Je vous félicite des couronnes que vous avez tressées pour vous-même et que, maintenant encore, vous vous préparez lorsque, dans votre grandeur d'âme, vous êtes disposée à tout souffrir pour la vérité. C'est Dieu lui-même qui vous couvrira de son bouclier et vous protégera de sa force : Combattez jusqu'à la mort pour la vérité, dit l'Ecriture, et le Seigneur combattra pour vous. (Ecclés. IV, 33.) Et cela s'est accompli. Vous avez combattu le bon combat; vous avez remporté les palmes que le ciel décerne, et je me réjouis à cause de cela. Mais parce que j'ai appris que vous songez à partir et à vous éloigner des lieux où vous êtes, j'exhorte votre révérence à n'entretenir aucune pensée de ce genre et à ne point former de telles résolutions, d'abord parce que vous êtes le soutien de la ville dans laquelle vous demeurez, l'appui, le rempart inexpugnable, le port assuré pour tous ceux que la lutte fatigue, et ensuite pour ne point laisser échapper de vos mains la récompense , le grand gain, les riches trésors que vous amassez chaque jour par votre simple présence dans cet endroit. Ceux qui vous voient, ceux qui entendent le récit de vos oeuvres n'en retirent pas eux-mêmes un médiocre avantage, et pour vous, vous savez quelle récompense vous est réservée. Je vous exhorte donc, comme je l'ai. dit, à demeurer où vous êtes, puisque vous avez fait l'expérience de l'utilité de votre séjour en ce lieu. D'autre part, l'époque de l'année ne permet pas un voyage : vous connaissez la faiblesse de votre corps et l'impossibilité de vous mettre en marche pendant l'hiver et durant un si grand froid. On nous assure d'ailleurs que les Isauriens relèvent la tête. Envisagez toutes ces choses comme une femme prudente et ne vous mettez point en route; mais écrivez-nous à ce sujet sans retard et entretenez-nous de votre santé. Car, ne recevant pas de lettres de votre révérence, nous avons été affligé et nous avons été préoccupé par la crainte que la maladie n'en fût 1a cause; enlevez-nous cette inquiétude en nous écrivant au plus vite.
406.
Que Dieu vous accorde, et dans ce monde et dans l'autre, la récompense du respect, de l'honneur, de la sincère charité que vous nous témoignez. Car ce n'est pas seulement aujourd'hui, mais antérieurement et dès l'origine, que j'ai reconnu clairement quels ont été pour nous votre zèle et vos bonnes dispositions. C'est pourquoi, relégué à une si grande distance et séparé par une si longue route, au milieu de cette contrée déserte et des nombreuses tribulations que nous rencontrons ici, par suite des périls quotidiens, des attaques répétées des brigands, de l'absence des médecins, rien ne peut nous empêcher de nous souvenir sans cesse de votre suavité, et cette charité que, dès le principe, nous avons éprouvée pour vous et pour votre maison, nous la conservons aussi vive présentement, de telle sorte que ni le temps Iii l'éloignement ne pourra l'affaiblir. Tel est te propre de l'affection sincère. Comptant sur votre prudente et votre piété, je vous exhorte à supporter avec courage tout ce qui arrive, vous qui, depuis votre première jeunesse jusqu'à ce jour, avez marché au milieu des épreuves de toutes sortes et qui savez qu'il vous est possible de remporter le prix de la patience dans de tels combats; car vous avez combattu déjà et vous vous êtes acquis de brillantes couronnes, supérieures à l'effort de la lutte. Si le combat présent est plus difficile, la couronne sera plus riche encore. Qu'aucune des choses fâcheuses qui surviennent ne vous trouble : plus les flots seront soulevés, plus la vague sera furieuse,. plus aussi votre gain sera grand, plus sera riche, magnifique et glorieux le prix de vos sueurs; les souffrances du temps présent ne sont rien en comparaison de la gloire qui sera révélée en nous. (Rom. VIII, 18.) Les choses présentes, les biens et les maux de cette vie sont comme un chemin, dans lequel où ne s'arrête pas; on traverse les uns et les autres; ils n'offrent. rien de ferme et de stable, mais ressemblent à tout ce qui est dans la nature physique, qui paraît et disparaît. De même que les passants et les voyageurs, soit qu'ils marchent à travers des prés fleuris ou dans des (480) lieux abruptes et rudes, ne reçoivent d'un côté aucun plaisir, et de l'autre aucune peine, parce qu'ils sont des voyageurs et non des habitants, traversant avec la même indifférence les endroits bons et mauvais pour arriver dans leur patrie; ainsi je vous exhorte à ne point souhaiter avec ardeur les joies de la vie présente, à ne point vous laisser submerger par les tribulations, à ne considérer qu'une seule chose, je veux dire comment vous parviendrez dans la commune patrie avec une confiance inébranlable. Puisque cela seul est durable, que ce bien est le seul qui demeure et ne périt pas, estimons tout le reste comme la fleur des champs, comme la fumée, ou quelque chose de moins encore s'il se peut.
A Cucuse, 404.
Je sais quelle est votre charité pour nous, quelle bienveillance vous vous êtes empressées de nous témoigner en tout temps, et je désirerais moi-même vous écrire souvent si la crainte des Isauriens n'avait intercepté les chemins, s'il m'était possible de trouver quelqu'un pour vous porter mes lettres. Aussi souvent que nous aurons des messagers, nous vous rendrons les salutations qui vous sont dues, vous invitant, selon notre coutume, à ne vous laisser troubler ni ébranler en rien par les épreuves fréquentes et continuelles. En effet, si les marchands et les marins traversent des mers immenses pour de petites cargaisons et bravent les flots irrités, si les soldats méprisent la vie pour une faible et modique solde, et durant toute leur vie, luttent contre la faim, entreprennent de longues marches, habitent le plus souvent sur la terre étrangère, pour finir par un trépas prématuré et violent, ne recevant pour cette dernière action, ni beaucoup, ni peu, qu’elle espérance de pardon pourraient avoir les tièdes, ceux qui ne mépriseraient point la vie lorsque la récompense du Ciel nous est proposée, lorsqu'après la mort nous devons attendre une rémunération bien supérieure à tous nos maux ! Réfléchissez sur toutes ces choses, regardez les affaires présentes comme une fumée, comme un songe, et le bonheur d'ici-bas comme les feuilles du printemps , qui naissent et se dessèchent, vous tenant toujours élevées dans ces hautes régions où n'atteignent pas les traits ennemis. Il suffit de vouloir pour qu'il vous soit facile de fouler aux pieds toutes les apparences trompeuses de ce monde. Soyez attentive seulement pour voir avec quel zèle vous pouvez marcher dans la voie étroite qui conduit au bonheur d'en-haut.
Cucuse, 405.
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Ce qui arrive à l'or éprouvé plusieurs fois par le feu, se produit également dans les âmes d'or qui sont soumises au creuset des épreuves. Le feu rend la matière de l'un plus brillante et plus pure, après qu'il s'y est uni pendant un temps déterminé par les règles de l'art.; la fournaise des tentations rend les hommes dont l'esprit est semblable à l'or, plus brillants et d'un plus grand prix que l'or lui-même. C'est pour ce motif que, séparé de vous par une si longue distance, nous ne cessons de vous proclamer bienheureux. Car, vous n'ignorez pas, vous savez parfaitement combien est grand le bénéfice que nous retirons des tribulations, tandis que le bonheur de la vie présente est un vain nom, privé de réalité, les seuls biens futurs étant fermes, solides, certains, immortels. Et ce qui est admirable dans la vertu, c'est que non-seulement elle nous prépare ces récompenses, mais le combat lui-même est une récompense; elle n'attend pas pour apporter aux vainqueurs le prix de la lutte que le théâtre soit enlevé, mais c'est au milieu de l'arène qu'elle tresse ses splendides couronnes pour les athlètes. De là vient que Paul ne se réjouit pas seulement des récompenses de la tribulation, mais se glorifie des tribulations mêmes, lorsqu'il dit : Nous nous glorifions dans cette espérance, mais nous nous glorifions aussi dans nos tribulations. (Rom. V, 3.) Ensuite, énumérant la série des biens que produit l'affliction, il ajoute qu'elle produit la patience, cette mère de tous les biens, ce port à l'abri des vagues, cette source de la vie tranquille, cette force plus grande que celle de la pierre, plus (481) résistante que celle du diamant, plus puissante que les armures, plus sûre que les solides remparts. La patience est cette vertu parfaite qui fait de ceux qu'elle nourrit des hommes forts et éprouvés, invincibles en toutes choses. Elle ne les laisse pas succomber et s'abattre, quelles que soient les calamités qui surviennent; mais de même que le rocher devient plus brillant lorsqu'il est davantage battu par les flots qui ne l'ébranlent pas, mais qui brisent contre lui la rage de leurs ondes, sans que ce soit lui qui les frappe , mais uniquement parce quest frappé ; ainsi celui qui est éprouvé par la patience demeure supérieur à toutes les attaques. Et ce qui est digne de remarque, il se montre puissant non par le mal qu'il fait, mais par celui qu'il souffre, en dispersant sans effort ceux qui en sont les auteurs.
Je vous écris toutes ces choses, bien que vous n'ayez pas besoin de les apprendre de nous, car je connais votre prudence et je sais que vous l'avez prouvée par vos oeuvres ; ce que nous avons enseigné par nos paroles, vous l'avez enseigné par vos souffrances. Ce n'est donc pas parce que vous avez besoin de les apprendre de nous que j'ai écrit ces choses, mais parce que vous avez gardé un long silence, ou plutôt parce que nous l'avions gardé de part et d'autre, j'ai voulu que cette lettre fût moins courte. Or, écrivant aux généreux athlètes de la patience, de quel autre sujet pouvais-je parler sinon de celui-ci, qui vous a rendus illustres et célèbres ?
Mais là ne s'arrête pas le fruit du combat, les suites en sont fécondes. L'épreuve, dit l'Apôtre, engendre l'espérance (Rom. V, 4), je dis une espérance qui se changera en réalité, qui ne ressemble pas aux espérances humaines, lesquelles sont la source de nombreuses peines pour ceux qui les poursuivent et ne peuvent jamais produire autant de fruits qu'elles ont coûté de peines, mais ne donnent que chagrin, honte, et périls de toute sorte. Cette espérance dont je parle n'a rien d'humain; c'est celle que Paul caractérise par un seul mot : Mais l'espérance n'est point confondue. (Ibid.) Non-seulement, elle n'apporte pas la défaite a celui qui est engagé dans la lutte , non seulement elle ne lui apporte point la honte, mais elle lui procure une richesse et une gloire qui l'emportent sur toutes ses peines et toutes ses fatigues, tant est généreuse la main qui nous récompense de nos efforts.
Peut-être avons-nous dépassé la mesure que devait garder cette lettre, ruais elle ne sera pas trop longue pour vous qui nous aimez si fort et qui la jugerez, non d'après les règles du style épistolaire, mais d'après celles de l'amitié, de sorte que vous la trouverez courte, je le sais. Cependant, bien qu'elle doive vous paraître courte, je vous erg demanderai le salaire, non en vous sollicitant de m'aimer, car il n'est pas besoin qu'on vous le demande, et vous, le faites de plein gré sans jamais vous considérer comme libérés à cet égard, non en vous priant de m'écrire, car je sais qu'il n'est aucunement nécessaire que quelqu'un vous en fasse souvenir. Quel est donc ce salaire ? C'est de me faire savoir que vous êtes dans la joie, dans l'allégresse, dans les transports, et que vous ne redoutez rien des maux qui fondent sur vous, mais que ces tribulations sont devenues la source d'un plus grand bonheur. Si nous recevons une lettre qui nous annonce ces bonnes nouvelles, elle nous consolera des ennuis de la solitude, de la peste, de la famine, de la guerre des Isauriens, de notre mauvaise santé, de tous les maux présents, elle sera notre remède et notre guérison. Connaissant donc quelle joie vous nous procurerez, écrivez-nous et mandez-nous ces choses, afin que, bien que séparés par une si longue distance, vous nous remplissiez d'une grande félicité.
Cucuse,404
Bien que depuis un assez long temps je n'aie pas eu de relations avec votre piété, mon affection ne s'est pas amoindrie pour cela. Car, telle est la nature de la charité vraie; elle ne se flétrit pas avec le temps, elle ne s'obscurcit pas au milieu des difficultés, mais elle conserve toujours la même ardeur. C'est pourquoi, malgré les vicissitudes présentes, bien que relégué dans ce désert aux extrémités de la terre habitable, vivant dans la crainte continuelle des brigands et entouré d'assiégeants d'un genre nouveau, en effet, la ville de Cucuse est environnée d'un siège perpétuel, puisque les brigands en interceptent les routes, nous ne sommes pas moins affectionné à l'égard de votre piété, mais (482) nous vous écrivons et nous vous adressons les salutations qui vous sont dues; vous priant, si ce n'est pour vous trop difficile et trop incommode, de nous écrire vous-même. Nous recevrons ainsi une grande joie de vous, qui nous aimez tant, et vos lettres nous feront croire que vous êtes ici avec nous.
Cucuse, 404.
Je sais quelle est la fermeté de votre charité. Bien que je vous aie connu fort peu de temps à Antioche, maître très-révéré et très-pieux, votre piété, votre prudence, votre charité pour nous m'ont été suffisamment prouvées. Depuis ce temps, quoi qu'il soit déjà loin , j'ai conservé pour vous une charité toujours plus vive, et votre image est devant mes yeux comme si je vous avais vu hier ou l'un de ces derniers jours. C'est pour cela que nous vous écrivons et que nous vous demandons de vous souvenir continuellement de nous. Nous sommes relégué à Cucuse, dans le lieu le plus désert de toute la terre habitable et nous sommes assiégé chaque jour par les Isauriens. Et toutefois, au milieu de si grandes calamités, si nous sommes assuré de votre charité, si nous connaissons clairement que nous jouissons de votre bienveillance, nous éprouverons dans nos tribulations une consolation qui ne sera point médiocre.
Cucuse, 404.
Pourquoi donc, après nous avoir montré une si grande charité dans le passé et, tout récemment encore, à Constantinople, n'avez-vous point daigné nous écrire lorsque vous avez appris que nous nous étions rapproché de votre révérence? Ne savez-vous pas quelles sont nos dispositions à l'égard de votre piété et combien nous vous sommes étroitement uni par les liens de l'amitié? j'avais espéré que vous viendriez en personne et que vous voudriez nous consoler dans le désert où nous vivons. Que peut-il y avoir, en effet, de plus désert que Cucuse, qui joint aux ennuis du désert les attaques des Isauriens par lesquels nous sommes assiégé? Que si, néanmoins, cela est impraticable par suite de la crainte des brigands et des difficultés du chemin, ne redoutez point de nous écrire, de nous donner des nouvelles de votre santé, afin que, sur cette terre étrangère , nous soyons consolé par vos lettres.
Cucuse, 404.
Je souhaiterais vivement pouvoir rencontrer votre révérence après tout ce que j'entends dire de l'ardeur de votre affection pour nous, qui ne vous connaissons pas personnellement. Mais puisqu'il ne nous est pas permis de nourrir l'espoir d'une entrevue, je me borne aux relations par lettres, les regardant comme un grand bienfait pour moi. Bien que Cucuse, où nous sommes relégué, soit un lieu désert, plein de périls, exposé à la crainte continuelle des brigands, rien ne peut nous troubler ou nous ébranler si nous jouissons de votre charité. Eloigné de vous par le corps, nous vous sommes attaché avec force par l'esprit, et nous croyons habiter votre contrée paisible et tranquille plutôt que Cucuse, vous emportant avec nous dans notre pensée et demeurant avec vous par notre affection.
Cucuse, 404.
S'il m'était possible d'aller trouver votre piété, de vous embrasser, de me nourrir de votre charité en jouissant de votre présence, je l'eusse fait avec empressement et sans retard; mais puisque cela ne m'est pas permis je me contenterai de vous écrire. Bien que nous soyons exilé aux extrémités de la terre, nous ne pouvons oublier votre charité sincère, ardente, vraie, exempte de tromperie, telle (483) que vous l'avez montrée dans le principe et maintenant encore. Car, aucune des choses que votre zèle vous a porté à dire ou à faire pour nous, maître très-vénéré et béni de Dieu, n'a pu nous échapper. Et si tout cela est demeuré sans effet, vous avez cependant Dieu lui-même pour débiteur, à cause de votre zèle et de votre ardeur, et vous recevrez la récompense complète et entière. Pour nous, nous ne cessons de rendre grâces à votre sainteté, d'exalter devant tous votre piété, et de vous exhorter à nous garder toujours une charité plus vive, recevant dans ce désert une consolation bien grande, parce que nous avons dans notre coeur un grand trésor et de grandes richesses, je veux dire la charité de votre âme vigilante et généreuse.
De 404 à 407.
Nous n'avons pas besoin de consolation pour l'état présent de nos affaires; les événements qui en ont été la suite suffisent pour nous consoler. Mais nous gémissons sur cette tempête qui atteint les Eglises , sur ce naufrage qui a couvert de ruines toute la terre, et nous vous exhortons tous à obtenir par vos prières que ce renversement de toutes choses vienne à cesser et qu'enfin le calme se rétablisse. Ne cessez point de prier, puisque, cachés en des retraites ignorées, vous avez un plus grand loisir pour multiplier les prières d'un coeur contrit. Ce ne sera pas en vain que vous vous prosternerez devant le Dieu de miséricorde. Ne cessez donc pas de prier, et autant qu'il vous sera possible, écrivez-nous fréquemment. Séparé de votre grâce par une longue distance, nous ne cessons chaque jour d'avoir un grand souci de tout ce qui vous concerne, interrogeant avec anxiété ceux qui nous viennent du lieu où vous êtes, bien qu'ils soient nombreux. Afin donc que nous soyons complètement renseigné , lorsque l'occasion se présentera, accordez-nous cette faveur de nous envoyer des nouvelles de votre santé afin que, même en ce désert où nous vivons, nous éprouvions une grande consolation.
Cucuse, 401.
Il est digne de vous, il est digne d'un pilote vigilant et actif de ne point perdre courage lorsque la tempête sévit ainsi, mais de demeurer constamment attentif et plein de sollicitude, donnant ses soins là où le besoin se fait sentir, se portant sur tous les points en multipliant les lettres écrites partout, ralliant ceux qui sont proches et ceux qui sont éloignés, les excitant, recommandant à chacun de ne point se laisser entraîner par les flots, mais de rester ferme, de veiller, lors même que des vagues plus nombreuses et plus redoutables viendraient s'élever, et, quoiqu'il ne soit qu'en un seul endroit, se montrant partout par ses avis et par ses conseils. Car, éloigné de vous par une si grande distance, rien ne nous échappe cependant de tout ce que vous faites. C'est pourquoi nous vous louons et nous exaltons votre piété, votre esprit vigilant, votre âme inébranlable, et, dans un âge avancé, votre ardeur juvénile, qui d'ailleurs ne saurait nous surprendre. Lorsque ce que l'on attend de nous exige la force du corps, la vieillesse est un obstacle; mais lorsqu'une chose demande la sagesse de l'âme, les cheveux blancs n'ont pas coutume d'empêcher les grandes actions, et en effet ils n'ont rien empêché, puisqu'il n'est rien que votre piété n'ait conduit à bonne fin. Aussi, ne puis-je douter aucunement que vos veilles, vos fatigues ne reçoivent une récompense proportionnée. Et parce que vous avez pris le souci de nos affaires et de celles de toute la terre, à cause de votre grande et ardente charité, et que vous désirez apprendre où nous vivons, ce que nous faisons, quels sont ceux avec qui nous vivons, le voulant ainsi, non pour un motif frivole, mais pour en être reconnaissant à leur égard, nous-même nous ne cessons de nous faire le héraut de votre charité, de lui accorder des louanges, de la proclamer en présence de tous, de vous rendre grâces devant ceux qui viennent ici ou devant ceux qui vivent avec nous. Pour vous, attendez la récompense que le Dieu de bonté vous accordera et qui surpassera toutes vos, peines, la récompense qu'il donne avec (484) abondance à celui qui s'est efforcé d'accomplir le bien par ses actions ou ses paroles. Mais aussi, nous voulons que vous puissiez vous réjouir en apprenant ce qui nous concerne.
Nous sommes à Cucuse, dans le lieu le plus désert, mais nous ne ressentons point les effets de la solitude, tant nous jouissons du calme, de la sécurité, des bons offices de tous. La maladie nous a quitté grâce à vos prières; nous sommes maintenant en santé ; nous sommes délivré de.la crainte des Isauriens; nous sommes en sûreté et nous nous reposons dans un grand loisir. Nous avons près de nous les prêtres vénérés Constantius et Evétius; nous avons l'espoir d'en avoir bientôt d'autres que leurs chaînes ont retenus jusqu'à présent; maintenant qu'ils sont délivrés, je ne doute pas qu'ils ne s'empressent de voler vers nous. Ne cessez pas de prier pour nous, qui vous aimons tant, maître très-vénéré et chéri de Dieu, et écrivez-nous, aussi souvent que vous le pourrez, des nouvelles de votre santé, puisque vous savez que nous souhaiterions, s'il était possible, d'en avoir chaque jour. Dites beaucoup de choses de notre part à notre maître vénéré et très-pieux, le prêtre Asyncritius, et à ses chers enfants, en même temps ,qu'à tout le clergé placé sous les ordres de votre piété.
Cucuse, 404.
C'est un effet de votre indulgence et de votre esprit bienveillant, si, n'ayant rien reçu de ceux à qui je vous avais recommandé, vous estimez néanmoins avoir reçu beaucoup, jugeant tout d'après notre bon vouloir; mais nous ne pouvons nous contenter de cela. Nous avons,conféré longuement sur ce sujet avec le seigneur Théodore, l'officier du prétoire qui nous a conduit à Cucuse, et nous avons écrit à plusieurs autres en les entretenant de cette même affaire. Veuillez donc nous faire savoir au plus tôt si nos lettres ont produit quelque effet ou sont demeurées une écriture vaine et de nulle valeur pour ceux à qui nous les adressons. Nous louerons votre charité sur ce point, et nous verrons la marque la plus éclatante de Votre confiance en nous dans le soin que vous prendrez de nous informer de ces choses. Indiquez-nous si quelque résultat est obtenu ou non, afin que nous rendions grâces, dans le premier cas, à ceux qui auront songé à leur âme, car c'est à eux-mêmes plutôt qu'à vous qu'ils sont utiles en agissant ainsi, et que, dans l'autre hypothèse, nous trouvions une nouvelle voie abrégée et sûre de vous faire jouir d'une paix entière et de vous délivrer de toute angoisse. Nous aurons bien mérité à nos propres yeux en nous préoccupant ainsi de votre noble et généreuse âme; mais écrivez-nous fréquemment des nouvelles de votre santé et de la célébrité que vous acquérez à votre nom.
Cucuse. 404.
Pourquoi donc, sachant combien nous nous réjouissons de tout ce qui vous arrive d'heureux, quel bonheur nous ressentons de la gloire acquise par vous, ne nous avez-vous pas notifié les grands honneurs auxquels vous avez été appelé, ainsi que vous le deviez; nous laissant apprendre cette nouvelle par d'autres, et croyant sans doute n'avoir pas besoin d'une longue justification après avoir été cause que nous avons été si longtemps privé, autant qu'il était en vous, d'une joie si grande? Car votre dignité réelle, c'est votre amour de la vérité; votre commandement le plus élevé, c'est celui que vous exercez sur votre âme par la vertu. Mais, puisque vous avez recherché les honneurs de ce monde pour l'utilité de ce monde lui-même, et que vous avez voulu ouvrir à tous ceux qui sont dans le besoin un refuge d'autant plus assuré que vous seriez plus puissant, je me réjouis et je suis dans l'allégresse, sans toutefois cesser de maintenir mon accusation relative à votre silence. De quelle manière nous donnerez-vous une satisfaction suffisante? Par la fréquence de vos lettres et en nous adressant souvent des nouvelles de votre santé et de celle de toute votre maison. Maintenant que vous connaissez le moyen de vous faire pardonner, je vous ferai connaître en même temps la pénalité encourue. Si, après cette lettre reçue, vous gardez encore le silence, vous demeurerez convaincu de grave négligence, et nous en serons profondément affligé. Or, je sais que (485) vous regarderez comme une peine rigoureuse de savoir que nous sommes dans l'affliction pour ce motif, puisque je n'ignore pas combien vous nous aimez sincèrement et chaleureusement.
Cucuse de 404 à 405, à ce que l'on croit
J'écris rarement à votre grâce parce qu'il m'est difficile de trouver quelqu'un qui vous porte mes lettres; en revanche je pense à vous non-rarement mais sans cesse. Car l'une de ces choses est en notre pouvoir et non l'autre : nous pouvons nous souvenir continuellement et nous ne pouvons disposer d'un courrier. Nous nous servons de celui-ci quand nous l'avons sous la main, tandis que le souvenir ne. nous quitte pas. Mes lettres précédentes avaient pour but de vous envoyer mes salutations; je viens solliciter un bienfait par celle-ci. Quel est ce bienfait? C'est un de ceux que vous gagnerez plus à accorder qu'un autre ne gagnera en le recevant, qui sera plus utile à la personne de qui il part qu'à celle à qui il s'adresse. Il est venu jusqu'à nous qu'Eusthasius a gravement offensé votre révérence, qu'il a été chassé de votre maison et éloigné de vos regards. De quelle nature est cette offense et commenta-t-il mérité une si grande colère, je ne puis le dire, ne sachant rien autre chose, sinon qu'il vous faut écouter nos conseils, à nous, qui sommes désireux de votre salut. La vie présente n'est rien; elle ressemble à la fleur du printemps, à l'ombre légère, aux songes décevants; ce qui subsiste véritablement , ce qui est stable et exempt de tout trouble , c'est ce qui nous attend après la vie d'ici -bas. Vous nous avez souvent entendu répéter ces vérités; vous les méditez continuellement dans le secret de votre demeure. Je ne m'étendrai donc pas longuement là-dessus, mais je vous dirai : si c'est injustement que vous l'avez chassé, cédant à la calomnie, reconnaissez les droits de la justice et corrigez ce qui a été fait; si vous avez agi avec justice, considérez les lois de l'humanité, et que votre conduite soit encore la même, car vous en retirerez plus d'avantages que ce malheureux. De même que celui qui redemandait cent deniers à son débiteur, serviteur comme lui, fut moins l'auteur de la ruine de celui-ci que du châtiment mortel qu'il s'attira, puisque sa rigueur envers l'autre serviteur rendit vaine la remise des dix mille talents; ainsi celui qui pardonne les fautes du prochain rendra un compte moins sévère dans l'éternité, et plus il aura pardonné de grandes injures, plus il obtiendra une grande indulgence. Et non-seulement cela, mais encore il aura accordé un bienfait tel qu'un serviteur n'en peut donner, et il recevra une récompense telle que le maître la donne.
Ne me dites donc pas qu'il a manqué sur ce point, et sur cet autre encore. Car, plus vous me montrerez qu'il s'agit de choses graves, plus vous me fournirez de motifs puissants sur la nécessité de pardonner, puisque vous vous ménagerez ainsi pour la vie future une plus grande matière de miséricorde. Bannissez tout ressentiment, même juste; domptez la colère par un saxe raisonnement; offrez ce sacrifice à Dieu ; réjouissez-nous , nous qui vous aimons , et montrez qu'il nous a suffi d'une courte lettre pour obtenir une grâce si grande; cherchez pour vous-même une cause de joie, ainsi que je l'ai dit, en cherchant la paix et bannissant de votre âme tout trouble, afin que vous puissiez demander avec une grande confiance au Dieu des miséricordes l'entrée dans son royaume céleste. La charité envers le prochain efface les péchés, car il est dit : Si nous remettez aux hommes leurs fautes, mon Père céleste vous remettra les vôtres. (Matth. VI, 14.) Réfléchissez sur tout ceci et écrivez-nous une lettre qui nous fasse savoir que la nôtre n'a pas été inutile. Car, nous avons fait ce qui nous appartenait, nous avons accompli ce qui était en notre pouvoir; nous avons exhorté, nous avons prié, nous avons sollicité à titre de grâce, nous avons conseillé ainsi qu'il le fallait. C'est maintenant sur vous seule que se porte toute notre sollicitude. Pour nous , la récompense nous est assurée, soit qu'il résulte quelque chose de nos exhortations ou qu'il n'en résulte rien, car les paroles ont aussi leur récompense. Mais tout notre effort tend présentement à vous gagner vous-même, de telle sorte que. par vos bonnes actions en ce monde vous pissiez acquérir sûrement les biens éternels de la vie future.
486
404, dans les commencements de l'exil.
Vous habitez la prison, vous êtes chargés de chaînes, vous êtes renfermés avec des hommes sordides et couverts de haillons; mais que pouvait-il vous arriver de plus heureux pour une telle cause? Qu'est-ce qu'une couronne d'or, dont on ceindrait sa tête, en comparaison de cette chaîne dont vos mains sont liées pour Dieu? Quelles sont les grandes et splendides habitations qui valent la prison remplie de ténèbres et d'ordures , séjour d'affliction et d'horreur, lorsqu'on la subit pour une telle cause ? Tressaillez donc et bondissez de joie, couronnez vos fronts et livrez-vous à vos transports, parce que les afflictions dans lesquelles vous êtes seront la cause d'un grand gain. Elles sont comme la semence qni annonce la,récolte la plus abondante; elles sont comme le combat des lutteurs qu'attendent la victoire et les palmes; elles sont comme la navigation pénible qui rapporte un large bénéfice. Considérant toutes ces choses, seigneurs très-vénérés et très-pieux, soyez dans l'allégresse et dans la joie, ne négligez point de louer Dieu en toutes choses et d'infliger à Satan des plaies mortelles, vous préparant pour vous-mêmes une riche récompense dans le ciel. Car les tourments du siècle présent ne sont pas comparables à la gloire future qui sera manifestée en vous. (Rom. VIII, 18.) Ecrivez-nous souvent. Nous désirons ardemment recevoir des lettres envoyées par des hommes qui sont enchaînés pour Dieu, lettres qui nous feront connaître tout ce que vous endurez : même durant notre séjour sur cette terre étrangère, nous en retirerons une grande consolation.
Écrite en 404, comme il se rendait à Cucuse.
Puisque maintenant je vous ai ouvert la voie pour m'écrire, faites en sorte de montrer ,que la négligence n'a point causé votre silence antérieur, mais que vous attendiez seulement pour m'écrire que je vous eusse enhardi à le faire; envoyez-moi une nuée de lettres qui me parlent de la gloire acquise à votre nom, car je sais combien elle vous est précieuse, et ne permettez pas que la crainte du tyran vous contraigne au silence, mais, brisant cet obstacle avec plus de facilité que la toile de l'araignée, montrez-vous avec éclat dans la mêlée, confondant vos adversaires par votre liberté et par votre confiance. C'est maintenant le temps d'acquérir une grande gloire et de précieuses richesses. Le marchand qui reste dans le port n'amasse pas une cargaison; il faut pour cela qu'il traverse de vastes mers, qu'il brave les flots avec audace, qu'il lutte contre la faim et contre les monstres de l'onde, qu'il supporte beaucoup d'autres ennuis. Considérez tout cela et voyez que le temps des périls est aussi le temps d'un grand gain pour vous, d'une gloire abondante, d'un salaire inestimable; étendez les ailes de votre âme, secouez la poussière de la tristesse et de l'abattement, parcourez d'un pied agile le front de bataille, assignant à chacun sa place, excitant, exerçant, fortifiant, allumant le zèle. En même temps, instruisez-nous de tout par vos lettres; ne craignez point d'avoir à nous raconter vos propres actions, mais accomplissez l'ordre que nous vous donnons et procurez-nous cette joie, afin que, dans cet éloignement où nous vivons, nous éprouvions un grand bonheur en apprenant de votre piété ce que nous désirons le plus vivement savoir.
Ecrite à Césarée de Cappadoce comme il allait en exil, en 404.
Je suis disloqué, épuisé, je me suis vu mille fois aux portes de la mort, et ceux que nous avons chargés de nos lettres sauront vous le raconter avec exactitude, bien qu'ils ne se soient trouvés avec nous que peu de temps. Car nous n'avons pu même nous entretenir avec eux, accablé comme nous l'étions par des fièvres continuelles, malgré lesquelles il nous fallait marcher le jour et la nuit, obsédé par la chaleur, affaibli par les veilles, privé de tous ceux dont j'eusse pu recevoir des soins, et dans la disette de toutes les choses nécessaires. Nous (487) avons souffert et nous souffrons plus que ceux qui sont condamnés aux mines ou renfermés dans les cachots. Nous sommes entrés, non sans peine, il est vrai, à Césarée, comme dans un port et dans un lieu de repos après la tempête. Cependant, le port n'a pas eu la vertu de chasser les maux causés par les flots, tant les jours antérieurs nous ont épuisé. A Césarée, du moins, nous avons repris un peu haleine, car nous avons bu de l'eau fraîche, nous avons mangé du pain qui n'était ni moisi ni durci outre mesure, nous avons pu laver notre corps, non dans des débris de tonneau, mais dans un bain quelconque, et nous coucher enfin dans un lit. Je pourrais vous en dire plus long, mais je m'arrête ici, ne voulant pas jeter votre esprit dans le trouble. J'ajoute seulement que vous ne devez cesser d'adresser des reproches à ceux qui nous aiment, parce que, comptant beaucoup d'amis et des amis revêtus d'une si grande puissance, nous n'avons pu obtenir ce qu'obtiennent des hommes chargés de crimes, savoir : d'habiter une région moins éloignée et plus douce, de telle sorte que ni la faiblesse de notre corps, ni la crainte des Isauriens, maîtres de tout le pays, ne nous ont point fait accorder une si faible et si mince faveur. Gloire soit rendue à Dieu, même en de telles circonstances! car nous ne cessons de le louer en toutes choses. Que son nom soit béni dans tous les siècles! (Job. I, 21.) Mais je suis vraiment étonné, pour ce qui vous concerne, dé n'avoir reçu qu'une seule lettre de vous, bien que celle-ci soit la quatrième ou la cinquième que j'adresse à votre bienveillance et à votre grâce. Pourtant, il ne vous est pas difficile d'écrire plus souvent. Je ne le dis pas pour en faire un motif d'accusation; car les devoirs de la charité ne s'imposent pas, ils sont rendus par un libre choix. Mais je gémis de ce que vous m'avez si vite exclu de votre pensée, ne m'envoyant qu'une seule lettre dans un temps si long. Si donc je ne demande pas une chose trop difficile et trop pénible, accordez-la, puisque vous le pouvez, puisque vous en êtes la maîtresse. Je ne veux pas vous préoccuper d'autres affaires, car je n'en tirerais aucun profit et je vous paraîtrais importun et à charge.
Avant d'arriver à Cucuse en 404.
Votre lettre nous a fait savoir quel foyer de tristesse vous portez dans votre âme, à la suite de tout ce qui nous est arrivé, et déjà nous en étions auparavant informé; car, nous n'avons point oublié cette abondance de larmes que vous avez versées dès le commencement, lorsque l'on ourdissait ces maux. Au reste, votre lettre non moins que vos larmes et vos gémissements a mis au jour cette dévorante tristesse qui est dans votre coeur. Attendez-en la récompense du Dieu des miséricordes, car il y a aussi pour la tristesse une grande et abondante miséricorde. Au milieu de la perversité juive , plusieurs qui , ne pouvant arrêter les crimes , se contentaient de pleurer et de gémir, furent récompensés, car tandis que la foule des autres périssaient et succombaient livrés au carnage, eux seuls évitaient les effets de la colère divine. Placez, dit l'Ecriture, un signe sur le visage de ceux qui gémissent et qui pleurent. (Ezéch. IX, 4.) Cependant, ils n'avaient rien empêché; mais parce qu'ils avaient accompli ce qui était en leur pouvoir, parce qu'ils gémissaient et pleuraient sur ces désordres, ils ont obtenu leur salut. Pour vous, nos maîtres, pleurez sans cesse sur nos malheurs actuels, et suppliez le Dieu des miséricordes, de nous donner le salut dans ce commun naufrage de toute la terre. Car vous savez, vous n'ignorez pas que les troubles et la discorde sont en tous lieux, et qu'il ne suffit pas de prier seulement pour Constantinople , mais pour le monde entier, puisque le cours du mal ayant commencé là, il s'est porté ensuite dans toutes les contrées, comme un fleuve aux ondes corrompues , pour ravager toutes les Eglises. Quant à ce que vous me demandez, je le demande aussi de vous tant que nous serons éloigné de corps, car nous sommes étroitement uni par l'âme avec votre noblesse ainsi qu'avec toute votre maison; ne craignez point de nous écrire souvent des nouvelles de votre santé, puisque vous savez quelle grande joie vous nous procurerez. J'ai appris, depuis mon départ, que vous m'aviez demandé de demeurer chez vous ; il ne nous a pas été permis de séjourner à Sébaste, mais à Cucuse, le lieu le (488) plus désert de l'Arménie et le plus dangereux en raison des courses des Isauriens. Néanmoins, nous rendons grâces à votre noblesse et nous apprécions comme il le mérite, l'honneur que vous nous avez fait lorsque nous partions pour l'exil, en songeant à nous offrir l'hospitalité et en nous appelant sous votre toit. Mais si vous avez quelques amis à Cucuse; veuillez leur écrire.
Cucuse, 404 ou 405.
Vous êtes heureux, trois fois heureux, et plus encore, vous qui avez montré une si grande libéralité envers ceux qui sont dans le besoin, au milieu de cette horrible tempête et de ce bouleversement de toutes choses. Car, la grandeur de votre charité ne nous a point été cachée, et nous savons que votre maison a été comme un port ouvert à tous les orphelins, que vous avez consolé les veuves et soulagé leur pauvreté, apportant un remède à leur indigence et ne les abandonnant pas au sentiment de leur détresse, mais leur tenant lieu de tout et nourrissant tout un peuple de froment, de vin, d'huile, de toutes les choses nécessaires à la vie. Que Dieu récompense, et dans ce monde et dans l'autre, votre grandeur d'âme, votre générosité, votre ardeur, votre zèle, votre amour des pauvres, votre charité sincère, puisque toutes ces vertus abondent et fleurissent en vous pour vous mériter la palme dans le siècle futur. Nous n'avons rien ignoré dans ce désert où nous vivons entouré de mille difficultés, où la crainte des Isauriens nous assiégé, où la solitude de la contrée et la rigueur de la saison nous accablent. Lorsque nous avons appris toutes ces choses concernant votre révérence, nous n'avons plus ressenti nos chagrins, mais nous avons éprouvé une grande joie, notre âme a tressailli , nous nous sommes livré à nos transports , nous avons été dans l'allégresse pour des couvres si excellentes par lesquelles vous amassez dans le ciel un trésor inappréciable. Donnez-nous encore une autre joie; écrivez-nous souvent des nouvelles de votre santé, car vous savez que nous désirons vivement les recevoir, vous le savez puisque vous n'ignorez pas combien nous vous aimons.
Cucuse, 405.
Les pilotes, lorsqu'ils voient la mer agitée et furieuse, lorsque la tempête et l'ouragan sont déchaînés, non-seulement n'abandonnent pas le navire, mais déploient un plus grand zèle, une plus grande ardeur, veillant eux-mêmes et excitant les autres. Les médecins, lorsqu'ils sont en présence d'une fièvre qui augmente et devient violente n'abandonnent pas le malade, mais ont recours à tous les moyens, déployant leur zèle et mettant en oeuvre celui des autres personnes pour vaincre le mal. Pourquoi ai-je rapporté ces exemples ? afin que personne, d'entre vous ne se laisse entraîner par les troubles présents à quitter la Phénicie, et à s'en éloigner, afin que plus les difficultés sont grandes, plus les flots sont irrités et plus vive est l'agitation, plus aussi vous demeuriez vigilants, actifs, animés par le zèle, déployant une ardeur toute nouvelle, en sorte que votre édifice splendide ne soit pas renversé, que tant de fatigues ne restent point vaines, que les soins donnés à votre champ ne soient pas perdus. Dieu est assez puissant pour mettre fin à ces agitations et assez riche pour vous accorder la récompense. Cette récompense ne pouvait être aussi brillante lorsque tout s'accomplissait avec facilité, qu'elle le sera maintenant, alors que le tumulte et la confusion sont partout et que le nombre de ceux qui donnent le scandale est grand. Considérez donc les travaux que vous avez entrepris, les fatigues que vous avez supportées, les actions héroïques que vous avez accomplies, et l'impiété que, par la grâce de Dieu, vous avez en partie détruite, et les affaires de la, Phénicie entrant dans une voie meilleure, et la récompense plus grande, et le salaire plus riche qui vous attendent, et Dieu qui mettra fin bientôt à tant d'iniquités, et qui vous réserve le prix de la patience, et, pour toutes ces raisons, demeurez et persistez dans votre oeuvre.
Car, rien ne doit vous manquer présentement; j'ai donné l'ordre de vous fournir avec (489) la même abondance, avec la même libéralité, soit les vêtements, soit les chaussures, soit ce qui est nécessaire à la nourriture des frères. Or, si nous qui sommes dans une telle affliction et de si graves embarras, habitant ce désert de Cucuse, nous avons un si grand souci de votre couvre, à plus forte raison faut-il que vous-mêmes, jouissant d'une grande abondance, je parle de celle des choses nécessaires, vous fassiez tout ce qui est en votre pouvoir. Je vous en conjure, que personne ne puisse vous inspirer de crainte. D'ailleurs, les espérances sont présentement meilleures, comme vous le verrez par les lettres que nous envoie le seigneur Constantin, prêtre très-pieux. Demeurez , et dussent les obstacles être comptés par milliers, vous les surmonterez tous. Car, il n'est rien de plus fort que la patience. Elle ressemble à un rocher, de même que les troubles et les complots suscités contre les Eglises, ressemblent aux flots qui se précipitent contre le rocher et qui s'évanouissent dans leur propre écume. Remettez-vous devant les yeux tout ce que les bienheureux apôtres ont souffert de la part de leurs proches et de celle des étrangers, et comment ils ont passé le temps de leurs prédications au milieu des épreuves, des dangers, des embûches, dans les prisons, dans les liens, dans l'exil, en butte à la faim, à la nudité, aux fouets. Et cependant, même dans la prison, ils ne négligeaient pas la charge qui leur était confiée; mais le bienheureux Paul, habitant la prison, accablé par le fouet et versant son sang, retenu dans les entraves, endurant tant de maux, initiait aux mystères du fond de son cachot, baptisait son gardien et ne négligeait aucun devoir de son apostolat. Repassant ces choses clans votre esprit, selon que j'exhorte votre charité, tenez-vous fermes, inébranlables, incorruptibles , mettant votre espérance en Dieu et en son secours que rien ne peut égaler; enfin, ayez soin de nous écrire sur toutes ces choses. Nous vous avons envoyé le très-pieux prêtre Jean, afin qu'il raffermisse vos esprits et que vous ne vous laissiez abattre par quoi que ce soit. J'ai fait moi-même ce que je devais, vous exhortant par mes paroles, vous relevant par mes conseils, fournissant abondamment à vos besoins pour que rien ne vous fasse défaut. Que si vous refusez mes conseils, si vous vous attachez à ceux qui vous séduisent et qui vous excitent contre nous, la faute n'en est pas à moi. Vous savez sur qui retombera la condamnation et la peine. Qu'il n'en soit pas ainsi, je vous en prie, accueillez les conseils d'un homme qui vous aime beaucoup. Dès que vous aurez besoin de quelque chose, écrivez-moi, ou si vous voulez, députez-moi quelqu'un et vous ne manquerez de rien.
Il y a des gens qui félicitent Votre Révérence au sujet de sa magistrature; moi, j'en félicite la ville; ce dont je suis heureux pour votre magnificence, ce n'est pas l'honneur que lui vaut cette charge (vous avez su vous élever au-dessus de ces misères), c'est l’occasion et la facilité qu'elle vous procure de faire éclater aux yeux de tous votre prudence, votre douceur, et d'en recueillir le fruit; vous saurez prouver, j'en suis convaincu, aux hommes trop attachés à la terre, trop éblouis du vain prestige de la renommée que ce n'est point le manteau, la ceinture, la voix d'un héraut qui font le magistrat, mais la vigilance à réparer les dommages., à remédier aux maux, à punir l'iniquité, tout en défendant contre la puissance la cause de la justice opprimée. Je connais votre indépendance, la liberté de votre langage, la hauteur de votre âme, votre mépris des choses temporelles, votre haine contre le vice, votre douceur, votre charité : qualités nécessaires principalement au magistrat. Aussi, je sais de reste que vous serez un port pour les naufragés, un bâton pour les chancelants, une tour pour ceux qu'assiége un pouvoir inique, et tout cela sans peine. Vous n'avez besoin ni de fatigues, ni de sueurs, ni d'années pour remettre les choses dans l'ordre. De même que le soleil n'a qu'à paraître pour dissiper tous les brouillards; ainsi vous n'avez eu vous, qu'à paraître sur votre siège, j'en suis certain, pour réprimer du premier jour les tentatives injustes, pour arracher les opprimés avant tout jugement, aux mains de leurs persécuteurs. Il a suffi pour cette couvre de la réputation de sagesse dont vous jouissez. Aussi, malgré l'isolement où je suis confiné, malgré les maux qui m'assiègent, suis-je pénétré d'une joie profonde , considérant comme un bonheur pour moi le secours que reçoivent les opprimés.
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Cucuse, 404.
Je vais essayer encore de soulager votre blessure et votre chagrin, et de dissiper les pensées qui vous assombrissent. Quelle est donc la cause de votre douleur, de votre découragement? Est-ce l'affreuse, la formidable tempête déchaînée sur l'Eglise? Je connais ces maux, et personne ne les niera; mais si vous voulez je vais vous retracer une image de ces événements. Nous avons sous les yeux une mer soulevée du fond des abîmes, des nochers qui délaissent la rame et le gouvernail pour embrasser les genoux les uns des autres qui, découragés, impuissants contre la tempête, au lieu de regarder le ciel, la mer, la terre ferme, restent gisants sur le pont à gémir, à pleurer. En mer, c'est ainsi que les choses se passent mais aujourd'hui, sur notre mer, a nous, plus violent est l'orage, plus terribles les vagues. Eh bien! invoquez notre Maître le Christ: il n'a pas besoin d'industrie pour triompher de la tempête; d'un signe, il calme les flots. Que si vous l'avez souvent invoqué sans être exaucé, persistez néanmoins. Telle est la coutume du Dieu de bonté. N'est-il pas vrai qu'il a su racheter les trois enfants du supplice de la fournaise ? Ils étaient captifs, jetés dans un pays barbare, déchus de l'héritage paternel; réputés perdus par tout le monde, aucun recours ne leur restait. C'est alors que le Christ, notre vrai Dieu, opéra le miracle et dissipa la flamme. Ne pouvant tenir bon devant la vertu de ces justes, le feu s'échappade la fournaise et consuma les Chaldéens qui étaient alentour. Et dès lors cette fournaise était pour eux une église; ils invoquaient toute la création , les choses visibles et les invisibles, les anges, les puissances, et réunissant tous les êtres en une seule apostrophe, ils s'écriaient: Ouvrages dit Seigneur, bénissez tous le Seigneur! (Dan. III, 57.) Voyez-vous comment la résignation de ces justes changea le feu même en rosée, et confondit
1. L'authenticité de cette lettre a été contestée, mais sans raisons suffisantes : les objections sont tirées, soit du style et de la grécité, soit de certains passages qui ont semblé peu conformes à l'esprit de douceur et de modestie du saint évêque. Un examen plus attentif, donne raison à la critique moderne, qui parait unanime pour admettre l'authenticité. Toute cette controverse a d'ailleurs été résumée dans l'édition grecque-latine de Migne. (Tom. III, pag. 679-680.)
à ce point le tyran qu'il publia un édit par toute la terre : Grand, dit-il, est le Dieu de Sidrach, de Misach et d'Abdénago. (Ib. V, 95.) Et voyez quelle sévérité: il condamne quiconque aura mal parlé d'eux, à perdre sa maison, à se voir priver de tous ses biens. Gardez-vous donc du découragement et du désespoir. Moi-même, quand on me chassait de la ville, je m'en inquiétais peu, et je me disais à moi-même : Si l'impératrice veut m'exiler, qu'elle m'exile: Au Seigneur appartient la terre et ce qui la couvre. (Ps. XXIII, 1.) Si elle veut scier mon corps, qu'elle le fasse; je saurai suivre l'exemple d'Isaïe. Si elle veut me précipiter dans la mer, je n'ai point oublié Jonas. Si elle veut me jeter dans une fournaise, j'ai un modèle dans les trois enfants qui ont été condamnés à ce supplice. Si elle veut me livrer aux bêtes, je songe à Daniel, abandonné aux lions dans une fosse. Si elle veut me lapider, qu'elle me lapide; Etienne, le premier martyr, m'a donné l'exemple. Si elle veut ma tête, qu'elle la prenne; j'ai pour maître Jean-Baptiste. Si elle veut mes biens, qu'elle les prenne. Nu je suis sorti du sein de ma mère, nu aussi je m'en irai. (Job, I, 21 .) J'entends l'Apôtre qui me conseille: Dieu ne fait point acception de la personne de l'homme, et ailleurs: Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais point serviteur du Christ. (Ps. II, 6 et I, 10.) Et voici David qui m'arme en disant : Je parlais de vos témoignages en présence des rois, et je n'étais pas confondu. (Ps. CXVIII, 46.) Ils ont inventé contre moi nombre d'artifices ; ils disent que j'ai donné la communion à des personnes qui venaient de manger. Si je l'ai fait, que mon nom soit rayé du livre des évêques, et qu'il ne soit pas inscrit sur celui de l'orthodoxie, attendu que si j'ai commis une semblable prévarication, le Christ m'exclura de son royaume. Mais si après avoir prétendu cela une fois pour toutes, ils persistent dans leur imputation, qu'alors ils dégradent aussi saint Paul, qui baptisa toute une maison après un repas: qu'ils dégradent le Christ lui-même, qui donna à la suite d'un repas la communion à ses Apôtres. Ils disent que j'ai eu commerce avec une femme. Mettez à nu mon corps, et vous connaîtrez la mortification de mes membres. Toutes ces imputations sont l'ouvrage de l'envie. Mais vous ne pouvez apprendre sans douleur, mon frère Cyriaque, que ceux qui m'ont exilé, se montrent librement en public, qu'ils (491) sont escortés d'une foule de satellites? Rappelez-vous donc le riche et Lazare : songez lequel des deux fut affligé, lequel heureux ici-bas. Quel dommage la pauvreté de Lazare lui causa-t-elle? N'a-t-il pas été transporté, athlète victorieux, dans le sein d'Abraham? et quel profit l'autre a-t-il retiré de l'opulence où il vivait, couché sur la pourpre et le lin? Où sont désormais ses licteurs? ses satellites? ses chevaux enharnachés d'or ? ses parasites ? sa table royale? N'a-t-il pas été conduit au tombeau comme un brigand chargé de liens, emportant du monde son âme toute nue, et n'est-ce pas inutilement que sa voix crie : Père Abraham, envoyez Lazare, afin qu'il trempe le bout de son doigt clans l'eau pour rafraîchir ma langue, car je suis tourmenté dans cette flamme. (Luc, XVI, 24.) Pourquoi nommes-tu cet Abraham dont tu n'as pas imité la vie? Abraham accueillait tout le monde dans sa maison, et un seul mendiant n'a pas pu exciter ta sollicitude ? Il ne faut ni pleurer ni gémir de ce qu'un homme aussi opulent ne mérita point une goutte d'eau. En effet, c'est parce qu'il avait refusé des miettes au mendiant, qu'une goutte d'eau lui fut refusée. Il avait laissé l'hiver se passer sans semer la miséricorde ; l'été arriva, et il n'eut pas de moisson. Et la providence de Dieu se reconnaît encore dans ceci, qu'il mit la punition infligée aux méchants en regard du repos donné aux bons, afin qu'ils se vissent mutuellement et pussent se reconnaître. En effet, dans ce jour, chaque martyr reconnaîtra son tyran, et chaque tyran le martyr contre lequel il aura sévi. Et ce n'est pas moi qui l'avance; écoutez la parole de la Sagesse : Alors le juste se tiendra debout, dans une complète liberté de langage, vis-à-vis de ses oppresseurs. (Sap. V, 4.) Le voyageur qui fait route dans le fort des chaleurs, vient-il à trouver une eau pure pour étancher la soif qui le consume; pressé par une faim dévorante, se voit-il inviter à une table chargée de mets de toute espèce : si alors une personne plus puissante que lui interdit de prendre part au festin et de goûter aux mets, le voilà en proie à une vive douleur, à un affreux supplice: il est à table, et il ne peut manger; il est assis près d'une source, et il ne peut se désaltérer. Ainsi, au jour du jugement, les impies sont témoins du bonheur des justes, et ils ne peuvent prendre place au royal banquet.
Lorsque Dieu voulut punir Adam, il lui fit cultiver une terre située en face du paradis, afin que chaque jour, à toute heure, en voyant le lieu de délices d'où il était sorti, il ne cessât d'avoir l'âme pénétrée de douleur . — Ici-bas, il nous est interdit de nous visiter l’un l’autre; mais là-haut, personne ne nous empêchera de vivre en société, et nous verrons ceux qui nous ont exilés, comme Lazare voit le juste, contre les martyrs voient les tyrans. — Gardez-vous donc de vous décourager, et rappelez-vous lés paroles du Prophète : Ne craignez pas l'injure des hommes, et ne vous laissez point vaincre par leur mépris : comme la laine est mangée par le ver, ainsi ils seront dévorés, et deviendront pareils à un vêtement hors d'usage. (Isaïe, LI, 7, 8.) Songez à notre Maître, rappelez-vous comment il fut persécuté dès le berceau, comment il fut relégué dans un pays barbare, lui, le souverain du monde : exemple à notre usage, afin que nous ne perdions point courage dans les tentations. Rappelez-vous la passion du Sauveur, et combien d'outrages il a subis pour nous. Les uns l'appelaient samaritain , les autres possédé , glouton , ou faux prophète. Voilà, disait-on, ce gourmand, ce buveur de vin (Luc, VII, 34), et encore : C'est par le prince des démons, qu'il chasse les démons. (Matth. IX, 34.) Qu'était-ce donc, lorsqu'ils l'emmenaient pour le précipiter et qu'ils lui crachaient au visage? lorsqu'ils lui mettaient la chlamyde, et qu'ils le couronnaient d'épines, et qu'ils tombaient à ses pieds par dérision, en l'abreuvant de tous les outrages? qu'était-ce, lorsqu'ils le souffletaient, lorsqu'ils lui donnaient à boire du vinaigre et du fiel? lorsqu'ils lui frappaient la tête avec un roseau, et qu'ils le traînaient çà et là comme des chiens altérés de sang? qu'était-ce quand on le conduisait, dépouillé de ses vêtements, au supplice, quand tous ses disciples l'avaient abandonné, et que l'un l'avait trahi, un autre renié, les autres délaissé pour fuir, quand il restait seul et désarmé au milieu de cette populace assemblée comme pour une fête? Qu'était-ce, quand ils le crucifiaient comme un scélérat entre des malfaiteurs, et qu'il restait sans sépulture, attaché sur la croix, et qu'ils ne l'en ôtaient point jusqu'à ce qu'il vînt quelqu'un le réclamer pour l'ensevelir? Souvenez-vous qu'il ne fut pas jugé digne de funérailles, et qu'on fit courir contre lui cette calomnie, que ses disciples l'avaient dérobé, et qu'il n'était point ressuscité. Représentez-vous également les (492) apôtres, chassés de tous lieux, réduits à se cacher, à ne point se montrer dans les villes; Pierre retiré chez Simon le corroyeur, Paul chez la marchande de pourpre, parce que les riches ne leur permettaient point de parler. Néanmoins dans la suite, tous les obstacles s'aplanirent pour eux. Ainsi n'allez pas non plus vous décourager. Moi aussi, j'ai appris une nouvelle au sujet d'Arsace, de ce fou que l'impératrice a mis sur le siège : il a persécuté tous ceux de nos frères qui ne voulaient pas communier avec lui; et beaucoup d'entre eux sont morts en prison à cause de moi. — C'est un loup sous les apparences d'une brebis : un évêque par les dehors, au fond un adultère ; car de même que la femme qui se remarie du vivant de son premier époux, est considérée comme adultère : cet homme est adultère, non de chair, mais d'esprit, en tant que m'ayant ravi, moi vivant, le trône de l'Eglise. Je vous mande ceci de Cucuse, où l'impératrice nous a déporté. Beaucoup de tribulations nous sont survenues pendant le voyage, mais rien ne nous a ému. A notre arrivée en Cappadoce, ainsi que dans la Cilicie du Taurus, nous avons vu venir à notre rencontre des troupes nombreuses de saints prêtres, sans parler d'une multitude de solitaires et de vierges, dont les yeux répandaient d'intarissables sources de larmes. — Et en nous voyant prendre le chemin de l'exil, ils gémissaient et se disaient entre eux: Le soleil dérobant ses rayons, eût été un moindre malheur que Jean réduit au silence. — J'étais troublé, contristé, en les voyant tous pleurer sur mon sort : car pour tous les autres accidents qui me sont survenus, je né m'en suis pas inquiété.. D'ailleurs l'évêque de cette ville nous a parfaitement accueilli et nous a prodigué les marques d'affection: au point que s'il eût été possible, et si nous n'avions pas eu de limites à respecter, il serait allé jusqu'à nous céder son siège. Je vous prie donc, et vous conjure en embrassant vos genoux, de secouer votre deuil et votre chagrin, toutefois sans nous oublier dans vos prières; et daignez nous répondre.
Cucuse, 406.
J'apprends que de graves malheurs ont éclaté de nouveau en Phénicie; la fureur des païens redouble, et parmi les moines un grand nombre ont été blessés ou mis à mort. C'est pourquoi j'insiste de nouveau et plus que jamais pour que, sans différer davantage, vous voliez au combat. J'ai la certitude que, si vous paraissez là, vos prières, votre bonté, votre douceur, votre patience, votre force d'âme Habituelle, enfin votre seule présence, suffiront à mettre en fuite l'ennemi, à contenir les furieux, à rendre le courage aux nôtres, à opérer les plus grands biens. Ainsi point d'hésitation ni de délai; redoublez de célérité et que les faits que je porte à votre connaissance stimulent encore votre ardeur. Si vous voyiez une maison en flammes, loin de passer votre chemin, vous redoubleriez au contraire d'activité afin de prévenir les progrès du feu : vous travailleriez tant par vous-même qu'avec le secours d'autrui à triompher du fléau. Eh bien? en présence de l'incendie que nous voyons sévir, hâtez-vous de vous rendre sur les lieux: de toute façon vous rendrez des services, et votre secours sera très-utile pour réparer les dommages. Quand tout est dans le calme, la tranquillité, la paix, le premier venu suffit à la tâche aisée d'instruire dans la foi quelques ignorants. Mais quand le démon furieux déclare la guerre avec plus d'audace, lui résister avec plus de force, lui ravir ses victimes, empêcher ses progrès, c'est le propre d'un homme généreux, d'un coeur intrépide, d'une âme élevée et forte; c'est un exploit digne de mille couronnes et au-dessus de tout éloge ; c'est l'oeuvre d'un apôtre. Songez que le moment est venu pour vous d'acquérir une grande gloire et d'infinies richesses : voici l'occasion de faire fortune; ne la laissez pas échapper, hâtez-vous d'en tirer parti, nous vous en conjurons: et empressez-vous de nous écrire, dès que vous serez sur les lieux. Pourvu que j'apprenne que vous avez le pied sur le sol de la Phénicie, mes craintes feront place à la confiance. Je sais, en effet, ce qui s'en suivra : tel qu'un héros généreux, (493) accoutumé aux exploits, vous parcourrez les rangs, relevant les uns, rassurant et fortifiant les autres, remettant dans la voie ceux qui s'égarent, recherchant et retrouvant ceux qui sont perdus, et vous mettrez en déroute les forces conjurées du démon. Car rien ne m'est plus connu que votre vigilance, votre circonspection, votre intelligence , votre sagesse, votre douceur, votre courage, votre fermeté, votre patience. Je désire que vous m'écriviez souvent, même durant votre voyage, et j'ai été surpris que le prêtre Théodore soit arrivé ici sans m'apporter une lettre de vous. Afin que je n'éprouve plus le même chagrin, écrivez-moi de chaque station, s'il est possible, afin que je puisse vous suivre pas à pas et savoir si vous approchez du pays où vous vous rendez. Je suis en effet dans une grande perplexité, et j'ai besoin d'être tenu au courant chaque jour. En conséquence, mon très-honoré maître, accordez-moi cette inestimable faveur : écrivez-moi lettre sur lettre, et avant de partir, et durant votre voyage : instruisez-moi exactement de tout. Si les choses vont bien, j'en aurai grande joie. Dans le cas où des empêchements seraient suscités, je m'appliquerai de tous mes moyens à les faire disparaître, et n'aurai de repos qu'autant que par moi ou par d'autres, s'il se peut, la voie vous soit aplanie. Fallût-il recourir cent fois à Constantinople, cela même ne m'arrêtera pas. — Ainsi , déployez tout ce que vous avez de vigilance et d'activité. Si vous pensez que des frères doivent vous être adjoints, mandez-le moi. Quant aux reliques des saints martyrs, soyez eu repos. J'ai envoyé aussitôt le vénéré prêtre Térentius à mon très-pieux seigneur Otréius, évêque d'Arabisse, qui en a beaucoup de fort authentiques; et sous peu de jours, je vous les adresserai en Phénicie. Que votre Révérence ne néglige donc rien. En ce qui nous concerne, vous voyez quelle est notre ardeur. Faites diligence, afin que vous puissiez terminer avant l'hiver les églises qui manquent de toit.
Probablement 406.
Un autre se plaindrait de la rigueur intolérable de l'hiver, de celte affreuse solitude, de ces souffrances et maladies ; pour moi, je ne me plains que de notre séparation, plus pénible à supporter que l'hiver, que la solitude, que la maladie. La mauvaise saison augmente ma tristesse en me privant de la seule consolation qui peut l'adoucir, le commerce de vos lettres. La neige tombée en abondance ferme toutes les routes; personne ne petit sortir d'ici, personne ne peut y venir. Ajoutez à cela la crainte des Isauriens qui écarte et met en fuite tout le monde. Nul n'est resté chez soi, chacun a quitté sa maison et s'est sauvé où il a pu. Les villes ne sont plus que des murailles vides, les antres et les bois ont remplacé les villes. Semblables aux bêtes fauves, aux lions et aux léopards qui trouvent leur plus grande sûreté au désert, nous, malheureux habitants de l'Arménie, nous émigrons d'un lien à un autre, comme des nomades et des Hamaxobiens (1), sans pouvoir nous arrêter avec confiance nulle part, tant le brigandage de ces barbares remplit tout de tumulte et de confusion; ils massacrent, ils incendient, ils réduisent les hommes libres en esclavage. Et quand ils ont dépeuplé une ville par la terreur de leur nom, i!s la ruinent, ce qui revient à en faire périr les habitants. Combien de jeunes hommes obligés de quitter tout à coup leurs demeures, la nuit, par une température à tout geler, ont succombé, non sous le glaive des Isaures, mais de froid au milieu des neiges; si bien qu'en voulant fuir la mort, ils n'ont réussi qu'à trouver une mort plus cruelle ! Voilà où nous en sommes. Et si nous vous donnons ces détails, ce n'est pas pour vous affliger (je n'ignore pas quelle sera votre douleur), mais pour vous faire connaître la cause de notre long silence et la raison pour laquelle nous avons mis tant de retard et de lenteur à vous écrire; c'est que nous sommes à ce point abandonné de tous, que nous n'avons pu trouver personne en dis
1. C'est-à-dire : Gens vivant sur des chariots; à peu prés comme ceux qu'on appelle aujourd'hui Bohémiens. Ce nom était d'ailleurs celui d'une peuplade sarmate dont parle le géographe Ptolémée. (III, 5, 19.)
494
position de se rendre auprès de vous, et que nous avons été forcé de dépêcher à votre révérence le prêtre qui nous fait ici compagnie: veuillez donc l'accueillir ainsi qu'il vous sied, et le congédier ensuite promptement avec de bonnes nouvelles de votre santé. Vous n'ignorez pas combien ce sujet nous intéresse.
Arabisse, 406.
Ce qu'on aime en général dans le printemps, c'est qu'il décore de fleurs la face de la terre, et qu'il change tous les lieux en prairies; moi, c'est qu'il rend bien plus facile mon commerce de lettres avec mes amis. Je voudrais vous voir de mes yeux, mais puisque c'est impossible, je mets du moins toute mon ardeur à faire ce que je, peux; je veux dire à converser avec vous par correspondance. Et les matelots, les nautonniers ont moins de plaisir en cette saison à sillonner la surface des mers, que ne m'en donnent ma plume, mon encre et mon papier, quand je puis enfin vous écrire. Durant l'hiver, quand le froid mettait partout des glaçons, quand une couche insondable de neige interceptait les routes, on n'eût trouvé personne au dehors qui consentît à pénétrer dans notre pays, personne ici qui voulût se mettre en route. De là le silence que nous avons gardé si longtemps, enfermés entre nos murs comme dans une prison, et la langue paralysée, pour ainsi dire, par le manque de messagers. Mais puisqu'enfin l'époque des voyages a rouvert les chemins, et que notre langue a reconquis sa liberté, nous dépêchons le prêtre qui partage ici notre retraite auprès de votre noblesse, afin d'avoir des nouvelles de votre santé. Veuillez donc l'accueillir ainsi qu'il vous sied, mon très-révérend maître, et le voir d'un oeil d'amitié; et quand il repartira, daignez nous faire savoir comment vous vous portez. Car vous n'ignorez pas combien cela nous intéresse.
Cucuse, 404.
Quel beau couple vous faites, et combien aimable à nos yeux ! couple formé non-seulement par la loi de nature, mais encore par les liens du plus étroit attachement. Aussi , sommes-nous vain et fier de votre amitié, et voudrions-nous pouvoir jouir de près de votre commerce. Ne le pouvant pas, nous faisons du moins ce qui nous est possible; nous vous écrivons lettre sur lettre, nous gardons précieusement votre souvenir, nous le promenons avec nous en esprit partout où nous sommes; et la longueur du trajet ne met pas la moindre distance entre vous deux et nous. Voilà les ailes de l'amitié; elles franchissent aisément routes et distances, et surmontent tous les obstacles. Et c'est pourquoi nous-même, au milieu de nos tribulations, de notre isolement, des siéges et des incursions continuelles que nous font subir les brigands; rien ne peut diminuer l'affection que vous nous inspirez, et ce sentiment reste toujours en fleur dans notre âme. Nous vous supplions donc de nous faire tenir plus souvent des nouvelles de votre santé. Vous savez assez par vous-mêmes quelle consolation ce sera pour nous dans notre solitude.
Cucuse, 405
.C'est une chose exigeante et impérieuse que l'affection, plus exigeante que le plus pressant des créanciers. En effet, un créancier met plus de façons à prendre son débiteur à la gorge pour se faire rendre son argent, que vous à resserrer autour de nous les liens de votre attachement, pour nous contraindre à nous acquitter en répondant à vos lettres, bien que nous ayons satisfait souvent à pareille obligation. Mais voilà quelle est la nature de cette dette; on paie toujours et toujours l'on doit. Aussi les nombreuses lettres une nous vous avons écrites ne (495) vous rassasient point. C'est encore un privilège de l'amitié; elle ressemble il la mer où des fleuves innombrables portent leurs eaux sans pouvoir la remplir. Vos oreilles ne sont pas moins profondes; tout ce que nous y jetons ne fait qu'irriter davantage d’ardeur de votre affection. N'allez donc pas croire que si nous avons gardé si longtemps le silence, c'est que nous doutions de votre amitié; nous aurions agi tout autrement si nous en avions douté, et nous vous aurions écrit plus souvent. Car, ainsi que les malades ont besoin du médecin, de même les indifférents et les paresseux veulent être cajolés sans relâche; par conséquent, si nous avions cru nous apercevoir que votre amitié clochait, nous n'aurions pas manqué de payer de notre personne pour lui rendre sa vivacité. Mais, plein de confiance en vous et bien persuadé que nos lettres ou notre silence n'y peuvent rien changer, qu'elle demeure toujours ferme, solide, inébranlable; invariable, sans fléchir, sans décliner, sans se flétrir. nous jugions nos lettres inutiles à cet égard, et bonnes seulement à vous payer la dette de notre attachement. Aujourd'hui même ce n'est pas la nécessité, mais l'amitié qui nous porte à vous écrire; je le sais, en vain de toutes parts s'amasseraient les orages, en vain les vagues soulevées monteraient en foule jusqu'aux cieux; rien ne saurait vous ébranler ni vous jeter dans les orages du désespoir; c'est ce qu'a fait voir de reste le passé. Si nous vous écrivons, ce n'est donc point qu'à nos yeux vous ayez besoin de nos exhortations, c'est pour vous faire savoir que l'affection dont vous nous comblez en dépit d'une pareille distance nous enchante, nous ravit, nous rend bienheureux. Je sais d'autre part que vous trouvez un grand bonheur à savoir où nous en sommes; eh bien! nous sommes guéris de nos maux d'estomac, nous nous portons à souhait; ni les sièges, ni les incursions des brigands, ni la solitude de ces lieux, ni la crise où nous sommes, ni rien de pareil ne nous cause aucun trouble, aucun abattement; nous jouissons d'une sécurité, d'un repos d'esprit, d'un calme complet; chaque jour nous pensons à vous, et nous ne manquons pas de conférer à votre sujet avec les voyageurs que nous recevons ici. Tels sont les effets d'une amitié sincère; elle fait qu'on a toujours sur les lèvres ceux qui en sont l'objet. Ainsi faisons-nous, parce que nous vous aimons bien, et vous ne l'ignorez pas.
Réfléchissez donc à tout cela, et n'allez pas inculper notre insouciance, ni une indifférence produite en nous par le temps à l'égard de votre affection. Car la charité ne périt jamais. (I Cor. XIII, 8.) Quand il s'écoulerait un long espace de temps, quand les difficultés redoubleraient, quand la distance qui nous sépare s'augmenterait encore, rien ne saurait briser notre amitié, rien ne saurait la flétrir; elle ne ferait que grandir et donner de plus belles fleurs.
406.
Ce n'est ni par indifférence, ni par manque d'égards pour votre charité que nous avons gardé jusqu'ici le silence; les périls qui nous environnent sont la cause de ce long retard. Nous n'habitons point une résidence fixe, mais tantôt Cucuse, tantôt Arabisse, d'autres fois enfin, nous errons parmi les déserts et les précipices, tant l'agitation et le désordre règnent tout autour de nous, tant le fer et le feu dévorent tout, hommes et maisons. Nous avons vu des cités périr avec leurs habitants; chaque jour assaillis de nouvelles alarmes , nous sommes contraints de déloger; c'est un nouveau genre d'exil, exil rigoureux, qu'accompagne journellement l'attente de la mort. Les châteaux-forts comme celui où nous sommes maintenant renfermés pareils à des captifs, ne suffisent pas même à nous rassurer, car ils n'effrayent pas l'audace des Isauriens. Joignez à cela une cruelle maladie dont nous traînons encore les restes à peine remis de la crise. De plus, comme si nous étions relégués dans une île environnée d'une mer impraticable, nous ne voyons arriver personne de quelque côté que ce soit; la terreur inspirée par nos troubles a fermé toutes les avenues. Je vous conjure donc de nous pardonner, mon très-honoré et très-religieux maître, car vous connaissez l'affection que nous n'avons pas cessé, dès l'origine, de témoigner à votre piété, et de plus, ne vous lassez pas de prier pour nous. Sans doute, s'il vous était facile de rencontrer des personnes disposées à se charger de vos lettres, vous n'auriez pas besoin de nos admonestations pour nous donner fréquemment des (496) nouvelles de votre santé; nous en sommes certain. Et nous, de notre côté, quand nous aurons vu la fin de nos épreuves, quand il nous sera donné d'avancer la tête à travers nos barreaux, et de respirer un peu du siège que nous endurons, nous ne cesserons pas d'écrire exactement à votre révérence. En le faisant, c'est à nous-même que nous procurerons le plus grand plaisir.
Haut du documentAh! quelle grande chose qu'une âme forte et généreuse, qui trouve, non au dehors, mais en elle-même et dans son propre fond, sa joie et sa sécurité, et, ce goût merveilleux, jusque dans les situations où le vulgaire n'aperçoit que risques et périls. En effet, loin de se troubler ou d'être ému des haines dont on est poursuivi, s'en faire honneur, que dis-je? prendre en pitié ses ennemis, désirer leur amendement, leur conversion, où trouver tant de sagesse, une pareille philosophie? C'est pourquoi nous vous louons et nous vous admirons, notre très-révérend et très-magnifique seigneur. C'est pourquoi, nous-même, nous tressaillons d'allégresse, et nous nous parons, comme d'une superbe couronne, de l'amitié de votre magnificence. Vous nous demandez, par votre lettre, de prier pour vous : apprenez donc que nous ne l'avions pas attendue pour invoquer Dieu sans cesse en votre faveur, afin qu'une âme aussi grande, aussi élevée que la vôtre, soit initiée promptement an saint ministère, et jugée digne de participer à nos sacrés et redoutables mystères. Que s'il nous est donné d'apprendre une aussi heureuse nouvelle, nous nous croirons hors d'exil, nous oublierons notre solitude, nous ne sentirons plus les assauts de la maladie contre laquelle nous nous débattons maintenant. Nous savons que vous attachez un grand prix, notre très-révérend maître, à entrer en possession de ces biens ineffables, par notre humble ministère; et vous savez, de votre côté, que c'est aussi notre voeu le plus cher. Mais, s'il y a des empêchements en ce qui nous concerne, qu'ils ne soient pas pour vous une raison de différer. Vous ne manquerez point, à défaut de nous-même, d'hommes dévoués à notre personne, qui pourront se charger de votre initiation. Et si cela s'accomplit, notre joie sera la même que si nous vous avions ouvert de nos mains l'accès des faveurs célestes, quoiqu'après tout l'effet ne sera point différent.
Haut du documentCucuse, 404.
Que dites-vous? vous vous plaignez encore de la persécution, vous vous dites cruellement opprimée? Et. qu'est-ce qui vous empêche, dites-moi, de vous réfugier dans un port tranquille, et d'échapper à la fureur de ces orages? N'est-ce point ce que nous ne discontinuons pas de vous répéter, et ce que vous ne voulez jamais entendre? Et pourtant, par votre obstination à vous débattre dans cette fange où vous vous embourbez à chaque instant, vous vous attirez, à vous-même, d'innombrables maux, en même temps que vous vous causez, par un contre-coup de vos propres infortunes , des chagrins continuels et multipliés. Croyez-vous que ma douleur ne soit pas profonde, quand j'apprends ce dont vous m'informez, que des parents, ou plutôt des étrangers (je reproduis vos propres paroles) vous trahissent, vous font subir les plus tragiques persécutions ? Jusques à quand demeurerez-vous auprès de cette fumée qui remplit de ténèbres les yeux de votre âme? Jusques à quand resterez-vous sous le joug de cet affreux esclavage ? Et qu'est-ce qui vous empêche de venir ici, et de délibérer avec nous sur ce qui vous intéresse? Vous perdriez par là, dites-vous, jusqu'au sentiment de vos misères. Pour moi, je suis fort étonné, fort surpris : je ne vois aucune raison pour que vous restiez si longtemps éloignée de nous, si ce n'est la paresse et la négligence. La route à parcourir n'est pas longue : et ce moment de l'été est tout à fait propice aux voyages, par la tiédeur de la température. Mais l'obstacle vient encore cette fois de ce même attachement aux biens temporels, qui a engendré toutes vos infortunes. D'ailleurs, si vous venez, je vous en saurai bon gré, si vous ne venez pas, je ne vous reproche rien, je ne vous en veux point
je vous garde l'affection que, j'ai toujours témoignée à votre grâce; seulement, je gémis (497) d'apprendre que vous êtes engagée dans mille embarras, et chargée d'un si lourd fardeau de soucis mondains ; et si les entraves de l'exil ne me retenaient ici, au lieu d'importuner votre piété, quand même je serais encore plus malade que je ne suis présentement, j'accourrais moi-même auprès de vous et je ne cesserais pas de tout faire, de tenter tous les moyens, jusqu'à ce que je vous eusse sauvée de ces orages, de ce bourbier, de cet amas de maux sans nombre. Mais, puisque cela m'est impossible, je voudrais que vous vinssiez ici conférer avec moi de ce sujet. Que si cela même est difficile , eh bien ! je ne cesserai pas , en vous écrivant, de vous prodiguer les conseils et les exhortations, afin que vous brisiez vos chaînes, que vous coupiez vos liens, que vous rompiez les entraves qui retiennent votre âme prisonnière, que vous reconquériez enfin l'aisance et la liberté de vos mouvements. Par là ce n'est pas seulement un bonheur terrestre que vous vous procurerez, vous gagnerez encore le ciel avec une grande facilité. Sacrifiez donc volontairement ces biens, dont vous serez avant peu forcée de vous dessaisir, au moment devons en aller d'ici-bas; portez-les au trésor qui ne craint pas les voleurs; et de cette manière vous vous assurerez, pour la vie future, les couronnes que rien ne saurait endommager ni flétrir.
Cucuse, 404.
Je voudrais pour beaucoup voir votre grâce, mon très-révérend maître; vous le saviez déjà avant d'avoir ma lettre, connaissant bien l'affection que nous inspire votre révérence. Mais cela nous est impossible : le trajet est long, nous ne sommes point libre d'aller où il nous plaît, enfin les incursions des Isauriens deviennent plus alarmantes de jour en jour. Je conjure donc votre générosité de faire ce qui est le plus propre à nous consoler, tant de notre isolement actuel que de nos infortunes et des tribulations qui nous accablent, en nous écrivant fréquemment pour nous rassurer au sujet de votre santé et de toute votre maison; daignez nous accorder plus souvent cette faveur, autant que vous le pourrez. D'ailleurs, il nous sera difficile de jouir pleinement de vos bontés, à cause du petit nombre des voyageurs qui partent de chez vous pour venir ici; néanmoins, quand bien même il vous serait malaisé de nous exaucer, daignez au moins faire ce qui sera en vous et nous faire savoir par des messages multipliés comment vous vous portez. C'est à notre tour de vous parler maintenant de nous-même : nous jouissons d'un grand calme d'esprit, d'une tranquillité parfaite, d'une paix profonde, d'une santé passable; une seule chose trouble notre bonheur : c'est l'éloignement de vous tous qui nous aimez. Mais il dépend de votre sagesse d'alléger en nous ce chagrin : accordez-nous la grâce demandée, afin que la distance ne nous prive point du charme et des douceurs de votre ardente et sincère affection.
Arabisse, 406.
Je n'ignore pas moi-même que vous seriez depuis longtemps auprès dé nous, si les alarmes causées par les Isauriens ne vous fermaient le passage. En effet, si les glaces de l'hiver, si une épaisse couche de neige ne vous ont pas empêché d'accourir ici, à plus forte raison la venue du printemps et la sérénité qu'il remet dans l'air vous auraient-ils arraché des lieux où vous demeurez. Je connais assez la douceur, l'aménité de vos sentiments, l'ardeur et la pureté de votre affection, la parfaite noblesse de votre caractère; aussi ne suis-je pas médiocrement affligé, pour ma part, de voir une si longue séparation attrister pour moi, par un nuage de tristesse, le charme d'une saison si douce. Si je vous tiens ce langage, ce n'est pas que je veuille vous attirer ici. Fussé-je d'accord en cela avec vos voeux les plus chers (car la guerre remplit tout ce pays de ses horreurs, vous le saurez par les personnes qui en viennent), c'est pour vous faire entendre que nous aussi, quels que soient le calme d'esprit et le repos dont nous jouissons, nous ne pouvons nous,résigner sans chagrin à être séparé de votre révérence; c'est afin que, instruit de cela, vous correspondiez assidûment avec nous, non-seulement par l’intermédiaire de nos voyageurs, mais encore en recourant à ceux (498) des vôtres qui se mettent en route pour ce pays-ci. Nous vous savons un gré extrême, mon très-révérend maître, de la sollicitude et des angoisses que nos troubles vous causent. II est bien vrai : chaque jour augmente les rigueurs du siège que nous subissons, et nous restons pris comme au piège dans cette forteresse. Déjà au milieu de la nuit, à l'improviste et contre. toute attente, une troupe de trois cents Isauriens a parcouru la ville et failli nous faire prisonnier; mais la main de Dieu les a chassés promptement, avant même que nous nous doutions de rien, et nous a préservé non-seulement de tout danger, mais encore de toute alarme : nous n'avons connu qu'au jour ce qui s'était passé. Vivez donc en joie et en contentement, et ne cessez pas de prier Dieu. a tin qu'il assure complètement notre repos et qu'il nous guérisse, en outre, de la maladie dont nous souffrons; car, si nous ne sommes plus en danger, nous gardons néanmoins des restes de notre mal qui ne cessent de nous le rappeler. Nous vous mandons cela non pour vous affliger, mais pour stimuler votre zèle à prier pour nous. Je recommande à votre religion mon maître, le très-révérend lecteur Théodote, afin que vous soyez son recours en toute occasion, autant. qu'il vous sera possible, car je sais que beaucoup de choses le tourmentent.
Arabisse, 406
Ne vous fatiguez pas à chercher des ravisons pour justifier la précipitation avec laquelle vous nous avez quitté : à quoi bon recourir à la faiblesse de votre vue, à la rigueur du froid, pour expliquer votre départ? Aux yeux de notre amitié, vous n'êtes point parti, vous êtes avec nous aussi bien qu'auparavant; d'ailleurs, nous ne désespérons pas de jouir de votre vue quelque jour. Soyez donc sans inquiétude. L'hiver a pu vous chasser d'Arménie, mais il ne vous a pas exilé de notre âme, et nous portons continuellement votre image dans notre mémoire. Si les attaques des Isauriens, en interceptant toutes les voies, ne nous faisaient point manquer de courriers, nous vous aurions écrit lettre sur lettre. Du reste, le silence que nous avons dû garder jusqu'ici n'a point eu notre pensée pour complice : nous ne cessons de penser à vous et de vous écrire autant qu'il est en nous. Ainsi donc, figurez-vous que vous êtes dans notre société et que vous vivez avec nous eu Arménie. Que si quelqu'un entreprend de vous nuire et de vous faire du mal, élevez-vous au-dessus de ces attaques, par la raison que c'est le persécuteur qui est à plaindre, et non sa victime; car c'est polir nous une raison d'admirer, de louer davantage votre courage et votre fermeté, que la hauteur d'âme avec laquelle, au fort d'une pareille tempête, vous avez su dominer le tumulte. Continuez donc à sillonner joyeusement la mer paisible dont vous parcourez la surface unie. Et ne vous étonnez point que je parle de mer paisible, quand vous vous représentez comme étant en butte aux persécutions. Si j'en juge de la sorte, c'est que je ne considère point. l'âme de ceux qui vous inquiètent, ruais bien le calme que vous assure votre vertu. Qu'est-ce donc que j'entends par là? C'est que cette vie sublime, dont la grandeur atteint les cieux, peut bien paraître. pénible, à considérer les occupations qui la remplissent, mais devient, facile et douce si l'on tient compte du courage et du zèle de ceux qui s'y livrent. Et ce qu'il y a de plus merveilleux dans cette sagesse, , c'est que, parmi des vagues furieuses, celui qui la pratique avec une sincère ardeur navigue avec un bon vent et dans un calme parfait; c'est qu'au milieu du trouble et du soulèvement général, il jouit d'une paix profonde : c'est que, sous la grêle des traits qui l'assaillent de toutes parts, il reste invulnérable, insensible aux coups auxquels il est en butte. Pénétré de ces vérités, occupé sans cesse à y réfléchir, jouissez ici-bas d'un inaltérable bonheur, en attendant les couronnes que Dieu vous réserve pour prix d'aussi nobles fatigues. Et ne manquez point de nous écrire fréquemment, dès qu'il vous le sera possible, pour nous faire savoir où en est votre santé, soit de corps, soit d'âme. Tout ce que vous aurez de loisirs, consacrez-le à lire les saintes Ecritures, autant du moins que votre mal d'yeux vous permettra cette étude, afin que, si jamais une occasion nous est offerte d'en expliquer le sens à votre belle âme, nous puissions le faire sans difficulté; car ce ne sera pas pour vous une petite avance que de (499) connaître les textes, lorsque vous voudrez en écouter l'interprétation.
Probablement 406.
Cessez d'incriminer notre lenteur, si vous ne voulez pas que votre accusation retombe d'abord sur vous-même. Vous avez reçu de nous autant de lettres que vous nous en avez écrit, moins une seule; et vous parlez comme si vous nous en aviez accablé : Vous comptez, dites-vous, à tout le moins sur le nombre pour nous exciter à vous écrire. D'abord, on peut limer sans écrire; mais, d'autre part, je n'ai pas plus discontinué de vous écrire que je ne cesse de vous aimer. En vain la marche du temps rendrait notre séparation encore plus lointaine; en vain serions-nous jeté dans un pays encore plus désert, rien ne saurait vous chasser de notre âme, ni diminuer l'affection dont nous sommes animé à votre égard. Ainsi donc, don nez-nous fréquemment des nouvelles de votre santé; c'est chose plus facile à vous autres qu'à nous. Que si la saison vous en empêche, ou encore la violence des maux causés par les Isauriens, il nous suffira de vos sentiments bien connus à notre égard pour nous consoler de ce long silence.
405.
Je sais que j'ai rarement écrit à votre révérence; mais ce n'est pas ma faute : c'est l'état des choses qui m'en empêche. La saison, l'isolement des lieux où nous sommes enfermé et pour ainsi dire captif, le petit nombre des personnes qui viennent ici, la difficulté de trouver dans ce petit nombre des messagers sûrs, et, de plus, une maladie qui nous a fort abattu et cloué au lit durant tout l'hiver, telles sont les causes de ce silence prolongé, auquel notre coeur n'a point eu de part. Figurez-vous donc que vous recevez de nous beaucoup plus de lettres que nous ne pouvons vous en faire parvenir; et vous calculerez ainsi, pour peu que vous teniez compte non-seulement des caractères tracés au moyen de l'encre et du papier, mais encore des intentions de notre amitié. De coeur, nous vous écrivons sans relâche, nous sommes toujours avec vous, et ni la longueur du trajet, ni celle du temps écoulé, ni les difficultés de la situation, n'ont altéré nos sentiments à l'égard de votre révérence : nous les gardons dans toute leur force, et, fussions-nous relégué dans un endroit plus désert que celui-ci, nous ne cesserons de porter gravé dans notre âme le souvenir d'un ami aussi ardent, aussi dévoué. Voilà ce que c'est qu'une amitié sincère : ni temps, ni lieu, ni distance, ni périls ne sauraient l'ébranler. Vous ne l'ignorez pas, vous qui savez si bien aimer.
De 404 à 407.
Ce serait, dites-vous, à vos yeux, le meilleur signe de notre intérêt pour vous, que notre première lettre à votre excellence fût suivie d'une seconde. Quant à nous, s'il nous était facile de trouver des intermédiaires, nous ne cesserions pas d'écrire à un homme aussi vertueux, aussi sage que vous, à un ami aussi zélé et qui reçoit nos lettres avec tant de plaisir. Mais, puisque cela n'est pas possible, nous prions votre excellence de ne pas mesurer notre attachement au nombre de nos lettres, mais de persister, que nous écrivions ou non, dans l'opinion que vous en avez eue jusqu'ici, et de vous dire que, si notre silence a été bien prolongé, la faute n'en est point à notre négligence, mais à l'isolement où nous vivons.
Cucuse, 405.
Ce n'était pas pour nous une faible consolation dans notre solitude que de pouvoir écrire fréquemment à votre aménité : mais les ravages des Isauriens nous ont enlevé jusqu'à (500) ce plaisir. La venue du printemps a multiplié leurs attaques, en même temps que les fleurs partout ils couvrent les routes rendant tous les passages impraticables. Déjà des femmes libres ont été faites prisonnières, des hommes égorgés. — Je fais donc appel à votre indulgence. Vous tenez beaucoup, je le sais, à recevoir des nouvelles de notre santé : eh bien ! après les épreuves de l'hiver dernier qui ont. été rudes, nous commençons à nous remettre : incommodés encore par l'inconstance du climat (car nous voici retombés en plein hiver), nous espérons néanmoins secouer les restes de notre maladie, quand nous jouirons enfin d'un véritable été. Car il n'y a rien d'aussi nuisible à la santé du corps que le froid, d'aussi profitable que l'été, qui le soulage en le réchauffant.
Peut-être en 406.
Nous vous souhaitons toutes sortes de prospérités pour prix des honneurs avec lesquels voles avez accueilli notre fils. Il nous en a informé lui-même, et n'a eu garde de nous rien cacher, désireuxen même temps de manifester sa reconnaissance envers son père, et de nous causer, à nous, une vive joie. En effet nous nous trouvons honoré par là de deux manières, d'abord parce que nous regardons comme un avantage personnel tout ce qui lui arrive d'heureux, en second lieu parce que nos lettres ont contribué notablement à augmenter encore votre bienveillance. Continuez donc, mon très-révérend et très-noble maître, à entourer de soins ce beau rejeton. Comment cela ? en cultivant, en développant chez lui l'amour de cette sagesse sublime, à laquelle tendent maintenant ses efforts ; de cette façon, il nous donnera promptement les fruits que nous espérons. — Car les âmes bien nées ne grandissent point avec la lenteur de ces plantes dont on confie le germe au sein de la terre; elles ne sont pas plus tôt enracinées dans le noble zèle de la vertu, qu'elles s'élèvent jusqu'au ciel, et donnent une récolte de fruits capable de tout éclipser, autant par sa qualité que par sa richesse. Ces fruits, en effet, ne périssent point avec l'existence présente, et nous suivent dans la vie future
Probablement 406.
Nous avons écrit à votre religion, rarement en fait, mais bien souvent en intention , nous ne vous quittons pas un seul jour; et rien ne saurait nous priver de votre société, ni les années qui s'écoulent, ni la longueur du trajet ni les dangers qui nous environnent. Voilà ce que c'est que l'amitié : aucune de ces difficultés ne saurait prévaloir sur elle, ni la faire fléchir : elle résiste, elle s'élève au-dessus de tout. Ne mesurez donc; pas votre attachement, mon très-honoré et très-pieux maître, au nombre de nos lettres: instruit des sentiments et de l'affection que nous avons toujours montrés pour votre piété, ne concevez de ce silence prolongé aucune défiance. C'est rarement, nous aussi, que nous recevons des lettres de votre main, et nous ne croyons pas pour cela que vous vous soyez refroidi à notre égard: nous savons parfaitement, nous sommes convaincu que vous conservez dans sa fleur votre amitié pour nous, que la continuité de nos maux, loin de la décourager, n'a fait au contraire que la rendre plus vive, et nous vous en avons une grande reconnaissance. — Je n'ignore pas que vous désirez apprendre où nous en sommes : sachez donc que nous jouissons d'une santé, d'une tranquillité d'esprit, d'une paix parfaite, et que nous sommes désormais à l'abri des périls dont nous menaçaient les ravages des Isauriens. Pour les hivers d'Arménie, j'en ai fait l'apprentissage, non sans quelques incommodités que la faiblesse de ma santé devait faire prévoir : mais enfin je suis sorti d'épreuve à mon honneur, grâce à ma précaution de rester enfermé lorsque le froid devenait intolérable, et de ne montrer que rarement ma tête au dehors. D'ailleurs, les autres saisons de l'année ont été si belles qu'il m'a été facile de réparer les dégâts que l'hiver avait faits dans ma santé.
Cucuse, 404.
Nous sommes bannis du sol de la ville et de son enceinte : mais la ville même, nous ne l'avons pas quittée. La ville, c'est vous : or nous n'avons pas cessé d'être avec vous, parmi vous : ici même, par conséquent, nous ne sommes point exilés. D'une part, je le sais, nous habitons dans vos coeurs : et de notre côté, en quelque lieu que nous allions, nous porterons en nous-même votre souvenir à tous, nos excellents amis. — Cette pensée ne nous laisse voir ni la solitude de ces lieux, les plus déserts qui soient au monde, ni le siège quotidien que les brigands nous font subir, ni la famine qui en est la conséquence : car si notre corps est fixé ici, notre âme est toujours auprès de vous. — Mais comme, dans de telles dispositions, on soupire après une réunion qui rassemble aussi les corps, et qu'on souffre faute d'être exaucé, comme d'ailleurs cette réunion n'est pas possible à l'heure qu'il est, comme enfin le meilleur remède aux maux de l'absence, c'est le commerce des lettres, daignez n'en être point avare avec nous, et nous serons délivré de notre chagrin. Car il ne tient qu'à vous, mon très-respectable maître, de nous procurer par vos lettres la douce illusion de votre présence.
Cucuse, 404.
Cucuse est un lieu désert, un séjour périlleux, constamment assiégé par la crainte des brigands : mais bien qu'éloigné de moi, vous en avez fait un paradis. Lorsque nous entendons parler de votre zèle empressé, de votre affection pour nous, si profonde et si vive (la distance rnême n'empêche pas que le bruit n'en soit parvenu jusqu'à nous), l'attachement de votre grâce devient, à nos yeux, comme un précieux, un inestimable trésor : nous croyons vivre dans le plus sûr des séjours, tant cela nous cause de joie et nous fait goûter de consolations. Je veux ajouter encore quelque chose à ce bonheur, je vous conjure, soyez assez bon pour nous écrire, pour nous informer de votre santé. Je le sais : c'est chose difficile, vu la longueur du trajet, et la distance qui sépare cet endroit-ci de la grande route; mais quand on aime aussi bien que vous savez aimer, ce qui était malaisé devient facile. Songez donc au plaisir que nous procurerait la fréquence de pareils messages, et ne nous refusez point cette satisfaction : car nous sommes vivement affligé de n'avoir pas reçu de lettre de votre grâce, bien que celle-ci soit la seconde que nous vous écrivons.
Environ 405 à 406.
Et moi aussi je voudrais, je désirerais vivement voir votre grâce et l'embrasser; vous n'avez pas besoin de cette lettre pour en être persuadé. Sachant aimer comme vous aimez, vous savez aussi discerner les véritables amis. Mais ne pouvant davantage, je fais, en attendant mieux, ce que je puis, je vous écris, je vous salue, je vous demande des lettres qui me disent fréquemment où en est votre santé. Octroyez-nous donc cette faveur. Vous n'avez pas besoin. sans doute que l'on vous presse n'importe, nous ne cesserons pas de vous remettre ce point en mémoire. Car ce n'est pas pour nous une mince consolation, un faible soulagement dans notre solitude, au milieu des alarmes quotidiennes que font naître les attaques des brigands, des périls qui nous entourent, des infirmités qui nous accablent que d'être renseigné au sujet de ceux qu nous aiment, de savoir que vous allez bien, et. que tout marche pour vous à souhait, en dépit des orages redoublés dont vous pourriez nous tracer le tableau. Mais comment cela peut-il se concilier? C'est qu'il appartient à l'homme généreux, doué de vigilance et de sang-froid, de naviguer heureusement au plus fort des tempêtes, tandis que l'homme faible, prompt à se décourager et à s'abattre ; éprouve du trouble et de l'agitation jusqu'au milieu d'un calme parfait.
502
Cucuse, 405.
Vous imputez votre absence aux incursions des Isauriens et moi je nie que vous soyez absents : je dis que vous êtes avec nous, et que cet empêchement même ne peut faire obstacle à notre réunion, tant sont agiles les ailes de l'amitié; sur-le-champ, sans peine, elle se transporte en tous lieux, quelle que soit la foule des obstacles. Nous sommes privé, il est vrai, de votre présence corporelle : mais priez sans relâche, et le Dieu de bonté nous accordera cette faveur. Moi-même qui vous porte incessamment dans ma pensée, je n'ai pas une faible envie de me voir dans votre société : et cela viendra, je n'en doute point, si vous invoquez avec ferveur celui qui sait imposer silence à la plus terrible tempête, et ramener partout le calme et la sérénité. C'est à nous de vous contenter maintenant, en vous renseignant à notre sujet : nous jouissons d'une paix d'esprit et d'une tranquillité parfaites. Notre santé n'est pas ici dans des conditions très-favorables : d'abord le manque de médecins, et la disette de remèdes : ou ne trouve rien à acheter ici, les drogues font défaut; puis l'insalubrité du climat; car l'été ne nous incommode pas moins que l'hiver, étant, à sa manière, tout aussi rigoureux; puis les souffrances d'un siège perpétuel, les alarmes causées coup sur coup par les incursions des Isauriens : parlai tant de choses qui conspirent, avec d'autres que j'omets, contre notre santé, nous sommes présentement hors de danger, assez bien rétabli , et nous nous portons passablement. Veuillez donc vous-mêmes nous tenir pareillement au courant, et nous faire savoir que vous allez bien. Nous considérons votre attachement, comme une consolation précieuse, un grand soulagement, un trésor inestimable : et quand nous nous représentons votre sincère amitié, vos sentiments invariables, votre inaltérable tendresse (or nous ne cessons pas de nous les représenter), il nous semble que nous échappons à la tempête de tribulations déchaînée contre nous pour trouver un asile au sein d'un large port.
Cucuse, 405.
D'autres vous féliciteront de votre consulat, de votre préfecture : moi, je félicite ces dignités à cause de vous; vous les honorez bien plus qu'elles ne peuvent vous honorer. Telle est, en effet, la nature de la vertu, qu'elle ne puise son lustre qu'en elle-même, et qu'elle donne de l'éclat aux magistratures au lieu d'en recevoir d'elles. Je n'ajoute donc rien à mon amitié pour vous, parce que je ne vois rien de plus en vous. Ce n'est ni le préfet ni le consul que j'aime , mais mon cher Anthémius , cet homme d'une prudence consommée et d'une si haute philosophie. Ainsi je vous félicite, non pas d'être monté au faîte des honneurs, mais d'avoir plus d'occasions de faire briller votre sagesse et votre humanité. Je félicite en même temps ceux que l'injustice accable ou menace, car ils trouveront dans votre équité un port excellent pour échapper au naufrage, un encouragement à naviguer encore avec confiance, même après avoir essuyé les tempêtes. Voilà pourquoi je me réjouis de votre élévation. Je sais qu'elle est pour les opprimés et les malheureux une fête publique, et moi je célèbre déjà cette fête, considérant comme un bonheur pour moi-même les belles actions que vous allez faire.
Cucuse, 405.
Hommes heureux, trois fois, cent fois heureux de vos nobles sueurs ! des combats, des épreuves, des fatigues , des périls que vous avez affrontés pour l'intérêt de toutes les Eglises du monde l gloire sur la terre, gloire dans les cieux, telle sera votre récompense. Tous les hommes raisonnables, vous célèbrent, vous tressent des couronnes ; tous admirent votre constance, votre courage, votre fermeté, votre persévérance ; et le Dieu de bonté qui est assez (503) riche pour rémunérer au centuple la patience, vous récompensera comme il convient à Dieu de récompenser ceux qui ont généreusement combattu pour la paix universelle. Aussi ne cessons-nous point de vous proclamer bienheureux, de nous complaire en votre souvenir, de vous porter constamment dans notre pensée, en dépit de l'intervalle qui nous sépare. Le très-révérend diacre Cyriaque n'a pu s'embarquer cette fois, parce qu'il est accablé de travail. Mais, mes seigneurs, le très-religieux prêtre Jean et le très-révérend diacre Paul, traqués de toutes parts, hors d'état de se fixer en aucun endroit, ni de se cacher, ont jugé nécessaire de se rendre auprès de vos charités, et de partager votre résidence. Veuillez donc les accueillir avec amitié et leur témoigner la bonté qui sied à votre caractère.
406.
Ah! la grande chose qu'une âme généreuse, où pullulent les fruits de la religion et de la charité! C'est par là que, malgré la distance qui nous sépare, vous m'avez conquis et gagné, comme si vous étiez ici, auprès de nous. En effet, la chaleur de votre affection, la bonne odeur de votre indépendance et de votre piété se sont répandues jusqu'à nous, aux confins du monde habité. Nous vous rendons mille actions de grâces, nous félicitons votre piété d'avoir bravé tant de fatigues et de sueurs dans l'intérêt de toutes les Eglises, et de vous être assuré là les plus magnifiques couronnes dans le séjour du Dieu de bonté. Nous vous exhortons de plus à persévérer dans ces glorieux combats; car vous savez quel en est le prix. S'il suffit de protéger un homme en butte à l'injustice et à l'oppression pour obtenir de Dieu une ineffable récompense, songez quel sera votre salaire, à vous, si par vos nobles efforts vous arrachez au trouble et au désordre tant d'Eglises agitées, si vous travaillez à les conduire au port après tant d'orages.
Quand je réfléchis aux peines, aux sueurs que vous avez endurées si longtemps, j'y trouve la plus grande consolation des iniquités que j'ai souffertes moi-même; votre affection, si profonde et si vive, votre parfait dévouement, votre activité vigilante à réparer le mal commis, me procurent le plus grand soulagement. En effet, ce n'a pas été pour moi un faible allégement que de songer qu'en dépit de la distance qui nous sépare, sans nous avoir jamais vu, sans nous avoir parlé, inconnu vous-même à nos regards, enfin journellement en butte aux entreprises des factieux, vous avez pu montrer à notre égard la tendresse d'un père pour ses enfants, ou plutôt une affection plus tendre encore que l'amour paternel. Nous remercions donc votre piété, nous l'admirons, nous la félicitons, nous la prions de suivre son propre exemple, et de déployer jusqu'au bout le zèle qu'elle a montré d'abord. Quand bien même vous ne réussiriez point à améliorer l'état des choses, ce ne serait pas pour nous, comme je vous l'ai déjà dit, une mince consolation que d'avoir reçu, de recevoir encore de votre révérence les marques d'une pareille affection.
Haut du document406.
Je sais que vous n'avez nul besoin de mes lettres pour vous mettre à l'oeuvre, pour travailler à la guérison des maux qui affligent les Eglises d'Orient; votre conduite le prouve, c'est spontanément que vous avez déployé tant d'activité. Mais puisque nos maux résistent encore à tous les remèdes (tant sont insensés les auteurs de ces attentats), nous avons cru nécessaire d'exhorter votre religion à ne pas se décourager, à ne pas faiblir, à persévérer dans le zèle des premiers jours, et à faire encore tout ce qui est en votre pouvoir. Car plus sont incorrigibles les factieux conjurés contre la paix des Eglises, plus leur châtiment sera sévère, (504) plus aussi seront magnifiques votre récompense et vos couronnes, si vous ne vous laissez pas abattre.
Probablement 406.
Nous devons des remerciements à chacun de vous en particulier, à vous tous en général; que dis-je? Non pas nous seulement, mais tous les évêques de l'Orient, et avec eux les clercs de plus d'une ville, des laïques mêmes diversement persécutés, nous vous devons, dis-je, des remerciements, de ce que dans votre charité toute paternelle, vous avez compati à ces maux, vous avez résisté noblement, vous avez fait tout ce qui était en votre pouvoir. Aussi tous vous célèbrent, vous tressent des couronnes, ont à la bouche vos bonnes oeuvres. Or si les hommes vous rendent de pareils honneurs, songez aux dédommagements que vous réserve la bonté divine. En conséquence, mes très-révérends et très-religieux maîtres, quelque incurable que soit l'infirmité de ceux qui agitent les Eglises, ne cessez pas d'y appliquer tous les remèdes dont vous disposez. Plus il y aura d'obstacles et de difficultés, mieux vous serez récompensés. Si celui qui donne de l'eau fraîche, doit recueillir le prix d'un si léger bienfait, songez quelle récompense attend ceux qui auront tant fait et tant souffert pour la paix des Eglises, songez quel salaire est réservé à d'aussi glorieux travaux !
Probablement 406.
Nous ne cessons pas de nous proclamer vos obligés. Quelles qu'aient été les injustices de nos ennemis, nous avons trouvé en vous un secours énergique, des trésors d'affection, d'attachement véritable, de zèle ardent; et ce n'a pas été pour nous une faible consolation dans le triste exil où nous sommes retenu, et parmi tous les maux qui nous ont accablé. Nous supplions donc vos piétés de continuer à nous témoigner la même affection, le même dévouement. Car ce n'est pas nous seulement qu'atteindront les événements actuels; la totalité des Eglises s'en ressentira. Ce n'est pas une ville, ni deux, ni trois, ce sont des peuples entiers qui sont ébranlés sur toute la face de la terre. Montrez donc le zèle qu'il est naturel de déployer quand on travaille et que l'on combat pour un si grand nombre d'âmes: Vous avez fait bien des efforts, vous avez payé votre tribut; nous ne l'ignorons pas, et ne cessons de vous en remercier; mais, nous vous en conjurons, ne vous arrêtez pas au milieu de votre ouvrage. Votre patience, votre résignation, votre constance sont capables d'apaiser les plus mutins et de guérir les plus malades de la folie qui les possède aujourd'hui. D'ail, leurs, dussent-ils demeurer incurables, rien ne manquera du moins à votre salaire, à votre récompense, à la couronne méritée par vos généreux efforts.
Probablement 406.
Nous voudrions vous voir avec les yeux du corps : mais cela nous est interdit par l'exil qui nous tient enchaîné ; du moins les yeux de l'amitié nous représentent chaque jour votre image; nous ne cessons point de vous serrer dans nos bras, de vous applaudir, de vous admirer, à cause du dévouement et du zèle que vous n'avez pas discontinué de faire voir depuis l’origine, pour les Eglises d'Orient; et nous vous conjurons de terminer votre ouvrage aussi bien que vous l'avez commencé. Si les auteurs du désordre et du trouble général se montrent si remuants, à plus forte raison, vous qui avez pris à tâche de guérir ces maux, devez-vous prodiguer la résignation et. la patience qui doivent accompagner une oeuvre pareille. Car si vous voulez augmenter votre salaire et ajouter à votre récompense, il faut tenir tête résolument aux plus grands obstacles, et opposer aux difficultés le rempart de votre zèle et de votre vigilance.
406.
Votre vive et profonde amitié a retenti jusqu'à nous comme une trompette sonore : sans que la distance en éteignît le bruit éclatant, elle a résonné jusqu'aux extrémités de la terre. -Aussi bien que ceux qui vous voient, nous connaissons, malgré le long trajet qui nous sépare l'un de l'autre, la vivacité, l'ardeur de votre affection, la sincérité, l'indépendance, la franchise de votre langage, votre fermeté pareille à celle de l'airain. Aussi désirons-nous vivement avoir le plaisir de vous voir. Mais comme les chaînes de l'exil nous l'interdisent, nous avons recours à un très-révérend et très-religieux prêtre pour contenter notre désir dans la mesure du possible, en vous écrivant, en vous saluant, en vous rendant mille actions de grâces pour le zèle que depuis si longtemps vous ne cessez de nous témoigner avec tant de persévérance. Nous vous prions, en outre, do, profiter de son départ, et en son absence des courriers que vous trouverez prêts à se mettre en route vers ce désert, pour nous faire savoir comment vous vous portez. Vous savez quel plaisir ce sera pour nous, que d'être rassurés par de fréquents messages, sur la santé d'amis si dévoués.
Sans doute 406.
La voix même des faits ne cesse de proclamer en tous lieux avec un bruit plus éclatant que celui de la trompette, votre noble zèle, votre dévouement à la cause de la vérité. Ni les distances, ni la fuite des jours, ni l'absurde acharnement d'un incurable délire, rien, enfin, n'a pu en étouffer ni en affaiblir le renom. Quant à nous, nous ne cessons pas de vous remercier, nous ne nous lassons point de vous féliciter, en songeant aux couronnes que le bon Dieu vous réserve pour prix de ces glorieux combats. Nous brûlons du désir de vous voir. Mais puisque les entraves de l'exil nous interdisent ce plaisir, nous recourons à un très-révérend et très-religieux prêtre pour vous faire parvenir une lettre et les salutations qui vous sont dues. Sachez que volis vous êtes fait un ami de tout l'Orient , que partout vous avez gagné_ les cśurs, et communiqué à des milliers d'hommes votre juste indignation contre les excès commis. Nous vous conjurons de déployer jusqu'au bout le même zèle. Vous n'ignorez pas combien de couronnes vous dédommageront de ces peines passagères, vous savez quel riche dépôt de récompenses éternelles vous attend au séjour du Dieu de bonté.
Probablement 408.
Nous admirions déjà votre dévouement , votre zèle pour l'amendement des Eglises , votre solide et sincère affection, votre courage, votre inébranlable fermeté, votre infatigable patience. Mais c'est aujourd'hui surtout que nous vous admirons, hommes intrépides, qui avez entrepris une si longue et si pénible traversée pour les intérêts des Eglises. Nous voudrions vous écrire fréquemment, offrir souvent à vos piétés les salutations qui leur sont dues. Mais comme cela nous est impossible, à cause de l'isolement de notre séjour, qu'entoure une ceinture de déserts, nous recourons à un très-révérend et très-religieux prêtre pour vous saluer et vous exhorter à terminer votre oeuvre d'une manière qui réponde au commencement. Vous savez, en effet, quelle est la récompense promise à la résignation, et quels dédommagements le bon Dieu réserve à ceux qui bravent les souffrances pour la paix générale et se font les champions d'une pareille cause.
Probablement 406.
Vous vous êtes préparé bien des couronnes, et à nous bien des consolations, par votre noble dévouement, vos fatigues, vos sueurs. (506) Aussi, à la distance où nous sommes de vous, nous vous célébrons, nous vous rendons grâces, nous vous tressons des couronnes, nous exaltons votre bonheur. Nous voudrions vous écrire fréquemment : car ce serait pour nous une grande consolation. Mais il nous faudrait trouver des courriers, et cela ne nous est pas facile, relégué que nous sommes aux confins du monde; et, d'autre part, les voyageurs du dehors n'abondent pas ici. Enfin, nous avons mis la main sur un très-révérend et très-religieux prêtre : nous vous rendons par son entremise, la salutation qui vous est due, et nous exhortons vos piétés, en considération de la grandeur de l'oeuvre, quel que soit le temps écoulé et l'activité croissante des agitateurs, quelque incurable que soit leur démence, à ne pas vous lasser du moins de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour réparer le désordre. Car plus les difficultés seront grandes , plus sera magnifique la récompense dont le bon Dieu rémunérera vos glorieux combats.
Probablement 406.
Ce n'est point une faible consolation pour nous, au milieu des maux qui affligent ces contrées, que la grandeur de votre dévouement. Sans doute c'était assez déjà de votre conduite passée, de votre vigilance , de votre activité, de votre infatigable sollicitude pour nous procurer un grand soulagement; mais la dernière de 'vos bonnes śuvres, cette longue traversée entreprise pour l'intérêt des Eglises, voilà de quoi nous faire oublier toutes nos infortunes. Nous nous unissons tous pour vous remercier avec effusion de tant de fatigues, de sueurs, de nobles combats, et nous ne cessons point de vous envier tant de dévouement et de zèle. Aussi avons-nous prié notre maître ce très-révérend et très-religieux prêtre, de se rendra en toute hâte auprès de vous. Daignez l'accueillir avec la bonté qui sied à votre caractère, et que la fin de votre ouvrage soit digne du commencement. En effet, s'il parait impossible jusqu'ici de guérir les insensés qui occasionnent aux Eglises tant de guerres et de tempêtes, c'est une raison de les plaindre et de pleurer sur eux; mais vous, il faut vous admirer, vous célébrer, vous, dis-je, qui devant les progrès du mal déployez une activité de plus en plus grande pour y apporter remède.
Probablement 406.
Quand je réfléchis aux sueurs que vous avez endurées, et dans votre résidence, et depuis votre embarquement pour une aussi longue traversée, dans le seul intérêt des Eglises, je ne saurais attendre la victoire pour vous tresser des couronnes, je ne me lasse point de vous célébrer, d'exalter votre bonheur. En effet, soit que votre zèle aboutisse à un résultat, mon très-révérend maître, soit que les premiers auteurs du désordre persistent dans leur entêtement, et que leur folie demeure incurable, la récompense est assurée à vos bonnes intentions, à vos efforts dont votre pouvoir seul a marqué la limite. Voilà pourquoi nous vous félicitons, nous vous admirons, nous ne discontinuons pas de vous rendre grâces. Nous voudrions aussi vous écrire plus souvent. Nais la solitude où nous sommes retenu nous l'interdit. Aujourd'hui seulement, grâce à un très-révérend et très-religieux prêtre, nous vous écrivons et vous offrons la salutation qui vous est due. De coeur et d'intention, nous vous avons écrit bien souvent : avec la plume et l'encre, c'est la première fois, parce que jusqu'ici nous n'avions trouvé personne qui se rendît aux lieux où vous faites séjour. Daignez donc accueillir notre messager ainsi qu'il sied à votre caractère, témoignez-lui de l'amitié, et souffrez qu'il jouisse de votre affection. En effet, après tant de fatigues endurées en voyage, ce ne sera pas pour lui un faible allégement que le bienfait de votre faveur. Quant à ce qui concerne le zèle infatigable à montrer pour les intérêts des Eglises, nos avis vous seraient inutiles votre conduite même l'a prouvé.
507
Probablement 406.
Vous avez affronté bien des fatigues, bien des peines en vous embarquant pour une aussi longue traversée : du moins ce n'est pas pour des biens temporels et périssables, mais bien pour l'intérêt des Eglises : aussi serez-vous magnifiquement récompensés de vos épreuves par la bonté divine. Vos efforts, votre zèle ne seront donc pas pour vous ni pour moi une consolation légère : pour vous qui défendez dans ce glorieux combat la paix de tant d'Eglises, et ajoutez par là tant de couronnes à celles qui doivent vous récompenser; pour nous, à qui vous avez prodigué tant de marques d'affection, que tant d'hommes considérables ont honoré de leur sollicitude, et qu'en dépit de notre éloignement, vous vous êtes unis par les chaînes indissolubles du plus parfait attachement. Nous vous en savons un gré infini, et nous ne cessons de proclamer quelle bienveillance vous nous avez témoignée. D'ailleurs la voix des faits crie par elle-même assez haut: néanmoins nous ne vous lassons pas de répéter la même chose de notre propre bouche. Si c'est seulement aujourd'hui que nous vous écrivons, ce n'est point à notre paresse qu'il faut s'en prendre, mais à l'isolement des lieux où nous vivons. Puisque nous venons enfin de mettre la main sur un très-honoré et très-religieux prêtre qui se rend au pays où vous demeurez, nous vous payons le tribut de salutations qui vous est dû; nous vous prions encore d'accueillir notre messager avec la charité qui vous sied, et lorsqu'il partira, de nous faire savoir comment vous vous portez, sujet habituel dé notre sollicitude. Quant à la recommandation de consacrer tout le zèle requis à l'oeuvre pour laquelle vous êtes venus, je ne pense pas que votre piété ait besoin de la recevoir de la bouche d'autrui : c'est ce que prouve le zèle dont vous n'avez cessé de vous montrer animés.
Probablement 406.
Nous avons mis du temps et de la lenteur à écrire à votre charité; mais ce long silence n'est pas de notre fait : il provient de l'isolement des lieux où nous sommes confiné, et non de la tiédeur à l'égard de votre charité. Aujourd'hui, grâce à l'occasion que me fournit enfin un très-honoré et très-religieux prêtre, je puis m'acquitter envers votre révérence des salutations que je lui dois, en remerciant vivement votre piété de ses efforts et du courage qu'elle a déployé pour l'intérêt des Eglises. Recevez donc mon courrier, mon très-honoré maître, ainsi qu'il vous sied, montrez-lui la bonté qui convient à votre caractère, et ne vous lassez pas, d'autre part, de consacrer tous vos soins à tout ce qui peut contribuer au soulagement commun des Eglises. Vous savez la grandeur d'une telle oeuvre, la foule des Eglises dont vous êtes les champions dans ce noble combat, et celle des couronnes réservées dans le séjour du Dieu de bonté à ceux qui auront travaillé pour la paix générale.
Vos charités se sont montrées, jusqu'ici, pleines de zèle, et nous vous remercions du courage avec lequel vous avez tenu bon si longtemps, malgré les efforts de ceux qui voulaient vous entraîner dans leurs rangs; nous vous exhortons maintenant à couronner votre ouvrage. Car plus vous aurez de peine, plus votre récompense sera magnifique, mieux vous serez dédommagés par la bonté divine. Nous voudrions voir face à face vos révérences. Mais, puisque lés liens de l'exil nous interdisent ce bonheur, et que nous n'avons pas le droit de changer de place, nous vous avons dépêché noire maître, ce très-honoré et très-religieux prêtre, et nous recourons à sa complaisance, (508) tant pour vous offrir la salutation qui vous est due que pour vous informer que nous ne cessons pas de nous dire hautement. l'obligé de vos religions, et de solliciter votre indulgence pour le silence prolongé que nous avons gardé avec vous. Si nous sommes resté muet si longtemps, ce n'est point par insouciance ni par indifférence pour vos personnes; mais c'est aujourd'hui seulement que nous avons trouvé quelqu'un en disposition de se rendre aux lieux où vous habitez, et de vous porter notre lettre : nous vous écrivons donc, en vous faisant savoir où nous en sommes. Quand vous aurez reçu notre envoyé avec bienveillance et bonté, daignez nous donner aussi des nouvelles de votre santé. Une lettre de vous, à ce sujet, nous apporterait de grandes consolations (tans la solitude où nous sommes retenu.
Haut du documentVous connaissez l'affection que nous avons témoignée à votre révérence. Vous savez comment, à la suite de quelques entrevues, nous nous sommes lié avec vous d'amitié. Aussi sommes-nous bien étonné que, depuis si longtemps, vous n'ayez pas daigné nous écrire une seule fois. Vous alléguerez, je le sais, le manque de courriers, et l'excuse est spécieuse. En effet, bien qu'il ne manque pas de voyageurs venant de votre pays, il faut du temps pour se transporter de chez vous aux lieux que nous habitons. Mais cela ne suffit pas pour expliquer que nous n'ayons pas reçu une seule lettre. Car nous aurions pu, nous aussi, alléguer ce prétexte: et néanmoins nous n'avons pas gardé le silence; nous avons arraché à son repos un _ pieux et vénérable prêtre, et nous vous l'avons dépêché, afin qu'il vît votre révérence, qu'il lui portât ces salutations de notre part, et qu'il s'informât de votre santé, dont nous désirons fort avoir des nouvelles. Daignez l'accueillir avec bienveillance, avec charité, avec la bonté qui sied à votre caractère, voyant en lui comme un membre de nous-même, et lorsqu'il se remettra en route, ne refusez point de nous faire connaître l'état de votre santé. Dans l'isolement où nous sommes retenu, vos lettres nous procureront le plus grand soulagement.
Haut du documentNous avons déjà pu admirer l'ardeur et le zèle que vous avez déployés pour les intérêts des Eglises. Mais, puisqu'en outre vous avez entrepris un aussi long voyage, puisque, dépouillant toute crainte, vous vous êtes embarqués pour une si longue traversée avec le courage qui sied à votre caractère, cette conduite nous cause un grand surcroît d'admiration, et nous ne cessons de vous rendre grâces, tant par lettres qu'autrement. Et cette admiration, elle est partagée par tout le monde en Orient; tous célèbrent sans relâche votre inflexible fermeté, votre charité brûlante, votre inébranlable constance. La longueur du chemin, les périls du voyage, on brave, on oublie tout pour courir contempler le spectacle de vos bonnes oeuvres. Voilà pourquoi mon maître, ce très-honoré et très-religieux prêtre, a résolu, quoique malade, de tout endurer pour se rendre auprès de vous, et jouir de votre aspect, de votre société. Accueillez-le donc avec la charité qu'il vous convient de montrer. Que si les calamités redoublent, nous vous exhortons à les combattre sans relâche, et à finir votre oeuvre aussi bien que vous l'avez commencée. Vous savez quel salaire vous réserve la bonté divine, en dédommagement des peines que vous vous serez imposées pour ramener le calme dans un si grand nombre d'Eglises, et de vos efforts pour les mettre à l'abri dans un port inaccessible à la tempête.
Haut du documentProbablement 406.
Vos révérences se sont déjà noblement signalées en manifestant la juste indignation que doivent leur inspirer les malheurs déchaînés sur tant d'Eglises, en y compatissant, en faisant plus, je veux dire en s'acquittant de leurs devoirs. Mais ce qui surpasse tout, c'est ce dernier trait de vos charités : avoir quitté vos demeures, vous être embarqués dans un si (509)
long voyage, vivre sur une terre étrangère, braver les fatigues d'une si longue route pour l'intérêt des Eglises. Cela fait que nous ne cessons de vous rendre grâces, de vous admirer, de vous proclamer bienheureux, en songeant aux récompenses que vous réserve la justice du Dieu de bonté. Et puisque l'exil où nous sommes retenu ne nous permet pas aujourd'hui de vous visiter, ni de vous écrire d'une manière suivie, à cause de la rareté des courriers (sans quoi nous vous écririons lettres sur lettres), nous avons encouragé un très-pieux et très-respectable prêtre, qui, de son propre mouvement allait partir, à. se rendre auprès de vous, à voir vos religions, afin que vous le chargiez d'une lettre pour nous, et que lui-même ait le plaisir de considérer face à face vos charités. Accueillez-le donc ainsi qu'il vous sied de le faire; puis, dès que vous le pourrez, ne manquez pas de nous faire savoir si vous vous portez bien. Car nous tenons beaucoup à être éclairé sur ce point, et ce sera pour nous une grande consolation dans la solitude où nous sommes retenu.
406.
Nous vous savons un gré infini de tant de fermeté, de zèle, de sollicitude, ainsi que de vos fatigues, de vos sueurs, et du long voyage que vous avez fait pour les intérêts de l'Eglise. Plus sera terrible la condamnation portée contre les auteurs de tous ces désordres, plus votre récompense sera magnifique, à vous qui déployez tant de zèle et de persévérance pour la guérison des maux causés par autrui. Nous voudrions être auprès de vous, et converser face à face avec vos piétés : mais notre exil nous le défend. Ce n'est que tard et avec peine que nous avons trouvé quelqu'un partant pour se rendre auprès de vous : par l'entremise de ce très-honoré et très-religieux prêtre, nous vous envoyons cette lettre pour vous rendre la salutation qui vous est due, et vous remercier pour le passé, pour le présent, pour toute votre conduite enfin dans la lutte que vous soutenez contre le mal. Quand bien même vous échoueriez, eh bien! vous aurez fait votre devoir. Comptez donc que la bonté divine vous récompensera de votre zèle, de vos efforts constants et continus pour remédier aux désordres.
406.
Bien que séparé de vous par une grande distance, nous avons pu faire de votre ardent et sincère attachement une aussi complète expérience que si nous étions là-bas, à même d'observer vos démarches , grâces aux personnes qui sont venues nous donner ici au sujet de votre grâce les renseignements les plus propres à combler nos désirs. Aussi notre reconnaissance est-elle grande et vive à votre égard; aussi tirons-nous honneur et vanité des sentiments de votre noblesse; nous recommandons aussi à votre sagesse, nos bien-aimés, le très-religieux prêtre Jean, et le très-révérend diacre Paul; en les remettant entre vos mains, nous croyons leur ouvrir un port. Daignez donc les envisager avec les yeux dont il sied de les voir, ma très-honorée et très-noble dame ; vous savez quel sera le prix de votre bonté. Et lorsqu'il vous sera possible, donnez-nous de plus fréquentes nouvelles de votre santé, dont nous tenons beaucoup à connaître l'état, car elle nous intéresse vivement.
Haut du document406.
Plus le jugement sera sévère contre les auteurs de pareils désordres, plus vous serez récompensées magnifiquement, vous qui avez travaillé à y mettre fin, et dépensé pour cette oeuvre tant de peines et d'efforts. Nous n'ignorons pas les bons offices de vos charités, le zèle que vous avez déployé pour parvenir à votre but, ainsi que pour bien accueillir ceux que nous avons envoyés auprès de vous. Nous sommes donc votre obligé, et nous vous conjurons de persévérer dans la même ardeur, de redoubler encore de courage et de fermeté. Vous appréciez la grandeur de l'oeuvre comme (510) la grandeur de la récompense qui vous est réservée, si vous conjurez, autant qu'il est en vous, de si graves désordres, une si redoutable tempête, et si vous contribuez pour votre part à la guérison des maux actuels.
406.
En ce qui concerne les affaires du monde, la différence que la nature a mise entre les deux sexes, se retrouve dans leurs démarches, dans leur manière d'agir. L'usage prescrit à la femme de garder la maison, à l'homme de s'appliquer aux affaires de l'État et du dehors. Mais dès qu'il s'agit des combats auxquels Dieu préside et des épreuves à braver pour l'Église, cette différence n'existe plus, et la femme peut même déployer plus d'énergie que l'homme, dans ces épreuves, dans ces: combats. C'est ce que Paul fait entendre dans l'épître qu'il adresse aux gens de votre pays. (Rom. fin.) — Il fait l'éloge de plusieurs femmes comme ayant pris à coeur l'amendement et la conversion de leurs maris. Mais à quel propos ceci vient-il ? C'est afin. que vous ne considériez pas l'oeuvre du zèle comme vous étant étrangère, que vous ne vous croyiez pas dispensées de travailler pour votre part à la guérison de l'Église; c'est afin que, fidèles à votre devoir, vous contribuiez, avec toute l'activité requise, à procurer tant par vous-mêmes que par le ministère de ceux qui pourront vous servir, l'apaisement des troubles et des orages auxquels sont en proie toutes les Eglises d'Orient. En effet, plus la tempête est terrible , plus l'ouragan est affreux, plus aussi vous serez récompensées magnifiquement, vous qui vous serez montrées résolues à tout entreprendre et à tout endurer pour ramener le calme et la paix, et remettre dans l'état normal tout ce qui est actuellement troublé.
De 404 à 407.
Si notre corps est loin de vous, notre affection comble l'intervalle; nous sommes à vos cités, nous vous serrons chaque jour dans nos bras , en repassant dans notre pensée votre ardente amitié pour nous, votre hospitalité, votre bonté, tant de prévenance et l'empressement que vous n'avez cessé de nous témoigner, cri nous complaisant dans le souvenir de votre noblesse , en célébrant devant tous votre: pure et sincère affection. Aussi désirons-nous recevoir des lettres de votre noblesse et vous prions-nous de nous écrire fréquemment, de nous tranquilliser au sujet de votre santé, car ce sera pour nous uni grande consolation que d'apprendre que vous vous portez bien, et nous attachons un grand intérêt à le savoir. Daignez donc ne pas nous priver de cette joie; écrivez-nous toutes les fois qu'il vous sera possible, en nous donnant ces précieux renseignements.
Cucuse, 403.
Nous n'avons eu ensemble que peu d'entrevues; néanmoins j'ai fait de reste l'expérience de votre ardente et profonde affection ; car if ne faut qu'un instant aux nobles âmes pour conquérir ceux qui les approchent. C'est ce qui vous est arrivé à vous-même, qui, dans un temps si court nous avez inspiré une si vive tendresse pour votre générosité. Nous vous écrivons donc et vous faisons savoir, en ce qui nous concerne, que nous vivons ici dans une paix et une tranquillité profondes, objet des soins, des prévenances, de la bienveillance générale. Maintenant, pour que nous ayons a notre tour le plaisir d'are instruit de ce qui vous concerne, ne manquez pas de nous écrire fréquemment, et de nous mettre en repos au sujet de votre santé ; ce sera pour nous un grand sujet de consolation qu'un pareil message venant de votre générosité.
511
Cucuse, 404.
Bien que séparé corporellement de votre générosité, nous restons uni à vous par l'attachement du coeur, tant vous nous avez donné de gages de votre amitié, tant vous nous avez prodigué là-bas de soins et d'affection. Aussi, en quelque lieu que nous portions nos pas, nous ne cessons de nous proclamer les obligés de votre noblesse. — Maintenant, nous vous prions de nous écrire, vous aussi, fréquemment, et de nous mettre en repos sur le compte de votre santé. Pour nous, à la suite d'un long voyage, accompli sans obstacles et sans périls, nous voici rendus à Cucuse, où la tranquillité des lieux, l'absence de soucis, les égards, la bienveillance générale charment notre existence. — Mais réjouissez-nous à votre tour en nous apprenant que vous vous portez bien ; écrivez-nous fréquemment, sans relâche, donnez-nous de bonnes nouvelles de votre santé, de toute votre maison. Nous ne saurions goûter une plus précieuse consolation.
SOIXANTE-HUIT LETTRES PUBLIÉES POUR LA PREMIÈRE FOIS EN 1613, D'APRÈS UN MANUSCRIT DU COLLÈGE D'ANVERS, DE LA SOCIÉTÉ DE JÉSUS
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Ecrite, à ce que l'on croit, l'an 404, lors du départ pour Cucuse.
Quel bonheur pour vous et d'être captifs, et de supporter dans de pareilles dispositions votre captivité, de déployer lit milieu de ces épreuves un courage d'apôtres ! Car les apôtres comme vous, battus de verges, persécutes, emprisonnés, supportaient ces tribulations avec une joie profonde: que dis-je? ils continuaient, jusque dans les fers, à remplir leur devoir et à veiller sur l'univers. Je conjure donc vos charités de ne pas se laisser abattre, de redoubler, au contraire, de zèle, à proportion que vos souffrances deviendront plus cruelles, de songer chaque jour au sort des Eglises de toute la terre, aux moyens propres à guérir leurs maux sans vous sentir découragés ni par votre petit nombre, ni par les persécutions qui vous assiègent de toutes parts. Car, puisque ces souffrances vous assurent un plus grand crédit auprès de Dieu, vos forces aussi ne peuvent manquer de s'accroître. Sachez donc déployer le zèle que réclament les circonstances; et tant par vous-mêmes, que par ceux dont vous pourrez employer le concours, efforcez-vous de parler et d'agir, de manière à calmer la tempête qui règne. Car rien n'est si capable que vos soins d'amener cet heureux effet : et d'ailleurs, dussiez-vous échouer, votre zèle et vos bonnes intentions obtiendront leur récompense de la bonté divine.
Haut du documentCucuse, probablement 401.
Mon maître, le très-pieux et très-honoré prêtre Elpidius, a prodigué constamment ses efforts et ses sueurs pour arracher au joug de l'impiété les habitants de la montagne, je veux dire de l'Amanum. Il a réussi, il les a tirés de l'erreur, il a élevé des églises, organisé des monastères; d'autres que moi pourront en instruire votre générosité. Comme je sais que vous aimez passionnément les hommes pieux et généreux, persuadé que je vous ferai plaisir en vous signalant l'auteur de tant de bonnes oeuvres, et cherchant d'ailleurs toutes les occasions de vous saluer, je vous adresse cette lettre, où je m'acquitte de la salutation qui vous est due, et recommande Elpidius à votre générosité. Voyez-le donc avec les yeux dont il vous convient de le voir, mon très-honoré et très-révérend maître, et témoignez-lui par votre conduite que ce n'est pas en vain qu'il est venu à vous chargé d'un message de notre part, et que cette lettre a eu le pouvoir de lui concilier beaucoup de bienveillance et d'affection. Nous saurons un gré infini à votre générosité, si nous voyons qu'à la distance où nous (513) sommes, il nous suffit d'une lettre pour assurer votre affection à ceux qui désirent vivement en jouir : car mon protégé est de ce nombre ; il aime passionnément votre sagesse : aussi est-ce avec beaucoup d'instances qu'il nous a demandé cette lettre.
Haut du documentCucuse, 404.
Nous voudrions bien vous voir en réalité et jouir de votre aimable et charmant commerce. Mais comme cela nous est difficile, tant à cause des difficultés du voyage, que par suite de nos occupations et de nos infirmités, nous cherchons dans les lettres une consolation à laquelle ni la faiblesse de notre santé, ni les périls du chemin ne puissent susciter d'obstacles. Octroyez-nous donc cette faveur légère, peu onéreuse, et néanmoins bien propre à nous charmer, à soulager le chagrin que nous cause notre éloignement. Si cet adoucissement nous est accordé, nous croirons être près de votre révérence; et ne la quitter jamais. Sans doute l'affection que vous nous inspirez suffit pour cela: mais l'illusion gagne encore à être secondée par des lettres.
Haut du documentCucuse, 105.
Votre lettre est empreinte d'une affection bien profonde et bien vive, d'un pur et sincère attachement. Aussi vous rendons-nous mille actions de grâces, et pour nous avoir écrit, et pour nous avoir donné une grande marque de votre profonde amitié pour nous. Que Dieu récompense en vous de tels sentiments, tant ici-bas que dans la vie future; qu'il vous protége, qu'il veille sur vous, qu'il vous tienne à jamais en contentement et en sécurité ! Car vous savez de reste, ma très-honorée dame, que ce n'est pas pour nous un faible sujet de joie, surtout dans la solitude où nous sommes relégué, que d'apprendre par de fréquents messages que vos affaires vont selon vos souhaits. Ne manquez donc pas de nous en instruire assidûment, ne cessez pas de nous rassurer au sujet de votre santé, si vous voulez qu'au fond de notre désert nous goûtions une consolation précieuse.
Haut du documentCucuse, probablement 404
.Mon maître Antiochus se flatte de rencontrer chez vous une grande bienveillance, s'il se présente devant votre grâce avec une lettre de notre main. Prouvez-lui donc, mon très-honoré maître, qu'il ne s'est pas abusé; daignez l'accueillir avec la bienveillance qui vous sied; et s'il a quelque prétention juste et raisonnable, montrez-vous disposé à la soutenir: faites-lui voir enfin par votre conduite, que ce n'est pas en vain qu'il s'est présenté chez vous, un message de notre part à la main, et que notre lettre n'a pas peu contribué à lui concilier une juste bienveillance, un équitable appui. Par là, en même temps que vous l'obligerez, vous me ferez honneur à moi-même, et par les mêmes moyens.
Haut du documentCucuse, 405
.Venir ici, peut-être est-ce difficile si votre santé s'y oppose: car il n'y a pas d'autre obstacle: toutes les alarmes que causaient les brigands sont apaisées. Mais écrire, est-ce donc si pénible ? encore un recours qui vous est fermé. Je dis cela parce que cette lettre est, si je compte bien, la sixième que je vous écris, tandis que j'en ai reçu deux seulement de votre générosité. D'ailleurs, que vous écriviez ou que vous gardiez le silence, nous restons de notre côté fidèle à notre rôle. Nous ne saurions perdre le souvenir d'une aussi ancienne, aussi profonde amitié ; nous la gardons toujours en fleur dans notre âme, et, dès qu'il nous est possible, nous vous écrivons. Mais à cause de la vive sollicitude que vous nous inspirez, nous désirons vivement aussi (514) recevoir de vous une lettre qui nous rassure au sujet de votre santé. Ne nous privez donc point de cette consolation : certaine du plaisir que vous nous ferez, si c'est pour vous une peine que d'écrire, prenez cette peine en faveur de nous qui vous aimons bien : faites-nous connaître l'état de votre santé; nous désirerions fort en avoir chaque jour des nouvelles.
Haut du documentCucuse, 407.
Je ne cesserai pas de féliciter votre révérence de sa résignation, de son courage, de la patience à toute épreuve, que vous avez montrée, que vous montrez encore dans les tentations. Je vous ait dit aussi, déjà dans ma précédente lettre, comment une récompense double et triple vous est réservée, tant pour la fermeté que vous avez montrée vous-même, que pour les encouragements dont vous stimulez le zèle d'autrui, toujours plein d'ardeur, en dépit de votre âge avancé, pour les intérêts du peuple persécuté. Je voudrais écrire assidûment à votre révérence: mais, attendu que l'hiver, les alarmes causées par les brigands, l'isolement du lieu que j'habite, rendent cela malaisé, nous profitons de toutes les occasions qui nous sont offertes pour saluer votre religion, et vous prier de nous écrire fréquemment, de nous donner de bonnes nouvelles de votre santé car nous désirons fort être renseigné là-dessus. Nous félicitons en même temps vos compagnons d'épreuves, les très-honorés diacres Eusèbe et Lamprotatus. Vous savez quelles couronnes vous sont réservées en récompense, quel salaire, quel dédommagement. Dans cette espérance, demeurez fermes, inébranlables Dieu rémunérera magnifiquement votre patience, et mettra promptement un terme aux malheurs présents. Ecrivez-nous sans relâche, en nous rassurant sur votre santé, dont nous désirons bien vivement recevoir des nouvelles.
Haut du documentProbablement 406.
Si les désordres qui se sont emparés des Eglises d'Orient, ont été violents et multipliés, le zèle que votre religion a mis à les réprimer, a été grand et généreux. Que si le succès vous a manqué, nous plaignons les malades incurables dont l'infirmité a déjoué vos efforts, mais nous ne cessons point de vous admirer et de vous proclamer bienheureux, vous qui après un si long temps et tant de peines inutiles, loin de vous décourager, loin de vous laisser abattre, poursuivez votre ouvrage, et montrez la même ardeur à prodiguer votre dévouement, pour la condamnation de ceux qui ne veulent pas vous entendre, et pour le couronnement, l'ample rémunération de votre propre zèle. Aussi n'est-ce pas nous seulement, ce sont tous les habitants de la terre .qui vous célèbrent et vous glorifient, pour avoir conservé toute votre activité, en dépit de votre éloignement, en dépit des distances et du temps, pouravoir apporté à vous acquitter de votre devoir autant d'énergie et d'ardeur que si vous étiez voisins des faits, et témoins oculaires des attentats commis. Que si les premiers auteurs de ces calamités ne veulent pas renoncer encore à ces fatales disputes, à cette guerre insensée, il ne faut pas que cela vous trouble, ni vous précipite dans le découragement: car plus vous aurez eu de peine, plus votre couronne sera magnifique, quand Dieu décernera ces ineffables récompenses que la parole est impuissante à célébrer.
406
.Votre courage, votre indépendance, la liberté de langage avec laquelle vous défendez la vérité étaient déjà choses connues de tous mais les circonstances présentes ont montré plus à découvert votre amour pour vos frères, votre charité, votre piété, votre profonde sympathie pour nous, votre sollicitude pour les (515) Eglises. C'est dans la tempête qu'on reconnaît le mieux le pilote, c'est dans les plus cruelles maladies que se révèle le mieux le talent du médecin : de même celui qui veut vivre dans la piété et qu'un noble courage anime, se signale surtout dans les situations difficiles. C'est ce qui est arrivé pour vous-même : et autant qu'il a été en vous, tout a été réparé, rien n'a été négligé. Mais puisque les fauteurs passés et actuels des troubles en sont venus à ce point de démence que , loin de rougir de leurs actions précédentes, ils aspirent, au contraire , à y mettre le comble; je vous exhorte tous, tant que vous êtes, à déployer le zèle le plus énergique, à persévérer dans une si ardente sollicitude, et même à redoubler d'activité, quelques embarras qui puissent vous être suscités. En effet, ceux qui éprouvent de la peine et des difficultés à accomplir une grande et belle oeuvre, ceux-là recevront une plus ample récompense que ceux qui y réussissent aisément et sans effort. Car saint Paul a dit : Chacun recevra sa récompense, en proportion de sa fatigue. (I Cor. III, 8.) Que l'excès des épreuves ne vous précipite donc point dans le découragement; que cela redouble au contraire votre ardeur. — Car à tout surcroît de tentations est attaché un surcroît de couronnes : c'est autant d'ajouté aux prix qui vous sont réservés en récompense de ces nobles combats.
Haut du document406.
Bien qu'une longue route nous sépare de votre révérence , et que nous soyons relégué aux confins de la terre, néanmoins grâce aux ailes de la charité qui nous portent, ailes agiles et propres à rendre faciles les voyages de ce genre, nous sommes auprès de vous, nous sommes avec vous, nous vous saluons par cette lettre ainsi que nous le devons, et nous vous exhortons à déployer en faveur des Eglises d'Orient le zèle qu'il vous appartient de montrer. Vous savez quelle récompense attend celui qui tend la main aux Eglises affligées, qui fait succéder le calme à de pareils orages, qui termine une guerre aussi violente. — Et si je vous adresse cette exhortation, ce n'est pas que je croie nécessaire de vous rappeler votre devoir : car vous avez prévenu ma lettre en faisant de vous-même tout ce qui était en vous mais puisque les orages, loin de toucher à leur fin, sont dans toute leur violence, nous vous supplions de ne pas vous laisser abattre ni décourager, et de continuer à appliquer les remèdes dont vous disposez, tint que subsistent les plaies qui affligent le corps de l'Eglise : en effet, plus vous aurez de peine à réussir dans votre entreprise, mieux vous serez récompensé dans l'avenir.
Haut du documentRien de ce qui vous intéresse n'est un secret pour nous : nous connaissons aussi bien que si nous étions auprès de vous votre zèle, votre vigilance, votre sollicitude, les peines, les fatigues que vous avez bravées pour la vérité, et nous vous rendons mille actions de grâces jusque dans la complète solitude où nous sommes retenu , c'est pour nous un bien grand soulagement que l'ardeur et la sincérité de votre affection : nous en avons fait ici même l'expérience, et nous savons que là-bas aussi elle persiste dans toute sa force, sans se laisser affaiblir ni par le temps écoulé, ni par la distance des lieux. Nous vous en savons beaucoup de gré, et nous vous prions de montrer toujours le même zèle. Vous savez de combien d'Eglises le salut est en jeu maintenant, et quel grand service il vous appartient de rendre. Pénétré de cette idée, mon très-honoré et très-religieux maître, daignez persévérer dans votre zèle. Car ainsi, par quelques fatigues, vous vous assurerez dans les cieux des palmes immortelles, prix de ces glorieux combats.
Haut du documentProbablement 405.
Vous avez gardé un bien long silence, malgré le grand nombre de voyageurs qui partent de chez vous pour venir ici. Quel peut en être (516) le motif? Le trouble des affaires? Loin de moi un tel propos : je sais la grandeur et l'élévation de votre âme, capable de surnager au plus fort de la tempête, et de jouir du calme au milieu des flots déchaînés. Et cela, votre conduite même l'a prouvé : la renommée a porté aux confins de la terre le bruit de vos bonnes oeuvres, et tous proclament que du lieu où est fixé votre séjour, vous savez réveiller, par un effet de votre religion , ceux qui sont le plus éloignés et ranimer leur ardeur. Quel est donc le motif de votre silence ? Quant à moi, je ne saurais le dire : et je prie votre grâce de recourir à la personne qui remettra ma lettre à votre piété pour nous faire savoir si vous vous portez bien, si vous vivez contente et en sûreté, vous et toute votre maison : à la distance où nous sommes, dans le pénible isolement où nous vivons, il suffirait d'un tel message pour nous procurer de grandes consolations.
Haut du documentCucuse, 404.
Vous craignez d'encourir le reproche de précipitation en prenant les devants pour nous écrire : je cite vos propres paroles : quant à moi, je suis si loin de vous accuser à ce sujet que j'impute au contraire votre lenteur à la négligence, et que je vous ai loué plus que jamais lorsque vous m'avez eu devancé. Et j'appuie mon dire sur l'autorité de votre propre jugement. Vous me dites que c'est signe d'une affection particulière, que de parler même à qui se tait. Ainsi, puisque vous voilà délivré de cette crainte d'être indiscret que vous n'auriez pas dû concevoir, et que vous m'avez donné ce gage d'une amitié qui ne fait que s'accroître, adressez-nous désormais lettres sur lettres. Car vous savez quels sont, quels ont toujours été nos sentiments à l'égard de votre grâce. Même relégué dans ce pays désert, même confiné aux extrémités du monde, nous sommes incapable d'oublier jamais votre parfaite et sincère affection ; nous ne cessons de nous représenter chaque jour votre image, de repasser dans notre mémoire les vertus de votre âme. Nous voudrions vous écrire plus fréquemment; mais comme cela nous est difficile, à cause de notre éloignement, tandis que la même chose vous est aisée, nous vous prions de nous adresser souvent des nouvelles de votre santé et de toute votre maison. De cette manière, jusque dans notre exil, nous ne manquerons point des plus douces consolations.
Haut du documentDe 401 à 407.
Nous n'avons eu là-bas avec vous qu'un petit nombre d'entretiens, mon très-révérend maître, mais nous avons fait complètement l'expérience de votre sincère affection, de la candeur de votre âme, de votre profonde et vive tendresse. Aussi, même relégué aux extrémités de la terre, même confiné dans le désert le plus reculé, votre souvenir présent à notre pensée partout où nous allons, et gravé dans notre mémoire, nous porte à vous écrire en dépit de la distance, et à nous acquitter de la salutation qui vous est due; de plus, nous supplions votre grâce, si ce n'est point la charger d'une corvée importune, de montrer, à votre tour, de l'obligeance à notre égard, et de nous rassurer au sujet de votre santé. Nous en sommes instruit sans doute, sans que vous ne nous écriviez, par les voyageurs que nous interrogeons, tant il nous importe de savoir ce qui intéresse votre santé et votre réputation ; mais nous voudrions entendre votre voix, lire les mêmes choses écrites de votre main, afin de goûter un double plaisir, celui de vous écrire, et celui de recevoir des lettres de votre générosité. Accordez-nous cette faveur, à la fois honnête et charmante, et qui nous comblerait de joie.
Haut du documentCucuse, 401.
Le lieu où nous sommes relégué, Cucuse, est un désert qui n'a point son pareil : néanmoins, quand nous songeons à votre attachement, mes amis, nous goûtons la plus grande des consolations, et notre solitude nous semble un (517) palais. Car c'est un trésor que l'affection d'amis sincères. Aussi, bien qu'absent de corps, sommes-nous, de coeur, uni à vous par les liens du plus inébranlable attachement. C'est ce qui fait que nous vous écrivons en dépit de la distance, et que nous nous acquittons de la salutation qui vous est due. Que vous êtes inscrit au premier rang sur la liste de nos amis, vous le savez de reste, mon très-révérend maître. Maintenant soyez assez bon pour nous imiter, écrivez-nous fréquemment, rassurez-nous sur votre santé, afin que cet échange de lettres nous fasse goûter une foule de consolations et de plaisirs, et que nous trouvions du soulagement jusque dans notre solitude.
Haut du documentCucuse, 404.
Comment pourrions-nous jamais oublier votre douce et ardente affection, votre sincère et parfait attachement, la franchise et l'élévation de votre âme, l'intrépidité de votre caractère? Fussions-nous relégué aux extrémités de l'univers, votre souvenir nous suivrait partout, comme celui d'un ami dévoué, uni à notre personne par un attachement inébranlable. Voilà pourquoi, déporté dans la solitude la mieux nommée qui soit au monde, c'est Cucuse que je veux dire, et malgré la difficulté de mettre la main sur un porteur de messages, nous avons mis tout notre empressement à chercher, à trouver quelqu'un qui vous remît notre lettre, afin de saluer votre révérence, et de rendre à votre magnificence la salutation qui lui est due. Que vous-même, de votre côté, vous n'aurez pas besoin de mes avertissements pour m'écrire avec suite, et me rassurer sur votre santé, c'est ce que votre conduite passée ne me permet guère de mettre en doute. En effet, ce sera pour nous une grande consolation que de recevoir de ceux qui nous aiment bien, des lettres qui nous informent de votre santé, qui renouvellent sans cesse notre attachement par de nouveaux messages, qui nous donnent enfin l'illusion de votre présence, mes bons amis. — Car il suffit d'une correspondance assidue, entre amis sincèrement dévoués, pour leur procurer le plaisir qu'ils goûteraient étant réunis.
Haut du document404.
Qu'est-ce à dire ? quand nous étions là-bas; vous ne vous lassiez pas d'agir et de parler; toute la ville, que dis-je? tout l'univers est instruit de l'affection que vous témoignez pour nous, que vous ne pourriez taire ni cacher, que vous affichez partout dans votre conduite comme dans votre langage : et vous n'avez pas daigné nous écrire une fois, à nous qui avons soif de vos lettres, à nous qui brûlons de lire votre écriture? Ne savez-vous pas quelle consolation nous aurait fait goûter une lettre provenant d'une âme si généreuse, d'une si ardente amitié ? Et si je vous tiens ce langage, ce n'est pas pour vous accuser . que vous écriviez ou que vous gardiez le silence, je le sais, votre affection pour nous ne saurait s'altérer c'est que je soupire après des lettres de votre main. Dans votre silence, nous ne cessons d'interroger les voyageurs qui viennent de chez vous, pour savoir si vous êtes heureux et bien portant, et nous nous réjouissons fort d'en recevoir les réponses que nous désirons : mais nous voudrions que votre voix , que votre main nous rendît la même chose. Ainsi donc, si notre prière n'est point indiscrète, ne manquez pas désormais de nous accorder cette faveur qui aura tant de prix et de charme pour nous, et nous apportera tant de joie.
Haut du documentCucuse, 401.
J'ai reçu votre lettre qui est la seconde en date et non la première comme vous me l'écrivez, très-honorée et très-respectable dame. Je vous répète encore la même chose, n'appelez point indiscrétion l'empressement à prendre les devants pour m'écrire, et ne considérez point comme une faute ce qui mérite les plus grands éloges. Nous voyons là une (518) preuve d'ardente et vive affection, de profond et pur attachement, de brûlante amitié. Dans cette pensée, prodiguez-moi libéralement cette faveur, informez-moi de votre santé, adressez-moi lettres sur lettres pour m'en donner des nouvelles. Car si nous sommes rassurés sur le compte de ceux qui nous aiment, si nous vous savons en santé, en joie, en sécurité, ce sera pour nous un grand allégement aux souffrances de l'exil, une grande consolation jusqu'au fond du désert où nous sommes confiné. — Songez donc à la fête que vous pouvez nous donner, et ne nous refusez point un si vif plaisir : autant que vous le pourrez et qu'il sera en vous, ne cessez pas de nous rassurer au sujet de votre santé.
Haut du documentCucuse, peut-être 405.
Nous avons ressenti, nous aussi, une vive affliction, en apprenant la mort de votre sainte fille. Néanmoins, connaissant la sagesse de votre âme et l'élévation de vos sentiments, nous avons la ferme confiance que vous saurez tenir tête à un pareil orage. — Ne pas s'affliger est chose impossible: mais nous vous exhortons à modérer votre douleur en songeant combien les choses humaines sont fragiles, en vous répétant que ces épreuves sont communes à tous, qu'ainsi le veut une loi générale de la nature, un décret de Dieu, notre Maître à tous. — Non, ce n'est pas là mourir, c'est voyager, c'est quitter une vie inférieure pour une meilleure existence. — Pénétrée de ces réflexions , supportez noblement ce qui vous arrive, et rendez grâce au Dieu de bonté. Car si le coup a été d'autant plus rude qu'il en suivait de près un autre, la couronne réservée à votre patience n'en sera que plus éclatante, votre récompense que plus magnifique , si vous supportez votre malheur en remerciant et glorifiant Dieu. — Et pour que, nous aussi, nous ne soyons pas trop affligé , pour que nous soyons assuré que notre lettre vous a fait du bien, n'hésitez pas à nous en informer, à nous apprendre que le nuage de votre chagrin est dissipé , que la douleur causée par votre blessure est en grande partie soulagée. Une fois que nous en serons averti, nous ne cesserons plus de vous écrire lettre sur lettre; car nous n'avons pas une médiocre affection pour votre générosité ; ayant constamment rencontré chez votre sagesse les plus profonds et les plus purs sentiments de déférence, de respect et d'attachement. Ce souvenir, toujours vivant en nous, maintient dans toute sa force l'affection que vous nous inspirez à jamais quand nous devrions être exilé aux extrémités de la terre.
Haut du documentCucuse, 404.
Vous m'avez rempli de courage et de joie, lorsque, après m'avoir annoncé de tristes nouvelles, vous avez ajouté ce mot qu'il faudrait avoir sans cesse à la bouche: Que Dieu soit glorifié en toutes choses! Ce mot porte au démon un coup terrible : dans quelque péril qu'on se trouve, il donne de la sécurité. Il suffit de le prononcer pour dissiper les nuages de la tristesse. Ne cessez donc de le redire vous-même, et de le recommander aux autres. Par là, la terrible tempête qui s'est déchaînée sur vous, fera place au calme, par là ceux qui sont en butte à l'orage recueilleront une plus belle récompense en même temps qu'ils seront arrachés au péril. Voilà ce qui valut à Job sa couronne , voilà la parole qui mit le diable en fuite, que le força de battre en retraite, honteux et confits, voilà le remède de toutes les agitations. Persistez donc à en user comme d'un charale contre tous les accidents. Quant à l'endroit que j'habite, qu'on cesse d'importuner qui que ce soit à ce sujet : Cucuse est un lieu désert, néanmoins nous y jouissons d'une tranquillité profonde, et la vie sédentaire que nous y menons constamment n'a pas peu contribué à la guérison de la maladie que nous avions contractée dans le voyage. Si vous vous avisez de nous contraindre à de nouveaux déplacements, vous nous causerez par là mille souffrances, surtout en ce moment, lorsque l'hiver est à nos portes. Que personne donc n'aille se rendre importun ni incommode à ce propos. Mais écrivez-nous souvent pour nous parler de votre santé, de la vie que vous menez là-bas, de votre réputation, de votre bonheur. Ce sera (519) pour nous, surtout dans l'isolement où s'écoulent nos journées, une précieuse consolation que de recevoir de pareilles lettres de votre révérence.
Haut du documentCucuse, 404
.Le lieu que nous habitons, Crieuse, est un désert, et le plus désert qui soit au monde. Mais fussions-nous relégué aux confins de la terre, nous ne pourrions oublier votre charité. Sur cette terre étrangère, dans cette solitude où nous vivons, traînant encore avec nous des restes de maladie, assiégé des alarmes que nous causent les brigands (les Isauriens ne cessent d'intercepter les routes et de promener partout le carnage), nous vous portons constamment dans notre pensée, nous ne cessons de nous représenter votre courage, votre franchise, votre douceur et la générosité de votre caractère, et de nous complaire dans ces idées, dans ces souvenirs. Mais vous,de votre côté,écrivez-nous fréquemment, vénérable maître,parlez-nous de votre santé, dites-nous quel effet les eaux chaudes ont produit sur vous, et où en sont vos affaires: afin que, en dépit de notre éloignement, nous soyons aussi bien au fait de tout ce qui vous intéresse que ceux même qui ne vous ont jamais quitté. Vous savez quel prix nous attachons à être informé de votre santé, à cause de l'affection et de l'étroit attachement qui nous unit à votre magnificence.
Haut du documentDe 404 à 407..
Qu'est-ce à dire? cet ami si zélé, si passionné pour nous, cet objet de toute notre tendresse, d'un attachement constant et partagé, n'a pas daigné nous écrire une fois depuis si longtemps? Vous avez pu garder avec nous un silence aussi prolongé? Quel en est donc le motif? Est-ce qu'après notre départ vous nous avez chassé de votre coeur ? Est-ce qu'alors vous êtes devenu plus indifférent à notre affection ? Je ne le pense pas. A Dieu ne plaise , qu'une âme aussi aimante, aussi dévouée, ait subi un pareil changement? Serait-ce la maladie qui vous a retenu? Mais ce n'était pas une raison qui vous empêchât d'écrire. Nous ne savons que penser. Ainsi donc, en même temps que vous romprez ce silence, faites-nous-en savoir la cause, et adressez-nous au plus tôt une lettre qui nous rassure au sujet de votre santé. Car le plus grand plaisir que vous puissiez nous faire, le plus grand allégement que vous puissiez apporter à notre solitude, c'est de nous envoyer une lettre pareille. Mais plus de négligence: autrement, si après cette lettre vous persistez dans votre silence, vous n'avez plus de pardon à espérer de nous, nous vous accuserons de la plus profonde ingratitude. Or, je sais que tous les châtiments vous sembleraient plus doux qu'un tel reproche.
Haut du documentCucuse, 404.
Il nous est impossible d'oublier jamais votre affection si dévouée, si profonde, si vive, si parfaite, si sincère, nous vous portons constamment dans notre pensée, vous êtes gravé dans notre coeur. Nous voudrions vous voir sans cesse; mais puisque, à l'heure qu'il est, c'est chose impossible, nous avons recours aux lettres pour contenter notre désir en saluant votre piété ainsi que nous le devons, et nous vous exhortons à nous écrire fréquemment de votre côté. Nous avons beau vivre dans une solitude profonde, être assiégé par les alarmes que nous causent les brigands, être en proie à la maladie; si nous recevons de votre générosité des lettres qui nous rassurent au sujet de votre santé, ce sera pour nous, surtout dans notre isolement actuel, une grande consolation. Sachant donc quel plaisir vous nous ferez, quel contentement nous vous devrons, ne nous refusez pas une joie si vive, et tâchez de-nous écrire plus fréquemment, ce sera pour nous un grand sujet d'allégresse.
Haut du document520
Cucuse, 404.
Doué comme vous l'êtes, d'une haute sagesse, vous n'avez pas besoin de mes paroles pour supporter avec résignation le départ de votre frère; je dis départ, parce que je ne veux pas dire mort. Cependant, pour acquitter ma dette, j'exhorte votre excellence, honorable seigneur, à se montrer, dans cette circonstance, digne d'elle-même; non que vous deviez vous interdire toute affliction : vous ne le pourriez pas, car vous êtes homme, votre âme habite un corps, et vous venez de perdre le meilleur des frères; mais votre douleur doit avoir des bornes. Vous savez, en effet, l'instabilité des choses humaines qui passent comme l'eau des fleuves, en sorte que ceux-là seuls doivent être réputés heureux qui ont fini dans une bonne espérance cette triste vie. Ce n'est pas vers la mort qu'ils s'acheminent, mais vers la récompense après le combat, vers la couronne après la lutte, vers le port après la tempête. Que ces pensées soutiennent votre courage ! Nous, dans notre douleur qui n'est pas légère, nous songeons aux vertus de cet homme de bien. Leur souvenir qui nous console doit être un grand adoucissement à votre peine. Si celui qui nous a quittés eût été un méchant couvert de crimes, il faudrait pleurer et se lamenter; mais tel qu'il était et que toute la ville l'a connu, modeste, doux, rigide observateur de la justice, d'une franchise et d'une loyauté parfaite, d'une âme grande et forte, plein de dédain pour les choses d'ici-bas, il faut vous réjouir et vous féliciter vous-même d'être précédé dans une vie meilleure par un frère comme celui-là, qui a placé dans un asile sûr et inviolable les biens qu'il possédait au sortir de ce monde. Gardez-vous donc, seigneur bien-aimé, de vous laisser abattre par votre deuil. Ne soyez pas inférieur à vous-même, et daignez m'apprendre que ma lettre vous a fait du bien, afin que moi-même, à la distance où je suis de vous, je sois fier d'avoir pu, par une simple lettre, adoucir sensiblement cette douleur.
Haut du documentCucuse, 404.
Qu'est-ce à dire? Vous qui nous aimez si tendrement (je m'en suis bien aperçu, une vive tendresse ne saurait échapper à la vue de celui qui en est l'objet), vous n'avez pas daigné nous écrire, vous avez pu condamner cette tendresse au silence? Quel en est le motif? Je ne saurais le dire : c'est à vous qu'il appartient., une fois le silence rompu, de m'en faire connaître la cause. Si nous nous sommes hâté de prendre les devants pour écrire à votre générosité, c'est afin qu'il ne reste aucun recours. Ecrivez-nous donc assidûment, très-honoré et très-noble maître, et contentez notre désir. En effet, une fois captivé par votre seule réputation, et uni d'amitié à votre générosité, nous ne saurions ni nous résigner nous-même au silence, ni vous le pardonner; et nous ne cesserons de vous persécuter, si vous ne nous adressez pas lettre sur lettre, afin de produire sur nous, par la fréquence de vos messages, la douce illusion de votre présence.
Haut du documentCucuse, 401
Béni soit Dieu, qui fait nos consolations plus grandes que nos épreuves, et qui nous donne assez de patience pour supporter, même avec une joie profonde, les sujets de chagrin qui nous arrivent! Voilà qui double, et c'est le principal, notre récompense : nous résigner, et nous résigner avec joie. Mais ce qui nous procure aussi de grandes consolations, c'est d'entendre vanter votre courage, votre indépendance, votre fermeté, votre constance, votre résignation, votre patience, votre zèle plus brûlant que la flamme. Aussi, bien que relégué dans un désert, assiégé par les alarmes que nous causent les brigands, et désormais en butte aux rigueurs de l'hiver, nous sommes insensible à tout, grâce à votre excellente réputation ; que dis-je? nous sommes transporté (521) d'allégresse, heureux et fier de votre rare courage, mais pour que la joie que me causent ces nouvelles soit une joie continue, écrivez-moi assidûment et sans relâche, tant à ce sujet que pour me rassurer sur votre santé. Vous ne sauriez me causer plus de plaisir et de satisfaction.
Haut du documentCucuse, 404.
Je désirerais voir ici même votre piété, afin de jouir de votre commerce et de goûter les charmes de votre profonde et vive affection mais puisque c'est chose impossible, à l'heure qu'il est, et à cause de la saison, et à cause de la longueur du voyage, je vous offre dans cette lettre la salutation qui vous est due, et je remercie votre piété d'avoir pris les devants pour m'écrire; car c'est le fait d'une vive et profonde amitié ; et cet empressement n'est pas seulement naturel, il est encore tout à fait séant à votre caractère. Continuez donc à nous octroyer cette grâce, et donnez nous fréquemment des nouvelles de votre santé. Et s'il devient possible à votre piété de braver la fatigue pour nous rendre visite, vous nous ferez le plus grand plaisir, et vous nous remplirez d'une joie bien vive. Dites-vous donc bien que nous désirons, nous aussi, voir votre piété, que d'ailleurs l'entreprise n'est pas extrêmement pénible, pour peu que le temps soit propice aux voyages, et ne nous privez point de votre société. En attendant daignez, par la fréquence de vos lettres, produire en nous l'agréable illusion de votre présence.
De 404 à 407.
Ce n'est pas la peine de chercher des excuses à votre silence, et d'alléguer la rareté des courriers, très-honorable et très-magnifique seigneur. Que vous écriviez ou que vous vous taisiez, rien ne peut réformer le jugement que j'ai porté sur votre amitié. Vous l'avez assez prouvée par les faits, et toute la ville sait quel amour ardent et passionné vous professez pour moi. Je désire cependant recevoir de votre excellence quelques détails sur votre santé. Si être assuré de la mienne est pour vous, comme vous le dites, un grand dédommagement de notre séparation, vous devez comprendre de quel prix est une pareille assurance pour un homme qui sait aimer, vous qui aimez si tôt. Aussi n'ai-je rien tant à coeur. Accordez-moi donc cette grâce : ce sera dans mon triste exil une grande consolation.
Cucuse, 404.
Comment supporter cela? Est-ce tolérable? Aurez-vous l'ombre d'une excuse à fournir? Privé de vous depuis si longtemps, je vis dans un abîme de chagrins, de troubles, de tourments, de tribulations, de misères, et vous n'avez pas daigné m'écrire une fois ! Moi, je vous ai adressé une, deux lettres et plus : elles sont toujours demeurées sans réponse, et vous pensez n'avoir qu'une petite faute à vous reprocher quand vous poussez l'ingratitude si loin ! Vous me causez une vive perplexité par votre silence que je ne m'explique pas, lorsque je pense à cette affection si sincère et si vive dont vous m'avez constamment donné des preuves. Je ne peux accuser votre paresse, car je connais votre activité; ni la peur, car je sais votre courage; ni la négligence, car je sais que vous ne vous endormez point; ni la maladie, car d'abord elle ne suffirait pas à vous arrêter; et j'ai appris d'ailleurs par des gens qui arrivent de là-bas, que vous jouissez d'une santé parfaite. Qu'est-ce donc? Je ne puis le dire; je sais seulement que je souffre de votre silence. Mettez donc tout en oeuvre pour me tirer de ce chagrin et de cette perplexité : car, après cette lettre reçue, ne pas vous hâter de m'écrire, ce serait me causer une douleur et une affliction que vous aurez ensuite beaucoup de peine à soulager.
Cucune, 401.
Je n'ai pas été médiocrement affligé d'apprendre que le prêtre Théophile et vous, vous vous relâchiez. Je sais en effet que l'un de vous n'a fait que cinq homélies jusqu'au mois d'octobre, l'autre aucune; et cette nouvelle m'a été plus douloureuse que mon isolement. Si je suis mal informé, veuillez donc me détromper. Si la chose est vraie, portez-y remède. Réveillez mutuellement votre zèle, ou vous me causeriez une grande douleur, quoique j'éprouve pour vous une vive affection. Mais ce qui est autrement grave, c'est que la nonchalance où vous vivez, votre négligence à vous acquitter de vos fonctions appellent sur vos têtes le jugement de Dieu. Et qui donc pourrait vous excuser, vous, si, tandis que les autres sont persécutés, exilés, proscrits, vous abandonnez à lui-même ce peuple battu de la tempête, sans songer à lui donner l'assistance ni l'instruction que vous lui devez?
Haut du documentCucuse, 404.
Lorsque vous venez à songer, mon très honoré maître, ô vous qui m'êtes plus doux que le miel, au chagrin d'être séparé de nous, songez aux affaires dont vous êtes chargé, à cette ville entière que vous administrez, ou plutôt à cet univers entier que vous gouvernez en la gouvernant; et alors livrez-vous à la joie, à l'allégresse. En effet, ce n'est pas de l'avantage seulement, c'est encore du plaisir que vous pouvez retirer de vos fonctions. Des hommes occupés à amasser des biens périssables et pernicieux, trouvent dans leurs affaires un plaisir enivrant, alors même qu'ils sont séparés pour longtemps de leur maison, de leur femme, de leurs enfants, de tous leurs proches; or, qui pourrait exprimer par des paroles les charmes, le prix du trésor que vous recueillez chaque jour par l'effet. de votre seule présence? Je ne dis point cela pour vous flatter, comme le savent bien ceux qui nous entendent dire la même chose en ton absence, je le dis sous l'impression de la joie, de l'allégresse, qui m'agitent de leurs. transports. Oui, il suffit de Votre présence pour corriger beaucoup de ceux qui sont là-bas, les fortifier, les rendre plus fermes et plus dispos. Je connais mon héros, je sais les nobles qualités que vous déployez là-bas, votre zèle, votre vigilance, votre activité, la persévérance de votre âme, votre franchise, la liberté avec laquelle vous avez résisté même aux évêques lorsqu'il l'a fallu, tout en gardant la mesure convenable. Je vous admirais pour votre conduite, mais je vous admire encore bien plus aujourd'hui que, privé de tout auxiliaire, quand les uns sont en fuite, d'autres persécutés, que d'autres enfin se cachent, vous restez seul à votre rang, occupé à aligner le front de bataille, à empêcher les désertions, que dis-je? à faire chaque jour par votre adresse de nouvelles recrues dans le camp des ennemis. Et ce n'est pas seulement pour ces motifs que je vous admire, c'est encore parce que, du lieu où vous êtes fixé, votre sollicitude déborde sur tout l'univers, sur la Palestine, la Phénicie, la Cilicie; sujets particulièrement dignes de vous occuper. En effet, les Palestins et les Phéniciens, je le sais de bonne source, n'ont pas reçu l'ambassadeur que leur ont envoyé les ennemis, et n'ont pas même daigné lui répondre; l'évêque d'Ages, au contraire, et celui de Tarse se rangent parmi nos adversaires, je le sais; et celui de Castabale a fait savoir ici, à un de nos amis, que les gens de Constantinople contraignent ceux du pays d'adhérer à leur conspiration; que d'ailleurs ils tiennent bon jusqu'à présent. Vous avez donc besoin d'une grande sollicitude, d'une grande vigilance, pour guérir cette partie-là, en écrivant à mon maître, votre cousin, le seigneur évêque Théodore. Quant à Pharétrius, les choses vont mal et d'une manière affligeante. D'ailleurs, puisque ses prêtres n'ont pas encore, selon vous, conféré avec nos adversaires, qu'ils ne prennent point parti pour eux, et prétendent encore rester fidèles à notre cause, ne leur communiquez rien de cela; en ce qui concerne Pharétrius, sa conduite est tout à fait impardonnable. Cependant tout son clergé était dans la peine, dans l'affliction, dans le deuil, et, de coeur, tout avec nous. Mais pour ne pas les détacher brusquement, les aigrir, les renseignements (523) pris auprès des gens de la province, gardez-les pour vous, et traitez cette affaire avec une grande douceur; je connais votre industrie; dites à Pharétrius que nous avons appris nous-même qu'il était vivement affligé de ce qui s'était passé, qu'il était prêt à tout endurer pour réparer tous les attentats commis. Notre corps est en parfaite santé, et nous avons secoué les restes de notre maladie; d'ailleurs, quand nous songeons combien cela vous intéresse, ce n'est point pour nous une médiocre raison de nous bien porter que la vivacité de votre affection. Que Dieu vous donne la récompense de tant de zèle, de charité, de sollicitude, de vigilance, et dans cette vie et dans l'éternité ! qu'il vous protège, vous garde, vous conserve, et daigne vous octroyer les biens ineffables du Ciel! Et puisse-t-il nous accorder à nous là grâce de revoir bientôt votre visage chéri, de jouir de votre douceur, de célébrer une si belle fête! Car vous ne l'ignorez pas, ce serait pour nous une fête et une occasion d'allégresse que d'être admis encore à goûter les charmes de votre commerce et à en recueillir les fruits si précieux.
Haut du documentCucuse, 405.
C'est tard et brièvement, ou plutôt lentement que j'écris à votre générosité. D'ailleurs, la cause de mon silence n'est point la paresse, mais bien une longue maladie; car notre attachement est inébranlable à votre égard : nous connaissons trop la sincérité de votre affection, la noblesse, la candeur, la pureté de votre âme. Et nous n'avons point cessé de proclamer devant tout le monde les sentiments que votre générosité nous a constamment témoignés, non-seulement en notre présence, mais encore quand nous étions absent. Nous n'ignorons pas, en effet, quel zèle, après notre départ, vous avez déployé en paroles et en actions pour notre cause. Que Dieu vous accorde la récompense d'un si beau dévouement, ici-bas et dans la vie future. Mais, afin d'ajouter à la joie que nous éprouvons à vous écrire, celle de recevoir des lettres de votre grâce, daignez nous écrire et nous rassurer sur votre santé : dans l'exil où nous sommes relégué, ce sera pour nous une grande consolation. Oui, une lettre de votre charité, qui nous apprendrait que vous vous portez bien et nous instruirait de toutes les choses qui vous intéressent, nous ferait éprouver un grand soulagement jusque sur la terre étrangère où nous vivons.
Haut du documentCucuse, 404.
Quelle que soit la fureur de la tempête et le soulèvement des vagues, quels que soient les efforts, les démarches, les intrigues de ceux qui veulent ébranler les Eglises de Gothie, vous du moins ne cessez pas de payer votre tribut. Quand bien même votre zèle n'aboutirait à rien, ce que je ne puis croire, en tous cas la bonté de Dieu vous prépare la récompense de vos sentiments et de vos intentions. Ne vous lassez donc point, mon bien-aimé, de faire tous vos efforts, de prodiguer vos soins et votre sollicitude, tant en personne que par le ministère de ceux que vous pourrez employer, pour qu'il n'arrive là-bas ni troubles, ni désordres. Avant toute chose, priez, et ne cessez pas d'invoquer, avec la ferveur et le zèle qui vous conviennent, la bonté divine, afin quelle mette un terme à vos épreuves présentes, et qu'elle procure à l'Eglise une paix complète et profonde. Jusque-là, ainsi que, je vous l'ai dit en commençant, employez tous les moyens pour gagner du temps; et vous, écrivez-moi assidûment tant que vous serez là-bas.
Haut du documentCucuse, 404.
Je savais, avant même d'avoir reçu votre lettre, à quelles tribulations vous êtes en butte, à quels complots, à quelles tentations, à quelles hostilités; et c'est pour cette raison surtout que je vous félicite, en songeant aux couronnes, aux prix, aux palmes que ces luttes vous promettent. En effet, si vos ennemis, si vos persécuteurs appellent sur eux-mêmes un (524) jugement terrible et accumulent sur leur tête le bûcher de la géhenne, vous, leurs victimes, vous serez amplement dédommagés et récompensés. N'allez donc point vous alarmer, vous troubler pour cela; au contraire, réjouissez-vous et tressaillez d'allégresse, conformément aux sentiments de l'Apôtre : Maintenant, je me réjouis au sein de mes souffrances. (Coloss. I, 24.) Et ailleurs : Outre cela, nous nous glorifions encore dans les tribulations, sachant que la tribulation produit la patience, et la patience l'épreuve. (Rom. V, 3 et 4.) Ainsi, plus éprouvés désormais, plus riches en trésors célestes, quand bien même vous auriez encore davantage à souffrir, vous ne devez éprouver que plus de joie. En effet : Les souffrances du temps présent ne comptent pas, au prix de la gloire future qui sera révélée en nous. (Rom. VIII, 18.) Nous n'ignorons pas votre résignation, votre courage, votre patience, votre sincère et ardente affection, l'inflexible et inébranlable fermeté de votre âme; nous vous en exprimons toute notre reconnaissance. Nous restons uni de tueur à vous pour jamais, et la distance des lieux ne nous rend pas plus tiède à l'égard de votre charité. Je vous remercie aussi des peines due vous avez prises pour empêcher tout désordre dans l'église des Goths et pour gagner du temps. Et, loin que je vous reproche de n'avoir envoyé personne, je vous en loue, au contraire, et vous approuve; car il vaut bien mieux que vous vous consacriez tous à cette tâche. Ne cessez donc pas de faire tout ce qui vous sera possible, tant en personne que par le ministère de ceux que vous pourrez employer, afin d'obtenir du répit. Que vous réussissiez ou non, vous n'êtes pas moins assurés d'obtenir la récompense de votre zèle et de vos bonnes intentions.
Haut du documentDe 404 à 417.
Ami si zélé pour nous, si attaché à notre personne, eh quoi! pas même une lettre de votre main. Pourtant nous vous avons écrit une et deux fois; mais votre diligence, à vous, se ralentit. Songez donc au plaisir que vous nous causez en nous faisant connaître l’état de votre santé. Et hâtez-vous, je vous en prie, de nous écrire. Car c'est pour nous une grande consolation, que d'avoir des nouvelles suivies de votre santé, à vous tous qui nous aimez.
Haut du documentDe 404 à 407.
Vous nous aimez, je le sais bien, soit que vous nous écriviez ou que vous restiez muet. Comment ignorer la vive affection que vous avez pour nous ? Tout le monde la célèbre, et plusieurs visiteurs me parlent de l'ardente et profonde tendresse que nous vous inspirons. Mais nous voudrions de plus recevoir de votre générosité des lettres fréquentes qui nous donnassent des nouvelles de votre santé, de votre femme, de toute votre maison; car vous savez combien cela nous intéresse. Je le sais, mon très-honoré maître, ce que nous vous demandons devient difficile, tant à cause de la saison, qu'à raison du petit nombre des voyageurs qui viennent dans ce pays; néanmoins, instruit de notre désir, lorsque vous le pourrez, ne manquez pas de nous écrire, et de nous donner les renseignements que nous réclamons. Votre santé, votre sécurité, c'est pour nous un trésor, un bonheur, un grand contentement. Ainsi donc, ne nous privez point d'un si doux plaisir,et soyez assez bon pour consoler ceux qui vous aiment bien par de semblables nouvelles qui nous procureront un grand soulagement.
Haut du documentCucuse, 404.
Je m'étonne d'avoir été instruit par d'autres de la négligence du prêtre Salluste. Il m'a été déclaré qu'il avait à peine prononcé cinq homélies jusqu'au mois d'octobre, et que le prêtre Théophile et lui, l'un par insouciance, l'autre par crainte, ne viennent point à la réunion des fidèles. J'ai écrit à Théophile une lettre sévère où je le réprimande; en ce qui concerne Salluste, je m'adresse à votre excellence, parce que je sais qu'il vous inspire une vive affection, (525) ce dont je me réjouis. Mais je me plains à votre excellence de n'avoir pas été averti par vous-même de ces désordres que, pour bien agir, vous deviez réprimer : mais vous n'en avez rien fait. Aujourd'hui du moins, et c'est un grand service que je vous rends comme à moi-même, je vous exhorte à réveiller, à stimuler Salluste, à ne pas souffrir qu'il s'endorme, ni qu'il reste oisif. En effet, si aujourd'hui, au milieu de la tempête et des orages actuels, il ne montre pas le courage qui convient, quand retrouvera-t-il une pareille occasion de nous être utile? Est-ce quand le calme et la paix seront revenus? Je vous y exhorte donc ; en faisant vous-même votre devoir excitez ce prêtre et les autres à secourir de tout leur zèle ce peuple en butte à l'orage ; je sais d'ailleurs, qu'en ce qui vous concerne, vous n'avez pas attendu notre lettre, pour faire tout ce qui est en votre pouvoir.
Haut du documentCucuse, 404.
Nous vous avons écrit une première fois, il y a peu de temps , ainsi qu'à mon seigneur le très-honoré tribun Marcion ; cependant vous ne nous avez fait parvenir aucune lettre de lui, et nous n'en avons pas non plus reçu de votre main. Pourtant fidèle à notre habitude, nous ne cessons pas de songer à vous, et nous vous écrivons, dès qu'il nous est possible. Ainsi faisons-nous, encore aujourd'hui, en vous rendant mille grâces pour le zèle que vous avez montré, pour les périls que vous avez bravés, et en vous félicitant. Car vous ne vous préparez point de petites couronnes, vous qui, par des souffrances d'un moment, vous assurez dans les cieux d'éternelles récompenses, ample dédommagement de vos sueurs : Les souffrances du temps présent ne comptent pas au prix de la gloire future qui sera révélée en nous. (Rom. VIII, 18.)
Haut du documentCucuse, 401.
J'ai été bien chagrin d'apprendre que le prêtre Salluste et vous, vous n'allez pas assidûment à la réunion des fidèles : cela m'a causé une vive affliction. Je vous invite donc, si j'ai été induit en erreur, à me démontrer qu'il y a eu calomnie; si c'est la vérité, à vous guérir d'une pareille négligence. — En effet, si nue récompense éminente vous est réservée, à condition que vous montriez do courage, surtout dans les circonstances présentes; attendez-vous à une condamnation exceptionnelle, si vous vous ralentissez, si vous faiblissez, si vous ne payez pas votre tribut. Vous savez comment fut puni celui qui avait enfoui son talent : sans qu'il y eût contre lui aucun autre grief, pour cette faute seule il fut châtié et subit une peine irrémissible. Hâtez-vous donc de me tirer d'inquiétude. De même que c'est pour moi un grand soulagement, une grande consolation d'apprendre que vous consacrez tout votre zèle à comprimer l'orage parmi le peuple et à prévenir les divisions : de même, si je viens à apprendre que quelques-uns se relâchent, j'éprouve de, vives alarmes pour les coupables eux-mêmes. Ce beau troupeau, c'est la grâce de Dieu qui chaque jour le maintient dans l'union, comme les événements mêmes vous l'ont fait assez voir : mais ceux qui par mollesse négligent leurs fonctions, appellent sur eux, par cette mollesse, un jugement redoutable.
Haut du documentCucuse, 404.
Je suis étonné que vous ne nous ayez pas écrit depuis si longtemps; si vous continuez à faire preuve en notre absence d'une vive affection pour nous, vous êtes bien avare de votre écriture. Ne tardez plus à nous écrire, à nous informer de votre santé : votre silence ne nous empêche pas de nous inquiéter de ce qui vous concerne, et nous avons appris que vous aviez (526) été chassé de votre école (1) pour avoir montré l'indépendance qui sied à votre caractère. Prenez cela comme une récompense, un marché avec le ciel, une immortelle couronne, un prix magnifique: et supportez bravement l'adversité. — Dieu saura bien mettre un terme à ces tentations, ramener promptement le calme et vous récompenser amplement dans la vie future, de votre résignation.
Haut du documentDe 404 à 407.
Si de corps, nous sommes séparé de votre révérence, de coeur nous lui restons attaché; nous promenons votre amitié dans notre mémoire, en quelque endroit que nous soyons, fussions-nous relégué aux confins de la terre. Que votre souvenir nous est également fidèle, c'est ce dont il ne faut filas douter, je pense. Je connais la sincérité de votre affection , la solidité de votre attachement , la constance de votre âme. Nous vous prions donc de nous écrire fréquemment et de nous rassurer au sujet de votre santé. Car nous tenons beaucoup à en avoir des nouvelles : et une lettre qui nous en apporterait serait reçue comme une consolation dans l'isolement auquel nous sommes condamné.
Cucuse, 404.
Je connais votre douceur, votre sagesse, votre bonté, votre amitié, l'ardeur de votre affection, la sincérité de votre tendresse à notre égard. Je salue donc avec un vif empressement votre révérence , et je vous fais savoir, que je vous porte dans ma pensée, en quelque lieu que je me trouve. Ecoutez donc ma prière , pour ajouter à la joie que j'éprouve à vous écrire, celle que me causeront des nouvelles de votre santé, il faut m'en rendre compte assidûment. — Car, dussions-nous être transporté dans une solitude plus triste que celle-ci, recevoir
1. On ne sait pas au juste à quoi S. Jean Chrysostome fait allusion dans ce passage.
de pareilles lettres de ceux qui nous aiment, sera toujours pour nous un grand plaisir.
Haut du documentCucuse, 404
.Nous avons déjà écrit à votre générosité, mon très-honoré ei très-religieux maître, et aujourd'hui nous recommençons, sans avoir reçu une seule lettre de vous. Nous ne cesserons point pour cela de vous écrire fréquemment, et de nous acquitter de nos obligations. Nous voudrions même le faire plus souvent mais nous vivons ici dans mie complète solitude, les incursions des brigands menacent la ville, l'hiver ferme les routes, et tout cela fait qu'il ne vient pas ici beaucoup de voyageurs : du moins, quand la chose est possible, et que nous trouvons des courriers, nous offrons à votre piété le salut que nous lui devons. Nous connaissons assez la sincérité de votre attachement, la vivacité de votre affection, la constance, la noblesse, la franchise de votre âme. Aussi vous promenons-nous constamment dans notre souvenir, en quelque lieu que nous soyons, et ne pouvons-nous oublier votre grâce. Mais ce n'est pas tout que d'écrire : nous voudrions, pour que notre joie fût complète, recevoir des lettres, des nouvelles de votre santé accordez-nous donc fréquemment cette faveur. Par là, dans l'éloignement où nous sommes, nous goûterons une précieuse consolation en apprenant que vous, nos amis si tendres et si dévoués, vous vivez en joie et en sécurité.
Haut du documentCucuse, 404 ou 405.
Je connais la générosité de votre âme, l’ardente charité que vous apportez à soulager les pauvres, la passion avec laquelle vous vous consacrez à cette belle oeuvre : vous donnez et vous donnez avec joie : vous doublez la couronne de votre bonté, vous en rehaussez l'éclat, en ajoutant au mérite de votre libéralité celui des sentiments qui vous l'inspirent. En (527) conséquence, instruits par le très-révérend prêtre Domitien, qui est chargé là-bas du soin des veuves et des vierges, que la faim menace ses ouailles, nous nous réfugions dans vos bras comme dans un port, afin que vous portiez remède à cette calamité de la famine. Je vous en prie, je vous en conjure , mandez ce prêtre, et daignez lui venir en aide autant qu'il vous sera possible. Aucune aumône ne pourrait être récompensée comme celle que vous êtes appelé à faire aujourd'hui : tant est furieuse la tempête déchaînée contre ceux qui vous implorent, privés maintenant de leurs ressources ordinaires. Réfléchissez donc tant au bénéfice attaché aux actions de ce genre, qu'au surcroît de gain que vous offrent les circonstances, et daignez faire tout ce qui sera en votre pouvoir. Il n'y a pas besoin d'en dire davantage, lorsqu'on s'adresse à une âme aussi charitable, aussi compatissante. Vous savez que vous nous devez des honoraires : nous vous libérons de votre dette en faveur de cette bonne oeuvre. Daignez nous écrire que vous avez fait droit à notre demande, en nous donnant de bonnes nouvelles au sujet de votre santé et de toute votre maison que Dieu bénit.
Haut du documentCucuse, 404
.Ne vous affligez nullement d'avoir été chassé de votre école; songez au bénéfice que vous retirez de cette tribulation, et combien l'éclat de vos couronnes s'en trouve rehaussé ; réjouissez-vous donc et tressaillez d'allégresse à cause de ces souffrances et de ces attaques. Elles augmentent votre trésor céleste, elles ajoutent à votre gloire, elles doublent vos récompenses. — Car c'est une route étroite et resserrée qui mène à la vie éternelle. Et vous, ne vous refusez point à nous donner souvent des nouvelles de votre santé. Vous savez quel est l'attachement qui nous unit à vous, et comment, quelque part que nous soyons, nous vous portons dans notre pensée , comment nous avons toujours eu pour vous une ardente affection : et elle est bien plus ardente aujourd'hui, que vous êtes embelli par la souffrance.
Haut du documentCucuse, 401
.Si je ne connaissais pas bien votre sincère affection, et le zèle que vous avez toujours montré pour nous, je trouverais un motif d'accuser votre négligence dans ce long silence que vous avez gardé, et cela, quand vous recevez de nous des lettres si fréquentes et si multipliées. Mais je sais que, silencieuses ou diligentes à nous écrire, les mêmes sentiments vous animent toujours à noire égard : aussi je n'ai pas le courage de vous reprocher votre silence, quel que soit mon désir de recevoir de vous des lettres fréquentes, de fréquentes nouvelles de votre santé. Car vous ne pouvez alléguer la rareté des courriers : mon bien-aimé, mon aimable et cher Salluste, je le sais, aurait pu vous en tenir lieu. Néanmoins, non, je ne vous reproche rien, tant je suis sûr de votre attachement. Quant à moi, toutes les fois que je le pourrai, je ne manquerai pas de vous écrire car je connais la sincérité et l'ardeur de votre affection.
Haut du documentCucuse, 404
.Nous respirons, nous tressaillons d'allégresse, nous doutons de notre exil, en apprenant que votre grandeur est rentrée dans cette ville éprouvée si cruellement. Et ce qui nous cause une pareille joie, ce n'est point votre accroissement de dignité : à vrai dire, votre dignité réside clans la vertu de votre âme; personne auparavant n'a pu vous l'ôter; personne, par la même raison, n'a pu vous la rendre aujourd'hui. Si je suis transporté de joie, c'est que votre retour est une grande consolation pour ceux qui étaient persécutés, massacrés, jetés dans les fers : en vous ils trouvent un patron commun, un port ouvert à tous. En effet, vous savez chercher votre bénéfice, là où il doit être cherché. Ecrivez-moi donc tout le bien que vous faites, dites-moi positivement combien de cadavres vous avez ressuscités, combien de (528) chutes vous avez réparées, combien de détresses vous avez soulagées, à quelles souffrances vous êtes venu en aide dans ce long espace de temps, quelles négligences vous avez réveillées, quelles activités vous avez stimulées, enfin faites-nous savoir en détail tous les exploits par lesquels vous vous êtes signalé dans ce combat. Je n'ai pas besoin de vos lettres pour le savoir, car je connais votre âme, je vous sais courageux athlète, combattant héroïque ; je voudrais néanmoins être instruit de tout cela par votre voix bien-aimée. Consentez donc à notre demande : vous savez quel plaisir vous nous ferez en l'exauçant.
Haut du documentDe Nicée, lors du départ, de Chrysostome pour l'exil, 404.
Le quatrième jour du mois de juillet, avant de quitter Nicée, j'adresse cette lettre à votre religion, pour la supplier, comme je n'ai pas cessé de le faire, de continuer, quand bien même la tempête et le déchaînement des vagues redoubleraient de violence, à vous acquitter le mieux possible de l'emploi qui vous a été confié : j'entends par là l'extermination de l'hellénisme, la multiplication des églises, le soin des âmes: et ne vous laissez pas abattre par les difficultés de la situation. Un pilote ne quitte point le gouvernail parce qu'il voit les flots se soulever avec fureur; un médecin, parce qu'il voit son malade succomber à la maladie, ne renonce point pour cela à lui donner ses soins; que dis-je ? c'est alors surtout que l'un et l'autre mettent en oeuvre toutes les ressources de l'art. Faites donc comme eux, mon très-honoré et très-religieux maître, déployez maintenant un zèle infatigable, et ne vous laissez point abattre par les événements : car loin d'avoir à rendre compte du mal que nous font les autres, nous en serons, au contraire, récompensés. Mais si nous-même nous ne faisions pas notre devoir, si nous nous relâchions, tant d'épreuves ne nous serviraient de rien pour notre rémunération. Paul en prison, dans les fers, faisait son devoir; Jonas aussi, pendant qu'il était dans le ventre du monstre marin ; les trois enfants aussi, tandis qu'ils étaient dans la fournaise : aucun d'eux ne perdit rien de son activité dans ces prisons de diverses espèces. Songez à cela, mon maître, et ne cessez pas de vous occuper de la Phénicie, de l'Arabie et de toutes les Eglises d'Orient, persuadé que votre récompense sera proportionnée aux obstacles qui auront été opposés à vos efforts. Ne vous refusez pas non plus à nous écrire assidûment, et le plus souvent que vous le pourrez. Nous venons d'apprendre que ce n'est point à Sébastée, mais bien à Cucuse, qu'on nous relègue là, il vous sera encore plus facile de correspondre avec nous. Ecrivez-nous combien d'églises ont été élevées chaque année, quels saints personnages se sont transportés en Phénicie, et si l'on remarque des progrès. A Nicée, j'ai trouvé un moine reclus, à qui j'ai persuadé de se rendre auprès de votre piété, et de s'en aller en Phénicie. Songez à me faire savoir si vous l'avez vu. Pour ce qui concerne Salamine en Chypre, que menace de toutes parts l'hérésie des Marcionites, j'étais entré cri conférence avec qui de droit, et j'avais remédié à tout; mais mon exil a tout arrêté. Si vous apprenez donc que mon maître l'évêque Cyriaque soit à Constantinople, écrivez-lui à ce sujet, et il sera à même de tout terminer. Et, par-dessus tout, invitez ceux qui sont en crédit auprès de Dieu à multiplier les prières, à redoubler de zèle, afin de conjurer la tempête déchaînée sur l'univers. Car ce sont vraiment des maux intolérables que ceux qui ont fondu sur l'Asie, ainsi que sur d'autres villes encore et d'autres Eglises; j'omets les détails, pour ne pas vous importuner. Je n'ajouterai plus qu'une chose : il nous faut de nombreuses prières et des supplications assidues.
Haut du documentCocuse, 404
.Nous écrire, prévenir nos propres lettres, les solliciter, nous demander de ne pas nous renfermer dans la mesure des missives ordinaires, voilà qui montre l'ardeur et la vivacité de votre tendresse. Par là, le désert où nous vivons cesse de nous paraître un désert. Par là, nous sommes consolé des périls continuels et de tout genre dont nous sommes assailli. Qu'est-ce que vaut, en effet, l'amitié ? Rien absolument. (529) C'est la racine, la source, la mère des biens, C'est une vertu qui n'est point pénible, une vertu mariée au plaisir, et qui procure un grand bonheur à ceux qui la poursuivent de toute leur âme. Aussi, vous savons-nous beaucoup de gré, de ce que vous êtes restés si fidèles à vos sentiments pour nous ; et nous, de notre côté, en quelque lieu que nous soyons, fussions-nous relégué aux confins de la terre, dans un pays plus désert que celui-ci, nous emportons partout votre image, gravée dans notre pensée, empreinte dans notre souvenir; ni la longueur de la route, ni le temps écoulé, ni les dangers courus ne nous ont rendu plus tiède à l'égard de votre grâce ; nous vous voyons, comme si nous avions conversé avec vous hier ou avant-hier, ou plutôt, comme si nous ne vous quittions pas, et vous êtes présents aux yeux de notre amitié. Voilà ce que c'est que l'affection : ni l'éloignement ne la brise, ni le temps ne la flétrit, ni les tribulations n'en triomphent; elle ne cesse de grandir, elle a l'essor de la flamme. Vous savez cela mieux que personne , puisque , mieux que personne , vous savez aimer: ce dont nous vous félicitons fort. Nous sommes, quant à nous, malheureux et sans pouvoir : mais Dieu est assez riche pour vous payer au centuple le prix de votre attachement, car son opulence rémunère toujours hors de toute proportion ceux qui font le bien, soit en action, soit en paroles. Je voudrais bien vous voir avec les yeux du corps, jouir de votre aspect, me rassasier par là de votre affection; mais cela n'étant pas possible , non faute d'empressement ou de bonne volonté, mais par suite des entraves où me retient mon exil, du moins veuillez me dédommager en m'écrivant lettres sur lettres pour m'informer de votre santé. Si vous faites droit à notre prière, ce sera pour nous un grand soulagement dans l'exil où nous sommes relégué. Ne nous refusez donc pas un si vif plaisir, bien persuadés de la joie, du contentement que vous nous causerez. En tenant vos lettres, c'est vous-mêmes que nous croirons avoir en notre compagnie ; et un tel commerce rendra plus vive en nous l'illusion de votre présence.
Haut du documentCucuse, 404
.J'aurais désiré n'avoir pas besoin de prévenir votre grâce pour recevoir une lettre de vous car t'eût été la preuve d'une vive ;affection. Mais au lieu d'attendre vos lettres, je les préviens, montrant par là même l’ardente amitié que j'ai pour votre grâce. D'ailleurs, je vous sais gré de votre silence même; car je sais bien qu'il provient chez vous non de négligence, mais d'un excès de réserve. Ne craignez donc plus de nous témoigner votre attachement, ni de nous écrire lettres sur lettres, pour nous informer de votre santé. Si vous faites droit à notre demande, fussions-nous relégué aux extrémités du monde, dans un pays plus désert que celui-ci, votre affection nous consolera. Car rien n'est aussi propre à soutenir l'âme, à la tenir dans un profond contentement qu'une bonne affection partagée : et vous le savez mieux que personne, puisque , mieux que personne, vous savez aimer.
Haut du documentCucuse, 404.
Qu'est-ce à dire? Vous qui nous aimez si fort (car la distance à laquelle nous sommes relégué ne nous a pas empêché de nous apercevoir de votre affection, tant elle est vive et brûlante), vous pouvez garder le silence? Vous ne nous avez pas écrit une seule fois, vous nous avez donné cette énigme à déchiffrer? Car je ne me paye point du prétexte que vous avez allégué dans votre lettre à mon maître, le pieux prêtre Constance. Mais je ne veux point vous faire de chicanes. Prenons donc qu'il en est ainsi, et admettons que telle est la cause de votre silence : eh bien ! cette cause n'existe plus et nous avons pris les devants pour vous écrire pour vous remercier de la profonde tendresse que vous conservez dans toute sa vivacité à notre égard, et pour vous prier de nous écrire, fréquemment, quand (530) cela vous sera possible. Je no doute point que vous ne fussiez empressés de venir ici, sans les empêchements allégués par votre sagesse; ou plutôt par le coeur, vous êtes ici. Mais puisque présentement vous ne pouvez vous transporter ici en réalité, consolez-moi avec des lettres, rassurez-moi au sujet de votre santé et de toute votre maison. Si vous faites droit à notre prière en nous écrivant fréquemment, fussions-nous retenu dans une solitude plus affreuse que celle-ci, vos messages nous procureraient encore de grandes consolations.
Haut du documentCucuse, 404
.Je ne puis m'expliquer comment vous, notre ami zélé, vous, prêt à tout taire, à tout endurer pour, notre cause (nous le savons, une sincère affection n'échappe pas facilement aux regards), comment, dis-je, vous ne nous avez pas écrit une seule fois, et cela quand nous nous sommes rapproché de vous, et quand mon honoré et très-illustre frère Libanius est venu nous visiter. Ce ne sont pas là des reproches, mais des plaintes. Je suis vivement affectionné à votre religion; et la raison en est que vous prenez le plus grand soin de votre âme, que vous êtes comme un port ouvert à tous ceux qui souffrent, le recours des pauvres, le soutien des veuves, l'appui des orphelins, le père commun de tout le monde : moi donc, qui vous aime pour toutes ces raisons, je désire recevoir des lettres de votre piété. Accordez-moi cette grâce, exaucez mon voeu. Dans mon isolement, ce ne sera point pour moi une consolation légère, que de recevoir des lettres dictées par votre âme si chère et écrites de votre main, avec des nouvelles de votre santé et de toute votre maison.
Cucuse, 404.
Voilà l'énigme résolue. Que le prétexte allégué ne suffisait point pour votre justification, c'est ce que vers avez fait voir vous-mêmes, en prenant les devants pour m'écrire avant d'avoir reçu ma lettre. Voilà l'amitié elle ne se résigne point à se taire : dût-elle être accusée d'indiscrétion, elle remplit sa tâche. Pour nous, nous sommes si éloigné de vous faire un reproche de ce que vous nous avez prévenu, que nous glorifions, au contraire, votre zèle et vous en fanons honneur. C'est. maintenant, mieux que jamais, que nous connaissons votre affection profonde, et cela, non-seulement parce que vous nous avez écrit, mais parce que vous nous avez écrit les premiers. Dieu saura vous guérir de votre maladie, vous rendre une santé parfaite, et vous donner toutes facilités pour converser de près avec nous : c'est, du moins, pour nous maintenant même, une grande consolation que de recevoir une lettre dictée par d'aussi nobles sentiments: mais cela ne nous empêche pas de désirer encore cet autre commerce plus réel : puisse-t-il nous être donné d'en jouir promptement ! ce serait pour nous une bien belle fête.
Haut du documentCucuse, 404.
Que dites-vous ? Vos indispositions continuelles ne vous ont pas permis de vous joindre à nous? Vous vous trompez, vous êtes venue, vous êtes parmi nous, votre bonne volonté nous suffit, vous n'avez pas besoin d'apologie. C'est assez de votre ardente et généreuse affection, toujours si vivace, pour nous remplir de joie. Mais comme vous nous avez inspiré de vives inquiétudes, parce que vous dites de vos infirmités, si vous vous en guérissez (Dieu le peut, il peut vous remettre en parfaite santé), en relevant de maladie faites-le-nous savoir, afin que nous soyons, nous, guéris de notre inquiétude. — Car ce que je n'ai cessé de vous exprimer dans mes lettres, je vous l'exprime encore aujourd'hui : c'est que, partout où nous nous trouvons, fussions-nous transporté dans un pays encore plus désert, nous ne saurions cesser de nous inquiéter de vous , de vos affaires. Les gages que vous nous avez donnés de votre vive et profonde tendresse sont tels que le temps n'en s'aurait effacer ni (531)
altérer le souvenir. — Eloigné ou voisin de votre générosité, nous vous gardons toujours le même attachement, connaissant la candeur et la pureté de l'affection que vous n'avez cessé de nous témoigner.
Haut du documentCucuse, probablement 404.
Vous alléguez, vous, l'occupation que vous donnent vos affaires, et vous cherchez par là à vous justifier de n'être pas venu : quant à moi je pense que vous n'avez pas besoin de telles excuses. Vous êtes ici : et ceux même qui se sont rendus auprès de nous n'ont aucun avantage sur vous dans notre coeur : nous vous saluons, du fond de l'âme, du même nom qu'eux-mêmes, nous vous inscrivons au premier rang de nos amis, et nous vous savons gré de ce que, après un si court séjour auprès de nous (court, c'est peut-être beaucoup dire? vous ne nous témoignez pas moins d'affection que ceux qui ont vécu longtemps dans notre société. Nous vous savons donc un gré infini, et nous vous prions de nous écrire fréquemment. Nous voudrions vous voir en personne mais pour ne pas faire de tort à ceux qui ont besoin de vos bras et de vos paroles, pour ne pas leur fermer l'accès d'un si bon port, nous n'osons vous amener ici de vive force. Au moins, lorsqu'il vous sera possible, écriveznous, je vous prie, fréquemment, et rassureznous sur votre santé. — Bien qu'éloigné de vous, ce sera pour nous une grande consolation que de recevoir de pareilles lettres de votre grâce.
Haut du documentCucuse, 404,
Je n'ai jamais vu votre générosité avec les yeux du corps, mais il n'est personne que j'aie mieux considéré avec ceux de la charité : sorte de contemplation à laquelle aucune distance ne saurait mettre obstacle. Mon maître bien-aimé Libanius, en nous faisant connaître le zèle et l'empressement de votre générosité pour la vraie foi, nous a transporté d'allégresse. Voilà pourquoi, sans vous connaître de vue, nous nous sommes bâté d'écrire le premier à votre piété, afin de vous inviter à nous écrire aussi quand il vous sera possible. S'il nous arrivait de votre grâce une lettre qui nous donnât des nouvelles de votre santé et de toute votre maison, ce serait pour. nous, bien que vivant à l'étranger, une bien grande consolation. Car rien ne vaut l'affection.
Haut du documentCucuse, 404.
J'ai une grande obligation à mon bien-aimé maître Libanius, de ce qu'il a quitté sa demeure, de ce qu'il est venu ici, et de ce qu'ensuite il est retourné auprès de votre piété ; mais c'est surtout pour ce dernier motif. En effet, j'attache la plus grande importance à ce que vous soyez honoré et cultivé par tout le monde : non que vous ayez besoin de cela, mais parce que c'est une chose utile aux Eglises, tant à celles qui souffrent qu'à celles qui sont en paix. Sachez-lui donc gré de sa bonté, mon très-honoré et très-religieux seigneur, et quand vous aurez appris de lui en détail et les affaires d'Antioche et les nôtres (car il vous en instruira aussi, un court séjour parmi nous lui ayant permis de juger l'état des choses), congédiez-le en joie et en contentement. Car il est très-attaché à votre piété, et il nous aime tendrement. N'oubliez pas de saluer de notre part notre bien-aimé et très-honoré seigneur le prêtre Asyncritius avec ses enfants bien-aimés, et pareillement tout votre clergé que vous avez dressé bien vite à imiter votre affection pour nous. Je n'ignore pas quel attachement il nous témoigne, et combien il se montre prêt à tout faire et à tout souffrir pour nous A donner des preuves. Tout cela est un ouvrage de votre religion.
Haut du documentCucuse, 404.
Souvent nous avons écrit à votre piété, mais souvent n'est pas assez à nos yeux; c'est chaque jour que nous voudrions le faire. Car vous savez quels sont nos sentiments à l'égard de votre grâce. Puisque c'est chose impossible, c'est du moins un grand plaisir que nous nous faisons à nous-même de nous acquitter, dès que nous le pouvons, du devoir de vous saluer, afin d'avoir des nouvelles fréquentes et suivies touchant votre santé de corps et d'âme. Ainsi, je vous en prie, sachant quel plaisir vous nous faites en nous mandant ces nouvelles , veuillez vous imposer cette tâche, de nous tenir bien au courant. Aujourd'hui, par exemple, j'ai vu avec un vrai chagrin que vous n'ayez pas profité du voyage que devait faire ici un homme connu, pour ainsi dire, Universellement, et bien aimé de nous, mon maître, le très-honoré Libanius, pour nous adresser une lettre. Peut-être ignoriez-vous ce départ : mais ceci même nous fait de la peine, qu'on puisse nous venir voir sans que vous en soyez informée. Car de notre côté, nous ne cessons pas de nous enquérir avec sollicitude et importunité de ceux qui vont dans votre pays, et de nous servir d'eux dès qu'une occasion se présente, pour contenter notre désir, qui est d'écrire sans relâche à votre grâce.
Haut du documentCucuse, 404.
Si vous saviez bien quel plaisir vous nous causez en nous- écrivant, en nous écrivant toujours, en exprimant dans des lettres le miel de votre affection, vous feriez tout pour qu'il vous fût possible de nous en adresser chaque jour. Nous ne croyons plus habiter Cucuse ni vivre au désert, quand nous goûtons le charme de vos lettres et de votre profonde affection. Mais vous ne vous êtes pas bornée à m'écrire vous avez encore persuadé à mon maître, à notre bien-aimé frère Libanius, de quitter votre séjour, et d'entreprendre ce voyage. Quel attachement ! quelle sollicitude! Nous en tressaillons d'allégresse. Car rien ne vaut une bonne affection. Vous nous demandez de conserver pour vous les sentiments que nous avons témoignés dès l'origine à votre grâce. — Mais nous, nous ne nous résignons point à rester dans cette mesure : chaque jour, nous travaillons à ajouter quelque chose à ces sentiments et par là, nous nous faisons le plus grand plaisir à nous-même. En effet, nous ne cessons point de repasser perpétuellement en nous-même la noblesse de votre âme, sa candeur, sa franchise, son dévouement, sa droiture, sa sincérité, et toutes ces idées ne nous reviennent pas en mémoire sans nous causer une joie bien vive. Nous vous prions donc, confiante dans notre affection, de ne ressentir aucune peine, si nous vous avons renvoyé ce que votre révérence nous avait fait tenir. De coeur, nous avons reçu cet envoi, nous en avons joui : mais n'étant pas dans le besoin, nous vous avons exprimé le voeu que la garde en restât à votre générosité. Que si jamais nous tombons dans le besoin, vous verrez avec quelle assurance et quelle liberté nous vous écrirons pour réclamer un envoi , fidèle en cela même à vos commandements. Car vous dites à la fin de votre lettre : " Montrez que votre religion daigne se confier en nous, et user de ce qui est à nous, comme de son bien." Si donc vous voulez que nos dispositions soient telles, ou plutôt puisque vous le voulez, et que nous enjoignons de tenir pour nôtre ce qui vous appartient, attendez ma requête avant de rien m'envoyer. En effet, le meilleur signe que ces choses m'appartiennent , ce sera qu'elles me soient envoyées à ma volonté, et non lorsque je n'en ai pas besoin. Montrez donc encore la profonde amitié, et la considération que vous avez pour nous, en nous laissant libre sur ce point; et adressez-nous promptement une lettre pour nous annoncer que vous n'êtes point fâchée. Car si vous ne le faisiez pas, vous nous tiendriez dans une perpétuelle inquiétude; nous ne cesserions de nous demander si nous ne vous avons pas fait de peine : tant nous tenons à votre affection, à contenter votre générosité. Maintenant que nous avons suffisamment plaidé notre cause, faites-nous savoir que vous agréez notre justification. Votre grâce peut savoir, en effet, (533) qu'avec d'autres personnes qui avaient agi de même, et qui sont nos amis dévoués, nous n'avons pas eu besoin d'apologie, et qu'il nous a suffi de refuser leurs envois : mais vis-à-vis de votre révérence, nous nous justifions; nous la supplions de ne point se fâcher, et nous ne cesserons point nos instances, tant que vous ne nous aurez pas fait savoir que vous n'êtes point fâchée. Si nous obtenons de vous une pareille lettre, nous croirons avoir reçu le double, le triple, et bien au delà de ce que vous nous avez envoyé. En effet, rien n'est plus propre à montrer la considération et les égards que vous avez pour nous.
Haut du documentCucuse , 404.
Votre piété devrait, au lieu de se laisser abuser par les propos qu'on lui tient, apporter une grande vigilance à discerner la vérité parmi la foule des mensonges. Si vous prenez pour vérités toutes les rumeurs, il n'y aura plus de sécurité pour personne. Si au contraire vous usiez des voies légales pour arriver à découvrir la vérité, je vous demanderais à être jugé, autant du moins que la calomnie ne dirigera pas contre moi de nouveaux traits. Car je crains, oui, je crains maintenant les ombres et les spectres, depuis que vous-mêmes avez jugé de la sorte. Les amis ont renié leur amitié, les compagnons ont passé au large, et ceux qui sont loin décochent les traits de la calomnie. J'étais au milieu du port, et volts m'avez fait essuyer un naufrage: mais quoique banni, quoique séparé de l’Eglise, je suis résolu à me tenir prêt à tous les supplices. Je veux user de philosophie et supporter noblement l'adversité. Car je sais, oui je sais, du reste, que le désert est moins changeant que la ville, et que les bêtes fauves qui sont dans la campagne sont moins farouches que les amis. Portez-vous bien.
Haut du documentCucuse, 404.
Après un voyage de soixante-dix jours environ, ce qui permet à votre excellence de se représenter tous les maux que nous avons eu à souffrir, assiégé en maint endroit d'alarmes causées par les Isauriens, en butte aux assauts d'insupportables fièvres, nous sommes enfin parvenu à Cucuse , l'endroit le plus désert qui soit dans le monde entier. Si je parle ainsi, ce n'est point pour vous prier d'importuner personne afin que l'on nie tire d'ici (les épreuves les plus pénibles sont traversées, celles du voyage); mais je vous demande en grâce de nous écrire assidûment, et de né point nous priver, vu l'éloignement où nous sommes aujourd'hui, de cette consolation. Vous savez en effet quel soulagement c'est pour nous, jusque dans nos afflictions et nos dangers personnels, d'apprendre comment vous vous portez, vous qui m'aimez, de savoir que vous êtes en joie et en santé, et que vous ne courez aucun risque. Ainsi donc, si vous voulez nous faire jouir libéralement de ce plaisir, adressez-nous assidûment de pareilles nouvelles. Ce ne sera point une simple récréation, mais une consolation bien efficace que je vous devrai : car vous n'ignorez pas combien je me réjouis de vos prospérités.
Haut du documentCucuse, 404.
Je connais l'invariable, l'inébranlable solidité de votre attachement; je sais qu'aucun otage ne saurait le mettre en péril : votre conduite l'a prouvé. Voilà pourquoi de notre côté, bien qu'étant en proie à la maladie, bien que transporté dans l'endroit le plus désert de notre monde, à Cucuse, bien qu'assiégé par les incursions des Isauriens, et exposé à des périls de tout genre, nous vous écrivons, nous nous acquittons envers votre piété du salut que nous lui devons, toujours uni à elle de coeur, quoique séparé de corps, et c'est pour nous la (534) plus grande des consolations. Quels que soient en effet les désagréments d'un pareil séjour, j'y trouve ce grand avantage que je deviens votre voisin, et que je puis sans relâche, vu la faible distance qui nous sépare, écrire à votre piété et en recevoir des lettres. Admis à pareille fête (car à mes yeux c'est une fête et un sujet de vive allégresse), je deviendrai insensible à mon isolement, à la crainte, aux angoisses.
Cucuse, 404.
C'est un endroit prodigieusement désert que Cucuse : d'ailleurs notre solitude nous attriste moins que nous ne trouvons de charmes dans la tranquillité et dans la paix profonde où elle nous laisse. Aussi, comme si ce désert était pour nous un port, nous y respirons paisiblement des maux du voyage, et nous profitons de ce calme pour effacer en nous les derniers vestiges de la maladie et des autres épreuves que nous avons supportées. Si nous disons cela à votre excellence, c'est que nous savons quel prix vous attachez à notre repos car nous ne pouvons oublier jamais ce que vous avez fait là-bas, afin de réprimer ces folles agitations, vos efforts pour nous protéger et pour faire votre devoir. Partout où nous portons nos pas, nous ne cessons de publier vos bienfaits dans notre reconnaissance, illustre seigneur, pour votre parfait dévouement. Mais faites-nous la grâce d'ajouter à la joie que nous donne votre affection, celle que nous causeraient des lettres de votre main, nous informant que vous êtes en bonne santé. En effet, ce ne serait pas, même dans notre exil, un faible soulagement pour nous, que de recevoir de telles lettres de votre excellence.
Traduit depuis la 128e lettre par M. X***